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Existe-t-il un modèle éducatif français ? numéro 3 – septembre 2006 la revue de l‘inspection générale > ALAIN BERGOUGNIOUX > CLAUDE BOICHOT > VIVIANNE BOUYSSE > JÉRÔME CLÉMENT > JEAN-RICHARD CYTERMANN > XAVIER DARCOS > CHRISTIAN FORESTIER > ROGER-FRANÇOIS GAUTHIER > FRANCIS GOULLIER > BERNARD HUGONNIER > NAHALIE MONS > THIERRY MALAN > JEAN-PIERRE OBIN > MARK SHERRINGHAM > LE GROUPE LETTRES DE L ’IGEN > LE GROUPE MATHÉMATIQUES DE L ’IGEN > LE GROUPE HISTOIRE-GÉOGRAPHIE DE L ’IGEN La revue de l‘inspection générale Inspection générale Thierry Bossard - chef du service de l‘IGAENR François Perret - doyen de l‘IGEN Philippe Dulac - Michèle Jue-Denis www.education.gouv.fr/syst/inspections.htm Septembre 2006 Délégation à la communication Musée de l‘éducation - Caroline Lucas MENESR MENESR / 1 200 exemplaires titre du document éditeur directeurs de la publication secrétaires généraux de la rédaction accès internet date de parution conception graphique photographies impression

la revue de l'inspection générale

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Existe-t-il un modèle éducatif français ?numéro 3 – septembre 2006

la revuede l ‘ inspection générale

> ALAIN BERGOUGNIOUX

> CLAUDE BOICHOT

> VIVIANNE BOUYSSE

> JÉRÔME CLÉMENT

> JEAN-RICHARD CYTERMANN

> XAVIER DARCOS

> CHRISTIAN FORESTIER

> ROGER-FRANÇOIS GAUTHIER

> FRANCIS GOULLIER

> BERNARD HUGONNIER

> NAHALIE MONS

> THIERRY MALAN

> JEAN-PIERRE OBIN

> MARK SHERRINGHAM

> LE GROUPE LETTRES DE L’IGEN

> LE GROUPE MATHÉMATIQUES DE L’IGEN

> LE GROUPE HISTOIRE-GÉOGRAPHIE DE L’IGEN

La revue de l‘inspection générale

Inspection générale

Thierry Bossard - chef du service de l‘IGAENRFrançois Perret - doyen de l‘IGEN

Philippe Dulac - Michèle Jue-Denis

www.education.gouv.fr/syst/inspections.htm

Septembre 2006

Délégation à la communication

Musée de l‘éducation - Caroline Lucas MENESR

MENESR / 1 200 exemplaires

titre du document

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directeurs de la publication

secrétaires généraux de la rédaction

accès internet

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FRANÇOIS PERRET

Doyen de l’inspection générale de l’Éducation nationale

Existe-t-il un modèle éducatif français ? La question pourra surprendre, surtout àl’heure où le thème du déclin national reste de mode. Les esprits chagrins, toujoursprompts à souligner les défauts de notre École, y verront un déni du réel. D’autresla rémanence d’une arrogance qui n’a pas ou plus lieu d’être.

Notre propos ne se veut évidemment ni chauvin, ni narcissique. L’interrogation quesoulève ce troisième numéro de La revue de l’inspection générale part d’un constatau fond assez simple : nous sommes sans doute plus à même de comprendre nos spé-cificités depuis que nous avons pris l’habitude de nous confronter avec les autres.

Après s’être beaucoup et longtemps livré à l’autocontemplation, notre pays, eneffet, s’est mis depuis quelques années à regarder plus attentivement ce qui se faitautour de lui, notamment en matière scolaire. Dans le souci d’identifier les forceset les faiblesses de ceux qui sont ses concurrents sur un marché désormais mondial,où l’éducation tient toute sa place. Mais surtout de par la nécessité, pour répondreà des problèmes aigus auxquels il n’est pas seul à faire face – la violence, l’illettrisme,l’intégration ou l’insertion professionnelle – de s’inspirer des bonnes idées et desbonnes pratiques d’autres pays.

Cette ouverture sur l’international lui a permis de s’informer et surtout de se comparer,de mieux saisir à la fois ce que son École partage avec celle des autres et ce qu’ellea d’original, de profondément lié à son histoire et à son identité. En contrepartie, ila dû accepter d’être comparé, de voir ses performances évaluées, analysées etparfois critiquées. Il a ainsi appris sur les autres et appris des autres, grâce auximages inédites de lui-même qu’ils lui renvoyaient.

Après avoir tiré les leçons de ce double enseignement, l’heure est peut-être au retoursur soi. C’est à ce “retour au pays” qu’invite ce numéro de La revue de l’inspectiongénérale. Celui-ci se veut un panorama du paysage éducatif français, revu à l’aunedes comparaisons internationales. Plus suggestif qu’exhaustif, il propose des étapesobligées dans nos plus célèbres monuments scolaires – l’école maternelle, lesclasses préparatoires aux grandes écoles – et des voyages parfois moins attendusau centre des disciplines, des voies d’enseignement ou de la vie scolaire.

À chaque fois, l’objectif a été de faire ressortir nos spécificités et de les apprécierau regard de ce que nous savons des systèmes d’enseignement étrangers. Mais ila été aussi de resituer les éléments constitutifs de notre École dans leur genèse etd’en faire ainsi ressortir le sens : nos conceptions éducatives ne sont pas le fruitdu hasard ou de l’arbitraire, mais se fondent sur des choix rigoureux effectués toutau long de notre Histoire.

Existe-t-il un modèle éducatif français ? La question reste bien sûr ouverte et chacunjugera en fonction des pièces du dossier rassemblé ici. S’y dessine bien, néanmoins,un ensemble sans équivalent au monde, mais qui, tout en revendiquant sa singularité,ne refuse pas de ressembler un peu aux autres en ce qu’ils ont de meilleur.

“Existe-t-il un modèle éducatif français ?“

THIERRY BOSSARD

Chef du service de l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche

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sommaire4 > Entretien avec :

XAVIER DARCOS ET BERNARD HUGONNIER

9 > Existe-t-il une exception française en matière de programme d’enseignement ?ROGER-FRANÇOIS GAUTHIER

18 > L’école maternelle, un modèle quasi mythique ?VIVIANE BOUYSSE

26 > L’enseignement du français et des lettres LE GROUPE LETTRES de l’IGEN

33 > Quelques spécificités de l’enseignement des mathématiques en France LE GROUPE MATHÉMATIQUES de l’IGEN

42 > L’apport du système éducatif français à la dynamiqueeuropéenne dans l’enseignement des languesFRANCIS GOULLIER

49 > L’enseignement de l’histoire et de la géographie LE GROUPE HISTOIRE-GÉOGRAPHIE de l’IGEN

54 > L’École et l’éducation civique ALAIN BERGOUGNIOUX

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“Existe-t-il un modèle éducatif français ?” La revue de l’inspection générale 03 > page 3

61 > L’enseignement scolaire de la philosophie en FranceMARK SHERRINGHAM

68 > L’enseignement technique et professionnel : efficace pour l’insertion mais socialement discriminant CHRISTIAN FORESTIER

76 > La question de l’éducation dans l’École française JEAN-PIERRE OBIN

85 > LMD : modèle français et convergence européenne THIERRY MALAN

93 > Les classes préparatoires aux grandes écoles à l‘heure de l‘internationalisation de l‘enseignement supérieurCLAUDE BOICHOT

101 > Les spécificités du financement de l’éducation en France JEAN-RICHARD CYTERMANN

108 > Décentralisation : y a-t-il une exception française ? NATHALIE MONS

116 > “A” comme ArteJÉRÔME CLÉMENT

119 > Retour aux sources : “la méthode française”PAULINE KERGOMARD

Ce numéro a été coordonné par André Hussenet, inspecteur général de l’Éducation nationale et Jean-Richard Cytermann, inspecteur généralde l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche.

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Entret ien avec : XAVIER DARCOS, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’OCDEBERNARD HUGONNIER, directeur-adjoint de l’éducation à l’OCDE

Que peuvent apporter à un pays, enl’occurrence la France, les travauxde l’OCDE en matière d’éducation ? Bernard Hugonnier : L’OCDE est un club,auquel la France apporte sa contributionen échange d’informations sur les sys-tèmes éducatifs des autres pays. Les ana-lyses comparatives, les examens des poli-tiques et des pratiques des pays, lesinformations statistiques, les évaluationsdes performances (PISA) sont autant d’in-formations utiles dont la France dispose.

Xavier Darcos : En effet, nous avons pudécouvrir d’autres manières d’agir,d’autres pistes. Ce qui est très important.On sait la difficulté qu’éprouve le sys-tème éducatif français à se penser autre-ment. Il y a presque une idéologie sco-laire en France. Grâce à l’OCDE, il estpossible de prendre en compte d’autresméthodes, d’autres approches et celles-ciont permis à certains pays de réformer de

fond en comble leur système éducatif.C’est le cas de la Suisse ou de la Finlande,qui a fondé son projet scolaire sur le pro-jet personnel de l’élève. D’autres concep-tions ont également vu le jour dans ledomaine du management, qu’il s’agissedu management des établissements oudes systèmes scolaires.

Bernard Hugonnier : Le domaine del’éducation est un domaine où l’infor-mation est très pauvre. Les enseignantsnotamment échangent peu entre eux etpartagent peu leurs expériences. Il estdonc essentiel de mieux faire circulerles informations et de contribuer ainsi àmutualiser les bonnes pratiques.

Quelles sont, à travers les études et données de l’OCDE, les spécificitésdu système français, ses forces et ses faiblesses ? Bernard Hugonnier : Le système éducatif

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français est bon. Si PISA concernait lesélèves de terminale, la France seraitbeaucoup mieux placée, car il y a cheznous un saut qualitatif important entrele collège et le lycée. Mais les résultatsqu’elle obtient actuellement ne sont pasdéshonorants. On s’est beaucoup alarméde ce qu’elle n’ait obtenu que 10,5/20 enmathématiques, mais n’oublions pas queles pays les mieux classés, comme laFinlande, n’ont obtenu que 11 ou 11,5.

Ceci étant dit, il existe des problèmesqualitatifs importants. Tout d’abord, il ya en France trop de laissés-pour- compte.Nous estimons leur nombre à 100 000,ce qui est un chiffre inférieur aux 150 000sorties sans qualification habituellementestimées en France. Mais il y a aussitrop peu d’élites, ce qu’on ne soulignepas suffisamment ! Nous estimons leurnombre à 100 000. C’est cette insuffi-sance qui explique la faiblesse de laFrance en matière de recherche et d’in-novation ainsi que la croissance insuf-fisante. Pour remédier à cette situation,ce ne sont pas 80 % d’une classe d’âgequ’il faut amener au niveau du baccalau-réat, mais 90 % ! Surtout si l’on veut – c’estl’objectif affiché – que 50 % d’une classed’âge obtiennent un diplôme du supé-rieur. Le Japon, le Canada et la Coréesont déjà parvenus à ce chiffre, alorsque la France est encore à 38 %.

Mais d’autres domaines posent pro-blème. Celui de la formation des adul-tes, qui est un problème dans un grandnombre de pays. Celui des enfants demigrants. Ou encore, la formation per-manente des enseignants. Il faudraitaussi que, dans les établissements, il yait de vrais managers, disposant d’unegrande marge d’autonomie. Par ailleurs,

le système français devrait changer pro-fondément ses méthodes d’évaluationdes enfants et passer d’une évaluationsommative ou normative à une évalua-tion formative, capable de faire naîtrechez eux une plus forte motivation.N’oublions pas aussi qu’il y a des paysoù les élèves peuvent choisir partielle-ment leurs programmes et donc leursenseignants.

Reste enfin le problème de l’enseigne-ment supérieur. Nos grandes écoles etnos IUT sont d’excellentes choses, maisce n’est pas le cas de nos universités !40 % des étudiants qui y sont inscrits neterminent pas leurs études. Des réfor-mes s’imposent. La croissance écono-mique et le devenir de la France endépendent.

Xavier Darcos : Dans l’ensemble, je suisd’accord avec cette analyse. Il existe detrès forts contrastes dans la réussite denotre système éducatif. Celui-ci scola-rise tous les enfants ; il embrasse toutesles générations, depuis l’âge de troisans, mais il contient une multitude deségrégations qui créent des inégalitésextrêmement importantes. Il y a une sorted’opposition entre la massification etl’équité. Il faut toutefois souligner queles problèmes que l’on dit scolaires sontdes problèmes sociétaux. La meilleurefaçon de réussir à l’école, c’est d’avoirune maman qui a fait des études et quis’occupe de vous !

Par ailleurs, la multiplicité des lieux où l’onenseigne rend nécessaire une réflexionsur leur degré d’autonomie. On ne peutdemander la même chose à tout le mondeet à un petit collège rural de fonctionnercomme un lycée de centre-ville.

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Nous devons également réfléchir à laformation tout au long de la vie, qui estaussi une des grandes missions del’École, et notamment à la nécessité dela formation permanente pour les ensei-gnants. On ne peut pas aujourd’hui avoirun déroulement de carrière qui s’effec-tue à partir du concours de recrutementsans qu’il y ait un retour en formation.Seules les contraintes du métier obli-gent les enseignants à changer, alorsqu’ils devraient le faire de manière natu-relle. Je pense donc que leur statut doitêtre revu.

Autre grand problème, celui de la rela-tion entre la professionnalisation etl’École. C’est là un secteur sur lequelil y a un gros effort à fournir, mais quiporte aussi le poids de l’histoire : lavoie de l’apprentissage coexiste aveccelle des lycées professionnels ettechniques. Nous sommes dans unesorte d’entre-deux que nous n’arrivonspas à régler. Aussi avons-nous desmétiers sans jeunes et des jeunes sansmétier.

La production d’indicateurs comparatifssur les systèmes éducatifs n’aboutit-ellepas, médias aidant, à une logique un peuréductrice de palmarès ? Bernard Hugonnier : Les médias sontévidemment très intéressés par lespalmarès. Ceux-ci permettent de réveillerun peu les consciences et ont, malgréleurs travers, des côtés positifs. Ceciétant dit, les pays qui obtiennent lesmeilleurs résultats ne sont pas forcé-ment ceux qui ont les meilleurs systè-mes éducatifs, je pense notamment à laCorée. Il n’y a pas de corrélation auto-matique entre les résultats et les per-formances.

Je crois que l’on peut distinguer deuxgrands types de système éducatif dansle monde : ceux qui privilégient la concur-rence et ceux qui accordent la prioritéau soutien. Ces derniers fondent leurenseignement sur l’acquisition d’un soclecommun de connaissances et decompétences et ont, en général, faitdisparaître les redoublements et lesdevoirs à la maison. Quand l’enfant sortde l’école, il n’a pas de travail à fairechez lui. Il peut donc se consacrer àdes activités extrascolaires, qui l’aide-ront à développer son ouverture d’espritet à mieux comprendre le sens du tra-vail scolaire. Nous appelons ces systè-mes des systèmes “inclusifs”, parce quec’est dans l’École et l’École seule quel’on doit trouver les moyens de réussir.Les pays nordiques, comme la Finlande,et plus encore le Canada, qui réussità intégrer des publics extrêmement hétérogènes, en offrent les meilleursexemples.

Quant aux systèmes fondés sur laconcurrence que l’on trouve notammentdans les pays d’Asie, comme le Japonou la Corée, le soutien y est principale-ment organisé en dehors de l’école. Ilest donc individualisé au lieu d’êtrecollectif, ce qui fait que ceux qui sontsocialement favorisés peuvent bénéfi-cier des meilleures aides.

Le danger en France, c’est qu’on atendance à aller vers ce dernier système.Ainsi, quantité de leçons et de devoirssont encore donnés à la maison, ce quiincite les parents, qui travaillent de plusen plus ou qui sont dépassés par lescontenus de l’enseignement donné àleurs enfants, à faire appel à du tutorat.Une telle tendance est contraire aux

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principes républicains. L’école républi-caine, en effet, doit donner une éduca-tion de qualité à tous, mais elle doit aussicompenser les handicaps de ceux quine sont pas sur la même ligne de départque les autres. Ceci rejoint la notiond’équité, telle que nous la définissons àl’OCDE : l’équité, c’est un système édu-catif qui donne à chacun la possibilitéd’avoir de bons résultats scolaires. Il fautdonc veiller à empêcher cette dérive“concurrentielle” et revenir à un modèle“inclusif”.

Xavier Darcos : On compare des résul-tats et non des méthodes. On risque ainside détourner l’attention de ce qui estl’objectif principal de l’école. Mais il n’estpas inutile de se comparer. C’est à partirde ces comparaisons que des pays ontentrepris de se modifier.

Bernard Hugonnier : Au début de PISA,il y avait seulement douze pays.Aujourd’hui, non seulement les trentepays membres de l’OCDE y participent,mais cinquante autres pays ont voulu yêtre associés, soit un total de quatre-vingts pays.

La France a-t-elle apporté suffisammentd’attention aux résultats des enquêtesPISA ? Bernard Hugonnier : Cela n’a pastoujours été le cas, mais aujourd’huila réponse est oui. D’ailleurs lesrelations que l’OCDE entretient avecle ministère français de l’Éducationnationale et notamment la directiondes relations extérieures et la direc-tion de l’évaluation, de la prospectiveet de la performance, avec lesquellesnous travaillons principalement, sontexcellentes.

Comment expliquez-vous, malgré un engagement réel de la Francedans la production des indicateursinternationaux, les différends où les polémiques qui se sont parfoisproduits à partir de travaux de l’OCDE(illettrisme, PISA, rapport Schleichersur le processus de Lisbonne…) ? Bernard Hugonnier :Il ne s’agit pas vrai-ment de “différends”. Ceci relève plusd’une attitude générale de l’administra-tion française, qui n’est d’ailleurs paspropre à l’éducation. Je crois que nousavons encore du mal en France à nousinspirer d’exemples étrangers. C’estdommage, car les expériences menéespar d’autres pays peuvent nous appor-ter beaucoup. Bien sûr, elles ne peuventpas toujours être copiées. Certainessolutions adoptées par des pays neseraient pas adéquates en France.

Mais il y a du changement. S’il y a eudans le passé quelques a priori vis-à-visde l’OCDE, on voit bien désormais queles responsables politiques ont comprisl’intérêt présenté par PISA, qui résided’ailleurs non seulement dans les clas-sements qu’il opère mais aussi dans l’a-nalyse des résultats des questionnairescontextuels, qui permettent de mettreen lumière les raisons des performan-ces individuelles des pays. Notons enfinque la France est désormais présentedans quasiment tous les projets del’organisation.

L’OCDE vous semble-t-elle, à traversses analyses et ses recommandations,promouvoir un modèle particulier, en l’occurrence anglo-saxon et libéral,comme certains l’en accusent parfois ? Bernard Hugonnier : On fait souvent cemauvais procès à PISA, que l’on accuse

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d’utiliser un biais méthodologique anglo-saxon. Mais je voudrais faire remarquer,d’une part, que ce sont les paysmemb-res qui proposent les items – personnene les leur impose – et, d’autre part, quetous les pays anglo-saxons n’ont pasd’excellentes performances dans lesenquêtes PISA.

Les bons systèmes sont ceux quipermettent à tous les enfants d’avoirde bons résultats scolaires, c’est direque nous soulignons l’importance del’équité et que nous ne préconisonspas un système élitiste, ni un systèmede masse de qualité moyenne. D’autrepart, l’OCDE ne préconise pas et n’a

jamais préconisé la privatisation del’École.Xavier Darcos : J’approuve tout à faitces propos. Il y a chez nous beaucoupde présupposés idéologiques et une véri-table hantise du milieu syndical. Mettreen concurrence n’est pas entrer dansune logique libérale, mais respecter laresponsabilité.

À cet égard, je voudrais rappeler que laFrance a veillé à ce que l’exceptionculturelle englobe la question scolaire.Quand nous parlons de “service” d’édu-cation, ceci ne fait pas référence au libremarché. Il y a là une bataille lexicalesans objet.

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Existe-t-i l une except ion française enmatière de programme d‘enseignement ?ROGER-FRANÇOIS GAUTHIER, inspecteur général de l’administration de l’Éducationnationale et de la Recherche

L’idée court souvent qu’il y aurait en France, parmi d’autres charmes qui nousdistinguent, une conception et une gestion spécifiques des “programmesd’enseignement”. Le terme même de programme, qui pour les Français semble allerde soi, est d’ailleurs devenu d’autant plus difficile à traduire que ceux de “curricula”et de “standards” ont été adoptés partout, pour désigner bien sûr des réalitésdifférentes.

Un mythe à interroger ?Le sujet de pédagogie comparéequ’est la spécificité des programmesfrançais n’a pourtant fait l’objet que depeu d’études, sans commune mesureavec, par exemple, l’abon-dante litté-rature comparant quantitativement les“résultats” des différents systèmesd’éducation et notamment les compé-tences des élèves à tel ou tel âge ouniveau. La France, plus encore qued’autres États, recevrait même certainesde ces évaluations internationalesavec une distance d’autant plusmarquée qu’elles ne permettraient pré-cisément pas de prendre en compte laspécificité de ses “programmes d’en-seignement”. Le paradoxe est que lesresponsables étrangers nous envient

souvent ce système éducatif, où, seloneux, tous les maîtres enseignent lamême chose à la même heure, tandisque le ministre suit cela de son bureau,mais que, lorsqu’on évoque les fonde-ments juridiques, épistémologiques oupédagogiques des programmes dansune salle des professeurs en France,on constate souvent une relative incer-titude. Plutôt que d’expliciter vérita-blement ces fondements, on fait volon-tiers appel à d’autres mots del’idiosyncrasie éducative française,comme celui de “série” de baccalauréat,de “culture générale”, de “discipline”, de“moyenne”, voire de “redoublement”,etc. Sommes-nous là dans la simpleroutine inconsciente d’une profession, ouau cœur de la signification de l’École

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française ? On l’ignore largement, caril s’agit de sujets sur lesquels il n’estpas habituel, ni peut-être prudent des’aventurer.

Notre démarche, dans un contexte derareté bibliographique, va consisterd’abord à tenter de décrire le phéno-mène. De là, nous remonterons à deséléments d’archéologie, pour dégagerquelque faisceau de significationsprobables de l’objet ainsi délimité. Puisnous en viendrons aux questions dures,en nous demandant si ce concept spé-cifique de programme d’enseignement,tel que nous le connaissons, convientaux défis que rencontre le systèmefrançais d’éducation, défis qui, eux, enrevanche, sont assez communs auxdifférents pays du monde.

La question de savoir s’il existe ou nonen France des raisons véritablementfondées de tenir à quelque “excep-tion” en matière de programmes d’en-seignement n’est pas une questionlégère ! Elle consiste en effet à s’inter-roger sur une spécificité pédagogiquequi a bien entendu une significationd’abord politique et philosophique.Elle consiste en tous les cas à sedemander clairement, pour le cas où laconception française des programmesd’enseignement vaut d’être défendue,illustrée et aussi financée 1, s’il ne fautpas aller plus loin dans sa logique eten améliorer la prise sur le réel, neserait-ce qu’en l’explicitant...

Un jardin à la française qui tolèred’étonnantes zones d’incertitudesUn paradoxe : les programmes d’ensei-gnement constituent un édifice certesétonnamment ordonné et rigoureux,

mais presque sans fondations. Un planque ne renierait pas Le Nôtre, mais surun jardin flottant !

Du côté de la rigueur de la construc-tion, ce sont des choses bien connues :les programmes sont, au moins pour lesecond degré, écrits de façon extrême-ment analytique à l’intérieur d’un planqui est celui même du système éduca-tif national : c’est-à-dire établi par annéed’études et mettant en abscisses lesdifférentes disciplines 2 et en ordonnéesles divers types d’études (les “séries”de baccalauréat, par exemple), ce quisignifie que le système gère en perma-nence plusieurs centaines de program-mes différents. Le plan d’en-semble estarrêté à l’avance : les disciplines 3 etleurs horaires sont là, sans débat à cesujet 4.

Annuels, disciplinaires, nationaux, lesprogrammes français ont surtout cettecaractéristique qu’ils définissent unenorme, non pas “de qualité”, par lafixation de “standards de compé-tences” à acquérir par les élèves, maisde “couverture” par les activités péda-gogiques proposées. Ils représententl’exposé ambitieux d’une sorte d’idéalà atteindre, et dont la poursuite s’im-pose absolument. De fait, l’édifice tientbon et l’on peut dire non seulementque les programmes officiels d’ensei-gnement sont dans l’ensemble “appli-qués”, au moins formellement, maisque les responsables du système par-viennent à gérer régulièrement deschangements de programmes, avecl’information et la formation néces-saires aux professeurs pour apprivoi-ser l’évolution de la norme.La question est alors celle du fondement

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de ce caractère obligatoire, obliga-tion qui vaut aussi bien pour les profes-seurs que pour les élèves. Curieusement,pour une norme aussi impérative et por-tant sur des matières aussi sensibleset à effet à aussi long terme que lessavoirs, l’éducation des jeunes géné-rations et les valeurs, l’organisationdes pouvoirs publics n’a pas retenujusqu’ici que ce fût au législateur,voire à un pouvoir quasi constitution-nel, de la définir 5. C’est, au contraire,à la partie la plus éphémère des pou-voirs publics, à savoir l’exécutif, et àun responsable politique et chef d’ad-ministration, le ministre, que revientla responsabilité “d’arrêter” (du nomde la norme juridique qu’il crée par sasignature) les programmes 6.

Etrange situation où l’abus de pouvoirpourrait s’offrir en permanence ! Laréalité (mais elle ne s’impose fragile-ment qu’autant qu’il n’y a pas enFrance de gouvernement décidé àimposer une idéologie particulière)est qu’en effet les gouvernements onteu régulièrement la sagesse de s’enremettre à des experts, qu’il s’agissed’inspecteurs généraux, d’universi-taires ou d’autres acteurs 7. Mais inter-rogeons-nous : sommes-nous certainsque le recours à l’expert, en substitu-tion du souverain ou de celui qui estresponsable devant lui, soit légitime ?

Nous abordons là le second versantdu paradoxe : ces “programmesd’enseignement”, norme impérative sicaractéristique d’une France qui nesait définir séparément la Républiqueet l’École, sont en réalité une normeétayée à peu de choses. Il n’existe eneffet ni théorie officielle des programmes

d’enseignement à la française, ni statutintellectuel et juridique clair de leurscontenus, ni définition opposable dece qu’il faut entendre par “programmescolaire”, ni méthode pérenne pourleur élaboration, leur évaluation ouleur révision 8, ni procédure de sortiede crise 9 en cas d’impossibilité desexperts de s’entendre sur un projet demodification. En 1992, feu le Conseilnational des programmes avait bienélaboré une “Charte des programmes”,mais, restée relativement confidentielle,celle-ci n’avait pas pesé sur le coursdes choses.

Plus symptomatiquement, si l’on songeaux efforts que fournissent des payscomme la Grande-Bretagne ou leJapon pour créer les conditions d’undébat véritable sur l’équivalent deleurs programmes d’enseignement, ons’étonne qu’en France ce débatn’émerge pas, alors même que cettenorme, pourtant chargée d’une tellefonction symbolique, est régulièrementdécriée et moquée par un certain nom-bre de scientifiques ou de porteursd’opinion. Le thème du “grand débat”sur les programmes, qui viendrait leurdonner une légitimité supérieure, sortede grand soir programmatique où toutserait reconsidéré du point de vue,pour l’occasion assez largement fan-tasmé, du “citoyen”, est souvent repris,mais semble jusqu’ici en France releverplutôt de l’ordre du mythe. L’élaborationdu “socle commun“ par le Haut Conseilde l’Éducation (HCE) et la question de lasoumission éventuelle de ce “socle”au Parlement montrent à quel point, enmatière de programmes, le systèmefrançais se cherche, sous l’apparencede ses certitudes.

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On ne peut pas enfin ne pas soulignercette autre limite étonnante : dans sapratique uniformisatrice, le systèmeéducatif français n’est pas parvenu àtransformer en un ensemble paysagersatisfaisant les programmes des deuxparties de l’enseignement obligatoireque sont l’école primaire et le collège.Ni dans leur présentation, ni dans leuragencement, ils ne sont en effetaujourd’hui harmonisés autrementqu’en surface, et la vérité et l’erreurcontinuent de régner en deçà et au-delà de l’entrée en sixième, presquecomme à l’époque où ces Pyrénéespartageaient des publics qui ne se ren-contraient pas.

Un idéal plutôt qu’un projetFragile selon ces approches partielles,la légitimité des programmes d’ensei-gnement est en fait fondée profondé-ment sur un rapport exceptionnel quel’École prétend instaurer entre lesélèves et les savoirs humains.

L’École française qui, dans l’histoire, àla différence de beaucoup d’autrespays, s’est construite contre l’influ-ence de la religion, vise d’abord uneémancipation des élèves, et uneémancipation s’élaborant avant toutpar le savoir. Non pas un savoir timide,défini par quelque pédagogie cons-tructiviste, mais le savoir triomphantrepris des Lumières par la République.Le savoir éclaire et rayonne en effetdepuis un centre 10, avatar peut-êtred’autres rayonnements concurren-tiels dont on souhaitait que s’estom-pât l’éclat. On comprend mieux lecaractère “octroyé” des programmesainsi mis en place, le caractère volon-tiers “descendant 11“ des pédagogies

chargées de les mettre en œuvre,l’enrôlement de l’État, devenu républi-cain, au service de cette vision épis-témique qui, dès lors, ne fait plus dujardin à la française un accident ouune commodité d’organisation, maisun principe même.

Le principe est là, le contrat scolairefrançais repose sur lui : le prix dusavoir est dans ce savoir, et la résul-tante est alors ce qu’on appelle laculture et le développement person-nel. Dans ce savoir et pas dans seseffets : si l’on vise cette émancipationpar le savoir, en revanche on ne visepas directement les comportements,à la différence des “programmes” bri-tanniques, qui “font la morale”, dansun accord entre l’École et les famillesqui n’est pas dans les traditions fran-çaises 12.

On ne vise pas non plus “l’utilité 13”, etil est assez vraisemblable là que, par-dessus la référence aux Lumières, etavec l’influence dialectique du modèlejésuite, c’est en réalité à l’idéal désin-téressé des savoirs de la Renaissance,inspiré des modèles antiques, que nosprogrammes de 2006 font encore signe.C’est d’ailleurs dans ce cadre de réfé-rence que la notion d’encyclopédisme,aujourd’hui dévalorisée, garde toutesa force, pour désigner précisémentce Grand Tour qu’effectue l’élève entreles différents foyers du savoir, saisis-sant les liens entre eux et construisantsa culture, concrétisation du dévelop-pement personnel 14 qui est l’objectifd’ensemble. Ce parti pris d’indiffé-rence à l’égard de la recherche del’utile a d’ailleurs deux aspects com-plémentaires :

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• l’École, quant aux contenus qu’ellediffuse, n’est pas censée atteindre desobjectifs et ne fabrique pas de“produit” ;• les savoirs mêmes qu’elle dispensene sont pas censés atteindre un résul-tat efficace, et, par exemple, on s’estétonné parfois que l’enseignement dela communication publique (la “rhéto-rique”de l’époque) ait disparu définiti-vement des programmes des lettresquand la République s’est installée.À la logique d’un tel rapport au savoirinscrit dans les programmes, on peutrattacher bien d’autres traits de l’ensei-gnement français :• nous sommes dans une conceptiontrès ambitieuse de l’enseignant : lemaître est un initiateur savant ; c’estde son rapport privilégié au savoir qu’iltient son magistère ; il n’est d’ailleurspas nécessaire de le former lui-même,puisqu’il peut tirer directement sa pra-tique professionnelle de son intimitéau savoir ; • il ne saurait être évalué sur desrésultats, mais seulement par la vérifi-cation connivente, effectuée par unpair, de la qualité de “l’entraînement”qu’il propose à ses élèves ;• cette émancipation peut se réaliserdans le cadre de différents cursus,comme les différentes séries debaccalauréat. Mais peu importe aufond le flacon : la fréquentation dessavoirs, quels qu’ils soient, est en soi cequi importe, et le génie du baccalauréatfrançais est bien traditionnellement den’anticiper sur aucune poursuite ulté-rieure d’études ;• puisqu’il s’agit de prouver qu’on aatteint au fond une certaine qualitéd’émancipation par le savoir, unecertaine culture humaine, on peut

administrer cette preuve de façonglobalisée, et on comprend alorspourquoi ce système peut faire repo-ser “l’avancement” annuel des élèvesou le succès aux examens sur le calculd’une note “moyenne 15”.

La conception des programmes serattache donc aux valeurs centralesde l’École française : il s’agit bien d’unidéal et non d’un projet, au sens tech-nique. Si la confrontation de l’idéal auréel est une ironie classique del’histoire, elle ne porte pas atteinte à lagrandeur de l’idéal.

La confrontation délicate à la réalitédes jeux sociaux Si un tel idéal d’enseignement et d’ap-prentissage influe aujourd’hui encoreen permanence sur les attitudes desacteurs, la conception française desprogrammes est confrontée à la fois àun certain nombre de dérives et à uncertain nombre de remises en cause.

À partir du moment, en effet, où lasociété accorda aux diplômes sco-laires non pas seulement la tâche deconfirmer les hiérarchies sociales,mais aussi, pour une part non néglige-able, celle de les fabriquer, lesprogrammes ont pâti de l’introductionde l’esprit de compétition au cœurd’un ensemble qui n’avait pas cettefinalité. Le Tour encyclopédiste et dés-intéressé entre disciplines égaless’est mué en un ensemble de straté-gies individuelles et familiales entredes matières et des “séries” dont onappréciait désormais plus le coeffi-cient ou la valeur sociale symboliqueque l’apport en termes de savoir etd’émancipation.

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Une dériveutilitariste“ “

On assista dès lors à une dérive utilita-riste, non pas au sens d’une prioritéqui serait donnée aux savoirs del’action, mais à celui d’une hyper valo-risation de disciplines qui étaient cen-sées favoriser des “processus men-taux” ; le règne, selon les époques, desmathématiques, du latin ou de l’alle-mand eut ce caractère commun etrelativement dévoyé de mettre l’accentsur l’apport de ces apprentissages entermes de “raisonnement”.

C’est tout l’édifice qui s’en trouvaitébranlé. Et, de fait, se posèrent avecacuité des problèmes de dérive for-melle des programmes qui, malheu-reusement, ne tenaient plus leur pro-messe de culture. Les savoirs furentde moins en moins recherchés indé-pendamment de stratégies, les disci-plines désormais mises en hiérar-chie s’opposèrent férocement et lavaleur d’encyclopédisme gratuit seperdit. Les essais de la dernièredécennie, en termes de “travaux” ou“d’itinéraires” (TPE 16, IDD, etc.), ontbien tenté de redonner leur chance àla curiosité intellectuelle et auxliens“encyclopédistes”. Mais préci-sément, cette prothèse fournie à desenseignements, qui par eux-mêmesn’apportaient plus cette nourriture,montre quelle avait été la gravité desévolutions 17.

Au titre des dérives, il faudrait sedemander aussi dans quelle mesure laconception française des program-mes, dont la finalité est plus le déve-loppement personnel de l’élève quel’acquisition de connaissances et decompétences précises, n’a pas para-doxalement encouragé, dans une

période de massification des effectifs,l’état de relative indifférence auxacquis des élèves qui paraît êtreaujourd’hui au cœur des symptômesdes difficultés de l’École 18 ?

Il y eut aussi de toute évidence unproblème d’accord sur les termes ducontrat scolaire, à la fois parce qu’ondemanda soudain beaucoup plus for-tement à l’École de s’impliquer enmatière “d’éducation“ et parce qu’aumême moment les élèves furent sou-dain nombreux à démentir, par“l’échec scolaire”, le “décrochage”ou le manque de motivation, les certi-tudes des Lumières.

On assista alors à la multiplicationde textes officiels d’injonctionsprogrammatiques, mais qui n’étaientpas des programmes et traitaient de“l’éducation civique”, “de l’éduca-tion à la santé”, ou encore “à l’envi-ronnement”, etc. On vit aussi ledéveloppement de la fonction de“vie scolaire” dans les lycées etcollèges, spécificité française symé-trique de celle des programmes 19,dont la conception même, en figeantla séparation éducation/instructionsi préjudiciable à nos établisse-ments, contrevient à l’ancien idéalprogrammatique.

De la même façon, les programmescontinuaient d’affirmer officiellementqu’ils s’appliquaient partout à l’iden-tique, alors qu’il était criant qu’en cer-taines zones, ils se territorialisaient defait, non pas pour répondre à quelqueaspiration autonomiste – ce qu’on putimaginer un temps – mais parce quel’extrême disparité des contextes

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sociaux qui se développait depuis lemilieu des années soixante-dix n’avaitpas été prévue dans le schéma initialde l’École républicaine.

L’émergence de la notion de “soclecommun de connaissances et de com-pétences” en fin de scolarité obliga-toire, dans la loi d’orientation et deprogramme pour l’avenir de l’École du23 avril 2005, tente de répondre enpartie à ces difficultés, mais la normequ’elle constitue est pour la premièrefois totalement étrangère à la notionde programme d’enseignement. Laquestion est de savoir si, sans révisiondu paradigme préexistant, les deuxlogiques vont entrer en synergie oubien se concurrencer de façon peut-être dommageable à la cohérence del’ensemble.

Faut-il sauver les programmes “à la française” ?Il n’est pas sans intérêt de sedemander ce que valent les solutionsdes autres. Le débat pourrait portersur les notions de “curriculum” et de“compétences”, qui connaissent uneréelle fortune internationale depuisune quinzaine d’années. Y aurait-ilquelque intérêt pour le systèmefrançais à faire place à ces notions ?Signifieraient-elles un abandon dumodèle français ou bien peuvent-elles,dans le cadre de ce modèle, être por-teuses d’améliorations possibles ?Il faut en effet se demander si la fortunede la notion de “curriculum”, n’est passusceptible de répondre, sur un certainnombre de points, aux difficultés ren-contrées par les systèmes d’éducation,confrontés partout aux mêmes contrain-tes. Il s’agit en effet, de façon réaliste,

d’intégrer ce fait que l’acte d’éducation,pour réussir, ne demande pas seulementla prescription étroite de “contenus”,mais l’attention à un ensemble de procé-dures trop souvent jusqu’ici tenues dansl’implicite : les objectifs de telle matièreou de tel groupe de matières sont-ilsclairs ? Modulables ? Quels sont lesliens avec les autres parties du curricu-lum, les autres niveaux et les autres dis-ciplines ? Quels sont les prérequis ?Quels sont les travaux requis desélèves ? Quelle en sera l’évaluation ?Existe-t-il une partie en tous les cas exi-gible ? Quels doivent être les outils del’élève ? Quel est le référentiel de la for-mation des maîtres pour mettre enœuvre le curriculum ? Quelle pourraitêtre la nature de l’aide extérieure utile àl’élève ? Quelle sera l’évaluation du cur-riculum lui-même ? Quelles sont les pra-tiques de classe et la culture scolaire(activités scolaires en dehors de la clas-se) qui conviennent le mieux à la miseen œuvre du curriculum 20 ?

Outre sa globalité d’approche, la notionde curriculum a ceci d’intéressantqu’elle implique toujours une élabora-tion partielle au niveau de l’établisse-ment. En France, entre l’élaborationnationale et la programmation dans laclasse, il n’existe pas véritablement dematière pédagogique à négocier et àdécider au niveau de l’établissement.Les dérives locales sont alors sansgarde-fou.

Le débat européen et mondial sur lesprogrammes par compétences sem-ble, quant à lui, pouvoir faire naître devraies guerres de religion, pour peuqu’on n’ait pas réfléchi à ce dont ils’agit véritablement. Il est vrai qu’il

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risque d’y avoir des dérives à courtevue des programmes d’enseignementévalués par des tests bon marché quipeuvent temporairement plaire à desidéologues du marché scolaire. Mais ilest vrai aussi que les contenusfrançais ne peuvent pas rester aussifermés aux savoirs de l’action et aux“compétences pour vivre” 21 qu’ils lesont aujourd’hui 22 : Or les analyses desdernières années 23 montrent qu’il n’y apas lieu de redouter en soi l’ouvertureaux com-pétences, parce qu’existe enfait une complicité indéfectible entrecompétences (autres que de premierniveau) et connaissances, et que, dansl’autre sens, connaître ne peut êtreautre chose que “s’y connaître”. Cen’est qu’abusivement que les savoirsde la vie et de l’action (“life skills”)sont écartés en France, parce qu’ils

sont interprétés de façon réductricecomme essentiellement asservis auxseules exigences du marché.

Le spectacle de la scène du monde nefaisant pas paraître de modèle de sub-stitution plausible, il n’est peut-êtrepas temps du tout d’abandonner lemodèle français des programmesd’enseignement. En revanche, il paraîtnécessaire à la fois de lui redonnerforce en le reformulant à l’usage detous et de l’ouvrir sans intégrisme àdeux évolutions : mettre en place deslogiques curriculaires qui viennentrefonder l’ensemble du travail sur lescontenus, notamment dans les établis-sements, et ouvrir résolument lescontenus de l’enseignement généralaux savoirs et aux compétences del’action. Adapter n’est pas renoncer.

> 1 On peut ici faire l’hypothèse qu’une partie du surcoût français de l’enseignement secondaire, constaté en référence aux autres pays aussi bien qu’aux autres niveaux d’enseignement en France même,est à mettre en rapport avec la conception en vigueur des programmes et notamment avec la multiplicité des disciplines et choix offerts

> 2 Si l’architecte d’ensemble a effectivement à porter cette large perspective, l’ensemble est d’ailleurs plutôt économe en nombre de programmes fabriqués, puisque bien sûr les mêmes programmes valent pour tout le territoire national (en Angleterre, pour un même lycée, selon à quel centre indépendantd’examens l’établissement est affilié, ce sont pour une même discipline plusieurs “programmes” différents qui sont en usage).

> 3 La comparaison internationale montre qu’il semble souvent plus facile qu’en France de faire évoluer le périmètre des disciplines : la création, dans les années soixante, des sciences économiques et socialesa sanctionné par exemple l’incapacité de l’histoire-géographie à reconsidérer son périmètre.

> 4 Voir dans R.F. Gauthier, Querelles d’école, pour une politique des contenus d’enseignement (Hatier, 1987) le rappel pour les années quatre-vingt du caractère chronologiquement second, quand l’ensemble d’une réforme était décidé, du travail d’élaboration des programmes, qui donnait l’impression de “cases à remplir” : les choses ont-elles beaucoup changé ?

> 5 Rappelons que dans des pays à “programmes” centralisés, au moins en partie, comme l’Italie ou le Japon, c’est le législateur qui joue ce rôle, ce qui peut aussi avoir comme conséquence une plus grande difficultéà modifier la norme.

> 6 Ce fut d’ailleurs le sens d’une réponse paradoxale mais logique que l’administration adressa à ceux qui s’indignaient de voir le législateur intervenir sur le traitement de la colonisation française dans les programmes : “Pas d’inquiétude, disait en substance le communiqué, le législateur n’a pas

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compétence en la matière !”. C’était donc à l’exécutif d’être le meilleur protecteur des libertés académiques ! Etrange conception !

> 7 La commission Bourdieu/Gros, ou bien le rapport de Roger Fauroux sont quelques exemples de ces expertises.

> 8 On se reportera, pour l’histoire des valses hésitations institutionnelles en ce domaine à : Dominique Raulin, Les programmes d’enseignement, des disciplines souveraines au socle commun, Retz, 2006.

> 9 On pourra se reporter par exemple à l’épisode de la révision des programmes de philosophie en 2000-2001.

> 10 Et, classiquement, on recherche à localiser ce centre, ce programme qui gouvernerait les autres, et on sait quelle force symbolique est par exemple celle des programmes d’entrée dans certaines grandes écoles, ou des agrégations. On sait aussi que la déclinaison des programmes des collèges à partir de ceux de l’enseignement général des lycées est une réalité résistante et que la France précisément n’a pas su inventer d’école moyenne authentique. On peut dès lors comprendre mieux pourquoi l’enseignement primaire a cru bon de se protéger de la conception relativement totalitaire des savoirs du second degré.

> 11 Comment reprocher comme on le fait parfois aux maîtres de ce pays de pratiquer des pédagogies “descendantes”, alors qu’ils ne font que prolonger vers leurs élèves le rayon que leur adressent la République et la Science en les chargeant d’enseigner les programmes !

> 12 Quand Margaret Thatcher a lancé ce paradoxe qu’a été le “National Curriculum”, en 1987, l’idée était aussi morale, d’un retour aux vraies valeurs, et aux trois “R” des fondamentaux scolaires (Reading, wRiting, aRithmetics), l’idée était d’adjoindre Religion, Right et wRong.

> 13 À cet égard, l’article ne traite pas le cas de l’enseignement technologique et surtout professionnel, qui est sur une logique de référentiels d’activités professionnelles et de formation : ces référentiels sont bien sûr tournés d’abord vers la recherche des utilités. L’interrogation, au plan international, sur la “convergence” des compétences générales et professionnelles interpelle à l’évidence les divisions traditionnelles françaises.

> 14 À cet égard, une comparaison des programmes entre la France et l’Afrique du Sud d’après l’apartheid, qu’on trouvera dans Les contenus d’enseignement en question, histoire et actualité, dirigé par AndréRobert, Coll. Documents, actes et rapports CRDP de Bretagne, montre contrastivement comment, dans les programmes d’AdS le développement personnel “n’apparaît pas comme une fin en soi, mais comme la condition de maîtrise du monde” et en quoi “on met d’avantage l’accent sur l’action et la maîtrise du monde que sur la contemplation”.

> 15 Ce n’est qu’aujourd’hui, en payant tribut aux démons quantophrènes, qu’on en vient à récuser la “dictature de la moyenne”, cf. Les acquis des élèves, pierre de touche de la valeur de l’école ?IGEN/IGAENR 2005.

> 16 Travaux personnels encadrés, itinéraires de découverte.

> 17 La didactique individualisée des disciplines, qui depuis lors fleurit, n’est-elle pas aussi le symptôme de l’éloignement du modèle ?

> 18 Voir rapport cité en note 15.

> 19 Dit trivialement, en beaucoup de pays, les professeurs n’ont pas une mission aussi haute qu’elle puisse les empêcher de surveiller la cour et la cantine !

> 20 La notion de “curriculum” qu’on trouve en beaucoup de pays n’a pas grand-chose à voir avec le sens que le mot revêt en Angleterre quand on parle du “National curriculum”, qui consiste à acclimater, avec un certain succès d’ailleurs, un jardin à la française dans le Kent…

> 21 On pense ici à ce que la vulgate internationale désigne sous le nom de “life skills”.

> 22 Il n’y a guère, dans l’enseignement obligatoire, que la technologie au collège qui soit ouverte à ces préoccupations : on sait aussi que son statut symbolique n’est pas très élevé, sauf… auprès des élèves.

> 23 On pense aux travaux de Michel Fabre ou de Bernard Rey (Université libre de Bruxelles).

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L‘école maternel le , un modèle quasi mythique ?VIVIANE BOUYSSE, inspectrice générale de l’Éducation nationale

Il n’est pas d’enquête sur l’opinion des Français vis-à-vis de leur École qui n’atteste unréel attachement à l’école maternelle. Pourtant, les doutes quant à sa qualité ont succédéaux certitudes : pour les uns, la “maternelle” n’est pas assez école, pour d’autres ellene l’est que trop. Pour les observateurs étrangers, si la curiosité demeure, les interrogationsne sont plus rares, en particulier parmi les spécialistes de la petite enfance qui n’ontpas pour seuls critères de qualité ceux qui concernent l’efficacité scolaire.

L’institution école maternelleC’est le décret du 2 août 1881 qui, repre-nant une appellation proposée en 1848,a donné le nom d’école maternelle à lasalle d’asile, à l’origine institution debienfaisance à vocation de gardien-nage, de moralisation et de premièreinstruction, qui l’avait précédée d’undemi-siècle.

> Des caractéristiques dont lasomme constitue une synthèseoriginaleDepuis la Troisième République, l’écolematernelle se singularise parmi les insti-tutions d’accueil et d’éducation de lapetite enfance par un ensemble decaractères qu’elle est la seule au mondeà présenter en totalité :

• elle est gratuite pour les familles etouverte à tous les enfants, que lesparents travaillent ou non 1 ; • elle couvre l’ensemble du territoire,après son développement en milieurural depuis les années 1960 ; on le doitau fait qu’elle ne relève pas de la(seule) compétence des autorités loca-les comme nombre d’institutions étran-gères ;• elle est intégrée au service publicd’éducation ; dans beaucoup de paysétrangers, les structures analoguessont sous la tutelle des ministèreschargés de la Famille ou des Affairessociales le plus souvent, de la Santéparfois, quand elles relèvent de l’inter-vention de l’État ;• depuis 1881, elle accueille de droit les

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enfants de 2 à 6 ans. Bien que nonobligatoire, elle est fréquentée parprès de 100 % des 3-6 ans et par uneproportion d’enfants de 2 à 3 ans quioscille depuis 25 ans entre 35 et 25 %en moyenne nationale. Cela ne satis-fait pas la demande qui est nettementsupérieure. Dans de nombreux pays,quand elle existe, l’école maternellecommence plus tard (4 ans) ; • elle est laïque pour l’essentiel et lesecteur privé est presque essentielle-ment confessionnel. Dans d’autrespays, les “jardins d’enfants” ou équi-valents peuvent être créés et géréspar les communes ou des associationsou personnes privées ; • depuis la loi du 30 octobre 1886, elle estpartie intégrante de l’école primaire dontelle constitue aujourd’hui le premiercycle. Elle fonctionne selon les mêmesdispositions que l’école élémentaire(réglementation, calendrier et horaires,rôle des parents, partage de compéten-ces entre État et collectivités territoria-les, etc.) et bénéficie des mêmesressources (personnels spécialisés,etc.). Conséquence de cette situation, leratio adulte-enfants est en moyennemoins favorable que dans d’autres pays ; • elle vise à “faire apprendre” selon unprogramme national intégré à celui del’école primaire, même s’il se distinguepar sa structuration en domainesd’activités et par la pédagogie préco-nisée. En ce sens, elle se différenciedes institutions qui, à l’étranger, ont enpriorité une vocation sociale ;• elle est confiée à des enseignants quiont le même statut, le même niveau dequalification et de rémunération, lamême formation, les mêmes perspecti-ves de carrière que leurs homologuesde l’école élémentaire ; ces acquis

datent de 1921, le recrutement, la for-mation, la carrière et les obligationsétant auparavant différents. Ces ensei-gnants sont assistés par un personnelcommunal, ce qui est original pour l’é-cole primaire. À l’étranger, la parité detraitement et de formation des ensei-gnants des jeunes enfants avec leurshomologues est très rare quand les“éducateurs” sont des pédagogues,ce qui est loin d’être général 2 ; ladiversité de statut des intervenants estfréquente ; • elle est encadrée par les mêmesinspecteurs, hommes ou femmes, quel’école élémentaire depuis 1972, alorsqu’elle avait eu “ses” inspectricesdépartementales recrutées par unconcours spécifique et formées demanière particulière jusqu’à cettedate. Elle relève des circonscriptionsterritoriales dont sont chargés cesinspecteurs, et non d’une circonscrip-tion spécifique depuis 1989.Elle éclipse, dans les représentationscommunes, les autres structures qui ontvocation à accueillir la petite enfance(les crèches, les haltes-garderies, lesjardins d’enfants, les établissementsmulti-accueil, etc.) et qui se caracté-risent par la diversité de leurs respon-sables et de leur gestion, par leur coûtpour les usagers et parfois des règlesd’accès qui excluent certaines familles,par l’inégalité de leur implantationterritoriale, par la diversité des formationsdes personnels qui interviennent. L’école maternelle ne se distingue pastoujours de ces autres structures par lesmodalités d’intervention auprès desenfants ; les comparaisons entre ladernière année à la crèche et la pre-mière année d’école maternelle entémoignent 3.

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> La fausse stabilité du modèleAlors même que la réglementation a peuévolué depuis la Troisième République,le paysage de l’école maternelle a consi-dérablement changé.Les effectifs ont connu un essorextraordinaire depuis 1950 ; environ40 % des enfants de 2 à 5 ans allaientà l’école à cette date, surtout dans lesvilles et les gros bourgs et dans laFrance industrielle. Ils étaient 70 % en1972, mieux répartis sur tout leterritoire, après l’essor des écolesmaternelles en ville et des classesenfantines en campagne. Ce mouve-ment témoigne d’abord d’une modifi-cation fondamentale des modes de vieet du statut de l’enfant. “Avant d’êtreune politique, la maternelle pour tousest une transformation des mœurs” ditAntoine Prost 4. Il faut y voir l’influencede l’urbanisation qui induit un chan-gement de vie au-delà du changementde résidence, les conséquences del’essor du travail féminin salarié et leseffets de la valorisation de l’écolematernelle pour elle-même.Dès 1965, l’efficacité de l’école mater-nelle pour la prévention de l’échecscolaire est mise en évidence par desstatistiques relatives au redoublementau cours préparatoire ; ces donnéesrévèlent qu’il n’est que de 7,9 % pourles élèves qui ont effectué trois annéesde maternelle alors qu’il est de 13,8 %pour ceux qui l’ont fréquentée un an etde 18,8 % pour ceux qui n’y sont jamaisallés. Dès lors, l’expansion de l’écolematernelle est programmée. Les objec-tifs prévus par le cinquième plan(accueil de 95 % des enfants de 4 ans,de 80 % des enfants de 3 ans et de 50 %des enfants de 2 ans en 1970) n’ont pasété atteints avant le milieu de la décen-

nie 1970. Le septième plan a révisé à labaisse l’objectif de scolarisation pourles enfants de deux ans (45 % en 1980),objectif jamais atteint.Cette extension de la scolarisationprécoce, de manière continue de 1945aux années 1990, est propre à la France.Elle concerne les différentes classesd’âge, alors que les écoles maternelleset les classes enfantines avaient sur-tout accueilli les plus grands jusqu’à laseconde guerre mondiale. Elle touchetoutes les catégories de la population,les familles les plus favorisées ayantcommencé à inscrire leurs enfants àl’école maternelle dans les années 1960. Les objectifs quantitatifs de dévelop-pement étant quasiment atteints à la findes années 1980, la loi d’orientation surl’éducation de 1989 a pu pousser l’inté-gration de l’école maternelle à l’école pri-maire à son maximum ; elle en a fait enquelque sorte son premier cycle. Si tousles enfants ont une scolarisation pré-élé-mentaire régulière, ce qui est acquisaujourd’hui au moins pour ceux de 4 anset plus, alors la continuité des appren-tissages peut être recherchée et la pré-paration à la scolarisation élémentairedevenir une finalité essentielle sans êtreinéquitable. Cette dimension propédeu-tique de l’école maternelle, plus forte quejamais, induit une évolution pédagogiquequi pose de nouveaux problèmes.

Faire apprendre sans ennuyer, ni contraindre 5

Il est peu probable que la pédagogiepropre à l’école maternelle, telle quedéfinie dès son origine, ait été mise enœuvre. On ne doit pas s’en étonner, carcette école et sa pédagogie valaientdans les textes pour un cursus deplusieurs années qui ne s’est réalisé que

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récemment. À partir des années 1960et surtout dans la décennie 1970, ellea acquis une forme originale et prisalors valeur emblématique, valorisantl’expression de l’enfant sous toutesses formes. Elle a connu de profondsbouleversements depuis vingt ans pourles raisons évoquées précédemment.

> Un héritage encombrant Pour l’école maternelle, le double héri-tage dont elle procède – salle d’asile etécole primaire – constitue plus unrepoussoir qu’un modèle. Établie sousl’influence d’inspectrices générales desécoles maternelles, militantes de lapetite enfance et curieuses des modè-les étrangers, sa pédagogie sedémarque d’abord de la méthodeemployée dans les salles d’asile, pro-che du dressage collectif et sousinfluence religieuse. C’est tout à la fois l’immobilité, le silence,le programme ambitieux et inaccessible,le recours immodéré à la répétition et àla mémorisation sans compréhension,les “leçons de choses sans choses”,l’absence de bases concrètes du calcul,la cacophonie sur des chansons ou descantiques inintelligibles, l’abus des défi-nitions en tous domaines que dénoncePauline Kergomard, inspectrice géné-rale à partir de 1881. Sous son autorité,les contenus et les pratiques pédago-giques sont modifiés pour que l’écolematernelle ne soit ni “la petite caserne”,ni “la petite Sorbonne” qu’était à sesyeux la salle d’asile. C’est elle quiesquisse la méthode française – lemodèle français – visant une éducationglobale, “physique, morale et intellec-tuelle”, avec des moyens adaptés auxbesoins des jeunes enfants. Celas’entend avec une place particulière

réservée aux activités physiques et sen-sorielles et au jeu, “le travail de l’enfant”.L’école maternelle est alors dotée d’unprogramme qui mime celui de l’écoleprimaire ; le rapprochement avec l’écoleélémentaire constitue une valorisationsymbolique (service public, laïcité,gratuité) par rapport à la situation dessalles d’asile. Entre 1881 et 1921, diverstextes allègent le programme initial (dès1887, l’apprentissage de la lecture, del’écriture et du calcul ne concerne plusque la grande section et les exercicesse substituent aux leçons) et condamnentles abus d’une pédagogie de l’écoleélémentaire traditionnelle trop souventtransposée dans les classes maternelles,alors que “l’école maternelle n’est pasune école au sens ordinaire du mot”.

> Un équilibre toujours instable,entre séparation et alignement avec l’école élémentaireDurant plus de cinquante ans, aucun texten’a précisé ni rectifié le programme de1921. D’abondantes archives photogra-phiques attestent que la classe maternelle,qui accueille surtout des enfants de 5 ans,parfois de 4 ans, ressemble fort à uneclasse élémentaire avant 1950. Il fautattendre les années d’après-guerre pourque des aménagements importants soientapportés dans les locaux, dans le maté-riel, dans le style pédagogique.La place du jeu éducatif se développealors de façon spectaculaire, comme dansles milieux favorisés, les idées neuves surle développement de l’enfant ayantconvaincu de l’importance des stimulationsprécoces. Le jeu éducatif, en favorisant lacuriosité et les expérimentations, en per-mettant des essais et des erreurs, fait del’enfant le premier agent de son éduca-tion. Néanmoins, par le matériel qu’il pro-

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La confirmationdu statut scolaire de l’école maternelle “

pose, par les contraintes qu’il comporte,il n’autorise pas n’importe quoi : le jeuéducatif est “une solution douce àl’antinomie freudienne : entrer dans desrègles et satisfaire au principe de plaisir 6“,et en ce sens bien adapté en maternelle.La vulgarisation de la psychologie del’enfant, le climat général de rénovationpédagogique, tout concourt à un viragedans les années 1970. L’école mater-nelle est la première institution scolaireà s’approprier vraiment les méthodesactives ; le problème épistémologiquede la continuité entre expérience etconnaissance constituée ne se posepas de manière cruciale pour elle quin’a pas un programme académique.Diverses recherches soulignent l’im-portance prise alors par une pédago-gie de l’expression, qui supplante lemodèle de la “productivité” appliquéantérieurement 7. L’enfant est perçu àla fois comme “créateur artistique etapprenti-intellectuel” 8, dans une pé-riode où de nouvelles références cul-turelles conduisent à porter un regardpositif sur ses productions : “Picasso,la théorie des ensembles, la linguistique,la poésie moderne… sont des condi-tions de cette reconnaissance pleinede l’enfant comme créateur parce qu’ilsdonnent des modèles de perception desproductions enfantines comme inven-tions artistiques ou logiques” 9.En 1977, une circulaire définit de nou-velles orientations – et non plus unprogramme – pour l’école maternelledont le triple rôle est réaffirmé : “édu-catif, propédeutique et de gardien-nage”, dernière occurrence pour ceterme qui sera banni. Ce texte aban-donne la présentation traditionnelledes contenus pour l’organiser selonles grandes fonctions dont l’école

maternelle doit accompagner ledéveloppement : affectivité, motricité,langage, développement cognitif. C’estaussi en 1977 que paraît la premièrecirculaire en faveur de la continuité entregrande section et cours préparatoire,de plus en plus séparés (lieu, contenuset style pédagogique). Les textes à vocation pédagogique quise sont succédé de manière rappro-chée 10 après le grand silence d’undemi-siècle sont tous marqués par laconfirmation du statut scolaire del’école maternelle et de sa vocation àfaire apprendre. Cette option est justi-fiée par la volonté de prévenir l’échecscolaire, dans un contexte de massifi-cation de la scolarisation pré-élémentaire. S’il n’y est plus questiond’exercices, mais d’activités, les domai-nes qui organisent le programme sontclairement les précurseurs des champsdisciplinaires ultérieurs. Pour la pre-mière fois en 2002, la priorité est donnéeau langage (et non plus à la socialisa-tion ou au mouvement), les différencesdans ce domaine étant les plus discri-minantes pour les perspectives deréussite scolaire ultérieure ; si l’écolematernelle a une portée préventive del’échec scolaire, c’est par sa capacitéà faire acquérir à tous ses élèves unlangage oral structuré et précis et unepremière familiarisation avec la cul-ture et la langue de l’écrit. Mais cetteprééminence n’exclut en aucunemanière les autres domaines d’activi-tés propres à enrichir le développement– et le langage – des enfants et à leurfaire vivre des relations au monde selondes modes variés (sensible, corporel,social, symbolique, cognitif, technique,esthétique).Ces changements ont été accompagnés

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depuis un demi-siècle par une évolu-tion des métiers de l’école maternelledont plusieurs signes méritent d’êtresoulignés :• l’institutrice s’est dégagée du modèlede “la mère intelligente et dévouée“ et,à l’inverse, dans les années 1970, c’estl’institutrice d’école maternelle quifournit à la mère de famille un modèleéducatif. La “requalification du travailmaternel”, la “quasi-professionnali-sation du travail pédagogique de lamère” 11 doivent au modèle de l’institu-trice autant qu’au développement desétudes supérieures des filles. Cetteévolution essentielle dans les milieuxculturellement favorisés a induit unedistance croissante entre l’école mater-nelle et les milieux populaires ou défa-vorisés, qui n’ont pas les mêmesconceptions éducatives (non perceptiondu sérieux qui se loge dans le ludique,place de l’autorité et nature des échan-ges langagiers, etc.) ; • le modèle de l’enseignant profession-nel l’emporte quand on admet des hom-mes à l’école maternelle, d’abord dansl’inspection (1972) puis chez les ensei-gnants (1977) ;• les agents territoriaux spécialisés desécoles maternelles ont également vuleur emploi évoluer ; leur qualificationest référée à un diplôme (CAP petiteenfance).La professionnalisation des ensei-gnants de l’école maternelle constitueun problème récurrent. Alors que larecherche s’attache à déterminer desconditions didactiques et pédagogiquesfavorables aux premiers apprentissa-ges dans le respect du développementde l’enfant, la formation professionnellespécifique reste très insuffisante, etpas seulement pour la prise en charge

des plus jeunes élèves.L’école maternelle a-t-elle encorevaleur d’exemple ? L’école maternelle s’est banalisée. Elles’est généralisée et a perdu pour unegrande part son originalité, les institutionsde la petite enfance et l’école élémentairelui ayant beaucoup emprunté, comme elle-même a pu s’approprier certaines de leursmanières de faire. Elle fait l’objet d’analy-ses divergentes : d’aucuns trouvent qu’elles’est trop éloignée de sa matrice initiale,d’autres jugent qu’elle n’a pas l’efficacitéque l’on pourrait escompter. Une institu-tion qui n’est plus sûre d’elle-même peut-elle s’offrir comme modèle ?

> Une image qui a évoluéLes institutions d’accueil de la petiteenfance se sont développées partoutdans le monde pour deux motifs essen-tiels. La scolarisation précoce est unesolution possible en matière d’accueil etde garde des jeunes enfants pour les paysqui ont une doublé visée : une meilleureconciliation entre vie familiale et vie pro-fessionnelle alors que se développe letravail féminin, et un relèvement du tauxde natalité. L’intérêt d’apports culturelset langagiers pour les très jeunes enfantsissus des milieux défavorisés n’étant plusà démontrer, elle est aussi une des dimen-sions privilégiées dans la recherche d’uneplus grande équité. Divers pays indus-trialisés s’engagent dans l’extensionvers l’amont de la scolarité obligatoire,ce mouvement confortant le choixfrançais d’une continuité entre mater-nelle et élémentaire. Les comparaisons se développent, auniveau européen, au sein de l’OCDE 12,dans le cadre d’associations d’univer-sitaires qui ont fait de la petite enfanceleur objet de travail. Les analyses sont

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souvent sévères : on nous reproche uneconception de l’efficacité dans laquellele temps de l’enfance, de la gratuité desactivités et du jeu, se trouve abusive-ment réduit, et les besoins prioritairesdes enfants – pas seulement les pluspetits – ignorés. L’école maternellefrançaise serait obsédée par la pro-ductivité, envahie par l’évaluation, har-celée par une entrée trop précoce dansl’écrit, ignorante des cultures propresdes enfants, insuffisamment accueillanteaux parents.On retrouve des antagonismes anciensentre des conceptions éducatives ; il ya plus d’un siècle, le système éducatiffrançais faisant un choix volontariste enfaveur de la moralisation et de l’ins-truction précoce n’a pas fait sienne lamétaphore horticole du jardin d’enfants,“constante de tous les courants péda-gogiques qui ont opposé le lieu commundu vivant à faire (ou laisser) croître, aulieu commun du “produit” (mécanique,mais le plus souvent social) à façon-ner” 13. Aujourd’hui, si on file la méta-phore, les critiques nous accuseraientde faire de la culture hors sol, de valo-riser la précocité et de rechercher lerendement : toujours plus vite, trop vite,trop tôt, disent-ils…“ Se garder toujoursde faire produire à leur intelligence desfruits hâtifs”, recommandait déjà PaulineKergomard 14. Sans doute ne devons-nous pas rester sourds à ces critiques.

> Une évolution sous tension Le contexte social, les évolutions de lafamille et des conceptions éducatives ausein de celle-ci placent l’école maternelledevant un nouveau modèle d’enfant.L’affaiblissement des relations par le lan-gage affectant l’accès à la symbolisation,l’omniprésence de l’image modifiant

profondément les fondements de l’imagi-naire enfantin, la limitation du mouvement,l’abandon des relations d’autorité, de tousces éléments parmi d’autres, l’école mater-nelle constate aujourd’hui les effets. Ons’inquiète de l’instabilité 15, de l’agressivitévoire de la violence de nos plus jeunesélèves. On demande à la maternelle deprévenir des maux plus graves ultérieurs ;on lui propose des tests pour détecter lessignes précurseurs des troubles desapprentissages, demain peut-être destroubles du comportement. Au nom de laprévention, l’enfant doit-il être entièrementparamétré dès sa quatrième année ? Des parents demandent un temps d’accueilquotidien de plus long en plus long etcondamnent ainsi leurs enfants à des jour-nées plus lourdes que les leurs. D’autres,et parfois les mêmes, demandent les preu-ves d’un travail que les programmes leursemblent annoncer, les textes officielsétant parfois mal compris. Un certainnombre de familles attendent les signesannonciateurs d’une réussite scolaire dèsla maternelle, leur petit devant faire lapreuve que l’investissement symboliquedont il est l’objet est justifié 16. Des preuves,l’école peut en fournir avec des fichiersqui se multiplient, des exercices qui n’ontd’intérêt ni éducatif, ni cognitif ; on voit destraces, y a-t-il des apprentissages ?Les gestionnaires réclament de l’efficacité,mais sait-on la mesurer ? La fréquentationétant ce qu’elle est, il n’est plus possible defaire valoir ce qu’apporte l’école maternelleen comparant les carrières scolaires de ceuxqui ont peu ou pas connu la maternelle parrapport aux autres. Diverses études de ladirection de l’évaluation et de la prospec-tive mettent en évidence qu’il y a très peud’écarts entre ceux qui ont eu un cursus detrois ans et ceux qui ont eu un parcours dequatre ans, mais, dans certains domaines,

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le langage en particulier, les enfants issusdes milieux les plus défavorisés gagnent unpeu à faire quatre années de maternelle.

On peut légitimement se demander si l’hy-pertrophie de la forme École pour l’écolematernelle n’a pas été excessive. À titrede symbole, on peut citer cette étonnanteinvention des “classes-passerelles” quiauraient vocation à préparer les enfantsà l’école maternelle. Comme si l’on avaitoublié la vocation originelle de l’écolematernelle à être elle-même une passe-relle entre deux modes – deux mondes –éducatifs, conduisant le petit enfantqu’elle accueille à devenir un écolier.Si le cas français continue à avoir saplace dans le registre des “modèles“,nous devons aussi regarder commentdes systèmes éducatifs performants

en Europe du Nord en particuliers’inscrivent dans des systèmes sociauxqui respectent mieux leurs plus petits.L’universalité de l’école maternelle enFrance – elle est partout et pour tous –constitue une sorte d’acquis historiquequi rendra toujours très difficile toute ten-tative de désolidariser deux temps commele font nombre de pays, et de réduirel’école à la période 4-6 ans 17. Mais l’écolematernelle doit pouvoir trouver un meilleuréquilibre ; sa finalité propédeutique n’estpas exclusive de modes de fonctionne-ment adaptés à tous les besoins des jeunesenfants. L’évaluation peut y être plus qua-litative et formative que normative, lecursus peut être organisé de manière plusprogressive et différenciée. C’est sansdoute par une meilleure formation spéci-fique des enseignants que sa qualité peut

> 1 Pour la collectivité nationale, le coût moyen d’un élève de maternelle est de 4 400 € alors que la dépensemoyenne pour un élève du premier degré est de 4 600 € - Source : L’état de l’École, n° 15, édition 2005, DEP.

> 2 Il peut s’agir de travailleurs sociaux, de parents qui interviennent par roulement parfois.

> 3 Voir Florin A., 2000, La scolarisation à deux ans et autres modes d’accueil, INRP.

> 4 Prost A., 1988, L’École et la famille dans une société en mutation, in Histoire générale de l’enseignementet de l’éducation en France, tome 4 – Nouvelle librairie de France, p. 95.

> 5 La formule est d’ Antoine PROST - Ibidem, p. 101.

> 6 Ottavi D., Le jeu, in Penser l’éducation. Notions clés pour une philosophie de l’éducation, ouvrage coordonné par A. Vergnoux, ESF, 2005 – p. 103.

> 7 Plaisance E., 1986, L’enfant, la maternelle, la société, PUF.

> 8 Chamboredon J.C., Une sociologie de la petite enfance, in EspacesTemps, n°31-32, 1985, p. 88.

> 9 Chamboredon J.C., ibidem.

> 10 Trois textes paraissent en moins de vingt ans (orientations de 1986, programmes de 1995 et 2002) ; les deuxderniers ne sont plus autonomes mais intégrés aux programmes de l’école primaire.

> 11 Chamboredon J.C., ibidem, p. 89.

> 12 . Un rapport publié en 2001 par l’OCDE intitulé “Petite enfance, grands défis : éducation et structures d’accueil”, rend compte d’un examen comparatif des politiques de la petite enfance d’une douzaine de pays ;un second rapport concernant huit autres pays dont la France devrait être rendu public prochainement.

> 13 Hameline D., 1986, L’éducation, ses images et son propos, ESF, p. 182.

> 14 P. Kergomard, citée par LUC J.N.,1997, L’invention du jeune enfant au XIXe siècle, Belin, p. 391.

> 15 Il faudrait approfondir la thématique de l’hyperactivité de ces enfants qui ne tiennent pas en place, faute qu’on leur en ait signifié une, symboliquement s’entend. Sur l’ensemble de ces sujets, voir plusieurs articles de la revue Le débat, n° 132, novembre-décembre 2004, sur le thème L’enfant-problème.

> 16 Voir sur ce sujet le chapitre L’enfant-roi in Marcelli D., 2003, L’enfant, chef de la famille. L’autorité de l’infantile, Albin Michel.

> 17 Avant d’être une école, pour nombre de familles, la maternelle est d’abord un service d’accueil. Le coût pour les collectivités locales serait très élevé – insupportable pour la majorité d’entre elles – s’il leur fallait compenser un changement de statut et maintenir un taux d’accueil équivalent pour les 2-4 ans.

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L‘enseignement du français et des lettres LE GROUPE LETTRES de l’inspection générale de l’Éducation nationale

Existe-t-il un modèle éducatif français ? Le mot avant la chose mérite qu’on s’yattarde. Littré lui donne comme premier sens : “objet d’imitation”, et, si l’on s’entenait là, il y aurait à la question quelque chose d’un peu immodeste. Mais si l’onentend d’abord par “modèle” la “représentation d’un ouvrage à exécuter”, commele suppose le latin modulus, qui a donné “moule”, et dont dérive, par altération enmodellus, le mot italien qu’a repris le français, on voit que la question de l’existenced’un modèle éducatif français nous renvoie d’abord à l’idée que l’on se fait de laforme d’ensemble et de la mise en œuvre des dispositions qui règlent l’enseignement,et, pour ce qui nous occupe plus particulièrement, l’enseignement du français etdes lettres.

L es deux sens – celui d’ouvragequ’on peut exécuter, parce qu’onen a une représentation suffi-

samment nette et cohérente, et celuid’objet qu’on doit imiter en raison desa perfection dans son genre – sontbien sûr liés ; mais c’est sur le premiersens que porte d’abord la question,puisque le deuxième ne fait qu’endériver. Prendre la mesure de la spé-cificité du système éducatif français,c’est donc s’interroger sur sa cohé-rence, sur ce qui définit son identité,

moins par comparaison ou par diffé-rence peut-être, même si ce décen-trement est intéressant, qu’en consi-dérant sa logique et les tensions quien dessinent l’armature.

Mais il y a quelque intérêt, pour prendred’abord une vue d’ensemble, à partird’un point de vue extérieur ; si le modèleéducatif français s’exporte, c’est qu’ilexiste, et veut exister, comme en témoi-gne l’importance du réseau des éta-blissements français à l’étranger gérés

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par l’AEFE qui, de la maternelle aubaccalauréat, et même jusqu’aux clas-ses préparatoires, scolarisent 260 000élèves à peu près, dont 60 % d’étran-gers. C’est l’exigence de rigueur et detravail, le souci de donner aux élèvesune culture générale solide – ce que lesocle commun nomme “une culturehumaniste et scientifique“ –, la placeaccordée au raisonnement et à la rédac-tion des exercices qui semblent consti-tuer les traits d’excellence reconnus parles parents qui scolarisent leurs enfantsdans ces établissements 1.

Cette capacité à s’exporter résulted’abord d’une volonté politique, qui faitde l’éducation et de la coopération édu-cative et culturelle l’un des moyens pri-vilégiés du rayonnement de la France, ets’appuie sur l’héritage d’un passé glo-rieux, qui donne un certain lustre à notremodèle éducatif : langue diplomatique etlangue de culture, langue d’empire, lefrançais est aussi la langue des Droits del’homme et du Droit des peuples à dispo-ser d’eux-mêmes. Mais le sens de cethéritage marque également d’un signefort l’idée même d’éducation, puisqueaussi bien la France y réfléchit ce qu’elleconsidère comme son identité et sa voca-tion à l’universel, conformément à cettesorte de pacte entre la République etl’École dont les raisons profondes sontdans l’humanisme des Lumières.

L’existence d’un modèle éducatif françaisfonde sur cette conscience très vive dela relation entre l’éducation, comme vec-teur des “progrès de l’esprit humain”, etune certaine “idée de la France “ mar-quée par le sens de l’universel. L’Écoleapparaît comme un lieu essentiel parceque c’est fondamentalement l’éducation

qui déploie en chacun, par le travail, parla connaissance, par la discipline, la pos-sibilité d’une vie libre et commune. Et laparticularité du modèle éducatif françaisest peut-être d’abord dans le sentimentqu’ont les acteurs de l’éducation de laproximité des valeurs qui le fondent, dansle sentiment que la France, et plus parti-culièrement l’enseignement en France,sont pour ainsi dire singulièrement le lieude l’universel, et que le modèle éducatiffrançais a donc, plus que d’autres, parcette singularité paradoxale, le statut demodèle. Que l’on considère les chosesdu dehors ou du dedans, on voit que lemodèle éducatif français est marqué parune sorte de volontarisme, appuyé sur lesens d’un héritage dont la noblesse oblige.

Les professeurs, et singulièrement lesprofesseurs de français, en raison del’importance de la discipline dans lecursus scolaire, se sentent ainsi encharge de quelque chose d’essentiel,qui serait à la fois fondamental etcentral : en charge d’un patrimoine qu’illeur appartient, à eux particulièrement,de tenir vivant ; en charge de la languecommune ; en charge, plus largement,des valeurs qui sont portées par ce quiest enseigné et attachées au fait mêmede l’enseignement. Il y a dans la cons-cience de cette charge une identité forte,et par conséquent de quoi nourrir degrands bonheurs, mais aussi, quand leschoses ne vont plus de soi, le sentimenttrès douloureux d’une crise ; et cettecrise est d’autant plus vive que le sensdu modèle est présent.

Le français et les lettresPour ce qui est de l’enseignement dufrançais et des lettres, le sens dumodèle éducatif est donc sans doute

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particulièrement fort. Si la question seprécise et qu’on cherche à mesurer s’ilexiste un modèle éducatif français enfrançais, on peut repartir de la doubledénomination : français et lettres. Ilfaut des professeurs de lettres pourenseigner le français, ou des profes-seurs de français pour enseigner leslettres, ce qui est assez dire que l’en-seignement de la langue et celui de lalittérature sont profondément liés.Cette liaison est en rapport avec deuxdes finalités essentielles du cours defrançais : la maîtrise de la langue et laconstitution d’une culture commune,ces orientations se conjuguant dans laperspective plus large de l’autonomieet de la responsabilité citoyenne.

La part littéraire du cours de françaisest donc traversée par ce projet : la lit-térature n’est pas enseignée selon desvues purement esthétiques, mais c’esten quelque sorte sa valeur d’usage quiest retenue ; la lecture des textes et desœuvres permet aux élèves de formerleur personnalité, de se confronter à laparole d’autrui, de comprendre parl’analyse, en faisant un pas de côté, com-ment se jouent les différents discoursdu monde ; elle les nourrit et fait sens.Il y a là une sorte de continuité avec unetradition rhétorique de l’enseignementdes lettres profondément ancrée dansl’histoire. Par ailleurs, l’acquisition de lamaîtrise des discours passe en bonnepartie par la lecture de textes littéraires,dans la mesure où c’est là que l’usagede la langue est le plus riche et le plussubtil. Symétriquement, la lecture etl’analyse des textes et des œuvres sup-posent des compétences et des outilsqui relèvent du travail sur la langue etles discours.

Ce lien étroit entre langue et littérature,qui apparaît comme un des traits fon-damentaux de la discipline “français”,se marque en particulier par le carac-tère central de la notion de “discours”dans les programmes de collège. Onappelle “discours” dans ces program-mes “toute mise en pratique du langagedans un acte de communication à l’écritou à l’oral” et c’est la fonction articula-toire de cette notion qui est soulignéed’entrée de jeu, puisque les textes litté-raires correspondent bien à des misesen pratique, à des “usages” de la langue.Selon la même conception générale,l’étude de la langue se fait en liaisonavec les autres activités et dans le cadrede séquences décloisonnées, ce quin’empêche en rien qu’on puisse et mêmequ’on doive consacrer certainesséances à une systématisation de ce quiest par ailleurs observé “en situation” 2.

Ce décloisonnement, en liant les activitésles unes aux autres, a pour effet de donnersens et cohérence à l’enseignementd’une discipline, dont l’identité même estde tenir ensemble faits de langue et faitsde sens et de montrer comment le sensse fait et se joue dans les mots et dansles formes. De même, en précisant quel’étude de la langue relève d’une gram-maire de phrase, mais aussi d’une gram-maire de texte et d’une grammaire de dis-cours, les programmes associentfortement les différents niveaux d’ana-lyse. La comparaison qu’on peut faireentre les programmes de différents paysfrancophones montre d’ailleurs que laprise en compte de ces dimensions prag-matique et énonciative est commune,même si cette tripartition se réduit ailleursà une bipartition entre grammaire dephrase et grammaire de texte, cette

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Le caractèrepatrimonial dela littérature

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dernière dénomination regroupant lesdeux niveaux, textuel et discursif ; l’at-tention portée à ces aspects de la com-munication est tout à fait logique dans lamesure où il s’agit de former des citoyenscapables d’exercer leur liberté et leurresponsabilité. On peut en effet remar-quer que ni la langue ni la littérature nesont enseignées pour elles-mêmes, maisque ces enseignements sont dynamiséspar la fin qui leur est assignée : “per-mettre à chacun de former sa person-nalité et de devenir un citoyen conscient,autonome et responsable” ; cette fin setrouvant en quelque sorte spécifiée, pource qui est du cours de français, par l’i-dée de “maîtrise des discours”. Il y a là,on le voit, une forte cohérence, qui struc-ture la discipline et l’unifie ; mais cettecomplexité n’est pas immobile, elle estfaite pour être mise en jeu.

Le sens du patrimoineLa liaison de l’enseignement de lalangue et de la littérature dans laperspective d’une éducation citoyennen’est pas sans doute une spécificitéfrançaise. On retrouve, en Allemagnepar exemple, l’idée que l’allemandconstitue une discipline pivot et si lesprogrammes ou instructions partagentcette discipline en domaines séparés(compétences de communication orale,écrite, lecture de textes, surtout litté-raires et réflexion sur la langue), ellesrecommandent de lier le plus possibleces différents domaines 3.

Mais la volonté de cohérence forte etd’unité entre les divers aspects et lesdiverses pratiques du cours de français,très sensible, on l’a vu, dans lesprogrammes de collège, c’est-à-dire àun niveau d’enseignement qui concerne

désormais tous les élèves ; le lien qui setrouve ainsi établi entre la discipline tellequ’elle est constituée, dans sa complexité,à l’université et au niveau des concoursde recrutement et telle qu’elle est ensei-gnée dans les collèges et lycées ; le sen-timent qu’ont alors les professeurs d’unesorte d’unité de cette discipline, dans sesarticulations et dans les démarches etopérations intellectuelles qu’elle requiert,de l’école élémentaire au supérieur ; leniveau de complexité et donc aussi leniveau d’exigence qui définit alors pourles professeurs le sens de ce qu’ils ensei-gnent : voilà, sinon des traits absolumentdistinctifs d’un modèle éducatif français,du moins des inflexions qui définissentune identité forte. L’exigence de cohé-rence entre étude de la langue et étudedes textes définit en quelque sorte uneidentité disciplinaire et la complexitéqu’induit cette dualité apparaît commeun élément de légitimité.

Il faudrait ajouter à ces remarques quela part du littéraire est sans doute cen-trale en France : dès l’école primaire, lavolonté “d’instituer des lecteurs”, pourreprendre la belle expression de ClaudineGarcia-Debanc 4, fait qu’on propose auxélèves des textes littéraires. Il y a dansce choix la certitude que la littérature estfaite pour tous, que la lecture est à la foisune école d’intelligence et de sensibilité,et l’espace d’une sorte de recueillementnécessaire dans un monde qui favorisela distraction et la dispersion ; et ce choixest aussi l’expression d’une consciencetrès vive chez les enseignants du carac-tère patrimonial de la littérature. Onentend par là qu’elle contribue fortementà l’idée d’une identité historique et d’unecommunauté actuelle liées au partagede références et de valeurs.

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Par ailleurs, cette idée du patrimoinetelle qu’elle se réalise dans le choix deprivilégier le littéraire est conforme ausens profond que les enseignants peu-vent avoir de leur mission : l’excellencedes textes et leur richesse n’en font pasdes objets d’une révérence lointaine,mais ne trouvent leur pleine vertu quedans l’usage de la lecture. Il y a dansl’usage français de confronter lesélèves aux textes, de livrer ces textesà l’interprétation, à la discussion, à lamanipulation ou à l’invention, à l’admi-ration ou à la critique, une forte indi-cation de ce que le patrimoine est trans-mis pour servir. Les exercices del’explication de texte, du commentaireou de la dissertation, ou encore l’exer-cice d’invention ménagent d’ailleurstous cette sorte d’équilibre profondé-ment signifiant entre contrainte etliberté : le texte à la fois oblige, et ilinvite à une lecture libre et personnelleau milieu de ces contraintes et grâceà elles. Le sens du patrimoine impliquedonc au moins autant l’appropriationque la conservation. La présence d’unetradition dont le sens même est d’êtretransmise se marque aussi dans laplace qu’occupent les lettres classiquesdans l’enseignement secondaire, à lafois par l’enseignement, dès le collège,des langues anciennes, et par les réfé-rences culturelles aux textes fonda-teurs qui là encore, dès la sixième, ren-voient aux sources vives de la culturecommune.

Ce caractère patrimonial est sans doutel’une des raisons qui font que l’ensei-gnement des lettres en France estmarqué par la mise en perspectivehistorique. C’est ce que fait apparaîtrela comparaison à laquelle procède une

récente note sur les programmes decollège, produite par le groupe des let-tres, entre les programmes français etceux de la Belgique, du canton de Vaudet du Québec. Cet étagement chronolo-gique des lectures ménage une sorte detempérament entre les deux grandesinflexions de l’enseignement des lett-res, la tradition rhétorique et la traditionhistorique ; la mise en relation entre letravail du cours de français et celui ducours d’histoire a pour but d’éviterl’émiettement des savoirs. Il doit per-mettre de donner des repères aux élè-ves et de structurer, par cette disposi-tion historique des références, uneculture consciente de la profondeur dutemps, et d’élargir ainsi le sens de leurprésence au monde.

On retrouve, dans cette attention àl’histoire, le souci très marqué du lienentre les divers aspects de la disci-pline, ce qui induit une certaine com-plexité des dispositifs didactiques,mais aussi entre les diverses discipli-nes. Il y a là sans doute un trait dis-tinctif du modèle éducatif français :l’attachement à une culture humanistequi fait de la littérature l’espace oùs’exerce de manière privilégiée la rela-tion à l’autre, où se prend le mieux lamesure de la distance et du lien quiexistent entre le présent et le passé,parce que les textes littéraires ont unevertu de présence et que s’y entendune parole prochaine et d’une profondehumanité.

Discipline et interdisciplineL’une des caractéristiques du modèleéducatif français, c’est peut-être ainsila place qu’il accorde au français,à une discipline duelle on l’a vu,

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cherchant son unité dans le souci d’uneforte cohérence entre enseignement dela langue et des lettres, et par ailleursouverte, par nature, par vocation parti-culière, aux autres disciplines. Cetteattention portée aux relations avec lesautres disciplines tient d’abord, sansdoute, au caractère fondamental de l’en-seignement du français : il constitue pourainsi dire le socle du socle, dans lamesure où la maîtrise de la langue estune condition primordiale de l’appren-tissage dans les autres matières.

Si l’on a pu dire que la maîtrise de la lan-gue concernait ainsi toutes les disci-plines, il est vrai aussi que le françaistouche aux autres disciplines, par lalangue, mais aussi parce que le coursde français est le lieu d’exercice privi-légié d’opérations essentielles : lire, dire,écrire. Ces opérations s’y exercent eneffet constamment, on pourrait mêmedire qu’elles s’y cultivent, à tous les sensdu terme, et ce d’autant plus qu’ellessont toujours en interaction : la lectureet l’écriture sont intimement liées l’uneà l’autre par les programmes et les pra-tiques. Les programmes insistent éga-lement sur l’importance de l’oral, mêmesi, et c’est sans doute l’une des faibles-ses du modèle français, la didactique etla pédagogie de l’oral restent largementà construire.

Au-delà de son caractère fondamen-tal, le cours de français apparaît aussicomme occupant une place centrale.Parce que les textes littéraires sont,non pas exclusivement mais en bonnepartie, des textes du passé, et que leurlecture est l’occasion de découvrir lesréalités et les images d’autrefois, lecours de français touche à l’histoire.

Parce que les textes expriment desidées, que s’y essayent des concep-tions, des réflexions sur le monde et surl’homme, le cours de français partageavec la philosophie un certain nombrede références et de perspectives. Parceque les textes sont l’occasion d’uneéducation du sens artistique et que lecours de français permet de s’interro-ger sur des écoles et des mouvementsqui ne sont pas seulement littéraires,un lien existe avec les enseignementsartistiques. Les textes littéraires sontporteurs de valeurs et l’objectif de maî-trise des discours ainsi que le travailsur l’argumentation rattachent l’ensei-gnement du français à l’éducationcivique. Même en se limitant à ces dis-ciplines voisines ou cousines, on voitque le cours de français est ouvert, etcette pluralité des connexions possi-bles renvoie d’ailleurs à la pluralité desapproches du fait littéraire : historique,rhétorique, esthétique… Ce sont cetteouverture, ce caractère central autantque fondamental, qui justifient la placede la discipline dans le modèle éduca-tif français.

Fort souci de la cohérence et de l’unitéentre les deux dimensions complémen-taires de la discipline que sont la lan-gue et les lettres ; forte conscience ducaractère patrimonial d’un enseigne-ment qui accorde aux textes littérairesune place déterminante, dans unetradition humaniste de commerce avecles grandes œuvres et les grandshommes du présent et du passé ; carac-tère à la fois fondamental et central d’unediscipline qui se caractérise par lapluralité des liaisons qu’elle entretientavec les enseignements connexes : sil’un des traits du modèle éducatif

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français est la place qu’y occupe lefrançais, c’est en raison peut-être de cesens des liaisons qui règle son exerciceau-dedans de la discipline comme dansses relations extérieures.

Cette identité, on le voit, se définit aussipar des tensions : entre les diverses tra-ditions – rhétorique, historique, poétique,esthétique, par exemple – qui contri-buent à la richesse de cet enseignement; entre grammaire et lettres parfois ; entreconservation et appropriation du patri-moine ; entre cohérence disciplinaire etvocation interdisciplinaire. Mais ces ten-sions et l’équilibre instable qu’elles obli-gent à chercher, à défaut de définir unmodèle, nous renvoient à l’exigenced’une sorte de renégociation perpétuelleet à l’idée que le modèle est en crise,c’est-à-dire vivant.La conscience vivante du sens et de lavaleur qui s’attachent à l’éducation,

dans la tradition d’un humanisme renou-velé par les Lumières, suffit sans douteà constituer le socle d’un modèleéducatif dont les évolutions sont néces-saires et qui correspond bien à ce sensdu mot que nous donne le dictionnairede Littré : “représentation d’un ouvrageà exécuter”. Le danger inhérent à l’exis-tence et à l’identité d’un modèle édu-catif, dont on a vu ce qu’il devait à unesorte de volontarisme et d’idéalismerépublicain et au sens de l’héritage, estqu’il constitue un refuge de la nostal-gie. Le sens de la valeur d’usage quimarque l’esprit des programmes, lesouvertures interdisciplinaires, la volontéde mettre en jeu le patrimoine s’oppo-sent à cette inflexion. Les valeurs quifondent cette identité forte du modèleéducatif français ne doivent pas servirà justifier des crispations et à légitimerde pseudo - résistances : le meilleur estdevant nous.

> 1 Voir le rapport sur les établissements scolaires français au Canada, présenté en 2004 par Jacques Dersy

et François Monnanteuil.

> 2 C’est d’ailleurs ce que souligne le texte qui définit le socle commun de connaissances et de compétences.

> 3 Kaspar H. Spinner, « L’allemand : une discipline pivot », in Revue internationale d’éducation, Sèvres, n° 19,

septembre 1998.

> 4 Communication faite au séminaire national de décembre 2003 organisé au CIEP : La maîtrise de la langue,

une responsabilité.

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Quelques spécif ic i tés de l ‘enseignementdes mathématiques en FranceLE GROUPE MATHÉMATIQUES de l’inspection générale de l’Éducation nationale

Quelques considérations historiquesDans le système français des annéescinquante, les mathématiques ensei-gnées étaient très différentes dans lesdomaines de l’enseignement primaire,du collège et lycée, et de l’enseigne-ment technique.

> Dans l’enseignement primaireLes mathématiques étaient essentielle-ment utilitaires, en rapport avec lesproblèmes dits de la vie courante (prixd’achat et prix de vente, mesure, partageet aménagement de terrains, croisementde trains, problèmes de robinets, etc.).On pouvait parler, au niveau du certifi-cat d’études de “mathématiques ducitoyen”, en tous cas du citoyen d’unesociété majoritairement rurale qui étaiten train de disparaître lentement.

> Au lycée, dès la classe de 5e

On commençait l’étude de la géomé-

trie déductive, basée sur les construc-tions à la règle et au compas et les casd’égalité des triangles et celle del’algèbre (calcul littéral) conduisant àla résolution d’équations et d’inéqua-tions. Les mathématiques enseignéesétaient caractérisées par une fortemobilisation de la mémoire et des auto-matismes (identités remarquables, for-mules) et le développement du raison-nement déductif. La plupart des pro-blèmes posés à partir de la classe de4e étaient abstraits (géométrie pure,équations avec ou sans paramètres).

> Dans l’enseignement techniqueLes mathématiques enseignées étaientutilitaires, orientées vers les applica-tions et reliées aux disciplines tech-niques utilisatrices de mathématiques.

Avec la révolution des “mathéma-tiques modernes”, à la fin des années

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soixante, le caractère abstrait desmathématiques enseignées s’est ac-centué et s’est généralisé dans l’en-seignement secondaire. Les enfantsont été entraînés à calculer dans n’im-porte quelle base, la géométrie s’estcoupée de tout repère sensible (pas dedessin), le formalisme a envahi l’acti-vité mathématique. Le langage de lathéorie des ensembles et les raisonne-ments abstraits qu’il peut engendrersont devenus le nec plus ultra de l’en-seignement des mathématiques. Àl’école primaire, cependant, même siles programmes avaient été touchéspar la mode des “mathématiques mo-dernes”, on continuait heureusementà enseigner les bases du calcul et dela géométrie représentative.

Dans le même temps, les mathéma-tiques ont remplacé les languesanciennes dans leur rôle de disciplinede sélection. Les caractères supposésde simplicité et d’objectivité de l’éva-luation en mathématiques ont conduità donner à notre discipline un rôleprépondérant.

C’est également à cette époque quenaissent les instituts de recherchepour l’enseignement des mathéma-tiques (IREM) dont l’activité bénéfique,essentielle pour la formation continuedes enseignants et la réflexion didac-tique et pédagogique a perduré.

L’échec pédagogique des “mathéma-tiques modernes” 1 et la mise en placedu collège unique se sont accompa-gnés d’un important retour de balan-cier. Les changements de programmese sont succédé à un rythme soutenu.Ils ont accompagné une décroissance

générale des horaires de mathéma-tiques. L’accent est désormais mis surla résolution de problèmes, l’activitéde l’élève, la suppression de toutformalisme.

L’importance des programmesLes mathématiques sont présentesdans toutes les séries du lycée généralou technologique, et chaque sériedispose de programmes propres, tradi-tionnellement construits par réduc-tions successives à partir du program-me de la série scientifique 2. Les publi-cations les plus récentes se distin-guent par l’introduction d’une différen-ciation tenant compte des objectifsdes séries et des poursuites d’étudescorrespondantes.

La manière dont les programmes sontrédigés et présentés est une de nosspécificités. Munis de préambulessouvent très développés annonçantles objectifs de formation, déclinésen contenus largement commentés,ils sont complétés par des docu-ments d’application et des documentsd’accompagnement destinés aux en-seignants.

On peut lire ainsi dans les objectifsdes nouveaux programmes de collè-ge : “Au collège, les mathématiquescontribuent, avec d’autres discipli-nes, à entraîner les élèves à la pra-tique d’une démarche scientifique.L’objectif est de développer conjointe-ment et progressivement les capaci-tés d’expérimentation et de raisonne-ment, d’imagination et d’analyse cri-tique. Elles contribuent ainsi à la for-mation du futur citoyen. À travers larésolution de problèmes, la modélisa-

Les mathématiquessont devenues une disciplinede sélection

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tion de quelques situations et l’ap-prentissage progressif de la démons-tration, les élèves prennent conscien-ce petit à petit de ce qu’est une véri-table activité mathématique : identi-fier et formuler un problème, conjec-turer un résultat en expérimentant surdes exemples, bâtir une argumenta-tion, contrôler les résultats obtenusen évaluant leur pertinence en fonc-tion du problème étudié, communi-quer une recherche, mettre en formeune solution. […]Les méthodes mathématiques s’appli-quent à la résolution de problèmescourants. […]Leur emploi dans la prévision et l’aideà la décision est précieux dans demultiples circonstances, de la gestionfamiliale à l’activité scientifique ouprofessionnelle.“

Cette richesse des textes officiels 3

comporte des avantages et des in-convénients. La précision ainsi renfor-cée rassure les enseignants et encadrele travail des auteurs de manuels. Maisen revanche, tout mot ne figurant pasdans les textes est considéré commehors programme 4.

Force est de constater que bien qu’ilssoient précis et détaillés et en dépit dela présence dans les classes descorps d’inspection, certains program-mes ne sont pas respectés 5, en raison,notamment de la non-évaluation dansles examens de certains champs duprogramme (voir ci-dessous). De plus,pour beaucoup d’enseignants, les pré-ambules des programmes (commecelui cité ci-dessus) constituent undiscours convenu sur des exigencesqu’ils s’empressent d’oublier.

L’importance des examensRéputés être objectifs et garantir l’im-partialité, les examens ont en mathé-matiques une incidence directe surl’enseignement. Les compétences nonévaluées à l’examen sont souventignorées dans les classes. C’est le casau collège, par exemple, pour le calculmental ou l’utilisation du tableur. Lapression des familles et des élèves,relayée par l’institution et renforcéepar les publications de mesures de laperformance des établissements,conduit à placer au premier plan laréussite à l’examen au détriment de laqualité de la formation, indispensableà une poursuite d’études réussie.

Malheureusement, la réussite à l’exa-men ne garantit pas toujours la qualitéde la formation reçue : en effet, laforme traditionnelle d’une épreuved’examen en mathématiques consisteen un certain nombre d’exercices ouproblèmes, comportant des questionsenchaînées. L’exigence de ne paspénaliser pour la suite les élèves ayantdonné une réponse erronée conduit àfournir les réponses des questionsintermédiaires, la tâche de l’élève seréduisant alors à une simple vérifica-tion : c’est le contraire de l’activitémathématique telle qu’elle est décritedans les programmes. Dans certainesclasses, où le professeur laisse unetrop grande part à la préparationmécanique à l’examen (“bachotage”),c’est pratiquement le seul type d’exer-cice proposé pendant l’année auxélèves.

Depuis trois ans, le groupe des mathé-matiques de l’inspection générale del’éducation nationale travaille à une

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modification de la forme (définition desépreuves avec la suppression, parexemple, du traditionnel problème etde l’utilisation d’un formulaire) et ducontenu des sujets d’examen (introdu-ction de restitution de connaissances,de questionnaires à choix multiples, dequestions ouvertes, …). L’évolution estlente, certes, parce que sa réussite estconditionnée à l’adhésion des acteursmais elle est déjà sensible dans lesséries concernées. Elle sera complé-tée par une évolution des pratiques denotation que nous mettons en œuvre.L’expérimentation d’une épreuve pra-tique de mathématiques au baccalau-réat S devrait permettre aussi uneprise en compte effective de compé-tences actuellement souvent délais-sées 6 faute d’évaluation à l’examen.

Les caractéristiques essentielles de l’enseignement français> La place de la démonstration“La démonstration est constitutive del’activité mathématique et les élèvesdoivent en prendre conscience. Faireen sorte que les élèves puissentconcevoir des démonstrations dansleur globalité, puis en détailler les dif-férentes étapes, a toujours été et resteun objectif essentiel de tout enseigne-ment des mathématiques en France. 7”

C’est une caractéristique essentielledes objectifs de l’enseignement desmathématiques à tous les niveaux. Lesnouveaux programmes de collège, parexemple, mettent l’accent sur l’impor-tance de la démonstration, non seule-ment dans le domaine géométrique –ce qui est traditionnel – mais aussidans le domaine numérique. Mais tantau collège qu’au lycée, la pratique

réelle est parfois bien éloignée de cesobjectifs et, sous l’influence en parti-culier des éditeurs de manuels, 8 ladémonstration est remplacée tropsouvent par une simple vérification surquelques exemples ou sur un dessin.

Le retour de balancier qui a suivil’abandon des “mathématiques moder-nes” a entraîné la fin de tout enseigne-ment systématique des règles de lalogique. La nécessité de l’entraînementà la recherche de contre-exemples,pourtant proclamée, est loin d’êtreappliquée dans toutes les classes.Notre travail sur les épreuves du bac-calauréat, évoqué plus haut, vise aussià corriger ces lacunes.

> La place du traitement des donnéeset de la statistiqueCette partie des mathématiques étaitpeu présente dans nos programmes,contrairement à ceux de pays voisins.Son importance s’est développée dansla dernière décennie, suivant en celal’évolution de la discipline. Ce dévelop-pement a été facilité en particulier parl’introduction comme outil du tableur-grapheur qui est utilisé en mathéma-tiques dès la classe de 4e (et même en5e dans les nouveaux programmes).

Convaincre le corps enseignant n’apas été facile, en raison d’une part, dela nouveauté d’un domaine auquel lesprofesseurs, dans leur majorité,n’étaient pas initialement formés et,d’autre part, de l’image des statis-tiques, considérées longtempscomme un domaine secondaire parrapport aux enjeux et aux querellessoulevés à l’époque des “mathéma-tiques modernes”.

La démonstrationest constitutivede l’activitémathématique

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Ce domaine des mathématiques seracertainement renforcé par l’introduc-tion, dans les futurs programmes de 3e,d’une familiarisation des élèves à lanotion de chance ou de probabilité,permettant de donner du sens auxnotions du programme et de faire lelien avec les informations de la viecourante.

> Les exercices et problèmes posésaux élèvesIl est indispensable pour un élève de“faire des gammes” et de travailler lesautomatismes, en particulier dans ledomaine du calcul mais, malheureuse-ment, dans certaines classes, l’hété-rogénéité des élèves conduit lesenseignants à ne pas quitter ce regist-re. Les exercices de mathématiques seréduisent alors à des énoncés tech-niques et répétitifs qui n’ont rien d’atti-rant pour les élèves. Les critiques desenseignants des niveaux supérieurs(“les élèves ne savent plus calculer”)montrent que ces travaux n’atteignentpas leurs objectifs. Pourtant, lorsquel’on regarde les exercices, dits desynthèse ou d’approfondissement,proposés dans les manuels, on ne peutqu’être frappé par la richesse et laqualité des énoncés, qui se réfèrenttrès souvent à des situations concrè-tes de la vie courante ou des autressciences.

> La série scientifiqueLa série S actuelle est toujours répu-tée être une série d’excellence, don-nant une bonne formation et ouvrantun maximum de portes. Mais le goûtpour les études scientifiques, et enparticulier pour les mathématiques,n’est pas en fait la motivation la plus

importante des élèves. Et il arrive enrevanche que des élèves capables etdésireux d’entreprendre des étudesscientifiques ne soient pas admis ensérie S à cause de l’insuffisance deleurs résultats dans les autres disci-plines !

Nous devons également nous interrogersur la chute continue des effectifs enspécialité mathématique de la termi-nale S 9. Cette chute est évidemmentliée à la représentation de la discipline,et à ce qu’en transmettent les ensei-gnants par leurs exigences. Une desconséquences lourdes en est la désaf-fection pour les filières scientifiquesuniversitaires.

> L’enseignement des mathématiquesen lycée professionnelLes programmes (en tout cas ceux quiont été rénovés) sont rédigés en termesde compétences et sont bien adaptésaux objectifs de formation dans cettevoie où les mathématiques sont avanttout une discipline de service. La pé-dagogie est basée sur la constructiondes savoirs et des savoir-faire à partird’activités issues, dans la mesure dupossible, de situations technologiquesou professionnelles. Les enseignantsont généralement le souci de contex-tualiser pour un meilleur apprentissage.

La bivalence (mathématiques et scien-ces physiques) des professeurs etdes inspecteurs est un facteur positifdans cet enseignement : elle simplifiela nécessaire interdisciplinarité dansun enseignement tourné vers la vieprofessionnelle et contribue à donneraux élèves une image positive desmathématiques.

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Dans les CAP (tertiaires et industriels),les changements de programmes misen place en 2003 et des modalitésd’évaluation certificatives en CCF(contrôle en cours de formation) ontété très positifs, tant au niveau de laformation qu’au niveau de l’évalua-tion. La très forte hétérogénéité despublics accueillis, la grande difficultéde certains ont nécessité une remiseen question des pratiques. La motivationde l’élève est placée au premier rangdes préoccupations de l’enseignant.

Les évolutions en cours> Les calculatrices et l’ordinateurDepuis une vingtaine d’années,l’usage des calculatrices est prôné parles programmes de mathématiques.Contrairement à ce qui se passe dansla plupart des pays, le régime est celuide la liberté complète : tous lesmodèles sont autorisés – pourvu qu’ilsne soient pas communicants – dansles classes comme aux examens. Or,dans une classe, le professeur peutparfois compter une dizaine de modè-les différents, ce qui interdit pratique-ment de bâtir un enseignement cohé-rent de l’utilisation de la calculatrice.L’apprentissage est alors laissé à ladiscrétion de chaque élève. Dans unsouci d’équité, les sujets d’examensont conçus pour ne pas favoriser lesélèves disposant des calculatrices lesplus performantes. On perd ainsi unegrande partie des avantages liés à labonne utilisation de ces outils.En ce qui concerne l’utilisation de logi-ciels informatiques la situation estencore plus paradoxale. Cette utilisa-tion est préconisée dans les program-mes dès la classe de 5e : cela permet detraiter des problèmes de la vie courante

et rapproche les élèves de ce qu’estactuellement la pratique des mathéma-tiques. Mais cette utilisation de logi-ciels est interdite de facto à l’examen –vu la forme de celui-ci – et cette ab-sence de prise en compte conduit nom-bre d’enseignants à négliger cet aspectde la formation. Seule l’introductiondans les examens d’épreuves pratiquesde mathématiques nécessitant l’usaged’outils informatiques pourrait permet-tre de sortir de cette situation défavo-rable. L’expérimentation d’une telleépreuve en série S aura lieu pendantl’année scolaire 2006-2007.

> Clubs, ateliers et compétitionsmathématiquesEncouragés par l’institution, mais fon-dés sur le bénévolat des enseignants,les clubs ou ateliers mathématiquespermettent de donner un aspectludique et plus attractif à cette disci-pline, tout en réattribuant une placeessentielle aux approches inductives.La création, en 1998, de l’associationAnimath 10 est un bon outil pour aideret fédérer ces initiatives. Nous avonsnoté avec intérêt que le rapport de lamission parlementaire insiste à plu-sieurs reprises sur la mise en place et ledéveloppement de ces laboratoires. 11

Les compétitions mathématiques sesont largement développées et répan-dues. La plupart des académies ontmis en place des rallyes ou descompétitions s’adressant à des élèvesd’un niveau donné (collège ou lycée)sous forme individuelle ou en groupe.En 1999, ont été créées les olympiadesacadémiques de mathématiques (pourles classes de première). Le succès deces compétitions trouve un écho dans

Donner à la disciplineun aspect plus attractif

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les classes, par l’exemple qu’il donnede mathématiques pratiquées “pour leplaisir”, et par le développement d’uneémulation appréciée.

Ces actions ont certainement contri-bué à la fin de la baisse des perfor-mances des compétiteurs français auxolympiades internationales de mathé-matiques. Actuellement classée, bonan mal an, autour de la 30e place, ilreste néanmoins à la France du che-min à parcourir pour retrouver le “ TOP10” où elle se situait il y a 25 ans !

L’évaluation PISAL’évaluation PISA de 2003 avait pour butde tester, sur un échantillon représen-tatif d’élèves de 15 ans, la culturemathématique définie comme “l’apti-tude d’un individu à identifier etcomprendre le rôle des mathématiquesdans le monde, à porter des jugementsfondés à leur propos, et à s’engagerdans des activités mathématiques enfonction des exigences de sa vie, entant que citoyen constructif, impliqué etréfléchi”. On peut dire que cela ne cor-respond pas aux objectifs de l’ensei-gnement des mathématiques enFrance. Il est révélateur d’ailleurs deconstater que, d’une part, tous les exer-cices proposés par la délégation fran-çaise ont été rejetés et que, d’autrepart, certains exercices retenus cor-respondaient à des éléments de pro-gramme inconnus d’un élève françaisen fin de seconde !

Les résultats de la France se situentlégèrement au-dessus de la moyennedes pays de l’OCDE, mais leur disper-sion est particulièrement grande. Sil’on s’en tient aux élèves “à l’heure”

dans leur cursus, les résultats sonttrès satisfaisants. En revanche, nos20 % d’élèves les plus faibles obtien-nent des résultats très inférieurs àceux des élèves correspondants dansles autres pays.

Quelques mots de conclusionUne des caractéristiques fortes de l’en-seignement des mathématiques enFrance réside dans les ambitions exces-sives des programmes. La diminutiondes horaires de mathématiques, effecti-ve à tous les niveaux depuis plusieursannées, ne s’est pas accompagnéed’une diminution proportionnelle duvolume des programmes. Ces dernierssont inadaptés à un enseignement demasse car il est, par exemple, actuelle-ment impossible de faire acquérir à tousles élèves l’ensemble des connaissan-ces et des compétences inscrites dansles programmes de collège. À cetégard, la définition d’un socle communindispensable de connaissances et decompétences – dont on a pris soin depréciser qu’il n’est pas tout le pro-gramme – est révélatrice de cetteimpossibilité : dans d’autres pays euro-péens, c’est ce socle des compéten-ces-clés qui constitue l’intégralité desprogrammes de la scolarité obligatoire.

D’un autre côté, une des conséquencesdes exigences de nos programmes,dans le domaine de la démonstration enparticulier, est certainement la qualitéde l’école mathématique universitairefrançaise. Les élèves qui arrivent à sui-vre en mathématiques y prennent plai-sir et en reçoivent une formation dequalité. Mais le prix à payer est lourd,lorsque l’on pense à tous les élèves queles mathématiques mettent en échec. 12

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Et que dire des enseignants, déchirésentre le désir de la réussite de tous et lanécessité de conduire les meilleursélèves au succès en leur donnant legoût des mathématiques ?

Les défis actuels que doit relever l’en-seignement des mathématiques sontde trois ordres :• assurer les connaissances et lescompétences de base pour l’ensem-ble des élèves, mais aussi assurerune “culture mathématique” qui per-mette de situer le rôle de cette disci-pline dans les sociétés techniquesavancées ;• lutter contre l’image souvent négativedes mathématiques dans la société, enliaison en particulier avec leur rôle –réel ou supposé – dans la sélection ;• contribuer à maintenir une formationde haut niveau pour un nombre impor-tant d’élèves, en particulier pouralimenter les filières scientifiques del’enseignement supérieur, où les ma-thématiques jouent un rôle déterminant.

Il faut reconnaître qu’actuellementnous ne relevons pas ce défi :• la démonstration en géométrie aucollège, par exemple, reste inaccessi-ble à beaucoup ;• les exercices proposés dans lesclasses sont souvent coupés de toutcontexte et ne présentent pas d’intérêtpour les élèves : ils contribuent àl’image négative d’une discipline res-sentie comme uniquement scolaire et“éloignée de la vie” ;• les élèves qui aiment les mathéma-tiques s’ennuient souvent en classe etne trouvent à s’épanouir que dans desactivités périscolaires, lorsqu’ellesexistent (clubs, rallyes).

Une piste réside certainement dansune plus grande différenciation : • différenciation des objectifs de for-mation et des programmes, déjà effec-tive entre les différentes voies etséries du second cycle de l’enseigne-ment secondaire, qu’il faut certaine-ment accentuer ;• différenciation des niveaux de com-pétence visés dans le cadre d’unmême programme qui sera bientôt enœuvre au collège du fait de la définitiond’un socle commun indispensable ;• différenciation des tâches donnéesaux élèves et des méthodes à l’inté-rieur des classes par une personnali-sation plus grande de l’enseignement :la suppression progressive des modu-les au lycée ne favorise pas cette dif-férenciation.

En mathématiques, on peut certaine-ment donner une formation de qualitéà tous les élèves, si l’on ne s’imposepas de donner la même à tous !

L’enseignement des mathématiquesest en évolution et cette évolution estpositive. Une continuité plus affirméedes programmes entre l’école primaireet le collège, le rapprochement avecles autres disciplines scientifiques quis’amorce dans l’introduction des thè-mes de convergence au collège, la dif-férenciation des programmes delycée, la prise en compte, aujourd’huidans les programmes de mathéma-tiques et demain dans l’évaluation, desoutils logiciels, la définition d’un soclecommun comprenant les principauxéléments de mathématiques contri-buent à cette évolution. Dans le pro-longement de nos initiatives pour lamodernisation des sujets d’examen et

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grâce au travail d’animation et de for-mation impulsé par les corps d’inspec-tion, nous constatons un retour à uneactivité mathématique plus authen-tique dans les classes.

Mais, au niveau du collège, dans lesannées qui viennent, il va falloir choisirentre donner une culture mathématiqueà tous – correspondant au socle com-mun – ou maintenir la fiction d’unenseignement exigeant pour tous

conduisant à l’échec d’un grand nomb-re d’élèves. 13 Dans ce cadre, l’institu-tion devra trancher sur la place respec-tive du programme et du socle com-mun.

Enfin, si les examens gardent leurpoids actuel dans notre système, ilfaudra bien qu’ils permettent d’éva-luer effectivement les compétencesinscrites dans les programmes ! Pourcela il est indispensable de développer

> 1 Cet enseignement a permis une excellente formation secondaire des futures élites scientifiques mais a engendré a contrario une absence complète de culture mathématique pour la génération des actuels décideurs qui, pour la plupart, n’ont pas suivi la voie scientifique.

> 2 On ne trouve actuellement de programmes modulaires qu’en BTS. Leur extension à diverses séries professionnelles ou technologiques est en projet.

> 3 Par exemple, le programme et ses commentaires pour les deux années du cycle terminal de la série sciences et techniques de la gestion (STG) comportent au total 70 pages, correspondant à deux ou troisheures d’enseignement hebdomadaire.

> 4 La notion de suite convergente est au programme de terminale S, mais il a fallu préciser dans un document d’application du programme que les élèves devaient comprendre l’expression “suite divergente”.

> 5 C’est le cas du programme de seconde générale et technologique dans une majorité des classes.> 6 Comme l’utilisation du tableur, d’une calculatrice graphique ou la mise en place d’un algorithme.> 7 Introduction des programmes de la série S.> 8 Dans certains manuels de lycée, le cours ne comporte aucune démonstration.> 9 Depuis la création de la terminale S, la part de la spécialité mathématiques est passée de 37 % à 24 %.> 10 Créée à l’intiative conjointe du groupe des mathématiques de l’IGEN, de la SMF (Société mathématique

de France) et de l’APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public).> 11 Rapport d’information n° 3061 sur “l’enseignement des disciplines scientifiques dans le primaire

et le secondaire”.> 12 … et au ressentiment qu’ils en gardent lorsqu’ils accèdent aux responsabilités !> 13 À titre d’exemple, dans l’académie de Versailles à la session 2002, 31 % des candidats ont obtenu

une note inférieure à 5 sur 20 à l’épreuve écrite de mathématiques du brevet.

Note : Cette étude réalisée par le groupe des mathématiques, ne se présente pas comme un travail de chercheur ou d’universitaire. Elle repose essentiellement sur notre connaissance des pratiques de classes et des textes régissant l’enseignement des mathématiques (programmes, documents d’application ou d’accompagnement). Elle concerne principalement nos domaines statutaires d’intervention : le collège et le lycée, y compris ses classes post-baccalauréat. Pour mettre en évidence les spécificités françaises, nous nous sommes appuyés sur des connaissances relatives à l’enseignement des mathématiques dans quelques pays étrangers, issues de visites et de l’étude de documents.

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L‘apport du système éducat if f rançais à la dynamique européenne dans l ‘enseignement des languesFRANCIS GOULLIER, inspecteur général de l’Éducation nationale

Àpremière vue, le rapprochementde ces deux thèmes pourraitconforter l’image d’une France

“mauvaise élève en langues de l’Europe”et donner l’impression que notre payscherche à importer des modèles euro-péens pour résoudre ses difficultés.

Sans nier la nécessité d’augmenter sen-siblement et rapidement les compéten-ces de communication en langues étran-gères de l’ensemble de nos élèves, untel constat négatif mérite cependant d’ê-tre profondément nuancé par la priseen compte d’autres caractéristiques del’enseignement des langues dans le sys-tème éducatif français qui, conjuguésavec une meilleure efficacité, peuvent

représenter une chance réelle pour l’a-venir de cet enseignement. De plus, l’ac-tion de la France dans ce domaine estloin d’être perçue avec le même scep-ticisme chez nos partenaires. À titred’exemple, on notera avec intérêt quele Conseil de l’Europe a souhaité queson prochain forum sur les politiqueslinguistiques, en début de l’année 2007,soit organisé en coopération avec laFrance.

Faut-il voir là un hommage à la réussited’un modèle français de l’enseignementdes langues ? Certainement pas. Il s’a-git, bien plus sans doute, d’une recon-naissance de la contribution françaiseaux débats autour de certaines idées

En France, s’agissant des langues vivantes, les débats les plus récents ont portésur les conséquences à tirer des évaluations peu flatteuses des compétences enanglais de nos élèves, comparées à celles de six autres pays 1, et sur l’adoption officielle 2 du “Cadre européen commun de référence pour les langues“ du Conseilde l’Europe 3 pour rénover cet enseignement.

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clefs en matière de politique linguistiqueet de la capacité à tirer profit des oppor-tunités offertes par l’apparition d’unenouvelle dimension européenne dansl’enseignement des langues. C’est, detoute évidence, l’articulation originaleentre ces deux aspects qui constituenotre spécificité, et peut être aussi notreapport principal aux évolutions qui ontcours en Europe.

La diversification des langues offertes,une spécificité de la FranceMême s’il est habituel d’en souligner leslimites et d’en dénoncer les aspectscontraignants, la France présente lacaractéristique remarquable d’être, avecl’Allemagne, le pays en Europe où l’of-fre de langues étrangères enseignéesau titre de l’enseignement obligatoireest la plus large (13 langues auxquellesviennent s’ajouter 10 langues régiona-les) 4. Certes, ces 13 langues vivantesétrangères ne sont pas représentées dela même façon dans les établissementsscolaires ; les langues autres que l’an-glais, l’espagnol, l’allemand et l’italienne rassemblent que 1 % des élèves dansl’ensemble des collèges et des lycées 5.Mais, qu’elle soit, selon les périodes,affirmée avec force ou plus simplementgérée par des dispositions qui tendentà la préserver, cette diversité de l’offrelinguistique constitue le trait saillantd’une politique linguistique éducativepermanente.

L’un des aspects les plus controverséset les plus notables de cette politiquelinguistique est la réaffirmation de lanécessité de préserver la diversité deslangues enseignées à l’école primaire.La spécificité de cette voie apparaîtnettement quand on la compare à celle

empruntée par d’autres pays européensdans lesquels le choix exclusif del’anglais semble s’imposer.

L’intérêt de cette “voie française” peutse mesurer à certains effets positifs : àla rentrée 2005, la part de l’anglais àl’école primaire recule légèrement et lenombre moyen de langues offertes dansles départements est de 4,5. Mais sur-tout, cette orientation a des effets béné-fiques sur le nombre de langues étu-diées par chaque élève. La meilleureillustration en est donnée par l’académiede Strasbourg où, pour des raisons évi-dentes, l’allemand est la langue étudiéeà l’école primaire par la quasi totalitédes élèves. C’est dans cette académieque l’on trouve le plus grand pourcen-tage d’élèves étudiant au moins deuxlangues vivantes dans la totalité de leurcursus scolaire, aussi bien dans l’en-seignement général ou technologiqueque dans l’enseignement professionnel.La relation étroite entre le choix poli-tique de la diversification de la premièrelangue vivante et l’intérêt des familleset des élèves pour la diversité linguis-tique apparaît de plus en plus nettement.Un exemple récent en est fourni parl’Italie où, après le choix de l’anglaiscomme première langue étrangère obli-gatoire pour tous les élèves, le minis-tère a autorisé par un décret d’octobre2005 les familles à renoncer à l’étuded’une langue vivante 2 au profit d’un ren-forcement en anglais.

L’exemple français, à l’inverse, montreque la réponse la mieux adaptée à latension entre la nécessité d’étudier l’an-glais dans le cursus individuel et lebesoin de diversification en Europe nepasse peut-être pas par un statut spé-

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cifique de l’anglais comme seule pre-mière langue vivante.

Les effets de cette volonté de diversification sur les évolutionsen EuropeCe choix réaffirmé de la diversité est lacontribution la plus remarquée dusystème éducatif français aux débatssur les politiques linguistiques en Europe.Il est cohérent avec les efforts déployéspour maintenir la présence de l’ensei-gnement du français dans les différentssystèmes éducatifs. La politique depromotion du français a connu uneévolution sensible depuis quelquesannées. De plus en plus souvent, lesdémarches des représentants françaisenvers les systèmes éducatifs des payspartenaires s’inscrivent délibérémentdans un partenariat avec d’autres payset d’autres langues pour favoriser uneapproche plurilingue. La défense dufrançais est de moins en moins uneconcurrence avec d’autres langueseuropéennes mais, bien plus, unepromotion de la diversité et de lanécessité du plurilinguisme, écho deschoix opérés à l’interne dans le systèmeéducatif français, sans lesquels cesefforts perdraient toute efficacité.

On peut faire l’hypothèse que ce choixconstant en France a constitué, avecd’autres, une aide importante pour lespays ou les acteurs dans ces pays quisouhaitent préserver cette diversité oula promouvoir. D’autres systèmeséducatifs connaissent des politiqueslinguistiques construites sur d’autresmodèles que le “tout anglais”, mais, dansde nombreux cas, il s’agit de pays où cechoix est motivé par une situationlinguistique très particulière et dont

l’exemple a donc peu d’effet d’entraî-nement. Le Luxembourg, la Suisse, laBelgique, la Finlande et l’Estonie, parexemple, ont des politiques linguistiquesmotivées par la prise en compte de laprésence de plusieurs langues officiel-les ou maternelles sur leur territoirenational.

Dans ce contexte, la France peut voirune confirmation de ses choix et peut-être aussi, pour partie, un effet de sacontribution aux débats sur ce sujet dansles décisions récentes de certains payspartenaires et dans les dernières prisesde position de la Commission euro-péenne. Celle-ci, en effet, lors de sapremière communication sur le sujet dumultilinguisme, en novembre 2005, (“Unnouveau cadre stratégique pour le mul-tilinguisme” 6) affirme avec force que“ le respect de la diversité linguistiqueconstitue une valeur fondamentale del’Union européenne 7”. On lit dans cemême texte des passages explicites surce sujet, qui ne surprendront pas unlecteur français, tel que : “Le pourcen-tage d’élèves de l’école primaire quiapprennent une langue étrangère aug-mente. Toutefois, le nombre moyen delangues enseignées dans les écolessecondaires reste en deçà de l’objectiffixé à Barcelone. On observe aussi unetendance croissante à ce que “l’ap-prentissage d’une langue étrangère” selimite à “l’apprentissage de l’anglais.“LaCommission a déjà fait observer que“l’anglais ne suffit pas” 8.

En effet, dans son plan d’action 2004-2006 “Promouvoir l’apprentissage deslangues et la diversité linguistique“ celle-ci affirmait déjà que “l’effet positif (del’apprentissage précoce des langues)

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est limité si tous les élèves apprennentla même langue : les jeunes apprenantsdoivent avoir accès à toute une série delangues. Les parents et le personnelenseignant doivent être mieux infor-més… des critères qui devraient dicterle choix de la première langue étran-gère de l’enfant” 9.

L’obligation d’une seconde languevivante : une autre spécificité françaiseLe pourcentage d’élèves français dusecond cycle de l’enseignement secon-daire général qui étudient deux ou troislangues étrangères est de 89,7 %. Ce quipeut nous sembler une évidence ne l’estplus quand on compare cette situationavec celle dans les autres pays euro-péens. Même si l’obligation de l’ap-prentissage d’une seconde langue étran-gère tend à se répandre, elle n’existe,pour le premier cycle de l’enseigne-ment secondaire, que dans quinze destrente pays de l’Espace économiqueeuropéen 10.

Malgré les doutes suscités par l’ins-cription dans le socle de compétenceset de connaissances de l’obligation decompétences dans une seule langueétrangère et par la possibilité laissée àcertains élèves de choisir entre l’ap-prentissage d’une seconde languevivante et l’option découverte profes-sionnelle en classe de troisième, un nou-veau signe de la permanence de cettepolitique éducative française est donnépar la définition des futures épreuvesdu baccalauréat de la série STG qui pré-voit une évaluation obligatoire des com-pétences de compréhension et de pro-duction, à l’oral et à l’écrit, dans deuxlangues vivantes et qui marquent une

avancée notable dans la prise encompte des compétences dans plu-sieurs langues.Cette ligne est en cohérence avec laproposition soutenue avec force par laFrance d’adopter au niveau européenl’objectif de maîtrise de compétencesde communication dans au moins deuxlangues vivantes étrangères en plus dela langue maternelle. Ici encore, il estaisé de percevoir que l’attachement dela France à la diversité linguistique enEurope se manifeste dans cette affir-mation de la nécessité d’un apprentis-sage de plusieurs langues vivantes partous et qu’il ne peut avoir d’effet positifau niveau international que par l’exten-sion progressive de cette obligation dansson propre système éducatif.

La France s’implique très fortementpour mettre en œuvre la dimension européenne dans l’enseignementdes languesCette implication repose à la fois sur laconviction que les pistes et les outilsproposés au niveau européen repré-sentent une réponse potentielle auxdifficultés rencontrées et sur le cons-tat que ces recommandations renfor-cent précisément plusieurs caractéris-tiques fortes des choix de politiquelinguistique de la France. Il suffit, pours’en convaincre, de passer en revue cer-tains des items du programme Éduca-tion et Formation 2010 de la Commissioneuropéenne consacrés à l’enseigne-ment des langues : la nécessité d’unepromotion volontariste par les États del’intérêt d’un apprentissage diversifiédes langues, l’apprentissage de deuxlangues vivantes par tous les élèves dèsle plus jeune âge ou encore la généra-lisation des formes d’enseignement

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bilingue. Il est aisé de mettre en face dechacun de ces points des décisions pri-ses en France, soit depuis le début desannées 2000 (généralisation de l’ap-prentissage obligatoire des langues dansl’enseignement primaire), soit dans l’ac-tuel plan de rénovation de l’enseigne-ment des langues (avancement du débutde l’apprentissage des langues vivan-tes 1 et 2 ; objectif chiffré d’augmenta-tion du nombre de sections européen-nes), ou encore dans les stratégiesspécifiques mises en œuvre en faveurde telle ou telle langue (mesures de pro-motion et d’information).

Nos partenaires européens observentavec intérêt une autre avancée majeurede la France dans l’adoption rapide etgénéralisée du Cadre européen communde référence pour les langues du Conseilde l’Europe et de l’échelle de niveaux decompétences en langue qu’il contient.Alors que ce document n’a été lancéofficiellement qu’en 2001, les program-mes pour le cycle 3 de l’école primaire,adoptés en 2002, fixent les objectifs decet enseignement en référence à cetteéchelle, suivis en 2003 par une démarcheanalogue pour les programmes du cycleterminal de l’enseignement général ettechnologique et, à partir de 2004, parles programmes pour le collège. Le pointd’orgue de cette dynamique est fournipar le décret du 22 août 2005 qui adopteofficiellement le Cadre européen com-mun comme outil pour concevoir lesobjectifs langagiers et le mode d’orga-nisation de l’enseignement des languesen France.

La motivation de ces décisions estévidente. Il s’agit de fixer des objectifsclairement définis aux différentes étapes

de l’enseignement des langues, dont unefaiblesse identifiée depuis des annéesétait l’absence de précisions quant auxcompétences pouvant être exigées desélèves. Il s’agit tout autant, grâce àl’adoption de références européennes,d’affirmer avec force que l’enseignementdes langues s’inscrit dans une per-spective d’ouverture internationale etde mobilité. Cette manifestation de ladimension naturellement européenneou internationale de l’apprentissage deslangues vivantes étrangères est l’un desmoyens de donner du sens à cet ensei-gnement et est, en cela, complémentairede la réaffirmation, contenue dans lesprogrammes de l’école au lycée, ducaractère indissociable de l’enseigne-ment de la langue et des aspects cultu-rels qui lui sont liés.

Le caractère conséquent de cette miseen œuvre, spécificité de la politiquelinguistique éducative en France, est loinde passer inaperçue en Europe. Mais,bien plus encore, la contribution essen-tielle de la France aux débats en coursen Europe réside certainement dans sonrôle dans la création de ce que l’on pour-rait appeler “un espace de responsa-bilité partagée en Europe” concernantles langues vivantes. L’apparition auniveau européen de nouveaux outils deréférence crée en effet une situationprofondément nouvelle.

Si un “modèle français“ existe en lamatière, il est concrétisé par le volon-tarisme actuel dans cette dynamique :apport de la France aux ressourcescommunes en Europe, par exemple parl’élaboration, dès 2001, de spécificationslinguistiques correspondant au niveauB2 pour le français langue étrangère 11

Une perspectived’ouverture internationaleet de mobilité

““

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(FLE) ou par la création en 2006 par leCentre international d’études pédago-giques de Sèvres d’un DVD rassemblantdes exemples de productions orales enFLE (français langue étrangère) cali-brées par rapport aux niveaux del’échelle européenne ; application duprincipe de confiance réciproque dansles mesures prises en relation avec despays partenaires 12 ; valorisation del’engagement personnel des élèves dansl’apprentissage des langues étrangèrespar la possibilité de passer, sous laresponsabilité du ministère, des certifi-cations de compétences délivrées enpartenariat avec des institutions ou orga-nismes étrangers 13.

Cette conscience d’une responsabilitépartagée dans le domaine des languesen Europe inclut, bien entendu, lanécessaire amélioration des compé-tences des élèves à la sortie du systèmeéducatif. C’est bien ainsi qu’il faut lirel’inscription parmi les indicateurs de laLOLF d’une augmentation du nombred’élèves atteignant le niveau decompétences B1 en fin de scolaritéobligatoire ou la déclaration du minis-tre français lors du conseil des minist-res européens de l’éducation de février2006 en faveur de la mise en œuvre

rapide de “l’indicateur de Barcelone”,évaluation des compétences réelles enlangues des jeunes Européens à la finde la scolarité obligatoire. Il ne s’agitdonc pas de chercher dans les particu-larités de l’enseignement des languesen France des “excuses” aux résultatsglobalement encore insuffisants de cetenseignement. La spécificité de l’apportfrançais est, au contraire, de prendreappui sur cette affirmation de la diver-sification et de la pluralité des appren-tissages pour atteindre l’objectif euro-péen de compétences réelles et diver-sifiées dans plusieurs langues vivantespar le plus grand nombre. On peut cer-tainement parler d’une certaine har-monisation dans l’enseignement deslangues en Europe, notamment par laréférence à la même échelle deniveaux pour définir les objectifs etélaborer les évaluations en langues.La contribution de la France est réelle,pas seulement parce qu’elle mêle savoix à celle des autres pays, mais sur-tout parce qu’elle affirme une singula-rité qui peut permettre que cette har-monisation, bien loin d’apparaîtrecomme un appauvrissement, soit à lahauteur des défis sociaux, économiques,éducatifs et politiques en France et enEurope.

> 1 Bonnet G, & Levasseur J, 2004, Évaluation des compétences en anglais des élèves de 15 et 16 ans dans sept pays européens. Note d’évaluation DEP, 00-04.

> 2 Décret 2005-1011 du 22 août 2005 relatif à l’enseignement des langues vivantes étrangères dans l’enseignement scolaire, à la réglementation applicable à certains diplômes nationaux et à la commission académique sur l’enseignement des langues vivantes étrangères, JO n°197 du 25 août 2005.

> 3 Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Didier, 2001.> 4 Chiffres clefs de l’enseignement des langues à l’École en Europe, Eurydice, édition 2005, p. 35.> 5 Repères, Références et statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, ministère

de l’Éducation nationale, de l’Enseignement et de la Recherche, 2005, p. 125.

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> 6 Commission des Communautés européennes, communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, 22.11. 2005, COM(2005) 596 final.

> 7 Ibidem, page 4.> 8 Ibidem, page 5.> 9 Commission des Communautés européennes, communication de la Commission au Conseil, au Parlement

européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, 24.07.2003, COM(2003) 449 final, page 8.

> 10 Chiffres clefs de l’enseignement des langues à l’École en Europe, Eurydice, édition 2005, page 24)> 11 Niveau B2 pour le français – un référentiel, Didier, 2004. Le FLE est la seconde langue européenne

à bénéficier de tels apports.> 12 Par exemple : renoncement à une double correction des copies évaluées par des professeurs allemands

pour l’attribution du baccalauréat à des lauréats de l’Abitur ; validation d’une année de seconde passée dans un établissement allemand sur la foi des évaluations effectuées dans l’établissement partenaire

> 13 Cf. note de bas de page n°2.

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L‘enseignement de l ‘h istoire et de la géographie LE GROUPE HISTOIRE-GÉOGRAPHIE de l’inspection générale de l’Éducation nationale

Un modèle est, par définition, un objet d’imitation. Il n’apparaît pas pertinent deparler d’un modèle français d’enseignement d’histoire et de géographie, dans lamesure où cet enseignement revêt des caractères qui restent largement originaux.Faudrait-il plutôt parler d’exception française ? Outre que la connotation de ceterme, ainsi d’ailleurs que celle de modèle, pourrait être considérée commequelque peu arrogante (de l’idée l’exception à celle d’exceptionnel le pas est vitefranchi), la diversité des modalités d’enseignement de ces disciplines dans lesdifférents pays, notamment européens, tend à prouver qu’ils constituent tousautant d’exceptions.

Quels sont donc les caractèresoriginaux de l’enseignement del’histoire et de la géographie en

France ? On peut dégager trois grandstraits :• l’histoire et la géographie forment uncouple séculaire qui constitue un enjeuimportant dans la société française ;• elles font l’objet d’un enseignementobligatoire tout au long du parcoursscolaire de l’élève ;• les finalités de cet enseignement ontévolué en s’adaptant à la société et aucontexte de l’époque.

Un enjeu important dans la sociétéfrançaiseL’histoire est une “passion française”et son enseignement fait l’objet denombreux débats, dont les médias sefont largement l’écho. On a pu le cons-tater, ces dernières années, avec lescontroverses sur l’enseignement de laFrance de Vichy, celui la guerre d’Al-gérie et, plus récemment, ceux de lacolonisation ou de la traite négrière etde l’esclavage.Mais deux remarques s’imposent. Toutd’abord, les débats autour de cet

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enseignement ne constituent pas unphénomène nouveau dans la sociétéfrançaise, de longue date très sensibleà son importance et à ses contenus.Ensuite, l’enjeu ne se limite pas au seulenseignement de l’histoire, celui de lagéographie est également concerné,dans la mesure même où ces deux dis-ciplines, enseignées par un même pro-fesseur forment un couple séculaire.Ceci explique notamment que lesFrançais connaissent mieux leur géo-graphie que la plupart des habitantsdes pays développés.

Afin de comprendre cette hypersensi-bilité, plus importante que dans beau-coup d’autres pays, il faut revenir auxorigines de cet enseignement conjoint.La Troisième République assigna àl’enseignement de l’histoire et de lagéographie une fonction civique etnatio-nale. Leur association doit êtreresituée dans le sillage de la défaite de1870-1871 et de la crise de consciencequi s’en est suivie : le rapport d’AugusteHimly et d’Émile Levasseur célébra lemariage de l’histoire et la géographiedans la perspective d’un renforcementnational passant par une meilleure com-préhension du monde.

Cette finalité nationale et patriotique seretrouve dans le célèbre Petit Lavisseou dans le non moins célèbre livre delecture de G. Bruno, pseudonymed’Augustine Fouillée, Le Tour de laFrance par deux enfants, qui permettaitaux jeunes élèves de se familiariseravec l’espace français et sa richesseculturelle et historique. L’importancemême accordée à cet enseignementexplique la précocité des controversesle concernant. On peut rappeler à cet

égard quelques exemples significatifs : • la “querelle des manuels” entre cléri-caux et anticléricaux de 1901 à 1914 ; • l’affaire Thalamas, qui s’inscrivit dansle même contexte : ce professeur futbruyamment mis en cause par certainsétudiants pour avoir douté du miracledes voix entendues par Jeanne d’Arc ; • la remise en cause de l’enseignementpatriotique de l’histoire et de la géogra-phie, par le socialiste Gustave Hervéavant la Grande Guerre (avant qu’il nese convertisse à l’ultra-nationalisme)ou par les pacifistes du syndicat nationaldes instituteurs (SNI) dans l’entre-deux-guerres.

La crise qui éclata en 1979-1980 estparticulièrement révélatrice de l’im-portance accordée à l’enseignementde l’histoire et de la géographie. Auxorigines de la polémique, il y eut laréforme Haby et ses nouveaux pro-grammes, qui, selon le président del’Association des professeurs d’histoi-re et de géographie, marquaient “letemps du mépris” pour ces disciplines,fondues dans un ensemble de “scien-ces sociales” comportant une initia-tion économique et sociale.

Le coup d’envoi de la crise fut donnépar Alain Decaux, dans un article duFigaro Magazine du 20 octobre 1979 :“On n’apprend plus l’histoire à vos en-fant”. Très rapidement, la polémique fitrage : en 1980 l’assaut provint d’ho-rizons politiques divers, du gaul-listeMichel Debré au journal communisteL’Humanité. Tout ceci doit être resituédans le contexte politique d’une inquié-tude suscitée par la politique europé-enne de Valéry Giscard d’Estaing et ceque certains estimaient être une

L’histoireest une passionfrançaise“

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volonté de “liquidation de la mémoirenationale”. Après l’alternance de 1981,le débat eut un écho au plus haut som-met de l’État. Lors d’un conseil desministres, le 31 mai 1983, le PrésidentMitterrand se dit “angoissé par lescarences de l’enseignement de l’histoirequi conduisent à la perte de la mémoirecollective des nouvelles générations”.

Cet épisode est révélateur des attentesde la société française vis-à-vis del’enseignement de l’histoire et de lagéographie. Celle-ci lui adresse, eneffet, des demandes fortes et renouve-lées (demande civique revisitée, de-mande patrimoniale, demande d’Eu-rope, de prise en compte du fait reli-gieux, de construction de mémoire(s),de prise en compte des questions envi-ronnementales dans la perspectived’un développement durable). Cet en-seignement s’efforce d’y apporter desréponses, mais il doit opérer des tris. Ilserait impossible et dangereux desatisfaire à toutes les demandes mé-morielles. Son premier devoir est undevoir de vérité et il doit à ce titre inté-grer les avancées scientifiques. C’estlà une démarche indispensable pourconjurer le risque d’une instrumentali-sation mémorielle, mais aussi pourprendre en compte les progrès de l’his-toriographie dans certains domaines(histoire culturelle, nouvelles appro-ches du totalitarisme, redéploiementde la géographie scolaire autour denouveaux paradigmes et de l’utilisationde nouveaux outils géographiques).

Un enseignement obligatoire de l’école primaire jusqu’au lycéeLa France est l’un des rares pays oùl’histoire et la géographie constituent

des enseignements obligatoires à tousles niveaux et dans toutes les voiesd’enseignement : • à l’école primaire (à partir du cycle III), • au collège,• au lycée (dans les voies générale,technologique et professionnelle),• jusque dans les classes préparatoi-res littéraires, économiques et com-merciales (voie générale et voie éco-nomique) et, même dans certainesCPGE scientifiques (BCPST2 ; TB1 etTB2) pour la géographie seulement. Lagéographie est également enseignéedans les classes de BTS tourisme.

Cette présence est encore renforcéepar le fait que l’histoire et la géogra-phie figurent en bonne place dans lesexamens, soit sous forme d’une épreu-ve écrite (brevet, baccalauréat géné-ral, technologique et professionnel),soit dans le cadre d’un CCF (CAP, BEP).

Des finalités qui ont évolué avec leur tempsL’enseignement de l’histoire et de la géo-graphie s’efforce d’intégrer les avan-cées de la recherche scientifique maisaussi de s’adapter aux exigences de sontemps. Ses finalités ont donc évoluédepuis l’époque de Lavisse et de Vidalde La Blache. Il s’agit aujourd’hui dedonner aux élèves une culture leur per-mettant de comprendre le monde et d’yexercer, le moment venu, leur responsa-bilité de citoyens. Ceci implique l’affir-mation d’un lien entre le civique et lepatrimonial : l’identité du citoyen doitêtre fondée sur une culture partagée.

Depuis les années 90, les programmesont répondu largement à cette exi-gence, notamment grâce à une étude

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de l’histoire jusqu’à nos jours (qui n’estpas une chose totalement nouvelle :les programmes de Victor Duruy leprévoyait déjà sous le Second Empire)et à l’orientation de la géographie versdes problématiques actuelles (parexemple vers les questions de l’amé-nagement des territoires ou du déve-loppement durable).

Ces contenus doivent être adossés àdes valeurs, celles de la démocratie etdes droits de l’homme, qui sont cellesde notre République, mais que nouspartageons avec nos partenaires del’Union européenne. Ceci pose laquestion de la dimension européennequi est également soulevée par l’affir-mation d’une citoyenneté européenne.L’enseignement de l’histoire et de lagéographie y a répondu en accordantune place importante à l’Europe dansles programmes, à côté de la dimen-sion nationale. Cette place est aujour-d’hui plus large que celle que luiaccordent beaucoup de nos partenai-res européens chez lesquels la dimen-sion nationale reste dominante.

La volonté de dégager une dimensionpatrimoniale européenne, sans tomberdans une vision téléologique et volonta-riste qui ferait de la construction euro-péenne l’aboutissement d’un “longfleuve tranquille”, est très sensible tantdans les programmes du primaire (cequi est nouveau car ils étaient tradition-nellement ancrés dans le national) quedans ceux du collège et du lycée, (cequi l’est moins). Une recherche récentede Jean-Pierre Wytteman, IA-IPRd’histoire et géographie, a ainsi aboutià la conclusion qu’en ce qui concernel’ouverture à l’histoire de l’Europe, la

France se situerait au 7e rang sur les 25membres de l’Union européenne, cequi est assez honorable. Le lancementd’un manuel franco-allemand d’histoi-re est également significatif d’uneouverture à l’Europe. Mais les horizonsde l’histoire et de la géographie ne sebornent pas à cette dimension euro-péenne et s’élargissent à l’espacemondial ; les programmes de terminalesont particulièrement caractéristiquesde ce point de vue.

Une autre finalité clairement affirméede l’enseignement de l’histoire et de lagéographie est de contribuer à la for-mation intellectuelle et à l’éveil del’esprit critique des élèves. Il s’agitdonc de dégager les “points forts”plutôt que d’empiler des connais-sances, afin de donner aux élèves desrepères qu’ils doivent mémoriser (cf.les “repères fondamentaux” au collège,obligatoires et évalués au DNB). L’ac-cent mis sur les points forts permetaussi de mieux leur apprendre à exer-cer leur esprit critique et de les faireréfléchir sur des faits essentiels, por-teurs de sens, en évitant l’encyclopé-disme (cf. l’orientation des program-mes du lycée qui permet une approchecritique du monde). La place faite audocument, sans aller jusqu’au “toutdocument” et négliger la place durécit, joue également dans le sens dudéveloppement de l’esprit critique.

Par ailleurs de nouvelles approches,dont les programmes de seconde sontun reflet (moments historiques enhistoire et études de cas en géogra-phie), permettent de rompre avec unehistoire et une géographie fatalistes outéléologiques.

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Enfin, l’enseignement de l’histoire et dela géographie se doit de concourir à lamaîtrise de la langue et à la cohérencedes savoirs. Cette dimension est clai-rement affirmée dans l’introduction desprogrammes de collège, ainsi que dansles documents d’accompagnement. Lesépreuves d’examen ont été construitesafin de susciter en amont la pratiqueautonome de l’analyse et de la rédac-tion. Le souci de cohérence des savoirs

se manifeste tant dans le rapproche-ment avec d’autres disciplines quedans les programmes (les programmesde collège, par exemple, indiquent desœuvres communes aux programmes defrançais et d’histoire) soit dans la partimportante prise par les professeursd’histoire et géographie dans les itiné-raires de découverte (IDD), les travauxpersonnels encadrés (TPE) et l’éduca-tion civique jurudique et sociale (ECJS).

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L‘École et l ‘éducat ion civ iqueALAIN BERGOUGNIOUX, inspecteur général de l’Éducation nationale

L’éducation civique ou l’éducation à la citoyenneté, pour prendre une acceptionplus large admise en Europe, reflète évidemment plus que les disciplines scolaires,l’état d’une société. L’éducation civique n’est justement pas une discipline, c’est unenseignement de valeurs, de principes, de savoirs, de pratiques, estimés indispensablesà un moment donné pour préparer les jeunes à participer le mieux possible à la viedémocratique, en assumant et en exerçant leurs droits et leurs devoirs citoyens.Aujourd’hui, face au déficit de participation démocratique constaté, à des degrésdivers, dans la jeunesse des pays européens, les formes de l’éducation à lacitoyenneté font l’objet d’interrogations.

Le Conseil de L’Europe a consacré2005 comme une année euro-péenne de la “Citoyenneté par l’é-

ducation”, pour faire le point sur lespolitiques éducatives des pays mem-bres et diffuser des préoccupationscommunes. Les objectifs apparaissentlargement partagés pour inscrirel’éducation à la citoyenneté dans lespriorités des politiques actives. Maischaque pays le fait à partir de ses tra-ditions et des caractères de son systè-me éducatif et définit de la sorte son“modèle”. La comparaison des diffé-rentes “politiques” permet seule de

déterminer ce qui doit être des exem-ples à suivre ou non.

L’instruction morale et civique au cœur de l’École républicaineLa Révolution Française, avec Condor-cet, avait déjà distingué clairement cequi devait relever de l’instruction et del’éducation pour l’élève. Mais la miseen œuvre n’avait pas suivi. La forma-tion du citoyen ne réapparaît réelle-ment comme une priorité qu’au débutdes années 1880, quand elle est miseau cœur de l’École républicaine. Une“instruction morale et civique” est alors

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définie dans les programmes de 1883,relayés sans grands changements parceux de 1927, et restera en applicationjusqu’à la fin des années 1960. Cetteinstruction civique était fortement liée,d’une part, à une instruction moraleet, d’autre part à l’histoire et à la géo-graphie.

Ce double ancrage montre l’impor-tance qui lui était accordée pour la for-mation d’une identité nationale. Lecitoyen qu’il s’agissait de former étaitun individu républicain et français titu-laire d’une part de la souveraineténationale, faite de droits et de devoirs.La dimension politique était volontaire-ment au centre de cet enseignement,et tout particulièrement le vote. À lamorale - avec ses célèbres leçons -d’amener les élèves à intérioriser desrègles de vie en société conçuescomme universelles, car réputéesadmises par tous. Et, de ce point devue, les historiens de l’éducation ontsouvent mis en évidence que l’ensei-gnement de la morale quotidienne nedifférait guère entre les écoles pu-bliques et les écoles privées. Il con-vient cependant de rappeler que cetteinstitution morale et civique ne concer-nait pas tous les élèves. Ceux quiétaient destinés à l’enseignementsecondaire fréquentaient au primaireles petites classes des lycées où l’ap-prentissage des “humanités” tenaitlieu d’éducation civique.

Ces principes ont perduré jusqu’en1940. Le régime de Vichy avait fait tom-ber le terme “d’instruction civique”pour le remplacer par une “actionmorale”, enseignée une heure parsemaine aussi bien dans les écoles

primaires que dans les lycées. LaLibération a inauguré une autre pério-de. Il est apparu nécessaire, particu-lièrement aux enseignants résistants,de refonder les valeurs d’une Répu-blique mise à mal sous l’occupation. Ila été décidé d’enseigner désormais“une instruction civique et mo-rale”dans les écoles primaires et les lycéesalors que les petites classes deslycées disparaissaient peu à peu. Cesont dans les mêmes années que lesdélégués d’élèves furent instaurés.Les instructions officielles ont mis l’ac-cent sur une pédagogie à base deméthodes actives. Cet enseignement,dans le premier cycle des lycées, a étéconfié aux professeurs d’histoire et degéographie.

Cet édifice a été cependant profondé-ment ébranlé dans les années soixante.Les changements, considérables denotre société (notamment la fin desguerres coloniales, l’entrée dans laconsommation de masse, la réconci-liation franco-allemande et la cons-truction européenne, la libéralisationdes mœurs, etc.) ont contribué à attri-buer moins d’importance à la dimen-sion politique du lien collectif et à met-tre en avant les dimensions écono-miques et sociales de la vie française.Avec la crise de mai 1968 qui plus est,l’instruction civique et morale s’esttrouvée victime d’une double méfian-ce : celle du corps enseignant qui y vitun effet de “l’idéologie dominante” etcelle des gouvernements soucieux,avant tout, de modernisation écono-mique et sociale. Dans l’enseignementprimaire, l’instruction civique disparaîten 1969 comme discipline autonome,elle est fondue dans des activités d’éveil.

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Une évolution analogue a lieu dansl’enseignement secondaire, où, en 1975,la réforme Haby instaure en lieu etplace un “enseignement d’initiation àla vie économique et sociale”.

Cet enseignement ne réapparaît, sousle terme désormais non plus d’instruc-tion, mais d’éducation civique, qu’en1985. Il faut voir là principalementl’effet d’une prise de conscience desdifficultés d’intégration dans la sociétéd’une jeunesse diverse culturellement.Par ailleurs, le débat sur l’enseigne-ment de l’histoire avait marqué, audébut des années 80, une interrogationsur l’identité collective et la crise sco-laire de 1984 avait ajouté au climat dela division. Dans les mesures “simpleset pratiques” d’après crise qu’il prit, leministre Jean-Pierre Chevènementréintroduisit l’éducation civique à l’é-cole primaire et au collège. Les pro-grammes reprenaient les thématiquesclassiques, en privilégiant l’étude desinstitutions et l’apprentissage des va-leurs républicaines.

Cette réinstauration n’a pas étédiscutée dans son principe. Mais elleallait quelque peu à contre-courant dela réflexion pédagogique dominante quiprivilégiait plutôt un enseignementfondé sur les droits de l’homme, encette période de crise des grandesidéologies, lié davantage aux pratiquesscolaires de type coopératif, débordantla seule approche disciplinaire. Ledébat sur la place de l’éducationcivique s’est donc poursuivi dans lesannées 1990. Entre 1993 et 1996, lesprogrammes du collège ont été réno-vés. De la consultation lycéenne qui asuivi le mouvement lycéen de 1998 est

sorti un enseignement “d’éducationcivique, juridique et sociale” pour lelycée. Enfin, des programmes pourl’école primaire ont été redéfinis en 2002.

De ces rapides rappels, il ressort quel’enseignement de l’éducation civiquedépend de la manière dont sont conçusla citoyenneté et le rôle de l’École dansla société. C’est finalement depuis peuque l’éducation civique est présente àtous les niveaux du système éducatif.L’ensemble constitue cependant unenébuleuse assez complexe.

Une éducation civique à tous les niveaux de la scolaritéUn état des lieux permet de cerner lescaractères du “modèle” français. Àl’école primaire, bien qu’instituée dansun programme, l’éducation civique s’en-seigne rarement seule. Elle est liée auxapprentissages fondamentaux, à l’en-seignement de l’histoire et de la géogra-phie, aux premières démarches scienti-fiques. Le programme s’organise autourde deux valeurs fondamentales : lerespect de soi et la responsabilité indivi-duelle. Il a pour but de faire découvrirles droits universels de la personnehumaine et de donner sens à l’exercicedes responsabilités au sein de l’école etde son environnement. Il prévoit égale-ment la présentation des principes d’or-ganisation de la République et dequelques grandes institutions dans ledernier cycle de l’école.

Au collège, à raison d’une heure heb-domadaire par niveau, l’éducationcivique fait l’objet d’un enseignementcohérent et progressif. Les program-mes ont été rénovés entre 1993 et 1996.Ils sont enseignés essentiellement par

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les professeurs d’histoire et de géo-graphie. En classe de sixième sont étu-diés les droits et les devoirs de la per-sonne, en mettant notamment en évi-dence la vie au collège, le droit àl’éducation, les droits et les obligationsde l’élève, les principes de la citoyen-neté, la responsabilité vis-à-vis del’environnement et du patrimoine. Enclasse de cinquième, le programmeest structuré par les concepts d’égali-té, de solidarité et de sécurité en met-tant l’accent sur l’égalité devant la loi,le refus des discriminations, la dignitéde la personne, la solidarité entre pro-ches, la solidarité sociale, la sécuritéet les risques majeurs. En classe dequatrième, sont étudiés la liberté, lesdroits et la justice en France, les droitsde l’homme et la citoyenneté en Europe.En classe de troisième sont abordésles questions de la citoyenneté et de ladémocratie, l’organisation des pou-voirs en France, les différentes dimen-sions de la citoyenneté, quelquesgrands débats de la démocratie (paritéhommes-femmes, information et mé-dias…) et les réalités de la défense etde la paix.

Trois aspects caractérisent ces pro-grammes du collège : la distinctionentre la personne et le citoyen pourque l’enseignement ne reste pasabstrait ; un choix pédagogique qui pri-vilégie l’étude de cas pour permettre lepassage du particulier au général ; laconnaissance des textes fondateursdes déclarations des droits de l’hom-me, toutes les questions étudiées sefondant sur des références précises.Depuis 2000, une épreuve spécifiquede brevet comporte la rédaction d’uncourt texte argumenté à partir de

documents et, à partir de 2006, unenote de “vie scolaire” sera prise encompte dans cet examen.

Au lycée, des programmes d’éducationcivique, juridique et sociale (ECJS) ontété rédigés de 1997 à 2000 pour lesclasses de seconde, de première et determinale. En seconde, les élèvesdoivent réfléchir à la citoyenneté ; enpremière, l’accent est mis sur les insti-tutions et les pratiques de la citoyenne-té ; en terminale, il s’agit d’étudier lacitoyenneté à l’épreuve du mondecontemporain. Le projet global, malgréla prudence de l’intitulé, est bien uneéducation politique. La pédagogie choi-sie est celle du débat argumenté à rai-son de deux heures par quinzaine, cequi suppose une préparation préalable.Ces heures sont assurées par des pro-fesseurs volontaires de différentesspécialités ; dans la pratique, il s’agitdes professeurs d’histoire et de géo-graphie et des professeurs de scien-ces économiques et sociales.

Il est à noter que c’est par lesprogrammes d’éducation civique quel’Éducation nationale répond à deuxobligations fixées par la loi. En effet, laloi du 27 octobre 1997 suspendant laconscription pour le service militairelui fait obligation d’assurer un ensei-gnement des principes et de l’organi-sation de la défense nationale et euro-péenne et un décret du 20 août 1998,relevant de la loi relative à la nationali-té du 16 mars de la même année, luiconfie une mission d’enseignementdes principes fondamentaux qui régis-sent la nationalité française. L’en-seignement d’éducation civique a doncconnu une vraie rénovation durant ces

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dernières années. Il tente d’éviter unesimple présentation des institutionspour être une éducation à la responsa-bilité individuelle à différentes échel-les. Il ne se veut pas une inculcation. Àpartir des connaissances nécessaires,il tente de prendre appui sur l’expres-sion des élèves, notamment l’expres-sion orale. C’est dans cette perspecti-ve que le débat lié à l’argumentationest la démarche privilégiée à tous lesniveaux de formation.

Il y a cependant des fragilités qui tien-nent aux difficultés de cet enseigne-ment pour lequel nombre de profes-seurs ne se sentent pas préparés.L’introduction dans les épreuves surdossier des concours externes derecrutement des professeurs de l’en-seignement secondaire (CAPES,CAPEPS, CAPLP2) d’une réflexion surla dimension civique de l’enseigne-ment demeure largement formelle. Lesinstituts universitaires de formationdes maîtres ne donnent, pour lemoment, qu’une place réduite aux“modules” d’éducation civique. Deplus, la place de l’éducation civiquedans les lycées professionnels est plusrestreinte que dans les lycées géné-raux et elle est absente dans les sériestechnologiques en classe terminale, cequi n’est guère compréhensible. Enfin,l’articulation se fait mal entre lesapproches pédagogiques effectuéesen classe et les activités éducatives àportée civique menées en dehors del’établissement.

L’essentiel de l’éducation civique estassuré par les enseignants. Mais unpartenariat tend à se développer avecles différents représentants des pou-

voirs publics, en particulier les magis-trats qui participent à l’information desélèves (sur la justice, la nationalité,etc.) ou qui traitent des problèmes per-sonnels et familiaux des élèves, avecles personnels sociaux, médico-psychologiques ou de santé, avec lespersonnels de police ou de gendarme-rie intervenant au sein de l’École à titred’information et de prévention (ou àl’extérieur au titre de la répression). Cetravail n’est pas régulier, ni continu.Mais il apparaît de plus en plus néces-saire que l’éducation civique puisseêtre appuyée par des personnels qua-lifiés qui apportent leurs savoirs juri-dique, médical ou psychologique.

Les associations de parents d’élèvessont nécessairement représentéesdans l’École et elles participent statu-tairement aux conseils de classe etaux conseils d’établissement. Ellesprennent part aussi à de nombreusesactivités parascolaires. Mais les réti-cences sont encore fortes pour entrerdans une réflexion générale et uneactivité pour l’amélioration descomportements des élèves. Elle se faitau coup par coup sans politique d’en-semble. Il existe également un parte-nariat avec les associations et lesmouvements d’éducation populaire,qui sont dépositaires de savoir-faire etd’informations et offrent des ressour-ces variées. Une collaboration réguliè-re suppose que des cahiers des char-ges précis soient établis entre les éta-blissements scolaires et les partenai-res associatifs. D’une manière généra-le, il manque souvent une coordinationavec les différents partenaires pos-sibles du système éducatif. Une éva-luation est donc difficile à faire et, sans

L’éducationcivique a connuces dernièresannées une profonde rénovation

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aucun doute, il reste encore à définirune politique d’ensemble.

Un modèle français ?C’est pourquoi un examen des poli-tiques suivies dans les autres payseuropéens peut être utile. Les travauxdu Conseil de l’Europe permettent d’enprendre une vue commode. La ten-dance est de donner à l’éducation à lacitoyenneté une conception engloban-te, puisqu’il s’agit, le plus souvent, defavoriser la participation à la vie démo-cratique, de reconnaître les diversitésculturelles et de pratiquer la tolérance,mais également de permettre le déve-loppement de la personnalité desélèves, en cultivant leur potentiel. Demanière plus volontaire qu’en France,l’enseignement “formel” et l’éducation“informelle” sont fortement liés.L’accent est mis sur l’apprentissagecoopératif dans la vie des établisse-ments. Les pays de culture anglo-saxonne, en effet, accordent une gran-de importance à la décentralisationdes prises de décision, à l’organisation“démocratique” des établissements,au développement du partenariat avecles associations et les collectivitéslocales.

Ces traits constituent pour l’essentiel le“modèle” dominant en Europe. Mais lesétudes et les débats dans les colloqueseuropéens font apparaître plusieursproblèmes communs. D’abord, l’accenttend à être mis, aujourd’hui plus qu’hier,sur la nécessaire définition de program-mes qui apportent des connaissances.Et là, trois manières existent pour faireapparaître l’éducation à la citoyenneté,soit en instituant une matière distincte,comme dans l’enseignement secondaire

français, soit en intégrant les connais-sances civiques dans d’autres discipli-nes (l’histoire bien sûr, les sciencessociales ou encore la philosophie), soiten développant des thématiques tran-sversales, les combinaisons mixtesétant fréquentes. Presque partout aussiles écarts entre les intentions portéespar les directives officielles et les pra-tiques réelles sont notables. L’édu-cation à la citoyenneté occupe partoutune place secondaire par rapport auxdisciplines. Les heures allouées de-meurent faibles. Dans de nombreuxpays, elle a un statut non obligatoire.Le risque du conformisme intellectuelou du “politiquement correct” est fort.

La “démocratie scolaire” trouvesouvent ses limites, même dans lespays scandinaves où elle est le plus enhonneur. La “participation“ demeure lefait de minorités d’élèves. La formationinitiale comme continue des ensei-gnants apparaît trop limitée. L’évalua-tion, non pas des élèves, mais del’efficacité des politiques d’éducation àla citoyenneté demeure une questionnon résolue. Ceci ne remet pas toute-fois en cause les grandes tendancesdes politiques d’éducation à la citoyen-neté - les fondements de cet ensei-gnement, les droits de l’homme, larecherche d’une participation active etresponsable des élèves dans la viequotidienne des établissements - maispose des problèmes réels, qui sontl’objet de réflexions dans chaque pays.

Finalement, le “modèle” français n’ap-paraît pas exceptionnel en Europe. Aufil des décennies, il a acquis les diffé-rentes dimensions que l’on retrouve,certes dans des proportions distinctes,

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dans les autres pays européens. Iln’est évidemment pas étonnant quele caractère “formel” y soit plus impor-tant qu’ailleurs, compte tenu de laforce des disciplines dans notre ensei-gnement scolaire. Il est regrettable,mais non surprenant, que l’éducationcivique ne soit pas nettement liée à lavie scolaire. Les dispositifs dans lesdifférents degrés et les niveaux scolai-res se sont additionnés, sans quejamais jusqu’à présent une cohérenced’ensemble n’ait été pensée nationale-ment. Pourtant, depuis maintenantpresque deux décennies, une réflexionapprofondie s’est menée sur la naturede ce que doit être une éducationcivique de notre temps pour assurer lepassage d’un “savoir national” auxvaleurs d’un “vivre ensemble”. Laconscience a été prise clairement qu’ilfaut unir fortement des valeurs, dessavoirs, des comportements.

Dans un “âge” du scepticisme, où lesinstitutions sont l’objet, le plus sou-vent, d’une crise de confiance large-ment partagée, une éducation civiqueauthentique ne doit pas être le moyend’instrumentaliser les futurs citoyens,ni une sorte de “thérapie” sociale ; elledoit permettre la reconnaissance del’élève comme une personne respon-sable dans sa vie et au sein de la Cité.Certes, l’École ne peut remédier seuleaux problèmes de la société, mais elleest désormais le seul lieu où, pendantplusieurs années, les jeunes Françaispeuvent se retrouver, même si lesinégalités territoriales créent déjà desdifférenciations notables. La manièredont l’École s’y prend et doit s’y prend-re pour remplir la mission qui lui estconfiée de préparer à l’exercice effec-tif de la citoyenneté, devrait être unedes préoccupations majeures deséducateurs.

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L‘enseignement scolaire de la phi losophie en FranceMARK SHERRINGHAM, inspecteur général de l’Éducation nationale

Héritier d’une tradition prestigieuse remontant aux collèges jésuites du 18e siècle,l’enseignement scolaire de la philosophie en France présente un certain nombre detraits distinctifs : une vocation généraliste qui vise la formation du “citoyen éclairé”,un enseignement élémentaire évitant le double écueil de l’encyclopédisme et del’érudition spécialisée, une pédagogie de la liberté qui soutient l’expression organiséede la réflexion et du jugement. Mais ce modèle de l’enseignement philosophique,s’il peut rester une source d’inspiration pour nos partenaires européens, doit aussiassumer dans la sérénité quelques évolutions indispensables.

L’enseignement de la philosophiedans notre pays n’est pas limitéà l’université. La philosophie est

depuis le Premier Empire (s’inspirantde la tradition des collèges des jésui-tes), et à l’exception d’une éclipse de1852 à 1863, une matière obligatoiredans l’enseignement secondaire, circon-scrite à la dernière année du lycée.

Elle est présente aujourd’hui enterminale dans la voie générale (8 h ensérie L, 4 h en série ES, et 2 h + 1 h ensérie S) et dans la voie technologique

(1 h + 1 h) et est sanctionnée par uneépreuve au baccalauréat. Mais la phi-losophie est également présente en tantque telle dans les classes préparatoi-res aux écoles normales supérieures,sous la forme d’une épreuve de “cult-ure générale” dans les concours d’en-trée aux écoles commerciales ainsi quedans le cadre d’une épreuve de “fran-çais/philosophie” pour les concours desécoles d’ingénieurs. Il faut égalementmentionner la présence déjà réelle maistrès inégale d’un enseignement dephilosophie dans un certain nombre de

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secteurs de l’enseignement supérieur(droit, médecine, sciences, instituts d’é-tudes politiques, écoles d’ingénieurs,écoles commerciales…), présencerégie, bien entendu, par le principe del’autonomie des universités et par lesprojets d’établissement. Enfin la philo-sophie générale et la philosophie de l’é-ducation furent également enseignéescomme matières obligatoires associéesà la psychologie de l’enfant et à la péda-gogie générale dans les Écoles norma-les d’instituteurs jusqu’à leur disparitionen 1991. Elle a conservé une placeaujourd’hui dans les IUFM, place quivarie selon les établissements, et il estlégitime d’espérer que le futur cahierdes charges national de la formation desmaîtres l’inscrira comme un élément fon-dateur de l’identité professionnelle detous les enseignants.

Une vocation généralisteC’est dire qu’en France, l’enseignementde la philosophie n’est pas réservé auxétudiants qui souhaitent se spécialiserà l’université dans cette discipline ouenvisagent d’en faire leur activité pro-fessionnelle future. Dans la tradition fran-çaise l’enseignement de la philosophieprésente donc une vocation généraliste :il a pour fin de s’adresser à tous lesélèves en terminale, et il déborde lecadre strictement universitaire au niveaude l’enseignement supérieur. Dans notretradition, l’enseignement de la philoso-phie se voit ainsi reconnaître une valeuréducative éminente, dont il importe main-tenant de relever les principaux traitsdistinctifs.

La formation du citoyenC’est, en premier lieu, un enseignementqui vise son propre dépassement.

L’enseignement de la philosophie n’apas sa fin en lui-même. Il ne s’agit passeulement ni d’abord de donner auxélèves la maîtrise d’un domaine disci-plinaire particulier en vue d’une éven-tuelle spécialisation dans l’enseigne-ment supérieur. Au travers de la maîtrisede la philosophie, ce qui est visé c’estla liberté de penser, liberté constitutivede la formation de l’homme et du citoyen,et contribuant à fonder l’idéal françaisde la République, même si c’est à VictorCousin, sous “la Restauration” querevient le mérite d’avoir fixé cet ensei-gnement dans ses traits essentiels. Onretrouve là l’inspiration de Montesquieupour lequel le régime républicain sup-pose la vertu des citoyens, vertu qui sedécline d’abord comme la capacitéd’exercer librement son jugement. Oncomprend bien qu’en ce sens, l’ensei-gnement scolaire de la philosophie estordonné à une fin qui lui est à la foissupérieure et complètement intérieure.La République dépasse l’enseignementde la philosophie, mais son contenu etses conditions de possibilité demeurenten même temps pleinement philoso-phiques. Le premier trait du modèle fran-çais est donc de reposer sur l’unionintime d’un enseignement scolaire etd’un régime politique qui suppose descitoyens “éclairés” et des hommes libres.

Le refus de l’encyclopédisme et de l’éruditionParce qu’il est situé au lycée et qu’il visela formation du citoyen “éclairé”, l’en-seignement de la philosophie chercheraà éviter le double écueil de l’encyclo-pédisme et de l’érudition spécialisée. Cequ’indique clairement la conceptionhabituelle du programme scolaire de cetenseignement qui se déploie autour de

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deux axes principaux : les notions et lesauteurs. Les notions ne renvoient volon-tairement à aucun découpage de typeuniversitaire. Elles recouvrent actuelle-ment cinq champs pour la voie géné-rale : le sujet, la culture, la raison et leréel, la politique, et la morale. Pour lavoie technologique, le programme pré-voit trois champs : la culture, la vérité etla liberté. Chaque champ renvoie, à sontour, à une liste de notions, comme, parexemple, la perception, le désir, le lan-gage, la religion, la démonstration, lavérité, l’État, ou le devoir. À ces champset aux notions qui les précisent, le nou-veau programme de 2003 a joint une listede “repères” qui présentent un carac-tère opératoire et, à des degrés varia-bles, transversal, et qui peuvent êtremobilisés en relation avec l’examen desnotions et des œuvres : absolu/relatif,abstrait/concret, cause/fin, idéal/réel,légal/légitime, transcendant/immanent,etc.

À côté des notions et des repères, ontrouve une liste d’auteurs, dans lamesure où “l’étude d’œuvres des auteursmajeurs est un élément constitutif detoute culture philosophique”. En vue dubaccalauréat, les œuvres seront obli-gatoirement choisies parmi celles desauteurs figurant dans cette liste, com-mune à toutes les voies et à toutes lesséries, et qui fait apparaître assez clas-siquement trois périodes : l’Antiquité etle Moyen Âge (avec quinze auteurs dePlaton à Guillaume d’Ockham), la périodemoderne (avec dix-huit auteurs deMachiavel à Kant), la période contem-poraine (avec vingt-quatre auteurs deHegel à Foucault). Sur les quarante deuxphilosophes des périodes moderne etcontemporaine, il est intéressant de

noter que dix-neuf sont français ou delangue française, dix sont anglais ou ontcomposé la majeure partie de leur œuvreen langue anglaise, neuf sont de langueallemande et quatre appartiennent àd’autres nations européennes.

Un enseignement élémentaireCet enseignement se proclame encorevolontiers “élémentaire”, c’est-à-direqu’il a l’ambition de poser les premierséléments de la culture et du raisonne-ment en philosophie. Le professeur dephilosophie en terminale se conçoitnaturellement comme “l’instituteur” deses élèves par rapport à la philosophie,c’est-à-dire celui qui installe l’élève etl’établit dans le champ philosophique.Ceci explique en particulier le refus detoute érudition spécialisée de type uni-versitaire, et la résistance à l’implanta-tion d’une perspective historique danscet enseignement. Les repères histo-riques sont bien évidemment présents,mais le cours de philosophie ne sedécline jamais comme un exposé chro-nologique de doctrines mortes ou(dé)passées. Car cet enseignement viseà développer d’abord la capacité de“réflexion personnelle” de l’élève, et ilsuppose le déploiement de cette mêmecapacité chez le maître qui en donnel’exemple à travers la construction deson cours et la pratique de la leçon dephilosophie.

Le professeur de philosophie n’est pasen situation d’extériorité érudite ou his-torique par rapport aux problèmes qu’iltraite. Il lui est demandé de s’approprierpersonnellement le contenu de sonenseignement et de manifester de façonexemplaire cette réflexion personnelle,cette personnalisation de la pensée, qui

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est aussi exigée de ses élèves. Maisl’appropriation personnelle dont le maîtredonne l’exemple à travers la leçon dephilosophie n’a rien à voir avec la bour-souflure de la subjectivité individuelledu professeur qui se donnerait en pâtureou en spectacle à ses élèves. Ce n’estpas l’énoncé d’une opinion personnellequi s’exprimerait à la première personne.Ce n’est pas non plus l’exposé, mêmebrillant, des systèmes philosophiques.Au contraire, c’est à travers la rechercheobstinée de l’universel, l’intégration dela position des problèmes par les grandsauteurs de la tradition philosophique etle refus des opinions individuelles quese construit progressivement le coursde philosophie.

L’enseignement de la philosophie en ter-minale repose sur l’intériorisation uni-versalisante de son contenu par le pro-fesseur qui est ainsi appelé à devenirvéritablement un “maître”. Naturellementcette haute ambition n’est pas toujoursatteinte par le professeur ni perçue parles élèves, mais elle demeure l’idéal fon-dateur du cours de philosophie. Mêmesi tout professeur de philosophie ne par-vient pas toujours à devenir pleinement“l’auteur de son propre cours”, il luirevient au moins la responsabilité de pro-poser à ses élèves une progression etune problématisation des notions du pro-gramme qu’il ne peut pas simplementreproduire à partir d’un quelconquemanuel.

Une pédagogie de la libertéL’enseignement scolaire de la philosophieen France se présente ainsi comme unmélange assez unique de liberté et decontrainte. Le professeur est libre de cons-truire son cours, mais il doit traiter les

notions du programme. Pour le bacca-lauréat, le professeur peut choisir libre-ment les œuvres, mais à l’intérieur d’uneliste d’auteurs qui est limitative. Le pro-fesseur ne se voit imposer aucune doc-trine ni aucune manière de traiter les ques-tions abordées, mais il doit éviter l’exposéhistorique des doctrines ou la simple pré-sentation des idées des philosophes. Leprofesseur n’est assujetti à aucune péda-gogie officielle, mais il doit mettre en œuvrela leçon de philosophie avec ses traitscaractéristiques qui ont été soulignés pré-cédemment.

En fait la pédagogie de cet enseigne-ment se veut une pédagogie de la libertéqui repose sur deux piliers : la leçon pourle professeur, et la dissertation pourl’élève. Dans les deux cas, ce qui estvisé c’est la maîtrise de l’expressionorganisée de la réflexion personnelle.Mais à travers la leçon et la disserta-tion, il n’est pas essentiellement ques-tion de la pratique argumentative. Lafinalité n’est pas, malgré les apparen-ces, la maîtrise d’une capacité à argu-menter, c’est-à-dire à présenter des rai-sonnements convaincants sur n’importequel sujet. En philosophie, le raisonne-ment n’est pas en droit séparable de sonobjet, il n’y a pas de forme vide del’argumentation qu’on pourrait plaquerde l’extérieur sur la question abordée,sinon l’enseignement de la philosophiese dissoudrait dans son double rhéto-rique et sombrerait dans son contrairesophistique.

En ce sens, l’idéal français du cours dephilosophie est plus proche qu’il n’yparaît de la perspective de la philoso-phie analytique, dans la mesure où il s’a-git d’abord de construire un problème

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en l’extrayant de la langue et de la pen-sée communes et de parvenir à traversl’analyse attentive de ses composantesà la formalisation des réponses appro-priées.

Du modèle à la réalitéL’enseignement de la philosophie enFrance a donc tous les traits d’un véri-table modèle : la cohérence interne, lecaractère systématique, la dépendanceréciproque de ses éléments constitutifs,l’équilibre de ses composantes interneset externes. Cet enseignement supposeenfin l’existence d’un corps de profes-seurs hautement qualifiés, ce que garan-tit le recrutement par des concours trèsexigeants : le CAPES et l’agrégation dephilosophie.

Telles sont les caractéristiques princi-pales du modèle, mais qu’en est-il de laréalité ?

On constate aujourd’hui une grandeadhésion des professeurs au nouveauprogramme de philosophie, ainsi qu’ungrand sérieux dans son applicationrigoureuse et complète. On constateaussi la volonté des professeurs d’aiderde façon systématique leurs élèves àmaîtriser la pratique de la dissertationet de l’explication de textes. On constateencore un assez large soutien des élèvesà la classe de philosophie, y comprisdans la voie technologique, même si sub-siste la crainte, de moins en moinsjustifiée, de l’arbitraire de la notation aubaccalauréat. Tous ces éléments positifsdoivent permettre d’engager dans lasérénité une réflexion sur les évolutionsindispensables. Fort de la solidité de cetenseignement, qui a su jusqu’à présentse préserver de la démagogie facile ou

de la déconstruction prétendumentnovatrice, il est aujourd’hui possibled’ouvrir un certain nombre de chantiers.

Des évolutions nécessairesTout en maintenant les deux piliers dela pédagogie de la philosophie enterminale que sont la leçon et ladissertation, il peut être utile d’appro-fondir la réflexion sur la diversité dessituations pédagogiques que l’on peutproposer aux élèves, non seulementdans la voie technologique comme yinvite déjà explicitement leur pro-gramme, mais aussi dans la voie géné-rale. Ce souci de didactique n’a rien derévolutionnaire : il était déjà présentdans la circulaire d’Anatole de Monziede 1925. Sans tomber dans les traversdu “pédagogisme”, mais aussi sanscraindre la véritable réflexion didac-tique, les professeurs de philosophie,épaulés par les corps d’inspection,doivent poursuivre le travail sur cettequestion de la plus grande variété dessituations à offrir à leurs élèves dans laclasse de philosophie.

À cet égard, la réflexion engagée parl’inspection générale sur “l’évaluationdes acquis des élèves” peut servir de filconducteur. Il ne s’agit pas de “baisserles bras” ou de s’adapter par le bas audéfi de la “massification”, mais biend’imaginer toutes les activités, modali-tés de travail et tous les exercices quipeuvent être proposés aux élèves touten respectant et en consolidant effec-tivement les hautes ambitions culturel-les et intellectuelles de cet enseigne-ment. C’est dans la classe de philosophieque pourrait ainsi se surmonter de façonexemplaire le conflit récurrent entre lestenants du savoir et ceux de la pédago-

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gie, conflit qui continue malheureuse-ment de peser sur l’évolution indispen-sable de l’enseignement au lycée.

Le deuxième chantier qu’il devientsouhaitable d’ouvrir est celui de la pos-sibilité d’étendre l’enseignement de laphilosophie au lycée en dehors du cadrede la classe de terminale. L’exempled’autres pays européens commel’Allemagne (dans plusieurs de sesLänder), l’Italie, l’Espagne ou le Portugalpeuvent nous y encourager. Le rapportannexé à la loi d’orientation et de pro-gramme pour l’avenir de l’École d’avril2005 a, pour sa part, clairement envi-sagé la possibilité d’un enseignementde préparation à la philosophie en classede première L. La réflexion sur les moda-lités de cet enseignement en classe depremière est aujourd’hui nécessaire,non seulement pour enrayer le déclinde la série littéraire dans notre pays,mais aussi pour aborder la question desconditions d’une progressivité philoso-phiquement pertinente de l’enseigne-ment de la philosophie au lycée. Et il estimportant d’ajouter que cette questionde la philosophie en classe de premièrene saurait se cantonner a priori à la seulesérie littéraire.

Le troisième chantier consiste à s’in-terroger sur l’équilibre, il faudrait plu-tôt parler aujourd’hui du déséquilibre,qui existe dans l’enseignement de laphilosophie entre les trois séries de lavoie générale. Est-il vraiment clairvoyantde vouloir défendre absolument unhoraire de 8 heures par semaine pourla série littéraire qui ne concerne plusque 12 % des élèves, pas forcément lesmeilleurs, ou ne vaudrait-il pas la peined’envisager un rééquilibrage global de

l’horaire entre les filières de la voiegénérale, au profit de la série scienti-fique qui est devenue aujourd’hui, qu’onle veuille ou non, la seule véritable filièred’excellence ?

Le quatrième chantier consiste à réflé-chir sur la nature de la contribution dela philosophie à l’enseignement du “faitreligieux”. Le rapport annexé de la loid’orientation et de programme pourl’avenir de l’École demande en effet quecet enseignement soit organisé de façoninterdisciplinaire dans ses contenus etdans ses outils pédagogiques, et qu’ilfasse l’objet d’un effort soutenu de for-mation initiale et continue pour les pro-fesseurs de lycée. Il serait paradoxal,dans ces conditions, que le professeurde philosophie au lycée soit le seul àdemeurer dans l’incapacité d’intervenirsur un sujet aussi important pour l’ave-nir de la société française et de la laïcitérépublicaine.

On le voit, assuré de ses finalités, fierde ses traits spécifiques, fidèle à salongue tradition, le modèle français del’enseignement de la philosophie peutenvisager l’avenir avec sérénité, pourpeu qu’il accepte de s’engager dansla voie d’une évolution maîtrisée, etfondée, on ose à peine l’écrire tantcette belle expression a été galvau-dée, sur un véritable “diagnosticpartagé”.

Une source d’inspirationMais ce modèle de l’enseignementfrançais de la philosophie est-il uniqueen son genre, et mérite-t-il d’être imité,c’est-à-dire, doit-il inspirer d’autres paysen quête d’amélioration de leur systèmeéducatif ?

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Si l’on excepte le Royaume-Uni et lesEtats-Unis, où il n’existe pas d’ensei-gnement de la philosophie proprementdite au niveau du second degré, laplupart des autres pays européensdisposent d’un tel enseignement aulycée. Il est, soit obligatoire (Italie,Espagne, Portugal), soit optionnel(Allemagne, Suisse, Suède) ; il estréservé à la dernière classe du seconddegré ou il est étendu aux trois derniè-res années de notre lycée, il est orga-nisé selon une perspective historiqueou il aborde les grandes questions phi-losophiques dans un arrangement sys-tématique (anthropologie, éthique, épis-témologie, etc). On le voit, notre modèlefrançais de philosophie au lycée n’estsans doute pas aussi unique que cer-tains aiment à le penser. Cependant ilpossède bien des traits spécifiques, dontcertains sont sans doute accessoirescomme sa concentration sur la seuleclasse de terminale et son évaluation àtravers une épreuve dans un examennational (le baccalauréat).

D’autres caractéristiques sont en revan-che plus essentielles comme le carac-tère ouvert de son programme qui défi-nit un cadre de référence plus que descontenus explicites et qui n’imposeaucune progression ou organisation ducours ; sa méthode où la liberté laisséeau professeur suppose la maîtrise decet enseignement, où la position desproblèmes remplace le simple énoncédes doctrines ; ses outils privilégiés quesont la leçon pour le professeur et la dis-sertation pour l’élève ; la finalité de laréflexion personnelle aussi bien pour leprofesseur que pour l’élève ; l’absencede perspective historique ou encyclo-pédique ; enfin son lien intime avec unefinalité politique, l’idéal républicain et laformation du citoyen éclairé. Aucun deces traits n’est sans doute directementtransposable hors de nos frontières, maisils peuvent tous nourrir la réflexion denos partenaires européens et de tousles pays qui souhaitent établir ou éten-dre un enseignement philosophique dansle second degré.

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L‘enseignement technique et professionnel : eff icace pour l ‘ insert ion,mais socialement discr iminantCHRISTIAN FORESTIER, inspecteur général de l’Éducation nationale, membre du Haut Conseil de l’Éducation

Il est possible de procéder à une appro-che historique du modèle français del’enseignement technique et profes-

sionnel et d’en faire ainsi ressortir la spé-cificité. Cet enseignement, en effet, estdemeuré longtemps très distinct de l’en-seignement général et a bénéficié par-fois d’une tutelle ministérielle de pleinexercice, d’une administration centrale,d’établissements et de corps ensei-gnants qui lui étaient dédiés et même desa propre école normale supérieure.Pour expliquer ce modèle, on doit remon-ter au XVIIIe siècle avec la création, endehors de l’université, des Écoles pro-fessionnelles que sont l’École des pontset chaussées (1747), l’École des mines(1783), l’École polytechnique et leConservatoire national des arts etmétiers (1794).

Il faut attendre la deuxième moitié duXXe siècle pour voir intégrer l’ensei-

gnement technique dans le systèmeéducatif (réforme Berthoin de1959) et latechnologie faire son entrée à l’univer-sité (création des IUT en 1966). Depuis,l’intégration n’a cessé de progresser,notamment entre les voies technolo-giques et générales et, si certaines spé-cificités demeurent au niveau de l’ensei-gnement professionnel, qui conservenotamment un corps enseignant dédié,la création du baccalauréat profes-sionnel (1985) et le développement desétablissements polyvalents, mêlantenseignements général, technologiqueet professionnel, rendent aujourd’huipratiquement impossible le retour à unisolement de l’enseignement techniqueet professionnel.

Pour autant, et en se limitant au seulsecond cycle de l’enseignement secon-daire (formation initiale), le modèlefrançais de l’enseignement technique et

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professionnel garde toutefois de fortesspécificités ; nous pouvons en retenir aumoins trois :• un poids quantitatif et politiqueimportant,• un monopole d’État sur la délivrancedes diplômes professionnels de la for-mation initiale,• la cohabitation de deux approchespédagogiques pour l’accès à la pre-mière qualification professionnelleinitiale : la voie scolaire et la voie del’apprentissage.

Un enseignement technologique et professionnel très (trop) largement développéCeci pourra peut-être surprendre, maisla première caractéristique françaisede l’enseignement technique et pro-fessionnel est son poids dans le secondcycle de l’enseignement secondaire.Au regard des comparaisons interna-tionales, il apparaît que la Francepossède un taux particulièrement élevéd’élèves du secondaire engagés dansune formation technique ou profes-sionnelle. Les indicateurs de l’OCDE,notamment, montrent qu’avec un tauxde 70 % d’élèves du secondaire enga-gés dans un programme à orientationpréprofessionnelle ou professionnelle,notre pays affiche le taux le plus élevédes membres de l’OCDE avec laRépublique tchèque.

A contrario bien évidemment, en affi-chant seulement un tiers d’une généra-tion engagée dans un programme àorientation générale, c’est-à-dire pré-parant à des études supérieures longues,nous apparaissons à ce niveau avec untaux particulièrement bas, très inférieurà la moyenne des pays de l’OCDE qui est

de 45 %. On peut par exemple, comparerles chiffres de la France à ceux de deuxautres pays, représentatifs d’une autreconception ; l’un, la Finlande, incarnantle modèle scandinave ; l’autre, le Japon,le modèle asiatique.Si ces chiffres doivent être pris avec pré-caution 1 - certains élèves pouvant être

comptabilisés deux fois - ils montrentnéanmoins une France privilégiant quan-titativement un enseignement à caractèretechnique et professionnel par rapport àun enseignement à caractère général. Iln’est pas certain que cette réalité cor-responde à la vision la plus communé-ment partagée par l’opinion publique etplus particulièrement par les décideurs.

Cette réalité semble d’ailleurs d’autantmoins partagée que nous avons du malà l’assumer. On peut ainsi s’interroger àbon droit sur la lecture que nous faisonsdes définitions officielles des différentescomposantes de la CITE3 de l’Unesco(second cycle de l’enseignement secon-daire), qu’il est utile de rappeler ici :• CITE3A : programme préparant à desétudes supérieures générales longues(CITE5A),• CITE3B : programme préparant àl’accès direct à des études supé-rieures courtes à finalité profession-nelle (CITE5B),• CITE3C long : programme à caractèreprofessionnel d’une durée analogue à

Programme Programme à orientation à orientation générale pré-professionnelle

et professionnelle

France 34 % 70 %Finlande 52 % 69 %Japon 67% 24 %Moyenne OCDE 45 % 45 %

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celle des programmes de niveau 3A ou 3B,• CITE3C court : programme à caractèreprofessionnel d’une durée inférieure àcelle des programmes 3A ou 3B.

Ces définitions étant rappelées, on peutvoir, dans le tableau ci-après, commentla France se positionne par rapport à lamoyenne des pays de l’OCDE 2 :Ces chiffres font apparaître une présenceforte des programmes à caractèreprofessionnel, mais ce qui est troublant,c’est de constater que la France :

• a assimilé la voie technologique à lavoie générale alors qu’une stricteapplication des définitions officiellesdevrait nous faire positionner le bac-calauréat technologique en 3B et nonen 3A,• a décidé que le baccalauréat profes-sionnel était un diplôme de type 3B prépa-rant à des études supérieures courtesalors qu’il devrait plutôt être positionné en3C long,• a, enfin, affiché une durée d’étudespour les BEP et les CAP comparable àcelle du baccalauréat, ce qui est, on enconviendra, pour le moins contestable.

Tout ceci signifie que le tableau précé-dent devrait être complété différemment,comme ci-dessous :

On voit mieux ainsi la réalité du systèmefrançais : un système où l’enseignementprofessionnel court est surreprésentéet où l’enseignement général est, quantà lui, sous-représenté.

Bien entendu, tout cela doit être nuancéau regard des passerelles existant entrele BEP, le bac professionnel et le bac-calauréat technologique ainsi que despoursuites d’études des bacheliers tech-nologiques et professionnels. Mais l’onpeut néanmoins s’interroger sur le posi-tionnement de la voie technologique.Sommes-nous convaincus de la néces-sité (et de la possibilité) de faire du bac-calauréat technologique une voied’accès à l’enseignement supérieur long(CITE5A) au même titre que le bacca-lauréat général ? Est il possible, au moinsdans une première étape, de leurréserver prioritairement l’accès à l’en-seignement supérieur professionnelcourt (CITE5B) ?

Rappelons pour mémoire qu’aujour-d’hui,les bacheliers technologiques et pro-fessionnels qui poursuivent des étudessupérieures constituent plus des deuxtiers des échecs enregistrés dansl’enseignement supérieur.

Des diplômes professionnels de formation initiale garantis par l’ÉtatEn formation initiale, le ministère del’Éducation nationale (avec le ministèrede l’Agriculture) a le monopole de ladélivrance des diplômes professionnels :CAP, BEP, baccalauréats professionnels,baccalauréats technologiques (ex-BT)et BTS.

Même si ces diplômes sont élaborés enpartenariat avec les représentants des

CITE CITE CITE CITE 3A 3B 3C long 3C court

France 52 % 11 % 38 % 3 %Moyenne 56 % 9 % 19 % 8 % OCDE

CITE CITE CITE CITE 3A 3B 3C long 3C court

France 34 % 18 % 11 % 41 %Moyenne 56 % 9 % 19 % 8 % OCDE

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les titulaires d’un diplôme de l’ensei-gnement supérieur (CITE5) :En se limitant au seul enseignementsecondaire, la valeur des diplômesprofessionnels est évidente ; elle l’estencore plus si l’on compare la situationdes sortants à un même niveau dequalification, selon qu’ils sont ou non

diplômés. Il faut en effet se souvenir quedans la réglementation française, la qua-lification de niveau V est reconnue à toutélève ayant suivi une classe terminale deBEP ou de CAP, qu’il ait réussi ou échouéà l’examen, et qu’il en va de même auniveau IV pour tout élève ayant suivi uneclasse de terminale de baccalauréat.

salariés et des employeurs des branchesprofessionnelles, dans les commissionsprofessionnelles consultatives, leurcaractère de “diplôme d’État“ demeureune vraie et forte spécificité 3, le modèledominant étant la seule reconnaissancepar les branches professionnelles, sansles garanties de la puissance publique.C’est là une spécificité qui doit être ana-lysée au regard de l’usage qu’en fait lasociété française.

À intervalles réguliers, on lit et entendbeaucoup de critiques sur les diplômesprofessionnels d’État, sur leur prétendueobsolescence ou leur inadaptation aumarché de l’emploi, alors que la réalitémontre au contraire qu’ils résistent par-faitement et même, ce qui peut sur-prendre, de façon presque excessive.Les employeurs ont un comportement

opposé à leur discours, ce qui signifieque, de fait, s’agissant du premier emploi,le diplôme obtenu reste le premier critèred’insertion et cela à tous les niveaux.Cette affirmation est d’autant plus véri-fiée que le marché de l’emploi est tendu.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observerle taux de chômage trois ans après lasortie du système éducatif en fonctiondu plus haut niveau de diplôme obtenu.En attendant les chiffres de la généra-tion sortie du système éducatif en 2004,on peut observer les chiffres obtenus àl’automne 2004 pour la générationd’élèves et d’étudiants sortie en juillet2001 4 et comparer trois agrégats depopulations : les sortants dépourvus detout diplôme, les titulaires d’un diplômetechnique et professionnel de l’ensei-gnement secondaire (CITE3B ou 3C) et

Nombre de sorties Taux de chômage 3 ans (juillet 2001) après la sortie (automne 2004)

Aucun diplôme 163 000 35 %

Diplôme techniqueet professionnel secondaire 314 000 15 % (CITE3B et 3C)

Diplôme de l’enseignement supérieur 285 000 9 % (CITE5A et 5B)

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Génération 2001 Génération 1998

Niveau V avec échec au CAP – BEP 31 % 20 %

Niveau V avec réussite au CAP ou au BEP 14 % 17 %

Niveau IV avec échecau baccalauréat

(technologique 20 % 11 %ou professionnel)

Niveau IV avec réussiteau baccalauréat technologique 13 % 7 %ou professionnel

Niveau III avec échec au BTS ou au DUT 18 % 10 %

Niveau III avec réussiteau BTS ou au DUT 7 % 7 %

Pour un même niveau de qualification, laprobabilité d’être au chômage trois ansaprès la sortie peut donc varier dans unrapport de un à deux, voire davantage,entre les titulaires du diplôme et ceux quiont échoué. Il est difficile, dans ces condi-tions, de soutenir la thèse de la dévalori-sation des diplômes délivrés par l’Éduca-tion nationale. Bien plus, en comparantavec la génération sortie en 1998, qui aconnu une conjoncture économique net-tement meilleure que celle sortie en 2001,on voit que la protection assurée par lediplôme joue d’autant plus que le marchéde l’emploi est difficile et qu’au contraire,en période de plus grande croissance, lesdifférences entre titulaires et non-titulairesde diplômes ont tendance à se réduiredans des proportions non négligeables.

C’est ainsi que si l’on compare les tauxde chômage pour les titulaires du niveau

V suivant qu’ils sont ou non diplômés, onpasse d’un écart entre les générations1998 et 2001 de 3 % à 17 % ; bien plus,en période de croissance, le seul niveaubac sans diplôme vaut mieux que le BEP,alors que l’inverse se produit lorsque laconjoncture se retourne.

Si les comparaisons internationales sont,dans ce domaine, difficiles à établir, ilapparaît que, dans notre pays, le rôle pro-tecteur joué par le diplôme profession-nel de niveau secondaire est plus impor-tant que dans les pays comparables etceci avec une très forte rémanence.

En établissant une corrélation entre la placede l’enseignement technologique etprofessionnel secondaire et le niveau deprotection accordée par l’obtention dudiplôme, on s’aperçoit que les pays qui ontdéveloppé un enseignement technique

Taux de chômage 3 ans après la sortie

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important (France, Allemagne) possèdentdes diplômes professionnels très discri-minants en matière d’accès à l’emploi, aucontraire des pays ayant un enseignementtechnique et professionnel secondaire peudéveloppé.

Écart des taux de chômage dans la population activeentre les non-diplômés du secondaire et les titulairesd’un diplôme technologique et professionnel dusecondaire (sans diplôme du supérieur) en 2003.

Tout ceci n’est pas dépourvu de cohé-rence. Plus on développe un enseigne-ment technique et professionnel, pluson lui accorde de crédit et plus l’échecest dévastateur. De là à remettre encause le caractère national de nos diplô-mes pour moins pénaliser l’échec il y aun pas qu’il ne faut certainement pasfranchir, mais ceci nous renvoie néan-moins à notre capacité ou plutôt à notreincapacité à donner une véritable qua-lification professionnelle aux élèves lesplus en difficulté. La question qui estposée est celle de savoir commentconduire au CAP ou au BEP les 150 000élèves qui quittent chaque année notresystème éducatif sans avoir obtenu cediplôme, même partiellement.

Deux modes d’accès à la premièrequalification professionnelle : la voie scolaire et la voie de l’apprentissage.S’il est un sujet qui a longtemps fait polé-mique en France, c’est bien celui desavoir s’il faut privilégier la formationprofessionnelle in vitro (statut scolaire)

à la formation professionnelle in vivo(sous contrat de travail). Notre pays afait le choix en 1945 du “tout école”, aumoment où en Europe, d’autres pays,notamment l’Allemagne, faisaient lechoix inverse en privilégiant la forma-tion en entreprise. Depuis, régulière-ment, on rejoue “la Guerre des rose”.Pourtant, depuis la fin des années 40, lepaysage a bien changé, de même queles rapports sociaux, et la cohabitationentre les deux pédagogies est plus réellequ’on ne le croit.

Pour en rester au seul niveau de l’en-seignement professionnel secondaire,il faut rappeler qu’au niveau V (CAP -BEP) et au niveau IV (baccalauréat pro-fessionnel) confondus, l’apprentissage“pèse” environ 30 % de l’ensemble desdiplômés : un titulaire sur deux du CAPou du BEP et près d’un titulaire surquatre du baccalauréat professionnelsont passés par l’apprentissage. Si laparité n’est pas au rendez-vous, lesécarts se réduisent ; la situation étanttrès différente d’une profession à l’au-tre, notamment au niveau V où certainssecteurs professionnels (hôtellerie, bâti-ment…) sont alimentés fortement parl’apprentissage, d’autres beaucoupmoins. L’hétérogénéité est égalementtrès grande d’une région à l’autre.

Reste à comparer les résultats obtenuspar les deux voies de formation ; troisdonnées permettent d’établir descomparaisons :• le taux de réussite à l’examen : avan-tage à la voie scolaire, puisque, chaqueannée, les élèves sous statut scolaireont en moyenne 5 % de plus de réussi-te que les élèves en apprentissage(présents à l’examen) ;

France 4,6 %

Allemagne 7,8 %

Finlande 1,9 %

Japon 1,3 %

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• les taux d’emploi à la sortie : avan-tage à l’apprentissage, avantage d’au-tant plus significatif que le niveau dequalification est faible (10 % d’écart auniveau CAP BEP, rien de visible auniveau de l’enseignement supérieur) ;• les salaires d’embauche : avantage àla voie scolaire, ce qui peut semblerpour le moins paradoxal, mais s’expliquepar le fait que les apprentis se concen-trent dans les petites entreprises.

Il n’est donc pas très raisonnabled’opposer en France aujourd’hui les deuxvoies de formation lorsqu’il s’agit biende préparer un diplôme professionnel,tant les performances semblent com-parables. Il reste toutefois à analyser lesdifférences existant entre les élèves àl’entrée dans les formations : ceux quisuivent la voie scolaire et ceux qui vonten apprentissage sont-ils comparables? Cette question ne semble pas avoir faitencore l’objet d’une étude.

Il reste également à s’interroger sur lesraisons pour lesquelles, alors que lelégislateur a tout fait depuis 1993 pourque l’apprentissage se développe, ausein de l’Éducation nationale, dans lesystème public de la voie profession-nelle, celui-ci demeure majoritairementconcentré dans le secteur consulaire etprivé et très faiblement implanté dans lesecteur public : 8 % environ des appren-tis sont dans un EPLE ou un établisse-ment privé sous contrat ou un CFA publicet moins de 1 % dans une sectiond’apprentissage implantée en lycéeprofessionnel 5. Il s’agit très certaine-ment du produit de divers blocagesculturels sur lesquels les régions qui ontaujourd’hui toute responsabilité en lamatière feraient bien de se pencher. La

polyvalence de nos établissements(lycées des métiers) ne sera parfaite-ment établie que lorsque l’on pourra offriraux élèves, dans les mêmes lieux et avecles mêmes enseignants, les deux péda-gogies.L’enseignement technique et profes-sionnel constitue donc en France uneréalité forte. Contrairement à une autreidée reçue, il est loin d’être le “parentpauvre”. Bien au contraire, notre paysconsacre à la formation professionnellesecondaire plus de moyens que tous lesautres pays, et c’est d’ailleurs ce quiexplique pour partie le coût atypique, auregard des comparaisons internatio-nales, de notre second cycle del’enseignement secondaire.

Le résultat est une reconnaissance réellede la qualité des diplômes délivrés (cequi ne valide pas toutes les formations).Si cette reconnaissance doit être pré-servée, ceci ne peut que légitimer unepolitique de réduction drastique des sor-ties sans diplôme. Reste à bien mesurerle tri social opéré par cet enseignementet le rôle qui lui est de fait attribué, àsavoir réguler l’accès aux études lon-gues au bénéfice des milieux favorisés.Cette approche peut choquer, mais pour-tant, depuis vingt ans, la mission la plusvisible de la voie technologique tertiairea bien été de servir de variable d’ajus-tement dans l’accès au niveau du bac-calauréat. Si l’on souhaite vraiment aug-menter le nombre de sorties à hautniveau de qualification, il faut simulta-nément élargir l’accès à la voie géné-rale et créer les conditions de la réus-site dans le supérieur pour la voietechnologique. Aux deux extrémités dusystème, les voies professionnelle ettechnologique sont au cœur des enjeux.

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“Existe-t-il un modèle éducatif français ?” La revue de l‘inspection générale 03 > page 75

> 1 Rapport et avis n°18 du Haut conseil de l’évaluation de l’École. JR. Cytermann, M.Demeuze :

“La lecture des indicateurs internationaux en France”, 2005.

> 2 “Regards sur l’éducation. Les indicateurs de l’OCDE 2005“

> 3 Des esprits chagrins pourraient d’ailleurs faire remarquer que cette reconnaissance par l’État a été établie

par une loi du 14 août 1942…

> 4 CEREQ : “Quand l’école est finie… Premiers pas dans la vie active de la génération 2001“

> 5 Rapport et avis n°17 du Haut conseil de l’évaluation de l’École, “D.Brochier et JJ.Arrighi“,

L’apprentissage au sein de l’Éducation nationale”

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La quest ion de l ‘éducat ion dans l ‘École française JEAN PIERRE OBIN, inspecteur général de l’Éducation nationale

Bien que la séparation ne soit pastoujours aussi simple, comme entémoignent les variations séman-

tiques sur l’instruction/éducation civi-que, il ne semble pas illégitime de dis-tinguer le domaine de la transmissiondes savoirs, qui sont constitués, de celuide l’apprentissage des normes, qui sontinstituées. C’est ce second sens quenous réservons ici au terme d’éduca-tion : la nécessité de forger les juge-ments et de former les comportements. 1

L’éducation scolaire : d’abord une expérienceLa connaissance du “modèle éducatiffrançais” procède d’abord, pour chacund’entre nous, d’une expérience, celled’élève. Celle-ci a débuté pour moi à l’é-cole maternelle. Quelques souvenirs vifsen émergent encore : le sentiment dedéréliction et les pleurs du premier jour

; l’apparente insensibilité des maîtresses,sans doute professionnelle et s’inspirantdes conseils prodigués à l’école normale; la nécessité de l’ordre collectif et de ladiscipline dans la classe, et les moyensefficaces d’y parvenir : cris, répriman-des et taloches parfois distribuées sanstrop de discernement ; les privilèges des“chouchous” et leur insupportablemonopole de l’affection des institutrices; et donc le premier sentiment d’injus-tice… Venant juste d’obtenir le droit devote, mais ne l’ayant pas encore exercé,les maîtresses se souciaient peu à l’é-poque de démocratie scolaire, et ne son-geaient pas encore à faire voter les bam-bins le matin pour déterminer lesactivités de la journée. En entrant à l’é-cole primaire ma religion était donc faite: l’amour étant une chose si mystérieuseet si inconstante, le sen-timent d’exclu-sion une douleur si vive et l’expression

Le mot d’éducation est ambigu : il comporte un sens large et renvoie alors à l’ensemble des activités déployées dans le processus de transition vers l’étatd’adulte ; il est aussi employé dans un sens plus étroit, peut-être plus commun, et distingue alors, voire oppose, la transmission des normes de comportement et des valeurs morales et celle des savoirs (l’instruction).

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démocratique pour longtemps hors deportée, il était plus efficace de devenirsimplement bon élève. D’ailleurs, mesparents m’y encourageaient…

Cet apprentissage de l’éducation scolairese poursuivit sans rupture à l’écoleprimaire, puis au cours complémentaire :les mêmes maîtres et maîtresses, formésdans les mêmes écoles autour desmêmes conceptions, utilisaient lesmêmes méthodes issues de la plusancienne tradition. Au nom d’unedistinction universelle entre le bien et lemal, nulle distinction ne devait êtreopérée entre l’élève et sa copie : il conve-nait de “corriger” l’un et l’autre ! Lepensum fut l’instrument efficace de monapprentissage de l’orthographe, la férulecelui des tables de multiplication et lepiquet celui des règles de conduite. Toutcela paraissait fort légitime alentour, lesparents en étaient d’accord et le plusgrand consensus sur cette question sem-blait régner dans la société.

Beaucoup plus tard j’appris l’existencedu règlement général des lycées du 10juin 1803 disposant que “les punitionscorporelles sont interdites” au nom de“la dignité” de l’élève, et de l’arrêté du5 juillet 1890 généralisant cette interdic-tion à l’ensemble du système scolaire,et l’étendant même aux punitions“infamantes”. À la fin des années 90,balayant mes dernières illusions surl’efficience des textes officiels, leprincipal d’un collège rural me confierason effarement devant le spectacleauquel il venait d’assister : celui d’uneclasse agenouillée dans le hall del’établissement, sous la surveillancede son professeur, un ancien PEGC…À l’entrée au lycée, un nouveau monde

s’ouvrait aux élèves issus du primairesupérieur, régi par des règles d’organi-sation et des normes de sociabilité biendifférentes. Au “maître” familier, craintet respecté du cours complémentaire,qui assurait plusieurs enseignementsquotidiens et les études du soir, sesubstituait le “prof”, toujours pressé,entre deux cours, parfois admiré pourses connaissances, souvent raillé pourses travers, toujours affublé d’un sobri-quet irrespectueux. À une sociétémonarchique, certes un peu étouffante,organisée et centrée sur l’adulte, mais“éducative”, se substituait un ordrearistocratique, celui de l’Université, oùla préoccupation éducative des adulteslaissait place à une socialisation anar-chique des élèves, dans et par le groupede pairs ; à la torpeur studieuse et régléede la classe succédait l’excitation et lesdérèglements des chahuts !

Il nous fallut aussi faire l’apprentissagedes prérogatives d’un nouveau person-nage, chargé précisément de régler lamécanique – méprisée par les profes-seurs – de l’ordre collectif : le surveillantgénéral. Nous avons vite compris quedans l’organisation du lycée, le “sur-gé”,parfois un ancien “sous-off” à la retraite,n’était qu’un subalterne, et que sondomaine, avec les surveillants qu’ilcommandait, celui du contrôle de laponctualité, de l’assiduité et de l’admi-nistration des sanctions, était strictementséparé et subordonné à l’ordre universitairedes enseignants. La “vie scolaire” assuraitla sous-traitance de la discipline. Quantà l’éducation sociale et morale, pour lesparents qui s’en préoccupaient encore,on leur conseillait l’aumônerie ; c’étaitlà, pour nous autres venus de la “laïque”,encore une autre nouveauté !

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Problématiques de l’éducation scolaireLa relation de cette expérience person-nelle, mais non singulière, de la prise encharge de l’éducation des élèves par l’é-cole publique, ouvre sur deux questions.La première est celle de la manière dontl’organisation scolaire a fait place enFrance à la préoccupation d’éduquer,dans l’espace (primaire, primaire supé-rieur, secondaire) et dans le temps.Pourquoi et comment le modèle univer-sitaire s’est-il imposé à l’ensemble dusecond degré ? Et quel avenir pour ce“modèle” français d’organisation sco-laire de l’éducation, en fait si peu modé-lisant en Europe ? La seconde est celledes idéologies et des conceptions édu-catives : quelles sont-elles et commentont-elles évolué ? Lesquelles ont fait“modèle“ dans les pratiques des édu-cateurs, et comment ont joué leurinfluence et leur concurrence au seindu système éducatif français ?

L’éducation et l’organisation scolaireCommençons par la question des struc-tures. En matière éducative, l’écolefrançaise se caractérise par la coexis-tence de deux formes d’organisation :dans le premier degré, les enseignantssont responsables de l’éducation desélèves ; dans le second, des “personnelsd’éducation” (conseillers d’éducation,surveillants, assistants d’éducation, etc.)regroupés dans un service de la “vie-scolaire”, les suppléent ou les aident.Cette particularité, propre à la France(et à celles de ses anciennes coloniesqui ont adopté son modèle), est assezdifficile à traduire et à expliquer àl’étranger. Les questions et les débatsqu’elle suscite en France requièrentd’examiner les logiques qui ont présidéà son émergence.

Du Moyen Âge à la Révolution, l’ins-truction religieuse, tant dans les“petites écoles” paroissiales que dansles collèges universitaires et congré-ganistes, constitue le fondement del’éducation sociale et morale desélèves. Un emploi du temps strict, lasurveillance constante et le châtimentcorporel des fautifs en sont lesindispensables compléments. À laRenaissance, les principes éducatifsde l’humanisme, ceux d’Erasme, deRabelais et de Montaigne, commencentà irriguer la pensée éducative et àadoucir la brutalité de la discipline, dumoins dans les collèges ; on voit notam-ment y apparaître un régime hiérar-chisé de sanctions.

Mais c’est la création du lycée en 1802qui est au fondement de notre organi-sation secondaire. En instituant desprogrammes nationaux définis pardiscipline universitaire, en recrutant lesprofesseurs sur la base de la licence, enredéfinissant les missions de l’École nor-male supérieure, en instituant l’agrégationet en prenant pour inspecteurs générauxdes savants renommés, Bonaparte ancredurablement l’enseignement secondaireaux valeurs et aux formes pédagogiquesde l’université. L’éducation religieuse,centrale dans le modèle conventuel desanciens collèges, y est confiée à uneaumônerie périphérique. La disciplinerepose avant tout sur les rigueurs durégime militaire : les élèves sont organisésen compagnies et encadrés par des capo-raux, sergents et sergents-majors issusde leurs rangs. Le régime des sanctionsreprend en partie les traditions monaca-les (privations), en y ajoutant despunitions militaires (arrêts, prison) et,déjà, certaines formes de garanties

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juridiques (1803 : interdiction des puni-tions corporelles ; 1809 : définition desmodalités d’exclusion des élèves). PourAnnie Tschirhart, il s’agit bien, et pour lapremière fois, “d’une éducation globaleprise en charge par l’État 2”. Mais c’estavec la Restauration, qui remplace lerégime d’encadrement militaire deslycées par une discipline plus paternalisteet d’inspiration chrétienne qu’apparaît,semble-t-il en 1819, la figure du surveillantgénéral 3. Le modèle de l’organisationsecondaire est désormais en place, maisil ne concerne alors que quelques milliersd’élèves, l’élite, destinés aux grandesécoles.

L’apparition du surveillant général nerelève pas, on le voit, d’une institution(la première ébauche de statut date de1847) mais plutôt d’une nécessité fonc-tionnelle. Elle semble être la consé-quence logique du statut universitairede professeurs, qui se soucient peud’éducation et souhaitent se déchargersur d’autres des tâches de discipline etde surveillance 4. Cette nouvelle fonc-tion d’encadrement (assurée dans unpremier temps par un sous-directeur dulycée) en appelle mécaniquementd’autres, d’exécution. Et l’histoire de cespersonnels-là (maîtres d’étude puismaîtres répétiteurs, professeurs adjointset adjoints d’enseignement) est toutentière marquée par le sentiment de lamodestie de leurs tâches et leur souhaitrécurrent de quitter la surveillance pouraccéder à l’enseignement… 5

Parallèlement à cette évolution, avecl’institution en 1833 par François Guizotdes écoles publiques de garçons, etaussi des écoles primaires supérieures(EPS) qui les complètent, un autre modèle

d’organisation scolaire s’est mis enplace, dans lequel aucune distinctionn’est opérée entre l’instruction et l’édu-cation. Ses maîtres, nullement marquéspar l’université, mais formés dans lesséminaires publics des écoles normales,se voient en effet confier l’enseignementquotidien de l’éducation morale et reli-gieuse, fondement du “gouvernementdes esprits” et de “la garantie de l’ordrepublic” dévolus à l’école primaire parGuizot. Les réformateurs de la TroisièmeRépublique ne modifient nullement cemodèle en remplaçant cet enseignementpar l’éducation civique et morale, enl’étendant aux filles et en en faisant lefondement de la pérennité de l’ordrerépublicain. Mais les mêmes, en créantl’enseignement secondaire féminin, yinstituent le modèle universitaire, et dessurveillantes générales y font leurapparition.

Dès lors, et pendant tout le XXe siècle,une sévère concurrence va opposer lesdeux ordres et arbitrer entre les deuxmodèles. Car primaire et secondaire sco-larisent sinon les mêmes élèves du moinsles mêmes âges : du préscolaire à la pré-paration de l’agrégation. Le terrain pri-vilégié de cet affrontement sera celui dupremier cycle du second degré. À deuxreprises, en 1941 et en 1975, le primairesupérieur, pourtant victorieux dans labataille de la scolarisation, s’inclineradevant le secondaire, qui imposera sonmodèle d’organisation. Les raisons ensont politiques. L’enseignement secon-daire se caractérise, pendant toute laTroisième République, par son carac-tère élitiste et malthusien alors que leprimaire supérieur fait preuve de beau-coup de souplesse et de dynamisme.Ainsi, entre 1880 et 1930, le nombre de

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garçons scolarisés dans les sept niveauxdu second degré des lycées et des col-lèges stagne à 75 000, tandis que le nom-bre d’élèves scolarisés dans les quatreniveaux des EPS est multiplié par 6 etatteint 166 000, filles et garçons. CentEPS sont ouvertes entre 1914 et 1938, etaucun lycée. C’est dans ce contexte quePétain, en 1941, ferme les écolesnormales et confie les EPS, jugées peusûres, au secondaire en les transfor-mant en collèges. Première défaite !

À la Libération et sous la IVe République,l’enseignement primaire supérieur, tou-jours porté par le même dynamisme,renaît de ses cendres grâce au fort déve-loppement des cours complémentaires :en 1959, au moment de la réformeBerthoin qui les transforme en collègesd’enseignement général (CEG), ils comp-tent déjà 474 000 élèves, pratiquementautant que les premiers cycles de lycée.En 1963, date de la transformation deceux-ci en collèges d’enseignementsecondaire (CES), leurs effectifs ont bondià 789 000 élèves ! Mais ces évolutions netranchent pas entre les deux modèles.

La grande décision se prend en 1975,lorsque CES et CEG sont réunis dans lecollège unique. Faut-il prendre pour basede cette unification le modèle du primairesupérieur en concevant le collège commela seconde étape de l’enseignementobligatoire (“l’école fondamentale” avecses professeurs de collèges bivalents for-més en école normale) ? Ou bien faut-ilrespecter le modèle du secondaire etfaire du collège la propédeutique du lycée(le “second degré unifié” avec ses pro-fesseurs formés à l’université) ? On saitla décision qui a été prise sous la pres-sion conjointe de l’électorat de droite,

des lobbies disciplinaires et du syndicatmajoritaire dans l’enseignement secon-daire, proche du parti communiste, etvraisemblablement contre l’avis duministre Haby et du Président Giscardd’Estaing : celle d’unifier les contenusd’enseignement sur la base des pro-grammes les plus ambitieux, ceux alorsétudiés par la minorité d’élèves destinéeau lycée. Seconde défaite !

La catastrophe annoncée par certainspeut alors se réaliser : classes hété-rogènes impossibles à gérer, orientationdes élèves en échec vers les CET dès laclasse de cinquième et même (uncomble !), PEGC pris comme boucs émis-saires de l’échec scolaire. De manièrepurement corollaire, sans aucune réfle-xion et sans que cette décision ait cons-titué un réel enjeu de l’unification, lemodèle de la surveillance s’est trouvéimposé au collège avec l’introductionprogressive des conseillers d’éducation(successeurs des surveillants généraux)et des autres personnels de surveil-lance ; et l’enseignant éducateur du pri-maire supérieur, stigmatisé pour sa pré-tendue incompétence, prié de rapide-ment disparaître.

Quelques années plus tard, au momentmême où s’ouvraient les instituts uni-versitaires de formation des maîtres qui,d’une certaine manière (disparition desécoles normales et des écoles normalesd’apprentissage), consacraient la vic-toire totale de l’université, la violence sedéveloppa rapidement dans les établis-sements scolaires. L’ordre universitaireréagit à cette situation nouvelle à samanière, par le recrutement massif deconseillers d’éducation (jusqu’à 700recrutements annuels au début des

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années 2 000) et surtout d’auxiliaires desurveillance (notamment 60 000 aides-éducateurs recrutés en 1997-99 sansaucune formation) ; et, il faut bien lereconnaître, sans résultats vraimentprobants.

Ce constat, partagé semble-t-il par deschefs d’établissement devenus plusréticents à demander de nouveauxpostes de CPE, marque peut-être la finde la légitimité du modèle de l’organi-sation éducative secondaire. L’exercicede l’autorité éducative ne peut plus denos jours, en particulier au collège, êtreréservé à un spécialiste, qui de plusparfois la rejette pour succomber auxattraits sociologisants de la “média-tion” ou aux délices psychologisantsde “l’écoute”. Il devrait devenir la tâchede chacun, et au premier chef desenseignants.

Conceptions et pratiques éducativesdans l’École françaiseAprès la question des structures,venons-en à celle des idées. “La folieest ancrée au cœur du jeune homme,le fouet de l’instruction l’en délivre”,professe la Bible. Dans la plupart dessociétés traditionnelles, le dressagedes corps et la soumission des âmesconstituent le fondement même de l’en-treprise éducative. La France, on l’avu, ne fait pas exception avec l’idéeambivalente de “correction”, à la foisrectification d’une erreur et sévèrechâtiment corporel. Où que l’historienet l’anthropologue portent le regard,ils doivent en effet se rendre à l’évi-dence : en éducation, la brutalité n’estnullement pathologique, mais consub-stantielle à l’acte d’éduquer. L’Écolefrançaise du Moyen Âge ne déroge

pas à cette conception qui fait de laviolence éducative la conséquenced’une nature perverse de l’enfant.Ce puissant paradigme anthropologiqueest même partagé par ceux qui pendantdes siècles, de Jean-Baptiste de la Salleà Freud, pédagogues ou savants, vonts’employer à critiquer les méthodesutilisées pour éduquer les enfants. EirickPrairat décrit “la lente pacification del’espace scolaire” opérée sous l’influenced’un courant qualifié d’humaniste 6, caril s’agit moins pour ses promoteurs,souvent religieux, de supprimer lespunitions que de les modérer, de les“humaniser”. La punition leur apparaîten effet toujours nécessaire : elle favo-rise les apprentissages, elle garantitl’ordre collectif et elle érige la moralitéchez l’enfant. Les jésuites, en particu-lier, seront singulièrement novateurs etnous lègueront nombre d’inventionséducatives : récréations et préaux pourcombattre la violence des élèves, “pointsde diligence” se cumulant pour déter-miner une sanction et se rachetant parune bonne conduite, fiches individuellespermettant de connaître les antécédentsscolaires et familiaux des élèves afind’asseoir une action moralisatrice plusefficace…

C’est donc à Rousseau que l’on doit lepremier grand retournement concep-tuel. “Si tout est bien sortant des mainsde l’Auteur des choses, écrit-il, toutdégénère entre les mains de l’homme”La phrase qui ouvre L’Émile sonnecomme une vraie révolution. Le péchéoriginel n’a certes pas disparu, mais sacharge est passée de la nature humaineà l’ordre social : l’enfant naît désormaisinnocent, et la société est dénoncéecomme sa corruptrice. Il faudra du

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temps aux éducateurs, plus d’un siècleet l’éducation nouvelle, pour assimilerce nouveau paradigme. À la fin du XIXe

siècle, la discipline la plus autoritairecontinue en effet de sévir dans les éco-les. Le courant humaniste, représentépar des responsables comme OctaveGréard, qui publie en 1889 Éducation etinstruction, ou Henri Marion qui éditedeux ans plus tard L’éducation dansl’Université, progresse timidement, etdavantage dans les esprits que dans lesfaits, malgré quelques belles victoiresde papier comme l’arrêté et la circulairede juillet 1890 sur les sanctions et la viescolaire.

Le libéralisme éducatif a, quant à lui,d’autres ambitions ! Au sein de l’édu-cation nouvelle, où il cohabite avec lepragmatisme pédagogique de Dewey,promoteur des “méthodes actives”, etavec le courant coopératif, il s’attaqueau substrat même des formes éduca-tives traditionnelles : l’influence plutôtque la contrainte (et bientôt la discus-sion plutôt que l’influence), le désir del’enfant plutôt que l’autorité du maître,la “construction” des savoirs, des nor-mes et des valeurs plutôt que leur trans-mission, le plaisir d’apprendre plutôt quela vertu de l’effort… Les petits groupesmilitants qui s’implantent dans le systèmepublic (davantage dans le primaire quedans le secondaire) parviennent cepen-dant rarement à contrôler une école ouun collège, et c’est souvent dans uncadre privé que les adeptes de Mon-tessori, de Decroly ou de Freinet peu-vent mener leurs expériences pédago-giques et éducatives.

La fin de la seconde guerre mondialeet le développement économique des

Trente Glorieuses renforcent considé-rablement le camp de l’éducationnouvelle. D’une part, en déconsidéranttotalement l’autorité, accusée d’êtreau fondement même de la barbarie etdu totalitarisme, comme en témoignentles travaux de Stanley Milgram 7 ;d’autre part, en permettant de nou-veaux et rapides développements del’individualisme : remise en cause desformes familiales traditionnelles de l’au-torité, influence de la vulgate psycho-logique anglo-saxonne sur l’enfant(relayée notamment par l’École desparents), création de toutes pièces parles médias d’une “culture jeune”concevant les enfants et les adoles-cents comme des consommateursautonomes...

Dans le domaine scolaire, la commis-sion Langevin-Wallon, présidée suc-cessivement par deux anciens prési-dents du Groupe français d’éducationnouvelle, érige en 1947 “le bonheur indi-viduel”, à côté de “la justice sociale”,comme une fin de l’École. Le rôle tradi-tionnel des surveillants généraux estbien sûr remis en cause : dès 1953, lecolloque de Saint-Germain propose deleur confier un “rôle éducatif”. Leur intro-duction dans l’enseignement profes-sionnel, à la faveur de la transformationen 1959 des centres d’apprentissage enCET, est l’occasion de multiples expéri-mentations en ce sens menées encollaboration avec des mouvementsd’éducation nouvelle (FOEVET, CEMEA,OCCE). En fait, lorsque les surveillantsgénéraux disparaissent dans la tour-mente antiautoritaire de 1968, l’idéologiede “l’animation éducative” est déjà prêteà se substituer à celle de la discipline.Elle constitue la base des circulaires de

L’idéologie de “l’animationéducative”“

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1970 et de 1982 définissant les fonctionsde conseiller d’éducation. Selon cedernier texte, il s’agit de “placer les ado-lescents dans les meilleures conditionsde vie individuelle et collective etd’épanouissement personnel”. La stra-tégie éducative de Rousseau est ainsiofficialisée : toute intervention directede l’adulte est “intempestive”, pourreprendre le mot de Montessori ; il fautplutôt “soigner le milieu” comme le sou-tient Makarenko. Marcel Gauchet ne voitlà qu’une simple manipulation : ”conduireles hommes et les constituer sans jamaisles contraindre, et de telle sorte que toutsoit vécu par eux comme tenant à leurinitiative autonome8.“

Les évolutions sociales et en particulierla vague de violence juvénile qui déferleà partir des années 90 (et qu’aucun plande lutte ne parvient à endiguer) ont sansdoute signé le déclin de l’éducation libé-rale et le retour de l’autorité, souhaitéed’abord par les plus jeunes, sans douteparce qu’ils souffrent le plus des méfaitsde la violence et qu’ils n’ont pas connules terribles dérives de l’autoritarismepolitique et éducatif 9. Entre-temps, unnouveau paradigme éducatif est venurenvoyer dos-à-dos les deux précé-dents : pour Hannah Arendt, il n’existeaucune nature de l’enfant, ni mauvaiseà redresser ni bonne à préserver ; ce quifait l’humanité de l’homme n’est pas uneimprobable “nature humaine”, mais soninscription dans une culture. La trans-mission de l’héritage culturel, parcequ’elle est une nécessité anthropolo-gique, constitue donc un devoir moralpour les adultes.Mais à l’instar de la société, l’Écolefrançaise doute de la légitimité de sapropre culture, notamment face aux

accusations des tenants du multicultu-ralisme qui, comme François Dubet, lataxent de n’être que “la culture desFrançais de souche de la classemoyenne”. C’est peut-être pourquoi ellemet aujourd’hui tant d’espoir dans le droitcomme principe régulateur de la vie sco-laire, dans le droit fil de la vision rawl-sienne de la cohésion sociale. Il n’estcependant pas sûr que cela suffise à raf-fermir cette cohésion, ni même à res-taurer l’ordre scolaire. Aucune sociétéen effet ne peut tenir uniquement par ledroit et sans s’appuyer sur une moralecommune. Car le premier fonctionne surla prudence et la crainte de la sanction(“la peur du gendarme” écrit OlivierReboul 10), alors que la seconde reposesur le travail de la raison et la cons-truction d’une conscience et d’unevolonté.

Demain, si elle veut mieux remplir unemission éducative que beaucoup deparents la pressent d’assumer plus fran-chement, sous la menace de se dé-tourner plus nombreux vers l’écoleprivée confessionnelle, l’École publiquefrançaise a donc sans doute encore unepetite révolution à accomplir : après leretour de l’autorité, porter celui del’éducation morale ! Reste à concevoirquelle morale commune enseigner dansle respect de la diversité morale pro-pre aux sociétés d’aujourd’hui. Commeles formes de l’autorité éducative sesont renouvelées, gageons que cettemorale laïque reste pour une bonne partà définir. Marcel Conche nous proposecomme horizon collectif celle des“droits et devoirs universels del’homme 11.” Quelle plus belle tâche édu-cative imaginer pour les enseignantsde demain ?

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> 1 “Les sentiments, la volonté, la conduite, voilà l’essentiel. Les façonner est l’objet de l’éducation proprement dite, fort distincte en cela de l’instruction.“ Henri Marion, L’éducation dans l’Université, A. Colin, 1891, p.17

> 2 A. Tschirhart, Quand l’État discipline l’École, l’Harmattan, 2004, pp. 143 et suivantes

> 3 F. Mayeur, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation, T3, NLF, 1981, p.530

> 4 “La surveillance est la garantie du système universitaire“ écrit même A. Tschirhart, op. cit., p.167

> 5 A. Tschirhart, “Une histoire“, in Annales du concours externe de CPE, Vuibert, 2001, p.26

> 6 E. Prairat, La sanction en éducation, PUF, 2003

> 7 S. Milgram, La soumission à l’autorité, Calmann-Lévy, 1957

> 8 M. Gauchet, La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002

> 9 O. Galland et B. Roudet, Les valeurs des jeunes, L’Harmattan, 2002

> 10 O. Reboul, Les valeurs de l’éducation, PUF, 1992

> 11 M. Conche, Le fondement de la morale, Éditions de Mégare, 1982

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LMD : modèle français et convergence européenneTHIERRY MALAN, inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale et de la RechercheLe processus de la Sorbonne-Bologne est, depuis 1998, un processus intergou-vernemental de création d’un “espace universitaire européen” qui dépasse large-ment les frontières de l’Union européenne. Il a été présenté initialement en Francecomme un outil de renforcement de l’attractivité du système d’enseignementsupérieur français pour les étudiants étrangers et de facilitation de la reprise, ou dela poursuite d’études et de la mobilité européenne pour les étudiants français, ainsique comme un moyen d’introduire plus de fluidité entre les filières de l’ensei-gnement supérieur dans le cadre national.

Ses caractéristiques principalessont :

• la mise en place d’un système dediplômes lisibles et comparables danschaque pays et entre eux (LMD :licence - master - doctorat) avec pourla France un premier cursus pré-licen-ce conduisant à une licence en troisans (correspondant à “bachelor”) etun second cursus post-licence condui-sant au master et au doctorat ;

• la mise en place du système decrédits européen ECTS 1 et du supplé-ment au diplôme 2 ;• le développement de la coopérationeuropéenne en matière d’évaluation dela qualité de l’enseignement supérieur.

Toutefois la réforme LMD n’est pas unenovation absolue ; elle est en continui-té sur plusieurs points avec des initiati-ves antérieures :

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Quelles incidences sur le système d’enseignementsupérieur français ?

• dans le domaine international, avecdes conventions, des recommanda-tions, des dispositifs comme la conven-tion de Lisbonne de 1997 sur la recon-naissance des qualifications (UNES-CO/Conseil de l’Europe), le programmeSOCRATES (Union européenne) avec lapromotion de la mobilité par le pro-gramme ERASMUS), le supplément audiplôme (UNESCO/Conseil de l’Europe) ; • en France, avec la rénovation pédago-gique dans l’enseignement supérieur, enparticulier depuis l’arrêté du 9 avril 1997.

Sa nouveauté tient plus dans la facilitéet le succès apparents de lancementet de développement d’un processusqui passe en quelques années dequatre à, aujourd’hui, 45 membres, etintéresse de nombreux pays bien au-delà de ses marges actuelles.

Il serait prématuré de prétendre évalueraujourd’hui tous les effets de cetteréforme sur le système français, voirejuger de son succès ou de son échec,bien que plusieurs commentateurs cri-tiques en soient déjà là : beaucoup d’in-tentions restent encore à concrétiser.Toutefois des éléments précis d’évalua-tion sont déjà disponibles sur sa miseen place, en parti-culier avec le rapportde l’IGAENR 3 et celui commandité parl’ESEN au Centre de sociologie desorganisations (CSD) 4.

On peut apprécier les incidences duprocessus sur le système français d’en-seignement supérieur surtout sur quatrepoints : la structure de l’enseignementsupérieur ; la gouvernance ; l’évolutionde l’offre de formation, la rénovationpédagogique, la vie universitaire ; ledispositif français d’évaluation.

La structure de l’enseignementsupérieurLe dispositif LMD manifeste la recon-naissance de l’utilité, par rapport auxsituations les plus courantes dans lemonde (et donc pour la lisibilité et l’at-tractivité du système français), d’uneapplication générale du système deréférence que constituent les certifi-cations universitaires à tous les élé-ments qui composent l’enseignementpost-secondaire français : le LMD avocation à les insérer tous progressi-vement, y compris les formations horsÉducation nationale, dans une mêmearchitecture de grades et de diplômesuniversitaires.

L’aspect le plus souligné est qu’ilconduit d’abord à rapprocher lesgrandes écoles (dans et hors champde l’Éducation nationale) et les univer-sités, à la fois par le fait de conférer deplein droit le grade de master aux titu-laires du diplôme d’ingénieur et auxdiplômés d’autres grandes écoles etpar les nombreux rapprochementsentraînés par l’engagement des écolesdans la délivrance du doctorat et lacréation d’une offre de masters, sou-vent en cohabilitation avec les univer-sités. Le grade de master est ainsidevenu indispensable aux grandesécoles pour la visibilité internationalede leur cursus et donc leur attractionpour les étudiants étrangers.

Plus généralement, le rapprochementimpliqué par le LMD met en mouvementl’ensemble des modes de formationrelevant du ministère de l’Éducationnationale avec :• l’insertion dans le dispositif desclasses post- baccalauréat des lycées,

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CPGE et STS, par la conclusion deconventions avec les universités envue de la recherche d’équivalences, del’établissement d’attestations descrip-tives des parcours de formation, propo-sant des attributions de crédits ECTSpermettant à l’établissement d’ensei-gnement supérieur d’accueil, en fonc-tion de ses prérequis, de mieux posi-tionner les étudiants en poursuited’études ; • l’organisation des poursuites d’étudesdes étudiants d’IUT et de STS dans deslicences professionnelles ou deslicences ;• la révision des modalités d’insertionet d’organisation dans l’université deses filières sélectives et de leurscritères de sélection : le premier cycledes études médicales (PCEM), lesentrées dans les filières profession-nalisées (MIAGE, IUP, IAE, etc.) ;• la rénovation pédagogique dans lesecteur de l’université à libre entrée etsélection différée (qui se manifeste pardes taux d’abandon et d’échecs auxexamens – non exclusifs de succèsdans des réorientations – plus élevésque dans les filières sélectives àl’entrée).

Il a aussi vocation à s’appliquer auxformations extérieures au champ duministère de l’Éducation nationale,relevant notamment :• du ministère de la Santé, avec lesdiscussions relatives à l’application duLMD aux études médicales, plus tar-dives en France que pour les autresétudes (comme dans la plupart despays), et aussi à “l’universitarisation”des professions de santé5 ;• du ministère de la Culture (diplômesdes écoles d’architecture).

En bref, le LMD, par le biais de ces rap-prochements, de l’application d’unsystème unifié de diplômes, des res-tructurations de filières, de leur plusgrande diversification et de l’éva-luation périodique des formations,pourrait devenir un levier de défrag-mentation, sinon d’unification, dusystème d’enseignement supérieur.

Il pourrait être un facteur d’unemeilleure régulation et de la créationde nouvelles bases pour un continuumplus régulier et acceptable qu’à l’heureactuelle des règles et pratiques del’orientation/sélection entre les diffé-rents segments du système. Il pourraitcontribuer alors à atténuer l’étrangeté(au moins telle qu’elle est vue del’extérieur) et les effets pervers queconstituent l’affichage d’une approcheet d’une préférence françaises simul-tanément pour l’hypersélection en vuede l’excellence, et d’une sélectiondifférée après une période de libreaccès pour tous les bacheliers dansles formations sans conditions sélec-tives à l’entrée de l’ université.

Toutefois le rapport de l’IGAENR aconstaté que l’extension du LMD auxdiverses formations (IUP, IUT, classespost-baccalauréat) est encore réali-sée d’une manière inégale. Les parti-cularismes demeurent, les inquiétudesde perte d’identité aussi, mais les réfé-rences communes et les passerellesse développent. Les réactions desdivers établissements concernés, lesajustements dans la mise en œuvre duLMD qui en résultent pour leurs modesde formation spécifiques, traduisent lesouci légitime d’en tirer le meilleurparti, tout en conservant le meilleur

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de particularismes jugés, à tort ou àraison, comme des éléments essen-tiels de leur visibilité, de leur identité etde leur succès. De manière logique etcohérente dans l’esprit du processusde Bologne, la Conférence des pré-sidents d’université a réaffirmé à plu-sieurs reprises la vocation de toutesces formations à s’insérer dans l’en-semble de la nouvelle offre de formationdes universités.

On peut penser que ces particu-larismes des institutions françaises,comme de celles des pays partici-pants, resteront forts mais qu’ils s’atté-nueront et s’adapteront, en évoluantau contact du système commun, àtoutes les autres formations. De ce fait,leur visibilité, leur identité et leurattractivité devraient se trouver plutôtrenforcées qu’affaiblies.

La gouvernance de l’enseignementsupérieur : le LMD favorise unenouvelle évolution de l’équilibreentre autonomie des établissementset régulation centrale La mise en place du LMD 6 a inaugurédes démarches originales par rapportaux habitudes françaises :• le maintien des anciens diplômes,l’harmonisation européenne étant un“surlignage de certains niveaux 7”,conservant les diversités et les parti-cularités nationales ;• un infléchissement important de laprocédure d’habilitation, du fait durefus d’un cadrage initial par des ma-quettes nationales, tout en maintenantl’unité de la procédure pour garantir lecaractère national des diplômes. Lamise en place d’une nouvelle offre deformation dans le cadre du LMD est un

axe important du contrat quadriennal ;• l’institution nouvelle des comités desuivi (licence professionnelle, licence,master), conçus comme des instancesde régulation visant à garantir la cohé-rence globale du système. Leur mis-sion est d’étudier les conditions dedéroulement de la phase de mise enplace des diplômes et de faire touteproposition utile à l’amélioration dudispositif. Les avis et les recomman-dations de ces comités, régulièrementpubliés, constituent peu à peu à la foisdes synthèses d’études de cas et unensemble d’éléments de doctrine surles modalités françaises spécifiquesde mise en œuvre du processus deBologne.

Le maintien sine die des anciensdiplômes a sans doute été un élémentimportant dans l’acceptation généraledu nouveau système. La plus grandeliberté d’initiative et d’innovationlaissée dans la procédure d’habilita-tion a été à la fois saluée et critiquée.L’enquête CSO-ESEN montre que lemanque de connaissance des critèresd’habilitation pour les universités de lapremière vague, suivi d’un cadrageplus précis pour les suivantes, s’il a puêtre gênant, en particulier quand il lesa amenées à revenir sur certains deleurs choix, n’a pas été trop discrimi-nant. Elle constate toutefois que c’estl’autonomie des disciplines qui s’estsurtout manifestée dans la nouvelleoffre de formation proposée à l’habili-tation plutôt que celle des universitéselles-mêmes.Compte tenu des flottements quidemeurent dans la doctrine d’habilita-tion et des risques de rupture d’égalitédes chances des étudiants en fonction

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des pratiques des établissements,notamment en matière de modalités decontrôle des connaissances et decomptabilisation des ECTS, il y aattente d’une harmonisation, mais quine serait pas une normalisation.

Le rapport de l’IGAENR recommandeainsi que la DES complète les arrêtésde 2002 dans le sens d’une remise enordre des formations avec l’organisa-tion en domaines, mentions et par-cours. Elle propose de préciser la doc-trine en s’appuyant sur les travaux descomités de suivi et d’élaborer unecharte permanente ou un cahier descharges du LMD, définissant les critè-res d’habilitation et se substituant auxcirculaires annuelles. Elle s’interrogesur la question de l’utilité d’une exper-tise a priori des maquettes de forma-tion proposées par les établissementsdans le cadre du contrat et sur l’oppor-tunité d’habiliter plutôt un établisse-ment sur un grand champ disciplinaireet d’évaluer a posteriori la qualité desformations.

Malgré leur intérêt et le fait qu’ilscontiennent des réflexions et desréponses sur de nombreuses ques-tions débattues dans les universités, lamission de l’IGAENR a constaté queles travaux des trois comités de suivisont encore peu connus. On peutpenser que la nouveauté de ce dispo-sitif n’est pas étrangère à sa relativeméconnaissance.

Ces évolutions dans les pratiques del’administration centrale devraientconduire à renforcer l’autonomie desétablissements et la politique contrac-tuelle ainsi qu’à conforter le rôle des

présidents d’université, comme entémoigne la variété des modes depilotage de la réforme constatée parl’enquête CSO-ESEN. Toutefois, elleconstate aussi qu’un des effets conju-gués de l’urgence, notamment dansles établissements qui ont commencéles premiers la mise en place du LMD(avec peu de régulation interne et unegrande liberté d’initiative) et desflottements de doctrine au niveaucentral aura plutôt conforté le pouvoirdes disciplines et des universitaires,soucieux de maintenir des frontièresou d’améliorer des positions plutôt quede créer de nouvelles filières interdis-ciplinaires.

L’IGAENR constate la difficulté des uni-versités et des services de scolarité àgérer l’organisation administrative del’offre de formation du LMD, du fait del’adaptation nécessaire pour les par-cours de formation et le suivi indivi-dualisé des étudiants malgré l’expé-rience disponible en matière de forma-tion continue et de validation desacquis.

L’impact sur l’évolution de l’offre de formation, la rénovation pédagogique, la vie universitaireLe LMD est aussi un levier de réformeinterne, pour la France comme pour lesautres pays. Une partie des aspects dela réforme sont déjà familiers et peu-vent être vus dans une perspectiveexclusivement franco-française, encontinuité avec la “réforme Bayrou”(arrêté de 1997). Pour distinguer lesapports propres au LMD, il serait utilede mieux évaluer le bilan des réformesprécédentes comme la semestrialisa-tion et la modularisation des enseigne-

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Le LMD peutcontribuer à rationaliserles méthodes d’évaluation

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ments, la compensation, l’évaluationdes enseignements par les étudiants.Le rapport de l’IGAENR a constatéainsi que le contrôle des connaissan-ces donne lieu à des interprétationsvariées et un alourdissement de lacharge des examens, la semestrialisa-tion ayant plutôt accé-léré une tendan-ce préexistante.

Quant à l’objectif de mobilité, il s’insèredans l’expérience du programme ERAS-MUS. Celui-ci est critiqué non sur leprincipe mais pour l’insuffisance dunombre et du montant des bourses, surles inégalités sociales persistantes dece fait et sur les difficultés rencontréesà insérer les unités acquises à l’é-tranger dans les cursus nationaux. Lesétudiants sont donc encore peu mobi-les par rapport aux objectifs affichés.

Les ECTS ont été élaborés depuis long-temps dans ce même cadre. Mais lerapport de l’IGAENR constate que laprise en compte du travail individuel del’étudiant (un changement importantpour la France par rapport à l’habitudede raisonner en temps “présentiel”)est souvent mal, et très diversement,effectuée.

L’accent mis sur la “professionnalisa-tion” des cursus s’insère dans le mou-vement de longue durée qui a conduità l’organisation par les universités demultiples filières professionnalisées.La réforme LMD, en particulier par letravail de description des formations etdes diplômes en termes de compéten-ces qu’elle implique dans la rédactiondes projets d’habilitations et desannexes descriptives des diplômes etpour leur inscription au RNCP 8, devrait

aider à rénover cette approche, bienque les filières professionnaliséesexistantes, fortes de leurs succès enmatière de débouchés, puissent con-tester cette valeur ajoutée.

Mais le rapport de l’IGAENR etl’enquête CSO-ESEN constatent que letravail sur les compétences est souventignoré, que les responsables de la for-mation continue et ceux de la formationinitiale travaillent peu ensemble d’unemanière générale et que la participationdes milieux professionnels à la refontedes diplômes reste faible.

Enfin on peut penser que les échangeseuropéens sont de nature à faireévoluer l’importance et les modalitésde la participation des étudiants à la vieuniversitaire 9. Le rapport de l’IGAENRet l’enquête CSO-ESEN constatent né-anmoins que les étudiants doivent êtredavantage impliqués dans l’élaborationde l’offre de formation et dans les pro-cessus d’évaluation.

L’impact sur le dispositif et les modesd’évaluation et de garantie de la qualitéLe processus de Bologne insiste surles activités d’évaluation dans tous lesdomaines de l’enseignement supé-rieur, sur le développement de l’assu-rance qualité et de la coopérationeuropéenne dans ce domaine 10. Ilincite à fonder plus précisément lepilotage de l’enseignement supérieursur l’auto-évaluation et l’évaluationexterne. Il incite aussi à développerencore l’évaluation des enseigne-ments et des formations “chantierencore ouvert” (rapport de l’IGAENR).Le LMD peut être un levier important

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dans la rationalisation des méthodeset du paysage français de l’évaluationde l’enseignement supérieur : l’élabo-ration conjointe par le Comité nationald’évaluation et l’IGAENR du “livre desréférences” en vue de le mettre enœuvre pour l’auto-évaluation cor-respondait déjà à un objectif du pro-cessus de Bologne.

Plus récemment, la création del’Agence d’évaluation de la rechercheet de l’enseignement supérieur 11

manifeste cet effort d’harmonisationdu champ de l’évaluation. Autoritéadministrative indépendante, elle estchargée d’évaluer à la fois les établis-sements d’enseignement supérieur etles organismes de recherche, lesactivités de recherche, les formationset les diplômes des établissementsd’enseignement supérieur et de vali-der les procédures d’évaluation despersonnels des établissements et desorganismes.

En conclusion, le LMD a entraîné lerenouvellement d’approches déjàmenées dans un contexte franco-fran-çais. Cette réforme est un outil dedéveloppement de l’autonomie desuniversités, même si l’enquête CSO-ESEN constate surtout actuellement lepoids des disciplines plutôt que del’université dans la recomposition del’offre de formation, malgré l’investis-sement des présidents d’universitédans la réforme, du fait en partie sansdoute du flou du cadrage initial par le

ministère chargé de l’Enseignementsupérieur. Plusieurs objectifs du LMD suscep-tibles d’effets importants sur le modèlefrançais, comme l’évaluation de laqualité ou la diffusion du supplémentau diplôme, restent néanmoins encoresurtout des virtualités.

Le rappel persistant du principe desubsidiarité et du nécessaire respectdes diversités et des particularitésnationales dans les négociations etl’application des engagements inter-nationaux, le choix de la voie contrac-tuelle dans la mise en œuvre au plannational, la concentration de la miseen place de la réforme sur les change-ments internes plutôt que sur l’ou-verture européenne et internationalefont que les spécificités françaises nesont pas prêtes de disparaître oud’être dissoutes dans le LMD. Celui-ciest simultanément un risque, par sonaspect de révélateur des forces et fai-blesses, et une chance de renouvelle-ment pour les établissements. C’estaussi une occasion de reformulationdu “modèle”, et du “patriotisme péda-gogique” français, dans le sens deplus de cohérence et de lisibilité etd’une plus grande aptitude à apprend-re des autres, à identifier et à intégrerleurs “bonnes pratiques”, aussi bienen France même que vis-à-vis despays étrangers, dans la promotion vis-à-vis des étudiants étrangers commedans la politique d’exportation de l’in-génierie éducative.

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> 1 European Credit Transfer System.

> 2 Ou annexe descriptive du diplôme.

> 3 Josette Soulas, Bibiane Descamps, Marie-France Moraux, Philippe Sauvannet,

Brigitte Wicker. La mise en place du LMD (licence-master-doctorat). IGAENR, N°2005-031, juin 2005.

> 4 Stéphanie Mignot-Gérard et Christine Musselin “chacun cherche son LMD” : L’adoption

par les universités françaises du schéma européen des études supérieures en deux cycles. Synthèse

du rapport CSO / ESEN (École supérieure de l’Éducation nationale), 2005.

> 5 Depuis les réflexions ouvertes par le rapport de la commission pédagogique nationale de la première

année des études de santé (rapport Domitien Debouzie de juillet 2003), qui envisageait une réforme

de la première année du premier cycle visant à la rendre commune à toutes les professions de santé,

dont les formations préparatoires, validées diversement par un diplôme d’État, un BTS ou un certificat

de capacité, se seraient vues de ce fait, en partie “universitarisées”.

> 6 Décret n° 02-482 du 8 avril 2002, portant application au système français d’enseignement supérieur

de la construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur, arrêté du 23 avril 2002 :

études universitaires conduisant au grade de licence, arrêtés du 25 avril 2002 sur le diplôme

de master et les études doctorales.

> 7 Harmonisation européenne. Document d’ orientation. MENRT. Décembre 1998.

> 8 RNCP : Répertoire national des certifications professionnelles.

> 9 Rôle actif de l’ESIB (Union des associations nationales d’étudiants en Europe) dans le cadre

du processus de Bologne. Publications : Bologna with students’eyes 2005, The black book

of the Bologna process, 2005.

> 10 ENQA (Réseau européen des agences d’évaluation de l’enseignement supérieur). Références

et lignes d’orientation pour le management de la qualité dans l’espace européen de l’enseignement

supérieur (traduction Comité national d’évaluation, 2006).

> 11 Loi n°2006-450 du 18 avril 2006 (Articles L114-3-1 à L114-3-7 du code de la recherche).

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Les classes préparatoires aux grandesécoles à l ‘heure de l ‘ internat ional isat ionde l ‘enseignement supérieur CLAUDE BOICHOT, inspecteur général de l’Éducation nationale

I l est rare qu’en posant de mauvaisesquestions on arrive à faire émergerdes solutions pertinentes. Or les

questions biaisées sont légion quand ils’agit des dispositifs post-baccalau-réat français. Les médias, notamment,se font périodiquement l’écho d’inter-rogations qui mettent ou remettent encause l’existence même des filièresexplicitement sélectives que sont lesclasses préparatoires aux grandesécoles (CPGE) et les grandes écoles.Ces “prépas”, entend-on dire, ne sont-elles pas des dispositifs construitspour favoriser la reproduction desélites sociales ? Sont-elles vraimentefficientes, alors que leurs élèves sontceux qui coûtent le plus cher au systèmeéducatif ? Ne constituent-elles pasune spécificité franco-française ?

Ces questions, qui véhiculent autantd’idées reçues que de préjugés, mé-

ritent d’être examinées dans unedémarche scientifiquement établie. Eneffet, il est temps pour notre pays dese poser de vraies bonnes questions,lui permettant de faire une entréesereine dans les espaces européensou mondiaux de la connaissance et dela recherche.

Les CPGE favorisent-elles la reproduction des élites sociales ?Comme le montrent les conclusions ducolloque organisé en 2002 à l’initiativede l’union des professeurs de spé-ciales, les classes préparatoires neportent en elles-mêmes aucune fatalitéde reproduction de l’élite sociale. Maiselles sont placées en sortie d’un cur-sus qui, loin d’assurer une sélectionsur des critères de mérites scolairesdûment établis, a toutes les alluresd’une “colonne à distiller” une certaineségrégation sociale. Ainsi la DEP a

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Il faut assurer la diversificationsociale des élèves de prépas

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établi sur un suivi de cohorte l’évolutionde la composition sociale des classessuccessives : la “concentration” desfilles et fils de ceux qui savent décoderla culture scolaire y est explicite.

Or la démocratisation de l’enseigne-ment est bien évidemment uneexigence d’équité citoyenne. Il nousappartient d’assurer des conditionséquitables pour tous les élèves et demettre chacun d’entre eux sur unchemin qui le mène vers sa propreexcellence. Aussi la Charte de l’égali-té des chances dans l’accès aux for-mations d’excellence du 17 janvier2005, les nombreuses conventionssignées et les expériences actuelle-ment menées témoignent-elles toutesd’une volonté collective de refuser lefata-lisme social et de combattre lesblo-cages culturels et psychologiquesqui conduisent trop de jeunes à sedétourner de voies ou de filières qu’ilsconsidèrent comme n’étant pas poureux.

Le système des grandes écoles et desclasses préparatoires est souventaccusé d’être élitiste, ce qui est vrai, etantidémocratique, ce qui est faux. S’ilest exact que les enfants de cadres etde parents occupant des professionsintellectuelles supérieures représen-tent un pourcentage important desélèves des grandes écoles, ce phéno-mène est aussi présent, dans unemoindre mesure, dans les troisièmescycles universitaires. Par ailleurs, si onconsidère l’encadrement en général, leniveau de représentation (72 %) est lemême dans les grandes écoles quedans les troisièmes cycles univer-sitaires. Il s’agit donc bien là d’un

problème affectant l’ensemble de l’en-seignement supérieur et non d’une fai-blesse particulière du dispositifclasses préparatoires-grandes écoles.On le constate d’ailleurs aisément sil’on veut bien se donner la peine de lireles statistiques et surtout d’examiner lenombre des diplômés à un niveaudonné et non le nombre des étudiantsinscrits en premier cycle.

Des études montrent que près de 80 %des élèves de CPGE étaient dans lequartile supérieur à l’évaluation d’en-trée en 6e. Ceci prouve, d’une part, quela sélection à l’entrée des classes pré-paratoires est bien fondée sur lescapacités intellectuelles et, d’autrepart, que les déterminismes sociopro-fessionnels ont déjà joué à l’entrée aucollège. On remarque d’ailleurs l’in-fluence de ces déterminismes tout aulong du système d’enseignement : leproblème est présent dès le cours pré-paratoire, où l’avantage des enfants demilieux favorisés est net quant à lareconnaissance des lettres et la maîtri-se des concepts temporels.

L’ouverture sociale de l’enseignementsupérieur impose donc de travailler enamont, afin d’éviter toute forme d’auto-censure des bacheliers. Étayons ceraisonnement : il y a actuellement 38 %de boursiers en STS et en IUT, 28 % enDEUG et 18 % en CPGE. Comme aucundossier de bachelier n’est éliminé surle critère boursier/non boursier, onpeut conclure que les bacheliers issusde milieux non favorisés choisissentmajoritairement les filières courtesprofessionnalisantes au détriment dela filière CPGE-grandes écoles, qui leurapparaît comme un long tunnel de cinq

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ans. Notons que la capitalisation descrédits ECTS va sans doute rassurer etattirer vers les CPGE des élèves qui lesévitaient pour cette raison, alors queleur réussite y serait quasiment assu-rée ainsi que leur employabilité aprèsl’intégration en grande école. Remar-quons aussi que les boursiers préfè-rent les filières de DUT et de BTS auxpremiers cycles universitaires, qui, onle sait, n’offrent malheureusement pasune garantie d’emploi.

Les classes préparatoires aux grandesécoles sont des voies de formation quiouvrent à ceux qui osent les emprunterdes formes plurielles d’excellence.Elles sont aussi des lieux privilégiés dela démocratisation puisque la part dumérite scolaire y est déterminante. Ilfaut donc y assurer la diversificationsociale en accompagnant ceux qui, enraison de leur environnement géogra-phique, social ou culturel, s’autocen-surent et n’osent pas entreprendre cesétudes. Les CPGE sont aussi des struc-tures où l’encadrement est solide etpersonnalisé, avantage qui doit êtreoffert à ceux qui en ont le plus besoin.Cela devrait d’ailleurs se traduire toutau long de la chaîne éducative.

L’accompagnement doit être engagé àpartir de l’articulation entre la troisiè-me et la seconde – point névralgique,s’il en est – et doit comporter, pour lesélèves dont le mérite scolaire ou lepotentiel de réussite est repéré et vali-dé, du tutorat, une incitation à l’ins-cription en CPGE, des mesures facili-tant le logement et les conditions d’é-tudes, et une bourse au mérite attri-buée pour la totalité des études. Letutorat individuel ou collectif pourrait

être mis en place au travers de l’opé-ration qui mobilise 100 000 étudiantsdes grandes écoles et des universitésde niveau bac + 3 pour parrainer etaccompagner 100 000 élèves des quar-tiers défavorisés. Dans ce modèle, lesétudiants assurent simplement la têtede cordée et ancrent la cohésion entreles origines sociales et ethniques.

Le dispositif existant des CPGE com-porte un potentiel d’accueil supplé-mentaire de plusieurs milliers de pla-ces. Celui-ci pourrait bénéficier à deslycéens qui, de prime abord, n’envisa-gent pas cette voie. Évidemment, lesprocédures de sélection de ces ly-céens ne sauraient s’écarter de l’exi-gence habituelle de niveau ou demérite scolaire, sauf à ébranler rapi-dement la confiance mise dans l’enga-gement de la Nation envers ces jeu-nes méritants. La procédure actuelle-ment en vigueur pour l’entrée en CPGEa été conçue dans un esprit de trans-parence et d’équité mais elle ne lèvepas tous les blocages culturels etsociaux des élèves qui, jusqu’à l’ob-tention du baccalauréat, n’imaginentpas s’engager dans des filières d’étu-des longues.

Elle s’opère avant les résultats du bac-calauréat et doit naturellement êtreexpliquée et s’appliquer à tous leslycéens. Cela pourrait faire l’objetd’actions de communication cibléesvers les lycéens boursiers avec men-tion au bac qui auraient “oublié” d’êtrecandidats à l’entrée en CPGE lors de lapremière phase de recrutement. Ilsseraient alors assurés d’avoir uneoffre de place assortie d’un accompa-gnement social personnalisé.

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Ouvrir les voies d’excellence“

C’est dans ce sens qu’il faut comprendreles propos du Président de la Républiquelors de ses vœux à la presse : “Lesclasses préparatoires aux grandesécoles devront accueillir un tiers d’élèvesboursiers.” Cette demande doit s’entendrecomme un objectif collectif à atteindreet un indicateur de réussite et noncomme un objectif en soi basé sur leprincipe des quotas. En effet, ce n’estpas sur la discrimination positivequ’une égalité des chances doit sefonder dans la durée, mais en prenanten compte la nécessité de mieuxaccompagner en amont les lycéensissus de milieux défavorisés. Une poli-tique de quotas est souvent une façonde ne pas analyser les causes (le faitque les enfants des catégories socio-professionnelles supérieures soientfavorisés est un véritable phénomènede société) et de se contenter detraiter uniquement les symptômes (il ya peu de boursiers en CPGE).

Ces actions concrètes doivent être enoutre accompagnées d’une réflexionsur les internats et sur le financementdes études. Que dire du manque deplaces dans les internats et de leur fer-meture en fin de semaine et pendantles vacances scolaires ! Cette situa-tion, gérable financièrement par desparents ayant un certain revenu, nel’est pas pour tous et constitue doncun facteur clair de discrimination !Attirer vers l’enseignement supérieuret y faire réussir des jeunes issus demilieux défavorisés suppose aussi quel’on soit en mesure de les soutenirdans un monde qu’ils connaissent peuet dont ils se persuadent trop vite qu’iln’est pas fait pour eux. Au lieu d’évo-quer des classes préparatoires spéci-

fiques, ne vaut-il pas mieux réfléchirau rôle pédagogique que l’internatpourrait jouer, en répondant à leursbesoins en leur offrant un cadre de tra-vail et d’études, en leur permettantsoutien et ouverture sur le monde ?

Laissons-nous rêver à des IPRES,Internats pédagogiques de réussitedans l’enseignement supérieur, quioffriraient une aide au travail quotidienet à son organisation confiée à desétudiants de grandes écoles ou desuniversités, un suivi personnalisé enliaison avec ces tuteurs et des profes-seurs, des visites, des débats, des ren-contres avec des “anciens” qui ontréussi, une aide et un suivi personnali-sés assurés par des spécialistes del’orientation et des assistants sociaux.

Enfin, pour lutter contre l’image dulong tunnel de cinq ans et le faitqu’une interruption des financementscasse brutalement le parcours sansque l’élève ait obtenu un diplôme pro-fessionnalisant, on pourrait envisagerla création de bourses sociales d’ex-cellence. Financées sur des fondspublics ou par un club d’entreprises,ces bourses seraient décidées pen-dant l’année de première du lycéen.Elles lui garantiraient une certainesomme pour la durée complète de sascolarité dans le supérieur (jusqu’auniveau master) à la condition qu’iln’arrête pas ses études en cours deroute. Comme les concours d’accèsaux grandes écoles, et particulière-ment les épreuves orales, coûtentcher à la cellule familiale, ce disposi-tif devrait être complété par l’exoné-ration des frais d’inscription pour lesboursiers et l’octroi de certaines

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aides matérielles. Il est en effetindispensable d’ouvrir les voies del’excellence à ceux qui n’ont pas lachance d’évoluer dans un environne-ment familial économiquement fort ouculturellement porteur. N’excluonsplus les talents qui tardent à s’épa-nouir en raison de blocages sociauxet cessons de priver les élites quiaspirent à exercer des responsabilitésde la diversité des origines, garantede richesse intellectuelle !

Les CPGE sont-elles vraimentefficientes ?Le philosophe Alain Renaut déclaraiten 2002 que “30 % du budget du supé-rieur sont affectés à une population,celle des grandes écoles et de leursclasses préparatoires, qui ne dépas-sent pas 3 % du nombre total desétudiants”. Ces chiffres, bien que nonvérifiés et surtout non fondés, ontdepuis été abondamment repris, alorsque tous les éléments objectifs existentdans les bases de données actualisées.

C’est ainsi, notamment, que la lecturedes différents “Comptes de l’Éducation”permet de construire une valeur ditedu coût total par étudiant dans les dis-positifs comme les CPGE, les STS, lesIUT et les universités. Le coût des forma-tions post-baccalauréat est calculé enprenant en compte les horaires de cesclasses, le statut des enseignants et lestaux d’encadrement constatés. Le calculde ce coût prend également en comptedes activités d’enseignement, maisaussi d’hébergement et de restauration,une part des activités de la centrale,des frais de transports, etc. Une foisdéterminé, le coût global est divisé parles effectifs inscrits correspondant.

Or, si l’on prend le cas des universités,la connaissance de la réalité précisedes inscrits fait problème. En effet,dans certaines filières universitaires,l’évaporation est très forte dès les pre-mières semaines, alors que l’inscrip-tion vaut statut d’étudiant sans autreobligation d’assiduité. En outre, sontcomptés dans les effectifs tous les étu-diants de CPGE, alors que ceux-ci sontinscrits dans des structures universi-taires pour “bénéficier” d’équivalen-ces et que, comme le relève un récentrapport de l’inspection générale desFinances, ils ne représentent aucunecharge d’enseignement. Aussi serait-ilopportun de rapporter les dotationsaux étudiants présents aux examens,voire aux diplômés. Dans ces condi-tions, on peut s’accorder pour affirmerque 10 % des effectifs des enseigne-ments supérieurs CPGE et grandesécoles consomment entre 20 et 25 %du budget et forment 26 % des diplô-més de l’enseignement supérieur long.

Par ailleurs, il faut souligner que l’acti-vité d’enseignement représente à elleseule 85 % du coût d’un étudiant enCPGE et que 80 % du surcoût des étu-diants de CPGE par rapport à ceux desuniversités est dû à la différence decoût en personnel enseignant. Cedernier a d’ailleurs beaucoup changé.Les professeurs des CPGE scienti-fiques notamment, s’ils continuentd’être recrutés parmi les agrégéssouvent les plus brillants, sont aujour-d’hui massivement titulaires d’un doc-torat. Complètement centrés sur leursenseignements et sur la réussite deleurs étudiants, ils n’en sont pas moinsformés et habilités à la démarche derecherche scientifique ; dans le cas

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des sciences pour l’ingénieur, ilsentretiennent des échanges fréquentsavec les opérateurs industriels les plusavancés en recherche et dévelop-pement. Par ailleurs, les flux de placesoffertes aux concours dans les voiesscientifiques et de management, supé-rieurs en nombre aux flux des candi-dats ont largement contribué à donnersa meilleure dimension à la formationdispensée. Bref, l’acception de la“prépa”, conçue simplement comme lelieu où l’apprend à sauter l’obstacledes concours, est maintenant complè-tement et heureusement dépassée ; ceque ne savent pas toujours ceux quicondamnent les CPGE, après y êtrepassés… il y a plus de dix ans aumoins, avant d’en retrouver les vertuspour construire la trajectoire de forma-tion et d’insertion de leurs propresenfants.

Les CPGE constituent-elles une spécificité franco-française ?Les “détracteurs” des grandes écoleset des classes préparatoires soulignentsouvent cette originalité française etl’absence dans d’autres pays de la dua-lité écoles/universités. Cette affirmationest tout simplement fausse car l’origina-lité de l’enseignement supérieur fran-çais ne réside pas dans l’existence d’unsystème dual, où se côtoient écoles etuniversités : c’est le cas en Allemagneavec les Fachhochschulen et aux États-Unis avec les community colleges. Ladifférence principale est qu’en Franceles formations considérées comme lesplus exigeantes et sélectionnant les étu-diants les plus brillants sont celles desécoles, contrairement à ces autres paysoù la voie royale est celle des étudeslongues à l’université.

La dualité n’est pas entre universités etgrandes écoles. Il n’y a pas de grandesécoles en médecine, en pharmacie, enodontologie, en droit, en STAPS, voire,mais pour d’autres raisons, en lettres,en histoire, en géographie, en philoso-phie (ce ne sont pas les flux réduitsdes écoles normales supérieures oudu corps des géographes qui peuventavoir un impact quelconque). Les seu-les dualités se situent en sciences,dures, économiques, même pas socia-les ! Quantitativement, ceci ne repré-sente que deux secteurs face à huit oudix. Il faut donc arrêter de prendre tousces domaines en otages dans un“conflit” qui n’est pas le leur. La com-paraison internationale doit porter surce qui est comparable : des formationsavec des débouchés professionnelsavérés et des flux correspondants.

Un paramètre a ici une importancedécisive, c’est la capacité à sélection-ner et finalement à orienter de façonclaire et non pas par la méthode sour-noise et perverse de l’échec. Ainsil’accès sans sélection à l’universitéquand 15 % d’une classe d’âge réussitsa sortie du secondaire (cas de laSuisse, l’Allemagne et le Royaume-Uniont atteint la barre des 30 % récem-ment) n’est pas le même quand il s’agit,comme en France, de 65 %. EnAllemagne, il n’existe pas de sélectionà l’entrée, mais un flux de sortie adap-té au marché de l’emploi. La raison enest simple : les professeurs sont parnature ambitieux pour leurs étudiants,ils peuvent donc relever le niveau deleurs exigences tant que le flux desortie ne pose pas de problème d’em-bauche. Selon les pays, il y a donc sé-lection ou pas.

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Le débat autour des comparaisonsentre pays conduit souvent à rappro-cher les institutions qui dégagent uneforme d’élite. La vérité est que toutpays sait sélectionner et former lapetite fraction d’une classe d’âge àtrès haut pouvoir d’abstraction qui, apriori, sera à long terme en chargedes plus hautes responsabilités. EnFrance, ce sont les grandes écolesqui jouent ce rôle, ainsi que les filiè-res médicales et juridiques ; enGrande-Bretagne, les filières les plusprestigieuses sont plutôt l’histoire, lalittérature, la philosophie ; aux États-Unis, le droit, la médecine et le “busi-ness” ; en Inde, les ingénieurs enélectronique et informatique, et,mieux encore, ceux qui ont complétéleurs cursus dans un Indian instituteof management, où seulement 200places sont disponibles pour 20 000 à50 000 candidats ! Ces modèles deproduction de la connaissance, d’unepart, d’identification et de prépara-tion de hauts responsables, d’autrepart, sont caractéristiques d’un paysen relation étroite avec son histoire,le rapport à l’origine familiale etl’organisation de l’enseignementsecondaire.

Ces subtilités, trop méconnues desétudiants qui entrent dans l’enseigne-ment supérieur, sont en revanchefamilières aux entreprises internatio-nales, qui savent très bien où recruterles bons candidats, et aux institutionsuniversitaires de niveau internationalqui savent parfaitement repérer leurspairs.

Plus largement, il n’est pas sûr que lemodèle international de référence de

l’enseignement supérieur existe. Lesuniversités américaines sont puissan-tes, riches, organisées, nombreuses,parce que le pays, à l’échelle d’uncontinent, dispose d’un modèle univer-sitaire unique et qu’elles ont joué unrôle majeur dans l’histoire de l’émanci-pation intellectuelle. Les pays euro-péens comme les pays asiatiquesmontrent une grande diversité des sys-tèmes d’enseignement supérieur.

Certaines grandes écoles françaisessont bien identifiées comme des insti-tutions d’élite par les meilleures uni-versités américaines, dès que celles-ci ont accueilli leurs étudiants enéchange ! Ceci nous amène à la cons-tatation, partagée par Mme DellaBradshaw rédactrice en chef “BusinessEducation” du Financial Times, que,dès que les deux années de CPGEseront réellement lisibles dans le pan-orama LMD, alors le système CPGE-grandes écoles sera encore plus fortcar la qualité de la formation généra-liste des grandes écoles est plébis-citée dès qu’il est décodé.

Par ailleurs, le réseau de nos établis-sements scolaires à l’étranger, qui estun outil unique, doit présenter un frontavancé de notre système post-bacca-lauréat dans toutes les régions dumonde, en offrant par exemple desCPGE, au moins en première année,accessibles à tous les élèves étran-gers qui auront par ailleurs entamé enclasse de seconde une étude de la lan-gue et de la culture françaises.

Les déclarations de la Sorbonne, deBologne et de Prague avaient pour butd’harmoniser les niveaux de sortie des

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formations pour leur donner une com-patibilité au sein de l’Europe et unevisibilité hors de l’Europe. Il n’a jamaisété question d’uniformiserl’extraor-dinaire diversité de nos systèmes uni-versitaires pour bâtir une Europe plusforte : ce serait aussi stérile que devouloir désormais ne pratiquer qu’uneseule langue parce que nous avonscréé l’euro. Dans chaque pays, l’ensei-gnement supérieur est construit encohérence avec l’enseignement secon-daire qui le précède, avec la concep-tion de la liaison entre formation etentreprise, enfin avec les rôles res-pectivement attribués aux struc-turescollectives d’enseignement et auxfamilles vis-à-vis de la formation.

Si l’on accepte donc de reconnaître ladiversité des modèles d’enseignementsupérieur, si l’on observe que la dua-lité écoles/universités n’est pas uneexclusivité française, alors on peutapprécier l’originalité française dusystème classes préparatoires etgrandes écoles, qui offre à notre paysune filière où se conjuguent la plusgrande sélection et la meilleure ouver-ture culturelle et pluridisciplinaire.

En conclusion, notre système porte desatouts qui reposent sur l’originalitéd’une alternance entre la théorie et l’ex-périence professionnelle, qui accélèrechez les étudiants l’aptitude à être opé-rationnel et la capacité à penser la com-plexité et l’interaction des systèmes.Cette expérience professionnelle inté-grée aux études (et non consécutive auxétudes comme c’est le cas dans lesmodèles américain, anglais, italien ouallemand) contribue à développer plustôt leurmaturité professionnelle. Les

ingénieursfrançais sont connus et admi-rés dans le monde grâce à ces quatrecaractéristiques : la sélection, l’entraî-nement au travail, la large culture, la ca-pacité d’intégration.L’objectif est de faciliter l’employabilitédes diplômés en Europe et d’accroîtrela compétitivité du système européend’enseignement supérieur vis-à-vis dureste du monde. Cette intention doitêtre abordée positivement, en valori-sant les points forts des formationsactuelles. L’avenir de l’Europe est encause, car toute dégradation desmeilleures formations conduirait à unaffaiblissement de notre compétitivitééconomique, industrielle et culturelle.Dans un monde où les activités se glo-balisent, la maîtrise du savoir et del’éducation est essentielle pour qu’unpays garde une forte valeur ajoutéetechnologique.

Le supplément au diplôme doit êtreun instrument permettant de valoriserles qualités de nos formations : il estfondamental de veiller à ce que lestextes permettent de bien faire figu-rer toutes les indications utiles, telsque le volume et la diversité des con-naissances acquises, les caractéris-tiques des méthodes pédagogiquessuivies avec leurs résultats en matiè-re d’acquisition de méthodes de tra-vail. Nous revenons par là au problè-me crucial de l’intégration des CPGEet plus largement des filières ditescourtes dans le LMD et dans le champde délivrance des ECTS comme outilde sécurisation des parcours réputéslongs, surtout pour faciliter l’accueildes étudiants de milieux sociaux lesplus fragiles. Cette exigence est bienune exigence d’équité citoyenne.

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Les spécif ic i tés du f inancement de l ‘éducat ion en FranceJEAN-RICHARD CYTERMANN, inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche

Les caractéristiques du financement de l’éducation en France sont maintenant bienconnues. Notre pays est un des pays développés qui consacrent une part importantede la richesse nationale à l’éducation. Mais cet effort réel est réparti de manière trèsspécifique. L’enseignement secondaire, et notamment l’enseignement en lycée, est undes plus coûteux au monde alors que notre effort pour l’enseignement primaire est, aumieux, comparable à la moyenne de l’OCDE et que notre effort en matièred’enseignement supérieur est inférieur à cette moyenne et loin derrière les pays lesplus avancés en matière d’innovation 1.

Ces données sont maintenant dispo-nibles depuis une quinzaine d’an-nées, grâce aux documents produits

par l’OCDE (Regards sur l’éducation) et ladirection de l’évaluation et de la prospec-tive à travers L’État de l’École. Elles ontd’abord été avant tout utilisées dans desdébats techniques, notamment à l’occa-sion de discussions budgétaires 2. Le débata maintenant pris un tour plus public depuisquelques années, notamment à propos dufinancement de l’enseignement supérieuren France. Ainsi, le rapport du Conseild’analyse économique, sur “Éducation etCroissance“ soulignait le sous-financement

de l’enseignement supérieur, considérécomme un risque pour la capacité -d’innovation de notre pays 3. Le dévelop-pement des classements internationaux,et notamment le classement de Shanghaï,a également, quelles que soient leurs limitesméthodologiques, mis en lumière la situa-tion difficile de nos universités.

Après avoir rappelé les résultats descomparaisons internationales en matièrede financement de l’éducation, nousessaierons d’analyser les facteurs quiconduisent à ces différences en matièrede structure de financement.

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Un effort supérieur à la moyenne des pays développés, une répartitionatypique entre ordre d’enseignements

> Un effort supérieur à la moyenneLa France reste, après les États-Unis, undes grands pays de l’OCDE qui dépensele plus pour l’éducation.

Notons, en revanche, que la part desdépenses d’éducation dans le total desdépenses publiques, avec 11 %, sembleinférieure en France à la moyenne despays de l’OCDE (12,9 %) et nettementinférieure à celle des pays anglo-sa-xons et scandinaves 5. Ce chiffre estpeu connu, dans la mesure où la réfé-rence est le budget de l’État, dontl’Éducation est le principal poste.

> Une répartition atypique entre ordred’enseignementSi cet effort reste important, il est répartide manière tout à fait atypique entre lesdifférents ordres d’enseignement. Dansaucun autre pays, l’écart entre le coûtd’un élève du primaire et celui d’unélève du secondaire n’est aussi grandet l’écart entre le coût d’un élève dusecondaire et celui d’un étudiant aussifaible 6. Cette structure particulière definancement révèle des choix impli-cites en faveur du secondaire etnotamment des lycées et au détrimentde l’enseignement supérieur et, par-tiellement, de l’enseignement primaire.Les écarts entre coût du secondaire et

Dépenses d’éducation (formation initiale) par rapport au PIB 2002

Pays % PIB % dépensespubliques

États-Unis 7,2 11,2Suède 6,9 13France 6,14 11,0Finlande 6,0 12,7Australie 6,0 14,3Royaume-Uni 5,9 12,6Moyenne OCDE 5,8 12,9

Allemagne 5,3 9,8Pays-Bas 5,1 10,6Espagne 4,9 11,1Italie 4,7 9,9Japon 4,7 10,6

Pays Primaire (1) 1er cycle 2nd cycle Ensemble Supérieur(3) 1 / 2 3 / 2secondaire secondaire secondaire(2)

États-Unis 7049 8669 9607 9098 20545 0,73 2,14

Suède 7143 7075 7670 7400 15470 0,96 2,08

Royaume-Uni 5150 6505 11822 0,79 1,81

Finlande 5087 8197 6455 7121 11768 0,71 1,66

Japon 6117 6607 7274 6592 11716 0,92 1,76

Allemagne 4537 5667 9835 7025 10999 0,63 1,57

France 5033 7820 9291 8472 9276 0,60 1,09

Espagne 4592 6010 8020 0,74 1,33

Italie 7231 8073 7221 7568 8636 0,95 1,14

Moyenne OCDE 5313 6089 7121 7002 10655 0,76 1,52

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coût de l’étudiant se sont amplifiésdepuis 1980. Le coût d’un élève dusecond degré a augmenté de 70 %, alorsque celui de l’étudiant n’a augmenté surla même période que de 30 %. Ce résultatn’était pas évident intuitivement, maisl’écart s’est amplifié, y compris pendantdes périodes où un effort important d’ac-croissement du budget de l’enseigne-ment supérieur était affiché (1988-1993notamment).

Pour l’enseignement supérieur, le coûtest un coût toutes filières confondueset ce coût moyen cache des disparitésimportantes. Si ce coût moyen del’étudiant est égal à celui du lycéen, lecoût de l’étudiant universitaire, horsIUT et écoles d’ingénieurs, est à peineégal au coût du collégien, ce que l’onne retrouve dans aucun autre pays. Cecoût de l’étudiant universitaire est lamoitié de celui de l’étudiant en classespréparatoires aux grandes écoles(CPGE). Le coût d’un étudiant de trèsgrandes écoles est dix fois plus élevéque celui d’un étudiant de premier cyclelittéraire et juridique 7 8.

L’interprétation des écarts combinefacteurs techniques et politiquesCette structure de financement révèledes choix implicites en faveur du secon-daire et notamment des lycées. Il s’agitd’analyser maintenant ces écarts

> Pourquoi notre enseignementsecondaire est-il cher ?• Sachant que le coût de l’Éducation est,pour l’enseignement scolaire, à 90 % uncoût de personnel, le coût important dusecondaire français par rapport au pri-maire peut être analysé au regard desdifférents facteurs qui déterminent ce

coût : salaire des personnels, temps deservice des enseignants, volume d’en-seignement dispensé, taux d’encadre-ment des élèves et, enfin , “impor-tance” des personnels d’accompagne-ment (non enseignants).

• L’explication ne tient pas aux salairesdes enseignants. Les salaires françaisdes enseignants sont légèrement infé-rieurs à la moyenne de l’OCDE endébut de carrière et supérieur à cettemoyenne en fin d’exercice. La France – etl’on retrouve là les caractéristiquesatypiques de notre grille de la fonctionpublique – est sans doute le pays oul’écart entre les rémunérations endébut et en fin de carrière est maxi-mal : près de 100 % dans le primaire et90 % dans le secondaire, contre 80 et70 % aux États-Unis, 50 % au Royaume-Uni, et 15 et 25 % en Finlande. Si l’onprend le ratio salaire de base brut/PIBpar habitant, qui permet de comparerles statuts salariaux des enseignants,le ratio est, au bout de quinze ansd’exercice, sensiblement inférieur à lamoyenne des pays de l’OCDE 9.

• L’écart entre le primaire et le secon-daire et le coût élevé du secondairetiennent sans doute beaucoup auxtemps de service des enseignants : leservice d’enseignement est un des plusélevés de l’OCDE pour l’enseignementprimaire (900 h en France contre 795 hpour la moyenne de l’OCDE et 684 hpour la Finlande) ; la situation estinverse pour l’enseignement secondai-re avec 600 h, soit un chiffre inférieur àla moyenne de l’OCDE, égale à 660 h.

• Le nombre d’heures d’instructiondans l’enseignement public est, dans

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le primaire comme au collège, sensi-blement supérieur à la moyenne del’OCDE, sans qu’il y ait de lien appa-rent entre le volume d’heures reçuespar les élèves et les résultats aux éva-luations internationales, les élèvesfinlandais, lauréats de ces évalua-tions, recevant un volume d’heuresinférieur de 25 % à celui que reçoiventles élèves français. Mais, de ce pointde vue, l’enseignement français estcoûteux, ceci étant en partie lié auxlycées, où le nombre de matièresenseignées est plus important quedans d’autres pays.

• Les différences d’encadrement desélèves expliquent bien évidemment lesécarts. Notre pays est encadré commela moyenne dans le primaire, mais pos-sède l’un des meilleurs taux d’enca-drement dans le secondaire. Le tauxd’encadrement le plus utilisé pour lescomparaisons internationales est lerapport du nombre d’élèves et dunombre d’enseignants. Il s’agit d’unindicateur synthétique qui ne cor-respond pas évidemment à une situa-tion réelle devant la classe, ni à la per-ception des acteurs du système édu-catif, mais qui mesure bien les moyensd’enseignement mis devant les élèves.L’autre indicateur utilisé est le nombred’élèves par classes ou divisions, le pluscommunément admis dans le dialoguesocial interne, mais qui ne tient pascompte des dédoublements ou desoptions.

Notons que des pays à taille de classeidentique dans les collèges (24 élèvesen France, Allemagne et Royaume-Uni)ont des taux d’encadrement respec-tive-ment de 1 enseignant pour 13,7, 15,7 et

17,6 élèves, ce qui montre le caractèrerelativement coûteux de notre organi-sation pédagogique. Notre taux d’en-cadrement est de 19,4 pour le primaire,contre 16,5 pour la moyenne des paysde l’OCDE, de 13,7 dans les collègescontre 14,3 et de 10,6 en second cyclecontre 13 pour la moyenne des pays del’OCDE 10. C’est bien la diversité et la com-plexité du lycée et du Lycée profes-sionnel qui semblent être les facteursdiscriminants du coût élevé du secondcycle français.

• Ajoutons à cela, pour le seconddegré, la multiplication de personnelsqui, en France, exercent des missionsaccomplies dans d’autres pays par lesenseignants eux-mêmes (documenta-tion, surveillance, orientation) et quel’on ne retrouve que très peu dans leprimaire. Même si les données sontincomplètes et existent pour un petitnombre de pays, la France est le paysoù les personnels de soutien spécialisésont les plus nombreux 11.

> Pourquoi notre enseignementsupérieur est-il si peu financé ?Notre enseignement supérieur est avanttout un enseignement supérieur public.Paradoxalement, et contrairement àd’autres pays, la part de l’enseignementprivé est plus importante dans le secon-daire que dans le supérieur, contraire-ment aux États-Unis, au Royaume-Uniet au Japon. Non seulement les uni-versités sont publiques, mais aussi laplupart de ses grandes écoles les plusprestigieuses. Même les écoles de com-merce et de gestion, considéréescomme privées, dépendent des éta-blissements publics que sont les cham-bres de commerce.

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• L’enseignement est donc non seule-ment quasi gratuit pour la plupart desfilières, y compris les plus prestigieu-ses, à l’exception des écoles decommerce, mais dans trois des plusgrandes écoles (ENS, ENA, Polytech-nique), les élèves sont rémunérésalors qu’ils proviennent essentielle-ment de milieux favorisés.

• Inversement, les ménages et les entre-prises participent peu au financementde l’enseignement supérieur. Le recoursà une hausse des droits d’inscription estconsidéré comme un sujet explosif. Lesentreprises aident peu, sous forme detaxe d’apprentis-sage ou de contrats derecherche, dont le volume reste dés-espérément étale. Il n’y a pas en France,y compris chez les anciens élèves degrandes écoles, cette tradition des donset du mécénat qui fait la force des uni-versités américaines 12.

• Notre système est gratuit maisdépense peu pour l’aide sociale, limi-tée à des bourses d’un montant moyenfaible et à des dispositifs fiscaux (demi-part fiscale pour enfants étudiants) etsociaux (ALS) partiellement antiredis-tributifs, ce qui a fait dire à une étudeinternationale que l’enseignement su-périeur n’était pas plus accessible enFrance qu’aux États-Unis 13.

• Au bout du compte, les financementspublics sont les seuls vraiment disponi-bles, compte tenu de la compétenced’État en manière universitaire, même siles collectivités territoriales ont apporté50 % des investissements immobiliers. Or, ces financements sont à allouerdans des périodes où les ressourcesbudgétaires sont plus rares, alors que

l’accroissement de la scolarisation dusecond degré s’est construite en partiependant des périodes budgétaires plusfastes. La période 1988-1993 illustrebien ces difficultés. Malgré la revalori-sation des personnels enseignants dupremier et du second degrés, le budgetdu supérieur, affiché comme priorité, aaugmenté plus rapidement avec descréations d’emplois, un plan de revalo-risation des carrières, un plan socialétudiant et le plan Université 2000 d’in-vestissement immobilier. Malgré cela,le coût de l’étudiant est resté stable,compte tenu de la croissance des étu-diants, et le coût de l’élève a explosésous le double effet de la revalorisationet de la baisse des effectifs avec main-tien, voire légère augmentation, desmoyens. Il est plus facile d’améliorer lecoût unitaire par maintien des moyensquand les effectifs baissent.

• L’absence de données comparativessur les salaires des enseignants, dusupérieur notamment, ne permet pasde différencier les différents élémentsdu coût de l’étudiant. Les seules don-nées disponibles, et pas toujours d’unecohérence parfaite, portent sur lestaux d’encadrement. Avec un tauxmoyen d’un enseignant pour 18 étu-diants, la France est loin de la moyennedes pays de l’OCDE avec un enseignantpour 15 étudiants. Et encore ce chiffren’est qu’une moyenne avec les situa-tions extrêmes d’un enseignant pour 6étudiants dans certaines grandesécoles à un enseignant pour 40 à 50étudiants en lettres ou en droit.• Ces derniers chiffres montrent bien lecaractère dual de notre enseignementsupérieur et ses conséquences. La plu-part des décideurs politiques et écono-

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miques ne sont pas passés par l’univer-sité et n’y envoient pas leurs enfants,qui fréquentent comme eux les classespréparatoires et les grandes écoles,alors que le lycée concerne tout lemonde. Ils ne sont pas intéressés parl’université, même si l’on prend cons-cience maintenant des inconvénientsd’un vivier trop restreint des élites. Ilfaut ajouter que le poids des organisa-tions syndicales enseignantes est net-tement plus faible dans le supérieur quedans le secondaire 14 et, au dire de cer-tains observateurs, ce facteur a pesésur cette répartition des financements.

• L’évolution actuelle du débat publictend à déplorer ce caractère atypiquede notre structure de financement del’éducation et nous inciterait à nousrapprocher d’autres modèles. Dans lecontexte contraint des finances pu-bliques, cela signifie sans doute redé-ployer des emplois du scolaire vers lesupérieur 15 sachant qu’un transfert de4 000 emplois représente 0,5 % desmoyens du scolaire, mais 5 % de ceuxdu supérieur. Ce transfert n’a été effec-tué qu’une fois, pour le budget 1996,après la crise étudiante de l’automne1995.

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> 1 Cet article est, pour ses grandes lignes, tiré de la notice, ayant le même objet dans le “Système éducatif

en France“, sous la direction de Bernard Toulemonde, in les notices de La documentation française,

Paris, 2003, mise à jour 2006.

> 2 L’auteur de cette note a utilisé ces données à l’occasion de la préparation du budget 1992. Les tableaux

comparant les coûts et les taux d’encadrement par niveau ont été joints à l’argumentaire sur le plan

pluriannuel de recrutement en 2000. Et le choix de la grille horaire des lycées comme thème des audits

de modernisation repose bien sur l’idée du coût élevé de notre enseignement en lycée.

> 3 Aghion (P), Cohen (E), “Éducation et croissance” - Rapport du Conseil d’analyse économique n° 46

La documentation française, Paris 2004.

> 4 Ce chiffre est différent de celui publié par la DEP pour la dépense intérieure d’éducation (DIE), chiffre qui

englobe la formation continue mais pas la recherche universitaire, contrairement au calcul fait pour l’OCDE.

> 5 Il est logique, pour mesurer l’effort public, de considérer l’ensemble budget de l’État - budget des

collectivités locales, dépenses de sécurité sociale. La part relativement modeste de l’éducation dans les

dépenses publiques en France est due au poids croissant des dépenses sociales, et notamment de santé,

alors que le poids du budget de l’État dans les dépenses publiques à baissé.

> 6 La dépense d’enseignement supérieur en France est minorée compte tenu de la non-prise en compte,

au titre de la recherche universitaire, des moyens apportés par les grands organismes dans leurs unités

mixtes de recherche avec les universités et de la non-prise en compte de dépenses fiscales et sociales

comme l’allocation de logement à caractère social (ALS). Ces corrections ne changeraient pas

fondamentalement les écarts entre pays et entre ordres d’enseignement. Cf. M. Demeuse, J.R. Cytermann

“La lecture des indicateurs internationaux en France”, rapport établi à la demande du HCEE, pp. 36-37.

> 7 Cf. S.Zuber “Évolution de la concentration de la dépense publique d’éducation en France : 1900-2000”

in Éducations & Formations, n° 70, pp. 97-106.

> 8 C’est sur ces comparaisons, à la fois internationales et entre filières du supérieur, que la Conférence

des présidents d’université a, lors de son colloque de Lyon, chiffré le besoin de rattrapage.

> 9 Regards sur l’Éducation, OCDE 2005, Tableau D3, pp. 392-393.

> 10 Le caractère coûteux de notre enseignement en lycée apparaît encore plus, si on examine l’indicateur

sur la taille des structures (E/S) non disponible sur le plan international et qui tient compte

des dédoublements et des options en petit groupe.

> 10 Regards sur l’éducation, OCDE 2005, Tableau D2.3, p. 377.

> 12 Ces dons, considérés comme ressources privées, sont en partie financées par des exemptions

fiscales, exemptions qui peuvent être assimilées à des dépenses publiques.

> 13 Global Higher Education Rankings .Affordability and Accessibility in Comparative Perspective 2005,

accessible sur www.educationalpolicy.org/pdf/Global2005.pdf

> 14 Cela a été esquissé, par exemple, lors d’une journée du CERC, sur Éducation et redistribution. Et quand

a été décidé en 2000, le plan pluriannuel de recrutement, il a fallu convaincre le ministre que l’effort prioritaire

n’était pas à faire sur le second degré mais aussi sur le supérieur, à une époque où il fallait se réconcilier

avec le principal syndicat du second degré.

> 15 A noter que Marie-Duru Bellat, dans son livre récent sur l’inflation scolaire, met en doute cette nécessité

et considère plutôt que des moyens supplémentaires devraient être mis pour faciliter l’acquisition

du socle commun de compétences.

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Décentral isat ion : y a-t-i l une except ion française ?Les enseignements des comparaisons internationalesNATHALIE MONS, université de Grenoble II

Alors que, en éducation, les réformes de décentralisations politique et administrativetouchent aujourd’hui tous les pays de l’OCDE, sans exception, les nombreux rapportsou recherches qui se sont penchés depuis une vingtaine d’années en France surles réformes dans ce domaine soulignent avec continuité les difficultés rencontréesdans la mise en œuvre de cette nouvelle organisation décentralisée du systèmeéducatif français.

La rupture, en effet, avec la tradi-tion jacobine ne semble pasaisée. Même si la période 2004-

2006 pourrait constituer une étapecharnière vers davantage d’élanlocal, faut-il voir dans cette résis-tance à la gouvernance locale uneexception française ? Pour apporterquelques éléments de réflexion surcette question, il est nécessaire dedresser tout d’abord un panoramagénéral des réformes de décentrali-sations politiques et administrativesmenées dans les pays de l’OCDEdepuis une vingtaine d’années, avantde mener une analyse plus fine parcompétences.

Des modèles pluriels de décentralisation : il n’y pas d’exception françaiseSchématiquement, la construction dessystèmes scolaires a traditionnelle-ment opposé deux grands modèles derépartition des pouvoirs, le modèlecentralisé dont la France est l’arché-type et les systèmes fédéraux dont lesgrands pays anglo-saxons (États-Unis,Australie…) sont emblématiques.

La multiplication des réformes dedécentralisation en éducation danstous les pays de l’OCDE depuis lesannées 80 a enrichi cette typologietraditionnelle. On peut aujourd’hui

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distinguer, aux côtés du schéma fédé-ral, trois familles de systèmes éduca-tifs nouvellement décentralisés. Depar ses caractéristiques, la Frances’inscrit dans un premier modèle quenous qualifierons de “décentralisa-tion minimale”. Elle se révèle ainsimoins ambitieuse dans ses objectifsde décentralisation que les pays com-posant la famille de la “décentralisa-tion collaborative”, attachés à unéquilibre dans la répartition des pou-voirs entre anciens et nouveauxacteurs du champ éducatif. Elle serévèle plus encore en retrait par rap-port aux États ayant adopté le schémade la “décentralisation volontariste”résolument orientés vers une gouver-nance locale extrême. Pour autant, laFrance s’inscrit bien dans une familleinstitutionnelle et ne se situe doncpas sur une trajectoire solitaire.

> Le modèle de la “décentralisationminimale“Aux côtés de la France, au sein del’OCDE, on peut classer dans cettefamille les pays dans lesquels lesforces centripètes l’emportent encoresur les forces décentralisatrices : lePortugal, la Grèce, le Luxembourg, leJapon et la Corée. Ce schéma, quenous qualifions de “décentralisationminimale”, parce qu’il se rapproche leplus de l’organisation traditionnellecentralisée, concerne aujourd’hui unquart des pays de l’OCDE. La Francen’est donc pas dans une situationsingulière.

Dans ce modèle, l’État central, à tra-vers le plus souvent le ministère de l’É-ducation et une administration décon-centrée plus ou moins autonome, défi-

nit les règles de fonctionnement danstous les domaines : la pédagogie (pro-grammes centralisés, examens exter-nes nationaux, parfois participation auchoix des manuels), la gestion des res-sources humaines (certification natio-nale ou concours pour le recrutementdes enseignants, grilles de salairescentralisées, conditions de servicenégociées nationalement…), lesfinances (financement du systèmeéducatif majoritairement étatique 1,affectation du budget et gestion desécoles par l’État central ou des admi-nistrations déconcentrées gardéessous forte tutelle). Dans cette famille,traditionnellement, l’État central est àla fois le concepteur, l’opérateur et lecontrôleur du système éducatif.

Sous la poussée des réformes dedécentralisation entreprises systéma-tiquement dans tous les États centrali-sés de l’OCDE, ce schéma monoli-thique s’est craquelé. Les pays de cul-ture centralisatrice ont commencé àdéléguer partiellement certaines fonc-tions aux collectivités locales, indé-pendantes des administrations centra-les. Mais, pour cette famille, il s’agitpour l’instant de transferts de compé-tences restreints, principalement opé-rés dans le domaine de la gestion deséquipements, des crédits de fonction-nement, avec souvent un champ d’in-tervention privilégié : l’enseignementprimaire. Les collectivités localesinterviennent à des degrés divers sui-vant les pays et peuvent être plus oumoins entreprenantes au sein d’unmême pays.

Ces timides décentralisations enta-ment peu le pouvoir décisionnaire de

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Une “décentralisation”minimale pour un pays de l’OCDE sur quatre

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l’État central dans les domaineséducatifs stratégiques. Ainsi, lesautorités locales se voient confierpeu de compétences en matière depédagogie et de gestion du person-nel enseignant. Pour être schéma-tique, elles collaborent à la marge enfinançant ou en assurant la mainte-nance des bâtiments scolaires et laprise en charge de crédits de fonc-tionnement, elles ne rentrent ni dansles classes ni dans l’organisationpédagogique, en particulier dans lesdomaines de la scolarité obligatoire,des formations générales et de l’édu-cation des élites (les interventionspeuvent être plus significatives pourl’enseignement professionnel et l’ap-prentissage).

Si les collectivités locales se voientreconnaître des attributions dans desdomaines périphériques, dans lesgrands pays de cette famille (au-delàde 10 millions d’habitants), la décentra-lisation s’accompagne également demesures de déconcentration. C’est lecas au Japon, au Portugal, en Grèce,en Corée et en France.

Dernière caractéristique de cespays : un décalage important entre lalégalité, souvent plus favorable à ladécentralisation, et la réalité des usa-ges. Dans les pays de culture consen-suelle, les propositions de l’adminis-tration centrale, présentées commefacultatives sont en fait appliquées àla lettre par les acteurs, c’est le caspar exemple de consignes facultati-ves mais très détaillées en matièrede programmes scolaires au Japon.Dans les pays moins consensuels,comme le Portugal, la Grèce ou la

France, les réformes peinent à deve-nir réalité. Globalement, dans tous ces pays, fautede culture régionaliste ou communau-taire forte, les tentatives de décentrali-sation des systèmes éducatifs restenttimides, juridiquement et surtout dansles faits.

Les autres États membres de l’OCDEont réussi à mettre en œuvre des poli-tiques décentralisatrices plus volonta-ristes que la France.

> Certains États ont fait le choix d’unedécentralisation misant sur un équilibredes pouvoirs : le modèle de la“décentralisation collaborative”Issu de réformes de décentralisationmodérées, ce modèle, dont les paysscandinaves sont emblématiques, voitl’État central conserver un rôle pré-pondérant, aux côtés de pouvoirslocaux intervenant sur l’ensemble deses compétences traditionnelles. C’estla fin de la politique de chasse gardée :les pouvoirs locaux et les écoles sevoient reconnaître des pouvoirs déci-sionnaires dans tous les domaines.

Ils participent, tout d’abord, à la défini-tion des activités pédagogiques par lebiais de mécanismes variés : quotasd’heures scolaires laissés à leur dis-crétion, aménagement des horairesdans lesquels ils peuvent intervenir,choix d’options libres, possibilité d’aug-menter les horaires des disciplinesobligatoires en respectant un plafondmaximum national... Pour autant, l’Étatcentral continue à encadrer rigoureu-sement les activités pédagogiques parla définition de disciplines obligatoiresavec des horaires fixes. Les acteurs

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locaux ne bénéficient donc que d’unrégime de liberté surveillée dans ledomaine pédagogique.Leur marge de manœuvre est en géné-ral, également, limitée dans la gestiondes ressources humaines, même si lesautorités locales se voient parfoisoctroyer le droit de recruter le person-nel enseignant. La détermination desconditions de service et des salairesreste souvent le fruit de négociationsnationales.

Leur pouvoir est, au contraire, beau-coup plus large dans le domaine dufinancement et de l’administration desécoles. Étant fortement sollicitéesfinancièrement (dans ce schéma lescollectivités locales contribuent gran-dement au financement du systèmesur leurs propres deniers), elles sevoient attribuer le pouvoir de gestion,corollaire des obligations de finance-ment. Les municipalités, provinces etautres régions – tous pouvoirs poli-tiques autonomes – se retrouvent ainsien charge de l’administration deniveaux scolaires entiers, en général,le primaire et le secondaire général.Cette famille est représentée par lespays nordiques mais aussi certainsÉtats européens en transition commela Pologne ou la République Tchèque.Ce schéma concerne aujourd’hui untiers des pays de l’OCDE.

> D’autres pays ont révolutionnél’organisation politique de leursystème éducatif : la “décentralisation volontariste”Plus révolutionnaire, cette famille aexplosé numériquement dans les an-nées 90, avec des pays comme laHongrie, la Nouvelle-Zélande ou l’Espa-

gne. Ce modèle représente aujourd’huiun quart des pays de l’OCDE.En conférant aux écoles ou aux pou-voirs politiques locaux des pouvoirsextraordinaires, en totale rupture avecla tradition centrali-satrice de cesÉtats, cette famille est née de réformesde décentralisation qui s’apparententà de mini-révolutions. Des États forte-ment centra-lisés ont résolument tour-né le dos à leur ancienne organisationet fait nettement le choix du local.L’État central n’abdique pas tout pou-voir dans l’organisation du systèmeéducatif mais ses compétences selimitent à la régulation et au contrôle ;l’ensemble des tâches de gestion estdéléguée aux acteurs locaux, le plussouvent aux écoles qui bénéficientd’un large statut d’autonomie. Il s’agitde délégation de management au senslarge.

Les acteurs locaux – collectivités loca-les ou écoles – interviennent tout d’abord dans la conception des pro-grammes. Ainsi, en Espagne, si l’Étatcentral définit encore un programmenational appelé “los minimos”, celui-cine couvre qu’environ 50 % du volumehoraire global, le reste étant à la chargedes communautés auto-nomes. Dansce modèle, les acteurs locaux sontégalement en charge de la gestion desressources humaines : les écolesrecrutent, licencient et, plus rarement,déterminent partiellement les salairesdes enseignants. Elles définissent leurbudget, peuvent recueillir des fondslocalement, passent des contrats demaintenance... Leur statut d’entitélégale leur permet une gestion quasiautonome. Cette famille, ayant adoptédes positions extrêmes en termes de

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gouvernance locale, est cependantcaractérisée par des politiques de“stop and go”, voire des retours enarrière marqués. Ainsi, après avoirconcédé une grande latitude d’actionà ses écoles (par exemple, liberté decréer des filières d’enseignementdurant les premières années dusecondaire), dès la fin des années 90,l’État central hongrois a renforcé l’or-ganisation scolaire par des règles pluscontraignantes.

Aux côtés de ces nouveaux systèmeséducatifs décentralisés, toujours à larecherche d’un équilibre stable, leschéma fédéral apparaît lui aussi enmouvement.

> Les États fédéraux confrontés à un double mouvement d’autonomiescolaire et de centralisationPlus traditionnels, les États fédérauxsont, en général restés plus stables etreprésentent encore un quart des paysde l’OCDE.

Au Canada, aux États-Unis, au Brésil,en Suisse, ou en Allemagne, les États,Länder, cantons ou autres provincesrestent l’épicentre des systèmes édu-catifs. Ce sont eux qui définissent lesystème éducatif (programmes, certifi-cation, règles de recrutement, d’admi-nistration financière…), qui le gèrent,souvent par biais d’autorités localescomme les “districts” américains oules “school boards” canadiens, et quile contrôlent..

Mais les années 90 ont vu ces systè-mes éducatifs évoluer dans deuxdirections a priori opposées : un mou-vement de centralisation et le trans-

fert de nouvelles compétences auxécoles.La centralisation de ces systèmes,adeptes du local et des communautés,se réalise actuellement à travers deuxmécanismes principaux : • l’imposition de standards nationaux,d’abord facultatifs puis de plus en pluscontraignants - dans les pays dominéspar un État fédéral fort comme lesÉtats-Unis ou l’Australie ; • des initiatives de coopérations inter-provinces dans la création des pro-grammes, les reconnaissances desdiplômes… comme au Canada, enSuisse ou en Allemagne.

À l’opposé, les nombreuses expé-riences d’autonomie des écoles auxÉtats-Unis ou en Australie ont laissédavantage de marge aux acteurslocaux professionnels de l’éducation(par opposition aux acteurs locauxpolitiques). Pour autant, ces program-mes sont rarement généralisés àl’ensemble du territoire des Étatsfédéraux.

Le schéma ci-dessous fait le point surles quatre modèles présentés ici etmontre la nouvelle domination des systèmes éducatifs décentralisés.

Répartition des pays de l’OCDE en fonction des modèlesde répartition des pouvoirs en éducation en 2004(source : auteur).

Décentralisation volontariste

Décentralisation collaborative

Décentralisation minimale

Systèmesfédéraux

22 % 28 %

29 % 21 %

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Cette première typologie des systèmesfait apparaître, dans les pays del’OCDE, un double mouvement dans larépartition des pouvoirs en éducation : • l’État centralisé traditionnel, large-ment remis en cause dès les années 80,a subi de profondes mutations et donnénaissance à trois modèles décentra-lisés, l’un très modéré, le seconddavantage soucieux de l’équilibre despouvoirs entre les différents acteurs etle troisième plus extrémiste ; • l’État fédéral a connu un double phé-nomène de centralisation et d’auto-nomie scolaire à la toute fin desannées 90. L’avenir des systèmes fédé-raux est encore en devenir.

Au total, la France s’inscrit bien dansun mouvement global de décentrali-sation, mais demeure fortement enretrait par rapport à des États ayantconnu des changements plus signifi-catifs dans l’organisation politique deleur système éducatif.

Ce premier bilan est cependant à tem-pérer par une analyse s’attachant àune description plus fine de la réparti-tion des pouvoirs.

L’analyse des systèmes éducatifspar compétence : pour dépasserl’opposition entre États centraliséset décentralisésSi, en matière d’éducation, la centrali-sation totale a désormais disparu dansles pays de l’OCDE, il n’existe pluspour autant de système éducatif com-plètement décentralisé, comme lemontrent les dernières évolutionsdans les États fédéraux. Les organisa-tions nationales se caractérisent au-jourd’hui davantage par un équilibre

entre des fonctions détenues par lepouvoir central et des compétencesdéléguées à des acteurs locaux.

En effet, durant les années 80 et 90, lescompétences éducatives ont été diver-sement décentralisées suivant les pays.À titre d’exemple, nous analysons ici lesévolutions dans la répartition des pou-voirs en matière de conception des pro-grammes, de recrutement des ensei-gnants et d’évaluation des élèves.

> La conception des programmesscolaires fait de plus en plusintervenir les acteurs locauxEn matière de conception des pro-grammes scolaires, la répartition despouvoirs a fortement évolué durant lesannées 90. Si un tiers des pays del’OCDE pratiquent encore, comme laFrance le programme national obliga-toire, près de la moitié d’entre eux(42 %) ont délégué à leurs écoles ouaux collectivités locales une partie desresponsabilités en matière de concep-tion des contenus d’enseignement.Ces transferts de compétence pouvantêtre limités (quotas d’heures libres,option, dans 12 % des cas) ou plusimportants (systèmes à objectifs dansprès de 30 % des cas).

Les États centralisés ont, en parti-culier, délégué aux établissements lacréation d’une partie des program-mes par différents mécanismes :quotas horaires laissés à la discré-tion des écoles comme en Suède ouen République Tchèque, possibilitéd’aménager les horaires d’une disci-pline ou d’un groupe de disciplinessur chacune des années d’un niveauscolaire comme en Suède…

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Conçus hier par des États centrauxomnipotents en matière d’Éducation,les programmes scolaires sont doncaujourd’hui davantage le fruit demécanismes de co-décision. Les Étatsdont le processus de création des pro-grammes est demeuré totalement cen-tralisé, comme la France, sont demoins en moins nombreux.

Au contraire, les États fédéraux(États-Unis, Australie…), le plussouvent poussés par les résultatsmédiocres de leurs élèves aux testsd’évaluation, ont convergé vers unmodèle plus centralisé en adoptantdes standards éducatifs nationaux.

> Les écoles interviennent de plus en plus dans le recrutement des enseignantsLes grandes réformes de décentrali-sation des années 80 et 90 ont égale-ment conduit à une gestion locale durecrutement des enseignants dansde nombreux pays. Désormais, l’Étatcentral est l’employeur des ensei-gnants dans moins d’un quart desÉtats de l’OCDE.

Car, aujourd’hui, le recrutement estd’abord l’affaire des autorités poli-tiques locales (elles effectuent lerecrutement dans 43 % des cas), tantdans les pays fédéraux que dans desÉtats historiquement centralisés, com-me le Danemark ou la Finlande. Pourautant, ce recrutement est le plus sou-vent encadré par des règles contrai-gnantes imposées par l’État central.

Second acteur important du recrute-ment des enseignants : les écoles.Dans plus d’un tiers des pays, ce sont

elles qui choisissent les enseignants.C’est le cas en Hongrie, en Suède, enRépublique Tchèque ou encore enNouvelle-Zélande.

Au total, en matière de recrutementdes enseignants, la France présenteune position conservatrice par rapportaux évolutions observées dans lesautres pays. Pour autant, si la fonctionde recrutement des enseignants s’estdécentralisée, la définition des condi-tions de leur service demeure na-tionale, voire se centralise, comme enBelgique.

> À l’opposé, l’évaluation des élèvestend à se centraliserLes méthodes d’évaluation des élèvesont, elles aussi, fortement évoluédurant les années 90, mais dans lesens d’une nouvelle… centralisation.

Si les pays qui connaissaient déjà unsystème de certification nationale fortévoluent seulement à la marge commela France, le Luxembourg, le Danemarkou la Finlande, les systèmes qui avaientlaissé aux établissements la responsa-bilité de la délivrance des diplômesscolaires ou qui présentaient un sys-tème de certification nationale forte-ment contesté évoluent dans deuxdirections : - la rénovation des examens nationauxcomme en Italie ; - l’imposition de tests de compétencesstandardisés nationaux ou régionauxdans les pays fédéraux (États-Unis,Canada, Australie, Suisse avec le projetHarmos).

En conséquence, dans l’OCDE, laconception et l’administration de l’éva-

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luation des compétences des élèves –évaluation certificative ou standar-disée – est désormais majoritairemententre les mains des autorités centrales(près de 60 % des pays).

En matière d’évaluation, le systèmeéducatif français se trouve donc dansla famille dominante, voire s’imposecomme un modèle.

Au total, cette analyse par compé-tences permet de relativiser la timiditédes réformes de décentralisation enFrance. Certes, les évolutions décen-tralisatrices françaises sont bienrestées limitées par rapport aux ten-dances observées dans l’OCDE danscertains domaines, comme la concep-tion des programmes scolaires ou lerecrutement des enseignants. Au-delàmême des exemples cités ici, laFrance présente, cependant, dansd’autres domaines, une positionalignée sur celles des autres États : • soit parce que globalement les systè-mes ont peu évolué dans le traitementde certaines responsabilités (commela définition du statut et des conditionsde services des enseignants restée laplupart du temps centralisée) ; • soit parce que la France a connu desévolutions semblables à celles del’étranger (comme l’association gran-

dissante des collectivités locales aufinancement de l’Éducation) ; • soit parce que la position tradition-nellement centralisatrice de la Francea été rejointe par d’autres pays,comme c’est le cas en matière de cer-tification et d’évaluation des élèves.

Les années 2004-2006 sont marquéespar l’avènement de nouveaux disposi-tifs pouvant potentiellement renforcerl’autonomie des établissements scolai-res et les inciter à développer des par-tenariats avec les collectivités locales(élargissement du projet d’établisse-ment, dispositifs de réussite scolaire,contrat d’objectifs…). Ces nouveauxoutils pourraient conduire la Francesur la voie de la “décentralisationcollaborative” caractérisée par unmeilleur équilibre des pouvoirs entreles différents partenaires de la fonc-tion éducative. Le fossé demeurecependant encore très large entre lemonde de l’Éducation nationale etcelui des collectivités locales. Un son-dage récent réalisé par le Se-Unsa(L’enseignant n° 95) révèle que 86 %des enseignants sont hostiles à la par-ticipation des élus à l’élaboration desprojets d’école. 72 % rejettent égale-ment l’idée que les collectivités loca-les doivent être partie prenante dansl’organisation du temps scolaire.

> 1 Soit directement soit indirectement (fonds alloués à des collectivités locales par l’État pour des budgets sociaux ou ciblés sur l’éducation).

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“A” comme ARTE “Le rôle éducatif d‘Arte”JÉRÔME CLÉMENT, président de la chaîne Arte

Dans les textes constitutifs de la chaîne Arte (traité du 2 octobre 1990 et contratconstitutif du 30 avril 1991), la mission assignée était claire : “fournir des programmesprésentant le patrimoine culturel et la vie artistique des États, des régions et despeuples de l’Europe et du monde, consolider la compréhension et le rapprochemententre les peuples en Europe”

En quinze ans, nous avons consoli-dé la compréhension et le rappro-chement entre les peuples en

Europe de plusieurs façons. Dans ledomaine des programmes, nous avonsrapidement privilégié l’orientationeuropéenne tant dans l’origine desprogrammes que des thèmes abordés.Nous avons toujours favorisé le regardcroisé – dans Arte Info par exemple,ou dans nos soirées thématiques.Nous avons également largementcontribué à l’essor des coproductionseuropéennes en faisant porter l’effort,tant dans le domaine des films decinéma que dans celui des fictions etdes documentaires, sur les co-produc-tions européennes de qualité suscep-tibles d’attirer un plus large public.Nous avons multiplié les accords decoopération avec les chaînes detélévision européennes, avec la RTBF

en 1993, qui est devenue membreassocié d’Arte GEIE, avec la SSR et laTVE en 1995, avec la TVP (Pologne) en1996 qui est devenue membre associé,avec l’ORF (Autriche) en 1998 qui estdevenu membre associé avec l’YLE(Finlande) en 1999, avec la NPS (PaysBas) en 2001, avec la SVT (Suède) en2002… Nous avons créé un festival quirassemble aujourd’hui plusieurs payseuropéens : Temps d’images. Enfin,nous avons développé le rôle éducatifd’Arte.

J’ai en effet la conviction qu’il faututiliser les potentialités du média télé-vision pour ce qu’il est : un moyen effi-cace de toucher ceux qui ne lisent pas(et pas seulement les plus jeunes), deproduire et de diffuser des images quientrent dans la culture, et qui sontconstitutives d’un patrimoine.

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Notre politique de programmes témoi-gne de cette volonté de transmission.Les documentaires et les magazineshistoriques (dans les cases Mercrediset d’histoire et Carnets d’histoire paral-lèle) ou plus thématiques (collectionLe Dessous des Cartes, Architecture,Palettes, ou Contacts sur la photo) sontpensés pour être accessibles au plusgrand nombre et servir d’outils à ceuxqui souhaitent transmettre ces savoirs :parents, enseignants, éducateurs. Nousprévoyons de lancer une case de docu-mentaire scientifique et une case Artefutur qui seront développées dans lemême esprit.

Nos actions hors programmes sontmenées avec le même souci de trans-mission. Arte monte depuis plusieursannées des opérations auprès desenseignants. Le programme d’action“Savoir au présent” aborde avecTélé-maque, une association des pro-fesseurs de lettres et d’histoire-géo-graphie, la question de l’audiovisuel etde l’éducation du regard à travers latélévision. Un certain nombre de pro-grammes d’Arte sont libérés des droitspour les enseignants. Arte mène depuisdes années des actions auprès desétudiants.

À ce titre, Arte propose un rendez-vous mensuel à l’espace Confluences(association culturelle dans le XXe

arrondissement de Paris), fait de pro-jections et de rencontres. Arte conduitdepuis 1998 une politique active enpartenariat avec les universités. Afinde renforcer les liens entre les profes-sionnels de la télévision et les étu-diants, ARTE propose l’opération Rushdont le concept est simple : permettre

aux étudiants d’utiliser des stocks d’i-mages tournées par un professionnelpour écrire un projet de film, le monteret présenter ce document devant unjury de professionnels. Intégrer ce tra-vail au cursus universitaire et en faireun outil pédagogique permettant auxétudiants et aux enseignants de mieuxconnaître les conditions de développe-ment d’un projet audiovisuel dans larelation avec le diffuseur : cette appro-che constitue une première.

Depuis 1998, les universités d’Aix-Marseille, Bordeaux 3, Brest, Nancy 2,Paris 1, Paris 3, Paris 8, Poitiers,Rennes 2, Strasbourg, Toulouse-LeMirail, Valenciennes, la Hochschulefür Film de Postdam, la Deutsche Filmund Fernsehe Akademie de Berlin,l’Université Martin-Luther de Hallé-Wittenberg, l’École supérieure desBeaux-Arts de Genève, l’université duQuébec à Montréal, et l’université deBucarest, en Roumanie, ont été ousont partenaires de Rush. Cette opéra-tion permet de valoriser les produc-tions et coproductions d’Arte France,en faisant de nos images un outil deformation.

Au fur et à mesure que nous dévelop-pions des relations avec le corpsenseignant, j’ai pu remarquer que lasensibilité de celui-ci aux questions detélévision avait évolué. Les ensei-gnants d’aujourd’hui, plus jeunes, nediabolisent plus la télévision, maisdéfendent désormais l’idée qu’il y a dupour et du contre. Ils sont notammenttrès sensibles aux vertus de l’outil télé-vision, qui retient l’attention des élèves,tout en fixant la mémoire. Ils se sententproches des positionnements culturels,

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de découverte et de connaissanced’Arte et de France 5. Ils nous sollici-tent souvent pour des opérations, pourdu matériel pédagogique surtout.

Nous avons répondu à leur demande etrenforcé notre action en misant surl’édition dans un premier temps. Depuisle lancement de notre activité d’éditionvidéo en 1992, nous avons édité tousles titres de culture générale que sontles collections du Dessous des Cartes,de Palettes, d’Architecture, et deContacts. L’Atlas du Dessous desCartes, publié en 2005, a déjà dépasséles 100 000 exemplaires, et poursuit sonsuccès dans son nouveau format paruen avril 2006. Depuis le 23 févrierdernier, 400 programmes d’Arte sontdisponibles en téléchargement locatifsur Artevod.com. Avec la vidéo à lademande, Arte propose un nouveauservice, afin que ceux qui désirenttransmettre puissent utiliser nos pro-grammes sous toutes les formes exis-tantes qui correspondent aux nou-veaux usages et aux nouvelles pra-tiques culturels. Ma plus grande fierté dans le domainede l’action éducative, c’est probable-

ment Le Dessous des Cartes. Cetteémission est devenue une référencepédagogique, en France pour lesenseignants du secondaire qui chaquesemaine peuvent utiliser l’émission, àla suite d’accords entre Arte et leCNDP, mais aussi en Allemagne (oùplusieurs écoles et collèges utilisent,par exemple, Le Dessous des Cartespour enseigner l’histoire des Balkans)ainsi que dans les universités d’autrespays (comme le Wenzao UrsulineCollege of languages à Taiwan, ou leCollège d’Europe à Bruges et àVarsovie). Le Dessous des Cartesentretient également des relationsétroites avec les ministères (notam-ment avec le ministère de l’Écologie etdu développement durable, pourformer les enseignants et les respon-sables d’associations), avec les insti-tutions, comme le Mémorial de Caen,la Cité des Sciences) avec certainsfestivals (notamment avec le festivalinternational de géographie de Saint-Dié des Vosges) et les centres cultu-rels français à l’étranger.

L’éducatif et la pédagogie, c’est l’avenird’Arte.

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Retour aux sources : “La méthode française”PAULINE KERGOMARD

Extrait de : “Rapport sur les salles d’asiles des académies de Toulouse et de Grenoble, Paris, 1881”

Quand je prononce ou que je lis cesdeux mots: “méthode française”,il me semble voir une clarté. C’est

la méthode de la raison, du bon sens,c’est l’indépendance, la personnalitéintellectuelle vivifiées encore par cefonds de bonne humeur, de vivacité etd’esprit naturel qu’on attribue à notretempérament national. Favoriser d’abord le développement phy-sique, la santé du corps étant le plus sûrgarant de celle de l’esprit ; laisser faireaux enfants leur métier d’enfants, pourque, devenus hommes, ils puissent faireleur métier d’hommes ; leur enseigner àvoir ce qu’ils regardent, à se rendrecompte de l’ensemble et des détails et àen rendre compte dans leur langage ; àcomparer les choses entre elles ; exciterla curiosité de savoir, par des leçons cour-tes, claires, vivantes, sur des sujets conc-rets avec exemples à l’appui ; se garderde l’abstraction qui, ne pouvant être com-prise, ne peut intéresser et habitue pardegrés les enfants à l’indolence intel-lectuelle ; ne se servir de la mémoire quepour graver dans l’esprit les choses quel’intelligence s’est assimilées ; faire explo-rer aux enfants le domaine de la vérité,

de manière à leur laisser la joie de ladécouverte ; n’arriver à la définition quedevra retenir la mémoire que lorsqu’ilsauront pu la déduire eux-mêmes ; pro-voquer leurs observations, leurs objec-tions ; encourager leurs saillies ; cultiverleur imagination par la description desbeautés de la nature, différentes de cel-les qu’ils voient tous les jours et qu’onleur aura préalablement fait apprécier ;faire éclore dans leur cœur les germesde bonté, de générosité d’enthousiasmequ’ils renferment, par des histoires réel-les ou non, mais toujours probables etappropriées à leur âge ; faire naître lesentiment du beau par la vue des belleschoses, le goût de la musique par deschants bien choisis ; rendre leurs doigtshabiles par l’habitude du travail manuel ;se garder toujours de faire produire àleur intelligence des fruits hâtifs... Voilàce que j’appelle la “méthode française”.

Or la méthode française est uneméthode ouverte à toutes les améliora-tions ; elle empruntera aux autres tousles procédés matériels qui peuvent luiconvenir. Nous sommes, sous ce rap-port, en bonne voie...”

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