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L’Encéphale, 2006 ; 32 : 873-4, cahier 3 S 873 La prescription au quotidien : entre références et réalité B. LACHAUX (1) (1) Établissement Public de Santé Paul Guiraud, 54, avenue de la République, 94806 Villejuif. LES CONFÉRENCES DE CONSENSUS Le travail de pratique médicale au quotidien prend en compte la diffusion des informations scientifiques. Les données des différents consensus psychiatriques (APA en 1997, 2000 et 2004, WPA, NHS) vont toutes dans le même sens : dans le traitement de la psychose schizoph- rénique, et surtout dans les premiers accès, il faut tout faire pour que les patients aient accès aux antipsychotiques de deuxième génération, que ce soit en première intention, en seconde intention (en cas d’inefficacité du premier trai- tement, par une augmentation des doses) et en troisième intention (en cas de changement de molécule). En France, deux conférences de consensus ont abordé la question des traitements antipsychotiques : celle sur « Les stratégies à long terme dans les psychoses schizophréniques » en 1994, et celle sur « Diagnostic et modalités thérapeutiques dans les schizophrénies débutantes » en 2003. En 1994, la conférence de consensus, réalisée avant la diffusion des antipsychotiques de deuxième génération, conseillait d’associer le moins possible les neuroleptiques entre eux, et d’utiliser le moins possible les correcteurs. En 2003, la conférence évoque les antipsychotiques de première et de deuxième génération ; elle plaide égale- ment pour la monothérapie, par voie orale si possible, avec une posologie minimale efficace, en particulier pour éviter les effets indésirables ; néanmoins, contrairement aux autres grands consensus, la conférence française laisse la possibilité d’utiliser en seconde intention les antipsy- chotiques de première génération, et d’associer des pro- duits de première et de seconde génération. LES CRITÈRES DE CHOIX En l’absence de critères pharmacologiques suffisants, les repères cliniques pour le choix des antipsychotiques prescrits sont surtout les études cliniques d’efficacité ; elles sont nombreuses pour chaque molécule, mais rares en ce qui concerne les études comparatives : celles-ci sont en général en faveur des antipsychotiques de seconde génération (méta-analyse de Leucht, montrant une amélioration des scores à la BPRS et une amélioration par rapport à l’halopéridol), mais leur méthodologie n’est pas incontestable, et il persiste des études contradictoires. Les études de pratiques réelles soulignent l’écart entre recommandations et pratique clinique : en 2004, 85 % des prescriptions effectuées en milieu hospitalier comportent encore au moins un antipsychotique de première généra- tion. Les deux neuroleptiques conventionnels les plus prescrits (l’halopéridol et la cyamémazine) sont respecti- vement le plus antiproductif et le plus sédatif de tous les produits disponibles : les connaissances classiques res- tent ainsi très présentes dans les esprits et donc dans les pratiques, même si l’on retrouve des différences en fonc- tion des lieux, des prescripteurs et des patients. Au fur et à mesure des années, les pratiques se dépla- cent néanmoins vers les antipsychotiques de seconde génération. En France, entre 1994 et 2000, le pourcentage d’anti- psychotiques de seconde génération est passé de 0,4 % à 15,5 % (Lachaux, 2002). Entre 1994 et 2003 au CHS de Saint-Egrève (Isère), le taux de prescription des antipsychotiques de seconde génération est passé de 5 % à 35 % (de Beauchamp et al.). De même, entre 2001 et 2004 au CHS de Colson (Martinique), il a été noté une augmentation significative des antipsychotiques de seconde génération (p = 0,01), passant de 9 % à 15 % ; on observe également une dimi- nution des correcteurs anticholinergiques (p = 0,02), cor- respondant sans doute à l’augmentation des prescriptions d’antipsychotiques mieux tolérés ; en revanche, la pres- cription concomitante des hypnotiques a augmenté con- sidérablement (p < 10 7 ), du fait du moindre effet sédatif

La prescription au quotidien : entre références et réalité

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Page 1: La prescription au quotidien : entre références et réalité

L’Encéphale, 2006 ;

32 :

873-4, cahier 3

S 873

La prescription au quotidien : entre références et réalité

B. LACHAUX

(1)

(1) Établissement Public de Santé Paul Guiraud, 54, avenue de la République, 94806 Villejuif.

LES CONFÉRENCES DE CONSENSUS

Le travail de pratique médicale au quotidien prend encompte la diffusion des informations scientifiques. Lesdonnées des différents consensus psychiatriques (APAen 1997, 2000 et 2004, WPA, NHS) vont toutes dans lemême sens : dans le traitement de la psychose schizoph-rénique, et surtout dans les premiers accès, il faut tout fairepour que les patients aient accès aux antipsychotiques dedeuxième génération, que ce soit en première intention,en seconde intention (en cas d’inefficacité du premier trai-tement, par une augmentation des doses) et en troisièmeintention (en cas de changement de molécule).

En France, deux conférences de consensus ont abordéla question des traitements antipsychotiques : celle sur« Les stratégies à long terme dans les psychosesschizophréniques » en 1994, et celle sur « Diagnostic etmodalités thérapeutiques dans les schizophréniesdébutantes » en 2003.

En 1994, la conférence de consensus, réalisée avantla diffusion des antipsychotiques de deuxième génération,conseillait d’associer le moins possible les neuroleptiquesentre eux, et d’utiliser le moins possible les correcteurs.

En 2003, la conférence évoque les antipsychotiques depremière et de deuxième génération ; elle plaide égale-ment pour la monothérapie, par voie orale si possible, avecune posologie minimale efficace, en particulier pour éviterles effets indésirables ; néanmoins, contrairement auxautres grands consensus, la conférence française laissela possibilité d’utiliser en seconde intention les antipsy-chotiques de première génération, et d’associer des pro-duits de première et de seconde génération.

LES CRITÈRES DE CHOIX

En l’absence de critères pharmacologiques suffisants,les repères cliniques pour le choix des antipsychotiques

prescrits sont surtout les études cliniques d’efficacité ;elles sont nombreuses pour chaque molécule, mais raresen ce qui concerne les études comparatives : celles-cisont en général en faveur des antipsychotiques deseconde génération (méta-analyse de Leucht, montrantune amélioration des scores à la BPRS et une améliorationpar rapport à l’halopéridol), mais leur méthodologie n’estpas incontestable, et il persiste des études contradictoires.

Les études de pratiques réelles soulignent l’écart entrerecommandations et pratique clinique : en 2004, 85 % desprescriptions effectuées en milieu hospitalier comportentencore au moins un antipsychotique de première généra-tion. Les deux neuroleptiques conventionnels les plusprescrits (l’halopéridol et la cyamémazine) sont respecti-vement le plus antiproductif et le plus sédatif de tous lesproduits disponibles : les connaissances classiques res-tent ainsi très présentes dans les esprits et donc dans lespratiques, même si l’on retrouve des différences en fonc-tion des lieux, des prescripteurs et des patients.

Au fur et à mesure des années, les pratiques se dépla-cent néanmoins vers les antipsychotiques de secondegénération.

En France, entre 1994 et 2000, le pourcentage d’anti-psychotiques de seconde génération est passé de 0,4 %à 15,5 % (Lachaux, 2002).

Entre 1994 et 2003 au CHS de Saint-Egrève (Isère), letaux de prescription des antipsychotiques de secondegénération est passé de 5 % à 35 % (de Beauchamp

et al.

). De même, entre 2001 et 2004 au CHS de Colson(Martinique), il a été noté une augmentation significativedes antipsychotiques de seconde génération (p = 0,01),passant de 9 % à 15 % ; on observe également une dimi-nution des correcteurs anticholinergiques (p = 0,02), cor-respondant sans doute à l’augmentation des prescriptionsd’antipsychotiques mieux tolérés ; en revanche, la pres-cription concomitante des hypnotiques a augmenté con-sidérablement (p < 10

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), du fait du moindre effet sédatif

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des nouveaux produits, et celle des anxiolytiques et desnormothymiques est stable (Longuefosse

et al.

).C’est dans les psychoses et les troubles du comporte-

ment et de la personnalité que les prescriptions relativesd’antipsychotiques de seconde génération sont les plusimportantes.

D’autres données issues du travail réalisé à Saint-Egrève montrent entre 1999 et 2004 que les antipsycho-tiques de seconde génération sont plus volontiers utilisésen monothérapie (de Beauchamp

et al.

) ; néanmoins,depuis peu se dessine une tendance au retour vers lesbithérapies antipsychotiques, après une diminution durantdes années. Les associations les plus fréquentes sont unantipsychotique de 2

e

génération et un antipsychotique de1

re

génération, et ce sont les phénothiazines qui sont lesantipsychotiques conventionnels les plus utilisés dans cesassociations.

Références

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et al.

Études pharmacoépidémiologiquede la prescription des antipsychotiques en milieu psychiatrique enFrance. Encephale, 2002 ; XXVIII : 588-98.

3. GLIKMAN J, PAZART L, CASADEBAIG F

et al.

Étude de l’impactde la conférence de consensus « Stratégies thérapeutiques à longterme dans les psychoses schizophréniques ». Encephale 1999 ;XXV : 558-68.

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Phamacoépidé-miologie des pratiques de prescription d’antipsychotiques chez lespatients schizophrènes. Encephale, 2004 ; XXX : 46-51.

6. LACHAUX B, ZENATI A, HOUSSOU C. L’évaluation du médica-ment : de l’efficacité à l’efficience ou le psychotrope entre moléculeet médicament. L’Information Psychiatrique 2005 ; 81 (2) : 95-100.

7. VAN OS J, BURNS T, CAVALLERO R

et al.

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