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ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E. PNM n° 352 - Janvier 2018 - 36 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d’antisé- mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l’État d’Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. Donald Trump, Jérusalem et le boomerang O n dit souvent Donald Trump « imprévisible ». Ce n’est pas le cas de sa décision, prise le 6 décembre dernier, de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël. Tout au long de sa campagne électorale, il s’était en effet engagé à dépla- cer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Ce transfert fait d’ailleurs l’objet d’une loi votée par le Congrès des États-Unis le 23 octobre 1995, mais qui autorise cepen- dant le président à reporter cette décision tous les six mois : Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama ont profité de ce sursis. <<< (Suite en p.3 de l’article de D. Vidal) L ’auteur dans ce très émouvant documentaire part sur les traces de son arrière-grand-père dont il pos- sède une photographie, mais qu’il n’a pas connu. Wolf Leïb Fränkel, né en Pologne en 1853, choisissant l’exil, aux États-Unis, en fut refoulé ; de retour en Europe, il s’installa à Vienne. C’est par l’évocation du cinéma du grand Max Ophüls que s’ouvre ce film. Et Robert Bober croise les écritures car dans Lettre d’une inconnue et La Ronde qu’Ophüls porte à l’écran, dans son style si recon- naissable et unique, ce sont aussi Zweig et Schnitzler que l’on retrouve. Vienne avant la nuit évoque la vie de ces écrivains viennois, les lieux qu’ils fréquentèrent et à tra- vers eux, ressuscite la mémoire de ceux qui devinrent des réfugiés ou des exilés comme Roth ou Zweig. Vienne avant la nuit (Suite en p.7 de l’article de L. Laufer <<< Vœux par Bernard Frederick En ce début d’année, nous formons nos meilleurs vœux pour chacune et chacun d’entre vous, pour vos familles, pour vos proches. La chance soit avec vous ! Nous espérons de 2018 la paix, la prospérité, la sécurité. Nous espérons ! Nous avons l’espoir au cœur ; c’est la source de notre engagement social et citoyen. C’est notre façon d’être juif. Et il faut bien que nous ayons l’espoir au cœur dans cette France et ce monde de 2018. Sinon qu’est-ce qui pourrait nous réjouir ? • Les provocations du président Trump (Corée, Jérusalem, Russie) ? Lisez donc page 3. • La politique du président Macron ? Rendez- vous page 4 ! Il n’y aura pas de consultation électorale avant 2019 (élections au Parlement européen). Il fau- dra se faire entendre autrement. Les syndicats sont déjà sur le pied de guerre en attendant un nouveau train de réformes libérales. Mais que peuvent celles et ceux qui ne travaillent pas, les chômeurs et les retraités ? Aux chômeurs, on promet. Ce n’est pas nou- veau. Aux riches, on fait des cadeaux. L’argent va à l’argent ! Les retraités, on les pille ! C’est le scandale de ce début d’année : l’aug- mentation de la CSG. Rogner les retraites, incroyable ! Il faut pour ce faire avoir une sacrée dose de cynisme et un mépris de ban- quier. Emmanuel Macron se défend d’être le président des riches, pourtant c’est éclatant, non ? En tous cas, la PNM continuera d’être solidaire de celles et ceux qui se battent pour une France et un monde plus justes, plus soucieux d’éga- lité, plus soucieux de fraternité. La PNM sait compter sur votre soutien, chères lectrices, chers lecteurs. Nous voulons améliorer notre journal dans la fidélité à ses origines et à son identité. Cette année, plusieurs anniversaires permettront à la PNM de voir l’histoire d’aujourd’hui à travers celle d’hier : Les évènements de mai-juin 1968 en France ; la création de l’État d’Israël, en mai 1948 ; les accords de Munich de septembre 1938. Alors, à notre PNM aussi, meilleurs vœux ! <

La PNM mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La ...data.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20180118/ob_57a1cc_pnm-352-01... · La PNM aborde de manière critique les problèmes

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ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E.PNM n° 352 - Janvier 2018 - 36e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d’antisé-mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l’État d’Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

Donald Trump, Jérusalem et le boomerang

On dit souvent Donald Trump « imprévisible ». Ce n’est pas le cas de sa décision,prise le 6 décembre dernier, de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Étatd’Israël. Tout au long de sa campagne électorale, il s’était en effet engagé à dépla-

cer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Ce transfert fait d’ailleurs l’objetd’une loi votée par le Congrès des États-Unis le 23 octobre 1995, mais qui autorise cepen-dant le président à reporter cette décision tous les six mois : Bill Clinton, George W. Bushet Barack Obama ont profité de ce sursis. <<< (Suite en p.3 de l’article de D. Vidal)

L’auteur dans ce très émouvant documentaire partsur les traces de son arrière-grand-père dont il pos-sède une photographie, mais qu’il n’a pas connu.

Wolf Leïb Fränkel, né en Pologne en 1853, choisissantl’exil, aux États-Unis, en fut refoulé ; de retour en Europe,il s’installa à Vienne. C’est par l’évocation du cinéma dugrand Max Ophüls que s’ouvre ce film. Et Robert Bobercroise les écritures car dans Lettre d’une inconnue et LaRonde qu’Ophüls porte à l’écran, dans son style si recon-naissable et unique, ce sont aussi Zweig et Schnitzler quel’on retrouve. Vienne avant la nuit évoque la vie de cesécrivains viennois, les lieux qu’ils fréquentèrent et à tra-vers eux, ressuscite la mémoire de ceux qui devinrent desréfugiés ou des exilés comme Roth ou Zweig.

Vienne avant la nuit

(Suite en p.7 de l’article de L. Laufer<<<

Vœuxpar Bernard Frederick

En ce début d’année, nous formons nosmeilleurs vœux pour chacune et chacun d’entrevous, pour vos familles, pour vos proches. La chance soit avec vous !Nous espérons de 2018 la paix, la prospérité, lasécurité. Nous espérons ! Nous avons l’espoir au cœur ; c’est la source denotre engagement social et citoyen. C’est notrefaçon d’être juif.Et il faut bien que nous ayons l’espoir au cœurdans cette France et ce monde de 2018. Sinonqu’est-ce qui pourrait nous réjouir ? • Les provocations du président Trump (Corée,Jérusalem, Russie) ? Lisez donc page 3. • La politique du président Macron ? Rendez-vous page 4 !Il n’y aura pas de consultation électorale avant2019 (élections au Parlement européen). Il fau-dra se faire entendre autrement. Les syndicatssont déjà sur le pied de guerre en attendant unnouveau train de réformes libérales. Mais quepeuvent celles et ceux qui ne travaillent pas, leschômeurs et les retraités ?Aux chômeurs, on promet. Ce n’est pas nou-veau. Aux riches, on fait des cadeaux. L’argentva à l’argent ! Les retraités, on les pille !C’est le scandale de ce début d’année : l’aug-mentation de la CSG. Rogner les retraites,incroyable ! Il faut pour ce faire avoir unesacrée dose de cynisme et un mépris de ban-quier. Emmanuel Macron se défend d’être leprésident des riches, pourtant c’est éclatant,non ? En tous cas, la PNM continuera d’être solidairede celles et ceux qui se battent pour une Franceet un monde plus justes, plus soucieux d’éga-lité, plus soucieux de fraternité.La PNM sait compter sur votre soutien, chèreslectrices, chers lecteurs.Nous voulons améliorer notre journal dans lafidélité à ses origines et à son identité. Cetteannée, plusieurs anniversaires permettront à laPNM de voir l’histoire d’aujourd’hui à traverscelle d’hier : Les évènements de mai-juin 1968en France ; la création de l’État d’Israël, en mai1948 ; les accords de Munich de septembre1938.Alors, à notre PNM aussi, meilleurs vœux ! <

«Toute ma vie a été influencée par les guerres et cela a déterminépour une part énorme ma vie militante et ma vie d'artiste »

En 2015 la municipalité deLevallois-Perret a décidé, pourdes raisons inavouables donc

inavouées, de « démolir » la crècheLouise Michel magnifiquement déco-rée par Boris Taslitzky. C’était privilé-gier la spéculation immobilière audétriment de l’enfance, de l’Histoireet de l’art. Cette décision a été immédiatementattaquée : par Evelyne Taslitzky, titu-laire du droit moral, qui a lancé unepétition et fait appel en justice de ladécision ; par des Levalloisiensregroupés dans l’association Vraimentà gauche à Levallois qui a fait appel deson côté ; par des riverains qui ontaussi fait appel ; par le Comité Boris*qui a demandé le classement au titredes monuments historiques des œuvres menacées. • Parce que l’enfance a des droits :on ne détruit pas de crèche quand lapopulation en manque (800 demandesnon satisfaites !).

• Parce que l’Histoire a des droits :on n’efface pas de l’espace public lenom de Louise Michel, porteuse enFrance des idéaux de la Commune deParis, porteuse à Nouméa d’un idéalde fraternité humaine. • Parce que l’art a des droits : on nedétruit pas les œuvres d’un BorisTaslitzky. <

Pour le classement des œuvres deBoris Taslitzky qui ornent la crèche Louise Michel

à Levallois-Perret

Signez et faites signernotre pétition

https://www.petitions24.net/boris_taslitzky_accelerer_le_classement_au_patrimoine_oeuvre_gravee_creche_louise_michel_levallois/

* Amis de la Commune, Amis de LouisAragon et Elsa Triolet, ANACR, ARAC,FNDIRP, Union des Juifs pour la Résistanceet l’Entraide et sa Presse Nouvelle Magazine,Vraiment à gauche à Levallois.

« Je n’écris pas des livres, j’écris unesaga du peuple juif, j’écris sur un siè-cle de solitude juive »

Aharon Appelfeld

On prend un livre de AharonAppelfeld, on commence à lelire et ensuite on ne le quitte

plus. On ne quitte plus le livre, on nequitte plus l’homme. Ses mots, sonregard, son visage nous hantent. Ils noushantent au point que l’annonce de sondécès le jeudi 4 janvier 2018 à l’âge de85 ans fut un choc, une commotion, untremblement de terre. On se dit : Pas lui.Lui, le survivant, qui avait enduré tantde souffrances alors qu’il n’avait que 10ans, lui qui avait échappé de justesse àla mort, avait écrit des livres aux récitsinoubliables, ne pouvait pas, ne devaitpas mourir. Aharon Appelfeld était un tendre, undoux, on le voyait sourire et l’on se disait : c’est un homme qui a traversétant d’épreuves et de cruauté, qui cepen-dant se maintient dans une permanentebienveillance vis-à-vis de son prochain.Dans Histoire d’une vie l’écrivainraconte comment, lors de l’invasion

nazie en Ukraine, après l’assassinat desa mère en 1940, après la marche forcéeavec son père vers le camp deTransnitrie d’où il va réussir à s’échap-per seul, il va errer en enfant sauvagedans les forêts, sera ensuite recueilli etenrôlé par l’Armée Rouge et envoyé enPalestine en 1946. Il a 14 ans, il a tout perdu. Sa famille, saterre, sa langue maternelle. En Palestine, qui deviendra trois ansplus tard Israël, l’hébreu lui seraimposé. Ce sera sa « langue maternelled’adoption ». Aharon Appelfeld vapétrir l’hébreu comme on pétrit unepâte, le modeler, remodeler, inventer unlangage qui lui est propre, plein definesse et de mystères, ponctué de silen-ces, pour raconter ce que fut la tragédiede l’anéantissement du peuple juif, celaau travers de personnages charisma-tiques issus à la fois du réel et de sonimaginaire. Il y a, entre les mots et les silences, lecri de sa mère assassinée qui parcourratoute son œuvre.« Ma mère fut assassinée au début de laguerre. Je n’ai pas vu sa mort, mais j’aientendu son seul et unique cri. Sa mortest profondément ancrée en moi, et plusque sa mort, sa résurrection. Chaquefois que je suis heureux ou attristé sonvisage m’apparaît, et elle, appuyée àl’embrasure de la fenêtre, semble sur lepoint de venir vers moi ».<

Béatrice Courraud* cf. PNM n° 339 Le Kaddish des orphelins

2 Presse Nouvelle Magazine n° 352 - Janvier 2018L a

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LA P R E S S E NO U V E L LE

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934Éditions :

1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse(clandestine de 1940 à 1944)

1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l’U.J.R.EN° de commission paritaire 061 9 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

Rédacteur en chefBernard Frederick

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,Nicole Mokobodzki, Roland Wlos

Administration - AbonnementsSecrétaire de rédaction

Tauba AlmanRédaction – Administration

14, rue de Paradis75010 PARIS

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Aharon Appelfeld

Triste hasard, au moment oùnotre chronique cinéma évoqueLa Douleur d’Emmanuel

Finkiel et Vienne avant la nuit deRobert Bober, Paul Otchakovsky-Laurens disparaît à l'âge de 73 ans.Le prélude de ces deux beaux filmsfut le texte éponyme de Duras pour lepremier et de Bober pour le second,publiés par les éditions P.O.L.Personnalité attachante, rigoureuse etexigeante du monde des livres et ducinéma, Paul Otchakovsky-Laurensavait fondé les éditions P.O.L, au célè-bre logo de sept pastilles noires et gri-ses, tel que Georges Perec, dans Lavie mode d’emploi, décrit une figuredu jeu de go. Paul Otchakovsky-Laurens devientl’éditeur et l’ami de Perec ; celui ausside Marguerite Duras, qu’il chargea dediriger la collection Outside.Réalisateur de deux films, Sablé surSarthe et Éditeur, il confiait dans lepremier un viol subi dans l’enfancesur lequel le silence se refermait et larévélation par sa mère adoptive, à l’a-dolescence, de ses origines juives à lasortie d’un cinéma où ils venaient devoir Nuit et brouillard d’AlainResnais. En effet, son père, le peintreZelman Otchakovsky, juif deBessarabie, meurt alors que Paul estnourrisson.

Attaché au cinéma, depuis sa création,P.O.L a publié des écrits de cinéasteset de critiques : Werner Herzog, Jean-Luc Godard, Serge Daney et depuisvingt ans la revue de cinéma, Trafic àlaquelle j’ai eu le plaisir de collaborer,une revue bilingue qui publiait, sansillustrations, les articles de critiques,penseurs, philosophes, écrivains poè-tes, cinéastes, photographes et univer-sitaires. P.O.L a créé, chose devenue rare, unecollection Poésie et publié romancierset essayistes : René Belletto,Emmanuel Carrère, Martin Winckler,Robert Bober, Marie Darrieussecq ...P.O.L s’est vu intenter des procès parJean-Marie Le Pen qui fut condamné,à la « joie féroce » de PaulOtchakovsky-Laurens ! P.O.L devrait pouvoir survivre à ladisparition de son fondateur grâce àl’accord que celui-ci avait passé avecGallimard. < Laura Laufer

Paul Otchakovsky-Laurens

BibliographiePrincipales œuvres publiéesDans la collection Point Seuil : Le Tempsdes prodiges, 1978 ; Tsili, 1983, trad.Arlette Pierrot ; Katerina, 1989, trad.Sylvie Cohen ; Histoire d’une vie, Récit -Prix Médicis étranger 2004 ; Floraisonsauvage, 2005 ; La chambre de Mariana,2008 ; Et la fureur ne s’est pas encore tue,2009, trad. Valérie Zenatti.

Aux éditions de l’Olivier : L’Amour sou-dain, 2004, trad. Valérie Zenatti ;Badenheim, 1939, 2004, trad. ArlettePierrot ; L’héritage nu, 2005, trad. MichelGribinski ; Le garçon qui voulait dormir,2011 et Les Partisans, 2015, trad. ValérieZenatti.

Son ultime roman, Des Jours d’une stupé-fiante clarté, paraîtra aux éditions deL’Olivier en février 2018. <

Le vous informe - Retour sur l’affaire de la crèche de Levallois

Pour l’Enfance, l’Histoire et l’Art,contre la spéculation immobilière

Donald Trump, Jérusalem et le boomerangpar Dominique Vidal*

3Presse Nouvelle Magazine n° 352 - Janvier 2018

Monde

Blanche afin que l’Amérique soit « great again » pro-voque l’effet inverse. Si sa décision sur Jérusalem a

provoqué relativementpeu de manifestationsde masse dans le mondearabe, elle a néanmoinsamené la Ligue arabe,silencieuse sur laPalestine depuis desmois, à élever le ton le10 décembre, sansdoute pour ne pas met-tre des dirigeants enplein flirt israélien enporte-à-faux avec leuropinion publique. Une

semaine plus tard, les États-Unis se retrouvaient seulscontre tous au Conseil de sécurité des Nations unies. Puis, le 19 décembre, l’Assemblée générale réaffir-mait le « droit à l’autodétermination du peuple pales-tinien », par le chiffre sans précédent de 176 voixcontre sept et quatre abstentions. Enfin, le 21 décembre, la même Assemblée a condamné la pro-vocation de Donald Trump par 128 voix, contre 9 et 35abstentions [1], et ce malgré le chantage de la représen-tante des États-Unis, Nikki Haley, menaçant de couperles vivres aux pays qui « lâcheraient » Washington …

Si le nouveau président n’en a pas fait autant, c’estavant tout – comme toujours – pour des raisons depolitique intérieure. Obsédé par sa réélection,Trump entend prioritaire-ment satisfaire ses élec-teurs, minoritaires mais trèsmobilisés. En l’occurrence,sa déclaration unilatéralesur Jérusalem en flatte deuxgroupes importants : d’a-bord les Juifs, même si unnombre croissant de ceux-cine soutient plus incondi-tionnellement la politiquedu gouvernement israélien ;ensuite les chrétiens évangélistes, qui rêvent de ras-sembler tous les Juifs du monde en Terre sainte afinque leur conversion permette le retour du Messie et labataille finale du bien contre le mal : Armageddon.Mais la provocation de la Maison Blanche – qui viole,elle le sait, le droit international et va à contre-courantde l’opinion internationale – repose sur un calcul poli-tique. Le président et ses conseillers pensaient détenirquatre cartes maîtresses : • la première, c’est la radicalisation des dirigeantsisraéliens, qui, non contents d’accélérer la colonisationde Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, en préparentdésormais l’annexion. À la loi du 6 février 2017 vabientôt s’en ajouter une autre, qui permettra d’annexercinq blocs de colonies situés à l’est de Jérusalem etpeuplés de 125 000 colons : cette opération « béton-nera » l’hégémonie juive sur la ville et interdira défi-nitivement d’y implanter la capitale d’un État palesti-nien, désormais impossible ;• la deuxième, c’est la division, à la fois géographiqueet idéologique, du mouvement national palestiniendepuis les élections de 2006 et surtout, l’année sui-vante, le putsch du Hamas contre le Fatah à Gaza. Etle processus de rapprochement n’a pas encore abouti,loin de là ;• la troisième, c’est le renversement des priorités dumonde arabe sunnite. Autrefois attachés à la causepalestinienne, l’Arabie saoudite et ses alliés entendentsurtout combattre l’Iran, au moyen d’une alliance avecles États-Unis et Israël ;• la quatrième, ce sont les guerres civiles encore encours en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye. Ces événements marginalisent, de fait, le conflitisraélo-palestinien, jusque-là central au Proche etMoyen-Orient. Comme bien des calculs politiques, celui-ci compor-tait une erreur : il sous-estimait l’isolement des États-Unis. Qu’il est loin le temps où, sortie victorieuse dela guerre froide, l’Amérique passait pour l’« hyper-puissance » d’un nouveau siècle dont certains obser-vateurs lui attribuaient le leadership incontesté. Entre-temps, la poussée des pays émergents, Chine en tête, a ébranlé l’hégémonie occidentale. Et l’Afghanistan,puis l’Irak et la Syrie ont mis en lumière les limites dela puissance militaire de Washington. Conscient de ce tournant, Barack Obama a eu le cou-rage de retirer ses troupes des bourbiers où elles setrouvaient et de signer avec l’Iran un traité sur le nucléaire permettant de réduire les tensions auMoyen-Orient. C’est bien ce que son successeur luireproche. Mais, si les décisions d’Obama sont réversi-bles, les rapports de force internationaux, eux, ne lesont pas. D’où ce paradoxe : chaque geste qu’ébauchele locataire – provisoire, espérons-le – de la Maison

Selon le dictionnaire, un boomerang est une « arme dejet des aborigènes d’Australie, faite d’une lame debois courbée, capable en tournant sur elle-même derevenir en direction de son point de départ ». DonaldTrump en est visiblement un expert … <

[1] Les 9 États ayant voté contre sont les États-Unis,Israël, le Guatemala, le Honduras, le Togo, la Micronésie, Nauru, Palaos et les Îles Marshall.

* Journaliste et écrivain, co-directeur avec BertrandBadie de la publication annuelle L’État du monde(La Découverte).

(Suite de la page 1)

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C’est avec indignation et consternation quel’Union des Juifs pour la Résistance etl’Entraide (UJRE) a appris l’annonce, par leprésident des États-Unis, de la reconnaissance uni-latérale de Jérusalem comme capitale d’Israël et dufutur transfert de l’ambassade. Cette décision conforte la politique menée par lesgouvernements israéliens successifs qui n’ont cesséd’étendre les implantations israéliennes illégales surle territoire qui doit permettre le respect des droitsdes Palestiniens dans le cadre d’un accord compor-tant des frontières sûres à deux États, parce quemutuellement reconnues et garanties internationa-lement. Outre que la décision américaine revient à confier àun seul État la gestion d’un territoire sacré pour lestrois religions monothéistes, elle est contraire austatut international de Jérusalem défini dans ce butpar le droit international, tel qu’il s’exprime dans denombreuses résolutions du Conseil de sécurité desNations Unies, de la plus ancienne sur le sujet (n° 252 en 1968) à la plus récente (n° 2334 en2016). Elle engage davantage encore le gouverne-ment israélien à s’aventurer, comme il le fait depuis1980, dans une voie sans issue autre qu’une coursevers l’abîme, totalement contraire tout à la fois auxintérêts à long terme de l’État d’Israël, des juifs dumonde entier et d’une paix durable, parce que juste.Juste, dans la mesure où elle permettrait la réalisa-tion des droits des Palestiniens, à commencer parleur droit à un État souverain, tout en préservant le droit à l’existence d’Israël. Cette politique met lefeu aux poudres en humiliant les Palestiniens et au-delà, les peuples du Proche-Orient.

L’UJRE, qui salue le désaccord mani-festé par le président Macron, et au-delà par l’Union européenne, persisteà penser que la France, sans plusattendre, doit reconnaître l’État de Palestine. Tantqu’elle tergiverse, elle porte une part de responsa-bilité dans la dégradation de la situation, commetous les États qui laissent agir le gouvernementisraélien sans aucune limite. L’UJRE déplore que le Crif ait pu demander au pré-sident Macron de s’aligner sur la décision du prési-dent américain. Elle le déplore d’autant plus qu’ilprétend représenter les institutions juives deFrance et, partant, les juifs de France, feignant d’ignorer qu’une grande partie de l’opinion fran-çaise, juifs compris, est opposée à la politique d’oc-cupation du gouvernement israélien. Pour une paix durable, parce que juste, l’UJREdemande :• qu’une pression s’exerce sur le gouvernementd’Israël, dans les deux domaines du commerceinternational, notamment par la suspension de l’ac-cord d’association commerciale qui accorde auxexportateurs israéliens vers l’Europe les mêmesavantages que s’ils étaient européens, et dans celuides investissements financiers dont bénéficieIsraël,• que l’ONU exhorte le président des États-Unis àrevenir sur son annonce. <Le Bureau de

l’UJRE13/12/2017

Israël – PalestineLa voie vers la paix ou la course vers l’abîme

Communiqué

4 Presse Nouvelle Magazine n° 352 - Janvier 2018

les inconvénients qui pourront en résulter ou bien c’estle contraire. Et dans ce cas, qu’est-ce qui empêcheral’Arabie saoudite, une fois ce conflit terminé, d’utiliserl’armement accumulé pour le tourner contre Israël ?On affirme que les USA ne laisseraient pas faire.Néanmoins, ils avaient bien suscité le guerroiementdans l’Afghanistan de Ben Laden, dont la patrie d’ori-gine était l’Arabie saoudite, mais sont restés impuis-sants quand ce dernier a tourné les forces de ses parti-sans contre eux. Le nœud coulant s’était refermé.Qu’est-ce qui prouve qu’il ne se refermera pas de lamême manière sur Israël ? On peut reprendre la même image pour chacun desdeux protagonistes (l’Europe et la Russie) du conflitdont l’Ukraine fait les frais. Et l’on pourrait multiplierles exemples. Cependant, même pris au piège du nœud coulant, le loup reste vivant et donc dangereux. Dans le contede Prokofiev, il faut l’intervention des chasseurs, sym-bolisant le peuple, pour que le loup soit définitivementmis hors d’état de nuire. <[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3292415

[2] Il n’entre pas dans les limites du présent article de présen-ter les différentes institutions financières qui font peser lacontrainte de profit sur le fonctionnement de l’appareil pro-ductif. Mais on en trouvera une excellente description dansl’ouvrage suivant qui fournit également des propositions pourles réformer selon une logique plus conforme aux besoinshumains : L’entreprise liquidée, la finance contre l’investisse-ment de Tristan Auvray, Thomas Dallery et Sandra Rigot,Michalon, 2016. Pour une réflexion plus approfondie, on peutlire Stabiliser une économie instable de Hyman P. Minsky, Les Petits Matins, 2016.

[3] Par exemple la dernière volumineuse étude en date :http://wir2018.wid.world

Économie

La politique économique macronienne prétendsortir la France de l’ornière du chômage par unedistribution de pouvoir d’achat due à la réduc-

tion des cotisations sociales des salariés, cependantcontrebalancée par une hausse de la CSG de nom-breux retraités, la réduction de la pression fiscale surles revenus financiers et la suppression de l’impôt surla fortune concernant leurs titulaires. Est-ce crédible ?D’abord, l’INSEE [1] établit dans sa récente note deconjoncture que l’augmentation du pouvoir d’achat aucours du premier semestre ne serait que de 0,6 % en2018 contre 1,3 % en 2017. Mais il faut aller plus loin.Presque tous nos lecteurs connaissent la fable dePierre et le Loup qui a donné lieuà l’œuvre didactique géniale deProkofiev. Un épisode de celle-ciest particulièrement éclairant, àtitre d’image, pour comprendre lemonde dans lequel nous sommesentrés en 2018. C’est celui où lepetit Pierre réussit à enfiler sur laqueue du loup le nœud coulantd’une corde qu’il tient fermementen main. Mais, en fin de compte,c’est le loup qui se prend lui-même au piège. Plus il se débatpour se libérer du nœud, pluscelui-ci se resserre. Il y a une contradiction entrel’objectif qu’il tente d’atteindre et le résultat des effortsqu’il effectue pour atteindre cet objectif. Or, cettecontradiction est de la même nature que celle quienserre le monde économique et la politique capita-liste dans lesquels nous sommes piégés. En effet, on explique que les merveilles conjuguées dela micro-électronique et de l’informatique sont sus-ceptibles tout à la fois de nous rendre des servicesinsoupçonnés à ce jour et de réduire la peine au travaildes êtres humains. C’est, d’ailleurs, souvent, pourdéplorer les suppressions d’emplois à venir, conçuescomme fatales. C’est oublier de noter que cette fatalitéest liée à l’appétit du gain monétaire de ceux qui, pla-çant leur argent dans l’appareil productif, en attendentle profit le plus élevé et le plus rapide possible. Car, sice n’était le cas, d’une part, en satisfaisant de nou-veaux besoins, on augmenterait l’activité ce qui ten-drait, ainsi, à créer de nouveaux emplois et, d’autrepart, les réductions d’emploi pourraient être considé-rablement freinées par la réduction du temps de travailsur l’ensemble de la vie des salariés. Mais le point sur lequel il s’agit de porter l’attentionest celui de la réalisation pratique de ces nouvellestechnologies du point de vue de leur résultat financier.Car s’il est exact que ces technologies économisent dutravail directement lié au résultat productif attendu, à la manière dont un robot économise du travailouvrier, la mise en œuvre de l’équipement automatisésuppose des investissements considérables. Ceux-cine concernent pas seulement les éléments matérielsmais également les études préalables nécessitant desheures de travail très qualifié de chercheurs fondamen-taux et appliqués, d’ingénieurs non seulement eninformatique mais aussi en ergonomie et plus généra-lement en sciences humaines et sociales. De plus, dans la mesure où l’activité des salariés,dans le cadre de ces nouvelles techniques, nécessiteplus d’attention, de disponibilité et d’initiatives nonprescrites à l’avance, il faut investir dans l’êtrehumain non seulement en salaire mais aussi en for-mations pas uniquement techniques, également ensavoirs et savoir-être.

En fin de compte, toute vague d’innovation technolo-gique implique des investissements considérables quine rapporteront rien en cas d’échec ; en cas de succès,la rentabilité est à très long terme.Ainsi donc, pour pouvoir accroître leur profit, les maî-tres de l’appareil productif doivent au préalable accu-muler et risquer des sommes de plus en plus importan-tes avant d’atteindre cet objectif. Selon la théorie éco-nomique issue de la tradition marxiste : le développe-ment des forces productives entre en contradictionavec les rapports de production à la manière dont lesefforts du loup pour se libérer du nœud coulant de Pierre resserrent encore plus ce nœud.

Dans le domaine économique,ce nœud, ce sont les rapportsentre les propriétaires privésdes moyens de production etleurs salariés, lesquels rap-ports sont encastrés dans larecherche du profit maxi-mum. Mais cette difficulté,grâce à des moyens idéolo-giques et politiques, les maît-res du capitalisme cherchent àla dépasser. Depuis la fin des années 70 duXXe siècle, la nécessité desatisfaire les exigences de ver-sements de dividendes aux

opérateurs du capital financier conduit à augmenter lapression exercée sur l’appareil productif et sur leshumains salariés dont les efforts permettent au capitalde fonctionner.Cette pression est facilitée par la levée des réglemen-tations des marchés financiers [2]. C’est bien cette don-née qui est à l’origine du chômage provoqué par larecherche d’une baisse du « coût du travail » néces-saire à la réalisation de taux de profit impossibles àobtenir mais cependant exigés par les détenteurs decapitaux via le fonctionnement des marchés finan-ciers. On est à l’opposé de l’explication du chômagepar la taxation prétendument excessive des revenus etdes fortunes financières. Cependant, même cette libé-ralisation, du fait de l’éclatement des bulles spéculati-ves qu’elle génère, comme on a pu l’observer en 2007,est vouée à l’échec : le nœud coulant se resserre denouveau. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’être enfiliation directe avec la tradition marxiste pour consta-ter les méfaits de cette contradiction et de la tentativefaite pour la dépasser. Plusieurs études montrent l’ac-croissement des inégalités de fortune et de revenus [3]. On ne peut donc croire que la politique économiquemacronienne pourrait, dans ces conditions, parvenir aurésultat qu’elle annonce alors, au contraire, que, laxisteà l’égard des revenus et des fortunes financières, ellefacilite la spéculation boursière de leurs possesseurs etlaisse se poursuivre la croissance des inégalités.Mais, cette même image du piège dans lequel s’en-ferme le loup décrit assez bien les contradictions quicaractérisent les relations internationales. Ainsi, le gouvernement français, pour ne pas voir mis encause les bénéfices de son néo-colonialisme africain,a-t-il cru bon d’intervenir au Mali pour s’embourber,finalement, dans un conflit interminable.De la même façon, le gouvernement israélien, mû parle refus d’accepter les droits des Palestiniens, croit bonde s’impliquer dans une alliance avec l’Arabie saou-dite et les USA contre l’Iran. Supposons que ce conflitlatent entre l’Arabie saoudite et l’Iran se matérialise.De deux choses l’une : ou bien l’Iran en sort vainqueuret Israël appartiendra au camp des vaincus avec tous

Le loup et (est) son propre piègepar Jacques Lewkowicz

Des garanties ?!La Maison Gallimard a annoncé qu’elle vou-

lait publier, en mai – le 8 serait parfait ! –trois textes orduriers de Céline « Bagatellespour un massacre », « Les Beaux draps » et« L’École des cadavres ». Le gouvernementdemanderait des « garanties ». Des garanties ?De quoi ? Voilà, petit exemple servi en se bouchant le nezet avec des pincettes (Les Beaux Draps, 1941) :« Bouffer du juif, ça ne suffit pas, je le dis bien,ça tourne en rond, en rigolade, une façon de bat-tre du tambour si on saisit pas leurs ficelles,qu'on les étrangle pas avec » ; « Volatiliser sajuiverie serait l'affaire d'une semaine pour unenation bien décidée. » Des garanties ! < BF

Antisémitisme

"Mais d'où viennent ces petits ?" Elleétait polonaise, mais elle parlait russe."Ce sont les enfants de Varsovie, dusoulèvement, ils ont été raflés par les

nazis"."Moi, medit-elle, j'aic o m b a t t udans uneorganisationclandestinepolonaise.La Gestapom'a attra-pée. Je suisici depuisp l u s i e u r sa n n é e s " .

On entendait parler dans tous les sens,dans toutes les langues. Les Françaisse tapaient sur la poitrine en criant"Paris, Paris" ; "Rome", ceux-là, visi-blement, étaient italiens. LesHollandais disaient "La Haye". Puisj'ai entendu parler ma langue. J'étaisétonné qu'il y ait des Russes.La Polonaise, celle qui s'occupait desenfants, m'a répondu : "Monsieur, lemonde entier est réuni ici" ». Les Soviétiques viennent de faire laplus terrible découverte du XXe siècle :

les trois camps d’Auschwitz I,d’Auschwitz II-Birkenau et de l’usined’IG Farben à Monowitz. Ils viennentd’investir le maillon essentiel de l’in-dustrie nazie de la mort. Lorsqu’ils arrivent, il ne reste plus danstout le complexe que 7 000 femmes ethommes et une centaine d’enfants,malades ou mourants, grelottants et affamés. Quelques jours auparavant,les SS avaient contraint 60 000 prison-niers à partir vers l’Ouest, à pied ou enwagons découverts, dans une « marchede la mort » qui tuera 15 000 personnes,dont les cadavres jonchent alors les rou-tes de Silésie.Au mois de mars, les autorités mili-taires soviétiques firent des obsèquessolennelles aux quelques 700 hom-mes et femmes dont ils avaient trouvéles cadavres dans les allées, lesbaraques et les fosses, et symbolique-ment à toutes les victimes extermi-nées dans le camp d'Auschwitz et sesannexes. Durant les quatre années defonctionnement du camp, un milliontrois cent mille personnes y ont étéassassinées, dont un million centmille Juifs. < BF

Transport de Yves Flank*lu par Béatrice Courraud

affectent d’autant que l’auteur used’un langage direct qui nous « place »au plus près de ces femmes, ces hom-mes de tous âges et de toutes condi-tions et de Samuel, l’enfant dont on nesait et ne saura rien.

L’auteur, né en 1949, appartient à ladeuxième génération. Une générationqui prend fréquemment la plume pourremonter vers un passé qui se fait deplus en plus lointain. Il a tenté ici desaisir les ombres de ses deux grands-mères, Perla et Rachel, déportées àAuschwitz, à qui il dédie ce livre, mûpar l’impérieuse nécessité de laisserencore et encore des traces de ce quifut la pire abomination de l’Histoire.

Ces interminables jours de transportvers Auschwitz sont une lente agonie.La langue devient pierre dans les gor-ges assoiffées et affamées, les corpss’affaissent, s’effondrent, on entasseles morts dans un coin. Il faut marcherdit la femme rousse, pour que le sangcircule, mais comment marcherlorsque l’on n’a plus de forces et queles corps s’empilent les uns sur lesautres, plus moyen de se mouvoir, de respirer dans l’odeur nauséabonde

de l’urine, du vomi et de la merde. La merde, c’est le mot qu’emploiel’auteur. Il y a de la merde partout. On a bien essayé de trouver un coinpour les excréments, les recouvrir demorceaux de papier et de vêtements,mais ça déborde bientôt très vite cardans les wagons qui transportent lesjuifs vers la mort, les nazis ont prissoin de ne pas mettre de seau. Pas même un seau.

Au milieu des ténèbres une voix sou-dain s’élève, emplit le wagon de dou-ceur, de tendresse. C’est la voix d’unevieille. Elle chante une chanson yid-dish.

« Ikh efn oyf dos fenster shtil, un ze – a foygl flit – ikh veys : der foygl tsu der zun vil vern haynt a lid. »

« J’ouvre doucement la fenêtre etvois – un oiseau vole – je sais :l’oiseau vers le soleil deviendrachanson aujourd’hui. »

Puis c’est le silence.

C’est alors que surgit, alors que c’estla fin, que le train arrive à destinationet que les corps inertes, morts et ago-

nisants entremêlés, sont projetés horsdu wagon, c’est alors que surgit « Le cantique de la femme rousse »,un chant d’amour, un chant du corpsamoureux, un hymne à la vie, uneincantation avec ces mots qui revien-nent, lancinants, à chaque page :

« Sors-moi de cet enfer, aide-moi, souviens-toi, mon amour »« Souviens-toi »

Yves Flank nous transporte vers cesdeux ailleurs de manière sobre etlumineuse. On a l’impression de l’en-tendre, de le voir, lui, le comédien,parcourir les chemins pour confiercette histoire, « son » histoire, pour ladire, la hurler encore et encore à laface du monde. <

* Transport de Yves Flank, Éd. de l’Antilope,2017, 136 p., 15 €. Les éditions de l’Antilopepublient des auteurs rendant compte de larichesse et des para-doxes de l’existence juivesur les cinq continents,comme entre autresYitskhok Rudashevski,Sholem Aleikhem, IsraëlJoshua Singer, RachelShalita, Hanan Ayalti …

Transport de Yves Flank tran-che par son approche du« Khurbn » (anéantissement).

Il mêle la réalité brute et insoutenabledu génocide des juifs en contant dansles moindres détails le calvaire subipar ces derniers dans les wagonsplombés, et une histoire d’amour quiest une échappée vers la vie et unretour à un possible, avant que la mortne frappe dans toute son horreur. Réel et fiction se succèdent. Deuxvoix se répondent dans ce roman,celle du narrateur, « l’homme brun »,et celle de « la femme rousse »comme si de la destruction des corpsil fallait à tout prix faire naître unamour fou, une passion amoureusedévorante et absolue.

Du transport vers la mort autransport amoureux.

Comment Yves Flank a-t-il pu puiserau plus profond de lui-même danscette première partie du roman, « Le cri de l’homme brun assis aufond du wagon », une telle force pourdécrire la souffrance humaine à sonparoxysme ? Ses mots sont sans com-plaisance, sans concession et nous

transperçait. La route qui menait àAuschwitz était mauvaise. On patau-geait dans la bouillie. Aux abords ducamp, l'air était différent, lourd etpuant. Lesportes étaientouvertes. Devant moi,je voyais unerangée debaraquements. Quelques pri-sonniers sesont immédia-tement appro-chés de nous. Nous noussommes éparpillés dans le camp, pourvoir. Je crois que je suis parti en avant.J'ai ouvert la porte d'un baraquement enbois gris, délabré. L'entrée donnait surune pièce très longue. J'ai regardé :des enfants, des enfants partout, là et làet là. Des restes de vêtements pendaientsur leurs corps tout maigres. Ils s'appro-chaient de moi, se dandinaient, ram-paient, en gazouil-lant dans leur langue.Leurs petites mains sales et osseusess'accrochaient à mes jambes. Il y avaitune jeune fille plus âgée avec eux. Je luiai demandé :

Le samedi 27 janvier 1945, vers15 heures, sous un ciel gris etsombre, à quelques kilomètres

du village polonais d’Oświęcim,rebaptisé Auschwitz par les Allemandsen 1939, une poignée d’éclaireurs de lasoixantième armée du premier frontd’Ukraine, commandée par le généralKoniev, avance prudemment vers « un camp où l’on brûle les gens »,comme l’ont indiqué aux soldatsRouges des villageois polonais.Personne ne sait encore rien dudit« camp ». Responsable d'un canond'artillerie dans la LXe armée sovié-tique, le jeune sergent EnverAlimbekov est l’un des premiers à entrer dans l’enfer. Il raconte : « J'avais 21 ans, j'étais au front depuis1942, dans le 472e régiment d'artille-rie. À Babitz, à douze kilomètres ducamp, les villageois nous ont parlé decet endroit "où on brûlait les gens".Nous sommes arrivés à proximité le27 janvier au soir. La bataille aux por-tes du camp a été dure. Nous avonsperdu 69 hommes (…). Les prisonniers attendaient derrièreles portes. Lorsque nous sommesentrés, il faisait déjà nuit. Une vilainepluie mêlée à de la neige nous

27 janvier 1945, 15 heures, l’Armée rouge entre dans Auschwitz

À lirePNM n°327 - Septembre 2015 11Presse Nouvelle Magazine n° 352 - Janvier 2018 5

Mémoire

le passé. Mais tout semble se passer au présent. Quoiqu’il en soit, la débutante est stupéfaite que le grandmetteur en scène Savelsberg lui propose de jouer dansLa Mouette de Tchekhov alors qu’il se montre très duravec elle pendant les répétitions. Ce grand écart entredeux formes du passé se traduit par une apologie del’absurdité la plus absolue alors que les dialogues sontd’une merveilleuse simplicité, n’abordant souvent quedes sujets assez communs de la vie de chacun. On peut se demander si le mystérieux Savelsberg n’estpas un double de l’écrivain, car la méthode de celui-cin’est pas sans évoquer la démarche de celui-là. Maisrien n’est moins sûr. Ce qui se déroule sur la scène etce qui se passe hors du théâtre, qui n’en est que le pro-longement ou le proscénium, n’aboutit pas à un sens,ni même à un non-sens comme chez Beckett, mais àquelque chose qui se recompose dans l’esprit du lec-teur et qui au-delà du plaisir de la lecture, se situe dansson désir, sa nécessité de s’accrocher à une fiction,comme autrefois les Anciens façonnaient et refaçon-naient leurs mythes. <

• Souvenirs dormants, Gallimard, 2017, 112 p.,14,50 €• Souvenirs dormants, lu parChristian Gonon, 2017,Gallimard, CD audio Écouter /Lire, 2h., 13,99 €• Nos débuts dans la vie,Gallimard, 2017, 92 p., 12 €

6 Presse Nouvelle Magazine n° 352 - Janvier 2018

Patrick Modiano est l’écrivain le plus déconcer-tant qui soit ! Dans ses Souvenirs dormants, oncroit lire, au début, des bribes de réminiscences.

Mais petit à petit, sans qu’on s’en aperçoive tout desuite, on se rend compte que ces fragments se décou-sent sans cesse plus et nous entraînent au gré d’unesorte de dérive dans les rues de Paris et de sa banlieue,et certains intérieurs problématiques de cafés connusdu Quartier latin. Modiano qui cultive depuis long-temps l’art de l’esquive et de l’ambiguïté ne s’estjamais beaucoup ouvert sur sa propre vie. Il a biendonné quelques entretiens, mais qui sont loin de révé-ler la trame de son existence. Avec Souvenirs dormants, il marque son intention denous égarer ! Dans ces romans, et surtout le dernier endate, il met tout en œuvre pour que le lecteur perde lefil de l’intrigue et accepte ses propos sans réserve. Ceserrances dans Paris et sa proche banlieue, ces hérosaux contours mal définis, qui apparaissent et disparais-sent sans raison, ses histoires qui, comble du paradoxe,se délitent à mesure qu’elles se développent, eh bien,on les retrouve dans cet ouvrage où l’on ne sait pas siquelque chose de l’auteur est présent, ce que je sup-pute sans trop vouloir m’avancer, mais nombre de cesrencontres – le terme revient de façon obsessionnelledans ce livre – sont sans doute imaginaires ou tout dumoins travesties. Inutile de s’interroger sur les motifsqui poussent l’auteur à dissimuler son passé, à nejamais dire ce qui a été sa vie. À l’évidence, il a décidé que sa vie était toute dans sesouvrages. On ne pourrait même pas parler d’antimé-

moires, pour reprendre le titre célèbre d’AndréMalraux. Non. C’est le jeu de la fiction qu’il nousimpose et qui nous laisse en suspens entre le réel et l’imaginaire et, plus précisément, entre deux façons deconsidérer l’imaginaire. Il se passe bien des choses au fil des pages – relations

avec des femmes,amitiés singulières,moments équivoques,rapports peu désirés –sans qu’aucune his-toire ne se dégage detout cela. C’est nousqui inventons d’hypo-thétiques récits tandisque nous suivons lenarrateur au gré de sesdérives dans le temps,

l’espace et le Paris de ses jeunes années. La belle lecture que propose Christian Gonon ne faitqu’accentuer cet équilibrisme de l’art romanesque deModiano. On suit le cours des moments de fiction, onles suit avec passion, et l’on a beau se dire que l’auteurnous mène en bateau, on est pris par cette étrangefaculté qu’il a de construire des contes à dormirdebout. L’acteur rend tous ces sentiments mêlés avectalent. La mémoire est encore aux premières loges dans sapièce de théâtre, Nos débuts dans la vie, qui tout aussihypothétique que ses romans, n’en est pas moins belle.La relation entre Jean et Dominique se situe dans

On doit surtout à Claudio Magris des essais, desœuvres entre le savoir et le voyage (Danube,Microcosmes), des nouvelles (comme La

Mer) et des pièces de théâtre. Le roman est pour luiune vocation tardive. Mais puissante. À l’instar d’unOrhan Pamuk [1], quoique dans une optique complète-ment différente, Magris prend ici comme thème,comme topos, une ville : Trieste, sa ville natale. Il ima-gine un grand musée de la guerre, qui est aussi, para-doxalement, un musée de la paix. Au fil des pages, lemusée s’édifie, salle après salle, avec des bribes desouvenirs, des moments de l’histoire et surtout la carte,à la fois réelle et imaginaire, de Trieste.Quand Magris baptise son roman « Classé sanssuite », il prévient en quelque sorte le lecteur que touty sera piège pour notre vision du monde. Loin de pren-dre pour modèles des chefs-d’œuvre du passé, il trans-forme sa bibliothèque en un espace borgésien où descivilisations et leurs hypothétiques interprétations, oùl’Histoire et les histoires des hommes et des femmesforment, à la manière d’un palimpseste, une gigan-tesque saga qui déroge en partie aux principes fonda-mentaux de l’art romanesque. Son musée, en principen’a rien d’exceptionnel dans sa conception, car il doitcontenir des archives et des objets de toutes sortes quirappellent les événements belliqueux du passé. Maisles nouvelles technologies et les nouveaux codes utili-sés pour analyser les événements aboutissent à une fic-tion déconcertante.On découvre l’étrange cité de Mnémosine où LuisaBrooks [2], la jeune et brillante chercheuse à qui l’on a

confié la conception de ce lieu sans précédent, doit endéfinir le contenu en fonction d’un ouvrage de réfé-rence, le DUD, comprenez le Dictionnaire universeldéfinitif, qui remplace l’Encyclopédie de Diderot etd’Alembert. Elle n’ignore pas que ce « Musée lui aussidevait être un amas confus de l’avant et de l’après,comme les choses qu’il montre et raconte ». À mesureque l’on découvre les salles de ce lieu piégé, on se rendcompte que les pièces de ses collections ne font quesous-tendre toutes les mémoires du monde – celle desguerres, celle de la Résistance, ou plutôt des différen-tes résistances – italiennes ou slaves, démocratiquesou communistes –, celle des vies sacrifiées, des trahi-sons, des sacrifices et des morts effroyables.Impossible, dès lors, d’obtenir un parcours linéaire etlimpide. C’est une pure vue de l’esprit, qui se trans-mue en une sorte de panorama sur plusieurs plans, quien dénature et l’esprit et la forme. C’est une sorte d’é-difice compliqué et en équilibre précaire où les pireshorreurs sont indissociables d’ une sorte d’esthétiquede l’humanité, quand bien même elle serait souffrante.On comprend aussi qu’il s’édifie autour d’un centretout à fait tangible, mais aussi mythique, qui est lecamp de la mort : la Risiera di San Sabba. Construiteen pleine ville, dans une zone industrielle alors active,cette ancienne usine de décorticage du riz fut le seulcamp allemand de Trieste : camp d’internement pourcertains, camp de la mort pour d’autres. Il y avait descellules exiguës, des salles de travail au premier étage,et un four crématoire que les SS ont fait sauter lors deleur départ précipité.

Plus on progresse dans la lecture de ce livre, plus lamacro-histoire se délite, se désagrège en une multitudede micro-histoires infinies. Le musée prend, dans cettedynamique, l’aspect d’une sorte de cauchemar clima-tisé proposant à la fois une grande exposition descontenus de l’esprit et des traces laissées par le destindes hommes et aussi le catalogue imaginaire qui lesreconstitue et parfois les transcende. Cette Histoire,qui est nôtre contre notre volonté, est obsédante et fas-cinante la fois. Elle a pour pivot central La Risiera diSan Sabba. Il y eut en ce lieu un massacre : des Juifs,des Tziganes, de tous ceux qui ont refusé ou combattul’oppression nazie, comme si la Shoah, telle une méta-phore virale, finissait par englober une grande partiede l’humanité insurgée. Ce lieu donne froid dans ledos. On y trouve des rêves brisés et aussi la révélationdes catacombes d’une pensée qui, si elle ne parvientplus à croire en ses grandes illusions, n’en cultive pasmoins un immense espoir.Là encore, on est confronté à un artifice – celui d’unartiste obstiné (l’écrivain), qui tout à la fois cache etdévoile son jeu, dans une atmosphère étrange, qui croitencore en l’humain, mais doit consigner dans les piè-ces de cet immense musée chaque rouage dela mécanique infernale du doute qui letenaille. <[1] Allusion au Musée de l’Innocence du romancier turcOhran Palmuk.[2] Fille d’un aviateur noir des troupes d’occupation etd’une mère juive.* Claudio Magris, Classé sans suite, trad. de l’italienpar Marie-Noëlle et Jean Pastureau, Éd. L’Arpenteur, 480 p., 24 €

Classé sans suite* : Musée de la Guerre, Musée du Doutepar Gérard-Georges Lemaire

De Patrick Modiano

Littérature La chronique de Gérard-Georges Lemaire

Modiano, l’imprévisible

Théâtre La chronique de Simone Endewelt

Créé en novembre 2014 à laMaison de la culture yiddish, enprésence de l’auteur, le monolo-

gue de Boris Sandler, À mi-chemin de lanostalgie [1], est de retour à Paris aprèsavoir été joué à New-York, dans lecadre de l’International Festival ofJewish Performing Arts, ainsi qu’enBelgique, et à Bucarest dans le cadre del’International Yiddish Theater Festival.Il est interprété par la troupe du TroïmTeater qui, issue de l’atelier de théâtrede la Maison de la culture yiddish etfondée en 2001, joue exclusivement desspectacles dans cette belle et sensiblelangue qu’est le yiddish. CharlotteMesser en signe les mises en scène,aidée dans la connaissance du théâtreyiddish par son mari Alexandre, trèsféru en la matière.Le thème de la pièce se fait écho d’unedouble nostalgie : « Je sais (dit la voixde la mère disparue à sa fille) que tu telanguis de ton « hier ». Nous aussi nousnous languissons, mais du « demain »qu’on nous a dérobé. Quelque part,à mi-chemin de nos nostalgies, nousnous retrouverons bientôt ». Sentimentd’immense solitude, de perte, chez cette

personne âgée issue d’un milieu ashké-naze, englobant son propre déracine-ment, une transmission aux proches noneffectuée, et l’éloignement de ses prop-res enfants, donnée du monde moderneoù chacun se distancie pour faire sa vie,dans un éparpillement au monde, où lescommunications téléphoniques ounumériques font office de présence.Savent-ils seulement d'où elle vient, cequi lui est arrivé, et pourquoi elle n'a pasvoulu suivre son enfant en Allemagne ?Surgit « juste après Sukkoth » une jeunefemme venue l’interviewer sur sa pro-pre histoire pour les besoins d’un filmconsacré aux survivants de la Shoah [2],ravivant ainsi des souvenirs enfouis.Le contexte dramaturgique est campé etimplante le récit dans une traditionconcrète, celle des morceaux de pain :« Jadis en Bessarabie soviétique, avantde partir en voyage, il était d’usage dese préparer un sac rempli de tranchesde pain séché pour la route » dit le flyer.Le récit est poignant, à la fois unique etuniversel, nous renvoyant à notre proprevécu, la vieillesse regardant l’enfance,abolissant l’avenir, nichée dans la mala-die qui deviendra mortelle. La pièce

Dans la France occupée,Marguerite Duras rédige des

Cahiers de guerre pendant lapériode où son mari, RobertAntelme, est déporté.De ces Cahiers naîtra une œuvre,« La douleur », composée de plu-sieurs récits dont s’inspireEmmanuel Finkiel qui unit en unseul récit les démarches entrepri-ses par Duras pour connaître le sortde son mari, et l’attente de sonretour. Emmanuel Finkiel rend justice aubeau texte de Duras par la voix off dupersonnage de l’écrivaine alternant avecles scènes de dialogues entre les person-nages. L’excellente Mélanie Thierryincarne l’auteure jeune et nous fait vivreson espoir, son tourment, sa révolte puis,peu à peu, la naissance du désir de ne pasvoir revenir celui qu’elle attend, désircoupable, né de sa lassitude, de sonimpatience, et de sa relation avec l’amidu couple, le compagnon de lutte DionysMascolo devenu son amant et bientôt sondeuxième mari. C’est Benjamin Biolayqui campe Mascolo et Benoît Magimel,magnifique acteur, joue Rabier, le flic de

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Cinéma La chronique de Laura Laufer

la rue desS a u s s a i e s .Curieux du faitqu’une femmepuisse être écri-vaine – chosejugée inconce-vable et fasci-nante pour lui –,Rabier tient à samerci Duras quidépend de luipour avoir desinformations

sur le sort de Robert Antelme. Une rela-tion trouble, un étrange jeu de chat et desouris s’installe entre lui et l’écrivaine,elle-même curieuse de découvrir, à tra-vers la médiocrité de Rabier, la perversitédu pouvoir.Finkiel s’est attaché à faire vivrel’Occupation, par maints détails de la viequotidienne. C’est par deux femmes queDuras découvre le sort fait aux Juifs : unevoisine espérant dans l’angoisse le retourde son mari lequel ne reviendra pas decamp et Madame Katz que Durashéberge. L’actrice, Shulamit Adar,incarne magnifiquement Madame Katz

qui, espérant le retour de sa fille infirmeemmenée en camp, se refusera à lacroire morte quand elle apprend queDora fut gazée dès l’arrivée au camp,tant la chose lui semble inimaginable. Si l’attente est décrite ici dans toute larichesse de ses émotions, Finkiel a bienrendu aussi le doute et l’angoisse suscitéspar la découverte de l’extermination etl’épreuve du retour des camps.

En lisant « La douleur » de Duras, onapprend qu’il fallut prodiguer de nom-breux soins à Robert Antelme pour qu’ilsurvive tant sa faiblesse était grande.Finkiel a choisi de ne pas nous montrer lecorps d’Antelme, mais la descriptionprécise de l’attente de son retour qui créecette « Douleur » laquelle nous parleaussi de « L’Espèce humaine ». <

Culture

La douleur d’Emmanuel Finkielavec Mélanie Thierry, Benoît Magimel et Benjamin Biolay

Vienne avant la nuit de Robert Bober

évoque le devoir de mémoire, l’impos-sibilité de raconter l’enfer pour épargnerles siens, la difficulté de transmettre,et reconstitue un pan d’histoire.Sarounyé, Weksler, Sara Zeligovna, néeà Belz en Bessarabie, émigrée àRehovot en Israël tandis que ses deuxenfants habitent maintenant l’un àToronto et l’autre en Allemagne, était lafille d’un commerçant, ZeligNussenboïm, et de Dobé Nussenboïm.Sa sœur aînée s’appelait Khayonsyé(Khaye en yiddish). À la maison, tousparlaient yiddish et roumain. Sa mèreconnaissait le russe du temps où laBessarabie faisait partie de laRussie. « C’est seulement après laguerre civile que ce territoire futenglobé dans la Grande Roumanie ».Les fascistes roumains prennent le pou-voir, puis viennent les soviétiques libé-rateurs. Un an plus tard la guerre éclate :

le gouvernement roumaind’extrême droite de IonAntonescu s’allie à Hitleravec ses lois antisémites.La famille a dû fuir sur lesroutes de l’exil ; tous sont« épuisés et affamés ».C’est le ghetto de Tultshin,puis le camp de Petchera.Le monologue est unvoyage entre le temps pré-sent et la mémoire.La sublime et lancinantemusique de Sonia Wieder-

Atherton, qui nous est familière, demême que les jeux de lumière incessants,accompagnent ce va-et-vient du présentau passé, à l’absence, et soulignent cedernier sanglot de solitude et de rupturedu monde, d’un monde, en forme de sou-pir final. L’actrice Annick Prime-Margules incarne intelligemment, etavec un accent parfait, cette vieille dameen perte (en quête) de repère.L’auteur Boris Sandler y a probablementmis de son histoire. Né en 1950 à Belz,dans la région de Lvov en Ukraine, écri-vain, journaliste, il a été le rédacteur enchef du journal Forverts (« En avant »),le plus ancien journal yiddish de New-York auquel il collabore toujours.<[1] Monologue extrait de la nouvelle parue sousle même titre dans le recueil « Royté shikhelekhfar Reytchel » (Chaussures rouges pour Rachel).[2] Dans le cadre du projet de Steven Spielberg– sauvegarder la mémoire des survivants de laShoah.

אויפן האַלבוועג פון בענקַשאפטOyfn halbveg fun benkshaft

À mi-chemin de la nostalgiepar le Troïm Teater

<<< L’exploration de Bober mêleles mémoires juives des artistes, desintellectuels et du peuple et son voyagesur leurs traces nous entraine dans lesrues, les cafés, la synagogue. Le cime-tière abandonné, où notre ami Bobercherche la tombe de son aïeul est de-venu le royaume des biches, surgisse-

ment poétique. La nature paisible etsouveraine y a retrouvé ses droits, recouvrant de silence, la paix et le bon-heur viennois bientôt brisés par l’anti-sémitisme, l’anschluss, la guerre.Une photographie réunissant toute lafamille de Bober avec le patriarchenous dira l’hécatombe criminelle quila décima. C’est ainsi qu’un monderiche de culture, de fêtes juives futassassiné. Bober fait palpiter et vivreavec émotion ce qui en a survécu,honorant ainsi les disparus. Et de cette mémoire familiale surgitl’Histoire de l’humanité là où ce futVienne avant la nuit. Un très beaufilm. <

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8 Presse Nouvelle Magazine n° 352 - Janvier 2018

un buste de Karl Marx. Or, à la mêmeépoque, l’artiste crée plusieurs sculptu-res cubo-futuristes, ayant pour sujetdes thèmes que l’on peut relier aumonde juif comme Le Violoniste (1921) ou Le Soyfer(1923). Dans les années 1930, il s’illus-tre par d’imposantes sculptures d’athlè-tes.Cependant, Joseph Tchaïkov demeurepeu connu hors de son pays. Ses illus-trations ont été exposées au Muséed’Israël, en 1987 et au Musée d’Art etd’Histoire du Judaïsme à Paris, dansl’installation « Futur antérieur.

L’avant-garde et le livre yiddish (1914-1939) ». Seule l’exposition du Jewish Museum de New-York, en 1995-1996, « Russian jewish artists in acentury of change 1890-1990 » a évoqué l’ensem-ble de sa carrière.

La découverte, à Baillet, des vestiges du pavillonsoviétique de l’Exposition universelle a cependantété l’occasionde faire connaî-tre Tchaïkov enFrance. D’abordpar une exposi-tion temporaireà la Cité de laMusique, grâceà l a q u e l l el’Institut natio-nal de recher-ches archéolo-giques préven-tives (Inrap)obtint en avril2009 l’autori-sation de poursuive les fouilles.Le puzzle géant effectué à l’issue de l’exhumationdes artefacts a permis d’en reconstituer des partiesbien conservées, notamment les couples turkmèneet azéri, le Tadjik et son blason, et, presque com-plet, le panneau La Musique et la Danse et son vio-loniste. On peut les voir, aujourd’hui, au Musée archéolo-gique du Val-d’Oise, à Guiry-en-Vexin. <

le sculpteur Naum Lvovitch Aronson (1872-1943).Grâce à lui, il obtient une bourse pour étudier àParis où il s’inscrit dans l’atelier de Jean-AntoineInjalbert (1845-1933) à l’École des Beaux-Arts,ainsi qu’à l’École des Arts Décoratifs. Il expose auSalon d’Automne de 1913. Tchaïkov s’installe à « la Ruche » située au numéro2 du passage de Dantzig, non loin des anciens abat-toirs de Vaugirard, la cité d’artistes où séjournè-rent, certains à la même époque que le jeuneJoseph, Modigliani, Soutine, Léger, Zadkine,Altmann, Chagall…Avec d’autres artistes juifs immigrés, il fonde lapremière revue consacrée à la recherche d’un style

juif dans l’art : Makhmadim(les précieux). « Ce périodique, expliquaitle peintre Marek Szwarc, en1954, devait traiter du stylejuif dans la plastique, cestyle propre à toute notrecréation. Il devait nous tenirlieu de patrie et nous suivrepartout, comme la tente suitles nomades que nousétions ». Rentré en Russie, il va plon-ger dans le bouillonnementsocial et artistique quiaccompagne et suit laRévolution d’Octobre. Il

enseigne aux Vkhoutemas (Ateliers supérieursd’art et de technique) aux côtés d’artistes commeVladimir Tatline ou Alexandre Rodtchenko et des-sine, en 1927, un projet, d’inspiration constructi-viste, pour la Tour du dixième anniversaire de laRévolution d’Octobre. Il réalise des illustrations pourdes ouvrages commeDer galaganer hon(Le coq vantard) dePeretz Markish, DosKelbl (Le veau) deMendele MocherSforim ou GrimmMeiselach (Les contesde Grimm). Tchaïkov réalise troissculptures pour laville de Kiev – dont

Tchaïkov, l’un des fondateurs en URSS de laKultur-liguè (1917), avant-garde culturelleyiddish, réalisa pour le pavillon soviétique

de l’Exposition universelle de Paris, en 1937, lesbas-reliefs dont des vestiges ont été récemmentretrouvés.En 2004, des ouvriers qui pratiquaient des fouillesdans le parc du château de Baillet (Val-d’Oise) firentune étonnante découverte. Ils mirent à jour des frag-ments importants de bas-reliefs dont on découvritvite l’origine : l’entrée du pavillon soviétique à l’ex-

position univer-selle de Paris en1937.Cette année-là,après les grèvesde 1936, l’Unionsyndicale CGTde la métallurgieavait acquis cechâteau afind’en faire unparc de loisirs

pour les familles de travailleurs. Les Soviétiques lui avaient offert une partie desbas-reliefs. En juin 1940, le domaine fut repris parle gouvernement français qui y interna près de 300militants communistes. Puis, il passa sous contrôlede Vichy qui l’attribua à un chantier de jeunesse.

Les bas-reliefs furent détruits à coups de masse. À la Libération, on ne les retrouva pas. La CGT sesépara du château en 1972.Le pavillon soviétique, construit au Trocadéro,était surmonté d’une statue géante de VeraMukhina, qui représentait un ouvrier et une kol-khozienne, brandissant l’un un marteau, l’autre unefaucille. Connue dans le monde entier, elle est l’undes symboles de l’URSS. Aujourd’hui encore, onpeut admirer les réalisations de l’URSS au Parc desexpositions (VDNKh) à Moscou. À la base de l’édifice, une série de bas-reliefs représentait lesrépubliques de l’URSS et des scènes de la vie cul-turelle. Ces sculptures étaient l’œuvre d’un artistejuif soviétique : Joseph Moiseevitch Tchaïkov.Né à Kiev en 1988, Tchaïkov, petit-fils d’un soïfer(scribe) entre en apprentissage dans l’atelier d’ungraveur. Ses premières œuvres sont remarquées par

Joseph Moiseevitch Tchaïkov de l’avant-garde yiddish au réalisme socialiste

par Bernard Frederick

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