La Révolution (Tome 5)

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  • 8/3/2019 La Rvolution (Tome 5)

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    LA

    RVOLUTION,RECHERCHES HISTORIQUESS t *

    L'ORIGINE ET LA PROPAGATION DU MAL EN EUROPE,

    DEPUIS UL msvAissA*cs JUSQU' mo% joums,

    P A R

    M 6 " G A U M E ,Pro to ot lir * ap os to li qu e, licair* jpf**r*! Rr.nm , d* Motitauban M d\A*juil t

    docteur thelog>tf . dbrwl** r dr I *r1i> d t Satiit S)Hrttte tattBkbrt d t lAcadctui t dr * rrligion thohqn* 4** Ho tu* t de I 4ctdf ia d*a *c i foc# ,

    A l ! et blle~lttr

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    Biblio!que Saint Librehttp://www.liberius.net

    Bibliothque Saint Libre 2009.

    Toute reproduction but non lucratif est autorise.

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    P A R I S , T Y P O G R A P H I E DK H F N H I n . O X

    I M P R I M E U R i 'K I l ' K ' E R E I R ,

    8, r a t Gmurivtt

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    A V A N T - P R O P O S .

    Avoir tabli d'une manire incontestable que la

    Rvolution franaise de 4789 fut la mise en scnedes tudes de collge su (lirait, ce nous semble,

    justifier les instantes prires que, depuis quatre ans9nous nous permettons d'adresser au x gouvernements,aux familles, aux matres de la jeunesse, pour les

    engager rformer un systme d'enseignement d'oest sortie une pareille catastrophe.

    Toutefois, afin de ne laisser aucun nuage dans lesesprits, nous devons rpondre une objection. Il enest qui, regardant le Voltairianisme ou la philosophie

    du dix-huitime sicle comme une des causes principales de la Rvolution franaise, disent : Sansaucun doute les tudes classiques contriburent puissamment la Rvolution ; mais Voltaire, Rousseau,Mably et les autres philosophes du sicle pass,n'ont-ils pas t les principaux auteurs de ce grandvnement?Toutesle* doctrine* religieuses, sociales,politiques de la Rvolution no se tiouvent-ellea pasdan?* leurs crit*? Kt leurs cri t* n'taient-ils pas,

    la tin dudi\-hnitiY I

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    2 A V A N T - P R O P O S .

    Le fait est vrai, et nous voulons faire mieux que

    de le reconnatre. Afin d'aider au triomphe de l'ob jection, nous allons, fidle notre mthode historique, tablir par des documents incontestables lapart qui revient au Voltairianismedans le cataclysmede 1789. Aprs quoi on nous permettra de montrer

    celle qui revient aux tudes classiques et laRenaissance dans le Voltairianisme lui-mme. Telest l'objet de ce nouveau travail, dont voici la division.

    Nous adressant la Rvolution elle-mme, nous

    lui demandons : Est-il vrai que tu comptes Voltaire, Rousseau, Mahhjet les autres philosophes du div-hui-

    timc siMe jmrmi tes anctres ?

    Puis, nous adressant Voltaire, Rousseau, Mably et aux autres philosophes, nous leur demandons : Qui tes-vous? comment fltes-vous apparus

    dans le mande? quelle est votre ynaloyie? de qui

    te$-vous fils?

    Comme nous avons constat la descendance de la

    Rvolution non par des raisonnements, mais par desfaits, nous suivrons la mme marche pour constaterla filiation du Voltairianisme. Nous tenons h le rpter : ce n'est pas de la polmique que nous faisons,c'est de l'histoire,

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    L E

    V O L T A I R I A N I S M E .

    CHAPITRE PREMIER.

    APOTHOSE DE VOLTAIRE.

    La Rsolution reconnat Voltaire ponr un de ses pres. Demande dela municipalit de Pans |w>ur obtenir la translation dos rester de Voltaire. Paroles de Regnault de Saint-Jean d'Angel) , de Treilhard. Demande d'une fte en l'honneur de Voltaire. Paroles le Gos-sin, de Regnault. Arrive de Voltaire Paris. Station laBastille. Description de l'a{>othoe. Caractre paen de cette

    crmonie.

    Il est un reproche qu'on n'a jamais fait la Rvolution , et qu'en effet elle ne mrite pas, c'est d'ignorer sa gnalogie et de mconnatre ses anctres.Or, ses premiers sourires furent tout la fois pourBrut us, Scvola, Thmistocle, Lycurguc, Voltaire >Rousseau. Mably. A peine sortie des langes de son

    berceau, elle manifeste sa pit filiale en associantdans les t r a m e s hnntr-urs ses pres et ses aeux.t.

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    4 L E V 0 L T A 1 R I A M S M E .

    L'histoire nous a dit ce qu'elle a fait pour les pre

    miers chefs de sa ligne; il lui reste nous apprendre ce qu'elle a fait pour ses ascendants immdiats.Le dimanche 8 mai 1791, la municipalit de

    Paris demande l'Assemble nationale que les restesde Voltaire soient amens triomphalement dans la

    capitale. Regnault1

    appuie la demande, attendu,dit-il, que Voltaire est le seul homme qui ail re

    pouss le fanatisme et clair l'ignorance *.

    A Regnault succde Treilhard. * Voltaire, dit-il,en 1764, commenait la Rvolution dont nous

    sommes tmoins; il l'annonait telle que nous lavoyons. C'est lui que nous la devons ; et c'est peut-tre un des premiers pour lesquels nous devons leshonneurs que vous destinez aux grands hommes quiont bien mrit de la patrie. Je ne parle pas ici de la

    conduite particulire de Voltaire : il suffit qu'il aithonor le genre humain, qu'il soit l'auteur d'une rc-

    volution aussi belle, aussi grande que la ndln\ pour

    que nous nous empressions tous de lui faire rendreau plus tt les honneurs qui lui sont dus 3 .

    Appeler grand homme celui qui toute sa vie a tl'esclave des plus ignobles passions; bienfaiteur dela patrie celui qui, ds le premier jour o il sut tenirune plume, ne cessa d'outrager les plus pures gloires

    * D p u t le S a i f i t - J c a i i - d ' A n g l y . Afi-# .f . nvn 7iH. 3 Mmril. ibi.

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    de son pays, et de le dmoraliser par les moyens

    les plus sataniques; Y honneur du genre humain,celui dont la vie littraire fut une prostitution continuelle du talent, et une attaque insense contrerdice religieux et social, dont la chute devait attirer sur le monde des maux incalculables : outrage

    la vrit, renversement du sons chrtien! MaisVoltaire a fait la Rvolution, il est son pre : Treil-hard est logique.

    Le 30 mai, Gossin demande les honneurs du Panthon pour Voltaire et la fixation du jour de l'apo

    those. Voltaire, dit-il, a cr un monument quirepose sur les plus yrands bienfaits comme sur les

    plus sublimes productions du gnie : Voltaire a terrass

    le fanatisme y dnonc les erreurs jusqualors idoltres

    de nos antiques institutions ; il a dchir le voile quicouvrait toutes les tyrannies. Les Franais devenus flores dcerneront au librateur de la pense 1 honneur

    qu'a reu d'eux un des fondateurs de *a libert Appuyant la motion de Gossin, Regnault monte

    de nouveau la tribune et s'crie : Je rclame leshonneurs du IMnthon pour le philosophe qui osa,un des premiers, parler aux peuples de leurs droits,de leur dignit, de leur puissance, au milieu d'unetour corrompue. So . regard perant a lu dans Ta-

    venir, et a aperu l'aurore de la libert, de la rey~1 Mo*nt. ; ; o r ua i 1 7 V I .

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    6 L E Y O L T A I R I A N I S M E .

    nration franaise, dont il jetait les semences avec au

    tant de soin que de courage... Voltaire a fait par sonexemple une Rvolution dans l'histoire; eh bien!cette Rvolution % prpar la notre \

    La demande e*t convertie en dcret. Le dimanche 10 juillet 17-M une dputalion du corps mu

    nicipal se transporte la barrire de Charenton pourrecevoir le corps do Voltaire qui arrivait de Romiily Paris.

    Le trajet, de quarante lieues, n'avait t qu'unosuite non interrompue d honneurs funbres. Le

    char qui portait le cercueil avait toujours t escoitpar les officiers municipaux et les gardes nationalesde chacune des communes situes sur son passage.De distance en distance, des groupes de jeunes fillesvtues de blanc taient venues y dposer de cou

    ronnes de fleurs. Des branches de laurier et dechne entrelaces de ro*es, de myrte et de fleursdes champs ombrageaient ce char de forme antique,sur lequel on lisait pour inscription deux vers doVoltaire :

    S i riiommo e s t cr l i b r e , i l d * i t s e g o u v e r n e r ;

    S i I l l u m i n e a d e s t y r a n * , i l d o i t l e * d t r n e r .

    II tait nuit lorsque le cortge arriva Paris.Tout avait t prpar pour le recevoir. De* flaui-

    > MvuiL 3 0 m a i t l H .

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    beaux, des illuminations de tout genre clairent sa

    marche travers la capitale, et la multitude qui l'accompagne fait de son entre un vritable trionphe.Le corps est conduit, r.a milieu des acclamationsdu peuple, sur les r u i n e s de la Bastille; uneplate-forme domine remplacement de la tour qui

    a servi de prison Voltaire. Avant d'y tre placson cercueil est montr la foule, qui aux plur \ifsapplaudissements fait succder un religieux silence.L reposent isqi'au lendemain les reliques du librateur de la pense, au milieu des fleurs et des ar

    brisseaux de toute espce, sous un berceau de roses,de myrtes et de lauriers.

    A cot s'lve, en guise de colonne triomphale,un rocher form avec les pienes provenant des dcombres de la Bastille. Le sommet et les contours dece rocher sont dcor- de diverses figures symboliques, avec l'inscription .suivante :

    REOIS EX CES Lit IX OC T*i:.NCI!AI3A LE DESPOTISME,

    VOLTAIRE ,

    LES HOMMAGES Q l ' L TE REND LA PATiIE.

    Le lendemain, 11 juillet, a lieu a translation desrestes de Voltaire au Panthon. Bien n'a t pargnepour ajouter Peclat de eetti crmonie.

    Le eoitge se mot eu marche deux heures,dans rrdrc *u*vam :

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    Plusieurs compagnies de cavalerie, les sapeurs,

    l e s tambours, les canonnnrs et les jeunes lves del a garde nationale;

    Une dputation des collges, les clubs et les socits patriotiques, portant chacun ses bannires ets e s devises, au nombre desquelles on remarque les

    suivantes empruntes de Voltaire :L e s m o r t e l s s o n t g a u x ; c e n ' e s t p o i n t l a n a i s s a n c e ,

    C ' e s t l a s e u l e v e r t u q u i f a i t l e u r d i f f r e n c e .

    E x t e r m i n e z , g r a n d D i e u , d e l a t e r r e o n o u s s o m m e s ,

    Q u i c o n q u e a v e c p l a i s i r r p a n d l e s a n g d e s h o m m e s .

    De nombreux dtachements de la garde nationale e t une multitude d'hommes arms marchente n ordre de bataille, et , au milieu d'eux, figurenttous les forts de la halle en costume, formant un

    corps spar; suivent les citoyens de Varennes etde Nancy, portant les mdaillons couronns delauriers de Rousseau, de Mirabeau et de Franklin;

    Aprs eux, les vainqueurs et dmolisseurs de laBastille, portant les fers, les boulets, les chanes,l e s cuirasses trouvs dans cette forteresse, et prcds de leur chef, Palloy;

    Un brancard sur lequel sont placs plusieurs volumes intituls : Procte-verbal des lecteurs et Insur*

    rection parisienne, par Dussaulx;

    Les habitants du faubourg Saint-Antoine, portant

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    le drapeau et le plan de cette forteresse. On voit

    parmi eux une femme en amazone, revtue de l'uniforme de garde national, distinction que sa coopration la prise de cette forteresse lui a fait accorder. Elle est arme d'un bton, dont le haut bout,termin pai une pointe de fer, porte ces mots :

    LA DERNIRE RAISON DU PEUPLE.

    Un groupe de citoyens arms de piques, dontTune est surmonte du bonnet de la libert, aveccette lgende :

    DE CE FER NAQUIT LA LIBER /

    Les gardes franaises portant un modle de laBastille, sculpt avec une pierre provenant de ladmolition de cette forteresse1 ;

    Aprs eux marche le club des jacobins, qui, parun sentiment d'orgueil bien digne de cette tropclbre socit, affecte de se sparer des autressocits patriotiques;

    Les anciens lecteurs de 1789 et de 1790 ;

    Les Cent-Suisses et les gardes suisses sous lesarmes ;

    1 Palloy en avait fait faire quatre-vingt-trois semblable*, quiavaient t envoys dans chaque dpartement. Sous les diversgouvernements qui se sont succd en Fiance, ' mme individu

    a distribu gratuitement aux curieux des fragments dt* fer et depierres provenant de la dmolition de la Bastille.

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    Une dpntation des diffrents thtres de la ca

    pitale , prcdant immdiatement la statue de Voltaire. Cette statue d'or, couronne de lauriers, estporte par les jeunes lves des arts, en costumeantique; les uns lvent dans les airs, au milieu deguirlandes de chne, et des divers attributs des

    Muses, des mdaillons o se lit le nom des principaux ouvrages du demi-dieu. Les autres portentun coffre dor qui renferme une dition de ses uvres en soixante-dix volumes : c'tait un prsent deBeaumarchais,

    Derrire, suivaient en foule les acadmiciens, lessavants, les gens de lettres et les artistes.

    Des churs de musiciens, chantant des hymneset s'accompagnant du son d'instruments antiques,

    prcdent le char portant le sarcophage dans le

    quel est renferm le cercueil de Voltaire. Ce char,dont les roues et toutes les formes rappellent leschars des triomphateurs romains, avait t construit

    d'aprs les dessins du clbre David. Douze che-vai : gris-blanc, attels sur quatre de front etconduits la main par des gardes vtus la romaine9tranent ce chef-d'uvre, image fidle de la gran

    deur et de la majest des conceptions antiques.

    Sur ce char sflve une pyramide tronque, dc o r e

    dune riche draperie en velours vert semd'toiles d'or et surmonte d'un lit funbre sur le-

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    quel repose l'image plastique de Voltaire. Cette

    figure reprsente le philosophe demi-couch sur unlit de repos. Les draperies qui l'environnent laissent voir les formes de son corps; les bras sont nuset le visage ne porte pas l'empreinte de la mort.Au-dessus de sa tte la Renomme, sous femblme

    d'une jeune fille aile, tient suspendue une couronned'toiles. Les jmrfums les plus exquis brlent dans

    des cassolettes places aux quatre coins du char, et

    exhalent dans les airs les plus suaves odeurs.Le sarcophage est orn de plusieurs inscriptions :

    Sur le devant :

    AUX MANES DE VOLTAIRE.

    Sur l'une des faces latrales :

    IL COMBATTIT LES A T H E 8 ET LES FANATIQUES \

    IL INSPIRA LA TOLRANCE;

    IL RCLAMA LES DROITS DE L'HOMME

    CONTRE LA SERVITUDE ET LA FODALIT.

    Sur l'autre face latrale :

    POETE, PHILOSOPHE, HISTORIEN,

    IL A FAIT PRENDRE IN GRAND ESSOR A L V IIl'MAIN,

    ET NOUS A PRPARS A DEVENIR LlUllr.S.

    Par derrire :

    IL DFENDIT CALAS,SIR \EN, LABARRE ET MONBAILLY.

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    Ce pompeux sarcophage, lev de quarante pieds,

    s'avance lentement, et dans sa marche branle auloin les rues qu'il traverse.Il e s t suivi du procureur gnral syndic, des mi

    nistres, d e s ambassadeurs de diverses cours trangres, d e s dputations de l'Assemble nationale, du

    dpartement, du district, de la municipalit, dessections, de la Cour d e cassation, des juges destribunaux de Paris et des juges de paix. La marchee s t ferme par le bataillon des vtrans et par uncorps d e cavalerie.

    Le cortge suit tous les boulevards depuis l'emplacement de la Bastille et s'arrte devant l'Opra,qui occupait alors le thtre de la Porte-Saint-Martin. La faade de cet difice est dcore de festonsde feuillages et de draperies retrousses par des

    guirlandes de fleurs. Le buste de Voltaire est placsur un autel l'antique, et au-dessous on lit ces inscriptions :

    PANDORE,

    LE TEMPLE DE LA GLOIRE,

    SAMSON,

    opras dont Voltaire tait l'auteur. Des acteurs, enhabits d e caractre, viennent dposer sur ce buste

    d e s couronnes, e t entonnent sa gloire un hymneanalogue la circonstance.

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    Ensuite le cortge reprend sa marche, continue

    les boulevards jusqu' la place Louis XV et suit lequai de la Confrence, le pont Royal et le quai desThatins, dj connu alors sous le nom de quaiVoltaire.

    Il s'arrte devant l'htel Villette, situ au coin de

    la rue de Beaune. C'tait l que Voltaire avait passses derniers jours.

    Quatre peupliers trs-levs, que runissent desfestons de feuillages de chne et des guirlandes delaurier, forment une vote de verdure, au milieu

    de laquelle est suspendue une couronne de rosesqui descend sur le char au moment de son passage. La faade de l'difice porte cette lgende :

    SON ESPRIT EST PARTOUT, ET SON COEUR EST ICI.

    Sur le devant est une est* de en amphithtre surlaquelle sont ranges cinquante jeunes filles, vtuesde robes blanches avec des ceintures bleues, unecouronne de roses sur la tte et une couronne civique la main. Deux d'entre elles se distinguent par delongs habits de deuil : ce sont les filles de Calas.

    Madame de Villette, qu'avait adopte la tendressepaternelle de Voltaire, s'avance alors pour placerune couronne sur la tte de la statue de son oncle;

    et, pousse par les plus vifs sentiments de tendresseei Je douleur, elle entoure de ses bras et couvre de

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    baisers le marbre inanim qui fait revivre ses traits

    chris. cette scne touchante, l'attendrissement leplus profond s empare de tous les spectateurs, et leslugubres accords d'une musique dchirante ajoutentencore l'motion gnrale. On chante ensuite enchur des strophes d'une ode de Chnier mise en

    musique par Gossec.La station acheve, le cortge, auquel se joignent

    madame de Villettc, entoure de la famille Calas, laHarpe, qui tait aussi un fils adoptif de Voltaire, et

    un groupe nombreux de dames vtues de blanc et

    ornes de ceintures et de rubans aux trois couleurs,reprend sa marche et se dirige vers le thtre de laNation, aujourd'hui Odon.

    Devant l'ancien emplacement de la Comdie franaise, situ rue des Fosss-Saint-Germain-des-Prs,

    qui ae trouve sur le passage du char de triomphe,est un buste de Voltaire couronn par deux Gnies,et au bas duquel on lit cette inscription :

    IL FIT SON DIPE A DIX-SEPT ANS.

    l'Odon, un nouvel hommage est rserv atucmnes du patriarche de Ferney. Les draperies lesplus magnifiques, des guirlandes artistement disposes dcorent toute la faade de ce monument; des

    festons en spirales entourent les colonnes, et chacuned'elles porte l'un des titres des pices de Voltaire,

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    renferms dans trente-deux mdaillons. Sur le fron

    ton de l'J:uce est inscrite cette lgende :IL FIT IRNE A QUATRE-VINGT-TROIS ANS.

    A l'arrive du cortge, le vestibule, que fermeune draperie, s'ouvre et montre dans le fond la figure

    en marbre de Voltaire toute resplendissante de lumires. Bientt on voit les principaux personnagesdramatiques qu'il a mis en scne, venir, dans leurscostumes et avec tous leurs attributs, rendre leurshommages au Gnie crateur qui les a si dignement

    reprsents. Brutuslui offre un faisceau de lauriers;Orosmane, les parfums de l'Arabie; AIzire, les trsors du nouveau monde; Nanine, un bouquet deroses; et, pendant cette scne de la reconnaissance,une musique dlicieuse excute grand orchestre

    les churs de l'opra de Samson.Il tait nuit quand le cortge se remit en marche

    la lueur des flambeaux et des illuminations, et iln'arriva qu' dix heures du soir au Panthon, o ladpouille mortelle de Voltaire fut dpose avec toutela pompe digne de cette fete triomphale1.

    Cette crmonie, ajoute le Moniteur, a t unevritable fte nationale. Partout on voyait les bustesde Voltaire couronns, on lisait les maximes les plus

    1

    Voir Jourtt:

    >'s mmorables d*' la rvolution, t. I, j>. 287 294,et M fit. H J U . ! : h 17'Jl.

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    16 L E V O L T A I R I A N S M E .

    connues de ses immortels ouvrages; elles taient dans

    la bouche de tout le monde. Dans toute la longueurde la route que ce superbe cortge a traverse, unefoule innombrable de citoyens garnissait les rues,les fentres, les toits des maisons 1.

    Couronnes, char de triomphe, illumination, ac

    clamations , procession, ostension des reliques,hymnes, encens, reposoir, la Rvolution n'oublierien dans le culte qu'elle rend Voltaire. Peut-elledire d'une manire plus explicite: II est mon saint,il fut mon pre?

    1 Mmit. 43 juillet 1791.

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    CHAPITRE IL

    APOTHOSE DE ROUSSEAU.

    La K'voltiUon le reconnat jKror son pei*c. Pension sa veuve.

    D?r.< r le des honneur* du Panthon. Paroles d'Eyroard. Des

    cription de Papothosc.

    Ce qu'elle venait d'accomplir en l'honneur deVMtaire, la Rvolution le fit pour Rousseau.

    Le mardi 21 dcembre 1790, Barre et Evmard

    montent la tribune et demandent une pension aux

    irais de l'tat pour la veuve1 de Jean Jacques

    Rousseau, et une statue pour Rousseau lui-mme.

    Athnes, s'crie Barre, leva la famille d'Aristide,*{u? ne fera pas la nation franaise pour la veuve de

    S. J. Rousseau? Aux applaudissements de toutel'assemble, Thrse Levusseur reoit une pension

    iagre de 1,300 livres*.

    Plaidant pour Rousseau : Dans le moment, dit

    Lymard, o la plus tonnante et la jdus complte desrvolutions s'opre en France, quelle reconnaissance

    ne devez-vous point celui qui vous a mis dans les1 C t a i t s a r o n n i b i m * . 5 J/nni. i < di'ccmbir 1 7 9 0 .

    V 2

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    48 LE Y0LT A1R 1AXI SME.

    mains les rrmes victorieuses, avec lesquelles vous

    avez combattu le despotisme el assur pourjamais nosdroits la lihert? Je demande qu'aprs avoir donnun grand exemple au monde, et'te gloire soit encorerserve la France, d'avoir, Vexemple des peuplesanciens, honor d'une manire digne d'elle et digne

    de lui l'homme immortel qui fut son bienfaiteur, ouplutt ce/ut du genre humain . La salle retentit d'applaudissements unaruines, et Rousseau aura unestatue.

    Cela ne suffit pas : Rousseau doit partager avec

    Voltaire les honneurs de l'apothose.Le samedi 27 aot 1791, une dputation des gens

    de lettres de Paris se prsente l'Assemble, prsidepar M. Victor Broglie. L'orateur s'exprime en cestermes :

    Vous avez plac au Panthon ce gnie universel qui l'on a reproch d'envahir tous les genres, maisqui ne s'en rendit matre que pour terrasser sous lespieds de la philosophie le monstre du fanatisme etde la superstition. Voltaire fut le prcurseur ncessaire

    de vos travaux; il abattit devant vous tout ce quipouvait vous faire obstacle; il rasa pour ainsi direla place ou vous avez lev l'difice de notre libert.

    a Vous lui avez accord les konneursqui lui taient

    dus: vous tes quittes envers sa mmoire; l'tes-

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    C H A P I T R E D E U X I M E . 4 9

    2.

    vous envers celle de l'auteur du Contrat social?

    L'galit des droits entre les hommes et la souverainet du peuple. Rousseau fut le premier les tablir en systme sous les yeux mmes du despotisme.Ces deux ides mres ont germ dans les mes francises et dans les vtres par la mditation de ses

    crits; et si. comme on ne peut le contester, notreconstitution entire n'en est que le dveloppement, Rousseau est le premier fondateur de la constitution

    franaise... Nous sollicitons pour la mmoire de cegrand homme des honneurs qui vengeront sa cendre,

    qui acquitteront la France et qui ajouteront votregloire 1.

    Le prsident rpond : L'Assemble nationale, endtruisant tous les titres d'orgueil, a donn un plusgrand clat aux vritables titres de gloire. Elle a

    voulu que dsormais les talents, la vertu, le gniefussent les seules marques de distinction entreles citoyens de l'empire. C'tait mettre au premierrang celui qui les rassembla toutes; c'tait mettreJ. J. Rousseau une place oh il ne pt avoirde su

    prieur. L'Assemble prendra votre demande en considration et vous invite d'assister a la sance*.

    EymarU demande que l'Assemble se prononce immdiatement, a Offrez-nous, dit-il, l'exemple desanciens,

    des objets d'mulation; oflVez-nous ces r-1 Moud. , j u u u u t I7i*l. - ld.t ibiJ.

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    30 L E V O L T A I R I A N I S M E .

    compenses qui survivent h ceux qui les ont obte

    nues1

    . Une seule difiicult s'oppose au vote derassemble, M. Girardin d'Ermenonville prtendqu'il est propritaire des restes de Rousseau. La difficult est aplanie par M. Matthieu Montmorency : Lesfaits, dit-il, dont viennent de s'occuper les propi

    nants devaient tre loigns d'une question qui ap-partiendra tout entire l'admiration et la reconnaissance nationales. Je crois impossible que M. Girardinveuille se refuser aux honneurs que Ton veut rendre Rousseau, et qu'il veuille disputer la Nation les

    cendres d'un homme qui lui appartient tantdetitres. L'Assemble, qui est impatiente de cder ausentiment qui fanime, satisferait aux droits sacrs dela proprit et au vu national si elle voulait dcrterque les honneurs dcerns aux grands hommes seront

    rendus Rousseau, et renvoyer au comit de constitution pour l'excution*.

    Cette proposition est accepte, et le 21 septembreparait le dcret qui dcerne Rousseau les honneursdu Panthon*. Afin de prparer l'enthousiasme,Palloy vient, le 6 octobre, faire hommage rassemble du buste de Rousseau, sculpt en relief sur unepierre de la Bastille 4. L'Assemble manifeste sa vive

    Mmit., 30 aot 179t. 2 jd.t 3 /(j 2 2 s e p n l 7 9 L _

    * Id. 7 octobre. Voir aussi Monit. 16 avril 1794. o Rousseau e>t.*P|K}l te plus tjrand des muruli$tt9.

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    C H A P I T R E D E U X I M E . 21

    reconnaissance et dcrte que le buste de Rousseau

    sera plac dans la salle de ses sances. A son tour,Joseph Chnier compose pour le jour de la fte unhymne o toutes les conditions et tous les ges clbrent les louanges du futur demi-dieu.

    Enfin arrive le 20 vendmiaire an III (11 octo

    bre 1794), jour fix, comme on disait, pour lacrmonie la plus belle, la plus grecque qu'on aitencore vue. Le 18, Vume funraire qui renfermeles cendres de Rousseau est enleve de Vile desPeupliers, et porte en triomphe par les citoyens

    d'Ermenonville jusque dans la commune d'Emile,ci-devant Montmorency. Elle y reste jusqu'au lendemain.

    Le 19, le cortge se met en marche pour Paris.Vers les six heures du soir, il arrive la place de la

    Rvolution et s'arrte au pont tournant, aux piedsde lu Henomme, qui semble annoncer l'universVajmthose d un grand homme1. Cest l qu'une dpu-tation de la Convention vient recevoir les restes deRousseau.

    L'urne cinraire, conduite respectueusement surun char orn de guirlandes, est dpose au milieudu grand bassin du palais National (les Tuileries),dans une petite lie factice, environne de saules

    pleureurs et de peupliers, qui rappelaient auxspec-! Unit il wn-.tem. ;n III.

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    n L E V O L T A I R I A N I S M E .

    tateurs les pices d'eau d'Ermenonville. L, dans

    un petit temple de forme antique, repose l'urne deJean-Jacques. Elle y reoit pendant toute la nuit leshommages du peuple, jusqu'au moment de sa translation au Panthon.

    Le 20, ds neuf heures du matin, les citoyens se

    portent en foule au jardin National : tout annoncene fte d'un peuple libre. Lorsque tous ceux quidoivent former le cortge sont assembls, la Convention nationale, quittant le lieu de ses sances,parait sur la vaste tribune place devant le pristyle

    du palais. A ce moment, l'Institut de musique excute une marche, suivie de l'air compos par Rousseau : fai perdu tout mon bonheur. Ensuite, du hautde cette tribune, le prsident lit haute voix lesdcrets rendus pour honorer la mmoire de Rousseau.Celte lecture, souvent interrompue par de nom-lieuses acclamations, estsuivie de l'air de Rousseau : Dans ma cabane obscure.

    Enfin le cortge se met en marche, compos de

    la manire suivante :Premier groupe. Musiciens excutant les tou

    chants accords du Devin du village et d'autres airsde la composition de J. J. Rousseau.

    Deuxime groupe. Botanistes portant des plantes,des fleurs et des fruits, avec cette inscription ;

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    C H A P I T R E D E U X I M E . 23

    l ' t u d e d e l a n a t u r e

    le conso la i t de l ' in jus t i ce des hommes .

    Troisime groupe. Artistes et artisans de touteespce, avec les instruments de leur art et de leurmtier, et portant l'inscription suivante :

    IL REHABILITA LES ARTS UTILES.

    Quatrime groupe. Dputs des sections de Paris,portant les tables des droits de l'homme, avec cetteinscription :

    IL RCLAMA LE PREMIER CES DROITS IMPRESCRIPTIBLES.

    Cinquime groupe. Mres, vtues tantique, lesunes tenant leurs enfants par la main, les autres lesportant dans leurs bras, avec cette inscription :

    IL RENDIT LES MRES A LEURS DEVOIRSET LES ENFANTS AU BONHEUR.

    C'est en effet Rousseau, c'est son loquenceque les mres doivent un bonheur que jusqu'alorselles avaient ignor, 1* fcjnheur d'allaiter elles-mmesleurs enfants, et de les lever sous leurs yeux.

    La statue de J. J. Rousseau couronne par laLibert. Sur le pidestal on lit sa devise favorite :

    VIT AU IMPBXDBUK l M O .COXSlCftKR SA VIE A LA VRIT.

    et au-dessous la lgende suivante :

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    4 L E V O L T A I R I A N I S M E .

    AU NOM DU PEUPLE FRANAIS,

    LA CONVENTION NATIONALE A J. J, ROUSSEAU.AN II* DE LA RPUBLIQUE.

    Sixime groupe. Habitants deFranciade, d'Emileet de Groslay, portant cette inscription :

    C'EST AU MILIEU DE NOUSQU'IL FIT HLOSE, EMILE ET LE CONTRAT SOCIAL.

    Septime groupe. Habitants d'Ermenonville entourant le char qui porte l'urne cinraire, sur laquelle

    sont gravs ces mots :ICI REPOSE L'AMI DE LA NATURE ET DE LA VRIT.

    Huitime groupe. Genevois avec renvoy de leurRpublique; ils portent cette inscription :

    GENVE ARISTOCRATE L'AVAIT PROSCRIT;

    GENVE RGNRE A VENG SA MMOIRE.

    Neuvime groujye. La Convention nationale entoured'un ruban tricolore, et prcde du Contrat social,

    appel le Phare des lgislateurs.Tous ces groupes marchent, sur dix de front, auxacclamations de la foule presse sur le passage ducortge.

    Comme Voltaire avait fait une station l'htel

    Villette, Rousseau en fait une dans la rue Honor,en face du club des Jacobins. L, une couronne

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    C H A P I T R E D E U X I M E 2 5

    civique est dpose sur le sarcophage du librateur,

    Arriv au Panthon, le sarcophage renfermantle cercueil de Rousseau est port triomphalementdans l'intrieur du temple, et plac sur une estradeleve sous le dme. Pendant ce temps, l'Institut demusique excute l'air compos par Jean-Jacques :

    Je Vai plant, je Vai vu natre.Le prsident de la Convention nationale Camba-

    crs), dans une oraison funbre en l'honneur deRousseau, retrace cs travaux et les crits qui luiassurent l'immortalit :

    Citoyens, dit-il, les honneurs du Panthon,dcerns aux mnes de Rousseau, sont un hommageque la nation rend aux vertus, aux talents, augnie... Moraliste profond, aptre de la libert et de

    lgalit, il a t le prcurseur qui a appel la nationdans les routes de la gloire et du bonheur; et si unegrande dcouverte appartient celui qui l'a le premier signale, c'est Rousseau que nous devons cettergnration salutaire qui a opr de si heureux

    changements dans nos murs, dans nos coutumes,dans nos lois, dans nos esprits, dans nos habitudes...

    A sa voix l'homme a t libre, depuis le berceau jusqu'au cercueil. Citoyens, lehros de tant de

    vertus devait en tre le martvr... Sa vie aura unepoque dans les fastes de la vertu, et ce jour, ces

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    *6 LE VOLT AIRIA NISME .

    honneurs, cette apothose, tout annonce que la Con

    vention nationale veut acquitter la fois envers lephilosophe de la Xature, et la dette des Franais et lareconnaissance de l'humanit f.

    Aprs le pangyrique, Cambacrs, en grandcostume, s'approche du sarcophage, et jette, au

    nom de la France entire, des fleurs sur la tombe decet homme clbre.

    La crmonie se termine par l'hymne de Chnier,musique de Gossec, dont la premire strophe estchante parles vieillards et les mres de famille, la

    seconde par les dputs de la Convention, la troisime par les enfants et les jeunes filles, la quatrime par les habitants de Genve, et la cinquimepar les jeunes gens; le chur est rpt par lepeuple et tous les assistants.

    L E S V I E I L L A R D S E T L E S M R E S D E F A M I L L E .

    Toi qui d'Emile et de SophieDessinas ks traitsingnus,Qui de la nature avilieRtablis les droits mconnus,

    claire nos fils et nos filles,Forme aux vertus leurs jeunes curs,Et rends heureuses nos famillesPar ldmour des lois et des murs.

    LE C H C E I R .

    O Rousseau ! modle des sages,Bienfaiteur de l'humanit,i Monit. ii \cndm. an III.

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    CHAPITRE DEUXIME.

    D'un peuple Ger et libre accepte les hommages,

    Et du fond du tombeau soutiens lgalit.

    L E S R E P R S E N T A N T S D U P E U P L E .

    Ta main, de la terre captive

    Brisant les fers longtemps sacrs,De sa libert primitive

    Trouva les titres gars.

    Le peuple s'armant de la foudreEt de ce contrat solennel,Sur les dbris des rois en poudreA pos son trne temel.

    L E C H O E U R .

    0Rousseau, etc.

    L E S E N F A N T S E T L E S J E U N E S F I L L E S .

    Tu dlivras tous les esclaves ;Tu fltris tous les oppresseurs;

    Par t?i, sans chagrins sans entraves,

    Nos premiers jours ont des douceurs.

    De ce ix dont tu pris la dfense,Reois les vux reconnaissant* :

    Rousseau fut l'ami de l'enfance ;Il est chri par les enfants.

    L E C H U R .

    0 Rousseau, etc.L E S G E N E V O I S .

    Tu vois, prs de ta cendre auguste.Tes ami, tes concitoyens ;Philosophe sensible et juste,Nos oppresseurs furent les tiens;

    Et dans ta seconde patrie,O e i i e . r . 't^ri lont *ou diapeau,

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    *8 LE V0L TA1 UAN IRME .

    Genve, ta mre chrie,Chante son fils, le ton Rousseau.

    LE C H O EU R .

    0 Rousseau, etc.

    LES J EI TX ES C . EX S .

    Combats toujours la tyrannie

    Que fait trembler ton souvenir :La mort n'atteint pas ton gnie,Ce flambeau luit pour l'avenir.Ses clarts pures et fcondesOnt ranim la terre en deuil,Et la France, au nom des deux mondes.Rpand des fleurs sur ton cercueil.

    L E C I I G E l ' R .

    0 Rousseau, modle des sages,

    Bienfaiteur de l'humanit,D'un peuple fier et libre accepte les hommages ,Et du fond du tombeau soutiens i galit

    Le lendemain, dans la sance du club des Jacobins, Boissel, vice-prsident, monte la tribune, ets'exprime ainsi : Citoyens, je viens vous rendrecompte de l'excution de votre arrt qui dcerneune couronne civique aux mnes de J. J. Rousseau.

    Lorsque le char qui portait le buste de ce philosophes'est arrt l'entre de cette enceinte, et tandisqu'un jeune citoyen posait la couronne sur la tte deJean-Jacques, votre vice-prsident, portant la parole

    au peuple, a dit : Citoyens, la Socit des amis de la* Mmif. 20 et 24 \emi. an III.

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    30 L E V O L T I R I N 1 S M B .

    la mme glise que Jsus-Christ lui-mme! La R

    volution n'est pas morte.Mais oublions le ct sacrilge de ces apothoses.En donnant au patriarche de Ferney et au philosophe de Genve de semblables tmoignages depit filiale, la Rvolution ne dit-elle pas, dans un

    langage qui ne souffre pas plus de contradictionqu'il ne demande de commentaire : Oui, je suis fillede Voltaire et de Rousseau ?

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    CiiAPITRE III.

    MABLY ET LES AUTRES PHILOSOPHES.

    L Rvolution est destruction et reconstruction. Voltaire la personnifie dans son uvre de destruction religieuse. Rousseau dans sonrnvre de destruction sociale : l'un et l'autre dans son o*ovre dereconstruction religieuse et sociale. Mably, antre prparateur de laRvolution. Son pitaphe. Demande, en sa faveur, d'une statue, des honneurs du Panthon. Paroles d'Arnoux et de Du*sau!\.

    La Rvolution reconnat tous les autres philosophes pour sesaeux. Paroles de M de Landtne, de Chahroud, de Prud'homme,de Baudin t de Rob^pi#ne, de Riouffe. Le tmoignage de la Rvolution justifi par la philosophie elle-mme Filiation du vol-tai nanisme.

    La Rvolution franaise fut destruction et reconstruction. Destruction de Tordre religieux et del'ordre social tabli; reconstruction d'un ordre reli

    gieux et d'un ordre social fabriqu par l'homme,dirig par lui, et organis en vue d'assurer sa souverainet universelle. Ds lors, rien de plus logiqueque la double apothose dont nous venons de *etia-cer l'histoire. Voltaire personnifie spcialement la

    Rvolution dans son uvre de destruction religieuse ;Rousseau ta personnifie spcialement dans son uvre

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    ZI L E V O L T A I R I A N I S M E .

    de destruction sociale : l'un et l'autre la personnifient

    galement dans ses principes de reconstruction religieuse et sociale. Ainsi , comme le chne est toutentier dans le gland cach sous terre : de mme,au dix-huitime sicle, la Rvolution est tout entire dans Voltaire et dans Rousseau.

    Anims du mme esprit que leurs matres, lesautres philosophes sont aussi, quoique des degrsinfrieurs, les prcurseurs de la Rvolution. Celle-ci,en fille reconnaissante, n'oublie aucun de ses aeux,et rend chacun suivant sas oeuvres. Or, il est un

    homme qui par ses principes politiques et par sonadmiration pour les institutions rpublicaines del'antiquit, marche rgal de Voltaire et de Rousseau,qu'il devance par ses thories socialistes : cethomme, c'est Mably. Une soutane de moins et un

    peu d'loquence de plus, et comme eux il entrait auPanthon.

    Ds sa naissance, la Rvolution le reconnais pourun de *es anctres, et son portrait, rpandu avec profusion, est prsent la reconnaissance publiqueavec cette inscription :

    Voil les traits de ce grand hommeConduit par ses crits .'immortalit,

    JSdigne de Sparte et de Jiome,Mort trop tt pour la France et |our la libert 1.

    * Monit. %1 nov. 4789.

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    L E V O L T A I R I A N I S M E .

    TROIS comits runis de salut public, de lgislation

    ET D'instruction publique. Les comits ngligent deDONNER LEUR rapport, et l'heure de l'immortalit neSONNE pas pour Mably.

    QUANT aux autres philosophes du dix-huitimeSICLE, la Rvolution ne laisse chapper aucune oc

    CASION de se prodamer leur fille et de leur payer letribut de SA pit filiale. Ds le 4" aot 4794, elleDIT, PAR l'organe de M. de Landine * Les auteursDES dclarations des droits naturels ont trs-bienTABLI QUE L'HOMME est n libre... Je me plais

    ADOPTER, professer LES mmes principes. Locke,Cumberland, Hume, Romseau et plusieurs autres lesONT dvelopps ; leurs ouvrages les ont fait germer

    parmi nous \

    PLUS loin : peine sortis des forts, nos presN'avaient QUE LE bon sens de la nature... et ces philosophes qui nous ontles premiers appris le chemin dubonheur et de la libert, ces philosophes dcris partoutes LES tyrannies, ne doivent-ils pas enfin recevoir LA rcompense de leur zle, en nous voyant profiter de leurs lumires4 ?

    Ailleurs elle s'crie : Montesquieu, Rousseau,Mably, Voltaire, n'eussent point tourn librementleurs rflexions sur l'tat de inisro o se trouvait

    rduite la pauvre espce humaine , et s'ils n'eussent1 Mo7iit. i b i . 2 Id. D i s c o u r s d v C h a t i r o m ] , 3 > m a r > 1 7 0 t .

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    C H A P I T R E T R O I S I M E . 35

    point eu la noble hardiesse de publier leurs penses

    leurs risques et prils, jamais le peuple n'et souponn ses droits, jamais il m se ft insurg. Soyezreconnaissa nts en ve rs ce ux de nos contemp orains qui

    entret iennent avec courage ce feu sacr, al lum par

    nos prdcesseurs. Un bon livre est an levier capa

    ble d e re mue r le mo nd e en t i e r1

    . Toujo urs gui d e pa r la reco nna is sance, elle ajoute :

    La prise de la Bastille est le premier des vne

    ments qui contriburent la conqute de la l ibert. . .

    La raison recue ill e ce tte fois les fruits d ' u n e vic toi re

    qu 'e l le avait longtemps prparie. Montesquieu, Rousseau , Mably , vous aviez forg les armes dont futfrappe la t yr a nn i e , qui rel guait au ra ng d es chi

    m re s les princ ipes qu e vo us ave z rvl s et q u e

    nous nous faisons gloire de professer8 .

    Ailleurs e n c o r e , pa r l 'o rgane de Robe spierr e :

    Mon Dieu, c'est celui qui protge les opprims et

    qu i ex te rm in e les ty ra ns ; mon cu lt e, c'est celui de la

    justice et de l 'humanit.. . Dj le flambeau de laphilosophie j pn tra nt j u s q u ' a u x condit ions les pinsloign es d' el le , a cha ss tous les re do utab le s ou

    ridic ules fantmes q u e l 'ambiti on d es prt res et la

    1 Prudhomme, Rvolution* dt Parii, n 407 446, p .* Discours de Bau 1in (dts Ardenws', prsident du Club des

    Anciens pour l anniversaire du U juillet. Monit. 16 messidorun VII.3.

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    3 6 LE VOL T AIRIANISME .

    politique des rois uous avaient ordonn D'adorer

    AU NOM DU ciel... Bientt, sans doute, Vvangile dela raison et DE la libert sera l'vangile du monde 1. La philosophie, conclut Riouffe, a tnotre force

    motrice.. QUE font LES crivains contre-rvolutionNAIRES? ILS attaquent cette philosophie avec acharne

    ment. S'ils parviennent dtruire l'esprit philoso-phiquey ILS feront infailliblement la contre-rvolution.ON peut donc dire avec certitude qu'un anti/thiloso-pke est un antirpublicain*.

    Gant autres passages non moins explicites sont con

    signs DANS LE Moniteur, ce livre inaltr et inaltraBLE, o la Rvolution ELLE-mme a dpos librementses PENSES LES plus intimes. Il demeure donc bientabli que la Rvolution s'est proclame tille deVoltaire ETde Rousseau, ou DE la philosophie du dix-

    huitime sicle.Cette descendance est-elle fonde?

    SUR la parole del Rvolution, on peut sans crainterpondre affirmativement; car, nous te rptons,MIEUX que personne la Rvolution connat sa gnaLOGIE. Toutefois ne nous en rapportons pas son tMOIGNAGE. Allons au fond des choses, et rappelons -NOUS que toute LA Rvolution est dans ces deux mots :dtruire ET reconstruire. Dtruire Tordre religieux et

    * Discours sur la proclamation de l'tre suprme. 2

    Discoursau Cercle constitua, 9 messidor an VI

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    CHAP ITRE TR OI SI ME . 37

    Tordre social tabli par le christianisme; reconstruire

    un ordre religieux et un ordre social sur le modlede l'antiquit classique, voil, moins de nier l'histoire , toute la Rvolution dans la double phase deson existence.

    Or dtruire et reconstruire n'est-ce pas l tout le

    voltairianisme, toute la philosophie du sicle pass?Envisage dans son ensemble, dans ses chefs, enFrance et en Angleterre, dans ses principaux labeurs, dans ses efforts constants, la grande liguedes lettrs du dix-huitime sicle est-elle autre chose

    qu'une attaque incessante contre le christianisme etcontre Tordre social tabli par le christianisme? Quelprincipe chrtien en philosophie, en morale, en politique, en littrature, a-t-elle respect? Quelle institution ne du christianisme, depuis la papaut jusqu'aux ordres religieux, aux corporations laques, la socit domestique, a la proprit mme, n'a-t-elle pas battue en brche? En un mot, quelle personne , quelle chose chrtienne a t Tabri de sassarcasmes ou de ses sophismes?

    Et en mme temp , quelles aspirations constantesvers la belle antiquit ! quelles louanges de sa libert, de sa civilisation, de ses vertus, de ses lois,de ses arts, de ses institutions, de ses usages, de

    ses philosophes, de ses orateurs, de ses poles et deses hros! quels efforts persvrants pour recon-

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    3 1 LE VOLTAIRIANISME.

    DUIRE LES nations modernes vers ce type admir!

    De CES faits gnraux et de notorit publique, ilrsulte que la Rvolution tait dans la philosophie

    COMME L'enfant DANS le sein DE sa mre; qu'elle tait

    toute forme, toute vivante dans Tordre des ides

    AVANT DE DEVENIR visible et palpable dans Tordre

    DES FAITS.

    ELLE EST DONC fonde L'objection qu'on nous adresseEN DISANT : LA Rvolution franaise n'est pas fille

    SEULEMENT DES tudes DE collgef mais encore du

    VELTAIRIANISME. Loin DE nia* le fait, nous venons

    DE L'TABLIR.

    MAIS, SON Unir, DE qui est fils le voltairianisme?

    CAR ENFIN IL N'est pas n comme un champignon sous

    UN ARBRE. IL a une gnalogie : quelle est-elle?

    LES voltairiens nous rpondent aujourd'hui mme :

    Nous sommes philosophes et rvolutionnaires, et mus

    en sommes fiers; mais nous sommes les fils de la Re-

    naissance H de la philosophie, avant dtre les fils de

    la Rvolution1.

    DANS notre tude gnalogique du mal, cette as

    SERTION, ON LE comprend, est d'une importance

    EXTRME. RESTE SAVOIR si elle est vraie et jusqu'

    QUEL POINT. POUR former notre opinion, il faut inter

    ROGER L'histoire, et lui demander si en c3ct Voltaire,

    ROUSSEAU, MABLY, Hume, Cumberland, lse; CYCLO-* M o , 1 5 avril 4852.

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    CHAPITRE TROISIME. 39

    pdisles et les autres philosophes entrans dans leur

    orbite, sont fils de la Renaissance et des tudes decollge. Nous le saurons avec certitude si, d'unepart, ils ont t ds le bas ge forms par la Renaissance, nourris de son lait, anims de son esprit; etsi, d autre part, leurs ouvrages et leurs actes pen

    dant tout le cours de leur vie, ne sont que l'panouissement de leurs tudes classiques.

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    CHAPITRE IV.

    VOLTAIRE*

    Fils de 1 Renaissance et des tudes de collge, il perd la foi et tesmirurs. Ses premiers vers. Tmoignage de l'ducation classique qu'il reut. Ignorance et mpris dit christianisme En-thooskame pour le paganisme. Tmoignage de Condoreet. IV,la Harpe. De Leframde Potnpignan. Analyse de la Phtlatophtee Chiitoirr. Toutes les thories, toutes les fables de l'antiquitclassique, admires et reproduites par Voltaire. ~ Mpris constant christianisme, de sa langue, de ses arts, de ses hommes. loge4 e la Renaissance,

    Voltaire est un des exemples les plus effrayantsde l'influence des tudes de collge sur l'esprit et lecur de la jeunesse. C'est en tudiant Virgile,disait saint Augustin, que bien jeune encore je perdismon innocence1. C'est en vivant au milieu desGrecs et des Romains et de leurs urriadesde divi-nits que j'ai perdu la foi, disait Napolon, et celam'est arriv d'assez bonne heure, treize ans*. Plus malheureux encore, Voltaire y perdit l'une et

    l'autre. coutons ses biographes.1 Confrions, etc. 2 Mmorial

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    CHA PITRE QUATRIME. 41

    Voltaire (Franois-Marie Arouet) naquit Chate-

    nay, prs Paris, le 20 fvrier 4694. A dix ansil fut plac au collge Louis le Grand, tenu parles jsuites. J'ai pass sept annes au collgeLouis le Grand... Le marquis de Chteauneuf, ambassadeur la Haye, m'emmena avec lui en qualit

    de page en 1713 *. Plusieurs clbrits de l'ordre,le pre Charlevoix, le pre Tournemine, le preLejay et le pre Pore, furent tour tour les matresde Voltaire, qui eut ce qu'on appelle des succs decollge. En 4710 il obtint le prix de vers latins

    (strict oralionis). Quelques pices do vers franaisqu'il fit au collge montrent de quel aliment onnourrissait sa jeune intelligence. Il traduisait ainsiune pigramme de VAnthologie :

    Laodre, conduit par l'Amour,En nageant dirait iwx orages :

    Laissez-moi gagner les rivages;

    No me ncyex qu' mon retour.

    On lui donnait pour devoir une pice de vers sur

    la statue de Pygmalion, et il rendait pour eojrie :Si Pygmalion la forma,

    Si le ciel anima mm tre,L Amour fit plus, il l'enflamma :

    Sans lui que servirait de natre l

    1

    Voltaire peint par lui-mm**, ill't, lettre II, page 4; lettre IV. paj;e 9.

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    4 t LE VOLTAIBINISME.

    Il traduisait aussi des Odes d'Anacron; puis on

    lui faisait composer des vers sur la mort de Nron,qui se tue lui-mme, et il rapportait ce quatrain :

    D e t a m o r t d ' u n e m r e e i c r a b l e c o m p l i c e ,

    S i j e m e u r s d e m a m a i n , j e l ' a i b i e n m r i t ;

    E t n ' a y a n t j a m a i s f a i t q u ' a c t e s d e c r u a u t f

    J ' a i v o u l u , m o t u a n t , e n f a i r e o n d e j u s t i c e

    On voit dans quel pays le jeune Arouet vivait aucollge. L'antiquit classique devint son horizon. Emprunter aux Grecs et aux Romains leurs sentiments,leurs images, leur langage mmo, fut pour lui

    Tonique source du beau et la condition du succs :toute sa vie potique nous en offrira la preuve. Enattendant, citons encore une composition qu'il fitayant peine quinze ans. Un jour le rgent de Voltaire fut pri par un vieil invalide de lui faire un

    pktcet en vers pour le Dauphin. Le rgent renvoyalinvalide son colier, qui rapporta les vers suivants :

    N o b l e s a o g d u p l u s g r a n d d e s r o i s ,

    Son amour e t n o t r e e s p r a n c e ,

    Vous q u i , tan* r g n e r s u r l a F r a n c ,R g n e z s u r l e c u r d e s F r a n a i s ;

    P o u v e z - v o u s s o u f f r i r q u e m a v e i n e ,

    P a r u n e f f o r t a m b i t i e u x ,

    O s e v o u s d o n n e r u n e t r e n n e ,

    V o u a q u i n ' e n r e c e v e z q u e d e l a m a i n d$$ dux?

    * Vi Voltaire, p a r l e m a r q u i s d e L u c h e t . 6 v o l . i n - 8#

    , 1 7 8 4 ,

    1 . 1 , p . 6 e t 7 .

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    CHAPITRE QUATRIME. 43

    La Nature en vous faisant natre,

    Vous trenna de ses plus beaux attraits,

    Et fit voir dans vos premiers traitsQue le fils de Louis tait digne de Ttre.Tous tes dieux l'envi vous firent leurs prsents :

    Mars vous donna la force et le courage ;Minerve, ds vos jeunes ans,

    Ajouta la sagesse au feu bouillant de l'ge;

    L'immortel Apollon vous donna la beaut,Mats un Dieu plus puissant, que j'implore en mes peines,

    Voulut aussi me donner mes trennesEn vous donnant la libralit.

    VOIL BIEN LA PHRASOLOGIE MYTHOLOGIQUE, TELLE

    QU'ON L'ENSEIGNE DANS LES COLLGES; VOIL BIEN LES

    SOURCES POTIQUES OUVERTES PAR LA RENAISSANCE AU

    GNIE CHRTIEN. PARLANT DE LUI-MME, VOLTAIRE QUI,

    COMME SES CAMARADES, PRENAIT AU SRIEUX CES LOIS

    DO PARNASSE, AJOUTE q\i Apollon A PRSID SA NAISSANCE; QUE CE dieu puissant LUI A OUVERT SON SANCTUAIRE, ET AUTRES CHOSES NON MOINS CLASSIQUES

    DANS IODE QU'IL COMPOSA QUELQUES ANNES APRS

    SUR SAINTE GENEVIVE, IL PARLE DES dieux soulevs

    CONTRE LES ROIS ; DE Mars qui conduitson char attel parla Haine. SA PICE N'AYANT PAS RUSSI, IL SE VENGEAPAR UNE SATIRE TOUT MAIILE DES NOMS POTIQUES DU

    Parnasse, DE Phbus, DE Catulle, DE Mcnasf DU -

    1 Mmoires pour eervir l'Histoire de M. de Voltaire, par de

    Servires(ouCbaiidon). In I f , 1785, p. 4, 5 6 . Vis de Vvltaire,par Coudorcet, p. 4 8.

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    44 LE VOLTIRIANISME.

    nacron, de Virgile, dHorace, d'Homre, de Rome

    et de la GrceCependant la frquentation assidue de la belle

    antiquit ne tarde pas inspirer au jeune Arouet,

    plus prcoce que les enfants de son ge, un profond

    dgot pour le christianisme. Le pre Pore et le

    pre Lejay remarquent cette disposition, et sedonnent des peines infinies pour faire goter leur

    lve les grandes vrits de la religion *. Vains

    efforts! La place tait prise, hlas! et pour toujours.

    Ds l'ge de douze anst le jeune Arouet talait les

    principes et faisait les railleries qu'il a dposesdepuis dans une foule d'ouvrages. Il est trs-vrai

    que le pre Lejay lui prdit ds lors qu'il serait le

    porte-drapeau de {incrdulit\ A la perversion de

    l'esprit se joint la corruption du cur. Ds qu'il a

    franchi le seuil du collge Voltaire a une matresse,fille de bonne maison, qu'il tente d enlever. C tait

    en 4713, il avait dix-neuf ans \

    Si Voltaire a perdu au collge son innocence et

    sa foi, il y a trouv une passion invincible pourRantiquit paenne. 11 ne rve que les belles-lettres,entendues comme on les entendait au collge, cal

    ques sur les modles anciens, inspires de leur

    esprit, empruntant leurs formes, et, autant que la

    * Voir cette pice dans l jchet, 1.1, p. 6. 3 Id., p. 12.

    1 Mmoirts de Strvieres, p. J. * /J., id.

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    CHAPITRE QUATRIME- 43

    chose tait possible, exprimant leurs sentiments

    religieux et politiques : tel point, disent lesMmoires de Servires, qu'il ne voulut jamais seprter aux vues de son pre, qui le destinait aubarreau 1.

    Ame vide de christianisme et ivre de paganisme,

    voil Voltaire avant mme d'tre sorti de Louis leGrand. Comment ce jeune enfant entr au collge dix ans, avec le double trsor de la foi et del'innocence de cet ge, confi des matres vertueux et habiles, entour de soins particuliers, se

    trouve-t-il si vite incrdule et libertin, contempteur public du christianisme, et admirateur passionn du paganisme^ Si Voltaire n'avait perdu aucollge que la foi et les murs, on pourrait l'attribuer aux mauvaises compagnies et aux mauvaises

    lectures, ce qui pourtant serait peu vraisemblabledans un collge de jsuites et une poque o lalibert de la presse n'existait pas. Ne serait-il pasplus naturel de dire que Voltaire a trouv recueilde son innocence et de sa foi l o saint Augustin,Napolon et tant d autres ont trouv recueil de laleur?

    MhlZj do plus, s'tre passionn sans retour pourl'antiquit paenne, comment expliquez-vous cemystre? En attendant la rponse, Voltaire lui-

    1 Mmoires de Serviere*, p. 4.

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    46 L E V O L T M N I S M E

    mme nous dit par sa vie tout entire : Je suis

    fils de mon ducation littraire; je fus lev non Paris, au collge Louis le Grand, par des jsuites,mais Rome et Athnes, par Salluste, Cicron,Tacite, Virgile, Ovide, Horace, Anacron ; les presPdre, Lejay, Tournernine, ne furent que mes rp

    titeur*; mes vrais professeurs furent les auteurspaens.

    Et il le prouvera surabondamment en se moquant des enseignements des uns, en pratiquantfidlement les leons des autres; en poursuivant

    sans relche ses rptiteurs de sa haine, de ses mpris et de ses sarcasmes, tandis qu'il exaltera jusqu'aux nues ses professeurs, leurs crits, leurs ideset leurs actions.

    En effet, tel se montre Voltaire au sortir du col

    lge, tel il sera jusqu' la fin de sa longue carrire.L'anatyse de ses ouvrages ne prsente pas troisides, elle n'en prsente que deux : l'ignorance oula haine du christianisme, et l'admiration du paganisme. Or, si on rflchit l'empire souverain quel'lve du collge Louis le Grand exera pendantplus de soixante ans sur l'Europe entire, on pourramesurer l'influence de la Renaissance et des tudesclassiques sur les id^s et sur les murs, en un mot,

    sur la philosophie du dernier sicle, et par consquent sur la Rvolution franaise, qui en est sortie.

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    CHAPI TRE QUAT RIM E. 47

    Les ouvrages de Voltaire peuvent se diviser eu

    deux catgories : les ouvrages antireligieux et lesouvrages antisociaux.Caractrisant les premiers, un admirateur de Vol

    taire, Condorcet, s'exprime en ces termes : Cachant son nom et mnageant les gouvernements,

    Voltaire dirige tous ses coups contre la religion; ilintresse mme la puissance civile en affaiblirl'empire. Une foule d'ouvrages sortis de sa plumese rpandirent en Europe. Son zle contre la religion, qu'il regardait comme la cause du fanatisme

    qui avait dsoll'Europe depuis sa naissance, de lasuperstition qui tarait abrutie, et comme la sourcedes maux que ces ennemis de l'humanit continuaient de faire encore, semblaitdoublerson activitet ses forces. Je suis las, disait-il un jour, de leurentendre rpter que douze hommes ont suffi pourtablir le christianisme, et j'ai envie de leur prouverqu'il n'en faut qu'un seul pour le dtruire

    Tous les genres de mpris dverss sur les sicles

    chrtiens, sur les gloires et les institutions chrtiennes, par Machiavel, Ulric de Ilutten, rasmeet les autres renaissants, blouis des beauts de l'antiquit paenne, leurs calomnies odiouse*, leurs plaisanterie sacrilges reparaissent dans Voltaire assai

    sonns d'un nouveau sel. Ce qui tait arriv au1 l i e de Voltaire, p, 45.

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    48 LE VOLTAIRIANISME.

    seizime sicle se renouvelle , mais sur des propor

    tions plus tendues, au dix-huitime. L'ivraie dupaganisme, jete pleines mains dans le champ del1 Europe, produit une vaste moisson, Les libres penseurs, ajoute Condorcet, qui n'existaient auparavantque dans quelques villes o les sciences taient culti

    ves et parmi les littrateurs, les savants, les grands,les gens en place, se multiplirent dans toutes lesclasses de la socit comme dans fous les pays 1 .

    Descartes, continue la Harpe, avait fait unervolution dans la philosophie; Voltaire en fit une

    bien plus tendue dans la morale des nations et dansles ides sociales. L'un a secou le joug de l'cole,qui ne pesait que sur les savants; l'autre a bris lesceptre du fanatisme, qui pesait sur l'univers8.

    Soixante-dix ans d'une guerre outrance contreJsus-Christ, qu'il ose appeler Vinfme, contre sapersonne adorable, contre ses dogmes, contre sa morale, contre ses mvstres : voil Voltaire dans sesoeuvres philosophiques, dans sa correspondance,dans ses posies fugitives, dans ses innombrablespamphlets, plus obscnes et plus impies les uus queles autres. Il a t pote, crivait en 1781 (loquent archevque de Vienne, pour chanter sur tousles tons de la posie les leons de l'impit; orateur,

    pour dclamer contre la religion et ses ministres;1 \itd* Wtoaif , p. it. * Lluoe de Vvllatre, p. 74.

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    CHAPITRE QUATRIME. 49

    historien, pour altrer les faits au prjudice de la

    rvlation, de l'glise et des saints; philosophe, oujaloux de le paratre, pour obscurcir les vrits les plusprcieuses des nuages du scepticisme. Il a d cetitre, plus encore qu' ses talents littraires, le bruitqu'il a fait dans le monde. Ajouterons-nous tant

    d'excs l'amour effrn de la libert populaire, l'aversion pour l'autorit souveraine, l'esprit d'indpendance; voil donc ce que c'est que cette dition promise avec tant d'emphase : un amas de sarcasmes,de maximes anarchiques, dordures et dimjnts 1.

    Ces apprciations gnrales veulent tre justifiespar les ouvrages mmes de Voltaire, de manire tablir clairement que l'lve du collge Louisle Grand fut pendant toute sa vie, ainsi que nousl'avons dit, le fils de son ducation littraire, c'est-

    -dire une me vide de christianisme et ivre de paganisme. Or, dans ses diffrents crits en prose ou envers, Voltaire, fidle disciple de la Renaissance,rchauffe toutes les fables et toutes les thories del'antiquit paenne, tablit l'apothose de l'hommeau double point de vue de l'orgueil et de la chair,et bat en brche tout ce qui, dans l'ordre religieuxet social, n'est pas l'ouvrage de l'homme mancip.

    Ainsi, dans sa Philosophie de Ifmtire, il nie1

    Mandement de M r Lefranr do Poropignan rocrewion d'un?dition complte de Voltaire, I7M.

    V. 4

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    5 0 LB VOLTAIRIANISME.

    l'unit de la race humaine; il enseigne que le lan

    gage est une invention de l'homme; que, conformment la croyance des potes classiques, leshommes ont vcu longtemps dans les forts l'tatde brutes 1 . Les premiers hommes, dit-il gravement, ne pouvaient gure suffire leurs besoins,

    ET, ne $ entendantpas, ils ne pouvaient se secourir;ils ne pouvaient se dfendre contre les animaux froces qu'en lanant des pierres et en s'armant degrosses branches d'arbres; et de l peut-tre vintCETTE NOTION confuse de l'antiquit, que les premiersHROS combattaient contre les lions et les sangliersAVEC des massues *.

    Si au lieu d'avoir tudi au collge pendant plusieurs annes, appris par cur et admir les Mtamorphoses d'Ovide, les Gorgiqucs de Virgile, lespttres d'Horace et les travaux d'Hercule, Voltaireavait tudi avec le mme soin la Bible et les auteurs cL 'tiens,*aurait-il eu de pareilles ides?

    Suivant les auteurs paens, et suivant Voltaire leur

    disciple, l'homme a invent non-seulement la socit, mais la religion. Primns in orbe riens feeitlimor. Lorsqu'aprs un grand nombre de sicles quelQUES socits se furent tablies, il est mire quil yeut quelque religion, quelque es/tire de culte grossier.

    LES hommes, alors uniquement occups du soin dei P. 7 et 13, dition Beuchot. * AI., p. 11.

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    CHA PITRE QUA TRI ME. 54

    soutenir leur vie, m pouvaient remonter Fauteur

    de la vie. La connaissance d'un dieu formateur, rmunrateur et vengeur est le fruit de la raison. Tous kspeuples furent donc pendant des sicles ce que sontaujourd'hui les habitants de plusieurs ctes mridionales de l'Afrique, ceux de plusieurs lies, et la

    moiti des Amricains Vient ensuite, dans Voltaire, comme dans les au

    teurs classiques, l'loge de cet ge d'or. L'historienphilosophe dit : Ces peuplades d'Amrique etd'Afrique sont libres, et nos sauvages d* Europe nont

    pas mme ride de la libert*. Les sauvages sontlibres! libre de la libert daller nus, de vivre dechasse et do pche, d'adorer les manitous, de setuer et de se manger! Telle est la libert de l'ged'or. Quand la Rvolution, clbrant la fte de la

    desse Nature, chantera : Heureux Lapons! on sauraqu'elle n est que l'cho de Voltaire, qui n'est lui-mme que I cho d'Ovide et des anciens.

    Pour inventer une socit, une religion, il faut

    s'entendre; or, suivant Voltaire, les hommes primitifs ne s'entendaient pas. La difficult est srieuse,mais elle ne 1 arrte point. Avant d'en venir formerune socit, dit-il, il faut un langage, et c'est leplus difficile. On aura sans doute commenc par des

    cris qui auront exprim les premiers besoins; en-1 l'hhophm dt i hiktotre. p. 16. 2 Id., p. 5 8 .

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    CHAPITRE QUATRIME. 5 3

    religion, et les anciennes castes de l'Inde ont toujours

    pratiqu la leur. Cest que lepythagorisme estla seulereligion au monde qui ait su faire de Vhorreur du

    meurtre une pit filiale et un sentiment religieux.

    Tous ceux qui adoptrent cette religion crurent voirles mes de leurs parents dans tous les hommes qui

    les environnaient; ils se crurent tous frres, pres,mres, enfants les uns des autres. Cette ide inspirait ncessairement une charit universelle : on tremblait de blesser un tre qui tait de la famille. En unmot, Yancienne religion de l'Inde et celle des lettrs de

    la Chine sont les seules dans lesquelles les hommesn'aient pas t barbares l .

    Peuples de lEurope, faites-vous pythagoriciens,Hindous ou Chinois, mais surtout ne restez pas chrtiens : telle est la conclusion vider de cette page

    de philosophie classiqueDans les auteurs de collge si admirs de Vol

    taire, le paganisme est tour tour mtempsycoseet panthisme; leur disciple ne manque pas de leprconiser ce double point de vue. Il dit : Dans(antiquit, le jeune homme s criait : Je suis root-mme une jmrtie de la Divinit. Cette opinion a t

    celle des plus respectables philosophes de la Grce,le ces stociens qui ont lev la nature humaine au-

    dessus d elle-mme, celle des divins Antonins, et il1 rhiloophie h l'histmre, p. 78. 79.

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    54 LE VOLTAIRIANISME.

    faut avouer que rien n'tait plus capable d'inspirer

    de grandes vertus *. Se croire une partie de la Divinit, c'est s'imposer la loi de ne rien faire qui uesoit digne de Dieu *. Faisons-nous panthistes.

    Si vous cherchez quelle poque tous ces systmesde philosophie paenne, inconnus ou mpriss en

    Europe depuis la publication de l'vangile, se sontproduits de nouveau avec clat et ont repris dansles classes lettres leur funeste empire, l'histoirevous montrera, non l'arianisme, non le moyen ge,non le protestantisme, mais la Renaissance.

    1 Ub grand et sot orgueil. * Pkilonphie de Vhistoire, p. 83.

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    CHAPITRE V .

    VOLTAIRE.

    nalyte de V Essai $wr les mmtrs loge restant de l'antiquitpteuse, de tes ar* et de sa littrature, de a lit . de la parole etdes cotte. Mpri* profond du christianisme et du moyen A f c , dea langue, de ton art, de ses loi*, de m srlenre. Admiration pourla Renaissance. Gnalogie du libre penser. Apothose de

    l'homme.

    LE MPRIS CONSTANT DU CHRISTIANISME, L'ADMIRATION

    NON MOINS CONSTANTE DU PAGANISME, DONT LA PAT/O-

    Sophie de l'histoire VIENT DE NOUS OFFRIR QUELQUES

    TMOIGNAGES, EST grie QUI CONTINUE D'INSPIRER

    VOLTAIRE DANS SON Essai sur les murs des nations.

    COMMENANT PAR LES ARTS, IL DIT : LA BELLE ARCHI

    TECTURE, LA SCULPTURE PERFECTIONNE, LA PEINTURE, LA

    BONNE MUSIQUE, LA VRAIE POSIE, LA VRAIE LOQUENCE,

    LA MANIRE DE BIEN CRIRE L'HISTOIRE, ENFIN LA PHILO*

    SOPHIE mme, tout cria ne jmrvint aux nations que

    /Kir les Urers

    Comme VOLTAIRE est BIEN ici le fidle CHO DE SON1

    T . I . f j n , vlilioti Beuchut.

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    S6 LE VOLTAI'UAMSME.

    dacation classique ! Ces erreurs, passes en axiomes,

    ne sont-elles pas encore la monnaie courante detcollges? Qu'taient, il y a peu d'annes, pour lesclasses lettres, les gloires de l'Europe chrtienne,l'art chrtien, la musique chrtienne? La plupart descollgiens actuels connaissent-ils quelque chose de

    comparable Cicron pour l'loquence, Virgilepour la posie, Platon pour la philosophie? Prsde CES gants, que sont leurs yeux saint Chryso-STOOIE, saint Basile, saint Augustin, saint Thomas, laBIBLE mmeet les prophtes?

    Ce que Voltaire aime surtout chez les Grecs, c'estle libre penser. Les Grecs, dit-il, avaient tantd'esprit qu'ils en abusrent; mais ce qui leur faitbeaucoup d'honneur, c'est qu'aucun de leurs gouvernements ne gna les penses des hommes. Athnes

    laissa une libert entire non-seulement la philosophie, mais toutes les religions. Elle recevait tousles dieux trangers; die avait mme un autel ddiaum dieux inconnus. Rome fit comme Athnes. LesRomains adoptrent ou permirent les cultes de tousles autres peuples, l'exemple des Grecs. Cetteassociation de toutes les divinits du monde, cetteespce d'hospitalit divine, fut le droit des gens detonte l'antiquit1.

    Libert de la parole, libert des cultes! Quelles* Essai sur les mtrurs, t. L p. I (9*129.

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    C H A P I T R E C I N Q U I M E . 67

    charmantes cits que Rome et Athnes, quel agra

    ble sjour! Faisons-nous Grecs, faisons-nous Romains. Nous avons d'autant plus de raison de nousy tlcider, que le christianisme avtt son intolrancea t un flau pour le monde. Comme il n'y avaitpoint de dogmes dans cette sage antiquit, continue

    Voltaire, il n'y eut point de guerre de religion.C'tait bien assez que l'ambition, la rapine, versassent le sang humain, sans que la religion achevtd'exterminer le monde ! .

    Comme un autre lve du collge Louis le Grand,

    Robespierre, le voulut plus tard, Voltaire veutque, conformment au modle antique, on reconnaisse un tre suprme, et que les lettrs modernes, comme les Cicron et les Csar d'autrefois,se moquent de la religion ou s'en servent comme

    d'un moyen de gouverner. Les Romains, dit-il,adoraient un tre suprme, Deus oplimus maimus.A cette connaissance (vn Dieu, cette indulgence wfit-verselle, qui sont le fruit de la raison cultive, se

    joignit une foule

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    S I LE VOLTIRIANISMB.

    Caton, les Csar, avaient autre chose faire qu'

    combattre les superstitions de la populace. Quandne vieille erreur est tablie, la politique s'en sertcomme d'un mors que le vulgaire lui-mme s'est misdans la bouche, jusqu' ce qu'une autre superstitionvienne la dtruire, et que la politique profile de cette

    Seconde erreur comme elle a profit de la premire!

    . Telles taient, conclut Voltaire, ces deux nations

    les plus spirituelles de la terre, LES GRECS ET LESROMAINS, nos MATRES*.

    A cette admiration nave de l'antiquit classique,

    se joint le mpris profond du christianisme. Un desmatres de la jeunesse au dix-septime sicle, avaitdfini le moyen ge : le temps o les hommes taient

    moitibtes; Voltaire est entirement de son avis,et tous les renaissants le partagent. Tous ces siclesde barbarie, s'crie-t-il, sont des sicles (Chorreurset de miracles. Les dtails de ces temps-l sont autantde fables, et qui pis est de fables ennuyeuses*...

    Tant de fraudes, tant d'erreurs, tant de btises

    dgotantes, dont nous sommes inonds depuis dix-septsicles, n'ont pu faire tort notre religion. Elleest sans doute divine, prisque dix-sept sicles defriponneries et d'imbcillits n'ont pu la dtruire 4 !

    Au nombre de ces friponneries, il range entre

    Emi fur les mrrurs, t. l, p. $30. /(!., p. 237. * /cf.,p 4 I , * p. 366.

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    C H A P I T R E C I N Q U I M E . 5

    autres le voyage de saint Pierre Rome, son cruci

    fiement sous Nron, et autres faits capitaux de l'histoire du christianisme, en ayant soin d'ajouter queles gnrations de collge n'en croient pas le premier mot. Ces inepties, dit-il, sont aujourd'huimprises de tous les chrtiens instruits

    De ces inepties, de ces friponneries, Voltaire enprend son parti ; mais ce qu'il ne peut pardonner auchristianisme, c'est d'avoir dtruit cette belle antiquit, ce magnifique empire romain, la plus grandegloire de l'humanit. Avec cette ironie qui lui est

    propre il dit : Le christianisme ouvrait le ciel, maisil perdait lfempire ; car toutes les sectes nes dans sonsein combattaient l'ancienne religion de l'empire :religion fausse, religion ridicule sans doute, maissous laquelle Rome avait march de victoire en victoire

    pendant dix sicles 8 .

    ce trait, comment ne pas reconnatre le terribleeffet de l'ducation classique, qui, montrant sousune religion fausse la civilisation la plus brillante,

    fait dire au jeune homme : A quoi bon le christianisme pour la socit?Voltaire continue : Lorsqu'on passe de l'histoire

    de l'empire romain celle des peuples qui l'ontdchir dans l'Occident, on ressemble un voyageur

    qui, au sortir d'une ville superbe, se trouve dans1 E$$ai sur les murs, t. I, p. 350. /(/., p. 377.

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    SO LE VOLTAIRIANISME.

    des dserts couverts de ronces. L'entendement humain

    s'abrutit dans les superstitions les plus lches et les plus insenses. L'Europe entire croupit dans cet avi

    lissement jusqu'au seizime sicle l .

    Autant de mots, autant de mensonges. I! tait magnifique cet empire romain o rgnait en souverain

    le droit brutal de la force, o les trois quarts dugenre humain taient esclaves! Elles n'taient nilches, ni insenses les superstitions romaines, lesmystres de la bonne desse, les ftes de Priape, lescombats de gladiateurs ! Il n'tait pas abruti l'en

    tendement humain qui, dans les sages eux-mmes,aboutissait au nant de la pense ! videmment Voltaire avait vu l'antiquit sous les dehors brillants qu'onfait admirer au collge, et il n'avait pas eu le tempsou n'avait pas pris la peine de refaire son ducation.

    Continuant sa marche travers les sicles, ilajoute : On passe dans le treizime sicle de l'ignorance sauvage h l'ignorance scolastique, pire que laplus honteuse ignorance 9. Saint Bernard un sau

    vage! saint Louis, saint Thomas, pires que des sauvages! La cathdrale de Chartres, la Sainte-Chapelle,des uvres de sauvages ! a dcombres de btimentsdu moyen ge qu'une curiosit grossire etsans gotrecherche avec avidit !

    i Essai sur les murs, 1.1, p. 3*4,//., t. Il, p. 26'* 3 /,/ ?p. M .

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    CHAPI TRE CINQUIME. 6!

    Aux yeux de l'lve de la belle antiquit, le

    langage n'est pas moins barbare que les uvres.Voltaire en juge comme on en juge dans les collges,il dit : Saint Bernard et Ablard, au douzimesicle, auraient pu tre regards comme de beauxesprits; mais leur langue tait un jargon barbare,

    et ils payrent en latin tribut au mauvais got dutemps. La rime laquelle on assujettit ces hymneslatines des douzime et treizime sicles, est le sceaude la barbarie1. Le Verbum supernum prodiens, le

    Lauda, Sion, le type de la barbarie! et pourquoi?

    Parce qu'elles ne sont pas en vers du sicle d'Auguste. Ce n tait pas ainsi, s'crie Voltaire, queHorace chantait les jeux sculaires%.

    Cela veut dire : l'antiquit ne versifiait pas ainsi.L'antiquit seule a su versifier. Quiconque ne ver

    sifie pas comme elle est un barbare ; ainsi on me l'aenseign au collge. C'est le mme prjug qui pendant trois sicles a fait regarder la Sainte-Chapellecomme un monument barbare.

    Aprs avoir jug, de son point de vue paen, lalangue, les hommes, les institutions du moyen ge,il reste Voltaire, pour achever son uvre, djugerla science qui dominait cette grande poque. II lefait en deux mots. La thologie scolastique, dit-il,

    1 Etmi >ur Us murn, t. IL p. 42*. 1 AL, id

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    62 LE VOLTAIRIANISME.

    fitplus de tort la raison et aux bonnes tudes, que

    nen avaient fait les Hum et les Vandales Quand et comment le monde chrtien sortira-t-IL

    D E la barbarie ? Lorsque le soleil de l'antiquit paenneSE lvera SUR l'Occident, et qu'on fera tudier LA jeunesse les bons auteurs romains8. Voltaire

    salue avec transport ce jour de rgnration ; il s'CRIE : C Que connaissait-on en Allemagne, en France,EN Angleterre, en Espagne et dans la Lombardieseptentrionale ? LES coutumes barbares et fodales,aussi incertaines que tumultueuses, les duels, les

    tournois, la thologie scoiastique et les sortilges.DE S milliers d'coliers se remplissaient la tte dechimres, et frquentaient jusqu' quarante ans lescoles o on les enseignait. Ceux qui, ns avec unrai gnie, cultiv par la lecture des bons auteursromain*, avaient chapp aux tnbres de cette rudition taient, depuis le Dante et Ptrarque, entrs-petit nombre.

    Ce fut une chose admirable de voir Laurent de MD I A S , LE prs des muses, le pre de la patrie, rsisterau pape, cultiver les belles-lettres, donner des specTACLES au peuple et accueillir tous les savants grecss Constant\noplc. Ce fut ds lors que Florence futcomparable l antienne Athnes *.

    * Essai sur tes mur$. t II, p. 418. Ce qui prouve qu'onne \w tudiait gure au moyen ^t*. 3 /

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    CHAPITRE CINQUIME. *3

    A partir de cette glorieuse poque, le monde re

    nat, les arts refleurissent, le libre penser d'Athneset de Rome reprend son empire. Les prjugs dis-paraissent avec les tnbres de la superstition : oudirait qu'un Dieu est de nouveau descendu sur laterre pour la rgnrer. La musique, dit Voltaire,

    ne fui bien cultive qu'aprs le seizime StOC$>*# L i f tvraie philosophie ne commena luire aux hommesqu' ta mme poque... Les Sophocle, tes Dmo-sthnes, les Cicron et les Virgile (remis en honneur)sont les prcepteurs de tous les temps... Il n'y a que

    quatre sicles pour les beaux arts : il faut tre fou pour direque ces arts ont nui aux murs l . Lathtre, o triomphent toutes les passions, la musique de la volupt, la peinture du nu, la sculpture du nu : rien de tout cela n'a nui auxmurs !

    Cette Renaissance si chaste, Voltaire la contempleavec amour, comme un fils contemple sa mre :avec orgueil il la compare aux sicles barbares qui

    l'ont prcde. Il dit : La France, sous Franois I*,commenait sortir de la barbarie. Il faui avouerque, malgr l'instinct heureux qui animait ce princeen faveur des arts, tout tait barbare en France,

    comme tout tait petit en comparaison des Romains...

    1 Essai sur les rmrurs, t. Il, |. 1*5, 187, 189.

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    CHAPITRE CINQUIME. 65

    Cependant ie libre penser ne tank pas pro

    duire, dans les temps modernes, les mmes effetsqu'il produisit dans l'antiquit paenne. lamme poque, continue Voltaire, un athisme funeste, qui est le contraire du thisme, naquit encore dans presque toute l'Europe des divisions tholo

    giques. On prtend qu'alors il y avaitplia d'athesen Italie qu'ailleurs. Cette espce d'athisme osa semontrer presque ouvertementen Italie vers le seizimesicle *.

    Voltaire, en bon fils, n'a garde d'accuser la Re

    naissance d'tre la mre de l'athisme. Suivantson habitude, il le met au compte de la thologiescolastique. Comme s'il n'y avait pas eu des divisions thologiques avant la Renaissance, sans qu'ellesaient produit des athes ! Comme si l'Italie du

    seizime sicle, o il y avait le plus d'athes, n'avait pas t plus que le reste de l'Europe exemptedes divisions thologiques! Mais quelques lignesplus bas Voltaire se donne un dmenti lui-mme,et nous apprend que c'est la frquentation des ai -teurs paens, matres de disme et d'athisme, quia fait natre les distes et les athes : et il est loinde le trouver mauvais.

    Quant aux philosophes, dit-il, qui nientl'exis

    tence d'un tre suprme, ou n'admettent qu'un1 Essai sur les marurs, t. Il, p. 302.V. 5

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    66 LB VOL TAIB IAN ISME .

    Dieu indiffrentaux actions des hommes, et ne pu

    nissant le crime que par ses suites naturelles, lacrainte et le remords; quant aux sceptiques qui,laissant l'cart ces questions insolubles et dis lorsindiffrente*, se sont borns enseigner une moralenaturelle, ils ont t trs-communs dans la Grce,

    dans Morne, et ils commencent le devenir parmi,u>us, mais ces philosophes ne sont pas dangereux \

    Ajoutoas que le caractre dominant de VEssaisur les murs est, comme dans l'antiquit paenne,l'apothose de l'homme. Pour Voltaire, la Provi

    dence m'est rien dans les vnements de ce monde :c'est l'homme qui fait tout, qui par ses bonnes oumauvaises qualits dcide de tout. Matre absolu etindpendant, il n'y a entre Dieu et lui qu'un lientellement faible, que Gondorcet dit navement :

    L'histoire de Voltaire a encore cet autre avantage, c'est qu'elle peut tre enseigne en Angleterrecomme en lusie, en Virginie comme Berne et Venise. U a y a plac que ces vrits dont tous lesgouvernements peuveat convenir : Quon laisse laraison humaine le droit de s clairer; que le citoyen

    fouisse de sa libert naturelle; que la religion soittolrante .

    fia que Voltaire trouve inexpliquable dans i his

    toire, il l'explique, non par la Providence, mais par la* E*$ai surlts tmrurs, i. II, p. 303. * Vie de Voltaire, p. 5K>.

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    CH API TR E CINQUIME. 67

    5.

    destine: absolument comme faisaient les anciens. Par

    lant de la grandeur et de la dcadence des Romains,il dit : N'y a-t-il pas visiblement une destine quifait l'accroissement et la ruine des tats? Qui auraitprdit Auguste qu'un jour le Capitole serait occup par un prtre d'une religion tire de la reli

    gion juive aurait bien tonn Auguste. Pourquoi ceprtre s'est-il enfin empar de la ville des Scipionset des Csars? Cest qu'il Va trouve dans (anarchie:

    il s'en est rendu mattre presque sans effort *.

    Cette manire d'crire 1 histoire, devenue si com

    mune depuis la Renaissance, quelle cole Voltairel'a-t-il apprise? Est-ce en tudiant l'criture, lesPres de l'glise, Vincent de Beauvais, ou la Cit deDieu de saint Augustin ?

    1

    Essai sur Us murs, t. I, p. 235.

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    CHAPITRE VI.

    VOLTAIRE.

    Le sicle de Louis XIV. Dnigrement continuel du christianisme. loge continuel de l'antiquit paenne. Voltaire pousse au csa-risme, au libre penser des anciens philosophes. Effets du librepenser. Murs du sicle de Louis XIV. Chambre des poisons. Voltaire apprcie l'loquence, la philosophie, la religion au point

    de vue des modle* classiques. Il prche le retour la religiondes grands hommes de l'antiquit. Il la pratique. Il lui 'aitde nombreux partisans. Projet de Maupertuis.

    Certaine VEssai surles murs, ie Sicle de Louis XIVpeut se rsumer en deux mots : dnigrement continuel du christianisme et des sicles de foi, louangecontinuelle de l'antiquit classique reproduite avec

    clat au sicle de Louis XIV, qui, ce titre, reoitles loges de Voltaire.Fidle cho de son ducation, l'auteur ne voit

    rien de grand en loquence, en posie, en art, eninstitutions sociales, en civilisation, en philosophie

    que les sicles o le paganisme a rgn : siclesancien* o il rgnait en souverain absolu; sicles

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    CHAPITRE SIXIME. 69

    modernes o il a rgn par son esprit et par l'imi

    tation de ses ouvrages. Tons les antres sicles avecleurs arts, leur loquence, leur philosophie, leursinstitutions, leurs grands hommes, ne comptent pas,ou ne comptent qu'au chapitre des hontes de l'humanit.

    Quiconque pense, dit-il, et, ce qui est encoreplus rare, quiconque a du got, ne compte que quatresicles dans F histoire du monde. Ces quatre ges heureux sont ceux o les arts ont t perfectionns, etqui, servant d'poque la grandeur de l'esprit hu

    main, sont l'exemple de la postrit. Le premier de ces sicles qui la vritable gloire

    est attache est celui de Philippe et d'Alexandre,ou celui des Pricls, des Dmosthnes, des Aristote,des Platon, des Apelle, des Phidias, des Praxitle :

    cet honneur a t renferm dans les limites de laGrce. Le reste de la terre alors connue taitbarbare1.

    Le second ge est celui de Csar et d'Auguste,dsign encore par les noms de Lucrce, de Cicron,de Tite-Live, de Virgile, d'Horace, d'Ovide, de Var-ron, de Vitruve.

    Le troisime ept celui qui suivit la prise de Con-stantinople par Mahomet II. On vit alors en Italie une

    famille de simples citoyens faire ce que devaient en-1 Mme la Jude.

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    LE VOLTIRIANISME.

    trepnendre les rois de l'Europe. Les Mdicis appe

    lrent Florence les savants que les Tares chassaientde la Grce : c'tait le temps de la gloire de l'Italie.Les arts, toujours transports de Grce en Italie, setrouvaient dans un terrain favorable, o ils fructifiaient tout coup.

    Le quatrime est celui qu'on nomme le sicle deLouis le Grand. Tous les arts, la vrit, n'ont past pousss plus loin que sous les Mdicis, sous lesAuguste et les Alexandre; mais la raison humainem gnral s'est perfectionne. La saine philosophie

    n'a t connue que dans ce temps. Ainsi, pendant neufcents ans le gnie des Franais a t presque toujoursrtrci sous un gouvernement gothique \

    Or, le plus prcieux avantage de la saine philosophie, ne de la Renaissance et dveloppe au siclede Louis XIV, est de pousser les rois au Csarisme, demanire reproduire le type immortel des Augustesde Rome. Voltaire se dclare hautement le partisande cette philosophie qui, abaissant toute autorit,mme spirituelle, devant l'autorit royale, et absorbant toutes tes liberts au profit du despotisme, conduit les socits modernes dans la voie des rvolutionset des catastrophes sans cesse renaissantes.

    Parlant de la religion et du clerg, il dit : Prter

    serment un autre qu' son souverain est un crimei Sicle de Loui* XI\\ t. I, p. 2 T 241.

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    CHAPITRE SIXIME. 71

    de lse-majest dans un laque; c'est dans le prtre

    un acte de religion. La difficult de savoir quelpoint on doit obir ce souverain tranger, la facilit de se laisser sduire, n'ont que trop souvent portdes ordre* entiers de religieux servir Rome contreleur patrie. L'esprit clairqui rgne en France de*

    puis un sicle, et qui s'esttendu dans presque toutesles conditions, est le meilleur remde cet abus.Les bons livres crits sur cette matire sont de vraisservices rendus aux rois et aux peuples; et un desplus grands changements qui se soient faits dans nos

    murs sous Louis XIV, c'ait la persuasion dans laquelle les religieux commencent tous tre qu'ilssont sujets du roi avant d'tre les serviteurs du pape.On ne croirait pas que les souverains eussent obligation aux philosophes. Cependant il est vrai que

    cet espritphilosophique qui a gagn presque toutesles conditions, except le bas peuple, a beaucoupcontribu faire valoir les droits des souverains. SiOD dit que les peuples seraient heoreux quand ilsauraient des philosophes pour rois, il est trs-vraide dire que les rois en sont plus heureux quand ily a beaucoup de leurs sujets philosophes s.

    Insistant sur la ncessit de retourner au Csarismeantique, il dit en vingt endroits de sa correspon

    dance : On ne s'tait pas dout que la cause des1 Sicle de Lui* MVt t. I, p. 254-302.

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    72 LE VOLT A i RI AN ISM E.

    rois ft celle des philosophes; cependant il est vi

    dent que des sages qui n'admettent pas deux puissances sont les premiers soutiens de l'autorit royale.

    Voltaire se plaint ailleurs du peu de progrs dela philosophie. Le tableau qu'il fait des murs desclasses lettres au sicle de Louis XIV 1 prouve ce

    pendant que le fils an de la Renaissance, le librepenser, exerait un empire capable de satisfaire lesplus difficiles. U dit : Tandis que madame de la Val-Hre et madame de Montespan se disputaient la premire place dans le cur du roi, toute la cour Hait

    occuje d'intrigues d'amour : Louvois mme tait sensible*.

    * Sicle de Louis XIV, 1.1, p. 303. A la page 266, Voltairerpte, pour la vingtime fois, qu'avant Franois I e r la nationfranaise tait plonge dans 1 ignorance, sans excepter ceux qui

    croient n'tre point peuple. Tous les lves de la Renaissance tien-ent le mme langage. La Harpe entre autres, dans son Eloge deVoltaire, s'exprime ainsi : t Les arts (tels que la Renaissance lesenseigne), dont la lumire douce et consolante est comme Vaurorequi devance k grand jour de la Raison, avaient comment adoucir les murs en polissant les esprits. Souvenez-vtws qiil n'y

    a pas plus de deux cents ans que VEurope est sortie de la har-\*arie, p. 14. Pour eux le christianisme ne compte pas. Puis,continuant de louer son hros, il dit : Mrope r