75
LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE GESTIONNAIRE DE PORTEFEUILLE FAUTIF Mémoire soutenu par Anastasios SFYROERAS Pour l’obtention du D.E.A. de Droit des affaires Sous la direction de M. le Professeur Michel STORCK UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN STRASBOURG III 1999-2000

LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

LA REPARATION

DU PREJUDICE DU CLIENT

PAR LE GESTIONNAIRE

DE PORTEFEUILLE FAUTIF

Mémoire soutenu par

Anastasios SFYROERAS

Pour l’obtention du D.E.A. de Droit des affaires

Sous la direction de

M. le Professeur Michel STORCK

UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN STRASBOURG III

1999-2000

Page 2: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

1

TABLE DES ABREVIATIONS Bull. Bulletin.

CA Cour d’appel.

C. Cass. Cour de cassation.

Cass. civ. Cour de cassation, Chambre civile.

Cass. com. Cour de cassation, Chambre commerciale.

Cass. crim. Cour de cassation, Chambre criminelle.

Cass. soc. Cour de cassation, Chambre sociale.

CMF Conseil des Marchés Financiers.

COB Commission des Opérations de Bourse.

Contra Solution contraire.

D. Recueil Dalloz.

D. aff. Dalloz affaires.

DP Dalloz, recueil périodique et critique mensuelle.

Dr. Droit.

Ed. Edition.

Fasc. Fascicule.

G. Général.

Inf. rap. Information rapide.

JCP Juris- Classeur périodique (Semaine juridique).

Jur. Class. Juris- Classeur.

Loi MAF Loi du 2 juillet 1996 sur la modernisation des activités financières.

N° Numéro.

Obs. Observation.

P. Page.

Pan. Panorama..

RDBB Revue du droit bancaire et de la bourse.

Rev. Soc. Revue des sociétés.

RJDA Revue de la jurisprudence du droit des affaires.

RTD com. Revue trimestrielle du droit commercial.

S. Recueil Sirey.

Somm. Sommaire.

TGI Tribunal de Grande Instance.

Page 3: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

2

PLAN SOMMAIRE.

Première Partie : La détermination du préjudice du client.

Titre I : L’exclusion du préjudice dû à l’aléa boursier.

Section I : L’obligation de moyen du gestionnaire quant à la réalisation de plus

values.

Section II : La réparation exceptionnelle par le gestionnaire du préjudice dû à

l’aléa boursier

Titre II : Le préjudice certain : le problème de la perte d’une chance.

Section I : La réparation par le gestionnaire de la chance perdue par son client

de bénéficier d’un événement favorable.

Section II : Les déviances dans la mise en œuvre de la théorie de la perte d’une

chance en matière de gestion de portefeuille.

Deuxième Partie : La limitation de la dette de réparation du gestionnaire de

portefeuille : le partage de responsabilité.

Titre I : Le concours de la faute d’un autre intermédiaire financier à la réalisation du

préjudice.

Section I : Le problème du partage de responsabilité en cas de non vérification

par le teneur de compte de la conformité des ordres au contrat de mandat.

Section II : La violation par un autre intermédiaire de son obligation

d’information et de conseil.

Page 4: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

3

Titre II : Le concours de la faute du client à la réalisation du préjudice.

Section I : L’ingérence du client.

Section II : Le silence du client après réception des avis d’opéré.

Page 5: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

4

INTRODUCTION

« Les clients tentent de tirer de l’aléa judiciaire ce que celui des marchés financiers ne

leur a pas donné »1.

Cette phrase de Henri Hovasse décrit parfaitement l’esprit qui anime les clients dans le

contentieux de responsabilité des intermédiaires financiers.

La bourse a connu les dernières décennies un développement considérable. Elle n’est

plus réservée, comme autrefois, à la couche aisée de la population2. Bonne évolution des

indices boursiers, multiplication des produits et des marchés pour satisfaire aussi bien les

investisseurs les plus prudents et patients que les plus spéculateurs et impatients., accessibilité

facile par l’utilisation des nouvelles technologies, tous les ingrédients sont présents pour que

les valeurs mobilières constituent un investissement attrayant tant pour l’épargne des

particuliers que pour les disponibilités des entreprises. Ces particuliers ou ces entreprises

recourent alors de plus en plus souvent à un investissement boursier en constituant un

portefeuille de valeurs mobilières.

Cependant, la gestion rationnelle d’un portefeuille de valeurs mobilières est une chose

d’expert. Elle nécessite un suivi quotidien des marchés mais aussi une connaissance des

techniques boursières3. Les investisseurs se trouvent donc face à un triple choix. La première

possibilité s’ adresse à ceux qui sont confiants à leurs capacités en matière boursière. Il s’agit

de gérer le portefeuille de manière personnelle. Ils passent alors seuls les ordres pour effectuer

des opérations dont ils assument la pleine responsabilité. Ils peuvent simplement recevoir des

conseils de manière accessoire par l’intermédiaire qui assure la tenue de leur compte.

1 H. Hovasse, note sous CA Paris, 14 mai 1992, Dr des sociétés, 1992, comm. n° 213. 2 B.Vignéron, « Quels récours pour les épargnants victimes des aléas de la Bourse ? », Dr. et patrimoine, 1997,

p.48. 3M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », Jur. Class. Banque et crédit, fasc. 2210, n°1, p.3.

Page 6: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

5

La deuxième possibilité qui s’ouvre aux investisseurs quant à la gestion de leurs

portefeuille, consiste à continuer à gérer de manière personnelle leur portefeuille, tout en

ayant recours à un professionnel qui exerce la fonction de conseil de placement en valeurs

mobilières. Ce professionnel, n’effectue pas des actes de disposition pour le compte de son

client mais lui adresse simplement, contre rémunération, des conseils d’ achat ou de vente de

valeurs mobilières.

La dernière possibilité des investisseur, qui nous intéresse plus particulièrement dans

le cadre de ce mémoire consiste à avoir recours aux services d’un gestionnaire de portefeuille

de valeurs mobilières.

La gestion de portefeuille est selon l’ article 4 de la loi MAF du 2 juillet 1996, un

service d’investissement. Le contrat de gestion de portefeuille est un mandat aux termes

duquel, le client confie à un intermédiaire spécialisé le soin de gérer en son nom et pour son

compte son portefeuille d’instruments financiers. Le gestionnaire de portefeuille procède alors

au nom et pour le compte de son client à des actes de disposition sur les actifs de celui-ci.

La loi MAF a encadré l’activité de gestion de portefeuille. Elle est exercée par les

prestataires de service d’investissement et les établissements de crédit ayant reçu un agrément

spécial pour fournir des services d’investissement. L’article 21 interdit à toute personne autre

qu’un prestataire de services d’investissement d’assurer pour le compte de tiers la gestion de

portefeuille. L’article 15 de la loi précise que les entreprises qui exercent à titre principal la

gestion pour compte de tiers prennent le nom de sociétés de gestion de portefeuille.

La gestion de portefeuille est « individuelle » lorsque elle est exercé pour le compte

des particuliers ou des entreprises ou « collective » lorsque elle est exercée pour le compte

d’une OPCVM. Il faut dorénavant préciser qu’ en matière de gestion collective le préjudice du

client n’a pas soulevé de problème en jurisprudence.

La motivation de chaque investisseur en bourse qui confie son portefeuille à un

gestionnaire professionnel est de réaliser des plus values. Cependant, ces profits ne peuvent

jamais être certains. Si l’investissement boursier peut s’avérer profitable, il peut aussi générer

Page 7: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

6

des pertes. « Spéculer en bourse c’est toujours prendre des risques »4. Les pertes peuvent être

le résultat soit de la mauvaise situation économique des émetteurs des valeurs mobilières qui

composent le portefeuille, soit d’une crise plus générale des marchés boursiers. Concernant

ces crises, la réalité économique des dernières années montre que la bourse n’est jamais à

l’abri de turbulences qui font chuter les indices boursiers et qui créent un sentiment

d’insécurité aux investisseurs. On peut se rappeler de la crise asiatique, ou de la crise russe ou

encore plus récemment de la crise des valeurs de la nouvelle technologie. Ces turbulences,

compte tenu de la mondialisation de l’économie, par un effet de « domino », se généralisent et

affectent presque l’ensemble des places mondiales.

Mais les effets d’une crise boursières ne se limitent pas à la chute des indices des

marchés financiers. La crise boursière entraîne aussi une crise aux relations entre les

gestionnaires de portefeuille, et leurs clients, relations qui pourtant, en vertu du contrat de

mandat sont basées sur la confiance ! Les clients, mécontents, déçus et souvent ruinés, après

une crise boursière ont une réaction presque naturelle. Ils essayent de faire supporter au

gestionnaire les pertes qu’ils ont subi. Ils refusent donc presque systématiquement de combler

leur passif et ils tentent d’engager la responsabilité de leur mandataire.

Telle a été la situation après le krach boursier d’octobre 1987. Après ce krach on a

assisté à un développement considérable des contentieux qui opposaient les gestionnaires de

portefeuille à leurs clients, contentieux qui alimentent encore la jurisprudence mais qui lui ont

permis de tracer les lignes directrices de la responsabilité du mandataire.

La responsabilité du gestionnaire de portefeuille de valeurs mobilières est

nécessairement contractuelle car elle a sa source dans le contrat de mandat qui unit

juridiquement ce gestionnaire à son client. Le client, pour obtenir réparation, doit démontrer

la faute du gestionnaire, un préjudice ainsi que la relation de cause à effet entre la faute et ce

préjudice.

En examinant la jurisprudence en la matière, on se rend rapidement compte que le

point central dans le contentieux de responsabilité du gestionnaire de portefeuille est la faute.

4 Anne Leborgne, « Responsabilité civile et opérations sur le marché boursier », RTD com,1995, p. 263.

Page 8: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

7

Les efforts des clients et de leurs conseils se concentrent à la démonstration de la faute du

gestionnaire. Ils essayent de prouver que ce dernier a transgressé une des obligations qui lui

incombent en vertu du contrat de gestion de portefeuille. Il faut donc examiner brièvement

quelles sont ces obligations.

Les obligations du gestionnaire de portefeuille, sont en premier lieu celles qui

incombent à tout mandataire. Il s’agit principalement de l’obligation d’exécuter la mission

que le mandant lui a confié, c’est à dire de gérer le portefeuille de son client, de le conseiller,

ainsi que de rendre compte au mandant de la gestion qu’il effectue de son affaire. Compte

tenu de la spécificité des produits gérés et les risques que les marchés financiers présentent,

les obligations du gestionnaire de portefeuille ont été précisées par le législateur et les

autorités du marché, c’est à dire la COB et le CMF.

Premièrement, le gestionnaire de portefeuille de valeurs mobilières assume vis à vis de

son client un devoir d’information. Ce devoir d’information commence à peser sur le

gestionnaire avant la conclusion du mandat et se prolonge pendant son exécution.

Concernant l’obligation d’information pré contractuelle, son contenu varie en fonction

des marchés et en fonction du client. Plus précisément, en vertu de l’article 58-5° de la loi

MAF et de l’article 3-3-5 du Règlement général du CMF, le gestionnaire de portefeuille doit

informer son client sur les caractéristiques et les risques des produits financiers qu’il envisage

d’acquérir et des opérations qu’il envisage d’effectuer. Cette obligation d’information est

renforcée pour les marchés à terme par l’obligation faite au gestionnaire de remettre à son

client une note d’information spéciale pour ces marchés5. L’obligation d’information pré

contractuelle varie aussi en fonction des connaissance du client. Le gestionnaire est alors

allégé de son obligation si le mandant est un opérateur averti qui connaît les mécanismes

boursiers6.

L’obligation d’information du gestionnaire de portefeuille se prolonge pendant l’

exécution du mandat par l’envoi à son client des avis d’opéré après l’exécution de chaque

5 Article 3 Règlement 97-02 COB. 6 Voir en ce sens :Cass. com., 27 janvier 1998, Banque et droit, 1998, p. 31, obs. H. de Vauplane ; CA Paris, 7

mai 1999, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 1999, p. 599, note L. Ruet.

Page 9: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

8

opération ainsi que par l’envoi de manière périodique des documents qui retracent la situation

du portefeuille.

Le devoir d’information du gestionnaire de portefeuille se couple avec une obligation

de conseil7. Il s’agit de conseiller le client de manière positive ou négative pour l’orienter

dans sa prise de décision8. Ce devoir de conseil est important pour le choix du client quant

aux différentes types de produits qui vont composer son portefeuille et les opération que le

gestionnaire sera autorisé à effectuer.

Le gestionnaire de portefeuille de valeurs mobilières doit, enfin, gérer le patrimoine

boursier de son client avec diligence et loyauté, au mieux des intérêts de ce dernier.

Toutes ces obligations constituent pour les gestionnaires de portefeuille des sources de

responsabilité. La réaction des gestionnaires de portefeuille face à la multiplication des

sources de leur responsabilité était d’insérer au contrats de clauses limitatives ou élusives de

responsabilité. Par ces clauses, les gestionnaires n’acceptent leur responsabilité que dans

certains cas c’est à dire pour certaines types de faute. Ces clauses, conformément au droit

commun en présence d’un client « consommateur », peuvent être déclarées abusives

lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet de créer au détriment du client un déséquilibre

significatif entre les droits et obligations des parties au contrat9. En plus si elles sont valables

elles restent inopérantes en présence d’une faute lourde ou d’un dol du gestionnaire10.

Si la faute constitue, le plus souvent, le point central dans les contentieux de la

responsabilité du gestionnaire de portefeuille, le préjudice du client n’est pas un point

négligeable. La preuve d’un préjudice est une condition de l’engagement de la responsabilité

du gestionnaire conformément au droit commun des obligations11. La réparation de ce

préjudice par le gestionnaire de portefeuille fautif est la motivation principale si non unique

7 Article 58 loi MAF. 8 J. M. Bossin et G. de Lambilly, « Le mandat de gestion de portefeuille individuel et la responsabilité des

intermédiaire », Banque et droit, 1998, p. 5. 9 Article L 132-1 code de la consommation. 10 M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc. n°142 et suiv. p. 29 et suiv. ; H. de Vauplane, J.-P.

Bornet, « Droit des marchés financiers », Litec, 1998, n° 962, p. 815. 11 Article 1149 code civil.

Page 10: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

9

du client qui engage la responsabilité de son mandataire. Une fois que la faute du gestionnaire

de portefeuille est prouvée, le client à droit à réparation de son préjudice, le principe étant

celui de la réparation intégrale12. Mais pour fixer le montant de la réparation, il faut

nécessairement déterminer quel est ce préjudice que le gestionnaire doit réparer dans son

intégralité13. C’est alors cette question de la détermination du préjudice du client qui nous

occupera dans une première partie.

Comme on a déjà évoqué précédemment, généralement tout se passe bien entre le

gestionnaire de portefeuille et son client jusqu’au moment où le portefeuille géré enregistre

des pertes. Les pertes sont alors le point de départ des « hostilités » qui finissent souvent à une

« bataille » judiciaire. L’étude de la jurisprudence nous montre que les clients demandent la

réparation par le gestionnaire de l’ensemble des pertes qu’ils ont subi. Mais faut-il mettre à la

charge du gestionnaire même fautif toutes ces pertes enregistrées sur les comptes du client ?

Les opérations boursières sont par nature des opération aléatoires. Les analystes

financiers essayent d’élaborer des méthodes pour évaluer avec certitude les risques des

marchés financiers14. Si toutes ces tentatives sont restées vaines, elles arrivent à une

conclusion commune. C’est que le risque zéro n’existe pas en matière boursière. L’aléa

boursier est toujours présent et les marchés boursiers ne sont jamais à l’abri d’une crise plus

ou moins importante. Pourtant, « les turbulences de la bourse et les perte qu’elles peuvent

entraîner pour le épargnants malheureux, ne sont pas, en elles mêmes des raisons

d’incriminer les intermédiaires financiers » 15et en ce qui nous intéresse, le gestionnaire de

portefeuille. Une fois que le client a été normalement informé sur les risques que présentent

les marchés boursiers, il doit supporter les conséquences de ces risques qu’il a décidé

d’encourir. Face alors à la tentative des clients de faire supporter par le gestionnaire de

portefeuille l’ensemble des pertes qu’ils ont subi, la jurisprudence décide de manière 12 Cass. civ., 30 juillet 1877, DP 1878. 1. 24. ; Cass. civ., 9 novembre 1953, D. 1954, p.5. 13 Il faut noter que le montant de la réparation peut aussi être fixé par une clause pénale qui figure dans le contrat

de gestion. Ces clauses elles sont soumises au règles du droit commun concernant les clauses pénales et elles ne

vont pas nous occuper car elles sont rares. Voir : M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc.n°

147, p. 30. On ne va pas non plus s’intéresser au cas ou le montant de la réparation est fixé par les parties à

l’amiable. 14 M.Berthelot et C.Gildé, « Les risques de marché à la loupe », Banque magazine, n° 600, février 1999, p. 18. 15 B. Vignéron, « Quels recours pour les épargnants victimes des aléas de la Bourse ? », préc., p. 48.

Page 11: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

10

constante que les pertes dues à l’aléa boursier ne constituent pas un préjudice réparable par le

mandataire. La jurisprudence est arrivée à l’exclusion des pertes du client dues à l’aléa

boursier à travers la définition de la nature de l’obligation de gestion qui pèse sur le

gestionnaire de portefeuille. On verra que dés 1971, il a été décidé que cette obligation

constitue une obligation de moyen. La conséquence de cette qualification est que la seule

existence de pertes ne suffit pas pour que la responsabilité du gestionnaire soit engagée étant

donné qu’il n’ a aucune obligation de réaliser des profits par le gestion qu’il effectue du

portefeuille de son client. Pour que la responsabilité du gestionnaire soit engagée il faut que le

client démontre que son mandataire a commis une faute, l’existence de cette faute étant

appréciée par rapport au comportement d’un professionnel normalement diligent et prudent

placé dans les mêmes conditions de lieu et de temps. Le gestionnaire de portefeuille ne répond

que des pertes dues à sa faute, à l’exclusion des pertes dues à l’aléa boursier. La comparaison

des résultats qu’aurait obtenu le professionnel normalement diligent avec ceux obtenus par le

gestionnaire de portefeuille permet de déterminer les pertes qui sont dues à la faute de ce

dernier.

Si cependant, les pertes dues à l’aléa boursier sont en principe exclues du préjudice

réparable il y a des cas de figure où le client obtient la réparation de l’ensemble de son

préjudice même si objectivement il est dû totalement, ou pour partie, aux risques des marchés

boursiers.

Tel est le cas premièrement lorsque une clause contractuelle met à la charge du

gestionnaire de portefeuille une obligation de résultats quant à la réalisation de plus values.

Les gestionnaires de portefeuille connaissent bien que la crainte principale de leurs clients est

de voir leur capital investi en bourse partir en éclat après une crise boursière. Pour attirer donc

leur clientèle ils proposent dans les contrats de gestion une clause promettant un rendement

annuel garanti ou un meilleur rendement que l’évolution de certains indices boursiers. Quand

une telle clause figure dans le contrat qui unit les parties, le gestionnaire assume quant à la

réalisation de plus values une obligation de résultat. La conséquence de cette qualification de

la nature de l’obligation qui pèse sur le gestionnaire est que la seule preuve par le client que

les résultats promis par sont mandataire n’ont pas été atteints suffit à engager sa

responsabilité, la faute de ce dernier et le lien de causalité étant présumés. Il doit alors réparer

le préjudice subi par son client et lui procurer les résultats promis. La seule possibilité qui

reste au gestionnaire pour éviter l’engagement de sa responsabilité est de prouver,

Page 12: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

11

conformément au droit commun de la responsabilité, que l’inexécution de son obligation est

due à une cause étrangère c’est à dire à un cas de force majeure ou à un cas fortuit. Le

problème donc qui se pose directement est de savoir si le gestionnaire peut être exonéré en

démontrant que les résultats qui ont été promis à son client n’ont pas été atteints à cause d’une

crise qui a affecté les marchés financiers. Autrement dit, il s’agit de savoir si une crise

boursière présente les caractéristiques de la force majeure. En l’absence de réponse

jurisprudentielle claire sur ce sujet on pourrait dire qu’aucune crise boursière n’est pas

totalement imprévisible. En plus, le client qui paye à son gestionnaire une rémunération plus

élevée pour bénéficier de la clause de résultat il le fait exactement pour se prémunir des

risques que présente une crise boursière. Le gestionnaire de portefeuille alors, quand il assume

en vertu d’une clause contractuelle une obligation de résultat il doit réparer l’ensemble du

préjudice subi par son client et cela même dans le cas où le fait que ce résultat n’a pas été

atteint est dû à l’aléa boursier.

Le cas où le gestionnaire de portefeuille assume une obligation de résultat en vertu

d’une clause contractuelle n’est pas l’unique dans lequel le client obtient pleine satisfaction.

Le gestionnaire de portefeuille est amené à réparer l’ensemble du préjudice subi par le client

même si objectivement il est dû en totalité, ou pour partie à l’aléa boursier, lorsque il a

commis une faute particulièrement grave.

Le gestionnaire de portefeuille commet une faute particulièrement grave

premièrement, lorsque il effectue des opérations en dépassement des termes de son mandat.

Les pouvoirs du gestionnaire sont définis par le contrat de gestion qui l’unit juridiquement à

son client. Ce contrat, obligatoirement écrit, détermine les objectifs de la gestion et confère au

mandataire les pouvoirs nécessaires pour effectuer une gestion prudente ou une gestion plus

dynamique par l’intervention à des marchés qui présentent un fort effet de levier. Lorsque le

gestionnaire portefeuille dépasse ses pouvoirs et effectue sans l’autorisation de son client des

opérations dans des marchés à haut risque, la jurisprudence qui raisonne en termes de

responsabilité et pas en termes de nullité , met à sa charge l’ensemble du préjudice subi par le

client sans examiner d’avantage la qualité de sa gestion.

La situation est la même en cas d’opérations effectuées par le gestionnaire après qu’il

soit révoqué par son client. En effet, commet tout mandant, le client peut révoquer le

gestionnaire de portefeuille à tout moment. Lorsque une telle révocation a eu lieu et le

Page 13: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

12

gestionnaire continue à réaliser des actes de disposition sur les titres qui composent le

portefeuille, il doit remettre à son client un portefeuille à la situation à la quelle il se trouvait

au moment de la révocation et supporter l’ensemble du préjudice subi par le client à cause de

ces opération. Ici non plus la qualité de la gestion effectuée par le gestionnaire après la

révocation n’est pas prise en compte.

Enfin, jusqu’à une certaine époque récente, le gestionnaire de portefeuille devait

supporter la totalité de pertes subies par son client lorsqu’il avait procédé à une substitution de

mandataire sans l’autorisation du mandant. On verra que tel n’est plus le cas actuellement. La

jurisprudence, en faisant une application exacte des règles du droit commun du mandat,

décide que le client ne peut engager la responsabilité du gestionnaire initial que si le

gestionnaire substituant a commis une faute dans sa gestion et il ne répond que des pertes

dues à cette faute du gestionnaire substituant.

Une fois le pertes dues à l’aléa boursier exclus, le préjudice subi par le client n’est pas

réparable de manière automatique. Pour qu’il soit réparable, il doit, conformément au droit

commun de la responsabilité, présenter le caractère de la certitude. Qu’il soit actuel ou futur,

le préjudice du client ne sera mis à la charge du gestionnaire de portefeuille que s’il est

certain, la réparation d’un préjudice éventuel ou hypothétique étant exclue.

Le problème de la certitude se pose lorsque le créancier d’une obligation inexécutée

invoque que son préjudice consiste à la perte d’une chance. La perte d’une chance est la

privation de la possibilité de bénéficier d’un évènement favorable. La théorie de la perte d’une

chance, ayant été développée surtout à propos de la responsabilité des médecins ou des

avocats, récemment elle a été mise en œuvre aussi dans le cadre de la responsabilité du

gestionnaire de portefeuille, les clients invoquant la perte d’une chance de limiter leurs pertes

ou de réaliser des plus values. La jurisprudence, depuis plus d’un siècle, a consacré le principe

de la réparation du préjudice qui consiste à la perte d’une chance. Cependant, elle a posé des

condition. Etant donné que le principe reste celui de la réparation du seul préjudice certain, le

client doit apporter la preuve que la chance perdue était réelle et sérieuse. Une fois que cet

obstacle surmonté, on se confronte au problème de l’évaluation de cette chance pour fixer le

montant de l’indemnisation. Cette évaluation étant assez complexe en matière de gestion de

portefeuille de valeurs mobilières compte tenu de la spécificité de ces produits et la

complexité des mécanismes boursiers, les juges, comme il font dans d’autres domaines, ils ont

Page 14: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

13

recours aux services d’un expert. L’étude, enfin, de la jurisprudence nous montre qu’ en

matière de gestion de portefeuille la théorie de la perte d’un chance n’est pas toujours mise en

œuvre de manière très orthodoxe.

L’objectif du client qui engage la responsabilité de son mandataire chargé de gérer son

portefeuille de valeurs mobilières est d’obtenir réparation du préjudice qu’il a subi. Après

donc avoir déterminé le préjudice réparable du client, il faudra examiner si le gestionnaire

fautif aura à supporter la totalité de la charge de la réparation. On analysera dans une

deuxième partie que la dette de réparation du gestionnaire de portefeuille peut être limitée.

D’après le droit commun de la responsabilité, lorsque plusieurs fautes commises par

différentes personnes ont concouru à la réalisation d’un même dommage, il y a entre les

auteurs de ces fautes un partage de responsabilité.

En matière de responsabilité du gestionnaire de portefeuille, s’il s’avère que le

préjudice réparable du client est dû aussi bien à la faute du gestionnaire qu’a celle d’un autre

intermédiaire financier ou du client lui-même, un partage de responsabilité serait envisageable

de sorte que la dette de réparation du gestionnaire serait diminuée.

Plus précisément, la responsabilité pour le préjudice du client peut être partagée

premier lieu entre le gestionnaire de portefeuille et un autre intermédiaire financier. En effet,

le gestionnaire n’est pas le seul intermédiaire avec lequel le client est en relation. Pour investir

en bourse, il a nécessairement recours aux services d’un teneur de compte auprès duquel il a

ouvert son compte titres et qui souvent assure aussi la fonction d’exécution des ordres. Cet

intermédiaire assume vis à vis de son client des obligations, le non respect des quelles est

constitutif d’une faute. Si cette faute a concouru avec la faute du gestionnaire un partage de

responsabilité entre les deux intermédiaires sera prononcé.

En examinant la jurisprudence, on se rend compte que les fautes les plus courantes du

teneur de compte qui ont conduit à un partage sont de deux sortes :

La première hypothèse est celle dans laquelle le teneur de compte a transgressé son

obligation de vérifier la conformité des ordres du gestionnaire aux termes du contrat de

gestion. Cette obligation de vérification était mise à la charge du teneur de compte par

Page 15: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

14

l’ancien règlement des agents de change mais elle a été supprimée en 1989 par le Règlement

général du CBV. En l’état actuel du droit, la non vérification des ordres ne constitue pas une

faute de la part du teneur de compte et donc elle ne peut pas conduire à un partage de

responsabilité avec le gestionnaire.

La seconde hypothèse dans laquelle un partage de responsabilité a été fréquemment

décidée est celle dans laquelle le teneur de compte n’a pas satisfait à son obligation

d’information et de conseil. En effet, la jurisprudence, dans un premier temps, et la loi

ensuite, chargent d’une obligation d’information et de conseil, non seulement le gestionnaire

de portefeuille mais chaque intermédiaire financier avec lequel le client est en relation. La

jurisprudence récente a d’ailleurs élargi l’obligation de conseil du teneur de compte qui va

jusqu’à un devoir d’alerter son client pour la gestion anormale effectuée par le gestionnaire de

son portefeuille de valeurs mobilières.

Dans le cas où un partage de responsabilité est décidé entre le gestionnaire de

portefeuille et le teneur de compte, en vertu de la règle de l’obligation in solidum, le client

pourra demander la réparation totale de son préjudice par l’un ou l’autre intermédiaire.

Cependant, en ce qui concerne la contribution finale à la dette, celui qui a acquitté la totalité

de la dette de réparation disposera une action récursoire contre l’autre pour les sommes payés

en trop. La dette finale du gestionnaire de portefeuille sera ainsi limitée à proportion de la

participation de sa faute à la réalisation du préjudice du client.

Si, mis à part le gestionnaire, un autre intermédiaire financier peut être à la source du

préjudice du client, ce préjudice peut être dû aussi à un agissement fautif du client lui même.

Cet agissement fautif du client peut premièrement consister à son silence après la

réception des avis d’opéré ou des relevés périodique que lui adresse le gestionnaire de son

portefeuille. La jurisprudence affirme qu’en principe le client n’est pas tenu de suivre

l’évolution de son compte et de réagir. Cependant, il peut commettre une faute lorsqu’il a

manqué de vigilance alors que son mandataire l’avait mis en garde ou lorsque il a gardé une

attitude passive alors que sur ces documents apparaissaient des anomalies flagrantes.

La faute du client peut aussi provenir de son immixtion dans la gestion menée par le

gestionnaire de portefeuille. Ce gestionnaire conserve en principe une certaine liberté quant

aux suites à donner aux instructions du client. Cependant, dans le cas où ces instructions sont

Page 16: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

15

claires précises et urgentes il est tenu de les exécuter. L’immixtion du client qui a compromis

la gestion de son portefeuille peut être considérée comme fautive.

Dans l’hypothèse où la faute du client est démontrée, il y aura un partage de

responsabilité avec le gestionnaire de portefeuille fautif. Cependant, dans ce cas la règle de

l’obligation in solidum ne sera pas applicable. Le gestionnaire sera exonéré partiellement de

sa responsabilité et il ne devra réparation au client qu’à proportion de la contribution de sa

faute à la réalisation du préjudice. Sa dette de réparation sera alors directement allégée.

Pour aborder donc le problème du préjudice réparable du client par le gestionnaire de

portefeuille de valeurs mobilières fautif on va procéder de la manière suivante : On analysera

dans un premier temps la détermination du préjudice du client (première partie), pour

examiner ensuite la limitation de la dette de réparation du gestionnaire en cas de partage de

responsabilité (deuxième partie).

Page 17: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

16

PREMIERE PARTIE

La détermination du préjudice du client

Le préjudice dont la réparation est demandée par le créancier d’une obligation

inexécutée peut être matériel, corporel ou moral. En matière de responsabilité du gestionnaire

de portefeuille de valeurs mobilières, le problème du préjudice corporel ou moral ne se pose

pas, le préjudice invoqué par le client étant uniquement un préjudice matériel. Ce préjudice

matériel, conformément à l’ article 1149 du code civil peut consister soit à la perte éprouvée

par le créancier d’une obligation inexécutée, soit à un gain manqué du fait de l’ inexécution de

l’obligation.

Le contentieux de la responsabilité du gestionnaire de portefeuille trouve généralement

sa source aux pertes enregistrées sur le compte des clients surtout à la suite des crises

boursières telles que le krach de l’octobre 1987 ou la crise qui a suivi la guerre du Golf en

1992. Un grand nombre des clients refusaient alors systématiquement de combler leur passif

ou ils engageaient directement la responsabilité de leurs gestionnaires. Le préjudice des

clients dans ces contentieux ne présentait aucune « surprise » : ils demandaient tout

simplement par leur mandataire de les indemniser pour la totalité des pertes qu’ils ont subi !

Le climat de l’époque se prêtait à des telles « revendications » : Réglementation de plus en

plus rigoureuse de l’activité de gestion de portefeuille, accroissement de sources de sa

responsabilité, tout était mis en œuvre pour créer aux investisseurs un sentiment de sécurité

pour qu’ils continuent à investir leur épargne en bourse en procurant ainsi le financement qui

assurera la prospérité des sociétés cotées.

Cependant, les opération boursières sont par nature des opérations aléatoires. Si elles

peuvent générer de profits de manière à satisfaire leur initiateur, elles peuvent aussi provoquer

des pertes. Il s’agit donc des opérations risquées. La jurisprudence, consciente de cette réalité

exclut alors, dans le cadre de la responsabilité du gestionnaire de portefeuille, la réparation

des pertes dues à l’aléa boursier (TITRE I)

Page 18: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

17

Une fois que ces pertes exclues, le client n’obtient pas satisfaction que si il démontre

que son préjudice est certain. En règle générale, la certitude du préjudice du client en matière

de responsabilité du gestionnaire de portefeuille ne pose pas de problème si ce n’est que

lorsque ce dernier invoque que la faute de son mandataire l’a privé de la chance d’éviter les

pertes ou de réaliser des plus values. (TITRE II)

TITRE I : L’exclusion du préjudice dû à l’aléa boursier

Les dernières années on assiste à un accroissement étonnant des sources de

responsabilité des intermédiaires financiers. Les intermédiaires assument par exemple des

obligations d’information et de conseil même dans des cas où ils ne sont pas rémunérés pour

ces services. C’est par exemple le cas lorsque l’intermédiaire financier est uni à son client par

un contrat de simple tenue de compte16. Parallèlement, après le krach boursier de 1987, il y a

eu un développement du contentieux contre les intermédiaires financiers. Les clients, en

engageant la responsabilité des intermédiaires, ils essayent de faire supporter à ces derniers

les mauvais résultats du cours des actions qui composent leur portefeuille.

Le problème s’est posé particulièrement pour les gestionnaires de portefeuille qui

gèrent de manière autonome le patrimoine boursier de leurs clients. Ces derniers, mécontents

de mauvais résultats qui apparaissent sur leurs comptes, ils tentent à imputer sur la gestion

effectuée par leur mandataire les conséquences souvent catastrophiques des récessions

boursières.

Face à cette situation et devant le danger de voir les intermédiaires financiers

systématiquement condamnés à indemniser leurs clients, comme l’indique un auteur, se sont

développés en jurisprudence des « îlots de résistance »17. En l’occurrence il s’agit de

l’exclusion par la jurisprudence de la réparation du préjudice dû à l’aléa boursier en

16 Article 58 loi MAF. 17 A. Leborgne, « Responsabilité civile et opérations sur le marché boursier », préc., p. 276 et suiv.

Page 19: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

18

considérant que le gestionnaire n’assume quant à la réalisation de plus values qu’une

obligation de moyen.(SECTION I)

Cependant, si les pertes dues à l’aléa boursier ne sont pas en principe réparables par le

gestionnaire de portefeuille, il y a aussi des hypothèses où le client obtient pleine satisfaction,

le gestionnaire de portefeuille étant amené à l’indemniser pour l’ensemble de son préjudice

même si objectivement il est dû totalement ou pour partie à l’aléa boursier.(SECTION II)

SECTION I : L’obligation de moyen du gestionnaire quant à la

réalisation de plus values.

Les interventions aux marchés boursiers sont par nature des interventions à risque. Le

degré de ce risque dépend de la nature du marché dans lequel les opérations sont effectuées.

Le marché à terme ou le marché à options sont ceux qui sont les plus dangereux à cause de

l’important effet de levier. Ces marchés « peuvent rapporter gros mais peuvent faire aussi

perdre beaucoup »18. De manière plus générale l’aléa est présent à tous les marchés boursiers.

A nos jours, et compte tenue de la mondialisation de l’économie, l’évolution des indices

boursiers est influencée par des facteurs économiques aussi bien que par des événements

politiques, nationaux et internationaux, de sorte que personne n’est en position de prévoir

cette évolution de manière certaine et précise. Les clients en décidant d’investir leur argent à

des valeurs mobilières, normalement ils ont été informés par chaque intermédiaire financier

avec lequel ils sont entrés en relation sur les risques inhérents aux marches boursiers19 et sont

censés les avoir accepté. Il serait donc fortement injuste de faire supporter par le gestionnaire

de portefeuille les pertes qui sont la conséquence directe de cet aléa qui affecte les marchés

boursier et qui sont détachées complètement de la gestion que ce gestionnaire a effectué du

portefeuille de son client. La jurisprudence a voulu alors décharger le gestionnaire de la

responsabilité concernant les pertes dues à l’aléa boursier et de faire supporter au client lui

même les risques de la spéculation.

18 CA Paris, 12 avril 1996, JCP, 1996, G., II, 22705, note Ph. Le Tourneau ; Banque et droit, 1996, p. 29, obs. H.

de Vauplane. 19 Article 58 loi MAF.

Page 20: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

19

La jurisprudence est arrivé à l’exclusion de la réparation par le gestionnaire de

portefeuille des pertes du client dues à l’aléa boursier à travers la détermination de la nature

de l’obligation de gestion qui pèse sur le mandataire.

Le résultat recherché par le client qui confie la gestion de son portefeuille de valeurs

mobilières à un gestionnaire est de réaliser des profits. L’obligation principale donc qui est à

la charge du mandataire est de gérer au mieux le portefeuille de son client pour obtenir des

plus values. Face au problème de la détermination de la nature de cette obligation de gestion

du gestionnaire, et en l’absence de clause spéciale dans le contrat qui détermine la nature de

cette obligation, les juges se sont confrontés à une double choix.

La première option était de considérer que cette obligation de gestion en vue de

réaliser des plus values était une obligation de résultat. Dans un tel cas, le mandataire du

client serait tenu d’obtenir par sa gestion des profits satisfaisants et l’inexécution de son

obligation serait établie du seul fait que ces résultats n’ont pas été obtenues et ce, même si

c’est la conséquence de la mauvaise évolution des indices boursiers. Il s’agit donc de

soumettre le gestionnaire de portefeuille au régime de l’article 1147 du code civil qui

concerne l’obligation de résultat.

La seconde option à la quelle se sont confrontés les juges était de considérer que le

gestionnaire de portefeuille assume une obligation de moyen. Dans un tel cas, sa

responsabilité ne peut être engagée à cause de la simple existence de pertes ou la non

réalisation des plus values. Le gestionnaire n’ayant pas promis des bénéfices à son client ,il

n’est tenu que de mettre tout en œuvre dans sa gestion pour obtenir ces bénéfices. Par

conséquent, même si le résultat souhaitable par le client n’est pas réalisé, la responsabilité du

gestionnaire de son portefeuille ne peut être engagée que si la mandant apporte la preuve que

son mandataire a commis une faute dans la gestion qu’il a effectué, c’est à dire qu’il ne s’est

pas comporté en bon père de famille. Il s’agit alors de soumettre le gestionnaire de

portefeuille au régime de l’article 1137 du code civil qui concerne l’obligation de moyen.

La jurisprudence affirme de manière constante que l’obligation qui est à la charge du

gestionnaire quant à la gestion qu’il effectue du portefeuille de son client pour la réalisation

Page 21: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

20

des plus values est une obligation de moyen20. Sa responsabilité ne peut être engagée que si il

a commis une faute dans sa gestion, les pertes subies par le client n’étant réparables que si

elles sont dues directement à cette faute du gestionnaire à l’exclusion, donc, de celles qui sont

dues à l’aléa boursier.

Cette position de la jurisprudence n’est pas surprenante. Traditionnellement, le

caractère aléatoire ou non du résultat recherché par un contrat constitue un critère primordial

pour la distinction entre obligation de moyen et obligation de résultat21. Lorsque l’exécution

d’une obligation comporte une grande partie de risque quant à la réalisation du résultat

souhaité, le débiteur de cette obligation ne peut pas être tenu comme responsable si ce résultat

ne se réalise pas. C’est le cas pour la responsabilité du médecin en cas de non guérison du

patient, ou de la responsabilité de l’avocat en cas de perte d’un procès. C’est dans ce cadre

que s’inscrit aussi la responsabilité du gestionnaire de portefeuille à cause de l’existence de

l’aléa boursier. Comme tout mandataire22 il ne répond que des fautes commises dans sa

gestion. Il n’est tenu qu’à la réparation du préjudice du client dû à cette faute et pas du

préjudice qui est causé par les fluctuations des marchés boursiers.

Une fois que la nature de l’obligation du gestionnaire quant à la gestion qu’il effectue

du portefeuille de son client déterminée comme obligation de moyen, il reste à savoir

comment examiner si le gestionnaire de portefeuille a satisfait ou non à son obligation de

moyen.

L’ article 1137 du code civil ,pour déterminer si le débiteur d’une obligation de moyen

a commis une faute, nous amène à comparer son comportement avec celui d’un bon père de

famille. Il s’agit donc de comparer de manière abstraite le comportement du débiteur avec

20Cass. com., 12 juillet 1971, D. 1972, p. 153, note C. Galvada ; RTD Com.,1972, p.144, obs. M. Cabrillac ; CA

Paris, 25 novembre 1988, D. 1990, p.9, note M. Storck ; CA Paris, 11 mars 1992, JCP, éd.E, 1992, pan. p. 525 ;

CA Paris, 23 septembre 1993, D. 1994, somm. p. 213, obs. Ph. Delebeque ; CA Paris, 12 avril 1996, préc. ; CA

Paris, 7 avril 1999, Epoux Lévy c./ Société Louxor Capital Market, et autre, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1999, p.464, note I. Riassetto ; Aussi, M. Storck, «Les sociétés de gestion de portefeuille », préc., n°

131 et suiv.p.27 et 28. 21G. Viney, P. Jourdain, «Les conditions de la responsabilité », L.G.D.J., 2ème éd., 1998, n° 541, p.460 ; F. Terré,

Ph. Simler, Yves Lequette, « Les obligations », Précis Dalloz, 7ème éd., 1999, 560, p. 529. 22Article 1992 code civil.

Page 22: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

21

celui qu’aurait eu un autre débiteur normalement diligent et prudent placé sous les mêmes

conditions de lieu et de temps.

Concernant le gestionnaire de portefeuille, pour déterminer s’il a commis une faute

dans sa gestion, il faut examiner « s’il a rempli la mission qui lui a été confiée par ses clients

en mettant en œuvre tous les moyens nécessaires à servir au mieux leurs intérêts »23. Pour

conclure à l’existence d’une faute, les juges apprécient le comportement du gestionnaire par

rapport à ce d’un professionnel avisé.(compte tenu des difficultés techniques concernant le

fonctionnement des marchés boursier, les juges ont le plus souvent recours à un expert). Le

gestionnaire a l’obligation de placer les fonds de son client comme le ferrait un bon

professionnel placé dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, suivant les usages

bancaires et boursiers de la place24, sa gestion étant appréciée dans son ensemble25. Le

gestionnaire doit gérer le portefeuille de son client en bon père de famille26, qu’il soit chargé

par le contrat d’opérer une gestion « prudente » ou une gestion « dynamique » ou

« spéculative » par l’intervention sur des marchés qui présentent un fort effet de levier27. S’il

ressort de la comparaison avec le comportement du professionnel avisé que le gestionnaire de

portefeuille n’a pas commis de faute dans sa gestion, la jurisprudence a clairement affirmé

que la seule existence des pertes ne suffit pas à engager le responsabilité du gestionnaire28.

Les pertes enregistrées sur les comptes du client ne sont que la conséquence de la mauvaise

évolution des indices boursiers, ces pertes ne constituent pas un préjudice réparable par le

gestionnaire non fautif. Un exemple très clair nous est fourni sur ce sujet par l’arrêt de la Cour

23H. de Vauplane, « La responsabilité civile des intermédiaires », RDBB, 1999, p.228. 24 C. Gavalda, note sous arrêt 12 juillet 1971, préc. 25 CA Paris, 29 juin 1983, D. 1983, inf. rap., p. 349. 26 L’article 2000 du code civil consacre l’obligation de tout mandataire d’agir avec prudence. Concernant les

intermédiaires financiers, l’article 58 2°de la loi MAF énonce des règles de bonne conduite dans l’ exercice de

leur activité parmi lesquelles on trouve l’obligation d’agir avec diligence au mieux des intérêts de leurs clients. 27 On n’est pas d’accord avec la distinction que font certains auteurs entre gestion « spéculative » et gestion « en

bon père de famille ».( Ph. Le Tourneau, note sous CA Paris, 12 avril 1996, préc., H. de Vauplane, obs. sur CA

Versailles, 30 mai 1996 et CA Paris, 12 avril 1996, Banque et droit 1996, p.29). Le contrat prévoit soit une

gestion « prudente » soit une gestion « spéculative » (ou « dynamique »). Que la gestion soit prudente ou

spéculative il faut qu’elle soit faite en bon père de famille. La gestion spéculative n’est pas faite en bon père de

famille si elle est « effrénée » et « téméraire ».( Cass. com., 1er février 1994, RJDA, 1995, n° 33) 28 CA Paris 12 avril 1996, préc. ;CA Paris, 14 décembre 1998, Joly Bourse et produits financiers, 1999, p. 153,

note L. Ruet.

Page 23: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

22

d’appel de Paris du 23 septembre 199729 où la Cour a réaffirmé le principe de l’obligation de

moyen qui pèse sur le gestionnaire et a confirmé le caractère non réparable du préjudice

résultant de l’aléa boursier. Plus précisément, en l’espèce, le client mécontent des pertes

enregistrées sur son compte suite au krach de 1987, essaye de faire supporter ces pertes au

gestionnaire de son portefeuille. La Cour d’appel ne satisfait pas les prétentions du client et

affirme que le gestionnaire chargé d’un mandat de gestion « n’était pas tenu d’une obligation

de résultat et il n’est pas établie que sa gestion a été maladroite, objectivement anormale ou

aberrant au regard de la gestion que le mandant pouvait attendre sur le marché à terme ;

qu’en effet, l’essentiel des pertes a été enregistrée en raison du krach du mois d’octobre 1987

dont les effets , tout particulièrement brutaux, sur le marché ne peuvent être imputés au

gestionnaire ».

Par conséquent, s’il s’avéré de la comparaison avec le professionnel diligent que le

gestionnaire de portefeuille n’ a pas commis de faute dans sa gestion, cette absence de faute

ne permet pas l’engagement de sa responsabilité. Si par contre il s’avère qu’il a commis une

faute il ne doit réparer que le préjudice qui est uni à cette faute par une relation de cause à

effet, à l’exclusion, donc, des pertes dues à l’aléa boursier.

Dans le cas où la faute du gestionnaire de portefeuille est prouvée, la comparaison des

résultats obtenus par le gestionnaire en question avec ceux qu’aurait obtenu le professionnel

avisé, va permettre de déterminer la quote part du préjudice du client qui est du à la faute du

gestionnaire et qui mérite réparation et celle due à l’aléa boursier et qui restera à la charge du

client. C’est dans ce sens que s’est prononcée la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 29

juin 1983 où elle a énoncé que« pour calculer le montant des pertes résultant d’une mauvaise

gestion, il convient de comparer les résultats obtenus par la société de gestion avec ceux

obtenus si la gestion avait été celle d’un mandataire normalement diligent et compétent30 ».

Le gestionnaire de portefeuille de valeurs mobilières n’a pas l’obligation de réaliser

des plus values par sa gestion. Ces plus values sont l’objectif de tous ceux qui investissent en

bourse mais leur réalisation est aléatoire. Le gestionnaire doit simplement utiliser au mieux de

l’intérêt de son client tous les moyens dont il dispose pour que des plus values soient

29 CA Paris, 23 septembre 1997, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 1998, p. 15, note F. Peltier. 30 CA Paris, 29 juin 1983, D., 1983, inf. rap., p. 349.

Page 24: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

23

réalisées. Il ne peut pas être tenu responsable pour des pertes dues à des facteurs qu’il ne peut

pas maîtriser. Les pertes dues à l’aléa boursier restent ,par conséquent, à la charge du client

qui en décidant d’investir en bourse il assume les risque inhérentes à ces opérations. En cas de

contentieux alors, les prétentions des clients qui, en règle générale, « tentent leur chance » et

demandent une indemnisation pour la totalité des pertes qu’ils ont subi ne sont pas satisfaites

par la jurisprudence. Pourtant, s’il en est ainsi dans la majorité des cas, certaine décisions

jurisprudentielles mettent à la charge du gestionnaire la totalité des pertes subies par le client

même si objectivement elles sont dues totalement, ou pour partie, à l’aléa boursier.

SECTION II : La réparation exceptionnelle par le gestionnaire du

préjudice résultant de l’aléa boursier.

Si en principe le préjudice du client qui est dû à la mauvaise évolution des indices

boursiers constitue un préjudice qui n’est pas réparable par le gestionnaire de portefeuille,

l’étude de la jurisprudence nous montre qu’il y a des cas où le mandataire est amené à réparer

l’ensemble du préjudice du client.

On peut distinguer deux cas de figure où le client obtient pleine satisfaction : Le

premier cas se présente lorsque le gestionnaire assume en vertu d’une clause contractuelle une

obligation de résultat et le deuxième, lorsque il commet certaines fautes d’une gravité

particulière.

§1. : En présence d’ une clause contractuelle mettant à la charge du

gestionnaire une obligation de résultat quant à la réalisation de plus

values.

Comme il a été analysé précédemment, le préjudice résultant de l’aléa boursier ne

constitue pas un préjudice réparable par le gestionnaire de portefeuille, car l’intervention sur

le marché boursier est une opération qui présente des risques, le gestionnaire, n’assumant

quant à la réalisation de plus values qu’une obligation de moyen. Tel est le cas lorsque le

contrat qui unit juridiquement le gestionnaire de portefeuille à son client ne précise pas la

Page 25: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

24

nature de l’obligation qui pèse sur l’intermédiaire. Or, il se peut que cette nature soit précisée

par une stipulation contractuelle. Plus précisément, il se peut que le contrat de mandat de

gestion de portefeuille prévoit que le gestionnaire de portefeuille assume quant à la réalisation

de plus values une obligation de résultat. Il s’agit du cas de figure dans lequel, le contrat qui

unit les parties contient certaines clauses par lesquelles le gestionnaire assure à son client un

certain rendement dans une période donnée ou assure un meilleur rendement que l’évolution

de certains indices boursiers. Si une telle clause figure dans le contrat l’obligation du

gestionnaire quant à la réalisation des plus values n’est plus une obligation de moyen mais

une obligation de résultat car le mandataire a effectivement promis un certain résultat.

Sur ce point la jurisprudence est sans équivoque. Presque tous les arrêt qui consacrent

le principe de l’obligation de moyen du gestionnaire de portefeuille quant à la gestion qu’il

effectue du portefeuille de son client pour la réalisation de plus values, réservent le cas où les

parties, par une clause contractuelle en ont décidé autrement. On peut citer l’ exemple de l’

arrêt de la Cour d’ appel de Paris du 18 mars 1997 dans lequel les termes utilisés par la Cour

sont très clairs31. En l’ espèce, le client a voulu engager la responsabilité du gestionnaire de

son portefeuille en invoquant que ce dernier ne s’ est pas comporté de manière normalement

diligente en effectuent des placements présentant un degré très important de risque. La Cour,

après avoir vérifié l’étendu de pouvoirs dévolus au gestionnaire par le contrat qui unissait les

parties, a énoncé que : « …s’il disposait des pouvoirs les plus étendus, l’obligation du

gestionnaire demeurait en tout état de cause une obligation de moyens, aucun engagement

n’ayant été souscrit par lui de garantir la bonne fin des opérations initiées et notamment

pas celui de procurer à son mandant une évolution du portefeuille meilleure que celle d’ un

portefeuille composé de valeurs servant au calcul de tel ou tel indice déterminé. ». On peut

se référer aussi à un autre exemple plus récent. Il s’agit de l’arrêt de la même juridiction du 16

mars 1999 qui a rappelé que l’ obligation du gestionnaire est une obligation de moyen « faute

de clauses particulières prévoyant par exemple un rendement garanti »32

Il est donc clair que place est laissée à la volonté des parties qui peuvent prévoir que le

gestionnaire assumera une obligation de résultat quant à la réalisation des plus values.

31 CA Paris, 18 mars 1997, RDBB, 1998, p. 147, obs. M. Germain, M.-A. Frison Roche. 32 CA Paris, 16 mars 1999, Lévy c./Boucher, Bull.Joly Bourse et produits financiers, 1999, p.362, note L. Ruet.

Page 26: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

25

Après avoir analysé qu’une clause contractuelle peut mettre à la charge du

gestionnaire une obligation de résultat quant à la réalisation par sa gestion de plus values, il

convient à présent d’examiner la conséquence de l’ existence d’une telle clause sur la

détermination du préjudice réparable par le gestionnaire de portefeuille en cas d’ engagement

de sa responsabilité.

Comme il a été dit précédemment, quand une telle clause existe, le mandataire

assume quant à la réalisation de plus values une obligation de résultat. La conséquence directe

de cette nature de l’ obligation du gestionnaire est que conformément au droit commun de la

responsabilité contractuelle et plus précisément aux termes de l’ article 1147 du code civil, la

seule preuve par le client que le résultat promis par le gestionnaire n’ a pas été atteint, ainsi

que la preuve d’ un dommage suffit à engager sa responsabilité pour inexécution de son

obligation contractuelle, la faute du gestionnaire ainsi que le lien de causalité étant présumés.

Le gestionnaire ne peut s’ exonérer qu’ en prouvant que cette inexécution est due à une cause

étrangère c’est à dire un cas de force majeure ou un cas fortuit33. Le dommage peut consister

tout simplement à la non réalisation des profits promis par le gestionnaire de portefeuille. Le

gestionnaire doit donc réparer l’ ensemble du préjudice subi par le client, même si tout ou

partie de ce préjudice est dû à l’aléa boursier dont le gestionnaire n’ a pas la maîtrise.

Mais peut-il invoquer cet aléa boursier en tant que cause étrangère et plus précisément

comme un cas de force majeure qui justifie l’ inexécution de son obligation de résultat de

réaliser des plus values ?

Prenons par exemple le cas d’un gestionnaire de portefeuille qui s’est engagé par une

clause du contrat à assurer à son client un rendement annuel de 10%. Imaginons alors que

survient un krach, comme celui de l’octobre 1987 qui a bouleversé les marchés boursiers, et

les comptes du client enregistrent de fortes pertes. Le gestionnaire doit il réparer le préjudice

du client qui est constitué par les pertes qu’il a subi et la plus value annuelle de 10%, ou peut-

il être exonéré de sa responsabilité ? Une réponse positive suppose que le krach puisse être

considéré comme un cas de force majeur.

Pour qu’un évènement soit considéré comme un évènement de force majeur il faut

qu’il présente trois caractéristiques : il faut qu’il soit extérieur à la personne du débiteur de

33 Article 1148 code civil.

Page 27: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

26

l’obligation, il faut qu’il rende l’exécution impossible mais aussi qu’ il présente un caractère

imprévisible et irrésistible pour le débiteur34. Le caractère qui pourrait poser problème en

matière de krach boursier, serait l’imprévisibilité.

La jurisprudence, en se prononçant sur la responsabilité d’un gestionnaire de

portefeuille qui n’assumait qu’une obligation de moyen et en recherchant si il a commis une

faute, a énoncé qu’un krach comme celui de 1987 était totalement imprévisible35. En absence

d’exemple jurisprudentiel qui tranche la question, et en raisonnant par analogie, on pourrait

supposer qu’en présence d’un gestionnaire qui assume une obligation de résultat, la solution

serait la même. Par conséquent, le gestionnaire serait exonéré de sa responsabilité et il

n’aurait à réparer ni les pertes, ni les plus values manqués du client.

Cependant, à notre avis une telle solution serait discutable. Premièrement, on pourrait

se demander si tous les krachs, ou, dans le cas où le phénomène n’a pas l’ampleur d’ un krach,

toutes les crises boursières, sont totalement imprévisibles. Il faut noter par exemple que durant

les premiers mois de l’an 2000 plusieurs analystes avaient souligné la surévaluation des action

des entreprises de la nouvelle économie et avaient estimé qu’une crise boursière était

imminente, malgré que le moment exact ou l’ampleur de la crise ne pouvaient pas être prévus.

Cette crise a finalement eu lieu. Il y a donc des éléments de fait qui doivent certainement être

pris en compte par les juges.

Ensuite, la jurisprudence, pour décider du caractère prévisible ou non d’un événement,

s’attache à des critères accessoires d’anormalité, de soudaineté, de rareté36. A notre avis, une

crise boursière peut être soudaine ou anormale mais la réalité des dernières années prouve

qu’elle n’est pas rare. En effet, si une crise boursière est totalement imprévisible quant au

moment exacte auquel elle va survenir ou quant à son ampleur, elle reste prévisible quant à

son principe, c’est à dire que le gestionnaire qui a accepter d’assumer une obligation de

résultat, aurait pu prévoir que les marchés boursiers sont par principe

34 F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, « Les obligations », préc., n°557, p.522 et suiv. 35 Cass. com., 16 février 1999, Epx Martin Ruiz c./ Société CDC Bourse, Dr. des sociétés, 1999, comm. n° 63,

obs. H. Hovasse ; RDBB 1999, p.101, obs. M. Germain et M.A. Frison Roche. 36 F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, « Les obligations », préc., n°557, p. 522 et suiv. Voir aussi, Cass. civ.,21

janvier 1918, D.1918.1.9. ; Cass. 1ère civ., 7 mars 1966, JCP, G, 1966, II, 14878, note J. Mazeaud.

Page 28: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

27

Enfin, quand le gestionnaire de portefeuille, assume par une clause contractuelle une

obligation de résultat, il perçoit une rémunération plus élevée que celle qu’il aurait perçu si

cette clause n’existait pas. En d’autres termes, la rémunération perçue par le gestionnaire

constitue la contrepartie du risque pris, y compris celui résultant d’un éventuel krach boursier.

Le client qui accepte alors de payer une telle rémunération, cherche à mettre son patrimoine

boursier à l’abri d’évènements défavorables tels qu’une crise boursière. Il serait donc injuste

de considérer ces évènements totalement imprévisibles et décharger le gestionnaire de

l’obligation de réparer le préjudice subi par son client.

En attendant donc les décisions de la jurisprudence, il serait à notre avis opportun de

considérer que quand une clause contractuelle charge le gestionnaire de portefeuille d’ une

obligation de moyen quant à la réalisation de plus values, celui-ci doit répondre de l’

ensemble du préjudice subit par le client et lui procurer par voie de réparation le résultat

promis, même si une partie des pertes subie par le client est due à l’aléa boursier contre lequel

il n’ était pas en situation de réagir.

Même en absence d’une clause de garantie de rendement, le gestionnaire de

portefeuille peut être amené à indemniser son client pour l’ensemble du préjudice que ce

dernier a subi, s’ il a commis une faute particulièrement grave.

§2 En cas de faute particulièrement grave du gestionnaire.

Mis à part le cas où dans le contrat de mandat de gestion de portefeuille figure une

clause de résultat, l’étude de la jurisprudence montre qu’ il y a des cas de figure où les juges

mettent à la charge du gestionnaire de portefeuille l’ensemble du préjudice subi par leur

client, même si il est dû en totalité ou en partie à l’aléa boursier. Plus précisément, les juges

donnent pleine satisfaction au client ,lorsque le gestionnaire a commis une « faute

particulièrement grave »37.Le gestionnaire de portefeuille commet une telle faute lorsqu’il

effectue des opérations en dépassement de ses pouvoirs ou après qu’il soit révoqué par son

37M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc., n°150, p.30.

Page 29: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

28

mandant, ou enfin lorsqu’il s’est substitué à un autre mandataire sans l’autorisation expresse

du client.

I : Le dépassement par le gestionnaire des termes de son

mandat.

Le contrat qui unit le gestionnaire de portefeuille à son client est un contrat de mandat,

soumis au régime du droit commun. Par ce contrat, le mandant confère au mandataire tous les

pouvoirs nécessaires pour faire face à la mission qui lui est confiée. Le mandataire agit en tant

que représentant du mandant, c’est à dire au nom et pour le compte de ce dernier. Les actes

accomplis par le mandataire n’engagent que le seul mandant. Les pouvoirs que confèrent le

mandant au mandataire sont définis dans le contrat qui établi leur relation juridique.

En matière de gestion de portefeuille, « le client donne pouvoir au gestionnaire

d’accomplir des actes juridiques d’administration et de disposition portant sur les valeurs

mobilières, les titres financiers, les espèces composant le portefeuille »38. Dans ce domaine, le

législateur, dans un souci de protection du client, considéré comme ’’partie faible’’ au contrat,

et pour que les pouvoirs conférés au gestionnaire soient clairement définis, exige la

conclusion d’une convention écrite39. Cette exigence on la retrouve dans l’article 21 du

règlement 96-03 de la COB.

Cette convention écrite doit comporter certaines mentions obligatoires. L’article 11 du

règlement 96-02 de la COB précise que parmi d’ autres, le contrat de mandat doit mentionner

les objectifs de la gestion et les catégories d’instrument financiers que peut comporter le

portefeuille. Le contrat, délimite les pouvoirs du gestionnaire et démontre les risques que le

client a voulu assumer. En règle générale, le client se trouve face à un double choix auquel on

s’est référé brièvement auparavant. Premièrement, le client peut décider de confier le pouvoir

nécessaire au gestionnaire pour qu’il effectue une gestion dite « prudente ».Il s’ agit d’ une

gestion qui consiste à investir sur certains produits et sur certains marchés qui ne génèrent pas

38M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc., n°3, p.4. 39 Article 64 loi MAF.

Page 30: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

29

de profits spectaculaires mais présentent en revanche moins de risques quant à la réalisation

des pertes. En deuxième lieu, le client peut opter pour une gestion plus spéculative. Cette

gestion peut générer de grands profits mais aussi des pertes considérables. On parle de gestion

« dynamique ».Les produits qui vont composer le portefeuille du client et les marchés dans

lesquels le gestionnaire pourra effectuer des opérations pour le compte de son mandataire sont

déterminés en fonction des objectifs de gestion choisi par ce dernier.

Le législateur et les autorités du marché imposent au gestionnaire de portefeuille une

obligation d’information et de conseil pré contractuelle pour que le choix du client entre une

gestion prudente ou dynamique soit fait d’une manière éclairé. Le gestionnaire doit alors

informer le client sur le fonctionnement des différents marchés et spécialement sur les risques

que chacun d’eux présente40.

On voit donc que le client, en optant dans le contrat de mandat de gestion de

portefeuille de valeurs mobilières pour une gestion dynamique ou pour une gestion prudente,

détermine les risques inhérents aux marché ou aux produits qu’il entend assumer. Par

conséquent, la définition des objectifs de gestion dans le contrat signé entre le client et l’

intermédiaire financier limite la liberté de gestion de ce dernier.

Là où commencent les difficultés, c’ est lorsque le gestionnaire de portefeuille a

dépassé les pouvoirs qui lui sont conférés par le contrat de mandat et effectue un mode de

gestion autre que celui décidé par le client. L’hypothèse la plus courante et qui donne souvent

lieu à des contentieux se présente lorsque le gestionnaire a procédé à une gestion spéculative,

par exemple en intervenant aux marchés à terme ou aux marchés à options, qui a généré de

pertes importantes pour le client alors que le contrat n’autorisait qu’ une gestion prudente. Le

dépassement de mandat s’accompagne souvent d’une violation de l’obligation d’information

du gestionnaire sur les risques que présentent les marchés sur lesquels il a effectué les

opérations litigieuses. Le problème juridique qui se pose dans ce cas de figure est le suivant :

faut-il appliquer encore dans ce cas le principe de non réparation des pertes résultant de l’ aléa

boursier et les laisser à la charge du client bien qu’il n’ avait pas choisi d’ assumer ces

risques ?

40 Article 58 loi MAF et 3-3-5 Règlement général CMF.

Page 31: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

30

En droit commun du mandat, lorsque le mandataire dépasse ses pouvoirs,

conformément à l’article 1998 al.2 du code civil, l’effet de représentation ne s’opère pas.

L’acte accompli par le mandataire en dépassement de ses pouvoirs de son mandat est entaché

de nullité41. Cette nullité est relative42, le mandant pouvant ratifier l’acte. Cependant, la

jurisprudence va plus loin : elle estime que la sanction du dépassement des pouvoirs doit être

l’inexistence de l’ acte accompli, ce qui techniquement, se présente comme une nullité

absolue43. Etant donné qu’il s’agit d’une nullité, il n’y a pas lieu de réparation d’un préjudice

mais remise en état des choses pour effacer les conséquences de l’ acte nul. Donc, le mandant

n’ a pas à démontrer un préjudice.

En matière de mandat de gestion de portefeuille, en cas de dépassement par le

gestionnaire de ses pouvoirs, la jurisprudence raisonne en termes de responsabilité et pas en

termes de nullité, ce qui est « moins orthodoxe »44. Le dépassement par le gestionnaire de ses

pouvoirs est constitutif d’ une faute contractuelle indiscutable qui oblige le gestionnaire de

réparer le préjudice causé au client par les opérations en question45.

Dans un tel cas de dépassement de termes du mandat par le gestionnaire de

portefeuille, celui-ci doit réparer l’ ensemble du préjudice subi par le client par les opérations

litigieuses et cela sans s’interroger d’avantage sur la qualité de sa gestion46. Il doit donc

réparation intégrale au client même si la totalité ou une partie de son préjudice est due à l’aléa

boursier.

Cette solution s’explique par le fait que le gestionnaire a fait supporter à son client des

risques que ce dernier n’avait pas l’intention d’encourir en vertu du contrat de gestion. C’est

41 A. Benabent, « Les contrats spéciaux », Montchrestien, 4ème éd.,1999, n°674, p.385. 42 Cass. civ. 1ère , 25 mai 1992, JCP, G, 1992, IV, 2118. 43 J.Huet, « Les principaux contrats spéciaux », LGDJ, 1996, n°31211. 44 M.Germain, «Responsabilité du gestionnaire en cas de mandat individuel », Banque et droit, 2000, p. 14. 45 Illustrations : Cass.civ., 9 février 1983, D., 1983, I.R., p.472 ; Cass.com, 13 juin 1995, bull.civ, IV, n°173, D.,

1996, p.71, note I.Najar; JCP, G, 1995, II, n°22501, note M.Storck, Bull. Joly Bourse et produits financiers,

1995, p. 392, note H.de Vauplane ;CA Paris, 14 décembre 1998, préc. On peut citer aussi l’arrêt de la Cour d’

appel d’Angers du 25 juin 1995 (Juris-Data n°053421) où la Cour énonce clairement que le gestionnaire d’un

portefeuille commet une faute et n’ agit pas en bon père de famille lorsqu’ il réalise, sans l’accord exprès du

mandant des opérations sur des titres sensibles, fragiles et spéculatifs. 46J.J. Essombé Moussio, «La responsabilité des gestionnaires de portefeuille », Dr. et patrimoine, 1996, p. 39.

Page 32: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

31

par la faute du gestionnaire que le client a encouru ces risques et a subi les pertes inhérentes à

une gestion fortement spéculative à laquelle il n’a pas consenti. A l’origine de la prise de

risques il y a une faute du gestionnaire. J.-M.Bossin et G. de Lambilly soulignent que « le

gestionnaire n’ a pas à supporter les pertes qui sont la conséquence des objectifs choisis dans

le contrat de mandat en connaissance de risques par le client »47. A contrario, nous pouvons

ajouter que le client ne doit supporter que les conséquences des risques qu’il a, lui, décidé

d’encourir. Le gestionnaire doit, donc, supporter l’ ensemble du préjudice subi par le client

même si objectivement il est du à l’aléa boursier.

Pour illustrer ces propos, on peut se référer à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27

juin 199848. En l’espèce, la Cour, après avoir conclu à l’existence d’un mandat de gestion de

portefeuille en l’absence de convention écrite, a considéré que le gestionnaire a commis une

faute en procédant à des opérations spéculatives (reports sur le marché à règlement mensuel,

achats et ventes d’options négociables), sans autorisation expresse du client et sans avoir

remis au client la note d’information propre au MONEP. Concernant le préjudice subi par le

client, ce dernier demande le remboursement du montant des pertes enregistrées sur son

compte ainsi qu’une somme correspondante à la perte d’une chance de valoriser son

portefeuille en proportion de l’évolution de l’indice CAC 40. La Cour a rejeté les prétention

basées sur la perte d’une chance (on examinera ce point ultérieurement) mais elle a mis à la

charge du gestionnaire l’ensemble des pertes subies par le client et cela, sans s’interroger

d’avantage sur la qualité de la gestion effectuée par l’intermédiaire. Par conséquent ces pertes

sont assumées par le gestionnaire qui a dépassé ses pouvoirs même si elles sont dues en

totalité ou en partie aux mauvaises évolutions des marchés.

On peut citer aussi l’exemple de l’arrêt du 13 juin 199549. La mise initiale du client

était de l’ordre de 2.000.000. de francs. Après les opérations effectuées par le gestionnaire en

dépassement de ses pouvoirs le client récupère seulement 800.000. Le préjudice du client est

alors fixé à 1.000.000. La réparation correspond alors pratiquement à la totalité des pertes

47 J. M. Bossin et G. de Lambilly, « Le mandat de gestion de portefeuille individuel et la responsabilité des

intermédiaires », préc., p.7. 48 CA Paris, 27 juin 1998, de Blegiers c./société Transbourse, Bull. Joly Bourse et produits financier, 1998, p.

245, note J.J. Essombè Moussio. 49Cass. com., 13 juin 1995, préc.

Page 33: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

32

générées par les opérations litigieuses, sans prendre en considération la qualité de la gestion

du gestionnaire.

II : Opérations effectuées après révocation du gestionnaire par le client.

Selon l’ article 2003 du code civil, une des manières dont le mandat prend fin est la

révocation du mandataire par le mandant. Le mandant est libre de révoquer le mandataire à

tout moment et de mettre fin à leur relation juridique. Plus précisément, l’article 2004 du code

civil qui traite de la révocation, prévoit que « le mandant peut révoquer sa procuration quand

bon lui semble, et contraindre, s’il y a lieu, le mandataire à lui remettre, soit l’écrit sous

seing privé qui la contient, soit l’original de la procuration, si elle a été délivrée en brevet,

soit l’expédition, s’il en a été gardé minute ».

Mise à part la révocation par le mandant, le mandat peut prendre fin aussi par la

renonciation du mandataire50. La liberté de rompre le rapport contractuel bénéficie également

au mandataire sous réserve d’indemnisation du mandant si la renonciation du mandataire lui

est préjudiciable.

Ces dispositions du code civil sont naturellement applicables au mandat de gestion de

portefeuille de valeurs mobilières. Le règlement 96-02 de la COB réaffirme le principe de la

libre révocabilité du mandat et précise les conditions de sa mise en œuvre par le gestionnaire

de portefeuille et son client. Après la révocation du contrat de mandat, le gestionnaire de

portefeuille est tenu de dénouer les opérations en suspens sur des instruments financiers à

terme ou à règlement différé sauf opposition expresse du mandant51. Mises à part ces

opérations en suspens, le gestionnaire de portefeuille ne peut pas effectuer d’autres opérations

sur le portefeuille de son client, ses pouvoirs ayant été révoqués.

50 Article 2003 code civil. 51 Instruction COB prise en application de l’ article 11 dernier alinéa de son règlement n° 96-02 : Bull. COB, n°

309, janvier 1997, p. 46 ; M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc., n° 157, p. 31.

Page 34: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

33

Si, pourtant, le gestionnaire effectue de telles opérations, selon la jurisprudence, il doit

supporter la « pleine responsabilité du préjudice »52. Le gestionnaire doit effectivement

restituer le portefeuille du client à la situation qu’il se trouvait au moment de la révocation du

mandat. Il doit donc réparation pour l’ensemble du préjudice subi par le client sans

s’interroger d’avantage sur l’opportunité des opérations effectuées après la révocation du

mandat. Il supportera, alors, les pertes engendrées par ces opérations même si elles sont dues

à l’aléa boursier53.

III : Substitution de mandataire non autorisée par le client.

La substitution de mandataire est parfois indispensable pour parvenir à une meilleure

efficacité de gestion dans l’intérêt du client. C’est la raison pour laquelle les gestionnaires de

portefeuille y ont fréquemment recours. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que le contrat

de mandat est un contrat intuitu personae, c’est à dire un contrat où la personne du mandataire

est importante pour le mandant. C’est la raison pour laquelle l’autorisation du mandant est

nécessaire pour qu’une substitution de mandataire soit effectuée.

Les problèmes commencent lorsque le gestionnaire initial n’a pas demandé

l’autorisation du mandant et ce dernier ,mécontent de la gestion de son portefeuille, essaye de

faire supporter les pertes au gestionnaire avec lequel il a initialement contracté.

En droit commun du mandat, lorsque le mandataire initial a demandé l’autorisation du

mandant pour procéder à une substitution, il est déchargé de la responsabilité concernant les

fautes commises par le mandataire substituant54. Cette solution s’applique également dans le

cadre d’un mandat de gestion de portefeuille.

Les choses se compliquent lorsque le mandataire n’a pas demandé l’autorisation du

mandant. La solution dans une telle situation est donnée par l’article 1994 du code civil. Cette

article énonce que « le mandataire répond à celui qu’il s’est substitué dans la gestion : 1° 52 Cass. com., 15 octobre 1996, RJDA, 1997, n° 367. 53 Illustration : CA Paris, 1O mai 1994, RJDA, 1995, n° 32, p. 29. 54 Article 1998 code civil, a contrario.

Page 35: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

34

quand il n’a pas reçu le pouvoir de se substituer quelqu’un, 2° quand un pouvoir lui a été

conféré sans désignation d’une personne, et que celle dont il a fait était notoirement

incapable . Dans tous les cas, le mandant peut agir directement contre la personne que le

mandataire s’est substitué.». Il ressort de cet article que la substitution non autorisée par le

mandant n’est pas interdite. Elle a pour seul effet de rendre le mandataire initial responsable

du fait de celui qu’il s’est substitué, contre lequel le mandant peut agir directement, mais la

responsabilité du mandataire substitué ne peut être engagée que s' il a commis une faute.

En matière de substitution de gestionnaire de portefeuille de valeurs mobilières, la

solution semblait ne pas être la même jusqu’à une certaine époque. En effet, l’article 11 du

Règlement 96-01 de la COB prévoit que le mandataire ne peut déléguer une partie de la

gestion de portefeuille sans avoir obtenu l’accord préalable exprès du mandant. Telle était

aussi la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 9 avril 199655 , a énoncé

clairement que la substitution du gestionnaire est interdite si elle n’a pas été autorisée par le

client. La cour justifie cette solution par le fort intuitu personae que présente le contrat de

gestion de portefeuille, « dans lequel la personnalité du mandataire choisi constitue un

élément essentiel ».

Concernant le préjudice réparable du client, cette solution avait la conséquence

suivante : dans le cas où le gestionnaire de portefeuille avait procédé à une substitution du

mandataire sans autorisation préalable du client, ce dernier pouvait engager sa responsabilité

et demander une remise en l’état de son portefeuille à la situation où il se trouvait avant la

substitution du gestionnaire. Par conséquent, le gestionnaire initial supportait l’ensemble du

préjudice subi par le client et il importait peu que le gestionnaire substitué n’avait pas commis

de faute dans sa gestion et que les pertes ou les moins values enregistrées étaient dues à l’aléa

boursier.

Cependant, cette solution semble aujourd’hui être remise en cause par la Cour de

cassation. En effet , dans un arrêt du 2 décembre 199756, la Cour a fait une application à la

55 Cass. com, 9 avril 1996, D. aff. 1996, p. 671. Voir aussi : CA Metz , 26 novembre 1962 : Dr. sociétés, 1993,

comm. n° 130, obs. H. Hovasse. 56 Cass. com., 2 décembre 1997 : JCP, G., 1998, n° 10160, p. 1766, note M. Storck ; RDBB, 1998, n° 67, p. 79,

note H. Hovasse ; Dr. sociétés, 1998, n° 49, p. 17, note H. Hovasse ; Joly Bourse et produits financiers, 1998, p.

147, note P. Le Cannu.

Page 36: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

35

lettre de l’article 1994 dans le cadre d’un mandat de gestion de portefeuille et a affirmé que la

substitution de gestionnaire non autorisée n’est pas interdite, mais elle a pour seul effet de

rendre le gestionnaire responsable de la gestion de celui qu’il s’est substitué57. En

conséquence, en l’état actuel de la jurisprudence, si la substitution n’ a pas été autorisée, le

client peut engager la responsabilité du gestionnaire initial, mais seulement dans le cas où le

nouveau mandataire a commis une faute dans la gestion qu’il a effectué. Il ne peut obtenir

réparation que pour le préjudice qui est dû à cette faute. Le principe de l’exclusion des pertes

dues à l’aléa boursier s’applique donc normalement.

Une fois les pertes dues à l’aléa boursier exclues, la réparation du préjudice n’est pas

automatique. Pour que le préjudice du client soit réparable, il faut qu’il présente certains

caractères.

TITRE II : Le préjudice certain : Le problème de la perte d’une

chance

« Tous les dommages que suscite la vie en société ne donnent pas lieu à

réparation ».58

En droit commun de la responsabilité contractuelle, le préjudice, pour qu’il soit

réparable, doit présenter certains caractères. Il doit être certain, direct et prévisible.

Concernant la prévisibilité, le débiteur d’une obligation inexécutée ne doit réparer que le

préjudice qu’il a prévu ou qu’il aurait pu prévoir lors de la conclusion du contrat que

l’inexécution de son obligation aurait provoqué au créancier59. Le caractère prévisible du 57 Il faut noter que les commentateurs emettent des critiques car en l’espèce il ne s’agissait pas d’une substitution

de mandataire mais d’un nouveau contrat car le gestionnaire initial n’avait plus l’autorisation nécessaire pour

exercer cette proffession. Cepandant, en ce qui concerne la substitution du gesstionaire de portefeuille, la Cour a

affirmé de maniére générale l’application de l’article 1994 du code civil. 58F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, « Les obligations », préc., n°667, p. 630. 59 Article 1150 code civil.

Page 37: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

36

préjudice n’a pas posé de problème particulier en matière de responsabilité du gestionnaire de

portefeuille de valeurs mobilières.

Le caractères direct du préjudice se réfère au lien de causalité entre l’inexécution par

le débiteur de son obligation et le préjudice subi par le créancier. En matière de gestion de

portefeuille de valeurs mobilières, on a analysé ce problème à propos de l’exclusion des pertes

dues à l’aléa boursier et on le développera également à propos du partage de la responsabilité

entre le gestionnaire et son client ou un autre intermédiaire financier.

En ce qui concerne maintenant le caractère certain, pour que le préjudice subi par le

créancier d’ une obligation inexécutée soit réparable il faut qu’il présente le caractère de la

certitude. Cette exigence est présente qu’il s’agisse de la responsabilité contractuelle ou de le

responsabilité délictuelle. Il est de jurisprudence constante que le préjudice purement

« hypothétique »ou « éventuel » n’engage pas la responsabilité de son auteur et donc ne donne

pas lieu à réparation60.

Le préjudice certain, et par conséquent réparable, peut revêtir deux caractères qui se

référent au moment de sa réalisation dans le temps. En premier lieu, ce préjudice peut être un

préjudice actuel. On parle de préjudice actuel si il a été déjà réalisé au moment où le juge

statue. Ce préjudice, quand il est prouvé, ne présente pas de difficultés quant à sa certitude et

il donne droit à réparation. Cependant, la jurisprudence n’en est pas resté là. Elle considère

que constitue un préjudice qui engage la responsabilité de son auteur le préjudice qui ne s’est

pas encore réalisé au moment où le juge statue mais que sa réalisation est certaine dans

l’avenir. On parle alors de préjudice futur. Le préjudice futur mérite réparation s’il est

susceptible d’une évaluation immédiate au moment où le juge se prononce61.

60 Voir notamment : Cass. com., 19 juillet 1971, D.,1972, somm., p. 62 ; Cass. civ .2ème , 14 février 1985, JCP, G,

1985, IV, p.156. 61 Pour le préjudice futur, la jurisprudence a posé le principe de sa réparation dés 1932 (C.Cass., 1er juin 1932, S.,

1933, I, p. 49, note H.Mazeaud). La Cour a affirmé que : « s’il n’ est pas possible d’allouer de dommages et

intérêts en réparation d’ un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur

apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d’un état de choses de choses actuel et

comme étant susceptible d’une estimation immédiate ».

Page 38: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

37

En matière de contrat de gestion de portefeuille de valeurs mobilières il n’y a pas

d’exception au principe de la réparation du seul préjudice certain causé au client par le

gestionnaire fautif. En examinant la jurisprudence on constate que le préjudice pour lequel le

client demande réparation par l’intermédiaire est exclusivement un préjudice actuel. Ce fait

s’explique par les circonstances sous lesquelles le client engage la responsabilité du

gestionnaire de son portefeuille. En règle général il engage une procédure dans le cas où son

compte présente des pertes qu’il essaye de faire imputer à une faute du gestionnaire. Le

préjudice est donc déjà réalisé au moment ou le juges statue. Ce préjudice actuel comme on a

énoncé précédemment peut consister aux pertes enregistrées ou à la manque à gagner. L’arrêt

de la Cour d’Appel de Paris du 27 Janvier 1998 nous procure un exemple significatif de la

variété de pertes subies par le client ainsi que de la manque à gagner qui sont imputables aux

fautes du gestionnaire de portefeuille62. En l’ espèce, la Cour a considéré que constituent un

préjudice actuel, certain et par conséquent réparable les pertes enregistrées sur le compte du

client consécutives aux interventions réalisées sur le marché à règlement mensuel et sur le

MONEP ainsi que les frais liées à ces opérations car elles n’étaient pas autorisées par le

mandataire, les commissions perçues en trop par la rotation inutile du portefeuille du client

appelée pratique du « moulinage ».Dans cette même espèce, la Cour a aussi condamné le

gestionnaire à indemniser le mandataire pour le manque à gagner subi par ce dernier et qui a

consisté à la pertes de dividendes résultant de la dépréciation de son portefeuille imputable à

la société de bourse.

En résumant ce qui précède on peut dire que le principe qui régie le droit de la

responsabilité est que seul mérite réparation le préjudice certain, qu’il soit actuel ou futur, la

réparation du préjudice hypothétique étant exclue. Cependant, la « frontière » entre le

préjudice certain et le préjudice hypothétique n’ est pas toujours facile à tracer. Le problème

de la distinction entre ces deux types de préjudice se manifeste lorsque le demandeur à une

action en responsabilité invoque comme préjudice la perte d’une chance. La perte d’une

chance peut se définir comme « la disparition de la probabilité d’un évènement favorable »63.

La théorie de la perte d’une chance a donné lieu à des débats doctrinaux vifs. Le problème qui

s’est posé était de savoir si la perte de la possibilité de bénéficier d’un évènement favorable

mérite d’être réparée par la personne à la faute de laquelle cette perte est due. La difficulté

62 CA Paris, 27 janvier 1998, de Blegiers c/Société Transbourse, préc. 63 Cass. crim., 6 juin 1990, sect. B, n°224 , RT, 1991, p. 121, obs. P. Jourdain.

Page 39: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

38

vient du fait que le préjudice qui peut consister à la perte d’un chance est par sa nature un

préjudice aléatoire. L’aléa qui affecte ce préjudice vient du fait que la réalisation de

l’évènement favorable pour la victime n’est pas certaine car dans le cas contraire il s’ agirait

d’ un préjudice certain mais futur qui, comme on a vu précédemment, constitue un préjudice

réparable. Le dommage est aléatoire car « par définition la chance ne se réalise pas

toujours »64. Faut il donc réparer un tel préjudice compte tenu du principe général de la

réparation du seul préjudice certain ? En d’autres termes faut-il ou pas considérer que la

chance a un prix ? Dans l’affirmative sa perte doit donner lieu à réparation.

La jurisprudence, depuis plus d’un siècle, a posé le principe de la réparation de la perte

d’une chance. La manifestation jurisprudentielle la plus ancienne remonte à un arrêt de la

Cour de cassation du 17 juillet 188965. Dans cet arrêt la Cour a considéré que la faute d’un

officier ministériel qui a privé son client de la possibilité de poursuivre une procédure, a

provoqué pour ce dernier un préjudice qui réside dans la perte d’une chance de gagner un

procès et cette perte constitue un préjudice indemnisable.

Depuis cet arrêt la théorie de la perte d’une chance a trouvé application dans de

nombreux domaines, à propos de différents cas de responsabilité, notamment à propos de la

responsabilité médicale. Elle est mise en œuvre notamment pour indemniser la victime quand

le lien de causalité entre la faute et le préjudice final subi par la victime n’est pas certain.

C’est la cas par exemple quand on ne peut pas établir avec certitude que si le médecin n’aurait

pas commis de faute le patient aurait guéri. Elle a été invoquée aussi à propos de la

responsabilité des intermédiaires financiers et plus précisément à propos de celle du

gestionnaire de portefeuille de valeurs mobilières.

Dans le cadre de la responsabilité du gestionnaire de portefeuille de valeurs

mobilières, le préjudice qui consiste en la perte d’une chance est invoqué par les clients dans

la même logique qui gouverne ces contentieux et à la quelle on s’est référé à plusieurs reprises

auparavant : il s’agit de faire supporter par le gestionnaire de portefeuille les pertes

enregistrées sur le compte de leurs clients. Ces derniers invoquent donc que les agissement

fautifs de leurs mandataires leur ont causé un préjudice qui consiste en la perte d’une chance

64G. Viney, P. Jourdain, «Les conditions de la responsabilité », préc., n° 281, p. 78. 65 C.Cass., 17 juillet 1889, S., 1881.1.399.

Page 40: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

39

de multiplier leurs gains financiers par la spéculation boursière ou de limiter leurs pertes. On

verra dans un premier temps que la jurisprudence, en matière de responsabilité du

gestionnaire de portefeuille, a consacré la réparation de préjudice du client qui a perdu la

chance de bénéficier d’un évènement favorable. Cependant on constatera que la manière dont

la théorie de la perte d’une chance est mise en œuvre en matière de responsabilité du

gestionnaire de portefeuille de valeurs mobilières n’est pas toujours orthodoxe.

SECTION I : La réparation par le gestionnaire de portefeuille de la

chance perdue par son client de bénéficier d’un évènement

favorable.

Comme on a évoqué précédemment, dés 1889, la jurisprudence a considéré que la

chance a une certaine valeur et par conséquent sa perte constitue un préjudice réparable par l’

auteur de la faute à la quelle cette perte est due. Concernant la responsabilité des

intermédiaires financiers le premier arrêt qui consacre la réparation de la chance perdue

remonte, à notre connaissance, à 1932 et concernait la responsabilité d’un agent de change

pour l’exécution tardive d’un ordre de bourse66.Plus tard, la réparation de la chance perdue a

été consacrée aussi dans le cadre de la responsabilité du gestionnaires de portefeuille67.

L’acceptation du principe de la réparation par le gestionnaire de portefeuille du

dommage provoqué par sa faute à son mandataire et qui consiste à la perte d’une chance de

bénéficier d’un évènement favorable pose essentiellement deux problèmes qu’on rencontre de

manière plus générale à tous les cas de responsabilité où la théorie de la perte d’une chance

est mise en œuvre et qu’on examinera à partir de la jurisprudence concernant la gestion de

portefeuille de valeurs mobilières. Le premier problème concerne les conditions aux quelles la

jurisprudence subordonne la mise en œuvre de la théorie de la perte d’une chance et plus

précisément les caractères que la chance perdue doit présenter pour qu’elle soit prise en

compte. Le deuxième problème réside à évaluation de cette chance pour fixer le montant de

l’indemnisation, une fois considéré que sa perte constitue un préjudice réparable. 66 C.Cass., 26 mai 1932, S.32.1.387. Voir également : Cass. com., 10 decembre 1996, Bull. Joly bourse et

produits financiers, 1997, p. 205, note H. de Vauplane. 67 CA Paris, 12 avril 1996, préc.

Page 41: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

40

§1 : Les caractères de la chance perdue : l’exigence d’une

chance réelle et sérieuse.

La réparation de la perte d’une chance ne constitue pas une exception au principe de la

réparation du seul préjudice certain. La Cour de cassation dans son arrêt du 21 février 1977 a

énoncé par une formule sans équivoque que « l’élément de préjudice constitué par le perte

d’une chance peut présenter en lui même un caractère direct et certain chaque fois qu’est

constatée la disparition de la possibilité d’un évènement favorable encore que par définition

la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine »68. En d’autres termes, la disparition

d’une chance de profiter d’un évènement favorable constitue un préjudice certain et cela

même si la réalisation de cette chance, c’est à dire la réalisation de l’évènement favorable

reste par nature aléatoire. Par conséquent, le principe de la réparation du préjudice certain

reste intact.

Cependant la jurisprudence ,en acceptant le principe de la réparation de la chance

perdue dans un souci de meilleure protection de la victime d’un tel dommage a ouvert la voie

pour l’indemnisation de tous les espoirs de profit que la victime avait et qui ont été perdus par

la faute de la personne dont la responsabilité est engagée. C’est la raison pour laquelle la

jurisprudence a développé des « garde-fous »69. Elle a posé des conditions tenantes aux

caractères de la chance perdue et considère qu’une chance ne mérite réparation que si elle est

réelle et sérieuse70.

Examinons à présent la signification des ces caractères que doit présenter la chance

perdue pour qu’elle soit réparable. Le caractère réel se réfère à l’existence même de la chance

perdue. Pour que la perte d’une chance constitue un préjudice réparable il faut que cette

chance a réellement existé. Il faut que l’intéressé bénéficiait réellement d’une possibilité de

bénéficier d’un évènement qui lui serait favorable et que cette possibilité ait été 68 Cass.crim., 23 févr.1977, Bull.crim., n°73, p.169. 69G. Viney, P. Jourdain, «Les conditions de la responsabilité », préc., n°282, p.79. 70 Voir notamment : Cass. civ.1ère, 1er avril 1965, bull.civ., II, p.230; Cass. civ.2ème , 9 novembre 1983, JCP, G,

1983, II, 20360, 1ère espèce, note Y.Chartier; Cass. soc., 29 février 1996, bull.civ., V, n°79.

Page 42: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

41

définitivement perdue. Il doit, donc, rapporter la preuve que cette chance a réellement existé.

Cependant, la preuve de l’existence de la chance n’est pas suffisante. Il faut également que la

chance perdu ait été sérieuse. L’exigence de la preuve d’une chance sérieuse est destinée à

éviter la réparation d’une chance trop hypothétique. L’intéressé doit, par conséquent,

démontrer que il y avait des probabilités sérieuses que l’évènement favorable à son égard

serait réalisé si la faute du défendeur ne serait pas intervenue.

Dans le domaine de la responsabilité du gestionnaire de portefeuille de valeurs

mobilières, le caractère réel et sérieux de la chance perdu n’a pas donné lieu à des

contestations spéciales. Cependant, les tribunaux ,en ayant à différentes reprises condamné les

gestionnaires de portefeuille fautifs à indemniser leurs mandataires pour les chances perdues

ils ont implicitement consacré le caractère réel et sérieux de ces chances. Une étude, donc ,de

la jurisprudence relative à la gestion de portefeuille de valeurs mobilières va nous permettre

de constater les chances perdues qui ont été considérés par les juges comme réelles et

sérieuses en la matière et donc réparables par le mandataire fautif.

Le premier cas de jurisprudence auquel qu’on peut se référer et dans lequel la théorie

de la perte d’une chance a été mise en œuvre vient de l’arrêt de la Cour d’ appel de Paris du

12 avril 199671..En l’espèce, le contrat de gestion de portefeuille qui unissait le gestionnaire à

son client, prévoyait une gestion spéculative. La Cour a retenu la faute du gestionnaire qui

consistait à « une manque de logique dans la gestion par un professionnel dilettante et peu

surveillé par son employeur » et « dans le manque d’ information personnalisée et de suivi de

gestion ».Ces fautes ont provoqué selon la Cour un préjudice au client qui consiste à la « perte

d’une chance de trouver un équilibre mieux suivi ».

La perte d’une chance en tant que préjudice réparable par le mandataire a été

consacrée aussi par la même juridiction dans son arrêt du 4 mars 199772.En l’espèce, le

contrat de gestion de portefeuille prévoyait que la société de Bourse devait adresser un avis

écrit au client dés que la position du compte présentait une perte d’au moins 20%. Cet avis n’a

pas été adressé au client qu’il a reçu par son mandataire un simple avertissement oral. Les

71 CA Paris, 12 avril 1996, préc. 72 CA Paris 4 mars 1997, Uni Europe c./Bouznah , RDBB, 1998, p.16, note M.Germain et M.A. Frison-Roche.

Page 43: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

42

juges ont considéré que le préjudice subi par le client consiste « à la perte d’une chance de

trouver un meilleur placement ».

Dans les deux cas d’espèce qu’on vient d’exposer la Cour d’ appel de Paris a

considéré que la chance pour le client « de trouver un meilleur équilibre » ou de « trouver un

meilleur placement » constituent des chances réelles. En plus elle a considéré que le

probabilités pour le client de trouver effectivement ce meilleur équilibre ou ce meilleur

placement étaient fortes de sorte que la chance était sérieuse. Par conséquent la perte de cette

chance réelle due à la faute du gestionnaire constitue un préjudice réparable par ce dernier.

L’absence du caractère réel de la chance perdu par le client a motivé la Cour d’ appel

de Paris pour rejeter dans une autre espèce les prétentions du client. Il s’agit de l’arrêt du 27

juin 199873. Dans cette espèce qu’on a déjà analysé précédemment, le client prétendait que les

agissement du gestionnaire reconnus fautifs par la Cour, lui ont causé un préjudice consistant

à des pertes enregistrées sur son compte mais aussi à la perte d’une chance de valoriser son

portefeuille en fonction de l’évolution de l’indice CAC 40. La Cour a exclu du préjudice

réparable la perte d’une chance sous le motif que le portefeuille du client était constitué en

gage et le client n’a pas démontré qu’en vertu de la convention qu’il avait passé avec les

créanciers gagistes il avait encore la possibilité de disposer des titres nantis. Par conséquent, il

ne pouvait pas réaliser des plus values et donc la chance invoquée n’était pas réelle.

Une fois que la chance perdue par le client soit considérée comme réelle et sérieuse

méritant réparation, le problème qui se pose est de fixer l’indemnisation qui va être accordée

au client. Pour que cette indemnisation soit fixée, il faut que la chance perdue soit évaluée.

§2 :L’évaluation de la chance perdue.

L’objectif du client qui engage la responsabilité du gestionnaire de portefeuille est

d’obtenir la réparation du préjudice qu’il a subi. Les tribunaux donc, après avoir constaté que

la faute du gestionnaire a provoqué pour leurs clients la perte d’une chance de bénéficier d’un

73 CA Paris, 27 juin 1998, de Blegiers c/société Transbourse, préc.

Page 44: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

43

évènement favorable, se confrontent au problème de l’évaluation de la chance perdue pour

fixer le montant de la réparation qui sera accordée.

La réparation qui sera accordée à la victime ne correspond pas à la totalité de ce que la

chance aurait procurée à la victime si elle serait réalisée74. Cependant, on ne peut pas parler

d’indemnisation partielle du préjudice final, c’est à dire, de ce qu’aurait procuré la chance à la

victime si elle serait réalisée. La réparation du préjudice spécifique qui consiste à la perte

d’une chance est intégrale mais « comme les juges doivent tenir compte de tous les éléments

du dommage, ils ne peuvent éviter de prendre en considération l’aléa qui affecte la

réalisation de la chance perdue »75. Par conséquent, l’indemnisation sera calculée « en

fonction de probabilités de réalisation de l’évènement favorable à la victime »76.La Cour de

Cassation a d’ailleurs à plusieurs reprises affirmé le principe que la réparation ne saurait

excéder les chances perdues77.

De manière générale et plus spécialement dans le domaine de la responsabilité du

gestionnaire de portefeuille, on se rend compte de la difficulté que présente l’évaluation de la

chance perdue. Les chances « de trouver un meilleur placement »78. ou de « trouver un

équilibre dans une gestion mieux suivie»79 sont extrêmement complexes quant à leur

évaluation. Leur perte ne peut être compensée que par une indemnisation forfaitaire pour la

fixation de laquelle les juges ont recours à des experts en matière boursière. La fixation du

montant de l’indemnisation devient alors « assez arbitraire »80.

74 Cependant, voir : Cour d’appel de Versailles, 21 septembre 1999, Bull. Joly Bourse et produits financiers,

2OOO, p. 51, note L. Ruet : Dans cet arrêt la Cour a obligé le teneur de compte qui n’a pas appelé son client à la

couverture de réparer l’ensemble des pertes enregistrées sur son compte et cela malgré qu’elle avait constaté

auparavant que le préjudice consistait à la perte d’une chance d’eviter les pertes finalement réalisées. C’est la

raison pour laquelle cet arrêt a reçu les critiques du commentateur. 75G. Viney, P. Jourdain, «Les conditions de la responsabilité », préc., n° 284, p. 84. 76 Jacques Boré, « L’indemnisation pour les chances perdues : une forme d’appreciation quantitative de la

causalité d’un fait dommageable », JCP, 1974, I, 2620, p. 16. 77 Voir notamment : Cass. crim., 12 février 1953, JCP, G, 1953, II, 7335; Cass. com., 22 mars 1955, JCP, G,

1955, II, 8686, note Rodière; Cass. civ.1ère, 9 mai 1973, JCP 1974, II, 7643. 78 CA Paris, 4 mars 1997, Uni Europe c./Bouznah, préc. 79 CA Paris, 12 avril 1996, préc. 80 M.Germain et M. A. Frison Roche, obs sur CA Paris, 12 avril 1996, préc.

Page 45: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

44

SECTION II : Les déviances dans la mise en œuvre de la théorie de

la perte d’une chance en matière de gestion de portefeuille.

L’étude de la jurisprudence rare qui applique la théorie de la perte d’une chance en

matière de responsabilité du gestionnaire de portefeuille de valeurs mobilières nous laisse des

interrogations sur la manière dont cette théorie est mise en œuvre. Ces interrogations viennent

surtout de la manière dont la Cour d’ appel de Paris a fait application de cette théorie dans son

arrêt du 12 avril 1996 auquel on s’ est référé à plusieurs reprises auparavant81.

Pour démontrer notre raisonnement il faut reprendre les points essentiels de cet arrêt.

En l’espèce, les fautes reprochées au gestionnaire par son client et retenues par la Cour étaient

de deux sortes. La première faute du gestionnaire consistait en « un manque de logique dans

la gestion par un professionnel dilettante et peu surveillé par son employeur ». La seconde

faute du gestionnaire consistait en « un manque d’information personnalisée et de suivi,

aucune estimation périodique du portefeuille n’ayant été établie ».

Le client prétend que les faute du gestionnaire qu’on vient d’exposer lui ont causé un

préjudice qui se compose des pertes enregistrées sur son compte ainsi que des manques à

gagner. La Cour d’appel, contrairement à ces prétentions du client, estime que le préjudice

subi par le client et dû aux fautes du gestionnaire consiste en la perte d’une chance de trouver

un équilibre dans une gestion mieux suivie ,préjudice qui doit être réparé par l’allocation de

dommages et intérêts forfaitaires et fixe ces dommages et intérêts à 50.000 Francs.

La critique au raisonnement de la Cour vient, à notre avis du fait qu’elle n’a pas

distingué les préjudices qui correspondent à chaque faute commise par le gestionnaire de

portefeuille. Plus précisément, commençons par la seconde faute que le mandataire a

commis : cette faute consiste en une violation de l’obligation d’information. En l’espèce,

comme elle a relevé à juste titre la Cour, le gestionnaire n’ a pas violé son obligation

d’information pré contractuelle (car le client était un opérateur averti) mais son obligation d’

information pendant l’ exécution du contrat qui ne s’épuise pas par l’ envoi de relevés mais

81 CA Paris, 12 avril 1996, préc.

Page 46: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

45

elle doit être assortie d’une information personnalisée sur le portefeuille. En ce qui concerne

le préjudice que cette faute a fait subir au client, comme on a déjà mentionné, la théorie de la

perte d’une chance est souvent mise en œuvre pour assurer une indemnisation à la victime en

palliant à l’absence de certitude concernant le lien de causalité entre la faute et le dommage.

Plus précisément, en l’espèce, on ne pourrait pas affirmer avec certitude que si l’information

personnalisée serait établie par le gestionnaire et adressée au client, ce dernier aurait pu réagir

pour limiter les pertes qui ont été finalement enregistrées. C’est donc à juste titre que la Cour

fait application de la théorie de la perte d’une chance et considère que le préjudice subi par le

client consiste à la perte d’une chance de trouver un équilibre dans une gestion mieux suivie.

Le problème vient, à notre avis, du fait que la Cour considère que ce même préjudice a été

causé aussi par l’autre faute du gestionnaire, c’est à dire la faute de gestion.

La première faute reprochée au gestionnaire de portefeuille en cause est une faute de

gestion, celui-ci ayant procédé à une gestion sans logique. La Cour, ayant réaffirmé que

l’obligation qui pèse sur le gestionnaire est une obligation de moyen, pour conclure à la faute

du gestionnaire elle doit avoir comparé la gestion effectuée par le gestionnaire en question

avec celle qu’aurait effectué « un bon de famille » c’est à dire un gestionnaire normalement

diligent placé sous les mêmes conditions. Cependant, une fois que la faute établie, pour

déterminer le préjudice réparable subi par le client, il fallait comparer les résultats qu’aurait

obtenu le gestionnaire de portefeuille diligent avec ceux obtenus par le gestionnaire en

question. La différence entre ces deux résultats devait déterminer les pertes dues à la faute du

gestionnaire et qui constituent le préjudice réparable. Ce préjudice est certain, direct, actuel

mais surtout il est distinct de la perte d’une chance de trouver un équilibre dans une gestion

mieux suivie et qui est due à la manque d’information personnalisée pendant l’exécution du

contrat. En l’espèce la Cour n’ a pas opéré cette distinction et a conclu que le seul préjudice

subi par le client par les deux fautes consiste en la perte d’une chance.

Pour clarifier donc les choses concernant la mise en œuvre de la théorie de la perte

d’une chance, à notre avis quand le gestionnaire de portefeuille a commis une faute de

gestion, les pertes dues à cette faute peuvent être chiffrées par la comparaison entre les

résultats qu’aurait obtenu un professionnel normalement diligent et ceux qu’a obtenu le

gestionnaire en question. Le recours à la théorie de la pertes d’une chance n’est nécessaires

que si, mise à part le préjudice que démontre cette comparaison, par la faute de gestion du

Page 47: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

46

gestionnaire le client s’est privé d’une chance de bénéficier d’un événement favorable. Il

s’agit donc de deux préjudices distincts.

Une fois que le préjudice réparable du client soit déterminé, le gestionnaire de

portefeuille fautif doit, en principe, supporter la totalité de la charge de la réparation.

Cependant, sa dette de réparation peut être limitée, si il s’avère que la faute d’un autre

intermédiaire financier où celle du client lui même ont concouru avec celle du gestionnaire à

la réalisation du préjudice. Il y aura alors un partage de la responsabilité.

Page 48: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

47

PARTIE II

La limitation de la dette de réparation du gestionnaire : le partage

de responsabilité.

« Plus il y a, pour la victime d’un dommage, de possibilités de s’en prendre à des

responsables, mieux la réparation de son dommage est assurée »82.

En droit commun de la responsabilité, lorsque plusieurs causes ont concouru à la

réalisation d’un même préjudice, cette pluralité de causes est prise en compte pour permettre

un partage de la responsabilité, l’auteur de chacune ayant la possibilité d’invoquer les autres

pour faire diminuer sa part. Chacun des auteurs de ces causes devait alors être exonéré

partiellement de sa responsabilité vis à vis de la victime pour la réparation de son préjudice.

Cependant, cette exonération partielle se heurte à la règle de l’obligation in solidum. D’après

cette règle, l’auteur de l’une des causes d’un dommage est tenu à la réparation intégrale de

celui-ci vis à vis de la victime, sous la seule réserve d’un recours ultérieur contre les autres

coauteurs83. La règle de l’obligation in solidum qui est fondée sur l’idée d’une garantie

donnée à la victime, ne joue pas lorsque la faute qui a contribuée avec celle d’un tiers à la

réalisation du préjudice vient de la victime elle même. Dans un tel cas il y a exonération

partielle de l’auteur de la faute qui ne doit réparation à la victime qu’à proportion de la

contribution de sa faute à la réalisation du dommage.

En matière de gestion de portefeuille, le gestionnaire qui gère de manière

discrétionnaire de portefeuille de son client constitue la cible préféré des clients pour la

réparation de leur préjudice. Cependant, il peut être allégé de sa dette de réparation s’il est

démontré que sa faute n’est pas la seule qui a occasionné le préjudice subi par le client.

82F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, « Les obligations », préc., n° 775, p. 713. 83G. Viney, P. Jourdain, «Les conditions de la responsabilité », préc., n° 4O5, p. 253.

Page 49: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

48

Il peut s’avérer que les pertes ou les manques à gagner qui constituent le préjudice du

client trouvent leur source à la faute du gestionnaire de portefeuille mais aussi à celle

commise par un autre intermédiaire financier. En effet, l’investisseur qui décide d’effectuer

des opérations sur les marchés boursiers et qui confie la gestion de portefeuille à un

mandataire, il doit faire appel aussi à des autres intermédiaires qui assurent les fonctions de

tenue de compte et celle de l’exécution des ordres de bourse émanant du gestionnaire pour le

compte de son client. La loi, la réglementation des autorités du marché et le contrat qui les

unit à leur client mettent à la charge de ces intermédiaires financiers des obligations précises,

le non respect desquelles est constitutif d’une faute. Si cette faute a contribué avec la faute du

gestionnaire de portefeuille à la réalisation du préjudice du client, il y aura un partage de

responsabilité entre les différents intermédiaires.( TITRE I)

Cependant, si la faute qui a contribué avec la faute du gestionnaire à la réalisation du

préjudice, peut être celle d’un autre intermédiaire financier, elle peut aussi être celle du client

lui même. Le comportement du client peut en effet être caractérisé comme fautif lorsque il

prenait pendant l’exécution du contrat des initiatives qui ont compromis la gestion effectuée

par le gestionnaire ou lorsqu’il n’a pas montré la vigilance que les opération boursières

exigent. Si la faute du client est démontrée par le gestionnaire de portefeuille il y aura un

partage de responsabilité, le mandataire sera partiellement exonéré de sa responsabilité et il ne

devra réparer que partiellement le préjudice subi par le client. (TITRE II)

TITRE I : Le concours de la faute d’un autre intermédiaire

financier à la réalisation du préjudice.

Le gestionnaire de portefeuille ne peut pas à lui seul assurer l’ ensemble des opérations

nécessaires à l’investissement du patrimoine de son client en valeurs mobilières.

L’intervention de certains autres intermédiaires est nécessaire pour assurer le dénouement des

opération. En premier lieu, le client est uni par une convention à un intermédiaire financier

Page 50: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

49

chargé de l’exécution des ordres émanant du gestionnaire de portefeuille. Le règlement

général du CMF définit la fonction d’exécution des ordres dans son article 2-1-4. Cet article

énonce que « exerce une activité d’exécution des ordres pour compte de tiers tout prestataire

habilité qui, en qualité de courtier, mandataire ou commissionnaire, agit pour le compte d’un

donneur d’ordres en vue de réaliser une transaction sur instruments financiers ». Le

prestataire de service d’investissement qui assure la fonction d’exécution des ordres s’appelle

négociateur.

Le client qui désire investir en bourse doit avoir recours aussi à un autre intermédiaire

qui assure la tenue de compte-consérvation. Dans le cadre de la tenue de compte-

conservation, l’intermédiaire doit prendre en charge les flux liés aux opérations réalisées par

son client, c’est à dire livrer les titres vendus ou effectuer le règlement des titres achetés

(tenue de compte) et assurer le conservation dans ses livres des titres issus des négociations

effectuées sur les marchés (conservation).

La fonction de l’exécution des ordres et celle de la tenue de compte-conservation sont

souvent exercées par le même intermédiaire financier. Le schémas est donc le suivant, le

client ouvre auprès d’un prestataire de service d’investissement un compte, ce prestataire étant

chargée de la tenue de compte ainsi que de l’exécution des ordres. Par ailleurs, le client

conclu avec un gestionnaire un mandat de gestion de portefeuille, ce dernier transmettant

directement à la société de bourse les ordres qui correspondent à ses choix de gestion pour

qu’elle assure leur exécution. Si les deux intermédiaires commettent des fautes à l’exécution

de leurs fonction et il s’avère que ces fautes ont contribué à la réalisation du même préjudice

subi par le client, ils seront tenus in solidum de réparer ce préjudice, le fait que leurs

obligations émanent des contrats différents n’ayant pas d’importance84. Le client peut alors

demander au gestionnaire de portefeuille aussi bien qu’à l’autre intermédiaire financier la

totalité de la réparation. Cependant, dans un tel cas, le gestionnaire de portefeuille disposera

d’une action récursoire contre l’autre intermédiaire pour les sommes payés en trop, de sorte

que sa contribution finale à la dette sera limité.

En examinant la jurisprudence en la matière, on se rend compte que le partage de

responsabilité est ordonné le plus souvent quand le teneur de compte n’a pas vérifié si les

84 Cass. civ. 1ère, 18 mars 1995, JCP, G, 1995, IV, n° 1316.

Page 51: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

50

ordres du gestionnaire étaient conformes aux pouvoirs qui ont été conférés à ce dernier par le

contrat de mandat ou quand il n’ a pas satisfait à son obligation d’information et de conseil vis

à vis de son client.

SECTION I : Le problème du partage de responsabilité en cas de

non vérification par le teneur de compte de la conformité des

ordres au contrat de mandat.

Un des cas les plus fréquent de partage de responsabilité entre le gestionnaire de

portefeuille et le teneur de compte qu’on rencontrait jusqu’à une époque récente en

jurisprudence était celui où le teneur de compte omettait de vérifier les ordres que lui donnait

le gestionnaire de portefeuille par rapport au termes du mandat de gestion, ordres qui s’

avéraient ensuite incompatibles avec le contrat de mandat.

L’obligation de vérifier le ordres par rapport au termes du contrat était mise à la charge

du teneur de compte par l’article 220 du règlement de la Compagnie des agents de change.

Quand il ne satisfait donc pas à cette obligation et il exécutait les ordres du gestionnaire de

portefeuille, données en dépassement de son mandat, les tribunaux ordonnaient un partage de

responsabilité entre les deux intermédiaires financiers en considérant que leurs fautes se

trouvaient à l’origine du préjudice subi par le client.

Un premier exemple nous est fourni par l’ arrêt de la Cour d’ appel de Paris du 3

décembre 199185. En l’espèce, la Cour constate la faute du gestionnaire qui, contrairement au

termes du contrat de mandat, avait engagé les capitaux qui lui étaient confiés dans des

opérations de spéculation à découvert. Elle reproche aussi à la société de bourse dépositaire de

ne pas s’être assurée que les opérations litigieuses dont l’ exécution était demandée par le

gestionnaire étaient conformes au mandat. Après donc avoir conclu que la faute de chaque

intermédiaire a concouru à la réalisation du préjudice finalement subi par le client, la Cour a

prononcé la condamnation in solidum du gestionnaire de portefeuille et de la société de bourse

dépositaire. La même logique a été mise en œuvre par la Cour de cassation dans son arrêt du

85 CA Paris, 3 décembre 1991, Seroussi c./ Rouvroy et Sté Scheicher Prince, JCP, éd. E, 1992, I, n°22.

Page 52: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

51

13 juin 199586 qu’on a vu précédemment à propos de la portée de l’envoi des avis d’opéré.

Dans cette espèce aussi , la juridiction suprême, a considéré que le teneur de compte qui n’ a

pas vérifié si les ordres du remisier/gestionnaire pour effectuer des opérations sur le MATIF

et le MONEP étaient compatibles avec les pouvoirs conférés à ce dernier par le contrat de

mandat, engage sa responsabilité in solidum avec ce gestionnaire.87

Cependant les choses ont changé depuis. Cette obligation de vérification des ordres du

gestionnaire par rapport au contrat de mandat, mise à la charge du teneur de compte a paru

très lourde aux yeux des autorités. Le Règlement général du CBV qui a remplacé le règlement

de la compagnie des agents de change en 1989 , n’imposait plus au teneur de compte cette

obligation. Au contraire, il disposait dans son article 2.4.4. que « la société de bourse n’a pas

connaissance des termes du mandat qui lie le titulaire du compte à la société de gestionnaire

de portefeuille. Elle ne peut en aucun cas être tenue pour responsable de la non conformité

aux termes du mandat des ordres qu’elle reçoit et elle exécute. ». Cette obligation de

contrôle de conformité des ordres n’ a pas été reprise non plus dans le nouveau Règlement

général du CMF qui dispose dans son article 3-3-4 que « lorsque le prestataire habilité teneur

de compte est informé par son client que ce dernier a confié la gestion de son portefeuille

dans le cadre d’un mandat, il lui fait remplir une attestation, signée du mandant et du

mandataire, conforme à un modèle établi par une décision du conseil. Le prestataire habilité

n’est pas tenu d’avoir connaissance des termes du mandat. ». Par conséquent, en l’état

actuel du droit, un partage de responsabilité entre le gestionnaire de portefeuille qui a dépassé

ses pouvoirs et le teneur de compte qui a exécuté les ordres sans vérifier les termes du mandat

n’est pas concevable.

Cependant, certains auteurs, déjà avant le nouveau règlement général du CMF, après

avoir critiqué la disparition de l’obligation de vérification à la charge du teneur de compte88,

ont exprimé le souhait que cette obligation continue à s’imposer à ce dernier « sous couvert de

l’obligation générale de prudence dans la conduite des opération »89.

86 Cass. com., 13 juin 1995, préc. 87 Voir aussi : CA Paris, 25 mai 1993, Dr. des sociétés, 1993, comm. n° 173, obs. H. Hovasse. 88 H. Hovasse, note sous arrêt CA Pau, 14 janvier 1993, Dr. des sociétés, 1994, comm. n° 21. 89 M. Storck, note sous arrêt 13 juin 1995, préc.

Page 53: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

52

La jurisprudence ne semble pas pour le moment suivre cette logique. La Cour d’ appel

de Paris, dans un arrêt du 14 décembre 199890, fait une application exacte de l’article 2-2-4 du

règlement du CBV qui était en vigueur à l’époque des faits et considère que la société de

bourse ne commet pas une faute en ne contrôlant pas la conformité des ordres qu’elle a reçu

par le gestionnaire par rapport au contrat de mandat. Par conséquent, le gestionnaire qui a

dépassé ses pouvoirs est le seul responsable du préjudice que ce dépassement à causé. La

dette de réparation de ce préjudice ne pèse, donc que sur lui.

SECTION II :La violation par un autre intermédiaire financier de

son obligation d’information et de conseil.

Comme on a déjà vu précédemment la jurisprudence91, dans un premier temps, le

législateur et les autorités du marché ensuite, on imposé à tous les intermédiaires financiers

une obligation générale et pré contractuelle d’information sur le fonctionnement des marchés,

sur les caractéristiques des instruments financiers ainsi que sur les risques que les opérations

susceptibles d’ être traitées présentent92. Cette information s’impose d’ailleurs en vertu de

l’article L 111 de code de la consommation à tous le prestataires de service qui doivent

informer leurs clients-« consommateurs » sur les caractéristiques des services qu’ils

proposent. En particulier, concernant les opérations sur les marchés à risque il faut la remise

d’une note d’information spéciale93. Cette obligation d’information se poursuit aussi en cours

des relations contractuelles, l’intermédiaire devant informer le client sur toute opération

inhabituelle pour qu’il puisse comprendre sa portée94.

90 CA Paris, 14 décembre 1998, Epoux Koger c./ Sté Didier Philippe et autre, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1999, p.153, note L. Ruet. 91 Cass. com., 5 novembre 1991, Buon, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 1993, p. 292, note F. Peltier ,

RJDA, 1992/1, n° 68; RTD com., 1992, p. 436, n° 22 ; Cass. com., 18 mai 1993, D., 1994, p. 142, note I. Najjar. 92 Article 58 loi MAF, article 3-3-5 Règlement général CMF. 93 Article3 Règlement 97-02 de la COB. 94 Article 3-3-7 Règlement général CMF.

Page 54: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

53

En ce qui concerne l’obligation de conseil, la loi MAF95 impose à tout intermédiaire

financier de s’enquérir de la situation financière de son client, de son expérience en matière

d’investissement et de ses objectifs en ce qui concerne les services demandés.

Ces obligation d’information et de conseil sont à la charge de tout intermédiaire

financier et la violation de cette obligation est constitutive d’une faute. Par conséquent si cette

faute a contribuée avec la faute du gestionnaire à la réalisation du préjudice subi par le client,

les deux intermédiaires peuvent être tenus in solidum à réparer ce dommage.

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 Juin 199596

auquel on a fait à plusieurs reprises référence auparavant, la Cour, mise à part la violation par

le teneur de compte de son obligation de vérifier que les ordres provenant du gestionnaire de

portefeuille étaient conformes au contrat de mandat, pour retenir la responsabilité in solidum

des deux intermédiaires, elle avait reproché tant au gestionnaire qu’au teneur de compte la

violation de l’obligation d’information dont ils étaient chargés. Plus précisément, ils n’ont pas

informé leur client sur les risques que présentent les opérations sur le MONEP cette faute

(entre autres) ayant contribué à la réalisation du préjudice finalement subi par ce dernier.

Cependant en présence d’un gestionnaire de portefeuille, un arrêt de la Cour d’appel

de Paris97 semble limiter la portée de l’obligation d’information et de conseil qui pèse sur le

teneur de compte. Les faits sont assez classiques, le compte du client a enregistré des pertes et

ce dernier tend d’engager la responsabilité du gestionnaire mais aussi du teneur de comptes

pour violation de son obligation de conseil en n’appellent pas son client de reconstituer sa

couverture. La Cour ne retient pas la faute du teneur de compte et affirme que « le teneur de

compte, simple dépositaire des titres, sans mandat de gestion, n’ était pas tenu à aucun

devoir de conseil, celui-ci incombant au gestionnaire, seul initiateur des opérations aux

termes de son mandat ». Le teneur de compte n’ avait qu’une obligation d’information qui a

été remplie de manière correcte par l’envoi de relevés de compte détaillés à son client. Le

teneur de compte n’a pas commis donc des manquement à ses obligations, les manquements

du gestionnaire ayant seuls provoqué les pertes subis par le client. 95 Article 58 loi MAF. 96 Cass. com., 13 Juin 1995, préc. 97 CA Versailles, 18 juin 1999, Flick c./ SA Wargny et autres, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 1999, p.

611, note S. Noémie.

Page 55: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

54

Cette démarche de la Cour d’appel de Versailles que réduit à néant la portée de

l’obligation de conseil à la charge du teneur de compte et accroît la portée de celle qui pèse

sur le gestionnaire, pourrait laisser croire qu’un partage de responsabilité pour le préjudice

causé au client devient assez improbable, le gestionnaire étant amené à supporter l’ensemble

de la dette de réparation.

Cependant, la Cour d’appel de Paris adopte une toute autre démarche qui va vers

l’extension de la portée de l’obligation du teneur de compte en présence d’un gestionnaire de

portefeuille. Cette démarche apparaît clairement dans son arrêt du 19 mars 199998. Les faits

sont identiques qu’avant, à la différence que le gestionnaire n’était pas un professionnel mais

le fils de la cliente. Après une gestion désastreuse effectuée par ce dernier qui avait ordonné

des opérations sur le MONEP et le MATIF, la cliente évoque la violation par le teneur de

compte de son obligation d’ information et de conseil pour lui faire supporter les pertes

subies. La Cour a considéré que le teneur de compte avait satisfait à son obligation

d’information en envoyant régulièrement à sa cliente les relevés de compte ainsi que les avis

d’opéré. Par contre, concernant l’obligation de conseil, la Cour a énoncé que dés lors qu’il

s’est avéré que gestionnaire n’avait aucune compétence en matière boursière, « il appartenait

à la société de bourse( qui faut il le rappeler est un professionnel qui perçoit à ce titre des

commissions de courtage importantes) d’attirer l’attention du titulaire du compte sur les

risques résultant de la gestion hasardeuse dont s’agit du portefeuille, ce qui eut permis

d’éviter au moins partiellement l’appauvrissement du patrimoine du titulaire du compte ».

En l’espèce la Cour n’a pas fait référence à un quelconque partage de responsabilité, la cliente

n’ayant engagé que la responsabilité du teneur de compte qui a été condamné à payer une

somme forfaitaire pour compenser l’appauvrissement partiel que son omission a provoqué à la

cliente.

Cet arrêt a été suivi par les juges du fond dans un arrêt du TGI de Paris du 17

novembre 199999 où le tribunal reproche au teneur de compte de ne pas avoir déconseillé au

client de s’en remettre à un mandataire, simple particulier, et non professionnel des marchés

98 CA Paris, 19 mars 1999, Bull. Joly Bourse et produits financier, 1999, p. 361, note S. Noémie. 99 TGI Paris, 17 novembre 1999, Mme Bernard, inédit, cité par L. Ruet , note sous arrêt CA Versailles, 21

septembre 1999, Bull. Joly bourse et produits financiers, 2000, p. 51.

Page 56: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

55

financiers mais aussi de ne pas avoir critiqué auprès du client la gestion désastreuse effectuée

par le mandataire.

Ces solutions qui sont transposables même en présence d’un gestionnaire de

portefeuille professionnel opèrent une extension considérable de la portée de l’obligation de

conseil à la charge du teneur de comptes. Plus particulièrement, ils mettent à la charge de

celui-ci une véritable obligation de contrôle quant à la gestion effectuée par le gestionnaire et

une obligation d’avertir son client si cette gestion est hasardeuse. Par conséquent, si ce

contrôle ou cette mise en garde ne sont pas effectuées, il sera tenu responsable in solidum

avec le gestionnaire fautif car leurs manquements contractuels seront à l’origine du préjudice

que le client aurait subi.

TITRE II : Le concours de la faute du client à la réalisation du préjudice

L’investisseur qui a confié la gestion de son portefeuille de valeurs mobilières à un

mandataire peut ne pas être totalement étranger au préjudice que lui même a subi.

Si le préjudice du client est dû à la faute du gestionnaire de portefeuille mais

également à la faute du client lui même, un partage de responsabilité aura lieu. Dans un tel cas

de figure, l’application de la règle de l’obligation in solidum sera exclu, cette exclusion étant

justifiée comme une sanction de la victime qui a commis une faute100. Le gestionnaire de

portefeuille sera alors partiellement exonéré de sa responsabilité et ne devra réparation au

client qu’en proportion de la participation de sa faute au préjudice final subi par le client

La faute du client susceptible d’entraîner un partage de responsabilité avec le

gestionnaire peut consister à l’ingérence du client dans la gestion effectuée par son mandataire

de sorte que cette gestion a été compromise. (SECTION I)

100 G. Viney, P. Jourdain, «Les conditions de la responsabilité », préc. n° 426, p. 285.

Page 57: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

56

Cette faute peut aussi consister à la négligence que le client à montré par rapport à la

gestion de son patrimoine boursier.(SECTION II)

SECTION I : L’ingérence du client.

La complexité du fonctionnement des marchés financiers ainsi que la variété des

produits financiers disponibles, font que la gestion rationnelle d’un portefeuille nécessite l’

intervention d’un expert. C’est la raison pour laquelle les particuliers pour leur épargne ou les

entreprises pour leurs disponibilités confient la gestion de leur portefeuille à un mandataire.

Le mandataire, comme on a répété à plusieurs reprises, est chargé d’opérer une gestion

au mieux des intérêts de ses client101 et dans le cadre des pouvoirs qui lui sont confiés en vertu

du contrat de gestion de portefeuille que les parties ont conclu dès leur mise en relation.

Cependant, le client qui a eu recours aux services d’ un gestionnaire de portefeuille ne

se met pas totalement à l’écart de la gestion de son patrimoine boursier. Le pouvoir de gestion

du mandataire est limité par la possibilité du client de donner des instructions quant à la

gestion de son portefeuille et ce, pendant l’ exécution du contrat102. Le problème juridique qui

se pose est alors de savoir jusqu’ à quel point les instructions adressées par le client au

gestionnaire de portefeuille sont contraignantes pour ce dernier. Cette question s’est posée en

jurisprudence surtout à propos des ordres ponctuelles émanant du client et qui concernent

l’achat ou la vente de certaines valeurs mobilières.

L’exécution des ordres du client est une des obligations principales du mandataire en

droit commun du mandat. Le mandataire doit donc respecter les instructions précises données

par le mandant103.

Concernant le contrat de gestion de portefeuille de valeurs mobilières, il faut

dorénavant énoncer que si le contrat qui unit juridiquement le client à l’intermédiaire financier 101 Article 58 loi MAF et 3-3-1 Règlement général CMF 102 M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc., n° 69 et suiv., p. 16-17. 103 Ph. Petel, « Les obligations du mandataire », thèse, LITEC, 1988, p.28.

Page 58: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

57

réserve au client un pouvoir de décision dans la gestion de son portefeuille, ce contrat est

qualifié de convention de compte assistée ou de simple tenue de compte104. Tel sera le cas

aussi si l’ingérence du client à la gestion opérée par le gestionnaire est systématique105.

Cependant, le client a toujours la possibilité d’ adresser à son mandataire des instructions.

Pourtant, le gestionnaire doit conserver une liberté quant aux suites à donner aux indications

de son client. Plus précisément, il doit conserver un pouvoir d’appréciation ou de discussion

quant à l’exécution des ordres ponctuels que lui adresse le mandant106.

Ce principe de liberté du gestionnaire de portefeuille a été posé par la Cour de

cassation dans son arrêt du 12 juillet 1971107. En l’espèce, le client entendait engager la

responsabilité de son mandataire pour ne pas avoir suivi ses instructions quant à l’ achat de

valeurs américaines et allemandes, instructions qui s’est avéré que si elles étaient exécutées

elles seraient profitables pour le client. Le client demandait alors réparation de son préjudice

consistant à une manque à gagner. Cependant, la Cour de Cassation refuse d’engager la

responsabilité du gestionnaire en précisant que « les choix de la banque s’appuyaient sur un

raisonnement logique et que si ses prévisions ont été partiellement infirmées, elle n’avait pas

garanti que les plus values recherchées seraient nécessairement obtenues ». Le gestionnaire

conserve, donc, un pouvoir d’ appréciation ou de discussion quant à l’exécution des

instructions reçues par son client et même si son choix s’avère moins profitable pour ce

dernier, la responsabilité du mandataire ne peut pas être engagée. Par conséquent, les pertes

ou le manque à gagner subis par le client du fait de l’ inexécution de ses instructions ne

constituent pas une préjudice réparable par le gestionnaire de portefeuille, car la seul

« désobéissance » de ce dernier à ces instructions ne constitue pas une faute de gestion.

Cependant, la Cour de cassation semble avoir posée une condition pour que le

comportement du gestionnaire qui a passé outre les instructions de son client ne soit pas

caractérisé comme fautif. Le gestionnaire de portefeuille peut ne pas exécuter les ordres de

son client et préférer un autre choix sans que sa responsabilité soit engagée, à condition que ce

104 Voir : CA Paris 3 décembre 1986, D., 1987, inf. rap., p. 302. Voir également : CA Colmar, 3 juin 1982,

Banque, 1982, p. 1262, note L.-M. Martin. 105 M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc., n°69, p. 16 qui cite CA Paris, 25 novembre 1988,

Juris-Data, n° 025983. 106 M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc., n° 70, p. 16. 107 Cass. com.12 juillet 1971, préc.

Page 59: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

58

choix du gestionnaire « s’appuie sur un raisonnement logique »108. Le gestionnaire de

portefeuille ne commet, donc, une faute que si son choix de ne pas exécuter les ordres de son

client est un choix justifié109. Par contre si il passe outre ces ordres sans justification valable,

il commet une faute de gestion et il doit à son mandant réparation pour les pertes ou les

manques à gagner que la non exécution des ordres lui a causé.

Si on voulait porter une appréciation sur la liberté laissée au gestionnaire quant à la

gestion du portefeuille qui lui est confié, on pourrait dire qu’elle est la contrepartie de sa

responsabilité. Le gestionnaire assume la responsabilité de la gestion qu’il effectue du

portefeuille de son client (mais pas quant aux résultats car il n’a qu’une obligation de moyen

comme on a analysé en première partie). Il doit disposer donc d’une liberté étendue car il met

en œuvre une stratégie d’ ensemble dont l’ équilibre serait menacé si le mandant pouvait à

tout moment intervenir de façon intempestive110.

Cependant, si le client ne doit pas s’immiscer à la gestion de son portefeuille confiée

au professionnel, il ne faut pas perdre de vue qu’il reste toujours le maître de son patrimoine

boursier. Il est alors en droit de se procurer des liquidités et de passer un ordre de vente de

titres figurant sur le compte géré. Si les ordres du client sont claires et précises, il doit les

exécuter sans que sa responsabilité puisse être engagée.111

Ce principe a été posé par la Cour de cassation dans son arrêt du 19 mars 1996112. En

l’espèce, le client avait donné des instructions au gestionnaire de son portefeuille de vendre

certains titres. Ces instructions ont été renouvelées à deux reprises et soulignaient l’

urgence(« …vendre au plus tôt »). Le mandataire a exécuté les ordres de son client. Or, peu

de temps après, ces instructions s’ avèrent mal avisées car est intervenue une crise boursière

due à la guerre du Golf. Le client cherche alors à faire supporter la charge de ces pertes à son

mandataire. Débouté de sa demande par la Cour d’ appel de Paris, il forme un pourvoi en

cassation aux termes duquel la responsabilité du gestionnaire devait être engagée car il a

108 Cass. com. 12 juillet 1971, préc. 109 L. Ruet, note sous arrêt Cass. 1ère civ., 19 mars 1996, Joly Bourse et produits financiers, 1996, p.510. 110 J.-F. Crédot et P. Bouteiller : « La responsabilité des banques en matière de conservation, de gestion et de

placement de valeurs mobilières », Banque, 1988, p. 620. 111 J. J. Essombé Moussio, « La responsabilité des gestionnaires de portefeuille », préc., p. 39. 112 Cass. com. 19 mars 1996, préc.

Page 60: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

59

commis une faute de gestion en exécutant les ordres de son client parce qu’il avait la liberté

de refuser de le faire si il estimait qu’ils étaient contraires aux intérêts de ce dernier. D’ autre

part, le client soutient dans le pourvoi qu’en ne le conseillant pas sur l’opportunité de l’ordre,

le gestionnaire de portefeuille n’avait pas satisfait à son obligation de conseil.

La Cour de cassation n’accepte pas ces prétentions. Elle approuve le démarche de la

Cour d’ appel qui avait considéré que le gestionnaire n’ engage pas sa responsabilité, la vente

de titres « résultant d’un ordre manuscrit que les termes claires et précis de cette lettre ne

permettaient pas au mandataire de se dérober des instructions reçues ni même de discuter

avec son mandant, l’urgence étant soulignée par ce dernier ».

Cette position de la Cour de cassation a été confirmée par un autre arrêt de la chambre

commerciale de la Cour de cassation du 16 février 1999113. En l’ espèce ,le client avait

adressé un ordre au gestionnaire de son portefeuille de vendre certains titres pour qu’il puisse

se procurer des liquidités pour payer des droits de succession. Le gestionnaire décide d’étaler

les ventes dans trois mois. Or, entre temps intervient le krach boursier de 1987. Le client

cherche à faire supporter les pertes au gestionnaire. La Cour de cassation confirme l’ arrêt de

la Cour d’ appel qui avait débouté le client en considérant que le gestionnaire était tenu

d’exécuter les ordres de son client en ajoutant que le fait d’avoir étalé les ventes en trois mois

ne constitue pas une faute de gestion, le krach de 1987 étant imprévisible.

On a vu donc que le gestionnaire qui reçoit de son client des ordres claires, précises et

urgentes est tenu de les exécuter et le fait de les exécuter ne constitue pas une faute de gestion.

Une ingérence du client à la gestion de son portefeuille est alors concevable.

Cependant, s’il s’ avère que les pertes dues à un faute du gestionnaire et à l’ ingérence

du client, il y aura partage de responsabilité. Cette solution ressort de l’arrêt de la Cour

d’appel de Paris du 30 mai 1994114. Dans cette espèce, le gestionnaire de portefeuille fautif

n’a pas réussi à prouver l’ingérence du client. Cependant, la Cour a laissé entendre qu’en cas

d’ingérence du client qui a contribué à la réalisation du préjudice, un partage de responsabilité

pourrait être prononcé. Dans un tel cas le gestionnaire de portefeuille serait partiellement 113 Cass. com., 16 février 1999, Epx Martin Ruiz c./ Société CDC Bourse, Dr. des sociétés, 1999, comm. n° 63,

note H. Hovasse ; RDBB, 1999, p. 101, obs. M. Germain et M.A. Frison Roche. 114 CA Paris, 30 mai 1994, Dr. des sociétés, 1995, comm. n° 46, note H. Hovasse.

Page 61: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

60

exonéré et ne devrait réparation à son client qu’a proportion de la participation de sa faute à la

réalisation du préjudice.

SECTION II : Le silence du client après réception des avis d’opéré.

L’objet de tout contrat de mandat est de gérer l’affaire d’autrui et à cette fin le

représenter115. Le mandant qui a laissé le sort de son affaire entre les mains du mandataire a

grand intérêt à être informé de la gestion que ce dernier en fait. Une des obligations

principales, donc, de tout mandataire est de rendre compte au mandant de sa gestion. Plus

précisément, l’article 1993 du code civil dispose que « tout mandataire est tenu de rendre

compte de sa gestion et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa

procuration ».

Cette obligation de rendre compte s’applique tout naturellement aussi au gestionnaire

de portefeuille de valeurs mobilières en tant que mandataire quant à la gestion qu’il effectue

du patrimoine boursier de son client. En règle générale, la forme et la périodicité de

l’information adressée au client sont prévues par des clauses du contrat qui unit juridiquement

les parties. En l’absence de clauses plus favorables pour le client, la COB116 a fixé de règles

impératives portant sur la périodicité et le contenu des rééditions des comptes117.

Habituellement, le gestionnaire de portefeuille adresse à son mandant des avis d’opéré

pour chacune des opérations exécutées, ainsi que des relevés périodiques qui retracent la

situation des comptes du client.

Dans le cadre du contentieux de la responsabilité du gestionnaire de portefeuille, s’est

posé le problème de la portée de l’envoi de ces avis d’opéré et des relevés de compte.

Les « scénarios » sont assez classiques. Le premier est le suivant : le gestionnaire, en

dépassant ses pouvoirs qui sont définis dans le contrat de gestion effectue des opérations sur 115 J.Huet, « Les principaux contrats spéciaux », préc., n°31000, p. 939. 116 Instruction COB prise en application de l’ article 11 dernier alinéa de son règlement n° 96-02, Bull. COB,

n°309, janvier 1997, p.45. 117M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc., n° 90, p.20.

Page 62: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

61

les marchés à haut risques, tels que le marché à terme. Ces opérations, selon l’article 11 du

règlement 96-02 de la COB nécessitent une autorisation expresse du client par le contrat de

mandat. Le client, mécontent des pertes enregistrées sur son compte engage la responsabilité

du gestionnaire pour avoir dépassé ses pouvoirs et refuse de combler son passif. Le

gestionnaire qui avait envoyé des avis d’opéré pour toutes ces opérations à risque à son client,

se défend en soutenant que le client ,en ne réagissant pas après leur réception, a tacitement

approuvé ces opération effectuées par le gestionnaire en dépassement de ses pouvoirs (comme

c’est le cas en droit commun du mandat : article 1998 du code civil qui énonce : « Le mandant

est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir

qui lui a été donné. Il n’est tenu de ce qui a pu être fait au delà, qu’autant qu’il l’a ratifié

expressément ou tacitement »).

Le deuxième scénario est assez proche : toujours dans la même configuration de

dépassement par le gestionnaire de ses pouvoirs, ce dernier essaye d’obtenir un partage de la

responsabilité avec son client en soutenant que le silence de ce dernier après la réception des

avis d’opéré constitue une faute contractuelle qui a concouru à la réalisation des pertes

enregistrées sur les comptes du mandant.

Pour clarifier donc les choses quant à la portée de l’envoi de l’avis d’opéré

l’intervention de la jurisprudence était nécessaire.

La solution de principe a été donnée par la Cour de cassation dans son arrêt du 1er

février 1994118. Dans cet arrêt, la juridiction suprême a cassé l’arrêt de la Cour d’appel qui

avait retenu que le client avait commis une faute en ne réagissant pas à la réception d’avis

d’opération portant sur des montants anormaux et qui avait décidé le partage de la

responsabilité entre le client et la société de bourse. La Cour de cassation énonce que le client

« avait donné un mandat de gestion à la société de bourse, et qu’il n’était, dés lors, pas tenu

d’assurer la surveillance de l’évolution de son compte ». Par conséquent, contrairement à la

règle de principe pour les relevés de comptes bancaires et les avis d’exécution de simple ordre

118 Cass.com., 1er février 1994, Rev. des sociétés, 1994, p. 758, note F. Grua, D.,1994., p.424, note C.

Ducouloux-Favard et somm. p.198, obs. I. Bon Garcin, Dr. des sociétés, 1994, comm. n° 103, note H. Hovasse,

JCP, 1994, éd. E., I, p. 399, obs. A. Viandier et pan. 5000 ; Bull. Joly Bourse et produits financiers, 1994, p. 131,

obs. J. J. Essombé Moussio.

Page 63: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

62

de bourse119, en présence d’un contrat de gestion de valeurs mobilières, l’absence de réaction

du client après réception de l’avis d’opéré ne constitue pas une faute qui pourrait conduire à

un partage de responsabilité avec le gestionnaire.

Si on devait porter une appréciation sur cette solution on pourrait dire qu’elle est

opportune. En effet, le client en ayant recours au service d’une gestionnaire, a la volonté de se

décharger de la gestion de son patrimoine boursier. Il entend donc se décharger aussi « du

suivi des opérations effectuées sur son compte, son intérêt portant essentiellement sur le

résultat global dudit compte »120.

La portée du silence du client après réception de l’avis d’opéré a été précisée ensuite

par le Cour de cassation dans un arrêt du 13 Juin 1995121. Dans cet arrêt, la Cour énonce que

« la réception sans protestation ni réserve des avis d’opéré ne fait que présumer l’existence

et l’exécution des opérations qu’ils indiquent et n’empêchent pas le client de reprocher à

celui qui a effectué ces opérations d’avoir excédé les limites de son mandat ». Par conséquent,

le silence du client après réception des avis d’opéré constitue une présomption simple que le

mandataire n’a pas commis de faute dans sa gestion122, présomption qui peut être combattue si

la preuve d’une telle faute est apportée par le client123.

En résumant les principes posés par la Cour de cassation qu’on vient d’exposer on

peut dire que, même si le client a gardé le silence après qu’il a reçu des avis opéré, il peut

119 Voir sur ce sujet : CA Paris, 28 fevrier 1994, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 1994, p.287, note H. de

Vauplane, Banque et droit, 1994, p.20, obs. F. Peltier; D., 1994, p. 365, note C. Ducouloux Favard ; CA

Versailles, 30 mai 1996, JCP ,éd.E, 1996, pan. 870 ; CA Paris, 25 avril 1997, Le Guen c./Crédit Lyonnais, Juris-

Data 020750. 120 J.J. Essombé Moussio, « La responsabilité des gestionnaires de portefeuille », préc., p.40. 121 Cass. com., 13 juin 1995,préc. 122 Voir : M.Storck, « Le silence du client après réception d’un avis d’opéré portant sur des opérations de

bourse », RDBB, 1992, p. 12, spéc. p. 13 ; Cass. com., 24 fevrier 1998, Banque et droit, 1998, p. 30, obs. H. de

Vauplane. 123 Cette solution semble ne pas s’appliquer en l’absence de contrat de gestion p.ex. en présence d’un contrat de

simple exécution d’ordres ou d’un contrat de tenue de compte :Voir en ce sens Cass. com., 6 avril 1999, Teste

c./Caisse d’épargne et de prévoyance Rhône-Alpes, RDBB, 1999, n° 73, p. 147, obs. M. Germain et M. A.

Frison Roche. Cependant, contra : Cass. com., 26 mars 1996, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 1996, p.

514, note L.Ruet.

Page 64: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

63

engager la responsabilité du gestionnaire qui a dépassé les pouvoirs qui lui ont été conférés

par le contrat de mandat, et en plus, cette absence de protestation du client ne constitue pas

une faute de ce dernier susceptible de conduire à un partage de responsabilité avec son

mandataire, étant donné qu’il n’est pas tenu de surveiller l’évolution de ses comptes.

Cependant, la jurisprudence n’a pas exclu totalement la possibilité de caractériser le

silence du client après réception des avis d’opéré comme fautif, pouvant ainsi conduire à un

partage de responsabilité entre le gestionnaire de portefeuille et son client. Déjà avant l’arrêt

du 1er février 1994, lors de l’évaluation du préjudice causé par la faute d’un intermédiaire, les

juges du fond prenaient en considération la légèreté du client qui n’a pas émis de protestation

ni de réserve après la réception des premiers avis d’opéré et pendant le délai prévu par le

contrat ou pendant les délais prévus par les usages boursiers, le silence du client constituant

une faute contractuelle124. L’arrêt du 1er février 1994, dans lequel la Cour de cassation affirme

le principe que le silence du client ne constitue pas une faute contractuelle, a posé aussi des

limites à ce principe. Il a précise que le silence du client n’est pas constitutif d’une faute

« sauf anomalies flagrantes ou mise en garde du client par le gestionnaire ». Si le

gestionnaire avait pris le soin de mettre en garde125 son client quant à la situation de son

portefeuille géré ou si les avis d’opéré révèlent l’existence des anomalies flagrantes quant à la

gestion effectuée par le mandataire, le silence du client après réception des avis d’opéré

constitue une faute contractuelle. Dans une telle situation,(il n’existe pas à notre connaissance

un exemple jurisprudentiel qui illustre cette situation) un partage de responsabilité entre le

gestionnaire et le client serait envisageable126. Plus précisément, les juges vont rechercher à

quelle proportion l’absence de vigilance du client a concouru à la réalisation du préjudice

finalement subi par ce dernier et il prononceront un partage de responsabilité avec la

gestionnaire de portefeuille en limitant ainsi la dette de réparation de ce dernier.127

124 M.Storck, « Les sociétés de gestion de portefeuille », préc. n° 152, p. 31, qui cite CA Paris, 13 octobre 1987,

Perot c./Banque populaire fédérale de développement, Juris-Data n° 026002. 125 Il faut souligner que si la situation du portefeuille du client présente des risques et le gestionnaire ne le met

pas en garde il engage sa responsabilité pour violation de son obligation de conseil : A. Leborgne,

«Responsabilité civile et opérations sur le marché boursier », préc., p. 267. 126 .B.Vigneron, « Quels recours, pour les épargnants victimes des aléas de la bourse ? », préc., p. 55 et 56. 127 Pour une application du partage de la responsabilité entre un client et l’intermédiaire financier en l’absence de

contrat de gestion de portefeuille. Voir en ce sens : CA Paris, 28 février 1994, Bull. Joly Bourse et produits

financiers 1997, p. 287, note H. de Vauplane.

Page 65: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

64

Cependant, même dans le cas où le client n’a pas réagit à la réception des avis d’opéré

malgré la mise en garde par le gestionnaire ou la constatation d’anomalies flagrantes, le

partage de la responsabilité n’est pas certain. Pour que le silence du client soit considéré

comme fautif, il faut que ce dernier dispose à la réception des avis d’opéré d’informations

suffisantes pour comprendre la portée des opérations effectuées sur son compte128. Cette

solution ressort du même arrêt de la Cour de cassation du 13 Juin 1995129 qui a précisé la

portée de l’envoi de l’avis d’opéré. En l’espèce, la Cour n’a pas retenu la faute du client qui

pourtant a reçu des mises en garde pour reconstituer sa couverture mais n’ avait pas reçu par

l’intermédiaire financier l’information pré contractuelle obligatoire sur le fonctionnement et

les risques que représentent les marchés à terme. Elle a donc considéré, même si elle ne l’ a

pas énoncé explicitement, que le client n’était pas en situation de comprendre les opérations

retracées sur les avis d’opéré. Son silence n’était pas, par conséquent constitutif d’une faute

contractuelle susceptible de conduire à un partage de responsabilité entre le gestionnaire de

portefeuille et son client130.

Pour que le client puisse comprendre la portée des opérations effectuées par le

gestionnaire en dépassement des termes de son mandat, il faut que le client ait bénéficié de l’

information pré contractuelle sur les risques inhérent au marchés boursiers (surtout aux

marchés à terme) qui s’impose, comme on a déjà mentionné à plusieurs reprises, à tous les

intermédiaires financiers quelle que soit la nature du contrat qui les unit à leurs clients131. Or

si cette information n’est pas adressée au client il n’est pas en situation d’ avoir une

appréciation éclairée sur les opérations transcrites sur les avis d’opéré et son silence ne peut

pas être considéré comme fautif. Le partage de responsabilité ne serait donc pas envisageable.

128 M.Storck, note sous Cass. com., 13 juin 1995, préc. 129 Cass. com., 13 juin 1995, préc. 130 A titre d’ exemple on peut citer aussi l’arrêt de la Cour d’ appel de Versailles du 21 septembre 1999, Bull.

Joly Bourse et produits financiers, 2000, p. 51, note L. Ruet: en l’espèce il ne s’agissait pas d’ un contrat de

gestion de portefeuille mais d’une convention de tenue de compte, pourtant, ce qui est important, c’ est que la

Cour parle d’ acceptation « éclairée » des avis d’ opéré et sanctionne l’intermédiaire financier qui n’ a pas éclairé

sa cliente profane sur le fonctionnement et les risques des marchés à terme. 131 Article 58 loi MAF, article 3-3-5 Règlement Général CMF.

Page 66: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

65

CONCLUSION

Les professionnels de la place ne cessent de répéter que le cadre dans lequel s’exerce

aujourd’hui l’intermédiation financière devient de plus en plus contraignant. Le législateur,

les autorités du marché, conscients que l’efficience du marché boursier passe par l’existence

de règles de « jeu » claires, mettent à la charge des intermédiaires financiers des obligations

lourdes et détaillées. L’objectif principal est de créer un climat de sécurité pour attirer à la

bourse aussi bien de capitaux français que étrangers et assurer ainsi le développement de

l’économie.

La jurisprudence n’est pas étrangère à ce mouvement. C’est elle qui avant le

législateur s’est montrée la plus protectrice pour les investisseurs en interprétant de manière

extensive les obligations pesant sur les intermédiaires de sorte qu’elle créait à ces

professionnels de la bourse le sentiment d’injustice. Cependant dans le contentieux du

gestionnaire de portefeuille la jurisprudence s’est montrée méfiante vis à vis des prétentions

excessives des clients. Elle ne fait qu’appliquer les principes connus du droit commun de la

responsabilité et ne leur accorde réparation que pour le préjudice occasionné par la faute de

leur mandataire.

Page 67: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

66

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES GENERAUX

-Benabent A. : « Les contrats spéciaux », Montchrestien, 4ème éd., 1999.

: « Les obligations », Montchrestien, 7ème éd., 1999.

-Huet G. : « Les principaux contrats spéciaux », LJDG, 1996.

-Malaurie Ph., Aynés L., Gautier P.Y. : « Contrats spéciaux, », Cujas, 13ème éd., 1999/2000.

-Terré Fr., Simler Ph., Lequette Y. : « Les obligations », Précis Dalloz, 7ème éd., 1999.

-de Vauplane H., Bornet J.-P. : « Droit des marchés financiers », Litec, 1998.

-Viney G., Jourdain P. : « Les conditions de responsabilité », LGDJ, 2ème éd.,

1998.

OUVRAGES SPECIAUX

Essombè Moussio J.-J. : « La gestion de portefeuille », Dictionnaire Joly Bourse et

produits financiers, 1997.

Morin A. : « Contribution à l’étude des contrats aléatoires », LGDJ, 1998.

Petel Ph. : « Les obligations du mandataire », thèse, Litec, 1988.

Page 68: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

67

Routier R. : « La responsabilité du banquier », LGDJ, 1997.

Storck M. : « Les sociétés de gestion de portefeuille », Jur. Class. Banque et

crédit, fasc. 2210.

ARTICLES

-Bernard E. et Peltier F. : « Investisseur qualifié, la frontière de l’ordre public de

protection en droit des marchés financiers », RDBB, 1998, p.

156.

-Berthelot M. et Gildé C. : « Les risques de marché à la loupe », Banque magazine, n°

600, février 1999, p. 18.

-Boré J. : « Indemnisation des chances perdues : une forme d’appréciation

quantitative de la causalité d’un fait dommageable », JCP, G, 1974, I,

n° 2620, p. 14.

-Bossin J.-M. et de Lambilly G. : « Le mandat de gestion de portefeuille individuel et la

responsabilité des intermédiaires », Banque et droit,

1998, p. 3.

-Clément, J.-F. : « Le banquier , vecteur d’informations », RTD com, 1997, p. 204.

- Crédot J. et Bouteiller P. : «La responsabilité des banques en matière de conservation, de

gestion et de placement de valeurs mobilières », Banque, 1998,

p.615.

- Daigre J.-J. : « La responsabilité civile de l’intermédiaire financier en matière

d’ordre de bourse et de couverture », Banque et droit, 2000, p. 4.

Page 69: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

68

- Delleci J. M. : « Les risques juridiques de la gestion de patrimoine et leur

prévention », Banque et droit, 1996, p. 8.

-Essombé Moussio J. J. : « La responsabilité des gestionnaires de portefeuille », Dr. et

patrimoine, 1996, p. 38.

-Germain M. : « La responsabilité en matière de gestion individuelle sous mandat »,

Banque et droit, 1999, p. 14.

-Leborgne A. : « Responsabilité civile et opérations sur le marché boursier », RTD

com., 1995, p. 261.

-Petit B. : « Responsabilité du banquier dépositaire des titres », RDBB, 1999, p.

83.

-Piniot M.-C. : « Opérations de bourse, responsabilité des intervenants », RJDA,

1995, p. 3.

- Storck M. : « L’activité de gestion de portefeuille », RDBB, 1990, p. 191.

: « Le silence du client après réception d’un avis d’opéré portant sur des

opérations de bourse », RDBB, 1992, p. 12, spéc. p.13.

-de Vauplane H. : « La responsabilité civile des intermédiaires », RDBB, 1999, p. 228.

-Vigneron B. : « Quels recours pour les épargnants victimes des aléas de la

Bourse ? », Dr. et patrimoine, 1997, p. 48.

NOTES ET OBSERVATIONS

-Cabrillac M. : note sous Cass. com., 12 juillet 1971, RTD com., 1972, p. 144.

Page 70: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

69

-Essombè Moussio J.-J. :note sous CA Paris, 27 juin 1998, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1998, p. 245.

-Gavalda C. :note sous Cass. com.,12 juillet 1971, D., 1972, p. 153.

-Germain M. et Frison-Roche M.- A.: obs. sur CA Paris, 4 mars 1997, RDBB, 1998, p. 16.

: obs. sur CA Paris, 18 mars 1997, RDBB, 1998, p. 147.

: obs. sur Cass. com., 16 février 1999 et 23 février 1999,

RDBB, 1999, p. 1O1.

-Hovasse H. : note sous CA Paris, 14 mai 1992, Dr. des sociétés, 1992, comm. n°

213.

: note sous Cass. com., 1er février 1994, Dr. des sociétés, 1994, comm.

n° 103.

: note sous CA Paris, 30 mai 1994, Dr. des sociétés, 1995, comm. n° 46.

: note sous Cass. com., 2 décembre 1997, Dr. des sociétés, 1998,

comm. n° 49.

:note sous Cass. com., 16 février 1999, Dr. des sociétés, 1999, comm.

n° 63.

-Le Cannu P. : note sous Cass. com., 2 décembre 1997, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1998, p. 146.

-Le Tourneau Ph. : note sous CA Paris, 12 avril 1996, JCP, G, 1996, II, 22705, p. 389.

-Najjar I. :note sous Cass. com., 13 juin 1995, D., 1996, p. 71.

Page 71: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

70

-Noémie S. : note sous CA Paris, 19 mars 1999, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1999, p. 369.

: note sous CA Versailles, 18 juin 1999, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1999, p. 611.

-Peltier Ph. : note sous CA Paris, 23 septembre 1997, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1998, p. 15.

-Riassetto I. : note sous CA Paris, 7 avril 1999, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1999, p. 464.

-Ruet L. : note sous Cass. civ. 1ère, 19 mars 1996, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1996, p. 507.

: note sous Cass. com., 26 mars 1996, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1996, p. 514.

: note sous CA Paris, 14 décembre 1998, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1999, p. 153.

: note sous CA Paris, 7 mai 1999, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1999, p. 599.

: note sous CA Versailles, 21 septembre 1999, Bull. Joly Bourse et

produits financiers, 2000, p. 51.

-Storck M. : note sous Cass. com., 13 juin 1995, JCP, G, 1995, II, 22501, p. 377.

: note sous Cass. com., 2 décembre 1997, JCP, G,1998, II, 10160, p.

1766.

-de Vauplane H. : obs. sur CA Paris, 12 avril 1996, Banque et droit ,1996, p. 28.

Page 72: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

71

: note sous CA Paris, 10 décembre 1996, Bull. Joly bourse et produits

financiers, 1997, p. 205.

: note sous CA Paris, 18 mars 1997, Bull. Joly Bourse et produits

financiers, 1997, p. 373.

: obs. sur Cass. com., 24 février 1998, Banque et droit, 1998, p. 30.

Viandier A. : obs. sur Cass. com., 1er février 1994, JCP, éd. E., 1994, I, p. 399.

Page 73: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

72

TABLE DES MATIERES

Table des abréviations………………………………………………………………………….1

Plan sommaire………………………………………………………………………………….2

Introduction…………………………………………………………………………………….4

Première Partie : La détermination du préjudice du client………………………………….16

Titre I : L’exclusion du préjudice dû à l’aléa boursier……………………………….17

Section I : L’obligation de moyen du gestionnaire quant à la réalisation de plus

values………………………………………………………………………….18

Section II : La réparation exceptionnelle par le gestionnaire du préjudice dû à

l’aléa boursier…………………………………………………………………23

§1. : En présence d’une clause contractuelle mettant à la charge du

gestionnaire une obligation de résultat quant à la réalisation de plus

values………………………………………………………………….23

§2. : En cas de faute particulièrement grave du gestionnaire…………27

I : Le dépassement par le gestionnaire

des termes de son mandat…………………………………..28

II : Opérations effectuées après révocation du gestionnaire par le

client…………………………………………………………..32

III : Substitution de mandataire non autorisée

par le client………………………………………………33

Page 74: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

73

Titre II : Le préjudice certain : le problème de la perte d’une chance………………35

Section I : La réparation par le gestionnaire de la chance perdue par son client

de bénéficier d’un événement favorable………………………………………39

§1 : Les caractères de la chance perdue : l’exigence d’une chance réelle

et sérieuse……………………………………………………………..40

§2 : L’évaluation de la chance perdue………………………………..42

Section II : Les déviances dans la mise en œuvre de la théorie de la perte d’une

chance en matière de gestion de portefeuille…………………………………44

Deuxième Partie : La limitation de la dette de réparation du gestionnaire de portefeuille : le

partage de responsabilité……………………………………………………………………...47

Titre I : Le concours de la faute d’un autre intermédiaire financier à la réalisation du

préjudice………………………………………………………………………………48

Section I : Le problème du partage de responsabilité en cas de non vérification

par le teneur de compte de la conformité des ordres au contrat de mandat…...50

Section II : La violation par un autre intermédiaire de son obligation

d’information et de conseil……………………………………………………52

Titre II : Le concours de la faute du client à la réalisation du préjudice…………….55

Section I : L’ingérence du client……………………………………………..56

Section II : Le silence du client après réception des avis d’opéré……………60

Conclusion……………………………………………………………………………………65

Page 75: LA REPARATION DU PREJUDICE DU CLIENT PAR LE …

74

Bibliographie………………………………………………………………………………….66

Table des matières…………………………………………………………………………….72