51
15 octobre 2013 LA PRISE DU POUVOIR PAR LE G ´ EN ´ ERAL DE GAULLE (Fantaisie franco–espagnole en 8 actes) Tous les noms sont invent´ es. Toute ressemblance avec des faits ou personnages ayant r´ eellement exist´ e est une simple co¨ ıncidence. Eduard Roth 1

LA PRISE DU POUVOIR PAR LE GEN´ ERAL DE GAULLE´edros/degaulle.pdfdans les sessions de BDSM que nous pratiquons pour notre plaisir dans les locaux sp´ecialis´es, avec des chevalets

Embed Size (px)

Citation preview

15 octobre 2013

LA PRISE DU POUVOIR

PAR LE GENERAL DE GAULLE

(Fantaisie franco–espagnole en 8 actes)

Tous les noms sont inventes. Toute ressemblance avec des faits oupersonnages ayant reellement existe est une simple coıncidence.

Eduard Roth

1

.

2

ACTE I: Safir azurin

Scene 1 - Lettre d’amour a Jean-Paul Sartre

Je vous dis ‘cher monsieur’ en pensant a l’interpretation enfantine de cemot dans le dictionnaire: ‘un homme quel qu’il soit’. Je ne vais pas vousdire ‘cher Jean-Paul Sartre’, c’est trop journalistique, ni ‘cher maıtre’, vousle detestez, ni ‘cher confrere’, c’est trop ecrasant. Il y a des annees que jevoulais vous ecrire cette lettre, presque trente ans en fait, depuis que j’aicommence a vous lire et dix ou douze ans surtout, depuis que l’admirationa force de ridicule est devenue assez rare pour que l’on se felicite presque duridicule. Peut-etre moi-meme ai-je assez vieilli ou assez rajeuni pour me mo-quer aujourd’hui de ce ridicule dont vous ne vous etes, toujours superbement,jamais soucie de vous-meme. Vous avez ecrit les livres les plus intelligentset les plus honnetes de votre generation. Vous avez meme ecrit le livre leplus depourvu de maux de la litterature: le mal. Point final. Le mal c’estles autres, avez-vous dit, comme ces autres avant ou apres vous ont parlede sa radicalite, de sa banalite, de sa capitalite. Dans le meme temps, vousvous etes toujours jete, tete baissee, au secours des faibles et des humilies.Vous avez cru en des gens, des causes, a fond, c’est-a-dire au risque de voustromper. Vous vous etes trompe, souvent, mais on est pardonne quand on setrompe pour une bonne cause. Combien d’autres ne se sont jamais trompesen ne disant que des petites verites sans interet. Ceux-la ne seront jamaispardonnes. Vous avez reconnu vos erreurs. Vous avez refuse les lauriers etles revenus materiels de votre gloire. On a voulu vous assassiner, comme lesgrands, de Gandhi a Luther King, en passant par John et Robert Kennedy.Vous etes la voix des opprimes, des proletaires et des peuples colonises, desvictimes du genocide en Algerie et au Vietnam, des minorites marginalisees,des Juifs comme des Palestiniens, des marginaux sociaux comme les femmesou les homosexuels. Lorsque la meute de chiens enrages qui vous attaquesera partie dans les cloaques de l’histoire, votre nom restera comme un phare

3

de liberte.

Scene 2 - Eloge de Gorbatchev

Il est tres rare que l’Histoire confere a l’un de ses grands acteurs, des sapremiere apparition, tout le pouvoir. Napoleon languissa en Egypte avantde prendre le trone. De Gaulle pietina a Londres avant de sauter commeun cabris. Hitler fit de la prison avant d’entrer en action (inutile de rap-peler laquelle). Gorbatchev devint du jour au lendemain president du SovietSupreme, succedant les cadavres vivants des Brejnev, Andropov et autres.On ne sait pas pourquoi il arriva, et on sait pas non plus pouquoi il par-tit. C’est comme votre ange gardien, qui arrive puis s’en va lorsque le perilest passe. Il mit fin a un cauchemar de 70 ans, ou certains noms des plussinistres de l’histoire s’etaient donne rendez-vous avec le pouvoir, et pas seule-ment Staline. Gorbatchev etait un homme de gout, cultive, bien habille. Ilaurait pu etre un autre Pierre le Grand ou une autre Catherine, c’est-a-direun Mijail le Grand, si on l’avait laisse faire. Mais on ne l’a pas laisse faire.On l’a remplace par un ivrogne, une canaille plus rassurante pour les leadersoccidentaux, eux-memes des canailles. Leurs noms: Reagan, Bush, Thatcher,Landru, Jacques l’Eventreur, et j’en passe. Ah, s’il avait trouve Rooseveltou Kennedy en face de lui ! Le monde aurait pour une fois change dans labonne direction. Il mit un terme a la guerre en Afghanistan, aux conflitsde Pologne et de Hongrie, dans les Pays Baltes, alors que les occidentaux selancaient a leur tour dans leurs guerres criminelles en Irak, Afghanistan etailleurs.

Scene 3 - Eloge de la vis latine

D’aucuns se plaisent a traiter des sujets eloignes de la vraisemblance. Uncertain Polycrate avait fait la louange de Clytemnestre et osa meme composeruna accusation contre Socrate. Ciceron dit qu’un certain Cadaberus, ancienrheteur, avait fait l’eloge de la mort. Gellius prise Phavoritus de s’etre pluen de semblables hypotheses quand il loua Thersite et une autre fois la fievrequarte, quelques uns lui attribuant encore l’apologie de l’injustice. Homere

4

decrit la guerre des rats et des grenouilles avec autant de soin que celle desDieux et des Hommes, et Virgile a donne un poeme entier a son moucheron.Entre les ouvrages d’Antisysteme, fondateur de la famille cynique, DiogeneLaerce souligne la defense d’Oreste et Pic de la Mirandole celle de la Bar-barie. Marc Antoine avait ecrit, ou plutot degueule selon Pline, celle del’ivrognerie. Lucien a fait de sa mouche un elephant, Cardan a de nouveauaccuse Socrate, avant de defendre Neron. Passerien s’est exerce sur le vide,un autre gentil auteur sur le Point, d’autres sur le trou du cul. Et l’esprit nonmoins enjoue d’Erasme nous a decrit les merites de la folie. Et qu’y a-t-ilde plus vil qu’une lentille ? Rodolphus Agricola a poutant cautionne son‘lenticulo’ avec un proverbe fort usite parmi les Grecs. Chacun sait commel’ignorance, la guerre, la laideur, l’exil, le mensonge, le cocuage, la prison, laverole, la peste et autres telles abominations ont ete diversement louees, jene sais si a meme dessein que les Romains dressaient des autels a la fievreou a la mauvaise fortune, ou les Grecs batissaient des temples a l’impudence.De plus, les moindres insectes, poux, puces, coleopteres et semblables ver-mines, ont trouve leurs encomiastes. J’estime donc qu’on ne me saurait grede cette petite eloge de la vis latine, qui s’enfonce doucement par un mouve-ment tournant a l’arriere, sur une cavite bien huilee. En tout cas, je ne veuxcroire qu’elle soit mal prise, car la vis latine n’est qu’une election sementique.

Scene 4 - Eloge des maisons louees

De tes charmes louesTu etais si fier

M’as tu regrettePartant le premier ?

Tu m’as quittePar la porte arriereTu m’as bien traiteDe belle maniere

En chambre d’amourEt lit partage

Tu es venu pour

5

Un desempare

Tu regardais l’etagereSans grand emoiTa vue passagereSe portait sur moi

On se verra plusC’est la fois derniere

Tu m’es devenuUne ombre ephemere

Un autre corpsAutre que le tien

Pour une piece en orY viendra demain

Adieu maisonsAux murs closAdieu cloisonsd’amours faux

Je n’ai pas oublieTon nom JeroenneTon teint basaneNi ton haleine

De bail en bailQuartier en quartier

Tu fuis ou j’aillePour te retrouver

Je te suis partoutAie de moi pitie

Tu seras mon angeGardien a jamais

Je te suis partout

6

En maisons loueesAssis a t’attendre

Sur le palier.

Fin de l’acte I

7

ACTE II: Grand d’Espagne

Scene 1 - Torture et couture

J’ai ete torture par la Gestapo. La baignoire est un cauchemar que je n’aipas pu decrire dans mes romans. On ne l’oublie jamais, on ne se recuperejamais, et on ne peut plus se baigner dans une piscine sans qu’une terriblesensation d’angoisse a vous couper le souffle ne s’empare de vous. J’ai eu lachance d’etre soumis prealablement a de terribles raclees a coups de cravacheet de matraque. Pas d’interrogatoire, seulement pour me preparer a la suite.C’etait merite, j’avais ete pris l’arme a la main, je devais m’y attendre. Jeleur ai raconte des tas d’histoires, cela leur etait indifferent. En tout cas,lorsque l’epreuve de la baignoire arriva, ils etaient deja satisfaits, ils avaientfait leur bouleau, et la baignoire etait une pure routine sans but defini. C’estcomme un medecin qui vous ausculte le poumon quand vous lui dites quevous avez mal au pied. C’est le manuel du bon tortionnaire qui dit qu’il fautrafraıchir les corps ebouillantes, brules, rougis par les lascerations des fouets,reveiller les muscles des membres atrophies par des suspensions acrobatiquesdu plafond, avec des cordes ou des menottes, en tension ou cambres, commedans les sessions de BDSM que nous pratiquons pour notre plaisir dans leslocaux specialises, avec des chevalets qui imitent le mobilier des prisons deSingapour ou des planches a tourniquet qui sont des copies certifiees, d’apresdessins de l’epoque, des ustensiles de l’Inquisition. La gegene fut une inven-tion francaise qui s’implanta apres, pendant la guerre d’Algerie. Il y a aussides modes dans la torture. Aujourd’hui c’est Guantanamo qui pose la norme,comme Calvin-Klein impose la mode des sous-vetements. New York a aussiremplace Paris dans ce domaine. Dans les sessions de BDSM, nous pourronsbientot jouir d’un interrogatoire pousse mene par un marine a l’uniforme decamouflage, et de cages pour fauves ou on vous enferme en uniforme orange.Je me suis longtemps demande pourquoi cette couleur. C’est parce que c’estla couleur du phallus erectus, que Villon appelait ‘orpiment rocher’. Il faut

8

bien que le prisonnier avoue, c’est-a-dire vide son contenu par la bouche. Onremplace la ‘flagellatio’ de routine par la ‘fellatio’. Quelle trouvaille ! LaGestapo me faisait plonger d’abord nu puis en calecon blanc. Ils devaientme trouver plus sexy comme ca, un detail qui n’a pas echappe a quelquesbrillants cineastes modernes ni, bien sur, aux createurs de Calvin-Klein, danscette synergie haute-couture haute-torture dont je viens de parler.

Scene 2 - Ma periode staliniste

J’etais membre de PCE et du PCF. J’appartenais a la meme cellule queMarguerite Duras et Robert Antelme, et on m’a accuse d’avoir ecrit le rap-port qui declencha leur expulsion du parti. Cela n’a aucun fondement. J’etaisl’ami de Duras et de son entourage, tous expulses. Ils ont proteste et j’ai duintervenir malgre moi dans cette dispute. Ils m’ont accuse d’avoir ete presentau cours de la session de leur expulsion et d’avoir meme soutenu leur accu-sation. C’est meconnaıtre le code conduite du bon staliniste: s’il accuse, ildoit parler, or Antelme lui-meme reconnaıt que je n’ai rien dit au cours decette session. D’ailleurs, lasse par ces intrigues de salon, j’ai immediatementquitte le PCF pour faire du vrai communisme au PCE, avec tout ce que celaimpliquait a l’epoque: resitance, clandestinite, risque d’etre capture, torture,voire execute. En premier lieu, j’ai change de nom, je m’appelle maintenentFederico Sanchez. Je rentre au Comite Central du Parti, et on se reunit aMoscou en 1959. Je trouve Carrillo dans les pissoires, crachant sur cette follede Pasionaria. La greve generale contre Franco a echoue lamentablement,mais il faut parler de succes. Dolores demissionne et un Carrillo nerveuxet paranoıac s’empare du parti. Je rencontre Carrillo et Lister dans les pis-soires. C’est toujours dans les pissoires que se rencontrent faloir et savoir.Carrillo affole: ‘mais t’as rien compris, c’est une manœuvre de la sorciere avecles Sovietos’. Mais, renfonce par ce soulagement dans les latrines, Carrillos’engagea dans la purge qui le rendit maıtre absolu de l’organisation et fitcroire au mouvement clandestin de l’interieur que des sous-marins sovietiquess’appretaient a transporter l’armement necessaire pour soutenir une guerillaurbaine. C’etait de la blague, mais Carrillo avait une peur bleue du camaradeSouslov qui lui faisait la lecon: ‘un parti marxiste-leniniste comme il se doitne peut pas renoncer a la lutte armee’. Mon dernier voyage clandestin en Es-pagne eut lieu en 1962. Ce voyage coıncida avec la delation et arrestation de

9

Julien Grimau, le numero 2 du parti. Il fut torture en utilisant les nouvellestechniques mises au point par les brutes de la brigade politico-sociale, uneorganisation qui preconisait le crime bien organise. Apres une session de ma-tracage plutot banale, le torture, chancelant, pieds et poings lies, s’elancaita travers une fenetre pour fuir ses tortionnaires. Inutile de dire que cettefenetre se trouvait au cinquieme etage de la prison. De facon surprenante,certains detenus arrivaient a survivre et ils fallait alors recourir aux moyensplus taditionnels, le garrot ou le tir au poteau. Ce fut le cas de Grimau,qui causa grand emoi en Europe et dans le monde. Franco ignora memel’appel du pape Paul VI, que la chanteuse chilienne Violeta Parra immortal-isa dans une celebre chanson. Les etudiants rebelles continuerent a tomberdu cinquieme etage jusqu’a la mort du monstre, mais leurs morts anonymesne susciterent plus autant d’emoi sauf dans quelques rares occasions. Parexemple lorsqu’un jeune et beau garcon se fracassa sur les paves de la courd’un commissariat de police. Son mentor etait un jesuite qui allait devenirplus tard Duc d’Albe. Il osa dire qu’on avait assassine son ami.

Scene 3 - De militant clandestin a ecrivain debutant

J’avais deja rompu intellectuellement avec le parti, mais mon expulsionn’arriva qu’en 1965. Je decidai alors de devenir ecrivain et redigeai ‘Le longvoyage’, que Sartre accepta de publier dans sa revue ‘Les Temps Modernes’.Le PC finit par changer de cap. Finie la lutte armee, la guerilla urbaine,la greve generale revolutionnaire et autres folies de grandeur. En fait, c’estStaline lui-meme qui trouva la bonne solution. Un genie, ce Staline, pourle bien comme pour le mal. ‘Ou sont les masses ouvrieres ?’ demanda-t-ila Carrillo. ‘Dans les Syndicats Verticaux’ repondit ce dernier. ‘Infiltrez-les’ ordonna Staline. C’est de cette facon que se crea le syndicat clandestinCCOO (Comisiones Obreras) qui demeure encore aujourd’hui le syndicat leplus puissant du pays, alors que le PC lui-meme est a l’agonie.

Les Americains injecterent leur or capitaliste dans l’economie autarchiquedu dernier bastion fachiste de l’Europe. Franco recut un cours rapide d’Economiede Marche de la main des technocrates de l’Opus Dei. L’economie espagnolebondit spectaculairement au prix d’une corruption generalisee que l’arriveede la democratie n’a pas su maıtriser. Presque 40 ans apres la mort dece ‘caudillo’ ou ‘generalisimo’, comme ce roi Ubu aimait a se faire appeler,

10

l’economie espagnole est en etat de faillite. C’est comme la peste de Ca-mus, elle ne guerit jamais tout a fait et risque de resurgir a tout moment.D’ailleurs je crois que Camus avait bien place sa peste en Espagne, avant dela delocaliser en Algerie, ou il aurait pense, a tort, qu’elle serait plus credible.

Scene 4 - Le charme discret de la clandestinite

Je fus envoye a Madrid avec mon collegue du Comite Central du Parti,Simon Sanchez Montero. On utilisait le meme appartement loue par les mili-tants communistes de l’interieur. Lorsque Montero se fit arreter par la police,je rentrai dans son appartement comme d’habitude, sans la moindre crainted’etre denonce. Ma confiance en lui etait totale. Il fut brutalement matraquepar les ‘gris’, car c’est ainsi qu’on appelait dans le jargon des opposants lesmembres de la police repressive. Lorsque la democratie s’installa en Espagneapres la mort du dictateur, sa premiere mesure fut de changer la couleurde l’uniforme des policiers, qui vira au bleu-Adjani. Les hommes politiquesconnaissaient la valeur symbolique de cette gamme de tons plus que les histo-riens d’art. Lorsque Montero sortit de prison six ans plus tard, alors que monexpulsion du parti s’etait deja materialisee, il me demanda ou j’avais dormile jour de sa detention. Je lui repondis que chez lui. Il poussa un soupir desoulagement. Toute la souffrance qu’il avait enduree pendant de longs joursd’interrogatoires et des annees d’emprisonnement prenait finalement un sens.

Arrive a ce point, je remarque que je n’ai pas encore parle de corrida,une faute que mes lecteurs francais ne sauraient me pardonner. Cela va etrevite repare. Domingo Gonzalez Mateos, dit ‘Dominguın’, contemporain dugrand ‘Manolete’, etait le parrain d’une saga de toreros illustres, dont le trioLuis Miguel, Domingo et Pepe, tous communistes, et frere aussi de Carmen,mariee au celebre Antonio Ordonez. Le main a main entre Luis Miguel etOrdonez a ete immortalise par Hemingway dans son recit passionne ‘Arenesde sang’. Luis Miguel se maria avec la tres belle muse du cinema italien Lu-cia Bose. Leur fils Miguel ressemblait au Tadzio imagine par Thomas Mann.Un jour, Visconti se presenta pour lui proposer le role de Tadzio dans sonfilm ‘La mort a Venise’. La famille refusa. Quel gachis ! Domingo, le frerede Luis Miguel, participait regulierement aux jeux de cirque du Caudillo, sescelebres chasses ou on lui placait la bete ligotee devant lui pour qu’il puisse lacanarder sans possibilite d’erreur. Un jour Franco annonca a Domingo qu’il

11

savait par sa police secrete que l’un de ses freres etait communiste. Domingolui repondit que les trois l’etaient, une provocation tres dangereuse devant untyran qui n’avait pas le moindre sens de l’humour. Mais aucune represaillene s’ensuivit, car cela aurait implique que Franco admette une faille dans sesservices secrets. Franco n’avait pas d’humour, mais il avait un certain sensde l’honneur, pas celui de ceux qui se sacrifient pour leur patrie, mais celuide ceux qui sont capables de sacrifier tous les autres pour leur ideal de patrie.C’etait Brutus plutot que Cesar, ou mieux, Caligula plutot que Germanicus.De la meme facon que Caligula eleva au rang de consul son cheval, Francopoussa con cote animalier au point de s’entourer de generaux dont les nomsevoquaient la race equine: Yegua (jument), Mula (mule), Puerco del Asno(Porc de l’Ane) et La Vara (la cravache).

Scene 5 - Ma periode antistaliniste

Le film ‘l’Aveu’ de 1970 dont j’ecrivis le scenario pour Costa Gavras,marque la rupture de ma generation avec le Stalinisme. Mes compagnons deroute dans cette aventure furent Claude Lanzmann, Yves Montand et SimoneSignoret, entre autres. On ne trouvera nulle part ailleurs une attaque aussipassionnee contre la monstruosite des proces stalinistes. Le materiau du filmfut le proces Slansky qui eut lieu a Prague en 1952, raconte par l’un des raressurvivants, Arthur London. Parmi les liquides il y avait des anciens deportespar les Nazis, que j’avais connus a Buchenwald. Je savais que c’etaient desheros de la resistance antinazie, et je n’avais jamais cru un seul mot a leuretrange auto-inculpation. Mais a l’epoque, il fallait avaler ce crapaud pourlutter contre Franco, de meme que les democraties avaient avale le leur pourle soutenir. Le recracher dans ce film fut une liberation.

De meme, l’anne suivante 1971, je signai un appel a Castro pour libererle poete Padilla. Mes compagnons de route etaient cette fois les poetes Va-lente, Goytisolo et Gil de Biedma. Jaime Gil de Biedma (1929-90) fut leplus brillant poete espagnol d’apres-guerre, et fut tue par le SIDA, commeLorca en 1936 par la racaille fasciste. Son pere etait un grand negotiantqui traffiquait avec du tabac vers les Philippines. Le fils reprit le negocedans les bordels de Manille. Sa mere, comme la mienne d’ailleurs, procedaitde la vieille aristocratie castillane, et elles se cotoyaient. Quand Jaime in-forma sa mere qu’il avait connu un Maura, elle pensa que j’etais le fils du

12

grand Duc, et non son petit-fils. Jaime, comme les autres grands poetesde sa generation, etait proche du PC. Son ascendance aristocratique n’avaitjamais gene le parti, pas plus que celle de la Duchesse de Medina-Sidonia,dite ‘Duchesse Rouge’, ou celle du Marquis de Castellmeia, eux qui croyaientaffronter Franco comme jadis La Fayette ou Rochambeau avaient porte sec-ours aux insurges americains contre l’oppession coloniale anglaise. Le jourou les communistes decouvrirent les preferences sexuelles de Jaime, il futimmediatement exclu du parti, cette deviance sexuelle etant a leurs yeuxaussi dangereuse qu’une infiltration politique de type trotskiste ou maoıste.

Scene 6 - Huit clos

Pendant la Guerre Civile, alors que j’avais 14 ans, mon pere fut nommeconsul a La Haye. Mon pere etait un pur paradoxe: tres catholique et tresrepublicain a la fois. Mon heritage genetique se limita au second chromo-some. Por eviter l’assistance dominicale a la messe, je m’evadais dans lessalles du 8, rue Maurice pour apprendre l’anatomie et... la vue de Delft dece curieux Vermere dont je n’avais jamais entendu parler, moi qui vivais aMadrid a cote du Musee du Prado, et qui etais imbu de vierges en douleur etde moines penitents, si chers a mon pere. Mais qui etait donc ce paysagisteprofane ? Ne savait-il pas qu’il n’y a pas de salut hors de la religion ? Monmentor me fit la lecon: la verite c’est Proust, un autre inconnu pour moi.Bergotte est pris d’une apoplegie en regardant la vue de Delft, ou il ne sepasse rien. Devant les fusillades du 3 mai de Goya au Prado, il aurait pris uneballe en plein cœur. Proust lui-meme avoue s’etre evanoui, mais ne dit pasde quoi. Peut-etre en regardant un beau garcon qui aurait prefere s’attarderdevant un Ruysdael. Et je ne peux plus eviter de parler du petit pan de murjaune, ce detail anodin qui est la raison pour laquelle personne n’a jamaisrien compris a ce tableau. Proust a le merite d’avoir inocule le premier levirus de cette erreur monumentale. Seuls les grands ecrivains sont capablesde telles supercheries. Proust n’est pas interessant pour un Espagnol commemoi, habitue aux salons aristocratiques des ma plus tendre enfance. Il ecritcomme parlait ma grand-mere. Je n’ai pas retrouve le temps en le lisant,mais je ne l’ai pas perdu non plus. Il a bien laisse une empreinte durable surmoi. Apres l’avoir lu, la chronologie de mes recits a fait faillite.

13

Scene 7 - Le Grand Duc

Ma mere, Susana Maura y Gamazo, venait de l’une des familles les plusnobles de l’Espagne. Meme le roi, Alphonse XIII, demandait a son chauf-feur de laisser la voix a la voiture de ma mere lorsqu’il la croisait dans unpassage etroit. La famille etait d’origine catalane et selon les mauvaiseslangues voire meme juive car ‘Maura’ n’est qu’une abreviation de ‘Marrano’.D’apres l’hispaniste anglais Gerald Brenan, mon grand-pere, Don AntonioMaura, etait le seul noble d’origine juive auquel le Roi s’adressait avec un‘vous’ d’admiration. Antonio Maura i Muntaner, decede en 1925, alors que jen’avais que 2 ans, fut l’homme politique le plus important du regne d’AlfonseXIII, et c’est pourquoi le Roi l’honnora du titre de Duc, le seul titre nobiliairequi garde encore quelque prestige, si l’on croit ce que Stendhal ecrit dans le‘Rouge et Noir’. Mais ce Duc etait un caduque, un noir, un reactionnairechevronne, qui conduisit le pays a sa ruine morale et politique. Les mas-sacres de la Commune de Paris sont un jeu d’enfants a cote de la repressionsanglante qu’il mena en Catalogne lors de la semaine dite ‘tragique’, puis ilconduisit le pays vers la dictature militaire de Primo de Rivera. Son fils,mon oncle Miguel Maura, se chargea de liquider Primo de Rivera pour in-staurer une Republique jaune-catholique qui vira dangereusement au rouge-socialiste. Heureusement, Franco arriva pour sauver l’Espagne du commu-nisme avec l’aide des Anglais, et la retourner a son noir naturel. Moi, sonpetit-fils, je me suis charge de liquiter Franco pour instaurer une monarchieincolore, ou le rose et le bleu pale alternent comme il se doit. J’ai meme eteministre d’un gouvernement socialiste, lors d’une vague rose dans ce paysdont j’ai oublie le nom.

Fin de l’acte II

14

ACTE III: Diamast rouge

Scene 1 - De Gaulle, mon amour

La bombe de 70 kilotonnes explosa pres de Reggane, dans le desert duSahara, le 13 fevrier 1960. De Gaulle proclama: ‘Depuis ce matin, la Franceest plus forte et plus fiere. Vive l’Algerie Francaise ! Vive le Quebec libre !’.La France avait ete pioniere dans l’exploration des reactions en chaıne. Desle 26 janvier 1940, Frederic Joliot avait ete le premier a demontrer que desneutrons moderes dans une cuve d’eau, provenant d’un echantillon d’uraniumnaturel, sont capables de fissionner et produire davantage de neutrons, d’oula reaction en chaıne. Trois mois apres, la France est sauvee par Petain. Qua-tre ans apres, la France est sauvee de Petain par De Gaulle. Un an apres, lademocratie sauve la France de De Gaulle. Dans cette reaction en chaıne desauvetages incontroles, De Gaulle revient en sauveur en 58, et il se sauve en68, bien que son cadavre empestera la France jusqu’a la vague rose de 81. Ensauvant la France en 58, il fit sauter la bombe, apres avoir vire Joliot du CEApour avoir signe en 1950 l’appel de Stockholm pour l’interdiction de l’armenucleaire. De Gaulle avait bien dit: ‘On n’emprisonne pas Voltaire’, maisil n’a jamais dit: ‘On n’emprisonne pas Galile’. Sa bombe fut concue sousla direction des generaux et des polytechniciens les plus incompetents qu’ilput trouver. Ils creuserent un trou dans une montagne du Sahel et placerentl’engin, tandis que Debris, Pompon, Louve de Ville, Chimpan et Messmerdeprenaient des whiskies, proteges derriere la ligne Maginot de leur abri an-tiatomique. La bombe fit boum, mais les dechets radioactifs se faufilerententre les craquelures du terrain, sans tenir compte des calculs des ingenieursdu CEA. On sait depuis Maginot que les failles geologiques ne sont pas lefort de France. La lave eruptive s’eleva vers le ciel et, poussee par des ventscontraires, retomba sur les grands ministres, generaux, et autres parasytesqui ne comprenaient pas la beaute de l’evenement. Ce jour-la, cette lavevolcanique etait le visage de la France !

15

Scene 2 - Manifeste des 121

Publie le 6 septembre 1960 par le magazine Verite-Liberte

Les soussignes, considerant que chacun doit se prononcer sur les actes qu’ilest desormais impossible de presenter comme des faits divers de l’aventureindividuelle; considerant qu’eux memes, a leur place et selon leurs moyens,ont le devoir d’intervenir, non pas pour donner des conseils aux hommes quiont a se decider personnellement face a des problemes aussi graves, mais pourdemander a ceux qui les jugent de ne pas se laisser prendre a l’equivoque desmots et des valeurs, declarent:– Nous respectons et jugeons justifie le refus de prendre les armes contre lepeuple algerien.– Nous respectons et jugeons justifiee la conduite des Francais qui estimentleur devoir d’apporter aide et protection aux Algeriens opprimes au nom dupeuple francais.– La cause du peuple algerien, qui contribue de facon decisive a ruiner lesysteme colonial, est la cause des hommes libres.

Signe: R.Antelme, M.Blanchot, D.Mascolo, M.Nadeau, M.Duras, S.de Beau-voir, J.P.Sartre, F.Sagan, C.Simon, C.Roy, A.Breton, F.Malraux, M.Butor,A.Robbe-Grillet, N.Sarraute, P.Vidal-Naquet, L.Schwartz, T.Monod, A.Resnais,F.Truffaut, S.Signoret, C.Sautet, L.Terzieff, P.Boulez, C.Lanzmann, J.Lindon,J.B.Pontalis, J.L.Bory, J.F.Revel,...

Scene 3 - Francois M

Duras se prend pour un genie politique. Durant l’ete 1980, elle donnelibre cours a son interpretation de l’actualite des evenements de Gdansk,qu’elle avait vecus dans un etat de trouble et de convulsion. Elle voyait lesSovietiques a Paris pour le lendemain: ‘ils constituent, bien encadres unebase de commis plus efficace que celle de l’ENA’ (comme elle avait raison!). Rappelez-vous l’Allemagne nazie. Elle delirait, melangeait tout, l’Iran,l’Afghanistan, l’Irak (ou elle est la seule qui a vu venir les evenements).

16

Puisqu’elle le pensait, c’etait intelligent: ‘moi j’ai envie de tuer tres souvent.J’ouvre le journal, et j’ai envie de tuer tous les grands leaders du mondelibre: Nixon, Reagan, Bush, Franco, Videla, Pinochet, Thatcher, Mobutu,Sharon, Begin, Salazar, De Gaulle, Berlusconi, Aznar.’ La difference entreun nazi et moi c’est que moi, j’ai cette capacite de tuer. Hitler est partout,potentiellement, le Shah d’Iran est partout aussi, comme Pinochet et toutecette clique de meurtriers. A son retour du Canada, interrogee sur la cam-pagne presidentielle, elle decrit Giscard comme un pantin, Marchais commeun menteur, ses modeles etant Leon Blum et Pierre Mendes-France. J’aimechez Francois Mitterrand son desespoir, son degout du pouvoir, son doute.Un personnage de l’echec ? Il n’y a que cela qui m’interesse. Seul l’echecdonne pleine satisfaction, avait dit Borges. Voter pour lui ? Je ne sais pas.Peut-etre au deuxieme tour. Mais... ne pas voter c’est comme lorsqu’en 1940on a laisse Petain et ses coupeurs de tetes s’installer en France. Oui, je vaisvoter au premier et au deuxieme tour !

Scene 4 - Le proces Barbie

Le proces Barbie eut lieu entre le 11 mai et le 14 juillet 1987 a Lyon.L’accuse etait Klaus Barbie, qu’on avait extrade de son refuge bolivien, etqui etait chef de la Gestapo a Lyon entre 1942 et 1944. Son aura mediatiquevenait de sa participation a l’arrestation et assassinat de Jean Moulin, maiscette affaire, ainsi que la plupart de ses crimes, ne pouvaient etre evoques,car ils etaient prescrits ou amnisties comme les crimes commis par l’ArmeeFrancaise en Algerie par ailleurs. On rechercha dans les fonds de tiroir eton fit des acrobaties judiciaires pour pouvoir mener un ‘proces exemplaire’type Nuremberg redux. On le filma meme pour lecon d’histoire, comme si onavait appris quelques chose de ces crimes passes. Face a un solitaire avocatde la defense, Maıtre Verges, jadis defenseur des victimes du colonialismefrancais en Algerie, se placerent sur les bancs de l’accusation pas moins de40 avocats, en representation des parties civiles. Parmi eux on trouvait pasmal de ‘grands tenors du barreau’, qui se promenent de proces en proces etqui se font un nom en defendant toutes sortes d’affaires louches, comme lesinistre Collard, fasciste corrompu de cœur et d’esprit, ou le frivole Dumas,condammne par la suite pour traffic de fregates. Tout avocat qui se voulaitun nom fut admis comme accusateur dans ce proces, et voulut graver son nomdans l’Histoire par des propos pompeux et grandiloquents, mais l’Histoire les

17

ecrasa. Ce banc des accusateurs devint vite un poulailler ou les accusationsinternes prirent le dessus. Les temoins se succedaient de facon chaotique.Pour faire du chiffre, on fit declarer des gens qui n’avaient rien a dire ouqui, en ruminant leur vengeance larvee apres tant d’annees, devenaient viteodieux, d’autant plus que, faute de pouvoir cracher sur l’accuse absent, ilss’en prenaient a son defenseur. Le procureur de la Republique, Truche, croy-ant jouer du Moliere, sombra vite dans le ridicule, et en voulant expliqueraux jures ce qui se passait sur scene, il le faisait encore plus hermetiquepar abus de son jargon de technocrate. On cita comme experts des psycho-logues incompetents que Verges n’eut pas de mal a comparer a Diafoirus.Lorsque le tour de la defense arriva, Verges evoqua les crimes commis parl’Armee Francaise en Algerie ou l’Armee d’Israel au Liban. C’etait attendu,mais ce fut l’affolement chez les grands tenors qui, d’accusateurs, se voy-aient soudain en accuses. On se leva d’indignation, on demanda des tours dereplique non contemples par la procedure. Personne parmi eux n’eut la lu-ciditede repondre tout simplement: ‘les crimes dont vous nous parlez doiventetre pousuivis comme ceux que nous pousuivons ici.’ Barbie eut droit a laparole en dernier. Il nia sa participation au crime des enfants d’Izieu, soncrime le plus odieux, qu’il aurait eu avantage a reconnaıtre. Il savait que lemassacre de ces enfants etait le seul crime qu’on pouvait lui imputer, plusde 40 ans apres les faits. Il fut condammne. Le plus dur chatiment eut etepeut-etre de le relacher.

Fin de l’acte III

18

ACTE IV: Les bagnes d’Alger

Scene 1 - L’heure espagnole

Dans une petite ville d’Algerie dont j’ai oublie le nom, naquit Albert Ca-mus en 1913. Alger, c’est l’enfance, la terre du pere, de la mere et de sesgrands-parents. Mais avant il y eut l’Espagne, une seconde patrie revendiqueecomme telle. Les grands parents paternels de Camus viennent en effect deMinorque. Lorsqu’il effectue son premier voyage a l’etranger, juste avant deprendre sa carte au PC, en 1935, il se rend aux Baleares. Si l’Algerie c’est lalumiere, l’Espagne c’est l’ombre, anvers et revers d’une meme medaille exis-tentielle. Camus refusera toujours de se rendre dans ce pays tant que Francofut a sa tete. Camus sera solidaire des causes republicaine, libertaire, anar-chiste, antifranquiste. Lorsque le prix Nobel lui rapporte beaucoup d’argent,il manifeste une grande et discrete generosite envers les refugies espagnols surle territoire francais. L’Espagne c’est l’anarco-syndicalisme et la poesie deMachado ecrases par le fascisme de Franco et ses admirateurs, de Eisenhowera Charlot. Il veut se mettre a l’heure espagnole pour sa bravoure, le sens del’honneur, la droiture, la determination, la loyaute, la grandeur d’ame, en unmot: le donquichottisme. Mais comme nous allons voir, certaines idees deCamus sur l’Espagne sont fausses. Il a vu des geants la ou il n’y avait quedes moulins a vent.

Scene 2 - Les anarchistes espagnols

L’anarchisme issu de Bakounine se developpa en Espagne a la fin duXIXeme siecle autant que le socialisme preconise par Marx et Engels, chacunpossedant son syndicat, la CNT pour le premier et l’UGT pour le second,dont le fondateur fut Pablo Iglesias, le Jaures espagnol. Iglesias fonda aussiun parti, le PSOE, l’equivalent de la SFIO en France. Naturellement les

19

anarchistes ne fonderent aucun parti, car leur ideologie le leur interdisait.Ils fonderent un syndicat du crime, la FAI (Federation Anarchiste Iberique),dont les membres s’amusaient a placer des bombes pour faire sauter les grandsbourgeois catalans devant le theatre de l’opera de Barcelone, le Liceo. Arrivesa ce point (et on n’a pas encore dit le pire), on peut se douter que l’anarchismeest une aberration de l’esprit aussi dangereuse que la peste d’Oran. Com-ment cette menace a echappe a un auteur qui l’avait si bien decrite, et quiprobablement etait un lecteur de Dostoıevski, je ne saurais le dire. En 1921,comme en France, le socialisme se scinda en deux factions, l’ancien PSOEdirige par Besteiro, et le PC, tres minoritaire en Espagne, et qui ne devint unparti important que grace au coup d’etat de Franco. Lorsque la Republiquefut proclamee en 1931, ses pires ennemis, contrairement a ce qu’on pourraitpenser, n’etaient pas la droite oligarchique, l’Eglise caduque, l’arme pouch-iste, ni les latifondistes depredateurs, ces aberrations de l’ame et de l’espritqui, comme la malaria, sevissent dans le marais fetide espagnol. La causeprincipale de la perte de la Republique fut l’irrationalite des anarchistes, dontla stupidite les amena a identifier la bourgeoisie progressiste d’Azana avec lespestilences deja citees. Leur strategie obtuse consistait a soulever ouvriers etpaysans pour se payer cette Republique bourgeoise qu’ils etaient incapablesde comprendre. C’est ainsi qu’ils reussirent a faire tomber le gouvernementAzana en 1933, le seul gouvernent progressiste de l’histoire du XXeme siecleen Espagne jusqu’a la vague rose de 1982. Les evenements furent les suivants:l’Espagne est le seul pays du monde ou l’anarchie ait eu un nombre aussi im-portant d’adeptes, dominant les masses ouvrieres en Catalogne et les massesde paysans sans terre en Andalousie. En 1933, dans un petit village pres deCadix appele Casas Viejas, un ridicule soulevement anarchiste fut ferocementreprime par la police, qui brula une maison avec une dizaine d’anarchistesa l’interieur. La droite saisit l’occasion pour accuser Azana de ces crimes,et une coalition de tout ce qui est reactionnaire en Espagne, c’est-a-direbeaucoup de monde, reussit a submerger cette timide tentative de moderni-sation du pays, issue des philosophes francais des lumieres beaucoup plusque de Marx et Engels. Ces elections, boycottees par les anarchistes, firentcoıncider la prise du pouvoir de la droite en Espagne avec celle d’Hitler enAllemagne. Les anarchistes n’eurent alors d’autre idee que de declencher unegreve generale revolutionnaire. Ils trouvent d’autres ecerveles comme com-pagnons de route, les socialistes revolutionnaires de Caballero, surnommele ‘Lenine espagnol’. Sans meme regarder la cartographie de l’Espagne, ilscrurent retrouver le Palais d’Hiver aux Asturies, ou les mineurs s’emparerent

20

de la ville d’Oviedo et la firent sauter a la dynamite. La droite appela Franco,dont la legende comme boucher du Rif n’avait rien a envier a celle du Roide Congo. Inutile de dire que Franco ne fit qu’une bouchee de cette revoltesans issue, avec des milliers de victimes selon son habitude. Desesperes parcet echec, les anarchistes retrouverent enfin un peu de raison et deciderentde voter pour le front de gauche en 1936. Ce front, appele aussi ‘Front Pop-ulaire’ comme en France, gagna les elections en fevrier 1936. C’etait unecoalition a majorite bourgeoise, avec un parti socialiste qui, contrairement ace qui se passa en France, refusa les responsabilites du pouvoir. Ce qui sepassa en Espagne par la suite, la Guerre Civile, est connu. Soulignons seule-ment que des ministres anarchistes entrerent au gouvernement, du jamais vu,et que cela se termaina plutot mal par la ‘semaine sanglante’ de mai 1937 aBarcelone. Orwell a decrit ces evenements mieux que je ne saurais le faire ici.Ce fut la fin de l’anarchisme. Lorsque la democratie s’instaura en Espagneen 1977, apres le cauchemar franquiste, il ne restait plus un seul anarchiste.C’est l’une des raisons du succes de cette restauration democratique.

Scene 3 - Camus-Quichotte

Camus aime le roman de Cervantes car il y a une figure susceptible deservir de modele dans nos temps nihilistes. On connaıt l’histoire. Rappelons-la rapidement: un heros mal a l’aise dans son siecle defend des valeurscaduques: la bonte, la noblesse, le sens de la justice, le desinteret, la delectionpour les causes perdues, la revendication du sens de l’honneur dans un mondequi en a perdu le gout, l’ideal de l’amour,... Il part en guerre contre le mondeentier. Camus prononce une allocution pour commemorer le 350 anniversairede la premiere edition du livre, en 1955, dans l’amphitheatre Richelieu de laSorbonne. Don Quichotte plaıt egalement a Camus parce que les prisonniersde Franco peuvent s’en reclamer, mais pas le tyran: il est figure de resistance,mais pas d’oppression. Mais il est dangereux de se croire un mythe: on secroit Don Juan et on finit en enfer, on se croit Jeanne d’Arc et on se retrouveau bucher, on se croit Achille et on recoit la fleche au talon, on se croitOedique, et on a les yeux arraches. On se croit Don Quichotte, et on est unaliene.

21

Scene 4 - La revolte des Asturies

La deuxieme creation theatrale de Camus est un texte intitule ‘La Revoltedes Asturies’, une apologie insensee de cette revolution de 1934, dont la sig-nification echappe totalement a Camus. Camus met en scene le soulevementdes mineurs a Oviedo avec beaucoup d’artifices: on annonce des resultatselectoraux par la radio, la gauche a perdu. Insurrections et revoltes. In-cendies de palais, pillage des banques, razzias dans les manufactures d’armes.On fusille la superieure d’un couvent, les cadavres jonchent les rues. Procla-mation de l’etat de siege, puis de l’etat de guerre, promulgation de la loi mar-tiale. Un general cynique ordonne l’execution des insurges. Le soulevementest ecrase. La soldatesque s’empare des lieux. Rideau. La piece est joueele 2 avril 1936 a Alger au profit de ‘l’enfance malheureuse europeenne et in-digene’. Trois mois plus tard, ce meme general cynique appliquait les recipisdes Asturies a l’ensemble du pays, qui devient un grand cimetiere sous lalune. Camus n’en reparlera jamais. Il avait peut-etre compris.

Scene 5 - Le combat antifranquiste

En 1940, Camus denonce les camps de concentration dans lesquels onparque les exiles qui fuient Franco vers la France. Il regrette que la Francedu Front Populaire n’ait pas su soutenir l’Espagne contre l’emprise fasciste.En 1944, Il rend avec lucidite les Allies coupables du maintien du fascisme,battu partout ailleurs en Europe, en Espagne et au Portugal. On lui rit aunez quand il propose de reconnaıtre le gouvernement republicain en exil dutres modere Martinez Barrio, alors que la chasse aux sorcieres se prepare unpeu partout dans les pays vainqueurs du nazisme. Quand l’UNESCO, dansun comble de cynisme, accueille a bras ouvert le Boucher du Rif, Camusrompit ses liens avec cette organisation. Il trouvait insoutanable d’appendretous les jours que des gens sont garrottes ou fusilles, et que les proces poli-tiques d’epuration vont bon train, sous l’œuil indifferent des nouveaux alliesdu general africaniste. Le 18 novembre 1955, Camus signale que Franco sou-tient le FLN. Il est devenu un aliene. En fait, Franco prend le the avec lesfuturs generaux pouchistes d’Alger, en leur donnant des lecons sur la maniered’organiser un coup d’etat. Heureusement pour la France, Franco ne con-naissait rien aux operations aeroportees. Il s’etait arrete a l’usage du gaz

22

sarin contre les indigenes, comme en 14.

Scene 6 - La justice et la mere

‘Entre la justice et ma mere, je choisis ma mere’. Oui, c’est bien ce queCamus a dit, sous le ricanement narquois de ses detracteurs. Ses defenseursont essaye de contextualiser: l’Algerie, le terrorisme, la phrase en dehorsde son contexte, sa patrie,... mais rien n’y fait. Pourtant, on se demandebien pourquoi tant de bruit. Moi aussi j’aurais choisi ma mere. Tout lemonde choisirait sa mere. Il n’y a qu’un monstre comme Neron qui auraitagi autrement. Mais il ne faut pas le dire a voix haute. C’est une de cesverites qui, comme certains vices, sont toleres a condition de les tenir ensecret. Naturellement, Camus fut accuse d’europeen (comme si c’etait uneinsulte), de blanc, de colon, de pied-noir, d’exploiteur... par Beuve-Mery,Sartre, Beauvoir... et ses defenseurs repondirent en insultant a leur tour cesderniers: Beuve-Mery collabo, Sartre sorti du Stalag grace a Drieu, Beauvoirincestueuse,... Mais, de la meme facon que les insultes contre Camus n’ont enrien ebranle son prestige, qui se fonde exclusivement sur un corpus litterairedes plus solides, les insultes contre Beuve-Mery, Sartre et Beauvoir n’ont onrien entame les leurs. Ces contre-insultes ont simplement confirme que, placedans une situation limite, tout homme sense choisit sa mere.

Scene 7 - Chacun porte la peste dans sa tete

La peste est un mythe qui a frappe les esprits au meme titre que DonJuan ou Don Quichotte. Camus la placa de facon invraisemblable a Oran, enplein XXeme siecle, pour les memes raisons que Cervantes avait place sontchevalier errant en plein XVIIeme. C’est l’absurdite de la trame qui donne sacredibilite au recit. C’est la definition meme du mythe. Si Don Juan n’avaitseduit que 23 jeunes filles, personne n’aurait cru. Mais avec 1003, cela de-vient indiscutable donc digne d’etre retenu. C’est la definition meme de lacreation artistique. L’hyperbole de l’anodin devient parabole. Thucydideavait deja place une peste absurde a Athenes, au Veme siecle avant notreere, qui est impossible pour au moins deux raisons:

23

1) Les symptomes decrits ne correspondent a aucune maladie epidemiqueconnue, mais plutot a ceux de la migraine, la mort en plus. Le trouble montedonc a l’esprit.2) Apres une telle epidemie, la cite de l’Attique aurait mis de longues anneesa se recuperer. Rappelons que les epidemies du XIVeme siecle en Italie,evoquees par Petrarque, aneantirent quasi definitivement une ville commeSienne, le plus important foyer artistique et culturel de l’Italie a l’epoque.Pourquoi alors cette supercherie du grand conteur grec, qui invente tous sesgrands discours lorsque l’original fait defaut ? Car personne n’aurait cru al’invraisemblable et insensee expedition en Sicile autrement. Cette equipeegrandiose qui parodie Homere est le resultat d’un trouble de l’esprit, mais onavait bien besoin d’une raison absurde pour aboutir a une logique rationnelledans le recit. Les faits decrits par Thucydide sont aussi reels que ses discoursimagines.

Scene 8 - Le suicide

Anne-Marie Schwarzenbach avait dit qu’une mort solitaire n’est que lereflet d’une vie solitaire. De meme, une mort absurde ne peut etre quel’aboutissement d’une logique de l’absurde. Le 4 janvier 1960, a l’age de 46ans, la voiture de Camus s’ecrasa sur une ligne droite contre un arbre malplace, en violation de toutes les lois de la cinematique, de Galilee a Newton,et de toutes les lois mathematiques sur les probabilites, de Pascal a Gauss.A son age, Marc-Aurele, Hobbes, Montaigne, Leibniz, Kant, Rousseau, Mon-tesquieu ou Marx, n’avaient encore rien ecrit de particulierement interessant.Son chef d’œuvre etait fait ou etait-il a venir ? On ne le saura jamais.Qu’aurait-il ecrit sur l’Algerie independante, mai 68, Charlot et Lady Mac-beth enfin en enfer, tout comme Mao et Staline ? On ne peut que rever.La seule chose sure est la suivante: ce ne fut pas un accident. Il donna uncoup au volant que tenait son editeur Michel Gallimard, apres lui avoir faitcroire que sa Ferrari se trouvait a Monza, avec le talent qui est reconnu a unconteur de sa taille. C’est la seule explication absurde qui donne une logiquea sa mort. Ce-faisant, il donnait finalement un sens a sa vie. Le seul vraiprobleme philosophique etait enfin resolu.

24

Scene 9 - Metaphores

Le terrorisme aveugle peut frapper un jour ma mere ou ma famille. Jecrois a la justice, mais je defendrai ma mere avant la justice.

L’absurde naıt de la confrontation entre l’humain et le deraisonnable.

Je ne peux comprendre qu’en termes humains.

Je ne sais pas si ce monde a un sens, en tout cas ce sens me depasse.

Pour un esprit absurde, la raison est vaine.

Il n’y a rien au-dela de la raison.

Croire que la vie puisse se diriger est dementi par l’absurdite de la mort.

Le suicide resout l’absurde. C’est le seul probleme philosophique serieux.

L’une des seules positions philosophiques coherentes c’est la revolte.

Tout l’etre s’emploie a ne rien achever.

Il faut imaginer Sisyphe heureux.

La solidarite des hommes se fonde sur le mouvement de revolte.

La seule valeur qui puisse sauver l’homme du nihilisme c’est la complicitedes hommes aux prises avec leur destin.

La fin justifie les moyens ? Mais qui justifie la fin ?

Fin de l’acte IV

25

ACTE V: Le bucher des vanites

Scene 1 - Faut-il bruler Sartre ?

Imperieux, colereux, extreme en tout, d’un dereglement d’imagination quide la vie n’a eu son pareil, athe jusqu’au fanatisme, en deux mots: me voila,tuez-moi ou prenez-moi comme cela car je ne changerai pas. Ils ont choiside le tuer, d’abord a petit feu, puis par la calomnie. Cette mort-la, il l’avaitmeme souhaitee: je souhaite que les traces de ma tombe disparaissent de lasurface de la terre, comme je souhaite que ma memoire s’efface de l’esprit deshommes. De ses dernieres volontes, celle-ci fut la seule respectee: le souvenirde Sartre a ete defigure par des legions d’imbeciles. Ses journeaux intimesont ete perdus, ses manuscrits brules. Ils servirent au moins a rechauffer lescorps de quelques esprits refroidis. Si vers la fin du XXeme siecle quelquescurieux s’interessaient encore a son cas, il faut attendre le nouveau sieclepour qu’on lui rende sa place dans les Lettres Francaises. La raison de sesgouts nous demeure obscure, mais nous pouvons saisir comment de ses goutsil a fait un principe et pourquoi il a porte ceux-ci jusqu’au fanatisme. Sarte avecu jusqu’a la lie le moment de l’egoısme, de l’injustice, du malheur, et il ena revendique la verite. Ce qui fait la supreme valeur de son temoignage, c’estqu’il nous inquiete. Il nous oblige a remettre en question le probleme essentielqui hante notre temps: le rapport du chene et du roseau, du pitre et du geant.

Scene 2 - Faut-il bruler Freud ?

L’idee de bruler Freud a ete avancee par un philosophe mediatique avecdes arguments qui rappellent ceux d’Anitos rapportes par Platon dans l’Apologiede Socrate. Ce philosophe mediatique apparut un jour a la television en sevantant d’avoir lu les 100 003 pages de l’œuvre complete du celebre viennois,

26

et que par ce fait il avait autorite sur ceux qui n’avaient lu qu’une quan-tite humaine de pages. Moi-meme je n’ai lu qu’une centaine de pages, etje crois savoir plus que lui, car j’ai lu les bonnes pages, qu’il a du rater aucours de sa lecture effrenee. Son discours etait le suivant: Freud avait toutcopie de Nietzsche et Shopenhauer et ses travaux scientifiques se limitaienta des analyses sur le sperme des anguilles. La premiere question que je mepose c’est si Nietzsche et Shopenhauer ont resolu des problemes interessants.Dans ce cas, quand on les copie, on dit aussi des choses interessantes. S’ilsn’ont rien dit d’interessant, pourquoi s’attaquer a Freud, qui ne serait qu’unsimple rapporteur, et non a la source de l’erreur ? La question sementiqueme laissa reveur. Ce philosophe n’avait visiblement pas le gout du sperme,dont l’ejection est si necessaire au maintien de l’espece et produit des plaisirsqu’on ne saurait avouer. Finalemnt, il a cru achever l’illustre viennois en letraitant de fasciste car, effectivement, il avait commis l’erreur de penser, ala fin de sa vie et quelque peu gateux, que Mussolini allait sauver l’Autrichede l’emprise Hitlerienne. Il ne se rendit pas compte qu’en brulant Freud ildevenait pire que le Duce, Torquemada.

Scene 3 - Faut-il bruler Aron ?

On peut appeler Aron le ‘philosophe du silence’. Par exemple, au momentde la guerre d’Algerie en 1960, un celebre communique, dit des 121, apparutou l’on justifiait l’insoumission des appeles du contingeant. Il fut signe parSartre, Beauvoir et d’autres grands intellectuels francais. Naturellement,un contre-manifeste, dit des 185, riposta avec la signature de la droite cra-puleuse, de Dorgeles au marechal Juin, en passant par l’Academie Francaisepresque au complet. Finalemet il y eut un troisieme communique, pourune paix negociee en Algerie, avec Barthes, Jankelevitch, Merleau-Ponty etEdgar Morin. J’ai cherche Aron dans ces communiques et je ne l’ai pastrouve. J’ai lu par ailleurs qu’il etait favorable a l’independance de l’Algerie.Alors, pourquoi ne pas le dire a voix haute ? Pourquoi n’avoir rien dit sur latorture ? Un redacteur en chef d’un grand journal est toujours au courant dece genre de saloperies. Silence. Dans ‘l’opium des intellectuels’, Aron fustigeceux qui s’opposent aux brutalites policieres, a la torture, aux cadences in-humaines de la production, a la severite des tribunaux bourgeais, a la peinede mort. Il appelle ces gens-la des ‘partisans de l’humanisation totale’ ou des

27

‘ennemis du desordre etabli’. Il affirme que ces etres dangereux ont adhere aun parti intransigeant qui prone, lorsqu’il arrive au pouvoir, tout ce qu’il ditcombattre. Mais qu’en est-il des defenseurs de cette ‘humanisation totale’qui n’ont pas adhere a ce parti, et meme le combattent ? Silence. On nepeut pas bruler Aron, car il n’a rien dit.

Scene 4 - Faut-il bruler Lacan ?

Normalement, un philosophe puise ses sources chez d’autres philosophes,pour creer de la nouvelle philosophie. Une exception c’est Freud, qui estarrive a sa theorie sur le sperme des anguilles en partant de Nietzsche etShopenhauer. Mais il y a aussi le cas de Lacan qui, partant de la theoriedes ensembles de Russell et Cantor, des paradoxes de Godel, de la topologiealgebrique et des bandes de Mobius, ainsi que des nœuds borromeens (qu’ilappelle nœud-bo), arrive a une certaine philosophie. Le lecteur perplexe sedemandera qu’elle est cette philosophie etonnante. En realite elle n’a rien deneuf. Didier Eribon l’a qualifiee de synthese entre homophobie et mysogynie.En d’autre temps, les perturbes comme Lacan etaient enfermes dans desasiles psychiatriques avec chemise a nœuds, mais dans les temps modernesc’est eux les psychiatres. C’est comme si on choisissait le Haut Conseil dela Magistrature parmi les pensionnaires de la prison de Fresnes. Le pireest que ces fous sont eleves au pinacle de la gloire et creent des ecoles decharlatans aussi detraques qu’eux. Alors que Lacan etait parti de ce qu’il y ade plus complexe en mathematiques, de concepts que seuls des chercheurs depointe arrivent a maıtriser, ses emules sont partis des theories d’avangardeen physique, a savoir la ‘gravitation quantique’. De la, ils sont arrives a leursconcepts aussi hermetiques que vides de sens, sans meme se renseigner surle fait que ladite theorie n’existe pas. De meme que Descartes avait fonde saphilosophie sur le celebre ‘je pense, donc je suis’, Lacan fonda la sienne surle nullisme suivant: ‘la vie humaine est un calcul ou zero serait irrationel, orzero est un nombre entier, donc rationnel’.

Scene 5 - Faut-il bruler Les nouveaux philosophes ?

Ce courant de pensee est une synthese entre la ‘gauche proletarienne’ etla ‘barbarie fasciste’. Cette synthese a ete definie par Gilles Deleuze en 1977

28

comme ‘une martyrologie, un Goulag qui vit de cadavres’. Elle fut completeepar Philippe Sollers, qui rajouta ‘le papisme, l’excommunication et les tri-bunaux’, en se justifiant de la facon suivante: ‘cette entreprise etait tropbelle, il fallait une alliance car ce serait trop bete de la manquer’. Je nesais toujours pas s’il parlait serieusement ou c’etait un cannulard destine aridiculiser les actionnaires de son entreprise. Mais revenons sur Deleuze: ‘Jecrois que leur pensee est nulle’. et on revient sur le concept du vide danslequel Lacan s’etait engouffre si profondement. Pouquoi les philosophes ont-ils cette fascination pour la banalite du rien ? Jean-Francois Lyotard trouvale quid de la question: ‘ces gens mangent beaucoup a la table des medias’.Ce sont comme ces prostituees qui aiment s’exhiber nues derriere les vitresdes maisons de quartiers chauds, meme lorsqu’elles n’ont plus aucun charme.Ils s’appellent ‘nouveaux philosophes’ mais leur pensee fut inventee deja auXVeme siecle en Espagne. A cette epoque elle s’appelait ‘Inquisition’.

Fin de l’acte V

29

ACTE VI: En attendant Degaut

Scene 1

Vladimir et Estragon - Route a la campagne avec arbre, soir.

E: La conquete, cent ans d’administration francaise, glisserent dans l’Algeriecomme l’eau dans le granit.V: Mais ici en France, la pierre se fend et l’eau penetre.E: Contact explosif.V: Sur le grand canevas des affaires francaises, les jours de folie de 1958 sem-blent appartenir a une epoque revolue.E: Treize complots en treize mois.V: La guerre d’Algerie n’a pas eu lieu. La guerre veritable se deroula enFrance.E: Comme la veritable guerre du Vietnam eut lieu aux Etats-Unis.V: Sans une guerre, de Gaulle ne serait jamais revenu et serait toujours unrevenant de 40.E: Qui a gagne cette guerre ?V: Dans toute guerre il n’y a que des perdants. La France a perdu l’Algerieet sa democratie.E: De Gaulle a pris le pouvoir, comme l’hyperinflation en Allemagne dansles annees 20, par un cercle vicieux.V: De quel cercle parlez-vous ?E: Vous avez compris !V: S’il dit vrai, il ment, et s’il ment, il dit vrai.E: Tous les Gaulois sont des menteurs, avait dit un Gaulois.V: De Gaulle ne peut pas mentir. Il est au-dessus des lois.

Scene 2

30

V: J’ai tout compris.E: Le chef doit viser haut, voir grand, juger large, tranchant ainsi sur le com-mun qui se debat dans d’etroites lisieres.V: Vive l’Algerie Francaise ! Vive le Quebec libre !E: Moi, de Gaulle, a ceux-la je declare, j’ouvre les portes de la reconciliation.Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’estbeau, combien c’est grand, combien c’est genereux ... La France ! Vivel’Algerie Francaise ! Vive le Quebec libre !V: J’ai tout compris.E: Vive l’Algerie Francaise ! Vive le Quebec libre !V: La France c’est general, c’est grand, c’est la Gaule.E: De Gaulle est dans la lignee des grands generaux de l’Histoire de France,de Gilles de Rais a Petain, en passant par Mercier et Maginot.V: Mais de Gaulle etait l’ennemi de Petain !E: ‘Je sens une grande admiration pour vous’, lui aurait dit de Gaulle, quin’ecrivait aucun de ses livres grandiloquents sans avoir l’aval de Petain sousforme de preambule. Puis il le gracia. Petain fut le seul grand criminelfrancais a etre gracie. Mais quelqu’un comme Brasillach, qui n’avait tue per-sonne, fut execute.V: Mais de Gaulle gagna son referendum. Il avait l’aval des Francais.E: Par 85% des voix en Metropole.V: Et alors ?E: Hitler n’arriva pas a un si beau score lorsqu’il voulut detruire la consti-tution en vigueur. Il n’y a que Franco qui fit mieux, dans le monde librej’entends.

Scene 3

V: Le FLN a dit: ‘Jamais le cynisme francais n’a fait montre d’une telleimpudence... Les tortionnaires du peuple algerien se sont travestis en heroset en magiciens...’E: Ils ont transmutte un cadavre politique en President de la Republique.V: Ce n’est pas plutot de la sorcellerie ?E: Non, c’est le monstre de Frankestein, de la medecine creative. Il ont faitpasser le courant et le cadavre s’est releve.V: Un coup de gegene. Je vous ai compris.

31

E: La gegene est appliquee par les monstres, mais la c’est un monstre qu’ellea cree.V: Je vous ai compris. Vive l’Algerie Francaise ! Vive le Quebec libre !E: J’ai vu dans un reportage filme des paras arretant un jeune berger algerien,de 15 ou 16 ans, un gamin. Il gardait son petit troupeau de chevres.V: Et pouquoi l’ont-ils arrete ?E: Ils ne l’ont pas arrete. Ils lui ont tire une balle, sans plus de proces.V: C’est la corvee de bois ?E: Non, ca au moins on le fait en cachette. La c’est devant les cameras, pourl’exemple. Quand j’ai vu ca, j’ai pleure.V: Pour le berger ?E: Non, pour la France.V: Vive l’Algerie Francaise ! Vive le Quebec libre !

Scene 4

V: De Gaulle a dit: ‘Nous avons bien pacifie le pays... et les fellaghas ontpresque disparu. A present presque personne ne rejoint la rebellion’. Leredacteur en chef du journal Le Monde, Jacques Fauvet, declara que de Gaulleetait l’un des rares generaux de l’Armee Francaise capable de planifier et decammander dans une guerre moderne.E: Il l’avait demontre en 40. C’etait le seul chef militaire francais a dirigerune attaque au char.V: Ses chars etaient des charrettes mais ses deux offensives ratees lui valurentun enorme prestige. Il fut promu general et meme sous-secretaire d’etat.Peu satisfait, il se nomma lui-meme Chef des Armees et President de laRepublique.E: Et au fait, c’est quoi cette guerre moderne que de Gaulle savait si bienmaıtriser, une attaque combinee des chars avec l’aviation ?V: Non, des attaques a l’helico pour tout bruler au napalm, la concentrationdes populations dans des camps, la torture et l’assassinat sans proces desrebelles.E: Cela rappelle terriblement une autre guerre. Et quel fut le cout de cette‘pacification’ ?V: On ne sait toujours pas. On se lasse de compter les morts. Peut-etre100 000 morts et 1 million de deplaces.

32

E: Vive l’Algerie Francaise ! Vive le Quebec libre !V: Je vous ai compris.

Scene 5

V: Non, tous les Francais ne sont pas des fascistes. Non, tous les Francaisne sont pas des ultras. Non, tous les Francais ne sont pas des tortionnaires.Mais les fascistes, les ultras et les tortionnaires sont la France en Algerie.E: Qui a dit ca ?V: Pierre Nora, en 1961. Quand Challe prophetisa a de Gaulle: ‘le sangva couler en Algerie si vous appliquez votre politique’, de Gaulle piqua unecolere froide et repondit sechement: ‘vous exagerez’.E: Mais le discours de de Gaulle etait plein d’une ‘hypocrite magie’, commele fameux ‘Enfin je m’adresse a la France, mon cher et vieux pays. Si deGaulle cedait aux usurpateurs, la France serait un pauvre pays disloque...’V: Donc de Gaulle ne parle pas aux hommes, il parle a la Geographie plutotqu’a l’Histoire, et il parle de lui en troisieme personne. C’est un usurpateurfoncier qui se vole a soi-meme par troisieme personne interposee. D’ailleurs,avec ce nom, on est predestine a devenier proprietaire du terrain ainsi quede l’immobilier.E: Et l’honneur de la France ?V: Il fut sauve.E: Comment cela ?V: Par les intellectuels qui signerent le manifeste des 121.E: Comme Zola sauva la France lors de l’affaire Dreyfus.V: Exactement, la France est toujours perdue par ses generaux et sauvee parses intellos. Sauf dans un cas.E: Lequel ?V: En 40, De Gaulle sauva la France contre Petain.E: Quel grand homme d’etat s’il avait su se retirer !

Scene 6

V: Selon un observateur francais perspicace, en 1960, de Gaulle et ses pro-jets faisaient penser au Dom Juan de Moliere, qui promit le mariage a 5 ou 6

33

femmes a la fois. Selon Massu, il voulait se retirer de l’Algerie des le debut.Selon Mendes, il etait pour l’Algerie Francaise des le commencement. Massu,Mendes, le general Beaufre, Louis Joxe, Bernard Tricot, Tourneau, HaroldMacmillan, Debre, Challe, ... et ainsi de suite jusqu’a completer les 1003.E: Et que leur disait-il pour les seduire ?V: En 1957, ‘l’independance viendra, mais ils sont trop betes pour le savoir’.En 1958, ‘je vous ai compris’, ‘vive l’Algerie francaise (et le Quebec)’, ‘l’Afriqueest foutue et l’Algerie avec’, ‘l’Algerie independante ? dans 25 ans’, ‘l’Algeriea choisi la paix’, ‘l’Armee Francaise ne quittera jamais l’Algerie et de Gaullene traitera jamais avec Tunis et Le Caire’...E: Encore de la geographie qui parle a la geographie. Au fait, pour quelleville se prend-il ?V: Rome plutot qu’Athenes.E: Je vois une diseuse de bonne fortune plutot qu’un pontife.V: ‘Je suis la seule personne capable d’apporter une solution a l’Algerie’,‘une nouvelle Algerie liee por toujours a la France’, ‘la paix est une necessite,cette guerre est absurde’.E: Enfin un peu de lucidite, pourquoi en arriver la apres tout ce fatras ?V: Si de Gaulle avait dit cela depuis le debut, on ne l’aurait jamais laisserevenir.E: Il voulait donc revenir a n’importe quel prix.V: En 1960, ‘une solution qui soit francaise’, ‘comment pouvez-vous croireles menteurs et les conspirateurs qui vous disent qu’en accordant le librechoix aux Algeriens, la France et de Gaulle veulent se retirer d’Algerie ?’,‘l’independance, une folie, une monstruosite, la France a le droit d’etre enAlgerie, elle y restera’.E: Je ne vous ai pas compris.V: De Gaulle, en fait, n’est pas Don Juan, c’est le roi Ubu. Il a transpose enpolitique le theatre de l’absurde. Il a fait pour Beckett ce que Staline pourKafka.

Scene 7

V: Le 8 fevrier 1962, la police reprima une manifestation convoquee par lePCF contre l’OAS et tua 8 manifestants dans la bouche de la station demetro de Charonne. Ils moururent avec le crane fracasse.

34

E: Qui avait donne l’ordre ?V: Le Prefet de police de Paris, Maurice Papon.E: Ce nom me dit quelque chose.V: Il fut Prefet de la Gironde en 1942-44 et deporta 1500 juifs dont pas mald’enfants. Il fut condamne en 1997 pour crime contre l’humanite.E: Et qui l’ordonna de commettre ces crimes ?V: Petain, qui fut gracie.E: Je veux dire, en 62.V: De Gaulle.E: Directement ?V: Non, bien sur, il y avait le Premier Ministre Debre et le Ministre del’Interieur, Roger Frey.E: Est-ce qu’ils exprimerent des remords ?V: Pas du tout, Debre eut meme le culot de manifester son ‘admiration etconfiance en la police’, en meme temps qu’il s’auto-amnistiait, car on ne saitjamais.E: C’est pas grand’chose 8 cadavres.V: Le 17 octobre 1961, les memes criminels tuerent a Paris 200 manifestantsdu FLN. On retrouva des cadavres dans la Seine.E: Pourra-t-on un jour condammner ces criminels ?V: L’Histoire les condamnera. De Gaulle nomma Debre comme Petain avaitnomme Laval, ou Caligula son cheval. On ne condamme en proces que lespetits galopins, les Papon et les Barbie, pas les grands criminels.E: Et Maurice Audin, ca vous dit quelque chose ?V: Ca c’est une autre histoire.

Scene 8

V: Si tu ouvres une fenetre a droite et une autre a gauche, ne sois pas surprispar le courant d’air.E: De quelles fenetres parlez-vous ?V: Lorsque de Gaulle arriva au pouvoir, il s’entoura de tout ce qui etaitreactionnaire en France, de droite comme de gauche: Debre, Malraux, Pinay,Frey, Jeanneney, Giscard d’Estaing et Guy Mollet.E: Et ils etaient tous d’accord ?V: En effect, c’est comme des chefs mafieux, qui savent arriver toujours a

35

un accord. Les seuls coups contre de Gaulle arriverent de la vraie gauche,Mendes, Mitterrand et les 121. Ils denoncerent le ‘coup d’etat permanent’.E: C’est quoi ce coup d’etat permanent ?V: Le referendum. Les tyrans aiment convoquer des referenda plutot que deselections. Franco en convoqua deux, et son score ne baissait jamais de 95%.De Gaulle se contentait d’un petit 75%.E: Mais il finit bien par perdre un referendum.V: Il commit une erreur de geographie, qui passa a l’histoire sous le nom de‘regionalisation’. Lui, le grand propietaire terrien, voulait laisser son heritagesous la forme de domaines parceles, comme le Roi Lear. Il s’aveugla commecelui-ci, et ses fils, Chaban, Giscard, Debre, Pompidou, et autres caciquesfinirent par l’achever.E: Le Roi Lear. Pourquoi de Gaulle ratait tellement ses lectures ?V: Car il avait le mal aux affaires culturelles.

Scene 9

V: L’ambition dont on n’a pas les moyens est un crime, disait Telleyrand.E: C’est pourquoi il allait toujours du bras de l’ambition ?V: De Gaulle et Talleyrand faisient un couple parfait ?E: Un couple d’etat ?V: Parlons du coup. Le quarteron, avec l’aide de Franco, se prononce le 20avril 1960. Challe, Zeller, Jouhaud, Salan, de grands noms de generaux quiont fait la gloire de la France, comme jadis Gamelin, Weygand, Georges etPetain.E: Il se prononce ?V: Oui, un pronunciamiento. L’Espagnol est riche de ce langage militaire,comme guerilla ou defense numantine. L’Espagnol est en etat de guerre per-manent.E: Que faisait de Gaulle ?V: Il demanda a son Ministre de l’Interieur, Louis Joxe, ce qu’il fallait faire.E: Vraiment, de Gaulle ecoute des voix ?V: Joxe repondit: ‘je vais a Alger’E: C’est la premiere fois qu’un ministre de la police arrete son armee.V: Pas besoin. Le coup s’arreta de lui-meme au bout de 24 heures, en viola-tion des lois sur l’inertie. C’est le coup le plus court de l’histoire.

36

E: Et comment de Gaulle reussit-il ce nouveau record Guiness, apres le couple plus long, le coup le plus court ?V: Il avait bien monte son coup. Cette fois il avait fait le bon choix de lecture,les Catilinaires de Ciceron. Il avait meme tire son ‘quarteron’ du ‘quousquetandem abutere’.E: C’est plus du Pompidou que du Malraux.V: Oui, l’heure du latiniste Pompidou avait sonne. Il devint d’abord apprentide banquier, puis apprenti de sorcier.E: Vous voulez dire, de ‘magitien’.V: Bien sur, l’Algerie transmuttee en Quebec, un coup de genie.E: Et la France ?V: Transmuttee en pays reactionnaire, comme tant d’autres.E: Porquoi ont-ils tue Jaures ?

Fin de l’acte VI

37

ACTE VII: Saint Paul des Opprimes

Scene 1 - Les grenouilles qui demandent un roi (1958) -

Les ‘oui’ sont nombreux, tres nombreux. Mais a quoi dit-on oui ? A laConstitution ? Tout le monde s’en moque. A un programme ? Du firmamentque la tete du general affleure, c’est a peine si, de temps a autre, tombe unindechiffrable oracle. Non, c’est l’homme qu’on veut plebisciter (...) Il fautpartir de cette malheureuse Quatrieme Republique qui vient de se desintegrerpar degout d’elle-meme. Ils ne sont pas neufs les reproches qu’on lui adresse:on le faisait deja a la Troisieme Republique qui a pense, le 6 fevrier 1934, enmourir. Le fait est que, depuis 47, le regime tourne a vide... ce qui frappaitd’abord c’est l’instabilite ministerielle... Il se peut que pour quelques in-times, M.Pflimlin et M.Schuman soient reellement distinctifs, politiquementils echappent au principe d’individualisation. Un seul accroc, le ministereMendes-France. Ce parvenu n’etait pas de la bande: on lui fit bien voir...Oui, M.Gaillard et M.Pinay avaient une tete et ils se disaient en prive quela guerre d’Algerie etait absurde... Il y a dix-neuf ans que nous faisons laguerre: le systeme ne tire pas son origine des pretendus vices de la Constitu-tion de 1946, mais de la lente fascination d’une nation qui perd son sang pourconserver des colonies qui ne rapportent rien (...) Comprenons enfin qu’on netire pas un pays de son impuissance en confiant la toute puissance a un seulhomme. La seule facon d’eviter la monarchie et le coup de main des kom-mandos d’Alger, c’est de nous tirer nous-meme de notre impuissance, il nousfaut un programme, une alliance de partis, comme le Front Populaire en 1936.

38

Scene 2 - L’expedition en Algerie -

L’expedition en Algerie est une operation montee par la France en 1954pour aider la cite algerienne de Pedusniger contre Selinonte, soutenue parles Sarazins. L’episode s’inscrit dans les Guerres du Decolonese, Thucy-dide(I,1,1), conflit qui opposa de 1945 a nos jours les pays Imperialistes etla Ligue Tiermondese. L’expedition se solda par un echec cuisant pour laFrance qui, apres les defaites cuisantes des cent jours, Sedan, encore Sedan,toujours Sedan, et l’Indochine, s’etait engagee dans une guerre de cent ansou des paix ephemeres etaient suivies de la reouverture des hostilites contreSparte.

Au XXeme siecle de notre ere, la ville d’Alger subit l’hegemonie de laLigue du Decolonese, gouvernee par la dynastie des Alaımenides, issus dutyran Charia et de la secte des Assassins. Ils s’attaquerent aux Kolonsd’Oran, ville ravagee par la pandemie appelee ‘kolonialismos’ par Thucy-dide, qui est pour certains une simple peste bubonique et pour d’autres, lecholera. C’est a vous de choisir. Ces changements politiques inaugurentune ere d’instabilite pour la Sicile. Ainsi les cites doivent lutter contre lesNeocoloniai, des mercenaires ayant la nationalite des tyrans, et sont con-fontees a la restitution des biens confisques. En Sicile Orientale, les Kabileens(kabiles en Grec), peuple indigene, se soulevent sous la direction d’un nommeBalkacemos et forment une Ephelene (federation en Grec).

Athenes ayant conclu la paix avec les indigenes locaux, mettant fin a uneguerre de dix ans, se lanca dans une autre qui allait en durer vingt, pour laconstitution d’un empire occidental en Afrique du Nord et dans les Iles Sey-chelles. Qui plus est, une victoire contre Syracuse permettrait de controlerles exportations de petrole entre le Sahara et le port de Masilia. Si l’on croitPlutarque, cela fait de toute facon longtemps que les Atheniens revaient des’emparer de l’or noir en Afrique et creerent la compagnie petrolifere Opus Ni-grum, plus tard rebaptisee Elf-Aniquilitaine, toujours selon Plutarque. Cettecompagnie realisa le reve de Paracelse en transformant l’or noir en pot-de-vinet argent sale, decouverte sensationnelle qui fut couronnee par le Prix Nobeld’Alchimie en 1962.

A Athenes, l’opinion etait divisee entre partisans de la paix, commeMendes-Athenaios et les partisans de la guerre comme Guy-Mortes. Unepoussee de peste noire, or noir et pied noir fit sombrer Athenes dans l’obscuritedu mal, malgre les avertissements des 121 et les visions apocalyptiques de

39

Satrapides. L’Assemblee vota le depart de 134 divisions Panzer, plus de90 000 paras, 180 archers cretois et 30 cavaliers avec mission de ‘secourirNoironte contre Sarazine puis, s’ils voyaient tourner la guerre a leur avantage,retablir les noirontins, et plus generalement les affaires de Sicile au mieux dece qu’ils jugeraient l’interet d’Athenes’ (Thucydide, VI,8,2). L’expedition,sous commande d’un quarteron de strateges a la retraite, Degot, Masot,Bigot et Salot, se solda par une cuisante defaite, apres un genocide sansprecedent. Satrapides s’exclama: ‘Jamais aussi peu de generaux ont faitautant de degats dans l’histoire de Gaule’. Plus de 100 000 indigenes furentliquides et le territoire fut ravage par la peste noire disseminee dans le bled pardes rapaces geants, les helikos. Tous les responsables furent blanchis. Aprestant de degats, Degot fut proclame Tyran a Athenes et instaura un gou-vernement democratique base sur le mensonge et la corruption qui, d’apresDiogene Laerce, n’etait qu’une synthese entre la Tyrannie et l’Oligarchie, etqui, 25 siecles plus tard, resurgit sous le nom de γωλισµoζ .

Scene 3 - Reflections sur la question juive -

Si un homme attribue tout ou une partie des malheurs du pays et de sespropres malheurs a la presence d’elements juifs dans la communaute, s’il pro-pose de remedier a cet etat de choses en privant ces juifs de certains de leursdroits ou en les ecartant de certaines fonctions economiques et sociales, ou enles expulsant du territoire, ou meme en les exterminant tous, on dit qu’il a desopinions antisemites. Cet antisemitisme paraıt etre a la fois un gout subjectifqui entre en composition avec d’autres gouts pour former la personne, ou unphenomene impersonnel et social qui peut s’exprimer par des chiffres et desmoyennes, qui est conditionne par des constantes economiques, historiques etpolitiques. J’ai interroge cent personnes sur les raisons de leur antisemitisme.La plupart se sont bornees a m’enumerer les defauts que la tradition preteaux juifs: ils sont interesses, intrigants, collants, visqueux, sans tact, etc....Je leur demande: ‘les frequentez-vous ?’, reponse: ‘Je m’en garderais bien’.Certains acteurs sans talent les accusent de briser leur brillante carriere detheatre. Pouquoi a-t-on choisi de haır les juifs plutot que les fonctionnaires? Car les premiers sont peu nombreux, et ne sont pas bien places dansl’administration. On peut les attaquer sans risque, avec tous les beneficesde la demagogie. Certains groupes sociaux ont besoin de s’acharner sur une

40

victime pour se faire coire qu’ils ont un role social a jouer. Ses victimes sontles sorcieres, les juifs, les communistes ou les homosexuels, en fonction ducontexte et de l’epoque. Il est d’autant plus tentant de s’attaquer a ces mi-norites, qu’ils en sont nombreux parmi elles a etre reconnus par leur talentartistique ou autre. C’est la facon de passer aux manuels d’histoire, meme sic’est au meme titre que Landru.

Scene 4 - L’existentialisme -

Declarations au ‘Nouvel Observateur’

NO: Maintenez-vous encore l’autonomie de l’existentialisme au sein du marx-isme comme vous le disiez en 1957 ?Sa: Oui, tout a fait.NO: Acceptez-vous l’etiquette d’existentialiste ?Sa: Le mot est idiot, c’est pas moi qui l’a invente. On me l’a colle et je l’aiaccepte.NO: C’est quoi pour vous l’existentialisme ?Sa: Ce qui me permet d’exister. Ce mot n’apparaıt plus que dans des manuelsde philosophie ou ca ne veut plus rien dire.NO: Preferez-vous qu’on vous appelle ‘marxiste’ ou ‘existentialiste’ ?Sa: S’il faut absolument une etiquette, je prefererait: ‘Saint Paul des Op-primes’. Apres tout, mes ecrits ne sont que des epıtres contre l’injustice.NO: Quelle partie de votre œuvre souhaitez-vous voir reprise par la nouvellegeneration ?Sa: Saint Genet et la Nausee aussi, qui du point de vue litteraire c’est ce quej’ai fait de mieux.NO: Qui vous a inspire la Nausee ?Sa: De Gaulle.

Scene 5 - Le Prix Nobel -

Declarations a ‘L’Express’, 1964 -

41

NO: Pouquoi avez-vous refuse le Prix Nobel ?Sa: Le Prix vous ecrase. Aucun laureat n’a dit quoi que ce soit d’intelligentapres l’avoir recu.NO: L’avez-vous merite ?Sa: Mes amis me reprochent de l’avoir merite plus que de l’avoir recu.NO: N’y a-t-il pas du Quichottisme dans votre attitude ? Vous attaquez desgeants qui ne sont que des moulins.Sa: Tout a fait, apres le manifeste des 121, je l’aurais accepte car cela auraitete une attaque contre de Gaulle et les canailles qui parlent de lui commed’un geant. Mais aujourd’hui c’est un prix a l’inexistentialisme de mon etre,une negation du neant qui me permet d’exister.NO: Que direz-vous quand de Gaulle sera inexistent ?Sa: Que la justice existe et a fait ce que les hommes auraient du faire avantelle. La geographie retrouvera enfin le cours de l’histoire.NO: Allez-vous survivre a de Gaule ?Sa: Il partira dans les cloaques de l’histoire avec ses propos grandiloquents.Moi, je fais partie de la geographie par mes monts.

Fin de l’acte VII

42

ACTE VIII: Le plus bel age de la vie

Scene 1 - J’avais vingt ans -

J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel age dela vie. Tout menace de ruiner un jeune homme: l’amour, les idees, la pertede sa famille, l’entree parmi les grandes personnes. Il est dur a apprendresa partie dans le monde. A quoi ressemblait notre monde ? Il avait l’airdu chaos que les Grecs mettaient a l’origine de l’univers dans les nuees dela fabrication. Seulement on croyait y voir le couronnement de la fin, de lavraie fin, et non celle qui est le commencement d’un commencement. Devantles transformations epuisantes dont un nombre infini de temoins s’efforcaitde decouvrir la clef, on pouvait simplement apercevoir que la confusion con-duisait a la belle mort de ce qui existait. Tout ressemblait au desordre quiconclut les maladies: avant la mort qui se charge de rendre tous les corpsinvisibles, l’unite de la chair se dechire et, chaque partie dans sa multipli-cation tire dans son sens. Cela finit par la pourriture qui ne comporte pasde resurrection. Tres peu d’hommes se sentaient alors assez claivoyants pourdebrouiller les forces deja a l’œuvre derriere les grands debris pourrissants.

Scene 2 - Ascension et chute du PCF -

Recu en 1924 a l’ENS, il se lia d’amitie avec Raymond Aron, alors social-iste, et qui avec le temps deviendra un adepte des sectes liberactionnaires. En1927, il adhere au PCF, en meme temps qu’il epouse Henriette Alphen, cou-sine de Claude Levi-Strauss. Il se presente en 1932 aux Legislatives commecandidat communiste. En 1935, il se rend en URSS pour le celebre Congresdes Ecrivains Antifascistes, avec Malraux, Aragon, Rolland, etc... Il ecritaussi des articles pour l’Humanite. Suite aux accords germano-sovietiquesd’aout 1939, il rompt avec son parti. Son reproche au PCF qui, bien sur,

43

suit les consignes de Moscou, est d’avoir ‘manque de cynisme’. Il fut tue le23 mai 1940 lors de la celebre retraite de Dunquerque. Il enterra son derniermanuscrit qui, malheureusemnt, n’a pas ete retrouve. En 1940, dans un ar-ticle intitule ‘Les traıtres au pilori’, Maurice Thorez qualifia Nizan ‘d’agentde la police’. Durant l’occupation, les textes du PCF clandestin parlent du‘policier Nizan’. Apres la guerre, Louis Aragon fait apparaıtre Nizan dans leroman ‘Les communistes’ comme le policier Orfilat, inspire de Jabert. Apresla reedition en 1960 d’Aden-Arabie, avec preface de JP Sartre, Nizan estrehabilite. Aragon supprime son policier Orfilat en jetant dans la Seine sesrestes d’edition. A la fin des annees 1970, le PCF accepte de remettre encause les accusations contre Nizan. A la fin des annees 1980, le PCF avaitsombre a son tour dans le cours de l’histoire.

Scene 3 - Le processus de Moscou -

17 aout 1934. Moscou. La vaste salle des syndicats est comble. Surfond rouge, de grands portraits de Lenine et Staline et, entre les deux, celuide Gorki. D’autres portraits encore: Balzac, Shakespeare, Dante, Goethe.Dans la salle, Annemarie Schwarzenbach venue avec Klaus Mann, et RafaelAlberti avec les russes Isaac Babel, Boris Pasternak et Ilya Ehrenburg. 591delegues, souvent jeunes, et 40 ecrivains etrangers. Cote francais, Andreet Clara Malraux, Louis et Elsa Aragon, Paul et Henriette Nizan et Jean-Richard Bloch. Gide ne vient pas, mais sa lettre sera lue.

Le camarade Gorki demande que l’on cesse de fumer ! Des echanges vifsentre le journaliste sovietique Karl Radek, qui qualifie Joyce de ‘fumier’ etProust de ‘galeux incapable d’agir’, et Malraux, a qui il dit: ‘choisissez votrecamp’. ‘Le fait que je sois ici montre que je suis avec vous’, lui reponditce dernier. Tous mentaient. Ossip Mandelstam ne put assister pour causede detention. Son poeme ‘Staline, assassin et mangeur d’hommes’ a ete maldigere. Pasternak proteste aupres de Bukharine. Resultat: execution deBoukharine et mort au Goulag de Mandelstam. Boulgakov, las de ne pasetre publie, demande a Staline de le laisser partir. Staline le fit partir enl’autre monde. Babel et Pilniak furent fusilles sur place. Sur les 591 deleguesde ce premier congres, seuls 60 restaient en vie en 1952, pour le deuxieme.

44

Scene 4 - Le dandy -

Son portrait, j’eusse ete capable de le faire: taille moyenne, cheveux noirs.Il louchait, comme moi, mais en sens inverse, c’est-a-dire, agreablement. Lestrabisme divergent faisait de mon visage une terre en friche. Le sien, con-vergent, lui donnait un air de malicieuse absence meme quand il pretaitattention. Il suivait de pres la mode, avec insolence: a 17 ans, il faisait serrerses pantalons autour de ses chevilles si etroitement qu’il avait peine a les filer.Un peu plus tard ils s’elargirent en ‘pattes d’elephant’ jusqu’a dissimuler sessouliers. Puis, d’un seul coup, remontes au genou et bouffant comme desjuppes, ils se metamorphoserent en culottes de golf. Il eut une canne de jonc,un monocle, de petits cols ronds, del cols casses. Il troqua ses lunettes de fercontre d’enormes lunettes d’ecaille. Touche par le snobisme anglo-saxon quiravageait la jeunesse, il les appelait ses ‘guggles’. J’essayai de le suivre, maisma famille fit une resistance efficace et alla jusqu’a soudoyer mon tailleur.Je me resignai a contempler Nizan avec un ebahissement plein d’admiration.A l’Ecole Normale, je ne me rappelle pas que personne ait desapprouve lestoilettes de Nizan: nous etions fiers d’avoir un dandy parmi nous. Il plai-sait aux femme mais les tenaient a distance. En fait, il n’avait de gout quepour les jeunes filles, qu’il choisissait de preference sottes et vierges. Nousetions tombes ensemble dans tous les pieges. A 16 ans, il me proposa d’etresurhomme et j’acceptai tres volontiers. Breton d’origine, il nous donna desnoms en gaelique: moi Sou-Rı, lui Ra. Nos relations textuelles furent guideespar cette languistique allechante.

Scene 5 - Rimbaud d’Arabie -

Sa taciturnite, j’en fis l’experience a mes depens. En hypokhagne, nousrestames six mois brouilles, j’en souffris. A l’Ecole Normale, ou nous parta-gions la meme couche, il restait des jours sans me parler. En seconde anneeil s’assombrit encore, il traversait une crise dont il ne voyait pas l’issue. Ildisparaissait, on le retrouvait trois jours plus tard, ivre avec des inconnus. Iletait toujours ‘d’une humeur de chien’. Il m’avait dit poutant qu’il avait peurde mourir, je le blamais. Je lui donnais tort. Les affres de Nizan ressem-blaient a sa jalousie retrospective: c’etaient des originalites qu’une saine

45

morale devait combattre. N’y tenant plus, il partit et devint precepteur dansune famille anglaise a Aden. Nous autres, les enracines de l’Ecole, ce departnous scandalisa, mais comme Nizan nous intimidait, nous trouvames une ex-plication benigne: l’amour du voyage. Quand il revint l’annee suivante, lanuit, il entra sans frapper, bleme, souffe, sinistre, et me dit: ‘tu as l’air gai’.Je lui repondis: ‘toi aussi’.

Scene 6 - Ardennes Arabie -

Le 23 mai 1940, une balle perdue abat le soldat Paul Nizan sur le palierdu chateau de Cocave, a Recques-sur-Em, Pas-de-Calais. Il avait 35 ans.Dans ses affaires se trouvait le manuscrit de son huitieme roman: la soireea Somosierra. Il mourut sur les bras de la comtesse Coetlogen, qui cachale manuscrit pour qu’il ne tombe pas entre les mains des Allemands, puis lerendit au sergent Hutchings, du contingent anglais et proche de Nizan. Celui-ci enterra le manuscrit dans le trou d’une paroi rocheuse, avant d’etre faitprisonnier. Il dessina un croquis tres precis de l’endroit, qu’il envoya apresla guerre a Henriette Nizan. Celle-ci se lanca a la recherche du manuscrit,mais en vain. En 2004, les recherches recommencent, d’abord au chateau deCocave, reconverti en restaurant, puis dans une ancienne pature que l’equipemunicipale avait pu identifier au croquis de Hutchings a partir de photoseffectuees par un horloger en 1940. D’autres se joignent a la recherchedu manuscrit perdu: les habitants de Rochefort, un ancien boucher, ungeometre, des pilotes d’avion qui prennent des cliches a l’infrarouge, et moi-meme. Je suis le seul a avoir trouve quelque chose, pas en France, mais surle col de Somosierra en Espagne, a l’endroit meme ou, selon le temoignagedes petits-fils des temoins morts, Nizan aurait redige la premiere page de sonroman, le 5 novembre 1936. Cette page avait ete lue par lesdits temoins, etretenue de pere en fils par tradition orale. Je l’ai retraduite de l’Espagnol,ne vous attendez donc pas aux mots exacts de Nizan, mais plutot a son esprit.

Scene 7 - La soiree a Somosierra -

Andalous, a l’ame fiere et altiers ! Dites-moi comment poussent vosoliviers. Ce n’est pas l’argent speculaire, mais votre sang qui est leur mere.

46

Andalous, a l’ame fiere et altiers ! Andalous, a l’ame fiere et altiers ! C’estl’eau pure et la chaleur solaire qui pousse leurs troncs tentaculaires. Levez-vous pour endurer face au vent, ces troncs exploites sont votre ciment. An-dalous, a l’ame fiere et altiers ! Andalous, a l’ame fiere et altiers ! Vous suezdu sang des veines et du cœur, le seigneur s’enrichit de votre sueur. La sevedes troncs millenaires abreuve votre cri libertaire. Andalous, a l’ame fiere etaltiers ! Andalous, a l’ame fiere et altiers ! Ces arbres sont votre vie et votrepain, mais ce pain est mange par d’autres mains. Vous souffrez de siecles demisere, cette misere est votre seul salaire. Andalous, a l’ame fiere et altiers !Andalous, a l’ame fiere et altiers ! Andalous altiers a l’ame fiere, levez-voussur vos pierres lunaires, criez au monde votre colere en brisant vos chaınesseculaires. Andalous, a l’ame fiere et altiers ! Andalous, a l’ame fiere etaltiers !

Fin de la piece

47

Francoise Sagan − Safir azurin

Jorge Semprun − Grand d’Espagne

48

Marguerite Duras − Diamast rouge

Albert Camus − Les bagnes d’Alger

49

Simone de Beauvoir − Le bucher des Vanites

Samuel Beckett − En attendant Degaut

50

Jean Paul Sartre − St. Paul des opprimes

Paul Nizan − Le plus bel age de la vie

51