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La révolte du pronétariat

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Des mass média aux média des masses

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DU MÊME AUTEUR

Une vie en plus. La longévité, pour quoi faire ?, avecFrançois de Closets, Jean-Louis Servan-Schreiber etDominique Simonnet, Seuil, 2005.

La Plus Belle Histoire du monde. Les secrets de nosorigines, avec Hubert Reeves, Yves Coppens etDominique Simonnet, Seuil, 1996.

L’Homme symbiotique. Regards sur le troisième millé-naire, Seuil, 1995.

Les Rendez-vous du futur, Fayard/Éditions n° 1, 1991.L’Avenir en direct, Fayard, 1989.L’Aventure du vivant, Seuil, 1988.Le Cerveau planétaire, Olivier Orban, 1986.Branchez-vous, avec Stella de Rosnay, Olivier Orban,

1984 (Grand Prix de la littérature micro-informa-tique grand public).

Les Chemins de la vie, Seuil, 1983.La Malbouffe. Comment se nourrir pour mieux vivre,

avec Stella de Rosnay, Olivier Orban, 1979.Le Macroscope.Vers une vision globale, Seuil, 1975 (Prix

de l’Académie des sciences morales et politiques).Les Origines de la vie. De l’atome à la cellule, Seuil, 1966.

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Joël de RosnayAvec la collaboration de Carlo Revelli

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Fayard

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© Librairie Arthème Fayard, 2006.

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À mes sept pronétaires du futur :Louis, Charlotte, Sophia, Max,

Nicolas, Alexandra et Cyril.

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Introduction

Les citoyens du monde sont en train d’inventerune nouvelle démocratie. Non pas une « e-démo-cratie », caractérisée par le vote à distance viaInternet, mais une vraie démocratie de la commu-nication. Cette nouvelle démocratie, qui s’appuiesur les «média des masses», émerge spontanément,dynamisée par les dernières technologies de l’infor-mation et de la communication auxquelles sontassociés de nouveaux modèles économiques. Ni lesmédia traditionnels, ni les hommes politiques n’encomprennent véritablement les enjeux. Les médiades masses, seuls véritables média démocratiques,vont radicalement modifier la relation entre le poli-tique et le citoyen, et, par voie de conséquence,avoir des impacts considérables dans les champsculturel, social et politique. Les internautescommencent seulement à réaliser à quel point leNet du futur va leur permettre d’exercer leurpouvoir, si tant est qu’ils parviennent à se montrersolidaires et organisés.

Le modèle industriel traditionnel a placé lepouvoir entre les mains d’élites ou de grandesfamilles propriétaires du capital financier et de

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production. Ces classes de capitalistes riches etpuissantes ont par la suite cherché à transposer cemodèle à la société de l’information. Or les règlesdu jeu ont changé. L’accumulation du « capitalinformationnel » – représenté notamment par lessavoirs, les connaissances, les contenus, les informa-tions stratégiques accumulés dans des bases dedonnées, des bibliothèques, des archives – se faitaujourd’hui de manière exponentielle. La créationcollaborative ou la distribution d’informations depersonne à personne, contribuant à l’accroissementde cette nouvelle forme de capital, confèrent doncde nouvelles prérogatives aux utilisateurs, jadisrelégués au rang de simples «consommateurs». Denouveaux outils « professionnels » leur permettentde produire des contenus numériques à hautevaleur ajoutée dans les domaines de l’image, de lavidéo, du son, du texte, jusque-là traditionnelle-ment réservés aux seuls producteurs de masse,détenteurs des «mass média».

Dans la société de l’énergie, essentiellementfondée sur la production, la distribution et laconsommation de biens matériels – grâce principa-lement à l’exploitation des énergies fossiles nonrenouvelables ou nucléaires –, les capitalistesdétiennent les moyens de production et de distribu-tion. Ils peuvent investir en capital (financier, maté-riel, humain) et contrôler l’usage et les bénéfices deleurs investissements. Ils réalisent des « économiesd’échelle » en créant des usines et des réseaux dedistribution pour produire à des coûts toujours plusbas et vendre au plus grand nombre, en dégageantdes marges et des profits assurant la croissanceéconomique et la rémunération des actionnaires. Le

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prolétariat est, selon Karl Marx, la force de travailutilisée par les propriétaires du capital de produc-tion. À l’origine, dans les sociétés antiques méditer-ranéennes, le terme désignait les travailleurs quidisposaient de leur lignée pour toute richesse. Eneffet, en latin, proles signifie « progéniture », etproletarius désigne le citoyen pauvre. Le prolétaire,outre qu’il était exempté d’impôt, avait commeseule marchandise à proposer sa force de travail etson énergie physique.

Dans la société de l’information, l’économied’échelle ne s’applique plus selon les mêmesnormes. La reproduction de contenus numériquesse fait à un coût marginal et la diffusion peut êtremondiale et instantanée. La création collabora-tive, ou intercréative, fait appel à des réseauxd’intelligence collective et non plus à des organi-sations humaines pyramidales. On voit donc appa-raître une nouvelle forme de lutte des classesentre ceux qui détiennent les moyens de produc-tion et de diffusion des informations et ceux qui,jusqu’alors considérés comme spectateurs, lecteursou usagers passifs, prennent une part croissanteaux processus planétaires de création et de distri-bution d’informations.

J’appelle « infocapitalistes » les détenteurs desmoyens de création, de production et de diffusionde contenus informationnels dits « propriétaires »(sous copyrights, droits de licence…), généralementsous forme numérique. Ils forcent les utilisateurs etacheteurs à passer par les vecteurs de diffusion oude distribution qu’ils contrôlent en organisantintentionnellement la rareté autour de ces vecteurs.En ce sens, on peut également les considérer

INTRODUCTION

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comme des « vectorialistes ». Ce sont les grandeschaînes de télévision, les grands éditeurs, les majorsde la musique… Ils font partie de ce qu’on appellegénéralement les mass média.

J’appelle « pronétaires » ou « pronétariat » (dugrec pro, devant, avant, mais aussi favorable à, etde l’anglais net, qui signifie réseau et est aussil’appellation familière en français d’Internet – le« Net ») une nouvelle classe d’usagers des réseauxnumériques capables de produire, diffuser, vendredes contenus numériques non propriétaires,en s’appuyant sur les principes de la « nouvellenouvelle économie ». C’est-à-dire capables decréer des flux importants de visiteurs sur des sites,de permettre des accès gratuits, de faire payer àbas prix des services très personnalisés, de jouersur les effets d’amplification… « Professionnelsamateurs » (ou « pro-ams »), ils utilisent pour celades outils analogues à ceux des professionnels etfacilement accessibles sur Internet. Il s’agit d’usa-gers, d’internautes, de « blogueurs », de citoyenscomme les autres, mais qui entrent de plus en plusen compétition avec les infocapitalistes tradition-nels, auxquels ils ne font plus confiance, pours’informer, écouter de la musique, voir des vidéos,lire des livres ou communiquer par téléphone. Celaen raison des coûts trop élevés des produits etservices proposés et de leur accès difficile pour lesmoins favorisés.

Enfin, j’appelle «média des masses» les nouveauxmodes, massifs et distribués, d’expression proné-taire. Les média des masses utilisent des techniquesnumériques de création collaborative, de connexionet d’échange qui supplantent progressivement certains

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des vecteurs traditionnels des mass média (télévision,radio, édition, télécommunications, publicité…).

La production massive et collaborative d’infor-mations numériques par le pronétariat représenteune révolution aussi importante que celle du débutde l’ère industrielle, symbolisée par la machine àvapeur puis par la mécanisation et l’automatisationintensives. Pour permettre la production de massede produits standardisés, il fallait réaliser l’éco-nomie d’échelle dans des usines centralisées,grandes consommatrices d’énergie, de matériaux etde capital. Aujourd’hui, avec les nouveaux outilsd’empowerment qui confèrent du pouvoir auxpronétaires et qui s’appuient sur le numérique(logiciels et outils de production sur PC et Web), larévolution est encore plus marquée et plus rapide.Il devient facile de rassembler les moyens deproduction et de distribution à un coût très bas.Évidemment, la production du pronétariat a seslimites. Il ne vient à l’esprit de personne de fairefonctionner par ces moyens une centrale nucléaire,de construire une voie de chemin de fer ou de bâtirun gratte-ciel. Mais déjà des visionnaires commeNeil Gershenfeld, du MIT, étudient les conditionsde production domestique d’objets grâce à desmachines personnalisables. C’est le concept des fablabs, des laboratoires de fabrication d’objets ou debricolage intelligent à domicile, dont on reparlera.Un autre chercheur du MIT, Joseph Jacobson,propose de fabriquer chez soi ou au bureau desordinateurs performants en téléchargeant les plansdes circuits, lesquels seront produits par une impri-mante spéciale fonctionnant avec une encre à semi-conducteurs.

INTRODUCTION

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Quelles sont les raisons de l’émergence dupronétariat et du rassemblement de personnes etde talents aussi différents? Certainement l’arrivéede nouvelles technologies typiques de la cultureInternet venant à la rencontre de l’aspirationprofonde d’une partie de la société à des formesd’organisation plus participatives. Un besoin departicipation lié à des facteurs positifs (commel’augmentation du niveau culturel global), maisaussi négatifs (comme la crise de la démocratiereprésentative). Des applications d’abord isolées etseulement utilisées par des « fanas » et des spécia-listes vont ensuite « interagir» pour s’étendre à dessecteurs incontournables. À la manière de petitesgouttes de mercure sur une surface plane : ellesroulent et s’interpénètrent jusqu’à ne plus formerqu’une seule bille. C’est à ce phénomène planétaireque nous assistons aujourd’hui, à un rythme accé-léré, et il nécessite une analyse ainsi qu’une prisede conscience de la part des responsables indus-triels, politiques et universitaires.

En effet, la nouvelle nouvelle économie née dela montée du pronétariat pose des problèmesculturels, politiques, sociologiques et économiquesinédits. Les gouvernants doivent revoir leurs prio-rités en matière d’allocation des ressources pourle développement des réseaux. Les universitairesont à réviser leur enseignement pour rendreperceptible et opérationnelle la nouvelle cultured’Internet, des média des masses et du temps réel.Les industriels, enfin, doivent remettre en questionles techniques qu’ils utilisent pour toucher lesconsommateurs selon un mode pyramidal, car lespronétaires, par l’utilisation des blogs, vlogs, wikis,

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journaux citoyens, IM, téléphone mondial gratuittel que Skype 1, etc., comme outils stratégiques deproduction et de distribution, créent un universcommercial parallèle à celui des firmes classiques.Mais la révolution pronétarienne est d’abord socié-tale avant d’être économique. D’où les défis et lesenjeux auxquels sont aujourd’hui confrontés entre-prises et gouvernements. D’où l’importance ausside l’information et de la formation permettant àchaque acteur de la vie économique et sociale demieux comprendre ces évolutions pour construireson avenir.

Avertissement

Les différents liens Internet figurant en notesde bas de page sont présentés sous la formewww.pronetariat.com/1, /2, etc. Il suffit de taper cesadresses sur votre navigateur pour être automati-quement redirigé vers le site correspondant. Cetteméthode facilite la frappe d’adresses parfoiscompliquées et permet d’accéder à des pages cons-tamment à jour.

En revanche, à la fin du livre figure une liste deliens Internet sous leur forme traditionnelle, encomplément de la bibliographie et «pour aller plusloin».

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1. Voir le glossaire en fin de volume pour la définition desmots nouveaux.

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Chapitre 1

Pronétaires de tous les pays,unissez-vous !

La crise des média traditionnels favorise la montée du pronétariat

Une des principales raisons de la montée dupronétariat et de l’influence croissante des médiades masses est la crise de confiance des lecteurset des utilisateurs vis-à-vis des mass média tradi-tionnels. Au cours des trente dernières années, lapresse écrite a perdu de sa crédibilité, au point quecertains se demandent aujourd’hui si les médiaécrits ne représentent pas un mode de communica-tion dépassé. Il en est de même pour la télévisionet parfois pour la radio. Le résultat le plus frappantde cette crise de confiance est la baisse alarmantede la diffusion des journaux, en particulier desquotidiens, même si d’autres phénomènes yconcourent.

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En effet, selon l’étude « The State of NewsMedia 2004 1 », seulement 49 % des Américainsjugent les média traditionnels « hautement profes-sionnels », contre 72 % en 1985. Par ailleurs, lenombre de personnes qui estiment que les journa-listes tentent de couvrir leurs erreurs passe de 13 à67% ! Dans la même période, seulement 59% despersonnes interrogées font confiance aux informa-tions publiées dans les journaux, contre 80% vingtans plus tôt. En France, c’est surtout la télévisionqui est critiquée. Selon une étude TNS Sofres dejanvier 2005, 45 % des interviewés ne pensent pasque les choses se passent réellement comme ellessont montrées à la télé, contre 35% en 1988.

Plus de 395 millions de personnes achètent unjournal quotidiennement, contre 374 millions en1999. Le lectorat moyen est estimé à plus d’unmilliard de personnes par jour. Trois quarts des 100quotidiens les plus vendus dans le monde sontdésormais publiés en Asie 2. La Chine a dépassé leJapon pour devenir le pays comptant le plus grandnombre de publications parmi les 100 plus venduesau monde. Les 100 plus fortes ventes vont dujournal japonais Yomiuri Shimbun, avec ses14067000 exemplaires par jour, à six journaux dontles ventes quotidiennes sont de 600000 exemplairesen Chine, en Thaïlande et à Taïwan – deux danschaque pays.

Les trois marchés les plus importants sont doncdésormais la Chine, avec 93,5 millions de journaux

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1. Étude menée par l’institut Project for Excellence in Jour-nalism, affilié à l’université de Columbia.

2. www.pronetariat.com/1

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vendus quotidiennement, l’Inde (78,8 millions) et leJapon (70,4 millions). Les États-Unis suivent avec48,3 millions, devant l’Allemagne et ses 22,1 millionsd’exemplaires. En 2004, les ventes ont augmenté enChine, en Inde et au Japon, mais elles ont baisséaux États-Unis et en Europe. Au sein de l’Unioneuropéenne, au cours des huit dernières années,le nombre de quotidiens vendus a diminué de7 millions d’exemplaires. Les pays dont les jour-naux ont subi une baisse de la diffusion compriseentre 3 et 5% de 2000 à 2004 incluent l’Allemagne,le Danemark, la France, la Belgique, l’Irlande, lesPays-Bas et le Royaume-Uni.

Aux États-Unis, entre 2000 et 2004, plus de 2000postes ont été supprimés dans la presse écrite, soit4 % des emplois. En 2003, le quotidien américainInternational Herald Tribune a vu ses ventes baisserde 4,16 %. Au Royaume-Uni, le Financial Times achuté de 6,6 %. Au Japon, dont les habitants sontles plus gros acheteurs de journaux, le recul a étéde 2,2%. À l’échelle mondiale, la diffusion payantede journaux chute, en moyenne, de 2% par an.

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer à lafois la diminution de la circulation des grandsquotidiens et la crise des média.

Les effets de la concentration des supportsmédiatiques aux mains de quelques grands groupesindustriels de la communication sont une premièreraison. En France, en particulier, on a assisté aucours des dernières années à des fusions, regroupe-ments, achats de titres par des groupes industrielscherchant au mieux à se diversifier, au pire àcontrôler les informations et à trouver des accordstacites avec le monde politique. Ainsi, le quotidien

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Libération a cédé 37% de son capital à Édouard deRothschild. Le groupe Socpresse, qui édite quelque70 titres, dont Le Figaro, L’Express, L’Expansion etdes dizaines de journaux régionaux, a lui-même étéacheté par Serge Dassault. Le groupe Hachette,contrôlé par Arnaud Lagardère, détient 47 maga-zines (dont Elle, Parents, Première) et des quotidienscomme La Provence, Nice-Matin ou Corse-Presse.D’après Ignacio Ramonet, du Monde diplomatique,« si cette chute de la diffusion venait à se pour-suivre, la presse écrite indépendante risquerait peuà peu de tomber sous le contrôle d’un petit nombred’industriels – Bouygues, Dassault, Lagardère,Pinault, Arnault, Bolloré, Bertelsmann… – quimultiplient les alliances entre eux et menacent lepluralisme 1 ».

Il en est de même aux États-Unis. On a puassister au cours des vingt dernières années à desconcentrations et à des regroupements importantsdans les secteurs de la communication, impliquantmaisons d’édition, quotidiens, magazines, grandeschaînes de télévision ou de radio et, évidemment,fabricants de produits dérivés résultant de la promo-tion ou de la publicité assurées par ces différentssupports (à savoir films, vidéos, DVD, jeux…). Lepaysage médiatique américain est désormais dominépar moins d’une douzaine de grandes entreprises,dont la plupart annoncent des revenus annuels supé-rieurs à 35 milliards de dollars, à côté d’une douzained’entreprises plus petites et moins intégrées.

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1. Ignacio Ramonet, «Médias en crise», Le Monde diploma-tique, janvier 2005.

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Les pouvoirs du media system

Les groupes de communication internationauxsont capables aujourd’hui de générer des profitsallant bien au-delà de ce qui a été obtenu depuis lesdébuts de l’histoire de la presse et des média. Ils yparviennent en intégrant le journalisme dans une« machine de marketing » pour d’autres produits,tels que les livres, les CD et DVD, les réseaux detélévision et les revenus assurés par des licences. Ilen résulte la création de ce que McChesney etNichols appellent un media system 1, qui repose surle monde politique et le journalisme professionnel.Ce système fonctionne de manière fluide grâce àtrois composantes : la concentration des média, lapropriété des contenus et la confiance indiscutabledans les sources officielles. Son développement auxÉtats-Unis, d’après les auteurs, est préjudiciableaux exigences de la démocratie et d’une sociétéparticipative.

Le résultat, après un siècle de confrontations etde regroupements, est que le journalisme en estvenu à se fier presque entièrement aux sourcesgouvernementales ou industrielles. Ainsi, tropsouvent, les principaux articles « sensibles » sontrédigés à partir d’informations confidentiellesdistillées à des journalistes sélectionnés par lesentreprises et les porte-parole gouvernementaux.Pour McChesney, le reportage est devenu de lasténographie !

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1. Robert W. McChesney et John Nichols, Our Media, NotTheirs. The Democratic Struggle Against Corporate Media, SevenStories Press, 2002.

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Ces concentrations, impliquant des entreprisesde la communication détenues par les infocapita-listes, conduisent le media system à générer d’im-portants profits en produits directs et en produitsdérivés, tout en influençant considérablement l’opi-nion. Des liaisons parfois « incestueuses » se sontainsi progressivement nouées entre les mass médiaet le monde politique.Avec pour conséquences nonseulement une perte de crédibilité du monde jour-nalistique aux yeux de ses lecteurs, mais aussi cequ’Ignacio Ramonet appelle un «déficit démocra-tique », dans la mesure où ce lectorat ne participeplus en rien à la sélection et à la présentation desinformations quotidiennes.

L’influence des grands groupes de communica-tion, propriétaires des principaux média, souventen connivence avec le pouvoir politique, conduit àun manque d’objectivité, parfois même à desmensonges, à des manipulations ou à passer soussilence des informations capitales, comme on l’a vudans le cas des véritables raisons de la guerre enIrak ou de certains scandales politiques et finan-ciers récents. L’entretien permanent de la peur dela rareté et la mise en scène de la terreur quoti-dienne (catastrophes naturelles, terrorisme, scan-dales, drogues, criminalité…) par les grands médiacontribuent à maintenir «dans le rang» des foulesde plus en plus difficilement « contrôlables» par lespouvoirs en place.

Un des éléments du cercle vicieux résultant desrelations entre secteur privé et secteur public résideégalement dans l’attribution des fréquences deradio et de télévision par des organismes publicsspécialisés. En effet, si l’espace du spectre des

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fréquences était illimité – ce qui éliminerait leproblème de leur rareté et réduirait donc le pouvoirde ceux qui les attribuent –, la situation serait radi-calement différente, car les mass média se trouve-raient en face d’une compétition accrue. Ainsiseraient considérablement réduits les revenus qu’ilstirent de la publicité, ce qui ferait chuter le cours deleurs actions.

C’est en partie pour cette raison que l’associa-tion tacite des majors de la communication et desorganismes publics d’attribution des fréquencescherche par tous les moyens à créer et à maintenirla rareté afin de forcer les usagers à passer parleurs vecteurs de diffusion et de distribution. Cettesituation existe également dans d’autres secteurs,de l’énergie à l’alimentation en passant par l’exer-cice du pouvoir politique lié à l’ambition person-nelle de certains. Une telle attitude atteint sonpoint culminant dans la «philosophie» des grandeschaînes de télévision, qui tendent de plus en plus àconsidérer que leur « vrai métier » est d’envoyerdes audiences à des annonceurs plutôt que desconnaissances à des audiences diversifiées – ce quiest, en principe, la nature de leur mission.

Les journaux eux-mêmes ont d’ailleurs souventfait leur la désormais célèbre maxime de PatrickLe Lay, PDG de TF1 : « Le métier de TF1, c’estd’aider Coca-Cola à vendre son produit. Ce quenous vendons à Coca-Cola, c’est du temps decerveau humain disponible. » En d’autres termes,les annonceurs priment sur les téléspectateurs, deplus en plus «captifs». D’où les programmes de basniveau, comme ces émissions basées sur descomptes à rebours présentant les gagnants à la fin

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du «show», régulièrement diffusées sur les grandeschaînes. Une forme de télévision qui connaît peut-être ses derniers moments.

D’autres éléments agissent pour décrédibiliserles grands média, et en particulier les quotidiens. Ilconvient de citer tout d’abord l’extraordinaire essoret le succès des quotidiens gratuits, comme Metro et20 Minutes. Aujourd’hui, les statistiques parlentd’elles-mêmes. En France, en termes d’audience,20 Minutes est en tête de toutes les diffusions ettouche plus de 2 millions de lecteurs par jour enmoyenne, devant Le Parisien (1,7 million) et Metro(1,6 million). Problème pour les journaux tradition-nels, dont la majeure partie des revenus provient dela publicité : les annonceurs ne font plus la diffé-rence entre les lecteurs payants et les lecteursgratuits. Pour eux, il s’agit de toucher le plus demonde possible, ce qui devient une réalité avec descirculations de plus de 2,5 millions de lecteurs.

Les blogs et autres sites interactifs entament le pouvoir des infocapitalistes

Une autre raison de la crise des mass média estévidemment le succès croissant d’Internet, etsurtout la création d’information par les inter-nautes eux-mêmes. Une création collaborative etune diffusion en P2P (peer to peer, en français «departiculier à particulier » ou « de pair à pair ») quipermettent de constituer et d’entretenir un réseaud’informations que l’on peut confronter les unesaux autres et, en ouvrant très largement les sources,dont on peut vérifier la fiabilité. Le phénomène des

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blogs, sites Web interactifs, sortes de journauxpersonnels en P2P, a contribué à inonder le Netd’informations de qualité très diverse mais souventoriginales, permettant notamment une relecture del’actualité. Pour Ignacio Ramonet, « cet engoue-ment montre que beaucoup de lecteurs préfèrent lasubjectivité et la partialité assumées des blogueursà la fausse objectivité et à l’impartialité hypocrited’une certaine presse 1 ».

Cyril Fievet, cofondateur et rédacteur en chefde pointblog.com, mais aussi journaliste surInternetActu.net, reste optimiste quant à la fiabilitédes blogs : «Le risque de dérives existe : manipula-tion, fausse information. Dans la masse publiée, ilest de plus en plus difficile de voir d’où vient uneinformation. Mais je suis assez confiant. Il se met enplace un écosystème qui arrive à valider avec desoutils de popularité et des liens croisés. […] C’estune étape majeure : la perte du monopole desmédia et des journalistes sur l’information. Ils nesont plus les seuls à rapporter ce qui se passe dansle monde. On a aujourd’hui des précurseurs d’unjournalisme citoyen qui va se démultiplier 2. »

Dan Gillmor, qui a une longue expérience deblogueur, estime qu’Internet peut sauver le journa-lisme aujourd’hui en perte de crédibilité 3. Il préditun rassemblement de journalistes, d’informateurs etde lecteurs transformant le journalisme en une sortede conversation assistée par la technologie, au lieu

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1. Ignacio Ramonet, «Médias en crise», art. cité.2. Interview par Frédérique Roussel, Libération, 20 août 2005.3. Dan Gillmor, We the Media. Grassroots Journalism By the

People, For the People, O’Reilly, 2004.

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du monologue descendant du haut vers le bas (topdown) qui est trop souvent la norme aujourd’hui.

Un autre facteur déterminant du désenchante-ment pour la presse traditionnelle est l’augmenta-tion du débit des réseaux d’Internet avec l’ADSL,qui s’accompagne d’un essor du multimédia. Grâceà ces réseaux, l’usager peut recevoir de la vidéo enqualité TV sur son PC et s’abonner ainsi à demultiples canaux de télévision. En France, déjà plusde 7 millions de foyers ont accès, à haut débit, à lapresse en ligne. Il faut savoir que 80% des journauxdu monde, au Nord comme au Sud, possèdentdésormais des éditions en ligne. Les expatriéspeuvent lire en direct leur journal favori sur le Netdepuis n’importe quel pays de la planète.

Le téléphone portable, quant à lui, est en train decréer une nouvelle forme de communication inter-active pratiquement en temps réel : des servicesaujourd’hui proposés aux abonnés leur permettantde recevoir des flashes d’information, des nouvellescourtes en SMS, et même des petites séquencesvidéo. En Inde, la société Times Internet, filialemultimédia du quotidien Times of India, diffusechaque mois plus de 30 millions d’informations sousla forme de messages SMS.Au Japon et en Corée duSud, un nombre croissant de personnes s’informentpar l’intermédiaire de leur téléphone portable, surlequel elles reçoivent des émissions de radio etmême des chaînes de télévision en continu.

Cependant, à l’instar de toutes les utilisations determinaux à faible bande passante perceptive, cesmodèles de communication grand public appa-raissent plutôt comme une forme d’extension desmass média conduisant à maintenir le récepteur

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dans une situation de réception à faible capacitécognitive. Il résulte de telles évolutions que lagrande majorité des secteurs d’information, endehors d’Internet, perdent de l’audience tant laconcurrence entre média est devenue sévère. Lesstatistiques montrent qu’aujourd’hui une grandepartie de la population, et surtout des jeunes, passeplus de temps devant son PC pour s’informer entexte ou en vidéo que devant la télévision ou à liredes journaux!

L’ensemble de ces pratiques, auxquelles s’ajoutentdes outils numériques puissants conférant denouveaux pouvoirs aux pronétaires, conduit à l’émer-gence irréversible des média des masses, confrontésdésormais aux mass média traditionnels1. Il est impé-ratif que les pronétaires qui se préoccupent du respectde la démocratie se rassemblent et organisent unmouvement de masse pour réformer le media system.Évidemment, ce dernier, né de la concentration desinfocapitalistes, se sent menacé par la montée desmédia des masses. Il sera difficile de rééquilibrer l’im-portant contrôle exercé par les grands groupes decommunication. Plus il se matérialisera, plus la luttesera rude. L’essentiel, comme le disent McChesney etNichols, ainsi que Gillmor, est que le public, c’est-à-dire les pronétaires, prenne conscience progressive-ment qu’une autre voie est possible. Que des actionspeuvent être entreprises pour changer le mediasystem. D’où l’importance de l’influence croissantedes blogs, des journaux citoyens participatifs et de

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1. Voir à ce sujet l’excellente analyse de Jean-François Fogelet Bruno Patino sur la fin des mass média dans Une presse sansGutenberg, Grasset, 2005.

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toutes les initiatives de création collaborative et dediffusion en réseau des informations.

Pour paraphraser la célèbre formule de KarlLiebknecht : «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous 1 !», il conviendrait désormais de dire :

Pronétaires de tous les pays, unissez-vous !

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1. Lettre à la conférence de Zimmerwald, 1915, reprise dansle Manifeste de l’Internationale communiste en 1919.

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Chapitre 2

Des débuts de l’Internet àla prise de contrôle des pronétaires

De l’agora à Internet

La communication de masse n’est pas un phéno-mène nouveau : elle existe depuis l’Antiquité. Dansla Grèce antique, l’agora était la place publique oùse réunissaient les tribuns et la foule pour débattreet faire du commerce. Plus proches de nous, lescrieurs publics – l’envoyé du roi et son « Oyez !Oyez !» à l’époque médiévale, le garde-champêtreet le tambour du village au début du XXe siècle –étaient des « mini-mass média ». Les habitants serendaient sur la place du village pour écouter lemessage du seigneur ou du notable local. Il s’agis-sait, là encore, d’une communication «synchrone» :se retrouver au même moment dans un même lieuest le premier critère de la communication de masse.Une ouverture à l’expression de chacun se retrouve

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dans le principe du « Hyde Park Corner », propreaux pays anglo-saxons : en montant sur une caisse,n’importe quel tribun peut haranguer les foules.

Aux XVe et XVIe siècles, avec l’essor de l’impri-merie, apparaît la «diffusion de masse». C’est unevéritable révolution. Pour la première fois, un docu-ment peut être imprimé et reproduit à des milliers,voire à des dizaines de milliers d’exemplaires ; lapopulation peut ainsi en prendre connaissance sansêtre obligée de se rassembler dans un même lieu,au même moment. Le premier vrai mass médiasera le journal. Sur l’agora, chacun pouvait lever lamain et prendre la parole. À l’inverse, la diffusionde masse «de un vers beaucoup» ou «du haut versle bas » (en anglais one to many ou top down) nepermet pas ce « retour d’information ». Il existebien la possibilité d’un « courrier des lecteurs »,mais l’impact reste anecdotique.

Après l’écrit, avec le journal, le magazine, lelivre, apparaît le son, avec la radiodiffusion. Désor-mais, l’individu a la possibilité de parler et d’êtreentendu «en direct», mais à distance. Un peu plustard, grâce aux enregistrements, il pourra mêmeêtre écouté «en différé», c’est-à-dire en dehors dutemps et de l’espace, ce qui représente un change-ment fondamental. Puis vient l’image. La télévisionfait exploser cette notion de communication et dediffusion pyramidales, ou top down 1. Des années 50jusqu’à aujourd’hui, elle a fait émerger une sorte de«communauté mondiale» que nous appelons parfois

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1. Les formules suivantes 1V1, 1VT, TVT, TV1 signifientrespectivement «un vers un», «un vers tous», « tous vers tous»et « tous vers un» (en anglais 121, 12M, M2M, M21, soit respecti-vement one to one, one to many, many to many et many to one).

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l’opinion publique. Les téléspectateurs peuventpartager une même émotion au même momentdevant des images diffusées en direct sur les chaînesde télévision du monde entier (la mort de Kennedy,les attentats du 11 septembre, les Jeux olympiques,le tsunami en Asie du Sud-Est, les cataclysmes deLa Nouvelle-Orléans…).

Internet : rupture, convergence et relations

Après l’imprimerie, la radio et la télévision, unequatrième grande révolution se produit au milieudes années 90 : c’est Internet. À la différence desprécédents, ce média ne se contente pas de commu-niquer vers les gens. C’est un « double média »(TVT) qui permet de recevoir et d’émettre del’information : les utilisateurs s’écrivent, créentde l’information, en donnent, en vendent ou enachètent (à condition, bien entendu, de se formerou d’être formé à ces nouveaux usages). L’émer-gence des média des masses serait impensable sansles formes d’accessibilité propres à Internet. Onpeut considérer Internet comme une technologiede rupture (en anglais disruptive technology). Eneffet, avec son invention, une mutation fondamen-tale s’est opérée, favorisant l’essor de nouveauxchamps d’expansion à la fois dans le domaine de laconnaissance et dans celui de la prise de pouvoiret des rapports de forces. Internet serait ainsi lerésultat de convergences technologiques provenantà la fois de l’ordinateur, des routeurs, des réseauxde communication et d’aiguillage, des réseaux decommunication à bas, moyen et haut débit et des

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terminaux qui se sont améliorés ces dernièresannées, sans oublier les logiciels de navigation quipermettent de « surfer » sur le Net. De ce fait, iln’est pas un nouveau média, comme on l’a souventdit, pas plus qu’un support d’informations en toutgenre ; il est un «écosystème informationnel». Dansla mesure où les nœuds et les liens du réseau sontinterdépendants, où ce qui bénéficie à l’ensembledu système bénéficie à chacun de ses nœuds et oùle progrès de chacun des nœuds profite à l’ensemble,Internet possède bien les caractéristiques d’unécosystème. Un écosystème évolutif dans lequel lesêtres vivants s’échangent en permanence nonseulement de la monnaie, comme dans l’économieclassique, mais surtout de l’information.

Internet n’est pas non plus, comme on l’a beau-coup entendu, une nouvelle technologie de l’infor-mation et de la communication (NTIC), termeinventé et proposé par les ingénieurs des réseaux.Ses utilisateurs voient en lui une technologie de larelation (TR) plus qu’une NTIC. Effectivement,ce qui fait la force d’Internet depuis son appari-tion, c’est son potentiel de création d’interrela-tions humaines, en particulier par le biais de lamessagerie électronique qui, encore aujourd’hui,représente l’une des applications les plus utiliséesdu Net.

Les principaux usages d’Internet se sont déve-loppés grâce aux utilisateurs eux-mêmes. Lesproducteurs de logiciels ou les grandes entreprisesont certainement joué un rôle de facilitateurs enproposant des logiciels performants, mais ce sontbien les utilisateurs qui ont adapté les outilsInternet à leurs besoins. C’est ainsi qu’on a vu

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émerger, du bas vers le haut (bottom up), lesgrandes applications d’Internet : la messagerieinstantanée, la messagerie électronique, le bavar-dage en ligne ou «chat», les navigateurs, le peer topeer ou P2P… Pour Michel Bauwens, rédacteur enchef de la revue belge Wave, « le P2P est la dyna-mique humaine intersubjective à l’œuvre dans lesréseaux “distribués”. Avec ce système, les agentssont donc autonomes, libres d’agir et de contribuer(et donc aussi de se retirer, de ne pas participer), etne sont pas soumis ni contrôlés par une autoritéhiérarchique, ni motivés par des signaux écono-miques comme le “prix” ou le “salaire”. […] Lesprocessus P2P sont donc généralement associés àune production de valeur. Le profit pour eux n’estpas une fin, mais une valeur d’usage. Leurs“produits” sont rarement vendus sur le marchémais sont la plupart du temps mis gratuitement à ladisposition des utilisateurs et du public, sous desformes propriétaires nouvelles, de “bien public” ou“bien communautaire” 1 ».

Ni nouveau média, ni NTIC, cet écosystèmeinformationnel qu’est devenu Internet possèdecertains « caractères uniques » qui permettentaujourd’hui l’émergence des média des masses. Enpremier lieu, Internet possède une propriétéd’« intercommutabilité ». D’un simple clic sur unlien HTML, le visiteur d’un site Web peut passer surun autre site. En introduisant un ou plusieurs liens,le créateur du site permet une «commutation» versun autre espace.

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1. Voir www.pronetariat.com/2

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Jusqu’à présent, cette commutabilité n’étaitpossible que grâce à deux grandes institutions offi-cielles, parfois privées, parfois publiques, connuessous le nom générique de Postes et Télécommuni-cations. Le rôle de l’expéditeur, qui envoie un plipar la poste, se limite à écrire l’adresse du destina-taire sur une enveloppe timbrée et à glisser cetteenveloppe dans une boîte aux lettres. C’est la postequi se charge du reste, notamment du tri et de ladistribution. Un processus analogue existe dans lestélécommunications. L’usager du téléphone composeun numéro sur le clavier à touches de son télé-phone fixe ou portable. Quelque part dans un stan-dard téléphonique, les informations sont commutéessous forme électronique avant d’arriver à destina-tion : le téléphone sonne, le destinataire décroche,puis vous parle. Cette fois encore, l’usager ne joueaucun rôle.

Avec Internet, tout change. En effet, l’usager«devient» en même temps la poste et les télécom-munications. Il a la possibilité, via un lien HTML, decréer lui-même la commutation. C’est cette commu-tation qui permet la prolifération des blogs et leurinterconnexion entre eux (grâce aux fils RSS dontnous parlerons au chapitre suivant). Les sites sontliés les uns aux autres et chaque utilisateur peutstocker dans son PC des centaines, voire des milliersde «favoris» (bookmarks) et d’adresses e-mail. Plusle nombre d’utilisateurs augmente, plus le nombrede favoris et d’adresses e-mail conservé par chacund’entre eux est élevé, et plus la densité et donc lacomplexité du réseau s’accroît.

La densité des nœuds du réseau associée à lacapacité de tisser des liens entre eux peut être

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comparée aux neurones d’un cerveau et à sesganglions interneuronaux : chaque neurone (il y ena 15 à 20 milliards dans notre cerveau) est connectéà 10000 autres neurones, ce qui donne une idée dela densité de ce réseau ! Qu’on le veuille ou non, leNet est en train de se constituer à la manière d’uncerveau, avec ses synapses, ses interconnexions, sesdendrites…

Par ailleurs, Internet permet la fusion numériquede tous les supports. Le numérique, c’est la possibi-lité d’interconnexion généralisée des média – letexte, l’image, le son – et des modalités – l’inter-activité, la communication interpersonnelle, la télé-phonie sur IP (VOIP pour Voice Over IP), latélévision en P2P. Ces propriétés d’intercommuta-bilité et de fusion numérique constituent la base del’écosystème informationnel.

L’impact d’Internet est comparable à celui del’imprimerie, des journaux, de la télévision ou del’automobile en leur temps. De manière analogue àcette dernière qui a favorisé l’« automobilité »,permettant à chacun de se déplacer dans l’espace àson gré et au moment où il le souhaitait, Internet adonné naissance à l’« infomobilité». L’infomobilitéoffre des possibilités nouvelles : les « infonautes »sont libres d’aller chercher de l’information dansdifférentes « sphères » du cyberespace, puis de latransmettre ou non à quelqu’un d’autre. La libertéque l’automobile a créée dans l’espace physique,Internet la rend possible dans le cyberespace. Decette façon, les pronétaires sont affranchis dumonopole de l’information qui, jusqu’à présent,dictait sa loi en imposant ses chaînes de télévisionet ses radios.

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Trois pionniers à la base de la révolution Internet

L’épopée Internet ayant déjà été contée à demultiples reprises, l’objet n’est pas ici de le faire unefois de plus. On se limitera donc à raconter leparcours de ses créateurs. Internet est né d’«unepersonne plus trois»… Cette personne s’appellePaul Baran et était ingénieur au Stanford ResearchInstitute lorsque le département de la Défenseaméricain lui commanda l’écriture d’un logicielspécifique. Celui-ci devait permettre aux informa-tions de circuler par «paquets» dans les réseauxinformatiques, de telle sorte que les paquets arriventà destination même si une partie importante duréseau était détruite à la suite d’une attaque nucléaire.Baran inventa une sorte de « train» d’informationscontenant l’adresse en tête du convoi et des« wagons » se succédant dans un ordre bien déter-miné. Ces derniers pouvaient se dissocier, c’est-à-dire suivre des chemins différents, puis sereconstituer une fois arrivés à destination.

Ce principe a ensuite été renforcé par VintonCerf, l’un des trois vrais promoteurs d’Internet avecMarc Andreessen et Tim Berners-Lee. Ce sont euxqui ont permis la convergence qui donna naissance àl’Internet du début des années 90. Vinton Cerf s’estinspiré des travaux de Paul Baran pour développerle protocole TCP/IP qui a officialisé et standardisé laprocédure en vertu de laquelle les paquets arrivaientà destination et attendaient les suivants afin dereconstituer l’information complète et dans le bonordre. Un petit nombre d’ordinateurs ont commencéà échanger ce standard aux États-Unis dès les

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années 70, notamment autour de 1974 et 1975.Quelques années plus tard, le protocole TCP/IPs’implanta en Amérique latine, puis traversa l’Atlan-tique et démarra une carrière internationale entreles États-Unis et l’Angleterre. Le département de laDéfense se désintéressa du protocole et le céda à laNational Science Foundation, qui le diffusa d’abordauprès des grandes universités, puis au monde entier.

C’est à ce moment qu’intervint Marc Andreessen,un jeune informaticien de 24 ans qui eut l’idée d’ap-pliquer à Internet le système hypercard de la sociétéApple. Apple avait en effet imaginé un procédéselon lequel chaque carte était reliée à toutes lesautres. Il suffisait de cliquer sur une carte pourpasser de l’une à l’autre selon la nature et l’objet dulien sélectionné. Andreessen a marié l’hypercard etle protocole Internet dans Mosaic, un navigateur unpeu fruste conçu pour permettre à l’utilisateur decliquer sur des icônes et d’ouvrir ainsi sur des sites.

En 1974, à l’époque où j’étais au MIT et où jel’utilisais pour communiquer avec la StanfordUniversity, le réseau ne s’appelait pas encoreInternet mais ARPA. La communication passaitpar un protocole sous Unix et il fallait prévenir soncorrespondant avant de se connecter ! On l’infor-mait qu’on allait l’appeler via le PC et il configuraitson ordinateur afin de pouvoir recevoir le messageou le transfert de fichier. Avec Mosaic, le transfertde fichiers était simplifié grâce à l’intégration deFTP (File Transfer Protocol) dans le navigateur etl’utilisation des liens HTML (Hypertext MarkupLanguage), contenant les adresses électroniques(dans une ligne ou une image) qui permettraient auPC de commuter vers d’autres sites.

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Tim Berners-Lee, chercheur au CERN (Centreeuropéen de recherche nucléaire) de Genève, eutl’idée de connecter tous les PC du centre entre euxpour permettre aux employés d’échanger leursfichiers. Pour cela, il mit au point un « log », l’an-cêtre du www (World Wide Web), permettant d’unsimple clic (via le protocole HTML) d’échangerdes informations et des fichiers avec le PC désiré.Fort de son invention, il proposa à des investisseursde financer son projet pour l’étendre à tous les PCde la planète. On lui répondit qu’il n’existait aucunmarché parce que les gens n’avaient rien à se dire !Les entreprises possédaient leurs réseaux, leursprotocoles et leurs logiciels propriétaires… L’idéede Berners-Lee était déjà de créer un réseauuniversel, mais les industriels craignaient de s’en-gager dans un projet aussi ambitieux. Comprenantqu’il n’aboutirait pas, Berners-Lee céda gratuite-ment son logiciel. Ainsi, c’est la conjonction, laconvergence à la fois technologique et humaine, larencontre des inventions de Vinton Cerf, MarcAndreesen et Tim Berners-Lee, qui a conduit àfaire émerger le Web, la « toile». C’est cette aven-ture collective qui a permis l’extraordinaire etpassionnant développement d’Internet.

Internet et modèles biologiques :une évolution darwinienne

Le Net s’est développé comme un systèmedarwinien, de manière buissonnante, comme la vieelle-même, à l’image de l’arbre de l’évolution duvivant. Une petite contribution est saisie au vol,

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puis améliorée par quelqu’un. Comme l’a dit lebiologiste et prix Nobel François Jacob : « L’évo-lution biologique, c’est du bricolage… » La conver-gence n’existe pas toute seule. Elle n’est possibleque parce que certains esprits créatifs, intuitifs, ontla curiosité de tenter des expériences, de combinerdes idées… C’est ainsi qu’Internet est né, s’estconstruit et continue de se développer, technologieconvergente à la fois sur le plan humain et sur leplan technologique (intelligence humaine, logiciels,ordinateurs, réseaux…).

En biologie, les espèces vivantes constituent unréservoir d’ADN. Ce réservoir subit, en perma-nence, des agressions dues à l’environnement(rayons cosmiques, faim, compétitions interespèces,stress…), lesquelles provoquent des mutations dansl’ADN. Ce processus continu peut être comparé àun «générateur aléatoire de diversité», qui donneranaissance à des espèces différentes. Celles-ci s’adap-teront ou non à l’environnement, c’est-à-dire serontou non capables de mieux se nourrir, de courir plusvite, de développer des griffes plus longues queleurs semblables pour attaquer leurs ennemis. Sielles s’adaptent, voire évoluent suffisamment pourdonner naissance à une population qui reconstituece réservoir d’ADN, se crée alors une « boucle derenforcement » de ceux qui ont réussi : c’est lecélèbre survival of the fittest (la survie des mieuxadaptés) de Darwin. En revanche, si elles neparviennent pas à s’adapter, elles disparaissent, etleur ADN avec elles.

Le principe est analogue en informatique. Unpôle d’informaticiens crée de nombreux logiciels.Ceux-ci sont «agressés» par l’environnement : des

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utilisateurs les testent et décident de leur apporterou non des modifications. S’ils le font, des muta-tions voient le jour. Les programmes qui ont ainsi« muté » sont alors envoyés à des « bêta-testeurs »,qui les utilisent tels quels ou les modifient avant deles renvoyer sur le réseau. De même que pour lesespèces animales, les programmes qui ont réussi às’adapter à leur environnement survivent, lesautres sont détruits. Comme dans tout systèmedarwinien, ce processus chaotique fait émerger despropriétés nouvelles favorisant la naissance d’orga-nismes (ou de logiciels) plus organisés et condui-sant à une complexité croissante. Mais commentpasse-t-on du chaos à des caractéristiques généra-trices d’organisation ?

La théorie du chaos déterministe s’appliqueégalement à Internet. Il y a peu de planificationd’ensemble dans l’évolution du réseau mondial,mais des myriades d’initiatives individuelles ouissues de petits groupes. La question ici est de savoircomment un tel système permet l’émergence desmédia des masses. L’Internet d’aujourd’hui reposesur des serveurs diffusant rapidement de l’informa-tion dans des réseaux à haut débit (ADSL, câble,satellite…), grâce à des routeurs qui aiguillentcette information vers des terminaux multimédia(portables ou fixes), lesquels acceptent les proto-coles interactifs et, dans certains cas, sécurisés. Laquestion maintenant est de comprendre commentfonctionnera le nouvel Internet et pourquoi il s’im-posera comme le support des média des masses.

L’Internet de demain reposera sur trois piliersqui se renforceront mutuellement : le multimédia,le haut débit et le « sans fil », avec la «portabilité».

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Avec le multimédia, Internet n’est plus seulementdu texte, de l’image et du son. C’est également dufilm, de la vidéo et de l’interactivité en ligne. Parexemple, une vidéo-conférence interactive estpossible aujourd’hui en haut débit (environ 10mégabits/seconde), et elle le sera bientôt en VTHD(vraiment très haut débit : 10 gigabits/seconde).À titre d’exemple, le VTHD permettra de télé-charger une vidéo d’une durée de deux heurestrente en seulement quelques minutes.

Ainsi, l’Internet de demain, avec ses blogs,e-mails vidéo, messageries, etc., favorisera une plusgrande interaction entre les utilisateurs. Le télé-chargement de vidéos interactives jouera un rôlede plus en plus important dans les processus d’édu-cation, d’acquisition de connaissances et, surtout,de comparaison des informations entre elles. Grâceà ces données, à la fois techniques, technologiques,sociologiques, économiques, industrielles et cultu-relles, les média des masses commencent à appa-raître dans cet écosystème informationnel commeun cinquième pouvoir. À la différence des quatreautres, qui sont tous descendants, celui-ci laisse laplace à de nouveaux enjeux et menace les détenteursde pouvoirs «classiques». C’est une nouvelle «forcecivique citoyenne», comme l’appelle IgnacioRamonet1.

L’émergence de ce cinquième pouvoir est notam-ment rendue possible par la transition entre sitesWeb et blogs. Ces derniers, dont le nom est uneabbréviation de « Web logs », sont une nouvelle

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1. Ignacio Ramonet, « Le cinquième pouvoir », Le Mondediplomatique, octobre 2003.

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génération de sites qui permettent de pallier lemanque d’interactivité des sites Web classiques(mises à jour compliquées, recours nécessaire à deswebmasters…). Il est intéressant de relater ici leurnaissance, en s’inspirant du récit qui en a été fait parCyril Fievet et Emily Turrettini 1.

L’explosion des blogs, wikis, P2P et podcasting, nouvelles armes des pronétaires

«On peut considérer que les premiers blogs sontapparus sur Internet dès 1993, mais ils ne s’appe-laient pas encore ainsi. Il a fallu près de quatre anspour que le genre se développe et ce ne sera qu’endécembre 1997 que Jorn Barge, éditeur de RobotWisdom, leur donnera le nom de “weblog”, qui seraensuite adopté par tous. Mais l’action de bloguerexiste réellement depuis l’origine du World WideWeb. Le premier weblog était tout simplement… letout premier site Web de l’Histoire, accessible àl’adresse “http://info.cern.ch” et réalisé en 1990 parTim Berners-Lee, l’inventeur du Web au CERN.Depuis ce site, grâce aux liens hypertexte, TimBerners-Lee documentait son projet en pointantvers de nouveaux sites. En 1992, il crée une pageintitulée “What’s New”, sous la forme d’une liste denouveaux sites, mise à jour au fur et à mesure deleur apparition sur ce qui deviendra la “Toilemondiale”.

Pour l’anecdote, on peut noter que le créateur deLiveJournal, l’un des premiers outils de publication

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1. Cyril Fievet et Emily Turrettini, Blog Story, Eyrolles, 2004.

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de blogs, tenait sur son ordinateur, dès 1997, unesorte de journal électronique (http://www. linuxworld.com/story/39218.htm). Le journal se compo-sait de simples phrases qui apparaissaient en bas del’écran de son ordinateur et servaient de “mémoirepersonnelle” résumant l’activité quotidienne dujeune homme : “Je descends à la cave chercher unsoda”, ou encore “J’ai joué au frisbee, je suis pleinde terre”. Peut-être l’un des ancêtres du journalintime électronique…

Par la suite, on s’accorde généralement à direque les premiers blogs sont les suivants :

Juin 1993 : La page “What’s New” de NCSAMosaic, un répertoire de nouveaux sites Web (Mosaicétait l’un des premiers navigateurs Web, précurseurde Netscape, créé par Mark Andreessen), est créée.Janvier 1994 : Justin Hall lance un site personnelqui deviendra ensuite “Links to the Underground”.Avril 1997 : Dave Winer débute son blog,“ScriptingNews”, qui existe toujours et peut donc être consi-déré comme le plus ancien blog toujours actif.Quelques mois plus tard, en juillet, ouvre Slashdot,un vaste site d’information communautaire dédiéà l’informatique, considéré aujourd’hui comme leblog collaboratif le plus populaire au monde.Décembre 1997 : Le blog de Jorn Barge, “RobotWisdom”, rend populaire le terme weblog.Novembre 1998 : Cameron Barrett publie le premierrépertoire de blogs sur “Camworld”. Début 1999 :Peter Merholz, l’un des tout premiers blogueursavec “peterme.com”, décrète qu’il va prononcerweblog en “wee-blog”, et ce terme se simplifierapour devenir “blog” tout court. L’éditeur d’unweblog deviendra dès lors un blogger (en anglais).

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Dans le monde francophone, les toutes premièresinitiatives qui s’apparentent à du blogging – ou dudiarisme – remontent à la fin des années 90, auQuébec. “Pssst”, aujourd’hui fermé, est considérécomme le premier “blog collaboratif”. Les premiersblogs personnels francophones apparaissent en2000 : Karl Dubost, Stéphanie Booth, EmmanuelleRichard, Emmanuel Bizieau et d’autres débutentleur journal en ligne. Certains de ces blogs sonttoujours actifs. »

Les blogs utilisent une interface très simple quipermet de modifier le site en temps réel. Mais leurgrande originalité est le recours au RSS Feed (voirp. 51 et suivantes). Ce sigle, composé des initialesde Really Simple Syndication (syndication vrai-ment simple) ou de Rich Site Summary (résumécomplet d’un site), est un système collectif permet-tant d’avertir les abonnés en temps réel dès qu’unemise à jour est effectuée. L’association blogs/RSScontribue à créer un réseau d’intelligence collec-tive. En effet, chaque fois qu’un blog est mis à jourpar son auteur, le logiciel RSS, qui détecte lesmodifications, prévient automatiquement les utili-sateurs. L’internaute n’a plus à aller à la pêche àl’information : le logiciel RSS « veille » pour lui. Ils’agit là d’un progrès considérable dont on nemesure pas encore suffisamment l’importance.

Cette nouvelle possibilité a favorisé la créationde nombreuses start-up. Beaucoup de petites entre-prises ont été créées pour faciliter l’explosion desblogs – telles que SixApart Europe, créée par LoïcLe Meur avec des logiciels comme TypePad, Mova-bleType et LiveJournal. Les blogs eux-mêmes ontdonné naissance à d’autres outils, comme les vlogs

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(ou videoblogs : cette fois, le texte est remplacé pardes images et de la vidéo). Les pronétaires disposentdésormais d’outils d’empowerment : des outils pro-fessionnels qui donnent aux amateurs un réelpouvoir. Ils utilisent ainsi des téléphones caméras(camphones) ou des caméras numériques pourfilmer des scènes de rue qu’ils peuvent mettreimmédiatement en ligne. Leurs reportages sontsouvent aussi intéressants que ceux des journalistesprofessionnels car ils portent un regard différentsur l’information.

Blogs et vlogs participent donc à la montée d’unnouveau pouvoir, lequel se démarque du pouvoirdu journaliste traditionnel, qui filtre l’informationdevenue un bien de consommation comme unautre. Les professionnels de la téléphonie ont biencompris l’avantage qu’ils peuvent en tirer etcommencent à accompagner ce mouvement. Ainsi,à Nantes, SFR et Motorola sponsorisent l’opérationmenée par la télévision associative locale, qui aconfié 200 téléphones mobiles aux habitants,devenus reporters. Autre exemple : en octobredernier s’est tenu en France le premier festival du«pocket film » sur mobile.

Une économie de l’abondance fondée sur le numérique

Parallèlement aux blogs et aux vlogs sontapparus les «wikis». Cet outil de média des massestire son nom de l’expression hawaïenne wiki wiki,qui signifie «vite». Le wiki le plus important et leplus renommé est Wikipedia.org, une encyclopédie

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gratuite en ligne, continuellement remise à jour parun collectif pronétarien soutenu, notamment, par laWiki Foundation. Elle contient plus d’un million etdemi d’articles, disponibles en près de 40 langues,et progresse à raison de 2 500 articles par jour (lacélèbre Encyclopædia Britannica, elle, ne contient«que» 120000 articles en 32 tomes…).

Dans notre culture marchande, il est rare quedes individus acceptent de travailler sans rémuné-ration, et dans l’intérêt de tous. L’Internet desmédia des masses a donné naissance à une nouvellenouvelle économie. Il ne s’agit plus seulementd’une économie de marché, mais d’une économieavec marché, doublée d’une « économie de lagratuité » (voir p. 73 et suivantes). L’économie demarché traditionnelle ne va pas disparaître, maisune économie «plurielle» va favoriser des échangesautres que marchands (temps contre temps, tempscontre valeur, temps contre info, info contre temps,info contre info…) 1.

Ainsi, sur le site Web d’un scientifique (commewww.derosnay.com), il est possible de mettregratuitement des informations à la disposition detous. On constate qu’une partie des visiteurs quicollectent ces informations en renvoient d’autres,tôt ou tard. Il s’agit en quelque sorte d’une rémuné-ration indirecte. Ce système de média des masses, àtravers par exemple les wikis, invente, en marge del’économie classique, de nouveaux marchés, de

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1. Voir, au sujet de l’«économie plurielle» et de l’«économieavec marché», l’excellent livre de Philippe Merlant, René Passetet Jacques Robin (dir.), Sortir de l’économisme. Une alternativeau capitalisme néolibéral, Éditions de l’Atelier, 2003.

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nouvelles économies plurielles. Au-delà du modèleéconomique traditionnel de gestion de la raretéfondé sur l’énergie et les biens matériels, uneéconomie de l’abondance fondée sur le numériquepermet ainsi aux utilisateurs de gagner de l’argent.

À côté des wikis, des blogs et des vlogs apparaît leP2P (peer to peer ou pair à pair), un protocole decommunication décentralisé permettant, notam-ment, d’échanger de la musique et dont la presses’est largement fait l’écho à la suite du télécharge-ment et de la mise en circulation de musique souscopyright (problème de Napster et du télécharge-ment illégal de musique). Il est intéressant de noterque le concept de pair à pair est au cœur de la défini-tion même du protocole Internet, de l’idée que toutemachine a vocation à être à la fois récepteur, émet-teur et transmetteur. La télévision en P2P (l’échangede vidéos) connaît également un grand succès. Selonde récentes études, les internautes téléchargentdésormais davantage de vidéos que de musique.Qu’elle soit payante ou non, la télé en P2P peut êtreutilisée par les consultants qui souhaitent échangerleur savoir-faire, mais également dans le domaine dela coéducation (en complément de l’université, del’école ou des cours de formation professionnelle).

D’un point de vue conceptuel, on retrouve égale-ment l’approche décentralisée des technologies pairà pair au sein des réseaux sociaux (social networking)1.Ces derniers se sont développés à un niveau

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1. Dans la réalité, le P2P, qui est une infrastructure génériqueet dont l’architecture est particulièrement adaptée au dévelop-pement des réseaux sociaux, ne possède pas en soi cette dimen-sion sociale.

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professionnel (Viaduc, Linkedin, 6nergies…), maisle pair à pair fait aussi l’unanimité auprès despersonnes désireuses de se rencontrer. Des sitescomme Meetic.com ou Friendster.com permettent àceux qui le souhaitent d’échanger de l’informationou de participer à des projets communs, voire defaire des rencontres et de se marier… Sur un planlocal, le social networking fonctionne aussi : desparticipants à un colloque peuvent porter un badgequi émet à distance des mots clés renseignant lesautres participants sur leurs goûts, leurs centresd’intérêt, leur profil professionnel ou personnel.

Au-delà des simples applications à la musique, àl’image et à la vidéo, la «philosophie» P2P favorisedonc les rencontres entre individus partageant lesmêmes valeurs, appartenant à la même «tribu». Cesindividus sont friands des outils portables, qu’ilsutilisent pour se connecter les uns avec les autres ouse réunir dans des lieux publics. Howard Rheingold,un sociologue américain spécialiste des implicationssociologiques des nouvelles technologies, a baptiséce nouveau phénomène smart mobs : des foules serassemblent pendant quelques minutes ou quelquesheures, puis se séparent une fois l’objectif atteint 1.

Un autre système commence également àprendre de l’ampleur : il s’agit du «podcasting», unnouveau moyen de diffusion de fichiers sonores ouvidéo qui s’appuie lui aussi sur le format RSS ets’inspire de l’iPod, une création d’Apple (voir p. 78et suivantes). Le podcasting a d’abord été conçupour pouvoir fabriquer et diffuser ses radiospersonnelles : chacun peut, avec un outillage simple,

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1. Howard Rheingold, Foules intelligentes, M2 Ed, 2005.

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lancer sa propre émission. Mais l’usage en a trèsvite été étendu. Ainsi, il suffit de capter une émis-sion à partir de n’importe quelle radio FM, soitdirectement sur son PC, soit grâce à de nouveauxappareils capables de convertir la musique radio-diffusée au format MP3 de haute qualité audio,puis de la rediffuser sur le Net. Chaque correspon-dant pourra ensuite écouter cette émission à loisirsur son lecteur MP3, par exemple un iPod.

Mais la possibilité de réémettre des émissionsradio en podcasting pose un certain nombre deproblèmes juridiques et crée des difficultésnouvelles aux stations de radio, qui ne se trouventplus en situation de monopole. N’importe qui peutdésormais créer et lancer librement son programmeradio personnel sur Internet. Nul besoin, pour avoirle droit d’émettre, de disposer d’une fréquenceattribuée par les autorités de régulation des télé-communications. Pour avoir l’autorisation dediffuser de la musique sur l’espace FM, les stationspaient des droits à la source. L’auditeur, qui, lui, secontente de capter leurs émissions, ne paie rien. Illui a suffi d’acheter un transistor et de se branchersur sa station préférée.

En théorie, à partir du moment où les droits dediffusion d’une musique ont déjà été payés, n’importequel auditeur peut l’enregistrer et la réémettregratuitement vers un autre récepteur. Pourtant,d’après certains juristes, le pronétaire-diffuseur estdans l’illégalité à partir du moment où, parexemple, il rediffuse une chanson. L’enregistrementest en effet considéré comme de la copie privée, quiest légale, mais le podcast consiste dans une mise àla disposition du public, qui, elle, est interdite. En

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pratique, on observe cependant une grande tolé-rance, surtout lorsqu’il s’agit uniquement de faireécouter la chanson et non pas de la proposer entéléchargement. La Sacem (Société des auteurscompositeurs et éditeurs de musique) travaille surun projet de licence pour le podcasting, mais celle-ci ne couvrira pas les droits des producteurs, à qui ilfaut toujours, en théorie, demander l’autorisation

Beaucoup plus qu’avec le simple e-mail ou l’IM(messagerie instantanée), le Web redécouvre ainsisa vraie vocation : connecter des personnes àd’autres personnes au même moment pour desactivités partagées. L’interconnexion de tous cesoutils, dans cet écosystème informationnel qu’estdevenu Internet, catalyse la montée progressive desmédia des masses.

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Chapitre 3

Les nouveaux outils et usagesdes pronétaires

Un fil d’Ariane pour interconnecter les blogs :le RSS

Parmi les innovations les plus explosives de l’In-ternet de ces derniers mois figure sans conteste lesystème de diffusion et de mise à jour automatiquede sites Web et de blogs appelé RSS. Il fonctionneà partir de fichiers de type XML mis à jour entemps réel et reprend ainsi automatiquement lestitres ou le texte intégral d’un site Web ou d’unblog. Grâce à un logiciel spécialisé, le flux RSSpeut être ensuite affiché sous forme de lienscliquables dans une autre page Web. Un abonné auservice météo, aux cours de la Bourse ou à unmagazine sportif, par exemple, verra s’afficherautomatiquement les dernières informations sur sapage d’accueil. Il ne lui sera même plus nécessaire

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de consulter le site d’origine pour accéder à cellesqui l’intéressent.

Le flux RSS présente de nombreux atouts. Sil’on décide de générer automatiquement un fichierRSS chaque fois qu’une mise à jour est effectuée,on permet à d’autres utilisateurs d’anticiper sur lesévolutions à venir de la consommation d’informa-tion sur le Web. Ce flux peut être agrégé à d’autresflux grâce à des « lecteurs RSS » qui proposent des’y « abonner » (comme on peut s’abonner à desgroupes de discussion) pour les afficher ensuitedans une interface personnalisable. De ce fait, sansavoir besoin de consulter un à un ses sites préféréspour être informé des nouveautés, on peut insérerleur fil d’informations RSS dans un logiciel compa-tible pour que toutes ces sources d’informationssoient agrégées sur un seul écran.

Différentes méthodes sont possibles pouraccéder aux flux RSS : utiliser un logiciel de messa-gerie et profiter d’informations à jour pendant quel’on consulte ses e-mails ; se servir de son naviga-teur Web pour afficher les différents flux d’infor-mations sous la forme d’une page Web ; ou encore,et c’est la méthode la plus répandue, téléchargerdes logiciels gratuits, les lecteurs RSS, spécialisésdans l’agrégation de flux d’informations RSS. Pourbénéficier des mises à jour automatiques, il suffitd’enregistrer au préalable dans le lecteur l’adressedes flux d’informations que l’on souhaite récupérersur sa page d’accueil. La plupart des sites diffusantdes flux d’informations affichent sur leurs pagesune icône bien identifiable sur laquelle il convientsimplement de cliquer. De plus apparaissent desoutils que l’on appelle des agrégateurs grâce

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auxquels l’utilisateur compose sa page à sa guise : àcôté de ses fils RSS favoris, il peut afficher lamétéo, un comparateur de prix, un moteur derecherche multiple… Ce sont les services quefournit par exemple Netvibes en français.

Le développement foudroyant du système RSSest en train de donner naissance à une industrieflorissante. Google, Pheedo, Feedster et YahooSearch Marketing développent des publicités adap-tées au RSS. Cinquante-sept pour cent des entre-prises interrogées par Forrester Research ontdéclaré être intéressées par la publicité sur les fluxRSS. Les tarifs publicitaires sont actuellement encours d’étude. Par exemple, la société Pheedo, quiplace des publicités RSS pour une centaine declients, facture entre 50 cents et 1,75 dollar par clicsur chaque annonce. Google et Yahoo se serventd’un logiciel spécialisé pour faire coïncider lescontenus, les flux RSS et les publicités proposéesaux lecteurs. Yahoo a inclus le RSS sur son site MyYahoo, ce qui permet à un utilisateur intéressé parun sujet de découvrir des mises à jour auxquelles iln’avait pas pensé, simplement parce qu’un autreutilisateur a découvert une adresse intéressante surle même thème. Verizon a commencé à acheter del’espace sur des flux RSS.

Mais, bientôt, la donne va de nouveau changer.En effet, Microsoft prévoit d’ajouter un lecteurRSS à sa prochaine version de Windows etd’Internet Explorer. Cette modification va contri-buer à répandre davantage encore l’utilisation duRSS et, par voie de conséquence, démultiplier lesréseaux d’intelligence collective ou de créationcollaborative.

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Télévision, vidéo et éditions pronétariennes

De nouvelles technologies vont rendre irréver-sible la profonde mutation que va subir la télévi-sion dans les prochaines années. Un phénomèneanalogue au podcasting va en effet se produirepour le média des média. Comme pour la réémis-sion des flux radio, il sera bientôt possible, à partirde son ordinateur personnel, de transférer gratuite-ment sur le Net des émissions de télévision. Grâceà des systèmes comme Cybersky-TV (dont lelancement est actuellement bloqué par une plaintedéposée par une chaîne allemande), les internautesvont pouvoir créer leurs propres images et lesdiffuser gratuitement en P2P TV avec BitTorrent,un logiciel téléchargeable gratuitement sur le Net.BitTorrent concentrait déjà 30% du trafic mondialà la fin de l’année 2004 et il revendique 45 millionsd’utilisateurs dans le monde.

Ainsi que le précise le Journal du Net, «à l’instarde Napster, désormais coté au Nasdaq, BitTorrentveut sortir de l’illégalité et prépare sa reconversiondans le commerce en ligne, en levant 8,75 millionsde dollars auprès du fonds américain Doll CapitalManagement en 2005. La société est en négociationavec les majors du cinéma et de la musique, ainsique les éditeurs de jeux vidéo, pour bâtir son cata-logue. Elle base son modèle économique à la foissur la publicité et la vente de contenus protégés pardiverses technologies 1 ». Comme pour la musique,ou le téléphone avec Skype, chaque PC devient,avec BitTorrent, le relais d’autres ordinateurs

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1. www.pronetariat.com/3

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connectés en réseau et réalise un double travail :rerouter le flux tout en améliorant la qualité. Avecce logiciel, plus vous «downloadez», plus vous voustransformez en «uploader». Chaque personne quitélécharge devient lui-même un site miroir de télé-chargement pour un autre téléchargeur,ou downloader.Ainsi, plus les internautes seront nombreux à télé-charger une vidéo, plus l’opération s’effectuera rapi-dement. C’est le système des vases communicantsnumériques, une réaction en chaîne, en quelquesorte. Ce phénomène de rediffusion libre va concur-rencer les diffuseurs de programmes télévisés. Déjà,des émissions de « séries» en P2P, sans coupurespublicitaires et avec une grande qualité vidéo, sonttrès populaires aux États-Unis, comme on peut levoir par exemple sur le site MiniNova 1.

Certes, quand il est possible de capter le fluxd’une chaîne privée ou le flux codé d’une chaînecryptée sur son PC, ce flux est retransmissible enP2P à d’autres PC à condition de disposer decertains types de logiciels. Pour préserver les inté-rêts des auteurs sans priver les internautes de laliberté de diffuser, un compromis devra êtretrouvé 2. Dans la mesure où la rediffusion d’émis-sions, cryptées ou non, est facile à réaliser, la contre-façon risque de se généraliser, en particulier dansles pays en développement. Les « vectorialistes »,qui voient leur pouvoir s’amenuiser et leur mono-pole être entamé un peu plus chaque jour, devrontimaginer de nouveaux modèles économiques pour

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1. www.pronetariat.com/42. Voir sur ce sujet le livre de Philippe Aigrain, Cause

commune, Fayard, «Transversales», 2005.

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subsister. Les instances de régulation auront égale-ment des difficultés à maîtriser ce phénomène.Comment réussiront-elles, par exemple, à régle-menter la Web TV ou la vidéo sur Internet alors quen’importe qui peut émettre à partir de n’importequel site ? Compte tenu des nouveaux usagespronétariens qui ont été décrits, le droit d’auteurpourrait donc être amené à évoluer de manièresignificative.Au départ droit exclusif d’autorisation,il pourrait, dans le cyberespace, se cantonner à unsimple droit à rémunération, résultant d’extensions,de dérogations ou d’exceptions au droit exclusif etd’une mise en œuvre de mécanismes alternatifs derémunération et de compensation.

Imaginons – les experts le prédisent déjà – uneconvergence, par exemple, entre le RSS Feed, leswikis, le P2P TV et BitTorrent. Chaque fois qu’uneémission nouvelle apparaît, les abonnés aux chaînesde télévision pronétariennes sont avertis par lesystème RSS : des «agents intelligents» se connectentautomatiquement et enregistrent, sur un disque dur,les émissions qu’ils sont allés glaner aux quatrecoins du monde. Par un système appelé enclosures,le « torrent» de bits se télécharge automatiquementet se transforme en une sorte de podcasting vidéoque l’on pourra enregistrer et regarder plus tard. Lamajorité d’entre nous préféreront probablementcontinuer de regarder les programmes traditionnels,parce qu’ils seront plus faciles à maîtriser, mais d’iciune à deux générations la question ne se poseraplus. La clientèle sera principalement constituée dejeunes qui apprécieront de pouvoir créer leurspropres programmes et navigueront d’une chaînepronétarienne à une autre.

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Des programmes conçus par des jeunes pour des jeunes

Deux tendances confirment déjà cette évolution.Tout d’abord, des chaînes de cinéma créées par desjeunes pour des jeunes, avec des caméras numé-riques et des moyens très limités, ont commencé àdétourner des spots publicitaires en les modifiant eten les téléchargeant sur Internet. Puis quelquespronétaires se sont lancés dans la réalisation defilms avec un story-board, certains connaissant unbeau succès. Plusieurs sites ont été créés spécialementpour promouvoir ces petits films, dont quelques-unsont d’ailleurs été repérés par de grands réalisateurshollywoodiens.

Ces derniers temps, de plus en plus d’artistes ontfait le choix de mettre leur musique directement enligne sur Internet. Dans le même esprit, certainsmettent à la disposition du public un matériel leurpermettant de graver leur propre CD à l’issue d’unconcert. Ces artistes, qui touchent un pourcentageassez faible sur les ventes de CD, ont compris toutl’intérêt qu’ils avaient à court-circuiter les majors :une diffusion plus confidentielle, mais mieux ciblée,associée à des frais de production limités, leur permetde générer des bénéfices beaucoup plus importants.

L’évolution est la même pour la télévision.Al Gore, ancien candidat à la Maison-Blanche, alancé le 1er août 2005 Current TV, sa propre télévi-sion, dont les programmes sont généralement réaliséspar des jeunes pour des jeunes. En principe, peu dejournalistes professionnels apportent du contenu àCurrent TV : pour l’essentiel, ce sont des «vlogueurs»qui lui fournissent les programmes. La jeune chaîne

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satirique Rocketboom.com, animée par AndrewMichael Baron et Amanda Congdon, a connu en dixmois, depuis son lancement, un succès foudroyant,devenant le plus populaire des vlogs et conduisantchaque jour à plus de 50000 téléchargements.

Ces exemples sont la preuve que la création decontenus par les pronétaires, qui utilisent parfois lesmêmes outils que les professionnels, gagne progres-sivement du terrain. Cela n’ira pas sans poser desproblèmes. Il y a peu, les content providers (fournis-seurs de contenus), qui fixent les droits de diffu-sion, dictaient encore leur loi. Aujourd’hui, ils sontmenacés par une nouvelle concurrence. Cettearmée d’anonymes aux moyens artisanaux maisnéanmoins performants est en train de les défier encréant des contenus de qualité, plébiscités par lepublic.

C’est ce qu’ont parfaitement compris deuxgéants des média, Rupert Murdoch, président deNews Corp, et John Malone, le grand entrepreneurdu câble et PDG de Liberty Media. En avril 2005,Murdoch a fait sensation en affirmant lors d’uneconférence de presse que les « grands groupes decommunication devaient se réinventer pour faireface à la iPod génération, désormais capable decourt-circuiter les fournisseurs traditionnels decontenus en consommant des news, de la musiqueet de la vidéo, directement depuis Internet ».Quelques semaines après cette déclaration fracas-sante, John Malone montait d’un cran en expli-quant que « les utilisateurs veulent une seulefacture, la portabilité et la possibilité de regarderde la vidéo sur toutes les plates-formes disponibles[…]. Nous allons nous trouver confrontés à des

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accès aléatoires vers des contenus variés, et lesconsommateurs ne paieront que pour ce qu’ilsconsomment ». Pour ces deux magnats des média,l’industrie de la communication doit évoluer d’unsystème traditionnel fondé sur le push, dans lequelles diffuseurs distribuent des contenus en décidantdes programmes et des horaires, vers un marchéouvert au sein duquel les consommateurs tirent(pull) leurs contenus préférés grâce à une grandevariété de terminaux, fixes ou mobiles.

Après la musique, la vidéo, la radio, le mêmephénomène est en passe de se produire dans ledomaine du livre. Deux voies risquent de fairesérieusement concurrence à l’édition traditionnelle.La première est la voie des auteurs. En effet, lesauteurs peuvent décider de publier directement leurlivre sur Internet au lieu de passer par un éditeur.Certains s’organiseront en consortium afin depermettre à des jeunes d’être publiés sur le Web. Lesbest-sellers dans le cyberespace intéresseront alorsdes éditeurs, qui proposeront d’imprimer le livreen version étrangère.

Nicholas Negroponte, auteur du livre BeingDigital (L’Homme numérique), a demandé à sonéditeur de le mettre en ligne sur le Net dès sa paru-tion. Celui-ci a d’abord refusé, avant d’accepterquelques mois plus tard. Le monde de l’éditiontraditionnelle a en effet du mal à comprendre leseffets d’amplification – ou effets de levier – que peutavoir Internet par rapport aux média classiques.Cette initiative originale a suscité des articles dansla presse, des controverses, des discussions sur lesforums Internet ; même la télévision s’y est inté-ressée. Résultat, grâce à Internet, le livre a connu

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un rebond formidable et s’est vendu à plusieurscentaines de milliers d’exemplaires !

Autre facteur de concurrence : la possibilitéd’imprimer des livres à distance. De plus en plusd’officines, dans l’esprit des « tirages numériques enune heure », proposent d’imprimer en série deslivres personnalisés. On envoie son livre viaInternet pour le faire imprimer selon ses désirsdans un magasin du quartier. De grandes entre-prises comme Hewlett Packard commercialisentdéjà des machines, avec relieur incorporé, permet-tant d’imprimer un livre de 300 pages, de choisir sacouverture, son papier et sa typographie.

Les internautes ne passent plus seulement dutemps à télécharger de la musique et des films ou àéditer des livres. Ils créent de la musique et desfilms entrant en compétition directe avec lesmajors ou Hollywood. La production collaborativede contenus inquiète évidemment les grandesentreprises d’édition, de programmes de télévisionou de films. L’exemple de Wikipedia est typique decette évolution : plus de 5 millions de personnesvisitent mensuellement ce site, montrant qu’un longtravail pour éditer des contenus propriétaires peutêtre contourné par des équipes de bénévolestravaillant de manière solidaire dans le domainegratuit.

La voie royale du sans-fil et la révolution des nouveaux mobiles

Alors qu’aucune grande entreprise n’y croyait,la Wifi (ou Wireless Fidelity) s’est imposée en trois

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ans comme l’infrastructure (ou plutôt l’« infostruc-ture») pronétarienne par excellence.

La Wifi est une norme ouverte – le standard802.11B et les suivants – rendue possible parce quela Federal Communication Commission (FCC) adonné l’autorisation d’émettre sans licence etgratuitement dans des zones limitées (100 mètresmaximum). En France, le développement de la Wifi alongtemps été ralenti par une législation l’interdisantau nom de raisons de sécurité militaire, en réalitéobsolètes, l’armée n’utilisant plus cette fréquence.(La véritable raison était la peur des grands opéra-teurs de voir apparaître une nouvelle forme deconcurrence.) Les zones Wifi se relaient tous les 100mètres, ce qui finit par couvrir un territoire assezvaste. Les premiers réseaux Wifi ont été lancés pardes habitants techniciens, frustrés de ne pas voir lehaut débit arriver dans leur quartier et désireux demettre en partage cette ressource. Ainsi les dévelop-peurs de Seattle ont-ils joué un rôle essentiel dans lelancement des premiers réseaux Wifi outdoor.

La Wifi a connu le succès non seulement grâce àdes particuliers, mais également à ce qu’on appelledes hot spots, c’est-à-dire des lieux de haute densitécommunicationnelle (hôtels, restaurants, parcsd’attraction, musées, universités, aéroports, hôpi-taux…). Elle a une portée très limitée, mais, du faitde la concentration dans l’espace d’un certainnombre de services, on peut l’utiliser pour accéder àInternet sans fil en s’abonnant à ces services parl’achat en ligne d’un droit d’accès limité dans letemps ou d’une carte sécurisée.

Cela dit, le fonctionnement payant des hot spotsne semble pas adapté à la culture Internet. Les

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fournisseurs d’accès ne vont pas tarder à réaliserque leur intérêt est d’encourager les gens à commu-niquer entre eux et de leur faire payer quelquescentimes d’euro des services personnalisés. À l’ex-ception des hot spots privés garantissant des accèsspéciaux et encryptés, on assiste probablement à lafin des hot spots tels que nous les connaissonsaujourd’hui. Dans trois ou quatre ans, ces zonescommuniqueront entre elles et l’utilisateur n’auraplus besoin d’acheter une carte Wifi dans une gare,un aéroport ou un hôtel pour émettre et recevoirdes informations en Wifi depuis un lieu public.

WiMax, la nouvelle norme mise au point parIntel, permet quant à elle d’émettre sans fil sur unedistance de trente à quarante kilomètres. Contrai-rement à la Wifi, qui peut être utilisée par les parti-culiers, WiMax est réservée aux seuls opérateurs.En Europe, impossible en effet, pour le moment,d’émettre sur WiMax si l’on est un particulier. Cettetechnologie prometteuse va certainement se déve-lopper dans les années à venir. Elle est particulière-ment intéressante pour les zones de faible densité,où le développement de l’ADSL n’est pas rentable.

La ville de San Francisco, à la suite de la récentedéclaration de son maire (et grâce au lobbying deGoogle, qui a sûrement un plan stratégique à cesujet), vient d’annoncer qu’elle allait devenir unseul et gigantesque hot spot Wifi quasi gratuit. Desdizaines de villes dans le monde vont suivre. Laville de Philadelphie, par l’intermédiaire de sonassociation sans but lucratif Wireless Philadelphia,a décidé en août 2005 de faire construire et gérerson installation Wifi globale de 18 millions dedollars par Hewlett Packard et EarthLink. Tous les

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utilisateurs auront un accès à haut débit à Internetdepuis n’importe quel point de la ville, soit gratui-tement, soit par abonnement à un prix de 10 dollarspar mois, selon les types de services. Minneapolisentreprend la même démarche avec EchostarCommunication et Sprint pour son projet de Wificitadin de 15 à 35 millions de dollars. Trois centsvilles américaines préparent leurs systèmes sans filpour 2006, certaines proposant un abonnement àprix réduit, ce qui conduirait à un marché évalué àprès de 200 millions de dollars. Mais des villes euro-péennes (en Grande-Bretagne, en Finlande, enLituanie, par exemple) et asiatiques (en Corée duSud ou à Singapour) les ont devancées en offrant àleurs citadins, gratuitement ou par abonnement àun coût symbolique, des connexions Wifi.

D’ici quelques années, la Wifi deviendra certai-nement gratuite en de très nombreuses zones. Lesfournisseurs d’accès se rémunéreront sur les petitsservices personnalisés qu’ils développeront pourleurs clients. Par ailleurs, les nouvelles normes Wifiet surtout WiMax, qui permettent de communiquerde hot spot à hot spot, se généraliseront et révolu-tionneront la communication personnelle grâce auxtéléphones mobiles «multistandards» (compatiblesavec Wifi, UMTS, GPRS, GSM…).

Les puces Wifi qui ont trouvé leurs applicationsdans les PC portables commencent à équiper lestéléphones mobiles. Les frontières entre servicesInternet et services de téléphonie vont s’estomper.La voix sur IP (VOIP) a bouleversé les grandsopérateurs de télécoms; le même phénomène va sereproduire avec la voix sur IP à partir des mobilescomportant une puce Wifi. Mais la vraie révolution

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de la téléphonie mobile, ou «MobilNet», n’est passeulement la technologie mais la gratuité, géné-ratrice, paradoxalement, de nouveaux servicespayants personnalisés. Déjà, Nokia, Motorola,Samsung et LG (sans mentionner les entrepriseschinoises, très discrètes sur ce sujet) sont en train dedistribuer des téléphones multistandards. Grâce àdes logiciels du type de ceux de Skype, et sans avoirà passer par un service payant GSM ou G3(UMTS), il sera possible de se téléphoner gratuite-ment à partir de n’importe quel hot spot, et surtoutde télécharger de la musique, de s’envoyer des SMSgratuits, des photos et même de recevoir la télévi-sion, assis dans un parc public ou dans un aéroport,son téléphone portable à la main!

La Corée du Sud développe, à l’échelle natio-nale d’abord, un système de réception des grandeschaînes de télévision sur des mobiles utilisant unetechnologie appelée DMB (Digital MultimediaBroadcasting). En Europe, Nokia s’appuie sur unautre standard incompatible appelé DVB-H(Digital Video Broadcasting for Handheld), avec lefort soutien de nombreuses entreprises de télé-phonie et de télévision. Quant à la société Qual-comm, elle lance son propre standard, MédiaFlo.De belles batailles en perspective !

Dans moins de cinq ans, la majorité des appelsdans le monde transiteront par Internet à partir demobiles ou de PDA (assistants personnels) équipésde logiciels gratuits comme ceux de Skype. Lesopérateurs seront dans l’incapacité d’arrêter ou deralentir cette évolution. Certains se résignent déjàen offrant des services comparables, ou en se disantqu’il faudra quand même, dans certains cas, passer

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par des lignes ADSL et souscrire obligatoirementun forfait… British Telecom est actuellement leseul opérateur européen à proposer un service,Fusion, n’utilisant qu’un seul téléphone pour lemobile et le fixe. Il suffit pour cela d’être abonné àl’ADSL, de disposer d’un téléphone Motorolaadapté (offert gratuitement par BT) et, chez soi ouau bureau, d’une sorte de modem fixe, lequel trans-forme les appels du mobile entrant dans sa zone enappels au tarif du fixe. BT s’est en effet aperçu que53% des appels en provenance de mobiles étaientpassés en position fixe, au domicile ou au travail.Les prévisions des experts indiquent que le nombrede mobiles Wifi atteindra 13,5 millions en 2007,52,8 millions en 2008, pour exploser vers 2010(136 millions). Des outils puissants de média desmasses aux mains des pronétaires?

Mais l’avenir appartient aussi à ce que l’on appelleles «réseaux pervasifs» et aux mesh networks.«Pervasif» signifie que le réseau est on, connecté defaçon ininterrompue. La société Ozone.net, à Paris,offre de se connecter à un coût très bas tout en lais-sant la possibilité à chaque personne qui installe uneantenne Wifi au-dessus de sa maison de répercuterson signal Wifi dans un rayon de 4 à 5 kilomètres. Ceréseau, également baptisé mesh network, s’auto-orga-nise, de manière analogue à la formation de synapsesentre les neurones…

Selon Rafi Haladjian, fondateur de Ozone.net, leréseau pervasif est un réseau omniprésent. Sescomposantes sont transparentes pour l’utilisateurfinal. Il est toujours ouvert, assurant une perma-nence de la connexion en tout lieu. Il est agnostiqueen terme d’applications puisque fondé sur les proto-

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coles mêmes d’Internet. Il doit permettre deconnecter tout type d’appareil et se présente donccomme l’infrastructure nécessaire à l’émergencedes objets intelligents. Le réseau pervasif contribueau développement d’un écosystème informationneld’interactions homme/homme. Mais il peut êtreégalement destiné à des utilisations à la fois homme/machine et machine/machine. Il a notamment pourvocation de rendre intercommunicants le plusgrand nombre d’appareils possible, de banaliser lanotion de communication et de « désinsulariser »l’archipel des objets qui entourent l’utilisateur. Ils’inscrit en cela dans la tendance générale del’informatique répartie sur des ensembles hétéro-gènes : grid computing, Web services, etc. Le réseaupervasif est le réseau de la continuité et de lapermanence de la communication. Il est le socled’une informatique répartie, dans laquelle lesobjets sont interdépendants. De ce fait, il se doitnaturellement d’être connecté en permanence etsans rupture, et ce indoor et outdoor. L’utilisateurne doit plus avoir à changer de «prothèse» lorsqu’ilpasse le pas de sa porte. Par conséquent, l’utilisa-tion du réseau pervasif ne peut se faire que pour unprix extrêmement modique, le coût de chaquetransaction étant imperceptible à l’utilisateur.

L’émergence du contre-pouvoir des pronétaires

Après la musique et les films, le nouveaudomaine conquis par les pronétaires est celui del’édition presse, avec l’avènement et l’extraordinairesuccès des journaux en ligne rédigés par des

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blogueurs ou des non-journalistes. Le modèle dugenre est OhMyNews, journal coréen âgé d’à peinecinq ans et comptant déjà 1 million de visiteurs parjour (voir p. 118-119). Pour rédiger ses articles,OhMyNews utilise un réseau collaboratif de prati-quement 40000 «journalistes citoyens». Ces derniersécrivent 200 articles par jour, et ce dans tous lesdomaines. Aux États-Unis les initiatives bour-geonnent, telles que Backfence, Global Voices, NowPublic, WikiNews ou Bayosphere. Le New YorkTimes et Business Week s’engagent également dansla voie du citizen journalism en favorisant des initia-tives de ce type.

Un des premiers « journaux citoyens» européens,AgoraVox, a été lancé en France en juin 2005 par lasociété Cybion, spécialisée dans la recherche d’in-formations sur Internet et la veille concurrentielle,technologique et économique. À partir d’un travailde proximité, l’objectif d’AgoraVox est de publierdes actualités concernant des événements de préfé-rence inédits, bien qu’il soit également possible desoumettre des articles d’analyse critique ou descommentaires. Six mois après son lancement, lejournal comptait plus de 1 500 rédacteurs etaccueillait près de 250000 visiteurs par mois. Nousverrons plus loin comment il fonctionne (voir p. 119et suivantes).

On observe un même phénomène de coéditionpronétarienne dans le monde de la radio FM.Comme le souligne Pierre Bellanger, PDG deSkyrock, les 2,5 millions d’adolescents qui animentla communauté Skyblog se sont réappropriés cenouveau média, jusqu’à transformer en profondeurla radio qui a lancé le site Web. Il en résulte un

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nouveau média hybride, dont le Web et les télé-phones mobiles sont les vecteurs les plus porteurset les plus efficaces. Le phénomène n’est pasréservé aux riches ni aux pays du Nord. À Barce-lone, dès 1998, les jeunes du quartier défavoriséRaval ont monté leur radio communautaire enligne, entièrement réalisée par leurs soins. À Rio deJaneiro, l’association Viva Rio a mis en place dessites collaboratifs pour les habitants des favelas,dans lesquels ces derniers publient des articles surla vie de leurs quartiers.

La création collaborative et le partage se situe-ront à tous les niveaux dans l’Internet de demain.Comme un organisme vivant, Internet connaît eneffet une nouvelle et spectaculaire évolution. Àpartir des encyclopédies gratuites en ligne, des filmsréalisés par des amateurs, des journaux citoyensrédigés par des non-journalistes, des sites d’échangede photos et d’agendas ou encore des jeux vidéomulti-utilisateurs, le Net se réorganise et s’adapteaux nouvelles demandes de ses utilisateurs.

Les échanges de services dépassent très large-ment le combat mené contre le piratage, que symbo-lise la décision de la Cour suprême des États-Unisde rendre illégaux les sites permettant l’échange defichiers. Il s’agit d’un défi bien plus important : lacréation de contenus à forte valeur économiquepar le public lui-même. Mais aussi de contenussortant du secteur marchand et relevant pourcertains de dons, pour d’autres de la rétribution parla reconnaissance sociale. Les cibles marketingtraditionnelles deviennent des producteurs de masse,concurrents des grandes entreprises propriétairesde leurs contenus diffusables (films, programmes

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de télévision, livres et magazines, services de télé-communications, jeux vidéo…). Ce phénomènecollaboratif atteint des sommets dans le domainedu logiciel. Les prouesses des logiciels libres commeLinux sont maintenant bien connues. Une petiteentreprise comme SugarCRM, créée il y a un an etemployant 10 personnes, fournit une version librede logiciel de gestion des relations clients qui a ététéléchargée plus de 235 000 fois. Cette start-up estdonc en compétition directe avec des géants commeSiebel Systems, implantés depuis longtemps sur cemarché. Sugar tire ses bénéfices de services commedes supports techniques et un abonnement annuelà des conseils.

Le contre-pouvoir pronétarien émerge du retourd’informations venant d’Internet. À l’origine, leNet était conçu comme un système de diffusionfavorisant la navigation d’un site à l’autre – dessites offrant des informations essentiellementfondées sur le texte. Comme l’a fait remarquer dès1994 Jim Clark, le fondateur de Netscape Commu-nications Corp., « le vrai défi d’Internet n’est pasd’envoyer des informations à des internautes, maisbien de répondre à leurs demandes personnalisées.L’avenir du réseau repose sur sa capacité à faireremonter et à prendre en compte le gigantesque“feed-back” d’Internet ». Or aucune entreprise,aucun organisme public ou groupe politique n’estcapable, avec les outils actuels que représententl’e-mail, l’IM ou les agents intelligents et les robotsde réponses automatiques, de répondre en tempsréel au raz de marée des demandeurs. Seul unsystème transversal, de groupe à groupe, le permet.C’est une des bases du contre-pouvoir pronétarien.

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Un véritable contre-pouvoir citoyen

Internet succède donc à deux autres modes decommunication traditionnels. Le premier, leguichet («un vers un » ou 1V1 dans notre notation– voir la note 1 p. 30), a été inventé pour permettreà l’administration (SNCF, Sécurité sociale, Trésorpublic…) et aux citoyens usagers de se rencontrersur des sujets personnalisés. Le problème résidedans la complexité, et donc la lenteur de réponsede la machine administrative, fonctionnant en backoffice. D’où, la plupart du temps, la frustration desusagers. Le deuxième mode de communication,l’image, révolutionnaire en son temps, propose unediffusion pyramidale. Du haut de la pyramide,quelques-uns (les chaînes de télévision, les radios,les éditeurs de journaux…) s’adressent à desmilliers ou des millions de personnes. C’est leprocessus top down, caractéristique de l’évolutionde ces cinquante dernières années.

Avec Internet, un troisième mode de communi-cation apparaît : le TVT, « tous vers tous» ou «degroupe à groupe» (en anglais many to many).Comme on l’a vu, les utilisateurs peuvent trans-mettre de l’information à travers leur site Web, unblog ou un vlog. Ils décideront d’agir soit de manièresubversive – par exemple en bloquant un sitependant quelques heures (l’attaque contre Yahoo en2000 est un cas d’école) ou en propageant un virusdu type «I love you» –, soit de façon constructive –en participant en direct (grâce à une webcam) à desémissions de télé, de radio ou à des chats.

Internet change la règle du jeu. Face auxpouvoirs publics et privés apparaît un véritable

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contre-pouvoir citoyen, Internet devenant lesupport par excellence des média des masses. Lapreuve : ce ne sont ni les industriels, ni les pouvoirspublics qui ont proposé les grandes applications duNet ou du mobile. Ces nouveaux outils qui empor-tent l’adhésion – le courrier électronique (même sil’e-mail a souvent été détourné à des fins demarketing), le SMS, la messagerie instantanée (ouIM), le chat – doivent leur succès aux ados. Ils ontété promus par les utilisateurs eux-mêmes.

Si l’IM est aujourd’hui de plus en plus utiliséedans les entreprises, à l’origine personne – sauf lesadolescents – n’y croyait… Le chat et la messagerieinstantanée ont été inventés par deux jeunes Israé-liens, créateurs de ICQ (I seek you), un logicielpermettant aux gens de bavarder avec les personnesdont les noms ou les photos apparaissaient à l’écrandès qu’ils connectaient leur PC. Il leur suffisait decliquer dessus pour pouvoir chater. C’était une vraierévolution. L’IM a été intégrée dans les grandsportails de type MSN et autres AOL. Depuis deuxou trois ans, les entreprises réalisent que cet outilreprésente un plus marketing pour elles. Elles l’utili-sent notamment pour répondre aux questionsposées via la messagerie électronique par leursclients. La question est renvoyée sur un systèmed’IM où, en temps réel, le client pourra, s’il lesouhaite, continuer à communiquer sur le suivi deson projet avec son correspondant d’entreprise, quilui aura laissé son adresse IM.

Le chat, en revanche, est une sorte de jeu. On estprésent en temps réel avec d’autres utilisateurs,connus ou inconnus.Alors que le téléphone est parti-culièrement prenant car on ressent, à l’intonation de

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la voix, l’ennui, le souci ou l’intérêt, l’écriture repré-sente une forme de communication complémen-taire avec ses caractéristiques propres. Elle est à lafois plus neutre et plus chaude, car la lecture estinstantanée. Elle peut aussi se pratiquer en différé.La réponse écrite « en direct », donc en réaction àun SMS ou à un chat, est souvent «émotionnelle».Recevoir ou envoyer des messages instantanés àdes correspondants sans le contrôle des parents oudes professeurs, exprimer des sentiments profondsque le téléphone ne permet pas toujours de trans-mettre, voilà sans doute ce qui est à la base dusuccès extraordinaire du chat chez les ados, qui enont fait un de leurs principaux usages d’Internet. Demême, le P2P a été utilisé à l’origine par les jeunespour échanger de la musique, mais les logiciels deP2P se retrouvent désormais sur de grands serveursd’entreprise afin de favoriser les contacts etéchanges entre professionnels.

Au premier rang du réseau sociétal, il fautcompter avec la messagerie électronique, killer apd’Internet. Initialement, l’e-mail avait pour objectifde permettre à des scientifiques de communiquerentre eux sur des campus universitaires ; il s’estétendu au grand public en permettant d’envoyernon seulement du texte, mais aussi des photos, desvidéos et du son. Évidemment, il n’a pas échappéaux grands industriels que cet outil de communica-tion qui avait trouvé sa place auprès des internautespouvait être détourné à des fins de marketing, puis-qu’il était possible grâce à lui de s’adresser directe-ment aux gens via leur boîte aux lettres électronique.Les messages publicitaires sont souvent accompagnésd’un lien permettant de remonter au site émetteur de

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l’entreprise, parfois aussi de courtes vidéos en 3Dmontrant l’objet à acheter. Ces cinq dernières années,le spam est devenu tellement envahissant qu’il aruiné cette opportunité de toucher si facilement lesconsommateurs.

Skype et communication mondiale gratuite :la nouvelle vie du téléphone

Les grands opérateurs de téléphonie, après l’avoircritiqué, marchent sur les traces de Skype, le systèmede téléphonie mondiale gratuit, et empruntent lavoie de la VOIP (Voice Over IP, la voix sur IP),grâce à laquelle on peut téléphoner n’importe oùdans le monde avec les technologies à prix réduitsen faisant transiter la voix par le protocole Internet(ou IP). Skype propose de télécharger un petit logi-ciel gratuit permettant de communiquer, d’ordinateurà ordinateur, en P2P et en qualité MP3. Chaqueordinateur qui utilise le réseau en P2P sert égale-ment de relais pour les autres et corrige le messagetout en améliorant la qualité de la communicationtéléphonique. Ce que ne font pas les systèmes telsque Net2Phone ou MSN Phone, par exemple, chezlesquels chaque appel est payant.

Le flux d’utilisateurs est tel que Skype a commencéà gagner de l’argent en prélevant quelques centimesd’euro sur des petits services bon marché mais àforte valeur ajoutée (ne pas figurer dans l’annuaireou pratiquer la téléconférence à plus de six personnes– ce service est gratuit en audio jusqu’à un certainnombre de participants, puis payant si leur nombres’accroît). Un des services les plus populaires

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s’appelle Skype Out. Il permet de joindre, depuis sonPC, un destinataire sur son téléphone portable oufixe, qu’il soit équipé ou non de Skype. Il suffitd’acheter un crédit de 10 euros (réglé par cartebancaire), qui sera débité à raison d’un centimed’euro par minute pour toute communication inter-nationale. On ne paie plus à la distance mais à l’utili-sation. On peut également se voir en visiophoniegrâce à un logiciel appelé Spontania Video4IM,disponible, pour le moment, auprès d’une petitestart-up espagnole, DialCom. Mais il apparaîtévident que Skype ne tardera pas à proposer sonpropre logiciel de visiophonie compte tenu de l’im-portance d’une telle application pour les pronétaires.

Avec ses 54 millions d’utilisateurs dans lemonde, Skype incarne, encore mieux que d’autres,un nouveau modèle économique. Comme Amazon,Yahoo, Google ou Netscape à l’origine, il est portépar une vague de jeunes utilisateurs et « surfe sur leflux ». Skype est l’une des premières entreprisesd’Internet à avoir misé sur la nouvelle nouvelleéconomie. Ses créateurs ont donc eu l’idée de créeret de renforcer un flux important d’usagers et defournir à ceux qui le souhaitaient un servicepersonnalisé en échange d’une somme modique. Ilsont parié sur le débit du flux ainsi généré : desmillions d’utilisateurs abonnés à une prestation bonmarché conduisent à un chiffre d’affaires annuelconséquent !

Cette initiative a permis à la société de se vendreà eBay pour 2,6 milliards de dollars cash enseptembre 2005. Ce montant semble tellementcolossal qu’il est perçu par les professionnels de lafinance et du venture capital comme ridiculement

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élevé. En effet, Skype ne réalisera que 60 millionsde dollars de chiffre d’affaires en 2005 et 200 millionsen 2006. Les ratios habituels des financiers ne s’ap-pliquent plus. Alors, pourquoi un tel prix? D’abord,ce n’est qu’un début. La somme a été payée pareBay pour moitié en cash, pour moitié en actions. Et1,5 milliard de dollars supplémentaire sera versé en2009 en fonction des performances de Skype.

Meg Whitman, la présidente d’eBay, aurait-ellesuccombé aux promesses (et au charme) de NiklasZennström et de son complice Janus Friis, cofonda-teurs de Kazaa et de Skype ? Pas du tout ! Ellepartage avec eux une vision à quinze ans : grâce àSkype, eBay va devenir le magasin virtuel mondial.En effet, la majorité des internautes qui achètentou vendent sur eBay souhaitent parcourir desrayons virtuels, vivants et animés, voir d’autrespersonnes et leur parler, interagir en groupes.Ouvrir une boutique « physique » pour vendren’importe quel produit ou des conseils en manage-ment ou en éducation nécessite de suivre unparcours compliqué : immobilier, patentes, devan-tures, etc. Sur eBay, c’est un jeu d’enfant. Avec lescommunications téléphoniques gratuites de Skypeet très bientôt le visiophone mondial gratuit, lestransactions, discussions, évaluations peuvent sefaire beaucoup plus facilement, avec plus d’effica-cité et surtout avec du fun.

Car tous ces nouveaux services, de Yahoo àGoogle en passant par eBay, relèvent du monde duloisir autant que du monde professionnel. Ils sontfondés sur le principe de l’instant gratification, lagratification immédiate, c’est-à-dire le plaisir apportépar l’écoute d’une musique à peine a-t-elle été

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téléchargée, une sonnerie originale sur son téléphonemobile, un commentaire sur ses photos de voyage oula découverte de sa maison vue par les satellites deGoogle Map. C’est ce potentiel que Meg Whitmanvient d’acheter en s’associant à Skype. Avec, en plus,une marque déjà célèbre dans une culture Internetpartagée par les générations montantes, et une basede 54 millions d’utilisateurs en croissance de 150000nouvelles personnes par jour.

Les modèles Yahoo, Google et maintenant Skypereposent sur le principe de la gratuité, mais ils abou-tissent à des capitalisations boursières dépassantcelle des entreprises classiques du Dow Jones. Ilsoffrent pour la première fois dans l’histoire del’industrie une plate-forme, une place publiqued’échange, une agora pour les créations et les usagesdes pronétaires. Les infocapitalistes n’offrent, eux,que des logiciels propriétaires, de la musique souscopyright, des textes attachés aux droits d’auteur,toutes choses valables pour la première phase del’expansion industrielle mais moins adaptées à lacivilisation du numérique. Ces infocapitalistes,vectorialistes, on l’a vu, forcent les usagers à passerpar leurs vecteurs (protégés) de diffusion. Ils recou-rent au besoin à la création artificielle de rareté etréalisent leurs marges bénéficiaires sur des massesde produits et services standard.

À l’inverse, les nouvelles entreprises multidimen-sionnelles, comme Google, eBay et Yahoo, offrentgratuitement des tremplins et des plates-formesmenant les pronétaires à développer leurs produits,leurs services et même à s’enrichir. Loin du recourscoûteux à la publicité de masse, au marketing et auxréseaux de distribution utilisés par les infocapitalistes,

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ces nouvelles organisations mondiales virtuelles –appelées désormais NVO (Network Virtual Organi-zations) dans les cours de la Harvard BusinessSchool – ne font que peu de dépenses en publicitéet en marketing, utilisant plutôt le buzz (bouche àoreille) répercuté par des millions d’internautes etsurfant sur le flux des usagers. C’est en cela queconsistent le principe de création de valeur ajoutéepar « synergie de niches » et l’effet multiplicateurdes flux d’usages personnalisés. C’est la base de lanouvelle nouvelle économie. Toute la création col-lective, en particulier le « logiciel libre » actuelle-ment au cœur d’une bataille juridique, repose surcette idée simple. Il vaut mieux toucher 10 centimesd’euro sur 10 millions de personnes attirées gratui-tement sur un de ces sites fun, avec une marge deprès de 90%, plutôt que 100 euros sur 10000 clientsconvaincus à grand-peine par une publicité et unmarketing coûteux, le tout pour en tirer une margebénéficiaire de 20 à 30% au mieux…

Il convient cependant d’être vigilant sur l’appli-cation des principes mêmes de cette «économie dela gratuité». La récupération par les infocapitalistesguette les pronétaires s’ils n’y prêtent pas garde. Ilexiste en réalité, d’après Philipe Aigrain, « unetension extrême entre, d’une part, une économie quiutilise la gratuité comme produit d’appel en mainte-nant le caractère propriétaire des bases deséchanges liés, et, d’autre part, une économie quijoue la carte du respect des biens communs et deséchanges qui les constituent 1 ». Internet Explorer,

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1. Philippe Aigrain, communication personnelle. (Voir aussiCause commune, op. cit.).

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Skype, Kazaa, Métro, 20 Minutes, la télévision hert-zienne financée par la publicité sont des produits oudes services gratuits (pour leurs usagers finaux).Mais ils relèvent en réalité d’une économie decapture qui matérialise la réapparition des principesinfocapitalistes : on propose du gratuit pour attireret capturer des usagers et les vendre ensuite à desannonceurs ou les valoriser en Bourse. Poussée àl’extrême, cette économie ne peut durer et se déve-lopper que si elle détruit les biens communs.

Il existe en réalité un continuum. Google parexemple se situe dans un espace intermédiaire, avecun mélange de respect du bien commun de l’équitéd’Internet et de valorisation publicitaire et bour-sière. Et c’est l’existence de ce continuum qui renddifficile de définir et de décrire les différents modesde développement d’une « économie associée à lagratuité des échanges et aux biens communs». C’estpourquoi les références faites, dans la suite de cetouvrage, à cette nouvelle forme d’économie sesitueront, pour simplifier, dans l’optique des valeursémergentes des média des masses et d’un écosys-tème sociétal d’échanges non économiques.

Radio et télé gratuites :la percée du podcasting et de la P2P TV

Cette économie de la gratuité s’applique aussi àla marée montante du podcasting. Face au son telque nous le connaissons dans le modèle classique,le podcasting explose. Avec la radio sur Internet, laradio HD (radio à haute définition avec son dequalité CD), la radio numérique par satellite et

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bientôt la SDR (Software Defined Radio) – unetechnique révolutionnaire qui permet désormais àtout objet électronique de devenir récepteur radio(lecteur DVD, console de jeux, magnétoscope, télé-viseur, téléphone…) –, une palette d’outils puis-sants est offerte aux pronétaires.

La révolution du podcasting se fonde principale-ment sur deux tendances profondes : la proliféra-tion des blogs, dont certains deviennent des stationsde radio virtuelles, et la popularité croissante deslecteurs MP3, au premier rang desquels l’iPodd’Apple. Dans ce contexte, n’importe qui peutimaginer son programme audio personnel et leréémettre librement sur Internet, comme on l’a vup. 48-49. De plus en plus d’amateurs créent ainsileur radio personnalisée sans avoir à demander àl’ART (Autorité de régulation des télécommunica-tions) le droit d’émettre à partir d’une fréquencepropriétaire. La France est un des pays au mondeoù le podcasting se développe le plus rapidement.

Des foules croissantes de pronétaires, sanslicence, sans fréquence, sans émetteur ni antenne,sont en train de court-circuiter toute l’industrie dela radiodiffusion. Principale raison : la radio numé-rique se développe à grande allure, à partir du Web,des satellites et des mobiles. La qualité de diffusionpermet d’enregistrer les émissions en MP3, de lesstocker sur son PC puis de les rediffuser par le Netà ses auditeurs. L’avantage pour ces derniers estqu’il ne leur est plus nécessaire de se connecter àdes heures précises pour capter leur programmefavori. Il leur suffit de l’enregistrer, même automa-tiquement en utilisant un abonnement RSS, puis del’écouter quand ils le souhaitent, en tout lieu, qu’il

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s’agisse de musique, de reportages, de news ou dechroniques de livres.

Ainsi, Brian Ibbott, un DJ de Denver, a lancédébut 2004 en podcasting un show de 30 minutesde musiques très populaires qu’il avait sélectionnées,intitulé Coverville. Son programme a été aussitôtsuivi trois fois par semaine par 9000 «auditeurs» quile téléchargeaient sur leur iPod et l’écoutaient àloisir. Un an plus tard, il existait 3500 podcasts dece type. En septembre 2005, leur nombre atteignait5 800 ! Même les média classiques ou les grandesorganisations suivent le mouvement : la BBC, FoxNews, la Maison-Blanche, IBM, CNN, BusinessWeek ont ouvert des podcasts. Le meilleur moyende gagner de l’argent à partir d’un podcast est del’ouvrir à des annonceurs ou à des sponsors. Onestime que dans quatre ou cinq ans 12,3 millions defoyers américains utiliseront leurs lecteurs MP3pour écouter des émissions en podcasting.

L’existence de radios portées par les habitantsd’un quartier ou une association n’est pas nouvelle.C’est ce que l’on appelle les radios communautairesou associatives, très présentes en Amérique latineet en Afrique et regroupées au sein d’une associa-tion mondiale, AMARC. Cependant, avec l’arrivéed’Internet, ce mouvement sort de sa relative margi-nalité. Non seulement les radios en questionpeuvent émettre bien au-delà du périmètre limitépar leur fréquence en étant retransmises via le Web,mais surtout elles sont rejointes par de nouveauxcréateurs de radios, attirés par la simplicité tech-nique et la puissance des outils.

Le phénomène devient ainsi réellement massif.On comprend que les majors de la radio commencent

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sérieusement à s’inquiéter de cette révolutionpronétarienne. En février 2005, Viacom a annoncéune réduction de ses investissements dans sa filialeradio Infinity Broadcasting Corp. en prévision derentrées financières réduites pour les années à venir.Pratiquement au même moment, le géant ClearChannel Communications, la plus grande chaîneaméricaine de radio, réalisait un writedown de4,9 milliards de dollars sur ses rentrées anticipéesde licences.

Cela ne signifie pas que la radio soit morte. Elledevra s’adapter pour réduire la publicité invasiveainsi que l’homogénéité des programmes musicauxet des hit-parades poussés par les grandes majorsde la musique, mais elle continuera de captiverplusieurs centaines de millions d’auditeurs parsemaine dans le monde. Toutefois, l’industrie de laradio, qui a été pendant une grande partie du siècledernier le symbole du « réservé aux membres duclub », deviendra une industrie de l’« ouvert àtous». Il lui restera à retrouver le chemin des béné-fices et de la croissance…

La télé numérique fonctionnera selon le mêmeprincipe. N’importe quel PC ou PDA possédera descapacités de retranscription. L’image qui apparaîtrasur ces petits écrans pourra être retransmise sur unécran plus grand et plus confortable au moyen desnouvelles technologies sans fil. Dans le mêmeesprit que les blogs, vlogs, wikis, journaux citoyenset autres podcasting, une télévision de média desmasses va voir le jour. La télé classique est morte,vive la télé du futur ! Parmi les changementsglobaux que les citoyens d’aujourd’hui sont entrain de vivre, les transformations qui vont affecter

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leur télévision seront sans doute celles qui lesconcerneront le plus.

Qu’il s’agisse du texte, du son, de l’image ou del’expertise, les média des masses ont déjà commencéà contrebalancer les modèles économiques clas-siques en en faisant émerger de nouveaux. Lemodèle actuel de la télévision est lié à un systèmede production, de distribution et de consommation.Son organisation est pyramidale : la diffusion s’ef-fectue de «un vers beaucoup» (1VT), avec un modede rémunération provenant principalement de lapublicité, la part du financement public étantchaque fois plus marginale. Ce qui revient à envoyerdes audiences vers des annonceurs plutôt que descontenus vers des audiences.

Ce modèle va progressivement être brisé parcelui du anytime, anywhere, any support (n’importequand, n’importe où, n’importe quel support). Latélévision de demain permettra soit de suivre unprogramme en direct (télévision dite «de flux»), cequi nécessite d’être synchronisé avec les horairesdes programmes de diffusion, soit de l’enregistrerpour le regarder plus tard – deux possibilités quiexistent déjà aujourd’hui –, soit encore de retrouverdes émissions archivées grâce à des moteurs derecherche vidéo (télévision dite « de stock »). Lesinfos, les films, les actualités, etc., seront en effetstockés sur d’énormes bases de données, ce quipermettra de les voir ou de les revoir au moment deson choix. Cela serait impossible sans trois techno-logies : la compression d’images, le haut débit et latélévision par câble, Internet ou satellite.

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La nouvelle télévisiondu «n’importe quand, n’importe où»

S’ajoute à cela une nouvelle technologie dediffusion personnalisée (beaming), déjà utiliséedans des salles de spectacle professionnelles, maisqui va sans doute s’étendre aux salles de spectacleprivées, les home cinemas. Avec elle, la diffusions’effectue soit par satellite, soit par WiMax (surabonnement). Le film numérisé est téléchargédirectement sur le projecteur numérique du homecinema, équipé d’un système de réception. Onpourra ainsi louer son film pour la soirée ou leweek-end directement sur le Net, comme on le faitaujourd’hui avec des cassettes vidéo ou des DVDdans des boutiques robotisées mais auprèsdesquelles il faut encore se rendre physiquement.

Cette nouvelle télévision du anytime, anywereconstitue un important défi pour les détenteurs decontenus, c’est-à-dire ceux qui produisent desprogrammes ou achètent le droit de diffuser desémissions à certaines heures. Les achats de droits neseront plus seulement amortis sur une populationde téléspectateurs captifs, mais sur une multitude depetits groupes qui, en des temps et des lieux diffé-rents, loueront ce qu’ils voudront regarder sur diffé-rents types de supports.

Ces changements d’attitudes et d’habitudes vontrendre nécessaire de modifier les formats mêmesdes programmes de télévision. Au lieu des clas-siques 3, 6, 12, 26, 52 ou 90 mn, les formats se ferontplus courts, parfois de quelques minutes seulement,afin de s’adapter à une consommation sur télé-phone portable ou PDA. Le schéma traditionnel

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reliant cinéma, production télévisuelle et diffusionde films entrecoupés de publicité sur les chaînes detélé est menacé de disparition. Aux États-Unis, lesentrées payantes (box-office) ne représentent déjàplus que 25% des recettes. Les 75% restants provien-nent des ventes de DVD, des droits internationaux,des licences pour parcs à thèmes et des produitsdérivés, qui font le succès des Star Wars et autresJurassic Park.

On peut également utiliser les réseaux du Net enP2P comme on l’a fait pour la musique. L’ordinateurdevient alors un réseau miroir qui répercute l’infor-mation envoyée à quelqu’un d’autre. La qualité estexcellente puisque le PC relais corrige les écarts etles bits d’informations parasites qui risquent deperturber l’émission ou la réception. Grâce à deslogiciels gratuits et très simples d’utilisation tels queBitTorrent, par exemple (voir p. 54-56), la télé enP2P se répand comme une épidémie virale. On peutsoit la transformer en système gratuit, soit coder le«virus» de telle sorte que, lorsqu’il est répercuté deserveur en serveur, il faille payer pour décrypterl’information et lire le film. Si l’on relie cette télévi-sion du futur au système RSS (qui permet de mettreà jour son blog), plus besoin d’être abonné ou de lirele programme pour être informé qu’une émission achangé quelque part dans le monde. Les « agentsintelligents» filtrants sont justement là pour éviterque l’on se retrouve submergés.

Cette télévision sera complémentaire de la télé-vision classique et les deux vont vraisemblablementcohabiter un certain temps. D’un côté, une télévisionde masse, de grande audience, qui s’adresse à ceuxqui ne souhaitent pas (ou ne savent pas) utiliser les

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moteurs de recherche vidéo et les agents filtrantsqui iraient chercher pour eux des programmes surle satellite ou le câble – car tout le monde n’a pasforcément envie d’être libre de choisir parmi unemultitude de programmes, et ceux qui voudrontêtre guidés continueront de zapper sur les émis-sions classiques. De l’autre côté, la générationmontante, habituée à Internet, aux jeux vidéo et àla téléphonie interactive, qui souhaitera trouver surles réseaux plus de qualité à travers des émissionsspécifiques destinées à leur groupe. Certainsexperts estiment que d’ici trois ans le stockage dela totalité d’une saison de télévision, soit plus de1500 films, coûtera seulement 120 euros !

Grâce à la combinaison de mémoires puissantes,du haut débit, de la compression de données et desmoteurs de recherche vidéo, les utilisateurs dispo-seront de banques de données riches et variées. Ledéfi majeur sera alors de trouver le temps pourtout consommer sans se laisser submerger parcette offre pléthorique, risquant de constituer unenouvelle forme d’infopollution. Peut-être que desagents intelligents, programmés selon les goûts etles centres d’intérêt des utilisateurs, proposeront demanière proactive les programmes répondant àcertains critères précis de sélection. Une sorte decomplicité, voire de « symbiose», s’instaurera alorsprogressivement entre eux et leurs utilisateurs,dont ils connaîtront tout ou presque du caractère,des loisirs, des soucis, des goûts…

Cependant, à côté de ces outils, le besoin denouveaux médiateurs humains, capables d’aiderl’utilisateur à faire le tri, à évaluer, à hiérarchiser, àvalider, à organiser l’information, va se faire sentir

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de façon croissante. Une classe d’intermédiaires (des« infomédiaires») est en train de se constituer : nijournalistes, ni personnes de pouvoir, ils contribue-ront demain à façonner l’opinion publique en étantidentifiés par les utilisateurs comme des référents.

Un nouveau défi pour la publicité traditionnelleet les annonceurs

Un des grands mass média traditionnels est lapublicité. Certaines des nouvelles technologiespronétariennes sont en train de s’attaquer à sonmodèle de base. Ainsi, le DVR (Digital VideoRecording), dont le plus populaire est Tivo, auxÉtats-Unis, a déjà commencé à s’infiltrer dans legrand public. Il s’agit d’un disque dur qui permetd’enregistrer ses émissions préférées tout en« zappant » automatiquement la publicité. Dans lamesure où le modèle classique de la télévisiondépend presque entièrement des recettes prove-nant des annonceurs, le DVR introduit un véritablebouleversement. Comme la «nanopublicité» ou lenanoadvertising sur Internet, la publicité à la télévi-sion va être de plus en plus ciblée sur des clientèlesspécifiques et diffusée en des lieux eux aussi spéci-fiques. Les modes de consommation de la télévi-sion vont totalement changer. Au lieu d’avoir unrendez-vous à heure fixe, comme c’est le cas pourle JT de 20 heures, on pourra emporter sa télé avecsoi et la regarder quand on veut, où l’on veut.

Pourtant, alors que la tendance dans la sociétéde l’information est à la publicité personnalisée,niche par niche, marché par marché, la publicité

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continue de se faire de manière pyramidale. Lesannonceurs commencent toutefois à s’apercevoirque la montée des média des masses correspond àl’émergence de niches de marché spécifiques (lesamateurs de tel style de musique, de tel type devoyage, de tel sport…) ; ils découvrent aussi que lesmessages publicitaires très ciblés sont plus efficacesque les campagnes massives non différenciées…

La publicité est en train de se déplacer des massmédia traditionnels vers les média des masses.Aujourd’hui, 41 % du budget publicitaire desgrands annonceurs sont consacrés à une publicitéparticulièrement ciblée, appellée nano- ou micro-advertising. En d’autres termes, mieux vaut investirdans une publicité ciblée garantissant un rende-ment important sur une série de niches, avec deseffets amplificateurs, plutôt que d’«arroser» massi-vement les foyers, juste avant le journal télévisé de20 heures ou une émission en prime time, avec unspot qui sera noyé dans une marée d’autres spotsvantant les mérites de dizaines d’autres produits.

La micropublicité constitue un changementprofond qui remet en cause le modèle économiquetraditionnel des mass média. Les grands massmédia justifient le tarif prohibitif de la publicitédiffusée aux heures de grande écoute en se fondantsur le fait que plus les téléspectateurs seront nom-breux à voir un spot, plus les chances de vendremassivement seront importantes. Les publicitairespensent encore que plus le média est important,plus la chance de toucher la « ménagère de moinsde 50 ans » l’est également. Ce système va conti-nuer de fonctionner parce que les téléspectateursseront toujours demandeurs d’une télévision qui

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les rassemble autour d’émissions en direct propo-sant des émotions fortes (grands événements spor-tifs, cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques,catastrophes naturelles, discours déterminants denouveaux leaders politiques…). Mais le prix desspots – de moins en moins justifié dans le contextede la micropublicité – va forcément diminuer.

Aujourd’hui, la publicité en vidéo sur Internetreprésente pour les annonceurs un budget globalde seulement 198 millions de dollars, ce qui finan-cerait à peine un jour et demi de pubs téléviséesclassiques, lesquelles représentent un montant totalde 48 milliards de dollars ! Mais tous les grandsannonceurs se réorganisent pour entrer dans lesecteur de la publicité par courtes séquences vidéosur le Net. En effet, le taux de croissance des vidéospublicitaires sur Internet est aujourd’hui supérieurà celui, pourtant explosif, de la publicité surInternet telle que la pratique, par exemple, GoogleAds. Selon l’agence eMarketer Inc., cette crois-sance sera de 33,7 % en 2005 pour atteindre unmarché de 12,9 milliards de dollars.

Certains problèmes persistent – notamment lesimages ne sont pas encore de bonne qualité et tousles navigateurs ne sont pas correctement configuréspour recevoir de la vidéo à haut débit. Mais lesavantages sont considérables : l’annonceur sait quevous avez trouvé sa publicité et garde une trace dece que vous faites sur son site minute par minute(quel programme vous avez regardé, quel autrevous avez «zappé»…). De plus, les séquences vidéoInternet sont peu coûteuses à produire : une frac-tion des quelque 300 000 euros nécessaires pourfabriquer un spot TV standard de 30 secondes. À

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titre d’exemple, le géant McDonald’s, qui dépensaitil y a quatre ans 80% de son budget sur la télévi-sion en prime time, en utilise aujourd’hui moins dela moitié sur ce secteur et concentre le reste sur dela micropublicité, en particulier sur Internet.

La clé du succès consiste évidemment à conduire(forcer ?) les internautes à regarder ces publicités.Pour cela, les annonceurs qui ont compris lanouvelle culture du Web mettent en œuvre unesynergie entre la pub TV classique, qui donne envied’aller plus loin, et la pub vidéo sur Internet, quipermet non seulement d’approfondir un sujet, maisde créer des liens one to one avec le consommateur.Ainsi, les gens paieront moins cher la publicité demasse dont le taux de retour n’est pas démontré. Lenanoadvertising, mais aussi le narrowcasting (au lieudu broadcasting) vont progressivement changer lemodèle économique traditionnel des mass média.

La question est de savoir comment réagiront lespronétaires à cette réadaptation des infocapita-listes. Certains amateurs produisent déjà des publi-cités détournées, largement partagées sur Internetà partir de sites qui rassemblent les meilleures. Desconcours dotés de prix existent sur le Web. Maisleur arme secrète résidera sans doute dans lesnouveaux logiciels permettant de composer un vraispot de pub de qualité professionnelle en créant,par juxtaposition de modules prédéfinis, uneséquence de la longueur souhaitée. Quelques opé-rateurs proposent déjà des services clés en mainpermettant à un maire de tourner sa vidéo à desti-nation de ses concitoyens (TéléNetCité, de FranceTélécom) ou à un gîte rural d’assurer sa promo-tion… Grâce à des initiatives comme Google Ads,

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qui renvoie des revenus en fonction du nombre declics sur une annonce placée sur un site Web ou unblog, les pronétaires pourront amortir leur investis-sement en ligne ou même, selon les cas, réaliser desbénéfices. On verra ainsi des publicités « profes-sionnelles», identiques à celles réalisées à des coûtsde plusieurs centaines de milliers d’euros maispouvant être produites par des pronétaires utilisantdes logiciels comme ceux de VisibleWorld.com. Ilfaut donc s’attendre à une explosion de créativitédans cette nouvelle forme de publicité des médiades masses.

De nouveaux modèles de gestion de la relation clients

La rétroaction sociétale (ou citizen feedback),correspondant à la réponse simultanée de millionsde personnes par l’intermédiaire des réseaux decommunication, a été décrite dès 1975 dans LeMacroscope 1. Généralisée aujourd’hui grâce auxoutils dont nous venons de parler, elle montre quel’information client « en retour », devient straté-gique pour les producteurs. Les entreprises qui netiennent pas compte des « nouveaux conseillers »que représentent leurs consommateurs sontcondamnées à terme. En revanche, celles qui sontréceptives aux capacités d’innovation et aux demandespersonnalisées des clients (eBay, Amazon.com,Expedia…) sauront évoluer et s’adapter. Degrandes entreprises internationales telles que

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1. Joël de Rosnay, Le Macroscope, Seuil, 1975.

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L’Oréal, Shiseido ou certaines banques et compa-gnies d’assurances ont déjà pressenti qu’ellespouvaient tirer parti d’une meilleure écoute desmédia des masses (en consultant les blogs, voire encréant leurs propres blogs) et obtenir un retourd’information bien supérieur à tout type d’analyseou de sondage d’opinion. Surtout, les grandsacteurs commerciaux de l’Internet seconde généra-tion ont abandonné la publicité traditionnelle, onou off line. Ils privilégient le marketing viral, danslequel le meilleur annonceur est le client. SurAmazon, par exemple, le consommateur remplitune mission d’évaluation volontaire en commen-tant ses achats sur le site de l’entreprise, orientantainsi les choix des autres acheteurs (voir p. 194-195).

La nouvelle façon d’envisager la publicité estégalement à l’origine de nouveaux modèles decommercialisation et de gestion de la relationclients (CRM en anglais ou GRC en français) quibouleversent les repères des annonceurs. Jusqu’àprésent, l’unique modèle du marché industriel étaitle suivant : un producteur fabrique une série deproduits (ou services). Il réalise des études demarché afin d’être certain que son niveau deproduction correspond à une demande potentielle.Il génère de la publicité de masse pour faireconnaître ses produits et toucher le plus deprospects possible. Il organise également un vasteréseau de distribution pour que ses produitstouchent un public situé dans des zones géogra-phiques identifiées. Le producteur engrange éven-tuellement des bénéfices grâce à ces ventespassives de produits standard, mais il ne connaît nises clients, ni leur devenir. Le consommateur, lui, se

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rend dans une grande surface ou dans un magasinspécialisé. Il règle ses achats en cash ou avec unecarte bancaire. Après une attente généralementassez longue, il retire enfin ses acquisitions auguichet réservé au retrait des achats. Le vendeurcomme le producteur ignorent donc tout de cetacheteur, à l’exception de ce que leur indique latransaction réalisée par carte de crédit. Cettelogique s’applique à l’automobile, aux appareilsménagers, aux produits pharmaceutiques…

Désormais, avec Internet, le producteur peutconsulter l’historique des acheteurs et des visiteursayant consulté son site Web. Il peut savoir qui ilssont, ce qu’ils recherchent, ce qu’ils préfèrent… Ilest à l’écoute. C’est la base de la gestion de la rela-tion clients. Grâce à l’e-mail multimédia, auxsondages d’opinion, aux cookies (moins éthiquesmais tout aussi efficaces), au profiling, on peutconnaître les sites que les gens sont allés visiter etainsi leur proposer les produits les mieux adaptés àleur recherche et à leurs goûts.

Dans le contexte de la société de l’information etde l’émergence des média des masses, la relationtraditionnelle producteur/consommateur laisse peuà peu la place à une relation prestataire/abonné.Désormais, le prestataire vend un droit d’accès,comme l’appelle Jeremy Rifkin dans son livremajeur L’Âge de l’accès 1. Les producteurs ontcompris que le plus important pour eux n’était pasd’obtenir une simple marge financière sur desmillions de clients, mais de fidéliser ces millions declients, de les rendre captifs pour les suivre et leur

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1. Jeremy Rifkin, L’Âge de l’accès, La Découverte, 2000.

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proposer de nouveaux produits, de nouveauxservices ou des mises à jour. C’est le modèle deMicrosoft, qui vous contraint à acheter les mises àjour de ses licences, des opérateurs de télécoms, quivous piègent dans des forfaits compliqués et diffi-ciles à résilier… Vous pouvez payer plus puisquevous êtes un client identifié, que vous avez signé uncontrat sur lequel figurent votre numéro de télé-phone, votre police d’assurance, votre carte de fidé-lité, votre numéro de carte de crédit ou votre relevéd’identité bancaire. Fort de ces renseignements, leproducteur a intérêt à vous encourager à renouvelervos abonnements, forfaits, mises à jour. D’autantque la copie numérique ne coûte pratiquement rien.En revanche, un nouveau consommateur représenteune marge bénéficiaire considérable. La plupart dessociétés qui réussissent le mieux dans la nouvellenouvelle économie possèdent d’importantes listesd’abonnés, autrement dit des clients captifs.

Certaines tentatives qui ont échoué sont intéres-santes à étudier. Ainsi, il y a environ cinq ans, troisentreprises suédoises, Volvo (automobile), Ericsson(téléphonie) et Télia (télécommunications) ont faitun pari original : offrir une petite voiture à certainsdes abonnés à leur nouveau service, en leurpromettant également qu’ils bénéficieraient d’unaccès gratuit à Internet. Le bénéficiaire ne devaitpayer que les services liés aux voyages (DVD pourles enfants, fonctions supplémentaires de sécurité,cartes GPS, etc.). Pour que l’expérience soit rentable,il aurait fallu que les utilisateurs téléchargent suffi-samment de services payants pendant des duréesassez longues. Cela n’a pas été le cas, d’où l’interrup-tion de ce système. Mais le modèle était intéressant

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(pour les prestataires…) dans la mesure où il cher-chait à créer une relation de dépendance entre lesusagers et leurs outils ou équipements, générateursde flux de revenus dans la durée.

Certes, les infocapitalistes adaptent leurs straté-gies aux développements d’Internet et de l’éco-nomie de la gratuité. Mais les puissants outils et lefourmillement des usages inventés par les proné-taires les conduisent à opposer aux réseaux depouvoirs en place le nouveau pouvoir des réseaux.

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Chapitre 4

Des réseaux de pouvoirau pouvoir des réseaux : naissance

de nouveaux modèles économiques

Le contre-pouvoir des pronétaires inverse les rapports de forces traditionnels fondés sur la rareté

Les pronétaires sont en train d’inverser lesrapports de forces traditionnels. Nous l’avons vu, ilsdisposent des mêmes outils que les professionnelstout en ayant la capacité de se connecter en réseauimmédiatement et de manière fluide. On seconnecte, on se déconnecte, on se rassemble physi-quement à un moment donné pour une missionprécise, ce qui crée des réseaux d’intelligence collec-tive. Des groupes peuvent se constituer, se dis-soudre, se reconstituer, se donner rendez-vous pourdes manifestations de rue, décider d’appeler àboycotter certains produits ou bloquer des stations

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émettrices en envoyant des millions de mails oud’images. On a déjà assisté à de telles actions. Face àcela, les structures lourdes et pyramidales des pro-fessionnels traditionnels ne permettent pas derépondre avec suffisamment de réactivité. Lors desderniers grands votes en France, le rôle des nouveauxmédia des masses (SMS, IM, e-mail…) a été déter-minant. Les citoyens ont pu très vite diffuser desinformations, bien avant les journalistes, limités aucourrier des lecteurs reçu par la poste…

Le nouveau pouvoir en train de se constituer,encore embryonnaire, crée ainsi un changementd’équilibre des forces. Non seulement entre lesmédia classiques et les média émergents, mais égale-ment entre les structures politiques, industrielles, lesinstitutions traditionnelles et les nouvelles struc-tures civiles citoyennes. Dans le mode « tous verstous », les modèles économiques que l’on connaît,fondés sur la gestion de la rareté, ne s’appliquentplus. La gestion de la rareté s’est progressivementtransformée en un modèle économique de pouvoirqui revient à créer de la rareté de façon à générerdu profit. Cette création de rareté s’observe aujour-d’hui dans de nombreux domaines : ce sont parexemple les vectorialistes qui réclament desmesures juridiques à l’encontre des internautes télé-chargeant gratuitement de la musique sur Internet,afin de forcer les utilisateurs à passer par les majorsincontournables de la musique.

Or ceux qui créent de la rareté provoquent deuxphénomènes complémentaires : ils introduisent enmême temps la peur et la désinformation. La peurest la peur de manquer, ou, indirectement, la peurde ceux qui risquent de vous faire manquer de ce dont

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vous avez le plus besoin (terroristes qui sabotentles installations pétrolières, l’eau potable ou lesgrandes communications aériennes, attaquent leslieux de loisir ou de tourisme, par exemple). Lesgrandes entreprises, comme dans l’industrie phar-maceutique, créent un certain type de désinforma-tion, par exemple en discréditant les propriétés deproduits naturels connus pour diminuer la tensionartérielle ou le taux de cholestérol afin de favoriserla vente des blockbusters, ces médicaments large-ment répandus qui génèrent des chiffres d’affairesde plusieurs dizaines de milliards de dollars (tran-quillisants, somnifères, produits antihypertensionou anticholestérol…).

Dans l’optique infocapitaliste et vectorialiste tradi-tionnelle, pyramidale, où quelques-uns se partagentle pouvoir, créer de la rareté est vital. Les grandspouvoirs fabriquent artificiellement des manquesde manière à ce que les usagers ne puissent avoiraccès aux produits et services dont ils ont besoinqu’en passant par leurs circuits et chaînes decommercialisation. C’est le cas par exemple del’énergie, et en particulier du pétrole : une douzainede grandes compagnies pétrolières contrôlentl’ensemble de l’énergie mondiale. Le manque estdans ce cas créé par l’organisation coordonnée del’excès de consommation. Même situation dans lahaute finance internationale : quelques organismesfinanciers détiennent le pouvoir d’agir sur les tauxd’intérêt, et même sur la Bourse. Le modèle estidentique dans la communication, le commerce del’art, de la drogue ou de l’armement…

Comme le dit très bien Michel Serres, nos sociétésmodernes sont «des sociétés de la mise en scène de

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la peur». Le journal télévisé de 20 heures s’appuie,pour créer de l’audience, sur la quantité de mortset sur des faits divers relatés avec force détails :actes de terrorisme, feux de forêt, inondations, cata-strophes aériennes, accidents de la route, désastresécologiques, scandales financiers, etc. Cette mise enscène profite non seulement au monde médiatiquemais aussi aux mondes politique et juridique, quiont besoin, pour exister, de susciter directementou indirectement une peur permanente afin depouvoir proposer des plans pour y remédier. Ainsi,la gestion de la rareté va de pair avec celle de lapeur.Toutes ces peurs, alimentées quotidiennementpar les grands canaux d’information, contribuent àfaire pression sur les citoyens et à les obliger àaccepter des contraintes de plus en plus sécuri-taires, ou encore à passer par les vecteurs de distri-bution des entreprises les plus puissantes.

De la gestion de la rareté à celle de l’abondance

Depuis quelque temps le paysage change. Lepublic croit de moins en moins aux messages desvectorialistes et fait de moins en moins confianceaux média traditionnels. Chaque jour, des journauxmultimédia en ligne, les journaux citoyens, se créentun peu partout sur la planète. De plus en plus desites Web et de blogs proposent aux internautesd’écrire leurs propres articles et de concurrencer lesjournalistes professionnels. La gestion de la raretéest progressivement remise en cause par la gestionde l’abondance. «Abondance» est un mot particu-lièrement difficile à prononcer dans un monde où

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60% de la population des pays en développementvit au-dessous du seuil de pauvreté 1. Mais de faitnous sommes entrés, avec la société de l’informa-tion, dans l’ère de l’abondance numérique. Alorsque l’ère de la société de l’énergie est fondée sur lezero sum game (le jeu à somme nulle : si je donnemon argent ou un bien matériel, je le perds) de la«théorie des jeux» utilisée en économie, l’ère de lasociété de l’information repose sur le stockage et lacirculation de flux numériques (images, textes, sons,monnaies…). C’est le non zero sum game (le jeu àsomme positive : je peux enrichir l’autre sans m’ap-pauvrir). Selon la théorie des jeux, ce que j’ai, je leconserve. Dans ce système, l’internaute qui enre-gistre une musique peut créer de la valeur ajoutéeen la transformant et en la rediffusant.

La valeur ajoutée classique se crée de manièrelinéaire : un produit brut se transforme en produitsemi-fini, puis en produit fini. Dans la société del’information, non seulement le numérique ne seperd pas, mais sa vie se poursuit. À la différence dece qui se passe dans la société de l’énergie, dans lasociété de l’information le fait de donner quelquechose en confère la propriété au bénéficiaire maisn’en dépossède pas celui qui donne. Cela produitun effet boule de neige, un effet win win (gagnant-gagnant) : l’information reçue peut être une infor-mation investie qui va servir une nouvelle fois,ailleurs, via d’autres sources. Ainsi, dupliquer dunumérique ne coûte pratiquement rien. Les machines

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1. En France, le Conseil de l’emploi, des revenus et de lacohésion sociale estime à un million le nombre d’enfants vivantau-dessous du seuil de pauvreté.

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automatiques permettent de dupliquer à l’infini unoriginal auquel tout le monde peut avoir accès. Il estdifficile, sur le Net, de savoir si un auteur de musiqueou de vidéo est un auteur original ou s’il a empruntédes éléments vidéo ou musicaux à un autre. Lavaleur ajoutée de ce système se situe dans la créa-tion, l’innovation, l’invention, même si le résultat estune combinaison d’éléments qui existent déjà. Elleest importante dès lors que se crée une synergieentre plusieurs niches et entre plusieurs effets qui secumulent, s’amplifient, ou s’autocatalysent : ce quiest alors engendré, c’est de la «valeur ajoutée matri-cielle par synergie de niches».

L’effet autocatalytique du développement del’information signale l’ère de l’abondance numé-rique. Les grands média et les grands pouvoirs tradi-tionnels ne semblent pas encore avoir compris quel’abondance numérique va remettre en question lemodèle économique classique de gestion de la rareté.Dans ce contexte, la notion de propriété intellec-tuelle attachée à la propriété territoriale, telle qu’onla connaissait jusqu’à présent, doit être appréhendéesous un autre angle. Pour Valérie Peugeot, de l’associa-tion Vecam1, «l’abondance intrinsèque de l’informa-tion, devenue reproductible à volonté et à très faiblecoût grâce à la numérisation, rend inopérante toutetentative d’importer des règles venant de la propriétédes biens matériels pour les appliquer au champ de lapropriété intellectuelle. Ceux qui parlent de renfor-cement des droits de propriété intellectuelle s’inscriventdans une course éperdue, et vraisemblablement sans

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1. Vecam : Veille européenne et citoyenne sur les autoroutesde l’information et le multimédia (www.pronetariat.com/5).

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issue, pour recréer artificiellement de la rareté pardes mesures juridiques ou techniques1».

Le modèle économique classique, celui qu’on nousenseigne à l’école, consiste à gérer la rareté de façon àce que chacun en reçoive une petite part. Mais quandsurvient l’abondance – si par exemple l’énergiedevient disponible de façon illimitée et bon marché,ou l’eau potable de bonne qualité et gratuite –, lesdonnées du système économique changent radicale-ment. De même que les industriels créent artificiel-lement un univers de rareté pour préserver leurmonopole, les politiques et les élus, qui exercent lepouvoir pour une durée limitée, entretiennent àdessein une manière d’exercer le pouvoir qui enrenforce la nature exclusive. De fait, il n’y a qu’un seulprésident de la République,un seul Premier ministre…Mais, au lieu de se vivre comme des animateurs decollectifs,des catalyseurs dans des processus coopératifs,ils se positionnent en décideurs ultimes, accentuantl’idée de rareté associée au pouvoir.

Le jeu des partis politiques consistera notam-ment à offrir à l’un ou l’autre d’entre eux l’appuinécessaire au bon moment pour vaincre ses adver-saires. Le pouvoir ne se partageant pas, les leadersjouent la montre, le réseau, les rapports de forces,pour tenter de rester au sommet de la pyramide.Ils ressentent tout naturellement la montée desnouveaux pouvoirs, et particulièrement celui desmédia des masses, comme une menace, alors qu’ils’agit d’une forme d’expression démocratique,certes encore rudimentaire.

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1. Valérie Peugeot et al., Enjeux de mots. Regards multi-culturels sur les sociétés de l’information, C&F Éditions, 2005.

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Comment se crée la valeur ajoutée si elle neprovient pas de la marge réalisée sur le produit,mais sur l’usage ? Les consommateurs paient unabonnement pour utiliser un logiciel ou obtenir unemise à jour, pour télécharger de la musique, unnouveau jeu vidéo… Le but est de créer de la valeuren les fidélisant.Avec le Net et les média des masses,certaines niches peuvent se marier les unes avec lesautres pendant un certain temps et créer ainsi unevaleur supérieure « par effet de catalyse croisée ».Dans les années 1999 à 2001, on pensait que lanouvelle économie serait plus fluide, fondée sur leséchanges numériques effectués grâce à Internet, quiaurait permis de payer des produits et de se les fairelivrer en n’utilisant que le réseau. On croyait – à tort– que cette fluidité permettrait une telle rapidité decommande, de consommation d’information et delivraison que le commerce en serait bouleversé. Onparlait alors d’«e-commerce».

Ce mythe, entretenu par les investisseurs ducapital-risque, et des mises en Bourse spectaculairesont conduit au gonflement, puis à l’éclatement de labulle spéculative financière d’Internet. En effet, endépit de la vitesse électronique des échanges entresites Web, des e-mails, des transactions par cartebancaire, le monde matériel résistait. Il fallait livrer,mais les embouteillages empêchaient les produitsd’arriver en temps et en heure. On pouvait réserverdes billets d’avion en payant par carte de crédit,mais cela ne garantissait pas que le vol n’aurait pasde retard. À l’époque, le conflit entre les mondesvirtuel et réel a montré que l’heure n’était pasencore à la nouvelle économie fluide. Pour que lesystème fonctionne, il fallait aussi du brick &

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mortar 1, des lieux physiques de rencontre etd’échange. C’est ce qu’ont compris des sociétéscomme Amazon, eBay ou Expedia, qui, après avoirjoué à fond la carte des activités dans le mondevirtuel, ont su y concilier des activités dans le monderéel (de type logistique).

L’économie de la gratuité signifie, en réalité, quece qui est gratuit est une sorte de «produit d’appel»pour inciter les consommateurs à payer ensuite unservice (par exemple un abonnement à un journalen ligne, à la météo, aux cours de la Bourse, à unproduit ultrapersonnalisé…). Si l’on cumule flux,gratuité et personnalisation, on comprend en quoiconsiste la nouvelle nouvelle économie, permettantéventuellement de gagner de l’argent en marge duflux marchand traditionnel. Mais l’abondance del’offre peut aussi créer une saturation des possibi-lités de choix. L’excès de produits, de services, d’op-portunités, conduit à une société de surinformationet même de désinformation. D’où l’importancevitale pour les pronétaires de lutter contre l’infopol-lution pour extraire pertinence et signification desmasses d’information brute.

Savoir lutter contre l’infopollution :la veille intelligente

Historiquement, au cours des siècles, noussommes passés d’une société à dominante agricoleà une société industrielle (société de l’énergie),

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1. Terme anglo-saxon désignant les entreprises traditionnellesde l’ancienne économie construite «de brique et de mortier».

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pour atteindre finalement ce qu’on appellecommunément la société de l’information. L’avène-ment de l’électronique, de l’informatique et ledéveloppement des télécommunications a naturel-lement marqué ce passage. La télévision par satel-lite et surtout Internet ont amplifié le phénomènede manière radicale ces dix dernières années. Cettebrusque accélération a bouleversé les notions detemps et d’espace.

En conséquence, on constate une contractioncroissante du temps nécessaire pour collecter, traiteret analyser les informations nécessaires à une prisede décision efficace. En revanche, il faut plus detemps pour filtrer, donner du sens, classer et diffusercette information pléthorique. Car, en réalité, nousvivons dans une société de la surinformation et de ladésinformation. L’ensemble des média véhiculent enpermanence une masse de données difficiles àanalyser, à valider, voire à comprendre. Les grandesentreprises qui, depuis des années, mettent enplace des dispositifs plus ou moins perfectionnés derecherche d’informations, de knowledge managementou des cellules de veille ont été les premières à sentirle vent du changement.

Avec Internet, on assiste à une démocratisationprogressive de ces processus, notamment dans lesPME. Les entreprises sont donc de plus en plusconfrontées à des problématiques de complexitédans leur gestion de l’information (surabondante,rare,peu fiable,manipulée…).C’est pourquoi elles sontobligées de mettre en place des méthodologies etdes outils issus de l’intelligence économique. La mêmedémarche existe au niveau individuel. Nous sommesquotidiennement bombardés d’informations dans

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lesquelles nous avons du mal à faire le tri, surtoutlorsque nous tentons d’optimiser nos choix – mêmeles plus anodins – en cherchant et en sélectionnantdes informations sur Internet. C’est une des raisonspour lesquelles il devient indispensable pour chaquecitoyen de disposer d’outils et de méthodes adéquatslui permettant d’identifier et de valider l’informa-tion, en complément du travail de tamis effectué parles « infomédiaires», les nouveaux relais d’opinionde la société de l’information.

Une méthodologie développée initialement parCybion 1, société créée en 1996 par Carlo Revelli etl’auteur, avait pour but de permettre aux profes-sionnels de prendre conscience du potentield’Internet et de sa richesse informationnelle, d’iden-tifier les risques et les problèmes liés à l’informa-tion sur Internet, de maîtriser les principaux outilsde recherche (moteurs, annuaires, agents intelli-gents), enfin de mettre en place des moyens effi-caces d’identifier, de valider, de vérifier et derecouper les informations obtenues à partir duréseau (tant au niveau de la collecte d’informationsquà celui de son traitement et de sa diffusion).

Aujourd’hui, l’objectif de Cybion est de démon-trer que la recherche d’informations et la veilleindividuelle vont continuer de se développer etd’évoluer grâce à Internet. En d’autres termes, il

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1. Cette méthodologie a été décrite pour la première fois en1998 par Carlo Revelli dans Intelligence stratégique sur Internet(Dunod). Cet ouvrage avait pour objectif de permettre auxlecteurs d’optimiser leurs activités de recherche d’informationset de veille au sein des différentes « sphères » d’Internet (Web,forums de discussion, Web invisible, bases de données, etc.). SurCybion, voir son site : www.pronetariat.com/6

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s’agit d’expliquer pourquoi Internet constitue un« accélérateur » favorisant le développement del’intelligence individuelle (et non pas uniquementde l’intelligence économique). Il faut pour celaétablir un parallèle entre l’entreprise (intelligenceéconomique) et l’individu (intelligence indivi-duelle) qui permettrait de vérifier si, confrontés àdes problèmes en apparence similaires, les individusadoptent une démarche ou des solutions identiquesà celles mises en œuvre par les entreprises 1. L’ob-jectif est notamment d’essayer d’étendre les prin-cipes de la science de l’information appliquée àInternet (sans les cantonner uniquement à l’universde l’entreprise) et de promouvoir la recherched’informations afin qu’elle devienne une disciplined’étude à part entière. La clé d’une telle approche,que l’on retrouvera dans le cadre du journalismecitoyen, consiste à informer le grand public desrisques de la surinformation et de la désinformationen lui apprenant à les détecter et à les contrer, ainsiqu’en lui fournissant des outils efficaces pourtrouver la bonne information et la valider en vued’une prise de décision rationnelle et optimale.

En raison de ce « bombardement informa-tionnel », il est plus que jamais indispensabled’observer la plus grande prudence vis-à-vis desinformations que l’on nous communique, même sicelles-ci proviennent de sources proches ou fiables.

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1. Ce parallèle a été approfondi dans le cadre d’un doctoratde recherche effectué au sein du laboratoire de recherche duCris-Series de Paris X dirigé par le professeur J. Perriault (CarloRevelli, « De l’intelligence économique à l’intelligence indivi-duelle : comment exploiter l’intelligence d’Internet», à paraîtreen 2006).

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En effet, en dehors des cas de manipulationflagrante ou volontaire, personne n’est à l’abri d’in-formations fausses, même si elles paraissent vrai-semblables.

La prolifération des média et des sources d’in-formation ainsi que la difficulté liée au processusde « fiabilisation » font que désormais n’importequi peut, même en toute bonne foi, être un vecteurde désinformation. Avec les informations colpor-tées par Internet, le phénomène a atteint sonparoxysme. Idéalement, il faudrait être « méfiant »vis-à-vis de toute information disponible sur le Webet disposer d’outils et de méthodes pour en vérifierla fiabilité et la pertinence. Cela n’est pas toujoursni réaliste, ni réalisable.

La profusion actuelle d’informations est telleque personne n’est réellement en mesure decontrôler l’authenticité des faits et des événements.Quand un fournisseur annonce, par exemple, qu’unproduit n’existe plus, le client potentiel ne disposepas toujours du temps ni de la motivation néces-saires pour vérifier ses dires. De la même manière,si un revendeur informatique annonce que tellecarte vidéo est incompatible avec votre ordinateur,il faut vous en assurer sur Internet. Les combinai-sons informatiques étant quasiment infinies, il estsouvent impossible de proférer de telles assertionsen toute certitude.

Au-delà des entreprises, ce qui va donc révolu-tionner les comportements individuels sur Internet,c’est bien cette attitude de «veilleur». Elle consisteà garder les yeux ouverts pour se cultiver et s’enri-chir, que l’on cherche à dénicher une informationinédite, à vérifier une rumeur, à accroître ses

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connaissances, à forger ses croyances, à comparerles prix avant d’acheter un livre, à identifier lechirurgien qui a mis au point la dernière techniquepour soigner une maladie rare… Cela dit, avoir unaccès illimité aux informations ne signifie pas pourautant disposer d’un accès automatique au savoir,et, par conséquent, cela n’entraîne pas à coup sûrun « enrichissement personnel ». Encore faut-ildisposer du bagage intellectuel et cognitif adéquat.C’est là tout le défi auquel sont confrontés lessystèmes éducatifs du XXIe siècle.

Accessibilité, pertinence et fiabilité de l’information pronétarienne

De nombreux problèmes caractérisent les infor-mations issues des nouveaux supports électro-niques, tant au niveau de leur contenu que de leurpertinence et de leur fiabilité. Les adolescents,naturellement, sont les premiers concernés, puis-qu’ils subissent directement les assauts qu’en-gendre une société dominée de façon croissantepar les nouvelles technologies et par l’accès instan-tané à l’information. Dans une économie de plus enplus immatérielle, demeurent quelques paradoxesliés à l’information.

Comme le fait remarquer Charles Goldfingerdepuis longtemps, « plus l’information est abon-dante, moins on dispose de temps pour la traiter,plus il y a de chances de mal interpréter les donnéesdisponibles et de manquer l’information pertinente.La seule solution est de s’immerger davantage dans letorrent de l’information.Ainsi se crée l’accoutumance

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informationnelle : on n’en a jamais assez, quelle quesoit la quantité disponible. Or la richesse de l’infor-mation ne garantit nullement une utilisation plusintelligente. Sa prolifération même rend plus arduel’identification d’éléments pertinents 1 ».

On arrive ainsi à une situation dans laquelle il ya trop de données mais pas assez d’informationspertinentes. Les données en elles-mêmes apportentune valeur ajoutée très faible. C’est à travers unminutieux travail de recherche, de recoupement, devalidation, d’analyse et de synthèse que s’opère la« métamorphose » de milliers de données inutilesen un petit nombre d’informations pertinentes etfiables. C’est de cette manière que procèdent lesservices de renseignements dans le monde. Sansrecoupement, contextualisation, rassemblement,l’information glanée sur le terrain est souvent inuti-lisable. Sur Internet, ce phénomène est encore plusmarqué. En effet, face à un potentiel informa-tionnel incontestable, demeurent toujours lesquatre problèmes majeurs que Carlo Revelli avaitdécrits dès 1998 2.

L’information est difficilement accessible : toutexpert le reconnaîtra : la recherche d’informationsn’est pas toujours facile sur les réseaux et sur lesbases de données en ligne. Sur Internet, c’est encorepire. L’extrême liberté qui est à l’origine du succès duWeb dégénère parfois en anarchie complète. Aucunstandard ni aucune réglementation ne sont imposésaux fournisseurs d’informations. Les différents

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1. Charles Goldfinger, L’Utile et le Futile. L’économie de l’im-matériel, Odile Jacob, 1994.

2. Carlo Revelli, Intelligence stratégique sur Internet, op. cit.

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moteurs de recherche existants (Yahoo, MSN,Google…) peuvent réagir de manière différente àune même requête. Il se peut que neuf moteurs derecherche sur dix ne trouvent rien et qu’enfin, mira-culeusement, le dixième donne un résultat. Parfois, ilsuffit de formuler à nouveau la requête pour que lesautres moteurs fournissent de meilleures solutions.Très souvent, on renonce, convaincu que l’informa-tion recherchée n’est pas présente sur la toile…

En plus de ces problèmes liés à la recherched’informations sur Internet, il ne faut pas oublierceux qui sont inhérents à la difficulté d’accès àl’information. Comme le précise justement JacquesPerriault, «même si le grand public acquiert progres-sivement une habileté à employer les méthodesnumériques, l’écart entre les potentialités des systèmesnumérisés d’information et les compétences desutilisateurs ne s’est pas résorbé au cours des trenteannées d’usage, et bien au contraire, il s’est main-tenu, sinon accru 1 ». L’utilisation d’Internet et desmoteurs de recherche n’est pas forcément simplepour des personnes non averties.

L’information est trop abondante : le caractèrepléthorique des informations obtenues se vérifieencore plus fréquemment. Il arrive souvent, pourune requête bien précise, que l’on trouve une infinitéde résultats. C’est à la fois l’avantage d’Internet etson point faible, car toute requête génère presquetoujours trop de ressources. Celles-ci, même si ellessont en relation avec le sujet, ne satisfont que rare-ment la demande, souvent très spécifique et pointue.

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1. Jacques Perriault, L’Accès au savoir en ligne, Odile Jacob,2002.

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Trop abondante, l’information récoltée est aussisouvent peu pertinente. Aucun des moteurs exis-tants n’est suffisamment perfectionné pour fournirdes résultats réellement ciblés et en adéquationavec les besoins de l’utilisateur. Dans le meilleurdes cas, l’information spécifique recherchée estnoyée dans une masse d’informations plus oumoins intéressantes par rapport au sujet. Dans lepire des cas, elle peut ne pas être présente dutout… Cependant, rareté et surabondance consti-tuent les deux faces d’un même problème.

L’information se renouvelle sans cesse : Internetest le média où l’écrit se renouvelle le plus. L’ex-trême facilité de publication fait qu’une informa-tion peut apparaître à tout moment dansn’importe quelle sphère d’Internet. La premièredifficulté consiste donc à surveiller les évolutionsdans un domaine donné. C’est d’autant pluscompliqué que l’information « récente » neremplace pas toujours l’information « datée ». Eneffet, il arrive souvent que différentes versionsd’un même document soient publiées à diversendroits sur Internet.

Le défi n’est donc pas uniquement de réussir àsuivre le « rythme des news », mais surtout de nepas se faire piéger par les informations périméesqui n’ont pas été supprimées. Aucun être humainn’a la capacité de suivre de manière exhaustive etprécise l’actualité dans un secteur donné. Avecl’aide d’« agents intelligents », il pourra tenter d’yparvenir. On a vu que les fils RSS (voir p. 51 etsuivantes), permettant de suivre les modificationset mises à jour qui interviennent dans des blogs,apportent un début de solution à ce problème.

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L’information n’est pas toujours fiable : la fiabi-lité de l’information sur Internet revêt une impor-tance cruciale. En effet, il se peut qu’après avoirpassé plusieurs heures à rechercher une informa-tion on se rende compte que son origine n’est pasfiable. Hélas, cela arrive plus souvent qu’on ne lepense, sur le Web en général et sur les blogs enparticulier. On bute sur le plus grand avantage/inconvénient d’Internet : l’extrême liberté qui yrègne. Tout le monde peut s’y exprimer sans discri-mination. N’importe qui peut développer unevitrine sur le Web, lancer son blog. Le meilleur et lepire sont intimement liés.

Encore plus dangereuses sont les fausses informa-tions. Comment savoir qui dit vrai et qui dit faux?Comment reconnaître ceux qui essaient de dissi-muler le faux sous une apparence vraisemblable?De plus, la même information peut se trouver surd’innombrables sites, puisque sur les réseaux lesinformations peuvent être reproduites à l’infini.Comment connaître la source d’origine? Commentvérifier que le contenu d’un document reproduit n’apas été altéré ? Nous verrons par la suite quellessont les principales méthodes à la disposition dupronétaire pour lutter contre ces désagréments.

La désinformation sur Internet a fait l’objet denombreux articles et ouvrages. Comme le soulignejustement Rémi Kauffer, « l’irruption d’Internet esten train de chambouler les méthodes traditionnellesde désinformation. Tout va très vite sur le Web, lui-même se développant à toute vitesse. […] Le dangerexiste. Ce n’est pas une raison pour se muer en“internoparanoïaques” mais, au contraire, un motifsupplémentaire de comprendre que demain plus

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encore qu’hier il faudra apprendre à vivre entrevérité et mensonge. Si la désinformation a de beauxjours devant elle, il ne tient qu’à notre vigilance, ànotre réalisme, à notre technicité même qu’elle nedéborde pas les limites de l’acceptable 1 ».

Même approche pour Vladimir Volkoff, qui étaitpersuadé qu’« Internet est en passe de devenir,comme la langue d’Ésope, la meilleure chose dumonde et la plus mauvaise, car l’utilisateur qui estrenseigné par son écran se figure naturellementque les renseignements qu’il reçoit sont “objectifs”.Loin de là […]. C’est toujours vers les mêmes sites,les mêmes solutions, les mêmes entreprises quesont dirigés la plupart des “surfeurs”, qui font rare-ment l’effort de chercher au-delà 2 ».

De l’intelligence individuelle au journalisme pronétarien

Internet semble être aujourd’hui à l’origine denouveaux enjeux pour l’information et entraîner denouvelles formes d’interactions. Chaque individu esten mesure de trouver sa place et de prendre active-ment part à la construction du Net, sans qu’inter-viennent les distinctions coutumières et particulièresrégissant le monde réel. En effet, la «hiérarchiesociale» semble atténuée et, à première vue, chacunpeut participer, de manière anonyme ou non, defaçon plus ou moins active, aux discussions dont les

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1. Rémi Kauffer, L’Arme de la désinformation, Grasset, 1999.2. Vladimir Volkoff, Petite Histoire de la désinformation,

Éditions du Rocher, 1998.

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forums, les chats, les newsgroups, les blogs sont lesvecteurs ou outils les plus caractéristiques.

Les média traditionnels ont joué un rôle impor-tant pour asseoir la démocratie. Il semblerait que,dorénavant, ils soient contraints de s’adapter auxNTIC, dont les possibilités d’utilisation métamor-phosent le paysage. L’accès gratuit à la presse enligne (du moins, le plus souvent, à l’information dujour actualisée), grâce aux sites mis en place par laplupart des grands quotidiens, est un des nombreuxéléments contribuant à créer un climat de concur-rence. Le secteur traditionnel de la presse papier estinévitablement conduit à se diversifier. Or latendance actuelle – afin que la presse en ligne nesoit pas la simple reproduction de ce qu’elle est surle papier et acquière un certain avantage comparatif– est à la personnalisation de l’information. Celle-ci,techniquement, passe notamment par la possibilitéde modeler son interface et ses rubriques favorites.

Cette évolution est illustrée par ce formidableoutil d’expression, apparu au milieu des années 90 ettendant à se multiplier aujourd’hui, qu’est le blog(voir notamment p. 42 et suivantes). Le blog est enquelque sorte un carnet d’actualités, de faits et d’opi-nions mis en avant par son ou ses auteurs. S’il serapproche du journal « intime» mais offert à tous, ilest également particulièrement apprécié, et de plusen plus utilisé comme moyen de communication parles journalistes, les politiciens et les professionnels.Les blogs d’opinion s’appliquent à promouvoir desinformations sous un angle subjectif : ils sont plus oumoins partisans et le revendiquent clairement.

S’il n’existe encore aucune étude faisant l’unani-mité sur la mesure du phénomène des blogs en

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Europe, on sait que 50 millions de visiteurs uniquessurfaient sur les blogs au premier trimestre 2005 auxÉtats-Unis (soit 30% des internautes américains et16% de la population).Aujourd’hui, un blog s’y crée-rait toutes les 6 secondes, d’après Loïc Le Meur, PDGde SixApart Europe1. Lors de la dernière campagneprésidentielle américaine, pour la première fois, lesconventions des partis républicain et démocrate ontaccrédité des blogueurs aux côtés des journalistes.Initialement accusés d’être de simples vecteurs derumeurs, les blogs ont commencé à démontrer leurcapacité à informer en forçant à la démission le jour-naliste vedette de CBS, Dan Rather, ou encore encouvrant la guerre en Irak.

Pour le juriste et blogueur américain RichardPosner, « accuser les blogs de manquer de méca-nismes de contrôle comme le font certains journa-listes traditionnels n’a pas beaucoup de sens. Il y aplus de garde-fous dans la blogosphère que dans lesmédia traditionnels ; c’est juste qu’ils sont diffé-rents. […] En fait, la blogosphère est une entreprisecollective – non pas 12 millions d’entreprisesdistinctes, mais une seule entreprise disposant de12 millions de rédacteurs, grands reporters et édito-rialistes, et tout cela pour un coût presque nul.Comment les média d’information traditionnelspeuvent-ils faire face à cette concurrence 2 ?».

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1. www.pronetariat.com/7Voir aussi Loïc Le Meur et Laurence Beauvais, Le Blog pour

les pros. Communautés, fonctions avancées, publications, Dunod,2005.

2. Cité par Courrier international, «Pourquoi les média ontperdu la confiance de leur public», n° 781, 20-26 octobre 2005, p. 65.Voir aussi le blog de Richard Posner : www.pronetariat.com/8

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En revanche, la sphère entrepreneuriale, inté-ressée par le phénomène, édite des blogs tech-niques, institutionnels, professionnels, c’est-à-diredes blogs centrés sur une thématique précise. Il estparfois difficile de déterminer s’il s’agit juste departager ses connaissances sur le secteur ou leproduit, ou si l’intention relève de la publicitédéguisée et/ou du marketing offensif. Ces « blogsmarketing» contribuent donc également à brouiller,voire à supprimer purement et simplement la fron-tière entre le fait et le commentaire.

Les média traditionnels anglo-saxons font pour-tant de cette séparation une loi, en particulier dansla sphère de la presse professionnelle. L’articledoit dans un premier temps présenter scrupuleuse-ment les faits puis, dans un second temps, il estpermis de les commenter. Nous remarquerons àtitre anecdotique que, dans la presse française, lestyle narratif polémique hérité de la Révolutionreste très prégnant. Le goût intellectuel pour l’ana-lyse, l’envie du journaliste de faire figure d’es-sayiste expliquent que les articles n’isolent pastoujours les faits du commentaire critique.

Force est de constater que, pour le moment, lesblogs français sont des blogs de commentaire, sortede chambre d’écho des média classiques. Ils n’ontpas encore démontré de réelle influence, à la diffé-rence de ce qui est apparu à travers certainesaffaires dans le monde anglo-saxon. Outre-Manchecomme outre-Atlantique, le blog est en effetdavantage un blog d’investigation, qui relie parfoisde nombreux individus. Les ressources humainesrassemblées peuvent alors dépasser celles desmédia traditionnels, notamment celles de la presse

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locale. (À noter cependant que l’étendue de lacommunauté linguistique conditionne celle desréseaux d’individus concernés : la sphère anglo-phone regroupe une population plus nombreuseque la sphère francophone.)

Le phénomène du blog est d’ailleurs à rapprocherde nouvelles initiatives pronétariennes telles que lesprojets de journalisme citoyen ou «participatif»,c’est-à-dire des sites qui éditent et centralisent desinformations provenant d’individus – sorte detémoins/capteurs – qui proposent des articles, desimages, de l’audio ou des vidéos. Le développementdes blogs politiques ou d’actualité encourage cetteforme de journalisme. Les internautes peuvent êtretémoins d’événements, ou recueillir des informa-tions, des renseignements difficilement accessiblespour les structures journalistiques traditionnelles.

Le potentiel n’est pas négligeable : en terme departicipation, ce genre d’initiative semble contri-buer à promouvoir l’idéal démocratique. Enthéorie, il offre la possibilité de s’opposer à ladésinformation ou au conservatisme des médiatraditionnels. Toutefois, le remède du « citoyenreporter » n’annule pas la possibilité d’une désin-formation ou d’une «mésinformation» encore plusgrande, car tous les individus ne possèdent pas laméthodologie, le recul critique du journalisteprofessionnel. Consulter des blogs d’amateurs pouravoir une idée des tendances de la société est unepremière approche – le blog est alors une sourced’information brute, un reflet, un observatoire dece qui se dit, de ce qui se fait dans la société. Allerchercher de l’information pertinente, «prête à l’em-ploi», travaillée et finalisée, en est une autre.

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À ce titre, le projet de journalisme citoyenOhMyNews 1, lancé en Corée du Sud en 2000 parOh Yeon Ho, est le plus abouti. Il s’est développédans un cadre technologique et sociologique trèsfavorable. En effet, ce pays connaît depuis plusieursannées un taux de pénétration de l’Internet à hautdébit impressionnant dans un contexte de concen-tration des média très fort. L’impact de OhMyNewsest loin d’être négligeable sur la vie politique natio-nale puisque, selon certains analystes, il auraitcontribué à l’élection du président Roh Moo Hyun.Jusqu’à 20 millions de pages auraient été vueschaque jour au moment de la campagne présiden-tielle de 2002. Boosté par un slogan très percutant(« Every citizen is a reporter »), OhMyNews a étéconçu dans le but de créer une alternative informa-tionnelle libre aux média, qu’Oh Yeon Ho jugeaittrop conservateurs et trop liés au pouvoir politique.

Le contenu de ce site d’informations en ligne estenrichi à 80% par les contributions des citoyens enéchange d’une modeste rémunération : une ving-taine de dollars pour les meilleurs articles, auxquelspeut s’ajouter une sorte de « pourboire » octroyépar les lecteurs les plus généreux en fonction de laqualité de l’information. Contribution qui a parfoisdépassé les 20 000 dollars ! OhMyNews a connuune croissance exceptionnelle, passant en cinq ansde 0 à quelque 40 000 citoyens reporters. Chacund’entre eux reçoit un message très explicite aumoment de son inscription sur le site : «Bienvenuedans le monde qui révolutionne la production, ladistribution et la consommation de l’info. Dites

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1. www.pronetariat.com/9 et www.pronetariat.com/10

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bye-bye à la culture journalistique d’hier, celle duXXe siècle. » Une quarantaine de journalistesalimentent les 20% de contenu restants et validentl’ensemble des articles soumis quotidiennementpar la masse des citoyens reporters. En moyenne,OhMyNews reçoit environ 200 contributions quoti-diennes, avec un taux de rejet inférieur à 30%.

OhMyNews est bénéficiaire depuis 2002, d’unepart grâce à la vente d’espaces publicitaires enligne, d’autre part parce qu’il redistribue une partiede son contenu à d’autres supports. Des milliers devolontaires s’appliquent donc à faire circuler desinformations et, parfois, révèlent de véritablesscoops que les média traditionnels ne relaient pas,par exemple le scandale du versement par Hyundaide plusieurs centaines de millions de dollars à laCorée du Nord avant le premier sommet réunissantles deux Corée.

AgoraVox.fr, une des premières expérienceseuropéennes de journalisme participatif

Dans la même logique, le credo du siteAgoraVox est : « Nous sommes tous des capteursd’information.» En d’autres termes, chacun de nousest susceptible de constituer une source d’informa-tion : les blogueurs, les utilisateurs d’Internet, lessimples citoyens, les associations, les journalistes…Tout citoyen est un reporter en puissance, un«capteur en temps réel». Aucune agence de pressene peut poster un journaliste à chaque coin de rue!L’émergence des citoyens reporters est inéluctable,et les tragédies du tsunami, des attentats de Londres

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ou des cyclones aux États-Unis ont démontré laportée réelle du phénomène. Comment ne pasadhérer à la position de Martin Nisenholtz, patrondu site du New York Times, persuadé que, « danscinq ans, les média auront changé si profondémentque les personnes informées chercheront auprès desblogs d’amateurs en qui ils ont confiance l’informa-tion dont ils ont besoin»?

Aucune agence, aucun organe de presse, aucunlogiciel ne pourra disposer du formidable potentielque représentent des millions de personnes agis-sant en réseau.

Le projet AgoraVox, en France, se situe dans laperspective du journalisme citoyen tel que le pratiqueOhMyNews. Il ne revendique aucune appartenancepolitique, sociale, économique, culturelle ni religieuse,mais constitue l’une des premières initiatives euro-péennes de journalisme citoyen à grande échelle etcomplètement gratuit. Le journaliste citoyen joue lerôle d’un veilleur qui, en raison de son environne-ment professionnel ou social, décide de remonterune information originale. Avec AgoraVox, leproblème de la légitimité se pose moins car la perti-nence et le caractère inédit de l’information prési-dent à la publication 1. Ce média peut ainsi devenirune véritable caisse de résonance. Il semblerait eneffet qu’Internet contribue à développer une atti-tude de veilleur individuel. Le tri, dans une sociétéoù l’information est omniprésente et surabondante,

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1. Il convient cependant de noter que la pertinence n’est pasune propriété absolue ; elle n’existe qu’en référence à des buts.Aucun projet ne peut donc faire l’économie d’expliciter et desoumettre à débat ses objectifs.

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devient crucial. Dans un contexte de saturation del’information, la ressource rare n’est plus la connais-sance spécifique mais l’«attention», c’est-à-dire lacapacité à traiter l’information. Le véritable pouvoirréside dans la faculté de rechercher, localiser, trier,filtrer, recomposer, analyser, communiquer oudiffuser l’information utile et pertinente. OhMyNewscomme AgoraVox s’appuient ainsi sur l’interactivitéentre les individus et essaient de promouvoir unedémocratie informationnelle reposant davantage surle citoyen.

Que recouvre exactement le terme « citoyen » ?Le journalisme citoyen associé à AgoraVox ne sedéfinit pas par une logique éditoriale dédiée à unthème, une éthique, une vision politique, un enga-gement militant, comme IndyMedia. Au contraire,il se caractérise par la notion de responsabilité etd’inscription dans la vie de la cité, sans orientationpolitique prédéfinie ou imposée. Il est important dedifférencier le journal alternatif qui véhicule uneligne éditoriale précise (animée par une idéologieet orientée par un groupe partisan et militant) dumédia qui fait uniquement appel aux individus, àleur sens civique, à leur attachement aux valeurs desolidarité et de liberté d’information, à leur capa-cité à capter, à sélectionner et à diffuser des infor-mations intéressantes dans le but de les partager.

Dans ce contexte,AgoraVox souhaite contribuerà la construction d’une presse interactive, ouverte àtoute personne souhaitant participer, collaborer,écrire dans une optique collective et autonome del’information. En d’autres termes, cette nouvelleforme de journalisme collectif et indépendant doitse fonder sur le principe de transparence de

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l’information, tout en permettant une certaineréappropriation de celle-ci après avoir soulevé denombreuses questions (objectives ou subjectives)sur l’actualité. Ces dernières sont susceptibles d’en-gendrer un fil de réflexions, de commentaires, deconversations et de réactions, c’est-à-dire des inter-actions en ligne instruisant peu à peu ce que DanGillmor nomme dans son ouvrage clé We theMedia, déjà cité, une « intelligence informationnelleet communicationnelle 1 ».

Dan Gillmor est un personnage connu etrespecté pour son travail d’« évangélisation » dujournalisme citoyen. En tant qu’ex-chroniqueurvedette du San Jose Mercury News, quotidien deréférence de la Silicon Valley, il dispose d’unecrédibilité certaine auprès des média tradition-nels, qu’il a pourtant abandonnés en 2005 pourlancer son propre journal citoyen en ligne :Bayosphere.com. Sa philosophie professionnelle serésume en une phrase, devenue quasiment un leit-motiv pour lui : « Mes lecteurs en savent plus quemoi. » Bayosphere couvre surtout l’actualité de labaie de San Francisco et s’intéresse avant tout auxtechnologies de l’information et à leur impact surla société. En tant que journaliste professionnel,Gillmor attache une importance particulière auxquestions éthiques et déontologiques. Pour cetteraison, il a mis en place une sorte de charte pourses citoyens reporters en distinguant le « journalistesur l’honneur » du journaliste professionnel qui« respecte des standards élevés d’honnêteté, d’ex-pertise et de loyauté».

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1. Dan Gillmor, We the Media, op. cit.

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Un des facteurs déterminants du succès du jour-nalisme participatif semble avoir été le déclin de lacrédibilité des mass média. En réaction à cette crisede confiance, de nombreux espaces de réflexion etd’analyse ont vu le jour. Internet a contribué à faireprendre conscience aux individus que ce qu’ilslisent dans les journaux, ou voient à la télévision, nereflète pas nécessairement la réalité.

Sans doute ne faut-il pas voir dans ce nouveaumode d’expression, dans ce mode d’informationparticipatif, un danger ou une menace pour le jour-nalisme professionnel et la presse traditionnelle. Ilfaut comprendre le journalisme «amateur» commeun complément aux média généralistes et à la presseprofessionnelle 1. Un complément social fait par lesindividus eux-mêmes pour d’autres individus, qui seveut le plus proche possible de la réalité des popula-tions et des actualités (faits locaux, régionaux, natio-naux, internationaux). Comme le précise PatrickSabatier, « journalistes et média vont devoir établirde nouveaux rapports avec le monde qu’ils ontmission de raconter, apprendre à travailler différem-ment et à exploiter l’immense gisement de faits etd’images soudain accessible, car il s’y trouve desdiamants dans la boue. Mais nous parions que le“journalisme citoyen” ne condamne pas les citoyensjournalistes que nous sommes 2 ».

L’approche de Yahoo News 3, premier site d’in-formations sur Internet en terme de trafic, va dans

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1. On trouve une réflexion sur ce sujet à l’adressewww.pronetariat.com/11

2. Patrick Sabatier, Libération, 20 août 2005.3. www.pronetariat.com/12

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ce sens. En effet, depuis peu, la version américainede Yahoo News a intégré à sa rubrique d’actualitésles news issues des blogs, affichant ainsi sa volontéde valoriser le journalisme amateur. Toute nouvellerecherche d’informations sur ce site puise donc nonseulement dans les média traditionnels indexés parYahoo, mais aussi dans les blogs. Le nouveau credode Yahoo aux États-Unis est : «Enrichir le journa-lisme professionnel du journalisme amateur. » EnFrance, Yahoo expérimente une approche similaireavec AgoraVox.

Dan Gillmor martèle d’ailleurs depuis des annéesque le journalisme citoyen n’est absolument pas uneremise en cause des grands média et que de nouvellessynergies vont voir le jour : «Le journalisme citoyenn’est pas un projet de critique des média, mais d’ex-pansion des média.» Sans aller jusqu’à affirmer quetout le monde est en mesure de se livrer au journa-lisme d’investigation, chaque personne témoin d’unévénement ou placée dans des circonstances particu-lières peut les présenter de manière spontanée et lespublier sous la forme d’un article, mais aussi deformats audio ou vidéo – l’image pouvant être exploitéede plus en plus facilement grâce aux nouvellestechnologies (téléphonie mobile, PDA, ordinateursportables). Chaque individu devient alors un relaisd’informations, comme cela se produit avec les blogset les wikis, nouveaux espaces de publication et decommunication pronétaires.

Bien évidemment, si tout journal rêve de pouvoirdévoiler un scoop, il n’en demeure pas moins que lesjournaux sont alimentés par de nombreux articlesquotidiens ayant vocation à informer la collectivité,le réseau d’individus le plus étendu qui soit, sur des

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faits communs qui devraient intéresser le citoyen aupremier chef.

Nous touchons ici au droit à communiquer,complément de la liberté d’opinion et d’expression,aussi important que le principe du média libre dansune société démocratique. La liberté d’expressiontelle qu’elle figure dans l’article 19 de la Déclara-tion universelle des droits de l’homme doit aujour-d’hui être revisitée dans une acception extensive,incluant ce droit à communiquer, c’est-à-dire nonplus uniquement à recevoir une information libremais aussi à construire, émettre et diffuser de l’in-formation.

Le concept de «droit à communiquer» est depuisles années 80 l’objet d’une bataille politique inter-nationale, opposant notamment les États-Unis et lespays du Sud. Les premiers considèrent que rien nedoit entraver le free flow of information, la librecirculation des informations. En particulier, toutepolitique publique visant à financer des médiapublics ou autonomes des grands groupes média-tiques internationaux est contraire à leur vision dela liberté de l’information. Les pays pauvres estimentau contraire qu’ils ont besoin de disposer de médiaqui ne dépendent pas des grands groupes decommunication occidentaux et défendent à ce titrele «droit à communiquer». Avec l’arrivée des jour-naux citoyens, cette revendication prend encoreplus de sens. Lorsque le droit à communiquer estexercé par le citoyen, la hiérarchie des informationsrevêt toute son importance, de même que le respectdes sources ou la vérification de l’information.

Il faut donc se poser la question de l’éthique.De quelle éthique relève le citoyen reporter

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communiquant ses informations sur un supportgratuit? Vraisemblablement de la même que cellequi s’impose à tout média se prétendant transpa-rent. Ce new journalism doit faire entendre une voixclaire sur le contenu de sa publication libre, et, parconséquent, communiquer sur les limites qu’il sefixe. Cette plate-forme de journalisme participatifconstitue également un tremplin pour des associa-tions, des collectifs, des groupes, des communautésdésireux de s’exprimer librement.

L’émergence de nouveaux moyens d’expressionrépond à un besoin réel dans une société où l’infor-mation libre et où la communication collectivejouent un rôle de plus en plus important. Cettetendance est révélatrice d’un mouvement plusgénéral s’appuyant sur la technique et les technolo-gies issues d’Internet. Il suffit d’observer l’engoue-ment populaire pour les blogs et la masse de plus enplus nombreuse de leurs adeptes pour comprendrecombien toutes ces nouvelles pratiques témoignentd’une évolution marquée vers les média participa-tifs, dont l’individu est au cœur pour communiqueret informer.

Les média libres touchent l’ensemble de la planète

Ce serait une erreur que de considérer le phéno-mène nouveau du média interactif comme unélément isolé. En effet, et cet aspect est primordial,le média libre touche l’ensemble de la planète,même si les barrières, les frontières linguistiquesrestent présentes. C’est ainsi, par exemple, queWikipedia, l’encyclopédie libre, gratuite et ouverte

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qui se construit à une échelle globale, se nourrit dela contribution généralisée de tous ceux qui souhai-tent rédiger, corriger, déposer et soumettre unarticle ou une définition. Outre qu’elle instaure unecertaine égalité des chances de se faire publier, undes avantages de l’information collective via unjournal citoyen consiste en la création d’un lieud’expression où se côtoient différentes personna-lités, différents caractères. De plus, le lecteur peut,au gré de son surfing, découvrir des sujets auxquelsil n’avait pas pensé : c’est ce que l’on appelle la«serendipité» (de l’anglais serendipity : trouver parchance ce que l’on n’a pas cherché), et ce conceptprend ici tout son sens. Soulignons également queWikipedia existe dans une trentaine de langues. Unmême mot peut avoir des « entrées » très diffé-rentes d’une langue à l’autre, en fonction descontributeurs, dans le respect du principe de diver-sité culturelle.

La presse interactive, dans cette optique, jette untout autre regard sur l’actualité, un regard qu’il nefaut pas comparer avec celui qu’y portent lesagences comme l’AFP, AP ou Reuters, ou les grandsjournaux comme Le Monde, Le Figaro ou Libéra-tion. Cette nouvelle forme de partage de l’informa-tion favorise le langage commun. En effet, les articlespubliés sur des sites comme AgoraVox permettent auplus grand nombre de prendre connaissance dethèmes qu’a développés un individu avec toute sasubjectivité mais sans revendiquer l’objectivité de lapresse traditionnelle, mise à mal à maintes reprises.La subjectivité est sous-entendue, et par conséquentintégrée dans le processus de compréhension etd’acquisition de l’information.

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Par ailleurs, le journalisme citoyen revêt ungrand intérêt à un niveau local, voire «microlocal».En effet, nous avons tous une double approche faceà l’information : nous avons forcément envie desavoir ce qui se passe dans le monde ou dans notrepays d’un point de vue économique, social, poli-tique ou technologique ; mais nous nous sentonségalement directement concernés par ce qui sepasse dans notre région, notre ville, notre quartier,notre rue… En passant de l’« infiniment grand » àl’« infiniment petit », chaque personne basculecontinuellement de la sphère « macro » (ce qui sepasse dans le monde) à la sphère «micro» (ce quise passe au pied de son immeuble).

Ce nouveau phénomène constitue une véritablerévolution qui risque de transformer radicalementle fonctionnement des média traditionnels commenotre futur accès à l’information. Peut-être ceformidable potentiel constitué par une multitude decitoyens reporters agissant de manière conjointenous permettra-t-il de passer un jour de la version«officielle» de l’information à sa version «réelle»…

Alors que les média traditionnels font descendrel’information du haut vers le bas (principe du «unvers tous»), AgoraVox la fait circuler de manièretransversale (principe du « tous vers tous»), et cegrâce à une équipe de « rédacteurs citoyens» auxprofils hétéroclites. En effet, d’une manière générale,dans ce type d’initiative pronétaire la fonction et lestatut importent peu. On peut être journaliste,blogueur, fonctionnaire, chef d’entreprise, étudiantou chômeur… L’important, c’est la qualité et lapertinence des informations diffusées. On comprendque désormais la ressource rare n’est plus seulement

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le capital, ou le travail, mais l’information fiable etinédite. On peut obtenir de cette diversité de profilsune grande richesse rédactionnelle et information-nelle. L’originalité d’un site tel qu’AgoraVox est defaire remonter de l’information concrète depuis leterrain. On passe donc du top down au bottom upinformationnel. En ce sens, on peut dire qu’AgoraVoxest le premier média pronétaire.

Politique éditoriale et comité rédactionnel pour un média des masses

La politique éditoriale d’AgoraVox vise àmettre librement à la disposition de ses lecteurs desinformations thématiques inédites, détectées parles citoyens. Ainsi, la parole n’est ni au « peuple »,ni aux «élites». Elle est à ceux qui relatent des faitsoriginaux et inédits.Toutefois, une initiative commeAgoraVox accroît potentiellement les risques depropagation de rumeurs, de désinformation, dedéstabilisation et/ou de manipulation volontairesou involontaires. Pour cette raison, il est indispen-sable de disposer d’un comité de rédaction quipuisse agir en tant que « filtre ». Chaque auteurdemeure responsable à titre d’éditeur des affirma-tions qui sont publiées, et c’est à lui d’en valider lavéracité avant de soumettre son texte, mais lecomité de rédaction se charge, pour sa part, de véri-fier la conformité des propos tenus avec la poli-tique éditoriale d’AgoraVox. Éventuellement, ilmène des enquêtes complémentaires s’il a undoute. Dans le cas malheureux où un article conte-nant des inexactitudes échapperait au double filtre

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de l’auteur et du comité de rédaction, il seraitaussitôt supprimé du site.

Vu la spécificité d’AgoraVox, le comité de rédac-tion n’est pas calqué sur celui d’un journal classique.Il comprend les meilleurs rédacteurs volontairesd’AgoraVox, mais aussi des experts en veille et enrecherche d’informations issus de la société Cybion.AgoraVox relève donc d’une nouvelle forme dejournalisme citoyen. Les lecteurs constituent autantde rédacteurs potentiels et de membres du comitéde rédaction. Quant à Cybion, en raison de sonmétier et de son expérience, il a acquis dans ledomaine de l’information et de la veille un savoir-faire indispensable pour attirer de nouveaux rédac-teurs sur Internet, de nouveaux articles inédits, etpour essayer de valider les informations soumisesou trouvées dans le respect de la politique éditorialedéfinie par AgoraVox.

Tous les rédacteurs inscrits sur le site sont auto-risés à publier un certain nombre d’articles ; ilspeuvent également devenir modérateurs et fairepartie ainsi du comité de rédaction «collectif». Unformulaire disponible sur le site permet de faire lademande d’accès au « grade » de modérateur, lerédacteur devant préciser les motivations de sacandidature et surtout les rubriques dans lesquellesil souhaite intervenir.

L’équipe d’AgoraVox valide les candidatures enfonction du nombre et de la qualité des articlespubliés sur le site ainsi que de la fiabilité des infor-mations personnelles fournies. Afin qu’une certaineligne éditoriale puisse être préservée malgré uncomité rédactionnel élargi, les rédacteurs quipublient régulièrement deviennent plus facilement

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modérateurs. De cette manière s’instaure un cerclevertueux d’intelligence collective : plus un rédacteurécrit d’articles de qualité correspondant à l’approcheéditoriale du site, plus il a de chances de devenirmodérateur, et plus il a tendance à valider des arti-cles correspondant le mieux à cette ligne éditoriale.

Sur AgoraVox, la modération et la validation desarticles s’effectuent selon un modèle de «pyramideinversée » à trois niveaux. Pour y être publié, unarticle doit suivre le cheminement suivant 1 : lesarticles soumis par les rédacteurs sont tout d’abordet automatiquement classés dans des rubriquesprédéfinies (politique, société, sport…) grâce à unsystème de mots clés. Ainsi, les flux d’articles sontaiguillés en fonction de leur contenu de manière àêtre en adéquation avec les compétences desmodérateurs (par exemple, tous les articles traitantde sciences et technologies seront envoyés unique-ment aux modérateurs qui ont une expertise dansce domaine). Face à un article, aucun modérateurne sait qui a voté ni quelle est la nature des votesdéjà émis.

À terme, les meilleurs rédacteurs modérateursobtiennent le statut de « membres d’AgoraVox ».Chaque membre de l’équipe éditoriale a le statutde «responsable de la publication», avec des préro-gatives supplémentaires. Par exemple, il a accès àune interface où sont listés par rubrique les articlesproposés à l’évaluation. De même, pour chaquearticle, il peut visualiser le nombre de votesmanquants avant qu’il ne soit validé.

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1. Cette procédure a été mise en place en collaboration avecGuillaume Lory, directeur général de Cybion.

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Autre nouveauté : sur AgoraVox, les meilleurs arti-cles seront prochainement rémunérés en fonction dutrafic et de l’intérêt qu’ils généreront.AgoraVox est –et restera – un site gratuit. Ses principales ressourcessont liées au nombre de visiteurs et au trafic réalisésur le site (revenus publicitaires), ainsi qu’à la revented’articles à d’autres supports. Logiquement, unepartie des revenus générés doit être équitablementredistribuée aux rédacteurs en suivant différentscritères pondérables : la qualité des articles proposéssur la période, qui permet de mesurer la fiabilité durédacteur; le nombre de visites générées, qui permetde mesurer la richesse créée ainsi que l’appréciationdu rédacteur par les lecteurs (système de notationcomparable à celui d’Amazon ou d’eBay); l’anciennetédu rédacteur. Ces deux derniers aspects permettent demesurer la crédibilité du rédacteur.

Le journalisme citoyen est un phénomène enplein essor dans nos sociétés occidentales dites« démocratiques ». Mais qu’en est-il dans les paysoù la censure, voire la dictature, règnent ? Lemouvement y est encore plus frappant puisque lescitoyens reporters ont la possibilité de publier desinformations qui sont occultées dans les médiatraditionnels. Comme nous le rappelle Reporterssans frontières (RSF), «dans les pays où la censureest reine, lorsque les média traditionnels vivent àl’ombre du pouvoir, les blogueurs sont souvent lesseuls véritables journalistes».

Cela dit, dans certains pays, la moindre critiqueémise sur un site Web ou un blog peut déclencherdes représailles ou valoir un emprisonnement. Pourcette raison, RSF a publié en septembre 2005 leGuide pratique du blogueur et du cyberdissident, qui

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peut être téléchargé gratuitement en cinq langues àpartir du site Web de l’organisation 1. Ce guidepropose de nombreux conseils pratiques et astucestechniques pour aider les blogueurs et les citoyensreporters à préserver l’anonymat de leurs publica-tions, à garantir la confidentialité de leurs courriersélectroniques et surtout à contourner la censure.

En même temps, fort heureusement, l’accent estmis sur les risques de manipulation, de désinforma-tion et de propagation de fausses rumeurs : «Difficilede faire le tri entre les publications d’information, lestribunes personnelles, les vraies enquêtes et lestémoignages bidons, difficile de séparer le bon grainde l’ivraie. Il est probable que certains blogueursdéveloppent peu à peu leurs propres standardséthiques pour renforcer leur crédibilité et gagner laconfiance de leur lectorat. Mais ne nous cachons pasles yeux, les fausses informations, les insultes et lescalomnies fleuriront toujours sur Internet. Le blogdonne à chacun, quelles que soient sa formation ouses compétences techniques, la possibilité dedevenir éditeur. Cette liberté ne va pas sans risqueset les blogs sans intérêt, voire nauséabonds, vont sedévelopper au même rythme que les publicationsde qualité.» Comme dans la vraie vie…

Le succès des média des masses et des outils decommunication pronétariens force les infocapita-listes à la résistance. Mais leurs réorganisations ouréadaptations, quoique vives et défensives, ne sontpas toujours synonymes de luttes acharnées. Desterrains de complémentarité, voire de coopération,se dessinent peut-être pour les prochaines années.

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Chapitre 5

L’Empire contre-attaque :les réponses des pronétaires

L’Empire contre-attaque, ou collabore?

Depuis quelques années, les grandes maisons dedisques et les chaînes de télévision multiplient lesinitiatives pour tenter de réduire l’impact duphénomène de téléchargement de musique et devidéo en P2P sur Internet. Mais, surtout, les majorsutilisent l’arme de la répression contre les inter-nautes : procès, amendes, coupures de connexionInternet… Cette forme de répression aveugle aconduit à des résultats contestables. Depuis lafermeture de Napster, en 2001, on doit constaterque les sommes considérables investies par lesmajors dans la lutte contre les réseaux P2P n’ontpas servi à grand-chose. Aujourd’hui, selon l’entre-prise CacheLogic, les réseaux P2P consommeraientjusqu’à 80 % de la bande passante d’Internet. Ils

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constitueraient même une des principales raisonsconduisant les consommateurs à s’équiper en ligneà haut débit.

Les infocapitalistes sont donc partis en guerrecontre les pronétaires. Depuis le Digital MilleniumAct, entré en vigueur aux États-Unis en 2000, lesinternautes qui ne respectent pas les moyens deprotection logicielle ou matérielle du copyright sontautomatiquement hors la loi. Les multinationales dela communication ont ainsi réussi à faire traiter parles mêmes instruments juridiques la contrefaçon desobjets matériels et l’échange d’informations sansbut lucratif.

Au cours d’une réunion aux Nations unies, legrand patron d’une de ces multinationales a annoncéune offensive industrielle mondiale contre le piratageintellectuel, appelant les dirigeants d’entreprise à«s’unir dans cette guerre». Un groupe de travailfédéral américain a même demandé de nouveauxpouvoirs policiers contre ceux qui pratiquent le «volde propriété intellectuelle», appelant à une traquesur Internet, à des écoutes téléphoniques, et mêmeexigeant des fournisseurs d’accès à Internet (FAI)qu’ils révèlent les noms des internautes accusésd’échanger de la musique ou des vidéos sous copy-right. En France, Pascal Nègre, PDG d’UniversalMusic France, et la plupart des sociétés de gestioncollective des droits d’auteur exercent un lobbyingacharné afin d’obtenir le même type de dispositions,pour l’instant bloquées par la CNIL (Commissionnationale de l’informatique et des libertés).

La très puissante Motion Picture Association ofAmerica (l’association des producteurs américains)a récemment tenté de porter un coup sérieux à

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l’utilisation virale du réseau BitTorrent, dont il a étéquestion plus haut (voir p. 54-56). Des poursuites ontété lancées contre les gestionnaires d’une centainede réseaux utilisant BitTorrent dans le monde. Lesgrands studios de cinéma ont réussi, dans un premiertemps, à obtenir leur fermeture. Mais la victoire dela MPAA sera probablement provisoire. Certainsserveurs attaqués ont en effet décidé de contrer ladémarche des majors et lancé une souscription pourfinancer leurs frais d’avocats. En quelques jours, ilsont réussi à collecter plus de 35000 dollars sur leNet. Cependant, la réponse la plus dangereuse despronétaires à la contre-attaque de la MPAA pour-rait bien se présenter sous la forme d’un nouveaulogiciel baptisé eXeem et permettant au réseau defonctionner sans les serveurs qui ont été fermés. Augrand dam des majors, eXeem combinerait les avan-tages de BitTorrent et de Kazaa!

On peut se demander si de telles mesures répres-sives et parfois violentes ne sont pas dispropor-tionnées par rapport à la réalité de phénomènestechnologiques et sociaux difficilement réversibles.Les infocapitalistes mènent-ils un combat d’arrière-garde? Peut-on continuer à traiter des millions depronétaires comme des voleurs? On se souvient desdébats passionnés au moment de l’arrivée desmagnétoscopes. Ils annonçaient, pour Jack Valenti,le puissant patron de la MPAA, la fin du cinéma.Pourtant, aujourd’hui, les majors tirent une grandepartie de leurs revenus de la vente de cassettes VHSet surtout de DVD. Même réaction des éditeurs faceaux photocopieurs, qui allaient « tuer le livre».

Comme on l’a vu, l’évolution technologique paraîtirréversible. Il convient donc, pour les producteurs

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de biens culturels numériques, de trouver des formesalternatives de financement : partenariats, sponso-ring, téléchargements autorisés de musique commeproduit d’appel pour des versions payantes, concertsavec vente de billets et CD gratuits gravés par lesparticipants à l’issue de la représentation…

Malheureusement ces voies possibles vers unecomplémentarité entre infocapitalistes et proné-taires ne sont pas prises au sérieux par les multina-tionales des média. Leurs réseaux globaux dediffusion renforcent entre leurs mains la propriétéintellectuelle des contenus. Plus inquiétant, leursinvestissements dans des systèmes antipiratagecoûteux, dont ils sont les seuls à disposer, risquent deconsolider leur concentration et leurs pouvoirs.

Les MovieLabs (Motion Picture Laboratories)constituent la toute dernière réponse des info-capitalistes d’Hollywood. Grâce à un budget de30 millions de dollars apporté par les six grandsstudios, l’objectif des MovieLabs est de développerde nouvelles technologies antipiratage et de sécu-riser la distribution de contenus. Hollywood estimeen effet que, malgré les logiciels antipiratageactuels, la technologie ne progresse pas assez rapi-dement. Le but de la MPAA est de « protéger lesinvestissements des producteurs et des distributeursqui perdraient de l’ordre de 3,5 milliards de dollarspar an en raison de la piraterie ». D’autres grandsstudios, comme Disney, bénéficient même de rentesde monopole en réussissant à faire prolonger devingt ans la durée légale du droit d’auteur afind’éviter que Mickey ne tombe dans le domainepublic – une loi de 1988 qui a été confirmée par laCour suprême des États-Unis en janvier 2003.

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L’attitude répressive des majors suscite évidem-ment de nombreuses réactions, non seulement ausein du pronétariat mais auprès des sociétés degestion collective des droits d’auteur. Ainsi,l’Adami (la société de gestion collective des droitsdes artistes interprètes), contrairement aux sociétésde gestion des droits des auteurs compositeurs, aété amenée à faire des propositions alternativespour tenter de sortir de l’impasse de la répressionet du cercle vicieux qu’elle a contribué à créer.Pour elle, « il apparaît aujourd’hui illusoire devouloir stopper un phénomène qui repose sur l’es-sence même d’Internet. Ainsi, l’Adami s’opposeaux solutions qui privilégient la répression et laculpabilisation du public, ainsi qu’à celles quipréconisent le verrouillage des œuvres et le filtragedes flux».

Autre initiative intéressante, le Conseil écono-mique et social s’est récemment prononcé contre lapolitique du « tout répressif », qu’il considèrecomme une « vision à court terme ». Il a d’ailleurscommandé un rapport sur ces thèmes, coordonnépar Michel Muller, secrétaire général du livre CGT.Pour le Conseil, une lutte totale contre les piratesest «vaine». La répression systématique des inter-nautes qui téléchargent de la musique en P2Pnécessite de définir un nouveau contrat social entreles créateurs et la nation. En effet, pour cettegrande institution, un resquilleur n’est pas un pirateet un pirate n’est même pas un contrefacteur orga-nisé à l’échelle du continent. Il conviendrait donc àses yeux d’assimiler définitivement le téléchar-gement à de la copie privée. C’est ce que fait lajurisprudence actuelle, mais elle sanctionne en

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revanche l’upload, c’est-à-dire la mise à dispositiondes fichiers pour les autres internautes. Mais, pourrémunérer les ayants droit, le Conseil propose quesoit instaurée une taxe payée par les fournisseursd’accès à Internet, ce qui, pour ces derniers etl’Adami, ne règle pas le problème à la base.

Pour lutter contre le piratage ou tenter d’endi-guer le flux de la marée P2P, les FAI et les majors dela musique ont signé en France, le 28 juillet 2004,sous l’égide des ministères de l’Industrie et de laCulture, une charte les engageant à lutter contre la«piraterie numérique» à partir d’actions de sensibi-lisation, de développement des offres légales et derépression. Dans ce contexte, les poursuites contreles utilisateurs du P2P pourraient se systématiser etles sanctions se faire de plus en plus sévères…

Certaines sociétés proposent, on l’a vu, des solu-tions d’identification des téléchargements illicites(tracking), permettant de repérer les adresses IP desutilisateurs. Mais un filtrage généralisé des réseauxP2P ne paraît pas adapté. Et un filtrage fichier parfichier, dans le but de bloquer les seuls échanges illi-cites, semble encore trop complexe et trop coûteux.D’autres prônent un système de comptage dans leréseau (en mesurant ce qui circule dans les flux) : ilpermettrait de voir combien de fois chaque morceaude musique ou de film a été consulté et donc derémunérer les ayants droit en conséquence. Cesystème éviterait la mise en place d’outils d’identifi-cation des utilisateurs, par nature liberticides. C’estune logique de « traçage des œuvres» qui s’opposeau «traçage des utilisateurs».

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Ignorer les média des masses? Attention à l’« intelligence des foules»

Les infocapitalistes tentent également deconserver leur pouvoir en cherchant simplement,de manière moins violente, à ignorer l’émergencedes média des masses. Comme le dit très justementCyril Fievet, journaliste à InternetActu.net, « plusde dix ans après leur avènement en tant que médiauniversel et planétaire, l’Internet et le Web fonttoujours figures de “mal aimés” des média tradi-tionnels. Le constat est simple : les média, qu’ils’agisse de presse et surtout de télévision, semblentvouloir ignorer le Net. […] Autre source d’étonne-ment, les média traditionnels ont depuis toujoursl’habitude de se citer mutuellement, et même de semêler. N’entend-on pas depuis toujours, à la radio,des “revues de presse” quotidiennes résumant cequi est publié dans les journaux et magazines? Detout cela, le Net est étrangement absent. À l’in-verse, les média traditionnels demeurent la princi-pale source, jamais tarie, qui nourrit les blogs, lesforums, voire les sites institutionnels. Mais rien enretour, ou presque 1 ».

On sait pourtant que la France compte25 millions d’internautes et que de plus en plus degens, des jeunes en particulier, formés aux médiainteractifs par les jeux, le chat ou le SMS, dédai-gnent les média traditionnels pour s’informer parInternet. Lorsque la grande presse ou les grandeschaînes parlent d’Internet, c’est généralement pourévoquer des revendications terroristes faites par le

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1. Interview par Frédérique Roussel, Libération, 20 août 2005.

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biais du Web, la fréquentation des réseaux pédo-philes, la traque par des policiers spécialisés, l’inva-sion de nouveaux virus, les dangers des pirates pourles entreprises ou encore l’espionnage effectué parles spécialistes de l’«intelligence économique» grâceà Internet. Le phénomène étonnant de la montéedes média des masses et de la prise de consciencedu pronétariat passe totalement inaperçu, commes’il existait une sorte de censure tacite des infoca-pitalistes pour éviter de favoriser l’engouement demasses croissantes d’utilisateurs pour les réseauxcollaboratifs, avec sa conséquence : l’effritement deleur pouvoir.

La fracture entre infocapitalistes et pronétairesse creuse. Mais la lutte s’organise. Comme l’ex-plique Philippe Aigrain, « les multinationalesproduisent des contenus standardisés […] qu’ellesdéclinent en versions “localisées”. Elles consacrentdes sommes gigantesques à les promouvoir auprèsde ceux qui sont assez riches pour se les payer, oupour que leur attention soit vendue aux annon-ceurs publicitaires. Elles défendent leurs mono-poles par de multiples murs de propriété : brevets,droits d’auteur patrimoniaux dont la mise en œuvreest maintenant assurée par la technique et lasurveillance».

Mais pendant ce temps des voies alternatives semanifestent et se renforcent : «Des programmeursde logiciels libres distribués dans le monde entiercréent, sans recours aux transactions monétaires,des réalisations techniques plus complexes que cedont l’humanité a pu rêver jusqu’à il y a peu. Lepartage des goûts et des créations réinvente ladiversité culturelle autant qu’il la brasse. L’usage

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des technologies de l’information et de la commu-nication […] favorise l’apparition de nouvelles soli-darités mondiales et locales. L’émergence deressources et d’outils partagés pour l’information,par la preuve qu’elle apporte des bénéfices de lacoopération et de la solidarité, renforce l’idée qu’ilexiste des biens communs porteurs d’avenir 1. »

La grande différence entre les tendances et lesévolutions pronétariennes qui ont été décrites etcelles de l’Internet des débuts est que les premièresconduisent à transformer des intérêts personnelsen avantages collectifs, et donc en valeur ajoutéeéconomique. Multipliée par des millions, une actionpersonnelle simple telle que créer un lien avec unsite qu’on aime, poster un avis sur un livre ou undisque, répondre à un sujet sur un blog, devient utilepour des millions d’autres personnes. Une intelli-gence des foules est un train de naître, telle celledécrite dans L’Homme symbiotique en 1995 2, oùl’on découvre que, même si elles peuvent devenirincontrôlables, voire destructrices, des foules connec-tées en temps réel peuvent résoudre des problèmescomplexes mieux que le meilleur des experts.

Cette forme d’intelligence collective a été égale-ment évoquée par James Surowiecki dans son livreThe Wisdom of Crowds (La Sagesse des foules),publié en 2004. Mais la «sagesse» des foules ne semanifeste pas toujours dans la bonne direction.Elles peuvent devenir folles, amplifier des effetsminimes, réagir de manière épidermique et seretourner contre ceux qui posent des questions. Une

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1. Philippe Aigrain, Cause commune, op. cit.2. Joël de Rosnay, L’Homme symbiotique, Seuil, 1995.

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attaque coordonnée de foules d’internautes peutreprésenter une «cyberarme de destruction massive».Des actions peuvent être achetées ou vendues enBourse de manière brutale sans que ces réflexescorrespondent à des analyses détaillées ou sérieuses.Certains alimentent même les marchés électro-niques en faux bruits afin de rafler la mise par desachats en ligne sur une durée très courte.

Des cyberessaims d’internautes

Les réseaux d’individus connectés à Internet sontcapables de réactions d’adaptation rapides confir-mant l’existence de cette forme émergente d’intelli-gence collective – un phénomène d’essaims (swarmintelligence) comme ceux formés par les abeilles oules termites. Les scientifiques les considèrent désor-mais comme un organisme vivant et non commeune collection d’individus. On pourrait appeler detels regroupements, temporaires ou permanents, des« cyberessaims » d’internautes. Ainsi, au momentde grands événements mondiaux, les utilisateursd’eBay réagissent pratiquement en temps réel pourmettre en vente sur le site les produits les plusvariés en relation avec ces faits précis.

Ces réseaux peuvent également utiliser de redou-tables armes pronétariennes pour contrer des infor-mations qu’ils considèrent comme non sollicitées outout simplement démagogiques, qu’elles viennent depolitiques ou d’industriels. Récemment, une de cesarmes qui prolifèrent sur Internet a été utilisée pardes pronétaires pour protester contre la démarched’un président de parti politique qui recrutait pour

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son parti par e-mail. Les adresses e-mail de consom-mateurs avaient été obtenues par l’achat de bases dedonnées commerciales. Cette arme s’appelle le«bombardement Google» ou Google bombing.Comme l’explique Wikipedia, elle est à double tran-chant (car elle peut être utilisée à des fins subver-sives), et il s’agit d’«une technique de référencementvisant à influencer le classement d’une page dans lesrésultats du moteur de recherche Google.

Cette technique exploite une caractéristique dumoteur qui accorde un certain poids au texte avecun hyperlien vers une page. Ce poids peut varier enfonction de l’algorithme (du programme de classifi-cation) utilisé par Google. Si plusieurs sites utilisentle même texte pour pointer sur la même cible,Google additionne ce poids et il devient possible defaire apparaître la page cible dans les résultatsd’une recherche sur le texte contenu dans les lienspointant vers elle».

Autrement dit, des masses de pronétaires coor-données peuvent influencer le classement desrésultats d’une recherche faite sur Google etcontribuer ainsi à faire arriver en tête de liste unsite de dérision. Si l’on cherche, par exemple, à ridi-culiser une personne ou une marque dont le nomaura été tapé dans la barre de recherche de Google,on fait exploser la bombe de la manière suivante : ilsuffit d’écrire sur son blog une note contenant lemot précis sur lequel on souhaite qu’apparaisse labombe. Dans le cas précédemment cité, c’était lenom de l’homme politique responsable de l’envoides e-mails proposant à des internautes d’adhérerà son parti. Puis on a créé un lien entre ce nom etun site satirique, en l’occurrence la page d’accueil

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du film Iznogoud, dans lequel un acteur voulaitdevenir « calife à la place du calife ». Il a suffi dequelques notes de blogueurs influents pour que,très rapidement, la bombe fasse son effet : enoctobre 2005, le site Iznogoud arrivait en troisièmeposition lorsqu’on lançait une recherche avec lenom de cet homme politique dans Google.

Cette technique a souvent été utilisée par despronétaires à des fins politiques, économiques ouludiques, par exemple pour tourner George W. Bushen dérision. En effet, une recherche avec les motsmiserable failure (échec lamentable) renvoyait à labiographie officielle du président américain. Il y aquelque temps encore, les mots great president ren-voyaient à une fausse biographie du même homme.

Plus politique encore, cette Google bomb lancéeen 2003 par les partisans du gouvernement deGeorge W. Bush après la menace de veto français auConseil de sécurité des Nations unies contre uneintervention militaire en Irak : en cherchant frenchmilitary victories (victoires militaires françaises), onse trouvait renvoyé vers une page d’erreur imitantune page Google et suggérant de rechercher frenchmilitary defeats (défaites militaires françaises)…Cependant, comme l’écrit fort justement LoïcLe Meur, «attention à ne pas abuser, certainsn’apprécient pas du tout ce petit jeu». Même si,ajoute-t-il, « les blogueurs sont en général pleinsd’humour, rarement de méchanceté».

De plus en plus d’industries ont compris lesavantages qu’elles pouvaient tirer des participa-tions collaboratives en ligne ou même d’une formed’intelligence collective pour créer de nouveauxproduits, anticiper des marchés, évaluer des services.

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Par exemple, Eli Lilly, grande entreprise pharma-ceutique, a lancé en 2001 une start-up appeléeInnoCentive dont l’objectif est de résoudre desproblèmes posés à la recherche du groupe et àcertains de ses partenaires. Elle s’appuie sur unréseau interconnecté de 80000 chercheurs indépen-dants issus de 170 pays. Chaque chercheur, oudécouvreur de solution, est récompensé s’il estcapable de répondre à un problème de R&D.

Rapidement, d’autres grandes entreprises, commeDow ou Procter & Gamble, qui consacre 1,7 milliardde dollars à la R&D, ont compris l’intérêt de cetteforme de recherche mondiale mutualisée et sontvenues rejoindre InnoCentive. La start-up compteaujourd’hui une cinquantaine de clients, tels Boeingou DuPont. Les entreprises en quête de solutions àdes problèmes de recherche s’inscrivent sur le sitewww.innocentive.com, forum d’échanges en tempsréel, en tant que «chercheuses» (seekers). Un dépar-tement d’InnoCentive les aide à poser leurs ques-tions tout en préservant leur anonymat.

Les problèmes sont mis en ligne sur le site avecun résumé de la demande, une date limite deréponse et le montant prévu de la récompense quisera attribuée à la meilleure solution (entre 2000 et100 000 dollars). Pour que sa demande soit miseen ligne, l’entreprise verse un acompte d’environ20000 dollars à InnoCentive. Pour avoir accès auxdemandes des entreprises, il faut s’inscrire commesolver. Des scientifiques ou ingénieurs de n’importequel pays peuvent s’inscrire s’ils acceptent le règle-ment émis par InnoCentive, précisant la politiquede confidentialité et les questions relatives auxdroits de propriété intellectuelle.

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Les échanges entre les chercheurs et lesmembres d’InnoCentive responsables du problèmes’effectuent par l’intermédiaire d’un espace sécu-risé en ligne appelé Project Room (la salle desprojets), qui contient les détails correspondant àchaque problème. Les chercheurs soumettent leurssolutions à InnoCentive dans le cadre de la ProjectRoom qui leur a été désignée. InnoCentive évalueles solutions proposées et met à la disposition desentreprises clientes des scientifiques appartenant àses équipes pour sélectionner les meilleures d’entreelles. Les réponses peuvent être plus ou moinslongues et offrent parfois une stratégie de mise enœuvre dans un laboratoire, ce qui implique des tauxde récompense différents.

Lorsque le problème a été résolu, InnoCentiverègle la question du transfert des droits depropriété intellectuelle, puis celle du paiement. Ellepaie le chercheur et se rémunère en réclamant àl’entreprise demandeuse entre 60 et 100 % de larécompense offerte au titre de la rémunération deson service. Et ça marche ! Plus d’un tiers de lavingtaine de questions soumises par Procter &Gamble à InnoCentive ont trouvé leurs réponses.Grâce à ce réseau, la société a fait passer le nombrede projets provenant de l’extérieur à 35%. Il étaitde 20 % il y a trois ans.

Face à la télé du futur, les majors font de la résistance…

Avec la prolifération des écrans plats, une fusionest en passe de s’opérer entre les différents supports

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de diffusion d’images à domicile. Parvenant dusatellite, du câble ou d’Internet, les images vontenvahir les foyers. Bientôt on ne fera plus la diffé-rence entre l’écran de son ordinateur dupliqué engrand format sur un mur par un vidéoprojecteur etcelui de son téléviseur de type home cinema. Lestélécommandes perfectionnées vont jouer un rôlefondamental, ne serait-ce que pour connaître lesfonctions de l’écran utilisé et agir sur elles. Lecamphone (téléphone mobile muni d’une caméraphoto) deviendra une véritable souris. Il sera à lafois télécommande et scanner.

En effet, de nouvelles technologies, commeSpotCode par exemple, rendent l’environnementphysique « cliquable ». Elles permettront bientôtd’utiliser son mobile, chez soi ou dans la rue, poursignifier un ordre d’achat directement sur l’imaged’un écran ou sur une affiche comportant un codecirculaire (analogue à un code barre) susceptibled’être lu par le camphone. Grâce à un «clic photo»sur ce code, l’usager sera mis directement en rela-tion avec le site Web de l’entreprise, ou recevra unSMS répondant à sa question. Les chaînes de télé-vision vont développer des menus d’achat suppor-tant des transactions par carte bancaire grâce à desterminaux de lecture connectés aux PC et capablesde communiquer avec le téléviseur.

Les fournisseurs de programmes vont tenter decontinuer à capter la plus grande audience possibleet à obliger les téléspectateurs à ne pas zapperpendant la publicité. Ils disposent de plusieursmoyens pour les contraindre à rester fidèles àl’émission diffusée sur leur chaîne. Tout d’abord, latéléréalité : des études ont démontré que lorsque

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les «zappeurs» tombaient sur de tels programmesils restaient généralement sur la chaîne pour ensavoir plus. Ils répondent en cela à un mécanismede survie de nature darwinienne et propre à tousles animaux : mémoriser les événements drama-tiques pour savoir les éviter si l’on y était confronté,et ainsi survivre et éventuellement poursuivre lachaîne de reproduction, ce qui représente un avan-tage évolutif pour l’espèce. Si l’émission parvient àretenir son attention pendant plus de quinzesecondes, le zappeur a de bonnes chances deregarder la suite.

Dans son livre Les Stars, à la fin des années 50,Edgar Morin avait déjà eu l’intuition que le plusimportant pour les média était de montrer unepersonnalité célèbre, un « Olympien », dans dessituations de fait divers 1. Récemment, ces émis-sions à la mode montrant des gens « en état desurvie» ont réalisé les meilleurs scores d’audience.D’où des programmes de faible niveau culturel,mais considérés comme particulièrement «vivants»car plaçant des « célébrités » ou des « victimes »anonymes dans des situations dramatiques ou decompétitivité artificielle. Ces deux catégories socialesétant, d’après les chiffres, celles qui font le plusd’audience…

Autre moyen de capter et de retenir le public, ledébat politique avec confrontation connaît lui aussiun succès assuré. Dans les émissions du type «talk-show» en présence de spectateurs dont les réactions

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1. Edgar Morin, Les Stars, Seuil, 1957 ; réédition illustrée,Galilée, 1984. Voir aussi Sociologie contemporaine, Grasset,« L’Esprit du temps», 1962-1976.

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sont visibles à l’écran, et qui font partie de la miseen scène, des invités se disputent autour d’une tableou dans une sorte d’amphithéâtre. Parfois, le publicest même appelé à voter. Bien entendu, tous lessujets, même les plus graves, sont tournés en déri-sion. Ainsi, le téléspectateur, au hasard du zapping,a de bonnes chances de tomber sur un scandale, untémoin masqué à la voix électroniquement modifiéeou encore une célébrité ou un invité politiquesérieux en train de se faire ridiculiser, voire agresserverbalement ou physiquement.

Ce type de recettes « force» les gens à regarderla télé. Mais cette télévision-là est peut-être en trainde mourir. Même si elle connaît un succès incontes-table aujourd’hui, elle paraît être en fin de règne…Avec la montée des média des masses – qui diffuse-ront également le meilleur et le pire –, les specta-teurs auront une palette de choix plus large et desmoyens de plus en plus efficaces d’échapper à lapublicité.

Un combat d’arrière-garde?

Face à la déferlante des média des masses, lesmajors fourbissent leurs armes répressives. Mais larépression dans ce domaine a montré ses limites. Ils’agit pour de nombreux observateurs des médiad’un combat d’arrière-garde. Pour continuer àdominer leurs marchés, les majors vont tenter d’im-poser leurs standards, suivant en cela l’exemple deBill Gates, qui a contraint les utilisateurs de PC àadopter les standards propriétaires de Microsoft.Les grands opérateurs de télécoms, parce qu’ils ont

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acheté à un coût très élevé (168 milliards d’euros)le droit d’émettre sur des fréquences libérées parl’État, cherchent à imposer l’UMTS/G3 pour renta-biliser leurs investissements – malgré des débitsréduits lorsqu’on est en déplacement, un téléphoneet un prix d’abonnement plus élevés et une compa-tibilité limitée avec Internet, alors que la Wifi, lavoix sur IP et la téléphonie gratuite vont progressi-vement s’imposer. Mais les standards propriétairesséduisent de moins en moins les internautes, quileur préfèrent des systèmes ouverts, même s’ils sontparfois moins performants.

L’encryptage est un autre moyen de protectiondes infocapitalistes, pour le DVD par exemple.Toutefois, si certains encryptages sont extrêmementcomplexes, il existera toujours des développeurspour casser les codes et entrer dans les systèmes…C’est la guerre du glaive et du bouclier.

Enfin, les majors tentent de rendre les utilisa-teurs «dépendants». C’est bien dans ce but qu’ellesfont en sorte qu’il soit beaucoup plus facile d’ins-taller un logiciel que de le désinstaller ! Microsoft,nous l’avons vu, est une parfaite illustration de prin-cipe, de même que les opérateurs de téléphoniemobile, avec leurs packs forfaitaires contenant unnombre de formules d’abonnement tellement diffé-rentes qu’il est devenu presque impossible de modi-fier son contrat.

Une coopération entre infocapitalistes et proné-taires est en train de s’amorcer avec l’initiativelancée par Jeremy Allaire, un jeune millionnaire duNet, grâce à sa start-up BrightCove.com, opération-nelle depuis janvier 2005. BrightCove utilise le pouvoird’Internet pour transformer le média télévision en

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permettant aux producteurs de vidéo, autant lesgrands groupes que les pronétaires, de proposerleurs programmes en ligne et à haut débit, contreune rémunération soit directe, soit par l’intermé-diaire de la publicité. Ainsi, chaque producteur devidéos pourra proposer son œuvre sur Internet(grâce au pack logiciel proposé par BrightCove) etgagner de l’argent si quelqu’un la regarde.

Allaire s’inspire du modèle de Google, quigénère des revenus grâce aux annonces publici-taires placées sur les sites de ses clients. BrightCoveprévoit de laisser une place importante aux clipsvidéo de courte durée analogues à ceux qui proli-fèrent déjà sur le Net. L’idée est simple : il suffit deplacer la pub de 30 secondes en tête de la vidéo.Les annonceurs acceptent déjà de payer 25 dollarspour 1 000 spectateurs, plus que ce qu’ils paientpour la télévision classique.

Il existe aujourd’hui plus d’un million de clipsvidéo sur Internet, qui peuvent être vus sansattente grâce au streaming (flux continu) ou télé-chargés pour une visualisation ultérieure. L’entre-prise de marketing Forrester Research estime quela moitié de la population des internautes regardedes vidéos en ligne. BrightCove n’est plus seul :sont venues le rejoindre dans ce nouveau marchéd’autres start-up comme Blinks, Akimbo ouThePlatform. Les grands de la communicationcomme Viacom cherchent désormais à collaboreravec ces jeunes entreprises qui inventent unenouvelle façon de faire de la télévision.

Les entreprises de communication qui ne possèdentpas de réseaux câblés se tournent vers le haut débitsur Internet pour diffuser leurs programmes. Par

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exemple, la société Eco-Nova, productrice d’émis-sions pour le Discovery Network et le NationalGeographic Magazine, lance une émission d’explo-ration sous-marine en Web TV, sous la forme d’unblog multimédia permettant même de cliquer surdes vidéos en « live » en provenance directe descasques des plongeurs qui explorent les grandsfonds marins. Certaines start-up pronétariennescomme ManiaTV ou ChannelBlast sont encoreplus ambitieuses : elles veulent entrer en compéti-tion directe avec les grandes chaînes. Leur argu-ment est qu’en diffusant leurs émissions surInternet elles sont d’emblée «globales», alors queles chaînes classiques ne le sont pas ou doiventpasser par des relais satellites coûteux.

C’est peut-être par l’intermédiaire de la Web TVnouvelle formule que l’« Empire » des majorsentrera dans un cycle vertueux de complémentaritéavec le pronétariat, inventant ainsi, collectivement,le futur des média des masses…

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Chapitre 6

Inventer le futur desmédia des masses

Temps réel, fiabilité et infoéthique

La montée du pronétariat et les nouveaux outilsde pouvoir nécessitent des relations adaptées avecles entreprises, les organismes publics, les groupes,les associations. Les nouveaux pouvoirs qui semettent en place impliquent fiabilité, confiance,vérification des informations, dosage des actions,sujettes à des amplifications incontrôlables. Une« infoéthique» est donc indispensable à l’équilibredes pouvoirs entre infocapitalistes et pronétaires.Ce qui implique des solutions innovantes pourl’avenir des sociétés en réseau et en « temps réel».

Selon François-Xavier Alix, « il est fondamentalque ce soient, si l’on ose dire, l’éthique et le droitde la conversation qui soient affirmés comme prin-cipes de base, à savoir qu’aucune règle ne soit fixée

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d’en haut ou d’à côté : que chacun dise ce qu’il veutselon sa seule conscience et dans l’esprit de laDéclaration des droits de l’homme. Le système nepeut éluder longtemps la question d’une organisa-tion responsable mettant au point une “Constitu-tion” d’Internet, puis gérant le cahier des chargesqui en découlera. Les serveurs et les fournisseursd’accès au premier niveau, une instance de concer-tation et d’action commune dans chaque secteurthématique et dans chaque “région” du globe pources responsables, et enfin une instance mondiale derégulation et de recherche… 1 »

Cependant, « Constitution » et « instance deconcertation ou de régulation » seront difficiles àmettre en œuvre. En effet, certains éléments liés àInternet sont des biens publics rares qui demandentune gestion centralisée (par exemple les noms dedomaines) ; d’autres sont des biens communs àgérer par tous et chacun, avec une gouvernancearbitrale ; d’autres enfin resteront et doivent resterdes objets débattus et laissés ouverts.

Au-delà des questions de désinformation, diffé-rentes pistes de réflexion s’ouvrent, notammentpour tenter de résoudre les problèmes liés à la proli-fération de contenus illégaux sur Internet (pédo-philie, cyberterrorisme, cybercriminalité, racisme…).Il est difficile d’envisager qu’un gouvernement ouune administration puissent réellement réguler «duhaut » tout ce qui apparaît sur Internet. Les inter-nautes, et pas uniquement les pouvoirs publics,doivent être au centre de tout dispositif qui aurait

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1. François-Xavier Alix, Une éthique pour l’information,L’Harmattan, 1997.

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pour but d’introduire une quelconque régulationéthique et juridique sur Internet.

Chaque internaute peut se transformer, volon-tairement ou par hasard, en une sorte de «capteur»capable d’identifier un site Web ou un forum dediscussion qui incite au racisme, à la haine ou à lapédophilie. La question est alors de comprendre sile Web peut se transformer en une sorte de «peerto peer éthique » mobilisant les forces de millionsd’internautes, à l’image des nombreux programmesscientifiques qui utilisent la puissance de calcul desPC des internautes pour lutter contre le sida, lecancer ou pour scruter les signaux d’hypothétiquesextraterrestres (seti@home) 1.

Les pouvoirs publics devraient promouvoir acti-vement cette prise de conscience citoyenne pour quechaque internaute prenne la mesure de ses capacitéspotentielles à assainir le cyberespace. Il est doncfondamental de développer les bases d’une véritableautorégulation éthique et citoyenne d’Internet. Il nes’agirait d’une régulation ni exclusivement par lehaut (pouvoirs publics), ni exclusivement par le bas(internautes), mais d’une «corégulation citoyenne».

Il apparaît également nécessaire que soit déve-loppée une initiation à la maîtrise des moteurs derecherche traditionnels, voire des agents intelligents(logiciels permettant d’optimiser les recherches etla navigation sur Internet). Chaque individu pourraitainsi devenir une sorte de «maillon éthique du réseau»en utilisant efficacement les outils de recherche et leslogiciels intelligents. Le défi est d’arriver à exploiterl’intelligence collective d’Internet en utilisant les

INVENTER LE FUTUR DES MÉDIA DES MASSES

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1. Seti@home : www.pronetariat.com/14

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outils de l’intelligence artificielle (agents intelligents)et les méthodes de l’intelligence économique (recherched’informations).

Internet : libertaire et transnational

Mais le point important est de réussir à déter-miner quel doit être l’organisme habilité à recueilliret à analyser de telles plaintes. Le problème résidedans la nature libertaire et transnationale d’In-ternet. Pour regrouper des signalements ou desplaintes, un organisme gouvernemental national(ou intergouvernemental international) serait diffi-cilement efficace et crédible. Il serait trop facile ettrop tentant de contourner son action.

Il devient donc nécessaire de créer un nouvelorganisme international non gouvernemental, oubien de s’appuyer sur des organisations existantesindépendantes. Les analyses convergent pourproposer un organisme tripartie, comprenant desreprésentants des gouvernements, des entrepriseset de la société civile (ONG, associations, syndicats,etc.). Et ce serait ce nouvel organisme indépendant,international mais présent dans chaque pays, quipourrait fédérer les informations provenant desinternautes pour ensuite déterminer comment lestransmettre éventuellement aux services publicslocaux ou, le cas échéant, internationaux.

Reste cette question : les pronétaires ont-ils lesmoyens collectifs et individuels d’améliorer la fiabi-lité des informations ? L’avenir du journalismecitoyen ou des créations de contenus largementpartagés, comme les contenus éducatifs ou les

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rapports de consultants, en dépend. Les méthodeset les outils issus tant de l’intelligence collectiveque de l’intelligence individuelle constituent undébut de réponse 1. Différents services disponiblessur Internet déploient des stratégies d’intelligencecollective afin de fiabiliser et de crédibiliser leurfonctionnement.

Une première approche consiste à s’appuyer surun mode d’écriture novateur fondé sur la participa-tion de plusieurs auteurs à un même document,comme les wikis déjà évoqués. Mais cette solutionse heurte à deux limites majeures.

Premièrement, il est indispensable d’atteindreune masse critique conséquente d’utilisateurs afinque les processus de vérification collective semettent en place avec succès et que les tentativesde manipulation ou de désinformation soient réduitesau maximum.

La deuxième limite est liée à la nature même del’information que l’on souhaite fiabiliser. Plus cetteinformation est stratégique, plus les tentatives demanipulation sont importantes et difficiles à démas-quer. Une telle approche s’applique parfaitementaux articles d’une encyclopédie comme Wikipedia.Un succès semblable pourra-t-il être atteint avecWikinews 2, qui utilise exactement le même procédé

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1. Intelligence collective et intelligence individuelle sontnaturellement intimement liées entre elles et s’enrichissentmutuellement de manière vertueuse et itérative. En effet, l’enri-chissement progressif des outils et des méthodes d’intelligenceindividuelle contribue à renforcer les potentialités des processusd’intelligence collective, et vice versa. Pour cette raison, nouspouvons parler d’intelligence collective et individuelle (ICI).

2. www.pronetariat.com/15

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pour élaborer des actualités de manière « collabo-rative»? Difficile de répondre de manière nette àce stade. Mais il est sûr qu’à ce jour Wikinews n’apas encore atteint la masse critique d’utilisateursde Wikipedia. De plus, les enjeux des informationstraitées sont nettement plus stratégiques car ilstouchent à tous les domaines sensibles de notrequotidien (politique, économique, société, santé…).Quoi qu’il en soit, même si l’expérience est origi-nale et mérite d’être tentée, il sera nécessaired’ajouter des garde-fous supplémentaires pour lavalidation finale de l’information ainsi publiée.

AgoraVox utilise un processus d’intelligencecollective différent des wikis pour fiabiliser lesinformations publiées, en plus du filtrage à troisniveaux précédemment décrit, opéré par desveilleurs et des rédacteurs. Ce processus se fondesur les contributions des lecteurs (commentaires).Dès qu’un article est publié, tout lecteur peut inter-venir librement pour le commenter, le critiquer, lecompléter, l’enrichir ou le dénoncer. L’auteur inter-agit ainsi avec ses lecteurs – qui, comme le ditGillmor, sont parfois mieux informés que lui – afinde compléter et d’améliorer son article. Parfois, lecomité de rédaction décide de supprimer un articleaprès certains commentaires de lecteurs (notam-ment en cas de plagiat avéré).

Mais pour Wikipedia, qui se veut un «organe deréférence» doté de la «neutralité» encyclopédique,et quelle que soit la qualité de ses filtrages, on nepeut nier qu’il existe une «face obscure». Certainsde ses articles sur des personnalités politiques oumédiatiques, par exemple, contiennent des infor-mations sur leur vie privée ou sur des « affaires »

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auxquelles elles sont liées. Qui contrôle ce type d’in-formation? Comment peut-on être certain qu’il nes’agit pas de manipulation? Ce n’est pas parce queles sources sont pronétariennes que l’informationest obligatoirement fiable…

Il paraît salutaire, à ce sujet, de réfléchir à laportée du commentaire lucide d’un grand journa-liste, observateur de l’éthique des média, DanielSchneidermann : «La dépossession progressive desmédia traditionnels de leur rôle de source exclusived’information, au bénéfice des francs-tireurs de laToile, est entamée depuis une bonne dizaine d’an-nées […]. Ce qui est nouveau, c’est l’apparition d’unlieu central, doté de l’apparence de la neutralitéencyclopédique, et proclamant son ambition impli-cite de devenir la nouvelle référence universelle.[…] Mais cette séduction ne dissipe pas les inquié-tudes que suscite l’émergence possible d’un nouvelorgane de référence parfaitement anonyme, et doncvulnérable à toutes les manipulations. Qui aura letemps et l’énergie nécessaires pour actualiser, jouraprès jour, Wikipedia? […] Qui donc travaille dansl’ombre à la rédaction des versions définitives ?Quelle autorité supérieure arbitrera ? Mystères.Dans l’impossible rôle d’organe de référence, lesuccesseur du Monde s’appellera peut-être Wiki-pedia. Mais il n’est pas certain que la démocratiegagne au change 1.»

Un autre secteur dans lequel il est très importantde fiabiliser l’information est celui des ventes et desenchères sur Internet. Ne serait-ce que pour éviter de

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1. Daniel Schneidermann, « Wikipedia, ses espoirs, sesmenaces», Libération, 14 octobre 2005.

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faire face à des commerçants peu scrupuleux. Leprocessus choisi par eBay repose également sur l’ex-ploitation d’un processus d’intelligence collective. Eneffet, la qualité et surtout la crédibilité d’un vendeursont déterminées, non pas par l’entreprise eBay, maispar l’ensemble des clients de ce vendeur grâce àun système de notation visible pour tous. Ainsi,avant d’effectuer un achat auprès d’un quelconquevendeur, chaque internaute dispose à son sujet denombreux indicateurs (ancienneté, appréciationglobale, principales critiques, évaluation de sonniveau de réactivité…) qui vont lui permettre d’ef-fectuer son achat en minimisant les risques de fraude.

Malgré ces mesures de précaution, les dérives oules manipulations ne sont pas exclues à 100 %.Néanmoins, le système tend à s’autoréguler. Ceprocédé fonctionne plutôt bien puisqu’il a fait desémules dans d’autres domaines. AgoraVox etNewsTrust 1, par exemple, tentent d’utiliser ce mêmeprincipe pour fiabiliser les actualités publiées surInternet. À ce stade, il est encore trop tôt pour seprononcer sur son succès, mais les premiers essaissont encourageants.

Au-delà de ces différents processus d’intelligencecollective, les pronétaires disposent de plusieursméthodes individuelles faisant appel au «bon sens»et souvent inspirées d’applications en entreprise ouliées à l’intelligence économique. Premier conseilaux utilisateurs d’Internet : toujours vérifier la sourcedes informations recueillies. Une dépêche de l’AFPne sera fiable à 100% que si elle est reproduite surle site de l’AFP. Même les média clients de l’AFP

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1. www.pronetariat.com/16

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peuvent (volontairement ou pas) introduire desmodifications, sans parler des particuliers quidécident de reprendre ces dépêches sur leurs sitespersonnels.

Vérifier une source peut aussi signifier contacterl’auteur, ou les éventuels experts mentionnés, afind’obtenir confirmation des informations. Malheu-reusement, ce « retour aux sources » n’est pastoujours possible. Même au sein de sites officiels,des informations non fiables existent. Il s’agit làd’un problème profond lié au mode même de fonc-tionnement de notre société plutôt qu’à Internet.S’il est impossible de remonter à la source ou decontacter l’auteur, une recherche s’impose sur lapersonne ou l’éditeur du document pour vérifier safiabilité. Attention aux sources individuelles diffici-lement identifiables ! Si l’identification est impos-sible, la dernière solution est la suivante : essayer defaire valider l’information par un expert reconnu ouun spécialiste du secteur, notamment par lesnouveaux intermédiaires, ou « infomédiaires», dontil a été question (voir p. 86).

Une deuxième précaution consiste à croiserplusieurs informations entre elles pour obtenir unrenseignement cohérent à partir d’au moins deuxsources différentes et indépendantes. On peut aussicroiser une information recueillie sur le réseauavec une source complètement indépendante d’In-ternet. Parallèlement, si un expert figure dans ledocument ainsi obtenu, il faut essayer de trouverd’autres publications signées du même auteur etvérifier la concordance des propos.

On peut aussi essayer de dater le document, carsur Internet les informations périmées sont légion.

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Effectivement, l’information ne fait pas systémati-quement l’objet d’une mise à jour. Dans l’idéal, ladate doit figurer au sein du document. Si tel n’est pasle cas, il faut essayer de déterminer à quelle date ledocument a été publié sur le site. Il suffit pour celad’accéder au code source, même si cette méthoden’est pas infaillible. Enfin, un critère «empirique»,qu’il convient de garder présent à l’esprit, est lecritère financier et matériel : est-ce que la personnequi a diffusé l’information a un quelconque intérêtfinancier ou matériel à ce que celle-ci soit validée etconsidérée comme fiable? Ou, à l’inverse, est-ce quel’émetteur a quelque chose à gagner s’il persuadel’utilisateur de la prétendue véracité de l’informa-tion? Le fait même de se poser ce type de questionne garantit pas la fiabilité d’une information, maispermet d’éviter certaines des manipulations que l’onpeut rencontrer sur Internet.

Pousser et tirer l’information sur Internet :le push et le pull

La personnalisation des informations a toujoursété au cœur des préoccupations des moteurs derecherche et des start-up Internet. Il est intéressantde retracer brièvement la courte histoire de cestechnologies, notamment grâce à la dichotomie destechnologies pull et push qui s’est marquée à la findes années 90. L’information se renouvelle tellementrapidement sur Internet qu’il est humainementimpossible, sans l’aide d’assistants électroniques, desuivre l’évolution de l’offre d’un concurrent, l’ac-tualité d’un secteur économique ou l’apparition

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d’innovations technologiques. Il y a quelquesannées, Carlo Revelli 1 a schématiquement distinguédeux grandes familles d’agents intelligents ou logi-ciels : les agents de type pull et les agents de typepush.

Quand on se rend sur le site de Yahoo pour ymener une recherche, on dit que l’on est en train de« tirer » (pull) l’information du serveur de Yahoojusqu’à son PC. En effet, on a effectué la démarcheactive d’allumer son ordinateur, de se relier àInternet, de se connecter au site de Yahoo, de saisirles mots clés de sa recherche et, enfin, de rapatrierles documents sur son ordinateur : du pull à l’étatpur… Cependant, on peut continuer de faire dupull en déléguant certaines tâches répétitives à unagent intelligent. Si, par exemple, au lieu de seconnecter directement à Yahoo, on délègue cettetâche à son agent de recherche (par exempleCopernic), il s’agit toujours de pull. Dans ce cas,l’agent remplace l’utilisateur et il « tire» vers lui lesinformations demandées.

Dans la démarche pull, ce qui est important,c’est le fait que l’on soit acteur de ses choix mêmesi l’on confie le travail répétitif à l’agent. De même,si avec un agent de veille comme Webspector ouWeb Site Watcher on décide de surveiller le siteWeb d’un concurrent, c’est toujours du pull, mêmesi l’agent stocke les pages qu’il trouve et donnel’impression de les «pousser» vers l’utilisateur 2.

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1. Carlo Revelli, Intelligence stratégique sur Internet, op. cit.2. Plusieurs centaines d’agents « intelligents » peuvent être

téléchargés sur www.pronetariat.com/17 ou sur www.proneta-riat.com/18

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Dans une optique push, en revanche, l’utilisa-teur joue un rôle moins actif car l’information est« poussée » jusqu’à lui. C’est le même principe quela télévision : il existe des dizaines de chaînes quidiffusent des informations et le rôle de l’utilisateurconsiste uniquement à choisir celle qui lui convientet à la regarder. Sur Internet, il existait des logi-ciels de type push (PointCast fut le plus célèbre)qui permettaient d’accéder à des centaines dechaînes d’informations (CNN, New York Times,Washington Post…) à caractère souvent théma-tique (météo, sport, marchés financiers…). Ceslogiciels ont littéralement explosé vers la fin de1996 en faisant beaucoup de bruit. Certainsallaient même jusqu’à affirmer que désormais leWeb entier allait se transformer en une « télévisiongéante » dans laquelle chacun diffuserait des infor-mations à partir de sa propre chaîne. En réalité, cesont les enjeux financiers énormes (notammentceux liés à la publicité) qui avaient provoqué detels enthousiasmes.

L’information obtenue par les agents de webcas-ting (ou webdiffusion) est complètement uniformeet standardisée et s’adapte souvent à une diffusionde masse. Elle est donc utile pour suivre l’actualitéen général mais insuffisante pour mener des acti-vités de veille personnalisées. Avec les technologiespush, c’est le gestionnaire de chaque chaîne quidécide du contenu de celle-ci et qui le diffuse (àtravers un serveur). Avec un agent pull, aucontraire, si l’on décide de créer une chaîne, on restemaître de son contenu et c’est son agent (un logicielclient) qui rapatrie les informations correspondantà ses choix. L’intervention et la personnalisation

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humaines sont beaucoup plus importantes avec lesagents de type pull.

Si l’on ne parle plus de logiciels push ou pull denos jours, il ne faudrait pas pour autant croire que lapersonnalisation des services de recherche est enperte de vitesse. Bien au contraire ! Ce qui a poséproblème, notamment avec les logiciels push,c’est, d’une part, une personnalisation extrêmementlimitée, souvent cantonnée à des sources d’informa-tion officielles, et, d’autre part, l’obligation d’utiliserun logiciel propriétaire en dehors du navigateur.

À présent, ces deux freins n’ont plus lieu d’être.En effet, la personnalisation des services derecherche se développe de plus en plus, surtout parle biais de la technologie RSS, qui permet unepersonnalisation illimitée. Il faut tenir compte égale-ment de l’explosion de milliers de sources d’infor-mation citoyennes, de la concurrence acharnée entreles trois leaders du marché de la recherche d’infor-mations (Google,Yahoo et MSN) et de l’avènementdes technologies libres (open source) telles queFirefox, qui connaît un succès fulgurant.

Voici trois exemples parmi d’autres d’outils quirisquent de modifier profondément les habitudesde recherche de demain : Firefox, Google Maps/Google Earth et Yahoo My Web 2.0.

Trois exemples d’outils pronétariens pour optimiser les recherches

Les prouesses de Firefox : si aujourd’hui l’onreparle de navigateur, c’est que Firefox a réelle-ment révolutionné ce type d’application. En effet,

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ce navigateur open source peut être personnaliséavec des centaines d’extensions (elles aussi en opensource). On va voir de quelle manière Firefox peutêtre efficacement utilisé pour optimiser les investi-gations de tout citoyen reporter.

Tout d’abord, on apprécie, au point de ne pluspouvoir s’en passer, la navigation par onglets ainsique l’intégration réussie du gestionnaire de favoris.Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont lesnombreux outils qui gravitent autour de Firefox etqui en font une solution indispensable pour leschercheurs d’informations, les pronétaires et lescitoyens reporters. Il est important de préciser queces « extensions» sont développées par la commu-nauté de Mozilla 1 et, en général, mises à dispositiongratuitement. Leur installation est quasi immédiate.Elle ne requiert pas de compétences particulièreset peut se faire en ligne depuis le site de l’éditeur. Ily en a vraiment pour tous les goûts : des plus futiles,qui activent certaines fonctionnalités du navigateurà partir de l’enregistrement des mouvements de lasouris, aux plus utiles et performantes, comme parexemple les extensions qui permettent d’obtenirdes informations «cachées».

Yahoo My Web 2.0 : dans sa compétition avecGoogle, Yahoo est en train de tirer profit de sonréseau d’intelligence pour améliorer les résultatsdes recherches en ligne. Son nouveau moteur derecherche My Web 2.0 collecte les capacités et lescompétences de groupes d’utilisateurs pour créer une«symbiose» entre les cerveaux humains et les ordina-teurs. Aux premiers, la capacité de contextualisation,

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1. www.pronetariat.com/19

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de création de sens à partir de masses de donnéesnon organisées; aux seconds, la vitesse et la mémoire.Cela crée un moteur de recherche «sociétal» permet-tant, à la différence de Google, pour lequel l’ordredes sites les plus pertinents est fondé sur le nombrede liens créés par les internautes (Page Rank Techno-logy), de les classer en fonction de la proximité dechaque utilisateur par rapport aux autres et de saréputation à répercuter des informations pertinentes(My Rank System). Sont intégrés ainsi, en plus ducritère quantitatif (le nombre de liens), des critères desélection qualitatifs (la pertinence de la référence).My Web 2.0 rend immédiatement disponibles pourun réseau de correspondants fiables et leurs contactsdes pages Web considérées comme utiles par unmembre d’un groupe donné.Yahoo n’est pas le seul àtenter d’enrôler les pronétaires dans la création devaleur ajoutée collaborative. Récemment, AppleComputers et Microsoft ont décidé d’inclure dansleurs logiciels de base une version de RSS, ce qui vacertainement créer un effet boule de neige, une véri-table explosion d’interconnections sur les sujets lesplus divers. L’idée de base est la même dans toute lanouvelle nouvelle économie : créer un flux, du buzz,et faire payer des services personnalisés à un prix trèsbas multiplié par des millions d’utilisateurs.

Google Maps et Google Earth, le miroir dumonde : Google vient de mettre en œuvre ce prin-cipe qui lui est cher en lançant en juin 2005 GoogleEarth, un service gratuit de cartographie par satel-lite permettant de zoomer sur n’importe quel lieudans le monde. Selon les régions géographiques,les informations disponibles sont plus ou moinsprécises. Ainsi, un New-Yorkais pourra localiser

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son restaurant préféré et obtenir une vue en 3Ddes buildings de la métropole, alors que la résolu-tion des photos d’une bonne partie de la planèteest pour l’instant encore faible. La couverture,d’après Google, devrait s’améliorer rapidement. Lelogiciel dispose d’une version gratuite et deversions payantes pour les professionnels. Googlene sait pas encore comment il tirera profit de cenouveau service, mais le succès est tel qu’il envi-sage déjà des services payants pour l’immobilier, laplanification urbaine, la recherche archéologique,les cours de géographie ou l’espionnage par satel-lite ! L’appropriation de Google Maps et GoogleEarth par les internautes a été extrêmementrapide, dépassant toute attente. Ce qui a eu pourconséquence la prolifération de nouveaux usages etservices inattendus, mais générateurs d’applicationspersonnalisées à un coût minime. Google Maps estun service gratuit de cartes géographiques et deplans en ligne créé par Google en 2005. Le serviceest particulier puisqu’il permet, à partir de l’échelled’un pays, de zoomer jusqu’à l’échelle d’une rue.Deux types de plans sont disponibles : un plan clas-sique, avec nom des rues, des quartiers, etc., actuel-lement disponible uniquement pour les villesprincipales des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni et de l’Irlande ; un plan en images-satellites, quicouvre aujourd’hui le monde entier.

La Google Maps Mania

En dehors des définitions «officielles», il est inté-ressant de comprendre pourquoi ces services ont

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suscité une telle adhésion et pourquoi ils peuventêtre fort utiles aux pronétaires. La clé de voûte de cesuccès réside dans le choix judicieux, de la part deGoogle, de mettre à disposition de tous les inter-nautes une application (API – Application Program-ming Interface) permettant d’intégrer ou demodifier les cartes au sein de son propre site Web.Ainsi, il suffit de coupler la représentation graphiqueofferte par Google avec n’importe quelle autre basede données, et les applications deviennent presqueinfinies. Des milliers de programmeurs bénévolessont en train de créer des cartes hybrides (mash-ups)combinant des cartes géographiques ou des vuessatellites avec toutes sortes d’informations, accessiblesen cliquant sur des pushpins, sorte de punaisesvirtuelles «piquées» sur la carte.

Avec cette stratégie d’ouverture, Google favorisel’appropriation de ses services, mais surtout la créa-tion de nouveaux usages auxquels lui-même n’avaitpas pensé 1. Des blogs comme Google Maps Mania 2

décrivent des centaines d’applications différentes,avec la description de nouveaux services plusieursfois par jour. En France, Didier Durand est unblogueur passionné par l’évolution des média, destechnologies et de l’Internet. Son blog fourmille detests réalisés autour de Google Maps 3. Le créateurd’un des tout premiers navigateurs du Web, MarcAndreessen (voir p. 36 et suivantes), vient de créer

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1. Même si, pour l’instant, ils ne suscitent pas encore le mêmeenthousiasme, Microsoft (www.pronetariat.com/20) et Yahoo(www.pronetariat.com/21) ont réagi très vite en offrant desservices comparables.

2. www.pronetariat.com/223. www.pronetariat.com/23

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une entreprise appelée Ning.com pour faciliter lacréation quasi automatique de mash-ups de toutessortes et ainsi favoriser le « lien social». Les servicesde Ning sont gratuits et offrent une gamme d’appli-cations pour transformer des sites Web, les relier àd’autres, ajouter des fonctionnalités, avec pour prin-cipal objectif de permettre aux gens de se rencon-trer, d’échanger, de créer des réseaux.

Une application typiquement américaine a faitcouler beaucoup d’encre sur et en dehors duWeb. En couplant Google Maps avec des basesde données publiques disponibles aux États-Unis, il est désormais possible de localiser leshabitations d’anciens criminels… Par exemple,grâce à chicagocrime.org, tout un chacun peutsuivre presque en temps réel l’évolution des crimesdans la ville de Chicago, rue par rue. En Floride, onva encore un peu plus loin : le site Florida SexualPredator 1 donne la photo et la « biographie » dedangereux criminels sexuels qui habiteraient votrequartier… On imagine aisément les dérivesauxquelles ces sites peuvent conduire.

Dans un registre moins liberticide et probable-ment plus utile pour les pronétaires, il faut signalertoutes les tentatives en cours pour cartographier etlocaliser les actualités au fur et à mesure de leurapparition. Au Royaume-Uni, la BBC a décidé demettre à disposition des internautes beaucoup deses ressources et contenus afin de favoriser la créa-tion d’applications innovantes 2. Il s’agit d’un véri-table laboratoire de recherche accessible aux

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1. www.pronetariat.com/242. www.pronetariat.com/25

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internautes du monde entier et permettant la créa-tion de nombreux prototypes qui demeurentensuite à la disposition de tous les visiteurs. Parmieux, citons l’effort assez réussi pour coupler lesnews de la BBC avec les cartes de Google Maps.

Aux États-Unis, Yahoo Maps permet de faireplus ou moins la même chose à partir des dépêchesd’agence diffusées par Yahoo. Certains journauxlocaux commencent à utiliser Google Maps afind’illustrer les lieux où se sont déroulés les événe-ments qu’ils décrivent, et enrichissent ainsi lecontenu de leurs articles. De plus, on l’a vu, lesblogueurs sont les véritables capteurs en temps réelde ce qui se passe sur la planète. Ainsi, une applica-tion inévitable de Google Maps sera de coupler sescartes avec les fils RSS des blogueurs ou descitoyens reporters spécialisés dans le suivi de l’ac-tualité. Ce service ne devrait pas tarder à voir lejour… Bref, ce type d’applications, fondées sur descartes interactives, devrait engendrer des servicesoriginaux, comme le souligne Mike Pegg, fondateurde Google Maps Mania, dans une lettre ouverte du9 août 2005 à destination des média 1.

De jeunes entrepreneurs ont compris que lastratégie Google pouvait les aider à développerleurs start-up. En effet, Google permet aux créa-teurs de cartes ou sites mash-ups de partager lesrevenus générés par les publicités qu’il vend etaffiche sur leurs sites. La société se réserve en effetle droit de placer ses annonces sur les sites enéchange de l’utilisation gratuite de ses cartes. Ainsi,Trulia.com, une jeune entreprise lancée par deux

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1. www.pronetariat.com/26

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étudiants de Stanford, Pete Flint et Samin Inkinen,propose de relier les annonces immobilières d’uneville donnée avec les cartes du voisinage, donnantdes informations pratiques, montrant les lieux(écoles, parcs, transports…) et permettant decomparer les prix avec des ventes récentes effec-tuées dans ce secteur. À partir de son blog, DidierDurand a simulé le comportement d’un acheteurpotentiel de maison en faisant quelques essais surla ville d’Austin, au Texas. Après avoir sélectionnécette ville, il a basculé en mode photos-satellites et,en zoomant sur les lieux, il a «approché» la maisonde tout près pour la voir dans son environnement.Constatant qu’elle était proche d’une zone indus-trielle, il a pu l’écarter d’emblée, sans même avoireu à se déplacer, d’où un important gain de temps.

Les agences immobilières ont prévu ces réac-tions et commencent à adapter leur offre. Parexemple, John Keith est un agent immobilier nova-teur et perspicace 1. Peu après le lancement deGoogle Maps, il a décidé d’utiliser ce système pourmontrer de manière originale les appartements envente à sa clientèle. En faisant gagner du temps etde l’argent à ses prospects, John Keith sait qu’ilpourra les fidéliser plus facilement. Une applica-tion similaire permet de cartographier les offresd’emploi (Gendor).

D’autres services cartographiques en ligneexploitent encore plus à fond les potentialités deGoogle Maps. On peut par exemple obtenir la cartedes stations d’essence les moins chères du pays.Avec BusMonster, à Seattle, on peut voir les trajets,

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1. www.pronetariat.com/27

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arrêts et estimations horaires des bus de la ville.Grâce à GMapTrack, on peut vérifier l’état dutrafic via un réseau de webcams publiques dont lesimages s’affichent instantanément sur la mêmepage. N. Weinberg le complète par une applicationpeu souriante permettant de positionner le lieud’origine des soldats américains victimes de laguerre en Irak.

Mais, en définitive, où va Google ? Sa stratégiemultidimensionnelle permet de s’en faire une idée.Avec son célèbre moteur de recherche, avecGoogle Desktop pour les disques durs des PC,Google Mail, Google Maps, Google Earth, GooglePrint (numérisation automatique des livres dumonde entier à raison, pour le moment, de5000 livres par jour), Google Phone en Wifi et unefuture plate-forme de paiement en ligne, la «pieuvre»Google est en train de s’attaquer à de grandsconcurrents comme Microsoft, Yahoo ou eBay. Àterme, son objectif est de faire vivre les internautes,dans toutes leurs activités quotidiennes, avec unécran Google devant les yeux, que ce soit par l’in-termédiaire de leur PC, de leur mobile, de leurPDA, de la télévision ou des consoles de jeux. Celareprésente un gigantesque panneau publicitairemondial dont vit la société.

De plus, grâce à ses statistiques en temps réel surles questions que posent les internautes, Googledispose du plus efficace outil de prospective straté-gique au monde. Un outil qui ne lui coûte rienpuisqu’il lui suffit d’écouter ce que cherchent etdemandent les utilisateurs (de les espionner ?) àchaque seconde et dans toutes les langues du monde.Car Google peut visualiser en temps réel ce à quoi

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pensent les internautes du monde entier quand ilssont devant leur écran. Cette utopie est réalisablegrâce à Live Query, un immense écran de visualisa-tion développé par Google et sur lequel on voit s’af-ficher le flux continu des mots clés et phrases derecherche, en anglais, japonais, chinois, français,italien, hollandais, espagnol et coréen. Un étonnantlaboratoire de recherche sociologique est en trainde naître, intéressant aussi bien les philosophes queles spécialistes du marketing et du renseignement.

Que nous révèle l’observation de l’écran de LiveQuery? Cette sorte de miroir virtuel de la popula-tion des internautes fait ressortir en temps réel lesmodes, les phobies, les fantasmes, les angoisses, lehit-parade des thèmes, dans les domaines des média,du show-biz, des sports, des marques, des potins… Etce, milliseconde par milliseconde. Une manne pourles agences de publicité, les consultants en prospec-tive, les spécialistes de l’intelligence économique…

Évidemment, les recherches autour du mot« sexe » apparaissent en permanence dans les 86langues suivies par Google, mais on observe aussides pics d’intérêt, d’un bout à l’autre du monde,malgré les diversités ethniques et culturelles, liés àl’actualité et à des événements mondiaux. Parexemple, lors d’une diffusion aux États-Unis de latrès populaire émission Qui veut gagner desmillions, les ingénieurs de Google ont vu apparaîtresur leurs écrans, toutes les 48 minutes après l’heure,des pics de différente intensité signalant unerecherche active à propos de l’une des questionsposées à l’antenne : les internautes participaient àl’émission, État par État, jusqu’à Hawaii, le toutdernier pic de la journée!

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L’hégémonie de Google, qui se veut le collecteuret le rassembleur de l’information mondiale, n’est-elle pas en train de conduire à une victoire del’«Empire» sur les pronétaires? Le risque existe.Google en est-il conscient? Un premier obstaclevient de se dresser contre Google Print. La sociétéest poursuivie en justice par l’Association ofAmerican Publishers au nom de cinq grands groupesd’édition : McGraw Hill, Pearson Education,Penguin Group USA, Simon & Schuster et JohnWiley & Sons. Une plainte qui s’ajoute à celle de laGuilde des auteurs, au nom de milliers d’écrivainsaméricains, pour violation du copyright. Pour GooglePrint, il s’agit de numériser le plus de livres possibledans le monde, sauf si les ayants droit s’y opposentpar écrit. Pour les éditeurs, au contraire, il revient àGoogle d’obtenir les autorisations préalables.En août 2005, devant ces réticences, Google a inter-rompu ses procédures de numérisation automatiquede livres sous copyright. Pour combien de temps?

En attendant, les visualisations des recherchesdes internautes sur Google ouvrent de nouvellesvoies à la réflexion philosophique.Avec son derniermur d’images, GeoDisplay, Google ajoute l’espaceà sa représentation de la « conscience collective »du Web. On y voit s’allumer les points du monde àpartir desquels la densité des questionnements estla plus forte : New York, Tokyo, la baie de SanFrancisco… Ainsi, à l’information (les thèmes), autemps (les pics), vient s’ajouter l’espace (les lieuxde consultation). Le Cybionte, macro-organismeplanétaire hybride, cybernétique et biologiquedécrit dans L’Homme symbiotique, serait-il en trainde prendre corps?

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Vers l’homme «augmenté»?

Un certain nombre de développeurs d’Internetet d’experts de logiciels «ouverts» estiment que cesnouvelles phases d’innovation du réseau vontpermettre d’accéder à un vieux rêve d’augmenta-tion par ordinateur des capacités humaines connec-tées en temps réel. Par exemple, les étiquettes(tags) du site My Yahoo permettent à des inter-nautes de « marquer » les pages qu’ils jugent inté-ressantes et d’ajouter des annotations, ce qui créeun système de classification et d’organisation desdonnées géré par des millions d’utilisateurs, du basvers le haut de la pyramide – tous vers un (TV1).Cela restait jusqu’à présent impossible à réaliseravec les moyens classiques de communication. Cenouveau concept est de plus en plus en vogue surInternet. Dans Wikipedia, le tagging devient lafolksonomy, un clin d’œil à la taxonomy qui pour-rait signifier « génération spontanée de classifica-tion» (people’s classification management).

Comme l’explique Tilly Bayard-Richard sur sonblog 1, « l’idée de base du “tagging” est la suivante :l’inondation d’informations (texte, images, sons), ou“infopollution”, rend de plus en plus urgente etnécessaire une dose d’organisation, de classification,pour que les recherches donnent des résultatssuffisamment pertinents, et que les informationspuissent être partagées entre des communautésd’utilisateurs ayant des intérêts voisins. D’où l’idéede regroupements virtuels (pas physiques), parthèmes (catégories, mots clés, tags), des informations

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disséminées sur la toile (géographiquement, et dansle temps).

Le besoin n’est pas nouveau. On n’a pas attendule Web pour savoir utiliser quand il le fallait destaxonomies, des thésauri, des ontologies, des index,des mots clés plus ou moins contrôlés, libres ounaturels, pour accéder à l’information même nonnumérique. Ce qui est nouveau avec les folksono-mies, c’est qu’elles apparaissent au fur et à mesuredes besoins, se constituent quasi naturellement, àl’initiative des créateurs d’information (auteurs) etdes utilisateurs (lecteurs). Jadis, l’information étaitindexée, catégorisée par les auteurs seuls, aumoment de la publication, jamais par ceux qui enavaient besoin. Il existe déjà des sites comme Tech-norati qui montrent bien ce à quoi on peut arriveren matière de syndication d’information sur leWeb ». Le phénomène du tagging contribue, à sonniveau, à l’avènement d’un Web « sémantique »,capable de retrouver les informations par leurcontexte et pas seulement par des mots clés. Uneforme d’« intuition» du Web, en quelque sorte…

En réalité, ces concepts ont été popularisés surInternet, d’abord par Del.icio.us (un service degestion de bookmarks partagés et taggés), ensuitepar Flickr (partage de photos). Un peu plus tard,c’est le moteur de recherche Technorati qui a permisd’utiliser les tags pour qualifier et classer les blogs.Comme le précise Didier Durand sur son blog, cetteidée de classification du contenu Internet «par lepeuple, pour le peuple, vient de recevoir le supportd’un géant qui en accrédite ainsi le bien-fondé :Yahoo ». Désormais, avec My Web 2.0, Yahoopermet d’associer des tags avec les résultats de ses

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recherches et de les partager plus facilement avec lesautres utilisateurs.

L’idée sous-jacente est toujours la même : cesont les utilisateurs, et non les spécialistes, qui sontles plus aptes à classer et à tagger les informationsqu’ils utilisent. Ce système d’«étiquettes virtuelles»va se généraliser à de nombreux services du Net –revues de livres, de concerts ou de films, événe-ments programmés, ou encore profils d’individus,consultants ou enseignants sur le réseau. C’estjustement ce que facilitent les grilles de notation dutagging de My Yahoo : elles permettent de trouverdes catégories d’experts recommandés par de nom-breux utilisateurs, et même d’entrer immédiate-ment en contact avec la personne de son choix parmessagerie instantanée afin d’avoir une conversa-tion préliminaire pour éclairer les bases du sujetchoisi ou du problème posé.

Comme l’explique Francis Pisani sur son blog 1,« l’innovation technique la plus importante est l’in-troduction d’une nouvelle série d’algorithmes poursuggérer des réponses utiles. Au lieu de s’appuyer,comme le fameux Page Rank de Google, sur lenombre et la valeur des liens conduisant à un site,My Rank mesure l’importance d’une page en fonc-tion de l’intérêt que lui portent les réseaux sociauxdans lesquels chacun d’entre nous s’insère ». Decette manière, il est désormais possible de trouverdes résultats dont le contenu a été sélectionné ettaggé par d’autres utilisateurs. Les sites Web validéspar une communauté d’intérêts sont ainsi privilé-giés dans le classement des résultats de recherche

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de Yahoo. Pour cette raison, ce service fait partiedes services dits «communautaires» ou « sociaux».À ce jour, reste encore à prouver que sa pertinenceest réellement supérieure à celle du Yahoo clas-sique, même si certains spécialistes n’hésitent pas àle comparer à un «eBay des connaissances».

La vraie question de fond est de savoir si une telleapplication permettra de relancer les nombreuxréseaux sociaux (Linkedin.com, Friendster.com ouViaduc.com) qui, après un fort engouement initial,ont perdu un peu de leur élan, comme le préciseFrancis Pisani. Dans le même esprit, il faut égale-ment évoquer Yahoo 360°, un nouveau service quiallie blogging et réseaux sociaux. Signalons enfinque Google a décidé de lancer lui aussi une versionbêta d’un nouveau service qui prend en comptel’historique des recherches des utilisateurs afind’améliorer la performance des résultats 1.

Tout ce qui pourra être évalué par une collecti-vité dans l’intérêt d’une collectivité le sera. On estloin des critiques de films ou de livres, toujourssignées par les mêmes personnes, qui paraissentdans les journaux ou sont diffusées par les radios.Le mode de fonctionnement des jurys pourraitégalement se trouver bouleversé. Ces nouveauxmoyens de marquage numérique montrent quel’innovation est en train de naître à partir des inter-nautes de la base, du pronétariat, et ne constitueplus le seul privilège des entreprises traditionnellesd’Internet.

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Le nouveau souffle du Web 2.0

Depuis début 2005, Internet semble connaître undeuxième souffle : nouvelles start-up innovantes,nouveaux services inédits, nouveaux investisseurs…Certains décrivent le phénomène sous l’appellation« Internet 2.0 » ou « Web 2.0 », bien qu’aucunconsensus ne se dégage autour de ce que cesnotions sont censées englober réellement. En effet,les contours de cette nouvelle nouvelle économiedemeurent encore flous et l’on pourrait craindred’être en présence de l’énième terme à la mode.

Cela dit, d’une manière générale, beaucoup s’ac-cordent à penser que, plus qu’une révolution, leWeb 2.0 est une évolution naturelle d’Internet, à lafois du point de vue technologique et de celui desusages. En simplifiant, il est possible d’affirmer queles nouvelles applications qui voient le jour quoti-diennement sur Internet permettent d’obtenir plusd’informations à l’écran en moins de clics et plusrapidement que par le passé (en partie grâce àl’essor d’Ajax – Asyncronous Javascript Xml – etdes API publiques). Ainsi, Internet pourraitdevenir progressivement une véritable plate-formepour chacune de nos applications : il ne serait plusbesoin de les installer sur nos ordinateurs puis-qu’elles fonctionneraient depuis l’Internet Opera-ting System. Et même si, à ce jour, il n’y a pasencore de véritable révolution technologique, lesapplications sont développées de manière à favo-riser l’essor de nouveaux usages inédits, souventcollectifs, de la part des pronétaires.

La vraie révolution est là. Le Web 2.0 permet deplus en plus aux pronétaires de s’approprier l’infor-

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mation, de la valider, de la partager et de la diffuser.De nombreux sites ou services qui ont été décritsprécédemment sont considérés comme faisant partiede ce nouvel Internet : le service de cartes inter-actives Google Maps, les services de partage dephotos (Flickr) ou de bookmarks (Del.icio.us), lesréseaux sociaux, les systèmes de fiabilisation del’information des vendeurs d’eBay et d’Amazon, lespublicités contextuelles, les nouveaux systèmesde P2P et, naturellement, les blogs, les wikis et lesmédia citoyens. Avec le Web 2.0, ce sont les proné-taires qui se réapproprient Internet en utilisant leurintelligence individuelle et collective.

Les pronétaires peuvent déclarer : maintenant,c’est «notre» Web. Il n’y a plus de «spectateurs» etde «consommateurs». Désormais, les pronétairesprennent une part active à la création de contenusen ligne. Le slogan célèbre de la société Sun Micro-systems il y a quelques années : «Le réseau est l’ordi-nateur», devient : «Le réseau est maintenant votreordinateur.» Sur des millions de sites Web et deblogs, l’énergie créative des pronétaires se manifestepar la production de logiciels libres, d’émissionsde radio, d’articles et de photos. Sur le seul sitede MySpace.com, 21 millions de visiteurs passentchaque mois des heures à partager leurs idées et àéchanger des photos ou de la musique avec des amis.

Un exemple de site dont le contenu est entière-ment produit par les internautes est PostSecret. Ils’agit d’une sorte de journal intime, mais partagé etdonc offert à tous. Tous les jours, des milliers depersonnes racontent ou illustrent leurs confessionset leurs histoires personnelles sur des sortes decartes postales, lues par des millions d’internautes.

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Des histoires poignantes, sordides, comiques,ironiques ou blasées qui ont conduit à propulserPostSecret parmi les 10 sites les plus populaires des13 millions de blogs recensés par Feedster.com, unmoteur de recherche de blogs et de RSS.

Dans le domaine de la photo, Flickr.com, récem-ment acheté par Yahoo, est incontournable. Il suffitde taper un mot lié à l’actualité, comme Irak ouKatrina, pour trouver des photos prises sur placemoins d’une heure plus tôt. Flickr peut être consi-déré comme « les yeux du monde» ; il s’enrichit de1,2 million d’utilisateurs par jour, qui rejoignent lafoule des 37 millions d’habitués.

Un autre site pronétarien qui connaît un succèsphénoménal est Cyworld, en Corée du Sud. Il est entrain de séduire tout le pays, avec 15 millions d’utili-sateurs moins de quatre ans après son lancement.Les psy trouvent même que la génération des 15-20 ans est dangereusement accro à Cyworld!

Ce service permet à chacun de créer sa pagepersonnelle pour y mettre texte, photos, vidéos,musique, etc. Rien de très différent, semble-t-il, deMSN, My Yahoo, My Space ou Facebook. Si ce n’estque les pages de Cyworld apparaissent en 3D. Onpeut décorer son espace, sa chambre, son apparte-ment, avec des meubles numériques virtuels, ajouterune télé, une chaîne hi-fi sur laquelle le visiteurpourra cliquer pour écouter la musique qu’aurasélectionnée le «propriétaire» des lieux… On peutmême y croiser des «avatars» animés et dialogueravec eux par messagerie instantanée. Pour améliorersa page, sa «minihompy», le détenteur du siteprocède à des achats qu’il paie en «dotori» (littéra-lement des noisettes), une monnaie spécifique que

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l’on peut acquérir par le biais de sa facture de télé-phone, d’Internet… Cyworld est également acces-sible depuis un téléphone portable. On comprendpourquoi il existe une population de cyberdrogués!

Une des propriétés qui a valu à Cyworld sonextraordinaire succès est l’option «surfer la vague».Quand on lit un message sur un panneau d’affichageou que l’on regarde des photos, il est possible decliquer sur le nom d’une personne ayant ajouté uncommentaire et l’on est aussitôt transporté dans sa«chambre virtuelle». Si l’on aime sa musique ou sesécrits, on peut ainsi se présenter et devenir uncybuddy (cybercopain ou cybercopine). Si l’on estaccepté par son correspondant, on peut ajouter sesphotos ou son texte à sa propre page personnelle.Cette chaîne de surfing crée, par effet d’amplifica-tion, des communautés qui souvent se transformenten clubs d’intérêts communs sur les thèmes les plusdivers, du sport à l’art en passant par la philosophie.

Le tagging, dont il a été question précédemment,engendre lui aussi un étonnant effet boule de neige.En 2004, Mark Ghuneim, fondateur et PDG deWiredset Digital Agency, à New York, a commencéà utiliser le site de Del.icio.us pour «étiqueter» desarticles ou des pages Web intéressants. Il s’est alorsaperçu que ce site pouvait être particulièrementintéressant pour ses affaires. Par exemple, ensuivant une étiquette (tag) pour un orchestre, uneentreprise de production de musique pouvaitconnaître et mesurer le niveau de buzz créé aprèsle passage de ces musiciens à la radio ou à la télévi-sion. Et même suivre les bavardages (chat) desinternautes sur cette formation, minute parminute !

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La puissance de Del.icio.us résulte des capacitésde sélection d’information et d’étiquetage de sesmilliers de membres. Ce service a été créé fin 2003par Joshua Schachter, analyste chez MorganStanley, pour mettre à jour et partager des favoris.Schachter a démissionné de son entreprise pourlancer Del.icio.us avec l’aide du venture capital.Aujourd’hui, 200 000 abonnés sélectionnent etétiquettent des milliers d’articles, de blogs, dephotos, de films ou de musiques…

De grandes entreprises tentent maintenant detirer profit des services de Del.icio.us en captant leflux des informations et des tags émis par les proné-taires. Ils peuvent ainsi suivre des tendances, anti-ciper des marchés. Mais ces pratiques conduisent,évidemment, à des problèmes liés aux atteintes à lavie privée et à la confidentialité des informationspersonnelles, en raison de l’utilisation des logicielsde collecte et de stockage des données clients parles industriels.

Wiredset, par exemple, développe et propose desservices à partir de Del.icio.us pour permettre auxmarques de suivre en temps réel l’impact de leurscampagnes de marketing. Par exemple, si la sociétéSony BMG Music Entertainment lance un nouvelalbum en MP3 de l’orchestre de Franz Ferdinandsur My Space, elle peut suivre le buzz sur le Net oumesurer l’impact sur les ventes du CD parAmazon.com d’un passage sur MTV. Des entre-prises de formation ou d’organisation de séminaires,comme MarCom Interactive, créent des pages deressources à partir de tags vers des blogs, des sitesWeb et des recherches présentées au cours de sémi-naires. L’entreprise et ses clients peuvent ainsi

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ajouter d’autres liens, mettre à jour les anciens, enpermettant aux discussions de se poursuivre et des’enrichir dans le temps.

Fabriquer des objets physiques

Les pronétaires ne vont pas se contenter defabriquer des produits numériques (textes, musique,vidéos, jeux, etc.). D’étonnants outils leur donnentdésormais la possibilité de fabriquer des objetsphysiques à partir d’imprimantes 3D. Dans sonlivre prémonitoire 1, Neil Gershenfeld, directeur duCenter for Bits and Atoms du MIT, les appelle desfab labs, des micro-usines de production indivi-duelle d’objets. Les imprimantes 3D peuventusiner des matériaux en plastique, en céramique oumétalliques.

Une pièce métallique est usinée ainsi : une buseprojette une poudre métallique, couche parcouche, sur un support mouvant, tandis qu’unlaser, suivant les mouvements de la buse, soude aufur et à mesure la pièce en formation. La buse et lelaser sont commandés par un logiciel recevant, parexemple, depuis Internet les commandes numé-riques nécessaires, correspondant au plan de lapièce. Pour du plastique, la plate-forme mouvantedescend dans un bain de plastique liquide, qui estpolymérisé par couches successives sous l’effetd’un laser. L’utilisateur voit ainsi l’objet (un jouet,

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1. Neil Gershenfeld, FAB. The Coming Revolution on YourDesktop. From Personal Computers to Personal Fabrication,Basic Books, 2005.

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un support d’iPod, un crâne pour l’enseignementde l’anatomie…) prendre forme sous ses yeux.

La fiabilité et la précision de ces outils sont tellesque l’armée américaine en Irak utilise un MobilePart Hospital, ou MPH (un hôpital mobile de répa-ration de pièces), comportant des imprimantes 3Dpour réparer sur place, sans attendre l’envoi despièces de rechange, des pièces métalliques essen-tielles aux véhicules de transport ou aux arme-ments. Les unités MPH ont déjà produit en Irak etau Koweit plus de 13000 pièces de rechange.

Les industriels y viennent aussi. En 2004, leproducteur d’automobiles britannique MG Rovera économisé six semaines de travail et plus de80 000 dollars en « imprimant » 1 800 clips en plas-tique. La société Diebold, dans l’Ohio, fabrique decette manière des pièces plastiques pour les caissesenregistreuses. Le monde médical commence à sontour à utiliser les imprimantes 3D, par exemplepour fabriquer des prothèses osseuses en céra-mique ou des implants dentaires. Les imprimantes3D, de la taille d’un petit réfrigérateur, sontencore coûteuses. Leur production est dominéepar trois entreprises américaines – 3D Sytems,Stratasys et Z corp –, mais il faut aussi citer lasociété Eos, en Allemagne, et une douzaine destart-up en Europe et au Japon. Sony et DuPontse lancent également dans ce marché, qui vacroître de 31 % en 2005 pour atteindre 1 milliardde dollars. D’après les experts, le prix desmachines va considérablement diminuer dans lesannées à venir. On verra arriver sur le marché desimprimantes 3D portables qui trouveront leursapplications dans les foyers, les garages, les petits

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ateliers. La liaison entre l’Internet, le PCpersonnel et les micro-usines personnelles seraalors réalisée, ouvrant des possibilités de produc-tion décentralisée encore inimaginables auxpronétaires. La compétition deviendra encore plusvive entre les pouvoirs centralisés traditionnels etles nouveaux pouvoirs des pronétaires du numé-rique et du monde physique, au cœur même del’univers des bits et des atomes.

Des consommateurs pronétaires et partenaires de l’entreprise?

Nous l’avons vu, la nouvelle nouvelle économiepose des problèmes culturels, politiques, sociolo-giques et économiques immenses. Par exemple, lesentreprises doivent remettre en question les tech-niques qu’elles utilisent actuellement pour toucherles consommateurs. Une façon de cibler plus préci-sément les demandes de leurs clients serait decoopérer davantage avec eux. De passifs, les consom-mateurs deviendraient alors acteurs (consommac-teurs) et pourraient agir de manière constructive enaidant les entreprises à développer des produitsmieux adaptés à leurs besoins. Or celles-ci communi-quent toujours sur un mode pyramidal.

Pour que le consommateur devienne leur parte-naire stratégique, il est indispensable d’échapperau cadre brick & mortar et d’utiliser les blogs, vlogs,wikis, journaux citoyens, IM, chats… comme outils demarketing et de relation avec la clientèle. C’est grâceà cette indispensable transition culturelle, sociolo-gique, industrielle et économique que les entreprises

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de demain sauront conserver leur image et leurmarque tout en offrant des produits diversifiés etpersonnalisés à des publics de plus en plus vastes.De leur adaptation à cette société de l’abondancedépendront leur développement, leur capacité àimaginer des produits innovants pour nos sociétéset, par conséquent, à engranger des bénéfices.

Les entreprises doivent passer par quatregrandes étapes avant de pouvoir apporter unevaleur ajoutée à leurs clients. Juste après la produc-tion de masse, la première est la production dequalité (avec ses différentes procédures de contrôlequalité). La seconde allie qualité et personnalisa-tion. La troisième franchit un nouveau pas avec larelation à l’environnement. L’entreprise, qui s’estemparée de la notion de développement durable, sedit soucieuse de l’environnement et déclare vouloirle protéger en recyclant les produits et en utilisantle moins possible de ressources naturelles en amontpour éviter de générer des déchets trop nombreux.

La quatrième étape, plus récente, concernesurtout les entreprises organisées autour des«symboles immatériels» (comme l’art, les voyages, lesport, le partage d’expérience), par opposition aux«symboles matériels», et dont l’activité est liée à lacommunication, à l’information et aux média. Afind’encourager les gens à consommer davantage desymboles immatériels, elles s’orientent vers desproduits ou activités transmetteurs de sens. Pour yparvenir, elles tentent de capter le consommateuren le faisant adhérer à leur charte de valeurs (liéespar exemple à l’environnement, à l’humanitaire, aucommerce équitable…). Même de grands produc-teurs de programmes culturels pour la télévision

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cherchent à créer des émissions qui ont du sens.Telfrance ou Téléimage, par exemple, qui produisenthabituellement des feuilletons de première partiede soirée, s’intéressent de plus en plus à cette télévi-sion porteuse de sens. L’idée n’est pas d’enseignerquelque chose au téléspectateur, mais bien de luipermettre de se situer par rapport à des valeurspartagées.

Cette tendance est également perceptible dansl’automobile et les voyages de loisir. Les grandsconstructeurs modernes tels que Toyota ou Nissanfabriquent désormais des automobiles hybrides,environment friendly. Ces « écovoitures », quiconsomment peu d’essence et libèrent donc peu deCO2, incitent instinctivement le conducteur à modi-fier son attitude au volant, notamment en condui-sant de manière plus civique et solidaire… Plusieursmarques commencent d’ailleurs à miser sur cesvaleurs émergentes pour vendre leurs voitures ensensibilisant leurs acheteurs à un comportementplus citoyen ou plus écologique. Autre exemple : deplus en plus de villages de vacances proposent uneactivité culturelle à leurs clients en plus des tradi-tionnelles activités sportives ou séances de bron-zage à la plage. Des philosophes, des scientifiques,des artistes sont ainsi invités à animer des sémi-naires sur place.

L’entreprise vit donc actuellement une transi-tion culturelle, sociologique, économique et indus-trielle. Pour pouvoir conserver son image etconquérir de nouveaux marchés, qui s’appuient surla capacité d’adaptation des consommateurs à lasociété de l’abondance numérique, elle devratrouver des réponses à la plus grande diversité des

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besoins de chacun. L’association paradoxale desinfocapitalistes et des pronétaires, bien différentedes luttes de classes caractéristiques de la sociétéde l’énergie et de la production de masse centra-lisée, sera peut-être une des solutions du futurpour un codéveloppement respectueux de la diver-sité et de l’environnement.

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Chapitre 7

Intelligence collectiveet macro-organisme planétaire

Des essaims de pronétaires créateurs de contenus et de valeur ajoutée

Pour la première fois dans l’histoire des sociétéshumaines, la coopération de masse des usagers peutavoir, en un temps très bref, des retombées écono-miques. Les média porteurs de publicité, commeGoogle, utilisent le jugement collectif de millionsd’usagers ou de créateurs de pages Web pour déter-miner automatiquement quels sont les résultats derecherche répondant le mieux à une question posée.Un effet d’amplification est produit car de nom-breux utilisateurs visiteront les sites arrivés en tête,contribuant ainsi à attirer de nouvelles personnesadressant des requêtes.

D’autres entreprises plus traditionnelles, commeProcter & Gamble, Eli Lilly ou Lego, utilisent, on

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l’a vu, des « essaims » d’internautes répondant enligne et en temps réel pour les aider à définir leurstratégie, à prédire les marchés, à créer de nouveauxproduits, et même pour servir de « vendeurs »enthousiastes et prosélytes, capables de partagerdes valeurs communes avec d’autres prospects. Unesociété de courtage en ligne, Marketocracy Inc.,utilise les avis de 70 000 boursicoteurs en ligne (ils’agit d’amateurs et non d’agents de change ou decourtiers professionnels). Le but : suivre les valeursdes portefeuilles de placement ayant les meilleursrendements afin de permettre aux clients de sonfonds de placement mutuel de 60 millions dedollars d’acheter et de vendre les actions les plusperformantes.

Cette montée en puissance des pronétairesinquiète évidemment les entreprises de structureclassique, avec leur hiérarchie rigide et leur systèmede commandement et de contrôle pyramidal. Ellesdoivent désormais compter avec des groupes deconsommateurs qui non seulement décident de cequ’ils veulent, mais parviennent même à le produire.Et leurs voix se font entendre. Ils n’ont plus besoind’attendre que les journaux et magazines veuillentbien publier leurs lettres dans le courrier deslecteurs : ils expriment instantanément leurs opinionsdans des blogs à l’influence croissante. On assisteainsi à l’émergence d’une économie du peuple, parle peuple et pour le peuple.

Un nouveau type de production industrielle,mais cette fois de particulier à particulier (peer topeer), se trouve amplifié par l’effet de levier duWeb. On l’a vu, eBay ou Amazon utilisent l’intelli-gence collective des millions d’utilisateurs de leurs

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services pour noter, évaluer, crédibiliser des livres,des produits et même des personnes, ce qui crée dela valeur ajoutée. Un comportement social partagéacquiert ainsi une vraie valeur économique dans unmarché. eBay permet à un nombre illimité d’ache-teurs et de vendeurs d’assurer un prix d’équilibreentre l’offre et la demande autour d’un immensechoix, grâce un système d’enchères en temps réel.Celui-ci repose sur la confiance : ce sont les inter-nautes acheteurs ou vendeurs qui entrent en rela-tion, sans se connaître, pour envoyer le produit oupour le payer. eBay prélève environ 7% du montantdes transactions. Chacun évalue et note la fiabilitéde l’autre grâce à un système de notation inventépar la société.

Ce système unique en son genre jette les basesd’une nouvelle forme d’économie, un nouvel écosys-tème économique fondé sur le «capital confiance»de millions d’agents économiques en interactionpermanente, très différent du marché traditionnel,basé sur les marques, la publicité, les politiques deprix, les soldes et les réseaux de distribution.

eBay va encore plus loin dans la valorisation dupronétariat. L’entreprise est devenue un véritablecatalyseur de talents. Une sorte de Silicon Valleyvirtuelle favorisant, par un effet de cercle vertueux,la promotion d’entrepreneurs, la création destart-up et donc le développement économique. Lesuccès d’eBay a ainsi favorisé l’essor d’une multi-tude de fournisseurs de services. Plus de 16 000« assistants vendeurs » agréés par eBay proposentaux internautes dont le temps est limité de vendreen ligne et pour leur compte différents produits,contre une commission de 10 à 40 % sur le prix

INTELLIGENCE COLLECTIVE ET MACRO-ORGANISME…

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obtenu. En un an, aux États-Unis, certains de ces«assistants» sont devenus des PME proposant deschaînes de magasins en franchise, telles que I Soldit ou QuickDrop, où les vendeurs viennent déposerleurs objets à mettre en vente. Il existe aujourd’huiplus de 5000 dépôts sur tout le territoire américain.

Pour les créateurs et éditeurs de logiciels, le succèsd’eBay a été payant. Il y a trois ans, le site a donnéaccès à son code pour permettre le développementd’applications intégrées. Depuis ce jour, plus de 15000sociétés et développeurs indépendants proposent demultiples logiciels pour faciliter la vie des utilisateursd’eBay. Certaines de ces entreprises comptent désor-mais des centaines d’employés et atteignent deschiffres d’affaires annuels de l’ordre de 150 millions dedollars. D’après Gaëlle Macke, du journal Le Monde,la France est le pays européen où eBay a le plusprogressé en 2004, avec une croissance de 160% de lavaleur des transactions (437 millions d’euros). Le sited’enchères organise des cours pour faire connaîtreson fonctionnement. La France compte 3 millionsd’utilisateurs d’eBay, mais il y aurait moins de 2000vendeurs français professionnels sur le site, contre10000 au Royaume-Uni et plus de 15000 en Alle-magne. Les Français ne sont pas en retard en matièred’e-commerce, mais ils préfèrent encore acheterauprès de cybermarchands que de particuliers.

Émergence des cybertribuset corégulation citoyenne

Notre monde est multipolaire : les instancestraditionnelles des secteurs politique, médiatique,

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juridique et religieux côtoient un foisonnement degroupes (d’utilisateurs, de consommateurs, decitoyens…) qui se forment dans tous les secteurs.

Au sein de ce nouveau paysage apparaissentdes « tribus » (culturelles, « tendance », éducatives,associatives, sportives, politiques…) et des gourousmédiatiques (vedettes de cinéma, champions,leaders d’opinion, auteurs…) qui fédèrent une popu-lation partageant la même culture, les mêmesvaleurs ou tout simplement les mêmes goûts.Certaines tribus se découvrent des affinités avecd’autres, donnant lieu à des fédérations de tribusqui s’interconnectent et échangent.

Tout le monde craignait l’avènement d’un mondede la communication unifié (avec le satellite, le télé-phone, le portable et Internet) qui aurait eu pourlangue dominante l’anglais. On assiste au contraireà l’émergence d’un monde tribal, avec des valeurset des cultures propres. En effet, chacun (particulierou professionnel) se reconnaît dans une ou plusieurs« catégories » et développe, à travers des valeurspartagées, un sentiment d’appartenance à une ouplusieurs tribus, différentes mais parfois complé-mentaires. Ce sentiment d’appartenance émerge dela «base» à travers les média des masses.

Au début d’Internet, la plupart des grands clercspensaient qu’il serait une machine à homogénéiser,que la langue anglaise serait toute-puissante et quele réseau serait dirigé par quelques grands nœudsde réseaux (de grands hubs) qui dicteraient à tousla conduite à tenir. En fait, ce n’est pas ce qui s’estproduit. Certes, les plus grands sites sont anglo-saxons, en particulier américains. On a souvent citéGoogle, Yahoo, MSN… Mais, dans tous les pays du

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monde, des communautés Internet devenues trèspopulaires se sont créées dans leur langue d’ori-gine. À la surprise générale, au lieu d’être unsystème global et homogénéisant, Internet permetde s’exprimer à un nombre croissant d’inventeurs,de créateurs, de prix Nobel, d’humanistes, d’artistes,de religieux, de philosophes, de politiques, maisaussi de destructeurs, de pirates, de « bandits degrands chemins»…

Internet est le miroir de la société physique dansune société virtuelle. Jusqu’à l’apparition de cesmédia des masses, les moyens d’expression collectiveclassiques n’offraient pas à ces tribus la possibilitéd’avoir un poids déterminant face aux grandspouvoirs politiques traditionnels. Avec le réseaufutur d’Internet (HD, VTHD, réseaux pervasifs,portables «mettables» directement sur le corps…),chacun sera, s’il le souhaite, de plus en plus connecté.Le téléphone portable, avec le succès des SMS,illustre bien cette volonté de connexion. Contretoute prévision, même les populations des pays endéveloppement utilisent des téléphones portables etdes télévisions par satellite. Et, dans les favelas brési-liennes, on voit la grande pauvreté et l’insalubritécohabiter avec les antennes paraboliques…

Pendant longtemps, la plus grande partie descitoyens ne possédait pas le niveau d’éducationsuffisant pour bien cerner les intentions des leadersd’opinion. Aujourd’hui, la population est pluséduquée, mieux informée, et se sent plus concernée.Les citoyens échangent de plus en plus, partagentet comparent avis et expériences. Mais si le systèmeactuel de régulation de la société n’est pas satisfai-sant, le système émergent ne l’est pas non plus.

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Comme cela a déjà été dit, quelques-uns décident«en haut» et imposent à tous des lois dont le non-respect est sanctionné (lois rédigées, en principe,par des élus du peuple, bien que ceux-ci ne soientpas toujours totalement représentatifs – toutdépend du système électoral en place). Ce fonc-tionnement pouvait convenir dans une société del’énergie reposant sur la distribution de la rareté. Iln’est plus valable dans une société de l’abondanceoù les citoyens ont non seulement accès à l’infor-mation, mais en sont eux-mêmes producteurs. Larégulation ne pourra plus s’effectuer du haut de lapyramide vers le bas. Plus personne, en effet,n’acceptera que des technocrates décident seuls ouen petit comité.

Si les communications « tous vers tous» se sontsi rapidement développées sur le réseau, c’est bienle signe que les utilisateurs refusent le diktat dequelques-uns. La montée des média des masses vaprogressivement se traduire par une «corégulationcitoyenne ». Mais il est peut-être encore trop tôt.Les utilisateurs ne sont pas encore prêts. Lescitoyens n’ont pas encore réellement pris cons-cience du fait que, en s’unissant avec cohérence etintelligence, ils pourraient créer un contre-pouvoirou une « intelligence collective».

Dans une démocratie, il relève de la responsabi-lité des gouvernements élus d’édicter les grandesrègles, les garde-fous respectant le principe de«subsidiarité 1 ». «J’assume» signifie : je prends sur

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1. Le principe de subsidiarité est celui en vertu duquel lesdécisions doivent être prises par le niveau d’autorité publiquecompétent le plus proche des citoyens (www.pronetariat.com/31).

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moi ce qui m’est imposé. « Je subsume » (verbeproposé par Nietzsche) veut dire : je sais que ceuxqui décident en haut de la pyramide sociétale ferontmieux que moi. Je ne délègue pas «à l’envers», maisje fais confiance. C’est une vision nouvelle de lasociété. «Assumer» a sans doute semblé plus clairque «subsumer».

Pourtant, c’est le sens originel du « principe desubsidiarité » qui apparaît pour la première foisdans le projet de traité de Maastricht. Dans unecorégulation citoyenne, l’État ou les gouvernementsédictent des règles consensuelles après consultationdu peuple. Dans le même temps, les citoyensinformés et connectés entre eux «subsument» : ilss’en remettent au sommet de la pyramide car ilspensent que le haut réussira mieux qu’une collecti-vité d’individus peu organisée. Dans la sociéténumérique et la société de l’abondance, il leurappartient également de coréguler les fonctionssociétales qui permettent de faire émerger desvaleurs et une éthique partagées.

Média des masses, contre-pouvoir et intelligence collective

La montée des média des masses nous laisseentrevoir une opportunité d’équilibrer la sociétéplus efficacement en trouvant un compromis entrela régulation par le haut et la corégulation par lebas. Nous sommes à l’aube de ce contre-pouvoir,fondé sur l’intelligence collective et les média desmasses. Pour le moment, l’expression de cette intel-ligence collective se limite à descendre dans la rue

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avec sa caméra vidéo ou de télévision, ou encore àorganiser des manifestations spontanées, des smartmobs (voir p. 48).

Ce phénomène collectif avait été décrit demanière rudimentaire dans Le Macroscope, publiéen 1975, avec une expérience originale menée auxÉtats-Unis dans un stade de 10000 personnes. Lesspectateurs avaient sur leur siège une sorte de petitepalette comportant au recto et au verso un Cata-phote réfléchissant, vert ou rouge. Devant eux, unimmense écran sur lequel apparaissaient des ques-tions et des images. Étonnés, les spectateurs necomprenaient pas ce qu’ils devaient faire, jusqu’à cequ’ils réalisent que leur Cataphote, amplifié par lalumière de projecteurs, renvoyait une tache rougeou verte sur l’écran central selon qu’on le tournaitdans un sens ou dans l’autre. Chacun pouvait ainsilocaliser son «pixel» et le faire passer du rouge auvert alternativement. Un ordre s’affichait alors àl’écran : « Quand un carré apparaît et bouge, les“rouge” doivent l’envoyer du côté gauche de l’écranen tournant leur palette vers le côté rouge, tandisque les “vert” font la même chose dans la directioninverse, vers la droite. » Même procédure pourdéplacer ensuite une sorte de raquette virtuelle versle haut ou le bas.

Surprise : tous les utilisateurs (10000 personnes!)se coordonnaient très vite et pouvaient mêmeutiliser les raquettes apparaissant sur l’écran pourse renvoyer une balle virtuelle, comme dans un jeude ping-pong, en déplaçant de manière coor-donnée leur raquette vers le haut ou vers le bas. Àl’apparition d’un cube tournant sur lui-même etcomportant des faces vertes, orange, bleues et

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noires, l’instruction était la suivante : « En tour-nant votre palette plus ou moins rapidement,ralentissez le mouvement du cube, puis arrêtez-lesur la face bleue. » En se coordonnant à nouveau,les participants y parvenaient en moins d’uneminute ! Voilà une belle démonstration d’intelli-gence collaborative, où des milliers de personnesagissent ensemble, avec des gestes simples, pourparvenir à un objectif commun. Dans le mêmeesprit, quand une foule applaudit à la fin d’unconcert, les applaudissements explosent toutd’abord de façon désordonnée, chaotique, puischacun finit par applaudir au même rythme queses voisins. Cependant, personne n’est capable dedéterminer qui a donné le tempo de ces applaudis-sements synchronisés.

Dans ce nouveau contexte de participationcollaborative et de corégulation, il semble indispen-sable de réfléchir au devenir des entreprises et à larelation qu’elles entretiennent avec l’État. Les poli-tiques du monde entier ont parfaitement comprisl’effet démultiplicateur qu’ils pouvaient obtenird’Internet, qu’ils ont appelé (à tort) un « nouveaumédia ». Ils ont commencé à utiliser le Web de lamême façon qu’ils utilisaient la presse ou la télévi-sion. Pour eux, Internet est un moyen supplémen-taire d’exporter leur vision et de convaincre le plusgrand nombre de citoyens de son bien-fondé.

Mais considérer Internet comme une simplepermanence électorale dans le cyberespace est uneerreur. Les politiques n’ont pas compris que l’utili-sation efficace d’Internet passe par son feed-backglobal, par sa réactivité. Mieux vaut ne pas avoir desite ou de blog si l’on n’est pas capable de répondre

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rapidement aux questions posées en ligne par lescitoyens. Signalons tout de même deux expériencesintéressantes réalisées par deux sénateurs français,René Trégouët et Franck Sérusclat : ils ont lancéun système de corédaction de textes législatifs,soumettant leurs projets de loi aux internautes, quisont invités à réagir, voire à faire des suggestions.

Il est donc possible de trouver une réelle complé-mentarité entre les idées des citoyens – qui ne semanifestent plus exclusivement à travers un bulletindéposé dans l’urne, mais également par une inter-vention concrète (articles, liens) sur le Net – et despolitiques dont une des principales fonctionsconsiste à faire voter des lois. Il devient nécessairede réinventer une cyberdémocratie qui ne serve passeulement à faciliter l’administration, notammenten permettant aux contribuables de déclarer leursrevenus en ligne, mais à engager véritablement ledialogue entre le politique et le citoyen. L’accéléra-tion de l’évolution de la civilisation du numériquerend indispensable cette adaptation.

Les mutations portent désormais sur des idées,des visions du monde, des outils techniques, et plusseulement sur le biologique. Les gènes des cellulesvivantes sont relayés par des gènes sociétaux, lesmemes, comme les appelle Richard Dawkins 1,accélérant l’évolution des idées, notamment par lesmédia et surtout Internet. Dans la biosphère, lasélection darwinienne ne pouvait opérer que surdes êtres réels. Il a fallu attendre des millions d’an-nées pour savoir si le résultat d’une mutation était

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1. Richard Dawkins, The Selfish Gene, Oxford UniversityPress, 1989, trad. fr. Le Gène égoïste, Armand Colin, 1990.

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favorable ou non à la survie et à l’adaptation d’uneespèce donnée. Puis un être vivant doté d’uncerveau complexe a créé de la nouveauté et de lavariété grâce à ses inventions, analogues à desmutations biologiques.

Alors que des millions d’années avaient éténécessaires pour faire évoluer son espèce, l’hommea pu imaginer avec son cerveau la roue, le crayon,l’aile d’avion, l’eau chaude et le fil à couper lebeurre ! Cet « inventeur » vient de séparer deuxmondes : le monde réel et le monde imaginaire. Ilpeut inventer des objets qui n’existent pas dans lanature, créer des prototypes et les tester. Une accé-lération prodigieuse va résulter de la rencontre entrela biosphère et la technosphère. Avec Internet,l’homme invente un nouvel environnement, refletde la société : le monde virtuel, qu’on appelle aussile cyberespace.

Ainsi, trois mondes vont coexister : la biosphère,la technosphère et la cybersphère. La cybersphèreprovoque un bouleversement dans le temps et dansl’espace : entreprendre des actions et interactionscollaboratives, même si les intervenants sontséparés par des milliers de kilomètres, ne prenddésormais que quelques secondes. C’est cetteprodigieuse accélération que nous vivons aujour-d’hui, conduisant à une société en temps réel,comme celle décrite dans Le Macroscope.

Une intelligence collective, pour quoi faire?

Les hommes construisent ainsi, «de l’intérieur»,un macro-organisme planétaire, une sorte de cerveau

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dont nous devenons les «neurones» : le Cybionte 1.Des millions d’usagers, de pronétaires, contribuent àenrichir ce métaordinateur parallèle que l’on appelleaujourd’hui Internet ou World Wide Web. Comme lefait remarquer Kevin Kelly 2, le plus étonnant danscette machine gigantesque dont nous sommes leséléments vivants est qu’elle fonctionne sans interrup-tion depuis maintenant plus de quinze ans.

Dans quelques dizaines d’années, le systèmecomportera sans doute son propre système immuni-taire, comme celui d’un organisme vivant, capablede lutter contre les virus dans l’intérêt de tous. C’estd’ailleurs l’objectif du futur Internet appelé GENI(Global Environment for Networking Investi-gations), lancé à l’initiative de la NSF (NationalScience Foundation) et fondé sur une architectureinformationnelle à même d’améliorer l’e-mail, delutter contre les virus, les spams ou les hackers.

Le surprenant phénomène global auquel nouscontribuons peut être décrit de la manière suivante.Aujourd’hui, nos ordinateurs fonctionnent à partird’operating systems, en abrégé OS (MicrosoftWindows, MacOS ou Linux), sans lesquels écrire,calculer, envoyer des e-mails ou encore stocker sesphotos ne serait pas possible. Bientôt, Internetdeviendra l’OS universel dont se servira la collecti-vité. La grande question sera alors : qui seront lesprogrammeurs de cet OS ouvert et collaboratif? Laréponse est simple : ces programmeurs sont déjà enaction. Ce sont les internautes eux-mêmes, c’est-à-dire les pronétaires. Le Web du futur sera « notre

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1. Voir Joël de Rosnay, L’Homme symbiotique, op. cit.2. Kevin Kelly, «We are the Web», Wired, août 2005.

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Web». Chacun contribuera à charger (uploader) del’information vers ce système global, à partir de sonordinateur, de son PDA, de sa caméra numériqueou de son camphone.

Chaque fois qu’une personne met sur le Webune photo, un article, crée un tag ou envoie desliens cliquables dans un e-mail, elle contribue àcréer une nouvelle « idée » dans le cerveau plané-taire du Cybionte. Quand une personne clique surune page, modifie un blog, rédige un commentaire,elle reprogramme le métaordinateur de l’intérieur.De la même manière, chaque fois qu’une personnecrée un lien, enregistre un favori ou ajoute uneadresse e-mail dans ses contacts, elle contribue àrenforcer des liens physiques, presque « biolo-giques» ou «cyberneurologiques». Et cela selon unprocessus analogue au processus d’apprentissagequi, dans le cerveau, renforce certaines connexionsentre des neurones, contribuant à la mémorisationdes informations et des émotions.

Dans l’optique de l’économie traditionnelle,chaque personne envoyant de l’information vers leWeb est censée recevoir en retour une rémuné-ration, une reconnaissance ou de l’information àvaleur ajoutée. Dans la nouvelle optique de cet OSglobal, les producteurs d’informations ne s’atten-dront plus à ce que chaque élément transmis dansla mémoire du réseau soit téléchargé par un usagercontre une rémunération, quelle qu’elle soit. Aucontraire, les informations spontanées s’accumulenten constituant une gigantesque base de donnéesréutilisable par chacun, à tout instant, grâce auxpuissants moteurs de recherche contextuels et intui-tifs qui se mettent en place.

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Le terme d’« intuition» est d’ailleurs approprié.L’intuition fonctionne dans notre cerveau à partirde bribes d’informations inconscientes, mais qui serelient subitement à la suite d’une émotion, d’unelecture, d’un événement. Ainsi, les pronétaires,assistés par des agents intelligents, seront capablesde regrouper, de faire converger, de réutiliser desinformations mises en mémoire par d’autres surtous les sujets imaginables. Chaque outil qu’ilsutilisent (voir chapitre 3) sera une fenêtre ouvertesur cet immense ordinateur. Il n’y aura plus de«convergences technologiques» au sens où l’enten-daient jadis les grandes entreprises du multimédia.Les différentes technologies ne convergent pas parelles-mêmes. Le métaordinateur parallèle qu’est entrain de devenir Internet sera le « continent » verslequel toutes ces fenêtres convergeront.

En quelque sorte, comme le fait remarquerKevin Kelly, chacun sera capable de voir «de l’autrecôté du miroir ». Déjà avec Google Maps on peutlocaliser sa maison depuis l’espace ; bientôt, sansdoute avec Google Trafic, il sera possible de visua-liser en temps réel les flux et la dynamique desinteractions sur le Web mondial. Google chercheainsi à nous renvoyer notre propre activité en tempsréel, nous permettant de prendre conscience, collec-tivement, de nos actions communes, et peut-être denotre intelligence collective, en attendant… une«conscience collective»?

Si l’évolution se produit à la fois de façoncontinue et discontinue, par paliers, la courbe del’Internet devrait traduire une croissance régulièredu nombre d’utilisateurs (700 millions aujour-d’hui). On prévoit le doublement de ce chiffre d’ici

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cinq ans pour approcher 1,5 milliard d’individusconnectés (sur une planète de 7 milliards d’habi-tants environ…).

Il est intéressant d’étudier un autre paramètresouvent négligé, le nombre de connexions possiblesà partir d’un nœud du réseau Internet ou« neurone ». Étant entendu que chaque individupossède en mémoire sur son PC ou son mobile desfavoris et un carnet d’adresses (des « synapses »potentielles), on peut tracer une courbe illustrantl’augmentation du nombre d’utilisateurs ainsi quecelle du nombre moyen de favoris et d’adresses quedétient chacun d’entre eux. Ce qui donne uneimage indirecte du degré de connectivité poten-tielle du réseau mondial. À partir d’un certain seuil,la courbe Internet fait apparaître un point d’in-flexion (le même que pour l’origine de la vie, de laconscience ou de l’économie).

Cette courbe est présentée en détail dansL’Homme symbiotique, reprise à partir du modèledes seuils critiques de Stuart Kaufmann 1. Ellemontre que le développement d’Internet s’estréalisé assez lentement au cours des trente dernièresannées, puis qu’il a atteint une phase explosive (lapériode actuelle), pour sans doute se stabiliser selonune courbe en «S» (sigmoïde) au cours des trenteprochaines années. L’Internet du futur reposera surdes communications entre des centaines de milliardsd’objets interconnectés (capteurs, biosensors, nano-détecteurs…) plutôt que sur les seules communica-tions entre les êtres humains.

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1. Stuart Kaufmann, At Home in the Universe, OxfordUniversity Press, 1995.

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À quel moment sera atteint le point critiqued’inflexion de la courbe, à partir duquel inter-viendra une mutation profonde de la nature mêmedu réseau des réseaux? Personne ne peut encore ledire, mais il s’agira certainement d’une étapemajeure de l’évolution de l’humanité, commel’émergence du Web et la montée en pouvoir dupronétariat

Le développement d’Internet rappelle certainsdes principes fondamentaux mis en œuvre par l’évo-lution biologique. La compréhension des phéno-mènes d’émergence est à rechercher du côté desprocessus de construction de systèmes complexesplutôt que dans l’analyse de leurs éléments consti-tuants. La grande quête de la physique est lacompréhension des propriétés de la matière parl’étude et l’analyse du rôle des particules élémen-taires. Mais cette analyse intime, censée expliquer demanière causale l’évolution ultérieure de la matièrevers des états de complexité croissante, ne rend pasle monde plus intelligible, ni d’ailleurs plus proche.L’explication signifiante s’éloigne avec l’analyse.

La leçon que nous apporte la biologie est lasuivante : la complexité émerge de la dynamiquedes interactions entre agents, qu’il s’agisse de molé-cules, de fourmis ou d’acheteurs dans un marché.Des propriétés nouvelles émergent de cette collecti-vité organisée. L’individu n’a pas de plan d’ensemblede la structure qu’il construit «de l’intérieur». Lespropriétés de ces systèmes complexes ne sont enaucun cas programmées dans les éléments qui lesconstituent. La vie, la conscience réfléchie, l’éco-nomie, Internet, naissent de manière chaotique, dela dynamique des interactions.

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C’est pourquoi le phénomène Internet nous faitentrer dans un nouveau paradigme : il nous oblige àtenter de comprendre, par la synthèse plutôt quepar l’analyse, comment les éléments se combinentdans des ensembles plus complexes. Cette démarchenous rapproche de la nature, de notre rôle au seinde l’écosystème informationnel Internet. Nous ensommes désormais une partie intégrante. Ce quifonde et légitime toute action consciente au cœurde la dynamique du réseau.

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Conclusion

Tous coresponsables de notre avenir

Dans le contexte de la lutte entre infocapitalisteset pronétaires, il est difficile de présumer de lavictoire des média des masses sur les mass média.En revanche, pour un observateur des grandestendances scientifiques et techniques et de laconvergence des technologies entre elles, il paraîtnécessaire de se pencher sur des évolutionsauxquelles, en général, nous ne sommes pas suffi-samment attentifs. En effet, ces tendances ne s’in-tègrent pas dans les modèles économiques etpolitiques. Aussi faut-il les étudier avec la plus viveattention, soit pour les aider à s’affirmer, soit, aucontraire, pour les contrer si elles risquent deporter préjudice à la société.

Il aurait été possible dans ce livre de dresser unpanorama négatif de l’évolution technologique etd’Internet, de présenter le versant obscur de lamutation que nous sommes en train de vivre. Car

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rien n’est parfait dans le monde du pronétariat,reflet de la société elle-même, avec ses promesseset ses défis. Pas d’angélisme, donc, d’optimismedéplacé ou de rêve utopique sous-estimant laréalité du monde qui naît.

Plus la personnalisation (des services, des biens,des goûts…) sera poussée, plus le risque d’atteinteà la vie privée sera grand. Plus il y aura de télé-phones ou de PDA connectés, plus la localisationgéographique et la traçabilité des personnes sedévelopperont. Plus nous effectuerons de transac-tions financières, plus les attaques de crackers, lesvols de numéros de cartes de crédit, la désorganisa-tion des communications par les virus et le spamseront nombreux et fréquents. Plus les pronétairesseront dotés de cyberarmes de désinformationmassive, plus celles-ci risqueront d’être utilisées parquelques-uns à des fins répréhensibles. Nous seronsvraisemblablement victimes d’épidémies numé-riques galopantes et de crashs informatiques, natu-rels ou provoqués.

Mais cet essai se veut constructif. Plutôt qued’annoncer des catastrophes cybernétiques ounumériques, ce dont les média traditionnels ne seprivent pas, il a cherché à proposer analyses etapproches pratiques face à un développement tota-lement nouveau et en brutale accélération. Ildessine et indique des pistes permettant d’aider lescitoyens à construire leur avenir plutôt que de subirles événements et les évolutions.

Dans cette optique, il privilégie effectivement cequi serait susceptible de réussir, et pas seulementce qui pourrait échouer. Nous sommes touscoresponsables de notre avenir. À nous d’arbitrer

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en permanence. Pour réussir cette corégulationcitoyenne, nous devons évoluer vers des valeurspositives pour l’humanité et nous entendre sur lesens du mot «positif», qui ne signifie pas seulementplus de croissance économique. Sur ce point, on nepeut que rejoindre la vision de Patrick Viveret, quinous incite à « grandir en humanité plutôt quegrandir en économie 1 ».

Bien au-delà de ce qu’on appelle aujourd’huil’«opinion publique», que mesurent régulièrementles sondages, et bien au-delà de ce que Jung, aprèsFreud, appelait la «conscience collective», on voitémerger une «coconscience collective réfléchie». Àun moment donné, il est fort possible que lesystème global de communication que nous avons« exporté » de nous-mêmes, extériorisé de notrecorps, prenne conscience de soi et se pose cettegrande question : qui décide, pour faire quoi, pouraller où ? Cette coconscience collective peut resteren lutte en son sein et donc devenir schizophrène.Elle peut aussi allier ses ressources autour degrands desseins pour l’humanité. Dans ce cas, resteà savoir lesquels…

CONCLUSION

1. Patrick Viveret, Pourquoi ça ne va pas plus mal?, Fayard,« Transversales», 2005.

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Remerciements

Ce livre n’aurait pas pu être mené à bien dans undélai aussi bref sans la précieuse collaboration deCarlo Revelli et de son équipe de Cybion, notam-ment Jérôme Broun, Guillaume Lory et IannisPledel. Beaucoup d’idées qui y sont développées,mais aussi des précisions sur la veille technologique,l’intelligence économique et AgoraVox, proviennentde nos nombreuses discussions, ainsi que de la thèsede doctorat de Carlo Revelli (Paris X).

Un grand merci également à Véronique Anger,créatrice et rédactrice en chef des Di@logues stra-tégiques, pour l’enregistrement et le décryptage desinterviews, et surtout pour ses questions stimu-lantes et pertinentes qui ont contribué à orientermon propos. Je lui suis aussi reconnaissant pour sonaide dans la réalisation du glossaire, de la biblio-graphie, et l’obtention des liens pointant vers denombreux sites mentionnés dans le livre.

Henri Trubert, des éditions Fayard, a constam-ment soutenu mon effort et m’a assisté de sesprécieux conseils. Qu’il en soit ici remercié, ainsique Jacques Robin et toute l’équipe du Grit-Transversales, notamment Philippe Aigrain, Valérie

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Peugeot et Patrick Viveret, qui ont bien voulu relirele manuscrit et faire des propositions constructives.

Enfin, un immense merci à Stella pour sonécoute attentive et sa patience éclairée pendant lapréparation et la rédaction de cet ouvrage, et àElizabeth Roumanteau, qui accompagne mestravaux de recherche, écrits et conférences depuisde très nombreuses années, pour ses relecturesminutieuses et ses suggestions toujours lucides.

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Glossaire

Certaines des définitions contenues dans ce glossairesont extraites de l’encyclopédie libre Wikipedia :

http://fr.wikipedia.org

3GLa 3G désigne la troisième génération des tech-

nologies de téléphonie mobile. Accessible au grandpublic dans certains pays d’Europe depuis 2002(Norvège, Autriche, France…), cette technologies’appuie sur la norme Universal Mobile Telecom-munications System (UMTS), qui permet desdébits bien plus rapides qu’avec la précédente, leGSM.

ADSLADSL ou RNA : raccordement numérique

asymétrique ou liaison numérique à débit asymé-trique, plus communément appelée ligne d’abonnénumérique à débit asymétrique. ADSL (forme dexDSL) est une technologie de communication hautdébit permettant d’utiliser les lignes téléphoniquesdéjà existantes afin d’accéder à Internet et à

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d’autres services et utilisant des fréquences supé-rieures à celles d’un signal voix. La connexion estétablie en permanence sans nécessiter de phase desynchronisation initiale.

BitTorrentBitTorrent est un système de distribution de

fichiers à travers un réseau informatique. Il s’agit àla fois d’un logiciel et d’un principe d’organisationreposant sur la règle suivante : sur un serveur infor-matique unique, plus une information est demandée,moins elle est accessible (saturation du serveur).Cette tendance s’inverse quand on permet àchaque client informatique ayant téléchargé l’infor-mation de devenir lui-même serveur à son tour. Onparle de «site miroir». C’est un effet boule de neigeou de réactions en chaîne. Plus il y a de télécharge-ments, plus la vitesse des autres téléchargementsest rapide.

Blog, blogueurUn weblog (issu de la contraction des mots

anglais web et log) est un site Web sur lequel uneou plusieurs personnes s’expriment en touteliberté (comme elles le veulent et quand elles leveulent) sous leur véritable nom ou sous pseudo-nyme. « Weblog » est généralement raccourci en« blog » et parfois francisé en « blogue ». Un blogpeut être un journal intime, anonyme ou non, lecarnet de bord d’un photographe ou encore un sitefréquemment mis à jour qui rassemble des anec-dotes croustillantes sur tous types de sujets. Ontrouve également de plus en plus de blogsd’hommes politiques.

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BuzzLe buzz est une technique marketing consistant,

comme son nom l’indique, à « faire du bruit »autour d’un nouveau produit ou service. Il n’utilisepas un média spécifique mais occupe tous lescanaux de communication afin de faire parler duproduit/service en question. Cette espèce de publi-cité sauvage, qui s’inscrit dans une stratégie dediffusion pour budgets modestes utilisant desmodes de diffusion généralement novateurs, se sertdu consommateur comme vecteur du message. Leschéma de diffusion est le bouche à oreille, voire larumeur. On parle aussi de «marketing viral».

DVRLe DVR, pour Digital Video Recording, est un

disque dur permettant d’enregistrer ses émissionspréférées tout en « zappant » automatiquement lapublicité. Le plus populaire, Tivo, a déjà commencéà s’infiltrer dans le grand public aux États-Unis.

Fab labLe fab lab (contraction de fabrication laboratory)

est un atelier de machines-outils pilotées par ordi-nateur pouvant fabriquer à peu près n’importe quelobjet, y compris des produits qui ne peuvent êtrefabriqués sur une grande échelle. Dans certains paysdu tiers-monde, les fab labs permettent déjà àquelques villages isolés de générer eux-mêmes desproduits introuvables et/ou d’un prix inaccessible.Ses inventeurs espèrent un jour en faire un périphé-rique courant des ordinateurs grâce auquel onpourra créer de nouveaux objets ou en réaliserdirectement à partir de plans disponibles sur le

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Web. Le programme « Fab lab » fait partie duCenter for Bits and Atoms (CBA) du MIT (Massa-chusetts Institute of Technology), qui explore lesliens entre l’information et sa représentationphysique.

FirefoxMozilla Firefox est un navigateur Web libre,

développé par des centaines de bénévoles grâceaux méthodes open source. Il est distribué par laFondation Mozilla. Avant de se concentrer surFirefox et sur Thunderbird (gestionnaire de cour-rier électronique), Mozilla s’est d’abord faitconnaître par sa suite intégrée de logiciels Internethéritée de Netscape. Le 29 avril 2005, 170 joursaprès la sortie officielle de Firefox, le nombre detéléchargements a atteint 50 millions. La dernièreversion est disponible en 39 langues.

GPRSGeneral Packet Radio Service, ou GPRS, est

une norme pour la téléphonie mobile dérivée duGSM et permettant un débit de données plusélevé. On parle aussi de 2,5G, « G » étant l’initialede génération et 2,5 indiquant qu’il s’agit d’unetechnologie à mi-chemin entre le GSM (deuxièmegénération) et l’UMTS (troisième génération). LeGPRS est une extension du protocole GSM : parrapport à ce dernier, il ajoute la transmission parpaquets. C’est une bande passante partagée entretous les utilisateurs se trouvant dans un mêmesecteur. Le débit théorique maximal est de 110 kilo-bits/seconde (à l’arrêt, au pied de l’antenne et seuldans le secteur couvert par l’antenne). Le débit

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maximal attendu avoisine plutôt les 30 à 40 kilo-bits/seconde par terminal.

HDHaute définition : le son est de qualité CD

(numérique)

IML’IM (Instant Messaging, en français « messa-

gerie instantanée ») permet de communiquer avecun interlocuteur distant via des ordinateursconnectés au même réseau informatique, parexemple Internet. Contrairement au courrierélectronique, la communication est conçue pourêtre instantanée (on dit aussi synchrone). Danscertains pays francophones, on parle de «chat», del’anglais to chat, c’est-à-dire «bavarder» (participerà un chat, aller chatter sur un site…). La messagerieinstantanée grand public a été révélée par unejeune entreprise israélienne, Mirabilis, qui intro-duisit ICQ (I seek you) en 1996. Mirabilis a depuisété rachetée par le groupe AOL-Time Warner.Aujourd’hui, la messagerie instantanée intègre lesfonctionnalités de voix et de vidéo grâce à lawebcam.

iPodL’iPod est un lecteur portatif de musique numé-

rique construit autour d’un disque dur de dimen-sions réduites (1,8’’), conçu et commercialisédepuis 2001 par Apple Computer. Tony Fadell, lepère de l’iPod, avait d’abord proposé, sans succès,son idée à Philips et à Real Networks. (Voir aussi«Podcasting».)

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KazaaKazaa est un logiciel permettant d’échanger tous

types de fichiers en P2P.

Killer apL’expression « killer ap » (killer application)

désigne un programme informatique si utile qu’iljustifie à lui seul l’achat d’un type particulier d’or-dinateur, de console de jeux ou de système d’ex-ploitation.

MP3MP3 est l’abréviation de MPEG-1/2 Audio

Player 3, la spécification sonore du standardMPEG-1 du Moving Picture Experts Group(MPEG). Il s’agit d’un algorithme de compressioncapable de réduire drastiquement la quantité dedonnées nécessaire pour restituer de l’audio. L’au-diteur entend une reproduction du son original noncompressé, c’est-à-dire avec une perte significative,mais acceptable pour l’oreille humaine, de qualitésonore. L’extension d’un fichier audio compresséau format MP3 s’écrit « .mp3».

Nanoadvertising ou microadvertisingMarketing ultraciblé sur des clientèles et des

lieux bien spécifiques.

Nouvelle nouvelle économieÉconomie plurielle se fondant sur la gratuité

d’accès à des services et produits numériques, maisconduisant à faire payer des sommes modestespour des produits et services personnalisés. Cetteéconomie, typique des modèles de Yahoo, Google

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ou Skype, consiste à créer du flux (des millionsd’accès aux sites) et du buzz (voir ce mot) pourdéclencher des effets d’amplification en réseau.

P2PAbréviation de l’anglais peer to peer, que l’on

peut traduire par « pair à pair », « égal à égal » ouencore « particulier à particulier ». P2P désigne untype de protocole de communication sur réseauinformatique dont les éléments (les nœuds) nejouent pas exclusivement le rôle de clients ou deserveurs, mais fonctionnent des deux façons enétant à la fois clients et serveurs des autres nœuds.Le P2P est utilisé pour échanger de la musique, destextes, et plus récemment de la vidéo.

P2P TVTransmission en P2P de vidéos constituant

progressivement des chaînes de Web télévisionpronétariennes.

PodcastingLe podcasting est un moyen de diffusion de

fichiers sonores ou vidéo sur Internet. Il permetaux utilisateurs de s’inscrire à un fil RSS (RSSFeed en anglais) et ainsi de récupérer denouveaux fichiers audio ou vidéo automatique-ment, par exemple sur un baladeur numérique detype iPod (voir ce mot). Le podcasting sedistingue des autres moyens de diffusion d’infor-mations par le fait qu’il utilise le format RSS. Uninternaute peut retransmettre sur Internet desémissions en podcasting et ainsi créer sa proprechaîne de radio.

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Réseau pervasifL’adjectif « pervasif » signifie que le réseau est

on en permanence, c’est-à-dire connecté de façonininterrompue. On peut communiquer sans fil avecce réseau par différents outils fixes ou nomades :PC, téléphone, PDA…

RSSRSS – Really Simple Syndication (syndication

vraiment simple) ou Rich Site Summary (résumécomplet d’un site) – est un format de syndicationde contenu Web. Il s’agit d’un dialecte du langageinformatique XML (voir ce mot). Il existe septformats différents de RSS, ce qui rend indispen-sable l’établissement d’une norme. À noter quesyndicate, en anglais, désigne la vente d’un article àplusieurs journaux ; Really Simple Syndication serapproche donc d’une diffusion journalistiquesimplifiée.

SDRLa SDR (Software Defined Radio) est une tech-

nique révolutionnaire permettant de transformertout objet électronique (lecteur DVD, console dejeux, magnétoscope, téléviseur, téléphone…) enrécepteur radio grâce à la puissance et à lamémoire de nouvelles puces de communication quiadaptent automatiquement les fréquences d’émis-sion et de réception.

SkypeEntreprise de téléphonie et logiciel de commu-

nication téléphonique gratuit entre PC ou entre PCet mobiles ou fixes, utilisant le protocole VOIP

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(voir ce mot). Skype a été fondé par les créateursde Kazaa, Niklas Zennström et Janus Friis, etcompte 55 millions d’utilisateurs dans le monde.

Tag, TaggingCe système d’étiquettes (tags) très en vogue sur

Internet, permet à des internautes de « marquer »les pages qu’ils jugent intéressantes et de rajouterdes annotations, ce qui crée un système de classifi-cation et d’organisation des données géré par desmillions d’utilisateurs. Dans Wikipedia, le taggingdevient la folksonomy, c’est-à-dire la « générationspontanée de classification » (people’s classificationmanagement).

UMTSL’Universal Mobile Telecommunications System

(UMTS) est une des technologies de téléphoniemobile de troisième génération (3G). Elle est elle-même fondée sur la technologie W-CDMA stan-dardisée par le 3GPP et constitue l’implémentationeuropéenne des spécifications IMT-2000 de l’ITU(International Telecommunication Union) pour lessystèmes radiocellulaires 3G. L’UMTS est parfoisappelé 3GSM, soulignant que l’interopérabilité aété assurée entre l’UMTS et le standard GSMauquel il succède. (Voir 3G.)

Uploader/downloaderEn informatique, le téléchargement est l’opéra-

tion de transmission d’informations (programmes,données, images, sons, vidéos) d’un ordinateur à unautre via un canal de transmission. On distingue letéléchargement depuis un ordinateur distant

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(download) du téléchargement vers un ordinateurdistant (upload ou téléversement ou télédécharge-ment). On distingue aussi parfois les ordinateursclients des ordinateurs serveurs. Dans ce cas, le télé-chargement est le plus souvent considéré du pointde vue du client. On peut donc parler de downloadvers un client lorsqu’on se trouve sur un serveur.

UWBL’UWB (Ultra Wideband) est une technique de

modulation radio fondée sur la transmission d’im-pulsions de très courte durée, souvent inférieure àla nanoseconde. Ainsi, la bande passante atteint detrès grandes valeurs. L’UWB permet notammentde faire passer l’information à travers des obstacles(murs, cloisons, toits), à la différence de la Wifi, cequi favorise les échanges à haut débit dans lesbureaux ou les résidences.

VlogUn vlog (contraction de videoblog) est un blog

utilisant la vidéo comme support principal de soncontenu.

VOIPLa voix sur réseau IP, parfois appelée téléphonie

IP ou téléphonie sur Internet, est souvent abrégéeen VOIP (de l’anglais Voice Over IP). Au contrairedes téléphones analogiques filaires (RTC) dépen-dant de centraux téléphoniques dédiés, la voix surIP permet le transport de conversations télépho-niques sur tout réseau numérique ou analogiqueacceptant le protocole TCP/IP (Ethernet, RNIS,PPP…).

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VTHDLe haut débit actuel (environ 10 mégabits/

seconde) va bientôt laisser la place au VTHD (vrai-ment très haut débit) d’une vitesse de 10 gigabits/seconde. À titre d’exemple, le VTHD permettra detélécharger sur son ordinateur une vidéo d’unedurée de deux heures trente en quelques minutesseulement.

WifiLa Wifi (également orthographiée Wi-fi, Wi-Fi

ou encore wifi) est une technologie de réseau infor-matique sans fil mise en place pour fonctionner enréseau interne de portée comprise entre quelquedizaines et quelque centaines de mètres selon lesconditions. La Wifi est devenue un moyen d’accèsà haut débit à Internet. La norme IEEE 802.11(ISO/CEI 8802-11) est un standard internationaldécrivant les caractéristiques d’un réseau local sansfil (WLAN).

WikiUn wiki, inspiré de l’hawaiien wiki wiki, qui

signifie «vite», « rapide» ou « informel», est un siteWeb dynamique dont tout individu peut modifierles pages à volonté. Il permet non seulement decommuniquer et de diffuser des informations rapi-dement (ce que proposait déjà Usenet), mais destructurer cette information de manière à pouvoirse repérer et y «naviguer» plus facilement. Le wikiréalise une synthèse des forums Usenet et des FAQdans le World Wide Web en une seule applicationintégrée (et hypertexte).

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WikipediaWikipedia est une encyclopédie en ligne libre,

gratuite, universelle et multilingue, utilisant la tech-nologie wiki et enrichie par des bénévoles.Financée et gérée par la Fondation Wikimédia, ellerepose sur l’idée de connaissances en perpétuelrenouvellement et en expansion, nécessitant parconséquent une mise à jour constante.

WiMaxWiMax, acronyme de World Interoperability for

Microwave Access, est une initiative et un consor-tium : le WiMax Forum. Ce consortium a été crééen 2003 pour permettre la convergence et l’inter-opérabilité entre deux standards de réseaux sans filauparavant indépendants : HiperMAN, proposé enEurope par l’ETSI (European TelecommunicationsStandards Institute), et 802.16, proposé par l’IEEE(Institute of Electrical and Electronics Engineers).WiMax est avant tout une famille de normes(certaines encore en chantier) définissant lesconnexions à haut débit par voie hertzienne. Lacommunication par WiMax peut se faire à hautdébit sur des distances allant de 30 à 50 kilomètres.

XMLXML (Extensible Markup Language ou langage

de balisage extensible) est un standard du WorldWide Web Consortium servant de base pour créerdes langages balisés spécialisés. « Métalangage », ilest suffisamment général pour que les langagesreposant sur XML (ou «dialectes XML») puissentêtre utilisés afin de décrire toutes sortes dedonnées et de textes. Il s’agit donc partiellement

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d’un format de données. L’objectif initial de XMLétait de faciliter le partage de textes et d’informa-tions structurés, par exemple sur Internet, en sépa-rant le contenu (les données) du contenant (laprésentation des données). Une grande partie del’interface des navigateurs Firefox et Mozilla estconstruite avec des langages utilisant XML.

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Page 233: La révolte du pronétariat

Liens Internet (url)par ordre d’apparition dans le texte

À noter : l’ensemble de ces liens «cliquables» sera disponible sur le site Web du livre :

www.pronetariat.com

Neil Gershenfeld, chercheur au MIT et ses fab labs :http://pisani.blog.lemonde.fr/pisani/techno/ (lire enmilieu de page)

Laboratoire de fabrication ou fabuleux laboratoire, auchoix (en anglais) : http://fab.cba.mit.edu/

Gershenfeld dirige le Center for Bits and Atoms :http://cba.mit.edu/

Joseph Jacobson, chercheur au MIT« Livre électronique, livre numérique » : http://www.

educnet.education.fr/dossier/livrelec/papier.htmLe projet PROXIMA : http://www.educnet.education.fr/

plan/proxima24.htm«Le papier électronique des Gutenberg de la recherche»

(admiroutes) : http://www.admiroutes.asso.fr/action/theme/science/livrelec.htm

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Statistiques ventes de journaux, chiffres de la presse enFrance (ESJ Lille) :

http://www.esj-lille.fr/article.php3?id_article=222http://www.esj-lille.fr/article.php3?id_article=212Ignacio Ramonet, «Médias en crise», Le Monde diploma-

tique, janvier 2005 : http://www.monde-diplomatique.fr/2005/01/RAMONET/11796

À propos du livre d’André Schiffrin, Le Contrôle de laparole, sur le site de Politis :

http://www.politis.fr/article1264.html« Quand édition rime avec mercantilisme et confor-

misme intellectuel» :http://www.carpediemcommunication.com/schiffrin.htm

(et sur AgoraVox)Journal Metro : http://www.metrofrance.com/site/home.phpJournal 20 Minutes : http://www.20minutes.fr/Pointblog.com : http://www.pointblog.com/InternetActu.net : http://www.internetactu.net/

Frédérique Roussel, «Bloc-notes» Libération :http://www.blog-art.com/infos/blogosphere/2005/05/24/bloc_notes_des_tendances.html

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«Dan Gillmor et le journalisme citoyen» (Pointblog.com,août 2005) : http://www.pointblog.com/past/2005/08/22/dan_gillmor_et_le_journalisme_ citoyen.htm

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Hypercard, définition Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/HyperCard

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Justin Hall sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Justin_Hall

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Dave Winer et Scripting News : http://www.scripting.com/Slashdot (Wikipedia) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Slashdot

Robot Wisdom, weblog : http://www.robotwisdom.com/

Cameron Barrett et Camworld : http://www.camworld.com/

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SixApart : http://www.sixapart.com/Interview de Loïc Le Meur à propos de SixApart :

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Meetic.com : http://meetic.com/Friendster.com : http://www.friendster.com/Rocketboom : http://www.rocketboom.com/vlog/John Malone : « L’ange noir des médias » (Tendances

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Montréal et son projet « Ile sans fil » : http://www.micheldumais.com/archives/2005/05/23/des-embuches-a-lhorizon-pour-ile-sans-fil/

Nokia DMB :http://www.generationmp3.com/index.php/2005/09/29/15

48-samsung-ym-pd1-pmpdmbhttp://www.mobiletv.nokia.com/http://www.nokia.fr/

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Page 237: La révolte du pronétariat

Interview de Brian Ibbott (Podcast Solution, 9 mai 2005) :http://www.podcastsolutions.com/archives/2005/05/09/interview-brian-ibbott-coverville/

Statistiques ventes en ligne (publicité sur Internet) :http://permanent.nouvelobs.com/multimédia/20050914.

OBS9142.htmle-Marketer inc : http://permanent.nouvelobs.com/

multimédia/20050914.OBS9142.htmlIndicateur.com, publicité en ligne, baromètres et statis-

tiques : http://www.indicateur.com/Doc/0404-pub-online-suite.asp

Charles Goldfinger, L’Utile et le Futile, interview : «Lacaptation de la valeur économique, un enjeu essen-tiel de la société dématérialisée » : http://www.carpediemcommunication.com/goldfinger.html

Son site, Prospective 2100 : http://www.2100.org/indWhosWho/personnalites/pe_goldfinger.html

Nicholas Negroponte :Being Digital : http://archives.obs-us.com/obs/english/

books/nn/bdcont.htm«Un portable par enfant» (AgoraVox)http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=3349http://www.carpediemcommunication.com/negroponte.

htm

Jacques Perriault, L’Accès au savoir en ligne : http://www.iafric.net/div/ouvrages/coralie.htm

Rémi Kauffer, L’Arme de la désinformation : http://www.polemia.com/contenu.php?cat_id=43&iddoc=324

Vladimir Volkoff :http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Volkoff

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http://fr.news.yahoo.com/050914/5/4l1tz.html

Serendipity : «Sérendipité, ou l’art de faire des trouvailles» :http://www.carpediemcommunication.com/txtserendip.htm

Reporters sans frontières : http://www.rsf.org/Guide pratique du blogueur et du cyberdissident : http://

www.rsf.org/rubrique.php3?id_rubrique=527

Population d’internautes (Journal du Net) : http://www.journaldunet.com/cc/01_internautes/inter_nbr_fr.shtml

InnoCentive, la première des bourses des savoirs révo-lutionne la R&D : http://www.eurotechnopolis.com/fr/npailleurs/npailleurs.html

« Le boom de la pub sur Internet » (Le Point/BusinessWeek) : http://www.lepoint.fr/affaires/document.html?did=155351

François-Xavier Alix, Une éthique pour l’information. DeGutenberg à Internet :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=13773

Firefox : http://www.firefox.fr/Google Maps : http://maps.google.com/Google Earth : http://earth.google.com/Yahoo News : http://fr.news.yahoo.com/My Web 2.0 blog : http://www.ysearchblog.com/myweb/Chicagocrime : http://www.chicagocrime.org/Florida Sexual Predator : http://www.floridasexual

predator.com/Page Rank : http://webworkshop.net/pagerank.htmlCouplage des news de la BBC avec les cartes de Google

Maps : http://backstage.min.data.co.uk/news

LA RÉVOLTE DU PRONÉTARIAT

240

De RosnayBAT 15/12/05 10:32 Page 240

Page 239: La révolte du pronétariat

Couplage Yahoo Maps et dépêches d’agence :http://maps.yahoo.com/Maps/V1/AnnotatedMaps?

appid=akshayjava1&xmlsrc=http://www.csee.umbc.edu:%7Eaks1/yahoonews1.xml

Utilisation de Google Maps pour désigner des lieuxd’événements :

http://www.recordonline.com/archive/2005/08/03/bear.htmhttp://www.lawrence.com/news/2003/jan/31/venues_revamp/

Joël de Rosnay, «Google : miroir des rêves, fantasmes etcraintes des Internautes», 2003 :

http://www.cybion.fr/pages/presse/joel_google.html

Folksonomy (Wikipedia) : http://en.wikipedia.org/wiki/Folksonomy

Folk taxonomy : http://en.wikipedia.org/wiki/Folk_taxonomy

Taxonomy : http://en.wikipedia.org/wiki/Taxonomy«Les mystères de la folksonomy» (juin 2003) :http://www.homo-numericus.net/blog/Les-mysteres-de-

la-folksonomy.htmlDel.icio.us : http://del.icio.us/Flickr : http://www.flickr.com/Technorati : http://www.technorati.com/

Marketocracy : http://www.marketocracy.com/G. Macke, « Comment eBay révolutionne la création

d’entreprises», Le Monde, 4 juillet 2005 : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-669142,0.html

« eBay France cherche à séduire les TPE et PME »(Journal du Net) : http://www.journaldunet.com/0507/050707ebay.shtml

Richard Dawkins : http://www.denistouret.net/textes/Dawkins.html

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Stuart A. Kauffman : http://www.santafe.edu/sfi/People/kauffman/Patrick Viveret, «Pour une vision positivede la mondialité» (également sur AgoraVox) :

http://www.carpediemcommunication.com/viveret05.htmhttp://www.freescape.eu.org/biblio/auteur.php3?id_

auteur=31

Histoire d’InternetLes grandes dates d’Internet : http://perso.wanadoo.fr/

laurent.duriez/internet.htmHistorique d’Internet (HEC Montréal) : http://web.hec.

ca/virtuose/index.cfm?page=167Historique d’Internet sous forme de chronologie :http://www.tribune-eformation.com/article-e-formation.

php3?id_article=239Historique et organisation d’Internet :http://www.info.univ-angers.fr/pub/pn/poly/node29.htmlHistoire d’Internet, l’épopée de la boussole : http://

agora.qc.ca/rech_int.htmlLa genèse d’Internet : http://obligement.free.fr/articles/

geneseinternet.phpChronologie générale et grands noms de l’Internet

(1962-1967) :http://www.uhb.fr/urfist/serres2.htmhttp://www.uhb.fr/urfist/HistInt/Chronologie1970-1979.

htmBrève histoire d’Internet : http://www.tuteurs.ens.fr/

internet/histoire.htmlA Little History of the World Wide Web : http://www.

w3.org/History.htmlHistoire de l’informatique : http://histoire.info.online.

fr/net.html

LA RÉVOLTE DU PRONÉTARIAT

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Page 241: La révolte du pronétariat

Comment ça marche : http://www.commentcamarche.net/internet/internet.php3

Lexique des acteurs organisationnels et des objets tech-niques du processus d’émergence d’Arpanet :

http://www.uhb.fr/urfist/HistInt/LexiqueArpanet.htmVOIP, téléphonie et Internet : http://www.journaldunet.

com/dossiers/voip/

Les grands noms de l’InternetPaul Baran : http://www.ayoweb.qc.ca/histoire/histoire.

htmPortrait : http://www.industrie-technologies.com/ingenieurs/

affichage.cfm?ID_m=1684356&cd=B&id=nomQui a inventé le World Wide Web : http://www.

observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/503/Do%F9_vient_le_web__.html

Ray Tomlinson : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ray_TomlinsonHistoire de l’e-mail : http://www.arobase.org/mag/30ans-

histoire.htmHistorique du courriel : http://www.cvm.qc.ca/mlaflamme/

comm_e/Fidele/Courriel/historiq.html

Robert (Bob) Kahn : http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Kahn

Portrait : http://www.industrie-technologies.com/ingenieurs/affichage.cfm?ID_m=1684372&cd=5065&id=secteur

Vinton Cerf, le père d’Internet : http://www.webrankinfo.com/actualites/200509-vinton-cerf.htm

L’histoire d’Internet selon Vinton Cerf : http://www.fnet.fr/history/VintonCerf.html

Portrait Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Vinton_G._Cerf

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Steve Crocker (« Internet célèbre ses 35 ans ») : http://www.silicon.fr/getarticle.asp?ID=6271

Biographie : http://www.icann.org/biog/crocker.htm

Tim Berners-Lee :http://www.dicodunet.com/definitions/personnalites/tim-

berners-lee.htmTim Berners-Lee, The World Wide Web : Past, Present

and Futur : http://www.w3.org/People/Berners-Lee/1996/ppf.html

La naissance du World Wide Web : http://www.cvm.qc.ca/mlaflamme/info/WhoseWho/lee.html

Ward Cunningham : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ward_Cunningham

Présentation : http://wiki.crao.net/index.php/WardCunningham

Interview sur le wiki : http://www.journaldunet.com/printer/030820cunningham.shtml

Dave Winer, XML, littérature… et mémoire : http://carnets.ixmédia.com/pilon/archives/001302.html

Dan Libby, dates essentielles : http://www.opikanoba.org/xml/040315/

BlogsDéfinition et historique : http://fr.wikipedia.org/wiki/

WeblogOrigine des blogs : http://www.u-blog.net/dess/article/

origine.htmDéfinition et conseils pratiques : http://www.pointblog.

com/abcDiverses infos sur les blogs : http://www.lesblogs.com/

LA RÉVOLTE DU PRONÉTARIAT

244

De RosnayBAT 15/12/05 10:32 Page 244

Page 243: La révolte du pronétariat

WikiDéfinition Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/WikiDéfinition site Crao Wiki : http://wiki.crao.net/index.

php/D%E9finitionWikiComment expliquer Wiki aux débutants : http://wiki.

crao.net/index.php/CommentExpliquerWikiAuxD%E9butants

La révolution wiki est en vue : http://www.journaldunet.com/0308/030811wiki.shtml

The Wiki Wiki Web : http://c2.com/cgi/wiki?WikiWikiWebWard Cunningham, sur les concepts et usages d’un

wiki : http://www.pointblog.com/past/2003/10/22/ward_cunningham_sur_le_concept_et_les_usages_dun_wiki.htm

RSSDéfinition Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Really

SimpleSyndicationDéfinition et historique : http://www.defidoc.com/

internet_intranet/RSSDefinitions.htmLes dates essentielles : http://www.opikanoba.org/xml/

040315RSS ou la syndication de contenu : http://www.opikanoba.

org/xml/030501RSS et syndication (article) : http://www.pointblog.com/

abc/rss_et_syndication_1.htmRSS et syndication (article) : http://www.pointblog.com/

abc/rss_et_syndication_2.htm2004, l’année RSS : http://www.opikanoba.org/xml/040402

Net marketingCommunication, croissance confirmée : http://www.

journalauto.com/infos/article.asp?idarticle=142Sélection d’articles sur le marketing sur Internet : http://

www.minefi.gouv.fr/minefi/ministere/documentation/revuesdeweb/epub.htm#maj

LIENS INTERNET (URL)

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De RosnayBAT 15/12/05 10:32 Page 245

Page 244: La révolte du pronétariat

ABC du Net marketing :http://www.abc-netmarketing.com/http://www.abc-netmarketing.com/rubrique.php3?

idrubrique=5Forum du Net marketing : http://www.netmarketing.fr/«Le marketing Internet : un phénomène cyclique?» :

http://www.ceriserouge.com/af16_marketing_internet_cycles.html

Le marketing en ligne enfin expliqué : http://www.marketing-internet.com/

LA RÉVOLTE DU PRONÉTARIAT

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Page 245: La révolte du pronétariat

Index

247

Aigrain Philippe, 55n, 77 et n,142, 143n.

Alix François-Xavier, 155, 156n.Allaire Jeremy, 152, 153.Andreessen Marc, 36-38, 43,

171.

Baran Paul, 36.Barge Jorn, 42, 43.Baron Andrew Michael, 58.Barrett Cameron, 43.Bauwens Michel, 33.Bayard-Richard Tilly, 178.Beauvais Laurence, 115n.Bellanger Pierre, 67.Berners-Lee Tim, 36, 38, 42.Bizieau Emmanuel, 44.Booth Stéphanie, 44.Bush George Walker, 146.

Cerf Vinton, 36, 38.Clark Jim, 69.Congdon Amanda, 58.

Darwin Charles, 39.Dassault Serge, 20.Dawkins Richard, 203 et n.Dubost Karl, 44.Durand Didier, 171, 174, 179.

Fadell Tony, 221.Ferdinand Franz, 186.Fievet Cyril, 25, 42 et n, 141.Flint Pete, 174.Fogel Jean-François, 27n.Freud Sigmund, 213.Friis Janus, 75, 225.

Gates William «Bill», 151.Gershenfeld Neil, 13, 187 et n.Ghuneim Mark, 185.Gillmor Dan, 25 et n, 27, 122

et n, 124, 160.Goldfinger Charles, 108, 109n.Gore Albert «Al», 57.

Haladjian Rafi, 65.Hall Justin, 43.

Ibbott Brian, 80.Inkinen Samin, 174.

Jacob François, 39.Jacobson Joseph, 13.Jung Carl Gustav, 213.

Kauffer Rémi, 112, 113n.Kaufmann Stuart, 208 et n.

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Page 246: La révolte du pronétariat

Keith John, 174.Kelly Kevin, 205 et n, 207.Kennedy John Fitzgerald, 31.

Lagardère Arnaud, 20.Le Lay Patrick, 23.Le Meur Loïc, 44, 115 et n, 146.Liebknecht Karl, 28.Lory Guillaume, 131n.

Macke Gaëlle, 196.Malone John, 58.Marx Karl, 11.McChesney Robert W., 21 et n,

27.Merholz Peter, 43.Merlant Philippe, 46n.Morin Edgar, 150 et n.Muller Michel, 139.Murdoch Rupert, 58.

Nègre Pascal, 136.Negroponte Nicholas, 59.Nichols John, 21 et n, 27.Nietzsche Friedrich, 200.Nisenholtz Martin, 120.

Oh Yeon Ho, 118.

Passet René, 46n.Patino Bruno, 27n.Pegg Mike, 173.Perriault Jacques, 106n, 110

et n.Peugeot Valérie, 100, 101n.Pisani Francis, 180, 181.Posner Richard, 115 et n.

Ramonet Ignacio, 20 et n, 22,25 et n, 41 et n.

Rather Dan, 115.Revelli Carlo, 105 et n, 106n,

109 et n, 165 et n.Rheingold Howard, 48 et n.Richard Emmanuelle, 44.Rifkin Jeremy, 92 et n.Robin Jacques, 46n.Roh Moo Hyun, 118.Rothschild Édouard de, 20.Roussel Frédérique, 25n, 141n.

Sabatier Patrick, 123 et n.Schachter Joshua, 186.Schneidermann Daniel, 161

et n.Serres Michel, 97.Sérusclat Franck, 203.Surowiecki James, 143.

Trégouët René, 203.Turrettini Emily, 42 et n.

Valenti Jack, 137.Viveret Patrick, 213 et n.Volkoff Vladimir, 113 et n.

Weinberg N., 175.Whitman Meg, 75, 76.Winer Dave, 43.

Zennström Niklas, 75, 225.

LA RÉVOLTE DU PRONÉTARIAT

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Page 247: La révolte du pronétariat

Table des matières

Introduction ...................................................................... 9

CHAPITRE 1 Pronétaires de tous les pays, unissez-vous ! ............. 17

La crise des média traditionnels favorise la montée du pronétariat ............................. 17Les pouvoirs du media system ................................. 21Les blogs et autres sites interactifs entament le pouvoir des infocapitalistes .................. 24

CHAPITRE 2 Des débuts de l’Internet à la prise de contrôle des pronétaires .......................... 29

De l’agora à Internet ................................................... 29Internet : rupture, convergence et relations ............. 31Trois pionniers à la base de la révolution Internet ..... 36Internet et modèles biologiques :une évolution darwinienne ........................................ 38L’explosion des blogs, wikis, P2P et podcasting,nouvelles armes des pronétaires ............................... 42Une économie de l’abondance fondée sur le numérique ............................................. 45

CHAPITRE 3 Les nouveaux outils et usages des pronétaires ......... 51

Un fil d’Ariane pour interconnecter les blogs : le RSS .......................................................... 51Télévision, vidéo et éditions pronétariennes ........... 54Des programmes conçus par des jeunes pour des jeunes .................................. 57La voie royale du sans-fil et la révolution des nouveaux mobiles ................................................. 60L’émergence du contre-pouvoir des pronétaires ..... 66Un véritable contre-pouvoir citoyen ........................ 70

249

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Page 248: La révolte du pronétariat

Skype et communication mondiale gratuite :la nouvelle vie du téléphone ...................................... 73Radio et télé gratuites : la percée du podcasting et de la P2P TV ....................................... 78La nouvelle télévision du «n’importe quand, n’importe où» ................................................. 83Un nouveau défi pour la publicité traditionnelle et les annonceurs ................................. 86De nouveaux modèles de gestion de la relation clients .................................................... 90

CHAPITRE 4 Des réseaux de pouvoir au pouvoir des réseaux : naissance de nouveaux modèles économiques .................................................... 95

Le contre-pouvoir des pronétaires inverse les rapports de forces traditionnels fondés sur la rareté ................................................................... 95De la gestion de la rareté à celle de l’abondance .................................................... 98Savoir lutter contre l’infopollution :la veille intelligente ...................................................... 103Accessibilité, pertinence et fiabilité de l’information pronétarienne ................................. 108De l’intelligence individuelle au journalisme pronétarien ....................................... 113AgoraVox.fr, une des premières expérienceseuropéennes de journalisme participatif ................. 119Les média libres touchent l’ensemble de la planète .... 126Politique éditoriale et comité rédactionnel pour un média des masses ......................................... 129

CHAPITRE 5 L’Empire contre-attaque :les réponses des pronétaires ........................................ 135

L’Empire contre-attaque, ou collabore? ................. 135Ignorer les média des masses? Attention à l’« intelligence des foules» ..................... 141Des cyberessaims d’internautes ................................. 144

LA RÉVOLTE DU PRONÉTARIAT

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Page 249: La révolte du pronétariat

Face à la télé du futur, les majors font de la résistance… ................................................. 148Un combat d’arrière-garde? ...................................... 151

CHAPITRE 6 Inventer le futur des média des masses .................... 155

Temps réel, fiabilité et infoéthique ............................ 155Internet : libertaire et transnational .......................... 158Pousser et tirer l’information sur Internet :le push et le pull ........................................................... 164Trois exemples d’outils pronétariens pour optimiser les recherches .................................... 167La Google Maps Mania ............................................. 170Vers l’homme «augmenté»? ..................................... 178Le nouveau souffle du Web 2.0 ................................ 182Fabriquer des objets physiques ................................. 187Des consommateurs pronétaires et partenaires de l’entreprise? ................................... 189

CHAPITRE 7 Intelligence collective et macro-organisme planétaire ........................................ 193

Des essaims de pronétaires créateurs de contenus et de valeur ajoutée ............................... 193Émergence des cybertribus et corégulation citoyenne ............................................ 196Média des masses, contre-pouvoir et intelligence collective .............................................. 200Une intelligence collective, pour quoi faire? .......... 204

CONCLUSIONTous coresponsables de notre avenir ........................ 211

Remerciements ................................................................ 215Glossaire ............................................................................ 217Bibliographie .................................................................... 231Liens Internet (url) ........................................................ 235Index ................................................................................... 247

TABLE DES MATIÈRES

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Page 250: La révolte du pronétariat

Cet ouvrage a été composé en Times par Palimpseste à Paris

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