24

La Sainte Baume - Numilogexcerpts.numilog.com/books/9782403043013.pdf · ble, à la paroi verticale, un miroir accroché pour les regards du ciel. C'est le couvent de la Sainte Baume

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

La Sainte Baume

Il a été tiré de cet ouvrage soixante exemplaires sur papier pur fil Lafuma

numérotés de i à 60.

Dans la même collection, récemment parus :

LOURDES, par Gaëtan Bernoville. SAINTE RADEGONDE, par Mathilde Alan ic.

Puor paraître prochainement :

FONT-ROMEU, par Louis Bertrand, de l'Académie fra n- çaise.

SAINTE-ODILE, par Léontine Zanta. SAINTE ANNE D'AURAY, par Henri Ghéon. SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE, par Louis Gillet.

LES PÈLERINAGES

GUY CHASTEL

La Sainte Baume i

ERNEST FLAMMARION

Droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays.

Copyright ig3o, by ERNEST FLAMMARION.

POUR MAGDELEINE GRANOTIER

La Sainte Baume

LES BEAUX CHEMINS

Les beaux chemins pour aller vers elle ! Nous sommes en Provence, terre de prédilec-

tion ; l'air vibrant de soleil y est aussi chargé de parfums.

Si l'on part de Marseille et qu'on aille s'en- gager dans ce défilé de Saint-Pons où les eaux chantent sous la feuille fraîche, il faut aborder de front la roche grise et têtue du Bau de Bar- tagne qui garde, sous sa coiffe haute, l'extrémité occidentale de la chaîne ; mais, dès le revers du col, ce ne sont plus que sous-bois, développés en balcons au-dessus du Plan d'Aups et méandres gracieux qui conduisent à la grotte sainte. On y

reçoit, presque en toute saison, le salut craintif des oiseaux ; les pas y sont encadrés de lavande et de romarin.

Si l'on vient de Toulon et que ce soit en mai, on parcourt d'abord une vallée de cerises ; puis on s'élève, de village en village et d'eaux vives en eaux vives, et l'on finit par apercevoir une montagne bleutée, coupée à mi-hauteur de frondaisons com- pactes. Sur un fond de grandeur qui saisit tout à coup, une petite chose blanche, fascinante, y sem- ble, à la paroi verticale, un miroir accroché pour les regards du ciel. C'est le couvent de la Sainte Baume ; les yeux ne peuvent plus s'en détacher.

Parvenus au village de Nans, demandez à quel- que vieille femme le raccourci qui mène à l'hôtel- lerie. Elle vous engagera sur un chemin de pierres, en vous répondant, comme il me fut dit : « C'est par ici, suivez le chemin de Louis XIV. » Le grand roi est passé par là, en effet, et il est le fils qu'Anne d'Autriche et Marie de Médicis ont demandé à Madeleine. Mais François Ier, Louis XI, Saint Louis y sont venus avant lui, et l'hôtellerie de la Grotte, jusqu'à la Révolution, avait une chambre des rois. Toute la chrétienté de France

et d'au delà s'est acheminée par foules vers la Sainte Baume, chez nous le premier des hauts lieux où l'Esprit ait soufflé.

Et ce soir, où j'y monte à pied, par la route de Saint-Maximin, qui s'élève en peu de temps de la vigne flexible aux robustes aromes de la montagne, je suis seul...

Certes, la Provence est fidèle aux reliques qu'elle détient. Sainte Madeleine continue de parler à son cœur. Chaque année, au printemps, le pèlerin provençal vient remettre ses pas dans une trace encore chaude ; il lui arrive aussi, comme autre- fois, de tomber à genoux sur la route, dès que lui apparaissent, de chaque côté de la Grotte, les maisons suspendues comme deux colombes au roc. Le lundi de la Pentecôte, le 22 juillet, la forêt millénaire applaudit un refrain qui retentit gra- vement sous le feuillage ému :

Magdaleno, ô bello santo, Qué l'amour pourté ton aut Lou beu pople qué té canto Es lou pople prouvengaù.

Mais ce culte est localisé : les cortèges ne s'ébranlent plus en grande pompe vers la mon-

tagne, des papes et des rois, des petits et des grands. Il n'a plus cours le « Magdalon », la mon- naie d'or frappée à l'effigie de la sainte. Les ap- prentis compagnons ne viennent plus en grand nombre et avec la même foi prendre leurs cou- leurs à Saint-Maximin et faire, à la Grotte, appo- ser sur leur livret le cachet qui marque la fin de leur tour de France ; les contrats de mariage ne portent plus la stipulation d'un pèlerinage à la Sainte Baume : pèlerinages d'amour ne sont plus... ! Je sais bien que cette solitude laisse à l'âme le loisir secret d'écouter le langage des lieux transfigurés par l'amour. Je sais qu'à peine dis- trait par l'or en fusée des genêts et le rouge pon- ceau des valérianes, on subit davantage l'attirance de la grotte érigée entre le ciel et la terre. Pour- tant, un pareil abandon fait à la fois honte et pitié ; il y a trop de cailloux sur cette route an- cienne que déborda longtemps l'alluvion des prières.

Comment un lieu de triomphe où l'esprit l'em- porta si merveilleusement sur la chair, a-t-il cessé d'être à tout le peuple croyant trois fois saint ? Se peut-il que le cœur de la France moderne tienne

en tel oubli sainte Madeleine qui nous est un présent de Dieu ? Quand se répartit sur la terre le premier essaim des disciples, la Provence hérita des amis de Jésus. Et parmi ces amis, celle qui avait reçu du Christ les plus hauts privilèges en est, maintenant, à attendre de nous un hommage devenu trop rare.

Cependant, vous avez vécu sur notre sol, vous avez vécu parmi nous, sainte Madeleine ! Et vous êtes encore si près de nous, vous qui fûtes, avant d'être sainte, fragile et coupable ! Le Ciel vous voit toute pure, mais nous... ? Dieu a beau vous refaire une robe d'innocence, vous traînez après vous, toujours, notre péché. Et par ce que nos yeux, nos pauvres yeux humains, vous voient quand même avant la grâce, vous nous êtes plus proche ! Il y a, de vous à nous, des liens de chair, des correspondances et des ressemblances, la com- munauté d'une nature qui fortifie en nous le sen- timent profond de la déchéance, mais qui montre en vous les moyens lumineux du rachat. Vous êtes de la terre, vous restez sur la terre, mais votre vie rayonne de sommets éblouissants : à tous les cœurs perdus dans la douleur d'aimer, vous dites

en quel cœur est l'amour perdurable ; vous en- seignez à toute chair pécheresse que la plus grande faute est de désespérer ; vous êtes le miracle de l'amour !

Les tristesses de ce délaissement, l'ingratitude qui s'y attache ont éveillé en moi le désir de rap- peler par quelles étapes miraculeuses vous êtes venue donner la vie de l'âme à ce pays, et quel tribut de vénération requiert de nous comme de nos pères l'exemple de votre longue pénitence à la Sainte Baume.

Et voici qu'au moment où j'entreprends d'écrire, je m'aperçois que vous êtes pleine de silence. Quand j'aurai reproduit quelques paroles de l'Évangile, on saura votre histoire. Quand j'aurai dit que votre vie fut un acte d'adoration, j'aurai tout dit. Mais vous, qui saurait vous rendre assez belle ? Qui dira comment vous avez aimé ? Qui peut interpréter une extase muette ? Et cepen- dant, vous me voyez à vos genoux, comme vous- même aux pieds du Christ, assuré que vous ne repousserez pas, vous non plus, un acte d'amour et de foi, l'aveu pour votre cœur du plus humble pèlerin !

LES PARFUMS DU MATIN

LES SEPT DÉMONS

On vérifie pour sainte Madeleine, comme pour d'autres saints, cette loi de la destination indirecte par laquelle Dieu se complaît aux contrastes au- dacieux.

Il avait choisi pour étayer son royaume terrestre saint Paul, un persécuteur : il choisit, pour don- ner aux hommes un exemple de l'amour et de la pénitence, Marie-Madeleine, une pécheresse. Car à Dieu, ce qui importe, c'est la qualité de l'âme et sa capacité. Tout ce qui est grand tient de Lui, est à Lui et retourne à Lui. Quelle que soit la pas- sion qui l'absorbe, une âme grande finit toujours par aboutir à la seule grandeur capable de la con- tenir : Dieu. Et comme saint Paul avait été fou- droyé de lumière, Madeleine fut embrasée d'amour.

Elle portait un nom prédestiné, Marie. Il y avait une autre Marie, une autre fille de

l'humanité, en qui le Saint-Esprit était descendu pour en faire la mère immaculée du nouvel Homme. La femme impure s'appelait aussi comme elle. Dans le plan divin, ces deux Maries brillent aux pôles de la vie religieuse comme deux lumières : l'une est l'innocence, la beauté pre- mière qui la met à l'abri de toute souillure ; l'au- tre, la pénitence, l'innocence reconquise, le pri- vilège ressaisi, qui la rend victorieuse de tout péché.

Et en effet, après la sainte Vierge, la plus grande Marie, personne n'eut avec le Christ une vie plus unie. Presque toujours auprès de Lui, elle pleure, elle écoute, elle contemple, elle se tait... Associée à la rédemption, elle est la première que le Ressuscité ait appelée : « Marie ! » Mais à son nom de lumière s'ajoute celui du lieu où retentit son péché, Magdala.

Si l'on cherche Madeleine aux vergers de l'en- fance, on voit une fille noble et de famille riche. Sa mère, Eucharie, est du sang royal de Juda, et la sœur de cette Noémi, qui fut au Temple la maî-

t r e s s e d e l a V i e r g e . T h é o p h i l e , s o n p è r e , u n S y -

r i e n , g o u v e r n e T y r e t S i d o n , a v e c l a p r o v i n c e m a -

r i t i m e . E l l e n a î t l ' a n n é e m ê m e o ù J é s u s , à l ' i n s u

d e s a m è r e , p a r l a i t a u x d o c t e u r s d a n s l e T e m p l e ;

e t l e s s é d u c t i o n s p r é c o c e s d e l ' e n f a n t f a v o r i s e n t

a u t o u r d ' e l l e t o u t e s l e s c o m p l a i s a n c e s . E l l e g r a n -

d i t , h e u r e u s e e t c h o y é e , e n t r e M a r t h e , s a s œ u r ,

e t L a z a r e , s o n f r è r e , t o u s d e u x p l u s â g é s q u ' e l l e .

O r p h e l i n e à s e p t a n s , l e s a î n é s , a u p r è s d e l e u r

j e u n e s œ u r , s u p p l é e n t a v e c a m o u r a u x d e u x v i g i -

l a n c e s é t e i n t e s . M a i s u n e p e n t è i n s e n s i b l e f a i t c é -

d e r l e u r f a i b l e s s e a u x d é l i c e s n a t u r e l l e s d e s o n

e s p r i t e t d e s a g r â c e . M a r i e e s t v i v e e t g a i e ; e l l e

a , d è s l ' â g e t e n d r e , l e d o n r e d o u t a b l e d e l a b e a u t é :

s e s t r a i t s p o r t e n t d é j à l e d e s s i n d e s a v i e .

B i e n t ô t , l e j e u n e e n c e n s q u i s ' é l è v e a u t o u r d ' e l l e

l a r e n d i m p a t i e n t e d ' é p r o u v e r a u d e l à u n c h a r m e

d o n t e l l e p r e s s e n t l ' e m p i r e . E l l e t o l è r e d e m o i n s

e n m o i n s l ' i m m é d i a t e t u t e l l e d e M a r t h e e t d e

L a z a r e ; e x p r i m é s o u t a c i t e s , l e u r s r e p r o c h e s l ' i r -

r i t e n t ; d e l ' é t r o i t e a f f e c t i o n q u i l a v o u d r a i t g a r d e r ,

e l l e n e r e s s e n t q u e l a c o n t r a i n t e . I m p é t u e u s e e t

p r o d i g u e , é p r i s e d e m a g n i f i c e n c e , d e p a r u r e ,

d ' é c l a t , e l l e q u i t t e B é t h a n i e o ù l a v i e l e u r é t a i t

commune, et, suivie de ses gens, elle s'en va chercher, à distance des siens, une demeure plus ouverte au plaisir et au faste.

Près des bords lumineux du lac de Tibériade, Magdala est alors une petite ville riveraine. Le ciel y est magnifique, et ses maisons gracieuses descendant au rivage en font un rendez-vous de savants et d'artistes, de lettrés et de gens de cour, d'aventuriers et de soldats. D'autant plus que Macheronte, la résidence d'Hérode, est dans le voi- sinage. Les Grecs et les Romains imprègnent la contrée : ils y ont introduit, avec leurs armes, leurs langues, leurs coutumes et leurs vices. Non seule- ment on y fait assaut d'élégance et d'esprit, le lieu est aussi célèbre par sa corruption ; le Tal- mud l'a maudit. La Judée, il est vrai, elle-même décadente, est fort dissociée dans sa vie religieuse, mais c'est précisément sur les bords les plus pé- rilleux que Marie vient occuper un bien dont elle est héritière.

Elle y fut bientôt souveraine. Ses richesses, son nom, le crédit de sa famille

rangèrent à ses pieds une troupe d'adulateurs, parmi lesquels, mariée ou non, cet officier romain

qui vécut avec elle. Et ce n'est pas tout. L'Évan- géliste la nomme une pécheresse dans la cité ; car il fallait qu'elle touchât le fond de la disgrâce pour être plus haut exaltée. A une société d'abord raffinée succèdent fatalement les compagnons de plaisir ; ce n'est plus son esprit qui enchante, ce sont ses faveurs qu'on se dispute. Courtisane cé- lèbre et fastueuse, étourdie et grisée, conquérante et régnante, c'est autour de sa vie, nouée et re- nouée, la chaîne des amours faciles, c'est la dé- chéance passionnelle.

Elle aurait pu en être heureuse, si le vice n'avait un arrière-goût de cendre ; si le plaisir n'était autre chose qu'une mousse éphémère et qui laisse altéré ; si les recherches de la chair n'aboutissaient à une vacuité secrète, une persistante désillusion, un re- cul épuisant qui va jusqu'au désert. Les pauvres joies de Marie lui laissent à chaque épreuve un cœur insatisfait. Et cependant, toute à sa pour- suite impossible, elle promène sa chevelure comme une torche orgueilleuse ; sans regret et sans honte pour des excès dont elle voudra, de ses pleurs, laver jusqu'au souvenir, elle ne voit pas les larmes de Marthe et de Lazare ; elle garde, hermétique,

ce cœur que devait fondre un regard de Jésus. Comment s'est opérée cette transformation ?

Nous n'avons sur elle rien de défini. Nous savons seulement que Madeleine était haute et violente, et, si c'est assez pour aborder le sens de cette crise, pour rapporter à Dieu la fougue de cette âme sou- daine, c'est insuffisant pour la pénétrer et pour parler d'elle comme nous le voudrions. Toute con- version pose le problème d'un élan qui élève au divin une nature purement humaine ; touchée, nous dit-on, du beau et du vrai, il y reste toujours une part de mystère. Pour Madeleine, placés si loin au-dessous d'elle, il y aurait un intérêt sou- verain à saisir dans son âme la nudité de l'épreuve, les raisons de préférence, la pureté décisive de l'élection...

Mêlée à une foule curieuse, on peut croire qu'à Naïm ou dans ses alentours, proches de Magdala, elle a vu, elle aussi, le Prophète. Elle a entendu quelqu'une de ces paroles dont la bouche du Maître disperse le bon grain et que le vent de la grâce dépose au bord d'une âme : « Cinq passe- reaux ne se vendent-ils pas deux as ? Et pas un d'eux n'est en oubli devant Dieu. » Peut-être

a-t-elle subi ce regard insoutenable, qui ouvre l'âme comme un caveau où plonge une brusque lumière. Ou peut-être, au matin délirant de quel- que fête nocturne, est-Il passé sous les terrasses de son palais, sachant qu'une brebis était prise aux épines de ses roses ? Peut-être a-t-elle vu, dans sa robe de lin, la Beauté qui passait toute beauté hu- maine, et s'étant retournée vers sa couche de luxure, peut-être a-t-elle rougi d'y voir une litière que souillaient sept démons ?

Un remords d'abord obscur, le dégoût, l'épou- vante de sa solitude la suspendent entre le passé et le présent, comme une égarée. Marie s'inter- roge et se méprise ; elle pleure... Qui la porterait au-dessus de ses désordres ? Qui la délivrerait de ses attaches misérables, qui romprait tant de liens ? Cet inconnu, elle ne peut penser à lui sans reproche ; tout l'en éloigne, et quelque chose de plus fort que sa honte la ramène sur ses pas. Il n'y a rien de commun, pourtant, entre cette femme et Celui qui tend les deux mains vers son cœur et qui veut qu'on se perde en lui... Mais la blessure de l'amour ne laisse plus de repos.

Scandale éclatant et court, Marie touche l'aube

LA SAINTE BAUME.

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

Couverture : Conception graphique ‒ Manon Lemaux

Typographie ‒ Linux Libertine & Biolinum, Licence OFL

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.