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26 . L'OISEAU magazine n° 99 A TIRE D'AILE VERS LE CENTENAIRE DE LA LPO La protection rationnelle des oiseaux V Ce long texte est l'article fondamental sur la protection des oiseaux du début du XX e siècle écrit par Louis Ternier (1861-1943), vice-président de la LPO à sa création, puis Président de 1917 à 1923. Cet article a paru dans 9 bulletins entre le 6 juillet 1912 et le 7 août 1913. Sa longueur empêche de le faire paraître en entier, mais il permet de voir que la LPO s'inscrit dans le cadre de la loi européenne ratifiée par la France sur la Protection des Oiseaux Utile à l'Agriculture, puis se glisse dans les textes le terme "petits oiseaux", un tant soit peu péjoratif à l'heure actuelle. 26 . L'OISEAU magazine n° 99 oici certaines de ses approches. D'une manière étonnante, pour aujourd'hui, Louis Ternier déclare l'En- fant comme l'ennemi le plus acharné et le plus implacable, inconscient ajoute- t-il plus loin. Il dit aussi chasser les échas- siers sans remords en chassant en natu- raliste. La Plumasserie, utilisation des plumes d'oiseaux dans la mode, amène un avis sur les femmes "qui du monde en- tier oublient tout sentiment de goût et d'hu- manité quand il s'agit de mode". La mode et la politique se liguent contre nous. Les rapaces ont été détruits en si grand nombre pour que leur rôle soit devenu inopérant et insuffisant. Empêcher ab- solument de chasser les oiseaux est ir- réalisable, mais empêcher la chasse de certaines espèces est très possible. HENRI JENN (TRÉSORIER DE LA LPO) tection. Il est, certes regrettable de savoir que l'Oiseau de Paradis, originaire de l'Océanie, que l'Aigrette de l'Amérique sont en voie de disparition, que le Pigeon voya- geur des Etats-Unis a complètement dis- paru. Mais il serait encore plus regrettable que nous autres habitants de la France, de voir disparaître le Rouge-gorge et la Fau- vette qui nous touchent de beaucoup plus près." Charité bien ordonnée commence par soi-même. "Puisque nous faisons tant que de nous mettre en frais de charité envers les Oiseaux, commençons donc par les nôtres. J'avais émis cette opinion au Congrès ornithologique de Berlin, en l'étendant tou- tefois aux Oiseaux d'Europe. On m'a op- posé des considérations d'ordre très supé- rieur, mais qui ne m'ont pas convaincu. Aussi, ai-je tenu à signaler ici tout l'intérêt que présente, pour nous autres français, la créa- tion de la Ligue française pour la Protection Bulletin n° 6 juillet 1912 Notre sympathique président M. Magaud d'Aubusson, dans la charmante "présenta- tion" de la Ligue, parue dans le premier numéro de notre Bulletin, a défini très ra- tionnellement ce que doit être en France la protection des Oiseaux. Il a envisagé la ques- tion en naturaliste et en chasseur, en éco- nomiste éclairé. Cette introduction à l'oeuvre que représente la collection de nos Bulletins devra nous tenir lieu, en réalité, de table des matières. C'est le plan que nous aurons à consulter et dont nous devrons suivre les données dans leur esprit et dans leur ordre, et il appartiendra à chacun de nous de col- laborer dans la limite de nos connaissances respectives aux divers chapitres dont le pre- mier article de M. Magaud d'Aubusson, nous a indiqué pour ainsi dire les titres et l'objet. Il place, au premier rang des oiseaux à pro- téger, nos Oiseaux de France et, en première ligne, les petits insectivores au gosier mélo- dieux qu'on détruit avec tant d'acharne- ment dans certains de nos départements. C'est à la protection des Oiseaux qui nous touchent le plus près que la Ligue devra, en effet, consacrer ses premiers efforts. Depuis longtemps j'ai moi-même plaidé en faveur d'un mouvement de commisération envers les petits Oiseaux et, tout récemment encore, en parlant de formation de notre Ligue, j'ai écrit, dans le Figaro, un article que je terminais ainsi : "L'effort est fait, et puisque, dorénavant, les Oiseaux ont, en France, des défenseurs at- titrés, c'est tout d'abord aux Oiseaux de France que la Ligue devra assurer sa pro-

La protection rationnelle des oiseaux · 2012-04-03 · paru. Mais il serait encore plus regrettable que nous autres habitants de la France, de voir disparaître le Rouge-gorge et

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26 . L'OISEAU magazine n° 99

A TIRE D'AILE VERS LE CENTENAIRE DE LA LPO

La protection rationnelledes oiseaux

V

Ce long texte est l'article fondamental sur la protection des oiseaux du début duXXe siècle écrit par Louis Ternier (1861-1943), vice-président de la LPO à sa création,puis Président de 1917 à 1923. Cet article a paru dans 9 bulletins entre le 6 juillet 1912et le 7 août 1913. Sa longueur empêche de le faire paraître en entier, mais il permetde voir que la LPO s'inscrit dans le cadre de la loi européenne ratifiée par la Francesur la Protection des Oiseaux Utile à l'Agriculture, puis se glisse dans les textes leterme "petits oiseaux", un tant soit peu péjoratif à l'heure actuelle.

26 . L'OISEAU magazine n° 99

oici certaines de ses approches.D'une manière étonnante, pour

aujourd'hui, Louis Ternier déclare l'En-fant comme l'ennemi le plus acharné etle plus implacable, inconscient ajoute-t-il plus loin. Il dit aussi chasser les échas-siers sans remords en chassant en natu-raliste. La Plumasserie, utilisation desplumes d'oiseaux dans la mode, amèneun avis sur les femmes "qui du monde en-tier oublient tout sentiment de goût et d'hu-manité quand il s'agit de mode". La modeet la politique se liguent contre nous.Les rapaces ont été détruits en si grandnombre pour que leur rôle soit devenuinopérant et insuffisant. Empêcher ab-solument de chasser les oiseaux est ir-réalisable, mais empêcher la chasse decertaines espèces est très possible.

HENRI JENN (TRÉSORIER DE LA LPO)

tection. Il est, certes regrettable de savoirque l'Oiseau de Paradis, originaire del'Océanie, que l'Aigrette de l'Amérique sonten voie de disparition, que le Pigeon voya-geur des Etats-Unis a complètement dis-paru. Mais il serait encore plus regrettableque nous autres habitants de la France, devoir disparaître le Rouge-gorge et la Fau-vette qui nous touchent de beaucoup plusprès." Charité bien ordonnée commence parsoi-même. "Puisque nous faisons tant quede nous mettre en frais de charité envers lesOiseaux, commençons donc par les nôtres.J'avais émis cette opinion au Congrèsornithologique de Berlin, en l'étendant tou-tefois aux Oiseaux d'Europe. On m'a op-posé des considérations d'ordre très supé-rieur, mais qui ne m'ont pas convaincu. Aussi,ai-je tenu à signaler ici tout l'intérêt queprésente, pour nous autres français, la créa-tion de la Ligue française pour la Protection

Bulletin n° 6 juillet 1912Notre sympathique président M. Magaudd'Aubusson, dans la charmante "présenta-tion" de la Ligue, parue dans le premiernuméro de notre Bulletin, a défini très ra-tionnellement ce que doit être en France laprotection des Oiseaux. Il a envisagé la ques-tion en naturaliste et en chasseur, en éco-nomiste éclairé. Cette introduction à l'oeuvreque représente la collection de nos Bulletinsdevra nous tenir lieu, en réalité, de tabledes matières. C'est le plan que nous auronsà consulter et dont nous devrons suivre lesdonnées dans leur esprit et dans leur ordre,et il appartiendra à chacun de nous de col-laborer dans la limite de nos connaissancesrespectives aux divers chapitres dont le pre-mier article de M. Magaud d'Aubusson, nousa indiqué pour ainsi dire les titres et l'objet.Il place, au premier rang des oiseaux à pro-téger, nos Oiseaux de France et, en premièreligne, les petits insectivores au gosier mélo-dieux qu'on détruit avec tant d'acharne-ment dans certains de nos départements.C'est à la protection des Oiseaux qui noustouchent le plus près que la Ligue devra, eneffet, consacrer ses premiers efforts.Depuis longtemps j'ai moi-même plaidé enfaveur d'un mouvement de commisérationenvers les petits Oiseaux et, tout récemmentencore, en parlant de formation de notreLigue, j'ai écrit, dans le Figaro, un articleque je terminais ainsi :"L'effort est fait, et puisque, dorénavant, lesOiseaux ont, en France, des défenseurs at-titrés, c'est tout d'abord aux Oiseaux deFrance que la Ligue devra assurer sa pro-

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des Oiseaux, de l'Hirondelle de nos fenê-tres, le Rouge-gorge de nos jardins, la Fau-vette de nos bosquets et l'Alouette de noschamps ?"Je n'avais pas encore lu, à ce moment, laprésentation de la Ligue par M. Magaudd'Aubusson, mais je savais déjà que cetteassociation dirigerait ses efforts vers un butpratique sans se laisser entraîner dans la voiedes stériles utopies et des inutiles rêveries.Procédant suivant l'ordre adopté par notrePrésident, ceux qui ont déjà collaboré auBulletin se sont occupés de la question denidification. La protection rationnelle desOiseaux doit en effet commencer au ber-ceau de l'Oisillon et le suivre, lorsqu'il de-vient Oiseau fait, au cours de ses déplace-ments ou ses migrations.Et il est regrettable de constater qu'en Francela destruction de l'Oiseau commence dès lemoment de la reproduction et se continueplus tard sans relâche et sans répit.Chez nous, les Oiseaux n'ont pas à crain-dre seulement, pour leurs couvées, les bêtesde rapine, ils ont aussi à redouter les en-fants et les hommes.L'enfant est l'ennemi le plus acharné et leplus implacable des Oiseaux. Ennemi in-conscient, toutefois, la plupart du temps etdont le seul tort, quand il se livre a ses pen-chants naturels, est peut être de ne paséprouver "naturellement" ce qu'on ne lui apas appris à ressentir, car la sensibilité, in-née chez quelques hommes, n'est chezbeaucoup d'autres que la résultante del'éducation, de l'influence du milieu et, plustard, du raisonnement. L'enfant est pres-que toujours, comme l'homme sauvage, undestructeur d'Oiseaux, aussi est-ce à sesparents et à ses maîtres qu'incombe le de-voir d'enrayer ce penchant. On commenceà le comprendre maintenant et quelquesinstituteurs entreprennent la tâche d'incul-quer aux enfants le respect des Oiseaux. Lamajorité des instituteurs, malheureuse-ment, se préoccupent beaucoup plus de lespénétrer de la nécessité de faire de la poli-tique, avant la lettre. La fille d'un de mesfermiers a obtenu l'an dernier le prix de "devoirs civiques ". J'aurais préféré lui voirdécerner un prix de bonne ménagère.En Angleterre et en Allemagne, on comprendautrement les devoirs des maîtres enversleurs élèves. Des prix importants sont attri-bués dans les écoles anglaises aux enfantsqui se sont fait remarquer le plus par leursactes de bonté envers les petits Oiseaux.Au lieu d'une classe des droits de l'homme,le programme des écoles comporte uneclasse de protection des Oiseaux. Ledénichage des nids est formellement inter-dit ; les enfants rougiraient, du reste, decompromettre l'avenir d'une couvée par euxdécouverte. En Allemagne, loin de permet-tre aux enfants de dénicher les nids, on leur

apprend, au contraire, à préparer des nidsartificiels et des abris pour les petits Oiseauxau moment de la reproduction. Tous les ar-bres des squares, des jardins publics, de tousles jardins d'écoles et des jardins des parti-culiers sont, ainsi que j'ai pu le constaterlors d'un voyage à Berlin, garnis de nichoirsartificiels où les petits Oiseaux trouvent leconfortable et la sécurité. En France, parcontre, le dénichage, toléré par bien desmaîtres d'école, par la police elle-même, en-couragé par les parents, anéantit chaqueannée un nombre considérable de couvées.Riches ou pauvres, les enfants des châteauxaussi bien que ceux des chaumières, dansles vergers ou les parcs, dans les jardins desvilles, dans les champs, les bois et les forêtsse mettent ouvertement en campagne pen-dant la saison des nids et rapportent, triom-phants, des chapelets d'oeufs ou des mal-heureux Oisillons voués à une mort certaine.Ils ne songent ni à la douleur des parents,ni au travail et aux peines que représentela confection d'une de ces merveilles quesont les nids des Oiseaux. Ce sont chosesqu'ils ignorent parce qu'on ne leur en parlegénéralement jamais.Et, cependant, quoi de plus charmant qu'unnid d'Oiseau. Sa découverte éveille toujours,chez ceux qui pensent et ressentent, un sen-timent indéfinissable de curiosité mêlée d'at-tendrissement. Puis vient brutalement cedésir de possession qui se manifeste tou-jours chez l'homme lorsqu'il se trouve amenépar le hasard à pouvoir faire sienne l'unede ces productions de la nature considéréesbien à tord comme res nillus ; on est aussiheureux d'avoir mis la main sur un nid qued'avoir découvert un Champignon ou uneMorille. Le chasseur qui sommeille chez laplupart des individus se réveille, la chasseau nid est une chasse, c'est la conquête del'homme sur l'être vivant à l'état de liberté.C'est la trouvaille, la trouvaille stérile, hélasc'est aussi malheureusement l'anéantisse-ment d'un trésor. J'avoue ici humblementqu'étant très jeune, j'ai été un dénicheurpassionné, mais je dois dire à ma déchargeque j'ai toujours apprécié la valeur de mesdécouvertes et que je n'ai jamais détruit unecouvée pour le plaisir de détruire.J'ai vite compris que les nids des Oiseauxdoivent être respectés et qu'il est plus inté-ressant de suivre les progrès d'une nichéeque d'enfiler stupidement des oeufs sur unebaguette après les avoir, au préalable, souf-flés pour les débarrasser de leur contenu.Mais chaque nid trouvé était toujours pourmoi une conquête et, maintenant encore,mais pour d'autres raisons, quand je dé-couvre un nid, je reviens toujours commeinvolontairement surveiller la nichée avecla crainte sans cesse renouvelée de trouverle nid vide, car les bêtes de rapine, les chats,les enfants, les intempéries, la nature elle-

même, s'unissent pour consommer l'œuvrede destruction. J'ai eu quelquefois ainsi,après la découverte de bien des nids, devéritables désespoirs. Les Oiseaux dont lenid est découvert s'habituent vite à consi-dérer celui qui vient les observer comme unami, s'il ne dérange pas la couvée. Je croismême, par expérience, qu'ils sont tout dis-posés à envisager l'homme comme un pro-tecteur occasionnel. Le Rouge-gorge, le pluscharmant et le plus familier de nos petitscommensaux, m'a plusieurs fois fourni l'oc-casion de faire cette constatation. J'ai, dureste, à propos des nids d'Oiseaux une col-lection assez fournies d'anecdotes et je mepropose d'en raconter ici quelques-unes, ne

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de certaines espèces. C'est ce qui m'a amenéà demander, à la Commission de la chasse,l'interdiction absolue. L'abus engendre tou-jours la répression.Pour avoir trop voulu, les chasseurs de grèveperdront leur privilège, et il est très probableque dans un temps rapproché la chasse aubord de la mer sera interdite au printemps.Mais à l'époque dont je parle je chassaissans remords les échassiers remontant versle Nord. Je les chassais, du reste, surtout ennaturaliste et j'étais déjà l'ennemi des tue-ries inutiles. Je parcourais donc un jour lacharmante grève de Pennedepie, entreHonfleur et Trouville, où on trouve une véri-table digue naturelle de galets, large de 100mètres, et dont la chaussée pierreuse porteun riche tapis de plantes rampantes et vi-vaces poussant dans le sable et les cailloux.Les Alouettes, les Pipits, tous les petitsOiseaux qui fréquentent les prairies voisi-nes de la mer abondent en cet endroit privi-légié de la côte, vrai paradis de l'ornitholo-giste. Une Alouette jaillit tout à coup sousmes pas, traînant l'aile et voletant commeun Oiseau blessé. Je devinai qu'elle avaitun nid dans le voisinage. Un vieux morceaude cuir, formant voûte sur les cailloux, attiramon attention.C'était un long lambeau de collier de che-val dont la bourre avait disparue et quemaintenaient en place quelques galets. Jele soulevai délicatement et aperçus une cou-vée de cinq oeufs. L'Alouette, pour parvenirà sa nichée, était obligée d'enfiler le couloirformé par cette couverture improvisée quirendait le nid absolument invisible. Je re-mis le tout en place et revins tous les joursvisiter le trésor que j'avais découvert. La

mère, habituée à me voir, ne s'envolait pluset me regardait avec quiétude. Elle avaitreconnu en moi un ami. De mon côté jem'étais intéressé à la petite famille.J'ai toujours aimé à faire de la psychologieet je m'efforce de rechercher les preuves del'intelligence des animaux. Pour cela j'aiconstamment essayé de me mettre en com-munication directe avec eux. A ce propos j'aimême rapporté dans le bulletin de la Sociéténationale d'Acclimatation ma "conversation"avec une vrillette ! Je suis parvenu avec lesOiseaux, à échanger, non pas seulement desidées, mais des impressions. Mon Alouetteétait devenue une amie, et, seul, en cettesolitude, où souvent, pendant toute une jour-née, je ne rencontrais pas un seul être hu-main, j'aimais à savoir que dans un petitcoin sauvage j'étais certain de rencontrer unfrêle Oiseau pour lequel je n'étais pas uninconnu et qui m'accueillait avec confiance.Je vis éclore les petits. Je les pris souvent, lamère savait que je les remettrais toujoursdélicatement sous le vieux collier.Ils allaient bientôt quitter le nid, quand, unjour, j'aperçus de loin une corneille auprèsdu lieu où étaient mes oisillons. Elle s'en-vola en croassant et je ne trouvai auprès dumorceau de cuir renversé que de tristes dé-bris, des pattes, du sang et des plumes. Lecoeur gonflé, j'ai emporté, comme souvenir,le nid vide et je me suis enfui en me cachant.Je n'aurais pas voulu pour tout au mondeque mon Alouette eût pu me croire coupabledu forfait qui venait de s'accomplir.J'ai voué depuis ce temps une haine impla-cable aux Corneilles. La Corneille noire dé-truit un nombre incalculable de couvées, laprotection rationnelle des Oiseaux exige

serait-ce que pour tâcher d'inspirer aux in-différents un peu de sympathie pour lescharmants êtres qui ne demandent qu'à serallier à l'homme et à devenir ses amis.(A suivre)

Bulletin N° 7 août 1912J'ai raconté il y a quelques années, dansune revue sportive, diverses anecdotes rela-tives à la protection des Oiseaux. J'en ex-trais la suivante. Il y a déjà bien longtemps,je chassais, un jour du mois de mai, au bordde la mer. Singulière manière de protégerles Oiseaux, dira-t-on, de chasser en mai,surtout de la part d'un de ceux qui s'élèventle plus en ce moment contre les chasses deprintemps !Je dois ici faire une digression, le lecteur mele pardonnera, elle a son intérêt pour lacause que nous soutenons. On sait que lachasse au bord de la mer est ouverte toutel'année en France. Autrefois, cette tolérancen'aurait eu que peu d'inconvénients si onn'avait, alors fait usage des filets pour cap-turer les Oiseaux de passage. Le fusil nedétruisait pas d'une façon appréciable, il yavait peu de chasseurs de grève, car les dé-placements n'étaient pas faciles comme ilsle sont maintenant. J'ai connu le temps oùen baie de Seine, par exemple, quelqueschasseurs habitant la localité se livraientseuls, de temps en temps, sur une plage oùmaintenant fourmillent les chasseurs venusde Paris et d'ailleurs, à la chasse desOiseaux qui repassent en mai.La chasse au fusil à cette époque, prati-quée avec modération, pouvait donc paraî-tre excusable avec d'autant plus de raisonque beaucoup des Oiseaux de rivage n'ap-paraissaient sur certaines de nos côtesqu'au moment de leur passage de remonte.Mais, le progrès aidant, la chasse à la re-passe est devenue par trop destructive ; ellecompromet gravement et menace l'avenir

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impérieusement qu'on lui fasse la guerre,mais qu'on ne la confonde pas avec le Freux,qui, lui doit être protégé. (A suivre)

Bulletin N° 8 Septembre 1912On l'a vu, dans le dernier numéro du Bul-letin, ce n'est pas grand-chose qu'un nidd'Oiseau, mais il en est qui m'ont laissédes souvenirs que je me plais à évoquerparce qu'ils me rappellent toujours quel-ques instants de sainte émotion et de cu-rieuse observation.. J'aime, quand j'écris,à m'élever un peu au-dessus des mesqui-nes considération du terre à terre, c'est peutêtre cette raison qui m'a fait choisir commecabinet de travail le point le plus élevé demon habitation. De là j'ai une vue magni-fique sur la baie de Seine, et mon regardembrasse une vaste étendue de terrain oùévoluent des myriades d'Oiseaux. Au-des-sus de mes croisées, les Hirondelles et lesMartinets ont élu domicile, encore plushaut, pour accrocher leurs nids ou cachersous la soupente du toit le berceau de leurfamille. Plus bas je puis surveiller les alléeset venues des autres Oiseaux, amis de jar-dins, des vergers, qui vont porter la bec-quée à leurs petits. Il y a quelques années,une famille de Pinsons avait construit sonnid dans l'enfourchure d'un poirier justeen dessous de ma fenêtre, et, de mon fau-teuil, je pouvais très distinctement voir cequi se passait dans le nid artistiquementcollé et dissimulé contre le tronc du vieilarbre fruitier. Dans la gracieuse coupe,garnie de mousse, de crin et de duvet, lafemelle couva cinq oeufs blanchâtres ta-chetés de rouge et de brun. Elle ne s'ab-sentait que quelques instants, le mâle lavisitait souvent. Souvent aussi, malheureu-sement, sur un arbre voisin, il "chanta lapluie", ainsi que nous le disons en Norman-die pour définir ce sifflement plaintif quefait entendre le Pinson à l'approche d'une

ondée ou d'un coup de vent. Quand lespetits furent éclos, le mâle et la femelle serelayèrent pour les nourrir. Je les aidais gé-néreusement. Sous le poirier, je jetais dugrain et du pain et il était rare que mesPinsons allassent chercher ailleurs ce quileur était nécessaire pour eux-mêmes. Ilsfaisaient, cependant, des incursions danle jardin pour ramasser quelques Insectesdestinés à leurs petits. De ma fenêtre, jeles voyais se poser sur une branche voisine,et, au bout d'un instant d'observation, ilsgagnaient le bord du nid, où cinq becs af-famés s'ouvraient démesurément pour re-cevoir, à tour de rôle la becquée. Avec mesjumelles de théâtre, le nid étant fort prèsde ma fenêtre et en contre bas, je suivistoutes les phases de cet élevage, qui m'in-téressait d'autant plus que j'avais pris soinde pourvoir à sa sécurité et d'essayer unmode de protection inédit contre les incur-sions des Chats qui infestaient alors monjardin, attirés, je le confesse, par les grâcesde ma Chatte, dénicheuse d'Oiseaux in-corrigible. Pour empêcher les Chats demonter sur le poirier, j'avais imaginé degarnir le tronc d'un cercle de filet main-tenu par une carcasse de petits bâtons.Cet entablement de filet arrêtait les ma-raudeurs qui grimpaient bien jusqu'à lui,mais se trouvaient empêchés par les maillesdu filet de terminer leur ascension. Je re-commande ce dispositif peu coûteux. EnAllemagne, on entoure le tronc des arbresoù sont les nichoirs de brindilles en formede balai. Je crois que le filet arrête pluscertainement les animaux qui grimpentaux arbres pour dénicher les nids. En toutcas, le nid de mes Pinsons fut respecté et,depuis, j'ai employé avec succès mon ap-pareil de protection. Mes pauvres Pinsonsne furent cependant pas heureux. Letemps fut abominable. De fréquents ora-ges accompagnés de coups de vent com-promirent gravement la couvée. Cepen-dant, la ténacité des Oiseaux surmontatous les obstacles. Il me souvient qu'un jourune pluie diluvienne se mit à tomber. Lafemelle Pinson regagna précipitammentson nid. Je m'intéressai à l'observer avecmes jumelles. Les petits étaient déjà forts.Elle étendit les ailes et, stoïquement, sup-porta l'averse, aplatie sur ses Oisillons. Jevis distinctement les grosses gouttes depluie perler comme des diamants sur leplumage olivâtre du dos de l'Oiseau, quitressaillait à chacune de leurs atteintes.Les petits ne souffrirent point et, l'aversepassée, le mâle vint gaiement entonner surune branche voisine sa gaie chanson.Les Oiseaux n'ont point de rancune enversl'ingrate nature. (J'ai entendu le Rouge-gorge gazouiller, mourant de faim, devantun tapis de neige). Mais, un jour, un ma-tin, je regardais le nid, les Oisillons

piaillaient, lamentablement. Leur mère neparaissait pas. Jusqu'à midi, ils semblè-rent abandonnés. Le mâle cependant étaittoujours là, mais son attitude était biencaractéristique. Il ne chantait plus. Il jetaitconstamment aux échos son appel impé-ratif dont les deux notes brèves portent siloin. Un malheur était arrivé. La femelle nereparut plus. Lorsqu'il vit que sa compa-gne ne répondait pas à ses appels, le mâlebrusquement, se décida. Il tomba commeune masse dans une allée du jardin et,avec une précipitation inimaginable, il pi-cora tout ce qu'il pouvait rencontrer sur lesol, puis remonta porter aux petits la nour-riture dont ils avaient tant besoin. Seul,jusqu'au moment où les petits furent éle-vés, le Pinson s'occupa de pourvoir à leursubsistance. Plus de chansons, plus de pro-menades. Ce fut un va-et-vient perpétuelentre le nid et l'endroit où je jetais le painet le grain. Mon Pinson, toutefois, semblaitsupporter avec impatience son rôle de pèrenourricier. Aussi, dès que les petits furentassez forts pour sortir du nid les engagea-t-il très catégoriquement à aller cherchereux-mêmes fortune ailleurs. Un d'entre euxne put suivre les autres. Il était resté aunid et malgré toutes les avances du Pin-son, qui le poussait presque dehors, il per-sistait d'y rester. De guerre lasse, son pèrel'abandonna. Pressé par la faim, le pau-vre Oisillon se décida enfin, sauta hors dunid et tomba sur le sol où il resta commehébété. Je l'y trouvai et le recueillis. Il avaitencore la tête garnie de ces petites plumesfolles, véritable duvet, ces aigrettes qui cou-vrent la tête des jeunes Oiseaux. Je l'ai élevéet apprivoisé. Longtemps il vint, lorsque jele sortais de la cage, où il n'était toutefoispas prisonnier, jouer de longues heures surmon bureau. Il s'amusait avec mes plu-mes, avec ma ficelle et des bouts de pa-pier. Mais, s'il venait toujours prendre les

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miettes de pain que je lui donnais dansma main et s'il se laissait reprendre quandje voulais le rentrer, jamais il ne consentit àvenir de lui-même se poser sur mon doigt,comme le faisait un Moineau dont je ra-conterai l'histoire et qui était bien l'Oiseaule plus familier que j'aie jamais vu. Le Pin-son est, j'en suis convaincu, beaucoup plusréfractaire à la domestication complète quele Moineau. Le Moineau ne fait-il pas, dureste, son nid sous nos toits ? Le Pinson,lui, se contente des arbres de nos jardins.Il y a là une indication. Il aime l'homme àdistance. Il accepte ce qu'on lui donne. LeMoineau vient prendre ce qui lui plaît. Il ala familiarité des importuns, c'est un pi-que-assiette invétéré. Le Pison au contraire,n'est toujours dans nos demeures qu'uninvité... involontaire.

Bulletin N° 10 Novembre 1912"Les Moineaux de Paris, a écrit George Sanddans sa charmante nouvelle publiée sousle titre : "Voyage d'un Moineau de Paris" etformant l'un des chapitres de la Vie privéeet publique des animaux, passent depuislongtemps pour les plus hardis et les pluseffrontés des Oiseaux qui existent ; ils sontFrançais, voilà leurs défauts et leurs quali-tés en un mot ; ils sont enviés, voilà l'expli-cation de bien des calomnies. Ils vivent, eneffet, sans avoir à craindre les coups defusil, ils sont indépendants, ne manquentde rien, et sont sans doute les plus heu-reux entre tous les volatiles. Peut être nefaut-il pas trop de bonheur à un Oiseau."J'entends ici protester les Moineaux de pro-vince qui sont assurément encore plus ef-frontés que les Moineaux de Paris. Il ont,

eux, à craindre les coups de fusil et, cepen-dant ne s'en soucient guère. C'est bien l'ef-fronterie qui caractérise le Moineau. Il n'estpas notre ami, il est notre parasite. LeRouge gorge, au contraire, aime l'homme,auquel il ne demande rien que de l'affec-tion en retour des services qu'il rend. LeMoineau est un égoïste qui s'aime lui-même et nous demande tout sans rien nousdonner. Cependant le Moineau est un desOiseaux qui se plient le plus facilement, jene dis pas le plus volontiers, à la domesti-cation. J'ai eu plusieurs Moineaux qui sontdevenus très apprivoisés. L'un d'eux sur-tout a été longtemps mon compagnon detravail. Ma mère l'avait trouvé un jour qu'ilétait tombé du nid et l'avait élevé. Il étaitdevenu d'une familiarité excessive. Un jour,il resta, tard dans le jardin. Bien qu'il volâtassez mal, je ne pus le reprendre parcequ'il avait été se cacher dans un épaismassif et je l'y laissai, espérant qu'il re-viendrait. Le soir, j'entendis mon chien dechasse, un vieil épagneul très intelligent,geindre à la porte du vestibule. Je lui ouvriset il déposa devant moi mon Moineau qu'ilavait été cherché à l'endroit où il avait vuque j'essayais de le reprendre et qu'il avaitrapporté sans même froisser une seule deses plumes. Depuis ce temps, le moineaune sorti plus guère de mon cabinet de tra-vail que quand ma sœur, très fière de lafamiliarité de cet Oiseau, venait l'appelerpour le présenter, posé sur son doigt, auxamies qui venaient lui rendre visite. Lors-que j'écrivais, mon Moineau, comme le fai-sait souvent le Pinson dont j'ai parlé, jouaitsur mon bureau, mais le plus souvent, il seposait sur mon épaule et y faisait la sieste,

puis quand j'allumais ma pipe, une lon-gue pipe en terre anglaise, il venait s'ins-taller sur le tuyau de cette pipe dont j'ap-puyais le fourneau sur mon bureau et il s'ychauffait les doigts avec une évidente sa-tisfaction. J'ai ainsi écrit bien des chapi-tres d'un de mes ouvrages avec mon Moi-neau posté sur mon épaule ou sur le tuyaude ma pipe. Il vécu longtemps heureux...puis un beau jour il se heurta à une glace,se blessa à la tête et devint en proie à descrises épileptiques au cours de l'une des-quelles il mourut. J'ai beaucoup regrettécet Oiseau qui m'aimait peut être un peu.Aussi, sans classer les Moineaux parmi lesOiseaux utiles qu'on ne doit jamais dé-truire pour aucune raison, je les tiens ce-pendant pour des commensaux de nos jar-dins qui méritent une certaine protection.Comme tous les Oiseaux, ils animent lanature et sont amusants à observer. Ondoit surtout les respecter au moment oùles hannetons paraissent. Le Moineau dé-truit un grand nombre de ces coléoptères.Puis, au moment où il élève ses petits, illeur donne beaucoup d'Insectes. Et si, pourdes raisons majeures, les Moineaux fontvéritablement trop de dégâts dans les jar-dins, on ne dit pas oublier que jamais il nefaut tuer un Oiseau quand il est possiblequ'il ait des petits à nourrir. Les membresde notre Société doivent surtout, autourd'eux, comme premier principe la protec-tion des Oiseaux, inculquer aux enfantscette idée que le dénichage des nidsd'Oiseaux est une mauvaise action. Pourarriver à ce résultat, on peut autoriser lesenfants à la recherche de nids, mais dansle but de chercher à les intéresser auxOiseaux et à la réussite des couvées. Il faut,en un mot, leur faire connaître l'Oiseau,parce que connaître l'Oiseau c'est l'aimer.Le nid le plus facile à observer c'est peutêtre le nid du Rouge-gorge. Malheureuse-ment ce charmant Oiseau le place dansdes conditions déplorables, près de la terre,à la portée des chats et des enfants.Je l'ai dit, ces derniers sont en France en-nemis des Oiseaux, mais ennemis incons-cients, et il ne leur manque souvent, pourdevenir des protecteurs de leurs petits per-sécutés, que d'être éclairés par leurs pa-rents sur ce que sont véritablement lesOiseaux. Un enfant auquel on confie pourainsi dire la garde d'un nid devient immé-diatement l'adversaire des Chats et desenfants dénicheurs, et pour peu qu'il soitun peu observateur, il s'intéresse à ce quise passe dans le nid et à ce que font lesparents. Insensiblement il devient un tan-tinet ornithologiste, et un ornithologiste esttoujours l'ami des Oiseaux.

A suivre...