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1 La relativité du principe de sincérité des finances publiques dans les Etats de l’UEMOA Meïssa DIAKHATE Maître-Assistant Faculté des Sciences juridiques et politiques Université Cheikh Anta Diop de Dakar / Sénégal Introduction L’éloquent intitulé du Colloque de Cotonou, « La LOLF dans tous ses états » 1 , démontre, si besoin est, l’intérêt des problématiques émergentes du nouveau cadre harmonisé des finances publiques 2 . Du coup, cela donne à considérer l’importante question des principes visant notamment à contrôler le prélèvement et l’emploi des ressources publiques. A la lumière de la directive n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Loi de finances au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la sincérité s’applique désormais aux prévisions de ressources et de charges de l’Etat et à la comptabilité générale 3 . Le principe de sincérité 4 constitue l’un des pavés emblématiques de la nouvelle gestion publique 5 . C’est un principe fondamental du « système lolfien » 6 qui vient, comme on peut le dire, en complément au « carré » budgétaire 7 . Non sans raison, il est qualifié même de « prolongement sublimé de l’exigence de transparence » 8 . 1 Nicaise MEDE (dir.), La LOLF dans tous ses états, (Actes du colloque national des 13 et 14 février 2015, Université d'Abomey-Calavi), Bénin, Centre des publications universitaires, 2015, p. 6. 2 Pour une analyse exhaustive, voir Nicaise MEDE, « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques dans l’espace UEMOA », Afrilex, 121 p., www.afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 12 août 2016. 3 Voir articles 30 et 72 de la directive portant Loi de finances. Par contre, le principe de sincérité est désormais consacré dans l’alinéa in fine de l’article 47-2 de la Constitution française, issu de la révision constitutionnelle du 23 juin 2008, qui dispose : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ». Jean-Louis FORMERY, La Constitution commentée. Article par article, 13 éd., Paris, Hachette, 2010/2011, p. 101. 4 En finances locales, la sincérité vient en appoint à l’équilibre du budget local. Voir par exemple, Fara MBODJ, « L’application du principe de l’équilibre réel du budget dans les collectivités locales : du formel au mythe », Droit sénégalais, n° 7, Novembre 2008, pp. 317-347. D’ailleurs, le principe de sincérité a fait l’objet d’un contrôle par la Cour des Comptes du Sénégal qui relève un manque de sincérité budgétaire dans les gestions 2006 à 2009 de la Commune de Kaolack au motif que les prévisions de recettes sont généralement surestimées comparativement à la capacité avérée de ladite commune en matière de ressources. Ainsi, selon la Cour, « il en résulte des moins-values de recettes alors que des dépenses sont déjà gagées sur celles-ci ». Cour des Comptes du Sénégal, Rapport public 2011 (synthèse), 2013, p. 16, www.courdescomptes.sn, consulté le 12 août 2016. 5 La mutation de la gestion axée sur les moyens en gestion orientée vers les résultats induit un changement de paradigme dans la gestion publique. Voir Alain LAMBERT, Didier MIGAUD, « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : levier de la réforme de l’Etat », RFAP, n° 117, 2006, pp. 11-14. 6 Robert HERZOG, « Leçons apprises de la LOLF : un système en évolution, un Parlement renforcé mais indécis, un droit budgétaire dorénavant subordonné », in Jean-Luc ALBERT (dir.), Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre LASSALE, Gabriel MONTAGNIER, Luc SAIDJ, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 166. 7 Voir Jean-Luc ALBERT, Finances publiques, 9 e éd., Paris, Dalloz, 2015, pp. 412-451 ; Jeannie Elisabeth Badjo DJEKOURI-DAGBO, « Le principe de l’unité budgétaire dans le droit budgétaire ivoirien », Revue ivoirienne de Droit, n° 41, 2010, pp. 109-151. 8 Jean-François JOYE, « La sincérité, premier principe financier », RFFP, 2010, n° 111, p. 17.

La relativité du principe de sincérité des finances ... · 1 Nicaise MEDE (dir.), La LOLF dans tous ses états, (Actes du colloque national des 13 et 14 février 2015, Université

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1

La relativité du principe de sincérité des finances publiques dans les Etats de l’UEMOA

Meïssa DIAKHATE

Maître-Assistant

Faculté des Sciences juridiques et politiques

Université Cheikh Anta Diop de Dakar / Sénégal

Introduction

L’éloquent intitulé du Colloque de Cotonou, « La LOLF dans tous ses états »1, démontre, si

besoin est, l’intérêt des problématiques émergentes du nouveau cadre harmonisé des finances

publiques2. Du coup, cela donne à considérer l’importante question des principes visant

notamment à contrôler le prélèvement et l’emploi des ressources publiques. A la lumière de la

directive n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant Loi de finances au sein de l’Union

économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la sincérité s’applique désormais aux

prévisions de ressources et de charges de l’Etat et à la comptabilité générale3. Le principe de

sincérité4 constitue l’un des pavés emblématiques de la nouvelle gestion publique5. C’est un

principe fondamental du « système lolfien »6 qui vient, comme on peut le dire, en complément

au « carré » budgétaire7. Non sans raison, il est qualifié même de « prolongement sublimé de

l’exigence de transparence »8.

1 Nicaise MEDE (dir.), La LOLF dans tous ses états, (Actes du colloque national des 13 et 14 février 2015,

Université d'Abomey-Calavi), Bénin, Centre des publications universitaires, 2015, p. 6. 2 Pour une analyse exhaustive, voir Nicaise MEDE, « Réflexion sur le cadre harmonisé des finances publiques

dans l’espace UEMOA », Afrilex, 121 p., www.afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 12 août 2016. 3 Voir articles 30 et 72 de la directive portant Loi de finances. Par contre, le principe de sincérité est désormais

consacré dans l’alinéa in fine de l’article 47-2 de la Constitution française, issu de la révision constitutionnelle du

23 juin 2008, qui dispose : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent

une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ». Jean-Louis

FORMERY, La Constitution commentée. Article par article, 13 éd., Paris, Hachette, 2010/2011, p. 101. 4 En finances locales, la sincérité vient en appoint à l’équilibre du budget local. Voir par exemple, Fara MBODJ,

« L’application du principe de l’équilibre réel du budget dans les collectivités locales : du formel au mythe »,

Droit sénégalais, n° 7, Novembre 2008, pp. 317-347. D’ailleurs, le principe de sincérité a fait l’objet d’un

contrôle par la Cour des Comptes du Sénégal qui relève un manque de sincérité budgétaire dans les gestions

2006 à 2009 de la Commune de Kaolack au motif que les prévisions de recettes sont généralement surestimées

comparativement à la capacité avérée de ladite commune en matière de ressources. Ainsi, selon la Cour, « il en

résulte des moins-values de recettes alors que des dépenses sont déjà gagées sur celles-ci ». Cour des Comptes

du Sénégal, Rapport public 2011 (synthèse), 2013, p. 16, www.courdescomptes.sn, consulté le 12 août 2016. 5 La mutation de la gestion axée sur les moyens en gestion orientée vers les résultats induit un changement de

paradigme dans la gestion publique. Voir Alain LAMBERT, Didier MIGAUD, « La loi organique relative aux

lois de finances (LOLF) : levier de la réforme de l’Etat », RFAP, n° 117, 2006, pp. 11-14. 6 Robert HERZOG, « Leçons apprises de la LOLF : un système en évolution, un Parlement renforcé mais

indécis, un droit budgétaire dorénavant subordonné », in Jean-Luc ALBERT (dir.), Mélanges en l’honneur de

Jean-Pierre LASSALE, Gabriel MONTAGNIER, Luc SAIDJ, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 166. 7 Voir Jean-Luc ALBERT, Finances publiques, 9e éd., Paris, Dalloz, 2015, pp. 412-451 ; Jeannie Elisabeth

Badjo DJEKOURI-DAGBO, « Le principe de l’unité budgétaire dans le droit budgétaire ivoirien », Revue

ivoirienne de Droit, n° 41, 2010, pp. 109-151. 8 Jean-François JOYE, « La sincérité, premier principe financier », RFFP, 2010, n° 111, p. 17.

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Etant entendu que l’un des premiers jalons indispensables à toute réflexion est de l’ordre de la

définition, il convient de cerner le sens des termes essentiels du sujet, notamment la

"relativité", le "principe de sincérité". La "relativité" emprunte ici un sens général pouvant

signifier une chose qui dépend d’une autre chose. Soutenir alors le caractère relatif du

principe de sincérité reviendrait à le concevoir « d’après le contexte » et à considérer qu’il

« ne peut être affirmé sans restriction ni réserve »9. Pour le "principe de sincérité", il est

nécessaire de commencer par cerner le terme essentiel de l’expression, à savoir la "sincérité".

A la question « qu’est-ce que la sincérité ? », la réponse donnée est que « c’est un

comportement. C’est ce que nous apprend l’étymologie : le fait de présenter un produit qui

n’est pas altéré, un miel sine cera, sans cire. […] Etre sincère, c’est refléter l’image naturelle

de la vérité toute simple et toute nue. […] c’est se montrer tel qu’on est, sans fard et non pas

avec une figure d’emprunt. » 10. En effet, le cursus étymologique, même raccourci, donne au

concept une valeur significative puisque la cire servait aux anciens à se maquiller. On peut en

déduire, dans une acception générale, que la sincérité sert à qualifier « ce qui s’exprime avec

vérité ou authenticité »11. Elle ne vaut que pour un comportement relevant de la bonne foi,

c’est-à-dire « une intention droite, sans ruse »12. Ce qui implique une appréciation de

l’intention de son auteur, ou du moins de sa conduite. Du point de vue juridique, la notion de

sincérité est largement connue dans l’univers du droit des sociétés. Par la suite, elle est

consacrée en droit des collectivités locales avant d’être accueillie, avec subtilité et prudence,

dans le cadre du budget de l’Etat par la jurisprudence13. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence

du Conseil constitutionnel français, la sincérité des comptes publics s’apprécie au regard de

l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre déterminé par la loi de

finances14 ; il s’entend également de l’exactitude des comptes dans la loi de règlement15.

Quant à l’expression "principe de sincérité", elle n’a pas donné lieu à une définition consacrée

par la directive portant Loi de finances ou les lois relatives aux lois de finances, lesquelles se

sont simplement limitées à en fixer l’objet et les conditions. Néanmoins, elle trouve sa

signification précisée par la doctrine. William GILLES fait valoir que « les principes

budgétaires et comptables publics permettent de fixer un cadre à la prise de décision

financière par l’Exécutif »16. C’est en ce sens que, dans le lexique financier de l’Etat, le

principe de sincérité est évoqué au double plan budgétaire et comptable. La sincérité

budgétaire porte sur l’acte d’autorisation budgétaire présenté au Parlement. Inspirée de la

9 Voir André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Quadrige, 2013, p. 910. Le

terme "relativité" est également utilisé dans d’autres sciences, notamment en physique où l'expression "théorie

de la relativité" renvoie à deux théories complémentaires d’Albert Einstein. Louis-Marie MORFAUX,

Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris, Armand Colin, 1980, p. 313. 10 Jean-Pierre CAMBY, « Pour le principe de sincérité budgétaire », », RFPP, n° 111, 2010, p. 157. 11 LE NOUVEAU LITTRE, Le dictionnaire de référence de la Langue française, Paris, Garnier, 2004, p. 1302. 12 LE ROBERT, Nouv. éd. millésime, 2016, p. 757. 13 Voir Jean-Pierre CAMBY, La réforme du budget de l’Etat, 3e éd., Paris, LGDJ, 2011, p. 211. Par ailleurs, le

terme est familier dans les organisations internationales (OCDE, FMI, BAD, INTOSAI, UEMOA), avec parfois

des signifiants variables (transparence, intégrité, etc.). Voir Alex SEGURA, « Transparence budgétaire :

meilleures pratiques internationales », Séminaire FMI, Dakar, 2008 ; Caroline CHAMARD-HEIM, « La

sincérité dans les organisations internationales », RFFP, n° 111, 2010, pp. 63-72. 14 Décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, www.conseil-constitutionnel.fr, consulté le 14 août 2016. 15 Décision n° 2009-585 DC du 6 août 2009, Loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année

2008, www.conseil-constitutionnel.fr, consulté le 14 août 2016. 16 William GILLES, Les principes budgétaires et comptables publics, Paris, LGDJ, 2009, p. 28. La définition de

l’auteur est logique car la notion de "principe", isolément considérée, renvoie à une « règle juridique établie par

un texte en termes généraux destinée à inspirer diverses applications et s’imposant avec une autorité

supérieure ». Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, Quadrige/PUF, 2016, p. 806.

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comptabilité commerciale, elle signifie que les lois de finances doivent présenter l’ensemble

des ressources et des charges de l’Etat de manière exacte et cohérente, compte tenu des

informations disponibles et des prévisions qui peuvent en découler lors de leur adoption, sans

intention de fausser les grandes lignes de leur solde17. A tout bien considéré, la sincérité

budgétaire comporte trois volets que sont la sincérité des évaluations, la sincérité du périmètre

budgétaire et la sincérité de la présentation ou « mise en scène de la sincérité »18. Ce qui

pourrait correspondre au diptyque formé par la sincérité quantitative et la sincérité qualitative.

En revanche, la sincérité comptable induit, en matière de loi de règlement, l’obligation de

respecter l’exactitude ou la vérité des comptes. Au demeurant, la sincérité emporte une

dimension subjective relative aux documents de prévision et une dimension objective relative

aux documents rendant compte de l’exécution du budget.

Cependant, la notion de "principe de sincérité" est parfois contestée. Sur le plan notionnel, il

lui est alors substitué des notions comme « obligation de sincérité »19, « sincérité »20 ou

« objectif général »21. Sous l’angle méthodologique, il est fait appel à la nécessité de dépasser

« le dualisme formel de la sincérité publique »22 ou d’établir une cohérence globale par le

concept de « sincérité financière »23. Quoi qu’il en soit, il est de raison d’attribuer à la

"sincérité", au même titre que les principes déjà affermis, une valeur de « principe ». C’est la

conception affirmée par la directive portant Loi de finances24.

Un fondement doublement interprété est à la base de la consécration du principe de sincérité.

D’une part, il est animé par un esprit d’amélioration de la transparence de la gestion des

finances publiques. D’autre part, il traduit une volonté de renforcement de l’exercice du

pouvoir budgétaire du Parlement. Pour l’essentiel, le principe de sincérité interdit de sous-

estimer les charges ou de surestimer les ressources présentées dans les lois de finances et fait

obligation de ne pas dissimuler des éléments financiers ou patrimoniaux. Ainsi défini, le

principe de sincérité budgétaire peut être considéré comme un indicateur de transparence dans

la gestion des finances publiques. Sans doute, l’obligation de rendre compte et la

responsabilité y afférente ont pour préalable le respect de la sincérité. Il en résulte, pour notre

part, l’intérêt de fonder une réflexion sur la question suivante : qu’est-ce qui caractérise le

principe de sincérité dans les finances publiques au sein de l’UEMOA ? Eriger cette question

en problématique de recherche urge d’autant plus que la notion de sincérité n’est pas assez

visiblement décrite dans la directive portant Loi de finances. Il y a lieu alors de s’interroger

sur son contenu et sa force.

17 Serge GUINCHARD, Thierry DEBARD, Lexique des termes juridiques, 21e éd., Paris, Dalloz, 2014, p. 873. 18 Laurent PANCRAZI, Le principe de sincérité budgétaire, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 305. 19 Décision du Conseil constitutionnel français n° 98-406 DC du 26 décembre 1998, Loi de finances

rectificatives pour 1998, www.conseil-constitutionnel.fr, consulté le 14 août 2016. 20 Décision du Conseil constitutionnel français n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999,

www.conseil-constitutionnel.fr, consulté le 14 août 2016. 21 Christelle DESTRET, « L’émergence d’un nouveau concept : le principe de sincérité de la loi de finances », in

L’ordonnance du 2 janvier 1959 : 40 ans après, Etudes de l’IREDE, PUSS, 2000, p. 119. 22 Marie-Christine ESCLASSAN, « Sincérité et gouvernance financière publique : y a-t-il une sincérité

financière publique spécifique ? », RFFP, n° 111, 2010, p. 52. 23 François BONNEVILLE, « Edward Mordrake ou les deux visages du principe de sincérité dans la

jurisprudence du Conseil constitutionnel », Constitutions, Avril-Juin 2016, p. 297. 24 Voir "Section 3" de la directive portant Loi de finances : « Du principe de sincérité ». En France, le Conseil

constitutionnel est le « bâtisseur du principe de sincérité » grâce à la Décision n° 93-320 du DC du 21 juin 1993,

LFR pour 1993. Voir notamment Jean-Pierre CAMBY, « Le Conseil constitutionnel et les principes du droit

budgétaire », RFFP, n° 51, 1995, pp. 53-54 ; François BARQUE, « La sincérité devant le juge constitutionnel »,

RFFP¸ n° 111, 2010, p. 97 ; Anne FROMENT-MEURICE et alii., Les grands arrêts de la jurisprudence

financière, 6e éd., Paris, Dalloz, 2014, pp. 33-45.

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A la lecture des dispositions de la directive portant Loi de finances, il apparaît clairement que

la sincérité est insuffisamment définie25 et approximativement pratiquée. Dissiper les

difficultés théoriques et pratiques susceptibles d’entraver la pleine intelligibilité du principe

de sincérité, telle est la pensée d’importance qui alimente le présent article. En effet, « la

notion de sincérité budgétaire et comptable, pour être opérationnelle, ne peut pas se résoudre

en un couple formé par un principe juridique et le juge. Elle doit d’abord faire l’objet d’une

construction conceptuelle pour être ensuite incarnée dans des institutions administratives,

politiques et juridictionnelles »26. C’est pourquoi, il entre naturellement dans nos préoccu-

pations le besoin de clarifier et d’apprécier, dans sa double déclinaison budgétaire et

comptable, le sens et la force du principe de sincérité27.

La nouveauté du principe de sincérité explique que sa tonalité juridique ne soit pas encore

clairement perçue par les textes, suffisamment intégrée dans la pratique de l’Administration,

largement analysée par le juriste et strictement interprétée par le juge. Or, l’intégration réussie

du principe de sincérité dans les finances publiques au sein de l’UEMOA requiert que soit

dépassé son caractère vague, imprécis voire indéterminé28. C’est tout le sens du dialogue des

grands penseurs : au questionnement de Michel BOUVIER à propos de « la sincérité

budgétaire et comptable, un principe paradoxal ? »29, Robert HERTZOG semble répondre en

précisant que c’est « un principe nécessaire, multiforme et inachevé »30.

L’énoncé définitoire de la LOLF ne satisfait pas, même en apparence, à la norme légistique.

Formellement, la disposition n’est pas parfaite. La présentation ne dénote-t-elle pas un

embarras dans l’éclosion du nouveau principe ? Jugeons-en. Toute une section n’est

entièrement réservée qu’à un article unique. Une fausse annonce ! On serait logiquement

fondé à juger que le "législateur" communautaire n’a fait que battre la mesure de l’étendue

des difficultés de compréhension et d’application de la sincérité budgétaire et comptable. Dès

lors, l’ambition ne dépasse guère la conscience modeste de présenter un référentiel explicatif

du principe de sincérité pour rétrécir les marges de contrariété entre les diverses interpré-

tations. En l’occurrence, il ne s’agit, ni plus ni moins, que de faire du principe de sincérité une

notion éclaircie. La perception correcte du sens et la bonne maîtrise des déterminants de

l’environnement politique et institutionnel constituent la substruction de l’application aboutie

du principe. L’importance de vouloir s’interroger sur le principe de sincérité n’est pas

insignifiante ; elle est même indispensable et l’est davantage au cas où l’on parviendrait à

l’examiner en rapport avec le fondement du nouveau cadre harmonisé des finances

publiques31. On s’attachera à le faire dans « une sorte d’équilibre dynamique entre le concept

et son environnement »32.

25 Voir pour le cas de la France, par exemple, Dominique LANDBECK, « La notion de sincérité en finances

publiques », RFDA, 2002, p. 798. 26 Michel BOUVIER, « La sincérité budgétaire et comptable : un principe paradoxal », RFFP, n° 111, 2010,

p. 169. 27 Voir Luc SAIDJ, « Enjeux autour d’un principe controversé », RFFP, n° 111, 2010, p. 3. 28 Voir Alexandre GUIGUE, « Du besoin à l’obligation de sincérité », RFFP, n° 111, 2010, p. 29. 29 Michel BOUVIER, ibid. id. 30 Robert HERTZOG, « La sincérité des documents budgétaires : principe nécessaire, multiforme et inachevé »,

RFFP, n° 111, 2010, p. 139. 31 Ce nouveau cadre a pour vocation d’apporter des solutions aux contraintes rencontrées dans la mise en œuvre

des directives de première génération. Ces contraintes étant d’ordre politique, économique, technique et

juridique. Voir Salif YONABA, « Les contraintes de l’harmonisation d’un droit budgétaire rénové dans la zone

UEMOA », RFFP, n° 98, 2007, pp. 69-79. 32 Michel BOUVIER, ibib., p. 170.

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Ces données de sens ne manquent pas d’éveiller la curiosité sur l’exigence d’étudier le

principe de sincérité dans le droit budgétaire et comptable des Etats de l’UEMOA. Là où

généralement, les problématiques de finances publiques n’ont pas abondé les thématiques de

recherche. Toutes choses que révèle la plume de Nicaise MEDE qui donne à comprendre

ceci : « Le paradoxe de notre temps est le décalage entre l’ampleur des questions de gouver-

nance financière publique (dette souveraine, les rating agencies, rigueur budgétaire,

concours des fonds souverains, caractère soutenable des déficits des comptes publics,

équilibre budgétaire, pression fiscale, etc.) et le côté dérisoire, en langage quantitatif, des

productions scientifiques qui leur sont consacrées. De tous les mémoires, les thèses, les

articles de presse et quelques autres travaux de séminaire ou colloques on réunirait

difficilement un pourcentage raisonnable de valeurs de science financière. La réalité est que

la déferlante des droits de l’homme et de la démocratie exerce un effet impérial et même

monopolistique sur le champ de la production scientifique. »33.

Par voie de conséquence, le besoin fortement ressenti de clarifier le concept amène à articuler

une démarche explicative dont la vertu pédagogique est non négligeable dans un contexte

d’apprentissage voire de tâtonnements pour faire migrer les Etats de l’UEMOA vers le

nouveau système de programmation et de gestion des finances publiques. Cette démarche

permet de procéder à l’analyse conceptuelle et instrumentale du principe de sincérité. A cet

effet, les développements résideront dans l’analyse du cadre normatif et dans l’examen du

contexte d’application. Cela est d’autant plus salutaire que la sincérité fait partie du champ

des questions libres dans le domaine difficile du droit budgétaire et comptable. Cette

préoccupation peut être conséquemment justifiée en évoquant le propos de Franck

WASERMAN selon lequel « la sincérité est une préoccupation contemporaine du droit

financier public »34.

Dans le sens tant souhaité de dégager une signification objective du principe de sincérité, le

focus est mis sur les directives de l’UEMOA, les lois relatives aux lois de finances35, les

documents de travail parlementaire, les rapports rendus publics par les juridictions financières

et les travaux de recherche. Ce faisant, l’étude s’efforce de couvrir le périmètre des Etats de

l’UEMOA que sont le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le

Niger, le Sénégal et le Togo. De plus, dans une dynamique comparée, les développements

s’intéresseront, si nécessaire, au droit français qui a vécu le bonheur d’éprouver le principe de

sincérité.

Eu égard à ces considérations, on entend, dans la linéarité des développements ci-après,

étudier le principe de sincérité relativement, en premier lieu, à l’effet d’une consécration

imparfaite (I) et, en second lieu, à l’emprise des contrôles inefficaces (II).

I. L’effet d’une consécration imparfaite

Le principe de sincérité connaît une dimension, à la fois, budgétaire et comptable. Du point de

vue budgétaire, il implique une présentation sincère de l'ensemble des ressources et des

charges de l'Etat. Du point de vue comptable, il tient à la tenue et à la reddition de comptes

selon une comptabilité sincère. Mais, quelle est la portée de la consécration ? La définition

33 Nicaise MEDE, « Préface » in Maxime Bruno AKAKPO, Démocratie financière en Afrique occidentale

francophone, Bénin FES, août 2015, p. 11. 34 Franck WASERMAN, Les finances publiques, 8e éd., Paris, La documentation Française, 2016, p. 27. 35 Loi organique n° 2013-14 du 27 septembre 2013 du Bénin, Loi organique n° 073/CNT du 06 novembre 2015

du Burkina Faso, Loi organique n° 2014-336 du 05 juin 2014 de la Côte d’Ivoire, Loi n° 2/2015 de la Guinée

Bissau, Loi n° 2013-028 du 11 juillet 2013 du Mali, Loi organique n° 2012-09 du 26 mars 2012 du Niger, Loi

organique n° 2011-15 du 08 juillet 2011 du Sénégal, Loi organique n° 2014-013 du 27 juin 2014 du Togo.

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communautaire expose les conditions de sincérité ; pour autant la consécration n’en est pas

moins imparfaite.

Ainsi, il s’agit d’évoquer le caractère imparfait de la consécration du principe de sincérité

relativement à une sincérité budgétaire éludée (A) et une sincérité comptable limitée (B).

A. Une sincérité budgétaire éludée

La disposition consacrant le principe de sincérité budgétaire n’obéit pas à une logique de

prescription impérative. Sa teneur juridique est diluée, d’une part, par le caractère

prévisionnel, donc aléatoire, de la loi de finances (1) et, d’autre part, par l’exigence d’une

obligation de moyens (2).

1. Une prévision budgétaire

De prime abord, force est de constater que le principe de sincérité ne présente pas l’aspect

concret d’une règle de présentation ou de contenu. C’est en cela qu’il se distingue des

principes classiques qui s’illustrent par des incidences pratiques36. Que recouvre alors le

contenu de la sincérité budgétaire ? La réponse de la directive portant Loi de finances et des

textes subséquents est presque imperceptible. En substance, l’assise textuelle de la notion ne

satisfait pas à l’impératif de précision indispensable à l’applicabilité d’une norme juridique.

Par exemple, en écho à la directive portant Loi de finances, l’alinéa premier de l’article 30 de

la Loi n° 2011-15 du 8 juillet 2011 portant loi organique relative aux lois de finances au

Sénégal dispose que « les prévisions de ressources et de charges de l’Etat doivent être

sincères ». A la lecture de cette disposition, on perçoit la prédominance de la présomption

dans le contrôle de la sincérité. Cela accentue son caractère élastique.

En effet, on n’est pas sans savoir que la question de la sincérité budgétaire est habituellement

discutée devant le juge constitutionnel français du point de vue des évaluations budgétaires,

notamment la sincérité « des prévisions de recettes »37, la sincérité des « évaluations de

dépenses »38 et la sincérité « des plafonds de charges »39. C’est la posture observée par le

Conseil lorsqu’il fait montre de pragmatisme en ne tirant aucune conséquence car les

évaluations ne sont pas, « eu égard à l’amplitude de la sous-estimation alléguée rapportée

aux masses budgétaires », entachées d’une erreur manifeste. Autrement dit, il fait preuve de

tolérance en jugeant, à l’occasion, qu’il appartiendrait au Gouvernement de présenter une loi

de finances rectificative (LFR) en cours d’exercice afin d’ajuster les prévisions initiales40.

Durant donc la maturation jurisprudentielle du principe, c’est le triomphe de la sagesse des

solutions équilibrées41.

Dans le cas des prévisions de la loi de finances, l’insincérité ne pourrait résulter que d’une

erreur manifeste, intentionnelle et d’ampleur conséquente mais non d’une simple erreur

matérielle censée insuffisante pour remettre en cause les équilibres. Certainement, « l’erreur

36 Jean-Pierre CAMBY, « Pour le principe de sincérité budgétaire », op. cit., p. 157. 37 Décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993, Loi de finances rectificative pour 1993 ; Décision n° 99-425 DC du

29 décembre 1999, Loi de finances rectificative pour 1999, www.conseil-constitutionnel.fr, consulté le 14 août

2016. 38 Décision n° 94-351 DC du 29 décembre 1994, Loi de finances initiale pour l’année 1995, www.conseil-

constitutionnel.fr, consulté le 14 août 2016. 39 Décision n° 2000-442 du 28 décembre 2000, Loi de finances pour 2001, www.conseil-constitutionnel.fr,

consulté le 14 août 2016. 40 Laurent PANCRAZI, Le principe de sincérité budgétaire, op. cit., p. 149. 41 Robert HERZOG, « La sincérité des documents budgétaires : principe nécessaire, multiforme et inachevé »,

op. cit., p. 139.

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manifeste d’appréciation »42 a été le don de l’intelligence par lequel le Conseil constitutionnel

français est passé d’un contrôle subjectif à un contrôle objectif. Mais, au bout du compte,

l’incantation par le juge constitutionnel du défaut d’altération des grandes lignes de l’équilibre

rend inopérant le moyen. Par ailleurs, cette solution n’est-elle pas la préfiguration d’un avatar

de la théorie de l’influence déterminante ?

Tout d’abord, dans contexte d’étude, la Cour des Comptes du Sénégal rapporte que la

subvention de 6 000 000 000 francs CFA - destinée au Compte spécial du Trésor « prêts aux

particuliers » - n’a pas été mandatée, ainsi que l’expose le projet de loi de finances. Elle

conclut que « ce procédé non seulement ne respecte pas la volonté du législateur mais aussi

pose un problème de sincérité des prévisions »43. Certes on ne peut pas reconnaître à la Cour

le privilège d’avoir été aux avant-postes du contrôle de la sincérité des comptes publics mais

elle a le mérite d’en avoir au moins incidemment fait part.

On peut se réjouir aussi du remarquable engagement de la Chambre des Comptes de la Cour

suprême du Bénin à évaluer la sincérité des prévisions budgétaires. Elle a examiné la loi de

finances 2013 sous l’angle de la crédibilité budgétaire. Une part non moins significative des

constats de la juridiction se concentre sur le peu de réalisme des prévisions de recettes,

l’insincérité des prévisions de recettes. Le tableau d’exécution des recettes budgétaires en

fonction de la classification économique fait ressortir que les recettes constatées au budget de

l’Etat représentent 90% des prévisions. S’agissant des rubriques de prévisions budgétaires

affectées par la non sincérité, le rapport cite, en exemple, les dépenses ordinaires qui, hors les

dettes, affichent un taux de réalisation de 108%44.

Pourtant, la possibilité d’une évaluation sincère des prévisions budgétaires existe. Une

illustration est fournie par référence à l’article 6 du décret n° 2014-1212 du 22 septembre

2014 portant Code des Marchés publics du Sénégal aux termes duquel il est énoncé que lors

de l’établissement de leur budget, les autorités contractantes évaluent le montant total des

marchés de fourniture, par catégorie de produits, des marchés de services par catégorie de

services et des marchés de travaux, qu’elles envisagent de passer au cours de l’année

concernée et établissent un plan de passation des marchés comprenant l’ensemble des

marchés. Les plans de passation doivent être communiqués à la Direction chargé du contrôle

des marchés publics au plus tard le 1er décembre de l’année précédant l’année budgétaire

considérée45. Adamou ISSOUFOU estime qu’il s’agit là « d’un instrument pertinent de

préparation de l’ébauche du budget de chaque ministère » pouvant aussi « être envisagé

comme une tentative, voire une consécration du principe de sincérité budgétaire »46. Partant,

les autorités pourront convaincre par la force des arguments tendant à la justification des

crédits47. C’est logique car l’idée est que le montant des évaluations correspond en réalité à

des besoins précis en marchés de fournitures, de services et de travaux. Cela rend sincères les

montants prévisionnels inscrits dans le projet de loi de finances.

42 Décision n° 2004-511 DC du 29 décembre 2004, Rev. du Trésor, n° 3-4, Mars-Avril 2005, p. 156. 43 Cour des Comptes du Sénégal, Rapport public 2014, p. 37, www. courdescomptes.sn, consulté le 15

septembre 2016. 44 Chambre des Comptes de la Cour suprême du Bénin, Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour

l’année 2013-2014, pp. 87-90 ; Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour l’année 2014, 2015, p. 106.

www.cour supremebenin.com, consulté le 18 août 2016. 45 JORS n° 6812 du 04 octobre 2014, p. 1164. 46 Adamou ISSOUFOU, La rationalisation de la dépense publique dans le nouveau droit des marchés publics du

Niger et du Sénégal, Thèse de Doctorat, Université Cheikh Anta Diop, 31 octobre 2015, pp. 54-55. 47 Voir Ludovic GUEDJE, Aubin GODJO, « La commande publique dans la réforme : Quelle stratégie, Quelles

actions ? », in Nicaise MEDE (dir.), La LOLF dans tous ses états, op. cit., pp. 113-114.

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Ensuite, la sincérité budgétaire peut être évaluée sous l’angle du périmètre budgétaire. En fait,

les débudgétisations, les non budgétisations et les irrégularités financières relèvent de

l’insincérité. Conséquemment, le défaut de budgétisation de charges certaines et le dépasse-

ment budgétaire sont considérés comme des vices de sincérité. C’est l’entendement de la Cour

des Comptes du Sénégal qui précise que « le reclassement des contractuels de l’Education qui

figure à l’exposé des motifs de la Loi de finances initiale aurait dû être géré dans les

dotations du Ministère »48. En outre, elle juge que les dépassements récurrents sur crédits

évaluatifs d’importance significative, enregistrés par certaines sections, sont de nature à

affecter la sincérité des prévisions budgétaires.

Plus spécifiquement, la sincérité exprime la cohérence des opérations financières pour éviter

les manipulations contraires au principe de sincérité budgétaire49. Sous ce prétexte, la

vigilance est appelée sur l’articulation cohérente des documents financiers relatifs à la loi de

finances (le budget général et les budgets annexes ou les comptes d’affectation spéciale) et

entre la loi de finances et d’autres documents financiers50. Il serait ainsi possible de soutenir,

sans risque de se tromper, que la bonne qualité des documents budgétaires annexés au projet

de loi de finances est nécessaire pour attester la sincérité budgétaire. Formellement, la

lisibilité des documents est importante. L’UEMOA a défini un cadre harmonisé des finances

publiques51 dont le but recherché est étroitement lié à l’amélioration de l’efficacité de la

dépense publique ainsi qu’à l’instauration de la culture d’une véritable transparence dans la

gestion publique. Sous ce rapport, la lisibilité des documents budgétaires produits pour le

Parlement et le citoyen est un indicateur de sincérité budgétaire.

Enfin, c’est la fixation d’objectifs pertinents et contrôlables associés à des indicateurs

vérifiables qui garantissent la sincérité budgétaire. En France, les députés de l’Opposition ont

eu à alléguer que le nombre d’indicateurs de performance non renseignés dans les documents

budgétaires transmis au Parlement et détaillant les crédits de chacune des missions est

inacceptable et remet en cause la qualité même de l’autorisation parlementaire. Il en ressort

que le manque de sincérité prive le Parlement de sa capacité d’exercer le contrôle sur

l’efficacité des politiques menées52.

En réponse aux requérants, le Conseil constitutionnel français indique que des projets annuels

de performances présentant les objectifs associés aux crédits des différents programmes

figurent au nombre des documents devant être joints au projet de loi de finances de l’année

pour permettre de mesurer, au moyen d’indicateurs précis, l’efficacité de la dépense publique.

Les requérants n’ayant pas prouvé que les indicateurs de performances associés à la loi de

finances pour 2006 sont entachés d’un défaut de sincérité, le Conseil conclut que même si

« quelques retards ou déficiences ont pu être constatés et devront être corrigés à l’avenir, ils

ne sont, ni par leur nombre, ni par leur ampleur, de nature à remettre en cause la régularité

d’ensemble de la procédure législative »53. A cet égard, la question posée par Michel

48 Cour des Comptes du Sénégal, Rapport public 2013 ̧p. 31, www.courdescomptes.sn, consulté le 18 août 2016. 49 Henry-Michel CRUSIS, « La sincérité des lois de finances. Nouveau principe du droit budgétaire », La

Semaine juridique, n° 28, 20 juillet 2000, pp. 1361-1364. 50 La cohérence implique la complémentarité entre les divers documents budgétaires, comme par exemple, entre

le projet de loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale pour en apprécier les incidences

économiques et fiscales. Raymond MUZELEC, Finances publiques, op. cit., p. 312. 51 Pour une analyse consacrée à la mainmise de l’UEMOA sur les pays membres, voir Moussa DIOP, Le pouvoir

financier de l’UEMOA sur les Etats membres, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 31 mai 2014, pp. 40-196. 52 Voir Robert ETIEN, « La participation de l’opposition au débat budgétaire », Etudes de finances publiques.

Mélanges en l’honneur de Paul Marie GAUDEMET, Paris, Economica, 1984, pp. 247-267. 53 Décision n° 2005-530 DC, 29 décembre 2005, Loi de finances 2006, www.conseil-constitutionnel.fr, consulté

le 14 août 2016.

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LASCOMBE et Xavier VANDENDRIESSCHE n’est pas dénuée de pertinence : « Quelle

sera en effet l’effectivité de l’analyse des rapports annuels de performance annexés à la loi de

règlement du budget 2006 dès lors que certains indicateurs faisaient défaut aux projets

annuels de performance ?»54.

En somme, le caractère prévisionnel de la loi de finances est le point d’inflexion de

l’application effective du principe de sincérité budgétaire. C’est au regard de « son caractère

relatif »55 que Raymond, MUZELLEC écrit que « la sincérité est plus discrète en droit

budgétaire, ce qui s’explique tout naturellement par le caractère essentiellement prévisionnel

des budgets publics, rebelles à l’exactitude des montants des ressources estimées et des

charges autorisées »56. Au regard de l’article 30 de la LOLF, la sincérité budgétaire ne peut

être appréciée que « compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent

raisonnablement en découler ». Ce qui revient à comprendre que la sincérité budgétaire ne

peut être évaluée qu’à l’aune des documents d’informations disponibles et des méthodes

utilisées pour élaborer les prévisions de ressources et de charges alors que les projections

statistiques sont, par essence, teintées d’incertitude.

2. Une obligation de moyens

Aux termes de l’alinéa in fine de l’article 30 de la directive portant Loi de finances, la

sincérité des prévisions de ressources et de charges « doivent être effectuées avec réalisme et

prudence, compte tenu des informations disponibles au moment où le projet de loi de finances

est établi ». L’énoncé aide à comprendre que le réalisme et la prudence qui doivent présider

au respect de la sincérité des prévisions ne sont pas enfermés dans des conditions strictement

fixées. Au contraire, les prévisions ne peuvent être appréciées que dans les conditions d’une

certaine élasticité, donnant ainsi un caractère relatif à leur sincérité. En effet, les exigences à

satisfaire pour s’acquitter de l’obligation de moyens ne sont pas aussi contraignantes que

celles fixées pour une obligation de résultats. Ici, l’exactitude des prévisions n’est pas en

cause ; la sincérité est rendue possible par une information exhaustive et fiable du Parlement

et un respect des aspects formels de la loi de finances. Ce qui est considéré, c’est la trajectoire

probable des masses budgétaires.

Le doute est véritablement aplani sur la consécration d’une obligation de moyens puisqu’il

incombe à l’Exécutif, « non [pas] de parvenir à un résultat déterminé mais d’y appliquer ses

soins et ses capacités »57. L’obligation est essentiellement de présenter un budget reflétant

une image sincère et fidèle de la situation en rapport avec les perspectives économiques et

patrimoniales. L’appréciation de la sincérité tient compte des informations disponibles au

moment de l’élaboration des lois de finances. Il n’est mis à l’obligation des autorités chargées

de la formulation et de la présentation du budget que l’exigence de fournir au Parlement une

information complète et fiable et des documents financiers cohérents si bien que leur

responsabilité ne peut être invoquée qu’au moyen du manquement à leurs obligations de

prudence et de diligence.

Il sera difficile, pour celui qui cherche à soulever l’insincérité budgétaire, d’en apporter la

preuve. Les informations contenues dans les documents de preuve ont la propriété d’être

vagues, imprécises et contingentes. Il s’agit de documents de plein rang en matière de

54 Michel LASCOMBE, Xavier VANDENDRIESSCHE, La loi organique relative aux lois de finances (LOLF)

et le contrôle des finances publiques », RFAP, n° 117, 2006, p. 139. 55 Raymond MUZELEC, Finances publiques, op. cit., p. 313. 56 Henry-Michel CRUSIS, « La sincérité des lois de finances … », op. cit.¸ p. 1359. 57 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 702.

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prévisions que sont, entre autres, les documents de programme, les prévisions de statistiques,

les notes de conjoncture et rapports de situations économiques et financiers. Une étape

importante du travail de cadrage macroéconomique et budgétaire consiste à effectuer

différents types de scénarios de projection (croissances sectorielles, échanges extérieurs,

modes de financement du déficit public, etc.). A cet exercice, sont associées différentes

variables relatives telles que les cours des matières premières exportées et produits importés,

les taux de changes, etc.58. Le prévisionniste n'a pas d'obligation de résultats ; il a plutôt une

obligation de méthode. Pour décliner l’invitation à sanctionner le grief d’insincérité, le

Conseil constitutionnel français fait briller l’argument « des aléas inhérents à l’évaluation des

recettes et une incertitude relative à l’évolution de l’économie »59.

En clair, le propre de la sincérité est de garantir, avec bonne foi, la suffisance des évaluations

de crédits par la réalisation de l’équilibre budgétaire. Comme on peut s’en rendre compte, le

contrôle de l’élément intentionnel influe dans l’appréciation de la sincérité des prévisions

budgétaires. Ainsi, la sanction de l’insincérité du budget ne serait-elle pas un acte de discrédit

dirigé contre l’Etat ? Tout porterait à le croire car cela peut engendrer des difficultés à

sanctionner l’insincérité sur le fondement de moyens d’annulation objectivement juridique.

Le paradoxe est de vouloir sanctionner une règle du droit positif sur le registre de la moralité

d’un comportement. On imagine la difficile appréciation d’une absence d’intention laquelle

relèverait davantage du juge pénal. Ainsi, il y a de belles raisons de poser la question

suivante : « Est-il possible d’appliquer au Gouvernement un critère comportemental tiré de la

psychologie individuelle, ou, autrement dit, un critère moral ? »60. A l’analyse, le principe de

sincérité, situé au point d’intersection du droit et de la morale politique61 cherche à

appréhender un comportement. La connotation morale ne fait qu’aggraver l’incomplétude du

principe de sincérité. Croyons-le. L’application du principe de sincérité budgétaire et

comptable est déterminée par « des situations incertaines, illusoires »62.

Par ailleurs, l’asymétrie des compétences en défaveur du Parlement allège le fardeau de la

sincérité qui pèse sur l’Exécutif. Le Gouvernement, qui contrôle l’appareil administratif, a la

confortable maîtrise des moyens techniques et humains de préparation du budget. C'est lui qui

détient le monopole des informations économiques et financières utiles à l'évaluation sincère

des prévisions budgétaires.

Cette situation est exacerbée par le rôle prééminent des directions du Ministère en charge des

Finances dans le processus budgétaire63. Ce même rôle, elles l’assument royalement à travers

le cadrage budgétaire, la programmation des ressources et emplois, la préparation des projets

de lois de finances et le suivi de l’exécution du budget. Dans ces conditions, le Ministère

s’érige en "citadelle" des finances de l’Etat. C’est à juste titre que Michel BOUVIER, Marie-

Christine ESCLASSAN et Jean-Pierre LASSALE pensent que l’institution incarne la

puissance en raison du cumul des fonctions économiques et budgétaires, de l’étendue des

58 Djoret Biaka TEDANG et alii, Manuel de procédures de cadrage macroéconomique et budgétaire (au Niger),

GIZ, 2015, pp. 16-17. 59 Voir décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, www.conseil-constitution-

nel.fr, consulté le 21 août 2016. 60 Jean-Pierre CAMBY, « Pour le principe de sincérité budgétaire », op. cit., 2010, p. 157. 61 Voir Benoît MONTEY, « La morale saisie par le droit : principe de sincérité et dol budgétaire », Droits, n° 58,

2013/2, pp. 215-234. 62 Michel BOUVIER, Marie-Christine ESCLASSAN, Jean-Pierre LASSALE, Finances publiques, 15e éd., Paris,

LGDJ, 2016-2017, p. 320. 63 Voir Abdoulaye FOFANA, La Direction du Budget du Mali, Instrument stratégique de prévision et

d’exécution de la loi de finances, op. cit., pp. 38-209 ; Patrick K. N’GOUAN, Trésor public et politique

financière en Côte d’ivoire, Côte d’Ivoire, L’Harmattan, 2015, pp. 159-264.

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prérogatives budgétaires et financières et de la possession d’une "machine" d’experts64. En

matière de prévisions budgétaires et d’exécution de la dépense publique, « les choix des

options essentielles ressortissent au domaine de l’Exécutif, pendant que le Parlement, en

dépit de ses pouvoirs d’approbation et de contrôle du budget de l’Etat demeure devancé en

cette matière » 65. C’est évidemment la sophistication des méthodes d’évaluation des charges

et des ressources66 qui source ce pouvoir. Dans les Etats de l’UEMOA, l’évaluation des

prévisions budgétaires est « une prérogative des experts de l’Administration »67 qui, en dehors

de tout contre-pouvoir, fixent discrétionnairement les plafonds de prévisions de ressources68.

En vérité, c’est le mystère qui couronne l’auto-satisfecit des régies financières, notamment en

matière de recouvrement de recettes fiscales. Au Togo, il est fréquent que les régies

financières exposent des taux d’exécution des prévisions de recettes fiscales dépassant

largement les 100%. Pour l’année 2005, les réalisations y sont chiffrées à 125% pour les

impôts directs recouvrés par la DGI, 100% pour les impôts indirects recouvrés par la DGI et

146% pour les contributions indirectes liquidées par la Douane69. C’est tout aussi le cas au

Mali où pour l’exercice 2006, « les prévisions n’ont pu être maîtrisées car ayant été exécutées

à hauteur de 204,03% »70. Pour sa part, Félix TANO émet le souhait que la sincérité des

prévisions de ressources repose sur une évaluation prudente des ressources publiques, « une

probabilité de mobilisation élevée »71.

Au surplus, il convient d’évoquer les conventions d’emprunts qui constituent un instrument de

financement du déséquilibre budgétaire visant à pallier les « moins values » fiscales72. En

dehors du fait que parfois le Parlement autorise l’Exécutif, dans la loi de finances, à contracter

64 Voir Michel BOUVIER, Marie-Christine ESCLASSAN, Jean-Pierre LASSALE, Finances publiques, op. cit.,

pp. 240-243. 65 Mohamed D. KOUYATE, Le Budget de l’Etat ivoirien, Côte d’Ivoire, L’Harmattan, 2014, p. 303. 66 Voir Mamadou DIOP, Finances publiques sénégalaises, 2e éd., Dakar, Clairafrique, 2011, pp. 30-36 ;

Mamadou KAMARA, « De quels aspects de l’évolution récente des finances publiques, du droit budgétaire et de

la comptabilité publique au Sénégal : l’élaboration de la Loi de finances », Revue internationale de Droit

africain, EDJA, n° 59, 2003, pp. 32-37. 67 Samuel Théophile BATOUM-BA-NGOUE, « Démocratisation et processus budgétaire dans les Etats de la

Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) » : Le cas du Cameroun », Afrilex, n° 4,

p. 12, www.afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 25 août 2016. 68 Des pratiques certes timides mais innovantes sont en cours dans certains parlements. Au Burkina Faso, le

questionnaire budgétaire de la Commission des Finances et du Budget (COMFIB) permet d’instaurer un débat

interactif sur les prévisions budgétaires. Dès réception de la circulaire budgétaire du chef de l’Etat, qui est une

lettre de cadrage définissant la politique budgétaire pour l’année n+1 au regard des prévisions macro-

économiques annoncées, le Président de la COMFIB adresse aux ministères et institutions un questionnaire

budgétaire dont les éléments de réponse vont éclairer les commissaires sur la situation d’exécution des budgets

antérieurs et faciliter leur audition devant ladite commission. Au Mali, l’audition des personnes ressources

consiste à interroger les fonctionnaires de la Direction du Budget et les principaux acteurs du système budgétaire

ou financier de l’Etat qui ont collaboré soit à l’élaboration des prévisions de la loi de finances, soit à la

formulation des politiques publiques. Voir successivement François Xavier KONSEIBO, Rapporteur général,

Assemblée nationale du Burkina Faso, « Processus de discussion de vote de la loi de finances. Contrôle de

l’exécution du Budget », (Communication à l’intention de la Délégation parlementaire du Sénégal), Septembre

2011, pp. 1-14 ; Abdoulaye FOFANA, La Direction du Budget du Mali, Instrument stratégique de prévision et

d’exécution de la loi de finances, Thèse de doctorat, Université de Rouen, 10 mars 2014, p. 173. 69 Sasso PAGNOU, La gestion des finances publiques au Togo. Un système à rénover, Saarbrücken, EUE, 2011,

p. 166 ; « La justice fiscale au Togo », in Les finances publiques vues d’Afrique et de France, RAFP, n° 1, 2015,

p. 95. 70 Cour suprême du Mali, Rapport annuel de la section des Comptes 2012, Novembre 2013, p. 50, www.

cnscmali.org, consulté le 28 août 2016. 71 Félix TANO, « La rationalisation de la gestion budgétaire en Afrique : l’exemple de la Côte d’Ivoire », RFFP,

n° 98, 2007, p. 50. 72 Voir Mouhamet FALL, « La problématique de l’aide budgétaire au Sénégal », Afrilex, n° 4, pp. 303-314,

www.afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 31 août 2016 ; Abdoulaye FOFANA, ibid., pp. 61-71.

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des emprunts et à recevoir des dons en dehors de tout contrôle préalable, les conventions

financières sont, dans l’intérêt bien compris des bailleurs de fonds, empreintes de

conditionnalités73. A la réflexion, c’est l’indépendance voire la liberté de l’Etat qui est mise

en gage. Néanmoins, la faiblesse du marché financier sous- régional les y contraint. Le Fonds

monétaire international (FMI) note qu’il y a des limites aux montants que les gouvernements

peuvent mobiliser sur ce marché74.

En sus, il évoque les risques en matière de liquidités du trésor du fait que la dette est à

majorité de courte maturité75 et doit, par conséquent, être refinancée à intervalles réguliers

sans préjudice du taux élevé d’emprunt. C’est le cas du Sénégal où le rendement à l’émission

des obligations à échéance de trois à cinq ans était de l’ordre de 7 à 9% au premier semestre

de 201276. Dans l’espace UEMOA, la réalité est que les dépôts sur ressources longues

représentent une portion congrue des dépôts dans le système bancaire. L’aléa de l’aide

budgétaire, y compris l’emprunt77, peut bel et bien être une cause d’incertitude dans les

prévisions budgétaires78.

De surcroît, il n’est pas banal de constater que l’absence de contre-pouvoir - par exemple

contrôle a priori par un organe indépendant - limite la validité des anticipations budgétaires.

Pour ne citer qu’un exemple, on peut faire allusion au Haut Conseil des Finances publiques

(HCFP) en France, placé auprès de la Cour des Comptes et présidé par son premier président.

Son rôle est de veiller à l’équilibre, tout en favorisant une vision impartiale des questions

budgétaires, en les déconnectant des passions politiques. Par l’avis qu’il donne sur les

prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposeront les lois de programmation et leur

articulation cohérente avec les engagements européens ainsi que les lois de finances, le HCFP

sert de point d’appui à une application surveillée du principe de sincérité79. L’organe peut

dénoncer, dans un avis, tout cas de manipulation d’hypothèses retenues pour les prévisions

budgétaires80.

73 Paul AMSELEK, « Peut-il y avoir un Etat sans finances ? », RDP, 1983/2, p. 272. 74 FMI, UEMOA : Rapport des services du FMI sur les politiques communes des pays membres, p. 21,

www.imf.org, consulté le 30 août 2016. 75 Voir Seydou DIOUF, Rapporteur général, Assemblée nationale du Sénégal, « Analyse critique de la loi de

finances 2013 », pp. 1-9. 76 A l’échelle de l’UEMOA, la dette totale additive de la dette extérieure et de la dette intérieure est projetée, en

2017, à 37,1% PIB, soit, par pays, Bénin 26,2%, Burkina Faso 27,9%, Côte d’Ivoire 41%, Guinée Bissau 31%,

Mali 27,5%, Niger 42,3%, Sénégal 49,1% et Togo 40,8%. Cette situation est confortable au vu du ratio dette

publique (contractée par le secteur public ou contractée par le secteur privé mais bénéficiant de la garantie d’un

organisme public appelée dette garantie)/PIB car le plafond de convergence est fixée à 70% (FMI, ibid. p. 32.

Faudrait-il s’en réjouir ? Absolument pas. Ces Etats abandonnent des marges qui auraient pu être exploitées s’ils

avaient de réelles capacités pour attirer les capitaux étrangers. Voir Tiéna COULIBALY, « Règles de politiques

budgétaires dans l’UEMOA : une évaluation empirique du critère limitant les déficits publics », African

Economic Conference, Johannesburg, 2013, p. 19. 77 Pour une théorie de l’emprunt public à titre illustratif, voir Paul Marie GAUDEMET, Précis de finances

publiques, Tome 2, Paris, Montchrestien, 1970, pp. 4-56. 78 A propos de l’utilisation du budget programme comme conditionnalité, voir Viviane Ondoua BIWOLE, « Le

budget programme en Afrique : quand les faits supplantent le rêve », in Les finances publiques vues d’Afrique et

de France, op.cit.¸ pp. 143-146. 79 Voir Avis n° HCFP-2016-01 du 12 avril 2016 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de

programme de stabilité pour les années 2016 à 2019. 80 Voir André BALILARI, Cours de Soutenabilité des dettes et maîtrise des finances publiques, Paris, ENA,

2015 (polycopié).

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Pour ainsi dire que le caractère évanescent du principe de sincérité rend son application

incertaine en matière de prévisions budgétaires81. Ce qui amène à dire que la sincérité renvoie

plus à un objectif de gouvernance politique qu’à une norme juridique. Cependant, tel n’est pas

le cas pour la sincérité comptable qui ferait prévaloir l’exactitude.

B. Une sincérité comptable limitée

Le cadre harmonisé des finances publiques s’enrichit d’une comptabilité publique82 plus

sensible aux exigences de sincérité83. La sincérité comptable n’est pas sans relation évidente

avec l’environnement communautaire assujetti à une procédure de surveillance multilatérale

car « la transparence et la sincérité des chiffres budgétaires constituent un gage de vigilance

réciproque. »84. C’est ainsi qu’elle s’est ancrée dans la directive portant Loi de finances.

Mais, la pratique est contrastée. Telle que structurée, la nouvelle compatibilité publique se

révèle laborieuse (1) et globalement vulnérable (2).

1. Une comptabilité laborieuse

La comptabilité de l’Etat comprend toutes les opérations rattachées au budget de l’année en

cause jusqu’à la date de clôture de ce budget selon les règlementations nationales, toutes les

opérations de trésorerie et les opérations sur le patrimoine faites au cours de l’année ainsi que

les opérations de régularisation.

L’objet de la comptabilité de l’Etat est sans doute d’une importance louable. Il doit permettre

l’information des autorités chargées de la gestion et du contrôle des ressources publiques, la

connaissance et le contrôle des opérations budgétaires et des opérations de trésorerie, la

connaissance de la situation du patrimoine, la détermination des résultats annuels, le calcul du

prix de revient, du coût et du rendement de l’activité des services, l’intégration des opérations

dans la comptabilité économique nationale et des analyses économiques et financières en vue

de l’établissement de ratios et tableaux de bord85. Les nouveaux textes budgétaires ont mis en

place un système modernisé de comptabilité publique assis, en même temps, sur une

comptabilité budgétaire, une comptabilité générale, une comptabilité analytique, une

comptabilité des matières, valeurs et titres.

Au principal, les dispositions de l’article 71 de la directive portant Loi de finances et de

l’article 70 de la Directive n° 07/2009/CM/UEMOA portant règlement général sur la

comptabilité publique au sein de l’UEMOA (directive RGCP) font obligation à l’Etat de tenir

« une comptabilité budgétaire et une comptabilité générale ». Cela appelle les précisions,

notamment celles fournies par l’article 72 de la directive RGCP qui définit l’objet, les

objectifs et la nature du résultat de la comptabilité budgétaire de l’Etat.

81 Ainsi, « l’aléa » inhérent aux prévisions de recettes ou « des incertitudes particulières » vont compter dans

l’appréciation toujours générale de la sincérité budgétaire. Décision du Conseil constitutionnel français n° 2009-

599 DC du 29 décembre 2009, www.conseil-constitutionnel.fr, consulté le 31 août 2016. 82 Pour une définition de la comptabilité publique, voir Jean-François BOUDET, « Comptabilité publique », in

Nicolas KADA, Bertrand MATHIEU (dir.), Dictionnaire de l’Administration publique, Grenoble, PUG, 2014, p.

90 ; Jacques MAGNET, Eléments de comptabilité publique¸ Paris, LGDJ, 1991, p. 17. 83 Voir directive 01/2009/CM/UEMOA portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques au

sein de l’UEMOA. 84 Adamou ISSOUFOU, La rationalisation de la dépense publique dans le nouveau droit des marchés publics du

Niger et du Sénégal, op. cit., p. 24. 85 Article 69 de la directive RGCP.

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Dans le système de comptabilité dite de « caisse » ou de « trésorerie », les dépenses sont

retracées au moment où elles sont payées et les recettes inscrites au moment où elles sont

encaissées. Cette comptabilité dite budgétaire a pour objet de retracer, pour l’exercice

concerné, les opérations d’exécution du budget de l’Etat et des autres organismes publics en

recettes et en dépenses, conformément à la nomenclature de présentation et de vote du budget

ou de l’état des prévisions. Elle permet de suivre les liquidations, émissions, prises en charge,

recouvrements et restes à recouvrer en matière de recettes, d’une part, les engagements,

liquidations, ordonnancements, paiements et restes à payer en matière de dépenses, d’autre

part. C’est une comptabilité qui dégage un résultat correspondant à la différence entre les

recettes encaissées et les dépenses ordonnancées sur le budget général et les comptes spéciaux

du Trésor au titre de l’année considérée.

Mais encore faut-il que cette comptabilité soit renseignée par les comptables publics en ce qui

concerne les encaissements et paiements relatifs aux opérations de recettes et de dépenses et

par l’ordonnateur chargé de retracer les opérations concernant la phase administrative des

recettes et des dépenses. Elle est tenue en partie simple, c’est-à-dire que l’enregistrement

d’une opération ne donne pas lieu à une contrepartie ; le compte budgétaire correspondant à la

ligne de crédits inscrite dans le budget est seulement concerné. Elle ignore aussi la période

complémentaire d’un mois prévue pour la régularisation des opérations de l’année dans la

comptabilité générale. Il revient au Ministre chargé des Finances de fixer des délais-limites

pour l’arrêté des opérations d’engagement, de liquidation et d’ordonnancement au titre de

l’exécution du budget d’une année donnée. Cette comptabilité permet de produire les états

financiers de l’Etat comprenant notamment le bilan, le compte de résultat, le tableau des

opérations financières, les tableaux des flux de trésorerie.

S’il y a, sous l’empire du nouveau cadre harmonisé des finances publiques, une novation à

exalter, certainement c’est la consécration d’une comptabilité générale de l’Etat86 dont l’objet

est de retracer les opérations budgétaires, les opérations de trésorerie, les opérations faites

avec des tiers et les opérations d’attente et de régularisation, les mouvements du patrimoine et

des valeurs, les flux de gestion internes (amortissements, provisions, produits et charges

rattachés). Deux notions sont en effet fondamentales : la constatation des droits et obligations

et la tenue en partie double. La constatation des droits et obligations consiste en ce que les

charges et produits soient enregistrés (constatés) dès la naissance du fait générateur

(engagement d’une dépense ou constatation d’une créance). La comptabilité générale de l’Etat

est une comptabilité d’exercice. Le fait générateur des obligations de l’Etat étant désormais la

constatation du service fait, la liquidation de la dépense doit être enregistrée dans la

comptabilité générale. Les opérations apparues au cours de l'année mais sans donner lieu à

encaissement ou paiement sont rattachées, en fin d'exercice, à l'exercice comptable sous forme

de produits à recevoir (créances), de provisions ou de charges à payer (dettes). Les opérations

sont prises en compte au titre de l’exercice auquel elles se rattachent indépendamment de leur

date de paiement ou d’encaissement. La règle de la tenue en partie double signifie que toute

opération comptable donne lieu à une écriture de même montant et de sens inverse, à des

comptes différents, c’est-à-dire qu’à chaque opération transcrite doit correspondre une

contrepartie87. En fin de compte, l’objet de la comptabilité générale est de transcrire la

situation et l’évolution du patrimoine des personnes publiques.

86 Voir l’alinéa 2 de l’article 72 de la directive portant Loi de finances ; les articles 76 à 80 de la directive RGCP. 87 Exemple : un comptable public encaisse un impôt dû par un redevable ; pour enregistrer cet encaissement, il

impute le montant perçu à un compte de disponibilités en classe 5 du Plan comptable et, en même temps, à un

compte de produits en classe 7.

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Autant dire que, sur le plan comptable, le principe de sincérité implique la tenue et la

reddition de comptes selon une comptabilité de droits constatés et les règles de la comptabilité

patrimoniale. La mise en place de la comptabilité patrimoniale vise la connaissance du

patrimoine des Etats, des collectivités locales et des établissements publics, incluant les

créances et les dettes. Elle procède de la nécessité de garantir la sincérité de la gestion et la

qualité de l’information financière à destination du Parlement. Enfin, la comptabilité générale

de l’Etat s’appuie sur la comptabilité des matières88.

Comme cela ne semblerait pas suffire, la directive RGCP est alourdie par le supplément de

comptabilité analytique dont l’objet est de faire apparaître les éléments de coûts des services

rendus ou de prix de revient des biens produits et des services fournis et de permettre le

contrôle des rendements et performances des services, notamment dans le cadre des budgets-

programmes et de la gestion axée sur les résultats89.

La sincérité va avoir vocation à s'appliquer à la comptabilité publique, rapprochant ainsi, sous

réserve de l’exigence de pérennité, la comptabilité de l’Etat à celle de l’entreprise90. Ce

faisant, la directive communautaire rend la comptabilité générale de l’Etat plus ardue, en y

associant l’impératif de sincérité. A l’alinéa 2 de son article 72, la directive portant Loi de

finances prescrit que la comptabilité générale de l’Etat doit être sincère et refléter une image

fidèle de la situation financière de l’Etat. Cependant, cet ordre comptable quadridimensionnel,

si pertinent soit-il, rend inéluctablement la pratique de la sincérité comptable laborieuse. On

passe d’une comptabilité réduite à une comptabilité élargie à des données inhabituellement

comptabilisées.

2. Une comptabilité vulnérable

La règlementation comptable découle du besoin de transparence dans le « processus de

négociation entre acteurs sociaux »91. Dans le sens du fonctionnement de l’Etat, les catégories

sociales sont les comptables publics, le juge financier et les destinataires (Parlement, citoyen,

contribuable).

L’un des facteurs de succès de la réforme est évidemment la qualité comptable considérée

comme « le point de convergence des informations comptables, vecteur de trois prescriptions

normatives en matière de comptabilité de l’Etat »92 que sont la régularité, la sincérité et

l’image fidèle du patrimoine et de la situation financière des comptes de l’Etat. Elle vise

l’efficience de la comptabilité publique pour répondre aux impératifs d’information, de

gestion et de contrôle. Cela implique notamment une information pertinente, une description

sincère des opérations, une cohérence des comptes, une sauvegarde des droits et obligations

de l’Etat vis-à-vis des tiers, une appréciation raisonnable des évènements et opérations, une

concordance entre les balances d’entrée et de sortie des comptes. Pour y arriver, la

transparence, la permanence, la sécurité, la pérennité et l’irréversibilité, la continuité de

l’exploitation, la prudence et l’intangibilité du bilan d’ouverture doivent être de rigueur.

88 Alinéa in fine de l’article 72 de la directive portant Loi de finances. 89 Voir article 84 de la directive RGCP. 90 Pour un approfondissement des problématiques communes à la sincérité financière publique et à la sincérité

financière privée, voir Marie-Christine ESCLASSAN, « Sincérité et gouvernance financière : y a-t-il une

sincérité financière publique spécifique ? », op. cit., pp. 54-59. 91 Bernard COLLASSE cité par Monique-CALVI-REVEYRON, « L’adaptation de la comptabilité publique à

l’exigence de sincérité », RFFP, n° 111, 2010, p. 115. 92 Stéphane THEBAULT, « A quoi sert la qualité comptable », RFFP, n° 112, 2010, p. 104.

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La réalité de la sincérité comptable s’apprécie au double point de vue des comptes du

comptable public et des comptes de l’ordonnateur, tous deux placés sous la subordination

hiérarchique des plus hautes autorités politiques de l’Etat. L’obligation leur est faite de

transcrire de manière exhaustive et objective la réalité dont ils ont connaissance.

Paradoxalement, les acteurs assujettis à l’obligation de rendre compte93 sont les auteurs

directs ou indirects des comptes. En effet, « l’exécution de la loi de finances est "auto-

centrée" sur les administrations publiques ». On aperçoit alors le risque élevé de manipulation

dans le système de comptabilité publique, notamment dans le patrimoine de l’Etat qui est

l’ensemble de ses droits et de ses obligations dont la situation financière en est l’expression

comptable.

Sans compter que l’exigence de sincérité comptable est indissociable à celle de qualité

comptable. Les juridictions financières y prêtent une attention particulière au cours de leurs

opérations de vérification. Partant du constat que les livres comptables du Programme

national de Lutte contre la Tuberculose (PNT) ne font état de la constitution d’aucune

provision sur la période sous revue, la Cour des Comptes du Sénégal conclut que « le défaut

d’enregistrement en comptabilité des provisions lorsque celles-ci s’imposent peut affecter la

sincérité des états financiers et violer le principe de prudence »94. Dans la même veine, la

Chambre des Comptes de la Cour suprême du Bénin apprécie la sincérité du point de vue de

la qualité du système comptable. Ainsi considère-t-elle qu’une « incomplétude de la

comptabilité et des retards dans l’information budgétaire et comptable »95 sont de nature à

affecter l’exactitude des comptes publics.

Surtout, le problème majeur est la difficulté d’application des normes de comptabilité

patrimoniale96. Cette difficulté, notamment liée à « l’immaturité des processus organisa-

tionnels internes »97, porte atteinte à l’obligation de sincérité des comptes publics. Le défaut

d’exhaustivité des recensements et la non maîtrise des méthodes d’évaluation sont des

déficiences comptables. En plus, il se pose le problème non moins négligeable de l’absence de

pièces comptables historiques.

Le cas du Mali en est l’exemple parfait. Une loi de validation des comptes de comptables

publics, allant de 1960 à 1991, est votée par l’Assemblée nationale lors de sa dernière session

extraordinaire de l’année 1992. C’est une période pendant laquelle toutes les situations et les

différentes pièces relatives à la gestion des comptables publics sont soit introuvables, soit

inexploitables, en raison des mauvaises conditions d’archivages et des événements survenus

en 199198.

La difficile estimation des actifs immatériels sans valeur de marché (logiciels, brevets, etc.)

est une autre réalité. Dans le contexte sénégalais, Boubacar Demba BA n’a pas manqué

d’égrener un chapelet de contraintes à l’origine d’une « mise en œuvre difficile du dispositif

93 Samuel Théophile BATOUM-BA-NGOUE, « Démocratisation et processus budgétaire dans les Etats de la

Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) …, op. cit., p. 14. 94 Cour des Comptes du Sénégal, Rapport public 2013¸ p. 126, www.courdescomptes.sn, consulté le 31 août

2016. 95 Chambre des Comptes de la Cour suprême du Bénin, Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour

l’année 2014, 2015, p. 22, www.cour supremebenin.com, consulté le 31 août 2016. 96 Voir Nicaise MEDE, « L’établissement d’une comptabilité patrimoniale de l’Etat au Bénin : avancées et

contraintes », RFFP, n° 98, 2007, pp. 109-118. 97 Monique-CALVI-REVEYRON, « L’adaptation de la comptabilité publique à l’exigence de sincérité », RFFP,

n° 111, 2010, p. 115. 98 Voir Cour suprême du Mali, Rapport annuel de la section des Comptes 2012, Novembre 2013, p. 39.

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comptable »99. Dans ses analyses, il insiste spécifiquement sur la persistance des lenteurs dans

l’élaboration des instructions devant encadrer les règles d’application du système comptable

et les contraintes liées à l’établissement du bilan d’ouverture. Relativement à ce dernier point,

la sévérité des griefs contenus dans le rapport du FMI en donne un éclatant reflet : « Le suivi

extracomptable du patrimoine immobilier de l’Etat sénégalais souffre […] de graves

déficiences (responsabilité partagée entre la DGID pour les terrains et la Direction du

Patrimoine bâti rattachée à la Présidence de la République pour les immeubles, non-

immatriculation de la majorité des biens, fréquence des constructions privées avec ou sans

titre sur le domaine de l’Etat) dont le règlement constitue un préalable avant que ces actifs

puissent être suivis en comptabilité générale. » 100.

De même, la Chambre des Comptes de la Cour suprême du Bénin constate, dans l’exercice

2013, que le montant de l’actif immobilisé est de 167 398 000 francs CFA alors qu’il était de

1 972 408 000 francs CFA en 2012, soit une réduction de l’ordre de 1 805 010 000

(correspondant à un taux de 92%). Elle conclut que « n’ayant reçu aucune explication sur les

méthodes d’évaluation des postes de l’actif immobilisé et les raisons ayant conduit à cette

diminution de la valeur des postes "Sols-Sous-sols", "Immeubles" et "Meubles", la juridiction

financière constate lesdites modifications sans pouvoir les apprécier »101. Aussi renouvelle-t-

elle son intérêt pour des préoccupations antérieures relatives à l’amortissement des éléments

de l’actif immobilisé, aux nouvelles acquisitions et à la constatation de la sortie de biens

réformés dans l’évaluation des montants des différents postes du bilan qui sont demeurées

sans suite. La juridiction financière s’est préoccupée aussi de la sincérité du résultat

patrimonial de l’Etat qui n’a pas d’ailleurs tenu compte de certaines charges comme les

amortissements, les provisions et les charges à payer102. Il ressort également du rapport que la

fiabilité de la comptabilité patrimoniale requiert une tenue correcte de la comptabilité des

matières103.

En particulier, l’établissement du bilan d’ouverture reste toujours problématique. Dans le

contexte béninois, la Chambre des comptes de la Cour suprême apprécie positivement

l’innovation consistant à annexer au compte général de l’administration des finances (CGAF)

un bilan de l’année au 31 décembre 2001 en ce qu’elle permet de suivre l’évolution des

finances publiques à partir d’une description complète de tous les éléments du patrimoine de

l’Etat. Toutefois, Nicaise MEDE est d’avis que « l’inexistence d’un bilan d’ouverture entache

l’exercice de quelques insuffisances au double plan du recensement du patrimoine de l’Etat et

de son évaluation »104.

99 Boubacar Demba BA, Finances publiques et gestion par la performance dans les pays de l’UEMOA. Etude du

cas du Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 187. 100 Guilhem BLONDY et alii., Sénégal, démocratiser l’ordonnancement, réformer la comptabilité publique et

améliorer la gestion de la dette et de la trésorerie de l’Etat, FMI¸ 2002, p. 50. 101 Chambre des Comptes de la Cour suprême du Bénin, Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour

l’année 2013, 2014, p. 96, www.coursupremebenin.com, consulté le 31 août 2016. 102 Chambre des Comptes de la Cour suprême du Bénin, Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour

l’année 2013, 2014, p. 101 ; Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour l’année 2014, 2015, p. 118,

www.coursupremebenin.com, consulté le 5 septembre 2016. 103 Chambre des Comptes de la Cour suprême du Bénin, Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour

l’année 2013, 2014, p. 102 ; Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour l’année 2014, 2015, p. 118,

www.coursupremebenin.com, consulté le 5 septembre 2016. 104 Nicaise MEDE, « L’établissement d’une comptabilité patrimoniale de l’Etat au Bénin : avancées et

contraintes », op. cit, p. 111.

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Une fois la contexture du principe de sincérité revisitée, il reste, pour la suite des

développements, à examiner la question de l’applicabilité relativement à l’état du contrôle

ressortissant à la compétence du Parlement et de la juridiction financière105.

II. L’emprise des contrôles inefficaces

Le Code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA

ordonne, en son point 5.4, que « les comptes définitifs, contrôlés et accompagnés des rapports

de contrôle, permettent chaque année, de vérifier le respect des autorisations budgétaires

ainsi que l’évolution du patrimoine de l’Etat. Ils sont établis dans le respect des principes,

règles et pratiques comptables internationalement reconnus. Ces comptes sont présentés au

Parlement et publiés avant la présentation du budget suivant. »106. Dès lors, la question du

contrôle mérite d’être envisagée dans le cadre de la présente étude. Existe-t-il un contrôle

vivant au service de l’effectivité du principe de sincérité ? Du moins sur ce point, les contrôles

incarnés par le Parlement et la juridiction financière ne sont pas significatifs de l’envergure de

leur rôle107.

C’est ce qu’il convient de ne pas occulter en abordant des considérations relatives au caractère

désincarné du contrôle parlementaire (A), d’une part, et à la nature timorée du contrôle non

juridictionnel (B), d’autre part.

A. Un contrôle parlementaire désincarné

D’habitude, la technicité rend une science rédhibitoire. C’est, apparemment, le cas des

parlementaires pour les finances publiques. Aux leçons d’une certaine pratique parlementaire,

il est communément remarqué une faiblesse de l’expertise en matière de contrôle des

principes budgétaires, dont la sincérité.

A ce propos, nous nous proposons de mettre en lumière deux réalités préjudiciables au

contrôle du principe de sincérité dans les finances publiques au sein de l’UEMOA, à savoir

les atteintes au pouvoir financier (1) et la timidité de l’exercice du contrôle (2).

105 Pour une présentation détaillée du contrôle des finances publiques dans le contexte des Etats sous étude, voir

par exemple, Mahady DIALLO, La comptabilité publique des Etats africains francophone. Pratiques post-

coloniales et grandes misères actuelles, Dakar, NEAS, 2015, pp. 402-489. 106 Le contrôle des comptes des pouvoirs publics constitutionnels par leur homologue de la Cour des Comptes

est de plus en plus consacré. Saisi d’un recours pour connaître de la constitutionnalité du Règlement intérieur

de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel de transition du Niger devait déclarer ce règlement

inconstitutionnel en son article 30 point 10 du fait que ledit article prévoyait que l’apurement des comptes de

l’Assemblée nationale ressortit à une Commission parlementaire spéciale, dénommée la Commission Spéciale de

Contrôle et de Vérification des Comptes (Arrêt n° 010/12/CCT/MC du 17 mai 2012). La Cour des Comptes du

Burkina Faso a eu à procéder, durant l’année 2008, au contrôle de la gestion administrative et comptable du

Conseil constitutionnel (Cour des Comptes du Burkina Faso, Rapport public 2008, pp. 75-105). Djibrihina

OUEDRAOGO, L’autonomisation des juridictions financières dans l’espace UEMOA. Etude sur l’évolution des

Cours des Comptes, Université Montesquieu-Bordeaux IV, 29 novembre 2013, pp. 270-273. Au Bénin, l’alinéa

in fine de l’article 91 la LOLF est sans équivoque : « La juridiction financière exerce un contrôle sur la

gestion des administrations en charge de l’exécution des programmes et dotations. Elle émet un avis sur les

rapports annuels de performance » (voir aussi l’alinéa 3 de l’article 75 de la LOLF du Togo). De plus, l’article

99 de la Constitution et l’article 179 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale du Bénin autorisent la

juridiction financière à étendre son pouvoir de contrôle sur les comptes et la gestion de l’Assemblée nationale.

Nicaise MEDE, « L’autonomie financière des assemblées parlementaires en Afrique francophone », RFFP¸

n° 106, 2009, p. 286. 107 Jean-Pierre DUPRAT, « La formation et l’évolution du droit financier en Afrique francophone

subsaharienne », in Dominique DARBON, Jean du Bois De GAUDUSSON (dir.), La création du droit en

Afrique, Paris, Karthala, 1997, p. 470.

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1. Les atteintes au pouvoir financier

L’une des meilleures clés d’analyse de la dynamique institutionnelle peut être recherchée dans

les rapports entre les pouvoirs politiques. On ferait mieux, à ce propos, de rappeler que « les

phénomènes financiers publics sont avant tout des phénomènes politiques »108. Toutefois, en

matière de procédure budgétaire et financière, le dialogue institutionnel est déséquilibré, en

défaveur du Parlement109.

On a raison ainsi de penser que « les textes ne sont pas seuls à encadrer les pouvoirs du

Parlement. La pratique [est] aussi déterminante à travers "le fait majoritaire" ou, plus

spécifiquement, la discipline majoritaire en matière budgétaire »110. Dans le contexte des

finances publiques au sein de l’UEMOA, c’est le propre de l’Exécutif de violer en

permanence le pouvoir financier du Parlement.

Sur le plan externe, l’enrôlement dans les organisations d’intégration économique ainsi que

l’engluement dans les conditionnalités du financement extérieur111 relativisent l’expression

souveraine du pouvoir des Etats. L’adoption d’un cadre d’harmonisation des finances

publiques et le recours systématique aux conventions multilatérales ou bilatérales de

financement112 empêtrent les Etats dans des mesures contraignantes. Subséquemment, le

Parlement perd son pouvoir d’appréciation souverain sur la sincérité des prévisions

budgétaires et ne pourra plus avoir la maîtrise des exigences liées au principe de sincérité dans

les finances publiques. Ces mécanismes contribuent, de façon décisive, au rétrécissement des

pouvoirs normatifs en matière de finances publiques. A ce propos, on peut penser que la

« délocalisation de la production des normes [ainsi qu’une] confusion des niveaux de

pouvoirs posent un problème de légitimité »113. Les desideratas des organismes extérieurs

labellisent les prévisions de l’Exécutif, sans égard au pouvoir d’appréciation légitime du

Parlement.

Sur le plan interne, d’autres pratiques sont de nature à fausser la sincérité des prévisions et des

comptes. Il n’est pas rare qu’il soit porté atteinte aux dispositions habilitantes en matière de

recettes fiscales. Notamment, les difficultés surgissent à l’examen du pouvoir d’interprétation

administrative. Parfois, l’Administration s’érige en autorité réglementaire, en l’absence d’une

invitation formulée par le Parlement.

Ainsi souligne-t-on, en premier lieu, l’existence d’interprétations qui restreignent le champ

d’application de l’assiette fiscale. C’est l’exemple de la taxe spéciale sur les voitures

particulières des associations à but lucratif. L’Administration indique que, aux termes de

l’article 871 du Code général des Impôts du Sénégal, sont imposables à ladite taxe « toutes les

108 Michel BOUVIER, « Mutations des finances publiques et crise du pouvoir politique », RFFP, n° 79, 2002,

p. 241. 109 Voir Jean-Pierre CAMBY, « La LOLF et les rapports entre les institutions », RFFP, n° 97, 2007, p. 22. 110 Katia BLAIRON, « Pouvoirs et contre-pouvoirs en matière budgétaire et financière », www.droit-

constitutionnel.org/congresParis/comC6, pp. 3-5, consulté le 5 septembre 2016. 111 Jacques de LAROSIERE, ancien directeur du FMI, définit ce terme, de façon moins subversive, comme étant

« l’ensemble des mesures économiques ou financières qui doivent être prises dans un pays pour rétablir une

position extérieure soutenable à la fin ou vers la fin d’un programme appuyé par le Fonds ». Cité par Boubakari

OUMAROU, « La conditionnalité, vecteur juridique de l’assistance financière du Cameroun au FMI », Afrilex,

n° 4, pp. 113-114, www.afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 8 septembre 2016. 112 Pour quelques exemples d’étude, voir Gabriel NOUPOYO, « Les nouvelles conditions de la politique

budgétaire de sous-zones : étude des nouveaux instruments de rationalisation budgétaire, le poids des

conditionnalités externes », RFFP, n° 98, 2007, pp. 81-100 ; Mamadou Doudou SY, « Rush des pays d’Afrique

subsaharienne vers les marchés financiers internationaux », Le Trésor public, n° 00, Mars 2015, pp. 52-53. 113 Michel BOUVIER, « Mutations des finances publiques et crise du pouvoir politique », op. cit., p. 255.

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sociétés, quel que soit leur objet ou leur forme ; tous les établissements publics à caractère

industriel ou commercial de l’Etat, des communes et des autres collectivités locales ». En

considération des réflexions portées par Abdou Aziz Daba KEBE, l’interprétation de cette

disposition déborde le périmètre légal ; l’Administration est allée bien au-delà en considérant

que « lorsqu’il résulte de l’analyse d’une activité d’une association à but lucratif », qu’elle

« réalise des profits, ou poursuit des objectifs commerciaux, elle est soumise » à la taxe

spéciale sur les voitures particulières des personnes morales. Cela n’est pas, tout à fait,

conforme au goût des dispositions du Code général des Impôts car l’exclusion des

associations du champ d’application de la taxe spéciale sur les voitures des personnes morales

est plus liée à leur forme juridique qu’à la nature des activités qu’elles exercent. En second

lieu, en interprétant la loi fiscale, l’Administration peut réduire sa portée, l’assouplir en

restreignant le champ d’application de l’impôt par la diminution, de ce fait, de l’assiette de

l’impôt ; ce qui est prérogative traditionnelle du Parlement. Ainsi, elle considère que « par

tolérance administrative114, les primes allouées à un médaillé de travail ou octroyées à

l’occasion du pèlerinage aux lieux saints de l’Islam et de la Chrétienté sont considérées

comme des compléments de salaire. Ces primes sont exonérées à l’impôt sur le revenu d’un

montant égal au salaire mensuel de base du bénéficiaire, sans pouvoir excéder cent mile

(100 000) francs CFA déductibles en totalité pour la détermination du résultat fiscal de

l’entreprise ». Cette interprétation semble violer manifestement les dispositions législatives

car les « primes religieuses » sont exclues du champ de l’exonération ; seuls les dons à

caractère d’utilité publique demeurent déduits de la base imposable à l’Impôt sur les

Sociétés115.

Dans le même ordre d’idées, le Syndicat autonome des Agents des Impôts et des Domaines a

énergiquement décrié des pratiques peu orthodoxes. A en croire à son Bureau exécutif

national, le Gouvernement du Sénégal a largement les moyens de dépasser les prévisions de

ressources internes, du moins en l’absence de pertes de recettes fiscales orchestrées par le

Ministère en charge des Finances à travers des instruments juridiques flous que sont

notamment les remises gracieuses d’impôts, la renonciation à des recettes fiscales votées par

l’Assemblée nationale et les arbitrages. Ainsi, pour un redressement fiscal d’un montant de

13 000 000 000 francs CFA, le Ministre aurait renoncé, en toute illégalité, « par une décision

d’opportunité », à 10 000 000 000 francs CFA au profit de la Compagnie bancaire ouest-

africaine (CBAO), la plus prospère des banques du Sénégal. Aussi aurait-t-il récidivé à travers

la correspondance n° 006451 MEFP/CAB/CT.ID du 23 juin 2015 par un abandon d’impôt sur

le résultat au profit du Port autonome de Dakar, pour un montant de 8 501 389 774 francs

CFA alors que ladite société a réalisé, sur le même exercice, un bénéfice avant impôt de

28 397 328 069 francs CFA et a effectué des dons et libéralités estimés à 1 747 247 783 francs

CFA. Egalement sous l’onction du Ministère, la Société Sabodala Gold, qui exploite l’or du

Sénégal à Kédougou, obtient un accord transactionnel financier relatif à la contribution

spéciale sur les produits des mines et carrières ayant fait perdre au Trésor public la somme de

5 500 317 256 francs CFA. De plus, il est contesté la légalité de la décision du Ministre de

l’Economie, des Finances et du Plan de différer à décembre 2014 (soit, onze mois après)

l’application de l’article 20 de la LFR pour l’année 2014 qui ordonne le prélèvement spécial

sur le secteur des télécommunications (PST) applicable « à compter du 1er janvier 2014.

114 Au fond, les tolérances administratives « évoquent des agissements permettant l’établissement de situations

en marge de légalité [….].Les tolérances [….] supposent donc à la fois l’existence d’une norme à appliquer, des

moyens permettant à l’administration de s’y opposer et le refus de les utiliser ». Lucile TALINEAU, « Les

tolérances administratives », A.J.D.A, 1978/3, p. 3 et p. 5. 115 Voir Abdou Aziz Daba KEBE, La répartition des compétences entre la loi et le règlement en droit fiscal

sénégalais, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 03 décembre 2012, pp. 214-216.

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D’après une estimation, selon les soins du Syndicat, cela a fait perdre au Trésor public, au

minimum, 4 000 000 000 francs CFA.

On rappellera, à cette même fin, les difficultés de l’Administration à fiscaliser correctement

les contribuables et l’intervention de mesures à incidence fiscale prises en cours d’année (par

exemple, la suspension du recouvrement d’un impôt ou d’une taxe du fait d’une inflation sur

les produits taxés116.

Tout compte fait, le potentiel fiscal est insuffisamment exploité. Au Sénégal, une étude

réalisée sous les auspices de la Direction de la Prévision et des Etudes économiques du

Ministère des Finances est sanctionnée par une conclusion édifiante : le potentiel fiscal est

estimé à 1 695 500 000 francs CFA pour l’année 2014, soit 22,4% du PIB contre des

recouvrements effectifs de recettes fiscales s’élevant à 1 482 500 000 francs CFA, soit une

pression fiscale de 19,6% du PIB. L’Etat aurait pu collecter 213 000 000 000 francs CFA de

taxes supplémentaires, soit une marge de progression de 14% qui représente l’effort fiscal,

n’eut été l’inefficience technique117.

Le son de cloche est apparemment identique dans le contexte malien à propos duquel

Abdoulaye FOFANA évoque « l’action solitaire de la Direction des Impôts dans sa lutte

contre la fuite devant l’impôt » avant de faire état « d’une large marge d’appréciation dans la

prise de décision »118. Finalement, on peut pertinemment qualifier toutes ces situations d’une

« étrange » fonction législative du Ministère en charge des Finances119.

Sur un autre registre, on voit que la LFR apparaît, en cours d’année, pour rajuster, à hauteur

de la réalité, les évaluations prévisionnelles de la loi de finances de l’année. A coup sûr, c’est

un baromètre pour indiquer la sincérité de la programmation budgétaire car on ne saurait nier

le fait qu’une LFR soit l’expression de l’apologie de la sincérité dans les finances publiques.

Cependant, une LFR peut être, dans une certaine mesure, considérée comme étant la

manifestation d’une pathologie : « C’est un grand malade qu’on amène à l’hôpital »120,

ironise-t-on. Elle donne une indication de la faiblesse du système d’évaluation des prévisions

budgétaires et des distorsions apportées aux autorisations budgétaires. Très souvent, le

Gouvernement en profite pour régulariser, en cours d’exercice, les opérations effectuées en

marge des autorisations parlementaires qui, pourtant, fondent la compétence de l’Exécutif

dans l’exécution des recettes et dépenses de l’Etat. Ainsi, même si la pratique de l’ouverture

de crédits a pour vocation d’adapter le budget à son contexte d’exécution, elle contribue

néanmoins à altérer la signification de l’autorisation budgétaire et porte atteinte à la sincérité

budgétaire.

116 Abdou Aziz Daba KEBE (Chercheur principal), Rapport de recherche sur le baromètre de l’équité fiscale

(Sénégal), OXFAM/Forum civil, Décembre 2015, p. 45. p. 45. 117 Arona BA, Youssoupha Sakrya DIAGNE, Evaluation du Potentiel fiscal du Sénégal, Dakar, DGPPE/DPEE,

Document d’Etude n° 34, Septembre 2016, p. 29, http://www.dpee.sn, consulté le 10 septembre 2016. 118Abdoulaye FOFANA, La Direction du Budget du Mali, Instrument stratégique de prévision et d’exécution de

la loi de finances, op. cit., p. 249 et p. 264. 119 Par analogie à "étrange" juridiction du ministère en charge des finances. Nicaise MEDE, « Réflexions sur

l’autorité de la chose jugée au financier en droit positif africain francophone », in Jean-Luc ALBERT, Mélanges

en l’honneur de Jean-Pierre LASSALE, Gabriel MONTAGNIER, Luc SAIDJ, op. cit., p. 284. 120 Ce propos dérisoire est le jugement d’un représentant d’un parti politique à l’émission "Sans-détours". Cité

par Mouhamet FALL, « Les lois de finances rectificatives », Afrilex, n° 4, p. 293, www.afrilex.u-bordeaux4. fr,

consulté le 10 septembre 2016. D’autres métaphores en sont suggestives : « matchs retours » (D. Migaud et A.

Lambert), « véhicules tout terrain », « voitures balai », « derniers trains » (P. Marini), « lois fourre-tout »

(C. De Courson). Frédéric ALLAIRE, « Les lois de finances rectificatives », RFFP¸ n° 98, 2007, p. 181.

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Le cas du Sénégal est symptomatique de cette pratique. Dans son rapport public 2009, la Cour

des Comptes a fait douter de la pertinence des ponctions effectuées sur les crédits de certains

ministères au profit d’autres. A ses yeux, cette pratique est discutable dans la mesure où les

modifications ont donné lieu, en fin de gestion des ministères, à d’importants crédits non

consommés pour certains et des dépassements sur crédits limitatifs pour d’autres. Elle

rappelle que des virements systématiques de crédits pour ajuster les prévisions aux consom-

mations des crédits ouverts pour les "dépenses spéciales" réduit la portée de l’autorisation

budgétaire et ne respecte pas le principe de la sincérité budgétaire. De surcroît, cette pratique

ne se justifie pas au regard de l’existence d’une base d’évaluation précise des besoins qu’offre

l’exécution des budgets précédents121. En 2006, le montant des dépassements s’élève à

126 900 000 000 francs CFA et celui des crédits non consommés à 34 400 000 000 francs

CFA. Au vu des dépassements sur crédits limitatifs s’élevant à 8 047 211 309 francs CFA, la

Cour des Comptes est fondée à rappeler que, en vertu des dispositions de l’article 12 de la Loi

organique n° 2001-09 du 15 octobre 2001 relative aux lois de finances, les dépenses sur

crédits limitatifs ne peuvent être engagées et ordonnancées que dans la limite des crédits

ouverts. En conséquence, les dépassements constatés sur les crédits limitatifs sont irréguliers.

Cela appelle de la part de la Cour la recommandation adressée au Ministère de l’Economie et

des Finances « de mettre fin à l’imputation de dépenses auxquelles s’appliquent des crédits

limitatifs au-delà des plafonds autorisés et de recourir à la LFR lorsque les modifications

doivent dépasser les limites fixées par voie règlementaire. »122.

De même, un témoignage est apporté par le rapport sur l’analyse des dépenses publiques dans

les secteurs sociaux au Sénégal 2006-2013. Il relate que le niveau d’exécution des dépenses

publiques d’éducation a toujours dépassé les prévisions budgétaires initiales. En moyenne, le

taux d’exécution budgétaire dans le secteur s’élève à 138% par an. Ces dépassements des

prévisions budgétaires seraient essentiellement attribuables aux dépenses de fonctionnement,

surtout les dépenses de transferts. Concernant les dépenses de personnel, les dépassements

sont en moyenne de 18% par an durant la période considérée. La récurrence de ces

dépassements budgétaires pose le problème de la qualité de la programmation budgétaire dans

le secteur de l’éducation au Sénégal ; elle ne fait qu’étaler les problèmes de discipline

budgétaire123.

De telles pratiques sont l’une des empreintes visibles d’un déficit prévisionnel voire d’une

insincérité budgétaire.

2. La timidité de l’exercice du contrôle

La fonction de contrôle est une garantie reconnue aux assemblées représentatives qui, à côté

de leur pouvoir législatif, disposent du pouvoir de contrôler les organes étatiques. Comme

l’écrit Loïc PHILP, il est reconnu au Parlement un droit de contrôle illimité sur l’ensemble

des finances publiques124. En tenant compte de cette réalité, le principe de sincérité devient un

moyen de revitalisation des pouvoirs financiers du Parlement. Il constitue un nouvel outil au

service du contrôle budgétaire, du moins si le Parlement est capable de revendiquer la clarté,

121 Cour des Comptes du Sénégal, Rapport public année 2009, p. 21, www.courdescomptes.sn, consulté le 12

septembre 2016. 122 Cour des Comptes du Sénégal, Rapport public 2011, pp. 21-22, www.courdescomptes.sn, consulté le 12

septembre 2016. 123 Ousmane FAYE, L’analyse des dépenses publiques dans les secteurs sociaux (avec accent sur l’éducation et

la santé) au Sénégal sur la période 2006-2013, Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan en partenariat

avec l’UNICEF, p. 13. 124 Loïc PHILIP, Les fondements constitutionnels des finances publiques¸ Paris, Economica, 1995, p. 24.

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la lisibilité et la vérité nécessaires à la bonne gouvernance financière. Pour qu’il soit au cœur

de l’exigence démocratique, le contrôle du principe de sincérité doit reposer sur des chiffres

vérifiés, certifiés et des faits précis125. Le Parlement ne peut alors se contenter d’avaliser des

documents de prévisions budgétaires pour contrôler l’application du principe de la sincérité.

En pratique, André LAWSON, Mailan CHICHE et Idrissa OUEDRAOGO ont pu remarquer,

dans une étude consacrée au cas du Burkina Faso, que l’Assemblée nationale n’est pas perçue

comme ayant une influence significative sur l’ampleur et la nature des réformes de la gestion

des finances publiques, qui continuent à être prises en charge par l’Exécutif126. En général, la

présence du Parlement dans le système financier des Etats de l’UEMOA est à peine visible.

C’est fort justement pour cette raison que Michel BOUVIER est fondé à écrire : « Dans les

pays de l’Afrique francophone subsaharienne, le Parlement est quasiment exclu du processus

budgétaire et financier. Il est urgent de réintégrer le Parlement en tant qu’acteur à part

entière des systèmes financiers publics de l’Afrique subsaharienne, d’autant que partout dans

le monde, un consensus se forme pour renforcer le rôle du Parlement, particulièrement en

matière budgétaire et financière »127.

Tout aussi, l’emprise des contingences institutionnelles rend l’application du principe de

sincérité difficile. A la limite, c’est une source d’inconfort juridique. L’analyse faite par Jean-

Pierre CHEVALLIER permet de soutenir une telle argumentation : « Les finances publiques

de la Côte-d’Ivoire sont indissociables d'un environnement général marqué par la

colonisation, le sous-développement, le mimétisme des textes […] mais aussi par certaines

spécificités politiques et constitutionnelles propres aux pays africains. »128. C’est

particulièrement la situation du contrôle du Parlement fragilisé par un jeu déséquilibré des

institutions politiques. Mais, au-delà de la servitude politique, c’est plus la carence technique

qui favorise la timidité du contrôle parlementaire.

Le plus souvent, la faiblesse du profil des parlementaires entrave l’important exercice du

pouvoir de contrôle. C’est un fait que souligne, avec sa justesse d’appréciation, Ismaïla

Madior FALL qui écrit que le Parlement est un pouvoir qui s’est montré faible dans l’exercice

de ses fonctions de représentation et de contrôle de l’action gouvernementale. En plus des

raisons juridiques afférentes à la nature des pouvoirs accordés au Parlement et à ses rapports

avec l’Exécutif ainsi que des raisons politiques liées à la soumission de la majorité

parlementaire au Président de la République, chef du parti dominant dans l’hémicycle, il

évoque d’autres raisons relatives à l’absence de définition du profil faisant que bon nombre de

parlementaires n’ont pas souvent le niveau d’instruction requis pour exercer efficacement un

mandat parlementaire129.

On le comprend, le Parlement excelle dans l’inaptitude à déchiffrer et à comprendre les

documents budgétaires. Même si par ailleurs, on peut expressément lire, dans le préambule de

la directive n° 01/2009/CM/UEMOA portant Code de transparence dans la gestion des

125 Alain LAMBERT, “Vers un modèle français de contrôle budgétaire ? », Pouvoirs, n° 134, p. 47. 126 André LAWSON, Mailan CHICHE, Idrissa OUEDRAOGO, Evaluation de la réforme de la gestion des

finances publiques au Burkina Faso 2001-2010, ASDI/DANIDA/AFDB, Juin 2010, p. 46. 127 Michel BOUVIER (dir.), La gestion de la dépense publique dans les pays de l’Afrique francophone

subsaharienne, Direction générale de la Coopération internationale et du développement, Avril 2004, p. 37. 128 Jean-Pierre CHEVALLIER, « Avant-propos », in Alban Alexandre COULIBALY, Les finances publiques de

la Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2002, pp. 15-16. 129 Moustapha TAMBA, « Approche sociologique de l’Assemblée nationale du Sénégal de 1960 à 2001 », in

Mélanges offerts à Boubacar Ly, Société en devenir, PUD, 2006, p. 47 ; Ismaïla Madior FALL, Etude diagnostic

et Elaboration d’un programme d’appui à l’Assemblée nationale du Sénégal, Sénégal/UE, Mai 2012, pp. 23-24.

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finances publiques au sein de l’UEMOA, que le choix des charges et des ressources par les

pouvoirs publics est clair et intervient au terme d’un débat large et ouvert, la réalité est d’un

ordre tout autre parce que fondamentalement différente. Au Burkina Faso, les faits montrent

que « les documents budgétaires se présentent comme des outils destinés à l’usage interne de

l’Administration et du Gouvernement dans ses rapports avec les partenaires techniques et

financiers. Leur configuration actuelle est peu favorable à l’information du Parlement, des

organisations de la société civile et du citoyen. Du reste, ces derniers interviennent peu dans

le processus budgétaire encore insuffisamment ouvert. »130.

Le moins surprenant, c’est sans doute la faible capacité d’analyse des parlementaires dans le

domaine de la fiscalité qui est d’apparence ésotérique à leur sens. Pourtant, ce sont les

questions de cette nature qui abondent les enjeux les plus stratégiques pour le développement

économique et social des Etats. En fait partie l’analyse de la structure des recettes budgétaires

qui permet de comprendre les causes explicatives des faibles performances économiques. Une

étude récente réalisée dans le périmètre des finances publiques sénégalaises en donne la

meilleure illustration. Elle démontre que la TVA constitue l’élément pivot des recettes

budgétaires, soit une contribution de 44 à 45% des recettes fiscales131. Elle donne aussi un

relief particulier à l’épineuse équation des exonérations fiscales (évaluées, entre 2010-2012, à

242 400 000 000, soit 20% du PIB) ainsi qu’à l’insuffisante efficacité de l’administration

fiscale (déficit systématique de recettes par rapport aux objectifs initiaux de la Loi des

finances, chiffré à 74 300 000 000 contre 50 300 000 000 francs CFA en 2008132).

La consistance de la contribution des produits régaliens dans la formation du budget devrait

attirer l’attention. La consécration du principe de sincérité aurait pu permettre au Parlement de

s’interroger notamment sur les situations de surestimation de ressources, de sous-estimation

de dépenses, de dissimulation d’éléments financiers ou patrimoniaux introduites dans les lois

de finances, Mais sur l’ensemble de ces questions, le débat parlementaire est quasiment

inaudible133.

Ces limites sont aggravées par l’autisme parlementaire. Il est notoirement observé un manque

d’ouverture à l’égard des citoyens alors que « le problème du contrôle des fonds par les

citoyens à des missions d’intérêt général se présente (…) comme un point essentiel dont la

solution pourrait être déterminante quant à la possibilité que peuvent avoir de se perdurer,

certes les institutions démocratiques, mais encore la solidarité des individus et des généra-

tions, qui leur est naturellement associée. »134. Il demeure vrai que l’idéal démocratique est

l’une des spécificités marquantes du principe de sincérité dans les finances publiques. De

façon presque généralisée, les citoyens deviennent plus sensibles à l’importance du contrôle

parlementaire des finances publiques. L’explication de ce regain d’intérêt, on pense la trouver

en parcourant la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui, en son article

14, dispose que les citoyens à qui la Nation demande une contribution publique doivent être

en mesure, directement ou indirectement par l’intermédiaire de leurs représentants, d’en

apprécier la nécessité, de la consentir, de suivre et de contrôler son emploi. Incontestablement,

130 Dakor DA, « La recherche de la transparence budgétaire dans les réformes en finances publiques au Burkina

Faso », Afrilex, p. 10, www.afrilex.u-bordeaux4.fr, consulté le 24 août 2016. 131 Abdou Aziz Daba KEBE (chercheur principal), Rapport de recherche sur le baromètre de l’équité fiscale

(Sénégal), Oxfam-Forum civil, Décembre 2015, p. 11. 132 Ministère de l’Economie et des Finances, Rapport de l’étude portant sur les dépenses fiscales, 2010, p. 28. 133 Assemblée nationale du Sénégal, Rapport fait au nom de la Commission de l’Economie générale, des

Finances, du Plan et de la Coopération économique sur le projet de loi n° 21/2012 portant Code général des

Impôts, XIIe Législature, Session ordinaire unique 2012-2013, pp. 1-14. 134 Michel BOUVIER cité par Moussa ZAKI, Le contrôle des finances publiques dans les Etats de l’Afrique

noire francophone. L’exemple du Niger et du Sénégal, op. cit., p. 251.

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la sincérité conditionne le consentement à l’impôt135. Mais surtout, pour reprendre Loïc

PHILIP « les dépenses publiques sont devenues l’un des principaux instruments de la

politique économique »136, en raison de leur importance. Autant rappeler que gouverner, c’est

dépenser137. Dès lors, la soumission de la dépense publique à un contrôle parlementaire

effectif devient un impératif démocratique, notamment dans les Etats de l’UEMOA qui sont

structurellement en proie à des défis d’émergence économique. A ce sujet, on prend bonne

note de la contribution de THEOUA Kra Aména Pélagie mettant en exergue le caractère

essentiel de la sincérité dans la gestion démocratique des crédits138.

L’on remarquera aussi que le principe de sincérité n’est pas toujours convenablement cerné

par les parlementaires à travers les documents de prévision et de comptabilité. Pour s’en

convaincre, il n’est que de constater le format du Débat d’Orientation budgétaire (DOB).

Tenu conformément aux dispositions des articles 51,54 et 56 de la loi organique n° 2011-15

du 8 juillet 2011 relative aux lois de finances, le DOB doit intervenir, au plus tard, à la fin du

deuxième trimestre de l’année (avant la finalisation technique du projet de loi de finances de

l’année) et porte sur le Document de Programmation budgétaire et économique pluriannuelle

(DPBEP) lui servant d’introduction. Comme le conçoit si bien le Ministre de l’Economie

générale, des Finances et du Plan du Sénégal, le DOB est un exercice de transparence

budgétaire qui permet au Gouvernement de faire le point sur la situation et les perspectives

économiques et de préciser la stratégie des finances publiques sur un horizon temporel d’au

minimum trois ans. Il définit la trajectoire des recettes et des dépenses budgétaires de l’Etat et

procède à l’évaluation des ressources, des charges et de la dette du secteur public.

A bien des égards, cet exercice est d’une remarquable utilité pour les parlementaires qui

pourraient ainsi poser les jalons d’un véritable contrôle du principe de sincérité budgétaire.

D’ailleurs, le Ministre précise, au sens de la directive de l’UEMOA, que le DOB est un débat

stratégique portant sur des hypothèses économiques crédibles, sur la période considérée et le

cadrage budgétaire des ressources et des charges inscrites dans un horizon de moyen terme.

En outre, il explique que le débat devrait s’appesantir sur les hypothèses économiques,

l’évaluation du niveau global des recettes et des charges de l’Etat et l’évolution des opérations

financières des organismes publics et des institutions de prévoyance sociale. C’est à la suite

du DOB qu’intervient la phase de programmation pluriannuelle des dépenses des ministères

qui, au-delà de respecter les enveloppes du DPBEP, devra tenir compte des performances

visées à travers l’exécution des dépenses. L’ultime étape va consister à la programmation

budgétaire annuelle (projet de loi de finances) sous forme de programmes139. Il était alors

opportun de débattre des prévisions définies par le Gouvernement. Mais, l’étonnement n’est

pas moindre à la lecture des questions agitées au cours de la séance. Il n’a été essentiellement

exprimé que des préoccupations généralement incompatibles avec celles attendues. De quoi

déplorer l’aridité des discussions au regard des objectifs poursuivis à travers le DOB.

Pourtant, les députés pouvaient opportunément interpeller le Ministre, pour 2017, sur le

scénario prévisionnel de 3 131 000 000 000 francs CFA de ressources, les stratégies de

135 Voir Sasso PAGNOU, La gestion des finances publiques au Togo, op. cit., p. 151. 136 Loïc PHILIP, Finances publiques. Les dépenses publiques, le droit budgétaire et financier, Tome I, Paris,

CUJAS, 2000, p. 27. 137 Léon DUGUIT cité par Maurice DUVERGER, Finances publiques, Tome I, 10 éd., Paris, PUF, 1984, p. 9. 138 THEOUA Kra Aména Pélagie, Les finances publiques de l’Union économique et monétaire ouest-africaine

(UEMOA) et la logique de performance, Thèse de Doctorat, Université de Cocody d’Abidjan, 2010, p. 128. 139 Assemblée nationale de la Republique du Sénégal, XIIe Législature, Rapport fait au nom de La Commission

de l’Economie générale, des Finances, du Plan et de la Coopération économique. Le document introductif au

débat d’orientation budgétaire 2017, 23 juin 2016, p. 13.

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recouvrement, la collecte des recettes et la maîtrise de l’assiette. Comme on peut le regretter

de nouveau, la faiblesse du Parlement ternit la légendaire clarté de l’Esprit des Lois.

En vertu de ce qui précède, la réalité du contrôle parlementaire dans le contexte des Etats de

l’UEMOA ne séduit pas ; on ne peut pas parler, pour reprendre une formule bien pensée, de

contrôle parlementaire professionnalisé des finances de l’Etat. C’est dire que le Parlement

pourrait jouer sa carte de crédibilité sur le terrain du contrôle des finances publiques et non

plus exclusivement sur celui de production législative. On l’a bien compris en écrivant que

« le contrôle parlementaire sur les finances publiques est une ardente obligation sans

laquelle les fonctions du Parlement ne sauraient être réellement exercées »140. Le contrôle

réaliste et prudent des prévisions de ressources et de charges de l’Etat devient une exigence

significative. Toutefois, le constat reste que le contrôle parlementaire désincarné côtoie un

contrôle de la juridiction financière timoré.

B. Un contrôle de la juridiction financière timoré

Il est question du "contrôle non juridictionnel"141 qui s’opère par la Cour des comptes142 dont

l’existence n’a d’intérêt que pour instituer un contrôle soucieux de rendre effectif la reddition

des comptes143 ; même si, dans certains cas, le verrou constitutionnel fait encore obstacle à

l’harmonisation de l’architecture juridictionnelle financière144. Cependant, on peut se

demander si le prestige statutaire et fonctionnel de la juridiction financière, gravé dans le

marbre constitutionnel, a des effets sur l’effectivité du contrôle de l’exécution des lois de

140 Michel LASCOMBE, Xavier VANDENDRIESSCHE, La loi organique relative aux lois de finances (LOLF)

et le contrôle des finances publiques », RFAP, n° 117, 2006, p. 131. 141 Le contrôle non juridictionnel, contrôle de la gestion, permet à la juridiction financière d’apprécier la qualité

de l’exécution de l’ensemble des budgets soumis à son contrôle. En considération des attributions non

juridictionnelles reconnues à la juridiction financière, il se traduit par des avis formulés au moyen de rapports

non susceptibles de recours contentieux. Il s’agit d’une appréciation sur la gestion des ordonnateurs. Mais, au

sens étendu, le contrôle non juridictionnel désigne la mission de contrôle attribuée à la Représentation nationale

et aux organes administratifs de contrôle. Voir, entre autres, Stéphanie DAMAREY, Exécution et contrôle des

Finances publiques, Paris, Gualino, 2007, p. 387. 142 La Guinée Bissau, Etat lusophone, disposait déjà d’une Cour des Comptes avant son adhésion à l’UEMOA en

1997. 143 Voir Nicaise MEDE, « Rapport introductif : la juridiction financière d’hier à demain et … après demain », in

CERAF/Coopération danoise, « Le contrôle des finances publiques dans les pays membres de l’UEMOA :

Quelle contribution pour la juridiction financière ? », (Actes du colloque de Cotonou, Université d’Abomey-

Calavi, 20 et 21 juillet 2010, Cotonou,), R.B.S.J.A., n° 24, 2011, pp. 7-20. 144 Voir particulièrement les cas du Bénin et du Mali. Au Bénin, la légitime suspicion à l’égard des pouvoirs de

révision de la Constitution, durcie par des soucis matériels et financiers, est le principal motif de l’échec du

projet de création d’une Cour des Comptes. En revanche, il s’agira plus d’une mésaventure constitutionnelle au

Mali où il a été initié un projet de révision constitutionnelle pour l’édification d’une Cour des Comptes dotée

d’une primauté sur les autres structures de contrôle. Là, l’argument économique a été fatal au référendum

constituant. Le Gouvernement malien, déterminé à prouver sa bonne foi, s’en est ouvert à l’avis de la Cour de

Justice de l’UEMOA. A l’occasion, le juge rappelle : « Il appartient […] à l’État malien de prendre toutes les

dispositions nécessaires à l’application de cette directive en la transposant immédiatement dans son droit positif

interne, le délai de transposition prévu étant épuisé, au risque d’encourir un recours en manquement. » (Voir

Avis de la Cour de Justice de l’UEMOA, n° 001/2003 du 18 mars 2003, in Alioune SALL, La justice de

l’intégration, Dakar, CREDILA, 2011, pp. 173-76). Par la suite, la solution attendue semblait provenir du

rapport Diawara sur les propositions de réforme constitutionnelle qui devraient être adoptées par référendum

prévu pour avril 2012. Là encore, la mutinerie survenue le 22 mars 2012 et ayant entraîné la démission du

Président de la République a torpillé l’initiative.

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finances145. En d’autres termes, la juridiction financière a-t-elle atteint la ligne d’exigence

ainsi tracée ? La modestie des réalisations démentirait toute réponse par l’affirmative.

Le fonctionnement des Cours des comptes soulève des interrogations ayant trait, en premier

lieu, à des entorses d’ordre juridico-institutionnel, (1) et, en second lieu, à l’épreuve du défi de

la certification des comptes de l’Etat (2).

1. Les entorses juridico-institutionnelles

Le principe de sincérité n’a pas la même portée selon qu’il s’agit d’une loi de finances initiale

ou d’une loi de règlement146. Pour une loi de finances, Jean-Luc ALBERT fait noter que

l’approche du juge financier est distanciée147. Quant à la loi de règlement, elle fait appel au

contrôle de vérité des informations. Désormais éclairé par les lumières de la réalité comptable,

le principe devient contrôlable. C’est ainsi que Christophe BLANCHARD-DIGNAC,

Directeur du Budget français, affirmait que « la sincérité des lois de finances ne correspond

qu’à une obligation de moyens tandis que la sincérité des comptes pose une obligation de

résultats. »148.

Selon le Code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA, il

n’y a pas de bonne gestion des finances publiques sans un contrôle a posteriori efficace

dévolu à une juridiction financière indépendante, dotée de pouvoirs et de capacités

d’investigations étendus149. A l’appui de cette disposition, la Cour des Comptes contrôle la

sincérité des recettes ainsi que des dépenses décrites dans la comptabilité publique et s'assure

du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l'Etat et par les

organismes publics. Mais, est-ce que la juridiction financière a l’assurance nécessaire pour

opérer un contrôle efficace de l’exécution des lois de finances ? Une lecture tant soit peu

attentive de la réalité du contrôle des finances publiques au sein de l’UEMOA met en

évidence la présence d’un ordre de difficultés juridico-institutionnelles dans l’accomplisse-

ment de la mission de la juridiction financière.

Toujours est-il qu’en dépit des pressions en faveur de la réforme du système de gestion des

finances publiques150, il est certain que « l’application de procédures budgétaire est souvent

déficiente, parfois dans des proportions préoccupantes, notamment en ce qui concerne

145 Quid de la juridiction constitutionnelle ? Est-elle garante du respect de la sincérité financière ? Il est

compréhensible que sa compétence soit fondée en matière financière au vu d’une lecture solidaire de deux

dispositions constitutionnelles pertinentes : celle relative à la compétence du législateur en matière de finances

publiques et celle relative à la compétence de la juridiction constitutionnelle en matière de contrôle de

constitutionnalité des lois. Voir Stève Thiery BILOUNGA, « La diction du droit public financier au Cameroun »,

in Les finances publiques vues d’Afrique et de France, op.cit. ̧pp. 47-50. 146 Voir Michel LASCOMBE, Xavier VANDENDRIESSCHE, « Conseil constitutionnel et Cour des comptes :

plaidoyer pour une coopération renforcée », in Louis FAVOREU, Robert HERZOG, André ROUX (dir.), Etudes

en l’honneur de Loïc PHILIP. Constitution et finances publiques, Paris, Economica, 2005, pp. 445-452. 147 Jean-Luc ALBERT, « La sincérité devant le juge financier », RFFP, n° 111, 2010, p. 107. 148 A. Lambert, Doter la France de sa nouvelle constitution budgétaire. Rapport Sénat n° 37, Fait au nom de la

commission des finances et du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, 2000-2001, p.122. 149 Voir aussi Loi organique n° 2012-08 du 26 mars 2012 déterminant les attributions, la composition,

l’organisation et le fonctionnement de la Cour des Comptes du Niger, www.courdescomptes.ne, consulté le 15

septembre 2016. 150 Il s’agit de pressions notamment consécutives à la demande d’amélioration de la gouvernance économique

par la société civile et le public, à la supervision par l’Assemblée nationale et à l’influence de l’UEMOA. Voir

André LAWSON, Mailan CHICHE, Idrissa OUEDRAOGO, Evaluation de la réforme de la gestion des finances

publiques au Burkina Faso 2001-2010, op. cit. pp. 45-47.

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l’exécution et le contrôle des dépenses publiques »151. Pour le Mali par exemple, la portée du

contrôle jusque-là confié à la Section des Comptes n’en est pas plus glorieuse ; le contrôle y

est « quasi-inexistant »152. Il y a l’absence de mesures propres à garantir l’efficacité du

contrôle des finances publiques. Egalement pour le Sénégal, le contrôle de la Cour des

Comptes révèle des faiblesses relatives à la non disponibilité des comptes de gestion

correspondants pour le projet de LFR 1998 et à la non comptabilisation du montant des

sommes provenant de la privation de la SONATEL153.

Dans le même sillage, on pourrait régulièrement débiter au compte de la loi de règlement du

Bénin des manquements relatifs à l’absence de réponse aux questions et aux demandes de

renseignements adressées au Ministre chargé des Finances, l’absence de suite donnée à la

recommandation concernant les clarifications à apporter à la méthodologie utilisée pour

l’évaluation du patrimoine de l’Etat154.

On fera bien, sur ce point précis, de rappeler le « chaînage vertueux » entre la loi de règlement

de l’année n-1 et la loi de finances de l’année n+1. Sans doute, l’analyse de l’efficacité des

crédits utilisés et des résultats obtenus pour chaque programme peut bonifier le débat sur

l’allocation des crédits au titre de l’année n+1 dans le cadre du projet de loi de finances. La

directive portant Loi de finances énonce que la loi de règlement constate le montant définitif

des encaissements de recettes et des ordonnancements de dépenses. A ce titre, elle ratifie, le

cas échéant, les ouvertures supplémentaires de crédits décidées par décret d’avances depuis la

dernière loi de finances, régularise les dépassements de crédits constatés résultant de

circonstances de force majeure ou des reports de crédits et procède à l’annulation des crédits

non consommés, rend compte de la gestion de la trésorerie de l’Etat et de l’application du

tableau de financement de l’Etat, arrête les comptes et les états financiers de l’Etat et affecte

les résultats de l’année, rend compte de la gestion et des résultats des programmes. Avant sa

transmission par le Gouvernement, le projet de loi de règlement est soumis au juge des

comptes pour le contrôle de l’exécution budgétaire. Le vote de la loi de règlement offre ainsi

un moment favorable au Parlement pour connaître de l’exécution qui a été faite des

autorisations qu’il a données. Cela n’équivaut pas cependant à un quitus de gestion qui est

censé intervenir, selon Maxime Bruno AKAKPO, à l’issue de la procédure juridictionnelle

d’apurement des comptes par le juge des comptes155.

Dans la réalité, la situation n’est pas tellement rassurante dans les Etats de l’UEMOA. Elle

mérite qu’on s’y attarde. Dans la pratique, ces Etats n’ont régulièrement pas voté leurs lois de

règlement ni diligemment procédé à l’apurement de leurs comptes. Même le Sénégal, seul

pays à disposer de lois de règlement depuis son accession à l’indépendance, n’a

promulgué la loi portant règlement du compte définitif du budget exercice 1960 qu’en

151 Michel BOUVIER (dir.), La gestion de la dépense publique dans les pays de l’Afrique francophone

subsaharienne, op. cit.¸p. 21. 152 Paul TRAORE, La procédure d’exécution de la dépense publique dans les Etats membres de l’U.E.M.O.A.

à l’épreuve du nouveau cadre harmonisé des finances publiques : l’exemple du Mali, Thèse de doctorat,

Université Cheikh Anta Diop, 22 avril 2015, p. 334. A noter que le Parlement français a eu à vivre une période:

« des pouvoirs de contrôle affirmés par les textes, mais niés par la pratique. ». Cette situation était possible à

cause de la réticence des administrations à s’exprimer dans la transparence et de l’atteinte au droit à

l’information du Parlement par la présentation d’informations difficilement contrôlables. Voir Alain LAMBERT,

« Vers un modèle français de contrôle budgétaire ? », op. cit., pp. 48-49. 153 Cour des Comptes du Sénégal, Rapport public 2001, p. 26, www.courdescomptes.sn, consulté le 15

septembre 2016. 154 Voir Chambre des comptes de la Cour suprême du Bénin, Rapport sur l’exécution de la loi de finances pour

2003, pp. 43- 160, www.coursupreme benin.com, consulté le 15 septembre 2016. 155 Voir Maxime Bruno AKAKPO, Démocratie financière en Afrique occidentale francophone, op. cit., p. 60.

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1965156. Celle relative à la gestion 2009 a été votée en décembre 2012. Aujourd’hui, même si

des efforts sont notés pour satisfaire à l’exigence communautaire, la vérité est que cela a été

bien souvent à la faveur d’un apurement juridictionnel intempérant (par exemple, le cas du

Sénégal) soit d’un apurement législatif amnistiant (par exemple, les cas du Mali et Bénin).

Pour rendre compte des tribulations dans le contrôle de l’exécution des lois des finances dans

le contexte institutionnel sénégalais, Ismaïla Madior FALL écrit : « Pourtant malgré son

importance dans le système de contrôle des finances publiques, le contrôle parlementaire a

posteriori de l’exécution du budget demeure négligé par la pratique institutionnelle, les lois

de règlement n’intervenant pas du tout ou intervenant à des années d’intervalle du budget

dont elles ont vocation à apurer les comptes. »157.

Même dans ce cas, les progrès récemment récoltés s’accompagnent d’entorses qui ne

favorisent pas la manifestation d’un contrôle efficace de la sincérité financière. L’embarras

découle de l’indisponibilité des comptes de l’ordonnateur. L’article 80 de la Directive RGCP

énonce que les comptes de l’Etat sont dressés par le Ministre chargé des Finances et

comprennent le CGAF et les états financiers.

Le CGAF est le document de synthèse annuelle des opérations budgétaires et financières de

l’Etat. Il représente la situation globale des comptes de l’Etat au titre d’un exercice budgétaire

donné. Les montants qui y figurent se retrouvent dans le projet de loi de règlement. Le CGAF

et le projet de loi de règlement sont envoyés en même temps à la Cour des Comptes afin que

celle-ci les examine et élabore, le cas échéant, une déclaration générale de conformité entre

les comptes individuels des comptables et le CGAF ; ce certificat de conformité n’est

évidemment pas émis dans le cas contraire. Sur le fond, l’idée est que la Cour des Comptes

doit attester la concordance entre les chiffres inscrits dans les comptes des comptables publics

et ceux figurant dans la comptabilité du Ministre chargé des Finances. Le nœud gordien réside

dans la réticence de ce dernier de bien vouloir soumettre à l’inventaire contradictoire son

compte d’ordonnateur.

Ainsi, dans son rapport public sur le contrôle de l’exécution de la loi de finances pour l’année

2013, la Cour des Comptes du Sénégal précise que le « le simple rapprochement entre les

comptes individuels des comptables principaux et le CGAF rend sans objet la déclaration de

conformité » 158 ; le CGAF ne peut tenir lieu de comptabilité de l’ordonnateur. L’explication

avancée par Abdourahmane DIOUKHANE est bien à propos. L’ancien Commissaire du Droit

à la Cour considère que « au fond la déclaration générale de conformité apparaît comme une

simple vérification de la cohérence d’ensemble de la comptabilité générale de l’Etat, par un

rapprochement des écritures de centralisation des comptes individuels des comptables

principaux et celles du Trésorier général en sa qualité d’ACCT. En cela, elle ne suscite que

peu d’intérêt. »159. Suivant les explications avancées, les termes de la controverse semblent

être clarifiés. Le Ministre chargé des Finances a toujours rappelé que la forme de présentation

a connu une évolution dans le sens d’une centralisation consécutivement à l’intégration de la

comptabilité de l’ordonnateur dans celle des comptables publics, en précisant qu’à partir de

1967 les deux comptabilités sont en effet reliées par procédé informatique. Il ajoute que le

décret du 13 mars 2003 portant règlement général de la comptabilité publique intervient pour

156 Loi n° 65-03 du 20 janvier 1965. 157 Ismaila Madior FALL, « La loi de règlement dans le droit des finances publiques des Etats membres de

l’UEMOA : l’exemple du Sénégal », Revue de la Faculté de Droit de Toulouse, n° 4, 2005, p. 62. 158 Cour des Comptes du Sénégal, Rapport public 2014, p. 62, www. courdescomptes.sn, consulté le 15

septembre 2016. 159 Abdourahmane DIOUKHANE, Les finances publiques dans l’UEMOA. Le budget du Sénégal¸ Paris,

L’Harmattan, 2015, pp. 173-174.

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préciser, en son article 203, que le CGAF comprend notamment le développement des recettes

budgétaires et le développement des dépenses budgétaires par ministère et institution. Pour

conformer la position du Ministre, la Loi organique n° 2007-29 du 10 décembre 2007

modifiant la Loi organique n° 2001-09 du 15 octobre 2001 relative aux lois de finances160 a

remplacé l’expression " comptabilité de l’ordonnateur", qui figurait à l’article 37 de la loi

organique relative aux lois de finances du 15 octobre 2001, par celle de "compte général de

l’administration des finances". Toutefois, l’article 50 de la loi organique du 8 juillet 2011

revient à la formule "déclaration générale de conformité entre les comptes des ordonnateurs et

ceux des comptables publics"161.

Quelle que soit la solidité des arguments en confrontation, il serait quand même pertinent de

faire la confrontation entre les deux documents. La Cour des Comptes du Niger l’a bien

compris en rapportant que même s’il ressort du rapprochement du compte de gestion présenté

par le Trésorier général et du projet de loi de règlement une concordance des chiffres, la Cour

constate néanmoins que « cette conformité n’est qu’apparente car plusieurs dépenses sans

ordonnancement préalable […] n’ont pas été régularisées au cours de la gestion 2007 »162.

Une autre inquiétude relevant toujours de ce contrôle réside, comme le note la Cour des

Comptes du Burkina Faso, dans le fait que « la déclaration de conformité est toujours faite

sous réserve de l’apurement ultérieur des comptes de gestion des comptables principaux de

l’Etat, étant donné que le contrôle du projet de loi de règlement se fait sur chiffres, sans les

pièces justificatives des comptes de gestion des comptables. »163.

De plus, le statut législatif du principe de sincérité constitue également une limite. En plus

d’être dépourvu d’une portée absolue, le principe de sincérité y occupe un rang de moindre

ordre dans la hiérarchie des normes, contrairement en France où « le principe de sincérité qui

avait déjà valeur quasi-constitutionnelle est élevé au rang constitutionnel … »164.

Enfin, dans le contexte des Etats de l’UEMOA, la nécessité d’opérer un véritable contrôle de

constitutionnalité des lois de finances est une question sérieuse. En droit ivoirien, le constat

fait par Alban Alexandre COULIBALY n’en est pas moins révélateur. Il découle du propos de

l’auteur, également valable pour les autres Etats de l’UEMOA, que « […] l’absence d’un

véritable contrôle de la constitutionnalité de la loi de finances réduit la portée du contrôle

juridictionnel »165.

2. Le défi de la certification

Le rapport sur l’exécution des lois de finances est un rapport certes critique mais qui

n’examine surtout que la cohérence globale des chiffres contenus dans les différentes

situations produites, le niveau d’exécution des autorisations de crédits votées par l’Assemblée

nationale, les performances réalisées, la fiabilité des chiffres et le résultat ainsi que la gestion

160 JORS n° 6391, 16 février 2008, p. 141. 161 Voir Abdourahmane DIOUKHANE, ibid., p. 247. 162 Cour des Comptes du Niger, Rapport général public 2010-2011, p. 77, www.courdescomptes.ne, consulté le

17 septembre 2016. 163 Sabine O. YETA, « La contribution de la Cour des Comptes à la bonne gouvernance financière : l’exemple du

Burkina Faso », (Actes du colloque de Cotonou, Université d’Abomey-Calavi, 20 et 21 juillet 2010), op. cit.,

p. 48. 164 Cons. const., Décision n° 2006-538 DC du 13 juillet 2006, Loi portant règlement définitif du budget de 2005,

Rec., p. 73, note Loïc PHILIP, RFDC, n° 69, 2007, p. 80. 165 Alban Alexandre COULIBALY, Les finances publiques de la Côte d’Ivoire, op. cit., p. 264.

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des autorisations budgétaires. Il relève aussi les errements constatés et fait des

recommandations pour y remédier166.

Le résultat est que ce contrôle classique des comptes est réduit à la vérification de la régularité

de l’exécution des lois de finances doublement constaté par un rapport sur l’exécution des lois

de finances et une déclaration générale de conformité. Le rapport sur l’exécution a pour objet,

en seconde partie, le contrôle de la régularité de la gestion du budget général, ventilé en

gestion des crédits de dépenses ordinaires et crédits de dépenses d’investissement, et des

comptes spéciaux du Trésor167. Quant aux comptes des entités du secteur parapublic, leur

certification est du ressort de la compétence des commissaires aux comptes.

A l’image de ce qui se déroule en France, le nouveau cadre harmonisé des finances publiques

au sein de l’UEMOA amorce une mutation dans ce contrôle. La raison est évidente si l’on sait

que la certification est une garantie de la sincérité des comptes publics. Dans le contexte

français, la Cour des Comptes établissait chaque année une déclaration générale de conformité

à la suite d’une vérification de conformité entre le CGAF et les comptes des comptables

principaux du Trésor. Avec la réforme, le CGAF est remplacé par la certification des comptes.

Maintenant, il ressortit à la compétence de la Cour des Comptes de certifier la sincérité des

comptes de l’Etat. L’article 58 de la LOLF précise que la mission d'assistance du Parlement

confiée à la Cour des Comptes comporte, entre autres, « la certification de la régularité, de la

sincérité et de la fidélité des comptes de l'Etat »168. Cette certification est annexée au projet de

loi de règlement et accompagnée du compte rendu des vérifications opérées.

Dans le contexte des nouvelles directives de l’UEMOA, la mission de contrôle confié à la

Cour des Comptes a connu un élargissement. Nous savons que désormais, la juridiction

financière exerce des missions de contrôle et de vérification des opérations financières, de

jugement des comptes de gestion, de contrôle des résultats des programmes et d’évaluation de

l’efficacité, l’économie et l’efficience. A cette fin, elle rend un rapport sur l’exécution de la

loi de finances et déclaration de conformité, émet des avis et formule des recommandations

sur le système de contrôle interne et le dispositif de contrôle de gestion ainsi que la qualité

des procédures comptables et sur les rapports annuels de performance. Quelle est la portée de

ce contrôle ? S’agirait-il du contrôle tel que qualifié expressément par la LOLF française. Si

la Cour des Comptes française rend "un rapport de certification des comptes de l’Etat", ses

homologues au sein de l’UEMOA persistent dans la voie du "rapport sur l’exécution des lois

de finances et la déclaration générale de conformité".

En aucun cas, on ne peut pas s’y tromper. L’expression "certification des comptes de l’Etat"

n’est visible nulle part dans le corpus de la directive portant Loi de finances, servilement

imitée en cela par certaines lois relatives aux lois de finances (Niger, Sénégal, Togo). A

l’évidence, ni les directives de l’UEMOA ni les textes issus de la transposition, par ces Etats,

ne le disent aussi nettement.

Dans le cas du Sénégal, le constat est que la loi organique n° 2012-23 du 27 décembre 2012

sur la Cour des Comptes n’en fait qu’implicitement référence169. Plutôt, elle réitère

explicitement la référence au contrôle de l’exécution des lois de finances par lequel la Cour

des Comptes établit un rapport sur le projet de loi de règlement et une déclaration générale de

166 Maxime Bruno AKAKPO, Réflexions sur la gouvernance financière au Bénin, USAID/Bénin, 2009, p. 86 167 Voir Abdourahmane DIOUKHANE, Les finances publiques dans l’UEMOA …. ̧op. cit., pp. 163-169. 168 Voir dernier alinéa de l'article 47 de la Constitution française. 169 Voir article 43 de la loi organique n° 2012-23 du 27 décembre 2012 abrogeant et remplaçant la loi organique

n° 99-70 du 17 février 1999 sur la Cour des Comptes du Sénégal.

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conformité, en vue de permettre au Parlement d’apprécier l’action du Gouvernement en

matière de gestion des opérations financières de l’Etat. Il y est aussi précisé que la Cour

analyse les résultats des opérations financières de l’Etat et en examine la régularité et la

sincérité. Les opérations financières de l'État comprennent toutes les opérations du budget

général, des comptes spéciaux du Trésor, des budgets annexes et les opérations de trésorerie.

Le résultat de l'exécution des opérations du budget général est déterminé sur la base des

recettes encaissées et centralisées par les comptables principaux et des dépenses ordonnancées

sur la gestion sous contrôle. Le solde des opérations des comptes spéciaux du Trésor et des

budgets annexes est arrêté en fonction des états d'encaissement et de décaissement annexés au

CGAF. Le solde des opérations de trésorerie est arrêté à partir de la balance générale des

comptes du Trésor conformément au plan comptable de l'État. Néanmoins, le silence des

textes sur la certification est rompu par l’analyse doctrinale liant la mission de certification à

la Cour des Comptes à la consécration de la comptabilité générale de l’Etat170. C’est une

position raisonnablement assumée171.

A l’analyse, l’objet de la certification est de permettre une connaissance exacte et sincère de

la situation financière et patrimoniale de l’Etat. Sa finalité est d’éclairer le Parlement

compétent pour approuver les comptes. Raymond MUZELEC écrit que c’est une « démarche

de contrôle externe conduisant à la formulation d’une "opinion" d’expert sur la régularité, la

sincérité et la fidélité des états financiers (bilan, compte de résultats et annexes) d’une

organisation et, s’il y a lieu, sur les rapports financiers et de gestion, de ladite organi-

sation »172. La certification suppose l’application d’une démarche d’audit axée sur

l’évaluation du risque, des opérations de gestion effectuées par l’entité et leur enregistrement

en comptabilité, de la conformité des états financiers aux référentiels comptables et de la

qualité de l’information financière. L’examen de l’audit interne doit permettre de vérifier

l’effectivité du contrôle interne et d’apprécier son efficacité.

Dans le processus de certification, l'audit des comptes permet de formuler une opinion

exprimant si les comptes sont établis, dans tous leurs aspects significatifs, conformément au

référentiel qui leur est applicable. Le commissaire aux comptes certifie que les comptes

annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de

l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et celle du patrimoine de l’entité à la fin

de cet exercice.

Pratiquée de la sorte, la certification constitue une modalité de contrôle de la sincérité

budgétaire. Elle est la voie royale de mise en œuvre de la mission constitutionnelle

d’assistance de la Cour des Comptes au Parlement. Dans la nouvelle comptabilité de l’État, la

Cour des Comptes devrait, à l’instar de son homologue français, certifier les comptes de

l’État. La position donnée dans le rapport de certification des comptes de l’Etat issus de

l’exercice 2015 permet de comprendre l’importance de la mission de certification. La Cour

certifie que, au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte

général de l’État de l’exercice clos le 31 décembre 2015 et arrêté le 17 mai 2016 est régulier

et sincère et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l’État sous

les cinq réserves suivantes, toutes substantielles : 1) Le système d’information financière de

l’État demeure insuffisamment adapté à la tenue de sa comptabilité générale et aux

vérifications d’audit ; 2) Les dispositifs ministériels de contrôle interne et d’audit interne sont

170 Voir article 72 de la directive portant Loi de finances. 171 Voir Abdourahmane DIOUKHANE, Les finances publiques dans l’UEMOA …. ̧op. cit., pp. 163-169, p. 248 172 Raymond MUZELEC, « Vers la certification des comptes de l’Etat en 2007 », in Louis FAVOREU, Robert

HERZOG, André ROUX (dir.), Etudes en l’honneur de Loïc PHILIP …, op. cit., p. 478.

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encore trop peu efficaces ; 3) La comptabilisation des produits régaliens reste affectée par des

incertitudes et des limitations significatives ; 4) D’importantes incertitudes pèsent toujours sur

le recensement et l’évaluation des immobilisations et des stocks gérés par le ministère de la

défense ; 5) L’évaluation des immobilisations financières de l’État continue d’être affectée

par des incertitudes significatives173.

Techniquement, la certification des comptes implique une vérification de la régularité, de la

sincérité et que la fidélité soit adossée à un référentiel défini au regard des normes juridiques,

comptables et statistiques des finances publiques définies aux plans communautaire et interne.

Pour les Etats de l’UEMOA, la mutation est de taille : « La certification des comptes est une

étape technique qui permet de dépasser la déclaration générale de conformité. Alors que la

conformité ne faisait "que" valider la régularité juridique des comptes, la certification

implique leur conformité aux normes comptables, l’application de bonne foi de ces règles et

le réalisme des inscriptions. »174. Ainsi dit, on peut situer les enjeux de la certification au

niveau de la fiabilité des procédures, de la maîtrise des risques financiers et d’amélioration du

service public. N’est-ce pas un défi pour les Etats de l’UEMOA !

Fort heureusement, le Bénin, figure d’exception, ne verse pas dans le clair-obscur juridique.

En toute bonne logique, l’alinéa 5 de l’article 91 de la LOLF du Bénin dispose littéralement

que « la juridiction financière procède à la certification des comptes en lieu et place de la

déclaration générale de conformité »175. Avant de certifier les comptes, à compter de 2019,

dans les conditions prévues aux articles 91 alinéa 5 et 106 de la loi organique, la Chambre des

Comptes de la Cour suprême doit, en vertu de l’alinéa premier de l’article 54 de la même loi,

produire chaque année, le rapport sur l’exécution de la loi de finances et la déclaration

générale de conformité, afin de permettre au Gouvernement de déposer le projet de loi de

règlement, au plus tard le premier jour de l’ouverture de la session budgétaire (la session

d’octobre) qui suit l’année d’exécution du budget, conformément à l’article 66 de cette loi. De

cet horizon, une lueur de sagacité apparaît. Dans son rapport 2015 sur l’exécution de la loi de

finances pour l’année 2014, la chambre des Comptes de la Cour suprême du Bénin alerte que

« la mise en place des dispositifs prévus par la nouvelle loi organique n° 2013-14 du 27

septembre 2013 relative aux lois de finances est indispensable pour la certification des

comptes de l’Etat par la juridiction financière à l’horizon 2019 car, les comptes issus de la

situation actuelle de la comptabilité de l’Etat ne sont pas encore exploitables pour permettre

d’envisager leur certification ».

Cependant, la question reste de savoir si la juridiction financière a l’autorité juridique, les

compétences techniques, les ressources humaines et le budget temps indispensables à la

certification des comptes 176. La seule certitude qui vaille est que la masse de problèmes

accablants (absence de manuel des processus de certification, déficit de ressources humaines,

résistance au changement de conduite) constitue une pesanteur dans la transformation

qualitative du contrôle de l’exécution des lois de finances dans le contexte des Etats de

l’UEMOA.

173 Voir Cour des Comptes française, Rapport public annuel 2015, février 2015, pp. 81-95. 174 Sébastien KOTT, Carole MONIOLLE, Finances publiques, 2e éd., Paris, Ellipses, 2010, p. 114. 175 Justin BIOKOU, « Le défi de la certification des comptes publics », in Nicaise MEDE (dir.), La LOLF dans

tous ses états, op. cit., p. 86. 176 Pour l’état des lieux, les contraintes à lever ainsi que les défis à relever dans le contexte de certification des

comptes au Bénin en particulier et de la nouvelle gestion publique en général, voir les réflexions entonnées par

Justin BIOKOU, « Le défi de la certification des comptes publics », in Nicaise MEDE (dir.), La LOLF dans tous

ses états, op. cit., pp. 88-105 et Moussa ZAKI, « La LOLF, instrument de rénovation de la gouvernance de

l’Etat », in Nicaise MEDE (dir.), La LOLF dans tous ses états, op. cit., pp. 387-394 ;

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Conclusion

En finances publiques des Etats de l’UEMOA, la sincérité, tant en prévision qu’en exécution,

est un concept consacré mais n’a pas un caractère suffisamment opératoire. Malgré les

évidences, la compréhension du principe de sincérité n’est pas une donnée immédiate de la

conscience ; elle n’est qu’une donnée construite de la pensée. C’est un concept en

construction. Sous cet angle de vue, la sincérité connaît « un problème de vocabulaire » et

« un problème de statut, tenant non seulement à la force juridique mais également à la portée

pratique »177.

Le caractère globalement inopérant des mécanismes de contrôle parlementaire et juridic-

tionnel des finances publiques fragilisent aussi l’application du principe de sincérité. Avec

une vue frappante, les institutions par lesquelles le contrôle des finances publiques trouve sa

raison d’être font état d’une inefficacité dans le contrôle de la sincérité budgétaire et

comptable. Néanmoins, il convient d’admettre que « s’il est […] illusoire de faire jouer au

principe de sincérité un rôle d’arme absolue, consistant à en faire un instrument de mesure de

la soutenabilité budgétaire, son invocation fait cependant progresser la présentation sincère

des lois de finances. »178. Pourvu que cette invocation soit convenablement éclairée.

A la vérité, les Etats de l’UEMOA amorcent, sous l’effet de la LOLF, une mutation d’ampleur

à laquelle participe l’exigence de sincérité financière. C’est le sens de l’orientation indiquée à

nos développements dans le souci de contribuer à la réflexion sur la gouvernance financière

publique.

177 Voir Luc SAIDJ, « Enjeux autour d’un principe controversé », op. cit., p. 3. 178 Jean-Pierre CAMBY, « Pour le principe de sincérité budgétaire », », op. cit., p. 159.