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Avec le soutien financier du Vice-Président et Ministre du Développement durable et de la Fonction publique en charge de l’Energie, du Logement de la Région wallonne La réinsertion des personnes sans-abri par le logement. Analyse de l'accompagnement social Rapport Intermédiaire Marjorie Lelubre 9/1/2011

La réinsertion des personnes sans-abri par le … · Si, pour plus de facilité et de lisibilité, ces deux thèmes sont abordés dans le cadre du présent ... permettant d’exiger

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Avec le soutien financier du Vice-Président et Ministre du Développement durable

et de la Fonction publique en charge de l’Energie, du Logement de la Région wallonne

La réinsertion des personnes sans-abri par le logement. Analyse de l'accompagnement social Rapport Intermédiaire

Marjorie Lelubre 9/1/2011

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Introduction

En accord avec les membres du Comité d’accompagnement entourant cette recherche, l’année

2011 s’est centrée autour de l’étude de deux thèmes que sont d’une part, la contractualisation de

l’accompagnement social et d’autre part, la complémentarité des volets individuel et collectif au

sein de l’accompagnement social dans le logement.

Si, pour plus de facilité et de lisibilité, ces deux thèmes sont abordés dans le cadre du présent

rapport intermédiaire, nous tenons à rappeler que cette recherche constitue un tout

indissociable, même si son étalement sur plusieurs années nous a fait opter pour une

présentation morcelée des résultats. Vous constaterez que notre argumentation fait ainsi écho

aux résultats auparavant engrangés. Nous ne manquerons pas de veiller à la cohérence et à

l’articulation de ces différents éléments lors de la remise du rapport final.

Un rapport intermédiaire organisé autour de deux thématiques

Notre attention se portera donc en premier lieu sur l’utilisation d’un outil tel que le contrat dans

l’accompagnement social au logement. Précisons qu’initialement, cette question n’avait pas été

reprise dans nos questionnements de départ.

Cet intérêt s’est peu à peu matérialisé au travers de nos premiers entretiens tant avec les

locataires qu’avec les travailleurs sociaux, ces deux groupes de répondants ayant spontanément

fait allusion à cet outil, même si le terme « contrat » lui-même n’a que très peu été employé. Il

nous paraissait donc important d’en préciser les contours et d’aborder la manière dont ses effets

se matérialisent sur le terrain.

Très vite, nous nous sommes aperçus que cette question s’inscrivait sans doute dans un courant

plus large qu’est celui de la mise en place de l’Etat-social actif. Aussi, il nous a semblé opportun

de rattacher la question de l’accompagnement social dans le logement dans ce débat plus vaste

qui traverse actuellement notre société et plus spécifiquement, la sphère de l’Action sociale.

Nous verrons que cette logique de contractualisation n’en est encore qu’{ ses balbutiements et

pose encore question dans le secteur de l’accompagnement social. Nous essayerons donc, dans

un premier temps, de montrer l’aspect protéiforme du concept, notamment lorsqu’il touche deux

champs que sont le contrat lié au logement et celui lié { l’accompagnement { proprement parler.

Nous nous attarderons ensuite sur l’opportunité d’utiliser le terme de « contrat » dans le cas qui

nous occupe. Enfin, nous tenterons de comprendre les avantages et inconvénients de son

apparition dans le secteur de l’accompagnement social au logement, et ce, tant du point de vue

des bénéficiaires eux-mêmes que des travailleurs sociaux.

Notre second point d’intérêt portera, quant à lui, sur l’accompagnement collectif au regard de

son volet individuel. Nous verrons tout d’abord que contrairement { d’autres pays d’Europe, cet

aspect reste encore peu développé chez nous. Nous tenterons d’en comprendre les raisons,

notamment par l’examen de sa temporalité. En effet, nous verrons que le moment de son

instauration pourra différer selon les objectifs poursuivis. Il s’agira de montrer l’adaptabilité de

cette pratique au regard des différentes missions qui peuvent être les siennes.

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Enfin, dans le même souci que pour les autres thématiques traitées dans le cadre de cette

recherche, nous serons attentifs à donner la parole tant aux bénéficiaires qu’aux travailleurs

sociaux sur cette question. Nous constaterons alors que les positions sont loin d’être assurées en

la matière et que plusieurs attitudes paradoxales coexistent sur le terrain.

Des évolutions dans l’appréhension de l’objet de recherche

En outre, en raison d’une réflexion en constante évolution, vous constaterez que prenant en

compte des commentaires émanant du Comité d’accompagnement, et faisant suite d’âpres

discussions sur le sujet, nous avons choisi de ne plus utiliser le terme « programme » lorsque

nous mentionnons l’accompagnement social1.

En effet, si, pour notre part, ce terme renvoyait à la définition suivante : « Ensemble de démarches

qui touchent à des domaines divers, soit directement liés au logement, soit au quotidien des

bénéficiaires dudit accompagnement. Le programme se déploie selon une dynamique évolutive,

susceptible d’être adaptée dans le temps et est organisé par le service qui le dispense en fonction du

contexte institutionnel propre à ce dernier », la mauvaise compréhension de ce terme nous

pousse à remettre son utilisation en cause et à en suspendre - au moins, momentanément - son

usage dans le cadre du présent travail.

En outre, nous rappelons que pour l’année 2012 et conformément aux discussions ayant eu

cours lors des précédents Comités d’accompagnement, nous porterons notre attention sur un

aspect important qu’est celui de la durée de l’accompagnement, y incluant son aspect

prédéterminé ou non. Toutefois, nous veillerons à intégrer cette réflexion dans une dynamique

reprenant tant le type de logement où se déroule l’accompagnement que le profil du bénéficiaire

ou encore le modèle d’accompagnement proposé. En effet, selon nous, la question de la durée de

l’accompagnement doit nécessairement s’inscrire dans cette mise en perspective plus large.

L’année 2012 sera aussi consacrée { l’approfondissement de la question qui nous occupe depuis

le début de cette recherche, à savoir l’autonomie des bénéficiaires de l’accompagnement social.

Même si, comme expliqué lors du précédent Comité d’accompagnement, les techniques

actuellement mises en place pour traiter cette question nous semblent toujours insatisfaisantes,

nous avons néanmoins progressé dans sa compréhension. Nous espérons que l’année 2012 nous

permettra d’aller encore plus loin sur cette question.

Enfin, rappelons que cette année marquait aussi la première année de collaboration avec les

bénéficiaires de l’accompagnement social. Il nous semblait donc intéressant de faire le point

quant { leur évolution au travers d’extraits d’entretiens déj{ menés. Lorsque cela a été possible,

ces tranches de vie ont été écrites en collaboration avec les répondants. Ces différents textes se

trouvent en annexe du présent rapport.

1 Il nous paraît opportun de souligner l’usage du terme « programme d’accompagnement par d’autres auteurs travaillant sur la problématiques, voir notamment EDGAR B., DOHERTY J. & MINA-COULL A., Le logement accompagné en Europe, The Policy Press, Bristol, 2000

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Chapitre I : La contractualisation dans le cadre de l’accompagnement social

Même si le terrain reste notre principale source d’informations, un sujet tel que celui-ci appelle à

être contextualisé pour bien en comprendre les enjeux, tâche à laquelle nous nous livrerons

durant les premières pages de ce chapitre.

Nous verrons aussi que la notion de contrat et son application dans le champ de

l’accompagnement social doivent être nuancées. Nous poursuivrons en nous penchant sur les

formes diverses que peut prendre cette logique contractuelle, avant d’en peser les pour et les

contre lorsqu’elle s’applique { un domaine tel que celui du logement.

I. Une évolution des pratiques qui s’ancre dans un mouvement plus large

Nous débuterons donc par un petit détour théorique quant { la notion d’Etat-social actif car ce

sont ses différentes composantes qui ont mené { l’idée de contractualisation actuellement en

cours dans le secteur de l’aide sociale. Nous tenterons également de mettre en avant l’un des ses

principaux traits constitutifs qu’est la responsabilisation des individus, dont sont issus des

aspects tels que la participation, l’autonomie ou encore la réciprocité des obligations, impliquant

que les droits soient désormais irrémédiablement liés aux devoirs des individus-citoyens.

La faillite de l’Etat providentiel

La fin de la seconde guerre mondiale voit s’instaurer l’Etat providentiel. Si le modèle de l’Etat-

Providence basé sur un système assurantiel contre les risques liés au développement du salariat

a vu le jour dès 1880, il faut attendre les années 50 pour que se développe un modèle qui

permette d’assurer des services minimum { l’ensemble des citoyens par la mise sur pied d’une

protection sociale, basée sur la redistribution des richesses.

Par l’émergence de cette nouvelle forme d’Etat, les citoyens disposent de droits-créances leur

permettant d’exiger de l’Etat qu’il leur offre certains services ; cependant, l’individu devient le

pilier de son intégration par le rôle qu’il est apte { occuper au sein de la société (De Munck,

2003).

Alors que ce système de protection sociale aurait dû réduire le recours { l’assistance, les

autorités publiques s’aperçoivent que tel n’est pas le cas. Par ailleurs, la période des « Trente

glorieuses » commence { s’épuiser et le premier choc pétrolier survenu en 1973 constitue un

élément déclencheur quant à la responsabilité des Etats à venir en aide aux personnes les plus

précarisées, les « nouveaux pauvres », premières victimes de cette crise. Le plein emploi, sur

lequel reposait le système de protection sociale, n’est plus assuré.

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Cette crise s’accentuant, les années 902 voient apparaître les prémisses de l’Etat-social actif qui

se constitue face à ce qui apparaît, de plus en plus, comme une impossibilité de voir perdurer

l’Etat providentiel dont la pérennité a été remise en cause dès le début des années 70 par les

crises économiques successives. L’Etat-social actif est donc présenté comme une « troisième

voie »3 entre la gauche social-démocrate et la droite libérale, cette nouvelle alternative sera

théorisée au niveau européen en Grande-Bretagne sous le Gouvernement de Tony Blair, bientôt

rejoint par d’autres grandes puissances européennes et mondiales. (Matagne, 2001)

Les caractéristiques de l’Etat-social actif

L’Etat-social actif se caractériserait par deux traits principaux repris par Bodart (in Hubert,

2006) dans son étude relative au plan d’activation des chômeurs, à savoir :

l’association de l’administration et du particulier dans une démarche solidaire en leur

suggérant qu’ils font cause commune ;

la transformation des problèmes sociaux en problèmes moraux et des problèmes

moraux en responsabilités individuelles en dehors du champ d’une action politique.4

Notion clé au fondement de l’Etat-social actif, la responsabilisation des individus représente

également l’occasion de minimiser celle de la collectivité : « Il convient désormais de mener sa vie

plus activement que par le passé, et d’accepter ses responsabilités pour les conséquences de nos

actes et style de vie. »5. De cette volonté de responsabilisation découlent les idéaux

d’individualisme et d’autonomie6.

Il s’agit, par ailleurs, d’une affirmation des devoirs { respecter pour que les droits puissent être

exercés. « Les promoteurs de l’Etat-social actif insistent sur l’importance d’ ‘activer’ la protection

sociale, de ‘responsabiliser’ davantage les allocataires sociaux, de réarticuler ‘droits et devoirs’, afin

de sortir l’Etat-Providence de l’ornière assistancielle dans laquelle il se serait enlisé. »7

Une contrepartie est, à présent, réclamée lors de l’attribution d’un quelconque avantage. Si la

société est distributrice de biens, elle attend que le bénéficiaire accepte de participer au bien-

être de la collectivité d’une façon ou d’une autre, il DOIT fournir des efforts pour se réinsérer.

Droits et devoirs sont un couple indissociable. La participation à la société doit être encouragée.

« L’Etat social doit désormais être actif en supprimant ou en corrigeant les mécanismes de l’actuel

système de sécurité sociale qui découragent les gens au lieu de les pousser à être actifs. »8

Cependant, l’Etat devra assurer la mise en place des conditions favorisant cette participation

comme la formation professionnelle et l’éducation pour tous. Il s’agit d’un principe de

2 En Belgique, le concept d’Etat-social actif sera notamment repris dans l’accord de Gouvernement établi par le niveau fédéral en 1999. 3 Pour certains auteurs, les deux termes doivent rester distincts, la troisième voie représentant le cadre conceptuel général de l’Etat social-actif (Matagne, 2001) 4 Renault E., Le mépris social. Éthique et politique de la reconnaissance, Bègles, Editions du Passant, coll. Poches de résistances, 2004. 5 MATAGNE G., De L’Etat social actif à la politique belge de l’emploi, Courrier hebdomadaire du CRISP,

2001/32-33 - n° 1737-1738, pp. 5-35, p.16 6 Comme on peut le voir, ce concept constitue bien une pierre angulaire de ce travail. 7 DUMONT D., Contractualiser la protection sociale pour la rendre plus efficace ?, FUSL, Décembre 2007, p.3 8 FRANSSEN A., Le sujet au cœur de la nouvelle question sociale, Revue nouvelle, Décembre 2003, n°12, p.6.

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« réciprocité sociale »9. L’Etat devra donc se montrer proactif et mettre l’accent sur la prévention

pour éviter que les risques redoutés ne se concrétisent.

Il doit, en outre, veiller à assurer une égalisation des chances pour tous, afin que chacun puisse

disposer des moyens lui permettant de se prendre en charge et ainsi, éviter { l’Etat de combler

des manques, a posteriori. « Cette activation implique également un investissement privilégié

« dans les gens », par la formation, l’information, l’accompagnement psychosocial, en vue de

renforcer leurs compétences et capacités à la participation sociale autonome. »10

Enfin, l’Etat devra veiller { promouvoir le « sur-mesure ». « En matière de chômage, de soins de

santé, de handicap, les politiques menées doivent s’individualiser par un accompagnement

personnalisé et contractualisé. C’est autour de la personne, de sa situation ou un problème traité

que doivent s’agencer de manière « ad-hoc-cratique » les moyens disponibles. »11

La logique contractuelle au cœur de l’Etat-social actif

Suivant les principes de l’Etat-social actif visant { rendre l’individu responsable de son insertion,

en valorisant ses compétences mais en insistant sur ses devoirs, un des outils novateurs fut le

contrat, qui n’était plus réservé { la seule sphère commerciale12.

Cet instrument transféré au secteur de l’Action sociale devient un vecteur par lequel préciser les

obligations de chacun et placer l’individu devant ses responsabilités. Il est le moteur qui lui

permettra de recouvrer son autonomie par sa remise en action. De la même manière, l’Etat, ici

identifié par un agent décentralisé qu’est le travailleur social, s’engage auprès de l’individu à lui

conférer certains moyens.

Au-delà du modèle théorique, le contrat constitue une mise en application pratique, indicateur le

plus visible sur le terrain. Par ce truchement, l’Etat-social actif imprime donc sa marque dans

plusieurs dispositifs que sont notamment le plan d’accompagnement des chômeurs13 ou encore

le projet individualisé d’intégration sociale obligatoire pour les 18-25 ans, s’ils veulent bénéficier

du RIS et de l’aide des CPAS14.

Pour notre part, nous estimons que les contrats mis en place dans l’accompagnement social au

logement en constituent une manifestation supplémentaire. Une telle affirmation appelant

néanmoins certains bémols, comme le fait qu’une telle disposition ne fasse l’objet d’aucun

dispositif légal15.

Reconnaissons aussi que la relative jeunesse de l’accompagnement social dans le logement

implique que le contrat constitue lui aussi un apport nouveau qui, s’il approche de plus en plus le

9 Matagne, 2001, p.24 10 Ibidem, p.6. 11 Ibidem, p.7. 12 Certains voient d’ailleurs dans la contractualisation un recul du droit public devant les forces du marché, recul qui se matérialiserait notamment par l’usage d’outils tels que le contrat (Dumont, 2007) 13 Arrêté royal du 4 juillet 2004 portant modification de la réglementation du chômage { l’égard de chômeurs complets qui doivent rechercher activement un emploi. 14 Loi du 26 mai 2002. 15 La réglementation sur les logements d’insertion et de transit mentionne la nécessité d’offrir un « accompagnement social » aux locataires.

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consensus, n’est pas encore généralisé { l’ensemble des opérateurs. On remarque d’ailleurs que

ces derniers hésitent encore à utiliser le terme de « contrat ». Les analyses qui suivront devront

donc nécessairement être nuancées par le fait que ce dispositif reste en pleine évolution au

moment où nous écrivons ces lignes.

Les détracteurs du paradigme de l’Etat-social actif16

L’une des premières critiques adressées { l’Etat-social actif se situe dans ce qui constitue son

principe fondateur, { savoir la responsabilisation des individus. D’aucuns craignent qu’{ force

mettre en avant cette individualité, on en vienne à négliger les mécanismes structurels qui

agissent indéniablement sur les parcours individuels. Le chômage ne serait plus dû à la situation

du marché de l’emploi, aux politiques de formation non adaptées { la demande mais à des seules

causes liées { la situation de l’individu.

Par ailleurs, l{ où l’Etat-Providence prévoyait une prise en charge collective des risques, celle-ci

repose maintenant principalement au niveau de l’individu. Phénomène d’autant plus inquiétant

qu’il pourrait, { terme, détricoter les principes de solidarité { l’œuvre dans la société.

On sait aussi que le non respect des engagements contractuels peut entrainer des sanctions et

empêcher les allocataires sociaux de bénéficier de droits qui avaient pourtant été jugés comme

fondamentaux par le législateur, comme dans le cas du Revenu d’intégration sociale.

De plus, privés de leur source de revenu, les individus seront soumis à une injonction paradoxale

où il sera exigé d’eux de fournir des efforts pour se réintégrer dans la société sans qu’on ne leur

en offre les moyens. On peut, en effet, s’interroger sur la possibilité pour un individu de se lancer

dans la recherche active d’un emploi alors qu’il ne dispose des moyens assurant sa survie

quotidienne.

Il s’agit aussi de s’interroger sur les capacités de tous les individus de s’engager dans une telle

relation contractuelle. Or, on sait que ces dispositions ne sont pas égales d’un individu { l’autre.

Aussi, tous soumis à une même logique, on peut craindre que ce soient ceux qui pourront

assurer une présentation d’eux-mêmes la plus adéquate qui bénéficieront préférentiellement de

l’aide17.

Dans le même ordre d’idée, on note aussi qu’alors que sous la philosophie de l’Etat-Providence,

c’était l’appartenance { une catégorie qui ouvrait l’accès { une aide sociale, ici, c’est bien la

capacité à démontrer son besoin et à respecter des engagements contractuels qui primeront, au

risque de créer des situations de discrimination entre des individus présentant pourtant un

profil identique.

16 Voir notamment DUMONT D., Contractualiser la protection sociale pour la rendre plus efficace ?, FUSL,

Décembre 2007 ; MATAGNE G., De L’Etat social actif à la politique belge de l’emploi, Courrier hebdomadaire

du CRISP, 2001/32-33 - n° 1737-1738, pp. 5-35 ; WELLER J.-M., Une controverse au guichet : vers une

magistrature sociale ?, Droit et Société, 44/45, 2000, pp.91-109 17 On peut mettre ce phénomène en parallèle avec nos constats relatifs { l’accès des locataires { l’accompagnement social où nous avions vu un profil spécifique se dégager. Voir Rapport intermédiaire de novembre 2010, Chapitre I : l’accès des candidats-locataires aux programmes d'accompagnement.

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II. La pertinence de la notion de contrat

Comme nous venons de l’indiquer, tous les opérateurs actifs dans l’accompagnement social au

logement et impliqués dans le cadre de cette recherche n’ont pas opté pour la contractualisation

– même s’ils représentent une majorité – et lorsque tel est le cas, peu d’entre eux utilisent le

terme « contrat » à proprement parler.

Dès lors, nous nous sommes interrogés sur la pertinence d’une telle notion. Pour y voir plus

clair, nous nous pencherons d’abord sur la définition du contrat en tant que tel, surtout d’un

point de vue juridique. Par la suite, nous tenterons de comprendre la forme prise par la

contractualisation dans le cadre du logement. Nous verrons à quel point elle est complexe et

protéiforme.

Au regard de la loi, le Code civil en son article 1101 définit la notion de contrat comme suit :

« une convention par laquelle une ou plusieurs parties s’obligent envers une ou plusieurs autres, à

donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. »

Le terme « convention » impliquerait alors la rencontre de différentes volontés, dont serait

source une série d’obligations, autres que celles déj{ définies par la loi18. Notons que sur le

terrain, c’est souvent le terme « convention » qui est choisi par les opérateurs lorsqu’ils

évoquent la logique de contractualisation.

Cependant, un contrat juridique implique le respect de certaines conditions pour pouvoir être

considéré comme tel. Nous avons donc cherché à savoir si le « contrat » utilisé dans le cadre de

l’accompagnement social au logement pouvait bien être considéré comme un contrat juridique.

Le respect des conditions à la bonne exécution d’un contrat au sens juridique

Pour répondre { cette interrogation, nous avons d’abord choisi de nous attarder sur le respect

de différentes conditions liées au contrat que sont le consentement éclairé des parties, la

capacité { contracter ou encore l’absence de disproportionnalité dans le chef des parties

contractantes. Nous pensions que leur remise en cause mettrait en doute la notion de « contrat

juridique » dans le cas de l’accompagnement social au logement.

Cependant, les discussions menées dans le cadre du dernier Comité d’accompagnement ont mis

en avant une interprétation différente le nôtre aux yeux de la loi. Il nous paraissait néanmoins

important de faire part de nos réflexions, puisqu’elles représentent des réalités en cours sur le

terrain.

Pour ce qui est du consentement éclairé des parties, nous avions regretté la méconnaissance a

posteriori des locataires tant des clauses du bail que du contenu du « contrat »

d’accompagnement, même si tous reconnaissaient avoir reçu les informations et explications au

moment de la signature des documents. Nous pensions que cette condition pouvait remettre en

cause la validité du contrat.

18 HUBERT H.-O., Un nouveau passeport pour l’accès aux droits sociaux : le contrat, Bruxelles, La Charte, 2006, p.164

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Légalement, il importe de signaler que cette connaissance doit intervenir au moment de la

conclusion du contrat, l’appropriation ultérieure qui en est faite ne peut donc entrer en ligne de

cause. Or, sur le terrain, les bénéficiaires interrogés ont tous reconnu avoir obtenu des

explications, en passant notamment par une lecture commune des documents remis et signés.

Concernant la capacité des parties à contracter, nous avions mis en exergue le fait qu’il s’agissait

d’un public fragilisé, marqué par les manques dans une situation d’urgence. Nous craignions dès

lors que ces capacités soient grandement remises en cause, notamment par l’angoisse liée { la

situation de sans-abri que ces personnes vivaient ou en raison d’une éventuelle absence de

référents en matière de logement. Nous nous interrogions aussi sur la valeur de l’écrit au sein de

ce public19.

« Non, c’était pour l’aide mais je ne me suis pas sentie engagée. Enfin, si parce que c’est

signé mais ce n’est pas que ça me fait quelque chose parce que j’ai signé un papier. »

(Extrait d’entretien avec un bénéficiaire de l’accompagnement social au logement)

Toutefois, la conception juridique épouse un sens beaucoup plus restreint que celui-ci pour

lequel nous avions opté, la capacité des parties contractantes faisant essentiellement référence

au fait que l’individu soit majeur et qu’il jouisse de toutes ses capacités mentales, sans que le

capital socioculturel en tant que tel ne soit pris en compte.

Enfin, nous mettions en cause l’absence de disproportionnalité entre les parties en raison de la

confrontation d’un public demandeur face { des travailleurs sociaux, occupant une place

d’autorité symbolique puisque souvent assimilés au propriétaire. « Puisque c’est justement en

raison de sa précarité qu’il est en situation de demandeur d’aide, l’allocataire risque d’être de facto

contraint d’accepter les diverses mesures qui lui sont soumises par ces ‘nouveaux magistrats’ du

social que sont (forcés d’être) les travailleurs sociaux contemporains. »20

De nouveau, l’interprétation juridique est autre et cette disproportionnalité concerne avant tout

les obligations des parties, le contrat ne pouvant être annulé qu’en cas de lésion, quand l’une des

parties a profité d’un moment de faiblesse, par exemple. Nous verrons, par après, que cette

dernière condition appelle des commentaires supplémentaires.

Les indicateurs permettant d’identifier un contrat juridique

Analyse de cas au départ du RIS et du Plan d’activation et de suivi des chômeurs

Notre analyse de ces trois conditions ne nous permettant pas de répondre de manière

satisfaisante à notre interrogation, nous nous sommes alors tournés vers un auteur ayant réalisé

19 Sur ce point, signalons que les répondants de notre échantillon ne vivent pas dans un monde dénué de contrats. Tout d’abord, mis { part pour les répondants les plus jeunes, la plupart des bénéficiaires avaient déjà connu des expériences en matière de logement auparavant et avaient donc été confrontés à un contrat de bail. Par ailleurs, certains des répondants bénéficiant du RIS ou d’allocations de chômage sont également soumis dans ces deux cadres { des différents contrats. Enfin, n’oublions que certains de nos répondants ont repris un travail et sont donc inscrits dans un contrat de travail. Il serait erroné de notre part d’affirmer que nos répondants se situent hors de la sphère de l’écrit. 20 DUMONT D., Contractualiser la protection sociale pour la rendre plus efficace ?, FUSL, Décembre 2007,

p.5

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un exercice similaire pour d’autres dispositifs et avons appliqué son analyse au cas qui nous

occupe.

En effet, pour nous permettre de statuer sur le fait qu’il s’agissait ou non d’un contrat juridique,

nous avons alors enrichi notre position en nous penchant sur les arguments utilisés par Michaux

(in Hubert, 2006). Pour cet auteur, il s’agit d’un contrat si l’instrument répond { 5 conditions :

Un document est signé avec l’administré ;

Un document qui scelle un accord entre deux personnes ;

Un document créateur d’obligations réciproques ;

Un document créateur d’effets juridiques ;

La possibilité d’un recours en justice.

L’auteur cherchait à savoir si le projet d’intégration sociale mis en place par le CPAS ou le plan

d’activation des chômeurs élaboré par le Forem constituaient des contrats juridiques. Elle en

venait néanmoins à en douter, ces différentes conditions n’étant pas entièrement respectées21.

Pour notre part, nous ne pouvons que nous rallier à cette position pour ce qui est des contrats

utilisés dans le cadre des programmes d’accompagnement social dans le logement. C’est ce que

nous allons chercher à démontrer.

Un document est signé avec l’administré ? Pour les opérateurs ayant opté pour la logique

contractuelle, on remarque que tous optent pour une forme écrite appelant une signature des

deux parties. De manière générale, un exemplaire est remis au bénéficiaire de

l’accompagnement social. Il s’agit même d’une obligation lorsque ce contrat d’accompagnement

est lié au bail locatif. Dans certains cas marginaux, le bénéficiaire ne dispose pas de copie propre,

cette dernière étant annexée au dossier de la personne concernée. Notons que, souvent, ce

document prend la forme et le vocabulaire classiques liés aux contrats.

Un document qui scelle un accord entre deux personnes ? Ce document a, par ailleurs, pour objet

d’acter l’accord survenu entre le bénéficiaire et le travailleur social, alors identifié comme

représentant de son institution.

Dans le cas du Projet d’accompagnement individualisé appliqué aux RIS ou dans du Plan

d’activation des chômeurs, les auteurs reprochent l’impossibilité de négocier véritablement le

contrat – argument qui ne l’invalide néanmoins pas en tant que contrat juridique.

Ici, il nous semble que pour l’accompagnement social dans le logement prévoie bien une telle

marge de manœuvre, même si elle peut différer d’une institution { l’autre ou même d’une

personne { l’autre.

« En même temps, les conventions de collaboration – normalement, c'est stipulé –

peuvent être modifiées en fonction de l'évolution des choses ; donc, on peut la revoir

avec la personne et changer les objectifs. C'est intéressant aussi, puisque ça se

renégocie. […] C'est quand même négocié avec la personne, tout est négocié avec la

personne. Normalement, ils ne sont pas censés dire oui pour faire plaisir, ça doit venir

21 Pour plus de détails sur cette analyse, voir HUBERT H.-O., Un nouveau passeport pour l’accès aux droits sociaux : le contrat, Bruxelles, La Charte, 2006, p.167-178

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d'eux quand on les voit les premières fois, c'est-à-dire que les demandes doivent venir

d'eux-mêmes et on ne peut pas les induire ; même si, parfois, malgré nous, on le fait. »

(Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social)

Nous avons grandement insisté sur l’importance de mettre en place un accompagnement adapté

comme étant l’une des caractéristiques principales de ce processus22. Nous ne pouvons donc pas

nous rallier à cette critique.

Par ailleurs, les auteurs reprochent aux deux dispositifs susmentionnés de ne pas laisser le choix

quant { signer ou non un tel contrat. Un refus de signer pouvant entraîner la perte de l’avantage

considéré. De nouveau, précisions que, toujours selon les auteurs, cette critique ne représente

pas une raison d’invalider le contrat.

Dans le cas qui nous occupe, statuer sur cette question est plus complexe. En effet, pour certains

opérateurs, le fait d’accepter l’accompagnement représente une condition sine qua non pour

accéder à leurs logements. Cependant, n’oublions pas que cet accompagnement peut aussi

prendre effet dans des logements en dehors du patrimoine propre de l’opérateur. Dans ce cas, un

refus de signer le contrat peut mettre fin { l’accompagnement en tant que tel mais ne privera pas

le locataire de la jouissance de son logement. Les enjeux et le libre arbitre quant au fait de

s’engager dans un processus d’accompagnement social peuvent donc être très différents selon la

situation envisagée, selon que l’association soit ou non propriétaire de son patrimoine.

Un document créateur d’obligations réciproques ? Sur ce point, les auteurs mettent très justement

en exergue que la plupart des obligations concernant les institutions font en réalité partie de

leurs missions. Ils reprochent donc l’illusion quant { la création de nouvelles obligations dans

leur chef. Ils remettent donc en cause le fait que le document soit créateur d’obligations

nouvelles, si ce n’est dans le chef du seul bénéficiaire.

Dans le cas de l’accompagnement social dans le logement, la situation est, de nouveau, moins

claire. En effet, la mission première de la plupart des opérateurs concernés vise non pas

l’accompagnement mais bien la mise { disposition d’un logement, l’accompagnement social se

présentant alors comme un adjuvant.

Notons, de plus, que dans certains cas, le contrat engage plusieurs parties, différents opérateurs

acceptent d’être partie prenante de l’accompagnement. C’est donc un découpage spécifique –

même s’il n’est pas forcément novateur – qui se met en place. Notre analyse ne peut donc

rejoindre qu’en partie celle des auteurs.

Un document créateur d’effets juridiques ? Si les contrats donnent l’illusion d’être créateurs de

tels effets, leur signature permettant l’octroi du RIS ou des allocations de chômage, il ne s’agit

justement que d’une illusion. Le contrat en constitue une condition mais ce n’est pas cet outil {

lui seul qui permet l’octroi.

Dans notre cas, cette question ne se pose pas avec la même acuité. En effet, l’octroi du logement

passe prioritairement par le droit relatif au bail, le contrat d’accompagnement lui étant

22 Nous avions, en effet, grandement insisté sur l’importance d’adapter l’accompagnement aux situations des personnes, allant jusqu’{ caractériser un type d’accompagnement comme étant « à la demande ».

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12

généralement subordonné. Le contrat d’accompagnement est donc rarement à lui seul créateur

d’effets juridiques.

La possibilité d’un recours en justice ? Le contrat juridique implique la possibilité pour les

contractants de disposer de voies de recours devant les Cours et Tribunaux compétents en cas

de non respect de ses obligations/engagements par l’une ou l’autre partie. « Il n’est question de

contrat juridique que si les parties acceptent qu’il confère au créancier l’obligation le pouvoir de

contraindre le débiteur, le cas échéant avec le concours de la force publique, à l’exécution de ses

prestations ou, si cette exécution n’est pas possible, confère au créancier le droit de réclamer une

réparation ou une exécution par équivalent de ladite obligation. »23

Or, pour ce qui est du contrat d’accompagnement, et comme pour la condition précédente, si le

non respect du contrat peut entraîner des sanctions – comme l’arrêt de l’accompagnement

auquel la location du logement peut être conditionnée -, les Cours et Tribunaux ne seront

néanmoins pas sollicités, ou strictement dans le cadre du contrat de bail. Nous verrons, par

après, comment ces deux formes de « contrat » coexistent au niveau de l’accompagnement social

au logement. Le contrat d’accompagnement en tant que tel permet donc très rarement le recours

en justice.

Si les trois premières conditions ont appelé des nuances de notre part, les deux dernières d’entre

elles nous poussent à conclure que le contrat utilisé dans le cadre de l’accompagnement social au

logement ne constitue pas un contrat juridique. Mais peut-on, dès lors, continuer à utiliser la

notion de contrat ?

Le contrat au sens générique

Si nous acceptons l’idée qu’il ne s’agit pas d’un contrat juridique, nous persistons à penser que la

notion de contrat peut néanmoins continuer { s’appliquer, mais dans un sens plus restreint.

Aussi, lorsque nous utiliserons la notion de contrat dans le cadre de cette étude, nous nous

réfèrerons à la définition suivante : « lien établi entre deux personnes ou deux personnalités

juridiques qui les tient ensemble mutuellement. »24

Interrogés sur cette question, les travailleurs sociaux avaient spontanément remis en cause la

notion de contrat, préférant faire référence à un engagement mutuel ou encore à des obligations

morales. C’est donc conformément { cette interprétation que nous comprendrons la notion de

contrat dans le cadre de l’accompagnement social au logement.

III. Une relation contractuelle dédoublée

Nos propos précédents ont fait mention du contrat d’accompagnement social lié au logement. Or,

il importe de ne pas oublier que, comme cela a été précisé dans le cadre de la présentation des

services, plusieurs opérateurs sont aussi les propriétaires d’un patrimoine immobilier. Aussi, au-

delà du contrat d’accompagnement, le contrat de bail constitue une autre donnée importante

dans la logique contractuelle mise en place. C’est ce que nous allons voir { présent

23 Ibidem, p.165 24 Ibidem, p. 151

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L’existence de formes diverses dans la logique contractuelle25

Sur base des observations réalisées sur le terrain, nous identifions plusieurs situations types :

Le bail, comme socle des droits et des devoirs des bailleurs et locataires

Tout d’abord, il importe de préciser que le bail peut prendre des désignations différentes selon

le type de logements, soit une convention d’hébergement précaire, soit un bail à résidence

principale26. Pour deux services de notre échantillon, le seul document écrit réside donc dans le

bail. L’accompagnement social ne fait l’objet d’aucune trace écrite.

Le contrat d’accompagnement, une étape supplémentaire/complémentaire au

contrat de bail

Si un contrat de bail continue à définir les relations qui existent entre les protagonistes,

l’accompagnement social fait néanmoins l’objet d’un document spécifique. Cette situation

concerne trois services de notre échantillon.

Un bail et un contrat d’accompagnement enchâssées: c’est le contrait lié au logement

qui prévoit l’accompagnement

Pour deux autres services, si le bail reste le seul document qui lie les parties, un des articles fait

néanmoins mention de l’accompagnement, généralement accompagné d’une description

succincte de celui-ci.

Un contrat d’accompagnement sans lien avec un contrat de bail

Cette situation concerne notamment les services qui ne disposent pas de patrimoine immobilier

propre. Un seul service est dans cette situation.

Un accompagnement qui ne se base sur aucun document

Enfin, le dernier service de notre échantillon ne dispose pas de contrat de bail, n’étant pas

propriétaire des logements et ne prévoit pas non plus de document relatif { l’accompagnement

social qu’il dispense. Toutefois, ce service réfléchit actuellement { la mise en place d’un tel

document.

L’articulation du contrat lié au logement et du contrat lié à l’accompagnement

Notre analyse nous avait amené { conclure que les contrats d’accompagnement social ne

représentaient pas des contrats juridiques mais devaient être considérés dans un sens restreint.

Toutefois, les contrats de bail sont bien, quant à eux, des contrats juridiques. Dès lors, la

complexité ne peut être qu’au rendez-vous, notamment lorsque l’accompagnement est lui-même

enchâssé dans le contrat de bail.

Actuellement, la jurisprudence en ce domaine reste éparse et de l’avis des opérateurs de terrain,

qui ont déj{ été confrontés { la Justice { de multiples reprises, il n’est pas toujours aisé de savoir

{ l’avance la manière dont la Justice statuera. Toutefois, de manière générale, il semble que

25 Des exemples de ces différents contrats de bail ou contrat d’accompagnement se trouvent en annexe. 26 Loi du 21 février 1991

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l’accompagnement social reste méconnu et que son non-respect par un locataire ne constitue

que rarement un motif d’expulsion aux yeux des juges.

De nouveau, cette affirmation doit être nuancée selon les situations. En effet, dans certains cas, le

non respect de l’accompagnement rencontre le non respect des obligations locatives ; dans ce

cas, il peut donc être sanctionné par un Juge.

Quoi qu’il en soit, la valeur juridique du contrat d’accompagnement est donc loin d’être tranchée

et l’ambigüité en est d’autant plus renforcée quand cette question est liée au contrat de bail.

En outre, si on peut considérer que la situation de ces contrats se révèle quelque peu complexe

lors de son interprétation juridique, on constate que sur le terrain, les bénéficiaires de

l’accompagnement social manifestent une même confusion.

Interrogés pour savoir s’ils avaient signé un contrat { leur arrivée dans le logement, tous les

bénéficiaires ont spontanément fait référence à leur contrat de bail. Lorsque nous savions que

l’institution avec laquelle ils étaient engagés prévoyait aussi des contrats d’accompagnement,

nous avons souvent dû insister en leur demandant s’ils avaient éventuellement signé d’autres

documents et ce n’est qu’alors qu’ils en venaient { mentionner un contrat d’accompagnement.

On peut donc s’interroger quant { l’identification du contrat d’accompagnement comme un

« contrat » dans l’esprit des bénéficiaires.

De plus, ces derniers ne distinguent pas toujours la différence qui peut exister entre les deux

documents, contrat de bail et contrat d’accompagnement, a fortiori lorsque le second est

enchâssé dans le premier. Ainsi, certains d’entre eux peuvent se sentir liés de la même façon par

les deux contrats, ignorant que l’un d’eux ne bénéficie pas forcément d’un pouvoir de contrainte

juridique.

Or, de l’aveu de certains travailleurs sociaux, cette confusion n’est pas toujours levée afin de

conférer plus de poids { l’accompagnement social. Si l’on peut comprendre cet objectif, il nous

semble que les bénéficiaires pourraient gagner quant à mieux cerner ce qui relève de leurs

obligations contractuelles et légales au regard de leurs obligations morales.

En effet, comme nous avons précédemment cherché à le démontrer, l’accompagnement social

appelle la mise en place d’une relation basée sur une confiance réciproque. Aussi, même si celle-

ci peut être fragile à son commencement, son existence nous paraît pouvoir justifier des efforts

de clarification auprès des bénéficiaires quant au fait que ce contrat d’accompagnement tienne

essentiellement sur l’engagement mutuel et moral des deux parties et non sur une force

juridique. Cependant, mentionnons que le manque de clarté quant à la valeur juridique du

contrat peut plonger les travailleurs sociaux eux-mêmes dans une sorte d’incertitude.

Pour ne pas conclure …

La question reste donc de savoir s’il faut clarifier le statut de l’accompagnement social et de sa

logique contractuelle d’un point de vue légal. Pour notre part, nous estimons que le flou qui

l’entoure peut être source d’ambigüité et d’incertitude. Or, les bénéficiaires étant parfois eux-

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15

mêmes placés dans des situations incertaines – notamment lorsqu’ils occupent un logement

temporaire -, nous pensons important de les entourer d’outils stables et stabilisés.

De la même manière, la plupart des services qui pratiquent l’accompagnement social peuvent

aussi souffrir de ce manque de reconnaissance d’un point de vue légal, notamment en termes de

subvention. Une reconnaissance pourrait donc représenter un adjuvant intéressant.

Cependant, nous sommes aussi conscients qu’une telle reconnaissance légale pourrait aussi

entraîner certains effets pervers, notamment en cadenassant de manière trop rigide

l’accompagnement social tandis que celui-ci – comme nous avons tenté de le démontrer dans le

cadre du premier rapport intermédiaire – nécessite de la souplesse et de l’adaptabilité pour

pouvoir dérouler ses effets. Nous pensons donc que face à une simplicité de façade, cette

suggestion doit encore faire l’objet de réflexion. Nous y reviendrons donc dans le cadre du

rapport final { l’issue de cette recherche.

IV. Les apports de la contractualisation

Comme le montre notre état des lieux quant { l’utilisation des contrats d’accompagnement

auprès des services partenaires de cette recherche, il existe un certain enthousiasme quant à

l’utilisation de cet outil sur le terrain. Dès lors, il importe de comprendre comment les

travailleurs sociaux eux-mêmes perçoivent les avantages d’un tel outil.

Un outil à valeur pédagogique

Dans la pratique des travailleurs sociaux en charge de l’accompagnement social, ce contrat

permet, tout d’abord, de préciser les objectifs poursuivis et ce, suite à une négociation avec le

bénéficiaire, comme nous l’indiquions précédemment. Ce document servira alors de fil

conducteur et de balise pour chacun des protagonistes engagés dans cette relation.

« Je pense que c'est effectivement un outil de travail, comme on le disait, c'est une ligne

de conduite. C'est aussi, pour nous, un outil qui nous sert dire « voilà ce qu'on avait dit,

voilà ce qui reste aussi à faire ». Les balises qui sont mises dans la convention de

collaboration sont importantes. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en

charge d’accompagnement social)

À cet égard, ce document sert aussi de trame pour mener une évaluation quant au parcours de la

personne. Lorsque le logement est régi pour un bail de courte durée éventuellement

reconductible, ce document peut aussi montrer toute son utilité pour évaluer si

l’accompagnement et la mise en location du logement doivent se poursuivre et selon quelles

conditions.

En cas de difficultés ou de refus de collaboration, l’existence d’un écrit peut présenter une

certaine force de persuasion, cela avec tous les bémols que nous avons émis précédemment que

ce soit au niveau de la nature non juridique – et donc non contraignante – du document mais

aussi en ce qui concerne la valeur de l’écrit parmi les personnes précarisées qui peuvent y être

moins sensibilisées. Le contrat peut toutefois constituer un rappel des engagements pris lors de

l’obtention du logement et/ou de la mise en place de l’accompagnement social.

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« Ce que je voulais dire, c’est que quand on rencontre un problème et qu'il y a un souci

avec le locataire, on envoie un courrier où on indique : ‘ Tu n'es pas sans savoir que tu

as signé un contrat de bail et que, dedans, il y a l'accompagnement social.’ »27 (Extrait

d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social)

De manière générale, ce contrat peut aussi servir de courroie d’information permettant aux

bénéficiaires de mieux cerner ce que représente cet accompagnement social, objet dont on a vu

combien il pouvait être malaisé de discerner les contours. Après avoir établi un diagnostic, le

travailleur social pourra également profiter de la rédaction de ce document pour créer un

moment d’échanges avec le bénéficiaire.

Au vu de cette fonction informative importante, il est intéressant que ce contrat devienne un

outil du quotidien pour les travailleurs sociaux, usage qui, { l’heure actuelle, diffère encore d’une

institution et d’un travailleur social { l’autre.

Engager le bénéficiaire dans le cadre une relation contractuelle – même si elle ne possède pas de

valeur juridique – pourrait lui permettre d’atteindre un meilleur statut de citoyen au sein de la

société en lui conférant de nouvelles responsabilités envers lui-même et envers la collectivité

(Dijon, in Hubert, 2006).

Il importe aussi que ce contrat soit envisagé comme un atout pour les deux protagonistes et ne

constitue pas une entrave à la relation de confiance instaurée entre les deux. En effet, le fait de

recourir à un contrat écrit ne doit pas être assimilé à une remise en cause de la valeur de la

« parole donnée ». Comme on peut le voir dans l’extrait suivant, un rappel par l’écrit n’est, en

effet, pas toujours bien perçu.

« Oui, je crois que j'ai signé un papier avec eux, comme quoi il fallait que je cherche du

travail, que je sois occupé, un tas de trucs comme ça. Je ne sais plus exactement. Mais

oui, j'ai signé ce papier.

- Vous ne vous souvenez plus de ce qu'il y avait dans ce document ? Plus trop, non. Ça

fait déjà une bonne année.

- Ils ne l'ont jamais ressorti, réutilisé ? Je sais que j'ai quand même quelques trucs à

faire. Les choses que je dois faire, je les fais ; donc, il n'y a aucune raison de me dire « il y

a ça ou ça ». Au fur et à mesure qu'il y a des choses à faire, on me téléphone pour me

dire « il y a ça ou il y a ça », donc, il n'y a aucun problème. »

(Extrait d’entretien avec des bénéficiaires d’accompagnement social)

Ce contrat devra donc être présenté comme un plus dans la mise au clair des engagements des

uns et des autres et non pas simplement comme une garantie, ce qui pourrait instituer un climat

de méfiance.

Enfin, en raison des possibilités de négociation qu’il induit, le contrat peut être l’occasion

d’opérer un rééquilibrage des forces en présence. En effet, symboliquement, les deux

protagonistes sont engagés dans une relation asymétrique. La négociation du contenu du contrat

peut alors permettre { chacun d’évaluer et de confronter ses attentes et besoins.

27 Soulignons que dans cette citation, c’est bien le contrat de bail qui est mis en avant, or, rappelons que celui-ci dispose bien d’une valeur juridique.

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Le contrat, outil d’une approche individualisée ?

Une autre caractéristique de l’Etat-social actif consiste en une tentative d’individualisation de

l’aide apportée aux personnes précarisées.

Le contrat représente alors une voie pour ce traitement axé sur les demandes et besoins

analysés en lieu et place de procédures standardisées. « Aux prestations inséminatrices

standardisées, succéderaient les interventions négociées taillées sur mesure – ou du moins

présentées comme telles – pour le bénéficiaire et ses caractéristiques personnelles. Autrefois ignoré

dans ses spécificités et subsumé dans les catégories homogénéisantes de l’administration, l’individu

fait de la sorte son entrée à proprement parler dans les politiques sociales. »28

Pour certains auteurs, ce renoncement aux traitements uniformes constituerait cependant une

attaque { l’égalité de tous les citoyens, ce qui est particulièrement dommageable. (Weller, 2000).

Pourtant, couplée à une logique de négociation, cette prise en charge individuelle autorise une

meilleure adaptabilité face à un public aux visages de plus en plus multiples. En effet, à la lecture

des bilans individuels réalisés pour chaque bénéficiaire impliqué dans le cadre de cette

recherche, on constate que les problématiques sont souvent complexes et multiples et réclament

une entrée et un traitement adaptés.

Une lecture transversale montrera également qu’il est tout { fait possible de dégager un certain

nombre de traits communs. Cette prise en charge axée sur l’individu trouve donc naturellement

certaines limites, des habitudes professionnelles se développant { force d’être confrontées à des

problématiques similaires.

On notera que l’analyse des contrats d’accompagnement montre deux caractéristiques qui

contredisent cette politique d’individualisation, avec d’une part, l’existence de catégories

prédéfinies et d’autre part, l’utilisation de catégories similaires dans des contrats utilisés par des

services différents.

« En fait, la convention prévoit deux points prioritaires et des axes complémentaires. La

gestion du logement en ‘bon père de famille’ et la recherche d’une solution

d’hébergement { long terme sont deux choses qui doivent rentrer absolument dans le

projet. Par rapport aux autres objectifs, c’est la santé ; la régularisation

administrative et la gestion budgétaire. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs

sociaux en charge d’accompagnement social)

Cette individualisation passe donc par des canaux préétablis et si des adaptations sont possibles

et font partie intégrante de la pratique, elles restent confinées à un cadre préalable et limité, au

moins dans une certaine mesure.

28 DUMONT D., Contractualiser la protection sociale pour la rendre plus efficace ?, FUSL, Décembre 2007,

p.4

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18

Un accès vers plus de légitimité

Si nous avons vu les avantages assortis à l’utilisation du contrat dans la pratique quotidienne,

certains travailleurs sociaux ont également mis en avant le fait que l’usage de cet outil pouvait

permettre une professionnalisation et, donc offrir une plus grande légitimité à leurs actions.

En effet, adopter la logique contractuelle apparaissait, pour certains d’entre eux, comme une

manière de conférer un contenu concret à des démarches qui demeurent, pour la plupart des

agents extérieurs au champ de l’Action sociale, relativement abstraites. Dans une société qui

valorise tant l’écrit, le recours au contrat peut donc apparaître comme un moyen de légitimer

l’action sociale entreprise auprès des personnes précarisées.

Reconnaissons que cette autre fonction du contrat reste tout à fait secondaire au regard des

premiers avantages que nous évoquions précédemment.

Outil d’émancipation …

Utilisé dans une philosophie pédagogique et non coercitive, le contrat peut représenter une

opportunité pour le bénéficiaire de se saisir de son destin et d’influer sur la prise en charge dont

il est la cible. Pour se faire, les travailleurs sociaux doivent pouvoir laisser la négociation

développer tous ses effets et accepter des remises en cause éventuelles de leurs habitudes

professionnelles. Une telle démarche demande bien évidemment des efforts et de la volonté tant

du point de vue des travailleurs sociaux que des bénéficiaires.

S’inscrire dans une telle logique réclame, en effet, une implication conséquente, sans quoi le

contrat pourrait se limiter à un acte administratif supplémentaire sans grand intérêt. Si le

contrat se veut émancipateur, il doit aussi pouvoir prévoir des modalités permettant à chacun de

défendre ses points de vue et intérêts.

Pour certains auteurs, cette logique contractuelle reste aussi porteuse d’une injonction

paradoxale qu’il ne faut pas négliger. En effet, s’il est demandé aux personnes de se réinsérer en

glorifiant leur responsabilisation et leurs capacités, il s’agit de ne pas oublier que cette « reprise

en main de leur destin individuel » se fait dans un contexte sur lequel ils n’ont que peu

d’influence ; les mécanismes régulateurs du marché de l’emploi et de l’immobilier restent bien {

un niveau structurel, réalité que la logique contractuelle ne doit pas tenter d’oblitérer. « Or,

quand le contrat n’implique pas un engagement réciproque mais qu’il se réduit à une injonction

paradoxale à atteindre ce que la société n’est plus en mesure d’offrir (…), il devient un instrument

d’éviction plus que d’insertion. »29

Il s’agira aussi d’envisager la manière de mettre fin { cette relation contractuelle pour éviter que

celle-ci ne prenne fin prématurément ou unilatéralement. Nous pensons, en effet, que la sortie

du dispositif et le fait de mettre un terme aux engagements réciproques demandera une

29 LANZARINI C., Survivre dans le monde sous-prolétaire, Paris, PUF, 2000, p.197.

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procédure formalisée et prévue à cet effet. Ce n’est qu’avec le respect de ces conditions que le

contrat pourra, selon nous, agir en tant qu’outil d’émancipation.

Stimuler l’appropriation du contrat par les bénéficiaires

Outre ces différents avantages que nous venons d’exposer, il faut souligner certains bémols

auxquels nous avons fait allusion précédemment. En effet, nous avons déjà évoqué les difficultés

d’appropriation du contrat par les locataires.

« - Quand vous êtes arrivé dans le logement et que vous avez commencé

l’accompagnement, avez-vous dû signer un papier, un contrat, quelque chose ? Oui.

- Qu'est-ce que stipulait ce papier, ce contrat ? Les règles, tout ce qu'on fait ensemble.

- Quelles étaient ces règles ? …

- Vous ne vous souvenez plus ? Non.

- Ce contrat, vous l'avez signé au début, mais vous ne l'avez plus jamais utilisé par après

? Non. Il est dans mes papiers, je le sais. C'est en parlant, c'est simplement pour avoir un

papier.

- Le papier en lui-même, vous ne vous souvenez plus ce qu'il y avait dessus ? Non, ce qui

était stipulé dedans, non. La première fois qu'il m'en a parlé, qu'il me l'a proposé, on l'a

lu ensemble. Mais après, ça s'est fait comme ça, naturellement. » (Extrait d’entretien

avec un bénéficiaire de l’accompagnement social)

Il s’agit dès lors de s’interroger sur les manières de stimuler cette meilleure appropriation. L’une

des suggestions que nous avons déjà évoquée consisterait en une utilisation plus systématique

et régulière dudit contrat en dehors des moments d’évaluation ou de difficultés qui pourraient

apparaître. En effet, nous avons remarqué que si les travailleurs sociaux font allusion aux

objectifs qui y sont repris lors de leurs rencontres avec les bénéficiaires, le support papier reste

pourtant très souvent absent lors de ces entretiens.

En outre, les locataires n’évoluent pas dans un monde sans aucune autre référence à la logique

contractuelle - leurs allocations RIS ou de chômage peuvent elles-mêmes être soumises à la

passation de contrats -, dès lors, il nous paraîtrait intéressant que des rapprochements entre ces

différents documents puissent être établis par le travailleurs sociaux en charge de

l’accompagnement. Nous pensons que plus sensibilisés aux différentes formes de contrat qui les

entourent, les bénéficiaires pourraient mieux en cerner la valeur et donc, mieux se les

approprier.

Enfin, le moment où est signé ce contrat relève d’une certaine importance. Si le contrat de bail

doit être signé au moment de l’entrée dans le logement, il serait peut-être plus opportun que le

contrat d’accompagnement intervienne ultérieurement, une fois le moment d’émotion relatif {

l’entrée dans le logement estompé. De plus, la signature de ce contrat pourrait aussi être

soumise à un certain cérémoniel30, permettant de conférer plus d’importance au moment de la

signature pour le graver plus profondément dans la mémoire des bénéficiaires. Ces différentes

pistes doivent toutefois encore faire l’objet de réflexion.

30 Nous pensons que tout sacrifice, d’humain ou d’animaux, devrait être, dans la mesure du possible, évité.

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V. La figure du contrat et l’aspect coercitif

Nous avons longuement examiné la valeur juridique du contrat d’accompagnement et avons mis

en avant toute la complexité et l’ambigüité qui entourent cette question. Si la valeur d’un tel

contrat semble peu efficiente devant les Cours et Tribunaux, il n’empêche que sur le terrain, la

force contraignante du contrat d’accompagnement reste une réalité nébuleuse tant dans l’esprit

des bénéficiaires que des travailleurs sociaux.

Nous avons prioritairement abordé cet aspect avec les travailleurs sociaux en nous arrêtant sur

deux interrogations distinctes mais néanmoins complémentaires :

Les travailleurs sociaux pensent-ils que le contrat d’accompagnement possède une

force coercitive ?

Les travailleurs sociaux souhaitent-ils que le contrat d’accompagnement possède une

force coercitive ?

Nous verrons que, de nouveau, ces analyses appellent à la nuance en mettant en exergue la

complexité de telles questions qui pourraient, en apparence, sembler anodines.

L’existence d’une valeur coercitive du contrat d’accompagnement

Concernant la première interrogation, majoritairement, les travailleurs sociaux considèrent

comme relativement faible la valeur juridique du contrat d’accompagnement. Cette

interprétation devient néanmoins moins affirmée lorsque l’accompagnement est prévu dans le

cadre même du contrat de bail qui, lui, possède bel et bien une valeur juridique.

D’autre part, les travailleurs sociaux n’ont pas manqué de rappeler que le contrat de bail et le

contrat d’accompagnement – même s’ils constituent deux entités distinctes – peuvent rencontrer

des objectifs communs tels que le paiement du loyer ou l’entretien du bien. Les travailleurs

sociaux nous montrent ainsi une analyse particulièrement fine quant à leur outil de travail.

« Selon moi, tant que les loyers sont payés et que le logement reste dans un état correct,

on ne peut pas faire grand-chose. On n'a pas autant de prises que dans une maison

d'accueil, par exemple, où on peut, à un moment, décider que la personne doit s'en aller.

En tout cas, c'est comme ça que je me le représente. Donc, dans la convention de

collaboration, un des premiers points est justement le respect des obligations locatives.

Tout est lié. En tout cas, selon moi, je ne pense pas que, légalement, ça fasse force de

loi. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement

social)

Ces propos concernent néanmoins le contrat une fois qu’il a été conclu. Cependant, cette

coercition peut s’exprimer de manière moins directe au moment de la signature de celui-ci

lorsque les bénéficiaires n’acceptent l’accompagnement – et la signature du contrat – que pour

accéder au logement qui leur fait tant défaut. Bien évidemment, ce cas de figure ne concerne que

les institutions qui possèdent un patrimoine propre et qui doivent donc jongler avec la double

casquette du propriétaire et de l’accompagnateur31. « Dans le cadre d’un accompagnement à

31 Le statut de propriétaire peut, en effet, exercer une influence non négligeable sur l’accompagnement social. Nous pensons notamment à la sélection des candidats locataires, { la marge de manœuvre laissée

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l’accès au logement, le travailleur social peut se retrouver en position de crédibiliser le futur

locataire face à son propriétaire, voire même de cumuler, lui-même ou par l’intermédiaire de son

institution, les fonctions d’accompagnant et de bailleur. Il devient un acteur incontournable

exerçant – qu’il le veuille ou non – un pouvoir fort sur la situation de la personne qu’il accompagne,

conditionnant pour une bonne part l’accès et le maintien dans le logement. » (Malki, 2006).

Cette autorité symbolique a un impact qui ne peut être négligé. Pour tenter d’enrayer ces

éventuelles conséquences néfastes, plusieurs institutions ont cherché à différencier les rôles

permettant au travailleur social de se concentrer sur son rôle d’accompagnateur, un

coordinateur ou administrateur se chargeant du rôle de bailleur.

Si cette technique présente des avantages, les locataires ne sont néanmoins pas dupes et le

spectre du propriétaire peut continuer à planer au-dessus de la relation d’accompagnement, lui

conférant parfois des relents de contrainte.

En effet, les travailleurs sociaux ont évoqué la situation particulièrement délicate des candidats-

locataires, généralement prêts { de nombreuses concessions dans l’espoir d’obtenir un

logement. Si l’acceptation de l’accompagnement social ne constitue pas toujours une condition

de l’obtention du logement – ou si cela n’est pas exprimé comme tel -, les candidats-locataires

peuvent penser que « faire preuve de bonne volonté » leur permettra d’y accéder plus

facilement. Les travailleurs sociaux évoquent ainsi certaines situations où cette bonne volonté

n’est motivée par le désir d’obtenir un logement, ce qui est bien compréhensible mais qui rend

parfois le reste de l’accompagnement extrêmement complexe.

« Parfois, ça nous bloque parce que les personnes sont d'accord pour faire cet

accompagnement parce qu'ils veulent le logement. On a eu un cas, ici. Cette dame était

vraiment d’accord pour entrer dans le logement et pour l'accompagnement social en

nous disant qu’elle en avait vraiment besoin. Mais, depuis qu’elle est chez nous, elle

bloque tout, on ne sait plus travailler avec elle. Elle ne vient plus au rendez-vous. On

envoie des courriers, elle ne répond pas. On envoie de recommandés, elle ne répond

pas. On est démuni. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge

d’accompagnement social)

Si on peut penser qu’il s’agit d’une sorte de coercition, celle-ci n’est pas souhaitée par les

travailleurs sociaux qui, au contraire, regrettent que les locataires manifestent une bonne

volonté initiale qui ne perdure pas au-del{ de l’installation dans le logement et qui peut rendre

tout effort des travailleurs sociaux inutile. Une telle situation peut aussi pousser certains

candidats-locataires à mettre en avant des difficultés qui se révèlent, en réalité, peu importantes.

Néanmoins, la pénurie de logements sur le marché locatif entraînera toujours ce type de

situations, des candidats-locataires se sentant « forcés » d’accepter un accompagnement – qui ne

sera alors pas toujours nécessaire - pour accéder au logement. Mais dans ce cas, il serait injuste

d’en blâmer l’accompagnement social au logement qui, loin de chercher cette coercition, en pâtit

en se trouvant au final face à des bénéficiaires qui ne souhaitent pas collaborer, ce qui annihile

tout effet positif de l’accompagnement, la collaboration entre les protagonistes représentant sa

clé de voûte.

aux travailleurs sociaux et { encore bien d’autres aspects. Devant l’importance d’un tel critère, nous pensons en faire un élément d’analyse pour l’année 2012 l’incluant dans notre dynamique du « Qui-Où-Comment – Par qui» sur laquelle nous reviendrons donc en détail dans le rapport intermédiaire de 2012.

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Le souhait de conférer une force coercitive au contrat d’accompagnement ?

Concernant cette seconde interrogation, la position des travailleurs sociaux se révèle souvent

plus mitigée, cette question restant au centre de nombreux débats au sein des services eux-

mêmes. La plupart de nos questions sur le sujet ont souvent suscité de longues discussions lors

de nos entretiens avec les équipes éducatives.

D’une part, - et comme nous venons de le faire -, les travailleurs sociaux insistent sur la

dimension volontaire que doit recouvrir l’accompagnement social pour fonctionner32. Rappelons

que la maxime « faire avec » constitue l’élément fondateur de la démarche et appelle

irrémédiablement une collaboration entre le travailleur social et le bénéficiaire de

l’accompagnement. Si cette relation est bien évidemment évolutive et connaît des ratés, agir

contre la volonté de la personne serait totalement improductif et s’inscrirait en faux avec la

philosophie même de l’accompagnement.

« Mon travail, c’est de faire les démarches avec les personnes, donc, si elles ne sont pas

preneuses, ça ne sert { rien. On ne mettra rien en place. C’est vraiment quelque chose

qui est négociée entre les personnes et moi. L’accompagnement social porte aussi sur

des choses dont ils ne se rendent pas compte et il s’agit de leur faire prendre conscience

de ça mais tout est négocié ensemble. Il faut qu’ils adhèrent { cet accompagnement

social. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement

social)

Pourtant, dans certaines situations, les travailleurs sociaux en viennent aussi à regretter de ne

disposer d’aucun levier lorsque le bénéficiaire de l’accompagnement décide de ne plus

collaborer.

« On a eu un suivi où cela a posé vraiment problème, à cause de la consommation des

personnes. Ils ont interrompu l'accompagnement social, ils n'ouvraient plus la porte. On

n'a pu rien faire. Puis, les personnes sont parties et ont laissé le logement comme ça. On

a dû attendre une certaine procédure pour récupérer le logement. C'est pourquoi on dit

que ce serait vraiment bien que l'accompagnement social soit reconnu. » (Extrait

d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social)

Face à ces situations, se pose alors la question, que nous avons déjà soulevée, de la

reconnaissance de l’accompagnement mais aussi de son éventuel caractère obligatoire. Question

qui, elle aussi, soulève le débat parmi les opérateurs.

« - Moi, je dirais que l’accompagnement social doit être obligatoire dans certaines

situations. Je pense que ce serait bénéfique pour permettre d’avancer.

- Ça ne pourrait pas marcher si la personne se sent obligée de faire ça et ça. Tu

proposes et la personne, si elle veut, prend ton aide. En tant qu'assistante sociale, j’offre

les opportunités. Il les prend, tant mieux pour lui. Il ne les prend pas, c'est malheureux,

mais on ne peut pas l'obliger.

32 Précisons que sur le territoire français, l’accompagnement social peut devenir une obligation dans un certain nombre de situations. En Région flamande, le logement accompagné est aussi légalement reconnu par une loi générale datée de 1991. Précisons que nous ignorons, cependant, le contenu exact de ces deux textes législatifs, ce qui nous empêche de comprendre l’impact réel de cette reconnaissance sur ces deux territoires.

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- C'est vrai que le mot « obligatoire » peut faire peur. Alors, il faut mettre un autre mot

là-dessus. Mais si on ne dit pas que c'est obligatoire, d'un côté, vous vous investissez et

parfois, ce sont des échecs.

- Ça dépend, il ne faut pas que ce soit un « obligatoire » abusif. On a des personnes qui

se débrouillent, d'autres qui, toutes seules, ne se débrouilleront jamais,

malheureusement. L'obligatoire peut être bien, il peut aussi ne pas être bien. Ça

dépend. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge

d’accompagnement social)

La lecture de cet extrait d’un entretien mené au sein de l’équipe éducative d’une APL nous

montre que si les travailleurs sociaux revendiquent plus de légitimité dans le bienfondé de leurs

actions, peu se montrent néanmoins prêts à passer un cap qui rendrait leur pratique obligatoire.

Reste donc à trouver les leviers que certains réclament face au refus de collaborer de certains

bénéficiaires.

L’accompagnement social au logement : Obligatoire ? Reconnu ?

Pour notre part, si nous estimons qu’une meilleure reconnaissance s’avère nécessaire, nous

pensons qu’un caractère contraignant qui s’imposerait au secteur et donc, aux bénéficiaires ne

serait pas forcément des plus pertinents. Notre position se base notamment sur une

comparaison établie par rapport à un autre dispositif qu’est celui du projet d’accompagnement

individuel (PAI) imposé dans toutes les maisons d’accueil de la Région wallonne depuis le décret

du 12 février 2004.

Pour rappel, ce projet doit désormais obligatoirement être rédigé dans le premier mois suivant

l’arrivée de tout nouvel arrivant au sein d’une maison d’accueil. Comme son nom l’indique, il vise

{ prévoir un projet d’insertion pour toute personne hébergée selon diverses catégories

préétablies. Ces projets peuvent d’ailleurs faire l’objet d’un examen de la part des Inspecteurs de

la Région wallonne.

Pourtant, une précédente étude33 avait mis en avant le traitement extrêmement différencié

réservé à cet outil au sein des différentes institutions. Si, certaines maisons d’accueil ont

souhaité l’utiliser en tant qu’outil pédagogique, d’autres, face { cette imposition, n’en ont fait

qu’un outil administratif, ne le remplissant que « parce qu’il le fallait bien ».

Cette expérience nous donne { penser qu’une imposition par le haut aux travailleurs sociaux ne

serait donc pas des plus opportunes, provoquant des réactions de rejet comme nous venons de

l’expliquer. Par analogie, on peut aussi penser que si une injonction par le haut n’est pas

forcément bien accueillie par le secteur, il pourrait en être de même pour les bénéficiaires.

Comme pour tout un chacun et quel que soit le secteur, une obligation ne produit pas forcément

les résultats escomptés. Négociation et collaboration, valeurs qui se trouvent au cœur de la

démarche d’accompagnement initiale, doivent donc perdurer. « La contrainte peut devenir un

outil si elle ‘fait sens’ et est intégrée dans le projet, et si elle est réellement un moyen de faire

‘évoluer’ la personne. Parfois, mal présentée ou mal expliquée, ou plus simplement manquant de

33 LELUBRE M., Les freins et facilitateurs { l’accueil, l’hébergement et au logement des personnes sans-abri, Relais social de Charleroi, Charleroi, Octobre 2009.

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sens, elle peut devenir un obstacle à la création d’un lien de confiance, voire un obstacle dans le

parcours de la personne elle-même. » (Malki, 2006)

Enfin, il s’agit de ne pas oublier que l’accompagnement social auquel nous faisons ici référence

s’applique { des personnes extrêmement marginalisées, certaines d’entre elles ayant parfois

passé plusieurs années en rue. Aussi, sans remettre en cause les avantages de la logique

contractuelle, force est de constater que cet outil ne peut s’appliquer { l’ensemble du public.

Rendre obligatoire l’accompagnement social par le contrat pourrait dès lors s’avérer contre

productif.

Lanzarini (2000) évoque ainsi la différence de préoccupations des personnes sans-abri qui sont

particulièrement marquées par la rue, constat qui se prolongera pour certains d’entre eux après

leur entrée en logement. Elle s’interroge aussi sur le fait que ce sont les plus marginalisés { qui

on demanderait le plus d’efforts pour atteindre la réinsertion : « L’existence sociale d’une partie

des sous-prolétaires ne se situe pas dans une dynamique d’ « insertion », de « projet » ou de contrat

d’aide sociale mais passe essentiellement par une gestion du corps. Les efforts à fournir sont

incommensurablement disproportionnés par rapport au résultat à escompter en matière d’accès à

la norme. Tout se passe comme si des demandes complexes comme celles du contrat, d’un projet

étaient requises essentiellement des personnes les plus marginales. »34

Si le contrat peut présenter des avantages, il reste qu’on peut en effet se poser la question de son

adaptabilité au public auquel il s’adresse.

Dès lors, s’il semble que l’aspect coercitif ne soit pas toujours opportun, la reconnaissance de

l’accompagnement social constitue un enjeu tout autre qui ne doit pas être négligé mais

néanmoins encore réfléchi comme nous l’avons annoncé précédemment.

Les bénéficiaires se sentent-il contraints par le contrat d’accompagnement ?

Tout d’abord, rappelons que les bénéficiaires de l’accompagnement font montre d’une certaine

confusion entre d’une part, le contrat de bail et d’autre part, le contrat d’accompagnement. Dès

lors, on peut penser qu’assimilant ces deux formes de contrat, ils ressentent effectivement une

forme de contrainte par rapport { leur contrat d’accompagnement.

Or, lorsque nous les avons interrogés sur le sujet, la plupart d’entre eux en sont venus {

minimiser l’importance de ce document qu’il avait été amené { signer. Précisons que certains

d’entre eux semblaient même avoir oublié ledit contrat, ne se référant, lors de mes questions,

qu’au seul contrat de bail.

Ces différents extraits d’entretien avec les bénéficiaires nous montrent { quel point l’importance

du contrat d’accompagnement peut parfois être amoindrie, voire même totalement ignorée :

« - Quand tu as commencé dans le projet, tu as dû signer un contrat ou quelque chose ?

Je ne m'en souviens pas. Ah si, oui, j'ai signé un papier ! Je me souviens, maintenant. J'ai

34 LANZARINI C., Survivre dans le monde sous-prolétaire, Paris, PUF, 2000, p.197.

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dû signer un papier comme quoi j'étais d'accord qu'ils m'accompagnent, pour les trucs

administratifs et tout ça. Ils ont fait une liste de ce que j'avais besoin. On a coché les

listes, c'est tout ce que je me souviens. Mais il y a un papier. »

« - Quand vous avez commencé dans votre logement, vous avez signé un contrat

d'accompagnement ? Ça vous dit quelque chose ? Non, je ne pense pas que j'ai signé ça.

Mais il faut dire qu'on a fait des papiers en même temps. Finalement, je ne sais plus

quoi non plus. C'est ça que je n'y pense pas. C'est mon assistante sociale qui a mon

dossier, elle a pris beaucoup de papiers.

- Vous ne savez pas vraiment ce qu'il y a comme papiers dans ce dossier ? Non. »

(Extrait d’entretien avec des bénéficiaires d’accompagnement social)

Comme on peut le voir au travers de ces différents extraits, la force du contrat ne constitue pas

une source d’inquiétude au niveau des bénéficiaires qui en arrivent { oublier son existence. S’il

paraît positif que les bénéficiaires ne se sentent pas contraints par le contrat – pour toutes les

raisons dont nous avons déjà fait mention-, leur appropriation d’un tel outil doit être

encouragée, non pas pour renforcer l’aspect coercitif du contrat mais pour en stimuler certains

avantages liés à sa valeur pédagogique comme exposé plus haut.

De plus, nous avons aussi mis en avant que ce sentiment de coercition pouvait subvenir par

l’asymétrie des positions entre travailleur social et bénéficiaire. Pourtant, au regard de ce que

nous avons pu observer auprès des bénéficiaires, il ne semble pas que cette asymétrie soit

ressentie par les bénéficiaires. Au contraire, nous avons vu dans le cadre du précédent rapport

intermédiaire que la relation nouée était issue, aux yeux des bénéficiaires, d’un champ lexical

relevant du noyau familial et/ou amical.

Cette confusion des genres amène sans doute d’autres conséquences, mais elle constitue, selon

nous, un indicateur selon lequel les travailleurs sociaux ont réussi si pas à annihiler, en tous les

cas, { amoindrir cette position d’autorité symbolique qu’ils sont parfois amenés { porter.

On peut donc penser qu’une fois inscrits dans la relation contractuelle à proprement parler, les

bénéficiaires ne ressentent pas de coercition ou d’obligation et ce, en dépit du contrat

d’accompagnement que la plupart d’entre eux ont signé.

Il en va néanmoins autrement lorsqu’il s’agira de candidats-locataires qui pourront quant à eux

se sentir contraints d’accepter un contrat d’accompagnement dans le but d’accéder { un

logement.

La force de coercition du contrat diffèrera donc selon la situation du bénéficiaire. Relativement

présente lors de la signature du contrat, elle semble s’estomper avec le temps, grâce à la

dynamique relationnelle instaurée par les travailleurs sociaux.

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VI. La figure du contrat au regard de la norme

L’étude de la déviance et des groupes marginaux a engendré de nombreux travaux

sociologiques35 et les errants, les vagabonds, les SDF ou encore les sans-abri – quelle que soit la

dénomination utilisée au cours des siècles – ont souvent été identifiés comme des figures

emblématiques de tels processus.

Parallèlement, le rôle du travail social et son implication face à ces déviances a rapidement été

interrogé. « Les travailleurs sociaux sont moins des énonciateurs de normes que des agents du

front. Mais leur faire, leur geste, leur dire est inscrit dans cet espace où il est question des bords du

social, des marges et, quelquefois, des frontières de l’humain. (…) Le travail social est un travail de

la norme, autour de la norme. »36

Qu’en est-il aujourd’hui ? Les personnes sans-abri sont-elles ‘hors norme’ ? Quel est l’impact du

travail social par rapport à ces normes ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, commençons par définir ce que nous entendons par ‘norme’,

cette notion pouvant appeler des interprétations diverses. Nous référant à différents auteurs

ayant travaillé autour de la question, nous avions défini la norme comme étant un ensemble de

prescrits qu’une société donnée impose à chacun de ses membres leur permettant de discerner ce

qui peut ou ne peut être toléré au sein d’une collectivité. Le respect de ces prescrits favorisera

l’intégration dans le groupe ; le non-respect de ceux-ci pourra entraîner des sanctions37.

Dans le cas qui nous occupe, nous nous pencherons plus particulièrement sur des « normes

sociales » dans le sens où si elles peuvent entraîner une réprobation de la part de la société, elles

ne pourront entraîner de répercussions au niveau judiciaire. (Guillou & Moreau de Bellaing,

2003).

Toutefois, au-delà de ce premier niveau, les normes peuvent également être identifiables par des

indicateurs concrets et sont alors « tous les traits qui dessinent le modèle de l’individu « normal »,

depuis ses manières d’agir jusqu’aux habits qu’il porte en passant par la couleur de sa peau ou

encore les biens qu’il possède »38. Principe fondateur d’une collectivité sociale, elles se

matérialisent donc dans des faits du quotidien.

Reste maintenant à déterminer quelles sont les normes actuellement en vigueur dans notre

société et si les personnes sans-abri peuvent ou non y répondre. Nous verrons par la suite si

l’accompagnement et la logique contractuelle qui est liée impliquent ou non un processus de

normalisation.

35 Nous pensons notamment à un ouvrage fondateur comme Becker H., Outsiders, Paris, Métailié, 1985. 36 AUTES M., Les paradoxes du travail social, Dunod, Paris, 1999, p234. 37 À cet égard, voir notamment Demeulenaere P., Les normes sociales. Entre accords et désaccords, PUF, Paris, 2003. 38 BRESSON M., Les SDF et le nouveau contrat social, Paris, L’Harmattan, 1997, p.3

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De quelles normes parle-t-on ?

L’histoire de l’exclusion et des exclus39 montre que dès le 15ème siècle, le travail devient une

valeur fondamentale dans nos sociétés, les capacités productives de l’individu sont alors une de

ses forces essentielles. Seuls les individus pouvant prouver valablement par un « handicap »

qu’elles ne disposent pas de cette capacité { prendre part à la force productive pourront faire

l’objet de la charité, qu’elle soit d’ordre privée ou publique, selon les époques.

La norme travail continuera { s’imposer tout au long des siècles, pour arriver jusqu’{ notre

époque contemporaine. Pourtant, Bresson (1997) note qu’un profond changement intervient

dans les années 80. Tout d’abord la norme ‘travail’ elle-même subit une importante modification.

Il ne suffit plus de faire quelque chose pour la collectivité, il faut qu’{ cette fonction soient

assortis un revenu et surtout, un statut.

Parallèlement, suite aux crises successives intervenues au cours des années 70, le plein-emploi

ne peut plus être assuré et on voit se développer la montée d’une autre norme fondatrice, celle

du logement. « Il faut avoir un logement pour être considéré par les autres et se sentir soi-même

‘comme tout le monde’, c’est une obligation incontournable pour être intégré, une norme. Pour être

accepté socialement, il ne suffit pas d’avoir un lien acceptable avec le monde du travail mais il faut

aussi avoir un logement. (…) Le Travail et le Logement sont deux obligations sociales, deux normes

fondamentales. »40

Si on considère ces deux normes comme fondamentales pour déterminer le niveau d’intégration

sociale d’un individu, force est de constater que les personnes sans-abri sont bel et bien ‘hors

norme’, ne disposant ni d’un logement ni d’un emploi.41

Bien avant la réinsertion dans le logement et la mise en place de l’accompagnement social, le

passage par les institutions intervenant auprès des personnes sans-abri a déjà provoqué une

« perte du sentiment de normalité », que ce soit par les règles institutionnelles en vigueur ou par

le fait que la fréquentation de certains services les ait obligés { s’identifier comme étant porteur

d’une certaine déviance (Lanzarini, 2000). Recourir { une forme d’aide sociale peut alors

constituer le premier indice d’une « anormalité ».

L’accompagnement social et la logique contractuelle impliquent-ils un processus de

normalisation ?

Se trouvant hors de la sphère du logement et du travail, les personnes sans-abri peuvent, en

effet, être considérées comme ne répondant pas aux critères minimaux qui feraient d’elles des

citoyens insérés. Dès lors, deux interrogations surgissent : l’accompagnement social encourage-

t-il le retour { ces normes et n’existe-t-il pas des formes dérivées de ces deux normes dans

39 Pour plus de références en la matière, voir notamment GEREMEK B., La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Gallimard, 1987 ou encore CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Folio, 1999. 40BRESSON M., Les SDF et le nouveau contrat social, Paris, L’Harmattan, 1997, p.5 41 Pour 961 personnes ayant fréquenté un abri de nuit de Charleroi en 2009 et pour lesquels cette donnée a pu être récoltée, on note qu’ils ne sont que 4,8% { disposer d’un revenu professionnel. Pour les 887 personnes pour qui la donnée a pu être récoltée, 97,5% présentaient des problèmes en matière de logement. Pour plus de détails, voir Lelubre M., Rapport statistique de l’hébergement d’urgence à Charleroi, Année 2009, Relais social de Charleroi.

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lesquelles seraient enfermées les personnes sans-abri ? C’est en tout cas la thèse défendue par

Guillou & Moreau de Bellaing (2003).

Apporter une réponse à ces deux questions appelle nécessairement de la nuance. Pour ce faire,

notre argumentation vise à considérer deux objets sur lesquels pourrait porter le processus de

normalisation, { savoir, d’une part, la normalisation des conditions de vie et d’autre part, la

normalisation des comportements42.

La normalisation des comportements

Comme nous l’avons vu, le contrat est reconnu comme un moyen permettant une

individualisation de la prise en charge visant à agir au plus près des demandes des personnes ;

cette adaptabilité présente néanmoins des limites, que ce soit par le cadre d’intervention et les

missions préexistant au sein des institutions ou encore par l’attente de résultats réclamés par

l’autorité publique43. De même, l’un des objectifs de l’accompagnement reste de permettre aux

personnes d’être des locataires capables de respecter leurs obligations locatives et d’agir « en

bon père de famille ».

Que le service soit ou non propriétaire du logement, le maintien dans celui-ci appelle donc au

respect de certaines normes44 communément acceptées que ce soit vis-à-vis du paiement du

loyer, de l’entretien du logement et de son usage approprié ou encore des relations avec le

voisinage.

Pour exemple, l’avant-propos du présent travail avait mis en avant le fait que les personnes

ayant connu une expérience de sans-abri relativement longue restaient marquées par certaines

caractéristiques, dont une perception du temps axée essentiellement autour de l’immédiateté.

L’entrée dans un logement les plongeait, par contre, dans une perspective basée sur le long

terme. Nous avions vu que l’accompagnement social avait ainsi pour visée d’aider les personnes

à modifier cette perception temporelle.

Nous avions aussi évoqué toutes les difficultés que rencontraient ces personnes lorsqu’elles

reproduisaient certains comportements caractéristiques au monde de la rue, comme la vie en

groupe. Des situations pour le moins complexes pouvaient alors émerger lorsqu’un locataire

venait à héberger ses anciens compagnons de rue.

Irrémédiablement, il semble donc que l’accompagnement social doit pouvoir changer ces

comportements pour les rapprocher de la norme. On peut donc en conclure que

l’accompagnement et le contrat qui lui est assorti visent bien { encourager un processus de

normalisation des comportements auprès des locataires.

42 EDGAR B., DOHERTY J. & MINA-COULL A., Le logement accompagné en Europe, The Policy Press, Bristol, 2000 43 Les rapports d’activité des services destinés aux pouvoirs subsidiant évoquent ainsi leurs résultats en mettant en avant le nombre de personnes réinsérées dans le cadre d’un logement individuel au terme de l’accompagnement social. 44 Rappelons que selon notre acceptation la norme est le prescrit général auquel se soumettent les membres d’une société mais aussi toutes les attitudes qui pourraient découler du respect de cette norme.

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Cependant, nous allons voir qu’il n’en est pas de même pour ce qui des conditions de vie. À côté

d’une forte tendance qui valorise le logement individuel comme référent ultime au détriment de

forme plus alternatives de logement, les personnes précarisées restent souvent cantonnées dans

des dispositifs spécifiques (logement d’insertion, logement de transit, …), qui semblent être les

seuls où l’accompagnement puisse se développer à quelques exceptions où il prend forme dans

des logements du parc privé45.

La normalisation des conditions de vie :

Le logement individuel, comme référence mais sous une forme dérivée

Actuellement, mis { part quelques projets pilotes relativement marginaux, l’accompagnement

social au logement en Région wallonne46 porte quasi exclusivement sur des logements

individuels. Même si le co-logement suscite un certain enthousiasme, il reste peu développé sur

nos territoires.

La législation elle-même encourage cette individualisation du logement par les règlements en

vigueur au niveau des allocations sociales, le logement groupé amenant des « sanctions »

financières en imposant le référentiel ‘taux isolé’, y compris pour des personnes ne présentant

aucun lien de parenté entre eux et ne partageant donc pas leurs revenus.

Permettre le développement de formes plus alternatives de logement – lorsqu’elles sont

souhaitées par les bénéficiaires – appelle donc des modifications d’une part, quant {

l’individualisation des droits sociaux mais aussi d’autre part, quant aux modes de subvention

actuellement en cours dans le secteur du logement.

Nous avons cité en exemple le co-logement47 mais ces formes alternatives touchent d’autres

spécificités que ce caractère individuel ou collectif de l’habitation comme la localisation ou

encore l’organisation de l’espace { l’intérieur, autres aspects qui devraient pouvoir être

adaptables et adaptés48.

Si une plus grande place doit être laissée au logement alternatif, c’est plutôt un mouvement

inverse qui est en cours en Région wallonne, comme on peut le voir dans le cadre du plan

‘Habitat Permanent’.

On peut comprendre et saluer le souhait des autorités de développer un habitat digne pour tous

mais on peut également s’interroger sur cette volonté de supprimer, dans certains cas, ou de ne

pas encourager, dans d’autres, ces autres formes de logement ne correspondant pas aux canons

en vigueur.

45 Pour notre échantillon, seules deux personnes occupent un logement issu du parc privé régi par un bail classique. 46 Selon les dires des opérateurs du logement, la situation serait quelque peu différente en région bruxelloise, notamment par l’organisation de squat légalisé. 47 Nous faisons ii référence aux différentes formes de logements collectifs que l’existence de courants divers a décliné sous diverses dénominations que sont le logement groupé, l’habitat solidaire et autres. 48 À titre d’exemple, nous pensons notamment { des initiatives telles que celles lancées au Danemark intitulées « Freak house for freak people ». Voir à cet égard FEANTSA, « L’exclusion liée au logement au Danemark : Maisons atypiques pour personnes atypiques », Avril 2005, Source : http://www.feantsa.org/files/social_inclusion/Peer%20Review/FR_PeerRev2005_final.pdf

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Par ailleurs, si des efforts doivent être entrepris au niveau des autorités, le développement de

formes alternatives de logement doit aussi passer par une sensibilisation des personnes elles-

mêmes. En effet, ces dernières peuvent ignorer l’existence d’autres référentiels en matière de

logement et marquer une nette préférence pour le logement individuel.

Aussi, lorsqu’une personne voit se succéder plusieurs échecs dans ses tentatives de réinsertion

dans un logement individuel et normé, il est sans doute intéressant d’envisager avec elle d’autres

alternatives que ce soit de manière temporaire ou sur le plus long terme. Pour qu’une personne

puisse envisager une autre forme de logement, il importe qu’elle en connaisse d’abord

l’existence. Mieux informées, elles pourraient d’ailleurs être le moteur et { l’initiative de

nouvelles formes de logement qui n’ont pas encore été créées49.

En privilégiant ce type de logement, on peut donc penser que l’accompagnement social procède,

par la force des choses, d’une sorte de mécanisme de normalisation qui se répercutera sur le

processus de normalisation des comportements, les deux phénomènes se renforçant

mutuellement.

Cependant, la situation évolue progressivement et les opérateurs du logement en viennent à

imaginer des formules plus diversifiées afin de mieux correspondre { l’évolution des publics

auxquels ils doivent faire face. Il s’agit maintenant aux autorités publiques d’y apporter leur

soutien.

Alors que nous venons de constater la prépondérance du ‘logement individuel’, une autre

unanimité semble se dégager parmi nos bénéficiaires de l’accompagnement social, { savoir leur

inscription dans des formes de logement autres que le logement issu du patrimoine privé et régi

par un bail à résidence classique. On a donc l’impression de voir se développer des logements

spécifiques pour un public spécifique. Brunetaux et lanzarini parlent alors d’« inclusion

périphérique »50.

Il importe donc de rester extrêmement vigilant { ce que l’accompagnement et plus largemet la

politique de logement dévolue aux personnes les plus précaires ne les maintiennent pas dans ces

formes marginales mais renforcent le retour vers le droit commun. Pour paraphraser Castel,

l’accompagnement social doit éviter d’installer les personnes dans un ‘état transitoire durable’,

voyant les formes de logement dérivées se succéder.

Si nous nous sommes intéressés de manière privilégiée au domaine du logement, la lecture des

bilans individuels des locataires participant { cette recherche montre qu’une tendance similaire

s’observe au niveau de la réinsertion professionnelle où la voie privilégiée correspond aux

« article 60 »51, que l’on pourrait qualifier de formes dérivées de l’emploi classique.

49 Nous nous trouvons actuellement dans une ère où l’expérience issue du vécu est de plus en plus valorisée, elle pourrait donc ici aussi être utilisée à bon escient. Voir notamment CANTELLI F., JACOB S., GENARD J-L. & DE VISSCHER C., « Les constructions de l’action publique », Paris, L’Harmattan, 2006. 50 BRUNETEAUX P. & LANZARINI C., Les nouvelles figures du sous-prolétariat, Paris, L’Harmattan, 1999, p.10 51 Loi organique des CPAS de 1976, article 60, §7 qui donne pour mission aux CPAS favoriser la remise à l’emploi de ses bénéficiaires par des dispositions multiples, notamment en agissant lui-même en tant qu’employeur.

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Un paradoxe à surmonter

La question de la normalisation dépasse bien évidemment le cadre de l’accompagnement social

au logement et concerne sans doute l’ensemble du champ de l’Action sociale. Cependant,

l’analyser sous cet angle particlier nous permet de mettre { jour un paradoxe qui influence

nécessairement l’accompagnement social.

Alors qu’un processus de normalisation semble bel et bien en cours quant aux comportements

des bénéficiares, on remarque que, paradoxalement, les conditions de vie dans lesquels sont

plongés ces bénéficiaires ne correspondent pas complètement aux normes en vigueur.

En effet, si c’est bien le logement individuel qui s’impose comme norme tant aux personnes

précarisées qu’au reste de la société – pour toutes les raisons que nous avons évoquées -, on

constate aussi que le bénéficiaires de l’accompagnement social – tant au niveau du logement

qu’au niveau professionnel - sont confinées dans des formes particulières ou dérivées.

Elles sont soumises ainsi à une nouvelle injonction paradoxale où il leur sera demandé de se

respecter les normes de comportements alors que alors que les normes relatives à leur

conditions seront différentes (logement individuel mais déclinée sous une forme autre que le

logement issu du parc privé et soumis aux seules règles du bail classique).

VII. Conclusion

Nous avons débuté ce chapitre en montrant que la logique contractuelle n’était qu’une facette

d’un mouvement plus large actuellement en cours, { savoir la transition de l’Etat-Providence

vers l’Etat-social actif. Ce dernier favorisant la responsabilité individuelle, le contrat devient un

outil emblématique pour les tenants de ce courant.

Toutefois, nous nous sommes interrogés quant à savoir si le contrat d’accompagnement social

correspondait bien à un contrat à proprement parler. Pour statuer sur cette question, nous nous

sommes notamment appuyés sur les travaux d’auteur ayant réfléchi { cette question dans le

cadre du Plan d’accompagnement et de suivi des chômeurs et du contrat d’intégration sociale lié

au RIS.

Si nous avons remis en cause certains pans de leur argumentation, comme eux, nous avons

néanmoins conclu que le contrat d’accompagnement en tant que tel ne pouvait constituer un

contrat juridique. L’impossibilité de le faire valoir devant les Cours et Tribunaux constituant

notre argument majeur en la matière.

Nous nous sommes donc entendus sur une définition restreinte de la notion de contrat, nous

référant plutôt à un engagement moral et mutuel, comme l’avaient, spontanément, énoncé

certains travailleurs sociaux.

Ce constat a aussi été l’occasion de nous interroger sur la nécessité de conférer une base légale à

cet outil contractuel. Nous avons conclu à la nécessité de faire preuve de circonspection sur le

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32

sujet, une telle reconnaissance pouvant entraîner des effets dont on mesure encore mal

l’ampleur.

Cependant, notre analyse ne peut s’arrêter { cette seule affirmation, le secteur du logement

s’étant engagé dans la logique contractuelle de manière protéiforme et complexe. En effet, si

notre intérêt se porte en priorité sur le contrat d’accompagnement, il n’est pas le seul { régir le

secteur, le logement étant prioritairement conditionné par un contrat de bail.

Nous avons ainsi vu que les différents partenaires engagés dans cette recherche s’inscrivaient

dans des logiques diverses, cumulant contrat de bail et contrat d’accompagnement, ou ne

privilégiant que l’une de ses formules au détriment de l’autre.

Nous avons également tenté de mettre { plat les avantages de l’utilisation d’un contrat dans le

cadre de l’accompagnement social au logement. Nous avons vu qu’il pouvait être un outil

pédagogique et d’information fort utile, servant aux bénéficiaires { mieux appréhender les

contours de l’accompagnement qui leur est offert mais aussi de mieux évaluer le chemin

parcouru au fil des mois.

Par son approche individualisante, il assure également une marge de manœuvre en termes de

négociation, donnant l’occasion aux bénéficiaires de disposer d’une véritable mainmise sur leur

prise en charge. Pour les travailleurs sociaux, l’utilisation de cet outil représente un pas

supplémentaire vers plus de légitimité pour leur pratique.

Toutefois, nous continuons à nous interroger quant { la façon de stimuler l’appropriation du

contrat par les locataires, élément qui nous paraît tout à fait fondamental. Si nous avons émis

quelques suggestions en la matière, il paraît important de continuer à creuser cette question.

Nous avons prolongé notre réflexion en nous penchant sur la force coercitive de

l’accompagnement social. Si nous avions déj{ pu démontrer que ne disposant pas de valeur

juridique, l’influence du contrat d’accompagnement restait extrêmement limitée auprès des

Cours et Tribunaux, nous avons cherché { connaître l’avis des travailleurs sociaux et des

bénéficiaires sur cette question.

Pour les premiers, nous avons d’abord cherché { connaître leur impression quant { l’existence

d’une force coercitive qui pourrait accompagner le contrat d’accompagnement social.

Majoritairement, les travailleurs sociaux ont donc reconnu que ce contrat possédait peu de

valeur juridique en soi, l’analyse devenant, toutefois, beaucoup plus complexe lorsqu’on y

impliquait le contrat de bail.

Lorsqu’il s’agissait de savoir si ce contrat d’accompagnement devait être entouré d’une force

coercitive, les débats sont devenus plus passionnels et moins tranchés. Une telle question est

actuellement en débat dans le secteur et les positions semblent peu affranchies. Même si les

travailleurs sociaux regrettent de ne pas disposer de plus de leviers face à un manque de

collaboration de la part de certains bénéficiaires, peu d’entre eux semblent prêts { franchir un

cap en réclamant un accompagnement social obligatoire.

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33

Pour notre part, si nous continuons { penser qu’une reconnaissance de l’accompagnement

social52 pourrait être porteuse d’avancées, elle demande une réflexion approfondie afin d’éviter

toute imposition par le haut qui, à terme, se révèlerait infructueuse – tout comme pour son outil

qu’est le contrat. Nous pensons aussi que lui conférer un caractère obligatoire s’inscrirait en faux

avec la philosophie même de l’accompagnement social au logement.

Pour ce qui concerne les bénéficiaires, nous avons vu que si une certaine coercition pouvait être

ressentie chez les candidats-locataires qui pouvaient voir dans l’acceptation du contrat

d’accompagnement une chance supplémentaire d’accéder au logement, il semble qu’avec le

temps, cette coercition ne se fasse plus sentir et soit bel et bien remplacer par une relation de

confiance.

Enfin, nous avons terminé ce premier chapitre en examinant ce que pouvait représenter

l’accompagnement social au regard de la norme. Nous avons entrevu en quoi il pouvait

représenter un instrument de normalisation des comportements, notamment lorsqu’il ne

favorise qu’un seul et unique type de logements où le maintien passe irrémédiablement par le

respect de certains comportements de « bon père de famille ».

Nous avons donc encouragé aux développements de formes alternatives de logement

permettant à chacun de trouver une place dans le secteur du logement. Nous avons également

essayé de montrer en quoi ce développement pouvait être possible en levant certains obstacles,

notamment au niveau législatif mais aussi par une sensibilisation des autorités publiques ainsi

que des bénéficiaires eux-mêmes.

Nous avons conclu en précisant que si le logement individuel correspond à une norme partagée

par l’ensemble de la société qui se répercute sur le logement accompagné, il n’en reste pas moins

que ce sont bien des formes dérivées qui sont appliquées dans le secteur par le biais de

dispositifs spécifiques tels que le logement d’insertion, de transit et autres.

Les bénéficiaires sont donc soumis à un paradoxe qui est de se soumette à la normalisation de

leurs comportements alors que leurs conditions de vie ne sont qu’en partie normalisées

(logement individuel décliné sous des formes dérivées). Nous avons également évoqué les

risques d’ « inclusion périphérique » et rappelé l’importance que les bénéficiaires puissent

réintégrer le droit commun.

Si ce chapitre nous a permis de clarifier plusieurs de nos positions, il a aussi été l’occasion

d’ouvrir le champ de nos réflexions, plusieurs questions restant encore en suspens et appelant

un approfondissement que ne nous manquerons pas de réaliser au cours des prochains rapports

qui interviendront.

52 Précisons que cette reconnaissance légale était déjà une réalité dans de nombreux pays européens au début des années 2000. Pour plus de détails sur cette question, voir notamment EDGAR B., DOHERTY J. & MINA-COULL A., Le logement accompagné en Europe, The Policy Press, Bristol, 2000

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34

Chapitre II : Un accompagnement où se mêle un traitement individuel et

collectif

Confrontés pour la première fois { ce nouvel objet d’étude qu’est l’accompagnement social dans

le logement, nous nous sommes prioritairement tournés vers l’analyse d’une relation reliant un

travailleur social à un bénéficiaire, imaginant que nous pourrions trouver toutes les réponses

dans ce binôme originel.

Lors de notre phase exploratoire, les premiers éléments d’analyse recueillis confirmaient cette

conception selon laquelle l’accompagnement social se développait principalement par ce

traitement individuel de la demande. Néanmoins, lors de notre première série d’entretiens, nous

avons remarqué que plusieurs bénéficiaires présentaient un trait commun, à savoir leur

participation à des activités collectives qui étaient souvent organisées par le même service qui

leur offrait, par ailleurs, l’accompagnement social individuel.

Nous avons donc commencé { envisager l’accompagnement social sous un autre angle où la

dimension collective pouvait prendre place. De nouvelles questions se sont faits jour. Comment

articuler cette dimension individuelle et collective ? Quel peut être l’apport de l’une par rapport

{ l’autre ? L’une de ces formes peut-elle exister sans l’autre ?

Face à toutes ces nouvelles interrogations, il nous fallait prendre le temps d’isoler cette

dimension et d’en faire une analyse particulière, tâche { laquelle nous allons nous atteler au

cours de ce second chapitre.

I. Le collectif, parent pauvre de l’accompagnement ?

Si, initialement, notre attention avait été attirée par le volet individuel de l’accompagnement

social, c’est qu’il faut bien reconnaître que sur le terrain, ce dernier exerce un quasi monopole.

Une telle situation est d’autant plus étonnante car elle est en contradiction avec un phénomène

européen qui, lui, privilégie un traitement collectif de la question.

Si cette déclinaison majoritaire sous un mode individuel ne peut être ignorée, il importe de

tenter de comprendre les raisons d’un tel succès au détriment de son volet collectif. Comme nous

l’avons exposé précédemment, l’accompagnement social individuel présente de nombreux

avantages, cependant, nous verrons qu’il en est de même pour sa déclinaison collective.

L’explication de son succès doit donc également se chercher dans d’autres facteurs plus

structurels. « Les solutions de logement collectif dominent le paysage du logement accompagné

dans la plupart des Etats membres de l’Union Européenne. On peut attribuer cette prédominance à

l’évolution historique, aux exigences d’efficacité de gestion, aux pratiques de financement, à

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l’influence de marché immobilier ou encore, et c’est le cas le plus fréquent, à l’ensemble de ces

quatre facteurs. »53

Pour notre part, nous avons identifié deux d’éléments d’explication quant à cette préférence

pour le mode individuel.

L’organisation du parc immobilier et la vie des quartiers

En premier lieu, ce succès mitigé de l’accompagnement collectif peut se comprendre par

l’organisation du parc locatif tel que nous le connaissons. En effet, nous avons vu que la norme

privilégiée restait le logement individuel qu’il s’agisse de personnes isolées ou de cellules

familiales.

De la même manière, on peut aussi rappeler un constat qui traverse l’ensemble de nos sociétés

quant { la disparition des relations de voisinage au sein des quartiers. L’apparition des

dispositifs tels que les ‘maisons de quartier’ tente d’enrayer ce phénomène et traduit cette

volonté de recréation de liens entre des individus qui partagent un même espace géographique.

L’initiative européenne de la « Fête des voisins » illustre également ce souhait de combler cette

carence relationnelle54.

« Ce n’est pas un laid quartier mais bon, il y a mieux. C’est tous les mêmes les quartiers

de toute façon. Mais ça va, quoi. Moi, je ne parle avec personne comme ça, je suis

tranquille. J’ai déj{ eu des ennuis avec des quartiers, donc, je préfère éviter ça et rester

dans mon coin, c’est mieux. Je n’ai pas trop confiance, moi. » (Extrait d’entretien avec

des bénéficiaires d’accompagnement social)

Or, même s’il peut prendre bien des formes différentes, l’accompagnement collectif se développe

sans doute préférentiellement lorsqu’un logement lui-même collectif peut voir le jour ou

lorsqu’une vie de quartier peut se développer. Le lien entre ces deux phénomènes

macrosociologiques et le développement de l’accompagnement social collectif ne peut donc être

négligé. Envisager le logement sous une forme collective pourrait permettre que

l’accompagnement qui y soit attaché suive une voie similaire.

Une lacune dans la formation initiale des travailleurs sociaux ?

Lorsque nous avons débattu de ce plus faible développement de l’accompagnement collectif avec

les travailleurs sociaux, ces derniers ont souvent mentionné des raisons qui étaient non pas liées

à la nature de l’accompagnement lui-même mais plutôt à des corpus professionnels qui

privilégient ce mode individuel. Ainsi, plusieurs travailleurs sociaux ont indiqué que

l’accompagnement collectif était un domaine qu’ils ne maîtrisaient pas, beaucoup s’estimant ne

pas être suffisamment armés pour le mettre en pratique.

« Il y a vraiment quelque chose de relativement difficile. Autant l’accompagnement

individuel est souvent réalisé, autant l’accompagnement collectif ne l’est pas ou avec de

53 EDGAR B., DOHERTY J. & MINA-COULL A., Le logement accompagné en Europe, The Policy Press, Bristol, 2000, p.199 54 Pour plus de détails sur cette question, voir : http://www.european-neighbours-day.com/fr

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vraies difficultés car les travailleurs sociaux ne sont pas formés pour ça. On ne leur

apprend pas à gérer des collectifs, on ne leur donne pas les outils de gestion pour

l’accompagnement du collectif, et donc, ça s’apprend de manière très empirique avec,

malheureusement, parfois, aussi, des débats dans l’accompagnement. C’est aussi en

amont que les choses doivent se penser, c’est aussi dans les études et les formations

pour les travailleurs sociaux en imaginant déj{ des modules d’accompagnement de

collectifs que ce soit en matière de logement ou pas, parce qu’il n’y a pas que

l’accompagnement social en matière de logement qui est collectif. D’autres

accompagnements peuvent être collectifs. C’est l{ qu’il y a un vrai déficit. » (Extrait

d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social)

Toujours en ce qui en concerne les pratiques professionnelles, mentionnons également le fait

que le mode relationnel sur lequel se base l’accompagnement collectif diffère grandement de ce

qui est de mise au niveau individuel.

En effet, nous avons longuement évoqué toute l’importance de la relation de confiance qui se

tissait peu à peu entre le travailleur social et le bénéficiaire, relation de confiance permettant de

dépasser l’analyse superficielle et de s’engager dans des sphères dépassant largement le seul

logement. Lorsqu’il s’agit de travailler en collectivité, la relation doit nécessairement pouvoir

s’inscrire dans un autre registre. Si cette relation de confiance est tout aussi nécessaire, c’est

l’équilibre du groupe qui doit primer.

Or, le passage de l’un { l’autre peut s’avérer des plus complexes que ce soit dans le chef des

travailleurs sociaux ou des bénéficiaires. On sait que ces derniers disposent de socles

relationnels des plus fragiles, aussi, le fait d’inscrire la relation privilégiée qu’ils entretiennent

avec leur travailleur social dans un groupe peut être difficile à accepter.

« On chamboule un peu les règles de fonctionnement, ce qui déstabilise beaucoup les

personnes relativement proches de leur travailleur social parce qu’{ un moment donné,

la personne se dit ‘ mais en collectif, il n’est pas aussi proche que quand on est { deux,

tiens, il m’ignore, il s’intéresse aux autres personnes ; je n’ai pas ma place dans

l’animation’. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge

d’accompagnement social)

Face à ce type de difficulté se pose donc la question de savoir à qui doit revenir la charge de

l’accompagnement collectif. En effet, comme on le voit dans l’extrait précédent, lorsqu’il s’agit

d’un même travailleur social en charge de l’accompagnement individuel et collectif, la transition

peut être difficile à accepter pour les bénéficiaires qui peuvent se sentir dépossédés de la

relation qu’ils entretiennent avec leurs travailleurs sociaux.

De la même manière, en cas de conflit au sein du groupe de bénéficiaire, le travailleur social peut

se retrouver dans une situation extrêmement délicate où sa neutralité pourrait être remise en

cause, notamment lorsqu’il n’assure l’accompagnement individuel que pour une partie du

groupe pour lequel il est aussi responsable de l’accompagnement collectif.

En outre, si la présence d’un travailleur social connu peut être perçue comme un facilitateur

dans certains cas, elle peut être perçue négativement dans d’autres lorsque les problèmes

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relationnels qui auraient pu surgir entre le travailleur social et le bénéficiaire dans leurs

contacts individuels se répercutent sur l’ensemble du groupe.

« C’est important cette relation avec le travailleur social ; elle est importante car elle

permet aux personnes de se sentir en sécurité. C’est leur référent aussi, nous, on est que

des personnes extérieures. Pour certaines personnes, ça marche très bien. Par contre,

pour d’autres, avoir leur référent social { côté, c’est très inhibant. D’une personne à

l’autre, selon que le rapport est plus ou moins un rapport de force ou un rapport de

confiance, les conséquences peuvent être différentes. » (Extrait d’entretien avec des

travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social collectif)

Par ses arguments, on pourrait donc penser qu’il est plus opportun que le travailleur social en

charge de l’accompagnement collectif ne soit pas celui à qui incombent les suivis individuels.

Cependant, dans un tel cas de figure, on peut aussi s’interroger sur la manière dont ce travailleur

social « extérieur » va pouvoir créer une relation mêlant à la fois proximité et distance, confiance

et neutralité.

Nous sommes conscients qu’une telle tâche est loin d’être aisée. Aussi, plutôt que de trancher

entre l’idée d’un travailleur social en charge de l’individuel et un travailleur social en charge du

collectif – à penser que l’institution puisse d’ailleurs supporter la charge financière liée { un tel

dédoublement des moyens humains -, il importe de pouvoir créer des liens entre ces deux pôles

d’action, par la création des sas intermédiaires entre ces deux formes, permettant ainsi une

période d’adaptation. Suggestion qui nous paraît valoir que ce soit dans les cas de deux formes

qui se succèdent ou lorsque les deux agissent de manière complémentaire. Nous verrons que

différents cas de figure sont possibles en la matière.

II. La nature de l’accompagnement collectif

Comme nous venons de l’indiquer, l’accompagnement collectif reste sans doute peu développé

en raison d’un développement tout aussi faible du logement collectif accompagné. Néanmoins,

on peut se poser la question : un accompagnement collectif appelle-t-il nécessairement un

logement collectif ? Nos observations effectuées sur le terrain ne peuvent que nous pousser à

répondre par la négative. L’accompagnement social collectif peut, en effet, prendre des formes

diverses, dont celles-ci que nous avons pu identifier au travers de cette recherche.

Un mode collectif qui se décline au niveau du logement

et donc, eu niveau de l’accompagnement

Parmi les services partenaires de cette recherche, on note que certains possèdent dans leur parc

immobilier des bâtiments où sont logés plusieurs personnes bénéficiant d’un accompagnement

social (même si comme nous l’avons expliqué précédemment ce parc immobilier ‘collectif reste

minoritaire par rapport au logement individuel).

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Ces institutions possèdent donc les capacités technique, spatiale ou organisationnelle de

développer un accompagnement de type collectif, ce qui est, pourtant, rarement le cas55.

Lorsqu’un tel accompagnement existe, on remarque qu’il tourne essentiellement autour du

domaine du logement et du respect des obligations locatives. L’objectif sera alors d’organiser la

vie collective, que ce soit par la mise en place d’un Règlement d’ordre intérieur, de tours de

charge entre les locataires ou autres aspects de la vie quotidienne. Dans ce cas, il pourra alors

être d’ordre soit préventif soit curatif, en cherchant à éviter les conflits ou à les régler.

« Par exemple, dans un des nos bâtiments, les locataires se connaissent très bien et il y

a une bonne ambiance, en général. Il y a toujours le petit concierge. Il y a une bonne

ambiance entre eux. Mais il arrive que certains ne s'entendent pas. Ainsi, on a un autre

bâtiment où c'est à peine s'ils se connaissent. Ils disent « cette personne-là, elle n'a pas

fait ça, elle n'a pas fermé la porte, elle chauffe trop le couloir », il y a des conflits. Ce sont

six personnes qui habitent dans des appartements différents et ils confrontés à « mais

qui va le nettoyer, ce couloir ? Comment on fonctionne ? ». On organise donc des

réunions de locataires mais il faut dire que ça prend du temps pour organiser ce genre

de choses. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge

d’accompagnement social)

De telles réunions de locataires sont aussi l’occasion de créer du lien entre les locataires qui

partagent un même bâtiment, des activités ludiques peuvent d’ailleurs aussi être organisées

dans le même objectif.

En effet, lorsque nous avons évoqué la question des relations de voisinage avec les bénéficiaires,

nous avons été surpris par les réactions allant de l’indifférence { une véritable méfiance comme

le montrent ces quelques extraits.

« Comment ça se passe avec vos voisins ? Les autres locataires, je ne les croise pas

beaucoup mais c’est très bien comme ça. C’est mieux comme ça car ça évite les ennuis.

Sinon, c’est toujours des ennuis. Je ne mêle pas des affaires des autres. » (Extrait

d’entretien avec des bénéficiaires d’accompagnement social)

« Le voisin du troisième, je m'entends très bien avec. On a une bonne relation. Il y a

moyen de construire quelque chose derrière, une amitié qui démarre. Par contre, la

voisine du deuxième, c'est un peu plus chaud. C'est un cas particulier, je vais dire. Je lui

dis bonjour quand elle me dit bonjour, c'est-à-dire une fois toutes les plombes. Donc, je

n'ose pas trop lui adresser la parole. Si elle m'adressait la parole, je ne crois pas que

j'aurais envie de lui parler. Il y a des personnes avec qui on a beaucoup plus d'affinités

que d'autres. J’aimerais très bien m'entendre avec les voisins, les locataires mais il n'y

en a qu'un sur deux avec qui je m'entends. » (Extrait d’entretien avec des bénéficiaires

d’accompagnement social)

Dans ce type de situations, l’accompagnement social collectif peut jouer pleinement son rôle, en

permettant la rencontre de personnes qui, jusque l{, n’ont fait que ‘se croiser’, un mal qui ne

touche bien évidemment pas que les personnes précarisées. Ces rencontres se passant dans un

55 Précisons néanmoins que plusieurs projets sont en cours actuellement.

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cadre plus sécurisé, de par la présence des travailleurs sociaux, elles pourront permettre briser

la glace entre locataires. Nous verrons que les choses sont loin d’être aussi évidentes.

Lorsqu’il est lié au logement, l’accompagnement collectif permet donc de remplir deux missions

qui sont d’une part, l’organisation de la vie collective dans ses aspects pratiques et d’autre part,

la création d’une identité collective parmi des locataires qui partagent un même lieu de vie.

Dans certains cas, cette dimension collective, souvent mise en place { l’initiative des travailleurs

sociaux, peut également se voir réappropriée par les locataires eux-mêmes qui se saisiront de

cette occasion comme d’une plate-forme d’expression en dehors de la relation qu’ils auront tissé

avec les travailleurs sociaux. Nous reviendrons sur cette question par après.

Un accompagnement collectif par le développement d’activités communautaires

Dans ce second cas de figure, les bénéficiaires sont rassemblés, non pas par le fait de partager un

espace de vie commun, mais par leur participation à des activités communes. Les thématiques

abordées et les moyens mis en place par les travailleurs sociaux pour activer cet

accompagnement collectif peuvent alors différer grandement.

Comme précédemment, les difficultés liées au logement peuvent être le point de ralliement. On

constate alors que les actions organisées se concentreront principalement sur cette question,

soit dans une visée informative, soit dans une visée plus revendicative.

Pareillement à l’accompagnement individuel, le spectre peut être beaucoup plus large et

impliquer de nombreux autres domaines que ce soit la culture ou encore le sport. Cependant, au-

del{ de cet aspect occupationnel, il importe que l’accompagnement collectif puisse s’inscrire

dans une visée pédagogique au même titre que son pendant individuel, sans quoi il perd, selon

nous, son caractère d’accompagnement.

Ce type d’accompagnement social collectif peut donc être détaché du secteur du logement lui-

même. Toutefois, il s’agissait ici de rester cadré par rapport { notre objet d’étude. Aussi, lorsque

nous faisons référence à un accompagnement social collectif, il aura toujours un lien plus ou

moins ténu avec le logement, que ce soit par les objectifs qu’il poursuit ou les missions de

l’institution qui l’organise.

Quel que soit le fond sur lequel repose cet accompagnement collectif – centré autour du

logement ou autour de questionnements plus larges -, il peut prendre différentes formes, soit en

passant principalement par la parole, soit par des actions plus concrètes, les deux registres étant

souvent confondus.

Une activité collective ne signifie pas un accompagnement social collectif

Permettre la création de liens sociaux et la participation à des activités diverses sont des

objectifs louables mais insuffisant pour qualifier ces actions d’accompagnement collectif si elles

ne constituent pas une voie qui amène { ouvrir l’horizon des personnes précarisées vers d’autres

perspectives. Comme pour l’accompagnement individuel, l’accompagnement collectif doit

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pouvoir constituer un cheminement permettant { la personne d’évoluer hors de la sphère de

l’Action sociale.

Pour délimiter ce que nous entendons par ‘accompagnement social collectif’ et en préciser sa

nature, nous avons repris les caractéristiques listées lorsque nous avions défini

l’accompagnement social afin de voir comment celles-ci peuvent s’appliquer { un volet collectif.

Nous avions tout d’abord mis en avant la nécessaire adaptabilité dont devait faire preuve

l’accompagnement social pour s’appliquer aux différentes situations pouvant se présenter. Cette

caractéristique s’inscrivait dans la démarche d’individualisation, comme abordée dans notre

point relatif { l’Etat-social actif.

Dans le cadre collectif, la possibilité d’adaptation existe mais relève néanmoins d’un autre

mécanisme, s’agissant de faire face aux besoins et demandes de l’ensemble d’un groupe et non

plus d’un seul individu. Cette adaptation passera donc prioritairement en fonction de ce que les

travailleurs sociaux connaissent du public-cible auquel ils s’adressent et non pas en fonction

d’une analyse individuelle.

Selon notre conception, l’accompagnement social demandait aussi de laisser la place à des

processus de négociation. Ici, encore, sortant du tête-à-tête, la négociation est sans doute plus

complexe. Remarquons aussi que les protagonistes engagés dans le processus pourront occuper

des places autres que dans le volet individuel, les bénéficiaires étant alors amenés à négocier

entre eux une position commune, le travailleur social se contenant souvent de jouer un rôle de

facilitateur dans l’attente d’une décision du groupe.

« Nous, on peut leur proposer des projets. Mais on peut aussi arriver en leur demandant

ce qu’ils souhaitent faire. C’est alors { eux de discuter, de voir et de nous le dire.

Généralement, on va accepter sauf si c’est un truc totalement irréalisable. » (Extrait

d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social)

Ces projets peuvent partir d’une initiative individuelle qui sera délivré aux travailleurs sociaux

qui se chargeront de le faire redescendre vers le groupe.

« Il y a un beau jardin mais il n’est pas entretenu. Il y a plein de papiers. Je trouve qu’on

devrait tous s’y mettre une journée et tout nettoyer tous ensemble. Je pense que ça, ça

serait bien. J’en ai parlé aux AS, maintenant, je ne sais pas si ça va se faire. » (Extrait

d’entretien avec des bénéficiaires d’accompagnement social)

Si le processus de négociation est donc d’autant plus complexe qu’il concerne plusieurs

individus, il aborde des aspects complémentaires { l’accompagnement individuel, permettant

aux bénéficiaires de développer leurs capacités de négociation à une échelle plus importante.

L’un des autres traits constitutifs de l’accompagnement social tenait en sa capacité { évoluer

dans le temps pour concorder { l’évolution du bénéficiaire. Pour ce qui est de l’accompagnement

social collectif, il s’agit tout d’abord de signaler que comme pour le volet individuel, il n’existe

pas de règles prédéterminées en la matière et si certains accompagnements ne seront

d’application que dans le cadre d’un projet spécifique pour s’éteindre par la suite, d’autres sont

organisés sur le long cours et prévoient des rencontres de manière régulière.

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Quoi qu’il en soit, l’accompagnement social collectif, comme l’individuel, reste un outil malléable

et il semble bien que son évolution puisse concorder avec celle du groupe. De nouveau, une

difficulté peut apparaître, tous les membres du groupe n’évoluant pas de manière homogène.

Nous indiquions, par ailleurs, que l’accompagnement social ne pouvait s’envisager selon une

vision minimaliste. Si le logement constituait un point d’ancrage, il ne pouvait être le seul. Il nous

semble que l’accompagnement social collectif, comme nous l’avons décrit précédemment,

embrasse en effet un spectre plus large et ne s’applique pas qu’aux seules difficultés liées au

logement.

Nous terminions, même si nous aurions sans doute dû commencer par là, en présentant

l’accompagnement social comme étant un soutien mais aussi un intermédiaire entre le

bénéficiaire et le monde extérieur. L’accompagnement social collectif ne déroge pas { ses deux

règles même si des spécificités doivent être rapportées.

En effet, dans le cadre du collectif, on peut penser que le soutien ne vient plus du seul travailleur

social mais est alors porté par l’ensemble du groupe. Il en va de même lorsqu’il s’agit d’affronter

l’extérieur. Ce n’est plus seulement en tant qu’individu qu’il s’agira de s’adresser à une

administration ou autre, mais bien en tant que représentant d’un groupe. Même s’il s’agit d’une

plus grande responsabilité, on a aussi constaté que cette perspective était souvent libératrice

pour les bénéficiaires engagés dans un accompagnement collectif.

Pour être qualifié d’accompagnement collectif, il ne s’agit donc pas seulement d’inscrire son

action dans un cadre collectif mais bien de répondre { ces différentes facettes et d’adopter la

pédagogie de l’accompagnement social telle que nous l’avons décrite. L’accompagnement social

doit permettre un apprentissage, offrant la possibilité aux bénéficiaires de développer leurs

capacités et compétences, assurant ainsi leur réinsertion dans la société. Pour nous, c’est bien

cette caractéristique centrale qui différenciera l’accompagnement social collectif d’une activité

collective.

III. À quel moment intervient l’accompagnement collectif ?

L’accompagnement collectif implique, tout comme son pendant individuel, trois phases

distinctes constituées d’un avant, pendant et après accompagnement, chacune ayant ses

caractéristiques propres56.

De plus, l’accompagnement social collectif peut poursuivre différents objectifs qui se montreront

déterminants dans le choix du moment de sa mise en place. Nous avons ainsi identifié trois

moments spécifiques où pouvait intervenir l’accompagnement social collectif par rapport {

l’individuel.

56 Pour plus de détails, voir Rapport intermédiaire, Juin 2010, Un accompagnement qui se décline en trois temps, p.33-34

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En effet, nous allons voir que si l’accompagnement social peut se décliner uniquement sous un

mode individuel – ce qui est très souvent le cas – ou collectif – ce qui est plus rarement le cas -,

les deux peuvent aussi agir de manière complémentaire.

Quand l’accompagnement social collectif est antérieur à l’accompagnement social individuel

L’accompagnement social collectif poursuit alors l’objectif de créer les prémisses d’une relation

de confiance qui pourra se développer plus avant lors de l’accompagnement individuel. Dans ce

cas, la plus-value sera d’autant plus importante si c’est le même travailleur social qui est en

charge des deux volets, mais nous avons vu que cette situation pouvait être porteuse de

nombreux désavantages.

S’il ne s’agit pas du même travailleur social, cette période de ‘pré-accompagnement social

individuel’ sera tout de même l’occasion pour le bénéficiaire de prendre ses marques et de

mieux appréhender cette prise en charge et ce qu’elle représente, même si le collectif et

l’individuel gardent chacun des caractéristiques propres.

Par ailleurs, les travailleurs sociaux pourront aussi mettre cette période à profit pour tenter de

mieux analyser la situation des bénéficiaires et diagnostiquer leurs difficultés, complétant ainsi

par leurs observations les informations déjà obtenues lors d’entretiens menés en tête-à-tête.

L’organisation d’un tel accompagnement social collectif peut aussi être utile pour déterminer si

une personne relève d’un accompagnement social individuel, toutefois, il ne doit pas se

transformer en un filtre ou une condition d’accès vers l’accompagnement social individuel,

surtout lorsque celui-ci est assorti de l’accès { un logement.

« Avant, le fait de participer aux activités collectives, ça n’entrait pas en ligne de compte.

Ça pouvait même être un frein car on avait peur qu’on ne nous reproche de favoriser

certains au détriment d’autres. Maintenant, on a un peu revu notre manière de voir les

choses. Le fait d’être intégré au collectif, ça nous permet de mieux comprendre le

parcours de la demande et de juger si l’accompagnement qu’on offre est le bon, si le

logement qu’on offre convient. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en

charge d’accompagnement social)

Un accompagnement social individuel et collectif qui se déploie en parallèle

Associer un volet collectif { l’accompagnement individuel peut aussi avoir pour conséquence

d’atténuer ce dernier, le collectif prenant en charge certains aspects qui étaient auparavant

traités uniquement dans le cadre de la relation bilatérale travailleur social/bénéficiaire. Pour

d’aucuns, il s’agirait d’ailleurs d’une manière de baisser les coûts de l’accompagnement en

permettant qu’une partie des difficultés puisse être traitée en collectif57.

« C’est-à-dire qu’{ partir du moment où on arrive { résoudre – ce qui est un grand mot

quand on travaille dans le social – ou à faire avancer certaines situations personnelles

grâce { l’accompagnement collectif, forcément, l’individuel prend une place moins

importante dans l’accompagnement général de la personne. Ça, ça s’est déj{ vu dans

57 Nous disposons néanmoins de trop peu d’éléments pour statuer sur une telle affirmation.

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quelques projets. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge

d’accompagnement social)

**************************************************

Lorsque ces deux types d’accompagnement social se complètent, ils permettent également la

création d’un sas de décompression lorsqu’un des deux suivis se trouve bloqué. Cet effet est

d’autant plus marquant quand ce sont deux travailleurs sociaux distincts qui sont en charge de

ces accompagnements. Néanmoins, dans ce cas de figure, il faudra pouvoir assurer une certaine

cohérence dans l’accompagnement, tout en respectant le secret professionnel. L’échange

d’informations ne pouvant intervenir que dans un cadre limité, et préférentiellement avec

l’accord de la personne.

« Je crois que c’est vraiment très complémentaire. Les personnes en tirent un grand

bénéfice mais en fait, les deux accompagnements que tu suis touchent ou ont touché les

quatre projets de l’asbl et ont une part assez active dans chaque projet. Ces personnes-

là étaient plus déstructurées et avaient plein de choses à reconstruire. Il y avait

tellement de choses à reconstruire que c’était une chance qu’il y ait eu les autres projets

parce que je ne suis pas sûr que l’accompagnement [individuel] aurait duré aussi

longtemps et avec des résultats aussi positifs. Je pense que tous les services coordonnés

ensemble, c’est une bonne chose. On a pu le remarquer depuis deux ans, car on voit des

personnes qui sont dans chaque service et on peut constater que c’est très riche pour

elles. Ça leur permet une reconstruction petit à petit. Quand elles auront fini avec nous,

elles seront peut-être encore dans un ou deux autres projets et petit à petit, elles

pourront partir vers autre chose et seront intégrées à nouveau dans la société. En tout

cas, je le souhaite. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge

d’accompagnement social)

La coordination de ces deux accompagnements peut paraître d’autant plus complexe lorsque ce

sont non pas seulement deux travailleurs sociaux différents qui sont impliqués mais deux

institutions. Ces deux accompagnements appellent donc à la création des conditions permettant

que les effets de l’un et l’autre se renforcent au lieu de s’annuler mutuellement.

Cet accompagnement social collectif peut aussi être mieux accepté car il apparaîtra comme

moins contraignant et moins impliquant au niveau personnel. En effet, le bénéficiaire sera

appelé à prendre une part active mais pourra aussi, selon ses choix du moment, se laisser porter

par le reste du groupe. De manière générale, cet accompagnement social collectif requiert moins

la nécessité, pour le bénéficiaire, de se livrer et d’exposer ces difficultés, crainte pourtant

relativement présente, comme nous le montrerons par après.

Nous l’avons vu, l’accompagnement social individuel n’est pas toujours un long fleuve tranquille,

il est fait de hauts et de bas. Lorsque des obstacles ne peuvent être dépassés au niveau

individuel, des succès rencontrés au niveau du collectif peuvent permettre au bénéficiaire de

rester motivé et de ne pas baisser les bras que ce soit au niveau de son suivi propre ou au niveau

du groupe. Le collectif est alors « porteur » et permet de contrecarrer les déceptions

individuelles.

En outre, si ces deux accompagnements menés simultanément peuvent être intéressants car

touchant des aspects différents, il convient de veiller à ne pas placer le bénéficiaire dans une

situation où cet accompagnement deviendrait trop intrusif. En effet, nous avons souvent été

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confrontés aux témoignages de bénéficiaires qui évoquaient ces ‘trop nombreux » travailleurs

sociaux avec lesquels ils étaient amenés à entrer en contact.

Aussi, lorsque ces deux types d’accompagnement prennent cours, l’un d’eux doit pouvoir parfois

se faire plus discret au profit de l’autre selon les besoins et les demandes des bénéficiaires et ce,

pour éviter toute impression de ‘sur-accompagnement’, ce qui pourrait être des plus

dommageables.

Un accompagnement social collectif qui intervient après l’accompagnement individuel

L’une de nos premières interrogations face { cet objet d’étude qu’est l’accompagnement social

concernait spécifiquement la manière dont il prenait fin et l’impact qui en découlait sur les

bénéficiaires. Nous craignions notamment l’apparition d’un sentiment d’abandon – même si ce

terme est sans doute un peu trop fort – lorsque la relation de proximité créée entre le travailleur

social et le bénéficiaire prenait fin.

L’accompagnement social collectif apporte donc une première piste de solution face { cette

inquiétude. En effet, s’il prend fin suite { l’accompagnement individuel, il permet alors aux

bénéficiaires de conserver un lien soit avec l’institution qui l’a suivi, soit par un nouvel

intermédiaire – touts les services offrant de l’accompagnement individuel n’offrant pas de

l’accompagnement collectif ou réservant celui-ci à leurs uniques locataires. Dans ce dernier cas

de figure, se posera alors la difficulté de pouvoir recréer une relation de confiance, un relais avec

l’ancien service nous paraissant alors indispensable.

« Ça apporte beaucoup en termes de stabilité. Si la personne doit quitter le logement au

terme du bail, il y a tout l’environnement qu’elle a pu construire { travers le collectif

qu’elle aimerait bien ne pas devoir quitter. La porte reste donc toujours ouverte pour

pouvoir participer aux animations. Il y a tout ça aussi, ça fait vraiment partie d’un tout

et ça permet de stabiliser, en tout cas, en partie, dans le logement. » (Extrait d’entretien

avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social)

Envisagé de cette manière, l’accompagnement social collectif peut donc être activé dans une

visée préventive pour éviter une éventuelle ‘rechute’. Non seulement, il peut agir comme

plateforme d’observation permettant aux travailleurs sociaux de détecter de nouvelles

difficultés qui surviendraient et d’autre part, ce lien permet aux bénéficiaires de conserver un

filet de sécurité, qui même s’il n’est pas utilisé, peut constituer un élément sécurisant, sécurité

dont ces personnes ont souvent manqué dans leur parcours antérieur.

IV. Les avantages de l’accompagnement social collectif

Nous avons vu longuement lors des rapports intermédiaires précédents quelles pouvaient être

les forces et les faiblesses de l’accompagnement social dans le logement. Tous ces propos valent

bien évidemment pour tous types d’accompagnement qu’il soit organisé sous un mode

individuel ou collectif. Le but des propos qui suivent est donc de mettre en exergue certaines

spécificités du collectif sans remettre en question nos arguments précédents.

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Un moyen d’enrayer l’isolement

Face { l’importance des liens qui existent entre le phénomène de la précarité et l’isolement

relationnel, nous avions choisi de consacrer tout un chapitre de cette étude à cette question.

Nous en avions conclu que les bénéficiaires souffraient de manquements dans leur réseau

primaire bien avant de connaître l’expérience de sans-abri. Le fait de devenir sans-abri

provoquait un double mouvement avec un délitement encore plus important avec le réseau

primaire tandis que se recréait parallèlement un nouveau réseau social – souvent des plus

instable - avec les compagnons de galère, d’une part et avec les travailleurs sociaux, d’autre part.

Nous poursuivions notre raisonnement en indiquant que l’entrée dans le logement constituait

un nouveau bouleversement puisqu’alors que la reprise de liens avec le réseau primaire58

s’inscrivait dans une temporalité relativement longue, le nouveau réseau devait être abandonné.

Les bénéficiaires, nouvellement installés dans leur logement, exprimaient alors un sentiment

d’isolement social particulièrement marqué.

Nous avions vu que les visites des travailleurs sociaux pouvaient combler en partie cet isolement

tout comme les orientations vers des activités organisées dans leur quartier ou autres.

Si la relation tissée entre bénéficiaires et travailleurs sociaux apporte une plus-value, nous nous

étions interrogés quant à savoir si elle était suffisante pour combler le manque ressenti par les

bénéficiaires. Par ailleurs, nous nous inquiétions aussi quant au risque de surinvestissement des

bénéficiaires dans cette relation, rendant l’arrêt de l’accompagnement social individuel plus

complexe.

Devant ces constats, l’accompagnement social collectif va donc pouvoir jouer pleinement et

permettre aux bénéficiaires de s’inscrire dans un environnement propice aux rencontres. Il

s’agira alors de leurs voisins dans le cadre d’un accompagnement social lié { un logement

collectif, soit à des personnes vivant une même situation.

« C'est pour éviter l'isolement des personnes qui sont dans le logement. Souvent, les

appartements qu'on a, c'est pour une personne seule ou en couple, mais c'est très rare.

C'est souvent des hommes seuls ou des femmes seules, en général. C'est pour créer des

liens, pour leur faire découvrir, par exemple, s'ils acceptent d'aller au théâtre, que c'est

quand même chouette d'aller au théâtre avec le voisin, ou faire telle ou telle activité,

comme créer le potager le samedi. C’est vraiment pour créer quelque chose dans ce

bâtiment. C'est surtout cette dynamique qu'on cherche pour essayer de briser

l'isolement des personnes, parce qu'il y a des personnes qui s'ennuient chez elles et

sont trop timides pour aller voir chez le voisin s'il n'a pas envie de jouer au Monopoly,

j'invente. Mais pourquoi pas, pourquoi ça ne pourrait pas se faire ? Notre but est

vraiment de créer des liens, éviter l'isolement des personnes.» (Extrait d’entretien avec

des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social)

Malgré le bienfondé de l’argument qui précède, il s’agit de rester vigilant face { cette question.

Comment éviter d’ « enfermer » ces bénéficiaires dans des milieux fréquentés exclusivement par

des personnes précarisées par l’organisation d’activités qui leur seraient spécifiquement

58 En effet, nous avons vu que de nombreux bénéficiaires tentaient de reprendre contact avec leur famille dans le cadre de l’accompagnement social individuel, toutefois, les démarches pouvaient être particulièrement longues – notamment lorsque la justice était impliquée dans le cas de garde d’enfants -, l’important étant de ne pas brusquer les uns ou les autres, les blessures étant souvent très profondes.

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dédicacées. L’accompagnement social collectif doit, { l’image de ce qui défendu pour le suivi

individuel, favoriser l’élargissement de leur horizon social.

Ainsi, si des ateliers peuvent être organisés autour d’activités sportives, par exemple, elles

devraient être envisagées comme un tremplin pour permettre aux personnes de renouer le

contact avec de telles pratiques dans l’idée de pouvoir s’inscrire par la suite dans un club ouvert

à tous. Actuellement, il nous semble que certaines de ces activités ne sont pas forcément pensées

en ce sens, ce qui devrait être encouragé.

Nous sommes d’autant plus convaincus de la pertinence de cette remarque après avoir pu

observer plusieurs bénéficiaires qui se sont réinsérés professionnellement. Nous avons observé

à quel point cette ouverture vers l’extérieur avait pu leur être bénéfique.

Précisons que dans tous les cas – rappelons que notre échantillon comprend 25 individus, il ne

s’agit donc pas d’une réalité statistique avérée -, cette insertion professionnelle ne sait réaliser

qu’au bout d’une ou plusieurs années après avoir intégré le logement. Nous avons vu aussi, dans

certains cas, combien il était difficile pour une personne d’assumer tout { la fois son insertion

dans le logement et son insertion professionnelle lorsque les deux intervenaient au même

moment.

Dès lors, si nous pensons que l’ouverture vers l’extérieur est essentielle, il nous semble que

l’accompagnement social collectif peut agir tel un tremplin, permettant aux personnes de se

réapproprier certains codes et une meilleure estime de soi.

La création d’une dynamique de solidarité

Le traitement collectif peut aussi encourager la mise sur pied d’une dynamique de solidarité

entre pairs, notamment par l’échange d’informations et de ‘bons plans’59 où chaque expérience

individuelle pourra être mise { profit pour l’ensemble du groupe.

« Ce qui est relativement intéressant en fin de compte, c’est l’échange entre les

personnes précarisées, car elles sont elles-mêmes porteuses de solution pour les autres.

C’est ça qui est un peu difficile dans certaines institutions où chacun vient avec ses

problèmes, en parle avec ses référents sociaux, on essaie de trouver une solution

individuelle mais du coup, le bénéfice que pourraient tirer les autres de la solution qui a

été trouvée est très rare car on ne l’aborde pas collectivement. Se dire, ‘tiens, lui, il s’en

est sorti parce qu’il a fait ça’ ou ‘tiens, il a pu se loger’. C’est aussi l’occasion via les

collectifs d’échanger entre des personnes qui ont des problèmes identiques et donc, de

mutualiser l’accompagnement. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en

charge d’accompagnement social)

Toutefois, pour que de tels échanges puissent avoir lieu, il est nécessaire que le collectif puisse se

créer une identité de groupe permettant la circulation de l’information dans un climat de

confiance. En outre, si ces échanges ne peuvent se faire avec tout le groupe, il ne faut pas

59 Phénomène similaire qui se déroule en rue où l’échange de bonnes adresses (heure d’ouverture des associations, lieu où il est possible de téléphoner, de se doucher, abri de nuit où les conditions sont les plus confortables, …) occupe une place importante dans l’activité quotidienne des personnes sans-abri, spécialement pour celles qui se trouvent en rue depuis quelques mois déjà.

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négliger les échanges informels issus de l’accompagnement collectif mais qui se dérouleront en

dehors de ce cadre préétabli.

Certains bénéficiaires impliqués dans un accompagnement individuel nous avaient fait part de

leur fonction d’intermédiaire délivrant les informations recueillies auprès de leur travailleur

social à certaines de leurs connaissances vivant les mêmes difficultés. On peut penser que cet

effet « boule-de-neige » sera d’autant plus amplifié dans le cadre d’un accompagnement social

collectif.

Outre l’échange d’informations, cette solidarité pourra aussi se traduire par des gestes du

quotidien, notamment lorsque les bénéficiaires vivent dans un même logement. Dans certains

cas, on constate que ce sont ces voisins qui donnent l’alerte aux travailleurs sociaux en cas de

problème avec l’un d’eux. Plusieurs travailleurs sociaux nous ont fait part de ces appels de

bénéficiaires qui souhaitaient signaler leurs inquiétudes par rapport { l’un de leurs pairs, car ils

ne l’avaient plus croisé depuis un certain temps dans les couloirs ou escaliers.

Le développement de comportements favorables à la réinsertion

Lors de notre analyse de la logique contractuelle en cours dans l’accompagnement social, nous

avons mentionné ce qui pouvait relever de la normalisation dans les processus mis en place par

le biais de l’apprentissage de certains comportements visant { faire des bénéficiaires de « bons »

locataires60. Un même constat pourrait sans doute être dressé au niveau de l’accompagnement

social collectif.

En effet, la participation à ce volet collectif peut être l’occasion de développer certains

comportements propices à une réinsertion sociale tels que le respect des horaires, de la prise de

parole et de l’écoute de l’autre lors de réunions ou encore la nécessité d’établir des compromis

pour aboutir à une décision commune. « Mais, contrairement à l’usage en rue, il y a ici des

perspectives de stabilité dans le temps et de régulation des comportements, régulation favorisée

par la supervision des travailleurs sociaux et l’interdiction des psychotropes. (…)On pointera ici

l’impact positif qu’à la participation à de tels projets sur la restructuration du rapport au temps,

sur la confiance en soi et l’image de soi projetée grâce à la place occupée dans la réalisation du

projet. »61

C’est cet apprentissage qui permettra { l’accompagnement social collectif d’agir tel un tremplin

pour que les bénéficiaires puissent poursuivre leur épanouissement dans un cadre extérieur à

celui de l’Action sociale.

Un outil de revalorisation de l’estime de soi

Ne disposant que de peu d’attaches relationnelles et de possibilités d’entrer en contact avec leur

environnement hors de la sphère domestique, les personnes précarisées n’ont que peu

60 De nouveau, nous rappelons qu’il n’est pas dans notre intention de hiérarchiser ces différentes normes. 61 ITALIANO P., Du « capital social » à l’utilité sociale, Liège, Editions ULG, 2007, p.56. Citation à propos d’un projet de cafétéria sociale mis en place dans la région de Liège.

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d’opportunités pour se sentir valorisées dans le regard d’autrui. Renouer avec un sentiment

d’utilité sociale est donc essentielle.

« Et puis, le collectif permet aussi de faire partie d’un groupe, de pouvoir aussi

construire d’autres types de relations et { la limite, c’est aussi une façon de pouvoir

intégrer la personne dans un contexte plus large, en regard aussi avec une autre

construction avec lui. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en charge

d’accompagnement social)

Cette revalorisation peut notamment s’accentuer par une prise de responsabilisation d’un

individu en faveur de l’ensemble du groupe. L’organisation d’un accompagnement collectif

permet à la personne de sortir de son seul rôle de bénéficiaire par rapport au travailleur social

car il peut, à son tour, mettre certaines de ses compétences au service des autres62.

Ce qui compte n’est plus l’action en elle-même ou ce qui en découle mais bien le fait d’avoir

réalisé cette action. S’inscrire dans un collectif est une manière de reprendre une place dans la

société.

Alors que dans la rue, le regard de l’autre révélait le fait que les personnes sans-abri étaient

porteuses d’un stigmate, il est ici considéré comme bienveillant et valorisant. Notons néanmoins

que cet « autre » reste cantonné soit à des travailleurs sociaux soit à des pairs. Si cet effet est

bien évidemment positif et suffisant dans un premier temps, pour qu’il se déploie pleinement, il

est nécessaire que le groupe initialement constitué puisse s’ouvrir vers un horizon plus large.

Cette reconnaissance extérieure s’avère une plus-value essentielle63.

V. L’avis des bénéficiaires sur l’accompagnement social collectif

Nous avons vu que l’accompagnement social collectif restait peu développé sur le terrain, en le

qualifiant même de « parent pauvre ». Pour tenter d’expliquer cette faible représentativité, nous

avons identifié certains facteurs comme l’organisation du parc immobilier favorisant le logement

individuel ou encore une absence de formation des travailleurs sociaux en la matière.

Cependant, nous avions négligé une autre piste explicative, { savoir le manque d’intérêt éventuel

des locataires pour ce type d’accompagnement. Qu’en est-il ?

62 Cette nécessité de rendre, sous une forme ou l’autre, tout ou partie de ce qui a été reçu obéit { des lois très répandues dans de nombreuses sociétés dont la nôtre, où le fait d’offrir une contrepartie reste bien souvent un élément indispensable pour éviter d’entacher l’estime de soi. Si l’on peut se risquer { un détour en anthropologie, la théorie de Marcel Mauss à cet égard est édifiante – même si nous sommes conscients qu’il s’agit d’une toute autre époque et d’un tout autre contexte, cette référence nous paraît garder sa pertinence : Mauss M., Essai sur le don. Formes et raisons de l’échange dans les sociétés archaïques, in Mauss M., sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 5ème édition, 1993. 63 Même s’il ne s’agit pas { proprement parler d’accompagnement social collectif lié au secteur du logement, le Relais social de Charleroi subventionne un dispositif appelé ‘Budget participatif’, qui finance les projets de groupes de personnes précarisées. Parmi eux, se trouvait le groupe ‘Bonjour’ qui prévoyait des visites { l’hôpital des personnes précaires afin de leur apporter soutien et d’éventuels biens matériels. Nous avons été frappés par le témoignage de l’un des membres de ce groupe qui indiquait combien le fait d’avoir vu l’utilité de leur action reconnue par des membres du corps médical et du personnel du secteur hospitalier leur avait permis de se sentir valorisé.

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« On leur avait proposé de faire une activité en-dehors des heures de travail, par

exemple, aller au théâtre, pas au cinéma parce que ce n'est pas très « culturel ».

L'article 27 est là, donc, on aurait bien voulu utiliser ça. Mais ils n'ont pas pris. Je me

suis renseignée pour le budget participatif du Relais social. J'ai téléphoné et j'ai eu

toutes les infos. Je suis arrivée en réunion des locataires, j'ai expliqué, mais ils n'ont pas

été prenants. J'ai dit « ça vous intéresse ? Vous avez envie de faire quelque chose ? On

pourrait avoir des sous pour faire une petite activité », mais ils n'ont pas été prenants.

On va refaire cette réunion lundi, peut-être que je vais en reparler, parce qu'on reprend

toujours les PV d'avant. Peut-être qu'ils vont dire « tout compte fait, on aimerait peut-

être refaire un nouveau potager », parce qu'on avait parlé du jardin, de la barrière. C'est

à eux de dire s'ils prennent ou pas. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux

en charge d’accompagnement social)

Comme le montre cet extrait, accrocher les bénéficiaires à un accompagnement collectif peut

s’avérer complexe, ces derniers n’étant pas toujours spontanément intéressés par ce type de

suivi. Nous avions mentionné le fait que le caractère plus abstrait du volet collectif pouvait être à

l’origine de ce désintérêt. En effet, contrairement aux démarches individuelles qui peuvent

amener des retombées plus rapides, les conséquences de l’action collective peuvent être plus

diffuses et demander plus de temps.

Si ces éléments constituent des premières pistes d’explication intéressantes, nous estimions

importants de s’adresser aux bénéficiaires eux-mêmes pour connaître leur avis quant à

l’accompagnement collectif. Par la suite, si ce sentiment relevait vraiment d’un certain

désintérêt, nous chercherons à comprendre quelles pourraient en être les raisons. Nous verrons

que ce désintérêt que nous avons présupposé relève d’un faisceau complexe de sentiments

auprès des bénéficiaires.

Des situations diverses selon les bénéficiaires

Lors de nos entretiens avec les bénéficiaires, nous les avons interrogés quant à leur volonté de

participer à un accompagnement de type collectif. Nous nous sommes alors retrouvés face à

trois types de situations :

Sous-groupe A : Deux bénéficiaires actuellement impliqués dans un accompagnement

collectif ;

Sous-groupe B : Quatre bénéficiaires ayant déjà pris part à un accompagnement collectif

mais ayant cessé après leur entrée en logement ;

Sous-groupe C : Seize bénéficiaires n’ayant jamais pris part { un accompagnement

collectif.

Tout d’abord, ces chiffres ne font que confirmer le peu d’ampleur que connaît actuellement

l’accompagnement collectif sur le terrain, seuls deux locataires de notre échantillon bénéficiant

actuellement d’un tel accompagnement64. Il nous semble néanmoins intéressant d’analyser la

situation de ces sous-groupes et d’analyser si leur appréhension de l’accompagnement collectif

est influencée par leur appartenance à ce sous-groupe.

64 Rappelons que notre échantillon étant d’une taille très réduite – puisque constitué avant tout dans la perspective d’une recherche qualitative -, ces résultats n’ont qu’une représentativité statistique extrêmement limitée.

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Pour le sous-groupe A, l’accompagnement collectif avait été organisé avant l’entrée dans le

logement et donc avant la mis en place l’accompagnement individuel. Toutefois, si les deux types

d’accompagnement sont pris en charge par des travailleurs sociaux différents, ils sont issus de la

même institution et les volets sont conduits en parallèle.

Pour ces deux bénéficiaires, l’apport de l’accompagnement collectif ne fait aucun doute. Ils sont

d’ailleurs convaincus que leur réinsertion est en grande partie due { ce volet collectif auquel ils

font souvent référence lors de nos entretiens.

« Déj{, je suis la porteuse principale du projet. Donc, ça m’apporte assez bien de choses.

Ça m’a appris { reprendre confiance en moi, un petit peu, vraiment un petit peu. Ça

m’apporte { prendre conscience que j’existe, que je suis une personne { part entière et

j’insiste beaucoup sur ça quand je présente le projet d’ailleurs. C’est pour retrouver

notre confiance en nous et on est des femmes avant d’être mère, épouse, on est des

femmes et ça, il faut qu’on le récupère. Petit { petit, je redeviens femme avant d’être

épouse, maman. Je suis une femme. Je ne dois pas l’oublier. Je ne suis pas un objet. Je

suis une personne humaine. Pour travailler là-dessus, il faut beaucoup de temps et c’est

ce que m’apporte ce projet. C’est une thérapie de groupe en fait. Tu parles de tes

problèmes, les autres te parlent de leurs problèmes et on pense { ce qu’on peut faire

pour les aider, { ce qu’on peut leur apporter. » (Extrait d’entretien avec des

bénéficiaires d’accompagnement social)

Soulignons que pour ces personnes, ces « activités » auxquelles ils prennent part ne constituent

pas à proprement parler un « accompagnement » que leur conception décline exclusivement

sous un mode individuel.

Dans le sous-groupe B, un accompagnement collectif a généralement précédé leur entrée en

logement. L’un de ces bénéficiaires conserve un avis très positif de cet accompagnement collectif

et on constate que ce dernier a servi de tremplin pour une réinsertion professionnelle, lui

permettant d’élargir son horizon comme nous le préconisions précédemment. Cette nouvelle

réinsertion aboutie, il n’a donc plus éprouvé le besoin de continuer l’accompagnement collectif,

il connaît d’ailleurs le même cheminement pour ce qui est du volet individuel.

Les trois autres bénéficiaires ayant arrêté l’accompagnement collectif ont aussi mis fin { leur

suivi individuel. Deux d’entre eux s’étaient pourtant montrés extrêmement impliqués dans cet

accompagnement collectif, mais leurs difficultés individuelles n’ayant pu être solutionnées, ils

n’ont pu poursuivre leur parcours jusqu’au bout. Ils gardent néanmoins un sentiment positif

quant { cet accompagnement collectif, ce qui n’est pas le cas pour le suivi individuel envers

lequel ils se montrent, tous deux, plus amers65.

Quant au 4ème bénéficiaire, s’il bénéficiait de l’accompagnement collectif avant son entrée en

logement, cette implication ne s’est pas poursuivie au-delà. Précisons que cet accompagnement

collectif n’était pas organisé par l’institution qui a mis en place l’accompagnement individuel. Par

ailleurs, il faut souligner que ce sont des problèmes de santé mentale et une hospitalisation qui

ont poussé ce bénéficiaire { mettre quitter son logement et { mettre fin { l’accompagnement

individuel, une autre prise en charge étant maintenant assurée par une institution spécialisée.

65 Notons que nos entretiens ont eu lieu suite au départ de leur logement et qu’{ ce moment, ces deux bénéficiaires étaient de nouveau sans-abri.

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Outre le changement entre l’institution qui dispensait l’accompagnement collectif et celle qui se

chargeait de l’accompagnement individuel, il semble que le mal-être psychologique de cette

personne soit l’une des pistes pour expliquer son renoncement { l’accompagnement collectif.

Pour le sous-groupe C, la plupart de ces bénéficiaires sont en relation avec des institutions qui ne

dispensent un accompagnement social que sous un mode individuel. Il ne s’agit donc pas de leur

part d’un rejet quant { l’accompagnement collectif mais au fait que celui-ci n’est leur est tout

simplement pas ou très peu proposé. Pour mieux comprendre la position de ce dernier groupe

par rapport { l’accompagnement collectif, nous les avons donc questionnés quant à la possibilité

que l’institution avec laquelle ils étaient en contact organise un accompagnement collectif. Nous

allons voir que leur positionnement est généralement relativement ambigu.

Une position ambivalente face à l’accompagnement collectif

Concernant leur souhait de s’engager dans un accompagnement collectif, ce dernier groupe de

bénéficiaire a généralement répondu par la négative. Malgré l’isolement social dont ils sont

souvent les victimes, nous avons été frappés par la crainte que leur inspirait l’idée de fréquenter

d’autres personnes de leur immeuble et leur refus subséquent de s’engager dans un

accompagnement collectif avec eux.

Parallèlement, certains de ces bénéficiaires ayant connu auparavant une forme d’hébergement

collectif à long terme – telle que la maison d’accueil – adoptaient une position ambivalente sur

cette question, regrettant cette prise en charge collective qu’ils avaient alors connue.

En poussant plus avant cette discussion, nous nous sommes aperçus qu’outre la peur de

l’ « Autre », un autre obstacle était que ces personnes éprouvaient des difficultés pour

comprendre ce que pourrait leur apporter ce type d’accompagnement complémentaire et la

manière dont l’articuler avec leur suivi individuel. Constat sur lequel nous reviendrons par

après.

Ces bénéficiaires exprimaient aussi leur inquiétude { l’idée de devoir exposer leurs difficultés

devant d’autres personnes, même si ceux-ci partageaient une situation similaire. Si le groupe

peut libérer la parole en s’appuyant sur sa fonction de catharsis, il est compréhensible que les

personnes puissent ressentir des craintes à faire sortir cette parole hors de la relation singulière

qu’ils ont pu construire avec leur travailleur social. De nouveau, il nous semble que pour éviter

de telles appréhensions, l’accompagnement collectif doit pouvoir prendre appui sur la création

d’une identité collective, ce qui demande un investissement temporel relativement long.

Alors que l’un de ses avantages principaux serait de lutter contre l’isolement social des

personnes par la constitution d’un groupe, on voit que l’accompagnement collectif peut

entraîner un certain nombre de craintes chez les bénéficiaires qui cherchent à la fois le contact

tout en craignant de devoir faire face à un groupe.

Ce rejet en apparence laisse découvrir, après une analyse plus approfondie, que si les

bénéficiaires souhaiteraient pouvoir s’engager dans ce domaine, l’inconnu les laisse néanmoins

perplexe et craintifs, il nous paraît donc important que les dynamiques d’accompagnement

collectif puissent être valorisées et mises plus souvent en exergue.

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VI. Les difficultés à réaliser un accompagnement social collectif

Nous ne reviendrons pas ici sur toutes les difficultés que peut entraîner la mise en place d’un

accompagnement social – comme tout travail social au demeurant -, néanmoins, il nous semblait

important d’évoquer certaines complexités inhérentes { un accompagnement social lorsqu’il

implique une part de collectif.

La nécessité de créer une identité collective

Alors que la logique de contractualisation comporte une individualisation de l’aide en vue

d’apporter une réponse adaptée { chaque situation prise dans sa spécificité, l’accompagnement

social collectif pourrait sembler s’inscrire dans une perspective inverse. Comment accorder cette

multiplicité d’individualités, d’autant qu’elles ont été appelées { se développer dans le suivi

individuel ?

Pour qu’il puisse déployer tous ses effets, il est donc nécessaire que l’accompagnement social

collectif transcende les particularités individuelles que ce soit au niveau des parcours, des

attentes, des besoins ou encore des rythmes de chacun. Toutefois, cela ne revient pas à vouloir

effacer ces particularités mais bien à les reconnaître et à les exprimer en vue de trouver ce qui

peut être un élément rassembleur pour tous les membres du groupe.

Il ne s’agit pas de demander aux personnes de faire comme si elles n’avaient pas d’histoires

individuelles mais d’essayer de voir ce que celles-ci peuvent avoir en commun66. Il importe alors

que les bénéficiaires puissent entendre qu’elles ne sont pas seules dans le cas et que leurs

difficultés mais aussi certaines de leurs forces peuvent être des traits communs.

Malgré les ressemblances, la constitution d’un groupe appelle également la gestion de relations

interpersonnelles. Nous avons déjà vu que la relation avec le travailleur social pouvait engendrer

quelques difficultés et il en est de même entre les bénéficiaires eux-mêmes.

En effet, nous avons déj{ évoqué l’absence de relations entre les bénéficiaires et leurs voisins,

même si ceux-ci partageaient une situation équivalente – étant locataire et /ou bénéficiaire de

l’accompagnement d’une même institution. Nous avions alors fait part d’une certaine méfiance,

la plupart des bénéficiaires annonçant qu’ils préféraient éviter les contacts pour éviter les

ennuis.

Si cette méfiance pourra, en partie, être atténuée par l’existence de traits communs, comme nous

venons de l’évoquer, l’équilibre du groupe demande { être travaillé plus en profondeur. Clarifier

les rôles de chacun est une nécessité. De la même façon, il s’agira de veiller à ce que les conflits

individuels ne « polluent » pas le collectif. Si, comme on vient de le voir, créer une identité

collective demande des efforts importants, la maintenir peut s’avérer tout aussi complexe. Nous

y voyons deux difficultés majeures.

« On peut y créer les conditions favorables pendant le processus de création. Ça, c’est

relativement facile, ce qui est difficile, c’est de l’entretenir. Souvent, après, nous, on

66 PRAILE D., in INTERREG III, « Dynamiques d’accompagnement social en matière de logement », Juin 2007

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lâche un peu car on ne peut pas accompagner tous les projets ad vitam aeternam.

Lorsqu’il y a des rotations, le travail doit se faire aussi mais il doit se faire par les

habitants. Donc, on essaie de donner aux habitants les outils pour pouvoir le faire et

que ça puisse garder une synergie le plus longtemps possible. » (Extrait d’entretien

avec des travailleurs sociaux en charge d’accompagnement social)

Tout d’abord, il s’agira d’assurer l’intégration de nouvelles personnes au sein du collectif. En

effet, la lecture des bilans individuels démontre que les bénéficiaires de l’accompagnement

social font montre d’une certaine mobilité résidentielle – la plupart d’entre eux sont d’ailleurs

inscrits dans des baux de courte durée -, aussi, lorsque l’accompagnement collectif se déroule au

sein d’un logement groupé, les arrivées et départs peuvent parfois se succéder sur de courtes

périodes. Intégrer ces « nouveaux » venus sera donc essentiel pour la réussite du projet.

Ensuite, nous avons vu que les personnes ayant vécu une expérience de sans-abri relativement

longue adoptaient une perception du temps basée principalement autour de l’immédiateté. Or,

tout comme l’accompagnement individuel, l’accompagnement collectif peut prendre du temps,

requérant notamment la création de cette identité collective, il s’agira donc de juguler cette

impatience et en tenir compte en prévoyant qu’un projet soit découpé en plusieurs étapes.67

Maintenir la mobilisation sur la durée est sans doute une des difficultés les plus importantes de

l’accompagnement collectif, les retombées pouvant être moins perceptibles qu’elles ne le sont

pour les démarches plus individuelles.

Clarifier les objectifs de l’accompagnement collectif

Cette difficulté ne vaut évidemment que lorsqu’accompagnement individuel et accompagnement

collectif interviennent en parallèle auprès du bénéficiaire. Nous allons voir que ce cas de figure

nécessite une attention particulière quant { l’articulation de ces deux tendances.

Effectivement, nous avons vu que l’accompagnement social pouvait adopter des contours flous,

ce que l’utilisation du contrat pouvait juguler dans une certaine mesure. Or, dans le cas de

l’accompagnement collectif, cette logique contractuelle n’est généralement pas d’application.

Dès lors, les bénéficiaires peuvent se trouver dans une position d’incompréhension par rapport

aux enjeux qui les entourent. Tout d’abord, il s’agira de combiner les objectifs de

l’accompagnement individuel et ceux du collectif, s’assurant que l’un et l’autre se renforcent et

non pas l’inverse. On a ainsi pu constater dans certains cas que l’implication des bénéficiaires

dans le collectif était telle, qu’ils en venaient à négliger leurs démarches individuelles. Mobiliser

pour le collectif sans déforcer le travail individuel appelle donc un juste équilibre souvent

difficile à atteindre.

« À la limite, je me démenais plus pour les autres que pour moi. J'ai dit : voilà ce que tu

dois faire, voilà ce que tu ne dois pas faire. Malheureusement, je ne l'appliquais pas à

moi-même, parce que je ne parvenais pas. » (Extrait d’entretien avec des bénéficiaires

d’accompagnement social)

67 Nous pensons notamment au projet d’un service qui prévoyait la revitalisation d’un espace vert situé à côté du logement. Devant l’ampleur du projet, certains bénéficiaires se sont sentis dépassés et ont préféré l’abandonner.

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De la même manière, notamment lorsque ce sont des travailleurs sociaux distincts qui sont en

charge du volet individuel et du volet collectif, les bénéficiaires peuvent avoir des difficultés

pour différencier les démarches qui pourraient relever de l’accompagnement individuel de

l’accompagnement collectif. Nous savons que la multiplication d’intervenants sociaux auprès

d’une seule personne peut parfois être improductive.

Les champs d’action de ces deux volets doivent donc faire l’objet de délimitation auprès des

bénéficiaires mais aussi des travailleurs sociaux pour que chacun puisse connaître son rôle et

que le bénéficiaire puisse précisément identifier l’intervenant vers lequel se tourner en cas de

difficultés.

« Notre relative complexité institutionnelle et de fonctionnement fait que, parfois, les

interstices ne sont pas blancs ou noirs mais gris foncé et hop, on s’engouffre. Je veux

dire par exemple, grosse difficulté d’un locataire dans son logement, en termes d’arriéré

de loyer, de comportement, même par rapport { l’accompagnement, et par la bande, il

va faire d’autres trucs comme si de rien n’était dans le cadre du collectif. Est-ce qu’{ un

moment donné, il ne faut pas envoyer des messages cohérents, ce qui ne veut pas dire

qu’on ferme la porte { d’autres activités, mais on doit rester cohérent par rapport à ce

qu’on renvoie aux personnes. » (Extrait d’entretien avec des travailleurs sociaux en

charge d’accompagnement social)

Si de multiples intervenants peuvent être une richesse, sans cet effort de cohérence, nous

craignions que les bénéficiaires perdent quelque peu la maîtrise de la situation.

VII. Conclusion

Nous l’avons admis, initialement, nous avions envisagé notre objet d’étude comme ne pouvant se

décliner que sous un mode individuel. Pourtant, nos entretiens avec les bénéficiaires en avaient

fait apparaître une autre facette, le volet collectif de cet accompagnement.

Notre attention étant désormais tournée vers l’accompagnement collectif, nous nous sommes

vite aperçus que sur le terrain, le collectif restait le « parent pauvre » de l’accompagnement.

Nous nous sommes donc interrogés sur ce faible développement. Aussi, avant de nous pencher

plus précisément sur les atouts et faiblesses de ce type d’accompagnement, nous avons d’abord

cherché { comprendre le contexte dans lequel il s’inscrit. Nous avons alors pu identifier deux

facteurs structurels.

En premier lieu, nous avons cité l’organisation du parc immobilier qui privilégiait la norme du

logement individuel. Nous avons également évoqué les carences en matière de tissage de liens

sociaux dans les quartiers. Nous conclusions pourtant que si ces deux facteurs n’empêchaient

pas le développement d’un accompagnement collectif, ils ne le favorisaient pas non plus.

En second lieu, nous évoquions les manques dans la formation des travailleurs sociaux par

rapport { la gestion du collectif. Nous citions comme l’une des sources de difficulté, les

modifications d’ordre relationnel en passant d’un rapport exclusif travailleur social/bénéficiaire

à un rapport travailleur social/groupe. Nous nous sommes aussi interrogés sur les avantages et

inconvénients { ce qu’il s’agisse d’un même travailleur social en charge du volet individuel et

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collectif. Nous avons conclu qu’il serait sans doute plus pertinent de prévoir une distinction

claire de ces deux fonctions par le recours à deux travailleurs sociaux différents tout en assurant

des ponts entre ces deux protagonistes.

Nous avons poursuivons notre raisonnement par une analyse de la nature de l’accompagnement

collectif. Nous avons vu qu’il pouvait concerner soit des locataires d’un même bâtiment – voire

des locataires d’un même quartier – soit des bénéficiaires d’origines diverses. Pour rester

centrés sur notre objet d’étude, nous n’avons néanmoins considéré ces groupes que s’ils

entretenaient un lien avec le secteur du logement.

Concernent les domaines traités par l’accompagnement collectif, nous sommes aperçus que dans

le premier cas cité, l’accompagnement tournait principalement autour du logement qu’il s’agisse

de régler des aspects du quotidien commun des locataires ou d’activités visant { tisser des liens

entre eux afin d’améliorer la vie dans le bâtiment ou le quartier. Dans le second cas, le logement

représentait le point d’ancrage mais l’accompagnement collectif pouvait aussi se développer

dans des secteurs beaucoup plus larges.

Ce point a surtout été l’occasion de préciser qu’une activité collective ne correspond pas

forcément { ce que nous considérons comme un ‘accompagnement collectif’. Nous avons alors

rappelé ce que nous estimions être des traits caractéristiques de l’accompagnement – tel que

décrit dans le premier rapport intermédiaire – pour voir comment ils s’appliquaient dans le cas

de l’accompagnement collectif. Comme pour son pendant individuel, l’accompagnement collectif

doit permettre un cheminement de la personne et doit dépasser ce qui pourrait être un aspect

occupationnel.

C’est ensuite le moment auquel pouvait intervenir l’accompagnement collectif qui a retenu notre

attention. Tout comme pour l’accompagnement individuel, nous avons rappelé qu’il était

constitué de trois moments que sont l’avant, le pendant et l’après accompagnement mais notre

intérêt s’est surtout porté sur la complémentarité entre individuel et collectif en termes de

temporalité. De la même manière, l’accompagnement collectif pourra se développer sur le long

terme ou ne concerner qu’un projet spécifique impliquant une durée déterminée dans le temps.

Nous avons donc identifié trois cas de figure intéressants.

L’accompagnement collectif précède l’accompagnement individuel. Il permet alors aux prémisses

de la relation de confiance entre travailleurs sociaux et bénéficiaires de se créer pour qu’elle

puisse se poursuivre dans un suivi individuel. Cet effet sera d’autant plus important s’il s’agit du

même travailleur social – situation que nous avons jugée comme n’étant pas la plus pertinente -,

dans le cas contraire, il s’agira alors de renforcer le rôle d’intermédiaire du travailleur social en

charge du collectif.

Par ailleurs, ce moment de ‘pré-accompagnement individuel’ pourra également être mis à profit

pour établir un meilleur diagnostic de la situation du bénéficiaire. Enfin, il sera un moment

pendant lequel ce dernier pourra prendre ses marques et mieux appréhender ce que représente

l’accompagnement social.

L’accompagnement collectif et individuel se développe en parallèle, l’un palliant les manquements

de l’autre. Pour certains intervenants du secteur, il s’agirait même d’une façon de diminuer les

coûts inhérents { l’accompagnement. Toutefois, un tel dédoublement de l’accompagnement

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appelle à une coordination pour assurer la cohérence des actions menées auprès et avec les

bénéficiaires. Il s’agira aussi de veiller { ne pas tomber dans ce que nous avons appelé un ‘sur-

accompagnement’, privant le bénéficiaire de toute liberté d’action.

L’accompagnement collectif succède à l’individuel. L’une des nos craintes initiales portait sur la

fin de l’accompagnement individuel et des conséquences de cet arrêt auprès des bénéficiaires.

Nous avons vu que l’accompagnement collectif pouvait alors constituer une réponse

intéressante à cette crainte en permettant le maintien du lien et le déploiement d’un filet de

sécurité autour des bénéficiaires.

Ces trois configurations poursuivent donc des objectifs distincts qu’il était intéressant de mettre

en perspective. Nous insistons aussi pour rappeler que si nous nous intéressons à ces deux types

d’accompagnements, notre objectif n’est pas de créer une classification entre ces deux formes

mais plutôt d’en établir les spécificités, sans chercher { favoriser une forme au détriment de

l’autre.

Comme nous l’avons explicité dans les rapports intermédiaires précédents, l’accompagnement

social présente un certain nombre d’avantages qui valent tant sur le plan individuel que collectif.

Cependant il paraissait intéressant de se pencher sur les spécificités du collectif. L’une de celles-

ci consistait en un moyen d’enrayer l’isolement des bénéficiaires.

Nous attirions néanmoins l’attention sur la nécessité de veiller { ce que les bénéficiaires ne

restent pas enfermés dans un « ghetto pour précaires ». L’accompagnement social collectif doit

être un tremplin pour permettre aux personnes de réintégrer un réseau social impliquant un

cercle plus élargi.

L’autre trait positif inclus dans l’accompagnement social collectif consistait en la création d’une

dynamique de solidarité en mutualisant les expériences et en permettant leur partage en dehors

du binôme travailleur social/bénéficiaire.

L’accompagnement collectif est aussi enclin au développement de comportements favorables à la

réinsertion. Nous sommes conscients qu’une telle caractéristique rouvre d’ailleurs tout le débat

sur la normalisation que nous avons abordé dans le chapitre précédent. Enfin, nous terminions

en explicitant en quoi l’accompagnement collectif pouvait être un instrument de revalorisation

de l’estime de soi puisqu’il était l’occasion pour les bénéficiaires de retrouver un rôle au sein

d’une collectivité et de retrouver alors une nouvelle forme d’utilité sociale.

Nous l’avons dit, le volet collectif reste peu développé sur le terrain, tendance inverse { celle des

autres Etats-membres de l’Union européenne. Pour tenter de comprendre cette situation, nous

avions mis en avant plusieurs causes d’ordre structurel. Toutefois, nous avons choisi de

poursuivre cette réflexion d’une part, en nous penchant sur le ressenti des bénéficiaires quant à

la perspective de prendre part { un accompagnement collectif et d’autre part, sur une analyse

des difficultés éventuelles à mettre en place un tel accompagnement.

Pour ce qui est de l’avis des bénéficiaires, nous avons débuté notre analyse en distinguant trois

sous-groupes selon l’étant d’engagement du bénéficiaires dans l’accompagnement collectif.

Notre intérêt s’était surtout porté les bénéficiaires non engagé dans l’accompagnement collectif.

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En effet, tout en regrettant ardemment leur isolement social, ils se montraient très méfiants

quant { l’idée d’entretenir des relations sociales au sein d’un groupe.

Effrayés par les « autres » tout en souhaitant élargir leur cercle social, ils entretenaient donc une

position ambivalente face à leurs pairs, position que semblait donc se répercuter sur l’ensemble

de l’accompagnement collectif. Nous avons aussi noté que l’accompagnement collectif semblait

encore relativement méconnu auprès des bénéficiaires qui l’envisageaient principalement sous

un mode individuel.

Si les bénéficiaires semblaient réticents face { l’accompagnement social, nous avons aussi

cherché à identifier les difficultés identifiées par les travailleurs sociaux pour mettre sur pied un

accompagnement collectif, nonobstant toutes les difficultés { l’accompagnement social de

manière générale.

Deux difficultés principales ont ainsi pu être repérées, { savoir la création d’une identité

collective au sein du groupe mais aussi et surtout son maintien sur le long terme. En outre, nous

mentionnons l’importance que le bénéficiaire puisse établir une clarification entre ce qui relève

du suivi individuel et du collectif, évitant ainsi toute confusion dans son esprit.

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Conclusion

Les deux thématiques abordées au cours de ce rapport ont permis d’aborder l’accompagnement

social au logement dans un cadre plus large, le rattachant à des courants qui traversent

l’ensemble de notre société.

Dans un premier temps, nous sommes intéressés à la logique contractuelle, dérivée de

l’avènement de l’Etat-social actif. Nous avons tenté de comprendre son influence dans le cas de

l’accompagnement social au logement. Très vite, cette préoccupation nous a néanmoins poussés

{ nous tourner vers des sujets connexes que sont, d’une part, la contrainte et d’autre part, la

normalisation.

D’importants enjeux ont ainsi découlé de notre analyse. L’utilisation du contrat sous-tend, en

effet, le débat relatif au caractère obligatoire que pourrait prendre l’accompagnement.

Parallèlement, une seconde interrogation s’est alors fait jour quant { la reconnaissance de

l’accompagnement social.

Si les avantages d’une telle reconnaissance seraient sans doute extrêmement intéressants - qu’il

s’agisse d’une augmentation de subvention de moyens pour le secteur, d’une meilleure prise en

compte de cet outil au niveau d’autres opérateurs du logement qui ne le développe que très peu

actuellement ou encore le développement de la formation des travailleurs sociaux en la matière-,

une telle initiative pourrait également être porteuse d’une série d’effets pervers. Selon nous, le

plus inquiétant de ces effets serait de cadenasser un concept qui, s’il a besoin de clarification

pour pouvoir se développer, doit conserver une marge de manœuvre suffisante pour s’appliquer

aux différentes facettes du public avec lequel il est amené à entrer en contact.

Si nous pensons que cette reconnaissance doit intervenir, elle ne peut donc que se faire en

concertation avec le secteur. En outre, si la question de la reconnaissance nous a déjà amené à

beaucoup de prudence, le fait de rendre l’accompagnement social obligatoire est un point sur

lequel il nous est d’autant plus difficile de trancher.

Nous n’avons cessé de le répéter au fil des différents rapports intermédiaires, l’accompagnement

social nécessite la mise en place d’une relation de confiance ainsi que le plein assentiment des

bénéficiaires pour pouvoir déployer ses effets. Pourtant, parallèlement, les travailleurs sociaux

ont regretté de ne pouvoir disposer de plus de leviers lorsque cette collaboration s’éteignait chez

les locataires dont ils assuraient le suivi.

Nous sommes sans doute ici face à un des paradoxes les plus criants du travail social dans son

ensemble. Doit-on aider les personnes envers et contre tout, y compris contre leur propre

volonté ? L’accompagnement social se trouve ainsi confronté { un dilemme que peu de pans de

l’action sociale ont pu éviter jusqu’{ ce jour. A cet égard, nous avons estimé que le contrat

pouvait représenter une opportunité à exploiter. Matérialisant un engagement moral, mis au

service d’une pédagogie plus large, il constituait un moyen d’encourager les bénéficiaires {

accepter que leurs droits soient désormais assortis de devoirs.

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Autre point d’achoppement de l’action sociale auquel n’échappe pas l’accompagnement social, la

question des normes se pose irrémédiablement. Nous avons choisi d’aborder cette question en

ignorant toute considération d’ordre idéologique selon laquelle il serait bon ou non d’imposer

des normes dominantes à des groupes marginalisés.

Pour notre part, nous avons choisi d’aborder cette question en tâchant de comprendre quels

étaient les processus en œuvre en matière d’accompagnement social au logement. Nous avons

ainsi établi relevé ce qui constituait une injonction paradoxale où on réclamait des locataires une

normalisation de leurs comportements, faisant d’eux des locataires agissant en «bon père de

famille », sans leur assurer pour autant une normalisation des conditions de vie. En effet, si nous

avons vu que le logement individuel conservait un monopole – reléguant les formes alternatives

de logement sous forme de projet-pilote, rarement pérennisé -, nous avons aussi constaté que les

bénéficiaires de l’accompagnement social étaient principalement relégué dans des formes

dérivées de logement (logement de transit, logement d’insertion, …). Au même titre que

différents auteurs, nous redoutions alors de voir s’installer une ‘inclusion périphérique’.

Par ces deux aspects, on voit que nous avons sans doute dépassé le cadre de l’analyse de

l’accompagnement social { proprement parler mais il nous paraissait intéressant de nous poser

aussi ces questions pour déterminer au mieux le contexte dans lequel notre objet d’étude voit le

jour.

Lors de notre second chapitre, nous avons abordé une autre question qui, si, initialement, ne

nous était pas apparue comme centrale, l’est devenue au cours de notre phase exploratoire, {

savoir l’accompagnement social lorsqu’il est décliné sous un mode collectif.

Nous avons tout d’abord relevé { quel point ce type d’accompagnement restait peu développé

sur le terrain, tendance inverse { celle qui est développée sur l’ensemble de l’Europe. Pour

expliquer ce succès plus que mitigé, nous avons tenu à rendre compte de certains facteurs

structurels tels que l’organisation du marché immobilier tel que nous le connaissons ou encore

la formation des travailleurs sociaux, peu sensibilisés { l’accompagnement collectif.

Nous avons ensuite interrogé la nature même de l’accompagnement social collectif. À cet égard,

précisons qu’une activité collective ne constitue pas forcément un accompagnement social et

que pour utiliser cette dénomination, il convient de répondre à certain nombre de

caractéristiques que nous avons rappelé et adapté à la dimension collective. Si le collectif

représente une force, il ne pourra se targuer de la dénomination ‘accompagnement social’ que si,

comme pour son pendant individuel, il permet au bénéficiaire de réaliser un cheminement pour

encourager son insertion sociale.

La complémentarité entre volet individuel et collectif nous a amené à préciser quels pouvaient

être les objectifs de l’accompagnement social collectif. Nous avons vu que ceux-ci pouvaient

différer en fonction du moment de sa mise en application, qu'il permette d'établir un lien de

confiance entre travailleurs sociaux et bénéficiaires; de créer une opportunité pour mieux

appréhender la situation du bénéficiaire ou encore de maintenir un lien et un filet de sécurité

suite à l'arrêt de l'accompagnement social individuel.

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Ces différents objectifs nous ont aussi poussé à interroger la place des travailleurs sociaux

lorsqu'il s'agit de dédoubler l'accompagnement social sous un mode individuel et collectif. Si

nous avons rapidement conclu que le fait qu'un même travailleur social soit en charge de deux

volets permettait à la relation de confiance de jouer pleinement ses effets, nous avons vu aussi

qu'une telle situation pouvait présenter un certain nombre d'inconvénients.

En effet, le changement de registre relationnel nous paraissait extrêmement périlleux, pouvant

avoir des répercussions néfastes tant pour le volet individuel que collectif de l'accompagnement.

Nous avons donc opté pour que cet accompagnement puisse préférentiellement être pris en

charge par un autre travailleur social, si tant est que l'association puisse disposer des moyens lui

permettant un tel dédoublement.

Devant le peu de succès que cette forme d'accompagnement social sur le terrain, nous avons

cherché quels étaient ses avantages. le principaux d'entre eux semblait répondre à l'une des

difficultés les plus souvent évoquées lorsque l'on fait référence à la réinsertion des personnes

sans-abri dans le logement, à savoir l'isolement social. Enrayer ce manque de contacts sociaux

représente sans doute l'une des forces centrales de l'accompagnement social collectif mais aussi

l'une de ses faiblesses.

En effet, les bénéficiaires nous ont fait part de leurs difficultés à l'idée d'entrer en contact avec

d'autres personnes, même si celles-ci partageaient une situation similaire à la leur.

L'indifférence voire une inquiétude réelle mâtinaient leurs contacts avec leurs voisins.

Lorsqu'ils acceptaient néanmoins d'intégrer un processus d'accompagnement social collectif,

l'instabilité du groupe représentait un danger, souvent difficile à gérer. Nous évoquions dès lors

l'attitude paradoxale des bénéficiaires face à l'accompagnement social collectif : si ces

bénéficiaires annonçaient qu'ils souffraient de solitude, entrer en contact avec d'autres leur

inspirait néanmoins des craintes, celles-ci pouvant se répercuter sur le principe même de

l'accompagnement social collectif.

Nous mettions en avant que cette attitude paradoxale se rencontrait cependant principalement

chez les bénéficiaires n'ayant jamais été confrontés à ce type d'accompagnement. Nous

indiquions aussi que certains membres de l'échantillon étaient quant à eux inscrits dans ce type

de processus. nous insistions alors sur toute l'importance que l'accompagnement collectif avait à

leurs yeux.

Nous évoquions également la situation de certaines personnes ayant quitté ce type

d'accompagnement. Dans ce cas, nous notions que bien souvent, c'étaient tant

l'accompagnement individuel que collectif qui avaient pris fin. Pour un autre cas, nous

remarquions que si cet accompagnement collectif avait cessé, c'est qu'il avait permis au

bénéficiaire considéré d'envisager un autre type d'insertion, l'accompagnement collectif ayant

alors servi de véritable tremplin. Nous indiquions que c'était, selon nous, là que résidait le

véritable sens de l'accompagnement collectif.

Comme ces quelques lignes de conclusion le laissent penser, les deux objets sur lesquels nous

avons travaillé cette année nous ont amené à pousser la réflexion dans des retranchements de

plus en plus avancés. Si nous avons pu affiner certaines positions, nous constatons surtout que la

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réflexion ne peut s’arrêter ici, nous espérons que le reste du processus de recherche mis en place

permettra donc de poursuivre l’analyse de ces différentes pistes.