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La place de la concurrence dans l’organisation et le fonctionnement du secteur bancaire
Michel DIETSCH
Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg
Cycle de conférences : Droit, Economie et Justice dans le secteur bancaire
4 avril 2005
2
Introduction : concurrence et évolution des métiers et des stratégies bancaires
Depuis deux décennies, la concurrence s’est nettement renforcée dans l’industrie bancaire en
Europe. On en prend pour preuve simplement deux évolutions marquantes de cette période :
- la convergence des taux d’intérêt,
- la réduction très sensible des marges d’intérêt au cours de cette période.
Le marché unique des services bancaires et financiers a incontestablement été un moteur de
ces évolutions.
Dans le même temps, la rentabilité des banques s’est sensiblement améliorée, comme en
témoignent les bons résultats des banques dans la plupart des pays en Europe.
Mais ce renforcement de la concurrence s’est aussi accompagné d’un changement notable de
la structure des revenus bancaires :
- alors que les revenus d’intérêt régressent,
- les revenus de la vente de services, perçus sous forme de commissions,
progressent.
Aux Etats-Unis, la part des commissions dans le produit net bancaire approche désormais
50%, contre 30% au milieu des années 1980.
Ces changements sont la conséquence de l’évolution des métiers et des stratégies des banques.
Les activités bancaires ne sont plus les mêmes qu’il y a quinze ans.
Les banques ont certes maintenu leur activité traditionnelle de transfert et transformation des
fonds – l’intermédiation financière –, mais elles ont introduit de nouvelles méthodes de
production. Au lieu de gérer des chèques, elles offrent des services de virement en ligne et des
cartes bancaires, au lieu de faire de l’escompte d’effets de commerce, elles utilisent les
méthodes de scoring pour accorder des crédits, elles en assurent le service, mais n’en
supportent plus nécessairement le risque sur la totalité de leur durée de vie, en recourant à la
titrisation de portefeuilles entiers de crédits. Mais, surtout, les banques ont développé de
nouvelles activités de production de services, dans la banque de détail (la banque-assurance,
en particulier) et dans la banque d’investissement (gestion d’actifs, activités de hors-bilan),
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qui leur permettent de percevoir d’autres types de commissions. La fonction de production
des banques a donc changé et cette évolution a fait passer les banques du statut de producteur-
fabricant à celui de distributeur.
On ne peut dissocier la compréhension de la concurrence de celle de cette évolution récente
des métiers et des sources de revenus des banques. Dans la banque, la recherche d’un
avantage concurrentiel (faire des profits supérieurs à ceux des banques concurrentes), qui est
le propre de la concurrence, n’emprunte plus les mêmes voies qu’il y a quinze ou vingt ans.
Elle repose désormais sur la poursuite de nouvelles stratégies.
En simplifiant, on peut distinguer deux grandes stratégies génériques. La première cherche à
exploiter les avantages de la banque de relation. C’est une stratégie traditionnelle dans
l’industrie bancaire. Elle consiste à produire des services différenciés, adaptés aux besoins des
clients, et dont l’offre repose sur l’exploitation de relations de clientèle entre la banque et ses
clients. Elle doit plutôt être mise en oeuvre à un niveau décentralisé, et sur des marchés de
proximité. A cette fin, le banquier doit traiter une information de nature qualitative (soft
information). Les clients concernés sont principalement les emprunteurs qui n’ont pas accès
aux marchés financiers (PME, professionnels) et les déposants qui attachent de la valeur à la
qualité des relations. Par extension, elle s’applique aussi aux clients de la banque privée et la
banque corporate. Cette stratégie est relativement coûteuse, car elle ne bénéficie pas de
rendements d’échelle croissants. De plus, elle suppose que la banque assume le risque des
crédits mis en pool. Les revenus extraits de cette stratégie proviennent principalement des
marges d’intérêt sur les dépôts ou sur les crédits.
La seconde stratégie est plus récente dans la banque. Elle traduit la montée en puissance de la
fonction de distribution évoquée précédemment et repose sur le modèle de la banque de
transaction ou banque à l’acte. Elle consiste à exploiter les économies d’échelle et de gamme
dans la production, le marketing et la distribution de crédits et autres produits standardisés,
comme les crédits à la consommation ou à l’habitat et la vente d’OPCVM. Pour mettre en
œuvre cette stratégie, les banques doivent être en mesure d’utiliser des techniques de
traitement d’une information de nature quantitative et publique (hard information), comme les
techniques de scoring et de titrisation. Cette stratégie suppose donc la grande taille et une
organisation centralisée, nécessaires pour minimiser les coûts unitaires des produits. Elle
génère peu de marges d’intérêt, les taux d’intérêt étant relativement faibles sur des marchés où
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la concurrence est généralement forte. Mais le risque peut être plus aisément transféré sur des
investisseurs institutionnels opérant sur les marchés financiers. La source essentielle de
rémunération réside dans le prélèvement des commissions. En Europe, le développement de
cette stratégie a été sans aucun doute été favorisé par l’instauration du modèle de la banque
universelle qui a élargi le domaine des activités ouvertes aux banques (deuxième directive
européenne) et par la création d’un marché unique des services bancaires et financiers. Un
autre support du développement de ce modèle est l’harmonisation des règles prudentielles,
avec Bâle 1 et aujourd’hui Bâle 2
Cette dualité des stratégies bancaires aide à comprendre les conditions de la concurrence dans
la banque et leurs effets sur l’organisation et le fonctionnement de cette industrie. En
poursuivant ces deux types de stratégies, les banques tentent, en effet, d’exploiter des
particularités remarquables de la technologie bancaire qui engendrent du pouvoir de marché et
procurent des rendements supérieurs à la moyenne. Dans une première section, on décrira la
nature de ces particularités, qui agissent comme des barrières naturelles à la concurrence. On
rappellera ensuite, dans la deuxième section, la position classique en analyse de la
concurrence selon laquelle ces barrières créent des pertes de bien-être et justifient la
réglementation des marchés bancaires. Dans la troisième section, on verra qu’il ne suffit pas
que ces particularités existent pour que l’on s’éloigne de l’équilibre concurrentiel. La question
est de savoir si les marchés bancaires, qui comportent « naturellement » peu d’offreurs et sont
de ce fait relativement concentrés, sont des marchés « contestables ». Dans la quatrième
section, on montrera cependant que les avantages associés au modèle de la banque de relation
amener à douter du caractère souhaitable de la concurrence dans l’industrie bancaire. Enfin,
on tentera de conclure en dressant un bilan des effets des structures des marchés bancaires sur
la situation de l’économie réelle.
1. Les barrières « naturelles » et l’origine du pouvoir de marché
La plupart des barrières réglementaires (exogènes) au fonctionnement des marchés bancaires
(contrôle des prix et des quantités, contrôle de l’accès à la profession via l’agrément bancaire)
ont été abolies au cours des vingt dernières années, principalement en raison de l’application
des directives européennes. Mais, il subsiste néanmoins des barrières naturelles (endogènes),
qui découlent des caractéristiques propres de la production.
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Les caractéristiques peuvent être regroupées en deux grandes catégories. Les unes sont
inhérentes à la taille des banques et elles prennent tout leur sens avec le développement de la
banque de transaction. Les autres sont informationnelles et elles sont plutôt associées au
modèle de la banque de relation.
Ces deux types de barrières sont à l’origine de pouvoir de marché. Mais elles conditionnent
aussi l’état des structures de marché, c’est-à-dire l’organisation du secteur bancaire et son
fonctionnement.
Les barrières technologiques
- La production de nombreux services bancaires est caractérisée par l’existence
d’économies d’échelle et de gamme. Celles-ci donnent un avantage aux banques
de grande taille ou qui pratiquent une large diversification des produits.
o Des travaux économétriques récents vérifient l’existence de ces économies.
La « sous-additivité » des coûts explique par exemple la consolidation du
système bancaire français. La sous-additivité traduit la présence de
synergies de coûts ou de recettes. Dans la banque, de telles synergies
proviennent de différentes sources : utilisation partagée d’équipements
fixes communs, économies associées à l’utilisation des techniques de
traitement de l’information, courbes d’apprentissage dans la gestion des
produits, par exemple. Les économies de gamme (scope) sont un cas
spécial de sous-additivité coût, celui où il est moins coûteux de produire
deux (ou plusieurs) produits bancaires conjointement que de les produire
séparément. Le concept de sous-additivité a aussi été étendu à la fonction
de revenu, ce qui permet d’estimer les avantages de la taille en termes de
revenus et non seulement comme il est d’usage courant en termes de coûts
(Dietsch et Oung, 1999, 2001a).
o Dans le cas où la banque traite une information publique et quantifiable, la
grande taille permet d’exploiter les rendements croissant des technologies
de traitement de l’information (comme, par exemple, les techniques de
scoring ou de segmentation de clientèle marketing).
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o Les économies de gamme sont à l’origine de subventions croisées entre
produits pour un même client -les produits sont liés – ou entre clients.
o La grande taille est aussi à l’origine d’une réduction du risque par la
diversification des portefeuilles (loi des grands nombres).
- Autres barrières technologiques : la fonction de transformation de la liquidité
suppose que la banque maîtrise le risque de liquidité (le risque de retraits massifs,
notamment) et le risque de crédit :
o La fonction de transformation de la liquidité est à l’origine du monopole
d’accès des banques (comme institutions financières) au prêteur en dernier
ressort et au mécanisme d’assurance des dépôts ; ainsi, aux Etats-Unis, les
petites banques qui n’ont qu’un accès limité aux dépôts garantis
restreignent l’offre de crédits (Jayaratne et Strahan, 2000) ;
o La qualité de la maîtrise des risques est également à l’origine d’effets de
réputation pour les banques : la différenciation peut se fonder sur la qualité
de la gestion du risque (Kim et ali, 2005).
Les barrières informationnelles
- L’un des métiers traditionnels du banquier consiste à traiter l’information sur des
clients dont la situation financière est complexe à analyser (en raison de fortes
asymétries d’information). Les solutions qu’apportent les banques en ce domaine
peuvent être à l’origine d’un avantage concurrentiel pour les banques.
o Ainsi, le maintien de relations de clientèle de long terme donne un avantage
aux banques qui possèdent cette relation avec leurs clients : en accumulant,
par la répétition des relations, de l’information sur ces derniers, les banques
sont capables d’évaluer avec plus de précision la qualité de crédit de leurs
emprunteurs. La théorie bancaire montre que ces relations permettent aux
prêteurs de réduire les inefficiences associées aux imperfections de
l’information entre prêteurs et emprunteurs (Eber, 2001) 1. Toutes choses
1 La durée moyenne de la relation bancaire est généralement considérée comme un facteur favorable à la disponibilité du crédit dans la mesure où la répétition des relations de crédit donne au prêteur une meilleure information sur la capacité et la volonté de remboursement de l’emprunteur. De nombreux travaux académiques ont déjà montré que la banque de relation pouvait réduire la probabilité d’un rationnement de crédit : Petersen et Rajan (1995), Berger et Udell (1998), Berger, Klapper et Udell (2001), Detriagiache, Garella et Guiso (2000), Dietsch et Golitin( 2002).
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égales par ailleurs, les entreprises peuvent donc chercher à prolonger la
durée de leur relation bancaire pour contrecarrer les difficultés de
diagnostic qui peuvent apparaître parce qu’elles possèdent certaines
caractéristiques qui rendent l’information du prêteur plus complexe à
analyser.
o Les coûts de changement de banques sont en grande partie la conséquence
de l’existence de telles relations de clientèle
l’existence des coûts de changement de banques a été vérifiée sur
des marchés bancaires différents (Sharpe, 1997, Kim et Vale, 2002,
qui les évaluent au tiers du coût d’un crédit, Kiser, 2002)
des études des services de marketing des banques montrent de leur
côté que la rotation des clients est plutôt lente.
o Les relations de clientèle sont aussi un fondement de la politique de
différenciation des produits bancaires.
- D’autres barrières informationnelles existent : il s’agit en particulier des effets de
réputation attachés à une banque. Cette réputation souvent liée à la faiblesse du
risque de défaillance de la banque.
o en conséquence, les « bons » clients choisissent de « bonnes » banques, ils
vont vers des produits plus sûrs (flight to quality).
Le pouvoir de marché et la concurrence imparfaite comme conséquences de
ces barrières
Ces barrières naturelles, technologiques ou informationnelles, font que les banques
bénéficient d’un pouvoir de marché, c’est-à-dire disposent de la capacité de fixer les prix
unilatéralement2. Ce pouvoir leur donne la possibilité d’extraire des rentes en faisant payer le
crédit plus cher, en rémunérant moins les dépôts, ou en prélevant des commissions plus
élevées.
D’une manière générale, dans le secteur bancaire comme dans les autres secteurs, le pouvoir
de marché dépend de trois grands facteurs :
2 En toute rigueur, le pouvoir de marché est la capacité de fixer les prix à des niveaux qui s’écartent du coût
marginal de production.
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- en premier lieu, de l’élasticité de la demande : une demande plus élastique, en
favorisant les substitutions de produits ou les changements de banque, réduit la
capacité à fixer des prix unilatéralement,
- en second lieu, du nombre de concurrents et du degré de concentration de l’offre :
un degré de concentration plus fort accroît le pouvoir de marché des offreurs,
- et enfin, des réactions stratégiques des concurrents : des réactions rapides
restreignent l’effet des actions stratégiques, comme une baisse des prix, menées
par des concurrents ; la concentration ne crée du pouvoir de marché pour un
concurrent que si les autres ne réagissent pas et restent passifs à ses actions
stratégiques.
On peut montrer comment les barrières informationnelles et technologiques qui caractérisent
la banque déterminent la création du pouvoir de marché en considérant leur effet au travers
de ces trois facteurs.
Les barrières informationnelles procurent du pouvoir de marché.
En premier lieu, le pouvoir de marché tient à la réduction de l’élasticité de la demande : la
différenciation des produits et les relations de clientèle ont pour effet de réduire l’élasticité de
la demande, dans la mesure où elles fidélisent les clients à la banque et accroissent les coûts
de changement de banque. Notons que le pouvoir de marché créé par la relation de clientèle
n’est sans doute pas le même pour tous les clients. Il est plus fort sur les déposants que sur les
emprunteurs et il varie également avec la taille des clients, la demande des petits déposants ou
emprunteurs étant moins élastique que celles des grands fournisseurs de liquidité aux banques
ou des grands emprunteurs (Kiser, 2003).
En second lieu, les barrières informationnelles affaiblissent les réactions potentielles des
banques concurrentes, en raison des avantages de coût qu’elles procurent à la banque qui
possède la relation avec un client. Pour cette banque, le coût du crédit ajusté pour le risque est
plus faible que pour les autres banques. Ainsi, elle peut fixer le prix du crédit non pas au coût
marginal, mais au niveau le plus élevé qui est compatible avec le maintien du client dans la
banque et qui dissuade les banques concurrentes de mener une attaque en prix.
Enfin, les relations de clientèle agissent sur les parts de marché des banques. Plus celles-ci
sont fortes, plus le pouvoir de marché est important.
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Les barrières technologiques sont également à l’origine de pouvoir de marché.
Les barrières technologiques modèlent sans aucun doute les structures des marchés bancaires
en poussant à la réduction du nombre de concurrents et à la concentration des marchés. Dans
la banque de transaction, la création du pouvoir de marché intervient principalement au
travers du canal de la part de marché et de la concentration. En effet, la standardisation des
produits tend à favoriser les comparaisons et à rendre la demande plus élastique. De plus, le
recours aux mêmes techniques de production ou à des techniques proches par toutes les
banques favorise les comportements d’imitation et accélère et renforce les réactions
stratégiques des concurrents.
Les transformations profondes de l’industrie bancaire en France au cours des dernières années
montrent bien la réalité et les conséquences des stratégies de recherche des avantages
concurrentiels offerts par les synergies de coûts et de revenus :
- Ainsi, la consolidation du secteur bancaire français illustre l’importance de la
course à la taille : aujourd’hui six groupes bancaires représentent 80% des crédits
et 90% des dépôts bancaires.
- L’introduction des NTIC et la transformation des circuits de distribution, avec en
particulier, l’apparition de la banque en ligne, a accentué la séparation de la
production et de la distribution des produits bancaires et a permis le
développement du modèle de la banque comme distributeur offrant tous les
produits « sous un même toit » (une enseigne) et utilisant des canaux différents
(banque « multi-canal »). Ainsi, par exemple, la « course aux guichets » a repris en
France depuis le début des années 2000.
Les barrières naturelles et la concurrence imparfaite
Ces barrières technologiques ou informationnelles déterminent aussi le caractère imparfait de
la concurrence entre banques. Sur les marchés de proximité (où opère la banque de relation),
comme sur les marchés nationaux ou internationaux (où domine la banque de transaction), la
concurrence est entre un petit nombre d’acteurs qui disposent d’un pouvoir de marché. Dans
10
un tel contexte, chaque banque tient compte des interactions stratégiques avec les banques
concurrentes pour mener ses propres stratégies.
En résumé, pour créer du pouvoir de marché, les banques peuvent recourir aux deux stratégies
génériques présentée dans l’introduction. Si elles adoptent une stratégie fondée sur la banque
de relation, elles tentent d’exploiter les avantages informationnels. Si elles adoptent une
stratégie de banque à l’acte, elles tentent de bénéficier des avantages associés à la taille et à la
diversité des services offerts « sous un même toit ».
2. La position classique : les barrières créent des inefficiences et des pertes de bien-être social
Selon une position classique3, toute situation dans laquelle un offreur dispose de pouvoir de
marché et applique des prix supérieurs aux prix de concurrence parfaite, qui sert de
« benchmark », crée des pertes de bien-être, le consommateur ne pouvant profiter des prix les
plus faibles possibles lors de l’achat des produits. Les barrières naturelles donnent aux
banques la possibilité de prélever des rentes en pratiquant des prix de crédit plus élevés que
les prix de concurrence parfaite, ce qui pénalise l’investissement, et en sous-rémunérant les
dépôts, ce qui ralentit le processus d’accumulation du capital. De plus, des prix de crédit trop
élevés peuvent inciter les entrepreneurs à entreprendre des projets d’investissement trop
risqués, ce qui accroît le risque de faillite des banques et d’instabilité du secteur bancaire.
2.1 La nature des pertes de bien-être
On utilise à nouveau la distinction entre banque de relation et banque à l’acte pour identifier
la nature des pertes de bien-être.
En premier lieu, les relations de clientèle donnent un privilège aux clients étant entrés en
relation depuis longtemps. Or ce ne sont pas nécessairement ceux qui disposent des meilleurs
projets d’investissement. Le maintien des relations bancaires avec ces clients peut pénaliser
des clients qui n’ont pas d’histoire bancaire mais qui ont des projets d’investissement à
financer plus rentables que ceux des clients existants. Il faut comparer ces pertes de bien-être
3 Celle du modèle Structure-Conduct-Performance (SCP) formalisé par Bain (1951).
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aux avantages de la banque de relation pour les emprunteurs qui en bénéficient. Toutefois, en
France, la multibancarité est liée à la taille des entreprises et non seulement à leur situation
financière et à leur niveau de risque. La durée des relations banques-entreprises est davantage
une caractéristique des grandes entreprises ou moyennes grandes. Les petites PME sont en
moyenne dans un régime de banque de transaction plutôt que de banque de relation (Dietsch
et Golitin 2002).
En second lieu, de nombreux travaux empiriques (principalement américains, en raison de la
disponibilité des données) montrent l’existence d’un lien positif entre la concentration des
marchés (locaux) et le pouvoir de marché. La quasi-totalité des travaux de la fin des années
1980 vérifient que la concentration s’accompagne, conformément à la position classique,
d’une augmentation des prix des crédits pour les emprunteurs et d’une réduction de la
rémunération des dépôts (Berger et Hannan, 1989). Elle s’accompagne également d’une plus
grande rigidité des taux d’intérêt des crédits et des dépôts bancaires par rapport aux taux des
marchés monétaires et financiers (Kashiap et Stein, 2000). Ces résultats traduisent bien
l’existence d’un pouvoir de marché. Mais les résultats ne sont plus aussi nets dans les travaux
empiriques récents.
En fait, pour analyser l’effet des structures des marchés sur les prix lorsque les banques ont du
pouvoir de marché, il faut tenir compte de l’ensemble des produits offerts par la banque et des
interactions entre les décisions concernant le mix des inputs et le mix des produits (Kiser,
2003). Les taux d’intérêt sur les crédits et sur les dépôts sont en effet déterminés
conjointement et non isolément. Ces interactions affectent la capacité des banques à instaurer
des subventions croisées entre produits ou entre clients. Ces subventions sont à l’origine de
transferts de richesse pour un client donné - le prix du crédit sert, par exemple, de prix d’appel
pour attirer le client et lui vendre d’autres services qui assureront la rentabilité de la relation
client – ou entre clients – les bons risques payent pour les mauvais risques. Des travaux
empiriques récents montrent que lorsque l’on traite la banque « comme un tout », et que l’on
tient compte des interactions entre les inputs et les produits, la tarification des banques qui ont
du pouvoir de marché dépend de leurs choix de combinaison productive (Kiser, 2003). Ainsi,
les grandes banques qui ont accès aux ressources moins coûteuses empruntées sur les marchés
monétaires et financiers rémunèrent moins les dépôts. Des banques petites, et dont le
portefeuille est plus risqué, offrent des rémunérations plus élevées sur les dépôts.
12
Enfin, l’existence d’un motif de pouvoir de marché est généralement mis en évidence dans les
travaux sur les fusions-acquisitions bancaires (Prager et Hannan, 1998).
2.2. Les limites de la position classique
Cette position classique fonde la réglementation des structures de marché. Elle inspire en
particulier les réglementations anti-trust et celles dont le but est de protéger les droits des
déposants et des emprunteurs. La position classique paraît cependant à certains trop mécaniste
dans la mesure où elle est trop centrée sur l’effet de la concentration. Elle a été l’objet ces
dernières années de deux courants de critiques.
Un premier courant, inspiré de la nouvelle théorie de l’organisation industrielle, souligne que
les structures des marchés (en particulier, le degré de concentration) ne déterminent pas à elles
seules le type de tarification adoptée par les banques. Même sur des marchés concentrés, le
pouvoir de marché des concurrents en place peut être contesté et l’extraction de rentes
restreinte si les marchés sont « contestables ». Des indices de concentration identiques
peuvent traduire des réalités de marché très variées. Celles-ci peuvent même contraindre les
banques à pratiquer une tarification de concurrence. Des travaux empiriques récents montrent
que la relation entre la concentration et le pouvoir de marché n’est pas monotone : à des
niveaux faibles de concentration, la relation existe, mais elle disparaît à des niveaux
intermédiaires de concentration et, lorsque la concentration est très forte, le signe tend à
s’inverser et la concentration s’accompagne alors d’une baisse des prix, ce qui peut traduire
l’existence d’une forte rivalité stratégique entre banques.
Une analyse empirique des fusions de groupes bancaires survenues en France sur la période
1997-2000 en termes de synergies de coûts, de revenus, et de diversification des risques
(Dietsch et Oung, 2001b) montre que les stratégies de regroupement fondées sur des synergies
de coûts n’apparaissent plus empiriquement justifiées. Autrement dit, le potentiel offert par
les synergies de coût au niveau national a été épuisé. A l’inverse, il existe un potentiel de
synergies de revenus et de diversification des risques qui apparaît insuffisamment exploité.
Au total, les synergies potentielles des fusions de groupes bancaires nationaux apparaissent en
réduction, ce qui suggère que les incitations futures sont plutôt à rechercher du côté des
restructurations internes ou des regroupements trans-frontières. Les bénéfices apparaissent
13
aussi généralement significatifs en termes de diversification des risques, ce qui devrait
encourager, à l’avenir, les rapprochements de groupes trans-frontières.
De plus, en développant des stratégies de banque à l’acte, des banques deviennent plus
efficientes que d’autres. Ces banques cherchent à fonder leur avantage concurrentiel sur leur
capacité à innover, à changer leurs méthodes de production ou à mieux gérer les activités de
distribution. La concentration des marchés bancaires n’est pas alors pas le reflet du pouvoir de
marché des banques ; elle est simplement la conséquence de la capacité des banques ayant les
meilleurs pratiques (les banques efficientes) à accroître leurs activités aux dépens de leurs
concurrentes en vendant moins cher (argument avancé par Demsetz). Dans ces conditions, la
concentration en s’accompagne pas nécessairement de prix plus élevés, même si les banques
disposent du pouvoir de marché que leur donne la technologie. Il faut donc distinguer cette
hypothèse d’efficience – qui prédit des prix plus faibles et des profits en hausse - de
l’hypothèse de concentration –qui prédit des prix et des profits plus élevés. De nombreux
travaux ont montré, pour la France (Dietsch et Oung, 1999), comme pour la plupart des pays
européens (Dietsch et Weill, 2000, Weill, 2004) une amélioration de l’efficience coût dans les
banques, signe que la poursuite des stratégie d’exploitation des économies d’échelle a bien
porté ses fruits et entraîné de forts gains de productivité. Les mêmes constats ont été effectués
aux Etats-Unis et dans de nombreux pays (Berger et Humphrey, 1999).
Un second courant développe l’idée selon laquelle la concurrence bancaire n’est pas
souhaitable si elle restreint l’accès au crédit des clients qui ne disposent pas d’historique de
crédit et sont a priori exclus du crédit par les règles de la banque à l’acte. Ce courant insiste
sur les avantages attendus de la banque de relation et le risque de destruction des mécanismes
de prise en charge des risques que ferait courir une concurrence trop forte sur les marchés
bancaires.
3. Les marchés bancaires sont-ils « contestables »
Avec la dérégulation des marchés bancaires en Europe et le développement des stratégies
fondées sur l’exploitation du progrès technique, les marchés bancaires sont sans doute devenu
des marchés plus « contestables ». Un marché est « contestable » si, malgré l’existence de
barrières naturelles, notamment technologiques, qui engendrent du pouvoir de marché pour
14
les concurrents présents, les pressions concurrentielles poussent ces derniers à appliquer une
tarification concurrentielle (au coût marginal). Autrement dit, sur un marché contestable, les
banques ne peuvent exercer leur pouvoir de marché et en extraire des rentes, car les réactions
concurrentielles effectives ou potentielles des concurrents sont plus fortes et plus rapides, ce
qui tend à éliminer les avantages acquis par les concurrents ayant mené les premiers une
action stratégique en matière de prix ou de quantité. Le caractère contestable des marchés a
sans doute été favorisé par la dérégulation dans la mesure où celle-ci a favorisé l’entrée de
nouveaux concurrents. Ainsi, par exemple, le développement de la banque-assurance a élargi
le nombre de concurrents effectifs des banques : des compagnies d’assurance sont aujourd’hui
les principaux concurrents des banques commerciales et mutualistes.
De nombreux travaux économétriques ont tenté de mesurer le caractère « contestable » des
marchés bancaires dans de nombreux pays. Il tendent à montrer que la concurrence s’est
renforcée, malgré la transformation de structures de marché et la tendance à la concentration.
On les passe en revue dans ce qui suit. On montre ensuite, en étudiant les changements
intervenus sur le marché des crédits aux entreprises en France au cours des années 1990, que
le nombre de concurrents et l’augmentation du degré de concentration ne se traduit pas
nécessairement par une réduction de la concurrence et des pratiques de collusion.
3.1. Les vérifications du caractère « contestable » des marchés bancaires
De nombreux travaux empiriques ont tenté de vérifier le caractère contestable des marché
bancaires. On dispose de deux types de mesure pour vérifier cette hypothèse : 1) la mesure de
de l’élasticité des revenus aux changements des coûts des inputs ou mesure de Rosse-Panzar,
et 2) la mesure d’un paramètre d’interaction stratégique. L’idée sous-jacente à ces deux
mesures est d’évaluer le degré de réaction des banques confrontées à une action stratégique
d’une banque concuurente.
a) La mesure de Rosse-Panzar
Cette mesure est la somme des élasticités du revenu total de la banque par rapport aux prix
des inputs S. En situation de concurrence ou de concurrence monopolistique (concurrence
avec différenciation des produits et des enseignes), 01 >≥ S , car, en ce cas, un accroissement
du prix des inputs accroît le coût marginal ainsi que le coût moyen sans changer l’output final.
15
Si le marché est parfaitement contestable et que les entreprises maximisent les ventes sous
une contrainte de point mort, S doit être égal à 1. En revanche, en cas de monopole, les prix ne
réagissent pas à une variation des conditions de production, de sorte que S est égal à 0, voire
négatif.
En utilisant cette approche, Shaffer (1989) montre que l’industrie bancaire américaine est en
situation de concurrence. Dans un autre travail, Shaffer (1993) montre que les banques
canadiennes opèrent en situation de concurrence, en dépit du faible nombre de banques au
Canada et de la concentration relativement forte du marché.
La plupart des travaux existants montrent que les systèmes bancaires européens sont en
situation de concurrence (De Bandt et Davis, 2000, Bikker et Haas, 2002, Weill, 2004). La
mesure de la statistique de Rosse-Panzar que nous avons effectuée pour l’industrie bancaire
en France dans les années 1990 donne les résultas suivants qui vérifient que le système
bancaire est devenu plus concurrentiels au cours de cette période :
Année Mesure de Rosse-Panzar de la
concurrence bancaire en France S
1993 0.6653
1997 0.7764
16
b) La mesure du paramètre d’interaction stratégique
Considérons, par exemple, une augmentation de la demande de crédit. Les banques réagissent
en évaluant le coût de la production supplémentaire de crédits, l’élasticité de la demande et les
réactions des banques concurrentes. Si le marché est concurrentiel, le paramètre d’interaction
stratégique sera égal à 0, il sera égal à 1 en cas de monopole. Les cas intermédiaires
correspondent à des structures plus ou moins concurrentielles.
Ainsi, Spiller et Favaro (1984) estiment le paramètre sur le marché uruguayen. Ils distinguent
les banques dominantes et les banques marginales. Ils rejettent l’homogénéité de réaction
entre les deux groupes de banques, ce qui exclut l’équilibre de Cournot. Ils trouvent un
comportement de type leader-suiveur et un équilibre de Stackelberg. Ils montrent aussi que la
dérégulation a modifié les interactions entre les banques du groupe dominant. Avant, une
augmentation de 1% de l’output d’une banque avait pour effet d’augmenter l’output d’une
autre banque dominante de 1,5%, après la libéralisation de seulement 0,5%. Par contre, le
comportement des banques marginales ne change pas.
En revanche, Berg et Kim (1996) montrent que le comportement des banques norvégiennes
sur le marché de la banque de détail est oligopolistique, alors que le comportement des
banques sur le marché de la banque de gros est moins oligopolistique. Une analyse fondée sur
l'indice d'Herfindahl suggèrerait le résultat inverse dans ce pays.
Cetorelli (1999) montre que bien que l’indice d’Herfindhal ait augmenté dans l’industrie
bancaire italienne dans les années 1990, le paramètre d’interaction bancaire a diminué (de 0,6
à 0 environ de 1983 à 1993) ce qui traduit un renforcement de la concurrence sur ce marché.
3.2. Concentration et concurrence sur le marché des crédits aux entreprises
La consolidation du système bancaire français dans les années 1990 s’est traduite par un
regroupement des établissements de crédit au sein de six grands groupes bancaires. Elle a
entraîné une augmentation de la concentration. Mais elle s’est accompagnée également d’un
rééquilibrage des parts de marché sur ce marché, et cela a en réalité favorisé la baisse des prix
et la disponibilité du crédit pour les entreprises moyennes, même si le nombre de banques
17
concurrentes a diminué et si les banques possèdent du pouvoir de marché (Dietsch et Golitin,
2002).
Premier constat : les restructurations bancaires s’accompagnent d’un rééquilibrage des parts
de marché sur le marché des crédits
Les banques commerciales qui, traditionnellement, constituaient les principaux fournisseurs
de prêts aux entreprises et notamment aux grandes entreprises voient leur part de marché
régresser sur la période 1993-2000, tandis que les banques mutualistes développent leur offre
de crédit et conquièrent régulièrement des parts de marché au cours de la période, de sorte
qu’au début des années 2000, avant la fusion CA- Crédit Lyonnais, l’offre de crédit est
répartie de façon presque uniforme entre six groupes bancaires.
Or un marché où les parts de marché sont plus homogènes est un marché plus concurrentiel.
Deuxième constat : ces transformations s’accompagnent d’un changement dans la répartition
des crédits selon la taille des emprunteurs
La période étudiée est aussi marquée par un changement de la politique d’offre de crédit des
groupes bancaires selon la taille des emprunteurs. Alors que la part des crédits aux grandes
entreprises régresse régulièrement, la part des prêts aux PME et notamment aux PME de
moyenne et grande dimension (dont le chiffre d'affaires est compris entre 2,5 et 80 millions
d'euros) croît nettement.
La progression de la part de crédit aux PME est aussi concomitante sur la période d’un
accroissement du volume total des crédits aux entreprises. De plus, elle ne provient pas d’une
réduction du volume de crédit aux grandes entreprises. Celui-ci a augmenté régulièrement
depuis 1993. On ne peut cependant conclure que cette progression traduit une adéquation
parfaite de l’offre de crédit aux besoins de financement exprimés par les entreprises.
L’accroissement du nombre de banques par entreprise a eu aussi un impact sur la disponibilité
du crédit. Deux résultats sont mis en évidence. En premier lieu, la valeur moyenne des crédits
augmente, en règle générale, avec le nombre de groupes bancaires. En 2000, par exemple, elle
est inférieure à 1 million d’euros lorsque l’entreprise n’a qu’une banque et voisine de
18
7 millions lorsqu’elle en a sept, ce qui n’est pas sans rapport avec le fait que les plus petites
entreprises sont davantage monobancarisées. Une relation positive existe entre le nombre de
banques et la quantité moyenne de crédit bancaire obtenue par l’entreprise. En second lieu,
cette valeur moyenne des crédits tend plutôt à décroître au cours du temps tant que le nombre
de groupes bancaires est inférieur à 5. Au-delà, le montant moyen des crédits accordés tend à
augmenter au cours de la période. Ces résultats ne sont indépendants, ni de la taille des
entreprises, les plus grandes ayant accès à un plus grand nombre de groupes bancaires, ni de
la durée de la relation banque-entreprise.
En ce sens, on observe que la banque principale tend dans un premier temps à augmenter la
quantité de crédit offerte à mesure que le nombre de banques de l’entreprise cliente augmente.
Cette tendance est vérifiée quelle que soit la taille des entreprises. La banque principale trouve
probablement un avantage à partager les risques de crédit avec les banques secondaires ou
marginales de son client, malgré la perte de transparence de l’information qui devrait résulter
de cette situation. Toutefois, on constate aussi que l’offre de crédit de la banque principale
tend à diminuer lorsque le nombre de banques dépasse un certain nombre de banques (qui
varie avec la taille des emprunteurs, ce nombre étant naturellement plus faible pour les plus
petites entreprises). Cette observation laisse à penser qu’une trop grande multibancarité tend
peut-être à s’accompagner d’une détérioration de la qualité de la relation de clientèle. Le fait
que cette observation apparaisse surtout dans les années de récession du début de la période,
durant lesquelles l’information est moins facile à analyser et le risque de crédit plus fort, va
dans le sens de cette interprétation.
En définitive, la consolidation a entraîné des changements dans la répartition des parts de
marché au cours de la période. Ces différences ont un effet sur la profitabilité des banques
indépendant de la concentration4.
4 Autrement dit, partant de la formulation suivante de l’indice d’Herfindahl,n
VH 12 += , on distingue l’effet de
la variabilité des parts et celui du nombre de banques, on ne trouve pas de relation avec la concentration et il n’est pas possible de séparer l’effet de ces deux variables.
19
4. La concurrence est-elle souhaitable dans le secteur bancaire ?
Il existe deux grandes raisons de douter du caractère souhaitable de la concurrence (d’une
concurrence trop forte) dans l’industrie bancaire :
- d’un côté, une trop forte concurrence, en affectant les marges bancaires, peut
favoriser l’instabilité bancaire et accroître le risque systémique,
- de l’autre, une trop forte concurrence peut gêner l’application de certaines
techniques bancaires, notamment en matière de gestion du risque, et entraver le
processus de répartition intertemporelle des revenus et des pertes qui conduit à une
allocation efficiente du capital dans l’économie.
On considère principalement la seconde raison, ce qui implique de revenir en détail sur les
techniques de la banque de relation. Pour réaliser le transfert des fonds entre prêteurs et
emprunteurs, les banques mettent en œuvre des techniques de traitement de l’information dont
l’objet est de mesurer le risque et de contrôler l’usage des fonds. Dans un contexte marqué par
de fortes asymétries d’information entre prêteurs et emprunteurs, leur rôle est notamment de
développer des méthodes de mesure du risque, afin de distinguer les emprunteurs selon leur
qualité de crédit et de procéder sur cette base à une allocation efficiente des fonds. Dans la
banque de relation cette mesure se fonde principalement sur le traitement de l’information
soft. L’information traitée, il incombe ensuite aux banques de gérer le risque de portefeuille,
par la mise en pool des risques. Or la concurrence peut réduire les incitations des banques à
exercer ces deux fonctions de façon efficace.
20
Considérons la première fonction, la fonction d’identification du risque.
Tout d’abord, des travaux ont montré que la qualité moyenne des crédits diminue à mesure
que le nombre de banques concurrentes augmente (voir par exemple Shaffer, 1998). La raison
est que les emprunteurs dont la qualité de crédit est médiocre ont d’autant plus de chances
d’obtenir des crédits qu’ils peuvent faire leur marché auprès d’un nombre de banques plus
important. En effet, la technologie qui permet d’évaluer la qualité de crédit est naturellement
sujette à un risque d’erreurs5. Ces erreurs peuvent faire qu’un emprunteur ayant une
probabilité de défaut (PD) élevée obtienne un crédit parce que le système de notation lui
attribue une PD plus faible que sa PD réelle. Les demandeurs de crédit peuvent qui se voient
refuser un crédit peuvent continuer à faire leur marché et s’adresser à d’autres banques, qui
n’ont pas la possibilité de savoir si ces clients se sont vu auparavant refuser un crédit par leur
banque parce leur qualité est médiocre. Dans ces conditions, un demandeur de crédit de
qualité médiocre a donc de plus grandes chances d’obtenir un prêt qu’il peut s’adresser à un
plus grand nombre de prêteurs. C’est ce que l’on nomme la « malédiction du vainqueur »
(winner’s cruse) : la banque qui a gagné ce client a en fait gagné le droit à assumer des pertes
plus importantes.
Les coûts associés à cette malédiction du vainqueur peuvent rendre les banques hésitantes à
entrer sur le marché et réduire le nombre de concurrents présents. Cependant, ces coûts
peuvent être en partie réduits, et les incitations mieux préservées, s’il existe un service de
centralisation des risques, comme en France. Notons que ces coûts ne peuvent être réduits par
la diversification. Il n’existe pas d’avantage en ce domaine pour une banque de grande taille.
Un autre argument a été avancé pour montrer que la qualité de la mesure du risque de crédit
diminue lorsque le nombre de banques augmente. Il repose sur l’idée que les emprunteurs
(entrepreneurs) sont réticents à révéler la vraie qualité de leurs projets d’investissement. En
période d’expansion, les banques sont moins réticentes à prêter, même si elles ne peuvent
identifier complètement leur risque en utilisant leur système de notation et ne peuvent savoir
si un demandeur de crédit s’est vu refuser le crédit par une autre banque. Elles acceptent donc
un niveau de risque plus élevé. En période de récession, il est en revanche optimal de
5 C’est le cas par exemple des techniques statistiques de type scoring qui sont soumises à des erreurs de type I
(le modèle prévoit que la qualité de crédit de l’emprunteur est bonne alors que ce dernier fera défaut) et de type II (le modèle prévoit que l’emprunteur est risqué alors que son risque est faible).
21
pratiquer une analyse plus approfondie du risque, la probabilité que le demandeur de crédit ait
une qualité de crédit médiocre étant plus importante.
Autre aspect : pour traiter l’information générique, publique et quantifiable (hard
information) qui permet d’identifier le risque des emprunteurs, il vaut mieux être une banque
de grande taille et bénéficier des économies d’échelle extraites de l’utilisation d’un système
performant de notation et des effets de diversification associées à la détention d’un
portefeuille de grande dimension. En revanche, pour traiter l’information qualitative, privée et
difficilement quantifiable (« soft information »), il vaut mieux être une banque de taille
moyenne, proche des clients, cette activité ne dégageant pas d’économies d’échelle.
Toutefois, les banques de taille moyenne pâtissent d’une taille de portefeuille qui ne permet
pas de bénéficier des effets de diversification apportés par des portefeuilles de grande taille.
En résumé, la concurrence entre banques peut donc entraîner des distorsions dans les
incitations des banques à évaluer le risque des emprunteurs. Dans ces conditions, du pouvoir
de marché est nécessaire pour permettre aux banques de procéder à une allocation efficiente
des fonds en élevant la qualité du pool des crédits figurant dans les portefeuilles.
Considérons la fonction de mise en pool des risques.
La fonction d’intermédiation, plus particulièrement la mise en pool des risques, suppose de
réaliser un transfert intertemporel des revenus et des pertes, soit au niveau du client, soit au
niveau du portefeuille de clients. C’est sur ce mécanisme qu’est fondé le financement de
nouveaux clients, inconnus d’une banque ou de l’ensemble des banques. Les entreprises
jeunes, pour lesquelles, par définition, aucune relation de clientèle n’existe, présentent un
niveau de risque élevé, simplement parce qu’elles n’ont pas d’historique financier. La banque
pourrait assumer ce risque en répartissant les pertes potentielles sur l’ensemble des clients,
c’est-à-dire en incorporant dans les taux de crédit des primes permettant de couvrir des pertes
potentielles plus élevées que celles des clients dont elle connaît l’histoire financière. Les taux
de crédit sur les clients anciens (et connus) devraient donc être plus élevés que ceux qui
correspondent à leur probabilité de défaut. En réalité, cette solution est impossible à
appliquer, les anciens clients ayant toujours la possibilité de changer de banque, sauf si la
banque possède du pouvoir de marché. En ce cas, les coûts de changement de banque peuvent
faire renoncer les clients à changer de banque.
22
L’alternative, pour la banque, est de construire une relation de clientèle avec le nouveau client
(Petersen et Rajan, 1995). La banque attire, dans un premier temps, les nouveaux clients en
leur faisant payer un taux de crédit qui ne reflète pas leur véritable risque. Plus tard, elle
applique aux mêmes clients des taux d’intérêt plus élevés que ceux qui correspondent à leur
vrai risque, et elle rémunère ainsi la fonction de crédit sur la durée. Mais cette stratégie, qui
consiste à subventionner le client à l’origine pour le faire participer ensuite, si ses projets ont
réussi, n’est en réalité possible que si la banque possède du pouvoir de marché. Si les banques
sont en concurrence, les clients peuvent refuser de payer cette participation au coût du risque
et faire le tour du marché pour trouver les meilleurs taux. Sur un marché bancaire
concurrentiel, les banques ne peuvent compter sur des coûts de changement de banques
suffisamment élevés pour retenir les clients.
Conclusion : la concurrence bancaire et l’économie réelle
Selon la position classique, le pouvoir de marché réduit les quantités d’équilibre, selon les
partisans de la banque de relation, il accroît la qualité des fonds sélectionnés dans le pool des
crédits et contribue donc à une meilleure combinaison rendement-risque et une allocation du
capital plus efficiente. Il y a donc dans la banque un arbitrage entre quantité et qualité. La
structure des marchés bancaires (notamment, le degré de concentration) exerce un effet sur
l’économie réelle à travers deux canaux distincts :
- un canal positif : la concentration accroît la qualité du crédit,
- un canal négatif : la concentration réduit la quantité de crédit disponible.
Différents travaux ont tenté de vérifier cette hypothèse. Ils appartiennent au courant de
l’économie bancaire ou au courant des relations entre la finance et le développement. Ainsi,
divers travaux appartenant au premier courant montrent que la concentration a un effet sur le
nombre d’entreprises présentes dans l’économie. Si les marchés sont concentrés, les
entreprises nouvelles ont en effet des difficultés à trouver des fonds par rapport à une situation
où les marchés sont davantage concurrentiels (Cetorelli et Strahan, 2004). Les entreprises sont
en moyenne de plus grande taille si les marchés bancaires locaux sont plus concentrés. En ce
sens, l’ouverture des marchés bancaires et l’abolition des barrières réglementaires en Europe y
ont favorisé une réduction de la taille moyenne des entreprises (Cetorelli, 2004). En
23
revanche, Petersen et Rajan (1995) montrent que les PME obtiennent de meilleures conditions
de financement (plus de crédit, des taux d’intérêt plus faibles) sur des marchés plus
concentrés.
De nombreux travaux montrent les effets positifs du développement financier sur la
croissance économique. Ils soulignent en particulier le rôle des banques et de l’intermédiation
bancaire dans le développement. Mais, pour favoriser le développement économique, les
banques doivent-elles disposer d’un pouvoir de marché ? Si la concentration réduit la
disponibilité des fonds, l’effet est négatif. Si la concentration accroît la qualité des projets
financés, il est positif. En réalité, les deux effets de la structure des marchés bancaires sur
l’économie réelle coexistent. Les jeunes entreprises sont bien dépendantes des banques pour
pouvoir se développer. Et la structure des marchés bancaires a bien un effet sur la répartition
des fonds entre les secteurs d’activité. Mais, globalement, un marché bancaire moins
concurrentiel réduit la quantité totale des fonds et pénalise le développement.
24
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