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" LES COURS DE SORBONNE " CH. ANDRÉ JULIEN Professeur à la Faculté des Lettres de Paris LA POL I T I QUECOLON I ALEDE LA FRANCE SOUSLA RÉVOLUT I ON , LEPREM I ER EMP I RE ETLA RESTAURAT I ON (1789-1815) CENTRE DE DOCUMENTATIONUNIVERSITAIRE TOURNIER & CONSTANS 5. Place dela Sorbonne PARIS — V°

La politique coloniale de la France sous la Révolution, le

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" LES COURS DE SORBONNE "

CH. ANDRÉ JULIEN Professeur à la Faculté des Lettres de Paris

LA POLITIQUE COLONIALE DE LA FRANCE SOUS LA RÉVOLUTION, LE PREMIER EMPIRE

ET LA RESTAURATION (1789-1815)

CENTRE DE DOCUMENTATION UNIVERSITAIRE TOURNIER & CONSTANS 5. Place de la Sorbonne

P A R I S — V °

Page 2: La politique coloniale de la France sous la Révolution, le

CHAPITRE PREMIER

LE SYSTEME COLONIEL DE L'ANCIEN REGIME

Le Problème colonial en 1789.-

La Révolution, qui ne renonçait pas à coloniser, hérita non seulement des possessions mais du système d'exploitation de l'Ancien Régime, fondé sur l'Exclusif et sur l'esclavage, qu'elle fut adapter aux idées nouvelles.

Les Eléments traditionnels .-

A.- Richelieu e t les entreprises coloniales.-

a) But de la colonisation

Ce furent les navigateurs qui créèrent les entreprises coloniales que Richelieu poursuivit en les transformant dans un but politique et non de conversion et dans un but économique pour avoir des denrées de première main qui permettraient un commerce actif.

b) Moyens

Richelieu confia l'exécution de ses desseins à des compagnies à qui le roi donna des terres en toute propriété, le monopole du commerce, et le droit de gouverner à leur guise. La constitution de ces compagnies devait contribuer à l'essor de la marine, mais susciter aussi des risques de guerre, en raison des rivalités commerciales.

c) Le contrôle de l'Etat

Mais à côté de ces privilèges énormes des obligations étaient imposées par le Roi qui affirma de plus en plus sa suprématie.

Richelieu ne conçoit qu'un agent : l'Etat, un moyen : le commerce maritime, un but : le renforcement de la France.

B.- Les successeurs de Hichelieu.-

Les successeurs du cardinal poursuivent sa politique, mais mécaniquement, sans poursuivre un but supérieur .

a) Les colonies - dépendances

L'Etat accentua son ingérence et prépara sa substitution aux mandataires incapables pour assumer toute la tache.

Sa politique se heurta à l'indifférence de la masse du pays, qui ne voyait pas dans la colonisation oeuvre vraiment nationale.

L'Etat, de son côté, ne considéra les colonies que comme des dépendances entretenues dans l'intérêt exclusif de la métropole .

b) Le triomphe du mercantilisme accentua le caractère mercantile de la

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colonisation et amena Colbert à créer des compagnies marchandes au lieu des anciennes compagnies de peuplement. I l y eut, dès lors, deux sortes de colonies :

- les colonies de culture où la population européenne surveillent la mise en valeur du sol.

- les compagnies de commerce, simples agglomérations de factoreries ou de comptoirs à territoire insignifiant.

c) Utilisé des colonies

Colonies de culture et colonies de commerce tendirent également à fournir des denrées de première main, qui étaient produites par les indigènes ou leur étaient

achetées.

Elle s servaient de débouchés aux produits métropolitains.

C'est à ce titre seul qu'elles intéressaient, d'où la définition donnée par Montesquieu : "L'objet des colonies est en effet de faire le commerce dans les meilleures conditions qu'on ne le fait avec les peuples voisins" (Esprit des Lois, Livre XXI. chapitre XXI).

Dans le même sens, les Instructions officielles précisaient "Ce n'est que par le commerce que les colonies sont utiles au royaume" .

d) Absence d'impérialisme

Nul ne songea à parler de grandeur politique de l'Etat, ni de lutte contre les puissances rivales même pas Dupleix dont les interventions politiques tendirent à des fins commerciales et qui ne fut suivi ni par les Ministres ni par les directeurs de la compagnie.

En 1753, l'Encyclopédie (art.Colonie) écrivait que les colonies de Commerce "déroge- raient à leur institution si elles devenaient conquérantes".

Le désaveu dont souffrit Dupleix montre la force de la conception strictement commerciale.

Même certe conception n'alla qu'en se rétrécissant, seules finirent par compter les terres à épices. Ceci explique l'indifférence de gouvernement et de l'opinion envers le Canada, simple annexe des Antilles. Les Colonies n'étant que dépendances commerciales, leur perte ne saurait affecter orgueil national, ni être mis en balance avec les nécessités de la politique européenne En dépit du traité de Paris, la France conservait les terres à épices et les comptoirs des Indes, c'est-à-dire les colonies correspondant à sa conception traditionnelle . Le reste comptait peu, au prix.

C. - L' exploitation

Ces conceptions conditionnèrent les procédés d'exploitation.

1) La question des concessions demeura à l'arrière-plan car les îles furent

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entièrement partagées et en Guyane par exemple, il y eut plus de terres disponibles que de demandes.

2) La question de la main d'oeuvre s'avéra plus ardue, car il fallait importer des travailleurs.

a) soit des immigrants venus de France : artisans avec lettres de maîtrise, soldats mués en cultivateurs, dont les propriétaires dénoncèrent, à tort, l ' impossibilité de s'acclimater et l'incapacité, parce qu'ils préféraient la main d'oeuvre servile.

b) soit des nègres d'Afrique, dont l'importation se développa au point qu'il fallut organiser officiellement, l'esclavage (Code noir des Antilles de 1685) et instituer l'industrie privilégiée de la traite avec primes de l'Etat par tête.

Il fallut des renforts incessants car les esclaves ne se multipliaient pas et la prospérité des îles était liée à l'esclavage.

c) Mais une complication naquit du développement d'une classe nouvelle, sortie des harems des blancs qui libéraient les mères et leurs fils. Métis, les "gens de couleur", libres de droit, serfs d'origine qui appauvrissaient l'explitation, aussi les représentants du roi se réservèrent-ils les affranchissements et y mirent-ils systémati- quement obstacle. D'autre part, bien des nègres libérés se révélèrent paresseux et désoeuvrés et se firent craindre par leur turbulence; aussi les colons formaient-ils une caste à part et reléguèrent-ils partout les libérés dans une condition inférieure.

Les gens de couleur ne purent porter les armes, se marier avec des blancs, s 'assem- bler sans permission, occuper les places réservées aux blancs, (dans les théâtres et les églises) être qualifiés de "sieur ni de dame". Ces prescriptions furent un des éléments et non des moindes, du "système colonial".

D.- Le régime commercial.-

a) Caractères de l'Exclusif

Avec mise en valeur par esclavage, les rapports commerciaux formèrent la partie essentielle du système colonial. Les Compagnies avaient le monopole du commerce.

Quand elles disparurent, le commerce devint livre, mais pour les seuls Français.

La métropole n'entretint les colonies que dans son propre intérêt, pour se procu- rer denrées qu'elle ne produisait pas, d'où l'obligation pourles Compagnies d'envoyer tous les produits recueillis dans la métropole qui, seule, pouvait revendre, d'acheter tout ce dont les colonies avaient besoin dans la métropole et d'assurer tous transports sur des bateaux métropolitains. C'est ce qui constituait l'Exclusif, ou, par un abus d'expression, le Pacte colonial.

b) Réglementation de l'Exclusif

Deux actes fondamentaux règlementèrent l'Exclusif. (lettres patentes d'avril 1711, et octobre 1727).

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1) les armements ne purent avoir lieu que dans certains porta avec des privilèges pour les marchandises exportées mais pas de régime de faveur pour les produits coloniaux.

2) - il fut interdit d'importer aux colonies les nègres, les denrées, et les marchandises venant de l'étranger ou vice-versa;

- les étrangers n'eurent pas le droit de s'approcher à plus d'une lieue des îles, mêmes inhabitées ;

- les étrangers admis dans les îles, même naturalisés, ne purent acquérir des terres et furent exclus de tout négoce .

"L'Exclusif" appliqué aussi en Espagne, en Hollande, au Portugal et même en Angle- terre, dut à la base de la colonisation de l'Ancien Régime et en marqua si fortement l'esprit qu'il se prolongea au cours des régimes suivants.

Il était une conséquence si logique du protectionnisme que Méline proposa, en 1892, de le restaurer, dans une large mesure.

Du reste, ce système ingénieux satisfaisait à la fois les armateurs assurés de les transporter, les consommateurs et les industriels de disposer de denrées exotiques et de débouchés réservés, le fisc de prélever un droit à la sortie des îles dit "du Domaine d'Occident", mais suscitait des rancoeurs chez les colons qui, si leur récolte était nécessairement achetée, se plaignaient d'être exploités par la Métropole .

E.- L'industrie.-

Au point de vue industriel, les colonies ne pouvaient rien fabriquer de ce dont elles avaient besoin . Leur industrie devait se borner à rendre transportables les produits du sol (conversion du jus putrescible de canne en sucre brut) . On ne leur laissa ni fabriquer des outils, ni tisser des pièces d'étoffe, ni même tanner des peaux.

Cette situation entraîna de graves inconvénients car les colons durent acheter plus cher et ne reçurent pas toujours ce dont ils ont besoin et parfois rien, en cas de mauvaises récoltes. Il en résulta un développement de la contrebande ("interlope") et la nécessité d'admettre des infractions successives et notables, notamment pour l'Inde, les îles de France et Bourbon qui pouvaient commercer entre elles et avec l ' E x - trême-Orient et même pour les Antilles où on admit des adoucissements (1727) en permettant le transport du sucre en Espagne et l'importation des viandes salées d'Irlan- de par bateaux français .

La parte de la Louisiane et du Canada d'où les colons tiraient les denrées ali- mentaires et le bois, les fit protester et agir à la cour contre l'Exclusif, d'où la facilité accordée, en 1763, aux bâtiments étrangers, d'apporter, dans certains ports, des produits déterminés en échange des sous-produits de la fabrication du sucre (tafias, sirops) . Il fallut même réagir contre l'activité des "ports de privilège" .

F.- L'exclusif mitige.-

Après la guerre d'Amérique, les Américains qui avaient profité du trafic avec les ports de privilège se virent garantir l'ouverture des ports francs des îles . Le gouvernement français ne put revenir aux principes antérieurs qui autorisaient des

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dérogations mais pas bateaux français aussi dut-il préciser un strict régime des ports de privilège grâce auxquels les colonies furent seulement "entr' ouvertes" . Ce fut le système de l'Exclusif mitigé, forme dernière de la politique de l'Ancien Régime et qui survécut à la Révolution et à l'Empire .

Ces principes furent strictement maintenus et des exceptions de circonstance seules admises. Le progrès des idées libérales au XVIII° avec Quesnay (1758), Mercier de la Rivière (1767), Condillac (1776) , Le Trosne (1777) s'encadra dans la même conception mercantile inspirée par l'intérêt de la nation, purement matériel.

Les libéraux attaquaient l'Exclusif au nom de la liberté et proclamaient que la libération du commerce colonial enrichirait la métropole mais si leurs considérations spéculatives n'influèrent en rien sur le gouvernement, elles préparèrent une théorie nouvelle à l' usage des hommes d'Etat de l'avenir . Turgot en vint à proclamer "Sage et heureuse nation qui la première... consentira à ne voir dans ses colonies que des provinces alliées et non plus sujettes de la métropole", ce qui était absolument à l'en- contre du système de gouvernement colonial et devançait d'un siècle et demi les concep- tions actuelles .

II.- Le Gouvernement de l'Ancien Régims.- A.- Le régime administratif .-

L'alliance entre la Marine et les Colonies scellée par Richelieu subsista jusqu'à la fin du XIX° siècle. Il y eut, sans doute, des modifications administratives nombreu- ses, mais avec permanence des idées et des rouages fondamentaux.

A la tête de chaque colonie, le roi plaçait un gouverneur chef militaire, chargé de la sécurité et un intendant chef de l'administration et des finances, qui intervenait dans la justice en présidant le Conseil supérieur . Tous deux étaient obligés de collabo- rer et d'agir en commun, parfois en ayant recours à la collaboration des colons par des chambres d'agriculture (1763) délibérant sur les intérêts de la colonie sans pouvoir de décision et par des Assemblées coloniales (1787) qui annonçaient les temps nouveaux.

En principe, le roi maintint énergiquement son absolutisme, mais se plia, en fait, à des accomodements . De leur côté, les colons cherchèrent à étendre les attributions des corps représentatifs et à assimiler leurs Conseils supérieurs (Cours d'appel) à des Parlements . Les Conseils supérieurs furent recrutés, en majeure partie, parmi les planteurs ayant été avocats ou ayant siégé dans les tribunaux. Ils soutinrent les intérêts de l'aristocratie locale. Le roi, en luttant contre eux, lutta contre l'esprit partic ulariste .

L'Administration coloniale admit des empiètements et des chevauchements, comme dans l' administration métropolitaine. L'intendant s'occupa, à la fois, de l'administra- tion et de la justice. La distance fit redouter les velléités d'indépendance; aussi les agents durent-ils fournir des rapports sur leur gestion personnelle et naturellement sur celle des autres; l'attitude des Conseils Supérieurs fut-elle surveillée, l'accord du Gouverneur et de l'intendant fut-il exigé pour les affaires graves. Tout cela tendit, sans le dire, à équilibrer les pouvoirs .

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Avec les progrès des communications, le pouvoir central tendit à séparer les fonctionnaires, au lieu de les opposer. On n'eut plus à les faire s'entre-surveiller car Paris se jugea à même de les surveiller étroitement.

B.– Le régime législatif.–

En matière législative s'accent uèrent les analogies avec la métropole par l'application des lois et ordonnances du royaume, et notamment de la coutume de Paris. Ainsi les colonies furent-elles soumises au régime du droit commun, sauf exceptions forcées, car l 'absolutisme royal voulut , régir les colonies comme provinces. Versailles imposa des solutions impérieuses et des ordres définitifs. Pour trouver des solutions pareilles en tout lieu, on en vint à appliquer aux colonies le règlement de la marine.

Trois tendances se manifestèrent donc :

– l'imitation de la marine, - le désir d'assimilation outrancière, – l'amour véhément de la centralisation.

Par ce sys tème, à la fois uniforme et minutieux, l'Ancien Régime demeurait fidèle à son idéal colonial et à l'ensemble de ses préoccupations, mais son esprit de tradition et son respect des positions acquises, l'amenait à tenir compte des faits et à éviter les excès.

Ce système législatif aboutit néanmoins à ùn embroussaillement inextricable, car les justiciables et même les magistrats ignoraient les lois entassées dans les archives après leur enregistrement par les Conseils Supérieurs. L'impossibilité apparut d'ap- pliquer certains textes et la nécessité pour le Roi de prescrire des mesures particuliè- res ou de laisser les magistrats trancher les cas urgents et légiférer parfois à l'excès.

Au total, l'administration coloniale, de par la multiplicité des lois et des textes organiques, aboutit à une terrible confusion, et nul ne sut comment la simplifier. Les ministres eurent le souci du conmerce exclusif, de l'administration uniforme et de la centralisation royale, mais se heurtèrent aux obstacles des situations créées et de l'éloignement. En hommes de gouvernement, ils subordonnèrent cependant leur dogmatisme aux réalités et évitèrent des formules définitives.

La Révolution, qui déclara les colonies parties intégrantes de l'Etat français et bouleversa leur situation sociale par la suppression de l'esclavage, se montra beaucoup plus prudente en matière économique en maintenant l'Exclusif.

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CHAPITRE II

L'ESCLAVAGE DANS LES COLONIES FRANÇAISES

I.– Les Nations européennes et l'esclavage .–

La France, anti-esclaclavagiste jusqu'à Louis XIII, importa des noirs dans ses colonies des Antilles après la fondation des premières compagnies de colonisation, à l'imitation des Espagnols et des Anglais.

1.– Origine et extension de l'esclavage.–

L'esclavage naquit du besoin de dispoer d'une main d'oeuvre de remplacement en raison de la disparition ou de l'hostilité des indigènes.

A.– Le développement de la traite.–

Inauguré par les Portugais, il fut rapidement adopté par d'autres nations.

a) en 1442, Antonio Gonzales, restituant des captifs maures, obtint en compensation 10 nègres et de la poussière d'or. Dès lors, les Portugais se librèrent au trafic des esclaves.

b) la traite prit une grande extension après la découverte de l'Amérique. En 1503, on employait des mineurs noirs à Nispaniola, puis des esclaves à Mexico, Panama, au Pérou, enfin en 1517, un commerce régulier s'établit entre l'Afrique et l'Amérique.

c) au XVII siècle, le trafic général fut monopolisé par la Hollande, mais les Anglais, qui avaient commencé la traite en 1562, disputèrent tous les commerces aux Pays-Bas y compris celui des noirs, d'abord pour approvisionner leurs colonies, surtout la Jamaïque, dès la deuxième moitié du XVII siècle, puis les colonies étrangè- res.

d) au XVIII siècle, la traite prit son plein essor à raison d'au moins 70.000 têtes par an, dont plus de la moitié transportée par les Anglais.

e) les esclaves vinrent d'abord de Gambie et de la Côte de l'Or, où les Hollan- dais recueillaient les nombreux captifs des guerres incessantes entre les Ashantis - plus tard de Dahomey et du Bénin et des possessions portugaises d'Angola et du Zambère enfin au XVIII siècle, du delta du Niger.

B.- La traite française.-

Tributaire de l ' étranger, car elle ne suffit jamais à assurer par ses propres forces, la France s'organisa pour fournir non seulement , mais le

marché espagnol.

a) Les premiers colons eurent recours à de 36 mois de travailleurs venus de France qui réussit à peupler de blancs es en 60 ans, mais ils

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renoncèrent parce qu'on ne pouvait imposer les mêmes obligations et parce qu'on voulait limiter le nombre des propriétaires, d'où la suppression de l'engagement en 1730.

b) en raison de l' adoption de la culture de canne après 1640, dont la main d'oeuvre noire permettait un développement indéfini, le roi encouragea la traite libre, par des gratifications de 10 livres à l'armateur et de 3 au capitaine, par tête de "captif" suivant l'ordonnance de janvier 1672.

c) avec la création de la compagnie des Indes occidentales 1664 commença le système du monopole qui demeura la règle jusqu'au début du XVIII Les colons ne cessèrent de protester oontre la pénurie de marchandises et pratiquèrent une contrebande permanente Le gouvernement fut même obligé d'autoriser, à plusieurs reprises, soit le commerce libre, soit les importations étrangères.

d) La traite française devint florissante dès le début du XVIII siècle, grâce d'une part, au monopole de l 'asiento des colonies espagnoles accordé pour 10 ans (1702-12) aux fins d'introduire 48.000 nègres, "pièces d'Inde" (nègres sans défaut) des deux sexes et de tout âge, à raison de 4.800 par an, d'autre part, au rétablissement indirect du commerce libre du jour où la compagnie des Indes, privilégiée, autorisa les négriers à travailler pour leur compte, mais sous contrôle et moyennant 10 livres par tête. Encouragé par l'Etat, qui le considérait comme un des éléments fondamentaux du système et même de la politique internationale, (a sient s) le trafic du "bois d'ébène" constitua un négoce honoré, qui ne dérogeait pas, effectué par de riches armateurs, commandités par des actionnaires, avec des vaisseaux, des capitaines et des équipages spécialisés.

II.- Le mécanisme de la t r a i t e

Le mécanisme de la traite implique une triple obligation :

- voyage des côtes de France à l'Afrique, - acquisition des noirs en Afrique, - vente des esclaves dans les îles.

1.- Voyage des côtes de France en Afrique .-

Les armateurs de Nantes, Roche fort, Bordeaux ou Le Havre, équipent des navires spéciaux montés par des équipages aguerris.

A.- Les bateaux doivent être à même de transporter de France en Agrique, les marchandi- ses de troc; d'Afrique aux îles les "captifs", des îles en France, le sucre, le tabac, le coton et le café.

a) les faux-ponts sont adaptés au logement des captifs qui doivent s'y tenir accroupis ou même couchés.

b) sur le pont est installée la grande "chaudière à gruau" c) sur le faux pont inférieur sont entassées les marchandises de troc: guinées

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bleues et blanches, draps d'écarlate, les guildives (eaux de vie vitrioliques) les fusils et les sabres

L'équipage comprend 35 à 50 hommes

a) un capitaine, toujours excellent marin, rude, impitoyable, bénéficiant du "port permis" (trafic à son bénéfice).

b) des ouvriers spécialisés, notamment le maître-tonnelier à cause de la nécessité de conserver l'eau douce

c) des matelots souvent prêts à déserter aux îles, ou même à se fixer en Guinée,

d) un aumônier et un chirurgien, bohèmes, parfois honnies de sac et de corde

C.- Le voyage de France en Afrique

a) dure de 6 à 15 semaines, généralement 2 mois 1/2 b) comprend des escales en Espagne, aux Canaries et en Corée cà est exposé au péril des pirates, des rivaux européens

Aussi la traite négrière est-elle considérée comme le plus aventureux des trafics des mers.

2.- L'achat des captifs

Les négriers acquièrent sur la côte d'Afrique des nègres réputés "captifs" jusqu'à leur achat par les colons .

A. - Les sites de traite

La traite s'opère sur un littoral d'environ 3.500 km entre la Mauritanie et le Congo.

a) Ce littoral est réputé étranger, c'est-à-dire qu'il est censé dépendre de souverains de qui l'on doit acquérir les noirs suivant des règles fixes.

b) i l comprend sept régions échelonnées du N.W. au S.E. :

- le Sénégal, du cap Blanc à la rivière Sierra Leone, réservé à la Compagnie des Indes et où l'armement libre français (mais non anglais) n'a pas d'accès direct

- le pays de Gala ou la côte de Malaguette, entre la Sierra Leone et le cap des Palmes, où la traite est dangereuse en raison des indigènes belliqueux.

- la côte d'Ivoire, du cap des Palmes au cap des Trois Pointes, où les Hollandais jouissent presque d'un monopole

- la Côte de l'Or, du cap des Trois Pointes jusqu'à la Volta. C'est la partie la plus commerçante, où dominent les Anglais

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- les royaumes d'Ardres et de Juda, entre la Volt a et Badagri (ville de Nigeria sur la Côte des esclaves) où règne une grosse activité française

- le royaume de Bénin et d'Ameri, entre Bénin et le cap Formose, où Anglais et Français se disputent des noirs médiocres mais bon marché

- les côtes de Loango et d'Angola, entre le cap Lopez et le Congo, fréquentées dans la deuxième moitié du XVXII siècle, faute de noirs du Nord, où l'on trouvait des captifs moins vigoureux, avec de gros déchets .

B.- Les modes de traite.-

La traite de la côte est une longue opération, de un à six mois et parfois plus.

a) elle se fait sous forme de troc, c'est-à-dire d'échange des captifs contre des "paquets" de marchandises correspondant à dix (grand paquet) ou cinq (petit paquet) unités de compte : la barre, laquelle équivaut à cent sous.

Au XVIII siècle, un nègre adulte et robuste valait 5 6 grands paquets soit en marchandises au prix de France, environ 200 livres.

b) le négrier peut acquérir sa cargaison :

- en bloc, ce qui lui fait gagner du temps, mais ne lui perme t pas de choix, - par petits lots, grâce à des intermédiaires qui constituent des stocks en s'installant

à demeure auprès de leurs entrepots

c) les affaires se traitent de gré à gré, après de longues palabres, coupées parfois de coups de main soit du négrier sur les captifs, soit du roi ou du courtier sur les marchandises .

Le négrier surveille l'origine et la qualité des produits (saut, course). Il apprécie les noirs de la Côte d'Or, forts et dociles et non les Congolais, peu assimila- bles, prompts au suicide par nostalgie. Il recherche la "pice d'Inde", c'est-à-dire le bel adolescent de 20 ans, la négresse aux belles formes, apte à la reproduction et dont le colon peut user à l'occasion (au contraire des Anglais) et les enfants, qu'on peut élever en vue des travaux domestiques.

C.- Le transport aux îles.-

Quand le négrier a fait son plein et que sa marchandise est en état de supporter le voyage, il la charge et la transporte aux îles.

a) le bateau est chargé d'eau douce, de salaisons, de mil et de cassave (farine de manioc), de noix de coco, parfois de jus de citron contre le scorbut.

b) les captifs sont d'abord "étampés", c'est-à-dire marqués au métal rougi puis conduits à bord et enchaînés à la barre par un anneau qui enserre leurs chevilles et n'ont, durant huit ou dix semaines où ils demeurent assis, qu'une brève promenade chaque jour. Une mortalité d'1/4 ou d'1/5 est, dans dé telles conditions, paradoxale- ment basse.

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c) si les captifs sont débilités, on les remet en état par un séjour parqué au "corral" ou "en savane" dans des îles d'où les fuites ne sont pas à craindre (du Prince, San Thomé)

d) le négrier se hâte de gagner les îles, en raison des risques : suicides collec- tifs ou révoltes des captifs, prise par des corsaires réguliers, lutte avec les forbans qui écument le golfe de Guinée. Chaque année, trois ou quatre négriers disparaissent.

3.- La vente aux îles.-

La vente s'opéra d'abord également à la Martinique, à la Guadeloupe et à Saint- Domingue, puis, à la fin du XVIII°, St Domingue absorba 80% des achats .

A.- Les formalités préalables.-

Le négrier doit se soumettre à des formalités des coutumes préalables à la vente.

a) le bateau est soumis à la visite sanitaire, et la cargaison à la désinfection ("parfumer les nègres")

b) le négrier ne peut obtenir les autorisations nécessaires s ' i l ne fait au gouver- neur et à son entourage des cadeaux d'abord en nature puis en espèces et fixés par Pontchartrain, en 1715, à 2% de la valeur de la cargaison .Ce n'est qu'après cela que le débarquement est autorisé.

B.- La vente. -

Après les préparatifs de la marchandise, la vente s'opère en 8 à 20 jours, parfois plus.

a) le négrier rafraîchit parfois ses nègres en savane ou se contente de les doper ou de les sophistiquer, ce qui explique les méfiances et les vérifications des colons

b) la vente se fait par lots de 4 ou 5 non à la pièce, parfois avec de longs crédits. Il arrive que les armateurs possèdent des réserves grâce auxquelles ils écoulent, avec moins de hâte, la cargaison.

La pièce d'Inde se vend environ 2.000 livres des îles soit 1.000 de Francs.

C. - Le retour.-

Après avoir liquidé sa cargaison, le négrier opère comme un capitaine marchand.

a) il doit passer des semaines et parfois des mois aux îles pour le radoub et les formalités.

b) il transforme son bateau, en démolissant les parcs et charge les produits des îles, en droiture vers France . Au total, la rotation dure environ un an.

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III .- Le régime de l' esclavage

1.- La vie des esclaves A.- Nègres à talents et nègres domestiques

Deux catégories de noirs constituent une minorité privilégiée, les nègres à talents et les nègres domestiques.

a) les nègres à talents, formés dans des ateliers de France, sont des ouvriers qualifiés (tonneliers, charpentiers, maçons) très appréciés et valant cher (dix mille livres d'argent des îles) mais transformés par la vie facile en France et s'adaptant mal à leur esclavage aux îles.

b) les nègres domestiques, habitant "la grande case" du maître, comprennent les vieillards affectés au jardinage ou à la basse-cour, les nourrices et les cuisinières, fidèles comme des chiens, les "doudous" installées dès l'enfance, capricieuses et aguichantes qui savent obtenir leur affranchissement et font souche d'hommes de couleur libres .

B.- Les nègres de plantation.-

La plupart des esclaves travaillent aux plantations suivant un tel régime de servitude qu'ils n'arrivent pas à se reproduire en nombre suffisant, ce qui rend le développement de la traite indispensable .

a) le nègre doit travailler de l' aube au crépuscule sous le fouet du gouverneur, blanc dévoyé ou mulâtre qui distribue un travail atteignant la limite des forces.

Les délinquants, dénoncés par le maître ou le gouverneur, n'obtiennent jamais justice, même s'ils ont raison, et sont fréquemment livrés au bourreau (roue, bûcher, écartèlement, mutilation).

b) le nègre n'est pas élevé dans la religion catholique et les créoles se défient du clergé qui pourrait enseigner autre chose que la soumission. Aussi n'existe-t-il pas d'évêques aux îles, mais des préfets apostoliques, subordonnés au gouverneur et des curés, confinés dans le service des messes. Le recrutement n'en est pas toujours excellent et ils partagent facilement les conceptions des colons. - Le nègre n'a pas de vie de famil le, On le laisse établir à sa guise des concubinages de case temporaires et parfois permanents.

Il a droit à une case, deux pièces d'étoffe par an, des denrées pour sa nourriture et une demi-journée pour cultiver un enclos. En fait, même ses avantages limités ne lui sont pas garantis

d) le nègre cherche à fuir son existence :

« par des cult es animistes aux cérémonies rituelles (culte du Vautour) qui n'a pas le caractère orgiaque qu'on lui attribue souvent, mais traduit les aspirations mystiques de la collectivité), d'où, l'influence des sorciers et des marabouts,

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— 1949 —

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de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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