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34 L’Officiel 3886 - mai 2019 Pour vendre des motos, il faut des motards et en renouveler la population. En France, un réseau ancien et performant de moto-écoles fait de son mieux pour “produire” des usagers du 2-RM. Mais cette profession, essentiellement bâtie sur la préparation aux examens liés à la délivrance du permis auto, peine à franchir des obstacles récemment jetés en travers de sa route. FORMATION À LA CONDUITE LA PROFESSION S’INQUIÈTE dossier

LA PROFESSION S’INQUIÈTE

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Page 1: LA PROFESSION S’INQUIÈTE

34 L’Of ciel 3886 - mai 2019

Pour vendre des motos, il faut des motards et en renouveler la population.

En France, un réseau ancien et performant de moto-écoles fait de son mieux pour

“produire” des usagers du 2-RM. Mais cette profession, essentiellement bâtie

sur la préparation aux examens liés à la délivrance du permis auto, peine à franchir

des obstacles récemment jetés en travers de sa route.

FORMATION À LA CONDUITE

LA PROFESSIONS’INQUIÈTE

dossier

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L’Of ciel 3886 - mai 2019 35

FORMATION À LA CONDUITE

LA PROFESSION

>>

par François Blanc, photos FB & DR

ab initio (sans expérience préalable), sans limite d’âge. Par rapport aux chiffres de 2016 (119 426 permis délivrés), cela fait une baisse de – 3,9 %. Si le terrain semble favorable à l’exercice de la profession, la réalité incite à un enthousiasme pondéré. Philippe Colombani préside l’Union Nationale des Indépendants de la Conduite (Unic). Même s’il rappelle que « plus de 99 % des établissements de formation n’enseignent pas seulement la conduite d’un 2-RM, mais préparent, au mieux, à l’obtention des permis B, A2 et A, il reste que la profession traverse une crise grave, et que si l’apprentissage à la conduite auto sombre, la moto suivra. » En cause : la libéralisation de la filière, désormais ouverte à des sociétés dépourvues de locaux pour accueillir les élèves et spécialisées dans l’enseignement en ligne. Ces entreprises, très allégées en charges, pratiquent des tarifs impossibles à concurrencer. « Elles annoncent 30 € pour passer le code ! », tempête le président de l’Unic. Et si la mayonnaise prend bien, ce serait entre autres « parce que le pouvoir d’achat des Français s’est émoussé au fil du temps. La généralisation de la communication par voie numérique a bien sûr favorisé cette évolution des choses. » Au-delà de la préparation à l’examen théorique du permis de conduire, « la mise en relation, par ces platesformes dématérialisées, des élèves avec des enseignants à la conduite indépendants – auto-entrepreneurs – achève de fausser les règles. »

Le permis B en perte de vitessePour l’heure, le constat ne concernerait pas (ou pas encore) la préparation aux permis A1, A2 et A. Mais encore une fois, un établissement de formation en perte de vitesse sur la préparation à l’examen du permis B « ne pourra pas compter sur le deux-roues motorisé pour sauver son entreprise », estime Philippe Colombani. Cependant, l’avenir pourrait démontrer que seules les écoles traditionnelles ont vocation à être pérennisées : ces enseignants auto-entrepreneurs auraient en effet toutes les peines à rentabiliser leur activité. Alain Martin, secrétaire national de CNPA-Éducation et sécurité routières : « Pour tenir, ils doivent travailler 12 heures par jour, compte tenu de leurs

Les moto-écoles de France, ce vivier à futurs pratiquants du 2/3-RM, se portent-elles bien ? Tout dépend de la portée conférée à l’expression

“bien se porter”. Ce qui est certain, c’est qu’elles sont nombreuses à détenir un agrément préfectoral, autrement dit le droit d’exercer leur métier. La Délégation à la Sécurité Routière (DSR) communique en effet le chiffre de 5 984 établissements, pour 9 564 enseignants, répartis sur l’ensemble du territoire national. Ces données doivent bien sûr être rapprochées des statistiques de délivrance de permis. Régulièrement publiées dans les pages du numéro annuel spécial de L’Officiel, celles-ci nous indiquent, compte tenu du décalage d’un an que les services de l’État imposent aux observateurs dans la transmission des données, que 114 872 permis moto (A1/A2/A) ont été délivrés après examen en 2017, première année pleine du permis A2 (motos de moins de 35 kW) pour tous les candidats

charges, amortissement de la mise en œuvre de leur véhicule compris. » Et le président de l’Unic d’enfoncer le clou : « La plupart doivent travailler au moins 50 heures par semaine pour s’en sortir. Et que dire de leur couverture sociale, ou de leurs congés payés ? Je crois que ce sont les nouveaux esclaves du numérique. » En clair, leur situation ne serait pas tenable à long terme. Mais en attendant, « ils déstabilisent le marché. »

Un problème de pisteUne autre difficulté, pour se pencher sur le cas des seules moto-écoles cette fois, paraît compliquer la vie des établissements de formation, en particulier dans les secteurs très urbanisés. Il s’agit de la piste d’entraînement, denrée qui aurait tendance à se raréfier. Thibault Droinet est vice-président de l’Unic. Gérant d’une auto/moto-école dans le 12e arrondissement de Paris (il y aligne six motos pour le permis A2 et une pour le A), il dresse un bilan mitigé de la situation : « Lorsqu’un entrepreneur du secteur transmet sa demande d’agrément aux autorités, il ne lui

LE GILET DE SÉCURITÉ GONFLABLE EN MOTO-ÉCOLE ?Le 2 avril dernier, la Délégation à la sécurité routière a communiqué sur les bienfaits du port d’un gilet de sécurité gon& able. Elle a surtout souligné la signature d’une charte de partenariat entre Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière, la Fédération française de l’assurance (FFA), le CNPA, les unions nationales des enseignants et des indépendants de la conduite (Unidec et Unic), la Csiam, le Groupement des professionnels de l’airbag moto (GPAM) et la FFM. La charte en question revient sur les chiffres de l’accidentalité des motocyclistes et résume les mesures prises dès 2015 pour améliorer le sort de ces usagers exposés, puis sur les dispositions arrêtées par le Conseil interministériel de la sécurité routière (CISR) du 9 janvier 2018. Elle évoque entre autres « encourager le port

de bottes et d’une protection gon# able de l’ensemble thorax/abdomen (…) en développant les partenariats avec les moto-écoles a% n d’accoutumer les futurs conducteurs au port de ces équipements durant l’apprentissage de la conduite. » Sur le terrain, la question demeure : qui - nancera la fourniture de gilets gon& ables ? Alain Martin, directeur administratif et - nancier de Zébra moto-école, assure faire la promotion des gilets airbag « depuis une dizaine d’années », que le matériel est « co% nancé par l’école et le fournisseur (Hit Air). » Toutefois,

une campagne de sensibilisation plus nette s’apprête à être mise en place

dans les semaines à venir : « Hit Air s’apprête à équiper une vingtaine d’écoles adhérentes du CNPA de gilets de sécurité. L’idée, au terme

d’une période d’observation de 6 à 9 mois, consiste

à enquêter auprès des élèves sur leur ressenti. » Pour

le fournisseur, l’investissement promet de fournir une précieuse information, que ce soit à propos de la conception du matériel ou de son niveau d’acceptation par le marché visé. Quelques ventes, in % ne, ne sont pas à exclure. Pour la moto-école, la démarche s’inscrit dans le droit - l d’une politique incitative.

Les moto-écoles sont animées par d’authentiques passionnés du 2-RM.

« Les enseignants

auto-entrepreneurs

sont les nouveaux

esclaves du

numérique. »

Philippe Colombani,

Président de l’Union

Nationale des Indépendants

de la conduite

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dossier

à cette partie de l’examen hors circulation obligeait le candidat à repasser toute l’épreuve dite du “plateau”. En revanche, l’épreuve pratique en circulation sera allongée, grâce auphase. Caraucune question à l’élève à l’issue des épreuves de maniabilité, mais celles-ci seront ramenées à un seul parcours, réalisé d’une traite. »Sans commenter le contenu de la nouvelle formule en lui-même, Thibault Droinet relève que un sérieux problème logistique pour les motoàde question de s’exercer, au début en tout cas, enparcours, en alternant des passages lents etpour cela, il faut de la place, à plus forte raison si vous dispensez l’enseignement en même temps à des élèves qui n’ont pas le même niveau. »

Entre galère et légers mieuxUn constat imparable, même si le vicenouvelle façon de mesurer les acquis d’un élève, le jour de l’examen hors circulation, « devrait rendre compte de son niveau decar il ne risquera plus de rater son “plateau” parce qu’il aura mal répondu à une question piochée au hasard dans un paquet de fiches. »Entre difficultés avérées et améliorations sensibles, l’enseignement à la conduite d’unepoursuit donc sa lente évolution. À ce stade de l’analyse, rien ne donne à craindre que la vague de l’auto-entreprenariat gagne le secteur du 2-RM. Mais le pur bon sens commande de s’en soucier, pour les raisons évoquées par les experts interrogés : si les organismes de formation aux épreuves théoriques et pratiques françaises venaient à disparaître dans certaines zones géographiques de l’Hexagone, nul ne voit très bien comment l’apprentissage de la conduite d’une moto s’en trouverait facilité.

La préparation à l’examen théorique du code de la route peut désormais être menée chez soi, à partir d’un ordinateur

Dans les secteurs peu urbanisés, les pistes

d’entraînement ne sont pas encore introuvables. Il en

va autrement autour des grandes agglomérations.

est pas demandé d’apporter la preuve qu’il dispose d’une piste. Or, trouver un espace disponible d’au moins 1 500 m2 relève, dans un certain nombre de cas, de l’exploit. Ni l’État, ni les collectivités territoriales n’apportent une aide quelconque dans ce domaine. En zone très urbanisée, le terrain libre et non constructible est quasi impossible à trouver. Quant à la mutualisation d’un tel espace entre plusieurs moto-écoles, elle ne va pas de soi. Beaucoup d’établissements se révèlent individualistes… », raconte celui qui, pendant plus de dix ans, a loué un espace bitumé à Aéroports de Paris, à l’intérieur du périmètre d’Orly, avant d’en être chassé.Alain Martin, lui, est directeur administratif et financier de Zébra moto-école, l’un des quelques organismes de formation dévolus à 100 % au 2-RM en France. Compte tenu de son implantation géographique, il se félicite de pouvoir « louer un espace à l’année au circuit Carole. » Il reconnaît néanmoins qu’il s’agit de « la plus grosse charge financière de l’entreprise. » Et que la nouvelle formule du permis de conduire, annoncée pour le début de l’année prochaine, pourrait « aggraver la situation des utilisateurs de ces pistes d’apprentissage. » De quoi parle-t-il ? D’un changement annoncé dans l’art et la manière de former les futurs conducteurs en France.

Encore un changement dans le menuMichel Goepp, président des célèbres et emblématiques Codes Rousseau, explique à ce sujet qu’à l’heure actuelle, « les élèves passent une épreuve théorique générale (ETG) portant sur le code de la route. 40 questions leurs sont posées, qu’ils visent un permis auto ou moto. Au titre de l’épreuve pratique, les candidats à la conduite d’une moto doivent en outre répondre à des questions posées par leur examinateur, à l’issue des épreuves hors circulation. À la fin de l’année en cours, ou au début de la suivante, les choses sont appelées à changer. Les élèves du permis A2 devront en effet réussir un examen théorique réservé à la moto (l’ETM, pour examen théorique moto). Il s’agit d’une nouvelle façon d’aborder le code de la route, vu depuis une moto. En contrepartie, l’épreuve pratique hors circulation ne comprendra plus de questions annexes – rappelons que l’échec

Les épreuves du permis moto

changeront au début de

l’année 2020.

LE CLUB ROUSSEAU MONTE AU CRÉNEAU

Fournisseur historique d’outils pédagogiques à destination des candidats aux permis et des établissements de formation, Codes Rousseau demeure une référence du genre, et ce même s’il est désormais fortement concurrencé – notamment par ENPC (Editions nationales du permis de conduire). Installée depuis toujours sur la côte vendéenne, l’entreprise, comme ses rivales, fait évoluer ses produits, à la fois parce qu’elle a vocation à « transmettre sa connaissance des changements réglementaires qu’elle reçoit de la DSR

et du Journal Of-ciel », comme l’explique Michel Goepp (photo), président de Codes Rousseau, mais également parce qu’elle se soucie du sort des « auto et moto-écoles traditionnelles bousculées par la formation en ligne dispensée par de nouveaux entrants dans le métier, comme Ornikar, En Voiture Simone, Auto-Ecole.net, etc. »Ainsi, au printemps 2018, elle a pris une initiative remarquée, lorsqu’elle a lancé l’idée du Club Rousseau. De quoi s’agit-il ? « Il y a peu de temps encore, les éditeurs comme nous fournissaient les écoles de conduite, et les écoles formaient les élèves. Aujourd’hui, les auto et moto-écoles classiques ont perdu leur monopole. Dès lors, fallait-il que nous vendions nos produits directement aux élèves inscrits à l’examen théorique, a%n de leur permettre de passer l’épreuve à La Poste, au Bureau Veritas ou chez Dekra ? À l’heure actuelle, environ 100 000 élèves sur 1 million passent le code en ligne. Combien seront-ils demain ? Cela dit, la formation pratique pose problème – on a vu arriver des formateurs

indépendants qui of%cient hors structure, et les inconvénients de la formule apparaissent déjà. Bref, Codes Rousseau a choisi de parier sur les auto et moto-écoles de proximité. D’où l’idée du Club Rousseau. » Le principe : fédérer les auto/moto-écoles autour d’une plateforme de mise en relation élève-formateur partout en France, proposer une gamme de services, y compris en ligne, en sorte que les établissements adhérents disposent des mêmes outils que les écoles dématérialisées. À cela s’ajoute une page internet de présentation de chaque établissement adhérent sur le portail du Club Rousseau. « Nous organisons aussi des conventions nationales. La première a eu lieu à Cholet pour la région ouest, la seconde à Marseille. La prochaine se déroulera à Reims, en juin prochain », expose Clémence Terrasse, directrice du marketing. L’éditeur y présente la palette des services qu’il déploie progressivement au béné-ce des membres, procède à un bilan de ses activités, encourage les échanges de bonnes pratiques et « œuvre

à la promotion du Club Rousseau. » Mis en ligne en septembre dernier, après qu’un nombre signi-catif d’écoles adhérentes eut été rassemblé, le menu du club s’est étoffé, dès le mois suivant, de « la garantie %nancière proposée aux élèves qui auraient payé une formation complète et dont l’école ne serait plus en mesure de la leur dispenser. Si la situation se présente, le candidat au permis est remboursé des heures payées mais non consommées », reprend Clémence Terrasse, qui indique par ailleurs que le Club Rousseau propose également, sur ses propres ressources, « une aide à la connaissance de la réglementation, laquelle se révèle très utile depuis la fermeture des services préfectoraux concernés », mais aussi « un conseil en matière de communication via un blog » Quelque 1 500 établissements de formation composent aujourd’hui le Club Rousseau. « Nous visons les 2 500 à terme, de manière à proposer un maillage ef%cace du territoire national aux élèves et aux écoles », ponctue Michel Goepp.

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à cette partie de l’examen hors circulation obligeait le candidat à repasser toute l’épreuve dite du “plateau”. En revanche, l’épreuve pratique en circulation sera allongée, grâce au temps gagné dans la première phase. Car non seulement il ne sera posé aucune question à l’élève à l’issue des épreuves de maniabilité, mais celles-ci seront ramenées à un seul parcours, réalisé d’une traite. »Sans commenter le contenu de la nouvelle formule en lui-même, Thibault Droinet relève que « cette nouvelle disposition risque de poser un sérieux problème logistique pour les moto-écoles en manque d’espace réservé à l’entraînement hors circulation. Car il sera hors de question de s’exercer, au début en tout cas, en enchaînant toutes les phases du nouveau parcours, en alternant des passages lents et rapides. Il va falloir segmenter les zones. Or pour cela, il faut de la place, à plus forte raison si vous dispensez l’enseignement en même temps à des élèves qui n’ont pas le même niveau. »

Entre galère et légers mieuxUn constat imparable, même si le vice-président de l’Unic reconnaît que cette nouvelle façon de mesurer les acquis d’un élève, le jour de l’examen hors circulation, « devrait rendre compte de son niveau de manière plus objective ; plus juste aussi, car il ne risquera plus de rater son “plateau” parce qu’il aura mal répondu à une question piochée au hasard dans un paquet de fiches. »Entre difficultés avérées et améliorations sensibles, l’enseignement à la conduite d’une moto (ou d’un 50 cm3, d’ailleurs) poursuit donc sa lente évolution. À ce stade de l’analyse, rien ne donne à craindre que la vague de l’auto-entreprenariat gagne le secteur du 2-RM. Mais le pur bon sens commande de s’en soucier, pour les raisons évoquées par les experts interrogés : si les organismes de formation aux épreuves théoriques et pratiques françaises venaient à disparaître dans certaines zones géographiques de l’Hexagone, nul ne voit très bien comment l’apprentissage de la conduite d’une moto s’en trouverait facilité.

Travailler sous enseigne ne résout pas tous les problèmes des

professionnels de la conduite.

La préparation à l’examen théorique du code de la route peut désormais être menée chez soi, à partir d’un ordinateur.

« La nouvelle

manière de mesurer

les acquis

d’un(e) élève sur

le “plateau”

devrait être plus

objective. »

#ibault Droinet,

Vice président de l’Unic

« La location

de la piste

d’entraînement est

la plus grosse charge

*nancière de notre

entreprise. »

Alain Martin,

Directeur administratif et

#nancier de Zébra

moto-école