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AFC Afrique 2 ème JEACC La préparation à la mise en œuvre de l’approche par composants du Sys- cohada 2017 dans deux entreprises de Côte d’Ivoire Projet de communication à la JEACC Dakar 2017 Yann David KOUAMÉ* Doctorant en Sciences de gestion [email protected] Pr. Abdoulaye OUATTARA* Maître de conférences, Directeur de thèse *Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, UFR SEG, Côte d‘Ivoire Cette version juil. 2017

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AFC Afrique – 2ème JEACC

La préparation à la mise en œuvre de

l’approche par composants du Sys-

cohada 2017 dans deux entreprises de

Côte d’Ivoire

Projet de communication à la JEACC Dakar 2017

Yann David KOUAMÉ*

Doctorant en Sciences de gestion

[email protected]

Pr. Abdoulaye OUATTARA*

Maître de conférences, Directeur de thèse

*Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, UFR SEG, Côte d‘Ivoire

Cette version

juil. 2017

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La préparation à la mise en œuvre de

l’approche par composants du Sys-

cohada 2017 dans deux entreprises de

Côte d’Ivoire

Résumé

Notre étude a pour but de comprendre et expliquer le comportement de deux producteurs de

comptes dans le cadre de la première application de l’approche par composants (APC) du

Syscohada 2017. Elle adopte une démarche compréhensive (Dumez, 2016). Deux entreprises

de Côte d’Ivoire ont été retenues pour notre étude, une entreprise industrielle et une entreprise

de transport. Les données collectées à partir d’entretiens semi-directifs avec les chefs comp-

tables, sont analysées par codage manuel. Les résultats montrent que, en générale, les entre-

prises n’ont pas une bonne connaissance de la nouvelle règle. La modalité « ne rien faire »

semble être celle qui sera privilégiée. La première application de l’APC, qui prescrit une mise

en œuvre prospective des durées d’utilité et qui n’a pas d’impact sur les capitaux propres,

n’incite pas à mettre en œuvre la modalité « réallouer les valeurs nettes comptables ».

Mots-clés : Syscohada 2017 ; Approche par composants ; Avantage-coût ; Ohada.

Introduction

En 2013, les états-membres de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des

affaires (Ohada) débutent un processus de révision du droit comptable et de son annexe, le

système comptable de l’Ohada (Syscohada) avec le concours financier de la Banque Mondiale

(Migan et Mabudu, 2016, p. 290). Cette révision fait suite à celle du Système comptable des

pays de l’Uémoa, le Syscoa 2013 (Kouamé et Assandé, 2017). Le processus de révision du

Syscohada aboutit en janvier 2017, à l’adoption de l’acte uniforme sur le droit comptable et

l’information financière (AUDCIF), qui fait de nombreux emprunts aux normes internatio-

nales d’informations financières (IFRS), édictée par le Financial Accounting Standards Board

(FASB). Les nouvelles dispositions de l’AUDCIF doivent être mises en œuvre à partir de

janvier 2018.

L’AUDCIF introduit en son article 38-1, l’approche par composants (APC) pour

l’amortissement de certaines immobilisations corporelles. Cette nouvelle disposition importée

des IFRS, notamment, la norme IAS 16 immobilisation corporelle, a un impact significatif

dans les entreprises industrielles et de transport du fait de l’importance des immobilisations

corporelles dans le bilan de ces entreprises. Par ailleurs, la norme IFRS 1 Première adoption

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des normes internationales d'information financière, tout comme le cadre conceptuel du Sys-

cohada, exigent que les normes comptables « puissent être mises en place à un coût qui ne

dépasse pas les avantages qu'en retireront les utilisateurs. » (IFRS 1 §1). En d’autres termes,

« les informations contenues dans les états financiers doivent procurer un intérêt supérieur

au coût de leur production. » (Cadre conceptuel Syscohada, Ohada, 2017, p. 89).

En nous appuyant sur des entretiens menés avec les responsables des services de comptabilité

des deux entreprises, une grande entreprise industrielle cotée à la bourse régionale des valeurs

mobilières (BRVM) d’Abidjan et une entreprise de transport, nous tentons de répondre aux

questions suivantes : Comment les entreprises se préparent-elle à mettre en œuvre

l’approche par composants pour l’amortissement des immobilisations corporelles ?

Dans quelle mesure cette préparation prend-t-elle en compte la contrainte d’équilibre

avantages-coûts ?

Notre étude a pour but de décrire les actions mises en œuvre par ces entreprises, dans le cadre

de la première application du Syscohada 2017 sur l’APC dans l’amortissement des immobili-

sations corporelles. Aussi, elle tente d’expliquer le comportement des entreprises étudiées

dans la mise en œuvre de la première application de cette pratique. Nous adoptons pour cette

étude, une démarche qualitative basée sur des entretiens.

Cette étude revêt un intérêt pour le normalisateur comptable de l’Ohada dans la mesure où

elle met en lumière le comportement de producteurs de comptes, lors de changements de mé-

thodes ou de réglementation comptable. Aussi, elle permet de faire une évaluation ex-ante du

respect de la contrainte d’équilibre avantage-coût dans la mise en œuvre du Syscohada 2017.

Notre article est organisé comme il suit. Dans une première section, nous présentons l’APC en

matière d’amortissement. La seconde section décrit la méthodologie de recherche. La troi-

sième section présente les résultats de l’étude que nous discutons. Enfin, nous concluons.

1. L’approche par composants dans le Syscohada 2017 et les

modalités de première application

Le Syscohada 2017 introduit l’APC, un transfert de pratique IFRS (1.1). Deux modalités de

première mise en œuvre de cette pratique comptable sont préconisées par le cadre conceptuel

du Syscohada 2017 (1.2).

1.1. L’approche par composants : un emprunt aux IFRS

Dans les IFRS, l’APC est instaurée par la norme IAS 16 immobilisations corporelles. Cette

norme prescrit qu’« une entité comptabilise dans la valeur comptable d'une immobilisation

corporelle le coût d'un remplacement partiel au moment où ce coût est encouru, si les critères

de comptabilisation sont satisfaits. La valeur comptable des pièces remplacées est décompta-

bilisée selon les dispositions de décomptabilisation énoncées dans la présente norme » (IAS

16 § 13). Aussi, le paragraphe 43 IAS 16 ajoute que « chaque partie d'une immobilisation

corporelle ayant un coût significatif par rapport au coût total de l'élément doit être amortie

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séparément». Dans ces conditions, l’« entité ventile le montant initialement comptabilisé pour

une immobilisation corporelle en ses parties significatives et amortit séparément chacune de

ces parties » (IAS 16 § 44).

La norme fait de la décomposition des immobilisations une règle importante. En effet, même

«les parties d'un élément dont le coût n'est pas significatif » peuvent faire l’objet d’un amor-

tissement séparé (IAS 16 § 47).

Sur le modèle de IAS 16 et dans le respect des principes de prudence et de coût historique

retenus par l’Ohada, le Syscohada 2017 transfert cette pratique IFRS dans ces normes, à tra-

vers l’article 38-1. Il est ainsi libellé :

« L’entité ventile le montant d’une immobilisation corporelle en ses parties

significatives dès lors que :

les éléments d’actifs sont dissociables ;

les éléments d’actifs ont une utilisation différente ;

la durée d’utilité de chaque élément est différente ;

le coût de chaque élément peut être évalué de façon fiable et qu’il

est significatif par rapport au coût total de l’immobilisation.

Chaque élément de l’immobilisation visée à l’alinéa précédent doit être

comptabilisé dès son acquisition ou son remplacement.

La décomposition des immobilisations n’est autorisée que pour les bâtiments

et autres ouvrages, les avions, les bateaux, les camions, les autocars, les

bus, les véhicules blindés de transport de fonds, certains matériels et outil-

lages des entités industrielles, minières, agricoles, hospitalières et pétro-

lières, dès lors que l’entité dispose de statistiques et autres informations lui

permettant de bien appréhender la durée d’utilité de chaque élément. »

Dans le Syscohada 2017, la décomposition n’est autorisée que pour certaines immobilisations

corporelles. Le cadre conceptuel du Syscohada indique, à titre indicatif, que certaines immo-

bilisations ne peuvent pas faire l’objet de décomposition, du fait de la faible valeur de leurs

composants ou de leurs durées d’utilisation courtes. Il s’agit des matériels informatiques, des

véhicules de tourisme, des matériels et mobiliers (cadre conceptuel du Syscohada, p. 592).

À l’analyse, contrairement à IAS 16, la décomposition n’est possible dans le Syscohada 2017

que si les composants ont une valeur significative, en sus des autres critères. Les éléments

dont le remplacement intervient avant la période des douze mois doivent être décomptabilisés

de la valeur comptable de l’immobilisation et comptabilisés en charge (cadre conceptuel du

Syscohada, p. 592). L’annexe 1 présente une synthèse des principales différences de l’APC

dans IAS 16 et le Syscohada 2017. Deux modalités de premières applications sont prévues par

le Syscohada 2017 contrairement aux IFRS qui prévoient trois.

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1.2. Les modalités de passage à la nouvelle règle

Pour la mise en œuvre de la première application de l’APC pour l’amortissement des immobi-

lisations corporelles, les IFRS prévoient trois méthodes : reconstituer le coût historique amor-

ti, réallouer les valeurs nettes comptables (VNC) et évaluer à la juste valeur (Schevin, 2005,

p. 37).

Le Syscohada 2017 a retenu les principes de prudence et de comptabilisation au coût histo-

rique. Le principe de comptabilisation en juste valeur n’a pas été retenu dans le Syscohada

2017 contrairement au Syscoa de 2013 (Kouamé et Assandé, 2017, p. 31).

Le Syscohada 2017, contrairement à IFRS 1 n’a pas fait le choix de l’impact du changement

de méthode comptable sur les capitaux propres lors de la première application des nouvelles

règles. Le Syscohada 2017 admet, dans le cas de la première application de l’APC, deux mé-

thodes : soit le maintien en l’état des immobilisations, « ne rien faire », soit la méthode de

réallocation de la valeur nette comptable, « réallouer les VNC ». Cette dernière méthode est

une mise en œuvre du principe d’application rétrospective lors de la première application d’un

changement de méthode comptable. Les immobilisations existantes sont décomposées comme

si la règle avait toujours existé. Le cadre conceptuel du Syscohada 2017 (p. 966) prescrit, tou-

tefois, une application prospective de l’application des durées probables d’utilisation.

Dans le choix du maintien en l’état des immobilisations, « ne rien faire », l’entreprise ne met-

tra en œuvre l’APC que pour le remplacement des composants. Le choix de cette modalité

n’entraîne pas, en principe, des coûts supplémentaires ou de préparation particulière à la mise

en œuvre de l’APC.

La modalité « réallouer les VNC », a été retenue comme seconde modalité parce qu’elle « est

la solution la plus simple à mettre en œuvre par les entités » (parmi les autres méthodes auto-

risées par IAS 161). En effet, « les immobilisations totalement amorties ne sont jamais retrai-

tées dans cette méthode » (Cadre conceptuel du Syscohada 2017, p. 970).

Dans son principe, la méthode consiste à ne pas modifier la VNC globale mais à la repartir

entre les différents composants et la structure ; elle n’a pas d’impact sur les capitaux propres.

Par ailleurs, l’application prospective des durées d’utilité des composants limite la gestion des

résultats lors de la première application de cette règle. La répartition des VNC peut être faite à

partir des éléments d’information de la facture initiale, des informations obtenues auprès des

fournisseurs ou de spécialistes, ou de la valeur des biens sur le marché des biens d’occasion :

c’est la détermination des VNC théoriques. Dans un second temps, les clés de répartition des

VNC sont appliquées aux immobilisations brutes et aux amortissements pour leur répartition.

1 Le texte entre parenthèse est ajouté par l’auteur. Le cadre conceptuel (p. 970) ne dit pas à quoi il compare cette

modalité de mise en œuvre. La modalité « ne rien faire » n’est pas prévue par IAS 16, l’auteur pense que la com-

paraison se fait avec les autres modalités prévues par les IFRS.

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Les composants sont amorties sur les durées comptables initialement définies jusqu’à leur

remplacement.

De ces deux modalités, seule la méthode de réallocation des VNC nécessitent de prendre des

dispositions pour la mise en œuvre de l’APC. Ci-après, un tableau comparatif des modalités

de première application de l’APC.

Tableau 1: Comparaison des modalités de première application (inspiré de Schevin (2005) pour IAS 16)

Modalité IAS 16 Syscohada

Évaluer à la juste valeur Autorisé Non autorisé

Reconstituer le coût historique amorti Autorisé Non autorisé

Réallouer les VNC Autorisé Autorisé

Ne rien faire Non autorisé Autorisé

À travers la méthodologie décrite ci-dessous, nous tentons de décrire les dispositions prises

par les entreprises pour la première application de l’APC dans le cadre du Syscohada 2017 et,

de comprendre dans quelle mesure, celles-ci, prennent en compte la contrainte d’équilibre

avantage-coût.

2. La méthodologie de recherche : une démarche qualitative

Cette section présente les entreprises de l’échantillon et le mode de collecte des données (2.1).

La méthode d’analyse des données est ensuite exposée (2.2).

2.1. Échantillonnage et collecte de données

Notre recherche vise, dans un premier temps, à décrire les comportements de deux produc-

teurs de comptes dans le cadre de la préparation à la première mise en œuvre de l’APC. Dans

un second temps, elle cherche à comprendre et expliquer la stratégie des acteurs par rapport à

la contrainte d’équilibre avantage-coût.

Les données sont collectées via des entretiens semi-directifs. Un guide d’entretien (voir an-

nexe 2) a servi de cadre pour la collecte des données. Les discussions ont abordé des thèmes

qui n’étaient pas couvert par le guide d’entretien. Les entretiens se sont déroulés en face à

face avec les responsables de département « comptabilité » de ses entreprises.

Les entreprises sont choisies pour tenter de mettre en évidence des différences et des simili-

tudes dans leurs comportements face à la nouvelle règle. Le premier critère de sélection est le

secteur d’activité, entreprise industrielle ou de transport. Ce critère nous permet de choisir des

entreprises qui ont une proportion importante d’immobilisations corporelles dans leur bilan.

Le second, est un critère de taille et de mode de gouvernance ; une grande entreprise cotée et

une autre relativement plus petite à actionnariat concentré. En effet, la théorie positive de la

comptabilité (Watts et Zimmerman, 1986), développé dans un environnement nord-américain,

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montre l’influence de caractéristiques de l’entreprise sur le comportement des acteurs en ma-

tière de choix comptables. Le dernier critère est l’accessibilité du terrain. Vu les contraintes

de temps2, nous avons retenu les entreprises qui étaient les plus différentes parmi celles que

nous devions visiter.

Deux entreprises ont été retenues, une entreprise industrielle et une entreprise de transport.

L’entreprise industrielle cotée a fait un chiffre d’affaires, en 2016, supérieurs à 150 milliards

de FCFA. Elle a diverses immobilisations corporelles constituées de bâtiments (usines),

d’équipements industriels (chaînes de production, machines-outils), etc. L’entreprise de trans-

port, quant à elle, est détenue à 100% par une holding. Elle a fait, en 2016, un chiffre

d’affaires de plus de 20 milliards de FCFA. Ces immobilisations sont principalement consti-

tuées de matériel de transport (camions) et de bâtiment (garage).

Acteurs3 Expérience professionnelle Type d’entreprise Durée

E1 20 ans Entreprise industrielle cotée 25 min

E2 9 ans Entreprise de transport 21 min

Nous avons garanti l’anonymat des informations collectées aux interviewers.

2.2. Analyse des données

Les entretiens enregistrés sont écoutés plusieurs fois, 3 à 4 fois, sans prise de note (attention

flottante) afin de se familiariser avec le vocabulaire de l’interviewer et dégager des thèmes

généraux. Ils sont ensuite retranscrits sur support informatique (document Word). La retrans-

cription des deux entretiens d’une vingtaine de minute, s’est faite en 6 jours de 10h de travail

environ. Afin de garantir l’anonymat des données collectées, le nom de l’entreprise a été rem-

placé lors de la retranscription par « l’entreprise », le nom du groupe par « le groupe » et le

nom des individus par leur fonction. La retranscription des interviews a donné un document

de 9 pages4.

La méthode d’analyse a été, dans un premier temps emprunté à la méthodologie de théorisa-

tion ancrée. Tous les textes sont découpés en unité de sens. À chacune des unités de sens est

attribuée une phrase qui la décrit en restant très proche du vocabulaire de l’interviewer (Gioia,

Corley, et Hamilton, 2012). La question qui a guidé le premier codage est : « qu’est-ce

l’interviewer veut dire ? ». Une unité de sens pouvait appartenir à plusieurs codes (codage

multinominal).

Un second codage est effectué à partir des termes de l’enquêteur dans un objectif de retrans-

cription des termes de l’enquêté par les termes de l’enquêteur (Gioia, Corley, et Hamilton,

2 Les délais de réponses à nos demandes d’entretiens sont en moyenne de trois semaines, l’analyse des entretiens

nous a pris énormément de temps. 3 Dans la suite de notre papier, les codes E1 et E2 désignent indifféremment les chefs comptables interrogés et

leurs entreprises respectives. 4 Police times new roman, taille 11, interligne 1,08.

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2012). La question qui a guidé le codage dans cette seconde phase est : « à quoi correspond ce

comportement ou cette intention ? » Ce dernier codage sert de base à la présentation des résul-

tats et de la discussion. Le codage théorique n’a pas été retenu pour réduire le risque de circu-

larité (Dumez, 2016, p. 73).

Il faut noter que cette méthodologie est consommatrice de temps. La durée moyenne de la

transcription des entretiens au découpage en unité de sens est de 3 jours (10 heures par jour

environ) pour un entretien de 20 minutes environ. L’expérience du chercheur impacte forte-

ment la vitesse de ce type de traitement des données qualitatives.

L’analyse des entretiens donne les résultats que nous présentons et discutons dans la section

suivante.

3. Les résultats de la recherche et la discussion

Dans cette section nous présentons les résultats des entretiens5 (3.1) que nous discutons (3.2).

3.1. Le résultat de l’analyse des entretiens

Des actions mises en œuvre dans le cadre de l’application du Syscoa 2013

Parmi les deux entreprises, seule E1 a mené des actions dans le cadre de la mise en œuvre du

Syscoa 2013. Cette entreprise astreinte à la publication d’états financiers semestriels a dû se

préparer à mettre en œuvre l’APC du Syscoa 2013 en 2015. Il faut rappeler que le système

comptable des pays de l’Uémoa, devait entrer en vigueur en 2015 mais n’a pas été appliqué

(Kouamé et Assandé, 2017). E1, a dans ce cadre, effectué l’inventaire des immobilisations

décomposables mais n’a pas procédé à la décomposition de ces immobilisations. Les actions à

mettre en œuvre dans le cadre de la première application de l’APC peuvent être résumées

comme suit :

inventaire des immobilisations ;

détermination des immobilisations décomposables ;

identification des composants ;

détermination des durées d’utilité restantes des composants identifiés

détermination des valeurs des composants ;

répartition des VNC.

E1 rappelle que l’opération effectué dans le cadre de la mise en œuvre de l’APC du Syscoa

2013 est consommatrice de temps, et ne sera pas reprise dans le cadre de l’application du Sys-

cohada 2017 :

Nous n’allons pas refaire le travail qui a été fait en 2015, le fichier est là. E1

La méconnaissance de la nouvelle règle et la référence au Syscoa 2013

5 Les entretiens ont été réalisés en français (Côte d’Ivoire) et repris tels quels dans les verbatim.

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Le Syscoa 2013 ne prévoyait pas la modalité « ne rien faire » pour la première application de

l’APC. E1, à tort, anticipe un risque fiscale et une réaction des actionnaires dus à l’impact que

la modification des durées d’amortissement pourrait avoir sur le résultat de l’entreprise ; alors

que le Syscohada ne prévoit pas une modification des durées comptables d’amortissement :

Forcément, chaque société aura son approche. De toutes les façons quand

vous allez le faire [la mise en œuvre de l’APC], l’objectif c’est de ne pas lé-

ser l’État. […] Les actionnaires aussi te regardent. E1

Ce comportement serait le signe d’une méconnaissance de la nouvelle règle. En effet, réfé-

rence est faite au Syscoa 2013 en lieu et place du Syscohada 2017. Le même constat (mécon-

naissance de la nouvelle règle) est fait dans l’entreprise E2 :

À vrai dire, on sait qu’il y a une réforme qui arrive, mais on n’a pas vrai-

ment anticipé sur cette réforme. Comme nous, étant comptable, on est cons-

cient de ce fait là, […] on essaie de réfléchir à un moyen qui va nous per-

mettre de faire ça [mettre en œuvre la décomposition]. E2

Il ressort donc que 6 mois6 avant la mise en application du Syscohada 2017, les producteurs

de comptes n’ont pas une bonne connaissance de la nouvelle réglementation comptable.

La décomposition est une activité extracomptable, complexe.

La décomposition est une activité extracomptable et l’entreprise E1 ne compte pas faire appel

à une expertise extérieure :

Ça c’est le boulot des techniciens mais pas des comptables. […] Nous avons

assez de personnes compétentes pour faire ce travail, nous ne comptons pas

faire recours aux experts extérieurs. E1

E1 envisage toutefois, le recours aux commissaires aux comptes et au conseiller fiscal afin de

limiter les risques (fiscal et réaction des actionnaires, selon lui) liés à la nouvelle application

de la règle ; ce qui montre la complexité de la règle :

Ces choses-là [la mise en œuvre de l’APC] ne se font pas seul. E1

Pour E2, le recours au commissaire aux comptes n’est pas une solution satisfaisante dans ce

cas :

[…] si moi je pense à expert-comptable, je me dis qu’est-ce qu’un expert

peut connaitre dans une immobilisation ; ce n’est pas évident. E2

Toutefois, le recours à l’expertise extérieur (un technicien qui connait les immobilisations) se

fera pour E2 si l’information reflète mieux la réalité de l’entreprise :

Si l’information qu’il [un expert extérieur] nous apporte est de meilleure

qualité et que cette information nous permet d’avoir des chiffres beaucoup

plus fiables, ça vaut le coût ! Si je devais conseiller le patron de l’entreprise,

je lui dirai que c’est mieux d’avoir un expert, de faire des choses justes que

6 Les entretiens se sont déroulés à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet 2017.

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de penser qu’on économise alors qu’on fonce dans le mur ; parce que ce

qu’on présente comme chiffres n’est pas réel. E2

La date d’acquisition lointaine des immobilisations est aussi un facteur qui complique la dé-

composition :

On a acheté les machines, elles sont vieilles de plus de 10 ans, de 15 ans,

même si elles ne sont pas encore amorties, mais est ce qu’aujourd’hui, on a

la capacité, dans ce qui reste à amortir, de sortir la partie de chaque ma-

chine. E1

Les entretiens nous permettent aussi de mettre en évidence d’autres résultats qu’il nous parait

important de relever.

L’APC, comme traitement des immobilisations corporelles, est une solution à un pro-

blème technique et permet une meilleure traduction de la réalité économique de

l’entreprise

E1, pour illustrer ce constat, raconte :

[…] la décomposition est essentielle. Une machine, elle fonctionne mais ce

n’est pas un bloc en tout. Ce n’est pas un bloc en tout. La décomposition est

meilleure parce que, imaginez que vous avez une machine que vous achetez ;

et qu’un module tombe en panne. La machine est rentrée à 20 millions dans

votre logiciel [comptable], quand ce module-là tombe en panne ; alors que

sans lui, la machine ne marche pas, comment vous allez sortir ce module de

votre comptabilité ? Vous allez changer un module, donc ajouter un module

à une immobilisation qui sera existante et faire deux amortissements. Parce

qu’en réalité, quand le module sort, la machine qui est là, son coût

d’amortissement que vous êtes en train de faire, c’est faux. E1

Cependant, l’application prospective des durées d’utilité des éléments décomposés limite cet

avantage (aspect non pris en compte par les interviewers du fait d’une mauvaise connaissance

de la nouvelle règle).

3.2. La prise en compte de la contrainte avantage-coût

Des entretiens, il ressort que, la première mise en œuvre de l’APC est une activité extracomp-

table, complexe et consommatrice de temps. Ce constat est amplifié par une méconnaissance

des modalités de la nouvelle règle du Syscohada.

La méconnaissance de la nouvelle règle, permet d’expliquer dans ces cas, les intentions de

décomposer les immobilisations pour la première application de l’APC. Les arguments pour

lesquels les entreprises comptent mettre en œuvre la décomposition ne sont pas fondés. Nous

pouvons supposer que les entreprises qui s’en rendront compte choisiront la modalité « ne

rien faire ». En effet, la recherche d’une meilleure traduction de la réalité économique de

l’entreprise ne peut pas être réalisée avec les modalités de première mise en œuvre prévues

par le Syscohada 2017.

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Les deux modalités de mise en œuvre de la nouvelle règle, parce qu’elles limitent la gestion

des résultats (pas d’impact sur les capitaux propres, mise en œuvre des durées d’utilité de fa-

çon prospective) ne donnent pas les arguments nécessaires pour justifier les coûts que la mo-

dalité « réallouer les VNC » entraînent. En effet, le recours à des techniciens ou experts vien-

draient alourdir les charges de l’entreprise sans que la nouvelle présentation des comptes ne

reflète mieux la réalité économique de l’entreprise. Lorsque l’entreprise ne compte pas faire

appel à des compétences extérieures pour mettre en œuvre la décomposition, le temps néces-

saire et la charge de travail qui augmente, se présentent aussi comme freins.

Les acteurs, en ne mettant pas en œuvre l’APC, lors de la première application, restent con-

formes aux prédictions de l’analyse avantage-coût. Dans le cadre du Syscohada 2017, la pre-

mière application de l’APC est génératrice de coûts qui restent supérieurs à des avantages très

limités. La modalité « ne rien faire » jusqu’au remplacement des composants permet d’éviter

ces coûts. C’est la modalité qui prend en compte le respect de la contrainte d’équilibre avan-

tage-coût.

Le tableau ci-après récapitule les principaux avantages et inconvénients de la première mise

en œuvre de l’APC (réallocation des VNC) mise en évidence par les entretiens.

Avantage Cout

Meilleure traduction de la réalité économique

de l’entreprise (avantage limité par la non-

application des durées d’utilité)

Augmente la charge de travail des produc-

teurs de compte

Nécessite le recours à des spécialistes (in-

ternes ou externes)

En l’absence de mesure incitant à mettre en œuvre, la modalité « réallouer les VNC », les en-

treprises ont intérêt à ne rien faire. Ce comportement n’est pas influencé par les caractéris-

tiques de l’entreprise (taille, cotation sur un marché boursier) ou sa disponibilité en ressources

(argent, compétences du personnel). Il est conforme à une prise en compte de la contrainte

d’équilibre avantage-coût.

Conclusion

Notre étude a pour but de décrire et expliquer les actions mises en œuvre par deux entreprises

industrielles et de transport de Côte d’Ivoire dans le cadre de la première application de

l’APC du Syscohada 2017. Le Syscohada 2017 a prévu deux modalités de première mise en

application. Ce sont « ne rien faire » et « réallouer les VNC ». Seule la modalité « réallouer

les VNC » nécessite que des dispositions particulières soit prises par l’entreprise.

De l’analyse des entretiens menées avec les Chefs comptables d’entreprise, nous montrons

que : 1) les entreprises n’ont pas une bonne connaissance de la nouvelle règle ; 2) elles ne

comptent recourir à une expertise extérieure pour procéder à la décomposition des immobili-

sations que si la décomposition améliore la traduction de la réalité économique de l’entreprise

et en l’absence de personnels internes compétents ; 3) en l’absence d’incitation à la mise en

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œuvre de la modalité « réallouer les VNC », la modalité « ne rien faire » se présente comme

celle qui permet de tenir compte de la contrainte d’équilibre avantage-coût.

D’autres résultats sont mis en évidence par cette étude. L’APC est une solution technique,

souhaitée par les entreprises ; elle permet de traduire, de meilleure manière, la réalité écono-

mique de l’entreprise.

Dans un contexte de pays en développement comme celui des pays de l’Ohada, la modalité

« ne rien faire » se présente comme une innovation qui permet la prise en compte la contrainte

d’équilibre avantage-coût. À l’analyse, l’on pourrait penser que la modalité « réallouer les

VNC » telle que prévue par le Syscohada 2017, ne tient pas compte de la contrainte

d’équilibre avantage-coût, et est inappropriée. Causse et Ebondo Wa Mandzila (2015, p. 5), le

rappellent, dans les pays en développement, le « système comptable doit non seulement être

adapté et utile, il doit être applicable et appliqué ».

Des recherches futures, adoptant une démarche compréhensive (Dumez, 2016), pourraient

analysées les raisons (volonté d’être un early adopter, gestion des résultats7, conseils des

commissaires aux comptes, etc.) de certaines entreprises, à mettre en œuvre la réallocation des

VNC lors de la première application de l’APC. En effet, les théories économiques classiques

qui mobilisent un cadre d’analyse avantage-coût auraient du mal à expliquer ce comportement

des entreprises.

Références bibliographiques

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l’UEMOA : apport ou frein au développement ? Dans L. Cappelletti, B. Pigé, & V.

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Gioia, D. A., Corley, K. G., & Hamilton, A. L. (2012). Seeking qualitative rigor in inductive

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mélanges en l'honneur du professeur Geneviève Causse (pp. 283-301). Paris:

l'Harmattan.

7 Le dirigeant de l’entreprise pourraient profiter de la nouvelle règle pour augmenter, sur un exercice, les charges

de rémunérations d’intermédiaires et de conseils ; chose qui ne se répètera pas l’exercice suivant et permettra de

montrer une croissance du résultat sur les deux exercices, toutes choses égales par ailleurs.

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Watts, R. L., & Zimmerman, J. L. (1986). Positive accounting theory. Printice Hall.

Annexe

Annexe 1 : Comparaison de l’approche par composants IAS 16 vs Syscohada 2017

Critère IAS 16 Syscohada

Nature des im-

mobilisations

corporelles dé-

composables

À priori, toutes les immobilisations

corporelles peuvent faire l’objet de

décomposition.

Seuls les bâtiments et autres ouvrages,

les avions, les bateaux, les camions, les

autocars, les bus, les véhicules blindés

de transport de fonds, certains maté-

riels et outillages des entités indus-

trielles, minières, agricoles, hospita-

lières et pétrolières.

Critères de dé-

composition

Identique aux critères généraux de

comptabilisation des immobilisations

corporelles, pourvu que les éléments

soient dissociables, et les durées

d’utilité différentes.

4 critères énoncés :

Élément dissociable

Utilisation différente

Durée d’utilité différente

Coût significatif

Annexe 2 : Guide d’entretien de l’étude

I. Présentation de l’enquêteur et des objectifs de l’étude

II. Présentation de l’interviewer

III. Présentation de l’entreprise et de l’importance des immobilisations corporelles

IV. Vérification de la connaissance de la réforme sur l’amortissement des immobilisations

corporelles

V. Les actions mise en œuvre par l’entreprise pour se préparer

VI. Évaluation des avantages

VII. Évaluation des coûts