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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 5 395 CAS CLINIQUE La ponction lombaire est urgente… Jonathan Theodore, Muriel Fartoukh OBSERVATION Monsieur R., âgé de 87 ans, est adressé aux urgences pour troubles de conscience dans un contexte fébrile. Dans ses antécédents, on retrouve plusieurs pathologies : une hypertension artérielle, un diabète insulinodépendant, une dyslipidémie, une maladie thromboembolique veineuse traitée par anticoagulants au long cours, un syndrome d’apnées du sommeil appareillé, une méningite à pneumo- coque traitée en 2001, une appendicectomie et une cholé- cystectomie. L’ordonnance de Monsieur R. comprend la liste des médicaments suivants : Préviscan ® , Détensiel ® , Lasilix ® , Aprovel ® , Médiatensyl ® et Aldactone ® . Un bilan d’hémos- tase pratiqué 1 mois plus tôt, retrouvait un INR à 4,11. À l’admission, la fréquence cardiaque était à 88 batt/min, la pression artérielle à 180/70 mmHg, la fréquence respira- toire à 20/min, la température axillaire à 39 ° C, le score de Glasgow à 11 et la glycémie capillaire était normale. À l’exa- men, le patient était calme, somnolent, répondant aux ordres simples. Il existait un doute sur un déficit bra- chiocéphalique droit et on ne notait pas de défaillance car- diaque ni respiratoire ; enfin, on relevait une otorrhée purulente gauche. Un bilan biologique usuel et 2 hémo- cultures ont alors été effectués, ainsi qu’un scanner céré- bral, sans et avec injection demandée, qui s’est avéré normal. Des vomissements ont été signalés à 13 heures ; à 15 heures, puis une crise convulsive généralisée est appa- rue, cédant après l’injection intraveineuse de 2 mg de Rivo- tril ® . Au décours, un coma post-critique a nécessité une intubation en séquence rapide. Une injection de Claforan ® a été administrée à 15 h 30, puis le patient a été admis en réanimation. Dès l’arrivée en réanimation, une ponction lombaire et deux hémocultures ont été réalisées à une demi-heure d’intervalle. Le liquide céphalorachidien était purulent et on a débuté immédiatement une antibiothérapie parenté- rale double associant du Claforan ® à la dose de 200 mg/kg/j et de la Vancomycine ® à la dose de 15 mg/kg en dose de charge puis de 50 mg/kg/j. Dans le LCR, on retrouvait une protéinorachie à 7,5 g/l, une glycorachie à 1,7 mmol/l (pour une glycémie à 13,7 mmol/l), et 590 leucocytes/mm 3 dont 95 % de polynucléaires neutrophiles. À l’examen direct, on retrouvait de nombreux diplocoques Gram posi- tif, qui se sont avérés, à la culture, être Streptococcus pneu- moniae de sensibilité normale à la pénicilline. L’évolution en réanimation a malheureusement été défavorable, avec installation d’un coma chronique aréactif émaillé de plu- sieurs épisodes convulsifs. Le patient est décédé en réani- mation à la quatrième semaine d’hospitalisation. COMMENTAIRES Ce cas clinique souligne d’une part l’urgence de la prise en charge diagnostique et thérapeutique des méningites puru- lentes, en particulier l’instauration du traitement antibioti- que, et précise d’autre part la chronologie respective de la réalisation du scanner cérébral et de la ponction lombaire dans ce contexte. Dans le cas présent, le scanner cérébral a été réalisé deux heures après l’admission ; il a précédé la ponction lombaire qui a été différée du fait du traitement anticoagulant mais finalement réalisée en réanimation ; enfin, le traitement antibiotique a été administré plus de 7 heures après l’admission du patient aux urgences. La 9 e conférence de consensus en thérapeutique anti-infec- tieuse de février 1996 (1) constitue le référentiel français le plus récent en matière de prise en charge des méningites purulentes communautaires de l’adulte. Plus que les recom- mandations sur le traitement antibiotique à débuter selon les données épidémiologiques et les éléments cliniques d’orientation (Tableau 1), ce texte met l’accent sur le caractère urgent et pronostique de l’antibiothérapie initiale. La place du scanner cérébral dans la stratégie diagnostique des méningites purulentes était une des questions posées au jury. Les experts ont rappelé que les indications du scan- ner cérébral lors de la prise en charge initiale devaient res- ter très limitées pour ne pas retarder l’antibiothérapie, qui doit être précédée d’une ponction lombaire en urgence, essentielle à l’identification du germe en cause et à la déter- mination de sa sensibilité aux antibiotiques. Le jury a souligné que les risques de la ponction lombaire sont de loin inférieurs aux risques liés au retard diagnostique de la méningite. Quand on suspecte une méningite puru- lente, la réalisation d’un scanner cérébral retarde en effet la mise en route de l’antibiothérapie, pour un rendement diagnostique faible. Ce point a été clairement établi dans une étude prospective récente évaluant la stratégie diagnos- tique des méningites communautaires de l’adulte (2). Parmi 301 patients admis aux urgences pour suspicion de ménin-

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Page 1: La ponction lombaire est urgente…

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 5 395

C A S C L I N I Q U E

La ponction lombaire est urgente…Jonathan Theodore, Muriel Fartoukh

OBSERVATION

Monsieur R., âgé de 87 ans, est adressé aux urgences pourtroubles de conscience dans un contexte fébrile.

Dans ses antécédents, on retrouve plusieurs pathologies :une hypertension artérielle, un diabète insulinodépendant,une dyslipidémie, une maladie thromboembolique veineusetraitée par anticoagulants au long cours, un syndromed’apnées du sommeil appareillé, une méningite à pneumo-coque traitée en 2001, une appendicectomie et une cholé-cystectomie. L’ordonnance de Monsieur R. comprend la listedes médicaments suivants : Préviscan®, Détensiel®, Lasilix®,Aprovel®, Médiatensyl® et Aldactone®. Un bilan d’hémos-tase pratiqué 1 mois plus tôt, retrouvait un INR à 4,11.

À l’admission, la fréquence cardiaque était à 88 batt/min, lapression artérielle à 180/70 mmHg, la fréquence respira-toire à 20/min, la température axillaire à 39

° C, le score deGlasgow à 11 et la glycémie capillaire était normale. À l’exa-men, le patient était calme, somnolent, répondant auxordres simples. Il existait un doute sur un déficit bra-chiocéphalique droit et on ne notait pas de défaillance car-diaque ni respiratoire ; enfin, on relevait une otorrhéepurulente gauche. Un bilan biologique usuel et 2 hémo-cultures ont alors été effectués, ainsi qu’un scanner céré-bral, sans et avec injection demandée, qui s’est avérénormal. Des vomissements ont été signalés à 13 heures ; à15 heures, puis une crise convulsive généralisée est appa-rue, cédant après l’injection intraveineuse de 2 mg de Rivo-tril®. Au décours, un coma post-critique a nécessité uneintubation en séquence rapide. Une injection de Claforan®

a été administrée à 15 h 30, puis le patient a été admis enréanimation.

Dès l’arrivée en réanimation, une ponction lombaire etdeux hémocultures ont été réalisées à une demi-heured’intervalle. Le liquide céphalorachidien était purulent eton a débuté immédiatement une antibiothérapie parenté-rale double associant du Claforan® à la dose de 200 mg/kg/jet de la Vancomycine® à la dose de 15 mg/kg en dose decharge puis de 50 mg/kg/j. Dans le LCR, on retrouvait uneprotéinorachie à 7,5 g/l, une glycorachie à 1,7 mmol/l(pour une glycémie à 13,7 mmol/l), et 590 leucocytes/mm3

dont 95 % de polynucléaires neutrophiles. À l’examendirect, on retrouvait de nombreux diplocoques Gram posi-tif, qui se sont avérés, à la culture, être Streptococcus pneu-moniae de sensibilité normale à la pénicilline. L’évolution

en réanimation a malheureusement été défavorable, avecinstallation d’un coma chronique aréactif émaillé de plu-sieurs épisodes convulsifs. Le patient est décédé en réani-mation à la quatrième semaine d’hospitalisation.

COMMENTAIRES

Ce cas clinique souligne d’une part l’urgence de la prise encharge diagnostique et thérapeutique des méningites puru-lentes, en particulier l’instauration du traitement antibioti-que, et précise d’autre part la chronologie respective de laréalisation du scanner cérébral et de la ponction lombairedans ce contexte. Dans le cas présent, le scanner cérébrala été réalisé deux heures après l’admission ; il a précédé laponction lombaire qui a été différée du fait du traitementanticoagulant mais finalement réalisée en réanimation ;enfin, le traitement antibiotique a été administré plus de7 heures après l’admission du patient aux urgences.

La 9e conférence de consensus en thérapeutique anti-infec-tieuse de février 1996 (1) constitue le référentiel français leplus récent en matière de prise en charge des méningitespurulentes communautaires de l’adulte. Plus que les recom-mandations sur le traitement antibiotique à débuter selonles données épidémiologiques et les éléments cliniquesd’orientation (Tableau 1), ce texte met l’accent sur lecaractère urgent et pronostique de l’antibiothérapie initiale.

La place du scanner cérébral dans la stratégie diagnostiquedes méningites purulentes était une des questions poséesau jury. Les experts ont rappelé que les indications du scan-ner cérébral lors de la prise en charge initiale devaient res-ter très limitées pour ne pas retarder l’antibiothérapie, quidoit être précédée d’une ponction lombaire en urgence,essentielle à l’identification du germe en cause et à la déter-mination de sa sensibilité aux antibiotiques.

Le jury a souligné que les risques de la ponction lombairesont de loin inférieurs aux risques liés au retard diagnostiquede la méningite. Quand on suspecte une méningite puru-lente, la réalisation d’un scanner cérébral retarde en effet lamise en route de l’antibiothérapie, pour un rendementdiagnostique faible. Ce point a été clairement établi dansune étude prospective récente évaluant la stratégie diagnos-tique des méningites communautaires de l’adulte (2). Parmi301 patients admis aux urgences pour suspicion de ménin-

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 5396

gite, un scanner cérébral a été réalisé avant la ponction lom-baire chez 235 d’entre eux (78 %). Il était anormal dans24 % des cas, et mettait en évidence un effet de masse chez11 (5 %) patients ; une ponction lombaire a été réaliséechez 7 de ces 11 patients, malgré le risque théoriqued’engagement cérébral secondaire à la réalisation de laponction lombaire, et ne s’est compliquée d’aucun événe-ment indésirable. Un scanner cérébral a été effectué chez96 patients ne présentant aucun signe neurologique delocalisation, et il s’est avéré normal chez 93 (97 %)patients ; seul un patient avait un effet de masse modéré.Aucun patient avec un scanner cérébral anormal n’a pré-senté d’engagement après la réalisation de la ponction lom-

baire. De plus, le délai moyen de réalisation de la ponctionlombaire était de 5,3 heures pour les patients ayant eu unscanner cérébral en première intention, contre 3 heureslorsque le scanner n’était pas réalisé en premier. Lesauteurs concluent que plus de 40 % des scanners cérébrauxsont inutiles dans ce contexte, sous réserve d’un examenclinique bien conduit ; le risque d’engagement cérébralpost-ponction lombaire est négligeable (aucun dansl’étude), même en cas d’effet de masse radiologiquemodéré. La conférence de consensus de 1996 insiste surl’absence de justification de la réalisation d’un scanner céré-bral avant la ponction lombaire, hormis l’existence designes neurologiques focalisés faisant évoquer un autrediagnostic ou craindre une complication intracrâniennetelle que hydrocéphalie, abcès, empyème, infarcissementhémorragique ou ventriculite ; dans ces cas, une antibiothé-rapie probabiliste doit être initiée après les prélèvementspériphériques et avant l’obtention de l’imagerie cérébrale.En dehors de ces cas, la ponction lombaire doit précéder lescanner cérébral, même en cas de coma.

Les complications de la ponction lombaire sont bienconnues, mais rarement graves. L’événement le plus fré-quent est la survenue de céphalées ou syndrome post-PLqui nécessite rarement la réalisation d’un blood-patch,quand le tableau est sévère et prolongé. On connaît aussid’autres complications, beaucoup plus rares : engagementcérébral, hémorragie intracrânienne, formation d’abcèsméningé, brèche méningée et hématome épi- ou sous-dural.On ne connaît pas l’incidence des complications hémorra-giques suivant la réalisation d’une ponction lombaire enurgence, mais elles semblent rester exceptionnelles. Dansune revue récente de la littérature, Adler et coll. ont rap-porté 64 hématomes périmédullaires secondaires à la réali-sation d’une ponction lombaire, publiés entre 1966 et 1998(3) ; cette complication semble donc exceptionnelle. L’ana-lyse des cas montre que 78 % des patients (soit 50 patients)recevaient un traitement affectant l’hémostase et/ou avaientune perturbation de l’hémostase préalable : traitement paraspirine, traitement anticoagulant, thrombopénie, insuffi-sance rénale ou hépatique, hémophilie (méconnue) ouhémopathie maligne. Trente-deux patients recevaient untraitement anticoagulant, le plus souvent une héparinothé-rapie avant, pendant ou après la ponction lombaire. Cesauteurs soulignent ainsi l’innocuité de la ponction lombaire(64 hémorragies rapportées en trente ans), et la fréquenteassociation à des conditions préexistantes favorisant lerisque hémorragique. Ainsi, les troubles de l’hémostase neconstituent pas une contre-indication formelle à la ponctionlombaire dans un contexte d’urgence ; le rapport bénéfice-risque est largement en faveur de la réalisation de la ponc-tion lombaire en cas de suspicion de méningite purulente :l’urgence est au diagnostic.

Tableau 1Antibiothérapie des méningites communautaires (1)

Orientationétiologique

Adaptation thérapeutiquePosologie-modalités

Enfant

Neisseria meningitidis Amoxicilline200 mg/kg/j ou C3G

Streptococcuspneumoniae

C3G+Vancomycine40-60 mg/kg/j 4 perfusions > 60 mn ou perfusion con-tinue (dose de charge 15 mg/kg)

Hamophilus influenza C3G

Adulte

StreptococcuspneumoniaeSi suspicion de PSDP et/ou signes de gravité

Préférence C3G C3G + Vancomycine 40-60 mg/kg/j4 perfusions > 60 mn ou perfusion continue (dose de charge 15 mg/kg)

Listeria monocytogenes Amoxicilline indispensable 200 mg/kg/j en associationavec Gentamicine ou Cotrimoxazole

Neisseria meningitidis Amoxicilline 200 mg/kg/j ou C3G

Enfantet Adulte

Absence d’orientation et signes de gravité

Amoxicilline et C3G

C3G = Céfotaxime (200-300 mg/kg/j en 4 perfusions IV) ou Ceftriaxone(70-100 mg/kg/j en 1 ou 2 injections IV)

Page 3: La ponction lombaire est urgente…

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 5 397CONCLUSION

On évoque une urgence infectieuse absolue sur le tableauclinique. Le problème est alors de traiter le patient le plusrapidement possible en prenant soin de documenter l’infec-tion pour optimiser l’antibiothérapie. La ponction lombaireest l’examen clé du diagnostic et ne doit souffrir aucunretard, le scanner cérébral, trop souvent prescrit à l’heureactuelle, étant un des éléments qui retarde le geste. Il n’y apas de réelle contre-indication à la réalisation première dela ponction lombaire ; les risques d’engagement cérébral etd’hématome périmédullaire semblent exceptionnels enregard du pronostic spontané de la méningite purulente. Siun scanner cérébral doit être réalisé en urgence, ce ne seraqu’après une injection d’antibiotique.

RÉFÉRENCES1. 9e Conférence de consensus en thérapeutique anti-infectieuse. Les ménin-

gites purulentes communautaires. Med Mal Infect 1996;26:944-51.2. Hasbun R, Abrahams J, Jekel J, Quagliarello VJ. Computed Tomography of

the head before Lumbar Puncture in Adults with Suspected Meningitis. NEngl J Med 2001;345:1727-33.

3. Adler MD, Comi AE, Walker AR. Acute hemorrhagic complication of dia-gnostic lumbar puncture. Pediatric Emergency Care 2001;17:184-8.

Tirés à part : M. FARTOUKH,Service de Pneumologie et Réanimation Respiratoire,

Hôpital Tenon, 4, Rue de la Chine75020 Paris

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