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Université Lyon 2 - Année universitaire 2006/2007 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Diplôme IEP section POCO La Sarko-munication:Mots, images et outils pour gagner Communication politique de Nicolas Sarkozy, Campagne présidentielle 2007 Soutenance le 28 août 2007 Sous la direction de Bernard Lamizet Céline Martinet Membres du jury : Valérie Colomb, Bernard Lamizet

La Sarko-munication:Mots, images et outils pour gagner

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Université Lyon 2 - Année universitaire 2006/2007Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Diplôme IEP section POCO

La Sarko-munication:Mots, images etoutils pour gagnerCommunication politique de Nicolas Sarkozy,Campagne présidentielle 2007

Soutenance le 28 août 2007Sous la direction de Bernard Lamizet

Céline Martinet

Membres du jury : Valérie Colomb, Bernard Lamizet

Table des matièresIntroduction . . 4Chapitre 1: Des droites au sarkozysme : ruptures et continuités . . 6

I La droite en campagne . . 6A Les droites en France : origines et caractéristiques . . 6B Les mots de campagne des hommes dits « de droite », d’hier etd’aujourd’hui : de Charles de Gaulle à Jacques Chirac . . 10

II Un parcours non linéaire pour une filiation revendiquée…mais avérée ? . . 16A Le parcours de Nicolas Sarkozy : de Neuilly à la veille de l’électionprésidentielle . . 16B Tensions internes et héritage . . 20

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy . . 25I Les moyens pour gagner : outils de campagne . . 25

A L’équipe de campagne . . 26B Les outils pour rassembler . . 35

II Les mots pour gagner . . 37A Les thèmes de campagne . . 38B L’analyse du discours de Nicolas Sarkozy . . 42

Chapitre 3 : Révéler le réel ? Mots et images de campagne dans les médias . . 50I Récits et mots de campagne . . 52

A Le personnage Sarkozy de Libération . . 52B Le personnage du journal Le Monde . . 62

II Unes de campagne . . 70A Les unes de Libération . . 70B Les unes du Monde . . 73

Conclusion . . 75Bibliographie . . 77Sigles utilisés . . 78Annexes . . 79

Chapitre 1 . . 79Chapitre 2 . . 92Chapitre 3 : Le personnage de Libération (articles) . . 134Chapitre 3, le personnage du Monde (articles) . . 171Chapitre 3 : Les unes . . 178

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Introduction

« Mes chers amis ! (…) » Au soir du 6 mai, à 23 heures, place de la Concorde, NicolasSarkozy fête sa victoire : il est entouré sur la scène de ses proches, de personnalitéspolitiques et d’artistes, et sur la place, d’une foule d’électeurs ravis de l’issue du scrutin.Ensemble, ils chantent, ils rient…qui aurait pu imaginer le général de Gaulle, au soir de sonélection de 1965, afficher une telle décontraction, s’adresser ainsi aux Français ?

De 1965 à 2007, 42 ans se sont écoulés… une goutte d’eau à l’échelle de l’histoirepolitique, une éternité à l’échelle de la communication politique. En 42 ans, elle s’estimposée d’abord aux Etats-Unis, puis en France, de façon significative lors de la campagneprésidentielle de 1974. A l’époque, la nouvelle image des candidats fait forte impression, lamodernité de leur représentation étonne et marque les esprits. Aujourd’hui, la constructiond’un « personnage politique » en vue d’une élection est un passage obligé : sur le modèlede la publicité, le candidat doit rassembler les stratégies et les représentations pour êtrechoisi par les électeurs parmi ses concurrents.

La communication politique est une mise en lumière du politique, une médiationsymbolique de l’identité : elle produit du sens aux yeux des électeurs, permet lareprésentation symbolique du réel et établit un rapport de signification entre les choses.Les symboles utilisés sont puisés dans les mots, les images, les références propres à uneidentité politique, à une culture politique propre. Pour exister, l’homme politique doit mettreen place l’expression symbolique de son identité, et la communication politique en est lemoyen.

En 2007, pour exprimer symboliquement son identité, on a recours aux mots, commedu temps de la rhétorique d’Aristote. A cela viennent se greffer une multitude d’autres outilscommunicationnels : les mots écrits par le candidat, les mots transmis, à l’écrit ou à l’oral,par les médias, les images du candidat, ses représentations sur papier, sur écran, dans lemonde réel, dans le monde virtuel…depuis Aristote, le diamètre de l’ « aura » symbolique del’identité politique d’un candidat a grandi, s’est épaissi. L’électeur citoyen doit doubler, triplerd’attention et d’analyse pour approfondir ce qui se cache réellement derrière les argumentsde chacun.

Une chose n’a pas changé : la communication politique repose toujours sur lareconnaissance ; car la reconnaissance du candidat par son public est ce qui fonde sonidentité, par le processus du « stade du miroir »1. La reconnaissance passe par l’adhésion,lorsque l’électeur décide de voter pour un candidat : l’un et l’autre accordent le mêmesens aux mots, possèdent les mêmes références. Le lien de médiation est alors créé entrel’homme politique-singulier et le public-collectif.

2007 voit l’affrontement pour la reconnaissance et l’adhésion. Dans l’arène s’opposentune multitude de candidats ; les deux favoris sont Nicolas Sarkozy pour l’UMP, SégolèneRoyal pour le PS. Chacun d’eux possède un segment identitaire propre, un soutien partisancomparable, chacun d’eux possède une stratégie de communication semblable au niveaudes moyens…pourquoi alors choisir Nicolas Sarkozy ? En septembre 2006, il a fallu faireun choix. Nicolas Sarkozy était présent de façon significative sur le devant de la scène

1 Bernard Lamizet, Communication politique.

Introduction

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médiatique et politique, et Ségolène Royal venait à peine de faire son entrée. Pour unequestion d’accès aux sources, de souci d’accès aux déclarations, aux archives, j’ai choisia priori Nicolas Sarkozy. En 2007, ayant pu observer le flot d’articles, d’images en quantitérelativement égale pour deux candidats, j’aurais certainement eu plus de mal à choisir.Le choix du candidat de la droite n’est donc pas un choix « partisan », et l’objectif de cemémoire n’est ni d’encenser, ni d’émettre un jugement négatif sur l’identité politique ducandidat. L’objectif réel est d’analyser la communication politique de Nicolas Sarkozy enpériode d’élection présidentielle.

Pour s’informer sur un candidat, avant et pendant le campagne, l’électeur a le choixdes supports : lesite internet officiel de Nicolas Sarkozy ou de l’UMP, les articles des diversjournaux, les reportages télévisés, les blogs sur internet, les avis des proches… les sourcessont multiples, et chacune façonne un personnage de Nicolas Sarkozy selon son opinionpropre, selon ses références, et selon son degré d’adhésion aux propositions du candidat.Il n’est plus le seul à proposer une « version de son image », et quand bien même, il n’estassurément pas en mesure de maîtriser tous les « détails » de son identité politique et pluspersonnelle.

Il convient alors de se demander : qui fait la campagne présidentielle de NicolasSarkozy ? Qui façonne sa représentation symbolique du réel ? Qui tente de gommer lesdétails créés de toute pièce par sa communication, afin de rendre son personnage plus réel,ou de manipuler son personnage pour le rendre « autre » ?

L’identité politique de Nicolas Sarkozy est d’abord à comprendre dans le rapport tempslong/ temps court : issu de la famille politique de la « droite »2, il paraît intéressant d’étudierles comportements et les médiations symboliques de ceux dont il se réclame l’héritier, etdes cadres politiques qui représentent la « droite » en période de campagne électorale, etplus précisément en campagne présidentielle. C’est ce que nous verrons dans le PremierChapitre.

L’identité politique de Nicolas Sarkozy dans le cadre de la campagne présidentielle2007 est aussi constitutive de sa stratégie de communication : à travers les outils, lesmoyens, et surtout les mots utilisés pendant la campagne, il nous expose ses signes, sesmythes, ses codes. Le Deuxième Chapitre analysera ces deux aspects de la « politiquemaîtrisée », médiation directe et sans intermédiaire entre le candidat et les électeurs.

Enfin, le Troisième Chapitre mettra en scène la presse écrite : à travers l’étude desécrits et des unes de deux journaux tout au long de la campagne, nous tenterons de savoirsi les médias sont un outil pour éclaircir le « flou symbolique » que crée la communicationpolitique de Nicolas Sarkozy, pour révéler le réel.

2 Nous donnerons par la suite une explication plus précise de ce qu’est la « droite ».

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Chapitre 1: Des droites au sarkozysme :ruptures et continuités

Pour appréhender l’identité politique de Nicolas Sarkozy, il faut la replacer dans un contextehistorique : avant d’être investi par l’UMP, Nicolas Sarkozy a fait partie du RPR, a soutenuJacques Chirac, Edouard Balladur…dans le cadre de son parcours, il a appris les codesde la droite, de « sa » droite, en a reproduits, en a abandonnés. Avant de comprendre àquelle droite appartient Nicolas Sarkozy, et de qui il est l’héritier (II), dressons un portrait dela droite en campagne, de Charles de Gaulle à Jacques Chirac (I).

I La droite en campagne

A Les droites en France : origines et caractéristiquesEn 2007, en France, la division droite-gauche est instituée comme un principe majeur :elle est la clé de voûte de tous les systèmes d’explication, contraint chaque acteur à sepositionner relativement à ce principe pour ne pas être exclu du jeu politique. René Rémond3

estime que cette bipolarisation héritée de l’histoire correspond à une réalité politique. Pourautant, les notions de droite et de gauche sont des termes à controverse : on n’obtient pasde solution de définition satisfaisante pour chacune, on peut seulement partir d’une divisionprimaire qui remonte aux origines mêmes de la vie politique moderne : les historiens fixenttantôt au 11 septembre 1789, tantôt au 28 août 1789 la séance de l’Assemblée constituanteoù, pour la première fois, les représentants de la nation, divisés sur le veto royal, se sontrépartis topographiquement par rapport au président de l’Assemblée (les partisans d’un vetode durée limitée se plaçant à sa droite, les opposants à sa gauche).

Droite et gauche se déterminent alors l’une en fonction de l’autre, aucune n’existe dansl’absolu, aucune identité politique n’émerge spontanément « de gauche » ou « de droite ».La droite existe en tant qu’elle est à droite de la gauche, et non en tant que droite seule.Notons que ce principe est valable pour les droite et gauche modérées : pour les extrêmes,surtout pour l’extrême droite, la naissance se fait d’emblée à l’écart de l’espace politiquetraditionnel.

Dès lors qu’on peut dater la naissance de la division de la scène politique françaiseactuelle en 1789, René Rémond distingue trois traditions de droites, apparues dans l’histoireà des moments successifs, ayant opéré leur passage à droite à des moments décalés :on compte les « Ultras » de la Restauration dont la doctrine est la contre-révolution.La seconde tradition de droite associe libéralisme et conservation, René Rémond lanomme « Orléanisme ». La troisième a acquis une consistance sous le signe de l’autoritéet du nationalisme : elle a un précurseur dans le « Bonapartisme ». Entre ces troisdroites des échanges se sont opérés, des rapprochements esquissés, mais sans aller

3 Les Droites en France, 1985.

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jusqu’à les confondre dans un ensemble indivisible. C’est de ces trois traditions qu’émergeprogressivement le faisceau appelé avec quelque erreur, selon René Rémond, au singulier« la droite française ».

Depuis deux décennies, de nombreux changements sont venus compliquer le tableaude la tripartition des droites et de modifier les rapports entre les différentes composantesde la droite : depuis 1981, l’alternance est devenue une règle de la vie politique. Depuis,

la droite a vécu six fois le passage du pouvoir à l’opposition et vice versa 4 . De plus, le

paysage politique s’est modifié, avec l’irruption d’une nouvelle composante en 1983-1984,le Front national. Le parti mené par Jean-Marie Le Pen exerce sur les droites classiques unepression qui leur pose des problèmes à la fois tactiques et éthiques. Les scores électorauxdu FN compromettent les chances des droites de rassembler une majorité et les enfermentdans une alternative douloureuse : refuser toute entente au nom des respects de certainsprincipes au risque de laisser la gauche tirer le bénéfice de cette rupture, ou pactiseravec le FN et négocier des accords de circonstance et ainsi compromettre ses valeurs(nous verrons par la suite qu’une troisième alternative mené (entre autres) par NicolasSarkozy peut s’avérer payante du point de vue du gain de voix : adopter le vocabulairequi n’appartient pas traditionnellement à son camp). Pour d’autres raisons, la tripartition apu être mise à l’épreuve : la perte du pouvoir et la nécessité de s’accorder avec la droitelibérale pour le reconquérir ont eu pour conséquences une certaine évolution d’une droitequi se définissait par sa fidélité au gaullisme. Le rassemblement de toutes les droites :gaulliste, centriste, libérale au sein d’une organisation unique peut nous faire croire à unefin de la tripartition des droites. Tentons de dresser un état des lieux des nouvelles droitesfrançaises depuis la naissance de la Cinquième République, point de départ de la politiquemoderne française d’aujourd’hui. Même s’il est incontestable que le Front national estapparu comme un parti qui est capable de rassembler, nous ne l’analyserons pas en tant quetel, puisque nous l’avons écarté ci-dessus de la classification des droites dites « modérées »ou « traditionnelles ».

René Rémond, dans Les droites aujourd’hui, nous explique que la droite « contre-révolutionnaire » n’est plus assez forte pour imposer ses idées, mais qu’elle existe toujoursen tant qu’école de pensée, et cette nuance d’opinion peut toujours jeter le trouble, exploiterdes déceptions ou des scandales. Le poids électoral de la droite « contre-révolutionnaire »n’est aujourd’hui plus significatif, nous n’allons donc pas nous attarder sur cette traditionde droite.

L’historien renomme la droite « orléaniste » en droite « libérale », où ce terme mêmede libéral comporte désormais une connotation davantage économique que philosophique.Depuis le début de la présidence du général De Gaulle, les libéraux et les gaullistess’ « affrontent côte à côte », tirent les uns et les autres avantage du changement derégime, connaissent des divisions face au thème de la guerre d’Algérie, et un désaccordirrémédiable à l’approche du référendum de 1968. Les relations se détendent avec l’arrivéeà l’Elysée de Georges Pompidou, gaulliste au succès duquel les indépendants ont contribué.L’équilibre est remis en question lors de l’élection avancée de 1974 et l’élection donne lieu àune sorte de primaire. Jacques Chirac dévie l’épreuve et déséquilibre la répartition des voix,faussant compagnie au candidat dit gaulliste Jacques Chaban-Delmas en se prononçantpour Valéry Giscard d’Estaing, ce qui lui vaut plus tard le fauteuil de Premier ministre. A ladémission de Jacques Chirac en 1976 de son poste de chef du gouvernement, s’ouvre unepériode de conflits et de tensions récurrentes entre le gouvernement et la formation gaulliste,c’est-à-dire entre les deux droites. Le RPR (Rassemblement Pour la République, nouvelle

4 René Rémond, Les droites aujourd’hui, mars 2007.

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formation chiraquienne) s’oppose alors à l’UDF giscardien (Union pour la DémocratieFrançaise). La tension culmine davantage à l’approche de l’élection présidentielle de 1981.Au second tour, il est avéré que les voix de Jacques Chirac ne sont pas toutes reportées surValéry Giscard d’Estaing, ce qui vaut la victoire à François Mitterrand. La défaite partagée lesrapproche pourtant : les parlementaires mènent un combat commun. Le retour au pouvoirde 1986 ne les dissocie pas : la cohabitation qui s’instaure avec le président socialisteleur fait une obligation de ne pas se diviser devant l’adversaire. Dans le gouvernement deJacques Chirac et où il place le RPR dans une position dominante, les courants de l’UDFsont représentés en proportion de leur importance respective. Mais à l’approche de l’annéeprésidentielle 1988, les deux droites ont à nouveau chacune leur champion : Jacques Chiracpour l’une, Raymond Barre pour l’autre. Encore une fois, la division des droites entraîneleur défaite commune. En 1995, le schéma désormais familier de la compétition entre lesdeux familles se reproduit, mais avec une variante qui modifie les données. L’UDF n’aplus de représentant attitré et les deux représentants, Jacques Chirac et Edouard Balladurappartiennent tous deux au RPR. Le combat s’opère entre deux amis de trente ans, entredeux protégés de Georges Pompidou. L’UDF se reconnaît dans la candidature d’EdouardBalladur et bloc derrière lui. Jacques Chirac peut alors porter l’exclusivité de l’héritage néo-gaulliste et l’emporte, mais la division laissera des traces durables et entretiendra pendantlongtemps la discorde au sein du RPR.

Ainsi, à chacune des six élections présidentielles successives, de 1965 à 1995, deuxcandidats de droite se sont opposés au premier tour : le caractère récurrent de cettecompétition confirme l’existence à l’intérieur de la droite d’une ligne de partage bien réelle.En 2002, au lendemain de la septième élection présidentielle et compte tenu de l’incroyablescénario reconduisant Jacques Chirac à l’Elysée avec 82% des suffrages exprimés, lelancement de l’Union pour la Majorité Présidentielle (UMP) répond aux intentions de jeterles fondements d’une formation fondant les partis héritiers des deux traditions gaulliste/chiraquienne et libérale/ giscardienne. Le RPR accepte de disparaître, et les gaullistesentrent dans l’UMP comme ils sont naguère passés de l’UNR à l’UDF et de celle-ci au RPR :malgré quelques regrets, mais « en bloc ». L’UDF, au contraire, se disloque et ses membresopèrent une résistance à la fusion. François Bayrou, par choix stratégique, refuse de sefondre dans un vaste rassemblement et tente de préserver la spécificité d’une tradition dedroite distincte de l’héritage gaulliste du RPR (non-ami héréditaire).

La troisième droite d’aujourd’hui est, d’après René Rémond, le gaullisme. On peut luiattribuer comme lointain parrain politique le bonapartisme, autre mouvement empruntantson nom au patronyme d’une personne. Le général de Gaulle lui-même n’appréciait guèrecette utilisation de son nom : lui-même, s’il lui arrivait de parler de lui à la troisièmepersonne, n’y recourait pas fréquemment pour désigner ses fidèles et il n’encourageaitpas cet usage. Il a toujours attribué ou laissé donner aux formations qui regroupaient sespartisans des dénominations générales faisant référence à des entités : Rassemblementdu peuple français, Union pour la nouvelle République, UD Ve, Union pour la défense dela République. La fréquence de la préposition « pour » désigne l’intention d’énoncer desobjectifs et de désigner des finalités idéales : la France, la démocratie, la République. Onpeut donc dire que le gaullisme n’est pas de ces mouvements qui ont pour seule fin deservir une ambition personnelle ou d’apporter un soutien fidèle au pouvoir : la preuve en estque le gaullisme a survécu à son fondateur, après son départ du pouvoir, et après sa mort.Depuis 1970 (année de sa disparition), on parle encore des gaullistes, quitte à y assortir desépithètes et préfixes pour inscrire le courant dans la durée historique : archéo-gaullistes,néo-gaullistes. Ainsi on associe conjointement temps long / temps court en tenant comptedes infléchissements du programme ou de la stratégie des dits héritiers.

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Le gaullisme comporte une dimension affective, suscitée par l’admiration pourune personnalité et la reconnaissance de son rôle historique. Ces sentiments sontparticulièrement ceux de la première génération, celle des gaullistes historiques commeMichel Debré, Jacques Chaban-Delmas, Pierre Mesmer, dont beaucoup l’accompagnèrentdans tous les chapitres de son histoire personnelle : en fournissant les cadres du RPF,en se retrouvant dans les premiers gouvernements de la Cinquième République, ils ontcontribué à donner un visage au gaullisme. Les générations qui se succèdent ensuite n’ontpas les mêmes liens ni les mêmes souvenirs du « gaullisme originel ». Pour autant, il existetoujours une nuance de sensibilité particulière, une dévotion à la personne du général quiconstituent une caractéristique de la culture gaulliste. Tout au long de sa carrière, JacquesChirac excelle par exemple à susciter et à mobiliser à son service ce capital de sympathieet de dévouement.

Le gaullisme se définit aussi par son rôle historique et par ses idées : l’acte fondateur futun geste qui fit date parce qu’il avait valeur d’exemple en raison de sa portée symbolique :l’appel du 18 juin 1940 est un refus de la défaite, de l’armistice et de la renonciation depoursuivre la guerre. Il a une signification morale en tant qu’il refuse le caractère irrévocabled’un destin pour la France. La morale est celle de l’honneur et de la fidélité à la paroledonnée (les raisons de l’entrée en guerre), celle de la désobéissance au gouvernementde Pétain qui vient de se former, au nom de principes supérieurs et d’une légitimité qui nese confond pas avec la légalité (la légitimité acquise en tant qu’elle protège des principesfondamentaux des hommes, de la nation et de son peuple, la non-légalité envers l’autoritédu maréchal Pétain qui a accepté l’accommodement avec l’ennemi).

Le gaullisme comporte des principes forts, dont voici les principaux : il est unvolontarisme et un acte de foi dans le pouvoir de la liberté ; il refuse la fatalité et le faitque l’histoire soit irrémédiable. L’agent de cette volonté est l’Etat. Celui-ci doit être fort etrespecté. D’où les vues institutionnelles du général de Gaulle, visant à rétablir un équilibreentre les pouvoirs, à contrarier l’omnipotence des assemblées parlementaires et à prévenirle retour du régime des partis politiques. Tout est ordonné à la primauté de la fonctionprésidentielle et tend à assurer la stabilité gouvernementale. Le même schéma présidait àl’organisation et au fonctionnement du parti gaulliste. Ses fondateurs, du RPF au RPR, l’ontdoté d’une constitution centralisatrice. Il a fallu attendre l’accession de Philippe Seguin à latête du RPR en 2001 pour que les adhérents interviennent dans le choix du président. Leurculture politique ne prédispose pas les gaullistes à débattre : ils sont plus habitués à serrerles rangs et à faire bloc derrière la direction.

Un autre principe phare du gaullisme est l’exigence de légitimité de l’Etat, conditionpour qu’il soit fort et respecté. Pour faire valoir cette légitimité, le général de Gaulle estpersuadé qu’il n’y a pas d’autre principe de légitimité que la souveraineté du peuple ni d’autresource de pouvoir légitime que l’expression démocratique de celle-ci. En 1944, il accordele droit de vote aux femmes et rend le suffrage enfin réellement universel. En choisissantde s’en remettre au jugement du peuple en 1945 pour la définition des futures institutions,il veut laver la réputation sulfureuse du référendum que celui-ci gardait de l’usage qu’enavait l’Empire autoritaire. Il illustre la distinction entre référendum démocratique et plébisciteau service d’un pouvoir personnel. En 1962, de Gaulle prend l’initiative d’une révision quitransfère les collèges électoraux restreints au peuple entier le choix du chef de l’Etat : deGaulle est finalement plus démocrate que libéral.

Fidèle à la démocratie politique, mais aussi à la démocratie sociale : cette dimensionsociale propre à la « droite » gaulliste est un élément qui interdit de la confondre avecla droite libérale ou la droite conservatrice. Cette préoccupation sociale s’inscrit dans le

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prolongement de la pensée gaullienne politique : elle fait corps avec l’idée de la grandeurde la France et du rôle de l’Etat ; la cohésion sociale fait l’unité et la force d’une nation.

Enfin, la primauté que de Gaulle accorde à l’unité de la nation a ses incidencessur la conception des relations internationales, résolument réfractaire à tout abandon desouveraineté.

Tentons maintenant d’appréhender ces principes dans le texte original.

B Les mots de campagne des hommes dits « de droite », d’hier etd’aujourd’hui : de Charles de Gaulle à Jacques Chirac

La droite a connu toutes les campagnes présidentielles, et a fait campagne pour chacuned’elles. Pour tenter de déceler les différentes approches de la communication politique de ladroite entre le début de la Cinquième République et les années 2000, j’ai choisi d’analyserles mots et les images qu’ont employé ses grandes figures : le pionner, le général De Gaulle,et son ambiguïté d’homme de droite en tant que tel ; l’après-de Gaulle avec son immédiatsuccesseur, Georges Pompidou et enfin le poulain désigné de ce dernier, Jacques Chirac,meneur d’une nouvelle droite, le RPR puis l’UMP. Tous trois ont fait campagne en tantque candidat en 1965, 1969, 1981, 1988, 1995 et 2002. Pour marquer plus précisémentles divergences, nous analyserons les campagnes de 1965 (ou la première campagneprésidentielle), de 1969 (ou l’immédiat après-de Gaulle) et la dernière campagne avant cellede 2007, l’élection présidentielle de 2002.

Les choix de stratégie dans une campagne présidentielle sont particuliers : ils révèlentà la fois l’identité propre du candidat, mais aussi l’identité que souhaite lui donner son parti,un compromis entre les ambitions d’un homme et la tradition partisane à laquelle il doit êtrefidèle. On peut donc espérer une certaine continuité des attitudes de campagne de l’UDR,du RPR et de l’UMP à travers ses candidats : il faut aussi prendre en compte le contexte(première élection en 1965, départ proche de la figure du général en 1969 ou campagneprésidentielle « normalisée » en 2002) ; la somme de ces éléments change la donne.

Pour l’analyse des mots, j’ai eu recours à des discours prononcés dans le cadre de lacampagne présidentielle, prononcés en meeting ou retransmis à la télévision. Pour l’analysedes images, j’ai choisi de faire appel aux affiches de campagne de chacun des candidats.

Avant d’étudier le comportement du « candidat » de Gaulle en campagne présidentielle,il est nécessaire de se prononcer sur l’orientation sur l’axe droite-gauche du général, seréclamant « au-dessus des partis ».

Un candidat de droite ?Le gaullisme est avant tout une idéologie de rassemblement qui récuse la distinction

traditionnelle droite-gauche et entend se placer au-dessus des partis. Le général De Gaullea pourtant les caractéristiques d’un homme de droite, de par ses origines, sa famille, sonéducation, sa carrière militaire. Il est issu d’un milieu traditionaliste, son nationalisme estcependant ouvert, jacobin, centralisateur. Il croit à l’esprit des peuples, à l’indépendancenationale et en la démocratie. Mais il réduit celle-ci au suffrage universel, comme touthomme de la droite autoritaire. Ainsi, il reçoit la confiance du peuple par les référendums.Il prétend incarner la légitimité depuis 1940 et se voit comme « le guide », seul capabled’exprimer les aspirations de la nation dans ses profondeurs. Sur le plan social, DeGaulle pense réconcilier les classes grâce à un système d’association capital-travail ou de

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« participation », sorte de troisième voie, mais dont les contours ne sont jamais apparusavec netteté.

L’ensemble forme un mélange d’idées propres à la droite classique (équilibrebudgétaire, attachement à l’étalon-or) et d’idées nouvelles (planification, rapprochementavec le tiers monde). On peut dire que comme le bonapartisme autrefois, le gaullismecherche à concilier l’ordre et le progrès, s’inscrivant dans une droite autoritaire à résonancemoderne.

Le propre de cette droite ambiguë est aussi de rassembler autour d’elle des hommes deformation politique radicalement opposée. Le gaullisme regroupe des doctrinaires jacobins(Michel Debré), des gestionnaires (Georges Pompidou), des réformistes (Chaban-Delmas) ,des hommes de gauche (Capitant, Vallon) ou d’extrême-gauche (d’Astier de La Vignerie),et des intellectuels (Mauriac, Malraux). Au niveau électoral, la diversité est plus grandeencore et le gaullisme apparaît bien comme une idéologie de rassemblement. L’électoratgaulliste est plus étendu que l’électorat modéré et une large fraction de la gauche a votépour le général.

Depuis 1958, la Ve République a vu se dérouler neuf élections présidentielles. Lapremière élection, le 21 décembre 1958, n’a pas laissé un grand souvenir, elle se déroulaitsans réel enjeu après l’adoption des nouvelles institutions par référendum, trois mois plustôt. Cette élection se déroule au suffrage indirect et ne voit pas l’effervescence d’unevéritable campagne.

La première élection d’un président de la République au suffrage universel direct sedéroule en décembre 1965, selon la nouvelle procédure adoptée par référendum en 1962,et cette nouveauté nécessite un rappel historique de l’état d’esprit du moment. Face à cenouveau mode de scrutin décrié par une grande partie de la classe politique, de nombreusesquestions se posent : quelle va être la stratégie des différentes forces politiques, pourcontrer le général De Gaulle s’il se représente et pour convaincre un nouvel électorat àséduire pour un président, les citoyens. Le ballet des candidatures commence très tôtavec un débat journalistique lancé en septembre 1963 par le journal L’Express. Il s’agit dedécrire le meilleur candidat présidentiel face au général. Ce portrait de celui qu’on appelaità l’époque « Monsieur X » est vite identifié par les médias comme correspondant au mairede Marseille, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Gaston Deferre. Celui-ci se déclare candidat en décembre 1963 mais doit renoncer six mois avant l’élection.A l’approche de l’élection, en septembre 1965, les candidats se présentent : FrançoisMitterrand (avec la nouvelle Fédération de la gauche démocrate et socialiste et le soutiendu Parti Communiste), Jean-Louis Tixier-Vignancour (proche de l’OAS et défenseur del’Algérie française), Pierre Marcilhacy (se présente au nom d’une convention libérale, en faitsoutenu par des personnalités nettement ancrées à droite) et Jean Lecanuet (soutenu parle MRP et le Centre national des indépendants). Notons qu’un candidat inconnu du grandpublic émergera mi-novembre, Marcel Barbu (réformateur social adepte du mouvementcoopératif).

Il faut attendre le 4 novembre, à un mois du scrutin, pour que le général se déclare,expliquant qu’ils avaient le choix entre lui et le chaos dans lequel la France ne manqueraitpas de tomber s’il était éliminé.

C’est la première fois que va se dérouler une véritable campagne de masse pour lesélections présidentielles, et à cela s’ajoutent deux nouveautés technologiques importantes,à tendance déterminantes. La télévision s’est sensiblement répandue au début des années

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soixante, même si les ménages sont encore loin d’être tous équipés5, et les sondagescommencent à faire leur apparition.

La campagne est en fait courte puisque les principales candidatures ont été connuestardivement. De plus, De Gaulle ne veut pas être assimilé aux candidats classiques ; il croità sa légitimité naturelle et historique et ne pense pas être en danger. Il ne prend pas la peinede se justifier comme un candidat habituel. Il ne tient pas à faire campagne, et n’utilise pasentièrement son temps d’antenne. Le journal Le Monde dénonce son style plébiscitaire6.Vérifions ces affirmations dans le texte.

Les discours de campagne présidentielle du général de Gaulle que j’ai sélectionnéssont des allocutions radiotélévisées. Le général de Gaulle ne s’y place pas comme uncandidat traditionnel, comme un challenger : il est le président en place. A la manière d’unedéclaration officielle concernant les affaires du pays, à la manière d’une présentation desvœux, le président de Gaulle s’adresse à tous les Français : « Françaises, Français ».Tout au long de son discours, il les nomme et leur donne une place dans le discours ; par-là même, il espère les remettre dans le « droit chemin » en les incitant à une prise deconscience : « Vous allez décider du sort de la France »7, ou « Une grande responsabiliténationale incombera (…) à vous tous et à vous toutes »8. Car pour lui, la France court ungrave danger, il emploie pour l’exprimer des mots « passionnés » : « lorsque la France roulaità l’abîme », « dans un monde au-dessus duquel planent d’incommensurables dangers »9, « le système paralysé par des jeux scandaleux »10. Les coupables de la « dérive » dela France est le système des partis : ainsi, il oppose le reste des candidats et les enfermedans une « entité » commune, ne leur accordant aucune distinction. Celui qui n’est pasavec le général de Gaulle est contre lui : il propose ainsi un système bipolaire, à la manièredu bien et du mal : « le scrutin historique du 5 décembre 1965 marquera le succès ou lerenoncement de la France vis-à-vis d’elle-même. »11. En effet, les partis ne peuvent menerqu’à l’ « impuissance »12 et sont les auteurs du «flot de la démagogie en tous sens, despromesses à toutes clientèles, des invectives de tous les bords »13. S’il n’est pas choisi,« personne ne peut douter qu’elle s’écroulera aussitôt que la France devra subir –mais cette

5 Sur un échantillon de population de Boulogne-Billancourt, appelé à dire quel est le moyen d’information qui a eu la plusgrande importance pendant la période des élections, les résultats suivants sont obtenus : 52% indiquent la télévision, 22% la radio,11% la presse. A une question nationale posée au moment des élections de 1962, on obtenait des résultats très différents : radio23%, télévision 22%, presse 22%. Ces chiffres attestent que la télévision est pour la première fois le média phare de la campagne.CEVIPOF, « L’élection présidentielle de 1965 », Cahiers de la FNSP, n°169, 1970, p149).

6 A la une du Monde, Hubert Beuve-Méry écrit : « Rarement le caractère plébiscitaire d’une élection aura été aussi nettementaffirmé. Rarement un chef d’Etat doué de quelque pondération aura lié aussi rigoureusement à son propre destin celui de tout autrepeuple. Françaises et Français n’ont qu’à choisir entre l’abîme et lui. »

7 Allocution radiotélévisée du 11 décembre 1965.8 Allocution radiotélévisée du 4 novembre 1965.9 Allocution radiotélévisée du 4 novembre 1965.10 Allocution radiotélévisée du 11 décembre 1965.11 Allocution radiotélévisée du 4 novembre 1965.12 Allocution radiotélévisée du 4 novembre 1965.13 Allocution radiotélévisée du 11 décembre 1965.

Chapitre 1: Des droites au sarkozysme : ruptures et continuités

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fois sans recours possible- une confusion de l’Etat plus désastreuse encore que celle qu’elleconnut autrefois »14.

Pour se distinguer du « désastreux système des partis »15, il appelle son passé commeoutil de légitimation et incite les Français à s’en rappeler : « Il y a vingt-cinq ans, lorsque laFrance roulait à l’abîme, j’ai cru devoir assumer la charge de la conduire jusqu’à ce qu’ellefût libérée (…) Il y a 7 ans, j’ai cru devoir revenir à sa tête pour lui éviter la guerre civile »16.Il est et il veut rester l’homme de l’appel du 18 juin 1940, le fondateur de la CinquièmeRépublique, le seul capable d’assumer encore la charge de la France : « La Républiquenouvelle, que le peuple français a fondé à mon appel pour le seul service de la France »17. Ilest l’ « élu », le guide, le sauveur : « La République nouvelle a son président. C’est moi. Mevoici, tel que je suis »18. En tant que tel, il pense avoir autorité et il prêche la bonne parole :« J’ai dit : le progrès. (…) J’ai dit : l’indépendance. (…) J’ai dit : la paix. »19.

Face à cela, il propose un « projet présidentiel » simple, en trois points : « J’ai dit :le progrès. (…) J’ai dit : L’indépendance. (…) J’ai dit : la paix. »20. On peut imputer cettesimplicité à deux critères : l’allocution est télévisée, il s’adresse à tous les Français qu’ils’efforce de convaincre. Il ne se confond pas dans un flot de paroles et essaie d’être clair.La différence est nette avec les discours prononcés lors des meetings d’aujourd’hui, où lesmilitants se déplacent pour voir leur candidat qui doit donc honorer leur présence de détails.De plus, le discours du général se veut empreint d’une certaine réalité, même si en réalitéles mots n’en sont qu’une représentation symbolique. Pour lui, ce ne sont pas que des mots :« Il en sera ainsi désormais. Voilà du vrai, du sérieux, du solide », il parle de « réalités aumilieu desquelles vit la France » et veut se démarquer des « faux-semblants » et de « toutesles astuces d’autrefois »21.

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Ces trois affiches de campagne se lisent dans la continuité du discours de de Gaulle.Sur chacune d’elles, il met en avant les valeurs fondatrices de la France : la cocarde, lebonnet phrygien et le drapeau français. Les messages sont simples : il faut faire confianceà de Gaulle, car lui seul peut permettre à la France de continuer à évoluer, de devenir unegrande nation, pour permettre à la petite fille de l’affiche de gauche de « grandir ». Le plussûr moyen d’y arriver est de tendre la main à de Gaulle, comme la petite fille et comme lafoule à droite. Dans tous les cas, l’image du général est forte et très présente : à gauche,on aperçoit son bras de militaire ; au milieu, la croix de Lorraine ; à droite, il apparaît enphoto, face aux Français.

Après le référendum du 27 avril 1969, le général de Gaulle quitte ses fonctions,estimant que le rejet de sa proposition est un refus de le soutenir au pouvoir. Une élection

14 Allocution radiotélévisée du 4 novembre 1965.15 Allocution radiotélévisée du 11 décembre 1965.16 Allocution radiotélévisée du 4 novembre 1965.17 Allocution radiotélévisée du 11 décembre 1965.18 Allocution radiotélévisée du 17 décembre 1965.19 Allocution radiotélévisée du 11 décembre 1965.20 Allocution radiotélévisée du 11 décembre 1965.21 Allocution radiotélévisée du 11 décembre 1965.

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présidentielle est convoquée pour les 1er et 15 juin 1969 : le temps est très court pourles candidatures. Certains estiment que le gaullisme est mort et ne survivra pas au départde son chef charismatique. Mais, à la différence des scores personnels de son chef, legaullisme partisan se renforce et se regroupe derrière la candidature de Georges Pompidou.

Le 16 mai 1969, Georges Pompidou propose sa candidature aux Français par le biaisde l’ORTF. Comme le général, il s’adresse directement à eux et les nomme : « je voudrais,Français, Françaises, vous demander à tous (…) ». Il rend tout d’abord hommage à sonsuccesseur, et demande à tous « d’avoir une pensée » pour lui. Longuement, il rappelle cequ’il a fait pour la France : la « Résistance », la « Libération », le sauvetage de la République,la résolution du « drame algérien ». Puis il se pose en digne successeur du héros : il aappris à ses côtés, dans un premier temps par obligation et sans conviction (« Je n’ai pasdésiré une carrière politique active », « Je ressentais plutôt une impression d’effroi ».) ; puisil a compris que sa présence au pouvoir était un devoir (« Il fallait tenir. Il fallait tenir »,« c’est à ce moment-là que j’ai compris : quand viendrait le jour, je n’aurais pas le droit deme dérober »).

Il tente d’apparaître en homme nouveau : « je n’imiterai pas le style du général deGaulle, (…) je suis un homme différent ». Sans parler de style, Georges Pompidou suitla logique discursive de de Gaulle : il rappelle sa légitimité historique (« Et puis est venuMai 68. (…) Il fallait rétablir l’ordre. »), sa légitimité héritée du général (« J’ai fait monapprentissage ») et sa vision de la France : « un gouvernement (…) se reposant surune majorité très large étendue à tous ceux qui acceptent les principes essentiels de laCinquième République », « Il faut faire une France moderne », « Il faut que le Président(…) puisse s’atteler à la tâche ». Comme le général, il dit son « honneur » de pouvoir êtrechoisi et de pouvoir représenter la France.

L’image de campagneL’affiche de Georges Pompidou est très simple : une photo, son nom, un slogan.

Contrairement aux affiches du général, les symboles de la France sont ici absents, l’héritagehistorique n’est pas représenté. Son slogan équilibre ce manque : « Pompidou avec laFrance, pour les Français ». Il associe directement son nom au devoir de servir la Franceet les intérêts des Français. Ainsi, il s’ancre dans le principe de dévouement gaulliste d’unchef pour l’intérêt collectif.

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

La dernière élection précédent celle de la candidature de Nicolas Sarkozy est l’électionprésidentielle de 2002. Après un duel « fratricide » avec Edouard Balladur en 1995, JacquesChirac permet « le retour des gaullistes à l’Elysée »22 en remportant l’élection. Il renouvellesa candidature en 2002, où il apparaît comme le représentant incontestable de la droitemodérée et de son parti, l’UMP (Union pour la Majorité Présidentielle, puis Union pour unMouvement Populaire).

J’ai choisi un discours prononcé à Avranches, le 18 mars 2002. Même s’il cumuleles rôles thématiques de président de la République et candidat à l’élection présidentielle,Jacques Chirac se pose ici en candidat, et dévoile une partie de son projet. Jacques Chiracest face à son auditoire, et abandonne l’accroche « Française, Français » qu’il aurait pu

22 Pierre Bréchon et Bernard Denni dans Les élections présidentielles en France, Quarante ans d’histoire politique, sous ladirection de Pierre Bréchon, chapitre 1 : « Le contexte politique : candidats et forces en présence », La documentation Française, 2002.

Chapitre 1: Des droites au sarkozysme : ruptures et continuités

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employer en tant que président de la République. Il le replace par « Mes chers amis » : quiaurait cru qu’un successeur du gaullisme s’adresse aux Français comme à ses « amis » ?

Jacques Chirac, dans ce discours, ne se réclame pas ouvertement du gaullisme : il nevante pas les mérites du général, qui semblent loin pour les Français de 2002. Il préfèreflatter la région où il prononce son discours, et son patrimoine : « ce joyau qu’est le MontSaint Michel (…) témoigne du génie de l’homme, quand celui-ci lance vers le ciel un pareildéfi de foi et de spiritualité ». Cet hommage au Mont Saint Michel nous fait immédiatementpenser au premier déplacement de Nicolas Sarkozy en tant que candidat, le 15 janvier 2005.Pas de doute sur ce point, la référence est identique pour les deux hommes : le Mont SaintMichel évoque la grandeur de la France, de son patrimoine passé et donc de ses valeurs,et aussi une certaine tradition religieuse de la droite honorant un « lieu de recueillement »spirituel de toute l’Europe.

Le thème du discours est l’environnement : depuis 1965 ou 1969, loin despréoccupations de renforcement des institutions de la Cinquième République et de larecherche de stabilité contre le système des partis ou après Mai 68, Jacques Chirac le ditlui-même, « Les temps ont changé ». Son récit entier développe une nouvelle préoccupationde société ; si la préoccupation est nouvelle, les mots et les valeurs de la droite gaullistesont toujours présents : Jacques Chirac en appelle à la fois au « partage et à la solidarité »,et à l’ « efficacité et à la responsabilité collective ». Mais ce n’est plus le « sauveur », le« guide » ou le « héros » gaulliste qui parle : même s’il emploie le « je » pour présenter sesidées, le candidat appelle à une action de tous les citoyens, et demande « l’engagementde l’ensemble de notre société ». Il semble que Jacques Chirac s’efface pour tenter unestratégie d’union, une action collective, dont il serait le meneur ; cependant, il laisseapparaître, sans le vouloir sa présence ne soit pas la condition ultime de la réalisation deson projet. Un autre en serait aussi parfaitement capable, à la différence de ce qu’affirmait legénéral de Gaulle : c’est moi ou c’est le chaos. Le gaullisme fondateur s’inscrivait davantagedans une dualité forte, entre le bien et le mal. Tentons de vérifier cette analyse par l’étudede l’affiche de campagne.

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Sur son affiche de campagne, on voit Jacques Chirac, au centre, faisant un signe dela main à

l’électeur qui le regarde. C’est un appel : il se tourne vers les Français sans équivoque,à l’inverse du général de Gaulle qui répondait à l’appel des Français, prenant par la mainla petite fille ou

restant stoïque face aux mains tendues. Derrière lui une foule, il montre l’union dontil peut être le rassembleur ; les valeurs de la France sont cependant toujours au premierplan : les couleurs bleu et rouge de son parti, et du drapeau français, et la phrase : « laFrance en grand, la France ensemble », la France en tant que grande nation ne se réaliseraque dans l’union.

Jacques Chirac est un gaulliste moderne, si l’on peut dire. Formé par GeorgesPompidou, fondateur du parti RPR, successeur de l’UDR, il a cependant du se plier àla logique des partis, au risque d’être évincé de la scène politique. Que dire alors de lafiliation de Nicolas Sarkozy revendiquant également l’héritage gaulliste mais loin d’être unchiraquien ?

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II Un parcours non linéaire pour une filiationrevendiquée…mais avérée ?

A Le parcours de Nicolas Sarkozy : de Neuilly à la veille de l’électionprésidentielle

Nicolas Sarkozy de son nom complet Nicolas, Paul, Stéphane Saközy de Nagybosca est lefils d’un immigré hongrois naturalisé français. Après l’arrivée de l’Armée rouge en Hongrieen 1944, sa famille paternelle est expropriée et s’exile, puis son père rencontre un recruteurde la Légion Etrangère, par l’intermédiaire duquel il s’engage pour cinq ans. Il est cependantdéclaré inapte au départ pour l’Indochine puis est démobilisé à Marseille en 1948. Il se rendà Paris et se marie avec la fille d’un juif de Salonique. Le « petit Nicolas » naît à Paris en1955.

Il bénéficie d’un enseignement privilégié, au lycée public de Chaptal puis au lycée privéSaint-Louis de Monceau. Nicolas n’est pas un élève brillant : il redouble sa sixième et obtientle baccalauréat au rattrapage en 1973. Après une maîtrise de droit privé à l’université ParisX, il entre à Sciences Po dont il n’est pas diplômé (en raison de notes éliminatoires enanglais). En 1980, il obtient un DEA en sciences politiques, son sujet de mémoire portantsur le référendum du 27 avril 1969. En 1981, après avoir envisagé le journalisme, il setourne vers la profession d’avocat et devient associé dans un cabinet spécialisé dans ledroit immobilier.

Nicolas Sarkozy n’a pas le profil d’un homme de pouvoir traditionnel : il redouble sasixième, n’a pas de mention au bac, n’est pas diplômé de Sciences Po ni de l’Ecole Nationaled’Administration. Il est avocat de métier, et est capable d’argumenter quelque soit le sujetchoisi, à la manière des étudiants grecs maniant la rhétorique, préparant pour chaquequestion donnée la thèse et l’antithèse. De part son parcours et sa formation initiale, il sedifférencie déjà de ceux qui seront ses futurs adversaires et n’est pas prédestiné aux hautessphères du pouvoir.

Pourtant, il s’intéresse tôt à la politique : il adhère à l’UDR (Union des démocrates pourla République) en 1974, alors qu’il ne peut pas encore voter. Il y rencontre Charles Pasquaet milite pour l’élection de l’héritier gaulliste Jacques Chaban-Delmas, trahi par le report dusoutien de Jacques Chirac à Valéry Giscard d’Estaing.

L’année suivante, il devient délégué départemental des jeunes des Hauts-de-Seine.Puis il adhère au RPR (Rassemblement Pour la République) nouvellement créé en 1976,toujours sous le parrainage de Charles Pasqua à propos duquel il déclare en 1983 : « Toutle monde sait que je suis son double ». Il devient responsable de la section de Neuilly, puissecrétaire de la circonscription Neuilly-Puteaux et est élu conseiller municipal de Neuilly en1977, à 22 ans.

1981 est l’année de sa première élection présidentielle : il s’y investit en tant queprésident du comité de soutien des jeunes à la candidature de Jacques Chirac, dès 1980.

En 1983, il devient maire de Neuilly sur Seine et fait pour cela preuve d’opportunisme,prenant de cours le prétendant au titre Charles Pasqua, alors hospitalisé. Pendant sonmandat, il s’illustre médiatiquement lors de l’affaire de la maternelle de Neuilly, en négociantdirectement avec Eric Schmitt, surnommé « Human Bomb », ayant pris en otage 21 enfantsau sein de l’établissement scolaire. Nicolas Sarkozy imprime dans la mémoire collective

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son image de « sauveur » et de « héros » portant une petite fille et la ramenant en sécuritéhors de la maternelle.

A 34 ans, il devient député puis ministre du budget à 38 ans, sous le gouvernementEdouard Balladur. Il y fait son apprentissage des rouages gouvernementaux et en tant queporte-parole du gouvernement, il commence à se faire connaître du grand public.

En 1995, il soutient la candidature d’Edouard Balladur contre celle de Jacques Chiracpour la campagne présidentielle, mais n’a manifestement pas fait le bon choix : son espoir sevoit éliminé dès le premier tour avec 18,6% des suffrages exprimés. Il assiste au meeting deJacques Chirac avant le second tour, le mai 1995, mais il est sifflé et hué par les militants. A lasuite de la victoire du président du RPR, Nicolas Sarkozy n’obtient aucun poste ministériel etson image auprès de la droite chiraquienne ne s’améliore pas. Il est régulièrement conspuépubliquement, et amorce un passage à vide significatif jusqu’en 1997.

Il se voit alors confier la fonction de secrétaire général du RPR pendant deux ans ; puisdevient pendant quelques mois président du RPR par intérim, succédant à Philippe Seguin.A nouveau, il connaît le revers électoral : lors des élections européennes de 1999, il conduitconjointement avec Alain Madelin la liste RPR-DL (Démocratie Libérale) et devient tête deliste. La défaite est sévère et il doit s’incliner en troisième position avec seulement 12,8%des suffrages exprimés.

En 1999, il renonce à toute responsabilité au sein du parti et démissionne de laprésidence du parti par intérim ; il se retire de la vie politique nationale. Jusqu’en 2002, il

rejoint le cabinet d’avocat où il exerçait, fait une apparition au 25e anniversaire de la créationdu RPR et publie un livre, Libre.

2002 voit s’ouvrir une période d’ascension pour Nicolas Sarkozy, tant du point de vuepolitique que médiatique. En 2002, il est réélu député des Hauts-de-Seine avec 68,8%des voix (il est le candidat de droite le mieux élu). Il soutient la réélection de JacquesChirac mais celui-ci lui préfère Jean-Pierre Raffarin pour le poste de Premier ministre. Ilest nommé à une fonction gouvernementale d’importance, celle de ministre de l’Intérieur.Il y impose un style particulier, de part sa forte présence sur la scène gouvernementaleavec des priorités comme la lutte contre la délinquance, la sécurité routière (avec unebaisse notable du nombre de morts sur les routes), et intervient sur d’autres dossierscomme ceux de l’éducation et des retraites. Il revendique un style dynamique et parfois« musclé » (répression routière, multiplication des radars automatiques.

Pendant neuf mois en 2004, il occupe le ministère de l’Econome, des Finances et del’Industrie. Il axe dans un premier temps sa politique sur la réduction du déficit ; il annonce lerespect du pacte de stabilité par la France en 2005. Au niveau industriel, il dédouane l’Etatde sa participation majoritaire au sein de France Telecom en septembre 2004, conclut lechangement de statu d’EDF et GDF et annonce la privatisation partielle du groupe AREVA.Dans le secteur privé, il fait intervenir l’Etat pour empêcher la chute du groupe Alstom etfavorise la fusion Sanofi-Aventis face à Novartis : il privilégie l’intervention de l’Etat françaisdans le marché, parfois aux dépens des intérêts des autres pays de l’Union Européennecomme la puissance voisine allemande. Il dénonce également les hausses des prix dansla grande distribution et dans les banques, et signe des accords avec les professionnelsconcernés.

Pendant cette période, Nicolas Sarkozy rend publique son intention de proposer sacandidature à l’élection présidentielle de 2007 et de reprendre la présidence de l’UMP audépart d’Alain Juppé. Jacques Chirac riposte et remet son ministre à sa place en lançant ledésormais célèbre : « Je décide, il exécute. » ; pour lui, le ministre ne pourra pas cumuler son

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poste avec celui du président de l’UMP, s’il l’obtient : il sous-entend alors sa démission dugouvernement. Lors du Congrès du 29 novembre 2004, Nicolas Sarkozy est élu présidentde l’UMP par ses adhérents avec 85% des voix. Il quitte alors son poste de ministre desFinances du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

Le 31 mai 2005, deux jours après le résultat négatif du référendum portant sur le Traitéconstitutionnel européen, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin démissionne et laissesa place à un fidèle de Jacques Chirac, Dominique de Villepin. Nicolas Sarkozy est nomméministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire : il est le numérodeux du gouvernement et cumule un poste ministériel et la présidence de l’UMP, alors quece cumul avait été jugé impossible par le Jacques Chirac, moins d’un an auparavant. Ilconserve également la présidence du conseil général des Hauts-de-Seine.

Son second mandat de ministre de l’Intérieur est également riche en rebondissementset en thèmes litigieux. Nicolas Sarkozy intervient au cours de l’affaire Nelly Cremelconcernant un crime commis par deux repris de justice, et demande que le juge responsablede leur remise de peine soit puni, ce qui lui vaut un rappel à l’ordre du Premier ministre teles reproches du Syndicat de la magistrature, invoquant la séparation des pouvoirs et leprincipe de l’indépendance de la justice.

A la suite de plusieurs incendies mortels survenus dans des immeubles insalubres,Nicolas Sarkozy demande que les immeubles dangereux et voués à la destruction soientévacués ; les associations de défense comme « Droit au logement » y voient un prétexte àl’expulsion sans relogement des squatteurs. Le plus important squat de France, à Cachan,est ainsi évacué en août 2006.

Le 20 juin 2005, Nicolas Sarkozy effectue une visite dans une cité de la Courneuve, aulendemain de l’homicide d’un enfant de onze ans victime de balles perdues. Il déclare alors :« Les voyous vont disparaître, je mettrai les effectifs qu’il faut, mais on nettoiera la Cité des4000 ». Une dizaine de jours plus tard, il renchérit : « Le terme « nettoyer au kärcher » estun terme qui s’impose, parce qu’il faut nettoyer cela. » Les mots « nettoyer » et « kärcher »font aussitôt l’objet d’une vive polémique. Celle-ci sera à l’origine de sa rupture avec lemédiatique et symbolique Azouz Begag, délégué à la Promotion de l’égalité des chances.

Le 26 octobre 2005, au cours d’un déplacement à Argenteuil, l’accueil de NicolasSarkozy est tendu et conflictuel : il est insulté par des jeunes du quartier et reçoit des jetsde pierre sur son passage. Les médias, presse écrite et télévision l’accompagnent et fixentl’instant où le ministre s’adresse à un ou plusieurs interlocuteurs invisibles, dont on devineque ce sont des habitants du quartier : « Vous en avez assez, hein, vous en avez assezde cette bande de racailles ? Eh bien, on va vous en débarrasser ». Après le « nettoyageau kärcher », l’emploi du mot « racaille » déclenche une polémique, amplifiant l’hostilitédes jeunes des quartiers (et d’autres auxquels le terme n’est pas destiné) à l’encontre duministre de l’Intérieur.

En octobre 2005, après la mort dans un transformateur EDF de deux adolescents quifuyaient la police, des émeutes éclatent en banlieue parisienne et dans les périphéries desgrands villes françaises. Nicolas Sarkozy prône la tolérance « zéro » et annonce que lesimmigrés illégaux qui ont participé aux émeutes seront expulsés du territoire. Au terme deces émeutes, on dénombre plus de 2700 mises en garde à vue, environ 600 incarcérationset une expulsion du territoire. Selon le ministre, les émeutes sont le fait de « bandesorganisées », de « véritables mafias » ; tandis que le rapport des Renseignements générauxrendu public suggère une « révolte populaire des cités » spontanée, due à la condition

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sociale des émeutiers, ajoutant que réduire ces événements « à de simples violencesurbaines serait une erreur d’analyse ».

En 2006, Nicolas Sarkozy initie la loi « relative à l’immigration et à l’intégration » qui seprésente comme l’instrument de la mise en œuvre d’ « une immigration choisie au lieu d’uneimmigration subie ». Elle se concentre sur le durcissement des conditions de régularisationdes sans-papiers et du regroupement familial. Face à la réticence des associations quiluttent contre l’expulsion des familles d’enfants mineurs scolarisés, et les qualification desmesures de « régression sécuritaire » de la part du « ministre de la Chasse aux enfants »,Nicolas Sarkozy annonce des régularisations étudiées au cas par cas. Le second volet dela loi concerne le retour à une politique officielle d’immigration de travailleurs dans plusieurssecteurs de l’économie. Il effectue un voyage en Afrique pour tenter d’expliquer sa loi quia été mal perçue par les dirigeant africains, mais il est chahuté et accusé de racisme parla foule qui l’accueille.

Au cours de la même année, Nicolas Sarkozy initie un projet de loi sur la préventionde la délinquance. Il insiste pour que soient détectés dès le plus jeune âge les éventuelstroubles du comportement.

Aussi, il tient à durcir et à réprimer fortement les activités de délinquance sur Internet,en particulier la diffusion des scènes de violence, les peines pouvant s’échelonner jusqu’àcinq ans d’emprisonnement.

Le 8 juin 2006, lors d’une conférence de presse, Nicolas Sarkozy présente un bilan deson action au ministère de l’Intérieur depuis son arrivée en 2002. Il s’appuie sur les chiffresissus d’études réalisées par l’Observatoire national de la délinquance. Ces indications luipermettent de comparer la période où il est ministre de l’Intérieur (mais aussi Dominiquede Villepin) aux années de législature socialiste. Les chiffres de l’insécurité qu’il présentesont globalement en baisse (en moyenne de 3%) sur la période 2002-2005 à l’exceptiondes violences sur la personne en nette hausse (9% selon le ministère de la Justice). Latendance se poursuit en 2006. Le taux d’élucidation des affaires présente une améliorationde 4 points selon l’INSEE, bien que la méthode de calcul de se taux ait été discutée. LeParti socialiste émet alors une forte critique concernant ce bilan, précisant que les chiffresne comprennent pas les dégradations commises lors des émeutes de la fin de l’année 2005et en mettant en avant la forte augmentation des violences faites aux personnes et établitdes liens entre cette augmentation et les décisions du ministre.

En matière de sécurité routière, la politique de contrôle et de répression mise en placea permis de réduire significativement le nombre de tués (de plus de 7 200 en 2002 à plusde 4700 en 2006)23.

En matière d’immigration, l’immigration légale continue de se développer, mais à unrythme moins soutenu, en raison de la baisse du nombre de titres de séjour délivrés ; cettebaisse est la première depuis 10 ans. En parallèle, les expulsions d’immigrés clandestinsont doublé entre 2000 et 2005, passant de 10 000 à 20 000.

Tout au long de la campagne présidentielle 2007, comme on va le voir dans lesparties suivantes, Nicolas Sarkozy utilise son passé et les affaires dans lesquelles il s’estillustré pour prouver son expérience, sa culture du résultat, son identité. Ses argumentsapparaissent alors comme litigieux dans la mesure où les chiffres qu’il avance peuvent êtrecontestés suivant la manière dont ils sont présentés, et les issues des actions qu’il présentesont à juger de manière subjective.

23 Les chiffres cités sont ceux que Nicolas Sarkozy a employés pendant sa conférence de presse.

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Pour tenter de mieux comprendre son identité, nous allons amorcer une analyse decette « biographie » ci-dessus, des rapports qu’il entretien avec les membres de son propreparti, et de son héritage politique propre.

B Tensions internes et héritageAprès avoir survolé le parcours de Nicolas Sarkozy, on se rend compte que, si il a suivi lagrande famille politique de la droite tout au long de son parcours, il n’est pas resté immobileen son sein.

De ses débuts en 1974 à son ascension jusqu’à l’élection présidentielle 2007, onobserve la présence permanente d’un homme : Jacques Chirac. C’est finalement à sescôtés (contre lui ou avec lui) qu’il fraie son chemin politique à chaque instant, ou de son faitqu’il n’existe plus politiquement.

En 1974, Nicolas Sarkozy soutient Jacques Chaban-Delmas : celui-ci, sans le poidsélectoral d’une partie de la droite chiraquienne attirée par le candidat libéral Valéry Giscardd’Estaing, connaît un échec lors de l’élection présidentielle.

En 1981, Nicolas Sarkozy soutient Jacques Chirac, mais le candidat socialistel’emporte.

En 1995, Nicolas Sarkozy choisit Edouard Balladur, mais la droite se regroupe autourdu chef légitime, président et fondateur du RPR ; Nicolas Sarkozy échoue une nouvelle fois.

C’est alors qu’il se « repend » envers le clan Chirac et qu’il apporte son soutien sanscondition lors de l’élection particulière de 2002 que Nicolas Sarkozy accède à un ministère,celui de l’Intérieur puis celui des Finances.

En 2004, lorsque Nicolas Sarkozy brigue la présidence de l’UMP, Jacques Chiracestime qu’il doit quitter son poste gouvernemental : comme le chef de l’Etat l’a annoncédans sa formule (« Je décide,… », le ministre s’exécute.

Dans un certain sens, on peut rapprocher les deux hommes : ils ont finalementdes parcours semblables. Ils vouent un respect sans faille pour le général de Gaulle etson dauphin Georges Pompidou,. Ils se ressemblent aussi de part leur exigence d’unepersonnalisation de leur pouvoir : on parle du « chiraquisme » et du « sarkozysme »,dans le sens où ils sont capables d’entraîner derrière eux une foule de fidèles, militants ousympathisants. Jacques Chirac est l’homme du RPR, Nicolas Sarkozy est choisi avec leshonneurs en 2004 à la présidence de l’UMP : on en oublierait même qu’il n’a pas fondéce parti (les dissensions internes nous le rappellent). Ils portent leur parti et l’adaptent àleur personnalité, impressionnent par leur charisme les jeunes adhérents et réussissent àconvaincre les « vieux loups » issus de la formation précédente (…..pour l’un, UMP pourl’autre). Ils acceptent peu le fait de « suivre » le chemin tracé par un autre, et de rester dansl’ombre : leur ambition les incite à convoiter les postes toujours plus élevés. Malgré leurséchecs répétés, leurs erreurs parfois regrettables, ils sont des hommes persévérants et nerenoncent pas à leur objectif : Jacques Chirac a attendu trois élections présidentielles pourêtre finalement élu et malgré les vives critiques de l’opposition et l’apparente mésententeavec le camp de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy n’a pas démissionné de son poste deministre. (une exception faite, lorsque Jacques Chirac lui a demandé : au lendemain de sonélection à la présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy présente sa démission ; quelques moisplus tard, il est réintégré au gouvernement, cumulant alors les deux fonctions. )

Chapitre 1: Des droites au sarkozysme : ruptures et continuités

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En 2005, lorsque Nicolas Sarkozy est rappelé au gouvernement, on comprend quece choix se fait plus par nécessité que par réel désir. Jacques Chirac a compris que sonministre a gagné en popularité, tant sur le plan interne (il est élu à la présidence de l’UMPavec un score de 85%) que sur le plan national : si le ministre attire les foudres socialistes,une partie significative des Français s’intéresse à ce nouveau personnage incontournablede la vie politique et médiatique. Pour preuve le plus gros score d’audience réalisé en 2003lors de son passage dans l’émission « 100 minutes pour convaincre) » avec plus de septmillions de téléspectateurs. Face à ce succès, il est le seul homme politique à avoir étéinvité trois fois à cette émission.

Il faut dire que depuis 2002, les médias sont les relayeurs des faits et gestes du ministre ;c’est par leur intermédiaire qu’il est devenu « celui qui a dit » et qui a presque réinventé lesmots « racaille », « nettoyer au Kärcher », « voyou », etc. Ces mots font désormais partiede son « patrimoine verbal » propre, ils comportent chacun une histoire et un événementen toile de fond : la venue de Nicolas Sarkozy en banlieue, son accueil conflictuel avec lesjeunes, sa riposte ouverte et verbale aux agressions verbales (insultes) et physiques (jetsde pierres).

Par ces mots et par ces actions, Nicolas Sarkozy adopte un comportement provocateurenvers les fauteurs de trouble : il s’adapte à leur logique de bande et se rend dans leur lieude vie, sur leur « territoire ». Il s’insère dans l’engrenage du rapport de force et s’identifiecomme un de leur ennemi qui leur lance un défi : avec ses hommes et ses gardes du corps,il représente une bande rivale mais s’en distingue par un détail pourtant significatif : lesmots et le soutien médiatique. Il nomme publiquement ses « adversaires » en tant que« racaille » et par-là même il se dédouane d’en faire partie, et se place en ministre « héros »de la cité. Lorsqu’il dit « Eh bien, on va vous en débarrasser », on apprend quelques joursplus tard par l’intermédiaire de l’émission « Arrêt sur image » diffusée sur France 5 qu’ils’adresse à une femme d’origine maghrébine du quartier, l’interpellant de sa fenêtre en luidemandant de se « débarrasser de cette racaille ». Cette information supplémentaire quin’a pas eu la même ampleur médiatique que la fameuse phrase est capitale et changele statut de Nicolas Sarkozy dans la cité : il apparaît réellement ici comme le « héros »,répondant aux demandes de la majorité silencieuse (représentée par la femme à sa fenêtre).La médiatisation des « mots » est ici prépondérante : ils existent en tant que tous les Françaissavent qui l’a prononcé et en quelles circonstances. Le rôle des médias comporte aussi unrevers de médaille : les critiques du camp adverse n’en sont que plus vives, ayant accès àchaque détail en temps réel et pouvant dénoncer le caractère provocateur et irrespectueuxdu ministre. Plus Nicolas Sarkozy s’expose, plus il doit s’attendre à des attaques frontales.

L’attitude du « héros » est récurrente chez Nicolas Sarkozy, et on peut trouver d’autresexemples lorsqu’il rend compte de son bilan en se félicitant de la baisse du nombre demorts sur les routes ou de la baisse générale de la délinquance en France, alors que leschiffres sont déclarés contestables, de par leur mode de calcul et de part le détail (baissed’un genre de délinquance pour hausse d’un autre genre : le résultat final est en fait mitigé).Mais l’exemple le plus comparable, de part sa médiatisation, est sans doute l’événementde la maternelle de Neuilly, où Nicolas Sarkozy en tant que maire tient personnellement ànégocier avec un forcené qui retient en otage plusieurs enfants. L’issue de la prise d’otageest positive et pour concrétiser sa « victoire argumentaire » face à l’homme armé, le mairede Neuilly sort de la maternelle et se présente aux médias avec une petite fille dans lesbras, en guise de trophée ; encore une fois, il se montre comme le « héros ». A Argenteuil,il défendait la femme persécutée par les « racailles » ; A Neuilly, il a « sauvé » les enfantsd’une mort certaine.

La Sarko-munication:Mots, images et outils pour gagner

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Si on a pu dire que Nicolas Sarkozy présente certaines ressemblances avec JacquesChirac (personnalisation du pouvoir, adaptation de l’esprit partisan au caractère du leader,persévérance, ambition), il va sans dire qu’il est très différent de ses « dauphins » :prenons pour exemple Alain Juppé et Dominique de Villepin. Ces deux diplômés de grandesécoles sont des fidèles de Jacques Chirac de la première heure. Pour lui, ils travaillentdans l’ombre : Dominique de Villepin fait partie du cabinet présidentiel depuis 1995, c’estmême à lui qu’est attribuée la décision de la dissolution de l’Assemblée nationale. Deson côté, Alain Juppé porte la responsabilité de l’affaire des emplois fictifs du RPR, alorsqu’il semble avéré que Jacques Chirac soit davantage réellement en cause. Alain Juppéet Dominique de Villepin ont tous deux été Premier ministre sous Jacques Chirac, posteà haute responsabilité et qui implique sous la Cinquième République et hors période decohabitation, une certaine soumission du numéro un du chef du gouvernement. En effet, lePremier ministre doit exécuter les mesures impopulaires décidées en amont par le chef del’Etat et récolter les mécontentements en aval des personnes concernées par les mesuresen question. Si Nicolas Sarkozy n’a pas l’étoffe d’un Premier ministre, parce que tropambitieux, trop investi par lui-même pour se dévouer aux autres, Jacques Chirac l’a biencompris : en 2002, il ne lui accorde pas le poste et lui préfère un homme plus modeste, Jean-Pierre Raffarin. En 2005, la démarche est la même : il lui préfère le fidèle De Villepin qui necontestera pas ses décisions. Nicolas Sarkozy se voit attribuer un ministère d’importance etest officiellement le numéro deux du gouvernement : Jacques Chirac a compris les enjeuxde ne pas se défaire de celui qui est largement plébiscité par son propre parti. En lui refusantle poste de Premier ministre, Jacques Chirac tente de ne pas reproduire le schéma auquelil avait été confronté auprès de Valéry Giscard d’Estaing: à force de conflit, il ne pouvaitpas mettre en place la politique de son gouvernement sans l’intervention du président, iln’était pas libre de ses choix. Il a donc « bravé » les conventions en présentant sa démissionau Président de la République, alors que la coutume veut que le Président lui-même la luisoumette.

De plus, Alain Juppé et Dominique de Villepin sont des hommes discrets : on connaîtpeu leurs familles, leurs loisirs. Comme on l’a vu précédemment, Nicolas Sarkozy sait joueravec les médias. Ainsi, il a pu mettre en avant sa famille, sa femme, sa passion pour levélo ou la course. Il veut montrer au-delà de l’image de l’homme politique : il veut montrerl’homme. Mais du fait de l’omniprésence des médias, il montre aussi des faiblesses del’homme : ses difficultés conjugales par le biais d’un journal « à sensation », le complexequ’il porte sur sa petite taille lorsqu’il chante la marseillaise lors d’un meeting sur la pointedes pieds, pour paraître presque aussi grand que les conseillers et élus qui l’entourent.

Le personnage Nicolas Sarkozy n’est donc pas un proche du clan Chirac, et ne l’ajamais été. Il est présent du fait de sa popularité auprès des partisans, mais lorsqu’il soumetpubliquement sa candidature à l’élection présidentielle, les chiraquiens l’appréhendentcomme un danger : il ne reçoit pas de soutien immédiat, il semble même que depuisquelques années, on ait tenté de le ralentir. Ainsi, le nom de Nicolas Sarkozy apparaîtindirectement dans les listings truqués de la société Clearstream, en 2004: selon un délateur(le « corbeau »), il aurait disposé de deux comptes dans une banque italienne déguiséssous des noms proches de son identité. Le corbeau sous-entendait dans un courrier queles personnes citées, dont Nicolas Sarkozy, auraient touché des pots-de-vin dans l’affairedes frégates de Taïwan. Nicolas Sarkozy est finalement innocenté, mais on entend quecette opération aurait été montée pour le déstabiliser : aucun personnage de droite ne l’apubliquement soutenu.

Chapitre 1: Des droites au sarkozysme : ruptures et continuités

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Sans accuser qui que ce soit, on peut admettre que le climat interne à l’UMP lesquelques années précédant l’élection présidentielle est plutôt tendu. S’y affrontent lessympathisants de Jacques Chirac et de ses fidèles, et le nouveau personnage montant,craint par le président de la République, mais incontournable. En lui attribuant des postesgouvernementaux, Jacques Chirac a finalement participé au succès de Nicolas Sarkozy.Ce dernier a su être très présent, surpassant de loin les parutions concernant le Premierministre, il a créé son personnage, et a exploité cette rupture. Ainsi, il a tenté d’y résisteren montrant sa force et son potentiel (déplacements médiatiques dans les banlieues, styleparticulier rendant son ministère davantage indépendant) tout en s’effaçant quand celaétait souhaitable (démission en 2004 à son élection à la présidence de l’UMP). Il n’apas cherché la réplique frontale et a préféré laisser les militants de l’UMP s’en charger(le 14 Janvier 2007, lors de son investiture en tant que candidat du parti). Il a opéré unchangement progressif, sans passage en force, sans coup d’Etat. Il a adopté la stratégieinverse de celle de Jacques Chirac : pas de message par média interposé vis-à-vis de sonadversaire, une relative soumission quant à la nature de ses actes, une apparente cohésiongouvernementale mais une réelle rupture idéologique, comme on le verra dans le chapitre2, pour mieux recréer l’union autour de lui.

Pour mieux comprendre la communication politique de Nicolas Sarkozy, et donc sonidentité, il paraît indispensable d’opérer des éventuels rapprochements et comparaisonsavec ses prédécesseurs.

Beaucoup d’hommes politiques de droite ont montré le chemin ou accompagné NicolasSarkozy tout au long de son parcours politique. A travers l’évocation de ce parcours, on avu qu’il n’a pas été tenté par la droite « contre-révolutionnaire » ni par la « nouvelle droiteorléaniste » ou « droite libérale ». Il apparaît donc plutôt dans le vaste « champ » des deGaulle, Pompidou, Chirac, Pasqua, Balladur.

Dans ses ouvrages, ses discours, comme on le verra dans le deuxième chapitre,Nicolas Sarkozy se réclame d’abord l’héritier des valeurs de de Gaulle, ce « héros de laFrance libre » que son grand-père amenait « tous les 11 novembre, (…) à l’Arc de Triomphe(…) pour voir passer le général »24. Il dit aussi admirer ses compagnons de route, « Chaban,(…) Messmer, (…) Malraux, (…) Jean Moulin (…) Achille Peretti »25, figures de la Francelibre, des bases résistances de la nouvelle Cinquième République. Il rend aussi hommageau « général de Gaulle et [à] Georges Pompidou [qui] avaient tant fait pour la nation ».

Dans un second temps, il ne cache pas ne pas être « inscrit sur la liste » des amisde Jacques Chirac ; et il revendique sa « volonté de rester libre », son choix de soutenirEdouard Balladur (« La belle affaire ! Compte tenu de la qualité de l’ancien Premier ministre,je ne vois pas la moindre raison de m’en excuser »), de « ne pas obéir aux instructions »,n’étant pas prêt à « payer le prix de la docilité »26.

Sans avoir encore étudié les « mots » de Nicolas Sarkozy, son champ sémantique, sonutilisation, on peut affirmer une chose : Nicolas Sarkozy se rappelle les valeurs du gaullismeet de l’après-gaullisme pompidolien comme des valeurs dites « universelles ». De la mêmefaçon qu’il fait appel à Jaurès, il ne raisonne pas ici en terme de « clan » politique : avantd’être l’ancêtre de la droite française, du RPR et de l’UMP, partis « néo-gaullisants », ils sontdes symboles de la fondation de la Cinquième République, de la résistance de la France à

24 Ensemble, p 10.25 Ensemble, p 11.26 Témoignage, p 222 à p 224.

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l’ « autre », des acteurs d’un bien-être collectif sans préférence de camp. Comme le généralde Gaulle, Nicolas Sarkozy ne veut pas être un homme politique dans l’ombre d’un autre.Il utilise leur souvenir car leur appartenance au patrimoine est incontestable, mais il ne se« cache » pas derrière leur évocation pour justifier son programme, comme le fait NicolasDupont-Aignan. Il ne dit pas : mon projet est gaulliste, il dit : je me rappelle des valeurs dugaullisme. Comme Jacques Chirac auparavant, il veut créer sa propre identité politique enacceptant les « incontournables » mais en revendiquant une certaine indépendance dansses choix.

Avant de vérifier cette affirmation dans le cadre de la « politique maîtrisée » de NicolasSarkozy, de sa communication de campagne, voici un arbre généalogique retraçant lafiliation politique possible de Nicolas Sarkozy.

Schéma de filiation possible

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy

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Chapitre 2 : Maîtriser le politique : lastratégie de communication de NicolasSarkozy

Le 14 janvier 2007, Nicolas Sarkozy devient le candidat de la droite pour l’électionprésidentielle. S’ouvre alors pour lui une période riche en déplacements, déclarations,rencontres avec les électeurs, réunions de campagne avec ses collaborateurs ; tout ce qu’ilfait, tout ce qu’il dit publiquement est suivi de près par le relais médiatique, il n’a donc pas ledroit à l’erreur. La date du 14 janvier lui donne un nouveau rôle, et il doit créer un nouveaupersonnage pour remplir ce rôle du candidat : c’est le point de départ de diffusion d’unnouveau message, d’une nouvelle image et des outils qui l’accompagnent pour l’amplifierou le préciser. Ces moyens se dissolvent naturellement au soir du 6 mai, lorsqu’est faitel’annonce officielle du nouveau possesseur du fauteuil présidentiel.

Pour gagner, Nicolas Sarkozy doit maîtriser le politique et ainsi créer une dimensionsymbolique de ce qu’il veut représenter : à cet effet, il emploie une myriade d’outils decommunication, qu’ils soit matériels ou humains, pour étudier et peaufiner son personnage(I) ; et, de façon plus individuelle et personnalisée, il affronte les autres candidats dans lecombat qu’est la rhétorique en mettant en scène un imaginaire propre à lui, faisant précéderson énonciation au futur potentiel exercice de son pouvoir (II).

Dans le cadre de la première partie, nous ferons appel à des outils exploitésexclusivement pendant la période où Nicolas Sarkozy est candidat, du 14 janvier 2007 au 6mai 2007. Pour ce qui est de la seconde partie, les thèmes et le langage du candidat, nousnous appuierons essentiellement sur des supports écrits publiés pendant cette période decampagne, mais nous pourrons aussi faire appel à d’autres supports rédigés auparavant27,dans la mesure où ils ont été conçus dans l’optique de l’échéance de 2007.

I Les moyens pour gagner : outils de campagneAujourd’hui, la préparation d’une campagne électorale, a fortiori d’une campagneprésidentielle est le travail d’un « collectif » autour d’un candidat unique. Nicolas Sarkozy estun exemple de la multiplicité des rouages qui se cachent derrière chacun des gestes, desparoles et des déplacements stratégiques d’un candidat : il est soutenu, conseillé, orientépar des professionnels de la politique, de la communication et des médias, et aussi parses partisans, ou encore des appuis de la part de personnalités des mondes artistique etsportif. L’ensemble constitue « l’équipe » Sarkozy, à la manière du nom donné aux groupesde soutien des militants et sympathisants, les « supporters ».

27 Comme l’ouvrage Témoignage, 2006.

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La « machine de guerre électorale »28 de Sarkozy est complexe : elle se compose del’équipe de campagne qui réunit les moyens humains (A) et comprend aussi la gestion desoutils de communication (B).

A L’équipe de campagneSchéma récapitulatif de l’entourage de campagne de Nicolas Sarkozy

L’entourage de campagne de Nicolas Sarkozy est une équipe de professionnels :elle est composée de conseillers, d’amis de longue date, qui sont en général aussi descollaborateurs de quelques années. Le candidat connaît les membres de son équipeindividuellement: à chacune des étapes de sa vie et de sa progression professionnelles, ces« conseillers de l’ombre » l’ont accompagné, suivi, assisté : Nicolas Sarkozy ne crée pas un« cabinet de conseil » de toutes pièces, spécialement pour l’échéance présidentielle, maisréunit des individus qu’il croit capables de travailler ensemble à son profit.

Au sein de l’ « équipe Sarkozy », on distingue trois pôles principaux : le pôle« organisation », le pôle « communication », et enfin le pôle « politique ».

Les trois pôles ne sont pas sectionnés et séparés par une frontière sévère : ils travaillentbien évidemment en étroite collaboration ; la décision du calendrier de campagne, parexemple, relève aussi bien du pôle organisation que du pôle communication.

Le pôle organisation existe d’abord en tant que lieu : le QG de campagne. NicolasSarkozy a choisi son quartier général de campagne dans un quartier plutôt « populaire »

surnommé par ses habitants « la petite Turquie », au cœur du 10e arrondissement de Paris,au 18 rue d’Enghien. Choisir un quartier « populaire » n’est pas anodin : ainsi, il se détachede l’image des locaux dont bénéficient traditionnellement les hommes politiques comme leshôtels réservés aux ministres ou même un président de la République à l’Elysée (Notonsle décalage : jusqu’à la fin du mois de mars, Nicolas Sarkozy est à la fois un habitant duquartier de « la petite Turquie » et de son hôtel du ministère de l’Intérieur, place Beauvau).

Si l’environnement extérieur est très populaire, l’aménagement de l’intérieur du QG n’enest pas moins « impérial » : après l’accueil, deux escaliers symétriques se séparent autourd’une photo sobre, mais très imposante du candidat, de part sa dimension:

Officiellement, le QG de campagne de Nicolas Sarkozy se veut être non pas seulementun lieu de travail pur et simple, mais un lieu d’accueil et de rencontres : au premier étage, unespace « salon » est aménagé, où chacun peut accéder, s’installer et bénéficier du Wifi mis àdisposition. Pour illustrer cette volonté de faire de cet espace un lieu ouvert et d’échange, onpeut prendre pour exemple la réunion hebdomadaire du mardi soir, la soirée « blog-pizza »,

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

où les responsables des sites internet (site officiel, site du club des supporters, sitedu bloggeur Loïc Le Meur) décident avec le public présent des thèmes à aborder dans lesprochains jours sur ces supports technologiques, dans une ambiance décontractée : pasde petits-fours, pas de champagne mis à disposition.

Le paradoxe est saisissant : la soirée « blog-pizza » se déroule à quelques mètresdu bureau de Nicolas Sarkozy ou de celui de Claude Guéant, son directeur de campagne,

28 Terme du journal Libération, édition du 14 janvier 2007.

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy

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où sont prises les décisions capitales de la campagne : on peut y percevoir une certainevolonté de dédramatiser, et de ne pas mettre en place une frontière trop imperméable entrel’action des cadres de la campagne et le soutien du public. La frontière existe pourtant : lessecond et troisième étages, réservés aux bureaux des conseillers de Nicolas Sarkozy, sontinaccessibles au public.

Si le lieu populaire et les symboles d’accueil, de proximité ont été choisis, une visite surplace change la donne : pour des questions de sécurité, des forces de police et des CRS sontmobilisés autour du bâtiment. Assurément, cette présence ne privilégie pas le sentiment deproximité avec les habitants du quartiers : le principe est d’éviter tout débordement au seindu quartier général de campagne, qui transformerait le 18 rue d’Enghien aux yeux de tousles Français, par le relais des médias, en un lieu de conflit et de contestation anti-Sarkozy.

Mais le QG de Nicolas Sarkozy est surtout l’ensemble des hommes et des femmesqui y ont une place : l’homme-clé de la campagne est son directeur, Claude Guéant. Celui-ci est un fidèle de Nicolas Sarkozy, rencontré à l’ « époque de Neuilly », lorsque ClaudeGuéant travaillait avec Charles Pasqua. Dans les différents cabinets ministériels du candidatSarkozy, Claude Guéant a eu une place de conseiller privilégié : il l’a soutenu en tant quedirecteur de cabinet, au ministère des Finances et de l’Intérieur.

Dans le cadre de la campagne présidentielle, Claude Guéant doit posséder des qualitéscontradictoires : il se doit de savoir aussi bien commander que discuter, d’être à la fois unchef de guerre et un diplomate. De plus, il travaille sans filet : son entourage professionnelest un groupe qui s’engage dans la campagne de communication à court terme, qui a étéréuni depuis peu de temps et rien de garantit qu’il se reformera. C’est ce qui distinguel’équipe de campagne à proprement parler de l’entourage des conseillers directs de NicolasSarkozy, classé ci-après dans le « pôle politique ». Il ne faut cependant pas être tropcatégorique dans le fait que l’équipe de campagne est provisoire et non-préalable, dans lesens où le candidat ne s’entoure jamais de parfaits inconnus (sauf dans le cas des acteursspécialisés, comme dans le pôle communication par exemple).

Nicolas Sarkozy a choisi Claude Guéant lui-même : il fait partie de son entourageproche. Le directeur de campagne est appelé à travailler directement avec le candidat, et ilbénéficie dans ce cadre d’une large délégation de pouvoirs : en effet, pendant le temps dela campagne, l’agenda « géographique » de Nicolas Sarkozy est chargé, il se rend chaquejour ou presque dans une nouvelle région29. Lorsqu’il est en déplacement, son organisme decampagne a besoin d’être dirigé, et ne peut attendre son retour pour tout prise de décision.

Claude Guéant est donc une des rares personnes à disposer d’un droit d’accès direct etimmédiat avec Nicolas Sarkozy, pendant le temps de la campagne. C’est lui qui est amenéà coordonner toutes ses activités, et à les adapter en cas de changement majeur.

Au sein du pôle organisation, Claude Guéant compte lui aussi des assistants, parmilesquels Jérôme Peyrat, directeur général de l’UMP chargé de gérer les moyens, lepersonnel et l’organisation concrète du QG de campagne ; Eric Woerth en charge de latrésorerie ; Frédéric Le Lefebvre, conseiller chargé du Parlement ; ou encore David Martinonet Laurent Solly, chefs de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur. Tous desanciens conseillers présents au ministère ou au sein du parti de l’UMP, ils décident avec lecandidat et le directeur de son agenda, de ses missions et de ses actions, et des thèmesde campagne à aborder, de l’organisation concrète générale de la campagne.

Comme pour le pôle organisation, les acteurs du pôle communication sont desspécialistes en leur domaine. Leur rôle est d’assurer les relations avec la presse, de leur

29 Voir en annexes l’agenda de campagne.

La Sarko-munication:Mots, images et outils pour gagner

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assurer de la matière à relayer, de faire connaître et de hiérarchiser les objectifs du candidataux yeux du public. Car ici, on peut parler des citoyens, futurs électeurs, en tant que public :la campagne est une vaste publicité, où le but est d’inciter le consommateur à acheterle produit, le produit étant en l’occurrence le candidat. Le moyen pour le citoyen de sel’approprier comme on achèterait un produit de grande consommation est de voter pourlui. La place croissante qu’occupe la communication politique depuis les années 1970 auxEtats-Unis quelques années plus tard en France a transformé le choix électoral en réelproblème de conscience, davantage qu’une attitude traditionnelle ou de mimétisme de vote :auparavant, le processus s’apparentait davantage à : « j’ai l’habitude de voter pour MonsieurX. qui est du parti de Y, je réitère mon vote », ou « Monsieur Z. que je connais et quej’apprécie votera pour Monsieur X., je voterai donc pour Monsieur X. ». La sollicitationcroissante de la communication politique pousse à une certaine remise en question de lapart du citoyen votant, et à une responsabilisation de son choix. Mais la communicationpolitique n’est pas que de l’information politique envers lui : rien n’est laissé aux mainsdu hasard. L’équipe de campagne choisit les lieux, les mots, les personnages, les datesd’intervention, les supports matériels. La communication est un art de la théâtralisationdu politique, dans le but de convaincre l’électeur indécis ou déjà convaincu par un autrecandidat.

Le 14 janvier, Nicolas Sarkozy possède déjà une identité propre : il a uneexistence médiatique forte depuis son retour au gouvernement, en 2002. Son équipe decommunication doit cependant façonner son personnage, gommer ses éventuels défauts etchoisir des axes stratégiques pour le choix de son personnage pour le rendre plus attractif.Elle doit presque caricaturer son identité publique pour qu’elle apparaisse plus simple etplus facilement appréhendable pour l’électeur.

L’équipe de communication est composée d’un noyau dur de trois personnes :Cécilia Sarkozy, sans titre officiel mais dont on sait qu’elle coordonne l’ensemble de lacommunication et de l’image de son mari, occupe une place de choix au QG de campagneau même plan que le directeur de campagne Claude Guéant. A ses côtés, elle a imposé lepublicitaire François de la Brosse : le patron du groupe de communication ZNZ a lancé le sitesarkozy.fr, plateforme générale de la campagne et la chaîne de télévision numérique NSTV30

(Il est également chargé des objets estampillés et crée le matériel de campagne, commeles affiches et les slogans). Le pôle communication compte aussi Franck Louvier, un prochecollaborateur de Nicolas Sarkozy depuis 1997 : ancien chef de cabinet de la mairie de Neuillypuis conseiller dans les ministères du candidat, il est directeur de la communication de l’UMPdepuis 2004. Dans le cadre de la campagne, il est chargé des relations avec la presse. D’unpoint de vue plus spécifique, le célèbre bloggeur Loïc Le Meur, directeur général européende Six Apart31 coordonne la « blogosphère », gère les forums et anime les débats du sitesarkozy.fr. Il reste bien sûr constamment en contact avec le reste de l’équipe et notammentCécilia Sarkozy pour assurer un suivi cohérent du contenu des blogs.

Le pôle politique de l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy comprend ses porte-parole, qui interviennent en son nom, ses conseillers qui l’assistent dans l’ombre sur desthèmes politiques délicats, et les élus qui le soutiennent symboliquement, qu’ils soient desfidèles de toujours ou des ralliés de la dernière heure.

Le rôle des porte-parole de Nicolas Sarkozy est délicat : ils sont un « double » ducandidat, pour effectuer le relais avec les médias. Le candidat, très sollicité dans le cadre de

30 Prononcer NS TiVi.31 Groupe leader mondial des logiciels de webblogs.

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy

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la campagne présidentielle, sélectionne et hiérarchise en général ses demandes d’interviewpar un critère de degré de visibilité médiatique : il répond à une invitation au journaltélévisé de TF1 mais laisse son porte-parole se déplacer pour une intervention de moindreimportance, sur une chaîne locale par exemple. Ils se situent donc à mi-chemin entre le pôlecommunication et le pôle politique, assurant une diffusion massive du message de NicolasSarkozy. La difficulté d’un tel relais est d’expliciter sans pour autant trahir et anticiper surla stratégie ; elle est de savoir quels mots employer et parfois savoir se taire sur un sujetprécis ; elle est finalement d’être un prolongement fidèle, et de savoir rester dans le rang.Rachida Dati, conseillère à l’Intérieur et Xavier Bertrand, ministre de la Santé ont été choisiscomme porte-parole pour traiter des thématiques générales.

Pour une meilleure répartition des rôles et peut-être même des dires, Nicolas Sarkozydispose de porte-parole thématiques : ainsi pour l’environnement, pour la sécurité, pourl’international, il nomme ceux qu’il pense le plus aptes à défendre le thème en question :l’avocat Arno Klarsfeld est par exemple choisi pour émettre des jugements sur les questionsde droit.

Le candidat compte ensuite un grand nombre de conseillers politiques : parmi euxFrançois Fillon, ancien ministre chiraquien, Brice Hortefeux, ami de trente ans et ministredélégué, Roger Karoutchi, secrétaire national de l’UMP (également chargé d’animer lesmeetings) : régulièrement, en cellule réduite, ils se rassemblent, analysent la campagne ducandidat Sarkozy et celle de ses adversaires. Ils sont assistés d’Emmanuelle Mignon et deCédric Goubet, chargés de rédiger les réponses aux attaques et les argumentaires.

Parmi les conseillers politiques, ceux dont le statut est hybride : ils sont aussi desélus, comme les députés Nadine Morano, Pierre Méhaignerie, Valérie Pécresse. Ils sonten mesure de « traduire » le discours du candidat auprès des élus locaux, et rendent lecontact avec le candidat accessible. Le député s’approprie le discours du candidat, il lelégitime auprès de son électorat de circonscription et assure la transmission d’un messageplus direct et plus adapté aux problèmes locaux.

Nicolas Sarkozy est soutenu par une grande partie de la droite : on distingue leshommes et femmes politiques « fidèles » et de longue date comme Patrick Devedjan,Roselyne Bachelot, qui sont le gage d’un projet qui tient la route, qui ne sort pas de l’inconnuet qui permettent une inscription des bases du projet dans le temps long. On compte aussiles élus « ralliés », autrefois chiraquistes ou séguinistes comme Alain Juppé, PhilippeDouste-Blazy, Jean-Pierre Raffarin, Michèle Alliot-Marie. Ils accordent au projet de NicolasSarkozy une légitimité supplémentaire. L’union de la droite est un gage de pertinence et deconfiance pour le message du candidat.

Le ralliement de certains candidat a une portée symbolique forte : André Santini,élu sous l’étiquette UDF, se rallie pendant la campagne à Nicolas Sarkozy. Il opposeune résistance à François Bayrou qui renie ses origines de droite et qui fait campagne« au centre ». De la même façon, le député Eric Besson, ancien proche collaborateur deSégolène Royal et ayant débuté la campagne à ses côtés, se rapproche de Nicolas Sarkozyet dévalorise publiquement, lors des meetings, le projet qu’il a autrefois porté au nom deson ancienne candidate. André Santini et Eric Besson exécutent un acte politique fort : ilsdésavouent leurs anciennes « croyances », comme si Nicolas Sarkozy leur avait « ouvertles yeux ». Ils sont montrés par l’UMP comme un exemple à suivre, comme preuve qu’onpeut faire « le bon choix », même en étant issu d’une autre famille politique. Le débat peutaussi être posé inversement : les deux élus peuvent rallier Nicolas Sarkozy par défaut oupar vengeance, davantage pour montrer leur désaccord et pour sceller leur conflit avec leurancien leader que par sincère conviction politique. Dans les deux cas, l’acte de ralliement

La Sarko-munication:Mots, images et outils pour gagner

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est mis à profit par le candidat de l’UMP, qui y voit une aubaine pour décrédibiliser sesadversaires. Pour cela, la droite s’est chargée de transformer le statut d’André Santini et deEric Besson de la figure du « traître » à celui de « converti remis dans le droit chemin ».

La situation réciproque s’est présentée : Azouz Begag a « craqué » après la déclarationdu « Kärcher » : il a claqué la porte de son bureau de délégué à l’égalité des chancesau sein du gouvernement UMP et a rejoint la candidature UDF de François Bayrou ; cedésaveu aurait pu faire beaucoup de dégâts, après les déclarations de Azouz Begag sur lapersonnalité « difficile » de l’ancien ministre de l’Intérieur. Sans suite faite par l’UMP, AzouzBegag est sorti par la petite porte et n’a pas joué le trublion de la campagne de NicolasSarkozy, malgré le capital sympathie dont il peut bénéficier.

D’autres ralliements significatifs sont ceux de Simone Veil et de Valéry Giscardd’Estaing. Tous deux sont des « cadres » de la vie politique française des années 1970,qui ont marqué les esprits : l’une est une femme surtout connue pour son discours pour ledroit à l’IVG au milieu d’une assemblée nationale remplie d’hommes, ancienne déportée,investie dans les combats pour les droits de l’Homme ; l’autre est un ancien président dela République bénéficiant d’un capital de sympathie certain, actif à l’échelle locale, dans sarégion, et européenne, au sein des institutions de l’Union. En plus de la portée symboliqueforte de leur soutien, ils sont issus du mouvement dont François Bayrou est aujourd’huil’héritier. C’est pourtant envers Nicolas Sarkozy qu’ils ont adressé leur soutien : Simone Veila assisté à plusieurs meetings et Valéry Giscard d’Estaing a accueilli le candidat de l’UMPdans son fief, en Auvergne, « comme un ami ». Si le soutien n’est pas « total »32, le simplerapprochement semble suffisant pour Nicolas Sarkozy. Sans être leur héritier, il illustre ànouveau grâce à eux sa stratégie de rassemblement.

Lors du meeting lyonnais du 5 avril 2007, Nicolas Sarkozy apparaît avec un dessoutiens qui lui tient probablement le plus à cœur : Madame Chirac. Elle ne parle pas, maiselle est présente à ses côtés, souriant, lui faisant des signes de tête lorsqu’il s’adresse à elledans le cadre de son discours, lorsqu’il rend hommage à sa présence. Madame Chirac n’estpas Jacques Chirac, mais son appui est le signe de l’abandon de la lutte de la « Chiraquie ».Il est sûr qu’elle n’aurait pas fait le voyage sans l’accord de son mari : cependant, elle neparle pas ; elle ne dit pas un mot sur Nicolas Sarkozy : elle est une image, comme un« trophée à son tableau de chasse ». On ne connaît pas l’intensité de son soutien, maispeu importe au candidat de l’UMP : à lui d’interpréter la signification de sa présence dansson discours. Le dernier maillon de la chaîne physiquement retrouvé, il doit maintenant leressouder par le biais des mots.

En tant que professionnel de la politique, Nicolas Sarkozy s’est entouré de« professionnels de campagne », chacun spécialisé dans un domaine stratégique :organisation générale, communication, porte-parole, symbole de l’unité de l’UMP autour deson candidat. Tous sont des hommes politiques ou des professionnels spécialisés, et en tantque tels, apparaissent comme des soutiens et des assistants légitimes. Ils sont présentspour travailler pour lui et pour rendre sa campagne productive en termes de voix, maissont aussi le signe, pour les uns, d’une équipe forte, fiable, cohérente et pertinente ; etpour les autres, d’un instrument de propagande professionnel, d’une véritable « machinede guerre »33 électorale, dont le but est d’aseptiser le débat et d’endormir les citoyens avecdes flots de mots et d’images.

32 Simone Veil n’approuve pas les propos de Nicolas Sarkozy concernant la création d’un ministère de l’Immigration et del’Identité nationale.

33 Terme du journal Libération, édition du 14 janvier 2007.

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy

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Dans tous les cas, Nicolas Sarkozy n’est pas seul : s’il est la « source » de sacandidature, en tant qu’il a décidé de se présenter et qu’il possède sa personnalité propre,ses convictions propres, et les professionnels à son service « alimentent cette source » enpermanence. Ils travaillent ensemble sur un programme, sur des mots mais au final, NicolasSarkozy endosse seul le « personnage » qui est ainsi « créé ». Il est la représentationphysique de la politique réfléchie et mise en scène, de cette « politique maîtrisée » issuedirectement des bureaux du QG de campagne.

Pour asseoir davantage cette « communication maîtrisée » dans le collectif, il fait appelà des soutiens moins « professionnels » que son équipe : les « people » et les militants.

Depuis de début de sa carrière politique, Nicolas Sarkozy a constitué un réseaude relations très conséquent : vieilles amitiés politiques, rapprochements stratégiquesintéressés, calculés ou spontanés, anciens collaborateurs…il ne néglige personne. Soncarnet d’adresses est très hétéroclite : il comprend aussi bien des noms de l’ « annuaire »politique, économique, que des médias, et du « show biz ».

Parmi les influences patronales et médiatiques, les amis proches de Nicolas Sarkozysont par exemple Bernard Arnault (LVMH), Martin Bouygues, patron du groupe Bouygues-TF1, Arnaud Lagardère, patron de Lagardère Médias ou Alain Minc, président du conseilde surveillance du Monde. En plus de compter ces hommes comme des amis, ces relationspermettent à Nicolas Sarkozy d’exercer une certaine influence (ou inversement, de subirune certaine influence) envers un interlocuteur-patron ou envers un journal. Comme nousverrons dans le chapitre 3, le journal Libération dénonce ces amitiés, permettant aux patronsde faire-valoir leurs intérêts au détriment des syndicats et permettant à Nicolas Sarkozyd’exercer un pouvoir envers des médias, et d’exiger le « limogeage » des responsables de« fuites » ou d’articles à caractère « indiscret », comme la une de Paris Match sur l’escapadeaméricaine de Cécilia Sarkozy.

Nicolas Sarkozy compte aussi des amitiés politiques internationales : notamment cellesde Mariano Rajoy, leader du Partido Popular, la droite espagnole ; ou Silvio Berlusconi,leader de Forza Italia, la droite italienne. En se rapprochant d’eux, le président de l’UMPs’identifie à eux ; il veut leur ressembler, incarner la droite forte au sein de son pays, faire-valoir les intérêts nationaux, les valeurs de la France. En les reconnaissant, il accepte leursparticularités propres et leur demande en retour de respecter la France et d’honorer ladroite française, comme une « solidarité internationale des droites » contre l’adversité, enl’occurrence la gauche. Ces amitiés internationales peuvent alors inquiéter, si l’on comprendque Nicolas Sarkozy ambitionne, en soutenant les droites espagnole et italienne, de créerune « ligue anti-socialiste ». Mais ce soutien est surtout une preuve de la capacité sarkozysteà prendre du recul et à considérer l’ « autre », au-delà des frontières françaises. Il veutmontrer qu’il a une envergure internationale.

Enfin, dans une catégorie moins « sérieuse », Nicolas Sarkozy compte de nombreusesamitiés dans le milieu de ceux qu’on appelle les « people ». Parmi eux, les chanteurs commeJohnny Hallyday et Michel Sardou, font partie de l’imaginaire collectif de la France. Ils sontprésents dans le paysage musical français, représentent la culture de la chanson française.Chaque chanson de leur répertoire évoque pour chacun un segment de sa propre vie, etpour autant tous sont capables de la chanter à l’unisson. Ils sont un symbole de la France« populaire », simple, et réunissent des Français de tous bords, à la manière de l’ambitionde rassemblement de Nicolas Sarkozy.

Le candidat de l’UMP se rapproche aussi des chanteurs qui s’adressent à la jeunegénération, comme Doc Gynéco ou Faudel ; même si le rappeur a davantage desservi

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que soutenu l’image de Nicolas Sarkozy en comparaison avec le « petit prince du raï »,de part son « attitude négligée » et ses propos « flous », ils sont tous les deux « issus del’immigration », ils ont grandi en banlieue et sont un moyen d’atteindre et de convaincre lajeunesse qui craint le candidat. Ils sont pour Nicolas Sarkozy un moyen de montrer qu’iln’est pas raciste, qu’il n’est pas contre la culture des jeunes et qu’il croit en la progressionde l’ « échelle sociale », et au « mérite34 ».

Les acteurs français sont aussi un vivier de soutiens de Nicolas Sarkozy : parmi eux,Christian Clavier, Marie-Anne Chazel, Jean Réno, Gérard Depardieu, Fabrice Lucchini. Ilsreprésentent chacun une « certaine » idée de la France. Fabrice Lucchini est la Francealtruiste et cultivée, son patrimoine culturel ; Christian Clavier, Marie-Anne Chazel sontles comédiens dits « populaires » ; Jean Reno, Gérard Depardieu sont les stars « à laFrançaise » présentes dans les grosses productions américaines, qui exportent le talentfrançais à l’international et assurent ainsi un rayonnement de la culture Française. Lecandidat UMP soutient ainsi toutes les formes d’art, de l’acteur de téléfilm au comédien dethéâtre, adoptant la stratégie du : « chacun son goût », respectant le goût de l’ « autre »,sans « distinction35 ».

Aussi, on voit à ses côtés, lors de meetings (qu’ils prennent la parole ou non), dessportifs ou anciens sportifs français comme Henri Leconte, Fabrice Santoro, Cédric Pioline,Daniel Bravo, Luis Fernandez… certains ont plus de poids symbolique que d’autres : BasileBoli intervient à Marseille en tant que « héros » du football marseillais ; Bernard Laporteentraîne (dans les deux sens du terme) le rugby français à résister aux autres équipesnationales ; Paul Le Guen, ancien entraîneur de l’Olympique Lyonnais, représente le morald’acier d’une équipe qui gagne. Ces personnalités représentent son goût pour l’effort et pourle sport (Nicolas Sarkozy avoue porter une passion pour le vélo, mais son emploi du tempsne lui permet que de faire de la course à pied), et il espère ainsi mettre en avant un caractèrede battant et de combattant. Notons qu’il prend soin de ne pas cantonner ses amis à unseul milieu : il brasse plusieurs catégories en associant des relations dans le monde dutennis, dans le monde du football et dans le monde du rugby. De la même façon que pourles différents types d’acteurs, il n’accorde aucun jugement de valeur pour un sport ou unautre. Comme s’il voulait s’associer aux valeurs universelles du sport, et mettre les goûtsde tous les Français au même niveau.

Une preuve supplémentaire qu’apporte Nicolas Sarkozy sur le fait qu’il ne bannit aucuneforme de culture est sa proximité avec certaines personnalités de la télévision, médiapopulaire par excellence. La télévision est présente dans la grande majorité des foyersfrançais, et des présentateurs comme Michel Drucker, Jacques Chancel ou Pascal Sevranfont pour certains partie du quotidien, presque comme des proches de la famille.

Pour préserver son idée de la « culture de l’excellence » (voir en IIB), Nicolas Sarkozyse dit « passionné d’histoire » et apprécie le soutien d’écrivains, historiens, philosophescomme Pascal Bruckner, Maurice Druon, Max Gallo, André Glucksmann, Marc Weizmann.

Enfin, pour le côté « paillettes », on n’oublie pas son amitié avec l’acteur Tom Cruise,qu’il a reçu lorsqu’il était ministre à Bercy ; amitié qu’il ne renie pas, malgré le penchantscientologue de l’américain. Ce dernier représente l’admiration de Nicolas Sarkozy pourl’outre-atlantique, pour la « grandeur » et la « puissance » des Etats-Unis, pour luiapparemment un « modèle ».

34 Voir dans le chapitre 2, les thèmes de campagne.35 Pierre Bourdieu, La Distinction.

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy

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Avant le 14 janvier 2007, Nicolas Sarkozy « n »’était « que » le président de l’UMP.Désigné candidat par les militants avec un score de plus de 98%, il est incontestable de direque Nicolas Sarkozy est populaire auprès des adhérents de l’UMP et que, dans le cadrede la campagne, les adhérents actifs de l’UMP obtiennent la première position en terme denombre des soutiens.

Etre adhérent UMP, c’est d’abord faire une démarche personnelle à travers le gested’adhésion : pour aider le candidat, pour apporter une pierre à l’ « édifice UMP », on donneun peu de son argent. Cette « taxe » donne le droit d’accès à la carte UMP : le possesseurde cette carte y voit associés son nom et le sigle « UMP ». En soi, cette carte ne sert àrien, puisque l’UMP possède des bases de données de ses adhérents. Elle permet uneidentification aux yeux des autres et crée un sentiment d’appartenance à une entité à part,qui distingue de l’ « autre ». Après la carte, l’adhérent reçoit des journaux réguliers, desinvitations aux meetings, aux réunions publiques dans sa région : on l’incite à devenir unmilitant, à agir réellement, dans les faits. L’action marque une étape supplémentaire, unengagement et un don de soi. C’est cette action qui apporte un bénéfice important pourle parti : le militant déploie ses forces pour convaincre sans que cela comporte de coûtsupplémentaire pour le collectif.

L’UMP incite ses adhérents à se déplacer aux réunions publiques : elles sont l’occasionde réunir les militants et de créer un sentiment d’appartenance, un renforcement de laconviction politique par l’enthousiasme du mouvement collectif ; elles permettent de prouverà l’ « autre » que l’UMP existe, car un tel rassemblement n’existe que dans l’opposition àl’altérité ; l’espace du meeting permet enfin de confronter celui qui parle à celui qui écoute,et de mettre en scène dans un même espace les deux parties du miroir.

Pour une rencontre « réussie », Nicolas Sarkozy emploie les grands moyens : degrandes salles (de concert, d’exposition) dans des villes importantes ; une immense tribune,avec en fond le paysage de campagne et le slogan « Ensemble, tout devient possible » ;un relais sur plusieurs grands écrans de la prestation de l’orateur, accompagnée d’unetraduction en langage des signes. L’espace du public est agencé : les personnalités sontsituées au premier rang, et le premier quart avant de la salle est réservé à des personnalitéslocales « invitées ». A l’arrière de la salle, encadrant de part et d’autre l’espace de latribune et des personnalités invitées, les adhérents de l’UMP ou sympathisants se placentselon leur arrivée, se regroupent selon leur appartenance ou non à une fédération (locale,ou groupe de jeunes, d’étudiants, etc). La mise en place physique des soutiens est trèshiérarchisée : le candidat, en hauteur, domine la salle et mais n’aperçoit que les premiersrangs ; les adhérents « traditionnels », en fond de salle, se contentent de regarder l’écran.Quelques jours avant le meeting, les adhérents sont informés par courrier, par mail ;les militants locaux relaient l’information dans la rue, dans les universités, à l’aide detracts ou d’affiches. Sur place, quelques minutes avant l’intervention « tant attendue » ducandidat, la publicité continue : des proches de Nicolas Sarkozy l’introduisent ; trois ouquatre intervenants, anciens ministres, soutiens sportifs, personnalités locales élues…etdont l’objectif est d’enthousiasmer la salle. Enfin, le moment de l’entrée en scène arrive,ponctuée de la musique de campagne (propriété de l’UMP, composée spécialement pourla campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy) qui accompagne tous les grands momentsde la campagne de Nicolas Sarkozy en créant un « Leitmotiv »: lors de son intronisation, àchaque début et fin de meeting, dans les spots officiels, lors de ses déclarations au soir du 6mai. Le candidat a besoin de quelques minutes pour atteindre la scène, arrivant en généraldu côté du public et saluant au passage ses collaborateurs et soutiens, parfois traversantsimplement la scène. Après le discours, ponctué d’accroches à la salle qui ne manque

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jamais de réagir, la « Marseillaise » est entonnée par Nicolas Sarkozy et ses proches quil’ont rejoint sur la scène, puis il quitte la salle à nouveau sur fond de musique de campagne.Un adhérent qui assiste à un meeting en sort (dans la grande majorité des cas) renforcédans son choix de vote : il a vu et entendu son candidat, mais surtout il a « communié »son opinion avec celle des autres adhérents. La rencontre de l’individu et du collectif permetune persuasion facilitée. C’est ce processus que recherche Yves Jégo et son concept des« équipes de supporteurs ».

Car Nicolas Sarkozy ne se contente pas de se « prêcher des convaincus » que sont lesadhérents. Il invite tout les Français à ses meetings, mais la grande majorité qui se déplacefait partie de l’UMP ou est déjà convaincue de son vote. On ne va pas à un meeting pourécouter le programme du candidat, mais pour participer à l’ambiance, à la ferveur de lacampagne présidentielle. Nicolas Sarkozy (et derrière lui bien évidemment son équipe destratégie de communication) lance donc, sous la direction de Yves Jégo, les « supporters »de Nicolas Sarkozy. Le principe suit celui du « buzz » ou plus communément appelé lebouche-à-oreille : un internaute (1) fait connaître à son réseau, à son « clan » un lien, uneimage, un son qu’il a apprécié, qui l’a fait rire ou qui l’a révolté. A son tour, chaque personnedu réseau de l’internaute (1) choisit ou non de transférer l’information à sa propre « tribu ».La somme de ces transmissions s’apparente à une épidémie de l’information, à la manièrede la propagation d’un virus. Aujourd’hui, la publicité et la communication s’emparent dece phénomène pour faire parler d’un produit, d’un service. Le principe des « supporters deNicolas Sarkozy » suit cette logique. Les supporters sont regroupés en « équipes » de cinqpersonnes au moins, qu’un « chef d’équipe » doit recruter dans un délai d’un mois au plus.Les nouveaux « supporters » recrutés font partie du « réseau » propre au « chef d’équipe » :ils se retrouvent lors de réunions régulières, pour parler politique, proposer des idées auxautres équipes pour rassembler le plus grand nombre de « supporters ». Au final, l’intérêtn’est pas tant le débat idéologique que l’objectif de persuader un maximum d’électeursde voter pour Nicolas Sarkozy et de s’investir dans la vie politique de l’UMP. Il n’est pasnécessaire d’être adhérent à l’UMP pour être un « supporter de Nicolas Sarkozy » : par cebiais, le candidat essaie de rapprocher ceux qui se sentent proches de la droite sans jamaisavoir osé prendre leur carte, et de créer un sentiment d’appartenance collective à sa cause.Le « groupe des supporters » est en lui-même une distinction, une entité dont l’identité,l’objectif et le slogan sont bien définis : il rassemble des sympathisants de Nicolas Sarkozypour grossir les rangs de ses soutiens, derrière la campagne « Ensemble, tout devientpossible ». Pour s’identifier davantage, les « supporters de Nicolas Sarkozy » possèdent unlogo-blason, comme s’ils soutenaient un club de football :

Nicolas Sarkozy ne fait pas campagne seul. Il compte derrière lui un staff qui organise,qui réfléchit ; des soutiens politiques qui le représentent, qui l’assistent, qui le conseillentet le rendent plus fort en désavouant leur ancien parti ; des soutiens de personnalités quile rendent

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

plus attrayant en couvrant la politique de paillettes tout en dévoilant les intérêts dela vie d’homme de Nicolas Sarkozy (goût pour le sport, pour la culture) ; enfin, le soutienmassif des adhérents, sympathisants de l’UMP et de sa propre personne qui effectuent untravail de persuasion qui n’a pas de prix. Sur le modèle de son slogan « Ensemble.. »,Nicolas Sarkozy s’attache à recréer une unité collective à chacun de ces niveaux : unitéau QG de campagne, unité au sein de la droite et de ses soutiens, et unité au sein desgroupes de militants et des sympathisants. Il pense que « réunir » est la meilleure stratégie

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de communication pour convaincre davantage d’électeurs. Dans cette optique, il fait appelà des outils de communication qui mettent en contact, qui rassemblent.

B Les outils pour rassemblerSur le modèle d’une « communication à l’américaine », la campagne électorale de 2007applique la méthode de la multiplicité des supports pour augmenter les chances d’être vu.Elle se décompose en des sites internet (site de la campagne, site de l’UMP, site du club dessupporters, site des femmes de l’UMP, etc), des mails ou des SMS quotidiens envoyés à tousceux qui laissent leur adresse ou leur numéro de téléphone sur une page « barrage » au siteofficiel de campagne, des tracts, des affiches, des actions de communication (croissants,menthe à l’eau bleue offerts au nom de l’UMP, jogging UMP, pique-nique UMP), des produitsdérivés (sac, tee-shirt, stylo « Ensemble, tout devient possible »)… il serait improductif etlong de décrire tous les outils de la communication présidentielle de Nicolas Sarkozy. Nousallons donc nous concentrer sur l’utilisation des « nouveaux » outils de communication etdes techniques choisies pour rassembler des sympathisants autour du candidat (1). Puisnous verrons que, si les moyens employés sont toujours plus grands, le candidat Sarkozya opéré un travail sur son image pour paraître toujours plus proche (2).

Comme on a pu le voir dans le paragraphe sur l’équipe de campagne de NicolasSarkozy, on observe une mutation des formes de soutien du candidat : ceux qui étaientconsidérés comme des traîtres du point de vue de leur ancien « clan », sont accueillis àbras ouverts par l’UMP et le « converti » est rapidement assimilé à un membre du nouveaugroupe. Eric Besson ne s’est pas contenté de claquer la porte du PS, il s’est rapproché deNicolas Sarkozy. Après la publication d’un livre orienté vers Ségolène Royal et les méthodesde travail de la gauche, Nicolas Sarkozy a invité Eric Besson sur la scène de l’un de sesmeetings. Le but d’une telle « nouvelle amitié » n’est pas seulement de donner l’imaged’une droite « rassemblée » et « ouverte ». Eric Besson est en fait un outil symbolique pourdiscréditer la gauche et exploiter ses erreurs grâce à la connaissance du milieu du « traître ».

Lors des meetings, Nicolas Sarkozy ne donne pas la parole qu’à des hommespolitiques : il appelle au pupitre Basile Boli à Marseille, Faudel au meeting des jeunes àParis. L’UMP adopte ainsi une stratégie des « grands électeurs » : le candidat met en scèneceux qu’il présente comme ses amis et tente de convertir le public et les admirateurs deces vedettes en voix. Ils sont un gage de confiance symbolique supplémentaire pour desélecteurs en mal de choix.

Loin du show-biz et des paillettes, le recours aux forces militantes a aussi changé : onleur demande toujours de coller des affiches et de tracter dans les marchés, mais on leurdemande surtout d’effectuer un travail de persuasion permanent. Comme on l’a vu pour les« supporters » de Nicolas Sarkozy, n’importe qui peut devenir membre d’une équipe, oucréer sa propre équipe. Il y a peu de conditions à respecter : pour se réclamer « supporter »,il suffit d’inscrire son nom sur le site internet. Les supporters sont connus, inscrits dans lesbases de données : ainsi, l’UMP peut estimer le nombre de ses soutiens « réels », et cela luidonne une assise de popularité supplémentaire, loin de la contestation des sondages. Carau-delà du message, c’est surtout le nombre qui compte : un « supporter » peut s’inscriredans plusieurs équipes, peut être à la fois chef d’équipe et membre d’une équipe…le partiveut des noms, des adresses électroniques et si possible des adresses réelles ; c’est lastratégie de la « base de données ». Pendant la campagne, lorsqu’on veut accéder à unsite officiel de l’UMP, un message de Nicolas Sarkozy nous parvient : « Soutenez NicolasSarkozy en envoyant par SMS : Nicolas au 31 767, et la mention : votre numéro sera

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conservé dans notre base de données et pourra être réutilisé » ; ou un encart nous inviteà donner notre nom et nos coordonnées, gratuitement cette fois. Les bases de donnéessont de véritables richesses pour les partis : quand ils possèdent des noms, l’informationest relayée à moindre coût et rapidement, sans intermédiaire.

La campagne présidentielle 2007 est aussi la campagne d’internet. Tous les candidats,Nicolas Sarkozy en tête, se sont dotés d’un pôle spécifique dédié aux nouvellestechnologies ; le candidat de la droite a confié son site internet, centralisateur de lacampagne, au publicitaire François de la Brosse pour la conception et à José Frèches pourl’édition.

Avant d’accéder au site, la page de « barrage » donne le ton :Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation

Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de LyonNicolas Sarkozy s’adresse directement à l’internaute, lui adressant le message du

moment : ici, la page a été capturée exactement 7h44 avant le second tour de l’élection, le 6mai. Depuis le 14 janvier, le compte à rebours est lancé : l’objectif est clair. Dans ce contexteparticulier de l’entre-deux tours, l’internaute a le choix entre le « traditionnel » site sarkozy.fret un « blog des 72 heures », plus interactif, informant les militants et sympathisants sur lesdernières actions à mener pour persuader un maximum d’électeurs.

Mais le site sarkozy.fr est d’abord un site internet de campagne, dont l’objectif est derassembler ce qui pourrait aider un électeur en mal d’information : 36

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Il comprend plusieurs rubriques, dont les objectifs spécifiques sont de :présenter le candidat, son actualité, ce qu’il a dit et fait (discours, biographie)présenter les soutiens du candidat, par la diffusion d’écrits ou d’interviewss’adresser aux électeurs et de répondre à leurs questionspermettre aux électeurs de s’investir dans la campagne (lien vers le site des supporters,

boutique, bannières à mettre en ligne).La particularité du site internet de Nicolas Sarkozy est la mise en ligne de la chaîne

de télévision numérique NS TV : une caméra suit le candidat dans ses déplacements,interviewe les hommes et femmes politiques qui l’entourent, effectue le lien entre desquestions posées dans la rue par des Français et les réponses de Nicolas Sarkozyfilmées de son bureau. José Frèches, chargé de l’édition, joue le reporter pour les grandsévénements, comme les meetings importants, où ce sont des personnalités qui sontsollicitées.

La chaîne NS TV a une ambition internationale et est traduite dans une multitude delangues étrangères : anglais, allemand, espagnol, italien et même chinois.

Le site internet permet l’accès simplifié à l’information ; la blogosphère de Loïc Le Meurfait mieux en organisant et en animant le débat entre les internautes. Chaque jour, sur le blogde la campagne, le bloggeur le plus célèbre de France envoie sa chronique et doit lancerune problématique en toute cohérence avec l’actualité et le positionnement du candidat ; surle site, il doit alimenter et choisir les débats dont les sujets sont proposés par les internautes

36 Capture de la page le 22 avril 2007.

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy

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eux-mêmes. De plus, il est chargé de faire « vivre » l’ « île virtuelle de l’UMP et du QGde campagne de Nicolas Sarkozy » dans le monde de « Second Life ». Il y organise aussides rencontres et des débats en son sein. « Second Life » est un double virtuel de la vieréelle : si il est considéré au départ comme un jeu, tout y est recréé pour qu’il soit unereprésentation « rêvée », irréelle et non palpable de notre monde. Instrumentaliser les outilsde campagne jusque dans le virtuel, même pour rassembler une communauté d’électeurs,dépasse les limites qu’un candidat aurait pu se fixer et surtout imaginer à la naissance dela communication politique. Si les moyens employés vont de plus en plus loin du point devue de l’ampleur et de l’innovation, il semble que l’image de l’ « homme »-candidat appelleà un retour aux fondamentaux.

Pour être compris et aimé, un candidat doit paraître proche de son électorat, être perçucomme l’un des leurs. Au gouvernement, Nicolas Sarkozy comprend qu’il doit se rendreplus accessible : il ôte ses lunettes noires, s’entoure de gardes du corps plus « discrets ».Il va davantage à la rencontre de la foule.

Le candidat veut montrer une image extérieure la plus irréprochable possible : lescostumes sont sobres, les rayures se font de moins en moins fréquentes à l’approche du14 janvier. Il n’ôte jamais sa veste, pour éviter les auréoles disgracieuses de transpiration.Lorsqu’on le montre en train de faire du sport, en short, avec des lunettes, ou avec unecasquette, il est faussement confus et s’excuse de son apparence.

Comme Bernard Kouchner en mission humanitaire, Nicolas Sarkozy court : il court encompagnie de ses gardes du corps, de ses collaborateurs ou des élus de la région où ilséjourne. Il dit vouloir entretenir une certaine hygiène de vie, regrettant de ne pouvoir fairedu vélo, son loisir favori, par manque de temps. Le soir, au ministère (jusqu’à la fin du moisde mars), les employés disent le voir jouer au football dans le jardin avec son fils, Louis.

Un autre de ses loisirs est la chanson, et la culture populaire en général : il s’entoure deJohnny Hallyday, Michel Sardou, Enrico Macias, Gilbert Montagné, Christian Clavier, GérardDepardieu… mais quelle sincérité dans ces goûts pour la culture du peuple, alors qu’il seréclame dans ses discours de campagne l’héritier politico-culturel des grands hommes del’histoire, qu’il cite Victor Hugo ou Verlaine, et qu’il exige la « culture de l’excellence »,donnant raison à Antigone plutôt qu’à Harry Potter ?

Tentons d’éclairer ce point dans la partie suivante, dans le cadre de l’étude des thèmeset des mots de campagne de Nicolas Sarkozy et de leur mise en récit.

II Les mots pour gagnerDes mots, beaucoup de mots. Comme on a pu le voir dans la première partie du chapitre2, une campagne présidentielle se construit sur la base d’une équipe chargée de mettreen œuvre des outils spécifiques, toujours plus performants du point de vue de la visibilité,véhiculant des images, des symboles. Mais la campagne, c’est d’abord les mots ducandidat : lors de ses déplacements, adressés aux journalistes, aux militants dans le cadredes meetings, à ses lecteurs dans le cadre d’une publication ou d’un tract, à ses détracteurs,à ses adversaires, mais toujours dans l’optique d’atteindre les électeurs. Denis Bertrand,Alexandre Dézé et Jean-Louis Missika37, ont trouvé la formule juste : « dans une campagne,

37 Dans Parler pour gagner, Sémiotique des discours de la campagne présidentielle de 2007, Les presses de Sciences Po, mars 2007.

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on échange des paroles contre des voix. Le candidat donne sa parole, et l’électeur donnesa voix, sur cette place de marché politique d’un genre particulier où la monnaie d’échangeest la confiance ».

Les mots, c’est le fond du discours : à travers eux, le projet présidentiel est compris,explicité, argumenté, distingué de celui des autres. Le choix de leur emploi et de leursassemblages, c’est la forme du discours : ils définissent l’identité de celui qui parle, etune forme de discours « efficace » attribue au narrateur la qualité de « véridiction », oul’impression donnée qu’il est « vrai » ; à cette véridiction s’associent la crédibilité du candidatet son capital de confiance, critères qui rendent le choix du vote plus facile. C’est donc danscette « capacité à paraître vrai » que se joue la campagne des mots.

Pour comprendre comment Nicolas Sarkozy a choisi d’articuler les mots pour faireparaître son projet plus « vrai » aux yeux des électeurs, étudions d’abord ses thèmes decampagne récurrents (A), puis analysons la signification du discours global du candidat (B).

A Les thèmes de campagneNicolas Sarkozy récuse tout d’abord ce qu’il a été, ses ambitions d’autrefois : il procède àla manière d’un « aveu » : «La politique n’était plus qu’un jeu de pouvoir et une affaire degestion. J’avoue avoir longtemps, peut-être trop longtemps, pris du plaisir à ces jeux » 38. Ilfait table rase du passé et espère une réhabilitation par cet aveu. Il a changé, il l’explique :« Le jeune homme épris d’aventure et prêt à tout sacrifier à son ambition que j’étais estdevenu un adulte plus apaisé » 39 ; il le dit : « J’ai changé » et le répète dix fois au début deson discours du 14 janvier. Il met en scène la rupture de lui-même avec son « autre » dupassé, pour mieux reconstituer une image neuve, exempte de ses erreurs de « jeunesse »,et ainsi se réconcilier avec les électeurs. Il montre ses faiblesses, sa part d’humanité : « Lesépreuves de la vie m’ont changé. Je veux le dire avec pudeur. (…) J’ai connu l’échec et j’aidû le surmonter. ». Ces épreuves lui ont permis de grandir, d’être plus apte à « ressentirl’écrasante responsabilité morale de la politique »40: il dit en être ressorti à la fois plus fortet plus sincère, en somme être devenu un homme meilleur.

De la même façon qu’il revient sur son passé pour mettre en lumière les qualités desa personnalité actuelle, Nicolas Sarkozy critique la vie politique des vingt-cinq dernièresannées et la « véritable capitulation morale et intellectuelle » où les hommes politiques aupouvoir l’ont plongée41 , pour opérer une rupture avec les valeurs qu’il propose et qu’il apuisées dans l’histoire.

Pour lui, la base du problème est la génération de 1968 qui « a installé partout, dansla politique, dans l’éducation, dans la société, une inversion des valeurs et cette penséeunique dont les jeunes Français sont aujourd’hui les principales victimes »42. Elle a « sapé »les valeurs en place et le programme de Nicolas Sarkozy vise à rétablir ce que la générationde 1968 a trahi, a détruit. Il propose donc un retour aux valeurs pré-soixante-huitardes,incarnées avant lui par ceux auxquels il rend hommage de façon récurrente : « Jacques

38 Ensemble, p 13.39 Ensemble, p 14.40 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.

41 Ensemble, p 32.42 Ensemble, p 32.

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Chaban-Delmas, général de la résistance à 29 ans »43, tous les hommes dans l’ombre dugénéral de Gaulle, et avec lui « ces héros de la France libre et des maquis ». NicolasSarkozy les prend pour modèles : « ces hommes de l’histoire ne parlaient du passé que pourenseigner le futur »44 . Il adopte la même stratégie de « retour aux sources », s’appuyantcette fois-ci sur ces « hommes de l’histoire ». Il légitime son recours aux valeurs gaullistesen intégrant dans son récit une « historicisation » de ses souvenirs d’enfance avec ceuxqui ont « préservé l’honneur de la France » : « tous les 11 novembre, il m’amenait à l’Arcde Triomphe et me hissait sur ses épaules pour voir passer le général de Gaulle allant serecueillir sur la tombe du soldat inconnu »45 . Dans la même lignée, il se repose sur unedéclaration de Georges Pompidou de 1969, qui (…) disait : « Le monde a besoin d’unenouvelle Renaissance. » pour donner du poids à son projet : « Aujourd’hui, tout reste à fairepour que survienne cette nouvelle Renaissance »46.

Nicolas Sarkozy veut porter une rupture, mais pas n’importe laquelle : une ruptureavec les méthodes de la vie politique telle qu’elle se présente depuis l’arrivée de FrançoisMitterrand au pouvoir, pour finalement opérer un rapprochement avec les valeurs de lapolitique du début de la Ve République. Il réintègre ces valeurs dans un programme d’aveniret porte son idée jusqu’au second tour de l’élection présidentielle : « L’enjeu, c’est entrerépéter les recettes du passé qui ont échoué ou faire les choix de l’avenir »47 ; il se détachedu passé proche délibérément, crée une fracture sans équivoque pour être en mesure de« mieux » réunir, car son but de campagne est, rappelons le, de rendre les choses possibles« Ensemble »48 et de parvenir à un « rassemblement du peuple français »49.

L’idée de rassemblement de Nicolas Sarkozy s’effectue autour d’un concept clé de sacampagne, qui réunit tous les thèmes : la culture. Plus que jamais, la culture est un enjeupolitique mais n’existe pas comme telle : elle est le liant commun aux problématiques del’identité nationale, de l’intégration, de l’idée de patrimoine commun, de références et devaleurs communes.

Pour Nicolas Sarkozy, la France traverse une « crise d’identité (…) qui « n’ose plusse défendre, ni transmettre ses valeurs » Il veut « être le Président d’une France fièrede ses valeurs et de son identité »50. Il se dit contre les discriminations, étant lui-même« un petit Français de sang-mêlé »51, « Fils et petit-fils d’immigré », mais dont « la Franceest [la] patrie »52. Tout en affirmant vouloir que « la France reste un pays ouvert »53, ilfait prévaloir les principes fondamentaux de la République aux coutumes individuelles :Nicolas Sarkozy veut une France laïque : « Nous devons considérer la laïcité non comme

43 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.44 Ensemble, p 11.45 Ensemble, p 10.46 Ensemble, p 71.47 Programme électoral du second tour.48 Slogan de campagne.49 Programme électoral du premier tour.50 Programme électoral du premier tour.51 Discours du 14 janvier au Congrès d’investiture de la porte de Versailles.52 Ensemble, p 9.53 Programme électoral du premier tour.

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une forme d’intolérance à l’égard des sentiments religieux mais comme un respect »54

tout en reconnaissant l’existence des « grandes religions », et une nécessité pour l’Etatd’ « organiser un dialogue » avec elles, pour que « tous les croyants puissent prier dans deslieux de culte convenables »55. Il se veut tolérant envers les pratiques religieuses, jusqu’aupoint où elles ne sont pas en désaccord avec les libertés fondamentales et les valeurspropres à la France.

Il revendique pour tous les Français « l’amour de la France et la fierté d’être Français »,en protestant contre ceux qui dénoncent son « nationalisme agressif », son « arroganceculturelle » ou son « patriotisme dépassé »56. Dans cette optique, il souhaite que tousles Français, qu’ils soient « de souche » ou « de branche », s’inscrivent au sein d’unemême « identité nationale », et soient fiers de leur histoire et de leur culture commune.En somme, la culture commune doit permettre la coexistence des originalités individuelles,mais l’identité collective doit prévaloir aux coutumes personnelles.

La « culture commune » selon Nicolas Sarkozy recherche ses symboles dans l’histoirede France et dans les rituels de la République : petit, il observait le général de Gaulle devantla flamme du soldat inconnu, à la date anniversaire du 11 novembre. Candidat, il opère unesélection de ceux qui « sont » la France : « La France, elle a 17 ans et le visage de GuyMôcquet quand il est fusillé (…). La France, elle a 19 ans et le visage (…) d’une fille deLorraine quand Jeanne comparaît devant les juges. (…) La France, elle a 50 ans et la voix duGénéral de Gaulle le 18 juin 1940 »57. Les symboles qu’il appelle sont pour lui l’identité de laFrance, des références qui appartiennent à tout le monde : il invoque « la gauche de Jaurèset Blum », et se demande « pourquoi la gauche n’entend-elle plus la voix de Jaurès ? »58 .

Nicolas Sarkozy a besoin de l’histoire pour légitimer son action : ainsi, son slogan estissu de la parole d’un historien qui a dit « Si je voulais résumer en une phrase la mentalitéde la Renaissance, je dirais : « tout est possible. », et le candidat enchaîne : « Nous avonsbesoin d’une nouvelle Renaissance. Nous avons besoin que tout redevienne possible. (…)Tout paraissait possible aux hommes du Conseil national de la Résistance, aux hommesde 1958, aux hommes des Trente Glorieuses »59. En associant ses concepts à des baseshistoriques, scientifiques, à des valeurs telles que la Résistance, référence incontestée etincontestable, il espère rendre ses propositions universelles, moins remises en questionspar ses détracteurs ; il veut créer une entité commune, où chacun se reconnaîtrait et dontil serait l’auteur du « rassemblement » : pour lui, la France est un « destin commun », un« héritage », un « bien commun »60.

Dans le cadre de cette culture commune, il soutient une certaine idée de la République :elle est « un combat toujours recommencé pour l’émancipation de l’homme », dont le butest « d’arracher du cœur de chacun le sentiment de l’injustice », et de permettre que « leschances de réussite soient égales pour tous »61. Selon Nicolas Sarkozy, la République

54 Ensemble, p 53.55 Ensemble, p 51.56 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.57 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.58 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.59 Ensemble, p 71.60 Ensemble, p 44.61 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.

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est grande, elle est une « espérance »62, « la démocratie est irréprochable »63 et permetbeaucoup : pour autant, elle n’est pas permissive et concerne tout le monde : « ce n’est pasl’affaire que de l’Etat, c’est l’affaire de tous », « la société civile » doit « jouer son rôle » pourque la République soit « vivante »64. Il demande aux Français de s’engager pour la France,de s’investir, de remplir leurs devoirs autant qu’ils jouissent de leurs droits : « Qu’il soitentendu que si on vit en France alors on respecte les valeurs et les lois de la République »65.Ainsi, les valeurs propres à la France sont aussi bipolaires que le principe des droits et desdevoirs : la culture commune, vue comme un bien collectif, doit être entretenue et les valeurscomme l’éducation ou le travail doivent être réhabilitées.

L’éducation occupe une place importante dans la construction de l’identité d’un individu :elle est même l’élément primordial : ainsi, Nicolas Sarkozy veut une école « de l’autoritéet du respect où l’élève se lève quand le professeur entre », « qui donne une formationà chacun, qui n’a peur ni de l’orientation, ni de la sélection, ni de l’élitisme républicain quiest la condition de la promotion sociale ». Il veut à la fois une « école de l’excellence »66

et une école qui donne la chance à chacun d’avoir l’accès à la culture, comme l’idée de« démocratisation de la culture » d’André Malraux. S’il estime donner les moyens aux élèvesde gravir les échelons sociaux par eux-mêmes, il attend en retour un effort personnel, uneambition même chez les jeunes en difficulté.

On note cependant une contradiction quant à la définition qualitative de la culture :lorsqu’il reçoit le soutien d’acteurs ou de chanteurs dits « populaires », non représentatifsd’une « haute » culture, Nicolas Sarkozy n’est pas en accord avec son concept d’ « exigencede l’excellence », de « diffusion d’une culture commune », d’une éducation au « goût duBeau et de la création »67. Il veut jouer sur les deux tableaux : celui de la « distinction68 » et du« tous les goûts sont dans la nature», mais reconnaît au final la légitimité d’un art particulier.

La famille occupe également un rôle important dans l’éducation : c’est elle qui transmetle langage, les premières références pendant l’enfance, les premières repères de laconstruction du social. Nicolas Sarkozy demande, au nom de l’identité culturelle commune,que la langue française qui est celle des institutions, des documents réglementaires soitégalement la langue de référence pour tous les habitants de la France, et qu’un étrangerdésirant résider en France ne puisse y parvenir qu’en maîtrisant préalablement le Français :« Je n’accepte pas qu’on veuille habiter en France sans respecter et sans aimer la France.Je n’accepte pas qu’on veuille s’installer en France sans se donner la peine de parler etd’écrire le Français. »69. La non-maîtrise de la langue n’est plus seulement un handicap oule signe de l’appartenance à une autre culture, mais un signe d’irrespect envers la culturedominante. Pour lui, sans la maîtrise de la langue, on ne peut pas répondre aux exigencesdes valeurs de la France ni les comprendre : Nicolas Sarkozy perçoit la possession de la

62 Ensemble, p 57.63 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.64 Ensemble, p 58.65 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.66 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.67 Ensemble, p 39.68 La Distinction, Pierre Bourdieu.69 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.

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culture comme un échange ; la recevoir est un don, pouvoir l’exploiter est une richesse, qu’ilfaut honorer et « mériter » en la maîtrisant.

Enfin, Nicolas Sarkozy entend réhabiliter la « valeur travail », et non pas la « valeurDU travail », notons la différence : il met en scène le travail comme un concept, une entitédont il propose la re-définition. Pourquoi la réhabiliter ? « Nous avons commis cette erreurimmense de dévaloriser le travail »70 : comme pour la question de l’héritage historique quiconstitue une culture commune et qu’il faut remettre « au goût du jour », Nicolas Sarkozyveut « retrouver » une signification au mot « travail » qu’il pense perdue. Il s’adresse aux« travailleurs » et fait sien un mot du vocabulaire de l’extrême gauche, comme plus hautoù il fait de Jaurès un personnage du patrimoine des hommes de gauches comme deshommes de droite. Cette fois-ci, ce ne sont pas les Français qui sont en cause, ni les basesde notre société mais le système assommé par la politique des vingt-cinq dernières annéesqu’il déplore : « Notre modèle social est certainement l’un des tabous que nous aurons leplus de difficulté à briser (…). Sur le papier, il est incontestablement parfait »71, « Je necrois pas que les Français n’ont plus le goût du travail. Au contraire, ils sont exaspérésparce que le travail aujourd’hui paie moins que l’assistance ». Ainsi, il ne les accable pas depréférer l’ « assistance » au « travail », en mettant même en avant certains désavantagesà l’effort : « «travailler ne donne droit ni au transport à tarif réduit (…).Travailler au contraireest sanctionné (…). Travailler n’est plus une garantie de promotion sociale (…). Travaillerne permet même pas d’envisager sereinement la retraite (…) »72. Après ces condamnationsqui n’incitent guère à l’espoir, il donne sa confiance pleine aux Français, qui ont « une cultureouvrière, (…) une culture agricole », qui « sait ce qu’est le travail » et qui « n’en a pas peur »73

. Il flatte les travailleurs et les non-travailleurs Français, estimant qu’ils sont des victimes.Son but est sans doute de leur redonner confiance et de leur donner une image différente dutravail : une image davantage valorisante, un « goût pour l’effort », une satisfaction du devoiraccompli, à la fois pour soi-même et pour la collectivité. Le mérite est accordé à l’individu,mais le fruit de son travail profite à la société.

Encore une fois, Nicolas Sarkozy articule le singulier et le collectif, le droit et le devoir :il dit apporter son aide, mais elle n’est pas gratuite. Elle suppose un engagement réel ducitoyen, qui est un Français, qui se reconnaît en tant que tel et qui reconnaît les autresFrançais comme porteurs d’une culture commune à la sienne. Pour lui, l’intérêt de l’individune se fera que dans l’intérêt du collectif et réciproquement. Pour cela, il devra respecterles valeurs définies par Nicolas Sarkozy : il veut être « le Président de la valeur travail » ;protecteur puisque « garant de nouvelles protections », respectant l’Etat social ; défenseurdes principes fondamentaux de la Ve République, en étant « le Président d’un Etat fort etimpartial » ; et partisan d’une culture dominante, respectée de tous, en étant « le Présidentd’une France fière de ses valeurs et de son identité »74.

B L’analyse du discours de Nicolas Sarkozy

70 Témoignage, p 140.71 Témoignage, p 121.72 Témoignage, p 142.73 Témoignage, p 143.74 Programme électoral du premier tour.

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Nicolas Sarkozy ancre son discours entre le « vécu partagé » et la « réalité analysée » :le « vécu partagé » peut être une référence récurrente à l’histoire commune du pays. Lecandidat de la droite fait appel à des images de la France, à des personnages qui ontconstruit son identité, de Jeanne d’Arc à Jaurès, en passant par Blum ou Zola. Le « vécupartagé » est aussi le fait de montrer de l’empathie, de la compréhension pour une catégoriede personnes comme « les jeunes », ou « chacun d’entre nous », ou « les Français ». C’estun ensemble de références que comprennent à la fois le candidat et son auditoire. C’est laréalité subjective, la rencontre de références communes.

La « réalité analysée » n’est pas la réalité du monde effectif, mais la reconstruction d’uneréalité dans un discours, en tentant de la reconstituer d’aussi près que possible. L’action estmenée au nom de sa légitimité dans la réalité ; prenons un exemple dans Témoignage, page144, le titre : « un choix à faire : travailler moins ou gagner plus » : ce qui signifie travaillermoins et gagner moins, ou travailler plus pour gagner plus, la réalité de cette affirmationn’est pas contestable. De la même façon, il propose une version de sa réalité et proposeaux électeurs de partager son analyse et son interprétation : « La République réelle, (…)c’est la République où chacun reçoit selon son mérite (…) La République réelle, (…) c’estcelle où les hommes et les femmes ont les mêmes droits »75.

Le discours de Nicolas Sarkozy passe sans cesse du « vécu partagé » à « la réalitéanalysée ». Un indice manifeste de cet aller-retour est l’utilisation récurrente du couple« problème-solution ». Il crée dans le texte du candidat un certain rythme, alternant laquestion : « A quoi sert la politique si elle se contente d’accompagner une sorte de sélectionnaturelle (…), si elle ne donne pas sa chance à chacun ? (…) La politique de la vie, c’estcelle qui se fixe pour objectif qu’il n’y ait plus de travailleurs pauvres »76.

Le discours du Congrès du 14 janvier ajoute un troisième axe dans son discours : celuide la fiction : il teinte son registre de lyrisme (« Français, écoutez la grande voix de Jaurès »),et le texte s’enrichit de citations littéraires : « Tant qu’il y aura sur Terre ignorance et misère,des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles »77. Nicolas Sarkozy s’éloigneainsi de son souci de réalité derrière l’évocation d’une image de la France réconciliéehistoriquement, et il intègre une dose de fiction à la politique, en invoquant une galerie deportraits, comprenant Guy Môcquet, l’Abbé Pierre, Mandel, Moulin, Henri IV, Danton et biend’autres dont il réclame un héritage politico-culturel.

Enfin, Nicolas Sarkozy peut aussi se positionner sur le quatrième pôle défini par DenisBertrand, Alexandre Dézé et Jean-Louis Missika78 : l’utopie. Celle-ci est présente dansl’ouverture indéterminée du slogan « Ensemble, tout devient possible » : chacun peut voirderrière le « tout » son propre idéal, sa propre utopie. Il ne définit rien, il ne promet rien, etpourtant, il promet tout et ouvre au « rêve » de l’électeur qui croit en lui.

Pendant la campagne, comme on le verra précisément dans le chapitre 3, il existeplusieurs temps. Chacun de ces temps peut être défini par le rôle qu’y tient Nicolas Sarkozy.Avant le 14 janvier, Nicolas Sarkozy est le président du parti de la majorité présidentielle,l’UMP, et ministre de l’Intérieur. Depuis quelques mois déjà, on sait qu’il ambitionne lacandidature à l’Elysée, et on le perçoit comme un futur candidat potentiel. Son personnagedominant est cependant celui du ministre. Le 14 janvier, les contours du candidat se

75 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.76 Discours du 1er mars, Bordeaux.77 Victor Hugo, Les Misérables.78 Dans Parler pour gagner.

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précisent : il est investi « officiellement » par son parti, et débute sa campagne dès lelendemain par un déplacement symbolique au Mont Saint Michel. Il possède toujours lestatut de ministre, et selon la circonstance, on ne le distingue plus du candidat : à qui unedéclaration sur la problématique de l’insécurité est-elle imputable ? Nicolas Sarkozy joue surce double statut, et se dote ainsi d’une légitimité supplémentaire sur des sujets propres à unministre de l’Intérieur, jugeant qu’il est le plus apte et le plus compétent dans ce domaine. Ilsait que sa popularité et son impopularité ont été fondées sur les bases de sa médiatisationen tant que ministre. Jusqu’à la fin du mois de mars, il veut préserver son statut d’ « hommed’action » et entretient l’ambiguïté sur son identité, à chaque mot prononcé. Le 26mars, ilquitte la place Beauvau et devient un candidat « à plein temps » mais le 27 mars, lors desévénements de la gare du Nord, il réapparaît aux yeux des Français en tant que ancienministre de l’Intérieur. Jusqu’au bout, sur les questions de sécurité, d’immigration, il jouesur son expérience d’ex-ministre. Sur les thèmes des finances et du budget, il tire profit sonexpérience à Bercy. Il n’ « est plus », mais il « a été » et comme on appelle toujours unPrésident « Monsieur le Président », Nicolas Sarkozy est toujours l’ « ex-premier policier » deFrance, du moins jusqu’à ce qu’il brigue un poste à l’importance symbolique et hiérarchiquebien supérieure, comme celui de Président de la République.

Le jeu de la « véridiction » pourrait être l’autre nom de la campagne présidentielle deNicolas Sarkozy : rétablir le vrai, paraître vrai pour susciter la confiance et dénoncer lesmensonges de ses adversaires.

Pour justifier la sincérité de son projet présidentiel, Nicolas Sarkozy doit s’opposer aupouvoir déjà en place. L’affaire est difficile pour lui : il était ministre au gouvernement et estle président du parti majoritaire. Il parvient tout de même à s’en détacher par le biais desa « rupture » avec Jacques Chirac. Il ne cache pas leurs désaccords et veut rétablir saversion des faits : « Je veux m’expliquer sur mes relations avec Jacques Chirac. (…) Je nereconnais pas la vraie nature de notre relation dans le portrait habituel qui en est fait »79.Comme un aveu, dès 2004, il se place en « non-héritier » de Jacques Chirac et crée sonpersonnage de « challenger », au lieu de celui de « successeur ».

De façon récurrente, il rassure les électeurs et répète « Je n’aime pas mentir, ni auxautres, ni à moi-même. Je dis ce que je pense. Je fais ce que je dis », ou « Je ne dis pascela pour choquer ou pour polémiquer. Je le dis parce qu’il faut regarder cette vérité en faceet arrêter de nous bercer d’illusions »80. Il oppose les mots aux actes, comme transpositiondans la réalité et gage de sa bonne foi. Aussi, il oppose la vérité au mensonge, aux illusions,comme s’il accusait les « autres », ses adversaires, d’employer cette méthode. De façonrécurrente, il achève ses interventions publiques par un « Je le dis. Je le ferai. Je ne vousdécevrai pas. Je ne vous trahirai pas »81.

« La » vérité n’existe pas en tant que telle et Nicolas Sarkozy joue sur son ambivalencepour se l’approprier. Tantôt, il l’expose comme un concept universel, non subjectif : « lavérité, c’est que dans bien des cas c’est l’investissement dans la réforme qui fera deséconomies et la croissance, et non l’inverse »82. Il pose son affirmation comme un faitirréfutable, une proposition parfaite. D’un autre côté, il propose « Ma vérité »83 et admet

79 Témoignage, p 220.80 Témoignage, p 220 et p 134.81 Discours du 13 mars, Besançon.82 Ensemble, p 125.83 Titre du premier chapitre de Ensemble.

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que la vérité est un principe subjectif, que chacun détient sa propre vérité, et que seulDieu détient LA vérité. Si Nicolas Sarkozy montre ici un peu de modestie, c’est parce qu’ilmet en scène son propre personnage : « L’élection présidentielle, c’est pour un hommeune épreuve de vérité. C’est la mise en jeu de la vérité d’un homme. Cette vérité, je vousla dois »84. Cependant, « sa » vérité est proposée comme le modèle à suivre, même s’ilfeint de soumettre ses propositions au choix de l’électeur. De la page 8 à la page 9, il faitcoexister la même affirmation, tantôt objectivement, tantôt subjectivement : « De rendez-vous manqués en paroles non tenues, la défiance a grandi et la France a pris du retard. Envérité, l’alternative est limpide »85 et « Ma vérité, c’est que je crois qu’une autre politique estpossible »86. Finalement, il associe « la vérité » à « sa vérité » et croit qu’elle est la seulepossible. Fort de ce pouvoir de vérité, il définit certains concepts, comme « La politique dela vie »87 dont il détaille les caractéristiques ; l’expression « la politique de la vie, c’est … »apparaît jusqu’à vingt-quatre fois dans la même intervention.

Aussi, pour paraître plus « vrai », Nicolas Sarkozy adopte la technique de l’empathie,du vécu et de l’expérience, et joue sur le registre de l’émotion, de la compréhension. Ainsi,il est plus apte à comprendre les attentes des Français. Sans l’approuver, il comprend ladésaffection des citoyens pour la politique, (« Ma France, c’est celle de tous ceux qui necroient plus à la politique parce qu’elle leur a si souvent menti. Je veux leur dire : aidez-moi à rompre avec la politique qui vous a déçu pour renouer avec l’espérance. »88), pour letravail (« Je ne crois pas que les Français n’ont plus le goût du travail. Au contraire, ils sontexaspérés parce que le travail aujourd’hui paie moins que l’assistance »89). Avant d’évoquerun thème précis, il cite une expérience, un lieu, une rencontre : « quand j’ai visité le mémorialde Yad Vashem dédié aux victimes de la shoah », « quand j’ai lu à Tibhirine le testamentbouleversant de Frère Christian », Pour témoigner de la véracité de son propos, il rentredans les détails, souvent impudiques, parfois choquants : « (…) frère Christian, enlevé etégorgé par des fanatiques avec six autres moines de son monastère.(…) On retrouva lessept têtes des moines suppliciés sans leur corps »90.

Aussi, pour justifier le choix d’un meeting dans une ville, et le lien légitime avec lesthèmes qu’il va aborder, Nicolas Sarkozy rend hommage aux hommes et au patrimoinedu lieu : il montre sa connaissance de la France, son intérêt pour chaque particularité quiconstitue l’ensemble de la culture française, et pour les électeurs de la région. Il rappelle enGironde que Bordeaux est la ville de « Montaigne », de « Montesquieu », de « Goya », de« Mauriac », « capitale de la civilisation du vin, (…) ouverte sur tous les mondes, (…) ville oùla République cherche refuge chaque fois que les grands drames de l’histoire menacent del’anéantir »91. Il introduit chacune de ses interventions publiques par ce rappel de l’histoirequi est en même temps une « flatterie » pour les locaux ; ainsi, à Besançon, il rappelle

84 Ensemble, p 8.85 Ensemble, p 8.86 Ensemble, p 9.87 Discours du 1er mars, Bordeaux.88 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.89 Témoignage, p 142.90 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.91 Discours du 1er mars, Bordeaux.

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qu’« il y a une culture du travail, une culture ouvrière qui fut longtemps celle du textile et del’horlogerie qui a été durement frappée par la crise. »92.

Dans le jeu de la vérité, Nicolas Sarkozy sait mettre en scène des faits incontestables,comme le patrimoine d’une ville, un événement tragique. Cette méthode appuie son proposet le légitime, et contribue surtout à mettre en valeur ce qu’il décrit vraiment, à travers sesexpériences et la sélection subjective de valeurs d’un patrimoine : lui-même.

En effet, dans le discours de Nicolas Sarkozy coexistent peu de personnages : enpremier lieu, il y le « je ». Le récit de l’énonciation est celui de l’égo : son moi est seul, surla scène, et éclipse le « nous ». Le « je » est la volonté et le projet du candidat. Seul, ilapporte ses idées, les incarne dans une entité individualisée. Il n’y a plus d’équipe, il n’y aque lui : « Je veux être le Président (…), je veux un Etat où (…), je veux une démocratieirréprochable »93. En cela, il revendique une particularité propre, une distinction vis-à-vis dece qui a déjà été proposé dans le passé, ou ce qui est proposé par ses concurrents. Lemessage est clair : c’est « moi » ou « eux ». De plus, la récurrence de son « je » évoque saconception de la République, avec un Président fort en tant que chef de l’Etat.

Le « nous » est très peu présent : il est la société d’aujourd’hui, répondant de ses actes :« Malraux avait proposé un jour comme devise à la jeunesse : « culture et courage ». (…) Acondition que nous construisions une école pour faire des adultes et non de grands enfants.(…) A condition que nous ayons le courage de tenir à la jeunesse le langage de la vérité »94.

Le « on » évoque une généralité, un exemple fictif dont la réalité est peupléed’exemples : « On ne vit pas lorsque l’on est un enfant pauvre. (…) On ne vit pas lorsquel’on est privé de sa liberté »95.

Le « vous » et le « tu » n’existent que dans leur rapport au « je » : ils apparaissent lorsquele candidat revit une scène où il s’est adressé « aux jeunes : « vous voulez être reconnuscomme des citoyens à part entière dès que vous devenez majeurs. Vous le serez » »ou à « la jeunesse : « tu reçois beaucoup, tu dois donner aussi de toi-même » »96. Le« vous » existe forcément, puisqu’il représente les électeurs qui devront faire un choix. Plusdirectement, le « vous » est l’ensemble de l’assemblée qui écoute Nicolas Sarkozy.

De la même manière qu’il s’adresse à la jeunesse comme une entité, comme unepersonnalité, Nicolas Sarkozy donne vie à la France : « La France, c’est un destin communfait d’une multitude de destinées individuelles »97 et « La France, elle a 17 ans et le visagede Guy Môcquet (…). La France, elle a 58 ans et le visage de Zola »98 et lui attribueles qualificatifs qui ont fait la gloire des personnalités qu’il cite. Sur le même modèle, ilpersonnifie la République : « La République est un combat toujours recommencé pourl’émancipation de l’homme. (…) Le but de la République, c’est de … »99.

92 Discours du 13 mars, Besançon.93 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.94 Discours du 13 mars, Besançon.95 Discours du 1er mars, Bordeaux.96 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.97 Discours du 13 mars, Besançon.98 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.99 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy

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Enfin, le discours de Nicolas Sarkozy a parfois une tonalité religieuse. Dans son livreEnsemble, il prend soin de diviser son propos en sept parties, chiffre religieux symbolique :Les titres forment comme un ensemble de rites, des passages obligés pour une initiationréussie. Notons la connotation religieuse de certains mots : la « vérité » de Dieu, le« miracle » et la « morale » ; ainsi que le nombre des chapitres : le chiffre sept est aussi celuides sacrements, des dons du Saint Esprit, des premiers diacres nommés par les prophètes,des Archanges se tenant devant Dieu. Telle une messe, le message de Nicolas Sarkozy estfractionné, ordonné, de l’ « accueil » (Chapitre 1 « Ma vérité ») à l’ « envoi » (« Ensemble »).Au cours de cette « messe », le chapitre 3 comprend le « credo » : « Je crois au capitalisme(…), je ne crois pas à la pérennité d’un capitalisme dans lequel l’homme ne compterait pas,(…) je crois à la nécessité de valoriser la réussite et le talent »100. Tel un guide spirituel, ilnous montre le chemin, nous rappelant qu’ « il nous faut retrouver cette foi dans l’avenir »101.

L’enjeu d’un discours de campagne est la cohérence et la pertinence du choix des mots.Parfois, on assiste à des innovations sémantiques qui consistent, de la part du candidat, àfaire percevoir le monde comme on ne le voyait pas auparavant : il met en place un nouveauconcept politique qui est mis en pleine lumière de façon très rapide et qui peut être trèsdangereuse si le récit induit par ce concept fait naître une impression de mensonge.

Car les mots ne sont pas isolés : ils s’inscrivent dans des réseaux et se définissent parleur voisinage et leur champ sémantique. Les positionnements politiques reposent d’abordsur ces découpages et ces catégories de mots et conditionnent l’impression de vérité.

Le candidat est donc contraint en partie de se référer au vocabulaire traditionnel deson camp pour mobiliser les marqueurs idéologiques de sa famille politique. Il peut aussieffectuer des écarts par rapport aux termes du discours qui sont attendus, et ainsi créerune impression de liberté de parole, renforçant par-là même l’authenticité et le sentiment devérité. Sans forcément construire de nouveaux marqueurs idéologiques, il peut en raviverdes anciens : « La France est ma patrie » ou « la nation, ce sera le sujet numéro unde la politique dans les années qui viennent »102. Mais la façon la plus simple et la plusefficace de défier la prévisibilité du discours attendu est de s’approprier le vocabulaire etles thèmes traditionnels de l’adversaire. Dans son programme électoral du premier tour,Nicolas Sarkozy dit : « Je veux d’abord être de Président de la valeur travail ». Il pose commepriorité une valeur de la gauche : « le travail est au cœur de mon projet présidentiel ».La dimension transgressive de l’emprunt éveille particulièrement l’attention au point parfoisde prendre une importance disproportionnée par rapport au poids réel dans le discours. SiNicolas Sarkozy emprunte le mot et la valeur du travail dans son discours, il n’en fait pasmoins une application propre à son camp : s’il veut « donner du travail à ceux qui n’en n’ontpas », il rappelle qu’ « il n’est pas acceptable que certains refusent de travailler, alors qu’ilsle pourraient ».

Nicolas Sarkozy ou l’ « emprunt » de la valeur « travail » et du terme« Travailleurs, travailleuses » traditionnellement « réservé » à Arlette Laguiller.

Ces photos sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

100 Ensemble, pp 63 à 65.101 Ensemble, p 71.102 Ensemble, p 9 et p 158.

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De la même façon, la place des valeurs éthiques devient quasi-systématique dans lediscours du candidat de droite, prenant la place des catégories politiques traditionnelles.Il insiste particulièrement sur la « morale » et en fait un principe « au cœur de lapolitique », rendant la « crise (…) morale » comme responsable de la « crise (…) du modèlerépublicain »103. Nicolas Sarkozy met aussi en scène le conflit des idées politiques et au lieude les confronter directement à celle des autres, il fait le procès des préjugés : « Ce n’estpas de moi dont il s’agit mais de la France »104 ou « Si je suis élu, je ne serai le Présidentd’aucun clan, d’aucun parti, d’aucune idéologie. Je serai le Président de tous les hommeset de toutes les femmes de bonne volonté »105.

Une autre mutation dans le discours est le dévoilement de la vie intime commeconstitutive de l’image du candidat. Cette mise en lumière indécente n’est pas seulementle résultat d’une starification des hommes politiques qui sont candidats et a fortiori ceuxqui sont favoris à l’élection présidentielle, elle exprime aussi le déplacement du jugementcollectif. Plus le genre « élection présidentielle » devient une norme rigide, plus on cherche àconnaître les détails de la vie intime du candidat. Nicolas Sarkozy, par goût ou par réponse àune certaine demande, fait figurer ses proches dans ses ouvrages, et s’adresse à eux dansses discours : un chapitre de Témoignage s’intitule « C. », pour Cécilia ; dans son discoursau Congrès du 14 janvier, il s’adresse directement à sa famille : « Je demande à ma famillede m’aider. Je sais qu’elle a eu à souffrir. Je veux qu’elle comprenne que ce n’est pas demoi qu’il s’agit mais de la France ». Mais toutes les fuites médiatiques ne sont pas du goûtdu candidat : s’il accorde une photo en compagnie de son fils sous son bureau ministériel,tels les Kennedy, il fait part du manque de respect des journalistes publiant des « photosvolées » ou figure sa femme106. Il veut pouvoir maîtriser, selon le carré sémiotique construitpar Algridas Julien Greimas et Joseph Courtés107, la coïncidence entre l’être et le paraître,produisant un effet de vérité. Si des photos volées paraissent en une de Paris Match, lacoïncidence entre le non-être et le paraître produit un effet de mensonge. L’électeur peutalors avoir la sensation d’avoir été manipulé, d’où la nécessité pour Nicolas Sarkozy dejouer le jeu de la sincérité, tant sur le plan privé (sa famille) que personnel (« J’ai changé »).

Parmi toutes ces attitudes finalement artificielles, calculées, il arrive qu’un candidatcommette des erreurs de parcours, des incidents qui font qu’il ne maîtrise plus sa politiqueet que certains détails de l’image lui échappe. L’énonciation, par exemple, est une techniquede travail de Nicolas Sarkozy sur le signifiant, pour poser sa voix et son débit : poursa campagne, il apprend à ralentir un tempo naturellement précipité, marque d’une hâtesuspecte d’en terminer avec le sujet, avec le discours.

Aussi, les incidents peuvent être le fait du contenu. Les ratés du discours, les dérapageset les lapsus deviennent matière à histoire, amplifiés par l’écho médiatique. Nicolas Sarkozycompte quelques erreurs, comme l’attribution à Mitterrand de l’expression « vous n’avezpas le monopole du cœur » ou disant du travailliste Tony Blair qu’il est « des nôtres »108.

Le candidat doit paraître solide, connaître ses dossiers parfaitement et ne pascommettre d’erreur de culture générale comme celle du « monopole du cœur ». Sans parler

103 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.104 Discours du 14 janvier, Congrès d’investiture de la porte de Versailles.105 Programme électoral du second tour.106 A la une de Paris Match.107 Dans Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, 1979.108 « Nicolas Sarkozy rend hommage au pragmatisme de Tony Blair », Le Monde, 30 janvier 2007.

Chapitre 2 : Maîtriser le politique : la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy

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de culture générale et en reliant ces deux incidents, peut-être des lapsus, on peut y voir untravail de l’inconscient politique.

Pour « cacher » ses propres lacunes, la méthode de l’UMP est d’orienter les électeursvers celles de ses adversaires. Notons la mise en place d’une « cellule anti-Ségolène » auQG rue d’Enghien qui, réunie tous les jours pendant la campagne, analyse le discours deSégolène Royal en direct, l’analyse étant diffusée simultanément sur NS TV. En décembre2006, Ségolène Royal a en effet commis des erreurs de parcours, suffisamment poursusciter l’ « attente de l’inattendu » de la part de ses détracteurs. Ainsi, l’UMP guette lemoindre infléchissement qui révélerait le doute, l’hésitation, l’ignorance ; et met en reliefles différentes facettes de la fragilité de la candidate socialiste : fragilité dans la qualité del’écoute (absence de réaction devant l’assimilation des Israëliens aux nazis par un députédu Hezbollah au Liban), fragilité dans la maîtrise de la langue (néologisme « bravitude »en Chine), fragilité dans la maîtrise des dossiers (l’hommage à la rapidité des tribunauxchinois), fragilité dans le domaine régalien des relations internationales (le soutien à lasouveraineté du Québec).

L’outil médiatique est celui par lequel arrivent ces révélations des erreurs plus ou moinsdissimulées des candidats. Insister sur une petite erreur ne sert en rien le débat électoral,et fait sans doute de l’ombre à des thèmes capitaux qui seraient bien plus intéressants etproductifs d’aborder. Mais quel est le véritable intérêt d’une campagne présidentielle pourles médias ? Est-elle de relayer l’information brute fournie par le candidat, de la transmettreaux électeurs ou bien est-elle de construire une contre-campagne, proposant « sa réalité »du personnage-candidat, tentant de gommer l’enveloppe communicationnelle ?

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Chapitre 3 : Révéler le réel ? Mots etimages de campagne dans les médias

La campagne n’existe pas que par le biais de la source « candidat ». Celui-ci propose unereprésentation « idéale » et transmet une information totalement contrôlée par lui-même : sacommunication est calculée, jaugée, anticipant les réactions des électeurs et l’impact d’unmot ou d’un geste particuliers. Par l’exercice de sa communication politique, le candidats’adresse directement aux futurs votants, veut les convaincre sans intermédiaire ; pourautant, il ne peut ignorer le « canal » entre eux et lui, le dernier acteur du rythme ternairede la communication politique : le pôle médiatique.

Le pôle médiatique complète le « triangle de la communication politique »109 qu’ilforme avec les professionnels de la politique et ceux qui élisent leurs représentants.Cette médiatisation se développe dans un encadrement juridique affermi depuis la fin desannées 1980 en France. Dans les faits, l’objectif de la défense du pluralisme du traitementmédiatique du politique reste cependant inachevé ; cependant, des mesures réglementairestendent à le faire respecter.

Dans sa définition formelle, la campagne électorale est brève puisque, depuis 1962,sa durée est de 15 jours avant le premier tour et de huit jours avant le second. Pendantcette période, les médias doivent respecter certains principes intangibles, comme le principed’égalité, le principe de loyauté des procédés utilisés.

Depuis 1974 est opérée la distinction entre la campagne « officielle » qui concerne lacampagne radiotélévisée, assurant la surveillance du respect du pluralisme de l’informationquotidienne ; et la pré-campagne qui n’est concernée que par ce dernier aspect. Lesmesures sont modernisées au fil du temps, réduisant les formats, assouplissant lescontraintes de support… le réel sommet de la campagne télévisée est le traditionneldébat de l’entre-deux tours, dont le succès s’estime grâce aux chiffres d’audience toujoursflatteurs, qui dépassent toujours le seuil des 15 millions de téléspectateurs110. C’est d’ailleursà l’occasion du second tour qu’on se rend compte que le traitement de l’information par latélévision joue un rôle décisif dans la mobilisation électorale : toutes les enquêtes effectuéessur les préférences médiatiques du public en matière d’information politique électoraleplacent la télévision largement en tête. Ainsi, en 1995, l’institut CSA établissait que lepetit écran était la source déterminante d’information pour les votants à hauteur de 83%,supplantant les journaux (32%), les discussions (25%) et la radio (23%).

Pourquoi alors choisir la presse écrite comme sujet d’étude du traitement del’information et de la communication politique en période électorale ? La question n’est pasde savoir si le journal va convaincre ou non, mais l’intérêt est d’analyser les différentesapproches de traitement de l’information selon le support ; de plus, l’outil qu’est la presseécrite est un support qui n’est pas volatile comme la télévision, ou la radio : les mots parlent

109 J.-M. M Masclet, « Droit de la campagne électorale », pp 129-133, dans P.Perrineau et D. Reynié, Dictionnaire du vote,Paris, PUF, 2001.

110 « Médias et campagnes électorales », Jacques Gerstlé, dans Elections et campagnes électorales, La DocumentationFrançaise, mars 2007.

Chapitre 3 : Révéler le réel ? Mots et images de campagne dans les médias

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d’eux-mêmes, il n’y a pas d’indice subjectif supplémentaire comme la mise en scène spatialelors d’un débat télévisé, l’allure de celui qui parle, l’intonation de la voix, etc. La versiondu support choisi, le journal, apparaît identique pour chacun. De plus, la presse n’est passoumise aux exigences imposées à la télévision et à la radio en période de campagneélectorale : le traitement de l’information peut donc paraître plus libre, et révéler le réel,tout ce qui échappe au politique. Grâce aux exemples, nous allons tenter de vérifier cetteaffirmation.

Pour étudier les mots et images de campagne de Nicolas Sarkozy relayés dans lapresse écrite, j’ai bien évidemment dû encadrer et limiter mes sources. Dans un premiertemps, assez arbitrairement, j’ai choisi deux supports : Libération et Le Monde, par soucid’équilibre, répondant à mes préjugés personnels quand à l’orientation de chaque journal,l’un davantage orienté vers la candidate Royal, l’autre a priori plus neutre. J’aurais puégalement choisir un journal davantage orienté vers le candidat Sarkozy, comme Le Figaromais pour des raisons purement pratiques d’accès aux archives, mon choix s’est confortésur Libération et Le Monde.

Pour chacun des deux supports, j’isolerai dans un premier temps le traitement des motspour être en mesure de les comparer, puis j’analyserai la mise en scène des unes et desimages pour ensuite également les confronter.

Auparavant, voici une brève présentation de Libération et du Monde. Tous deux sontdes journaux quotidiens, nés respectivement en 1973 et 1944. Libération couvre aujourd’huiune diffusion de 160 000 exemplaires papier111 et selon Laurent Joffrin, actuel président dudirectoire du journal, Libération est « une voix importante dans la société française », « lagauche de la presse du matin » et représente « un enjeu politique et social » significatif.La vie du journal fondé sous l’égide de Jean-Paul Sartre, reprenant le titre d’un journal dela résistance, positionné à l’extrême gauche à ses débuts puis évoluant vers la gauchesocial-démocrate, a connu beaucoup de revers financiers et d’échecs commerciaux suiteaux innovations des formats et à la chute chronique de la diffusion ; notons cependantquelques cas d’engouement, comme le succès de la une « Non » en réponse à Jean-MarieLe Pen en avril 2002 atteignant les 700 000 exemplaires. Cette instabilité financière a eudes conséquences récemment en termes de perte de journalistes et cadres du quotidien,et notamment de l’un des pionniers, Serge July. En 2007, Libération soutient ouvertementla candidature de la socialiste Ségolène Royal.

Le journal Le Monde, héritier du journal Le Temps,est considéré dans l’imaginairecollectif comme le quotidien de référence en France. Sa diffusion témoigne de sonsuccès, avec 350 000 exemplaires112. Mais comme Libération, Le Monde a eu son lot dedifficultés, mais d’ordre davantage « idéologiques » : la question était et est alors de savoirsi le quotidien est fidèle à sa réputation de rigueur et de déontologie. En 2003, PatrickChampagne a analysé l’évolution du journal, puis la critique est devenue accusation dans La

Face cachée du Monde 113 tentons de vérifier ou de récuser ces hypothèses dans le cadre

du traitement de l’information et de la transmission de la communication des candidats àl’élection présidentielle 2007.

Auparavant, il paraît nécessaire d’expliquer les choix de segmentation des parties,sur le modèle de la segmentation des temps de la campagne de Nicolas Sarkozy : le

111 Source : OJD.112 Source OJD.113 De Pierre Péan et Philippe Cohen.

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premier temps est la « pré-campagne » : Nicolas Sarkozy ambitionne de se présenter, mettout en œuvre pour y parvenir (2006 au 14 janvier 2007). Le second temps est celui oùNicolas Sarkozy est officiellement investi par son parti et simultanément toujours ministrede l’Intérieur (14 janvier-26 mars 2007). Le troisième temps commence le 26 mars jusqu’àl’élection, où Nicolas Sarkozy est un candidat « à plein temps ».

Les étapes de la candidature sur l’échelle du temp s

I Récits et mots de campagne

A Le personnage Sarkozy de LibérationEn recherchant les articles de Libération propres à Nicolas Sarkozy, je me suis aperçue quepour chaque partie temporelle isolée, un nom de journaliste en particulier revenait souvent :hasard du calendrier ? Ou spécialisation selon le « rôle thématique » de Nicolas Sarkozy ?Notons également que, principalement, les textes sont des articles critiques, qui analysentl’actualité avec les « lunettes » de Libération.

Cependant, avant de nous pencher sur des articles dits « traditionnels », portonsnotre attention sur un entretien réalisé en septembre 2006 : pour légitimer les écrits deLibération, le journaliste Renaud Dely interroge Anne Muxel, chercheuse au centre d’étudesde la vie politique française114. Il utilise son biais et son statut de chercheuse, son aura deconnaissances et d’arguments scientifiques donc supposés neutres contre Nicolas Sarkozy.L’avis du journaliste intervient dans l’orientation de ses questions : « Nicolas Sarkozy est peuapprécié par les jeunes », « Nicolas Sarkozy les inquiète », et suppose que Nicolas Sarkozyn’a pas besoin de se soucier de l’électorat des jeunes. Ainsi, même si Anne Muxel atténue lepropos « anti-Sarkozy » (« il faut nuancer l’ampleur du déficit dont souffre Nicolas Sarkozy »,« il reste parmi les candidats qui enregistrent le taux de sympathie le plus fort »), RenaudDely embraye avec les mots qui fâchent : « l’ « effet Kärcher » », « Sarkozy inquiète ».

En inscrivant cet entretien dès septembre 2006, au début de la « pré-campagne »,Libération ancre dans l’imaginaire des lecteurs un élément qui apporte de la véracité auxarticles suivants, tout au long de la campagne à venir. Le journal est associé à la véritéscientifique de la chercheuse, issue d’une institution reconnue et crédible.

Tentons maintenant de décrypter les caractéristiques du personnage Sarkozy selonLibération, durant la première période isolée.

Avant la mise en route dite « officielle de la campagne » et la désignation de NicolasSarkozy comme le candidat unique et approuvé par les adhérents de l’UMP, Libération décritd’abord un homme qui n’est pas en accord avec lui-même : « Nicolas Sarkozy peine àtrouver la sérénité » ; et qui ne parvient pas à mettre au point ses effets de campagne,comme par exemple sa déclaration de candidature par le biais de la presse quotidiennerégionale. Le journal lui reproche, du fait de ses « ratages » successifs, de ne plus prendrel’initiative, de ne plus être offensif et d’observer simplement les faits, gestes et dires de sarivale principale Ségolène Royal avant de réagir.

114 Annexe 1.

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Même au sein de son propre camp, Nicolas Sarkozy ne montre pas l’image d’uncandidat tranquille : Libération le trouve « agressif » lors du conseil national de l’UMPle 16 novembre 2006, lorsqu’il répond aux critiques de Michèle Alliot-Marie qui l’avaitpréalablement contredit sur plusieurs sujets. Par-là même, Libération change de posture : lequotidien n’est plus l’ « ennemi » de la droite UMP, il s’oppose frontalement et exclusivementà Nicolas Sarkozy. Il souligne le désaccord avec Michèle Alliot-Marie, le désintéressementdu public « qui n’était pas au rendez-vous » et crée l’opposition « Nicolas Sarkozy contre lereste du monde », traduisant un personnage tel qu’il en parvient même à être en désaccordavec les autres membres de son parti et à réunir contre lui des opposants de tous bords.

Contre lui, la journaliste présente un adversaire à la hauteur, dont il a de quoi avoir peurquant à l’issue du vote. Ségolène Royal bénéficie du « processus socialiste » modèle, des« débats du PS » exemplaires et surtout, n’est pas un adversaire « classique ». VanessaSchneider, en parlant de la candidate socialiste, cherche à définir l’un par rapport à l’autre,compare les institutions qui les soutiennent (ou non), les bons déroulements des forums(ou non), l’utilité de la stratégie de l’un par rapport à l’autre (ou non), et crée finalementune hiérarchie, une comparaison qui paraît naturellement dévaloriser la méthode de l’unpar rapport à l’autre. Si la communication politique est une attitude en comparaison avecl’Autre, la journaliste de Libération adopte cette méthode pour mettre en échec le candidatde la droite (« il s’est montré agressif », « il a reconnu avoir commis une erreur », « leforum a tourné au grotesque », « la tentative de copier (…) reste viciée d’avance ») et par lamême occasion, encenser la candidate de la gauche (« une adversaire coriace », « copierle processus socialiste »).

Après avoir critiqué l’homme, Libération se penche sur l’organisation générale de l’UMPet des forums de campagne : « Raté : le premier forum (…) a tourné au grotesque », puis surl’équipe propre du candidat Sarkozy. Elle est décrite comme improbable et désorganisée,forçant à faire cohabiter les nouvelles recrues et les fidèles de Nicolas Sarkozy depuisquelques années, qui comptent forcément des divergences. Cette diversité incohérente serépète dans tous les autres domaines, comme celui de la communication « où la guerre desego fait rage » et qui crée d’office une désunion qui fragilise et décrédibilise la stratégie ducandidat. Il devient le candidat qui ne choisit pas, mais qui regroupe grossièrement toutesses chances d’accéder à la fonction suprême, abandonnant toute éthique et toute rigueurde campagne. Comme Machiavel, il pense que « la fin justifie les moyens » et pour lui, tousles moyens un tant soit peu utiles doivent être employés, sans hiérarchie, dans le désordrele plus total. Ce « désordre », c’est l’ensemble des hommes et femmes susceptibles del’aider dans sa démarche, non sans intérêt « les rivalités se font sentir parmi les soutienspolitiques chaque jour plus nombreux » : pour Libération, l’état d’esprit d’ambition et derecherche absolue du pouvoir s’est donc propagé comme une épidémie et « la liste desnoms retenus risque de faire des jaloux » : l’intérêt personnel est supérieur à l’intérêt d’unparti, ou d’une idéologie.

Pour illustrer l’absurdité de la candidature Sarkozy et de sa stratégie de campagne,Vanessa Scheider prend trois exemples significatifs : Johnny Hallyday, l’exilé du fait desimpôts trop élevés à son goût, Doc Gynéco condamné à une forte amende dans lecadre d’un redressement fiscal, Pascal Sevran coupable de propos racistes. Les soutienspolitiques et artistiques sont une représentation et un prolongement du candidat, NicolasSarkozy est donc indirectement responsable de ces actes et assimilé aux fautes commises.Johnny Hallyday représente celui qui n’applique pas les règles communes à lui-même,s’excluant d’office de la participation collective ; Doc Gynéco représente le jeune ignorant,drogué, girouette (après avec soutenu Jospin et fortement critiqué les valeurs de droite

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dans ses chansons, il est un adepte inconditionnel de Nicolas Sarkozy) et fraudeur (pourl’affaire citée du redressement fiscal) ; enfin Pascal Sevran représente le côté réactionnaireet raciste de Nicolas Sarkozy dénoncé par Libération. Sans le taxer directement de cesprincipes de vie et de pensée non valorisants, le journal les lui attribue par associationd’idées, et n’est ainsi pas coupable de diffamation quelconque : il induit un rapprochementet se rend complice du lecteur.

Un autre thème récurrent des articles de Libération dont le contenu concerne NicolasSarkozy est son statut de ministre : son bilan est vivement contesté. Vanessa Schneider etJean-Dominique Merchet dénoncent le flot des projets de loi sur la délinquance, l’insécuritédont les résultats ne sont pas à la hauteur de l’ « avalanche législative ». Ils laissent laparole à l’équipe du ministre, qui semble se débattre entre les affirmations de l’une, NadineMorano : « Les bons résultats obtenus », la réalité d’un autre : « Est-ce qu’on a réussi ?Non. ». Après la mise en scène d’un « flou » de la droite, l’opposition avec Ségolène Royalest frappante : tout est clair, affirmatif : « Ségolène Royal a affiché d’entrée une ligne d’unegrande fermeté » et toutes les citations se recoupent, s’accordent sur le fait que la loi deNicolas Sarkozy doit être revue, corrigée, réfléchie, et qu’une simple loi ne peut pas seulefaire avancer les choses. Notons qu’entre les paragraphes 2 et 3 de l’annexe 5, opposant lesavis successifs de la droite et de la gauche, il y a un certain déséquilibre entre les citations.Libération « entrecoupe » les phrases des déclarations de droite avec des remarques, desqualificatifs : « réaliste », « frénésie sarkozyste ». Dans le paragraphe suivant, tous lestémoignages vont dans le même sens (en faveur de la gauche), et le journaliste semblemoins intervenir entre les citations : elles se limitent rarement à de simples mots, et ne sontpas suivis de qualificatifs subjectifs comme dans le paragraphe précédent.

Libération dénonce le fait que Nicolas Sarkozy veuille rester à son poste de ministrede l’Intérieur jusqu’à sa désignation officielle en janvier, et le soupçonne que ce ne soit paspour les raisons officielles invoquées, comme la volonté du devoir accompli, mené jusqu’àson terme, mais par « plaisir et confort matériel qu’il trouve à être au cœur du pouvoir »et par peur « d’être remplacé par un chiraquien hostile à sa candidature ». A son postede ministre, son ambition n’est donc pas de remplir ses objectifs mais de rester en coursepour la présidentielle. Encore une fois, la fin justifie les moyens et tout n’est que stratégiepour le pouvoir.

Mais l’image qui revient le plus souvent est celle d’un personnage « mauvais » en soi ;réactionnaire, raciste, imbu de lui-même, ambitieux ; les adjectifs se succèdent : « nerveux,agressif », « égocentrique », « irritable ». Son comportement, son ambition et ses idéeslui valent un personnage qui fait peur aux journalistes de Libération, au point d’apparaîtrecomme un future dictateur ou le diable en personne : il apparaît tantôt en « père Fouettardà l’ancienne », en « Ben Ali ou Fidel Castro », et est associé au Maréchal Pétain au traversde la référence incluse dans le titre « Travail, jeunesse, patrie selon Sarkozy ». D’emblée,son image est ternie car il fait partie des « fauves de la droite », mais son caractère propreen politique fait toute la différence : « la modestie n’est pas son truc », « il ne parvient pas àcacher ses ambitions » et se bat avec « acharnement » pour accéder au pouvoir. Cependant,cela ne se fait pas sans « dérapages » et « mises en garde douteuses (…) à l’adresse desjeunes d’origine étrangère », faisant de lui, comme dirait la chanteuse Diam’s, un « Sarko(…) démago » et un « Sarko facho ». De plus, il « achève d’enflammer son ego » grâce ausuccès de son livre Témoignage, ne cache pas sa « gourmandise » et entretient sa foliedes grandeurs notamment par la mise en scène d’un « raout monumental », d’une « messedominicale d’investiture » le 14 janvier 2007.

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Le personnage de Nicolas Sarkozy en pré-campagne selon Libération est donc unhomme très ambitieux, prêt à tout pour parvenir à ses fins personnelles, même à la plusgrande incohérence idéologique ou même pratique. Il est un homme qui fait peur aux jeunes,et qui devrait faire peur aux simples citoyens qui vivent loin des méandres du pouvoir etde l’argent. Son équipe est encore incohérente, divisée : il agit sans l’appui présidentiel,mais organise un Empire, à commencer par la préparation de son investiture officielle, le14 janvier 2007. Il est montré à la fois comme un homme dangereux, comme un dictateur(comparaison avec Fidel Castro et le Maréchal Pétain) et d’un autre côté, est tourné endérision pour que son personnage prête à sourire (« la mue du Petit Nicolas »). Il est autantle ministre sur le point de quitter son poste, à l’heure des bilans (d’ailleurs vivement contestépar Libération), que le candidat « depuis quatre ans », en attente de la désignation officielle,ce qui ouvrira une nouvelle période.

Si Ségolène Royal a été reconnue candidate du parti socialiste en 2006, NicolasSarkozy a du attendre le début de l’année 2007 pour recevoir son « adoubement » :Libération rappelle le « Sarko-show » mis en scène porte de Versailles à Paris, et reconnaîtle rassemblement d’une grande partie de la droite derrière son leader pour l’électionprésidentielle. Le ralliement est annoncé « sans ambiguïté » par « ses anciens rivaux »comme « Alain Juppé (…), Michèle Alliot-Marie », à la manière du plébiscite des militants,s’accordant sur le choix du candidat Sarkozy à 98,1%. Seul « Dominique de Villepin resteseul à bouder ostensiblement dans son coin ». Dans l’article du 15 janvier, Renaud Delyprofite du regroupement de la droite pour faire part de son inquiétude face « à la zizaniequi s’installe dans le camp d’en face » et face à la chute de popularité de la candidateRoyal « auprès des catégories populaires » ; si le thème de l’union de la droite est abordé,c’est donc pour inquiéter les français et les pousser à se rendre compte d’une situation quipourrait devenir dangereuse pour les voix de gauche. A défaut d’être montré en exemple,le rassemblement de la droite est une alarme qui traduit les difficultés de l’autre camp.

Cependant, l’union de la droite serait davantage totale par un soutien public de lapart du chef de l’Etat. Pourtant, au 10 mars, Alain Auffray et Antoine Guiral nous disentque « Sarkozy ne voit toujours rien venir ». Ils mettent en avant les difficultés du parti del’UMP et du camp chiraquien à s’accorder sur la personnalité de Nicolas Sarkozy : c’estun candidat qui suscite des « craintes et les peurs de certains », il est « trop impatient »et usurpe les pouvoirs présidentiels, notamment lors d’une conférence de presse sur lapolitique étrangère puis sur la défense, domaines réservés. Jacques Chirac n’apprécie pasle personnage, ni son mot « rupture », mais son soutien serait une « valeur ajoutée »forte pour le candidat : il permettrait de rassurer l’ensemble des Français auxquels JacquesChirac s’adresse, et une partie de la droite fidèle au fondateur du RPR et de l’UMP.

Malgré le soutien tardif du chef de l’Etat, Libération estime que « Nicolas Sarkozyapparaît (…) plutôt comme un héritier que comme un hérétique du chiraquisme ». Maiscomme on l’a vu pour la première période, où le candidat fait appel à des soutiens de tousbords, très hétérogènes, il fait appel dans ses discours à des références à la fois de lagauche et de l’extrême droite pour récolter un maximum de voix.

Le 26 janvier, Nicolas Sarkozy « travaille son côté popu » lors de son déplacementdans l’Aisne, au point où il se voit renommer « « Arlette » Sarkozy », après son allocutionen direction des « travailleurs ». D’après le journaliste Antoine Guiral, cette mutation duvocabulaire et ce voyage dans l’imaginaire collectif et les symboles du socialisme est unetechnique « pour les récupérer » (les travailleurs). Pour creuser le fossé, il rappelle quece n’est pas qu’un candidat, mais « l’homme de Neuilly », et le classement de la rubriquede l’article extrait ce déplacement vers le monde social des présidentielles vers la rubrique

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« Politiques ». Ainsi, il déplace le débat, en contestant la légitimité de Sarkozy à intervenirdans ce « champ », réservé aux hommes et aux femmes de gauche. Véritable usurpateur, il« dépouille » la gauche de ses totems ; « provocateur », il se permet de douter de l’héritagede Ségolène Royal et de François Hollande, les accusant de « n’avoir jamais lu Jaurès ».Pour Libération, cette revendication d’une histoire commune (de gauche…) n’a pas de sens,bouleverse les codes, les référents, contribue davantage à brouiller l’identité et les originespolitiques de Nicolas Sarkozy, et amplifie le sentiment de doute et de crainte envers cecandidat.

L’événement relaté dans le journal du 10 mars appuie cette impression de flou desrevendications ; mais cette fois-ci, Libération ne conteste pas l’héritage caché derrière lesmots de Nicolas Sarkozy : ses propos concernant un « ministère de l’Immigration et del’Identité nationale » témoignent selon la journaliste Catherine Coroller du « franchissementd’un nouveau palier » dont le « seul soutien » est « celui de Jean-Marie Le Pen ». Profitantdu choc provoqué, elle énumère ceux qui ont été touchés : François Bayrou qui estimequ’il a « franchi une frontière », François Hollande estimant que « Nicolas Sarkozy [est]dans un flirt poussé avec les thèses du Front National », Marie-Georges Buffet effectuantun parallèle avec « l’époque de Vichy », et les réactions des associations. Libération isolele candidat contre tous les autres, pour ensuite lui accorder un espace de justification dontla mise en scène ne lui apporte que peu de crédibilité ; l’argument de Xavier Bertrand paraîtbien mince : « Ce n’est pas parce que Bayrou est à l’affût et que Hollande est aux aboisqu’il faut raconter n’importe quoi », et ceux de Rachida Dati puis le communiqué de NicolasSarkozy sont jugés immédiatement et sèchement d’un « Rhétorique.». Pour encadrer laparole de la droite fautive, la journaliste finit par un argument non contestable, la citationpar un spécialiste de l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’homme sur ledroit de vivre en famille.

En plus du fait de brouiller les pistes en matière thématique et d’héritage idéologique,Nicolas Sarkozy confond deux fonctions : celle de ministre de l’Intérieur et celle de candidat.Ce procédé n’est pas inédit, beaucoup de candidats aux élections présidentielles ont gardéleur poste pendant l’élection (Lionel Jospin Premier ministre, Jacques Chirac Président dela République), mais Libération estime que « Sarkozy porte une casquette de trop ». Ainsi,le fait d’être ministre de l’Intérieur lui donne des pouvoirs incompatibles avec son statut decandidat, le débat a notamment été soulevé après l’affaire de la note des Renseignementsgénéraux sur un conseiller de Ségolène Royal, Bruno Rebelle. Le PS et l’équipe du candidatUMP s’affrontent, dénonçant successivement « un usage abusif des moyens de l’Etat »,y répondant par l’argument suivant : « il n’y a pas de confusion des genres. Les comptessont clairs ». Si Rachida Dati est ainsi catégorique, Libération rétorque et prend pourexemple le voyage de Nicolas Sarkozy à Millau en tant que ministre de l’Intérieur, et où iln’a pas pu s’ « empêcher de poser pour une véritable photo de campagne et de fendre dephrases à vocation purement électorale ». Pour confirmer son propos, Catherine Corollerrécidive deux semaines plus tard dans le cadre de Libération, où il est rapporté que NicolasSarkozy soutient le journal Charlie Hebdo au nom de la liberté de la presse (au sujet d’unecaricature, d’une satire des coutumes musulmanes) dans le cadre d’un procès intenté parla communauté musulmane de France. Libération dénonce le caractère flou de la nature decette intervention : les instances de la communauté musulmane ont trouvé que « en tantque ministre de l’Intérieur, Monsieur Sarkozy a un devoir de réserve » ; alors que NicolasSarkozy affirme avoir fait cette déclaration en tant que candidat à la présidentielle. Le journalestime que, pour des fins politiques et stratégiques, (« concurrencer Chirac et Villepin, quiont condamné la parution des caricatures » et « doubler la gauche sur son terrain favori :

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le combat pour la laïcité »), Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à troubler, par sa déclaration, ledevoir de réserve que doit avoir un ministre de l’Intérieur dans ce genre de cas.

Un autre thème récurrent dans la période intermédiaire de la « double casquette »est le rapport de Nicolas Sarkozy avec les médias, et plus généralement sa stratégie decampagne. Le 8 février, Libération se lance sur un sujet épineux : la visite de NicolasSarkozy en banlieue, qui serait la première depuis l’épisode d’Argenteuil, où il promettaitaux habitants de les débarrasser de la « racaille », juste après avoir évoqué l’ « arme »du « nettoyage » : le « Kärcher ». Cet événement sera bien entendu suivi de près par lesmédias, et c’est pour cette raison principale que le journaliste Alain Auffray nous raconteson organisation dans le moindre détail, dont le but est d’éviter un incident quelconquesusceptible de nuire à la campagne du candidat UMP. La statut de Nicolas Sarkozy achangé : « ce n’est plus en premier flic de France, mais en candidat de tous les Français qu’ilvoudrait se présenter aux habitants du quartier », il ne vient donc pas pour mettre de l’ordremais pour proposer ses idées : cette fois-ci il ne s’impose pas, il doit séduire à tout prix(Libération oublie ici l’ambiguïté du double statut de Nicolas Sarkozy qu’il a précédemmentdénoncé). Le prix de la séduction est un travail préalable, avec les habitants, des rencontresavec les jeunes, notamment par le biais d’une association « Bleu Blanc Rouge », qui,conquise par le candidat, est chargée de convaincre en tant que relais-ambassadeur lesautres jeunes du quartiers, et ainsi plus à même de palier et de jauger l’atmosphère d’accueilet les éventuels débordements. Un déplacement est en soi symbolique, une mise en scène,et ne change rien à la problématique de la réalité. Le candidat ne ressent pas le quotidien etles problèmes des habitants, mais fait un geste vers eux pour que, par le biais des médias,ils comprennent qu’il s’intéresse à eux. Nicolas Sarkozy tente donc de soigner cette imagemédiatique, bien qu’il essaie « d’être authentique ». Sur un plateau de la chaîne de télévisionM6, Libération doute de cette sincérité, estimant qu’il « va nous faire son grand numérode chattemite, voix doucereuse et détimbrée », faisant « mine de grimacer quand on levoit jeune (…) ou coiffé d’une casquette ». Les journalistes Raphaël Garrigos et IsabelleRoberts en font un personnage comédien et menteur, en le citant ironiquement : « il faitl’étonné : « Non, non, non, je séduis rien du tout ». C’est que, voyez-vous, (…) vous vousrendiez compte si je mentais, ça se verrait comme le nez au milieu de la figure ». Il est alorsdécrit comme le « petit Nicolas », sa télévision comme signe de son égocentrisme, « unetélé immense pour se voir en énorme dedans », et qui tel Narcisse, aime à se contempler :« dans la lucarne en bas à gauche, Sarkozy regarde Sarkozy qui regarde sa grosse télé.Dans la lucarne Sarkozy a souri ».

Le personnage menteur est comédien est aussi un escroc : officiellement en tant quejournal d’information dont le but est de rétablir une « certaine » vérité, comprenons celle quise rapproche le plus de la réalité, Libération condamne régulièrement Nicolas Sarkozy, et le

1er mars, l’affaire porte sur l’ancien appartement du candidat à Neuilly révélée par le CanardEnchaîné. Il aurait bénéficié de plusieurs faveurs, réduisant considérablement la factured’achat et de rénovation de son appartement. Karl Laske, le journaliste de Libération, décritles efforts faits par Claude Guéant, bras droit et directeur de campagne de Nicolas Sarkozy,pour tenter de justifier les coûts : recherches de factures, de témoignages, publication decommuniqués… mais les détails fournis par le journal suffisent pour semer le doute, et lerappel d’une affaire « du temps de Neuilly » crée le passé du personnage Sarkozy, « déjà »escroc : dans l’esprit du lecteur, un homme politique « filou » reste « filou ». Les affaires dupassé décrivent l’homme politique du présent et traduisent les intentions de celui du futur.

Pour appuyer son propos, Libération s’appuie aussi sur des témoignages et desinterviews pro- ou anti-Sarkozy. Ce procédé permet au discours général du journal de

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s’appuyer sur une certaine réalité, sur des mots qui sont prononcés, et pas forcément surl’interprétation de faits, dans l’absolu forcément davantage subjectifs puisque rapportés.Pourtant, le journaliste peut orienter la conversation à son profit, et induire des doutes, ettransmettre son message au lecteur, à la manière d’un article traditionnel.

Le 8 février 2007, Jacky Durand traduit l’état d’esprit des « jeunes d’Argenteuil », avantune probable nouvelle visite de Nicolas Sarkozy. L’article n’est pas sous la forme d’uneinterview mais est une mise en scène de phrases assemblées, recueillies auprès d’un« petit groupe de jeunes garçons ». Le propos est clair : le ministre-candidat doit d’abord« s’excuser pour ce qu’il a dit ici » ; ensuite, il doit montrer davantage de courage et deproximité : « Dites-lui de venir tout seul », « la dernière fois, (…) le quartier avait été bouclé »,« il y avait des snipers ». De plus, il est critiqué en tant que candidat : « il y a des candidatsplus performants (…). Il ne satisfait pas les besoins des Français. », et on n’attend pasbeaucoup de sa visite : « A quoi ça servirait, cette nouvelle visite ? En un an et demi, lequartier n’a pas changé. ». Finalement, pour certains, sa précédente visite médiatisée ettrès polémique a davantage desservi le quartier : « Dès qu’ils savent que nous sommessur la dalle d’Argenteuil, ils ne viennent pas. ». Le journaliste donne enfin la parole à unmembre de l’association pro-Sarkozy Bleu Blanc Rouge « en contact avec le ministre del’Intérieur » depuis les « incidents ». Mais il conclut par une note négative : « C’est un peufacile de revenir après avoir insulté les jeunes. (…) Mais il nous reste notre dignité. ». Ici,le journaliste de Libération légitime son propos par une illustration dans la réalité : il encontact direct avec les premiers concernés par une visite de Nicolas Sarkozy en banlieue,leur propos ne peut être qu’un argument juste et vrai pour transmettre la non-popularitédu ministre-candidat en banlieue et ses erreurs stratégiques, s’invitant sur « la dalle » enlançant des propos provocateurs.

Le même jour, le journaliste Eric Aeschimann donne la parole à Alain Finkielkraut,soutient non-officiel mais qui « explique pourquoi il s’en sent proche ». Cet écrivain bénéficied’une certaine légitimité intellectuelle : cet élément est rappelé dans l’article : « J’enseigneà l’Ecole polytechnique, j’anime une émission hebdomadaire sur France Culture ». Il avoueêtre « proche » du candidat Sarkozy, sans pour autant le rallier car « un ralliement, c’est unecasquette ». Il dit s’identifier au personnage Sarkozy de part son passé de fils d’immigré,mais le journaliste le pique sur un point : il ne s’identifie pas à son programme : pour lui,Nicolas Sarkozy ne déchire pas suffisamment souvent « le voile de la bien-pensance »,contribuant à « [accompagner] le désastre ». Le journaliste de Libération parvient à orienterla conversation, en faisant dire à Alain Finkielkraut qu’il n’est pas un soutient inconditionneldu candidat de la droite, que ce dernier participe à un « désastre ». Cependant, la fin del’entretien est davantage une défense de la droite contre la gauche : l’essayiste dénonce les« mérites » de Sarkozy, les erreurs de Ségolène Royal et son « incompétence manifeste »,notamment en Chine, le malaise qui existe entre elle et son propre parti, et les « lapsusfascistes » dont est coupable le Parti Socialiste. Cependant, le journaliste semble laisser soninterlocuteur s’emporter, évoquant « ce pays indéfectiblement robespierriste », « la tentation(…) de réduire (…) ceux qui pensent autrement à des scélérats bons pour la guillotine ».En achevant son article par ses mots, le lecteur a l’impression que Alain Finkielkraut estexcessif, ce qui sert les intentions de Libération et cela est une manœuvre habile. Lejournal n’apparaît pas comme ayant « piégé » Nicolas Sarkozy, et pourtant, on reste sur unsentiment négatif vis-à-vis de l’intervention de celui qui « s’en sent proche ».

Le « personnage » Sarkozy de Libération pendant la deuxième période que nous avonsisolée, celle de la « double casquette », est d’abord décrit comme un candidat qui peutmettre en péril les espoirs de la gauche : son parti est derrière lui, comme en témoignent

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le plébiscite des militants et le ralliement d’une majorité des hommes politiques de l’UMP.Un homme manque à l’appel, et pas des moindres : Jacques Chirac. Il a besoin de sonsoutien pour paraître plus rassurant, représentant alors une droite plus modérée, plus« traditionnelle », au sens plus proche de la définition « habituelle » de partis comme le RPRou l’UMP. Car ses déclarations créent un brouillage des références et des référents : s’il enappelle au soutien du chef de l’Etat, il ne s’empêche pas d’ « usurper » des symboles dela gauche, comme Blum, Jaurès ou le « Travailleurs ! » d’Arlette Laguiller. Pour finaliser cemélange des genres, sa proposition d’un ministère de l’immigration et de l’intégration inciteses détracteurs à un revirement vers l’extrême droite. De la même façon, on ne sait pasqui il est : est-il représentant du gouvernement en tant que ministre de l’Intérieur, soumisà une certaine réserve et bénéficiant d’informations précieuse, ou est-il le candidat qui doitséduire, ayant une identité politique propre et donnant son avis sur les débats d’actualité ?Pour Libération, Nicolas Sarkozy profite et abuse de son double statut et ne s’étonne pasdes dénonciations publiées par le Canard Enchaîné, l’accusant d’un passé douteux. En plusd’être un tricheur, le candidat-ministre aime séduire par l’intermédiaire des médias, aimeplaire et se plaire, et met en scène ses interventions, cachant en fait la réalité et effaçanttoute trace de spontanéité.

Libération montre en Nicolas Sarkozy un candidat qui fait peur : le journal revient le 12avril sur ses propos dans un magazine qui portaient sur la place de l’inné dans l’identitéd’un individu. D’emblée, l’encart « Selon lui, « on naît pédophile » et « homosexuel ».Et « le modèle doit rester celui de la famille hétéro » » met en place le débat : laphrase est brute, ne s’accompagne d’aucun commentaire mis à part le « selon lui » deréserve, induisant que le journal est choqué par ces propos. L’évidence de l’indignationparle d’elle-même ; le titre cependant donne le ton, Nicolas Sarkozy est qualifié de« réactionnaire ». Ses propos inquiètent : « La vision de Nicolas Sarkozy (…) n’est pasforcément cohérente ». La journaliste Charlotte Rotman s’appuie sur un auteur qui soutientle PS pour traduire son incompréhension : « Il est capable de tout dire et son contraire »,« A quelle stratégie cela correspond-il ? » et en profite pour le cataloguer dans le cadredes « thèses néoconservatrices », et pour mettre en place des « clivages clairs avecla gauche » (ordre des mots différents). Ses propos retranscrits pour les rendre plusinquiétants encore, et rendre la gauche plus déontologique : « Cela dit (des gens) qu’ils sontincapables d’évoluer », ou « contrairement à la gauche, Sarkozy ne distingue pas filiation etreproduction. (…) Pour lui, la (…) seule « vraie » filiation [est celle] calquée sur la nature ».

Au-delà des mots, son caractère aussi fait peur : c’est un argument commun pour tousles autres candidats, dénoncé par l’UMP comme une « « campagne ignoble » orchestréepar des socialistes « qui n’ont plus rien d’autre à dire » ». Les qualificatifs et affirmationsse succèdent : il est instable, « diviseur à l’ego surdimensionné », « son pire ennemi, c’estlui-même », « ses propres amis ne sont pas à l’abri de ses coups de sang », un « côtéanxiogène », un « profil de diviseur dangereux ». Libération appuie sur le fait que le candidat,conscient de cette faiblesse, tente de corriger le tir : il compte par exemple sur le soutiende Simone Veil, d’Alain Juppé, de Jean-Louis Borloo, « peut-être Giscard », « qui diront la« confiance » d’une droite rassemblée » ? sur l’argument de François Fillon qui sort, « àchacun de ses meetings, (…), pour rassurer, sa réputation de « gaulliste social » ». PourLibération, rien n’y fera : comme Chirac qualifié de « dangereux » en 1988, l’argument del’homme qui fait peur pourrait bien être fatal à Nicolas Sarkozy.

Cet argument est donc exploité tout au long du mois d’avril, et notamment le 28, où« certains faits (…) troublants » sont relatés, et certaines questions (« Les médias sont-ils auservice de Sarkozy ? Et si oui, qui passe les plats ? ») sont posées. Il jouit tout d’abord d’ « un

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grand réseau », ami de grands patrons de groupes de télécommunications ou de presse.Dans le registre de l’homme instable, Libération fait part de ses « caprices », « grosse[s]colère[s] (…), invectives directes à des journalistes, remerciements douteux (…) » et« d’abus de pouvoir caractérisé ». Il est soupçonné d’influer sur toute intervention téléviséeou de presse écrite qui ne lui convient pas, qu’elle soit diffusée sur TF1 ou publiée dansParis Match. Les journalistes de Libération dénoncent les « incroyable[s] limogeage[s] »de patrons et directeurs de rédactions qui témoignent sans pudeur, «direct[ement] »: « J’aiété démissionné (…) tout simplement parce que j’ai refusé de tailler des pipes à MonsieurNicolas Sarkozy ». De plus, Libération dénonce le fait que Nicolas Sarkozy soit souvent lepremier au courant, à moins qu’il soit lui-même à l’origine de la décision. Quoiqu’il en soit, lejournal exige une parfaite transparence des relations entre les médias et le candidat, et uneindépendance de ceux-ci, en quelque sorte à son image. Par la dénonciation, Libérations’exclue d’office de ce système de dépendance des journalistes au profit des hommespolitiques, et au détriment des citoyens. Le candidat Sarkozy est le modèle de l’hommepolitique qui veut tout contrôler, et qui parvient déjà à avoir la mainmise sur une bonne partiede l’information : Libération tire la sonnette d’alarme à quelques semaines de l’élection faceà cet homme dangereux, qui fait peur, et dont les pouvoirs ne seront que décuplés s’il devientprésident de la République.

Libération jauge un Nicolas Sarkozy en fin de campagne sur le fil : après les événementsde la gare du Nord, on entre dans une nouvelle phase, où « tout peut basculer » ; l’assurancen’est plus de mise pour le candidat de la droite. Le candidat « exclusif » ne sourit pas, il est« sous pression, le visage tendu, rongé par des tics faciaux ». Au mieux de sa sympathie, ilamorce des « poignées de main, sourire forcé et fausse décontraction ». A Paris ou à Lille,le climat n’est pas accueillant et Nicolas Sarkozy sent que « quelque chose est en train dese jouer », « tout peut basculer ».

Plus que jamais, il prévoit des déplacements « bien encadrés », préférant la mairiede Villepinte incognito (« on n’a pas fait de pub »), mais en présence « des journalistes(acheminés en bus ) pour prouver que le candidat UMP a franchi le périphérique » auxquartiers où « ça aurait été plus agité ». Nicolas Sarkozy ne se déplace plus pour rencontreret transmettre, il veut « rassembler » au travers de l’outil médiatique comme s’il évoluaitdans une bulle de verre, immunisé des réactions du monde réel. Les témoins de la scèneen sont bien conscients, ayant découvert que « la mairie avait demandé » de « garder lesecret » concernant sa visite : « je suis sûr qu’on va passer à la télé : les deux Noirs etlui… ». Au-delà du symbole loué par la maire de Villepinte (« Nicolas Sarkozy (…) en Seine-Saint-Denis, tout un symbole ! »), son existence et son action ne sont justifiées que par laprésence médiatique. On ne fait plus campagne sur le fond, mais sur la forme : la présenceà un endroit donné prévaut sur le message qui y est transmis.

Enfin, il ne se concentre plus exclusivement à son message, et répond aux attaquesqui lui sont faites, mission autrefois attribuée à son équipe de campagne. A quelques joursdu scrutin, il joue la carte de la victimisation, dénonçant le « TSS » (Tout Sauf Sarkozy),l’ « excès de caricature », le « front commun des haines et des intolérances », s’indignantavec ingénue : « Pourquoi tant de haine ? ». Comme pour se rassurer, il répète et fait répéterpar ses conseillers que « le front anti-Sarkozy n’a pas fonctionné ». Libération transmet cespropos avec amusement, démontant leur véracité en citant « les chiffres disponibles », ceuxqui disent que « Nicolas Sarkozy reste loin derrière Ségolène Royal derrière les 18-24 ans ».Pour finir, le journal remet à nouveau en cause la déontologie du candidat UMP, « capable des’entendre avec son pire ennemi », argument qui semble pour Libération justifier la stratégiedu « TSS ».

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A l’approche du scrutin présidentiel, Libération veut convaincre : en tant que soutieninconditionnel de la gauche, le candidat à battre est donc, selon les sondages, NicolasSarkozy. Plus que d’encenser la candidate Royal, le journal a choisi la stratégie suivante :convaincre les électeurs de ne pas voter pour le candidat Sarkozy. Pour cela, il adopteune attaque directe et frontale : le 12 avril, l’ancien ministre refuse « l’invitation qui luiavait été faite de venir (…) pour participer à la conférence de rédaction », et Libérationinsiste sur sa différence, « comme avant lui [étaient venus] Ségolène Royal et François

Bayrou ». Ce refus est le résultat d’un désaccord né le 1er mars, avec la une « Le soupçon »,dont Nicolas Sarkozy estime que l’attaque n’est pas « politique », mais « personnelle »,et même « déloyale, et déplaisante ». Il accepte « que l’on dise qu’[il a] des défauts, maisn’accepte pas la « démolition systématique » opérée contre lui. La tension entre les deuxparties s’observe pendant l’entretien publié le 12 avril. Les questions sont directes, sansdétour : « Vous vous droitisez pour rassembler votre camp au premier tour ? (…) Vousvoulez récupérer l’électorat de Le Pen ? » et le candidat répond du tac au tac : « Oui, jesuis né hétérosexuel. (…) Non. Le 68 que je dénonce, c’est le relativisme. (…) C’est faux etgrotesque ! (…) Non, plutôt moins. (…) Oui, Chirac, Villepin (…) ». Les réponses ne sont pastrès longues, et n’excèdent pas sept phrases. Le but de l’entretien n’est pas pour le candidatd’expliquer son programme, ou pour le journal de découvrir ses propositions mais de testerleur réactivité réciproque, leur système de défense ou d’attaque : on assiste à un rapportde forces verbal. Ainsi, l’échange est très personnalisé : les questions sont spécifiques àNicolas Sarkozy, et s’adressent clairement à lui, à ce qu’il a dit, à ce qu’il a fait ou promisde faire et pas à une entité de droite quelconque. L’objet principal est : Nicolas Sarkozyen tant que potentiel futur président : « Vous voulez (…) ? Vous inquiétez (…). Si vousgagnez (…) ? C’est vous (…) ? Vous n’irez pas (…) ? Vous avez dit (…) ». Inversement, lecandidat répond aux journalistes (quatre journalistes pour cette interview) comme s’il parlaità l’« entité Libération », à la gauche toute entière : « Vous vous trompez sur le situation dela France (…). Vous croyez que je peux faire le 20 Heures avec des images de violence(…) ? Vous, vous êtes pour que la République corrige les inégalités en faisant reculer ceuxqui ont un patrimoine ». Le ton du dialogue est passionné et investi : il y a des enjeux,notamment celui de « gagner » l’échange. Libération pose des questions non neutres, dontla réponse est parfois induite dans la question, et qui n’apparaissent même parfois pascomme des questions, mais comme des revendications après une réponse qui ne satisfaitpas. On n’assiste plus à un entretien question/ réponse mais à une discussion politique :« Le « ministère de l’immigration et de l’identité nationale » a choqué à gauche, mais aussià droite… (…) Cette revendication d’un ministère figure dans le seul programme du Frontnational. (…) ». Pour se défendre de certaines attaques, Nicolas Sarkozy fait appel à latroisième partie, les lecteurs : au lieu de dire « Il n’y a rien de mal à récupérer les électeursdu Front national », il dit : « Au nom de quoi récupérer les électeurs du FN, c’est mal ? »ou « Les quartiers difficiles avec les ghettos, tout cela, c’est une invention de ma part ? » et« Sinon, comment sont élus ses députés », enfin « C’est ça, le référendum anti-Sarkozy ? ».

Mais le face-à-face n’est pas toujours réel : le 12 avril, le court article « Il n’en parle plus »fait une démonstration en quatre points. Pour chacun, Libération expose ce que NicolasSarkozy a dit ou a pensé, puis ce qu’il a fait en réalité. L’opposition binaire se répète etaccentue la tension dramatique à chaque nouveau paragraphe : « Dans son programme,Nicolas Sarkozy promet de (…). L’économiste Thomas Piketty relève « l’absence totalede crédibilité » (…). Favorable au (…), Nicolas Sarkozy y a renoncé (…). Le ministreenvisageait (…) ; le candidat y renonce (…) ». C’est cette même méthode qui est adoptéele 25 avril, avec dix raisons de ne pas voter pour Nicolas Sarkozy, ou « Les dix fracturesprogrammées de Sarkozy ». Pour chaque thème présenté en sous-titre, un paragraphe « ce

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qu’il a fait » répond à un paragraphe « ce qu’il va faire ». La succession de la présentation deses ambitions et de son bilan effectif a pour effet de casser l’enthousiasme des propositions,d’ancrer dans la réalité la probabilité des promesses tenues. Le but de la manœuvre estde persuader le lecteur que le bilan de Nicolas Sarkozy (concernant les thèmes de lajustice, de la police, de l’immigration…) est une preuve du caractère mensonger de sespropos. Le message est clair : d’une part, les projets du candidat de l’UMP ne sont pasviables (pour cela, Libération s’appuie sur le témoignage d’experts : « Tous les spécialistesestiment qu’une telle mesure fera explose la population pénitentiaire ».) et d’autre part,Nicolas Sarkozy n’est pas un homme de parole : « ce qu’il a fait » ne correspond pas à« ce qu’il a dit », il faut donc émettre des réserves quant à la véracité de « ce qu’il veutfaire ». Si le journal admet réagir par un « désaccord franc, foncier, avec la politique [qu’ilpropose] », il récuse toute accusation de « haine », de « peur » ou de « ressentiment »envers lui et nie l’existence d’un « front anti-Sarkozy », étant donné que celui-ci lui « rendraitla tâche si facile ». Le 25 avril, dans « Quelle haine ? », Laurent Joffrin parle au nom detoute la rédaction et déclare au candidat de droite un combat « à la loyale », et pas une« révolution », même si « on a fait une révolution pour cela ». L’article est en fait ambigu :il refuse toute haine, nie la peur suscitée par Nicolas Sarkozy alors que, comme on a vu ci-dessus, Libération le voit comme un candidat qui « fait peur », qui « inquiète » ; l’oppositionest purement symbolique, mais comporte une certaine violence : « on a fait une révolutionpour cela, (…). Personne ne veut voir votre tête au bout d’une pique (…). Mais (…) ils sontbeaucoup (…) à ne pas souhaiter la voir (…) avec le sourire du vainqueur ». Libérationpromet qu’il n’y aura pas d’opposition physique (au soir du 6 mai, dans la rue, pas si sûr…),mais promet une opposition morale forte, presque menaçante, et assurément pesante ; lejournal vivra pour lui résister.

Le personnage de Nicolas Sarkozy vu par Libération pendant la période de campagnedite « exclusive » paraît plus que jamais dangereux à l’approche de l’échéance électorale :le journal nous rappelle sa personnalité instable, ses amitiés qui lui donnent accès à unpouvoir sur les médias jugé aux limites de la démocratie ; et ces caractéristiques s’amplifientà mesure que la campagne avance dans le temps. La tension monte, le candidat peine àse contrôler, ce qui l’incite à prendre beaucoup de précautions lors de ses déplacements,les rendant immunisés de tout contact avec la population, exigeant la présence seule desmédias. Ses thèmes de campagne sont connus, et il se plaint alors de la diabolisation miseen œuvre à son égard, pour le disqualifier d’office. Il est vrai que l’attitude de Libérationen tête est de plus en plus « agressive », et le journal mène une campagne frontalecontre Nicolas Sarkozy. Les articles dénonciateurs, les portraits disgracieux, les mises enlumière de promesses non tenues et des projets dangereux se succèdent. On assiste à unvéritable duel, le journal s’investit comme une force vive, persuadé de son impact enversles électeurs, assuré d’un rôle significatif de persuasion dans le cadre de cette campagneprésidentielle. Le journal n’a plus la fonction de rapporter des faits : il est là pour convaincre,pour rétablir « sa propre » vérité.

Comparons maintenant cet état des lieux avec l’étude du « personnage » de NicolasSarkozy vu par un autre journal, Le Monde, et pendant les mêmes séquences de lacampagne.

B Le personnage du journal Le Monde

Le 1er décembre, les journalistes du Monde Arnaud Parmentier et Philippe Ridet présententle message de Nicolas Sarkozy avec une approche à première vue très objective : la grande

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majorité des mots sont des citations du candidat mis en scène avec peu de jugement devaleur. On ne perçoit pas d’attaque particulière, mais on peut tenter d’extraire un éventuelpoint de vue en analysant les quelques mots nés de la main des journalistes.

Les deux premiers paragraphes commencent par « Nicolas Sarkozy veut que (…), leprésident de l’UMP veut faire de la France (…) ». Dans cette répétition du verbe « vouloir »,Le Monde attribue au candidat Sarkozy un certain dirigisme, dans le sens positif du terme ;le but est de le faire apparaître comme un homme politique investi, engagé…le danger estde le taxer de « dictateur », de tyran exigeant un modèle pour la France et voulant le faireappliquer coûte que coûte.

Dans un second temps, les journalistes nous disent que « Il axera son message surdes sujets concrets », laissant sous-entendre que, en comparaison avec d’autres candidats,son programme repose sur des bases solides et de réelles propositions. Mais ils n’ignorentpas l’aspect stratégique de la campagne de Nicolas Sarkozy, dont le but est de récolter unmaximum de voix, où qu’elles se situent sur l’échiquier politique : « Une manière aussi des’adresser à l’électorat de gauche ».

Le lecteur ressent une certaine proximité entre le journal et le candidat, pour preuveune absence de commentaire après des déclarations telles que : « Le mouvement protège,l’immobilisme expose » ou « M. Sarkozy estime avoir « la force, l’énergie et l’envie deproposer une autre vision de la France » », ou encore « Il y a beaucoup d’électeurs degauche qui voteront pour moi (…). Ceux qui sont vraiment décidés à faire bouger leschoses ». Ainsi, chaque paragraphe est clos par une phrase de Nicolas Sarkozy, commeune image ou un slogan qui doit rester gravé dans la mémoire du lecteur (les mots « force,énergie, envie de proposer » et l’expression « faire bouger les choses »), sans aviscontradictoire du média qui le relaie. Le Monde laisse le dernier mot au candidat, jugeantqu’il n’y a rien à redire. Dans cette même idée de proximité entre les deux parties, la relationentre le journaliste et l’homme politique est presque amicale ; on n’aborde pas de sujets quifâchent, et Nicolas Sarkozy « confie au Monde » certaines opinions : une confidence estpresque un aveu, qu’on fait à une personne de confiance, une personne qu’on apprécie.

Cependant, les journalistes veillent à préserver une certaine distance avec le candidatSarkozy : ils s’appuient sur des faits réels, et incontestables (sans rentrer dans le débat dela fiabilité des sondages), comme « un sondage CSA » et appuient leur démonstration encitant des chiffres, a priori objectifs. On n’observe pas de soutien particulier, ni de critiqueenvers les « fuites sur Internet » qui ont « bousculé » la stratégie de communication deNicolas Sarkozy : l’évocation se limite à la description du fait.

Mi-article, mi-interview, le papier d’Arnaud Leparmentier et de Philippe Ridet a aussiune portée critique hybride ; on parlera d’une « adhésion silencieuse ».

Comme Libération, Le Monde met en avant les difficultés qu’a et qu’a eues NicolasSarkozy à rassembler l’ensemble de la droite autour de sa candidature ; mais pour LeMonde, l’affrontement a été rude, c’est « l’histoire d’une bataille ». Les désaccords internesà la droite modérée permettent au journal de dresser un portrait du candidat et de mettreen avant ses qualités combatives : tel un « Darl Vador, la force est avec lui ». Il rassembleautour de lui une « équipe qui imprime le rythme de la guerilla » pour atteindre l’objectifsuprême : « contempler les grands blessés de cette bataille venus assister à son triomphe ».Nicolas Sarkozy, plus fort qu’un empereur romain, tel un super-héros, a donc employéles grands moyens pour obtenir l’investiture de son parti pour l’élection présidentielle. Sesadversaires semblent n’avoir aucune chance, trop « balourds », « impuissants », « troptendres », impopulaires : qualificatifs qui sont symétriquement opposés à ceux attribués

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aux proches de Nicolas Sarkozy : son équipe est « jeune, professionnelle et dévouée ».Le Monde se laisse emporter par son enthousiasme et son engouement, en publiant lespropos de Brice Hortefeux : mieux que Lazare, « Nicolas ne s’est pas seulement relevé,il a couru ». Si l’image porte à sourire, et que le parcours et la stature « impériale » ducandidat désigné par l’UMP sont très amplifiés, l’opposition du « camp Chirac » n’est pasune fable : le 9 janvier 2007, « Villepin refuse l’union autour de Sarkozy » et s’abstient detout soutien, tout comme Jean-Louis Debré et Jacques Chirac. Avec ténacité, même si ladéfaite est certaine et se rapproche, les chiraquiens veulent « peser jusqu’au bout », allantjusqu’à laisser entendre que le président Chirac pourrait se représenter en 2007. La divisionest nette entre les adhérents UMP, « tout acquis à la cause de leur président » (Sarkozy) etles inconvertibles chiraquiens « qui n’ont renoncé à rien » et qui « multiplient les piques àl’égard de Nicolas Sarkozy ». Après le ralliement d’hommes politiques chiraquiens commeJean-Pierre Raffarin, Alain Juppé, Xavier Bertrand ou Thierry Breton, la « guerilla » ou la« bataille » décrite plus haut ressemble plus à un jeu d’échec stratégique à long terme qu’àun combat sanglant : la violence du combat est symbolique, les attaques se font sous latable ou par média interposé…Le Monde dénonce le déchirement et les obstacles que leschiraquiens ont mis sur la route de Nicolas Sarkozy, et n’estime pas le candidat bientôt élucomme le responsable de la désunion des piliers de la droite : le journal vise les chiraquiensqui n’acceptent pas la défaite ; même vaincus, ils adoptent la stratégie de la résistanceultime, « jusqu’au bout ».

Le 1er décembre pourtant, c’est bien Nicolas Sarkozy dont le statut « inquiète jusquedans son propre camp » : il est soutenu par son parti et bénéficie des « faveurs (…) dansl’opinion de droite » mais sa situation est qualifiée d’ « excès de position dominante ». Il« finit par inquiéter » également « une partie importante des Français » : Nicolas Sarkozy estreconnu comme un des héritiers de la conception gaulliste du président de la République,avec ce que cela implique, comme la « volonté de tout régenter », le « culte du chef »,la « conception clanique » de l’exercice du pouvoir. Le Monde décrit l’attitude de NicolasSarkozy envers son parti, et déplore la disparition du « grand parti de la droite » : l’UMP est« un parti de supporteurs », garantissant à son président des « scores à la soviétique » ;son président bénéficie « d’un double pouvoir décisif », le contrôle financier et le contrôlepolitique du parti. Le journal en appelle à une progression de la démocratie au sein dela droite, pour éviter son éclatement, et dans l’esprit de Nicolas Sarkozy, pour qu’il cessed’ « inquiéter » les Français. On ne note cependant que très peu de critiques envers lecaractère « personnel » du leader de la droite, on note seulement un homme « assoifféde pouvoir » et l’inquiétude n’est pas très prononcée : Le Monde semble faire confianceà Nicolas Sarkozy, comme si il allait suivre ses indications et ses recommandations à lalettre. On note donc ici la différence avec le journal Libération qui, dans sa critique du« personnage » Sarkozy, aborde des critères très personnels comme la dimension de sonego,ses exigences-caprices : la critique est davantage passionnée et ne se limite pas auxcaractéristiques de l’exercice du pouvoir.

Quelques jours plus tard, dans la publication du 22 décembre, même sil’ « apprentissage de la démocratie est lent et laborieux », on observe desprogrès : « M.Sarkozy s’efforce de démocratiser le fonctionnement de sa formation ». Lesefforts sont cependant limités, exécutés presque à contrecoeur : « M. Sarkozy a dû serésigner à organiser des débats », et le bilan est sévère: « Les forums ont ressemblé à desjeux de rôle, mis en scène artificiellement ». Le Monde garde espoir : « Les trois derniersmois de l’année 2006 ont vu s’épanouir une saine émulation démocratique (…), la gauche etla droite devront déployer tout autant d’énergie pour nourrir de véritables débats à la hauteur

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des défis (…) que la France doit relever ». Le constat n’est donc pas définitif ni fataliste :si Nicolas Sarkozy inquiète de par son penchant « dirigiste » et sa conception du rôle etdu pouvoir du « chef », Le Monde ne le considère pas comme un dictateur réactionnaire :il doit et peut faire des progrès. Quoi qu’il arrive, le journal accorde une confiance certainedans les futurs choix du candidat de l’UMP.

Cependant, face à la concurrence qui se précise, Nicolas Sarkozy évolue, et adoptepour gagner des stratégies que critique Le Monde. Le 5 septembre 2006, Nicolas Sarkozyopère un « virage à droite », troublé par l’ « irruption » de Ségolène Royal. Celle-ci met endanger son concept de rupture, et risquant de le lui dérober, apparaissant « femme, neuveaux yeux du public ». Le Monde estime qu’il « se sont ainsi retrouvés à chasser sur lesmêmes terres » (chose que Libération n’esquisse en aucun cas : pour ce journal, il n’estpas question de comparer Madame Royal au candidat Sarkozy). Pour se différencier, lecandidat de la droite se penche vers une stratégie de rassemblement, intégrant chiraquienset séguinistes aux sarkozystes, réclamant en leur nom une « révolution néo-conservatrice »pour rétablir des valeurs que la révolution de Mai 68 a bouleversé, enterrant par-là même« une pensée unique dont les jeunes d’aujourd’hui sont les principales victimes. » Pour lejournal, il cherche davantage une rupture vers le passé d’avant 68 qu’une rupture moderne,axée vers l’avenir : « au lieu de créer de nouvelles valeurs, il restaure celles d’hier ». A cetitre, Le Monde qualifie Nicolas Sarkozy de « réactionnaire ». De plus, il donne « le sentiment(…) qu’il adopte une tactique attrape-tout pour séduire chaque électeur et ses aspirationscontradictoires ». Son propos manque de cohérence et d’unité, l’approche de l’échéanceélectorale le disperse : si « l’Europe et la mondialisation ont à peine été évoquées » lors d’unmeeting, il « se dit proche de Tony Blair, de Gordon Brown et d’Angela Merkel ». S’il vante « lemétissage des cultures et des idées », « la priorité est à la République ». Pour assurer unesatisfaction de chacun, le discours du président de l’UMP est ambivalent, et crée finalementune confusion sur ses aspirations propres. Le Monde prend peur : il redoute un basculement« d’une rupture moderne dans une rupture réactionnaire » ; à ce stade, Nicolas Sarkozy a faitses choix et se positionne par rapport à des valeurs en manque d’innovation et de remise enquestion: « la droite, les anciens et la nation ». L’ « adhésion » silencieuse du Monde a doncses limites : le journal exprime son désaccord lorsque la situation s’aggrave, comme dansle cas où un candidat opère un « dérapage », ou un « virage » ; le journal sait aussi pointerles contradictions d’un candidat, surtout si elles sont la conséquence d’un calcul stratégiquetrop ambitieux, aboutissant à une incohérence politique et idéologique. Pour être choisi, uncandidat doit faire des choix et ordonner sa politique.

A la lecture des premières lignes du Monde, le lecteur ne ressent pas de critiquenégative frontale envers le candidat Sarkozy. Si Libération qui en fait son ennemi principalavec les personnalités d’extrême droite, Le Monde assure un relais des thèmes duprogramme et des dires du Nicolas Sarkozy, les mettant souvent en valeur en les situant enfin de phrase, en fin de paragraphe sans y opposer son opinion. Les journalistes du Mondetentent de garder une certaine distance avec le candidat en lui opposant des chiffres dits« officiels », comme ceux diffusés par des institutions comme le CSA. Mais le message estclair : l’ascension de Nicolas Sarkozy n’est pas le résultat d’une ambition démesurée ou d’unego surdimensionné, Le Monde met en avant l’image de « combattant » du candidat, tel undemi-dieu qui tombe, se relève et court à la conquête de son destin. Pourtant, le candidatde la droite a aussi ses zones d’ombre puisqu’il « inquiète jusque dans son propre camp ».Si le sentiment d’inquiétude est imputé aux personnes interrogées, le journal incite NicolasSarkozy à une « progression de la démocratie au sein de la droite », pointe du doigt sescontradictions au nom de sa stratégie de rassemblement. Cependant, le constat du journaln’est pas alarmant comme celui de Libération : il espère et croit en un progrès du candidat.

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Après le Congrès de la Porte de Versailles, où Nicolas Sarkozy est investi candidat del’UMP, Le Monde décrit un homme « seul devant la foule des militants », mais « désireuxd’être lui-même ». Il dit avoir changé, et le « martèle », « soucieux d’adoucir son image etd’apparaître comme un homme nouveau » ; Le Monde doute de cette transformation rapideet de sa « sincérité », estimant qu’ « après vingt-cinq ans de vie politique », il est difficile de« couper les ponts avec le passé ». Pourtant, le journal avoue penser que « le 14 janvier,M. Sarkozy a engagé une mutation ». Il ne s’agit pas de son caractère personnel qui trahitun ego fort : « comme si le problème numéro un, c’était lui », il ne s’agit pas de son attitudeempathique et confidente : « Résolu à parler « des sentiments gardés longtemps » pour lui,le candidat a choisi de se mettre à nu. (…) Evoquant les « souffrances personnelles », illance : « (…) j’ai compris », « on ne peut partager la souffrance (…) si on n’a pas souffertsoi-même ». Ces considérations personnelles ne sont pas un élément de démonstration del’évolution du « personnage » Sarkozy. La mutation est en fait celle d’un rapprochement versdes thèmes qui forment une droite davantage unie : il écarte « les trois principaux reprochesqui lui sont adressés jusque dans son camp : ceux d’être trop libéral, trop communautaristeet trop atlantiste. » Le candidat apaise les tensions, satisfait les différents segments deses électeurs potentiels : il rassure les électeurs de droite, puis appelle ceux de gauche enfaisant « référence à la « grande voix » de Jaurès, en parlant de la « valeur travail et destravailleurs comme jamais M. Chirac ne l’avait fait ». Il abandonne le thème de la « rupture,fût-elle « tranquille » », pour s’assurer un soutien collectif le plus large possible. Ici, LeMonde ne s’étonne pas de la stratégie de « rassemblement » de tous les bords politiques,au risque d’incohérences, comme dans la « période » précédente : la stratégie est rôdée, lesapproches et les mots sont davantage pensées, pour éviter au maximum les contradictionsqui ôtent toute crédibilité.

Notons que le 25 février, un peu plus d’un mois après l’ « apaisement post-congrès »,Le Monde évoque le retour des thématiques de droite de Nicolas Sarkozy. Il abandonne sastratégie de « rassemblement global » et « toutes références aux figures de gauche », etcomme il avait martelé : « j’ai changé » le 15 janvier, il martèle le retour à l’ « ordre moral»,à l’ « autorité », aux « règles, lois communes, (…) pour canaliser la violence, les instincts,les pulsions, la loi de la force (…) ». Encore une fois, le journal peut craindre un nouveau« virage à droite » après la promesse annoncée d’une « rupture » ou d’un « changement ».

Pour opérer sa mutation annoncée le 15 janvier, Nicolas Sarkozy fait succéder à sastratégie de « rupture » le « rassemblement » : avant son intervention, Le Monde note cellesd’Alain Juppé, ainsi que le soutien de Jean-Pierre Raffarin et Michèle Alliot-Marie. Aussi,il amorce un appel au Président de la République, rendant hommage à celui « qui a faithonneur à la France quand il s’est opposé à la guerre en Irak, qui était une faute ». Le Mondemet en avant les efforts que fait Nicolas Sarkozy pour montrer qu’il a changé, et qu’il veutvraiment faire de la droite une future majorité présidentielle unie et entièrement dévouée àla cause de son président.

Le collectif, c’est aussi la « foule » : les militants de l’UMP en général, et ceux qui sesont déplacés pour son sacre : « 70 000 ? 100 000 ? Chiffres difficilement vérifiables ». Ilslui permettent, par leur nombre et par leur vote massif du 14 janvier, de réaliser un coupde force symbolique « dans la lignée des grand-messes gaullistes et chiraquiennes », etassurant un pendant à l’inquiétude encore présente chez « 51% des Français ».

Enfin, le collectif c’est le « rassemblement des Français au-delà de son camp », car« lorsqu’il s’agit de la France, il n’y a plus de camp ». Nicolas Sarkozy désire « se tournervers tous les Français, quels que soient leurs parcours, de gauche ou de droite. Je doisles rassembler ». Pour cela, il fait appel aux valeurs « de gauche » pour Le Monde,

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aux figures appartenant au patrimoine commun des Français pour Nicolas Sarkozy, telsque : « Gambetta, Zola, Guy Môcquet et Jaurès », les plaçant au même plan historico-symbolique que Jeanne d’Arc ou le Général de Gaulle.

Comme Libération, Le Monde évoque le double statut de Nicolas Sarkozy, en tant queprésident de l’UMP intronisé candidat pour l’élection présidentielle et en tant que ministrede l’Intérieur en activité. A la différence de Libération, Le Monde ne remet pas en cause

« directement » ce statut : le journal parle « au nom de ». Le titre de l’article du 1er févrierl’accuse de « confusion des genres », terme employé par le PS. La demande de révocationdu ministre est opérée par Jack Lang, la lettre de demande de « garantir les conditionsd’impartialité de l’Etat » au Conseil Constitutionnel est envoyée par « les présidents desgroupes PS de l’Assemblée nationale et du Sénat, Jean-Marc Ayrault et Jean-Pierre Bel ».La révélation de l’affaire du scooter de Pierre Sarkozy, dont les voleurs ont été identifiés parla méthode des empreintes ADN et digitales, qualifiée de « « révélatrice » d’une situationde « deux poids, deux mesures » » a été faite par le journal Le Parisien.

A chacune de ces « attaques », la parole est donnée au candidat-ministre : il peut« récuser « tout mélange de genres » », « rétorquer (…) « Je ne vois pas le problème,tout cela n’a aucun sens » », « déclarer : (…) « la campagne ne doit pas prêter à desattaques aussi stupides et aussi basses » ». L’article est ainsi une succession d’accusations,d’explication du fait de l’accusation, et du droit de réponse du personnage intéressé, qu’ils’agisse de Nicolas Sarkozy ou encore du premier Ministre Dominique de Villepin.

Dans le titre du 1er février « Police : Sarkozy rejette les attaques socialistes », il n’y aencore aucun doute sur la provenance de la polémique, d’après Le Monde ; en l’occurrence,c’est dans ce cas le journal Le Canard Enchaîné qui mis en lumière l’affaire. Pour sedéfaire de toute accusation et paraître le plus neutre possible, le journal Le Monde doitciter les sources de la polémique : ainsi, il se dédouane de toute responsabilité, il n’estqu’un relais. De la même façon que dans l’article précédent « Le ministre-candidat estaccusé de « confusion des genres » », Nicolas Sarkozy et les Renseignements Générauxmis en cause ont les moyens de répondre aux accusations d’enquête sur le patrimoine ducouple socialiste Royal-Hollande. Une certaine équité est respectée, évitant une accusationunivoque du candidat UMP. Tel un homme de justice, le lecteur découvre les faits reprochés,puis l’argumentation de la défense, et choisit ou non de condamner Nicolas Sarkozy, en luirefusant son vote ou en le lui accordant.

A partir du 14 janvier, Le Monde « avoue » penser que Nicolas Sarkozy a changé :plus de « rupture », une main tendue à Jacques Chirac…après avoir divisé, il rassemblemieux. Mais l’observation est de courte durée : dès le mois de février, Le Monde craint quele changement ne soit qu’une promesse non tenu, et semble opérer une rétractation quantà son « adhésion silencieuse ». Comme Libération, Le Monde évoque le double statut duministre-candidat : il ne le met cependant pas en cause directement, au nom du journal,mais relaie les oppositions de la « gauche » ; puis laisse le choix à l’ « accusé » de sedéfendre, par une phrase intercalée juste après l’argument socialiste. Le Monde assure unecertaine impartialité dans ce « combat », et refuse d’y prendre ouvertement part : le journalparle « au nom de ».

Quelques jours avant son départ de la place Beauvau, Nicolas Sarkozy reçoit le soutienqu’il a tant attendu de la part de Jacques Chirac : « à l’issue du conseil des ministres, le26 mars », le chef de l’Etat lui adresse quelques mots « assez vite expédiés ». Même sil’attente a été longue pour le candidat UMP qui réclamait cet appui « à cor et à cri depuisdes semaines », « il eût été curieux que M. Chirac fît un autre choix ». Le Monde ne s’étonne

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donc pas de l’union achevée de la droite, ajoutant la nuance du président publiée dans deuxouvrages, Mon combat pour la France et Mon combat pour la paix. Il y vise ses désaccordsavec entre autres Nicolas Sarkozy, « fustige (…) le libéralisme, (…) la discrimination « fût-elle positive », et le communautarisme », et rétablit « ses grands principes de politiqueétrangère ». Le candidat désigné par l’UMP était selon Le Monde particulièrement concerné,faisant suivre ces exigences d’une réaction « d’un très proche du chef de l’Etat » : « Surtous ces points, Nicolas a bougé ». Sur tous ces points, le président et son ancien ministreont donc eu de profonds désaccords ; les sources du conflit sont désormais apparemmentenfouies…jusqu’à quand ? Le soutien de Jacques Chirac n’est pas montré comme unaccord franc, ce n’est pas « un choix du cœur », mais un choix par défaut avec lequel il afallu « s’accommoder ». L’union de la droite est totale, mais pas entière. Il semblerait queLe Monde aurait davantage tendance à le déplorer qu’à le dénoncer.

Comme Libération, Le Monde dresse un bilan du passage de Nicolas Sarkozy auministère de l’Intérieur lorsqu’il en annonce son départ pour se consacrer pleinement à lacampagne présidentielle. Le journaliste Piotr Smolar distingue pour cela « ce qu’il a fait etce qu’il a fait savoir », un peu à la manière du « Ce qu’il a dit (…) Ce qu’il a fait (…) » deLibération, dans l’article du 25 avril 2007, « Les dix fractures programmées de Sarkozy »115.Monsieur Sarkozy a donc d’emblée affiché ses objectifs : « une rupture de ton, de méthode etsurtout de politique (…), un retour aux fondamentaux » comme l’ « orientation répressive ».C’est « le temps de la « culture du résultat » et des « objectifs quantifiés » de réductionde la criminalité ». Le Monde émet un avis mitigé quant à la réussite de la mission : leministre a fourni les moyens « matériels, financiers et humains » nécessaires, mais certainesquestions comme « la question des effectifs et de leur répartition » n’ont pas été résolues.Son discours « dur, traditionnel à droite » n’a été, pour le journaliste Piotr Smolar, que purecommunication : si sa réactivité médiatique était incontestable, l’action et la baisse de laviolence urbaine l’étaient moins.

Puis il s’appuie sur des critères objectifs, les chiffres publiés : la hausse des violencescontre les personnes, la progression du taux d’élucidation des affaires, la baisse del’enregistrement des crimes et délits. Contrairement au journal Libération qui conteste laméthode utilisée pour obtenir les chiffres cités en conférence de presse par Nicolas Sarkozy,le journal Le Monde ne remet pas en cause ces chiffres et les admet comme tels. Aucontraire, il accorde une crédibilité et une « transparence statistique[s] » au candidat de ladroite, du fait de la création à son initiative de l’ « Observatoire national de la délinquance ».Il appuie même sur le fait que Monsieur Sarkozy « reste la personne la plus crédible, auxyeux des Français, dans le domaine de la lutte contre la délinquance », et lui accorde unlien étroit entre « sa popularité » et « son image d’homme d’action ».

Cependant, un ensemble de personnes ne comprend pas cette popularité ni ne lasouhaite : c’est ce que nomme Le Monde par le terme la « galaxie hétéroclite » « anti-Sarko ». En effet, si le candidat de droite a réussi à unir son propre parti, il est aussiparvenu à rassembler une population comptant « des ennemis déclarés qui couvrent unlarge spectre de l’extrême gauche à l’extrême droite ». Le journal décrit ces différentespersonnalités « contre » : la « gauche associative ou libertaire », « les « ultras » de la laïcité »,« les « anti-Bush » », « les jeunes rappeurs », « les héros du mondial » de football et d’autressportifs, « des intellectuels de contre « une France identitaire » » et bien d’autres encorecomme « la droite antimusulmane de Philippe de Villiers » ou « les racistes et antisémites »qui s’indignent « des origines « hongroises » du candidat ». Le propos du journaliste esttrès descriptif, et on ne note aucun parti pris : les affirmations des « anti-Sarko » sont au

115 Voir en annexes, le personnage de Libération, Annexe 27.

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conditionnel : « la politique communautariste (…) qui favoriserait l’intégrisme musulman ».Pour le lecteur, il paraît clair de comprendre « qui dit/chante quoi » et « qui pense quoi»,la liste des auteurs et de leur « motif » de voter contre Nicolas Sarkozy est exhaustive etnon ambiguë. Car contrairement au journal Libération, qui nie une certaine « révolution anti-Sarko » tout en lui opposant un « désaccord franc, direct, foncier »116, Le Monde observeune tendance peu fréquente dans le cadre d’une élection : la propagande « contre », lesraisons de « ne pas voter pour ». Dans ce cas précis, le « tout sauf Sarko »s’apparente à lamanière du vote par défaut au second tour des élections présidentielles de 2002, ou l’appelau « non-vote » pour Jean-Marie Le Pen, ou au vote pour Jacques Chirac « par défaut ».Le Monde constate ce qui peut être qualifié de « phénomène » mais ne s’inquiète pas dela popularité de Nicolas Sarkozy : la vague d’opposition n’a pas l’ampleur suffisante pourprovoquer un « référendum anti-Sarkozy ». Pourtant, le journal s’étonne : le « taux de rejet »envers le candidat est « significatif », avec un score de 53% de personnes interrogées « nesouhaitant pas la victoire de Nicolas Sarkozy » (dans le cadre d’un sondage BVA-L’Express-Métro les 29, 30 et 31 mars 2007).

Le personnage Sarkozy du Monde, couvrant la troisième période isolée, est un étatdes lieux : état des lieux de l’union de la droite avec la déclaration tant attendu de JacquesChirac, qui n’apparaît pas comme une surprise pour le journal, mais dont la retenue estsemble-t-il déplorée. Le second état des lieux est celui du bilan de Nicolas Sarkozy : enquittant la place Beauvau, il devient en même temps l’ « ancien ministre » et doit faire faceà ce qu’il « a dit, a fait, a fait savoir », article ayant la même forme que celui du bilan deLibération, mais dont le contenu est moins incisif : Le Monde a confiance en les chiffrestransmis par le ministère, et lui accorde la première place sur l’échelle de la personnalité laplus crédible pour les questions d’insécurité. Puis, en décrivant le phénomène anti-Sarkozy,ou TSS, par une classification exhaustive, le journal donne la preuve qu’il n’apparaît pasparmi les opposants du candidat de la droite.

Les journaux Le Monde et Libération dressent chacun un portrait différent de NicolasSarkozy. D’un côté, Libération met en scène un petit personnage avec un trop pleind’ambition, dont la personnalité est difficile et qui fait peur, dont les travers ressurgissentlorsqu’il est sous tension, surtout en fin de campagne. Le journal en fait un hommedangereux, capable de rassembler et de mettre la candidate de gauche dans une situationdélicate, tout en le tournant en dérision à l’inverse en tant que « petit Nicolas » ridicule,complotant pour devenir « calife à la place du calife ». Libération dresse aussi une auréolede confusion autour de Nicolas Sarkozy, entre son statut simultané de candidat et deministre que ses journalistes trouvent inacceptable. De plus, le candidat de la droite est un« tricheur », utilisant ses pouvoirs (de ministre) et ses relations (médiatiques et patronales)pour arriver à ses fins de candidat. On peut dire que Libération mène de front sa proprecampagne contre Nicolas Sarkozy, pour protéger la candidate chère à ses journalistes. Pourautant, le journal récuse les termes de « diabolisation » et de stratégie « Tout Sauf Sarkozy »pour éviter une victimisation du candidat de l’UMP. Libération estime que ce qu’il publie estun travail de journaliste digne de ce nom, participant à la vie politique, laissant un espaceà « la voix de la gauche »117.

Le Monde, quant à lui, n’oppose pas de réaction frontale : au contraire, il lui arrived’exposer les qualités du candidat, comme son caractère de « combattant ». Le journal estconscient de ses zones d’ombre mais ne s’en inquiète pas, il a une certaine confiance enle potentiel du candidat et se félicite de l’observer après le 14 janvier, où le changement

116 Voir en annexes, le personnage de Libération, annexe 28.117 Expression de Laurent Joffrin.

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est, selon lui, assurément amorcé. Le Monde s’efforce de toujours équilibrer le débat :lorsqu’il publie un article mettant en cause le candidat Sarkozy, le journaliste met en placeun espace imaginaire où Nicolas Sarkozy et ses détracteurs se répondent. Ainsi, le journalévite d’émettre un avis contradictoire ; de la même façon, Le Monde a souvent recours auxchiffres, et les accepte comme tels. Jamais il ne remet en question leur origine, leur moded’obtention. Enfin, Le Monde tente de rester neutre, par exemple en s’excluant clairementdu « courant anti-Sarkozy », en publiant une classification exhaustive et où il ne figure pas.Le relais qu’est Le Monde pendant la campagne électorale est un relais à demi-teinte :il semble ne pas vouloir prendre parti en s’appuyant sur des faits a priori incontestables,comme des chiffres, et en faisant figurer dans le même article les détracteurs et celui quis’en défend. Il évite les contestations « à la Libération », mais émet son avis quand cela estinévitable, lorsque un mot ou un geste crée une polémique généralisée. La subjectivité etla critique restent cependant modérées, et en cela on se demande quel est le véritable rôledu Monde, si ce n’est pas de « traduire » la communication d’un candidat.

Dressons un tableau récapitulatif des différences du Monde et de Libération, avant devérifier ces conclusions par les analyses des unes de chacun des journaux.

Critères d’énonciation et d’information de Libération et du Monde

Libération Le Mondeénonciation Adjectifs et noms "accusateurs":

"cauchemard", "grand messe","égocentrique"

Retranscription exacte des dires,citation des auteurs pour ne passe confondre avec eux: éviter lesintermédiaires et les jugements devaleur

information Libération en campagne:critique journalistique subjectiveet orientée politiquement,gommage de l'enveloppecommunicationnelle du candidat,« mise en réel »

Accès aux informationsdes deux parties, chiffresofficiels, moins d'analyse enprofondeur et respect du "flou"communicationnel : relais de lasymbolique du candidat

II Unes de campagneLa une d’un journal est son « enveloppe charnelle » : c’est ce qu’on voit de lui en premier,c’est ce qui attire l’œil ou non, c’est souvent ce qui incite à acheter et lire le journal. La unese doit donc d’être représentative de son contenu : son choix est primordial, et c’est la pagedu journal la plus travaillée. Sans doute par conséquent la plus intéressante à analyser ?

Pour tenter de trouver une vérification des conclusions de la « mise en réel » de lacandidature de Nicolas Sarkozy à travers les écrits des journaux Libération et Le Monde, ilparaît donc intéressant d’isoler leurs unes respectives, suivant les périodes précédemmentisolées, pour traduire ou non une cohérence du personnage de l’ « écrit » et de sa mise envaleur, en image ou non, en une.

A Les unes de Libération

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A travers l’analyse des unes de Libération, on peut distinguer plusieurs thèmescaractéristiques du personnage de Nicolas Sarkozy .

Nicolas Sarkozy y figure opposé aux ténors de son camp, Jacques Chirac et sondauphin Dominique de Villepin. L’échange frontal se fait principalement entre le président dela République et son ministre de l’Intérieur, puisqu’ils se regardent dans les yeux. Dominiquede Villepin, du côté de Jacques Chirac, ne participe pas au « combat » mais reste le soutieninconditionnel de son président. Si la date de la photo n’est pas récente (un an auparavant,le désaccord est toujours d’actualité. L’opposition duale est claire : « Sarkozy-Chirac »sont opposés comme un match de boxe ; on voit d’un côté deux grands personnages quisur l’image sont indissociables, ne font qu’un, de l’autre Nicolas Sarkozy, plus petit, toutseul, effectuant comme un mouvement de recul face aux argumentations « manuelles » deJacques Chirac.

Cette fois-ci, Nicolas Sarkozy est montré comme un candidat orateur : il est tournévers la droite, vers l’électorat de droite sans doute, et prend toute la place de l’image. Onne voit que lui, on ne parle que de lui : « Doc Sarko ». Son profil n’est pas flatteur, et ilsemble regarder dans le vide, exalté par l’énonciation de son discours. Derrière, en fond,des ombres noires : qui sont-il ? Sans doute des sympathisants, mais des sympathisantsqui font peur à Libération : « Doc Sarko racole la jeunesse », et possède à cet effet une« armée » tout aussi inquiétante que lui.

Après être apparu en candidat, Libération montre l’autre facette de Nicolas Sarkozy :le « Ministre de la provocation » : encore une fois, il est seul, même si on devine la foule,ses gardes du corps. Les médias sont représentés au premier plan : selon Libération, oncomprend que c’est son seul moyen d’exister, d’être et de paraître. Mais il regarde vers lebas, il est écrasé par cette force médiatique qui le dépasse : il semble qu’il va trop loin, qu’ila trop exploité cette voie et qu’il ne peut plus la maîtriser.

La une des 16 et 17 décembre est particulière : Nicolas Sarkozy regarde le lecteur dansles yeux, le regard perdu, l’ai inquiet. Libération le montre en difficulté face à lui-même,appelant les électeurs, seul recours, au secours. Il est placé tout en bas de la photo, il estmontré petit, sans envergure, écrasé par son ego : le « Sarko Show ». On n’aperçoit quesa tête et ses épaules. Ses ambitions sont surdimensionnées par rapport à ses proprespossibilités. Libération traduit la réalité de Nicolas Sarkozy, et par cette photo, détruit sonimage communicationnelle de candidat fier, droit, sûr de lui.

Au contraire, la une du 6 décembre le montre tel qu’il apparaît en tant que ministre :se tenant droit, solennellement : sa tête est haute, ses mains sont jointes. Mais son visageest crispé : comme s’il attendait à la sentence du « vrai bilan sécuritaire ». Le journal veutmontrer que Nicolas Sarkozy doute au fond de lui, qu’il sait que le bilan qu’il défend n’esten réalité pas un bilan positif et constructif.

A la veille de son grand discours d’investiture à la candidature de l’UMP, le visage deNicolas Sarkozy est aussi crispé que le 6 décembre: l’attente du jugement est la même, iln’est plus maître de son destin. S’il sait qu’il sera investi par l’UMP, mais il ne sait pas encores’il sera élu président de la République, et Libération met en scène un homme qui doute.Par rapport au 6 décembre, l’image est resserrée : il présentait son bilan de ministre, etaujourd’hui il présente sa candidature à l’élection présidentielle ; peu à peu, il se rapprochedu pouvoir suprême, son propre pouvoir s’accroît, il faut s’en méfier davantage et montrerde plus près ce qu’il est vraiment.

Nicolas Sarkozy a franchi une nouvelle étape sur la route de la campagne ; il estdésormais le candidat désigné de la droite. Il apparaît dans un cadre : celui des meetings,

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celui de l’estrade, derrière un pupitre où figure son slogan de campagne : « Ensemble, toutdevient possible ». Son public est présent, aux premiers rangs : on n’aperçoit cependantqu’une paire de main qui l’applaudissent. L’investiture de Nicolas Sarkozy est un défi pourla gauche : mais elle ne s’avoue pas vaincue, elle est présente dans le titre « La gauchedéfiée (…) Ségolène Royal est sur la défensive », par l’écrit, et dans l’encart de droite,avec une photo de Ségolène Royal accompagnée de Dominique Strauss-Kahn. Libérationinstaure un rapport de forces immédiat : le candidat de la droite est entouré de toutes partspour être davantage maîtrisé. Notons la publicité située en bas de page, intitulée « Le crimepaie ! », petit clin d’œil à Nicolas Sarkozy, mauvais ministre, traître de la droite, et pourtantcandidat unique à l’élection présidentielle, représentant l’UMP. Notons également que cettemême publicité apparaît les 13-14 janvier et le 16 janvier (deux unes où Nicolas Sarkozyfigure seul), qui montre bien que l’apposition de Nicolas Sarkozy et de la publicité « Le crimepaie ! » n’est pas une coïncidence.

A l’inverse de sa candidature au Congrès de la porte de Versailles, Nicolas Sarkozy estici tourné de trois quarts dos, en gros plan, le col relevé, le visage dans la lumière. Commeun coupable qui se cache de l’objectif. Libération connaît la vérité et la rétablit : il « doitdémissionner », et expose les raisons de ce départ dans les pages internes du journal. Lecandidat commence à apparaître comme inquiétant, mystérieux, sombre.

« Le soupçon » marque un point fort dans la campagne de Nicolas Sarkozy : le sens dela lecture nous impose d’emblée le titre accusateur, le candidat est soupçonné de mentir surla question de l’impôt sur la fortune. Le titre « le soupçon » écrase Nicolas Sarkozy : il esten bas, petit, ne fait pas face au lecteur et regarde sa faute. Il serre le point, son visage estcrispé : il est en situation de conflit, prêt à se battre contre les « fiscalistes » qui se posentdes questions sur ce point. Cette fois-ci, l’image est d’actualité (« Hier, à Paris ») et ancrela situation de faute du candidat dans le réel. Le débat politique est délaissé, pour faireplace à un débat moral : le candidat doit faire preuve de transparence envers ses électeurs ;Libération rétablit la vérité et repositionne Nicolas Sarkozy dans le réel.

Pour la première fois, Nicolas Sarkozy est photographié des pieds à la tête, et dubas, pour lui donner une impression de grandeur, de hauteur. Il est même tellement grandqu’il cache une partie du nom du journal. On peut penser que Libération veut montrerNicolas Sarkozy comme un candidat dangereux, ayant une réelle et désastreuse capacitéd’impact. Pour accompagner ce doute, le titre « Sarkozy monte au Front » s’accompagnede l’expression qui fâche « identité nationale ». Libération déplace le candidat de la droiteà l’extrême droite, associe les deux traditions dans un même camp (« Il reçoit le soutien deLe Pen ») pour avertir les électeurs. De plus, le candidat de l’UMP figure à côté d’une photode George W. Bush, pour rappeler qu’en plus de se rapprocher du Front National, NicolasSarkozy est un atlantiste admiratif des décisions des Etats-Unis, ce qui renforce davantageson personnage « non fréquentable ».

Les unes du 29 mars et du 18 avril sons semblables : elles montrent un candidat« inquiétant », « agité », un « ex-ministre » en situation d’ « échec » et qui « gêne son proprecamp ». La tension de Nicolas Sarkozy se perçoit aussi sur l’image : son visage est crispé,son regard est dur, il est seul ou à proximité de personnes, mais qui ne l’acclament pas,qui le regardent de loin. Il a un tic gestuel : pour se rassurer, il remet sa cravate, touchesa chemise…Libération montre un candidat qui n’est plus sûr de lui, qui cède à la tensionde la campagne médiatique (le 29 mars, il regarde l’objectif avec un regard très dur enversle photographe) et qui fait peur, ne parvenant pas à se maîtriser (les tics gestuels en sontla preuve).

Chapitre 3 : Révéler le réel ? Mots et images de campagne dans les médias

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On voit dans cette mise en place d’un personnage aux caractéristiques précises,récurrentes et accentuées (candidat dangereux, inquiétant, incompétent, crispé) queLibération a une réelle volonté de peser sur la campagne. Tentons maintenant de lire laversion du Monde.

B Les unes du MondeSur les trois unes sélectionnées, Nicolas Sarkozy fait l’objet du titre principal : cependant,celui-ci n’est pas accompagné de photo du candidat, comme le fait traditionnellementLibération. La priorité est laissée à un dessin de Plantu, le 20 septembre, sur le sujet des

« Indigènes », et à une photo de politique internationale, le 1er septembre. Le 20 décembre,une photo illustre « Nicolas Sarkozy parle à la « France qui souffre » » mais c’est unereprésentation de « La France qui souffre » que l’on voit, la file des tentes dressées lelong du canal Saint-Martin. Le candidat apparaît par l’intermédiaire de son action, « Le chefde l’UMP s’engage à faire reculer le chômage et la précarité », et n’en semble même pasporter quelque responsabilité. C’est une occasion supplémentaire de promettre ce qu’il feraà un poste qu’il n’est pas encore sûr d’acquérir. En clin d’œil, Nicolas Sarkozy apparaîtcependant en bas de page, en « Minimoy », personnage d’un film de Luc Besson, commeune dénonciation du « tout-Sarkozy » dans les médias : une surexposition traduite par lesspectateurs du cinéma : « C’est dingue !! J’ai l’impression de le voir partout !! ». En réponseà cette revendication du « trop-Sarkozy » médiatique, Le Monde a choisi de ne pas le faireapparaître visuellement en une, sur la photo.

Enfin, le 16 janvier 2007, Le Monde propose un portrait de Nicolas Sarkozy. L’imageest traditionnelle, officielle : en guise de compte-rendu du Congrès de la porte de Versailles,on voit Nicolas Sarkozy entouré de ses conseillers et hommes politiques de droite. Ils sontamassés autour de lui, formant une foule compacte. Il se distingue cependant d’eux, la mainlancée vers l’objectif, vers l’électeur. Le photographe aurait pu être celui de la campagne deNicolas Sarkozy, il n’apporte rien de plus à l’information brute. Il montre un fait.

Le 7 avril, Nicolas Sarkozy existe en tant que « celui qui regroupe les anti-Sarkozy ».On ne l’aperçoit pas, on le devine. La photo montre la foule qui l’attendait à Lyon, le 5 avril,place de la Croix-Rousse. Il est présent dans l’adversité, dans la relativité, il existe car ons’oppose à lui. Mais le journal Le Monde ne veut pas donner son avis, ni privilégier l’unou l’autre : comme on l’a vu dans l’article correspondant, la une donne la parole aux deuxparties : le PS et l’UDF contre lui d’un côté, et le soutien des 20 000 militants de l’UMP àLyon de l’autre.

Les 28 avril et 4 mai, l’échéance électorale est très proche. Les candidats sont aucoude-à-coude, ils n’existent qu’en opposition aux autres. Le Monde met en scène cesoppositions : « Royal et Bayrou font bloc contre Sarkozy » et « Le débat Royal-Sarkozy atourné au duel ». Dans les deux cas, il s’agit d’un véritable combat : seul, Nicolas Sarkozytend le doigt vers l’objectif, décidé, combatif ; aux côtés de Ségolène Royal, il montre lesdents, et un regard de « chasseur ». Le Monde oppose Nicolas Sarkozy et « les autres » defaçon duale, bipolaire (aussi, notons les unes se situent dans l’entre-deux tours). Il ne s’agitplus de parler, il s’agit de gagner et de mettre en place un rapport de forces. Sur l’image,Nicolas Sarkozy paraît bien décidé à le remporter.

En lisant successivement les unes de Libération et du Monde, l’affirmation conclusivede la transposition du réel par l’écrit de l’un et de l’autre journal se confirme : Libération

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adopte une stratégie d’attaque, incisive envers la stratégie de communication de NicolasSarkozy. Son but est d’ôter les artifices qui cachent la réalité de son personnage.

Au contraire, Le Monde adopte une attitude plus réservée, tantôt critique, tantôtégalitaire entre les candidats, tantôt mettant en scène Nicolas Sarkozy comme le favori, luifaisant confiance, rassurant les lecteurs à son sujet. Sans parler d’objectivité, l’informationfournie par les candidats apparaît davantage « brute » dans le journal Le Monde, et celui-cise refuse à être un acteur d’influence décisive dans la campagne présidentielle.

Conclusion

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Conclusion

Le 14 janvier 2007, Nicolas Sarkozy est entré en campagne présidentielle. Il avoue yavoir songé régulièrement depuis 2002. Dès 2006, il a agit dans le sens de la campagneprésidentielle ; dès le début de l’année 2007, il a investi chaque jour, chaque minute à sedéplacer, à parler aux médias, aux électeurs, pour que son « personnage de campagne »soit connu et reconnu de tous. Pourtant, on dit que ce sont les dernières semaines decampagne qui sont capitales et qui voient la décision de la majorité des électeurs. A quelcritère est due cette décision ? A l’insistance médiatique ou à l’approche de la date fatidique,où le vote apparaît comme un devoir et où le choix apparaît comme irréfutable ?

Dans ce sens, on peut se demander à quoi sert la communication politique, à quoi sertla communication qui entoure le candidat et qui lui façonne une symbolique, une identitépropre. A propos de l’élection présidentielle 2002, Max Gallo écrit : « Tout se met enplace pour cette représentation. Les bateleurs courent la campagne pour nous convier auspectacle. Mais pour qui nous prend-on ? Nous connaissons la troupe de ces acteurs-là depuis trente ans ! Nous les avons vus se chamailler sur scène et, le rideau électoralretombé, s'entendre comme larrons en foire ». C’est ainsi. La vie politique et ses pratiquessont une représentation permanente, une théâtralisation qui cache des acteurs derrière desmasques, qui cache la réalité de leur être.

La communication politique est presque devenue un jeu aujourd’hui : le candidat doits’identifier, et crée une représentation qu’il maîtrise. Comme on l’a vu dans le Chapitre 2,Nicolas Sarkozy opère une sélection entre ses outils, son équipe, ses mots, leur mise enforme… mais dans le jeu de la communication, il n’est pas seul. Des représentations lui ontpréexisté: des hommes du passé qui ont parlé, qui se sont identifiés symboliquement avantlui, qui ont mis en place des référents auxquels il doit faire face, en les acceptant ou en lesévitant. Un autre élément à prendre en compte dans le calcul stratégique de la campagne, etcelui-ci est bien réel : le relais médiatique n’est pas un simple relais informationnel, il prendpart à la campagne comme un soutien influent ou comme un détracteur tenace. Il défaitdes représentations, il en recrée, dévoile le symbolique pour laisser apparaître le réel… unjournal comme Libération est un réel danger pour l’image de Nicolas Sarkozy, il a jouéun grand rôle de persuasion dans la campagne présidentielle 2007. Il a montré un ministreagressif, un candidat sous tension, un petit homme agité aux thèmes réactionnaires, undouble de Le Pen, un menteur, un escroc. Et pourtant… et pourtant, cet homme-là, dontLibération a montré les zones d’ombre, le potentiel danger qu’il pouvait représenter enFrance, cet homme-là est aujourd’hui président de la République.

Dans l’équation des « faiseurs de communication » et des « révélateurs de réalité »,nous avons oublié une donnée, et pas des moindres : l’électeur. Lorsqu’on parle decommunication politique, on pense à la représentation offerte à l’électeur, à laquelle il adhèreou non selon ses normes et ses valeurs propres. Comme un journal, un électeur ne serait-il pas capable d’investigation ? Les électeurs de Nicolas Sarkozy ont-ils vraiment tous cru àses concepts utopiques (comme tous les slogans de campagne de tous les candidats) telsque « Ensemble, tout devient possible » ?

La communication politique emploie toujours plus de moyens, et ainsi sous-estime sonpotentiel d’action et de réflexion. Pour être candidat, aujourd’hui, il ne suffit plus de parler et

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de savoir argumenter : il faut avoir un QG luxueux, réaliser des meetings dignes des concertsdes grandes vedettes internationales… Nicolas Sarkozy est un exemple parfait de cettecommunication du « toujours plus ». A quoi sert sa grande affiche, au pied des escaliers deson QG ? A le représenter. Pourquoi si grand, pourquoi ici ? Parce qu’il en a les moyens,parce qu’il veut montrer que le candidat, c’est lui. Nicolas Sarkozy, en tant que candidat àl’élection présidentielle, a connu un « élan de starification » pendant les quatre mois de lacampagne. Le « flou communicationnel », les artifices de la « Sarko-munication », de partleur ampleur, ont facilité le « travail » de l’électeur. Il ne prend plus le temps de lire, d’étudierles mots. Il retient les moments « forts », les mots « choc », les déplacements « osés ».En demandant aux électeurs de Nicolas Sarkozy, à la sortie des urnes, cinq points de sonprogramme, combien y parviennent ? Une chose est sûre : l’apparition de Nicolas Sarkozyaux émissions de télévision comme « 100 minutes pour convaincre », ou « j’ai une questionà vous poser » connaissent des records d’audience. Inversement, ses tracts de campagnene sont pas « arrachés » aux militants UMP dans la rue par une foule d’électeurs avides delire le programme de leur candidat. On assiste donc à un déplacement du statut de NicolasSarkozy de l’homme politique à la nouvelle « star » en vogue : on s’intéresse davantage àsa personnalité qu’à son projet présidentiel. Il déplace le public, pour ou contre lui, il déplaceles électeurs, pour ou contre lui, mais ne laisse pas indifférent. L’ampleur des moyens, lecaractère incisif des paroles, la différence du personnage, le caractère plébiscitaire du vote(pour ou contre Sarkozy) : c’est ça, la « Sarko-munication ».

Les premières semaines de président de la République du « candidat Sarkozy » ontconfirmé cette tendance : il met en scène sa famille, il part en vacances sur un yatch luxueux,comme les stars de rock, loin de la Boisserie du général de Gaulle ou de la Corrèze deJacques Chirac. En réinventant ce style d’homme moderne (comme Giscard à son époque,montrant sa famille) et en l’associant aux valeurs patrimoniales (la constante référence à deGaulle, aux valeurs du travail, du mérite), on peut se demander si Nicolas Sarkozy a inventéun nouveau style de communication politique, incitant les Français à s’intéresser davantageà la politique, par le biais de l’appât communicationnel. Après la regrettable « désaffectiondu politique », la « Sarko-munication » donnerait alors un nouveau souffle à la médiationentre le politique et le citoyen… à condition que cet intérêt du citoyen pour ce qu’on appellela « politique », et qui en est en fait sa représentation contienne encore une once de senspolitique, sans doute étouffé par le poids de l’artifice.

Bibliographie

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Bibliographie

- Les droites en France, René Rémond, Editions Aubier Montaigne, novembre 1987,544 p.

- Les droites aujourd’hui, René Rémond, Points Seuil Histoire, mars 2007, 273 p.

- Histoire des droites en France T.1, sous la direction de Jean-François Sirinelli,Gallimard, décembre 1992, 793 p.

- La droite en France, de 1789 à nos jours, Jean-Charles Petitfils, Que Sais-je ?, PUF,mai 1983, 126 p.

- La communication politique, Jacques Gerstlé, Armand Colin, 2004, 297 p.

- La communication politique, Etat des savoirs, enjeux et perspectives, sous la directionde Anne-Maris Gringas, Presses de l’Université du Québec, avril 2003, 295 p.

- Dialogues politiques : Images et miroirs, « Communication et langages », n° 148, juin2006, 139 p.

- Communication et marketing de l’homme politique, Philippe J.Maarek, Editions Litec,1992

- Cours de communication politique, Bernard Lamizet.

- Ensemble, Nicolas Sarkozy, Editions XO, avril 2007, 161 p.

- Témoignage, Nicolas Sarkozy, Editions XO, juillet 2006, 281 p.

- La culture est-elle encore un enjeu politique ? L’approche des politiques culturelles deMalraux à la campagne présidentielle 2007, Céline Martinet, 2007, 22 p.

- Parler pour gagner, Sémiotique des discours de la campagne présidentielle de 2007,Denis Bertrand, Alexandre Dézé, Jean-Louis Missika, Les presses de Sciences PO,mars 2007, 145 p.

- Elections et campagnes électorales, Regards sur l’actualité, Dossier coordonné parBrigitte Masquet, La documentation française, mars 2007, 115 pages.

- Les élections présidentielles en France, quarante ans d’histoire politique, sous ladirection de Pierre Bréchon, La documentation française, 2002, 208 p.

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Sigles utilisés

FN : Front NationalPS : Parti SocialisteRPR : Rassemblement pour la RépubliqueSMS : Short Message ServiceTSS : Tout Sauf SarkozyUDF : Union pour la Démocratie FrançaiseUDR : Union des Démocrates pour la RépubliqueUMP : Union pour un Mouvement Populaire, anciennement Union pour la Majorité

Présidentielle

Annexes

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Annexes

Chapitre 1Annexe 1 : Allocution radiotélévisée, Charles De Gaulle, 4 novembre 1965

Françaises, Français, Il y a 25 ans, lorsque la France roulait à l'abîme, j'ai cru devoir assumer la charge de la

conduire jusqu'à ce qu'elle fût libérée, victorieuse et maîtresse d'elle-même. Il y a 7 ans, j'aicru devoir revenir à sa tête pour lui éviter la guerre civile, lui épargner la faillite monétaire etfinancière et bâtir avec elle des institutions répondant à ce qu'exigent l'époque et le mondemoderne.

Depuis lors, j'ai cru devoir exercer les pouvoirs de chef de l'Etat, afin qu'elle puisseaccomplir au profit de tous ses enfants, une étape sans précédent de son développementintérieur, recouvrer la paix complète et acquérir dans l'univers une situation politique etmorale digne d'elle.

Aujourd'hui, je crois devoir me tenir prêt à poursuivre ma tâche, mesurant enconnaissance de cause de quel effort il s'agit, mais convaincu qu'actuellement c'est le mieuxpour servir la France.

Car, ainsi, notre pays se voit offrir le meilleur moyen de confirmer, par ses suffrages,le régime stable et efficace que nous avons ensemble institué. Que l'adhésion franche etmassive des citoyens m'engage à rester en fonction, l'avenir de la République nouvelle seradécidément assuré. Sinon, personne ne peut douter qu'elle s'écroulera aussitôt et que laFrance devra subir - mais cette fois sans recours possible - une confusion de l'Etat plusdésastreuse encore que celle qu'elle connut autrefois.

Françaises, Français, c'est dire que, suivant votre choix, notre pays pourra, ou non,continuer la grande aventure de rénovation où il se trouve engagé. Or qu'il s'agisse de sonunité, de sa prospérité, de son progrès social, de sa situation financière, de la valeur de samonnaie, de ses moyens de défense, de l'enseignement donné à sa jeunesse, du logement,de la sécurité, de la santé de sa population, l'avance qu'il a réalisée depuis sept ans apparaîtcomme éclatante.

Certes, il y a encore, il y aura toujours beaucoup à faire.Mais comment y parviendrait-on si l'Etat, livré aux partis, retombait dans l'impuissance ?

Au contraire, quel élan nouveau prendra notre République quand celui qui a l'honneur d'êtreà sa tête aura été approuvé par vous dans son mandat national.

En même temps, se trouvent en jeu : la situation et l'action de la France dans un mondeau-dessus duquel planent d'incommensurables dangers, l'indépendance reprise sans reniernos amitiés, la coopération pratiquée avec des peuples où notre colonisation était devenueanachronique et souvent sanglante, l'union de l'Europe occidentale poursuivie de telle sortequ'elle s'organise dans des conditions équitables et raisonnables, que la France y reste elle-même, et qu'au plus tôt tout notre continent puisse s'accorder pour marcher en communvers la paix et vers le progrès, le rayonnement de notre culture vivifié et grandissant, laconsidération et l'audience des autres peuples justement obtenues par nous en soutenant

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partout la cause de la libération, du développement et de l'entraide dont dépend désormaisle sort de la communauté humaine.

Eh bien, voici que le monde entier regarde vers nous pour savoir si vous allez, par votrevote, ratifier ou effacer ce que nous avons accompli au-dehors, appuyer ou empêcher ceque nous sommes en voie d'y réussir.

Une grande responsabilité nationale incombera donc, dans un mois, à vous toutes età vous tous. Telle est d'ailleurs, la raison d'être de la loi constitutionnelle qui s'appliquerapour la première fois et en vertu de laquelle le peuple français tout entier désignera le chefde l'Etat, garant du destin de la nation.

En élisant le président de la République, il vous sera donné de fixer en conscience,par-dessus toutes les sollicitations des tendances partisanes, des influences étrangères etdes intérêts particuliers, la route que va suivre la France.

A moi-même, que vous connaissez bien après tout ce que nous avons fait ensembledans la guerre et dans la paix, chacune de vous, chacun de vous aura l'occasion de prouverson estime et sa confiance.

Ainsi, devant tous les peuples, le scrutin historique du 5 décembre 1965 marquerale succès ou le renoncement de la France vis-à-vis d'elle-même. Françaises, Française,j'espère, je crois, je sais qu'elle va triompher grâce à vous.

Vive la République, vive la France !Annexe 2 : Allocution radiotélévisée, Charles De Gaulle, 11 décembre 1965Françaises, Français !Tandis que roule le flot de la démagogie en tous sens, des promesses à toutes les

clientèles, des invectives de tous les bords, naturellement soulevé par les partis dans leurcampagne, le jour approche où vous allez décider du sort de la France.

Car il dépend de vous toutes et de vous tous qu'en définitive la République nouvelle,si elle est maintenue et confirmée par vous en la personne de son président, poursuive etdéveloppe, d'abord avec lui, plus tard avec d'autres, son œuvre de progrès, d'indépendanceet de paix.

C'est de cet avenir, pourvu qu'il reste ouvert, dont je vous parlerai ce soir.J'ai dit : le progrès. Qu'il s'agisse du développement réalisé depuis sept ans et de celui

qui est engagé par notre économie : industrie, agriculture, échanges ; ou bien de ce qu'enmoyenne chacun a acquis et de ce que la loi l'assure d'acquérir dans les 5 prochainesannées ; ou bien de ce qui est fait et de ce qui doit l'être pour notre collectivité nationaleen ce qui concerne les grands investissements et transferts sociaux qui vont à la recherchescientifique, à l'enseignement, à l'agriculture, au logement, aux retraites, aux hôpitaux, auxsports, à l'équipement du territoire, et cetera ; ou bien enfin du point où en sont, par rapportà ce qu'elles étaient, nos finances et notre monnaie et de ce qui est décidé qu'elles serontà l'avenir ; voici qui donne une idée de l'avance de la prospérité française.

Depuis 1958, ce que nous avons produit, évalué en francs constants, s'est alors accrûde 4,9 pour 100 en moyenne par an ; cet accroissement devant atteindre 5 pour 100en moyenne par an, au cours des prochaines années. L'élévation du niveau de vie réel,autrement dit compte tenu de l'augmentation des prix, a été, pendant la même période, de3-7 pour 100 par an, en moyenne et pour chacun, et ce sera de 4 pour 100, en moyenneet pour chacun, jusqu'en 1970. Quand à l'effort direct de l'Etat pour le développementéconomique et social de la nation, les investissements ont, pour ainsi dire, triplé de 1958 à

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1965 et grandiront encore pour la durée du cinquième plan. Le budget est en strict équilibre,et la monnaie inébranlable ; il en sera ainsi désormais. Voilà du vrai, du sérieux, du solide.

J'ai dit : l'indépendance. Il y a dans le monde de grandes réalités au milieu desquelles vitla France. Ce sont : deux pays actuellement colossaux, Etats-Unis et Russie soviétique, enconcurrence pour l'hégémonie ; la Chine, énorme par sa masse et par son avenir ; l'Europeoccidentale, après de terribles déchirements, tout commande de s'unir à tous les égards ;enfin, le "Tiers Monde" d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine innombrable et dépourvu.

Que fait la République nouvelle vis-à-vis de cet ensemble ? Elle fait ceci que laFrance, si elle demeure l'amie et l'alliée de l'Amérique, si elle se sent avec la Russie, par-dessus les régimes qui passent, beaucoup d'affinités naturelles et d'importants intérêtscommuns, n'accepte d'être subordonnée ni à l'une ni à l'autre ; que la France noue avecla Chine des liens qui se multiplient ; que la France travaille en Europe à achever l'unionéconomique des 6, tout en comptant qu'un jours plusieurs voisins pourront s'y joindre, eten resserrant, en tous domaines, ses rapports avec les pays de l'Est ; que la France,dans la mesure de ses moyens politiques, moraux et matériels, aide les peuples venusou revenus à l'indépendance à affermir leur personnalité nationale et, par là même, leurresponsabilité internationale, à améliorer leur Etat, leur administration, leur économie, leurcapacité culturelle, scientifique et technique, bref à devenir des membres à part entière dela civilisation moderne. Pour une telle action, la France doit avoir les mains libres. Elle les a.

J'ai dit : la paix. Désormais suspendus au-dessus de l'univers, le fait nucléaire et lefait spatial, que la science et l'industrie ont rendus inéluctables, ont naturellement produit etcontinuent de produire des armes dont la puissance de destruction est incommensurable.Pour éviter à la race des hommes des malheurs inouïs, la condition sine qua non estque ces armes n'entrent pas en action. Mais, comme la guerre atomique risque d'êtrel'aboutissement d'un engrenage ou, comme on dit, d'une escalade, il est d'intérêt vital etuniversel de réprouver et de liquider les conflits armés quels qu'ils soient. C'est ce que faitla France, qui, pour sa part, n'en mène plus aucun et qui s'offre à coopérer au règlementde ceux qui font rage, en particulier en Asie, tout en se donnant à elle-même, tant que lesautres en auront, les moyens de dissuasion, autrement dit de sauvegarde, qu'elle est enmesure d'avoir et en refusant d'être, le cas échéant, sous prétexte d'intégration européenneou d'intégration atlantique, intégrée dans une guerre qu'elle n'aurait pas voulue.

Le progrès, l'indépendance, la paix, comment pourrait les assurer le désastreuxsystème des partis, Le système des rivalités, des combinaisons, des contradictions, aumilieu desquelles, entre mon départ de 1946 et mon retour en 1958, 23 ministèress'effondraient et par l'effet desquelles réapparaissent dans leur camp toutes les ambitions,tous les faux-semblants et toutes les astuces d'autrefois. Le système de l'inflation, qui nousavait, avant de disparaître, menés au bord de la faillite. Le système qui, paralysé par sesjeux scandaleux, empêtré dans des problèmes intérieurs et extérieurs qu'il ne pouvait pasrésoudre, offrant sa docilité en échange des secours du dehors, faisait que notre pays étaitappelé "l'homme malade du monde".

Non ! L'avenir n'est pas là ! L'avenir, c'est la République nouvelle, qui a pour raison d'êtrenon point de fractionner, de diviser, d'opposer entre eux les Français, mais au contraire deles réunir pour renouveler la France, comme celui qui a l'honneur d'être le chef de l'Etat leura demandé naguère de le faire pour la sauver ; la République nouvelle, qui ouvre un cadremoderne, digne et solide à l'action, à l'ardeur, au succès de tous ceux qui veulent construire,non point détruire ; la République nouvelle, que le peuple français a fondée à mon appelpour le seul service de la France.

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Vive la République !Vive la France !Annexe 3 : Allocution radiotélévisée, Charles de Gaulle, 17 décembre 1965 Françaises, Français ! Vous allez décider ! Où est le choix ? A travers 2 hommes, il est entre 2 régimes bien connus, c'est-à-dire

2 expériences que la nation a faites successivement et entre 2 avenirs opposés à tous leségards.

Il y a, d'une part, le régime du passé, où l'Etat, la nation, le destin étaient àla discrétion des partis ; le régime des jeux politiciens, des combinaisons fallacieuses,des ministères-châteaux de cartes ; le régime de l'impuissance, de l'abaissement et del'échec. S'il reparaît, personne ne peut douter qu'il ramène automatiquement l'affreuseconfusion d'autrefois. Encore, celle-ci serait-elle plus désastreuse que naguère parce queles éléments mutuellement contraires, qui s'accordent aujourd'hui uniquement pour écarterDe Gaulle, se retrouveraient, s'ils réussissaient, plus frénétiques que jamais dans leursdivisions réciproques et dans leurs appétits rivaux ; parce que le pays, constatant queles démagogues l'auraient trompé une fois de plus, se montrerait de moins en moinspassif à l'égard de leurs palinodies ; parce qu'au-dehors l'estime et la considération quientourent notre politique feraient place à une commisération, voire même à une dérision,qui certainement nous coûteraient très cher ; parce que les 2 puissances étrangères quirivalisent pour l'hégémonie ne manqueraient pas de faire de cette mêlée un théâtre de leurquerelle par personnes interposées. En fin de compte, et encore une fois, c'est au dramequ'irait l'aventure.

Ce régime-là a son candidat. Je ne crois pas qu'aucun autre l'aurait été plus que lui.Désigné par les clans des partis, n'ayant de réalité et de possibilités que par eux et que poureux, son mandat, s'il l'obtenait, ne pourrait avoir d'autre objet que de les remettre en placeafin qu'ils reprennent leur tragi-comédie au point où, voici 7 ans, leur panique l'avait arrêtée.

Après quoi, que ferait-il d'autre, à supposer qu'il s'en soucie, que d'être l'enveloppeflottante de leurs intrigues et de leurs crises, en attendant leur déconfiture ? Car il n'y apas de textes constitutionnels, fussent-ils interprétés suivant l'occurrence, ni de déclarationshabilement balancées, ni de promesses gratuitement distribuées, qui puissent faire qu'enFrance un chef de l'Etat en soit véritablement un s'il procède non point de la confianceprofonde de la nation, mais d'un arrangement momentané entre professionnels de l'astuce.

Il y a d'autre part, la République nouvelle. Depuis 7 ans qu'elle fut fondée par la volontédu peuple, elle fait ses preuves dans la démocratie et sans manquer à la liberté. Elle donneà nos pouvoirs publics une stabilité, une continuité et une efficacité que nous n'avionsjamais connues. Elle nous procure une paix complète, ce qui ne nous était jamais arrivédepuis plus d'un demi-siècle. Sur la base de finances en ordre et d'une monnaie exemplaire-extraordinaire innovation !-elle assure à notre économie une croissante prospérité. Elle veutque tous y trouvent leur compte en élevant le niveau de vie réel de chaque Français àmesure que monte le revenu national et en s'obligeant elle-mêle, de par la loi de notrePlan, à corriger les retards. Après de grands progrès accomplis quant aux problèmes del'agriculture, de l'enseignement, de la recherche, du logement, des retraites, des sports, del'équipement du territoire, et cetera, elle est prête pour un nouveau bond en avant afin de lesrésoudre à fond. Ayant placé la France parmi les peuples à un rang digne d'elle et affirmépartout sa présence et son influence, elle prétend porter l'Europe de l'Ouest à s'unir pour sa

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prospérité, s'efforcer d'établir l'entente et la sécurité sur le continent tout entier, contribuerà régler le conflit qui sévit en Asie et menace de mener au pire, favoriser l'essor des paysles moins avantagés, déterminer les plus puissants à une coopération directe pour le bienet le salut communs. La République nouvelle a son président. C'est moi. Me voici, tel queje suis. Je ne dis pas que sois parfait et que je n'aie pas mon âge. Je ne prétends nullementtout savoir ni tout pouvoir. Je sais, mieux que qui que ce soit, qu'il faudra que j'aie dessuccesseurs et que la nation les choisisse pour qu'ils suivent la même ligne. Mais avecle peuple français, il m'a été donné, par l'histoire de réussir certaines entreprises. Avec lepeuple français, je suis actuellement à l'œuvre pour nous assurer le progrès, l'indépendanceet la paix. Avec vous toutes et vous tous, qui êtes le peuple français, je pourrai, demain,donner à nos affaires une impulsion nouvelle, veiller de plus près encore à ce que chacunait sa part dans le développement national, conduire la France, suivant sa vocation, à uneaction humaine redoublée au milieu du monde moderne.

Françaises, Français, voilà pourquoi je suis prêt à assumer de nouveau la charge laplus élevée, c'est-à-dire le plus grand devoir.

Vive la République ! Vive la France !Annexe 4 : Discours prononcé à l’ORTF, Georges Pompidou, 16 mai 1969Au moment où s'ouvre la campagne présidentielle, je voudrais, Français, Françaises,

vous demander à tous, sans distinction d'opinions, d'avoir une pensée pour le général deGaulle.

Il a refusé la défaite, incarné la Résistance et la Libération. Il n'a cessé de dénoncerles faiblesses, l'impuissance d'un régime dont les hommes, tous presque sans exception,sont venus, un jour de 1958, lui demander de sauver la République et de résoudre le dramealgérien. La République a été sauvée. Le drame algérien a été résolu au prix, je le sais, desouffrances et de sacrifices pour les Français d'Algérie et le pays ne doit pas l'oublier. Maisenfin, pour la première fois depuis plus de cinquante ans, nos soldats, vos fils, vos frères,vos maris, ne se battent plus nulle part, sur la terre.

C'est dire combien la tâche de qui prendra la suite paraît écrasante et, pourtant, je suiscandidat, et je vais vous dire pourquoi.

Pendant longtemps, vous le savez peut - être, je n'ai pas désiré une carrière politiqueactive. Et puis, en 1962, le général de Gaulle m'a nommé, d'emblée, Premier ministre.J'ai fait mon apprentissage, j'ai fait des fautes comme tout le monde, mais je ne croispas avoir été indigne de ma fonction et, d'ailleurs, le Chef de l'Etat, deux Assembléessuccessivement et le pays, chaque fois qu'il a été consulté d'une façon ou d'une autre, m'ontconfirmé ou même accru leur confiance. Et pendant toute cette période, chaque fois qu'onparlait de "succession" et de "dauphin" - et Dieu sait si la presse en parlait - eh bien, jeressentais plutôt une impression d'effroi. Et puis est venu Mai 1968. L'agitation universitairequi se développait partout dans le monde, à Paris a pris une ampleur imprévue. Je metrouvais malheureusement en voyage officiel loin de la France, et quand je suis revenu, j'aitrouvé Paris hérissé de barricades, la grève générale proclamée, des milliers, des dizainesde milliers de gens qui défilaient derrière des drapeaux rouges et des drapeaux noirs,et un complot politique qui s'ébauchait. Et l'un se présentait déjà comme Président de laRépublique et offrait à l'autre - c'était M. Mendès France, déjà - d'être son Premier ministre.Il fallait tenir. Il fallait tenir. Il fallait d'abord rétablir l'ordre progressivement mais fermement etsans faire couler le sang, sans nous jeter dans la guerre civile. Il fallait remettre la France autravail, et ce furent les discussions et les longues nuits de Grenelle - vous vous en souvenez

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- et puis des accords qui ont, je crois, donné satisfaction à beaucoup de travailleurs. Et puis,il fallait déjouer le complot politique, faire comprendre à l'opinion ce qui se passait jusqu'aujour où le Chef de l'Etat, dans un appel historique, put renverser la situation. C'est à cemoment-là que j'ai compris : quand viendrait le jour, je n'aurais pas le droit de me dérober.Je suis donc candidat. Et je voudrais vous dire deux choses. D'abord, je n'imiterai pas lestyle du général de Gaulle, je ne le pourrais d'ailleurs et puis, vous le voyez bien, je suisun homme différent. Je me propose une politique d'ouverture et de dialogue. Ouverture,cela veut dire un gouvernement rénové se reposant sur une majorité très large étendue à

tous ceux qui acceptent les principes essentiels de la VeRépublique. Dialogue, cela veutdire des rapports constants, confiants entre le gouvernement et le Parlement, Assembléeet Sénat, avec tous les élus, élus locaux en particulier, et avec le pays, car j'ai l'intentionde lui expliquer, fréquemment, simplement, franchement, la politique, et naturellement depermettre aux oppositions de la critiquer. Tout cela, pourquoi? Eh bien, pour maintenir ladignité et l'indépendance de la France sur lesquelles reposent notre paix d'abord, maisaussi pour me pencher sur les difficultés quotidiennes, les préoccupations de chaquefoyer. Il faut réaliser une expansion rapide permettant de développer la justice sociale,d'assurer l'emploi, de défendre la monnaie. Il faut faire une France moderne et en mêmetemps ne pas oublier que la solidarité nationale doit jouer pour les régions déshéritées,les catégories défavorisées, les professions menacées. Mais tout cela ne sera pas facile.Il y aura naturellement des difficultés techniques. Il faut que l'Administration devienne plussouple, plus efficace, moins tatillonne, et d'ailleurs la plupart des fonctionnaires, l'immensemajorité des fonctionnaires le souhaitent. Il faut avoir à sa disposition les moyens financiers,administratifs, économiques, mais il faut aussi avoir les moyens politiques. Il faut quele nouveau Président puisse d'emblée, avec un gouvernement rénové reposant sur unemajorité très large, s'atteler à la tâche, car la situation actuelle, ne vous y trompez pas, estd'un calme factice. En période électorale, chacun se garde bien de faire peur mais, nousle savons bien, des difficultés se préparent. Dans l'Université, l'agitation persiste, elle nedemande qu'à exploser. Ici ou là, on amorce des revendications, on prépare des grèves,peut-être du désordre. Et, en tout cas, comment pourrait-on réaliser tout ce qu'il y a à faires'il fallait se heurter à des difficultés politiques, à un gouvernement composé de bric et debroc, aller vers la dissolution, vers de nouvelles secousses, de nouveaux retards? Alors,croyez-moi, nous nous préparerions un mauvais été, un dangereux automne. Mai 1968, ily a à peine un an, ne l'oubliez pas.

Français, Françaises, je suis un démocrate, je crois être humain et libéral, je crois aussi- et je le dis sans vanité, soyez-en sûrs - être capable de fermeté et l'avoir prouvé pourpréparer des lendemains qui peuvent être, qui doivent être heureux mais qui peuventêtredangereux. J'ai l'honneur de solliciter vos suffrages.

Annexe 5: Discours à Avranches, Jacques Chirac,18 mars 2002Monsieur le Maire, Monsieur le Président du Conseil Régional, Mes chers amis,Dans cette magnifique région d’Avranches avec, sous les yeux, ce joyau qu’est le

Mont Saint-Michel, comment ne pas éprouver fortement un sentiment de responsabilité ?Responsabilité à l’égard de notre patrimoine historique et culturel, dont le Mont Saint-Michelest l’un des fleurons. Responsabilité, aussi et surtout, à l’égard de notre patrimoine naturel.Ce monument, ce site d'exception, sont une parfaite illustration de ce que l’homme peutaccomplir.

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Le Mont Saint-Michel témoigne du génie de l'homme, quand celui-ci lance vers le cielun pareil défi de foi et de spiritualité, faisant de ce sanctuaire aérien un lieu de pèlerinageet de recueillement pour toute l'Europe.

Mais le Mont Saint-Michel illustre aussi les dangers que l’activité de l’homme fait pesersur ses propres créations et sur les sites qui les accueillent. Chacun sait que les travauxdu début du siècle dernier, pour gagner du terrain sur la mer, ont aggravé l’ensablement duMont, outre qu’elles défiguraient ses approches.

Le Mont Saint-Michel illustre enfin, par les grands aménagements qui vont être entreprispour rendre à ce lieu sa beauté originelle et son caractère maritime, ce que peut la volontéde l’homme, la volonté politique, quand il s’agit d'allier l'intelligence humaine et les forcesde la nature pour sauvegarder patrimoine et environnement.

Nous avons donc tout à la fois sous les yeux un rêve, une leçon, un exemple, uneespérance.

L'Environnement est l'une des grandes exigences de notre temps.Je suis venu vous dire aujourd'hui, dans le cadre de la campagne pour l'élection

présidentielle, pourquoi cette exigence est au coeur de mon engagement pour la France.Un engagement pour une écologie humaniste, qui scellera l'alliance de l'environnement,

de la science et du progrès économique. Non pas une écologie alibi. Non pas une écologiepoliticienne et sectaire. Mais une écologie des passionnés de la terre. Une écologie quifonde une révolution des valeurs, en plaçant avant tout le respect des autres et le respectdes libertés de tous.

Les temps ont changé. Il y a quelques décennies, l’environnement n’était pas lapremière urgence. Depuis, des craintes se sont affirmées, des évidences se sont imposées,une prise de conscience a eu lieu.

Jadis, nombre de catastrophes qui endeuillaient le monde apparaissaient commedes phénomènes isolés. Des phénomènes purement naturels, sans liens entre eux,essentiellement imputables à la fatalité.

Or, nous savons désormais, ou nous avons des raisons de penser, que certainesd’entre elles sont la conséquence de changements climatiques. Tempêtes de l'hiver 1999.Inondations massives, comme nous les avons vécues dans l’Aude, dans la Somme, enLorraine, et dans le Nord Pas-de-Calais. Ou, au contraire, sécheresses interminables dansdes régions pourtant non désertiques... Il est désormais établi que le réchauffement de laplanète est lié aux émissions de gaz à effet de serre provoquées par la consommationexcessive de pétrole et de charbon, notamment par les pays les plus riches.

Nous savons désormais que l’activité humaine peut provoquer des réactions en chaînesur les équilibres naturels, qu'elle peut créer des situations irréparables. Je pense parexemple à la disparition de la forêt primaire ou à la surexploitation des ressources desocéans, qui menacent la richesse biologique du monde.

Nous savons que notre santé, qui bénéficie depuis un siècle des extraordinaires progrèsde la médecine, peut se trouver affectée par des expérimentations délirantes, faites aunom de la productivité, comme dans l’affaire de la vache folle ou, tout simplement, par unenvironnement dégradé. La recrudescence des cancers, des asthmes et des bronchioliteschez les enfants en témoigne.

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Nous savons que les marées noires ne sont pas la conséquence des caprices del’océan, mais de la recherche du profit à tout prix, qui pousse à faire naviguer des épaves,ainsi que du laxisme et de l'absence de civisme à l’échelle de la planète. Nous savons,enfin, et nous l’avons dramatiquement vécu à Toulouse, que certains sites industriels etchimiques, s’ils ont apporté richesses et emplois, peuvent être aussi à l'origine de tragédies.

Il y a également les prévisions alarmistes des experts. Elles nous annoncent pour 2020,si nous ne faisons rien, la désertification de la moitié des continents et des difficultés d’accèsà l’eau potable pour deux habitants de la planète sur trois.

De tout cela, nous tirons un sentiment d'urgence et de menace. Sentiment que nous nesommes pas protégés de certains dangers qui pourraient être anticipés, évités, maîtrisés.Sentiment que l’humanité, dans son ensemble, joue avec le feu.

Il y a péril en la demeure. Il est urgent qu’une autre logique s'impose, une logique desolidarité avec le futur, une logique de l’intérêt collectif, une logique portée par une vraievolonté politique, celle du développement durable.

Cette ambition est au coeur du projet politique que je propose aux Français. C’est lecombat de la responsabilité et de l'éthique. C'est un combat que je mène sans relâche danstoutes les instances internationales, à travers le monde.

Je ne méconnais pas ses difficultés.Bien sûr, des conventions internationales ont été négociées, des lois existent, des

programmes sont là. Mais le grand problème, c’est l’application de ces textes. D’oùl'idée d’une Organisation Mondiale de l’Environnement, aussi puissante que l'OrganisationMondiale du Commerce, qui pourrait veiller à cette application. D'où l'importance pour laFrance d'être un moteur de la politique européenne de l'environnement.

Devant les transformations profondes qu'exige le développement durable, lesréticences sont multiples. Partout l’impératif permanent de la compétitivité à court termeet la course au profit. Dans les pays les plus pauvres, l’aspiration légitime à de meilleuresconditions de vie et souvent même la lutte pour la survie. Et dans les pays riches, larecherche du plus grand confort immédiat et les conflits d'intérêt entre administrations,individus ou entreprises.

Ainsi, les Etats-Unis refusent toujours de se rallier au protocole de Kyoto pour lalutte contre les changements climatiques. Ils jugent trop lourds et trop coûteux les effortsnécessaires pour rendre leur économie moins gourmande en énergie. Cela n'est pasacceptable.

Ainsi, malgré la catastrophe écologique de l’Erika, l’Europe et le monde n'ont toujourspas fait ce qu'il fallait pour prévenir les marées noires, parce qu’on a voulu maintenir lescoûts très bas du transport maritime.

Mais ni les difficultés, ni les lenteurs ne doivent nous décourager d'agir.Agir, parce que c’est notre responsabilité à l’égard de nos enfants, de nos petits-enfants.

Si nous ne faisons rien, ce sont eux qui paieront la facture écologique.Agir, parce que nous avons tous les éléments pour le faire. En particulier, nous

sommes bien informés des risques. Informés par les anciens, que nous serions bien inspirésd’écouter, au lieu de construire dans des zones inondables ou des zones d'avalanches.Informés aujourd'hui par les données de la science. On connaît et on surveille les zonessismiques du sud de la France. La progression du transport routier, la production de déchets,la pollution des nappes, les nuisances sonores sont des phénomènes parfaitement connus

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et quantifiés. Informés, enfin, par les outils de l’avenir, comme le satellite Envisat quel’Europe a lancé dans l’espace il y a quelques jours, et qui permettra de mieux détecter lesatteintes à l’environnement.

L'heure n'est plus à la prise de conscience. L'heure est à l'action.Tout est une question de volonté, placée au service d’une philosophie pour l’homme :

l’écologie humaniste. Une écologie qui reconnaît la place centrale de l'homme sur laplanète, et l’étendue de ses responsabilités. Une écologie concrète qui cherche à améliorernotre quotidien, tout en préservant les grands équilibres planétaires. Une écologie ouverte,qui inspire des règles rigoureuses, lorsque c’est nécessaire, dans le respect des libertésindividuelles. Il s'agit d'inventer un nouveau mode de développement, un nouvel art de vivreoù la qualité l’emporte sur la quantité, où l’environnement, l’économie et le social sont placéssur un pied d’égalité. Il s'agit de conduire le développement durable et de lui donner uncontenu concret : c’est la mission historique de nos générations en ce début du 21èmesiècle que de protéger l'environnement, bien commun de l'Humanité.

Les principes de l’écologie humaniste sont clairs. C’est le partage et la solidarité. C'estl’efficacité et la responsabilité collective.

Partage et solidarité.Dans l’accès aux ressources naturelles, eau douce, pétrole, forêts, ressources minières

ou réserves de poissons, ce qui est en jeu, c’est notre conception de l’Humanité. Nous nepouvons accepter que certains peuples n’aient d’autres choix que de surexploiter la naturepour survivre.

A Rio, il y a dix ans, nos pays ont confirmé leur décision de consacrer 0,7% de leurPIB à l’aide au développement. Or, cette aide n’a cessé de décroître ces dernières années,malgré une conjoncture économique exceptionnelle. Notre parole doit être honorée, sauf àperdre tout crédit au prochain sommet du développement durable à Johannesburg en aoûtprochain. C'est la raison pour laquelle j'irai dans trois jours à Monterrey pour le Sommet surle financement du développement afin d'y défendre un nouveau partenariat entre le Nordet le Sud.

En contrepartie d'un fort engagement des pays riches, notamment financier, les pays endéveloppement pourront s'engager dans la protection de leurs trésors naturels, la forêt, lafaune, les sites et les ressources naturelles, et dans l'invention de modes de développementpropre. Tels seront les fruits de la solidarité.

Efficacité et responsabilité collective, ensuite.L’efficacité, c’est celle qu'on est en droit d'attendre de la puissance publique, dans

ce domaine comme dans tous ceux qui mettent en cause la sécurité et la protection descitoyens.

Pour être efficace, l’Etat doit pouvoir s’appuyer sur une législation moderne, audacieuseet adaptée. Je demanderai au prochain gouvernement de présenter une loi d'orientationglobale, sur cinq ans, pour fixer l'ordre des priorités et mobiliser les moyens indispensables.

Je proposerai aux Français d'inscrire le droit à l’environnement dans une Charteadossée à la Constitution, aux côtés des Droits de l’Homme et des droits économiques etsociaux. Ce sera un grand progrès. La protection de l’environnement deviendra un intérêtsupérieur qui s’imposera aux lois ordinaires. Le Conseil Constitutionnel, les plus hautesjuridictions et toutes les autorités publiques seront alors les garants de l’impératif écologique.Cette démarche est celle de l'efficacité. Elle permettra d'installer la préoccupation, et même

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parfois la contrainte, de l'environnement dans la durée. Beaucoup d’autres pays ont déjàadopté de telles dispositions.

La Charte rappellera les droits et les devoirs de chacun à l'égard de l’environnement,et vis-à-vis des générations futures. Elle affirmera cinq principes fondamentaux : principed’intégration, principe de précaution, principe de responsabilité écologique, principe deprévention, principe d’information et de participation.

Il faut un changement d’état d’esprit au sein de toutes les administrations de l’Etat. Ilfaut un changement de méthode de gouvernement. Dans les années récentes, le ministèrede l’environnement a trop souvent servi de caution écologique et l'action n'a pas suivi. Lecomité interministériel de l’environnement ne s'est pas réuni depuis cinq ans. Il est tempsde mettre fin au dépérissement de la politique de l'environnement.

Il n'y aura pas de développement durable tant qu'on se contentera de surajouter unepincée de protection de la nature aux autres politiques publiques, politiques industrielle,agricole, des transports, de l'équipement. On se condamne alors à ne jamais pouvoirinfléchir les grandes décisions. L'environnement ne doit plus être pris en compte seulementaprès que toutes les questions habituellement jugées importantes ont été réglées. Il doitêtre présent au coeur du processus de décision dès l'origine. Tant que l'on aura pas compriscette exigence, on pourra sans doute continuer à parler d'environnement, mais on ne pourrapas parler de développement durable.

Le développement durable est en effet une préoccupation transversale. Il doit êtreen filigrane de tout projet gouvernemental. Je propose que le ministre de l'environnementdevienne un véritable ministre de l'écologie et du développement durable. Il exerceraune compétence de coordination générale. Il sera au carrefour de toutes les décisionséconomiques et d'aménagement.

Tous les ministères qui peuvent être concernés par l'environnement, c'est-à-direl'immense majorité d'entre eux, devront être partie prenante de cette politique globale, etchacun sera comptable de ses résultats.

L'éducation nationale, car il faut apprendre l'écologie dans les écoles.La justice, pour mieux former les magistrats aux enjeux du droit de l'environnement.L'économie et les finances, pour mesurer l'impact environnemental de nos choix

fiscaux.L'équipement, pour les grandes infrastructures et l'action en faveur d'un système de

transport propre.L'agriculture, pour développer une agriculture économiquement forte et

écologiquement responsable.Voilà comment la puissance publique pourra mieux assumer ses missions de protection

et de sauvegarde.Parmi ces missions, je mettrai l’accent sur trois d’entre-elles, qui ne sont pas

convenablement assurées aujourd'hui : la prévention des risques. La politique de l'énergie.La qualité de la vie.

La prévention des risques, qui participe de la sécurité des citoyens au sens large, estle premier devoir de la puissance publique. Sans paralyser l'initiative, il faut tendre vers lerisque zéro en recherchant la protection maximale. Nous en sommes encore loin.

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Protection, d'abord, contre certains risques naturels, ceux que l'on peut prévoir etprévenir. J'évoquais les inondations qui ont durement frappé la France ces dernièresannées. Elles ont révélé l’extrême fragilité de nos systèmes de prévention des crues. On nepeut se résigner à la répétition de ce phénomène année après année.

Les 14.000 communes concernées par ce risque, doivent impérativement être dotéespar l'Etat d'un plan de prévention.

Protection, ensuite, contre les risques industriels.Le tragique accident de Toulouse a amplement démontré l’insuffisance des moyens de

contrôle et les efforts à faire en matière de réduction du risque à la source. Cela suppose plusde surveillance et un plan national de réduction des risques industriels et technologiques,sans écarter aucune solution, y compris le déplacement ou même l'arrêt définitif de certainesactivités.

Cela doit se faire en concertation avec les populations qui sont les premièresconcernées, et qui doivent être pleinement informées et associées : les citoyens doiventpouvoir contrôler les dispositifs qui sont censés les protéger. Le non-dit, l'inconnu font peur.Au contraire, la transparence, la responsabilité, la volonté claire de prendre les décisionsqui doivent l’être, rassurent.

Protection contre les risques liés aux transports maritimes.L'objectif est simple, c'est d'éviter de nouveaux Erika. Pour cela, la France doit balayer

devant sa porte en respectant son engagement international de bien contrôler les naviresqui font escale dans ses ports ou approchent de ses côtes. Elle doit s'en donner les moyens.Elle doit aussi exiger le même effort de nos partenaires européens.

Protection dans le domaine des OGM et plus généralement des biotechnologies.Leur essor n’est pas contraire, en lui-même, aux exigences de l’environnement. Elles

sont même porteuses d'espoir, pour l'environnement et pour répondre au défi alimentairemondial.

Toute la question est de savoir comment les exploiter sans mettre en cause deséquilibres naturels qui sont nécessaires à l’homme.

Une certaine pratique du secret qui a entouré le développement des organismesgénétiquement modifiés n’a pas été propice à l’instauration d’un climat de confiance. Il fauten tirer les leçons. Pour tous les produits qui résultent de manipulations du vivant, et enparticulier ceux destinés à l'alimentation humaine, je souhaite que soient mises en oeuvredes procédures comparables à celles qui prévalent en matière de médicaments.

Cette meilleure protection des Français sera naturellement au coeur de la loid’orientation que j’évoquais tout à l’heure, loi qui concernera en particulier la sécuritéindustrielle, alimentaire, sanitaire et maritime.

Conduire une véritable politique de l’énergie est la deuxième grande mission de l’Etatdans le domaine de l'environnement.

L’énergie est indispensable à notre société. On a tendance à l'oublier quand elle estabondante et bon marché. Mais, l'approvisionnement énergétique de la France est unequestion stratégique. Les Français sont en droit de savoir précisément ce qu'on leur proposepour l’avenir et ils doivent pouvoir en débattre.

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D'abord, les économies d’énergie, qui doivent s’imposer à tous. Le gaspillage n'est passeulement une perte d'argent, c'est une source importante de pollution et donc de risquepour les autres.

Ensuite, la diversification des sources d'énergie. Cessons de regarder les énergiesrenouvelables avec condescendance, comme je le constate encore trop souvent. Le solairethermique, l'éolien, la géothermie ou la biomasse doivent occuper plus de place dans notreconsommation d'énergie. Toute part de marchés supplémentaires pour ces énergies, cesera moins de pétrole, de charbon et de nucléaire. Je veux que les technologies de l’énergiedeviennent un volet essentiel de la grande politique de recherche et d’innovation que doiventmener la France et l’Europe.

L’énergie nucléaire doit faire l'objet d'un débat raisonné. Elle comporte des avantagesindéniables pour notre indépendance et pour la limitation des émissions de gaz à effet deserre.

Mais bien entendu, elle exige aussi une très grande vigilance, notamment sur deuxpoints essentiels : la sécurité et les déchets. Sur la sécurité, je souhaite qu'une loi encadremieux les activités nucléaires civiles. Sur les déchets, il faut préparer, par un grand débatpublic, les décisions qui devront être prises en 2006, en particulier sur la nature et lesconditions de stockage de ce que l'on appelle des déchets ultimes. L’objectif est de ne légueraux générations futures que le minimum possible de plutonium et de déchets radioactifs à vielongue, notamment grâce au tri des déchets réalisé par le retraitement. C'est un problèmeque vous avez évoqué, Monsieur le Président. Je sais qu'on y est, ici, particulièrementsensible.

La troisième grande mission de la puissance publique, c’est de veiller à la qualité dela vie.

La qualité de la vie, c’est l’air que l’on respire, c’est l’eau que l’on boit, c’est le bruit quel’on entend, ce sont les paysages qui s’offrent à nos regards.

L'air. Contrairement à ce que l'on croit, la qualité de l'air s'améliore progressivementdans nos villes sous l'effet de la réduction de la pollution industrielle et du rajeunissement duparc automobile. Pourtant, les affections pulmonaires augmentent. C'est lié à l'accumulationdes années de vie dans un air pollué. Je suis stupéfait de constater que la loi sur l'air de1996 n'est toujours pas complètement appliquée. Elle devra l'être sans nouveau retard etil faudra l'étendre à la qualité de l'air que nous respirons à l'intérieur des bâtiments ou desmoyens de transport.

Restent tous les problèmes liés au transport des marchandises. Les solutions sontconnues : modernisation de la flotte des camions, développement du fret ferroviaire, etsurtout du ferroutage, meilleure utilisation des voies maritimes et fluviales. Elles ont été troplongtemps différées. C'est une question de volonté politique, de méthode et de dialogue.

L'eau. La situation est aujourd'hui inquiétante. La qualité de la plupart des cours d’eauest mauvaise. Les nappes sont surexploitées ou polluées, alors qu’elles sont aussi utiliséespour l’alimentation en eau potable. La France rejette par ses fleuves de grandes quantitésde polluants dans les océans. C'est une lourde responsabilité pour un grand pays maritimecomme le nôtre car la pollution des mers provient pour l'essentiel des activités terrestres.Pour remédier à cela, dix ans après la loi sur l'eau de 1992, il apparaît nécessaire delégiférer à nouveau. Le projet de l'actuel gouvernement n'est pas satisfaisant, parce qu'il n'apas été suffisamment concerté avec les différents acteurs régionaux et locaux auxquels ilfaut faire confiance. Un texte entièrement nouveau devra être adopté. Son principal objectif

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sera l'amélioration des milieux aquatiques et des réserves d'eau souterraines. Une autoritéunique devra être chargée d’appliquer la police de l’eau au niveau régional.

Le bruit. Il affecte aujourd’hui plusieurs millions de Français. Là encore, il faut clarifierles responsabilités. C'est aux deux ministères chargés de l'environnement et de la santé deconduire la politique de lutte contre le bruit des avions, des trains, et des automobiles, etnon au seul ministère des transports . On ne peut être à la fois juge et partie.

Les paysages. La beauté de nos paysages participe bien évidemment de la qualité denotre vie. Tout doit être fait pour la préserver. Un exemple : les lignes à haute tension. Il n’estpas acceptable que des forêts de pylônes de toutes natures défigurent nos campagnes, etmême nos plus beaux sites. Je souhaite qu’un plan ambitieux d'enfouissement des lignesélectriques soit mis en oeuvre. Cela prendra du temps, mais il est nécessaire de commencerdès que possible cette reconquête de nos paysages.

Par ailleurs, comment accepter qu’il y ait encore des milliers de décharges sauvages,que tant d'installations de traitement de déchets ne soient toujours pas aux normes, que letri sélectif des ordures ménagères n'ait pas encore été généralisé, malgré les efforts desFrançais ? Il est temps de mener une politique d’ensemble pour limiter les nuisances, sauvernos paysages, préserver notre patrimoine naturel.

Voilà quelques-uns des grands objectifs que devront s'assigner l'Etat et les collectivitésterritoriales avec le concours de l'ensemble de nos concitoyens.

Car l'environnement demande l'engagement de tous.Engagement de tous les acteurs du système éducatif, car l'écologie humaniste doit

s'apprendre dans les écoles. Parce qu'elle est respect et souci de l'autre, souci du bienpublic, souci de l'avenir, elle doit faire partie intégrante d'une éducation civique renouvelée.

Engagement de l'ensemble de la communauté scientifique et des entreprises. Il nousfaut un grand programme de recherche sur l’environnement, la santé, les technologies del’énergie et de l’écologie industrielle. Afin de moderniser notre économie. Afin d'assurer lestransferts de technologies vers les pays du Sud. C’est d'ailleurs aussi notre intérêt à courtterme car la compétitivité de notre industrie, sa capacité à conquérir de nouveaux marchéss'en trouveront renforcées.

Engagement des collectivités locales, qui sont en première ligne pour tout ce quiconcerne, par exemple, l'organisation des transports, le développement énergétique, lagestion des déchets, des ressources et des espaces naturels. Elles devront se doter ellesaussi de leur propre stratégie de développement durable. Quant à l’outre-mer, si la richesseécologique de ses forêts, de ses lagons, de son littoral, de sa nature, est gérée sur le longterme, il peut devenir, en terme d'environnement et de tourisme de qualité, exemplaire dansleur espace régional.

Engagement de l'ensemble de notre société. Une politique de l'environnementresponsable et audacieuse a nécessairement des incidences sur notre façon deconsommer, de nous chauffer, de travailler, de produire, de nous déplacer, d'occupernos loisirs. L’écologie, parce qu'elle impose des disciplines nouvelles, fait appel à laresponsabilité de chacun au nom de la liberté de tous. D'où l'enjeu d'un vrai débatdémocratique sur ce sujet. D'où la nécessité d'agir systématiquement par le dialogue, dansla transparence et la concertation. D'où l'importance qui s'attache à ne pas dresser lescitoyens les uns contre les autres, à ne pas clouer au pilori, comme nous le voyons avecles chasseurs, certaines catégories de Français. Chacun, à sa place, doit jouer sa partiedans le combat pour l'environnement.

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Mes chers amis,L'écologie humaniste que je vous propose de vivre participe d'un projet d'ensemble.C'est un projet pour l'homme.Il s'agit de le replacer au centre de toute politique, dans le temps long de l'humanité. Il

s'agit de comprendre ses craintes, de répondre à ses aspirations, de préparer son aveniret surtout celui de ses enfants.

C'est un projet de protection.Les Français ont besoin d'être rassurés. La sécurité est un tout. Vivre en sécurité, c'est

bien sûr être protégé dans sa personne, dans sa famille, dans ses biens. C'est pouvoirexercer toutes ses libertés.

Mais la sécurité, c'est aussi ne pas risquer la vie de sa famille ou celle d'autrui enprenant sa voiture, ne pas craindre pour la santé de ses enfants, pour leur alimentation,pour l'air qu'ils respirent. C'est ne pas vivre dans la hantise de voir sa maison soudainementinondée. C'est pouvoir habiter non loin d'une usine sans redouter un accident industriel.Parce que la sécurité est un tout, il faut agir sur tous ses fronts.

C'est un projet de progrès.Il repose sur la conviction que, sur la durée, la protection de l'environnement améliore

la compétitivité de l'économie. Sur la confiance dans l'aptitude de l'homme à maîtriser sondestin, la confiance dans le progrès scientifique et technique pour apporter de nouvellesréponses à de nouvelles menaces.

C'est un projet de liberté.L'idée est de convaincre, de mobiliser, d'inciter afin que tous, citoyen, entreprise,

collectivité locale, trouvent leur intérêt dans l'exigence écologique. L'idée est d'avancer pourl'élaboration des règles communes par la concertation, le dialogue, le débat public qui seulspermettent des engagements éclairés. Cette liberté de choix, je veux qu'elle s'exerce danstous les domaines de la vie, donc dans le combat commun pour l'environnement. C'estlibrement, c'est volontairement que l'on doit choisir d'être un acteur de l'écologie humaniste.

C'est un projet de responsabilité.Chacun, et d'abord l'Etat doit prendre ses responsabilités. Quand notre patrimoine

naturel est en jeu, il ne faut pas hésiter à sanctionner les délits, parce que ce sont des délitscontre les hommes. Cela dépasse, naturellement, les frontières des nations. C'est un ordreécologique mondial qu'il faut construire ensemble.

L'écologie humaniste est une éthique. Elle suppose l'amour du bien public et le soucides autres. La priorité donnée au long terme. La contrainte acceptée pour préparer l'avenir.Elle suppose la fraternité et le partage.

Ce sont ces principes, ces valeurs qu'ensemble nous allons faire gagner demain.

Chapitre 2Annexe 1 : Discours d’investiture, Congrès de la porte de Versailles, 14 janvier 2007

Annexes

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Mes chers amis, Dans ce moment que chacun devine si important pour la France, si important pour

l'avenir de chacune de vos familles, si important pour moi, plus que n’importe quel autresentiment, ce qui m’étreint surtout c’est une émotion profonde. Cette émotion, j’aurais puessayer de la qualifier, j’aurais pu l’exprimer dans un mot, j’aurais pu vous dire merci mais cemerci n’aurait pas été à la hauteur de ce que j’éprouve en cet instant. Il y a des sentimentsqui sont si forts qu’il n’y a pas de mot assez grand pour les dire. Il y a des sentiments quise ressentent tellement qu’on n’a pas besoin de les nommer.

Cette émotion qui me submerge au moment où je vous parle, je vous demande de larecevoir simplement comme un témoignage de ma sincérité, de ma vérité, de mon amitié.

A l’orée de cette campagne où pendant des semaines je vais beaucoup donner,beaucoup recevoir et, peut-être, beaucoup payer- je veux que chacun d’entre vous soitconvaincu de la farouche détermination, de l’énergie infinie que j’irai puiser dans la partla plus profonde de moi-même pour faire triompher la cause qui nous unit tous. Je le saisaujourd'hui, je n'ai pas le droit de vous décevoir,

pas le droit d'hésiter, tout simplement pas le droit d'échouer ! Toute ma vie j’ai rêvé d’être utile à la France, à mon pays, à ma patrie. Aujourd’hui vous

venez de réaliser la première étape de ce rêve. Seule compte à cet instant l’espérance dela foule immense que vous formez, tendue vers un seul but : la victoire de la France. Seulcompte l’enthousiasme de cette grande famille qui est la tienne Cher Alain JUPPE. Sans toiet sans la victoire de Jacques CHIRAC en 2002 elle n’aurait jamais existé.

Oui, mes chers amis, tous ensemble réunis, unis, solidaires, tout devient possible. A cet instant où pour moi tout change, je ne peux m’empêcher de penser à ceux qui

m’ont fait rêver d’une autre destinée, d’une vie plus grande, d’un avenir plus passionnant.Ils ont été pour moi une source de réflexion, d’espérance, et même parfois de confiance.

Eux, ce sont les héros de la Résistance et de la France Libre, ces hommes aveclesquels j'ai fait mes premiers pas en politique, ces hommes qui venaient d'une époque oùla politique s'était confondue avec le patriotisme et l'épopée. Ils avaient maintenu l'honneurde la France. Ils l'avaient reconstruite, ils l'avaient réconciliée avec l'Allemagne. Ils avaientfait l'Europe, fondé la Vème République. Ils avaient toujours été en avance sur leur temps.

Il m’ont appris, parce qu'ils le savaient mieux que quiconque, ce qu'était le gaullisme :non une doctrine que le Général de Gaulle n'avait jamais voulu mais une exigence morale,l'exercice du pouvoir comme un don de soi, la conviction que la France n’est forte quelorsqu’elle est rassemblée, la certitude que rien n'est jamais perdu tant que la flamme de larésistance continue de brûler dans le cœur d’un seul homme, le refus du renoncement, larupture avec les idées reçues et l’ordre établi quand ils entraînent la France vers le déclin.

Ces hommes furent grands dans la guerre comme dans la paix. Ils avaient toujoursfait ce qu'ils devaient faire.

Je veux rendre hommage à Jacques Chaban-Delmas, général de la résistance à 29ans, au rêve si beau, si prémonitoire, de la Nouvelle Société. Son dernier grand combatpolitique fut pour moi le premier. J'avais 17 ans et l'impression de partir à la guerre. C'étaitla fin d'une époque, celle où le gaullisme ne pouvait plus appartenir à un parti.

Je veux rendre hommage à Achille Peretti, grand résistant, qui me confia mon premiermandat de conseiller municipal. Comme je veux dire mon amitié à Edouard Balladur qui m’afait confiance en me donnant mes premières responsabilités ministérielles alors que j’étais

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si jeune encore. Je veux dire mon respect à Jacques CHIRAC qui en 1975 à Nice m'a offertmon premier discours.

Ils m’ont enseigné, à moi petit Français au sang mêlé, l'amour de la France et la fiertéd'être français. Cet amour n'a jamais faibli et cette fierté ne m'a jamais quittée. Longtemps cesont des choses que j'ai tues. Longtemps ce sont des sentiments que j'ai gardés pour moi,comme un trésor caché au fond de mon cœur que je n'éprouvais le besoin de partager avecpersonne. Je pensais que la politique n'avait rien à voir avec mes émotions personnelles.J'imaginais qu'un homme fort se devait de dissimuler ses émotions. J'ai depuis comprisqu'est fort celui qui apparaît dans sa vérité. J'ai compris que l'humanité est une force pasune faiblesse.

J'ai changé. J'ai changé parce qu'à l'instant même où vous m’avez désigné j'ai cesséd'être l'homme d'un seul parti, fût-il le premier de France. J'ai changé parce que l'électionprésidentielle est une épreuve de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. Parce que cettevérité je vous la dois. Parce que cette vérité je la dois aux Français.

J'ai changé parce que les épreuves de la vie m'ont changé. Je veux le dire avec pudeurmais je veux le dire parce que c’est la vérité et parce qu’on ne peut pas comprendre la peinede l’autre si on ne l’a pas éprouvée soi-même.

On ne peut pas partager la souffrance de celui qui connaît un échec professionnel ouune déchirure personnelle si on n’a pas souffert soi-même. J’ai connu l'échec, et j'ai dû lesurmonter.

On ne peut pas tendre la main à celui qui a perdu tout espoir si l’on n’a jamais douté.Il m'est arrivé de douter. N'est pas courageux celui qui n'a jamais eu peur. Car le couragec'est de surmonter sa peur. Cette part d’humanité, je l’ai enfouie en moi parce que j’ailongtemps pensé que pour être fort il ne fallait pas montrer ses faiblesses. Aujourd’hui j’aicompris que ce sont les faiblesses, les peines, les échecs qui rendent plus fort. Qu’ils sontles compagnons de celui qui veut aller loin.

J'ai changé parce que le pouvoir m'a changé. Parce qu'il m'a fait ressentir l'écrasanteresponsabilité morale de la politique. Le mot "morale" ne me fait pas peur.

J'ai changé parce que nul ne peut rester le même devant le visage accablé desparents d'une jeune fille brûlée vive. Parce que nul ne peut rester le même devant la douleurqu’éprouve le mari d'une jeune femme tuée par un multirécidiviste condamné dix fois pourviolences et déjà une fois pour meurtre. Dans son regard on lit l'incompréhension de celuiqui ne comprend pas comment l'indicible a pu être possible. Je suis révolté par l'injustice etc'en est une lorsque la société ignore les victimes. Je veux parler pour elles, agir pour elleset même, même s'il le faut crier en leurs noms.

J'ai changé parce qu'on change forcément quand on est confronté à l'angoisse del'ouvrier qui a peur que son usine ferme.

J'ai changé quand j'ai visité le mémorial de Yad Vashem dédié aux victimes de laShoah. Je me souviens, au bout d'un long couloir, d’une grande pièce avec des milliers depetites lumières et des prénoms d'enfants de 2 ans, de 4 ans, de 5 ans prononcés à voixbasse de façon ininterrompue. C'était le murmure des âmes innocentes. Je me suis dit alorsque c'était cela la politique : faire barrage à la folie des hommes en refusant de se laisseremporter par elle.

J'ai changé quand j'ai lu à Tibhirine le testament bouleversant de frère Christian, enlevépuis égorgé par des fanatiques avec six autres moines de son monastère. Le GIA avait

Annexes

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prévenu : « nous égorgerons ». On retrouva les sept têtes des moines suppliciés sans leurscorps.

Deux ans auparavant, cet homme de charité avait par avance pardonné à sonassassin : « s'il m'arrivait un jour d'être victime du terrorisme, (…). Voici que je pourrai, s'ilplaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui les enfants del'Islam tels qu'il les voit (…). Et toi aussi l'ami de la dernière minute, qui n'aura pas su ce quetu faisais. Oui pour toi aussi je le veux, ce Merci, cet « A-Dieu » (…). Et qu'il nous soit donnéde nous retrouver, larrons heureux, en paradis s’il plaît à Dieu notre Père à tous deux ! »Par son humanité immense, par sa volonté de rassembler les hommes le frère Christian faithonneur à la France laïque et républicaine.

A Tibhirine, j’ai compris ce qu'est la force invincible de l'amour et le sens véritabledu mot «tolérance». A Tibhirine, le frère Christian m'a enseigné, par-delà la mort, quece que les grandes religions peuvent engendrer de meilleur est plus grand ce qu'ellespeuvent engendrer de pire, que les extrémismes et les intégrismes ne doivent jamais êtreconfondus avec le sentiment religieux qui porte une part de l'espérance humaine. Opposerce sentiment religieux à la morale laïque serait absurde. Nous sommes les héritiers de deuxmille ans de chrétienté et d’un patrimoine de valeurs spirituelles que la morale laïque aincorporé. La laïcité à laquelle je crois, ce n’est pas le combat contre la religion. C’est lerespect de toutes les religions. J'ai changé quand j'ai rencontré Mandel, ce grand Français.J'avais voulu écrire sa vie pour réparer une injustice, pour changer le regard des autres surcette destinée tragique. C'est mon regard sur la politique qui s'en est trouvé transformé.Georges Mandel avait la passion de la politique. En mars 1940, il est ministre de l’Intérieur.

Au milieu de la débâcle, il est l’un de ceux qui plaident pour la Résistance. Il est arrêté.Le 7 juillet 1944, des miliciens le tirent de sa prison et le font monter dans une voiture. Arrivédans la forêt de Fontainebleau ils l’abattent d'une rafale de mitraillette.

Le 24 juillet, sa fille écrit à Pierre Laval : « Je suis encore bien petite et bien faible àcôté de vous (…). Je veux vous dire M. Laval que je plains beaucoup votre fille. Vous allezlui laisser un nom qui marquera dans l'histoire. Le mien aussi. Seulement le mien sera celuid’un martyr."

Ce jour-là, la France s'appelle Claude Mandel. Elle a 14 ans, son père vient d'êtreassassiné non par l'occupant mais par des Français ennemis de la France.

La France, elle a 17 ans le visage de Guy Môquet quand il est fusillé : « 17 ans etdemi… Ma vie a été courte ! Je n'ai aucun regret si ce n'est de vous quitter tous. »

La France, elle a 19 ans et le visage lumineux d'une fille de Lorraine quand Jeannecomparaît devant ses juges.

Elle a 32 ans et le visage d'un émigré italien naturalisé français, quand Gambettaquitte en ballon Paris assiégé pour organiser la résistance aux Prussiens.

La France, elle a 44 ans, le visage ensanglanté de Moulin quand il meurt sous la torture« sans avoir livré aucun secret, lui qui les savait tous. »

Elle a 50 ans et la voix du Général de Gaulle le 18 juin 1940. Elle a 56 ans, le visage noir d'un petit-fils d'esclave devenu gouverneur du Tchad et

premier résistant de la France d'Outre-Mer. Elle s'appelle Félix Eboué. Elle a 58 ans et le visage de Zola quand il signe "J'accuse" pour défendre Dreyfus

et la Justice. Elle a 60 ans, le visage d’un proscrit qui s’appelle Victor Hugo lorsqu’au

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commencement des Misérables il écrit : « Tant qu’il y aura sur la Terre ignorance et misèredes livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles ».

Elle a 77 ans et la force du Tigre quand Clemenceau déclare en mars 1918 : « Jecontinue à faire la guerre et je continuerai jusqu'au dernier quart d'heure car c’est nous quiaurons le dernier quart d'heure ! »

Elle a la voix, la figure, la dignité d'une femme, d'une mère, rescapée des camps dela mort qui s'écrie à la tribune de l'Assemblée : "nous ne pouvons plus fermer les yeux surles 300 000 avortements qui, chaque année mutilent les femmes de ce pays". Ce jour là,elle s'appelle Simone Veil. Elle a la voix d'un jeune prêtre français, l’abbé Pierre, qui à laradio un jour de l'hiver 54 lance aux hommes son appel pathétique : « Mes amis au secours.Une femme vient de mourir gelée cette nuit, à trois heures, sur le trottoir du boulevardSébastopol (…). Devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entreles hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure (…).

Elle a le visage, l’âge de Georges Pompidou quand il évite le pire en mai 68. La France, elle a le visage, l'âge, la voix de tous ceux qui ont cru en elle, qui se sont

battus pour elle, pour son idéal, pour ses valeurs, pour sa liberté. Elle a le visage, l'âge, la voix de tous les Français qui ont au fond de leur cœur la

conviction que la France n'est pas finie. Car elle n'est pas finie la France. Parce que dansmon cœur comme dans mon esprit, la France ne veut pas, ne doit pas, ne peut pas mourir.

A chaque fois qu’on l’a crue finie, elle a étonné le monde. A chaque fois elle s’estrelevée. A chaque fois elle a su trouver en elle la force de ressusciter.

Ma France, c’est le pays qui a fait la synthèse entre l’Ancien Régime et la Révolution,entre l’Etat capétien et l’Etat républicain, qui a inventé la laïcité pour faire vivre ensembleceux qui croient au Ciel

et ceux qui n’y croient pas. Ma France, c’est le pays qui, entre le drapeau blanc et le drapeau rouge a choisi le

drapeau tricolore,en a fait le drapeau de la liberté et l’a couvert de gloire. Ma France, c’est celle de tous les Français sans exception. C’est la France de Saint-

Louis et celle de Carnot, celle des croisades et de Valmy. Celle de Pascal et de Voltaire.Celles des cathédrales et de l’Encyclopédie. Celle d’Henri IV et de l’Edit de Nantes. Celledes droits de l’homme et de la liberté de conscience. Ma France, c’est celle des Français quivotent pour les extrêmes non parce qu’ils croient à leurs idées mais parce qu’ils désespèrentde se faire entendre. Je veux leur tendre la main.

Ma France, c’est celle des travailleurs qui ont cru à la gauche de Jaurès et de Blumet qui ne se reconnaissent pas dans la gauche immobile qui ne respecte plus le travail.Je veux leur tendre la main. Ma France, c’est celle de tous ceux qui ne croient plus à lapolitique parce qu’elle leur a si souvent menti. Je veux leur dire : aidez-moi à rompre avecla politique qui vous a déçu pour renouer avec l’espérance. Ma France, c’est celle de tousces Français qui ne savent pas très bien au fond s’ils sont de droite, de gauche ou du centreparce qu’ils sont avant tout de bonne volonté. Je veux leur dire par-delà les engagementspartisans que j’ai besoin d’eux pour que tout devienne possible.

Bien sûr il y a la droite et il y a la gauche. Mes valeurs sont les vôtres, celles de la droiterépublicaine. Ce sont des valeurs d'équité, d’ordre, de mérite, de travail, de responsabilité.Je les assume. Mais dans les valeurs auxquelles je crois, il y a aussi le mouvement. Je ne

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suis pas un conservateur. Je ne veux pas d’une France immobile. Je veux l’innovation, lacréation, la lutte contre les injustices. J’ai voulu faire entrer ces idées dans le patrimoine dela droite républicaine alors même que la gauche les délaissait.

Mais au-delà de la droite et de la gauche, il y a la République qui doit être irréprochableparce qu'elle est le bien de tous. Il y a l’Etat qui doit être impartial. Il y a la France qui estune destinée commune.

Etre de droite c’est refuser de parler au nom d’une France contre une autre. C’estrefuser la lutte des classes. C’est refuser de chercher dans l’idéologie la réponse à toutesles questions, la solution à tous les problèmes. C'est refuser de voir dans le contradicteurun ennemi mais un citoyen dont on doit entendre les arguments.

Ma France, c’est une nation ouverte, accueillante, c’est la patrie des droits de l’homme.C’est elle qui m'a fait ce que je suis. J’aime passionnément le pays qui m’a vu naître. Jen’accepte pas de le voir dénigrer. Je n'accepte pas qu'on veuille habiter en France sansrespecter et sans aimer la France. Je n'accepte pas qu'on veuille s'installer en France sansse donner la peine de parler et d'écrire le Français.

Je respecte toutes les cultures à travers le monde. Mais qu'il soit entendu que si on viten France alors on respecte les valeurs et les lois de la République.

La soumission de la femme c'est le contraire de la République, ceux qui veulentsoumettre leurs femmes n'ont rien à faire en France. La polygamie c'est le contraire de laRépublique. Les polygames n'ont rien à faire en France. L'excision c'est une atteinte à ladignité de la femme, c’est le contraire de la République, ceux qui veulent la pratiquer surleurs enfants ne sont pas les bienvenus sur le territoire de la République française.

Ma France, c’est une nation qui revendique son identité, qui assume son histoire. Onne construit rien sur la haine des autres, mais on ne construit pas davantage sur la hainede soi. On ne construit rien en demandant aux enfants d’expier les fautes de leurs pères.

De Gaulle n’a pas dit à la jeunesse allemande : « vous êtes coupables des crimes devos pères ». Il lui a dit : « je vous félicite d’être les enfants d’un grand peuple, qui parfois aucours de son histoire a commis de grandes fautes».

Au peuple de notre ancien empire nous devons offrir non l’expiation mais la fraternité. Atous ceux qui veulent devenir Français nous offrons non de nous repentir mais de partager laliberté, l’égalité et la fierté d’être Français. Gardons-nous de juger trop sévèrement le passéavec les yeux du présent. Tous les Français durant la guerre n’étaient pas pétainistes. Lespêcheurs de l’île de Sein, les paysans du Vercors n’étaient pas pétainistes. Les paysans duPérigord qui cachaient au péril de leur vie les Juifs de Strasbourg n’étaient pas pétainistes.Tous les Français dans les colonies n’étaient pas des exploiteurs. Il y avait aussi parmi euxde petites gens qui travaillaient dur, qui n’exploitaient personne et qui ont tout perdu.

Français, prompts à détester votre pays et son histoire, écoutez la grande voix deJaurès: « Ce qu’il faut ce n’est pas juger toujours, juger tout le temps, c’est se demanderd’époque en époque, de génération en génération, de quels moyens de vie disposaient leshommes, à quelles difficultés ils étaient en proie, quel était le péril ou la pesanteur de leurtâche, et rendre justice à chacun sous le fardeau. »

Pourquoi la gauche n’entend-elle plus la voix de Jaurès ? Comment penser que l’on pourra un jour faire aimer ce que l’on aura appris à détester ?

Au bout du chemin de la repentance et de la détestation de soi il y a, ne nous y trompons pas,le communautarisme et la loi des tribus. Je refuse le communautarisme qui réduit l'homme

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à sa seule identité visible. Je combats la loi des tribus parce que c'est la loi de la forcebrutale et systématique.

Il ne s’agit pour personne d’oublier sa propre histoire. Les enfants des républicainsespagnols parqués dans des camps de réfugiés, les enfants des Juifs persécutés par laMilice, les descendants des camisards des Cévennes, les fils des harkis n’ont rien oubliéde leur histoire. Mais ils ont pris, comme moi, fils d’immigré, la culture, la langue et l’histoirede la France en partage, pour pouvoir mieux vivre une destinée commune.

Face au drame algérien, Camus avait dit : « Les grandes tragédies de l’histoirefascinent souvent les hommes par leurs visages horribles. Ils restent alors immobiles devantelles sans pouvoir se décider à rien qu’à attendre. »

Attendre quoi ? Sinon le pire ? Il avait ajouté : « La force du cœur, l’intelligence, le courage suffisent pourtant pour

faire échec au destin ». Pourquoi la gauche n’entend-elle plus la voix de Camus ? Qui ne voit qu’une fois encore avec du cœur, de l’intelligence et du courage la clé de

notre unité et de notre avenir est dans la République et dans la démocratie ? Depuis le premier jour où elle est apparue dans notre histoire, la République est un

combat toujours recommencé pour l’émancipation de l’homme. La République commencequand la politique cesse d’être au service de la volonté de puissance pour se mettre auservice du bonheur des hommes.

Le but de la République c’est d’arracher du cœur de chacun le sentiment de l’injustice. Le but de la République c’est de permettre à celui qui n’a rien d’être quand même un

homme libre, à celui qui travaille de posséder quelque chose, à celui qui commence tout enbas de l'échelle sociale de la gravir aussi haut que ses capacités le lui permettent.

Le but de la République c’est que les chances de réussite soient égales pourtous. C’est que l’enfant soit éduqué, le malade soigné, le vieillard arraché à la solitude, letravailleur respecté, la misère vaincue. Le but de la République c’est la reconnaissance dutravail comme source de la propriété et la propriété comme représentation du travail.

La République de Jules Ferry n’était pas celle de Danton. Celle du Général De Gaullen’était pas celle de Jules Ferry. Mais c’était toujours le même idéal poursuivi par des moyensdifférents. La République n’est pas une religion. La République n’est pas un dogme. LaRépublique est un projet toujours inachevé.

Si nous voulons que la République redevienne un projet partagé, il nous faut passerde la République virtuelle à la République réelle.

La République réelle, c’est la République qui ne se contente pas d’inscrire la liberté,l’égalité et la fraternité sur ses monuments, mais qui les inscrit dans la réalité de la viequotidienne.

La République réelle ce n’est pas la République où tout le monde reçoit la même chose.C’est la République où chacun reçoit selon son mérite ou son handicap.

La République réelle c’est celle qui fait plus pour celui qui veut s’en sortir et qui faitmoins pour celui qui ne veut rien faire et dont la société ne peut accepter qu'il vive à soncrochet.

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La République réelle ce n’est pas la République où il n’y a que des droits et aucundevoir. C’est la République où les devoirs sont la contrepartie des droits. Je proposequ’aucun minimum social ne soit accordé sans la contre-partie d'une activité d'intérêtgénéral.

C’est celle où les hommes et les femmes ont les mêmes droits, les mêmes salaires,les mêmes possibilités de carrière, la même considération.

C’est celle où les mères qui veulent travailler peuvent faire garder leurs enfants, où lamaternité n’est pas un handicap pour la vie professionnelle, où les années consacrées àl’éducation des enfants sont prises en compte dans le calcul des retraites.

La République réelle à laquelle je crois c’est celle qui ne reste pas indifférente au sortde l’enfant pauvre, à la souffrance de ceux que la vie n’a pas épargnés. C’est celle quigarde tous les enfants dont les familles le souhaitent en étude surveillée quand les parentsne peuvent pas s’occuper d’eux parce qu’ils travaillent. Celle qui construit des internatsd’excellence pour les élèves d’origine modeste parce qu’ils ne peuvent pas étudier chez eux.

La République virtuelle c’est celle qui fait de l’élève l’égal du maître. La Républiqueréelle à laquelle je crois c’est celle qui veut une école de l’autorité et du respect où l’élèvese lève quand le professeur entre, où les filles ne portent pas le voile, où les garçons negardent pas leur casquette en classe.

La République virtuelle c’est celle qui veut donner un diplôme à tout le monde enabaissant le niveau des examens. La République réelle c’est celle qui veut donner uneformation à chacun, celle qui n’a peur ni de l’orientation, ni de la sélection, ni de l’élitismerépublicain qui est la condition de la promotion sociale. C'est l'école de l'excellence pasl'école du nivellement et de l'égalitarisme.

La République réelle, c’est celle où le sport n’est pas un ghetto réservé aux jeunesou aux minorités visibles mais devient une école de la vie parce que les valeurs du sporttranscendent tous les âges, toutes les différences, toutes les incompréhensions. Parce quele sport c’est une éthique universelle.

La République virtuelle c’est celle qui pratique l’assistanat généralisé mais qui laissedes gens mourir sur le trottoir. C’est celle qui proclame le droit au logement et qui ne construitpas de logements. C’est celle qui proclame le droit à l’emploi et qui renonce à l’objectif duplein emploi. C’est celle qui proclame que le travail est une valeur mais qui fait tout pour ledécourager. C’est celle qui proclame la continuité du service public mais accepte que lesusagers soient périodiquement les otages des grévistes. C’est celle qui proclame le droitd’aller et de venir mais cherche sans arrêt des excuses aux délinquants qui empoisonnentla vie de tout le monde

La République réelle c’est celle qui rend effectifs les droits qu’elle proclame. C'est la République qui crée des emplois, qui construit des logements qui permet au

travailleur de vivre de son travail, qui donne sa chance à l'enfant pauvre, qui met les retraitésdes régimes spéciaux à égalité avec ceux du secteur privé et de la fonction publique, quigarantit le service minimum en cas de grève et qui fait respecter la loi par tout le monde.Je souhaite une loi sur le service minimum dès le mois de juin 2007. Je souhaite en outrequ'une loi impose le vote à bulletins secrets dans les 8 jours du déclenchement d'une grèvedans une entreprise, une université, une administration.

Je crois dans la démocratie sociale. Je crois dans le dialogue, dans la négociation, dansle paritarisme. Mais je refuse la prise d'otages, les blocages, les archaïsmes, la violence,la loi du plus fort… et le manque de courage !

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La République réelle à laquelle je crois c’est celle qui met en prison l’assassin présuméde Claude Erignac et qui traite les cagoulés et les poseurs de bombes pour ce qu’ils sont :des meurtriers et des lâches. La République réelle c’est celle qui se donne une obligationde résultat. C’est celle des droits que l’on peut faire valoir devant les tribunaux parce quel’on s’est donné les moyens de les rendre opposables. Ma République c’est celle du droitopposable à l’hébergement, parce que si l’on pense que la politique ne peut rien faire dansun pays comme la France pour empêcher les gens de mourir sur le trottoir, il ne faut pasfaire de politique.

Ma République c’est celle du droit opposable au logement, parce que si l’on pense quela politique ne peut rien faire pour résoudre en dix ans la crise du logement en construisantles 700 000 logements qui manquent, il ne faut pas faire de politique. Ma République estcelle où chacun pourra accéder à la propriété de son logement. Il faut permettre aux classesmoyennes, à la France qui travaille d'accéder à la propriété. Je propose que l'Etat garantissel'emprunt de celui qui n'a pas de relations. Je propose que l'on puisse déduire tous lesintérêts de son emprunt du revenu imposable. Je propose que l'on fasse de la Franceun pays de propriétaires parce que lorsque l'on a accédé à la propriété on respecte sonimmeuble, son quartier, son environnement… et donc les autres. Parce que lorsque l’on aaccédé à la propriété on est moins vulnérable aux accidents de la vie.

Ma République c’est celle du droit opposable à la garde d’enfants, parce que lorsqu’onpense que la politique ne peut rien faire pour résoudre en cinq ans le problème des femmesqui travaillent et qui n’arrivent pas à faire garder leurs enfants, il ne faut pas faire de politique.

Ma République c’est celle du droit opposable à la scolarisation des enfants handicapés,parce que si l’on pense que d’ici à cinq ans on ne peut pas trouver les moyens de scolarisertous les enfants handicapés, il ne faut pas faire de politique. Ce droit n’est pas seulementun droit pour les enfants handicapés, c’est aussi une chance pour les autres enfants.

Mais ma République c'est aussi celle des devoirs opposables .Nous ne pouvons nousmontrer complaisants avec le développement des fraudes des abus et des gaspillages quisont une insulte au travail des français et qui sape les fondements de la solidarité nationale.Les droits ne vont pas sans les devoirs, et l'on ne peut valablement aider que ceux quirespectent les règles et consentent à faire un effort pour s'en sortir.

Je veux être le Président d’une République qui dira aux jeunes : " vous voulez êtrereconnus comme des citoyens à part entière dès que vous devenez majeurs. Vous le serez.Vous aurez les moyens de décider par vous-mêmes quand vous quitterez le domicile de vosparents. Vous aurez les moyens de réaliser vos ambitions, de vivre votre vie comme vous lesouhaitez, d’aimer comme vous l’entendez. Vous aurez les moyens de devenir ce que vousvoulez devenir. Mais vous accepterez d’apprendre et de vous formez, vous serez apprenti,vous serez stagiaire, vous serez étudiant. Si vous avez quitté l’école jeune vous pourrezaller dans une école de la deuxième chance. Si vous n’avez pas le bac vous pourrez accéderà des cursus qui vous permettrons quand même d’entrer à l’université. En contrepartie lesaides qui sont aujourd’hui versées à votre famille pour votre éducation vous seront versées àvous, si vous le souhaitez. Si vous en avez besoin vous recevrez une allocation de formationde 300 euros par mois qui vous sera supprimée si vous n’êtes pas assidu à votre formation,si vous cessez d’étudier sérieusement. Vous aurez le droit d’emprunter à taux zéro avec lagarantie de l’Etat pour financer votre projet personnel et vous commencerez à remboursercet emprunt à partir du moment où vous aurez obtenu votre premier emploi. Si vous y ajoutezun petit travail – et tout sera fait pour que chaque étudiant puisse étudier et travailler enmême temps – Vous aurez une véritable autonomie financière qui est la clé de toute liberté.

Annexes

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Mais vous la mériterez par votre effort, par votre travail, par votre assiduité, par votre sérieux.Vous deviendrez responsable de votre vie.

Je ne veux pas de la société du minimum parce qu’avec le minimum on ne vit pas.On survit. Je veux une société du maximum. Je préfère une jeunesse à qui l’on donne lapossibilité de réaliser ses projets plutôt qu’une jeunesse qui est condamnée à l’assistanat.

Je veux être le Président d’une République qui dit à la jeunesse : « tu reçois beaucoup,tu dois donner aussi de toi-même. Tu dois comprendre que tu appartiens à une nation,qui espère en toi et à laquelle tu dois beaucoup parce que c’est elle qui te fait libre. C’estpourquoi, je propose un service civique obligatoire de 6 mois que chacun modulera enfonction de ses propres contraintes d’études, de projet professionnel, de vie familiale. Cesera pour toi une opportunité de t’engager dans de grandes causes humanitaires, d’élargirton horizon, de rencontrer d’autres jeunes qui sont différents de toi, ce sera une possibilitéde réinsertion dans la société pour des jeunes qui en auraient été exclus.

Notre modèle républicain est en crise. Cette crise est avant tout morale. Au cœur decelle-ci il y a la dévalorisation du travail.

Le travail c’est la liberté, c’est l’égalité des chances, c’est la promotion sociale. Letravail c’est le respect, c’est la dignité, c’est la citoyenneté réelle. Avec la crise de la valeurtravail, c’est l’espérance qui disparaît. Comment espérer encore si le travail ne permet plusde se mettre à l’abri de la précarité, de s’en sortir, de progresser ? Le travailleur qui voitl’assisté s’en tirer mieux que lui pour boucler ses fins de mois sans rien faire ou le patronqui a conduit son entreprise au bord de la faillite partir avec un parachute en or finit par sedire qu’il n’a aucune raison de se donner autant de mal.

Le travail est dévalorisé, la France qui travaille est démoralisée. Le problème c’est que la France travaille moins quand les autres travaillent plus. Le

plein emploi est possible chez les autres. Il l'est aussi chez nous. Il faut aimer le travail etpas le détester. Le problème c’est qu’il n’y a pas assez de travail en France pour financerles retraites, l’allongement de la durée de la vie, la dépendance, la protection sociale, pourfaire fonctionner notre modèle d’intégration. Longtemps la droite a ignoré le travailleuret la gauche qui jadis s’identifiait à lui a fini par le trahir. Je veux être le Président d’uneFrance qui remettra le travailleur au cœur de la société. Je veux proposer aux Français unepolitique dont le but sera la revalorisation du travail.

Quand on facilite l’endettement des ménages pour financer les créations d’entreprisesou l’achat d’une voiture indispensable pour aller travailler, on favorise le travail. Je veux créerun système de cautionnement public qui mutualise les risques et permette d’emprunter àtous ceux qui ont un projet.

Quand on investit plus on construit un avenir pour les travailleurs. C’est pourquoi jeveux porter le crédit d’impôt recherche à 100%. C’est pourquoi je veux que les entreprisesqui investissent et qui créent des emplois paient moins d’impôt sur les bénéfices. C’estpourquoi je veux que l’Etat se donne les moyens d’investir dans les bassins économiques endéclin pour les réindustrialiser et non pas seulement pour financer des départs à la retraiteanticipés.

Quand les entreprises savent qu’elles pourront licencier en cas de difficulté, ellesembauchent plus facilement. Je veux protéger les personnes plutôt que les emplois. Jeveux sécuriser les parcours professionnels plutôt qu’empêcher les licenciements. Je veuxcréer un contrat unique à durée indéterminée qui remplacera les contrats précaires et quipermettra aux salariés d’acquérir progressivement des droits. Je veux que les bas salaires

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soient garantis en cas de perte d’emploi, en contrepartie de l’obligation de ne pas refuserplus de deux offres d’emplois successives. Quand on est indemnisé par la société on doitaccepter l'offre d'emploi correspondant à vos qualifications qui vous est proposée.

Le travail n'est pas assez récompensé, valorisé, respecté. Et c'est pour cela que lepouvoir d'achat est trop faible car les salaires sont trop bas et les charges trop lourdes.

Il faut augmenter le pouvoir d’achat. Les socialistes promettront de travailler moins,moi je veux que les Français gagnent plus. Je veux être le Président de l'augmentationdu pouvoir d'achat. Je veux être celui qui vous garantit que si vous travaillez plus, si vousprenez plus de risque, si vous vous engagez plus, vous gagnerez davantage. Je veux êtrele Président du peuple qui a bien compris que les RTT ne servent à rien si on n'a pas de quoipayer des vacances à ses enfants. Je veux l'exonération de charges sociales et de l'impôtsur le revenu pour les heures supplémentaires pour qu'enfin on comprenne en France quele travail est une émancipation, que c'est le chômage qui est une aliénation.

C'est pour cela que je veux que chaque Français puisse transmettre en franchised'impôt sur les successions le fruit d'une vie de labeur. On n'a pas à s'excuser d'avoir unpatrimoine en contrepartie de son travail. La France doit accueillir les patrimoines et pasles faire fuir. Quand il y a moins de richesses dans un pays ce sont les plus pauvres qui enpâtissent. Partager ce qu'on n'a plus ne fait pas la prospérité d'un peuple.

Je veux que l'Etat soit contraint de laisser à chacun au moins la moitié de ce qu'il àgagné. Je veux un bouclier fiscal à 50% y compris la CSG et la CRDS.

Tout vaut mieux que de taxer l’homme au travail. Tout vaut mieux que de taxer le travailleur qui crée la richesse. Je veux taxer le pollueur plutôt que le travailleur. Je veux taxer les importations qui ne respectent pas les normes internationales plutôt

que le travail. Je préfère taxer la consommation plutôt que l’emploi. C’est le travail qui crée le travail. Le travail contribuera à rééquilibrer nos finances

publiques. Il referade la France une République fraternelle. Je veux être le Président de tous ces Français qui pensent que l’assistanat est

dégradant pour la personne humaine. Je veux être le Président qui s’efforcera de moraliserle capitalisme parce que je ne crois pas à la survie d’un capitalisme sans morale et sanséthique, parce que je ne crois pas à la survie d’un capitalisme où ceux qui échouentgagneraient davantage que ceux qui réussissent, parce que je ne crois pas à la survie d’uncapitalisme où tous les profits seraient accaparés et où, à l'inverse, tous les impôts seraientpartagés

Je veux être le Président qui va remettre la morale au cœur de la politique. L’enfant quin’apprend à l’école ni la morale, ni l’instruction civique ne comprendra pas plus tard qu’êtrecitoyen ne signifie pas seulement avoir des droits. Le jeune qui ne fait plus son servicemilitaire croit de bonne foi qu’il n’aura jamais rien à donner aux autres en contrepartie dece qu’il reçoit. L’honnête homme qui voit le délinquant rester impuni et une partie de sesimpôts aller dans la poches du fraudeur finira par se demander pourquoi il devrait être leseul à être honnête.

Annexes

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Mais si l’école n’apprend plus la citoyenneté, ce n’est pas la faute des enseignants.Si l’Etat va mal ce n’est pas de la faute des fonctionnaires. C’est la politique qui estresponsable.

Je n’aime pas la manière dont on parle des fonctionnaires dans notre pays. Je n’aimepas la politique qui cherche à opposer les salariés du privé à ceux du public. Ils ont pour laplupart une haute idée de leur mission. Les fonctionnaires sont démotivés parce que leurtravail n’est pas reconnu, parce que ceux qui font le moins gagnent autant que ceux qui fontle plus. Ils sont démoralisés parce que les 35 heures ont tout compliqué. Il faut aller voirdans les hôpitaux le désarroi et la peine de ces infirmières, de ces aides-soignantes auxprises avec la désorganisation et le manque de personnel que la réduction autoritaire dutemps de travail a engendrés.

Je veux un Etat où les fonctionnaires seront moins nombreux mais mieux payés,où ils pourront gagner davantage quand ils travailleront plus, où les gains de productivitéseront équitablement partagés, où le mérite individuel sera récompensé, où la promotioninterne sera facilitée, où l’infirmière pourra devenir médecin, où le technicien pourra deveniringénieur, où l’agent administratif pourra devenir Directeur, où la dignité et la protection desagents publics seront garanties.

Je veux que la fonction publique cesse d’être un refuge pour ceux qui ont peur deprendre des risques. Je veux qu’elle redevienne une vocation pour ceux qui ont le goût dubien commun et du service public. Je veux une démocratie irréprochable.

La démocratie irréprochable c’est la participation de chacun à la définition du destinde tous. La démocratie irréprochable c’est celle où il n’est pas nécessaire de voter pourles extrêmes pour se faire entendre. Celle où il n’est pas nécessaire de descendre dansla rue pour crier son désespoir. Celle où chacun reconnaît dans la politique de son paysune part de lui-même.

La démocratie irréprochable ce n’est pas celle où l’enfant d’un de ces quartiers danslesquels s’accumulent toutes les difficultés qui regarde la télévision trouve qu’aucun hommepolitique ne lui ressemble. La démocratie irréprochable c’est celle qui permet aux enfantsde tous les quartiers de ressentir qu’ils ont quelque chose en commun.

La démocratie irréprochable c’est celle qui permet d’arracher le poison de l’extrémismedu cœur de tous ceux qui se laissent entraîner par leur colère et par leur peur parcequ’ils se sentent exclus. La démocratie irréprochable ce n’est pas une démocratie où lesnominations se décident en fonction des connivences et des amitiés mais en fonction descompétences. C’est celle dans laquelle l’Etat est impartial. Si l'Etat veut être respecté, ildoit être respectable. Je ne transigerai pas. Pour certains postes il ne doit pas y avoirde nomination sans qu'au préalable celui que l'on envisage de nommer ne soit contraintd'exposer ses vues stratégiques pour l'entreprise ou l'organisme qu'il veut présider. Et desurcroît cette nomination doit être ratifiée par un vote des commissions parlementairesconcernées. Le fait du prince n'est pas compatible avec la République irréprochable.

La démocratie irréprochable ce n’est pas une démocratie où l’exécutif est tout et leParlement rien. C’est une démocratie où le Parlement contrôle l’exécutif et a les moyensde le faire.

La démocratie irréprochable c’est un Président qui s’explique devant le Parlement.C’est un Président qui gouverne. C'est un président qui assume. On n'élit pas un arbitremais un leader qui dira avant tout ce qu'il fera et surtout qui fera après tout ce qu'il aura dit !

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La démocratie irréprochable ce n’est pas celle où l’indépendance de la justice seconfond avec l’irresponsabilité des juges. C’est celle où les juges sont responsables commen’importe quel autre citoyen des fautes qu’ils commettent. Au moins que le drame d'Outreauait servi à quelque chose.

La démocratie irréprochable c’est celle où le gouvernement définit la politique pénaleet où le peuple participe à la décision de justice. Je souhaite que les jurys populaires jugentcertaines affaires correctionnelles comme ils le font déjà dans les procès d'assises.

La démocratie irréprochable c'est celle qui punit durement le crime et qui traitedignement les condamnés. Je veux que nos prisons soient rénovées, trop d'entre ellesne sont pas digne de la France. Notre démocratie n’a pas besoin d’une nouvellerévolution constitutionnelle. On change trop notre Constitution. Il faut arrêter de dire qu'elleest bonne et proposer tous les trimestres une nouvelle modification. Mais nous devonschanger radicalement nos comportements pour aller vers davantage d’impartialité, d’équité,d’honnêteté, de responsabilité, de transparence.

La démocratie irréprochable ce n’est pas celle où la représentativité syndicale estprésumée en fonction du comportement patriotique durant la Seconde Guerre Mondiale.C’est celle où la représentativité se prouve dans des élections où chacun peut librement seprésenter dès le premier tour.

La démocratie irréprochable ce n'est pas seulement la démocratie Française, c’estaussi la démocratie européenne parce que les deux sont indissolublement liées. Après le« non » au référendum sur la Constitution européenne on ne peut pas continuer à fairel’Europe de la même manière. Je veux être le candidat qui dit à celui qui a voté « oui » : « j’aivoté « oui » aussi et comme vous, je crois à une France ouverte sur le monde et à une Europequi permettra à la France d’être plus grande. Comme vous, je crois que rester immobileserait mortel quand tous les autres avancent. » Mais je veux lui dire aussi qu’il serait plusmortel encore de juger celui qui a voté « non » au lieu de chercher à le comprendre. Je veuxlui dire que la France qui gagne perdra tout si elle méprise la France qui ne se sent pas bien.Je veux lui dire que tous nos destins sont liés, que tout ce qui divise les Français affaiblit laFrance, que tout ce qui affaiblit la France affaiblit chacun d’entre nous. Je veux dire à celuiqui n’a pas peur parce que tout va bien pour lui qu’il doit tendre la main à celui qui a peurde l’exclusion, à celui qui vit dans la hantise du déclassement, parce que nul n’est à l’abrides accidents de la vie, parce que notre capacité à vivre ensemble, à nous comprendre età nous respecter est notre bien le plus précieux.

Je veux être le Président d’une France qui dira aux Européens : nous voulonsl’Europe, nous la voulons parce que sans elle nos vieilles nations ne pèseront rien dans lamondialisation, sans elle nos valeurs ne pourront pas être défendues, sans elle le choc descivilisations deviendra plus probable et le péril pour l’humanité sera terrible.

Je veux être le Président d’une France qui dira aux Européens : « nous neressusciterons pas la Constitution européenne. Le Président Giscard d’Estaing a fait untravail remarquable, mais le peuple a tranché. L’urgence c’est de faire en sorte quel’Europe puisse fonctionner de nouveau en adoptant par la voie parlementaire un traitésimplifié. L’urgence est celle d’une Europe qui joue le jeu de la subsidiarité, qui se doted’un gouvernement économique. C’est celle d’une Europe dans laquelle personne ne peutobliger un Etat à s’engager dans une politique à laquelle il est opposé, mais dans laquelleaussi personne ne peut empêcher les autres d’agir.

L’Europe, je l'imagine comme un multiplicateur de puissance non comme un facteurd’impuissance, comme une protection non comme le cheval de Troie de tous les dumpings,

Annexes

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pour agir et non pour subir. Je crois en l’Europe comme la voulaient ses pères fondateurs,comme une volonté commune, non comme un renoncement collectif. Je demeurerai toutema vie un Européen convaincu. Mais je veux avoir la liberté de dire que l'Europe doit sedoter de frontières, que tous les pays du monde n'ont pas vocation à intégrer l'Europe àcommencer par la Turquie. A s'élargir sans limite on prend le risque de détruire l'unionpolitique européenne, je ne l'accepterai pas.

Je crois au libre échange et à la concurrence. Mais je veux que cesse la naïveté etque l'on impose la réciprocité dans les négociations commerciales. La concurrence doit êtreloyale. Ce n'est pas loyal d'imposer à nos entreprises de se battre avec des concurrents quine respectent aucune règle environnementale, sociale, morale.

Je veux être le Président d’une France qui dira aux Européens : « nous ne pouvonsplus continuer avec une monnaie unique sans un gouvernement économique. Nous enpouvons plus continuer avec une Europe sans préférence communautaire, où un paysmembre peut décider unilatéralement de régulariser massivement ses immigrés clandestinssans demander l’avis de personne alors que ses frontières sont ouvertes. »

Je veux être le Président d'une France fière de ses régions d’Outre-Mer qui sont unechance pour notre nation et qui ont le droit au développement par l'instauration de zonesfranches globales.

Je veux être le Président d’une France qui ira dire aux Européens : « nous ne pouvonspas continuer à tourner le dos à la Méditerranée, car autour de cette mer où depuis deuxmille ans la raison et la foi dialoguent et s’affrontent, sur ces rivages où l’on a mis pour lapremière fois l’homme au centre de l’univers, se joue une fois encore une part essentiellede notre destin. Là nous pouvons tout gagner ou tout perdre. Nous pouvons avoir la paixou la guerre, la meilleure part de la civilisation mondiale ou le fanatisme, le dialogue descultures ou l’intolérance et le racisme, la prospérité ou la misère, le développement durableou la pire des catastrophes écologiques. »

Je veux être le Président d’une France qui dira à tous les pays de la Méditerranée :« sommes-nous condamnés indéfiniment à la vengeance et à la haine ? Rien ne doitêtre oublié, mais il nous appartient à tous de forger ici, dans le creuset des siècles etdes civilisations, le destin commun de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique, dans unerelation d’égalité et de fraternité. »

Je veux être le Président d’une France qui proposera d’unir la Méditerranée commeelle a proposé jadis d’unir l’Europe, et qui inscrira dans la perspective de cette unité lesrelations de l’Europe et de la Turquie, ses liens avec le monde arabe, la recherche d’uneissue au conflit israélo-palestinien, mais aussi l’immigration choisie, le codéveloppement, lamaîtrise du libre-échange et la défense de la diversité culturelle.

Je veux être le Président d’une France qui dira aux Européens et aux Africains :« dans un monde où se dessinent de vastes stratégies continentales qui enjambent leshémisphères, il est vital pour l’Europe d’imaginer une stratégie euro-africaine dont laMéditerranée sera fatalement le pivot ».

Je veux être le Président d’une France qui dira à l’Amérique : « nous sommes amiset la France demeurera fidèle à cette amitié que l’histoire, la civilisation et les valeurs de laliberté et de la démocratie ont tissé entre nos deux peuples.

Je veux d’une France qui parle toujours à l’Amérique comme une amie, qui lui dittoujours la vérité et qui sait lui dire non quand elle a tort, qui lui dit qu’elle n’a pas raisonquand elle viole le droit des nations ou le droit des gens qu’elle a tant contribué à forger,

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quand elle décide unilatéralement, quand elle veut américaniser le monde alors qu’elle atoujours défendu la liberté des peuples.

Je veux lui dire que je crois à la pluralité des cultures et pas à la culture unique fût-elleaméricaine. Je veux être le Président d’une France qui s’adresse à l’Amérique comme unpeuple libre à un autre peuple libre qui se comprennent et qui se respectent.

Je veux être le Président d’une France qui ne transigera jamais sur son indépendanceni sur ses valeurs. Je veux rendre hommage à Jacques Chirac, qui a fait honneur à la Francequand il s’est opposé à la guerre en Irak, qui était une faute.

Je veux être le Président d’une France qui se donnera les moyens d’une défense à lahauteur du rôle éminent qu’elle veut continuer à jouer sur la scène du monde.

Je veux être le Président de la France des droits de l’homme. Chaque fois qu’unefemme est martyrisée dans le monde, la France doit se porter à ses côtés. La France,si les Français me choisissent comme Président, sera aux côtés des infirmières bulgarescondamnées à mort en Libye. Elle sera aux côtés de la femme qui risque la lapidation parcequ’elle est soupçonnée d’adultère. Elle sera aux côtés de la persécutée qu’on oblige à porterla burka, aux côtés de la malheureuse qu’on oblige à prendre un mari qu’on lui a choisi, auxcôtés de celle à laquelle son frère interdit de se mettre en jupe. Aux côtés de l'enfant quel'on vend ou que l'on exploite.

Je ne crois pas à la « realpolitik » qui fait renoncer à ses valeurs sans gagner descontrats. Je n'accepte pas ce qui se passe en Tchétchénie, au Darfour. Je n'accepte pasle sort que l'on fait aux dissidents dans de nombreux pays. Je n'accepte pas la répressioncontre les journalistes que l'on veut bâillonner. Le silence est complice. Je ne veux être lecomplice d'aucune dictature à travers le monde.

Je veux être le Président d’une France qui dira à tous les hommes : « Nous ne pouvonsplus continuer de détruire notre planète. Nous ne pouvons plus continuer de sacrifier lebien être des générations futures aux excès des générations d’aujourd’hui. C’est l’avenir del’Humanité qui est en jeu. C’est la paix du monde qui est en péril. Car, si nous continuons,le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources, les pollutions déplaceront lespeuples et les précipiteront dans des guerres qui seront les plus terribles de toutes lesguerres parce que ce seront des guerres de l’eau et de la faim et qu’elles seront les plusdésespérées.

Nous avions cru entrer dans le monde de l’abondance. C’est le monde de la rareté quenous préparons à nos enfants, et la rareté engendre la violence.

La mondialisation de l’économie, n’offrira une espérance nouvelle aux peuplesdéshérités que si le développement durable et le codéveloppement apparaissent désormaiscomme des impératifs à toue l’humanité. Je veux être le Président d’une Francequi montrera l’exemple au monde d’un pays qui engage sa jeunesse dans l’aide audéveloppement, investira dans les technologies propres et les énergies nouvelles, réduirases gaspillages, préparera l’évènement d’une société de modération à la place d’une sociétéd’excès.

La mondialisation nous oblige à tout réinventer, à nous penser sans cesse par rapportaux autres et pas seulement par rapport à nous-mêmes.

Je veux être le Président d’une France réunie. L’unité de la France je veux la faire par l’action. Cette unité je veux qu'elle soit comme

une renaissance.

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Après mai 68, Georges Pompidou avait dit : « le monde a besoin d’une nouvelleRenaissance ». La Renaissance, ce temps où pour la première fois les hommes ont eu lesentiment que tout était possible. Tout paraissait possible aux hommes de la Renaissance.Tout paraissait possible à ceux des Lumières, à ceux de la Révolution, à ceux des 30Glorieuses.

Alors que le monde change à un rythme où jamais il n’a changé, alors que partoutd’immenses forces de création sont à l’œuvre, que partout les hommes se battent pourinventer, pour créer, pour s’arracher à la misère, pour tenter de se construire un nouveaumonde, nous ne pouvons être immobiles, nous ne pouvons répondre au monde qui nousinvite à le rejoindre dans sa course effrénée au changement : « à quoi bon ? »

Voici le pays qui a inventé l’idée de progrès, qui a crié un jour à la face du monde : «le bonheur est une idée neuve », le pays qui le premier a dit à l’Homme : « tu as des droitsimprescriptibles », le pays qui a passé avec la liberté du monde un pacte multiséculaire, lepays qui si souvent a été à l’avant-garde de la civilisation, le voici qui aujourd’hui sembleavoir perdu cette foi en lui-même, cette conviction que le destin l’avait créé pour accomplirde grandes choses et pour éclairer l’humanité. Un doute s’est installé qui a peu à peu grandi,peu à peu sapé cette confiance qui fait la force des grandes nations. Ce doute terrible c’estle mal qu’il nous faut guérir pour que dans l’art, dans la science, dans l’économie, partout lavie explose de nouveau, partout l’intelligence et le travail humains se remettent à féconderl’avenir.

Je veux être le Président d’une France qui aura compris que la création demain seradans le mélange, dans l'ouverture, dans la rencontre. Qu’elle sera dans le croisement desregards, la fécondation réciproque des cultures, des techniques et des savoirs, qu’elle jaillirade la rencontre de l’artiste, du savant, de l’ingénieur, de l’entrepreneur, au croisement dela communication, de l’économie, des sciences, de toutes les formes d’art et de pensée,de travail, d’innovation. Je veux être le président d’une France qui incarnera l’audace,l’intelligence et la création. Je veux être le président d’une France qui ne s’enfermerapas dans son histoire pour échapper à l’avenir, qui ne sera pas un musée, mais qui sauras’adosser à son histoire pour s’élancer vers le futur. Mes amis, la tâche est immense. Maiselle en vaut la peine.

Je demande à ma famille de m’aider. Je sais ce qu’elle a eu à souffrir. Je veux qu’ellecomprenne que

ce n’est pas de moi qu’il s’agit mais de la France. Je demande à mes amis qui m’ont accompagné jusqu’ici de me laisser libre, libre d’aller

vers les autres, vers celui qui n’a jamais été mon ami, qui n’a jamais appartenu à notrecamp, à notre famille politique qui parfois nous a combattu. Parce que lorsqu’il s’agit de laFrance, il n’y a plus de camp. Je demande à vous tous de comprendre que je ne serai pasque le candidat de l’UMP, qu’au moment même où vous m’avez choisi je dois me tournervers tous les Français, quels que soient leur parcours, qu’ils soient de droite ou de gauche,de métropole ou d’Outre Mer, qu’ils vivent en France ou à l’étranger, que la France les aitou non déçu pourvu qu’il l’aiment. Que je dois les rassembler, que je dois les convaincrequ'ensemble tout deviendra possible !

Tout deviendra possible pour la France,Tout deviendra possible si vous le voulez,Tout deviendra possible si vous le décidez. Vive la République, Vive la France

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Annexe 2 : Discours de Besançon, 13 mars 2007Mes chers amis,Merci à vous tous. Merci d’être venus si nombreux ce soir, pour témoigner que la France

ce n’est pas fini, que la France veut continuer de vivre, qu’elle continue de vivre dans lecoeur d’une multitude de Français qui, comme vous tous, espèrent encore en elle, croienten ses valeurs. Je veux parler de la France parce que je suis candidat à la présidence dela République Française.

La France c’est vous, c’est chacun d’entre nous avec son histoire, avec sa mémoire,avec son expérience de la vie, avec ses rêves.

La France c’est un destin commun fait d’une multitude de destinées individuelles.C’est une multitude de petites patries qui forment ensemble une grande patrie.Ce sont des provinces qui se sont comprises et qui se sont aimées.C’est une façon d’être, de vivre, de penser, c’est un idéal, c’est une espérance. La

France ce n'est pas une race, ce n'est pas une ethnie.Elle s’est forgé, au cours d’une longue histoire, une personnalité, une identité qui est

une part de nous mêmes, de notre propre identité. Il y a une identité française, une identiténationale dans laquelle nous nous reconnaissons.

Parler de l’identité nationale ne me fait pas peur. J’ai bien compris que pour certainsc’était un gros mot. J’ai bien compris que parler de l’identité nationale ce n’était pasconvenable. J’ai bien compris que c’était un sujet tabou, qu’il était dangereux de s’aventurersur ce terrain, qu’un homme politique soucieux de sa carrière devait éviter ce sujet.

Mais je ne crois pas à la politique qui ne dit rien, qui ne pense rien, qui préfère se taireplutôt que prendre des risques.

Je veux dire la vérité aux Français, je veux être sincère, je veux être honnête. C’estma conception de la politique. C’est l’idée que je me fais de la dignité de la fonctionprésidentielle. C’est la ligne de conduite que je me suis fixée depuis le début de cettecampagne.

Je n’en changerai pas.Rien ni personne ne m’en fera changer.Je continuerai à parler de l’identité nationale parce que je crois que l’identité nationale

pour un peuple c’est quelque chose d’essentiel, et parce que je crois que la France traverseune crise d’identité, que cette crise est grave, que cette crise est profonde, que cette crise estdangereuse. A nous contester le droit de parler de notre identité nous créons les conditionsd'une crise identitaire. Nous ne savons plus qui nous sommes parce que nous n'avons plusle droit de parler de ce que nous sommes.

Je continuerai donc de parler de l’identité nationale parce que c’est un sujet quiconcerne tous les Français, parce que je ne veux pas laisser le monopole de la nation àl’extrême droite, parce que je me fais une haute idée de la France, parce que je n’ai pashonte de mon pays, parce que je n’ai pas honte de ses valeurs, de sa culture, parce que jen'ai pas à m'excuser d'être Français, parce qu’au contraire j’en suis fier, parce que j’aime laFrance pour ce qu’elle m’a donné en partage, pour ce qu’elle m’a permis de devenir.

Je continuerai à parler de l’immigration en posant le problème de l’identité nationaleparce que ce que nous avons de plus précieux à offrir à tous ceux qui veulent vivre en

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France c’est la fierté d’être Français qui est bien davantage qu’un statut juridique, et parceque le partage de cette identité qui est la nôtre, avec la culture, la langue, les valeurs qui lafondent est la condition de leur intégration réussie.

Comment réussir l'intégration de ceux que nous accueillons si nous ne prenons pas lapeine de leur parler du pays où ils veulent vivre ?

Je dis cela parce que la France que j’aime est une France ouverte et accueillante, uneFrance généreuse et fraternelle, et que, pour qu’elle le reste, il ne faut pas que l’immigrationsoit ressentie comme une menace sur son identité.

La France que j’aime, la France en laquelle je crois, ce n’est pas une France immobile,ce n’est pas une France enfermée dans son passé, prisonnière de son histoire. C’est uneFrance ouverte, ouverte sur les autres, ouverte sur le monde, ouverte sur l’avenir. C’est uneFrance qui évolue. C’est une France qui vit avec son temps. C’est une France à laquellechacun apporte sa contribution. C’est une France que chaque histoire personnelle, chaquedestin particulier contribue à enrichir, à transformer.

La France éternelle, ce n’est pas pour moi la France éternellement identique àellemême.

C’est la France qui ne meurt pas mais qui se métamorphose tous les jours.C’est la France dont le visage change imperceptiblement à chaque fois que parmi les

Français apparaît un nouveau visage. Il faut respecter l'identité de ceux qui viennent maisceux-ci doivent respecter l'identité du pays qui va devenir leur.

La France éternelle, c’est la France dont l’esprit est plein de tout ce qui dans le mondea apporté quelque chose à l’idée d’humanité.

C’est la France qui accueille avec ferveur, depuis toujours, l’héritage de toutes lescivilisations.

C’est la France dont Jaurès disait qu’elle « n’est pas résumée dans une époque ni dansun jour, ni dans le jour d’il y a des siècles, ni dans le jour d’hier, mais qui est tout entièredans la succession de ses jours, de ses siècles, de ses aurores, de ses crépuscules ». Maiscette France qui n’est jamais tout à fait la même, ne cesse jamais en réalité d’être fidèle àelle-même, à sa promesse de civilisation, au pressentiment de son unité, à son exigenced’égalité, à son amour de la liberté, à son besoin de fraternité qui sont dans sa penséedepuis son premier jour, par-delà les vicissitudes de l’histoire.

Certains d’entre vous se souviennent peut-être du discours si émouvant de Malrauxpour la commémoration de la mort de Jeanne d’Arc. Malraux y raconte que : « Lorsde l’inauguration de Brasilia, les enfants représentèrent quelques scènes de l’histoire deFrance. Apparut Jeanne d’Arc, une petite fille de 15 ans, sur un joli bûcher de feu de Bengale,avec sa bannière, un grand bouclier tricolore et un bonnet phrygien. Dans le grand bruit deforge où se forgeait la ville, Jeanne et la République étaient toutes deux la France parcequ’elles étaient toutes deux l’incarnation de l’éternel appel à la justice. » Les enfants deBrasilia avec leur touchante innocence avaient compris mieux que nous qu’à des sièclesde distance, Jeanne d’Arc et la République incarnaient le même idéal, la même idée de laFrance. Ils avaient compris qu’au fond la France c’était toujours le même idéal poursuivisous des formes et avec des moyens différents. Ils avaient compris que la France est unesynthèse toujours recommencée à partir des mêmes principes et des mêmes valeurs.

Quand je veux défendre l’identité de la France, je veux défendre ces principes aveclesquels nous n’avons jamais transigé et que nous ne négocierons jamais avec personne.

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Quand je veux défendre l’identité de la France, je veux défendre ces valeurs sanslesquelles être Français n’a tout simplement plus aucune signification.

Je veux défendre la séparation du temporel et du spirituel.Je veux défendre la liberté de l’esprit.Je veux défendre la justice.Je veux défendre l’égalité de l’homme et de la femme.Je veux défendre la neutralité du service public.Je veux défendre la laïcité.Je veux défendre la liberté de conscience.Je veux défendre la liberté d’expression.Je veux défendre la république, la démocratie et les droits de l’homme.Quand je veux défendre l’identité de la France je veux défendre un héritage de valeurs

de civilisation.Je veux défendre un héritage de pensée claire et d’humanisme.Je veux défendre l’héritage des Lumières et celui de deux mille ans de civilisation

chrétienne.A ceux qui veulent venir vivre en France, je veux dire simplement que la France ne

commence pas avec eux, qu’elle a déjà une longue histoire, qu’elle a déjà une morale,qu’elle a déjà une culture, qu’il leur faut accepter de les prendre en partage, de recueillir cethéritage, d’en être fier. La France n’a jamais demandé à personne d’oublier ses origines,son histoire, ses souffrances. Elle demande seulement d’être aimée et respectée.

La France n’a jamais demandé à personne de se renier. Mais à force d’excommunier lanation, à force de dénigrer la France, à force de la mettre en demeure d’expier son histoire, àforce de cultiver la repentance et la haine de soi, il devient de plus en plus difficile d’intégrer,de socialiser et même d’éduquer. Car on cherche rarement à s’intégrer à ce qu’on a apprisà détester.

A force d’abaisser la nation on rend l’intégration impossible. A force on laisse lechamp libre aux communautés, aux tribus, aux bandes et aux prédateurs de toutes sortesqui cherchent à profiter de la moindre défaillance de l’Etat, de la moindre faille dans laRépublique.

A force d’abaisser la nation c’est la République que l’on abîme, c’est la démocratie quel’on met en péril, c’est la solidarité que l’on détruit.

A force d’abaisser la nation c’est notre capacité à vivre ensemble qui risque d’êtreremise en cause.

A force de sous-estimer la crise d’identité, à force d’ignorer la perte du sens et desrepères et les souffrances qui en sont les conséquences, à force que l’immigré se senterejeté et que celui qui l’accueille se sente dépossédé de son identité et de plus en plusétranger dans son propre pays, on prépare la haine, non la fraternité.

A force de laisser se désintégrer ce bien commun qu’est la nation, à force de laisserdépérir ce sentiment d’appartenance à une communauté de destin qui est inscrite au plusprofond de l’identité nationale, plus personne ne peut plus se parler ni se comprendre.

Annexes

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Fatalement le fossé se creuse entre les générations, entre les classes, entre lesquartiers.

A force de laisser l’identité nationale se dissoudre dans le marché mondial, on préparel’aplatissement du monde et l’appauvrissement de toute pensée humaine.

Il faut savoir ce que l’on veut.Ecoutez ce qu’a dit un jour Claude Lévi-Strauss, le plus grand anthropologue peut-être

du XXe siècle : « Il est souhaitable que les cultures se maintiennent diverses, seulement ilfaut consentir à en payer le prix : à savoir que les cultures attachées chacune à un style devie, à un système de valeurs, veillent sur leurs particularismes ; et que cette disposition estsaine, nullement – comme on voudrait nous le faire croire – pathologique. »

Chaque culture se développe en échangeant avec les autres, mais pour échanger ilfaut avoir quelque chose en propre à échanger.

Pourquoi les bonnes consciences, pourquoi les bien-pensants, pourquoi la gauchen’entendent-ils pas la grande voix de Lévi-Strauss ?

Pourquoi font-ils semblant de ne pas comprendre que le maintien de la diversité dansun monde ouvert exige de la part de chaque culture une forme de résistance ?

Il est incohérent de défendre la diversité culturelle et en même temps de tout céder. Decéder sur la langue, de céder sur les valeurs, de céder sur la mémoire.

La nation n’est pas une donnée de la nature. C’est une volonté de vivre et d’agirensemble, c’est un fait de culture. La nation se désintègre quand la culture qui lui est proprese désagrège.

A l’origine de la crise de l’identité nationale, il y a le renoncement culturel.A Besançon, je suis venu parler de la nécessité de reconstruire une culture commune

qui nous permette à tous, de nouveau, de nous parler et de nous comprendre, qui donne àchacun les moyens de comprendre ce qu’il éprouve et de l’exprimer sans avoir recours à laviolence, qui lui donne assez de confiance en soi pour s’ouvrir à l’autre au lieu de le rejeter,qui lui donne la force de vaincre sa peur et de redevenir acteur de sa propre existence.

Si j’ai souhaité parler de culture ici à Besançon plutôt que dans les lieux habituels oùl’on en parle, c’est parce que pour moi la culture ce n’est pas seulement l’affaire de Paris,ce n’est pas seulement l’affaire de quelques grandes métropoles.

Pour moi la culture n’est pas réservée seulement à quelques privilégiés, elle n’est pasque pour une petite élite.

Pour moi il n’y a pas qu’une seule culture. A côté de la haute culture, celle des grandesoeuvres de l’esprit, celle qui élève l’âme et l’intelligence humaines à la plus grande hauteurpossible et à laquelle tout le monde a droit, il y a bien d’autres cultures qui grandissent aussil’homme, qui lui donnent de la fierté, du bonheur et des valeurs. C’est dire que je ne suispas venu vous parler ce soir seulement de la culture au sens que l’on donne à ce mot quandon parle du Ministère de la Culture.

Je ne suis pas venu vous parler seulement de ce que l’on appelle la politique culturelle.Je suis venu vous parler de la culture au sens le plus large du terme.Je suis venu vous parler de tout ce qui concerne les valeurs, la morale, le rapport aux

autres et le rapport à la vie.

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Je suis venu vous parler de ce qui donne du sens, des repères, de la compréhension.Je suis venu vous parler de l’éducation.

Je suis venu vous parler de la culture ouvrière parce qu’il y a une façon d’être desouvriers, un rapport particulier des ouvriers à la vie et au travail.

Je suis venu vous parler de la culture paysanne parce qu’il y a un rapport particulierdes paysans au travail, à la terre, au temps.

Je suis venu vous parler de la culture des artisans parce qu’il y a un rapport particulierdes artisans avec la perfection du geste, avec la précision de la technique.

Je suis venu vous parler d’une politique de civilisation qui est une politique où l’idée deculture joue un rôle central.

Je crois dans la force créatrice du capitalisme mais je suis convaincu que le capitalismene peut pas survivre sans une éthique, sans le respect d’un certain nombre de valeursspirituelles, de valeurs morales, sans l’humanisme, sans la culture. Il faut remettre de la

culture dans le capitalisme. Il faut rééquilibrer le capitalisme par la culture. Il fautremettre le capitalisme au service d’une certaine idée de l’homme.

Comme la santé, comme l’éducation, la culture ne peut pas être abandonnée à la seuleloi du marché. La culture ne peut pas être qu’une marchandise. Elle est trop intimement

liée à l’homme, à sa dignité, à sa conscience.Il faut qu’il y ait quelque chose au-dessus de la marchandise. Il faut qu’il y ait quelque

chose au-dessus de l’argent. A Venise, à Gênes, à Florence, à Amsterdam, à Bruges lecapitalisme était au service d’un projet de civilisation, d’une conception de l’homme.

Les travailleurs incarnent un type de civilisation, un type d’homme qui respecte le travailcomme une condition de la liberté, qui pense que l’honneur c’est toujours s’efforcer de fairele mieux possible ce qu’on a à faire, que la dignité c’est de ne rien devoir qu’à soimême etque le premier devoir d’un homme c’est de transmettre ses valeurs à ses enfants.

Aux ouvriers qui ont tant de savoir-faire, aux paysans qui depuis des générations fontfructifier leur terre, aux artisans qui n’aiment que ce qui est parfait et dont les secrets setransmettent de génération en génération depuis des siècles, aux ingénieurs qui subissenteux aussi la concurrence des ingénieurs de l’Inde ou de la Chine dix fois moins payés, jeme refuse à dire que tout est fini, qu’il n’y a plus de place pour eux, qu’ils doivent disparaître,qu’ils ne servent plus à rien. Je veux leur dire que rien n’est perdu.

Un métier qui disparaît, un village qui se vide, un bassin industriel qui s’effondre, c’estun drame. Aucune nécessité économique ne justifie que la politique soit indifférente à cedrame et à la souffrance qu’il cause. Nulle impuissance publique n’oblige à accepter sansrien faire ce gâchis humain qu’un petit effort d’imagination, de volonté et de morale

suffirait à éviter. A quoi sert la politique si on ne peut rien faire sur rien ? A quoi sert lapolitique si la seule loi qui s’impose est celle de la rentabilité à court terme ? A quoi sert lapolitique si elle se contente d’accompagner une sorte de sélection naturelle qui fait triompherle fort et anéantit le faible, si elle ne donne pas sa chance à chacun ?

Ici à Besançon il y a une culture du travail, une culture ouvrière qui fut longtemps celledu textile et de l’horlogerie qui a été durement frappée par la crise. Cette culture n’est pasmorte, il ne faut pas qu’elle meure. Cette culture du travail, ce savoir-faire fruit du travailde générations commence à s’employer dans des activités nouvelles qui ont les mêmesexigences comme les nanotechnologies ou la mécanique de précision.

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Voilà ce qu’il faut soutenir, encourager. Il y a dans les vieux bassins industriels en déclinune culture, un savoir-faire, des valeurs qui sont des atouts qu’il ne faut pas laisser perdre.Il ne faut pas se contenter de perpétuer les vieux métiers en les soutenant à bout de bras.Il faut aider les vieux métiers à se transformer en nouveaux métiers. Il faut investir dans laréindustrialisation, dans les activités nouvelles.

Dans ces vieux bassins industriels comme ici, il y a des traditions, des valeurs, desdisciplines, une rigueur, des compétences qu’il faut perpétuer et dont il faut tirer le meilleurparti. Je ne veux pas d’une France sans usine, sans agriculture, sans artisanat.

Si les usines partaient tout le reste partirait aussi.La France sans paysan, sans artisan, sans ouvrier serait une France appauvrie

moralement, culturellement, économiquement. Je pense aussi aux employés, auxtechniciens, aux ingénieurs, aux cadres, je pense aux infirmières, je pense aux professeurs,aux médecins, à tous ceux qui aiment leur métier, qui en sont fiers. Ils ont ce sens du devoir,ce sens moral, ce courage qui sont des valeurs auxquelles je crois, qui sont les valeursautour desquelles les Français doivent se rassembler parce que ce sont les valeurs de laFrance.

Ce sont les valeurs grâce auxquelles la France peut se redresser, grâce auxquelles ellepeut relever les défis de la mondialisation.

Ce sont les valeurs communes de toutes nos cultures. Car toute oeuvre demande legoût de l’effort et de la perfection, toute oeuvre réussie est le fruit de la perfection, touteoeuvre réussie est le fruit d’un dépassement de soi, d’une victoire de la volonté. L’œuvreréussie est toujours une forme d’accomplissement, de récompense du travail.

Le grand artiste qui ne travaille pas est un mythe. Comme est un mythe l’ouvrier quine se donne pas tout le mal qu’il peut pour faire de son mieux, pour avoir le geste le plusexact, pour fabriquer la pièce la plus belle, la plus parfaite.

La culture commune c’est d’abord un socle de valeurs partagées. Dans le monde dela production, comme dans celui de l’école ou celui de l’art, la valeur commune, fondatrice,c’est la valeur du travail.

Il faut réhabiliter la valeur travail.Il faut réhabiliter l’oeuvre comme accomplissement du travail.Il faut réhabiliter la création comme accomplissement humain.Il faut récuser la culture de la facilité et du moindre effort.Il faut récuser la culture de l’assistanat qui est dégradante pour la personne.Je veux revaloriser le travail, je veux l’augmentation des salaires qui sont trop bas dans

notre pays, je veux encourager par tous les moyens la création mais je veux qu’il n’y ait plusd’aides sans contrepartie, plus de droits sans devoirs, plus de revenus d’assistance sansune activité d’intérêt général.

Au coeur d’une culture commune il y a une morale commune, un système de valeurscommun. Cette culture commune du travail, cette morale de l’effort, elle s’inculque dès leplus jeune âge. Elle s’apprend dans la famille. Elle s’apprend à l’école. Je souhaite uneécole qui place au coeur de ses valeurs le travail, l’effort, le mérite.

Je souhaite une éducation qui fasse redécouvrir aux enfants le plaisir de laconnaissance après le long effort de la pensée, qui leur fasse aimer le savoir comme larécompense du travail de l’intelligence.

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Je voudrais que tous les enfants, quand ils seront devenus adultes, aient un jour envied’écrire à leur instituteur : « Merci de m'avoir rendu curieux de ce qui est beau». Nos enfantsle pourront-ils encore si nous négligeons l’école ? Si nous les laissons sans valeur et sansrepère ? Si nous renonçons à la culture commune qui permet aux hommes de se parler etde se comprendre ? Si nous ne leur enseignons plus la morale, le civisme, la grandeur dela raison ? Si l’enfant qui fait quelque chose de mal n’est pas sanctionné ?

Si le maître ne fait pas respecter son autorité tout en respectant dans chaque enfantles possibilités infinies de l’adulte en devenir ?

Malraux avait proposé un jour comme devise à la jeunesse : « Culture et courage ».Je ne vois rien de plus grand, de plus beau. A condition que nous construisions une écolepour faire des adultes et non de grands enfants. A condition que nous nous posions sanscesse la question non seulement de savoir quel monde nous allons laisser à nos enfantsmais aussi à quels enfants nous allons laisser le monde, et donc de nous demander à nous-mêmes quel exemple nous leur donnons, quelles valeurs nous leur transmettons.

A condition que nous ayons le courage de tenir à la jeunesse le langage de lavérité. A condition que nous cessions d’excuser toujours les voyous et de mesurerla gravité d’une faute par l’âge de celui qui la commet. A condition que nous nousappliquions à nousmêmes cette morale de la responsabilité que nous voudrions inculqueraux plus jeunes, car la jeunesse a besoin d’exemplarité. Le courage c’est que les hommespolitiques, les fonctionnaires, les juges, les policiers, les patrons, les parents assument leursresponsabilités s’ils veulent que les jeunes comprennent la nécessité d’assumer les leurs.

Le juge qui commet une faute doit être sanctionné, comme les parents qui n’envoientpas leurs enfants à l’école ou qui les laissent brûler des voitures.

Le courage c’est ne jamais laisser impuni le jeune qui commet une faute. Le couragec’est que la sanction soit rapide et proportionnée à la faute pour que l’enfant ou l’adolescentmesure la gravité de son geste. Il faut être juste mais il faut être sévère. La jeunesse cherchetoujours des limites. Il faut les lui montrer. On ne rend pas service l’enfant en lui passantses caprices, en lui pardonnant toutes ses fautes. Ce n’est pas parce que l’enfant s’affirmeen disant non qu’il faut toujours lui dire oui.

C’est mépriser la jeunesse que de lui laisser croire qu’elle a toujours raison, que toutlui est dû. On méprise la jeunesse quand on lui excuse tout. Quels éducateurs serons-nous si nous nous laissons aller à ces petites lâchetés ? Si les multirécidivistes n’ont rien àcraindre ? Si les mineurs peuvent se livrer aux pires excès sans être punis ? Si les voyousne peuvent même pas être appelés des voyous ? « Culture et courage » ? Oui, à la conditionque nous soyons nous-mêmes courageux vis-à-vis de nos enfants et à condition que noussoyons capables de remettre la culture au centre de nos politiques, c’est-à-dire de passerd’une politique de gestion à une politique de civilisation. C’est à vrai dire la seule réponsequi soit à la mesure de la crise morale dans laquelle nous sommes plongés.

Depuis 2 siècles à chaque fois que le destin de la France se trouva mis en question,à chaque fois qu’un doute s’installa sur ce qu’elle allait devenir, à chaque fois qu’elle futplongée dans la tragédie, c’est la question de l’éducation et de la culture qui surgit au milieudu drame comme si elle était le remède au malheur. Condorcet recherché par les agentsde la Terreur qui voulaient l’assassiner en appela aux progrès de la culture par l’éducationet à la force de la raison pour faire barrage à la folie des hommes qui avaient trahi l’idéaldes Lumières.

Carnot rédigeait son grand plan d’instruction publique pendant qu’à Waterloo la Franceagonisait.

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Après le désastre de 1870 et la crise sanglante de la Commune, les républicains firentde la réforme intellectuelle et morale la pièce centrale de leur programme de redressementnational.

En 1940, avant d’entrer dans la Résistance et de mourir assassiné par la Gestapo, MarcBloch proposa à son tour à la France vaincue de se redresser par l’éducation. Il écrivit :

« la tradition française, incorporée dans un long destin pédagogique, nous est chère.Nous entendons en conserver les biens les plus précieux : son goût de l’humain ; son

respect de la spontanéité spirituelle et de la liberté ; la continuité des formes d’art et depensée qui sont le climat même de notre esprit. Mais nous savons que, pour lui être vraimentfidèle, elle nous commande elle-même de la prolonger vers l’avenir ».

Que dire de mieux aujourd’hui encore sur ce que nous devons faire, sur l’idée del’homme qui doit nous guider et sur la nécessité de regarder autour de nous et devant nouspour que cette idée de l’homme ne meure pas faute de s’être donné les moyens de vivrepleinement avec son temps, pour que l’école contribue de nouveau à réduire les inégalitésau lieu de les aggraver, pour que l’égalité des chances cesse d’être un mensonge, pourque le fils d’ouvrier et le fils d’immigré aient de nouveau le sentiment d’être des citoyensà part entière et non plus des laissés-pour-compte, pour qu’ils se sentent libres de choisirleur destin.

Contre l’héritage de mai 68, contre le refus de toute autorité, contre le relativismeculturel et moral, contre le nivellement par le bas, contre la dévalorisation des diplômes,contre l’inculture, il n’y a pas d’autre choix que l'excellence. Il n’y a pas d’autre choix qu’uneéducation exigeante qui pousse les élèves à se dépasser au lieu de les inciter à la facilité.Il n’y a pas d’autre choix que de restaurer l’autorité du professeur et le respect.

Notre école doit redevenir le creuset d’une culture commune.Chaque génération invente des formes de pensée, d’art et de culture, des idéaux, des

manières de vivre qui lui sont propres. La jeunesse d’aujourd’hui est en train d’inventer lessiennes. C’est la génération d’Internet, du portable et du jeu vidéo.

Mais l’école n’est pas faite pour apprendre aux jeunes à être jeunes. L’école est là pourleur donner les moyens de penser par eux-mêmes, pour leur apprendre à faire la différenceentre Madame Bovary et un bon compte-rendu de fait divers dans un journal, entre Antigoneet Harry Potter.

Est-ce trop demander ?La démocratisation de la culture c’est se donner les moyens de faire comprendre et

aimerSophocle, Shakespeare ou Racine au plus grand nombre. Ce n’est pas les supprimer

des programmes pour qu’un plus grand nombre d’élèves puisse suivre plus facilement. Cen’est pas alléger le programme de mathématiques pour faciliter la vie de ceux qui ne veulentfaire aucun effort, c’est faire aimer et comprendre les mathématiques même à ceux qu’ellesrebutent.

La démocratisation de la culture c’est d’abord qu’un nombre de plus en plus grand dejeunes quitte l’école avec les moyens intellectuels et les qualifications qui leur permettentde trouver leur place dans la société.

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116 MARTINET Céline_2007

C’est qu’un nombre de plus en plus grand de jeunes s’engagent dans la vie avec dansla tête quelques leçons de science et d’humanité qui leur permettent de se comprendre etde comprendre le monde.

C’est qu’un nombre de plus en plus grand de jeunes affrontent l’existence avec l’espritouvert pour accueillir toute la beauté du monde et les moyens d’exprimer ce qu’ils éprouvent.Les maîtres qui ont enseigné à ma génération nous ont fait un cadeau dont alors nousn’imaginions pas le prix en nous faisant réciter les fables de La Fontaine et quelques versde Verlaine ou de Victor Hugo.

Jamais je n'ai oublié :« Ce siècle avait deux ans…Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,Naquit d’un sang lorrain et breton à la foisUn enfant sans couleur, sans regard et sans voix »Je le dis aux plus jeunes, c'est un privilège que de naître dans un pays qui a tant donné

aux grandes oeuvres de l'esprit et ce serait un grand gâchis que de ne pas faire l'effort deles connaître. L'ignorant n'est pas libre. La culture émancipe et libère.

Nos enfants qui savent tant de choses par ailleurs seront-ils plus heureux de n’avoirpas appris, ou si peu, de poésie et d’avoir si peu lu les grands auteurs ?

La question de la culture aujourd’hui c’est celle de l’enseignement artistique. C’est-à-dire à la fois celle de l’enseignement de ce qu’est l’art, de ce qu’est la beauté et celle del’enseignement de la pratique artistique, de la pratique de la musique, du chant, de la danse,de la peinture, du dessin, du théâtre…

La question fondamentale est celle de l’enseignement artistique non plus comme leparent pauvre de l’enseignement général, mais comme le pilier d’une culture généralequi naturellement englobe aussi la culture technique, la culture scientifique, l’histoire, lagéographie et la philosophie.

L’école ne peut pas enseigner la création artistique mais elle peut donner le goût del’art et contribuer à former le jugement.

Malraux disait que la culture ce n’était pas connaître les grands artistes, c’était les aimer.Pour aimer il faut avoir accès aux oeuvres. L’accès aux oeuvres pour tous, c’est avec

la culture de l’effort, la culture générale et l’enseignement artistique, un autre enjeu majeurde la politique de civilisation qui est seule capable de répondre à la crise morale.

Il faut par tous les moyens mettre le théâtre, la musique, la danse, l’opéra, la peinture,la sculpture, le cinéma à la portée de tous. A côté des politiques culturelles des collectivitéslocales auxquelles la décentralisation adonné un souffle nouveau, le grand problèmeà résoudre est celui d’une coopération plus étroite entre les institutions culturelles etl’Education Nationale. Un certain nombre d’expériences réussies doivent nous inciter à allerbeaucoup plus loin sur une beaucoup plus grande échelle. Ce qui posera évidemment leproblème des rapports entre l’Education Nationale et l’administration de la culture dont toutle monde sent bien qu’ils ne peuvent rester en l’état, avec deux mondes clos face à faceréussissant à peine à se parler et plus rarement encore à se comprendre. Mais les barrièresbureaucratiques ne sont pas les seuls obstacles. Il y a aussi les barrières qui sont dans lestêtes et il y a les barrières qui séparent la politique du patrimoine et celle de la création.

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La conservation et la valorisation du patrimoine, sa transmission aux générationsfutures, ce sont à mes yeux les premiers devoirs de l’Etat.

Le patrimoine c’est l’âme d’un pays. Mais il faut le faire vivre.Si Lascaux devait être fermée pour ne pas disparaître, il faut bien en revanche que

les pièces du répertoire soient jouées, que les monuments soient des lieux de vie, que lesoeuvres ne restent pas indéfiniment cachées dans les réserves des grands musées. Il fautque le patrimoine soit remis au coeur de la cité et de la société et non tenu en marge,abusivement préservé au nom d’une vision excessivement élitiste de l’art et de la culture.

Dans le patrimoine que nous reçu en héritage, le plus précieux est notre langue. LaFrance c’est une langue, une langue qu’elle met à la disposition de tous les hommes.Le Français disait Rivarol ce n’est plus la langue française, c’est la langue humaine.Le Français c’est l’âme de la France, c’est son esprit, c’est sa culture, c’est sa pensée,

c’est sa liberté. C’est le droit de penser autrement que selon la pensée dominante.La diversité linguistique c’est la condition de la diversité culturelle et du droit des peuples

à disposer d’eux-mêmes.La langue n’est pas une marchandise, la langue n’est pas une technique.L’obsession d’une langue unique au prétexte de l’efficacité est un leurre qui masque

les effets de domination de la pensée unique dont la langue unique est l’antichambre. Maisl’efficacité n’est même pas prouvée : la Renaissance où tout le monde s’est mis à penseret à écrire dans sa langue nationale fut plus féconde pour la pensée humaine que les longssiècles de domination exclusive du latin, comme si la créativité était bel et bien inséparablede la diversité.

Nous avons le devoir pour nos enfants, pour l’avenir de la civilisation mondiale, pour ladéfense d’une certaine idée de l’homme, de promouvoir la langue française.

Si je suis élu, je mettrai la francophonie au rang des priorités diplomatiques de la France.Je renforcerai tout à la fois le dispositif de l’action culturelle de la France à l’étranger et

l’aide à la création, parce que c’est par la création que le Français rayonne.Je veillerai à ce que dans les entreprises installées sur le territoire français la langue

de travail soit le Français dès lors qu’il n’y a aucune nécessité économique ou commercialequi oblige à s’exprimer dans une autre langue.

Je me battrai pour que dans les instances européennes et à l’ONU le Français continued’être employé. Ce sera naturellement une obligation absolue pour tout représentant de laFrance dans des organisations internationales.

Surtout je me battrai pour que soit généralisé partout en Europe l’enseignement dedeux langues étrangères parce que c’est la seule façon efficace pour que l’hégémonie del’anglais soit battue en brèche.

Mais le patrimoine linguistique de la France, ce n’est pas seulement le Français, c’estaussi l’extraordinaire richesse de ses langues régionales. Il suffit de se souvenir de l’oeuvreimmense de Mistral pour prendre conscience de l’appauvrissement que constituerait ladisparition de toutes ces langues très anciennes qui ont concouru à la formation de la languefrançaise et qui continuent à vivre en partie en elle.

Je souhaite que leur enseignement soit correctement pris en charge par l’éducationnationale.

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Je souhaite que l’on soutienne leur pratique et leur diffusion. Mais je ne veux pas decette logique de confrontation avec le Français que cherchent à faire prévaloir certainsindépendantistes qui veulent en finir avec l’unité française que nous avons mis si longtempsà construire et qui reste le bien le plus précieux mais aussi le plus fragile que nous ayonsà léguer à nos enfants.

Si je suis élu, je ne serai pas favorable à la Charte européenne des langues régionales.Je ne veux pas que demain un juge européen ayant une expérience historique du problèmedes minorités différente de la nôtre, décide qu’une langue régionale doit être considéréecomme langue de la République au même titre que le Français.

Car au-delà de la lettre des textes il y a la dynamique des interprétations et desjurisprudences qui peut aller très loin. J’ai la conviction qu’en France, terre de liberté, aucuneminorité n’est opprimée et qu’il n’est donc pas nécessaire de donner à des juges européensle droit de se prononcer sur un sujet qui est consubstantiel à notre identité nationale et n’aabsolument rien à voir avec la construction de l’Europe.

Mais cette attention portée au patrimoine que nous devons être en mesure de léguer ànos enfants comme faisant partie de ce que nous avons de plus précieux à leur transmettre,ne doit pas nous faire oublier que notre culture ne rayonnera pas et même ne survivra passi elle n’est pas une force de création. Mais ici aussi il faut parler de la création au senslarge car une société est créative dans tous les domaines ou elle ne l’est dans aucun.

En 1969, Georges Pompidou disait : « le monde a besoin d’une nouvelle Renaissance ».Aujourd’hui, tout reste à faire pour que survienne cette nouvelle Renaissance, pour

retrouver cet état de grâce où dans l’art, dans la science, dans l’économie, dans la société,partout la vie explose, partout l’intelligence humaine se met à féconder l’avenir.

Tout paraissait possible aux hommes de la Renaissance. Tout paraissait possible àceux des Lumières. Tout paraissait possible aux capitaines d’industrie, aux savants, auxinstituteurs, aux artistes, aux hommes politiques vers les années 1880. Tout paraissaitpossible aux hommes du Conseil National de la Résistance, aux hommes de 1958, auxhommes des Trente Glorieuses.

Il nous faut retrouver cette foi dans l’avenir, cette foi dans les capacités humaines etdans le génie français. Dans cette France qui a si souvent étonné le monde, qui est sisouvent ressuscitée quand on la croyait morte, qui a si souvent précédé le mouvement dela civilisation, si souvent accompli des actes exceptionnels. La France des croisades et descathédrales, la France des droits de l’homme et de la Révolution,

C’est ce sentiment qu’il nous faut faire renaître, contre cet « à quoi bon » sinistre etdésolé qui hante notre époque.

L’Etat a son rôle à jouer, pour le meilleur ou pour le plus mauvais, pour tout tirer versle haut ou vers le bas. Vers le bas, c’est le conservatisme, l’immobilisme, la frilosité, lemalthusianisme, le nivellement. Vers le haut, c’est la qualité de l’homme, de l’éducation, dela vie, la politique de civilisation. C’est la réforme intellectuelle et morale par l’école, par lecivisme, par la revalorisation du travail, C’est la création mise au coeur de la politique.

Nous ne préserverons notre identité, nous ne regagnerons notre prospérité, notreinfluence dans le monde qu’à proportion de notre force créatrice. Notre avenir est entreles mains des créateurs. C’est l’investissement d’aujourd’hui dans la création et dansl’innovation qui fera la prospérité de demain.

Annexes

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La création c’est ce qui donne son style, sa forme, son âme à une époque. Etatiserla création, la culture reviendrait à les tuer. Le totalitarisme asservit toujours l’art et laculture pour mieux étouffer la liberté. Mais la création a toujours eu besoin d’être soutenue,encouragée. Il lui faut un environnement, un climat, une volonté qui lui soient favorables.

Plus encore peut-être qu’hier, la création de demain sera dans le mélange, l’essaimage,le métissage. Elle sera dans l’échange, le croisement des regards, la fécondation

réciproque des cultures, des techniques et des savoirs. Elle jaillira de la rencontre del’artiste, du savant, de l’ingénieur, de l’entrepreneur, au croisement des technologies de lacommunication, de la science, de l’économie et de toutes les formes d’art et de pensée.

Ce que la France réussit au XIXe siècle avec le prix de Rome, ce que l’Autriche réussit àVienne au tournant du XIXe et du XXe siècle, ce que l’Allemagne réussit avec le

Bauhaus dans les années 20, ce que la France de nouveau réussit pendant les TrenteGlorieuses, pourquoi serions-nous incapables de le réussir à l’orée du XXIe siècle ?

Appuyé sur un patrimoine extraordinaire qui exprime la continuité de la nation, qui est aucoeur de son identité, riche d’un fabuleux héritage de pensée, de sensibilité, d’intelligence etde savoir-faire, notre pays a tous les moyens de redevenir l’un des plus créatifs du monde.Au-delà des sciences, des techniques, de la mode, du luxe, nous avons tous les atouts pourexplorer de nouveaux secteurs d’excellence où notre culture, notre génie national peuventfaire merveille.

Ce que nous avons fait pour l’aéronautique, l’espace et le nucléaire nous pouvonsle faire aussi pour le numérique qui annonce un bouleversement du savoir, l’émergenced’une nouvelle forme d’intelligence collective qui nous obligera tôt ou tard à tout repenser :nos institutions, notre système d’enseignement, nos politiques publiques, notre systèmejuridique. Nous ne devons pas attendre. Fixons-nous comme objectif que la prospectivesur la société numérique devienne une priorité nationale et débouche sur une stratégiecollective. Je voudrais que nous anticipions au lieu de subir.

Ce que nous faisons pour le cinéma nous pouvons le faire aussi pour l’architecture,l’urbanisme ou le design. Fixons-nous pour objectif d’être dans ces domaines le pays le pluscréatif et le plus en avance. A une époque où la technique change toutes les perceptions ettoutes les relations, le moment est venu de remettre le temps, l’espace, le paysage, la villeau coeur d’un projet de civilisation. Le temps est venu d’exprimer à travers eux les caractèresd’une nouvelle société, de nouveaux rapports sociaux, d’une nouvelle universalité, d’unnouvel humanisme qui restent à inventer.

Ce nouvel humanisme, la France est la mieux placée pour le promouvoir du fait de sonhistoire, de sa culture, de la place si singulière qu’elle occupe sur la scène du monde.

Ce nouvel humanisme s’exprimera dans une nouvelle politique éducative et unenouvelle politique culturelle,

Je veux donner à chaque Français les moyens de réaliser ses projets et toutparticulièrement à la jeunesse parce qu’elle porte en elle le monde de demain.

Je vous une propose de construire une société de créateurs et d’entrepreneurs.Je vous propose que chaque université soit dotée d’un dispositif d’aide à la création.Je vous propose que les projets à buts non lucratifs soient autant soutenus que les

projets à buts lucratifs.Je propose que des écoles de projets soient créées.

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Je propose de développer le micro crédit pour financer les micros projets.Je vous propose des prêts aux jeunes créateurs à taux zéro, parce que l’intérêt c’est

le prix du temps, parce qu’un taux zéro c’est un acte de foi dans l’avenir. Malraux voulaitcréer partout des Maisons de la culture pour mettre la culture à la portée de chacun. Dansnotre époque où c’est l’intelligence collective qui enfante l’avenir, où c’est le métissage descultures et des idées, le mélange, le brassage qui est la principale force de création danstous les domaines, je propose de créer partout des.

Maisons des créateurs où se retrouveront tous ceux qui aspirent à inventer, à créer, àentreprendre dans tous les domaines, où ils pourront trouver des soutiens, des conseils, desformations, des aides, mais aussi où ils échangeront, où ils croiseront leurs expériences,leurs idées, leurs projets, où ils formeront des projets communs, où ils inventeront ensemblel’avenir.

Derrière la question de l’identité nationale c’est le problème de la transmission de laculture et des valeurs qui est posé.

L’urgence c’est de refaire de la famille, de l’école et des institutions culturelles des lieuxde transmission.

L’urgence c’est de faire découvrir et de faire aimer à tous les enfants de France, quellesque soient leurs origines, quelle que soit la couleur de leur peau, quelle que soit leur religion,quel que soit le quartier où ils habitent, ce qui est le plus grand et le plus beau dans l’héritageauquel tous les Français ont droit.

L’urgence c’est que chacun puisse participer d’une sensibilité commune, partager lemême amour pour la même beauté, la même admiration pour les mêmes chefs d’oeuvre,les mêmes rêves remplis des mêmes figures héroïques et des mêmes espérances.

Quand chacun sera également ému par la tristesse de ces vers de Victor Hugo, l’enfantde Besançon, que du temps de ma jeunesse on apprenait à l’école. Vous souvenez-vous ?

« Et là dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile,L’âme, en un repli sombre où tout semble finir,Sent quelque chose encore palpiter sous un voile…C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir ! »Mais si la poésie peine à arracher l’homme à la triste réalité de la crise française. Si

l’art, si la culture, si la quête de la connaissance et du savoir remplissent si mal aujourd’huileur rôle de trait d’union entre les Hommes, c’est que la vie est trop dure et trop lourde.

Il faut bien prendre la mesure du danger : l’identité nationale ne résistera pas longtempsà l’effritement de la cohésion sociale. Pour retrouver la confiance des Français qui ont étési souvent trahis, il n’y a pas d’autre moyen que de tenir ses engagements, de dire ce quel’on fera et ensuite de le faire.

Si je suis élu je tiendrai les engagements que j’ai pris. Je faciliterai l’accès à la propriétéen permettant de déduire les intérêts d’emprunt du revenu imposable.

J’exonérerai de droits de succession le fruit d’une vie de travail que chacun veutlégitimement transmettre à ses enfants sans repayer des impôts.

J’exonérerai de charges et d’impôts les heures supplémentaires pour que celui qui veuttravailler plus pour gagner plus puisse le faire.

J’instituerai des peines planchers pour les récidivistes.

Annexes

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Je ne permettrai plus que des revenus d’assistance puissent être versés sans aucuneactivité d’intérêt général en contrepartie.

Je poserai comme conditions au regroupement familial de pouvoir loger sa famille avecles revenus de son travail et non avec ceux de ses allocations, et d’avoir appris à parler leFrançais avant de venir.

Je le dis.Je le ferai.Je ne vous décevrai pas.Je ne vous trahirai pas.Vive la République !Vive la France !

Annexe 3 : Discours de Bordeaux, 1 er mars 2007Mes chers amis,Merci d’être venus si nombreux ce soir.Merci de votre présence qui me donne la force, l’énergie d’aller jusqu’au bout de moi-

même dans cette campagne.Pour vous, pour cette espérance que je sens en vous, pour la France, pour la patrie

que nous aimons, pour ce pays dont nous sommes fiers, pour lequel tant d’hommes se sontbattus, pour lequel tant d’hommes ont travaillé, pour lequel tant d’hommes ont créé, pource pays que nous voulons transmettre à nos enfants plus beau que nous l’avons reçu denos parents, je suis prêt à relever tous les défis.

Je ne me laisserai pas détourner de mon objectif. Aucun mensonge, aucune calomniene me fera hésiter, encore moins reculer.

Les adeptes des basses manoeuvres en seront pour leurs frais. Je ne me laisseraipas entraîner dans le marécage où ils rêvent d’attirer toute la campagne parce qu’ils n’ontpas d’idée, pas d’argument, parce qu’ils préfèrent salir que débattre, parce que ne sachantcomment convaincre ils préfèrent discréditer.

Je sais ce qu’ils valent. Je sais jusqu’où ils peuvent aller. Je sais qu’ils ne reculentdevant rien.

Mais rien ni personne ne me découragera.Rien ni personne ne me fera renoncer.J’ai une haute idée de la fonction présidentielle, de la hauteur de vue et de la grandeur

morale qu’elle exige. Cette exigence je me suis efforcé de me l’imposer à moi-même depuisle début de cette campagne. Rien ni personne ne me détournera de cette ligne de conduite.

Je continuerai de dire aux Français ce que je souhaite pour la France.Je continuerai à parler à leur intelligence et à leur coeur.Je continuerai à leur parler de l’avenir de la France et de l’avenir de leurs enfants.Je continuerai à essayer d’élever le débat.C’est ma conception de la politique.

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C’est ma conception du comportement que l’on doit avoir lorsque l’on est candidat àla Présidence de la République. C’est l’idée que je me fais de la dignité de la fonctionprésidentielle.

Cette idée, je sais que nous la partageons. Je sais que je peux compter sur vous.Je sais que dans le combat pour la dignité et la morale en politique je vous trouverai

toujours à mes côtés.Ensemble, nous redonnerons au débat politique la hauteur d’où il ne devrait jamais

descendre. Nous donnerons à cette campagne la hauteur de vue dont elle a besoin pourque les Français puissent se décider en toute connaissance de cause.

Je suis heureux d'être à Bordeaux.Dans cette ville où Montaigne incarna l’humanisme de la Renaissance, et où on sait

ce que signifie le mot dignité.Dans cette ville où Montesquieu inaugura l’Europe des Lumières, et où on sait ce que

c’est que l’exigence morale.Dans cette ville où Goya, fuyant l’Inquisition, est venu finir ses jours en peignant des

taureaux. Sous l’un de ses dessins il avait écrit un jour : « le sommeil de la raison engendredes monstres ».

Dans cette ville où Mauriac a appris que face au mal la seule chose qui comptait c’étaitd’aimer.

Dans cette ville que le monde entier regarde comme la capitale de la civilisation du vin,dans cette ville ouverte sur tous les mondes, à la fois continentale et maritime, trait d’unionentre l’Europe du Nord et celle du Sud, entre le commerce et le travail de la terre, entrel’âpreté des landes et la douceur des vignobles, l’esprit de modération et de tolérance atoujours prévalu.

Dans cette ville où la République cherche refuge chaque fois que les grands drames del’histoire menacent de l’anéantir, se noua au coeur de la débâcle la tragédie de la Résistanceet celle de la collaboration, De Gaulle y fit en partant pour Londres le premier geste quiallait le conduire à devenir l’âme de la Résistance française tandis que Mandel en refusantl’offre anglaise faisait le premier pas vers sa captivité et sa mort. Il avait été élu député de laGironde et comme le Général De Gaulle il avait tenté désespérément pendant des annéesde conjurer la catastrophe qu’il pressentait. Il mourut assassiné par des Français ennemisde la France, qui avaient trahi son idéal et ses valeurs. Il est juste que son nom ne soit pasoublié car il fait honneur à votre région.

Ici, à Bordeaux, je suis venu parler de ce dont les candidats à l’élection présidentiellene parlent jamais parce que la politique a fini par se confondre avec la gestion. Je suis venuparler de l'idée que je me fais de la vie.

Parce que la politique s’était laissée petit à petit envahir par la statistique et par le chiffre,qu'elle a cessé de parler au coeur et à la raison, parce que la politique a fini par oublierqu’elle n’avait d’autre justification que de servir l’homme, d’autre finalité que la vie.

Je ne crois pas à la politique du malheur et de la souffrance. Je ne crois pas à la politiquequi se propose de sauver l’homme par le sacrifice et par la douleur.

Les circonstances peuvent imposer le sacrifice au service d’une cause pour laquelle ilpeut valoir la peine de souffrir, non comme une fin en soi.

Annexes

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La politique qui n’a comme horizon que le sacrifice de l’homme est une politique quise détruit elle-même.

Je veux remettre la politique à l’endroit. Je veux remettre l’homme et la vie au centrede la politique.

Qu’il me soit donc permis de dédier ce discours à Jaques Chaban-Delmas, dont ladestinée pendant près d’un demi-siècle s’est confondue avec celle de Bordeaux.

Il fut pour moi l’un des hommes qui dans la politique française ont le plus incarnéce souci et cet amour de la vie. La vie, Jacques Chaban-Delmas l’avait risquée dans laRésistance parce que, sans la liberté, il ne croyait pas qu’elle valait la peine d’être vécue.La vie il l’avait défendue contre une politique de mort. La vie, elle était la raison d’être detous ses combats, de tous ses engagements politiques. La vie, il lui donnait un sens ense battant pour que tous les autres vivent mieux, vivent debout, vivent plus heureux. LaNouvelle Société, c’était une politique de vie, une politique qui mettait la vie et l’homme aucentre de la politique.

Je veux te rendre hommage cher Alain, toi qui a tant fait pour que Bordeaux se sente denouveau vivre passionnément, pour que la vie y rayonne de partout, pour qu’elle redeviennel’une des villes les plus éclatantes et les plus dynamiques d’Europe.

Alain, je veux te rendre hommage pour ce que tu as fait ici mais aussi pour tonengagement en faveur de la protection de l’environnement, pour avoir été l’un des premiersparmi nous à avoir compris que la catastrophe écologique menaçait l’avenir de l’humanité,et pour nous avoir fait partager ta conviction.

Je suis heureux d'être à tes côtés ce soir.Il était temps de parler de la vie parce que la question de la vie est partout posée, parce

que la question de la vie traverse toute la société, parce qu’à travers l’interrogation sur lavie on comprend mieux la nature de la crise actuelle et son caractère profond.

Jamais peut-être depuis la dernière guerre la question de la vie ne s’est posée àl’homme avec autant de gravité.

Il y a d’abord bien sûr la question de la survie. Il y a la question que l’homme se poseface au risque de son anéantissement.

Cette question, il se l’est posée face aux ravages de la guerre mondiale, de la guerretotale.

Cette question, il se l’est posée face aux camps de la mort.Cette question, il se l’est posée face aux armes de destruction massive à l’heure de

la guerre froide.Cette question, il se la pose aujourd’hui face à la prolifération nucléaire. Le premier

dossier que le Président de la République trouvera sur sa table c'est celui de l'Iran. Nousne pouvons pas accepter le nucléaire militaire dans les mains du régime iranien. J'appelleà la plus grande fermeté la Communauté Internationale.

Il se la pose face à la menace terroriste et au risque que fait peser sur l’avenir du mondele choc des civilisations et le retour du fanatisme.

Il se la pose plus gravement encore face au réchauffement climatique et auxcatastrophes qu’il pourrait provoquer.

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La question de sa survie, l’homme se la pose face à la perspective du monde de la raretéque dessine l’épuisement des ressources, parce que la rareté crée toujours la violence Lesguerres de la faim et de l’eau qui menacent le monde de demain pourraient bien être lesplus terribles que l’humanité ait connues parce que ce seront les plus désespérées. Lesgrandes migrations de population ont déjà commencé et tous les murs du monde ne lesarrêteront pas.

La première mondialisation, celle des années 1870-1914, s’est abîmée dans leprotectionnisme, la guerre économique et la Première Guerre Mondiale. Le sort de ladeuxième mondialisation pourrait être pire si rien n’est fait pour éviter la catastropheécologique.

A ce risque mortel nous devons opposer une politique de la vie.La politique de la vie, elle commence par l’action en faveur de la paix dans le monde.La politique de la vie, elle commence par la compréhension, le respect, la solidarité. La

politique de la vie, elle commence en faisant la guerre aux causes de la guerre.La dictature et le totalitarisme sont des causes de guerre. On combat la dictature et le

totalitarisme par la démocratie et par les droits de l’homme. La France n'est elle-même quequand elle est intransigeante sur la défense de ces valeurs universelles. Les Tchétchènesmassacrés, les Soudanais exterminés au Darfour, les infirmières bulgares embastillées,Ingrid Betancourt emprisonnée. Toutes et tous sont français parce que tous et toutes sontvictimes de l'oppression.

La vengeance et la haine sont des causes de guerre. On combat la vengeance et lahaine par le multilatéralisme, le droit et la justice.

La crispation identitaire est une cause de guerre. On combat la crispation identitairepar le respect des nations et la défense de la diversité culturelle.

L’obscurantisme est une cause de guerre. On combat l’obscurantisme par l’éducationet la culture.

La pauvreté est une cause de guerre. On combat la pauvreté par l’aide audéveloppement.

L’épuisement des ressources est une cause de guerre. On combat l’épuisement desressources en gaspillant moins et en préservant la planète que nous avons reçue enhéritage.

Le réchauffement climatique est une cause de guerre. On combat le réchauffementclimatique en diminuant les émissions de gaz à effet de serre et en respectant le protocolede Kyoto comme une obligation qui devrait être universelle.

Après que les peuples asservis par le communisme eurent brisé leurs chaînes, aprèsque le mur de Berlin eut été abattu, on avait annoncé la fin de l’histoire dans le triompheplanétaire du marché et de la démocratie. Nous savons maintenant que l’histoire n’est pasfinie et qu’elle est hélas toujours aussi tragique.

Nous savons que le monde n’a jamais été aussi instable, aussi dangereux.Il y a dans le monde une demande de protection de plus en plus forte. Il y a dans le

monde de grands murs qui se construisent pour séparer les peuples. Il y a dans le mondeune tentation protectionniste qui renaît. Il y a dans le monde un repliement sur soi et un rejetde l’autre qui grandissent au fur et à mesure que la crise économique, sociale, culturelle

Annexes

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s’aggrave. Partout dans le monde les classes moyennes des pays développés commencentà déserter le camp de l’ouverture pour rallier peu à peu celui de la fermeture.

Partout dans le monde le sentiment d’un danger imminent se renforce. Nous sentonsconfusément que des drames dont nous ne connaissons pas la nature nous menacent.

En attendant, des enfants meurent de faim et de pauvres malheureux cherchant à fuirla misère se noient en tentant de traverser la mer en pirogue.

En attendant, la pollution empoisonne des millions de gens, qui ne s’en doutent pasplus que ceux qui s’empoisonnaient tous les jours un peu plus à l’amiante dans leur usineou leur bureau ne se doutaient jadis qu’un jour ils en mourraient.

En attendant, l’humanité vit dans la peur des maladies qui n’existent pas encoreAprès le SIDA, la vache folle, la grippe aviaire, l’homme vit dans la crainte des produits

cancérigènes, des OGM, et des dangers hypothétiques du téléphone portable dont il nepeut plus se passer.

Nul ne sachant d’où vient le danger on finit par le voir partout.En attendant, des espèces vivantes disparaissent tous les jours, les glaciers polaires

fondent, le désert avance, l’air devient moins respirable.La science et la technique ont cessé d’être une promesse d’avenir meilleur pour devenir

une menace.Depuis Tchernobyl, l’homme vit dans la hantise de l’accident nucléaire et se demande

ce qu’il va faire des déchets radioactifs. Il croit qu’on lui ment tout le temps, que les expertslui cachent la vérité, que des intérêts puissants les manipulent.

L’homme a perdu sa foi aveugle dans le progrès. L’angoisse que son existence est sanscesse menacée le ronge et lui gâche la vie.

Hier il avançait sans réfléchir, persuadé de son bon droit, soumettant la nature à savolonté au nom du progrès, tirant sur les générations futures des traites non remboursables,causant des dégâts à jamais irréparables.

Aujourd’hui il n’ose plus bouger, lesté par le remords, la culpabilité, et le principe deprécaution. Hier on faisait trop. Aujourd'hui pas assez.

Hier se croyant tout permis, et aujourd’hui se voyant tout interdit, le voilà rongé parl’angoisse de se tromper, de faire quelque chose dont l’avenir dirait que c’était une faute.

Certains proposent de tout arrêter, de revenir en arrière, de récuser la science, de mettrela raison de côté. Je ne partage pas cet avis.

Car le procès fait à la science et à la raison pourrait déboucher sur la plus profondedes crises intellectuelles et morales. La montée de l’obscurantisme serait une conséquencepire que le mal que l’on prétendait soigner.

En voulant donner la préférence à la nature sur la culture, à l’instinct sur la raison, àla décroissance sur la croissance, on préparerait une catastrophe pire que celle que l’oncherche à éviter.

On ne sauvera pas l’humanité, on ne préservera pas la planète en abaissant l’homme,en essayant de ressusciter un état de nature qui n’a jamais existé.

On ne sauvera pas l’humanité en faisant de l’écologie une idéologie totalitaire qui sedonnerait pour objectif de libérer l’homme de la civilisation pour le renvoyer à l’état sauvage.

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On ne sauvera pas l’humanité en appauvrissant tout le monde et en partageant letravail. Je refuse que l'on somme l'homme de choisir entre la croissance et l'environnement.Je veux le progrès économique dans le respect de la planète. Je veux l'emploi pour tousavec le développement durable. Je veux l'Europe et la nation. Je veux le mouvement etl'ordre. Je veux la synthèse car la France est une synthèse.

On sauvera l’humanité en remettant de l’humain dans la politique et dans la civilisation.On sauvera l’humanité en mettant la science et l’économie au service de l’homme et

non l’homme au service de la science et de l’économie.On sauvera l’humanité en se battant contre la déraison par la raison.On sauvera l’humanité en lui faisant préférer la recherche du bonheur plutôt que la

volonté de puissance.On sauvera l’humanité en non par la décroissance mais par le développement.On sauvera l’humanité non en détruisant l’économie de marché mais en l’obligeant à

prendre en compte toutes les conséquences et donc tous les coûts.Mais il ne faut pas réduire la politique de la vie à celle de la survie. Il ne s’agit pas

seulement d’éviter le pire. La politique de la vie doit être une politique de civilisation. C’est-à-dire une politique au service d’une certaine idée de l’homme, de sa dignité, de sa liberté,de son bonheur, de son bien-être, de sa capacité à vivre pleinement.

On ne vit pas lorsque l’on est un enfant pauvre.On ne vit pas lorsque l’on est ignorant.On ne vit pas lorsque l’on ne mange pas à sa faim.On ne vit pas lorsque l’on est privé de sa liberté.On ne vit pas lorsque l’on a tout le temps la peur au ventre.On ne vit pas lorsque l’on n’a pas de quoi se loger.On ne vit pas lorsque l’on est malade et que l’on n’a pas les moyens de se faire soigner.On ne vit pas lorsque l’on est harcelé moralement.On ne vit pas lorsque l’on est victime de discrimination ou d’exclusion.On ne vit pas lorsque la souffrance est trop forte.On ne vit pas lorsque l’on veut travailler et que l’on ne trouve pas de travail.On ne vit pas lorsque l’on est condamné à la solitude.On ne vit pas lorsque la vie est trop lourde, trop difficile, trop dure.La vie est devenue plus dure, plus lourde parce qu’on est plus isolé que jadis, parce

que les solidarités se sont distendues, parce qu’il y a moins de solidarité familiale, moins desolidarité de voisinage, moins de solidarité de métier. Jadis le niveau de vie était moins élevémais l’homme n’était pas seul, il était entouré, il était pris en charge, il était protégé. Il étaitmoins libre, mais il pouvait partager les fardeaux de l’existence. Il pouvait s'appuyer sur unetrame de relations humaines et sociales parfois étouffante mais qui lui permettait d'échapperà l’angoisse de la solitude. Solitude paradoxale qui au coeur de nos villes surpeuplées faitvivre tant d’êtres isolés les uns des autres.

Annexes

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Aujourd’hui voilà l’homme seul ou presque dans un monde de pressions, d’incertitude,confronté à la peur de perdre son emploi, à la dégradation de ses conditions de travail, à lapression de la concurrence, à l’exigence de compétitivité, de performance.

La politique de la vie c’est une politique de civilisation qui part du principe que la vien’est pas une marchandise, que tout ce qui touche intimement à la vie ne relève pas d’unelogique commerciale, que l’éducation, la santé, la culture ne peuvent pas être livrées auseul jeu du marché.

La politique de la vie c’est une politique de civilisation qui part du principe que la qualitéest plus importante que la quantité, que s’agissant de ce qui touche intimement à la vie,les critères qualitatifs sont plus importants que les critères quantitatifs même s’ils sont plussubjectifs.

Mais c’est bien pour cela que la politique existe : parce que tout n’est pas quantitatif.C’est bien pour cela que la politique participe de la civilisation, parce que la civilisation c’estdavantage de la morale, de l’esthétique, du spirituel que de la comptabilité.

La politique de la vie c’est la politique qui donne à tous les hommes un statut et uneutilité sociale. La politique de la vie c’est celle qui permet à tous les hommes de travailleret de s’émanciper par le travail. Je veux rendre au travail sa valeur morale et sa capacitéd’émancipation.

Je veux rendre au travailleur la première place dans la société. Je n'accepte pas quel'assisté ait les mêmes revenus que le travailleur.

C’est tout le sens de mon projet politique : je veux redonner au beau nom de travailleurle prestige qu’il a perdu, parce qu’en abaissant le travailleur on a abaissé l’Homme.

Je veux réhabiliter le travailleur qui a été trop longtemps ignoré par la droite et qui aété trahi par la gauche.

La fin du travail est un mythe. Le grand problème de la France c’est qu’elle travaillemoins quand les autres travaillent plus. Le grand problème de la France c’est qu’elle ne créeplus assez de travail pour financer les retraites, la protection sociale, pour rembourser ladette, pour élever le niveau de vie, pour réduire la précarité, le chômage, les inégalités, pourfaire fonctionner notre modèle d’intégration sociale. Ce problème est un problème moral.La crise de la valeur travail est au coeur de la crise morale.

Le travail n'est pas l'ennemi !Le travail c’est le moyen par lequel l’homme se libère de la rareté et de la violence.

C’est l’égalité des chances, c’est la promotion sociale, c’est le fondement de la citoyenneté.Derrière la crise du travail il y a le sentiment désespérant que la promotion sociale

est impossible, que le mérite n’est plus récompensé et que le travail ne paye plus, qu’il neprotège même plus de la pauvreté. Avec la crise de la valeur travail c’est l’espérance quidisparaît. Comment espérer encore si le travail ne permet plus de se mettre à l’abri de laprécarité, de s’en sortir, de progresser ?

Je n'accepte pas qu'il puisse exister des travailleurs pauvres alors que l'on a déjà bienassez à faire avec ceux qui sont pauvres parce qu'ils n'ont pas de travail !

La France sans paysan, sans artisan, sans ouvrier serait une France appauvriemoralement, culturellement, économiquement. Je pense aussi aux employés, auxtechniciens, aux ingénieurs, aux cadres, je pense aux infirmières, je pense aux professeurs,aux médecins, à tous ceux qui aiment leur métier, qui en sont fiers.

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Ils considèrent qu’ils doivent le faire le mieux qu’ils peuvent. Ils ont ce sens du devoir, cesens moral, ce courage qui sont des valeurs auxquelles je crois, qui sont les valeurs autourdesquelles les Français doivent se rassembler parce que ce sont les valeurs de la France.

Les travailleurs incarnent un type de civilisation, un type d’homme qui respecte le travailcomme une condition de la liberté, qui pense que l’honneur c’est toujours s’efforcer de fairele mieux possible ce qu’on a à faire, que la dignité c’est de ne rien devoir qu’à soi-même etque le premier devoir d’un homme c’est de transmettre ses valeurs à ses enfants.

Aux ouvriers qui ont tant de savoir-faire, aux paysans qui depuis des générations fontfructifier leur terre, aux artisans qui n’aiment que ce qui est parfait et dont les secrets setransmettent de génération en génération depuis des siècles, aux ingénieurs qui subissenteux aussi la concurrence des ingénieurs de l’Inde ou de la Chine dix fois moins payés, jeme refuse à dire que tout est fini, qu’il n’y a plus de place pour eux, qu’ils doivent disparaître,qu’ils ne servent plus à rien. Jeveux leur dire que rien n’est perdu. Un métier qui disparaît,un village qui se vide, un bassin industriel qui s’effondre, c’est un drame. Aucune nécessitééconomique ne justifie que la politique soit indifférente à ce drame et à la

souffrance qu’il cause. Nulle impuissance publique n’oblige à accepter sans rien fairece gâchis humain qu’un petit effort d’imagination, de volonté et de morale suffirait à éviter.A quoi sert la politique si on ne peut rien faire sur rien ? A quoi sert la politique si la seuleloi qui s’impose est celle de la rentabilité à court terme ? A quoi sert la politique si elle secontente d’accompagner une sorte de sélection naturelle qui fait triompher le fort et anéantitle faible, si elle ne donne pas sa chance à chacun ?

A quoi servirait d'être candidat si on n'a rien à dire, à proposer, à faire parce que l'on adécidé de s'agenouiller devant la fatalité. La fatalité ne fait pas partie de mon vocabulaire.

La politique de la vie c’est celle qui se fixe pour objectif qu’il n’y ait plus de travailleurspauvres.

La politique de la vie c’est celle qui fait de l’amélioration des conditions de travail unepriorité.

La politique de la vie c’est celle qui n’accepte pas que les accidents du travail soient plusfréquents en France qu’ailleurs, et qui fait payer des primes plus élevées aux entreprisesqui enregistrent plus d’accidents.

La politique de la vie c’est le contraire de l’égalitarisme et de l’assistanat qui sontdégradants pour la personne humaine. Ils empêchent ceux qui veulent réussir de réussir.Ils démoralisent ceux qui se donnent du mal. Ils rendent toujours plus dépendants et plusvulnérables ceux qui en bénéficient. Ils tirent tout le monde vers le minimum au lieu de tirerchacun vers le maximum.

Le Parti Socialiste veut une société du minimum, je souhaite une société du maximum,parce qu’avec le minimum on ne vit pas, on survit.

La politique de la vie c’est celle qui aide ceux qui en ont besoin, ceux que les accidentsde la vie ont abîmés au point qu’ils n’arrivent plus à se tenir debout tous seuls. Ma France,c’est celle qui ne laisse personne dans la détresse, où l’Etat tend la main à l’enfant pauvre,au malade, au handicapé, à la personne âgée qui est dépendante, où l’Etat accompagneceux qui veulent s’en sortir, ceux qui sont prêts à faire un effort sur eux-mêmes, où l’Etatdonne à ceux qui n’ont plus la force de vouloir, l’énergie de vouloir de nouveau.

Annexes

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Car vouloir pour soi-même, c’est espérer encore. Et toute la grandeur de l’homme estdans cette espérance qui le pousse à se dépasser, qui fait de sa vie une aventure danslaquelle rien n’est écrit par avance, qui le fait acteur et non spectateur de sa propre histoire.

La politique c’est celle qui a pour but que brûle toujours dans le coeur de chacun laflamme de l’espérance qui indique à l’homme qu’il est maître de sa destinée.

Si je souhaite qu’il n’y ait plus aucun revenu d’assistance sans une activité d’intérêtgénéral qui en soit la contrepartie, c’est parce que je veux que celui qui est secouru retrouvel’estime de lui-même dans la reconnaissance de son utilité sociale. Sans l’estime de soi onne vit pas, on survit.

Si je veux qu'on ne puisse pas refuser plus de 2 fois une offre d'emploi qui correspondà ses compétences c'est parce que je veux lutter contre la fraude, les fraudeurs et tous ceuxqui ne comprennent pas qu'il n'y a pas de droits sans contre-partie de devoirs.

La politique de la vie c’est celle qui combat et qui sanctionne durement toutes les formesde harcèlement, d’exploitation et de discrimination.

La politique de la vie c’est celle qui bâtit une école qui apprend la vie aux enfants et quiles aide à devenir des adultes et non à rester de grands enfants.

La politique de la vie c’est celle de Jules Ferry lorsqu’il écrit la lettre aux instituteurs :« Monsieur l’instituteur,Vous êtes l’auxiliaire du père de famille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez

qu’on parlât au vôtre.Il ne suffit pas que vos élèves aient compris et retenu vos leçons ; il faut surtout que

leur caractère s’en ressente : c’est surtout hors de l’école qu’on pourra juger de ce qu’a valuvotre enseignement.

Vous avez flétri l’égoïsme et fait l’éloge du dévouement : ont-ils, le moment d’après,abandonné un camarade en péril pour ne songer qu’à eux-mêmes ?

Votre leçon est à recommencer. Et que ces rechutes ne vous découragent pas !Ce n’est pas l’oeuvre d’un jour de former une âme libre. »La politique de la vie c’est celle qui ne tolère pas l’enfant racketté, la jeune fille violée, la

loi des grands frères, qui ne tolère pas l’excision, la polygamie, l’infériorisation de la femme.La politique de la vie aujourd’hui c’est celle qui, tout en responsabilisant les familles, les

aide à élever leurs enfants quand elles en ont besoin. C’est celle qui verse une allocationdès le premier enfant parce qu’il représente une charge très lourde pour un jeune couple.C’est celle qui soutient les parents trop jeunes ou trop pauvres. La jeune mère qu’on gardele moins longtemps possible à la maternité, qui ne peut compter sur aucun conseil, suraucune aide, qui est parfois isolée, loin de sa famille, seule pour faire face parce que lepère est absent, qui va être vite confrontée à la difficulté de travailler tout en s’occupantde son enfant.

La politique de la vie c'est celle qui fait comprendre que la famille n'est pas qu'un lieupour recevoir des allocations mais aussi pour transmettre une éducation.

Pour ceux qui n'exercent pas leurs responsabilités parentales je demande la mise soustutelle des allocations familiales.

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L’enfant est innocent, l’enfant n’est pas responsable. La pauvreté, la misère il les subit.Il n’y est pour rien. Il faut aider l’enfant, lui donner sa chance, détecter le plus tôt possible sesdifficultés, ne pas le laisser s’abîmer, ne pas le laisser s’enfermer, se replier sur lui-même.

La politique de la vie c’est celle qui organise l’étude pour que les orphelins de 16heures dont les parents travaillent puissent faire leurs devoirs à l’école au lieu d’être livrésà eux-mêmes. C’est celle qui accueille dans des internats d’excellence les bons élèves desfamilles les plus modestes qui ne peuvent pas étudier chez eux.

La politique de la vie c’est celle qui permet de se former tout au long de la vie.C’est celle qui offre une deuxième chance à ceux qui ont quitté l’école trop tôt et qui

veulent reprendre des études ou une formation.La politique de la vie c’est la politique qui lutte contre l’immigration clandestine qui fait

la fortune des marchands de sommeil et des passeurs sans scrupule qui n’hésitent pas àmettre en danger la vie des pauvres malheureux dont ils profitent de la détresse et qui sontsouvent employés au noir dans des conditions honteuses. Celui qui a été reconduit dansson pays ne doit pas pouvoir obtenir de titre de séjour pendant les 5 ans qui suivent. Et lesétrangers en situation irrégulière doivent être exclus du droit au logement opposable.

La politique de la vie c’est l’immigration maîtrisée, c’est la fixation chaque année lenombre des étrangers que nous pouvons accueillir dans des conditions qui permettent derespecter la dignité des personnes. C'est l'obligation pour celui qui veut résider en Francede parler et d'écrire le français. C'est l'obligation pour celui qui veut faire venir sa famillede prouver qu'il a des revenus de son travail suffisant pour la faire vivre et un logementpour la loger.

La politique de la vie c’est la politique de la qualité de la vie. C’est la politique qui arrachel’homme à la laideur. C’est politique du paysage. C’est la politique des entrées de ville quicesseraient d'être défigurée. C’est la politique de la ville. Pas seulement des quartiers maisde la ville tout entière, de l’architecture, de l’urbanisme, c’est la politique de la ville durable,de la qualité de la ville, de

l’écologie urbaine.C’est la politique du bruit, avec des logements insonorisés, des murs antibruit, et dans

les agglomérations des voies routières enterrées chaque fois que c’est possible.La politique de la vie c’est la lutte contre la solitude, ce drame de nos sociétés

contemporaines auquel la politique jusqu’à présent ne s’est jamais intéressée. Je veux faire,si je suis élu, de la solitude une des grandes préoccupations des politiques publiques, neserait-ce que pour éviter le drame que nous avons vécu en 2003 lors de la canicule oùdes milliers de personnes âgées sont mortes sans que personne ne s’en rende compte. Cen’est pas l’idée que je me fais d’une société humaine. Ce n’est pas l’idée que je me faisdu respect de la personne.

La politique de la vie c’est la politique du respect absolu de la vie mais jusqu’à la limitede la souffrance humaine, car il n’y a qu’une seule limite, celle où la souffrance est si grandequ’elle détruit la vie. Notre société ne peut pas se dispenser de réfléchir à cette question,parce que nul ne peut rester indifférent à la souffrance extrême.

La politique de la vie c’est la politique de la santé. La politique de la santé ce n’est pasla politique des comptes, c’est la politique de santé publique. Je souhaite que le Ministèredes Finances gère les comptes et que le Ministère de la Santé s’occupe de la santé desFrançais.

Annexes

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La politique de la vie c’est la priorité donnée à la recherche sur le cancer. C’est la prioritédonnée à l’insertion des malades dans la vie sociale, à la lutte contre les réflexes d’exclusiondont ils font l’objet.

Les grandes maladies du siècle s’appellent aussi le mal de vivre, le malaise existentielde la jeunesse, le suicide. On n’en parle jamais. On en a honte. Je veux parler de cela aussi.Je veux parler de la maladie, de la dépression, de ce qui atteint la personne au plus profondde son être, du regard que la société porte sur ces fléaux, sur cette souffrance qui n’estpas matérielle mais qui est humaine, qui est physique, qui est morale. La vie est devenuesi lourde pour certains de nos compatriotes. Je veux engager puissamment la recherchemédicale française vers le soulagement de ce mal dont on parle si peu mais qui est si présentpour les jeunes comme les moins jeunes et qui n'est rien d'autre que le mal de vivre.

Je n'accepte pas qu'un seul malade ait honte de sa maladie, honte de mettre un genouà terre, honte de trouver que la vie est si lourde. L'humanité c'est comprendre cette réalité.

Mais c’est évidemment dans le combat écologique que se trouve la possibilité d’agirsur les causes qui menacent la vie. L’écologie ce n’est pas un problème de confort. C’estle problème même de la vie qui se trouve posé. Nous avons tous failli. Gauche, droite, nuln'a de leçons à donner.

Il est temps de réagir.La réponse au défi écologique c’est une politique qui fait prévaloir le point de vue de

la vie sur tous les autres.La politique qui fait prévaloir le point de vue de la vie c’est une politique de

responsabilité.Pour préserver l’avenir il faut que les générations présentes cessent de préempter

toutes les ressources des générations futures. Il faut que chacun d’entre nous cesse de tirerdes traites écologiques sur les générations à venir. La vie détruite ne ressuscitera pas. Lesressources épuisées ne reviendront pas.

L’équité entre les générations est une nécessité vitale et morale. Elle exige que chacunpaye ce qu’il consomme. Elle exige que chaque génération supporte entièrement le coûtdes décisions qu’elle prend sans le reporter sur les suivantes.

C'est parce que nous avons tous une responsabilité illimitée vis-à-vis des générationsfutures que je souhaite, dans l'économie, que les maisons-mères soient responsables defaçon illimitée des dégâts causés à l'environnement par leurs filiales. Je n'accepte pas quel'on puisse saccager un territoire et fuir du jour au lendemain sans avoir de compte à rendresur ses actes. C’est une révolution par rapport au droit commun de la responsabilité limité.Cette révolution, je souhaite que la France l’accomplisse. Mais si je suis élu je proposeraià nos partenaires de l’inscrire dans le droit européen.

La politique qui fait prévaloir le point de vue de la vie, c’est une politique dedéveloppement durable.

Le développement durable ce n’est pas la fin du travail, c’est l’emploi durable.Ce n’est pas la croissance zéro, c’est la croissance durable.Ce n’est pas le rejet de la technique, c’est la technologie propre.Ce n’est pas l’abolition du marché, c’est le principe pollueur-payeur.Ce n’est pas la frilosité, c’est la responsabilité.

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La deuxième révolution que je vous propose, c’est de faire du développement durablele critère de toutes nos politiques publiques.

En encourageant par tous les moyens le passage d’une société où il sera moins cherde recycler que de jeter.

En changeant nos modes de décision, de production, de transport. Je veux moins decamions et plus de trains.

En mettant des objectifs environnementaux dans la politique de la commande publique.En investissant dans le nucléaire qui ne produit pas de gaz à effet de serre et qui est

une énergie propre.En investissant massivement dans la recherche et le développement des énergies

renouvelables.En réformant en profondeur notre fiscalité.Puisque la délocalisation de l’emploi oblige à chercher des alternatives à la taxation du

travail, je propose que l’on décide de substituer la taxation de la pollution à la taxation dutravail. Je préfère taxer le pollueur que le travailleur.

Puisque les produits respectueux de l’environnement reviennent plus cher que lesautres, je propose qu’ils bénéficient dans toute l'Europe d’une TVA à taux réduit.

Puisque certains pays pratiquent le dumping écologique en polluant l’atmosphèrependant que les autres sont obligés de respecter des normes rigoureuses qui augmententleurs prix de revient je propose de taxer le contenu en carbone des produits importés etd’entraîner l’Europe dans cette direction pour donner un contenu à la notion de préférencecommunautaire et pour moraliser la

mondialisation.La politique qui fait prévaloir le point de vue de la vie, c’est une politique qui se

soustrait à la seule logique commerciale. C’est une politique qui soumet le libreéchange àla responsabilité écologique.

Si je suis élu, la France proposera la création d’une Organisation Mondiale del’Environnement qui aura pour mission de forger et de faire respecter un droit internationalde l’environnement avec la même force que l’OMC met à faire respecter les règles du droitinternational du commerce et les règles du libreéchange.

Si je suis élu, la France fera de l’émergence de ce nouvel ordre juridique internationall’une des priorités de son action diplomatique. Car c’est à l’échelle planétaire et non àl’échelle de chaque nation, ni même de chaque continent, que nous parviendrons à lutterefficacement contre tout ce qui menace d’abîmer la vie.

Je sais que la planète ne sera pas sauvée seulement parce que les pays riches ferontdes efforts, ni a fortiori parce que seulement une partie d’entre eux y consentira. Il faudraque tous s’y mettent.

Il faudra donc que la démocratie progresse. Ce sont les régimes les plusantidémocratiques qui ont été responsables des plus grandes catastrophes écologiques dusiècle dernier. Il n’y a pas de place pour le débat sur l’environnement dans les dictatures.

Il faudra que le problème du sous-développement soit résolu. Il est bien difficile de seprojeter dans le futur quand on meurt de faim.

Annexes

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Mais on ne résoudra pas le problème du sous-développement seulement par lacompassion et la charité. On ne le résoudra pas non plus en développant les unsau détriment des autres. On ne nourrira pas le Tiers Monde en détruisant l’agricultureeuropéenne mais en assurant l’autosuffisance alimentaire de chaque région du monde. Onne sauvera pas la planète en faisant du Tiers Monde la poubelle industrielle de l’Occident.

Le vrai défi c’est celui du co-développement.C’est la reconnaissance d’un intérêt commun.C’est le partage de la technologie, de la connaissance, des compétences, des

médicaments.Ce sont des pôles de compétitivité communs, des laboratoires communs, des

universités communes.C’est le libre échange négocié et régulé.C’est une immigration choisie, c'est-à-dire décidée ensemble, organisée ensemble,

maîtrisée ensemble.Je souhaite que le service civique obligatoire dont j’ai proposé la création offre la

possibilité à tous les jeunes Français qui le souhaitent de s’engager dans les grandes causeshumanitaires du monde et dans le co-développement.

Parce que c'est la jeunesse qui tient l'avenir du monde entre ses mains.C'est toujours la même chose : la France a un rôle particulier à jouer sur la scène du

monde, c'est parce qu'elle est toujours plus grande lorsqu'elle l'est pour les autres.J'ai voulu vous parler de la vie parce que c'est en donnant à chaque français le

sentiment que sa vie vaut la peine d'être vécu, c'est en lui permettant de trouver un sens àsa vie dans l'accomplissement de ses rêves, c'est en lui procurant les moyens de faire desa vie une aventure dont il sera le héros, c'est en permettant de vivre et pas seulement desurvivre que la France redeviendra la France, c'est à dire l'un des noms que les hommesdonnent au bonheur de vivre et à la fraternité.

En ces temps de repentance où l'on veut faire expier par les fils les fautes des pèreset raviver les vieilles haines qui appartiennent à l'histoire, en ces temps où la nation estdénigrée, où des français se font un titre de gloire de haïr la France, je veux dire que, pourtout français, la haine de la France exprime d'abord la haine de soi. Que cette haine de soiest la forme la plus achevée de la haine de la vie.

Peut être parce que tous ceux là qui préfèrent par principe la haine à la fraternité,n'ayant pas eu à affronter le malheur se fabriquent eux même une souffrance qui leur donnela sensation d'accomplir quelque chose d'héroïque.

Jadis, deux écrivains français conjuguèrent leur talent pour écrire ce chant de douleur,de fraternité et de liberté que l'on devrait faire lire à tous nos enfants pour leur apprendre àaimer la France et à aimer la vie, pour leur donner la fierté d'être ce qu'ils sont.

"Ici, chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait, quand il passeami, si tu tombe, un ami sort de l'ombre à ta place,demain du sang noir séchera au grand soleil, sur les routes.Chantez compagnon, dans la nuit, la liberté nous écoute."Merci Maurice Druon pour ce chant des partisans qui contient toute l'âme de la France.

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Je n'ai plus que deux choses à vous dire, deux choses qui viennent du fond du coeur,Vive la République,Vive la France.Annexe 4 : Programme électoral du premier touCes photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation

Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de LyonAnnexe 5 : Programme électoral du second tourCes photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation

Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Chapitre 3 : Le personnage de Libération (articles)Annexe 1 : « Un déficit de popularité chez les étudiants », Anne Muxel, chercheuseau Centre d’études de la vie politique française, propos recueillis par Renaud Dely,4 septembre 2006

Anne Muxel, chercheuse au Centre d'études de la vie politique française, a réalisé unevaste enquête auprès des 18-30 ans un an avant l'élection présidentielle (1). Elle décrypteces jeunesses divisées dont l'une, scolarisée ou diplômée, est fortement hostile à NicolasSarkozy quand l'autre, plus populaire, est parfois séduite.

Pourquoi Nicolas Sarkozy est-il peu apprécié par les jeunes ?Il faut nuancer l'ampleur du déficit dont souffre Nicolas Sarkozy dans cette catégorie.

Certes, dans notre enquête du baromètre politique français, 42 % des moins de 30 ansle jugent «sympathique» contre 63 % pour l'ensemble des Français. Mais avec ce score ilreste parmi les candidats qui enregistrent le taux de sympathie le plus fort. On ne peut doncpas dire qu'il est rejeté ou marginalisé par l'ensemble de la jeunesse. En fait, il n'existe pasune, mais des jeunesses. Son déficit de popularité concerne surtout la jeunesse étudiante,scolarisée, qui a une sensibilité plus à gauche que la moyenne des Français et qui, dansnotre étude, penche pour Ségolène Royal ou Lionel Jospin. A l'inverse, ceux qui sont sortisdu système scolaire, qui sont déjà au travail ou en recherchent d'emploi, bref les jeunespeu diplômés, apprécient davantage Sarkozy. Il peut séduire ces jeunes qui se sententdéconsidérés, qui vivent un malaise identitaire et sont en manque de repères. Toutefois, iln'y a pas d'homogénéité de ces jeunes issus des catégories populaires. Il existe un fosséen leur sein, accru par la crise des banlieues de l'automne 2005, entre les jeunes d'origineétrangère, globalement réfractaires à Sarkozy, et les autres.

60 % des jeunes déclarent que Sarkozy les inquiète. C'est l'«effet Kärcher» ?En partie, sans doute. Mais il faut rappeler que Nicolas Sarkozy est ministre de l'Intérieur

et que le locataire de la place Beauvau est toujours moins apprécié chez les jeunes. C'étaitaussi le cas à gauche de Jean-Pierre Chevènement avec ses «sauvageons». Le ministre del'Intérieur est chargé de la police, une institution assez impopulaire chez les jeunes. Chezles étudiants, Sarkozy souffre aussi de sa casquette de chef du grand parti de la droite.Sur certaines valeurs touchant à l'ordre et à l'autorité, il existe un véritable divorce. A undegré moindre, Ségolène Royal a le même souci avec son slogan sur «l'ordre juste». La

Annexes

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jeunesse étudiante perçoit des traits communs aux deux candidats sur les thématiquesliées à la discipline et à la règle. La rupture avec Sarkozy est plus profonde parce qu'ilprône aussi une grande fermeté sur la question de l'immigration, une répression accruede la consommation du cannabis, ou encore parce qu'il prend position contre le mariagehomosexuel et l'homoparentalité. Sur certains de ces thèmes, il est perçu par la jeunesseétudiante comme défendant des positions proches de celles de Le Pen. Et rappelons queLe Pen, comme Sarkozy, est fort chez les jeunes travailleurs peu diplômes et les jeuneschômeurs.

Sarkozy a-t-il besoin de se soucier d'un électorat qui se mobilise peu ?Certes, les jeunes s'abstiennent et se dispersent davantage que leurs aînés. Mais les

18-25 ans, c'est tout de même 13 % du corps électoral, ce n'est pas négligeable. Et ilsgardent en mémoire le 21 avril 2002. Ils sont nés à la politique avec les manifestationsde l'entre-deux-tours contre Le Pen et ont montré lors de la crise du CPE qu'ils pouvaienttoujours se mobiliser. Au-delà de leur poids arithmétique, il faut souligner que leur attitudediffuse dans d'autres classes d'âge, en particulier à travers leurs parents, comme lemontrent les mobilisations anti-CPE. De même, le mouvement de décembre 1995 était-ilparti des étudiants. Le comportement des jeunes peut donc créer des solidarités, et irriguerl'ensemble du corps électoral : Sarkozy, comme les autres candidats, a raison de s'enpréoccuper.

(1) «La jeunesse dans la crise du CPE, un an avant l'élection présidentielle :protestation, politisation, défiance, distance ?», première vague du baromètre politiquefrançais 2006-2007, consultable sur le site du Cevipof.

Annexe 2 : « Travail, jeunesse, patrie selon Sarkozy » , Antoine Guiral et VanessaSchneider, 4 septembre 2006

A peine converti, déjà en photo. Doc Gyneco était hier bras dessus bras dessous avecNicolas Sarkozy en couverture du journal des jeunes UMP. Pour cette dernière journéedes universités d'été du parti, qui se sont tenues pendant trois jours à Marseille, c'est aucôté de Johnny Hallyday, 63 ans, que le numéro 2 du gouvernement a tenu à s'adresser à«une jeunesse qui a cessé d'écouter les hommes politiques et de leur faire confiance». Unejeunesse surtout qui reste son gros point faible dans les sondages et influence désormais lesparents lors des votes. Pour elle, il a joué au prof d'histoire empathique parlant des jeunes àtravers les âges, de la Renaissance à aujourd'hui. Rendant hommage aux révolutionnairesde 1789 comme aux surréalistes de l'après-Grande Guerre, une seule génération ne trouvepas grâce à ses yeux, celle des «enfants gâtés» de Mai 68 «qui célébraient Mao etCastro, tyrans du monde». «Elle installa partout, dans la politique, dans l'éducation, dansla société, une inversion des valeurs et une pensée unique dont les jeunes sont aujourd'huiles principales victimes.» Citant Blum, Jaurès, Ferry, il a au passage accusé «la gauche deJospin, Royal et Hollande» de les avoir trahis.

Persuadé qu'on «ment» aux jeunes «en les infantilisant», il s'est posé en père Fouettardà l'ancienne (donc hostile à la méthode globale pour la lecture) qui aime les enfants qui «selèvent tôt le matin». Il encourage les «pédagogues» à ne pas leur dire «toujours oui». Auxjeunes, il applique en fait ses vieilles marottes libérales et de valorisation du mérite. Touten leur rappelant, sous quelques sifflets au fond de la salle, que le pape Jean Paul II «étaitet restera une référence pour la jeunesse du monde». Critiquant à demi-mot le CPE deDominique de Villepin, il propose la création d'«un service civique par lequel chaque jeuneFrançais entre 18 et 30 ans donnera aux autres six mois de son temps» (lire ci-contre).

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Sur l'éducation, c'est ambiance pensionnat de Chavagnes. «Je veux une école durespect où les élèves se lèvent quand le professeur arrive» et «relever le niveau d'exigence»tout en «empêchant ceux qui ne veulent pas travailler d'empêcher les autres de le faire», a-t-il déclaré. Il propose par ailleurs d'interdire d'entrer en 6e aux enfants qui ne savent pas lireet écrire. Tout en s'adressant à la «génération de la communication et des marques [...], del'Internet, du portable, du rap et de la techno», il a affirmé que la culture classique n'est plustransmise aux enfants et a regretté l'époque où l'on récitait «les fables de La Fontaine etquelques vers de Verlaine ou de Victor Hugo». Et de vanter, reprenant les mots de Raffarin,«l'intelligence de la main».

Le futur candidat de l'UMP à la présidentielle rêve d'une jeunesse respectueuse dudrapeau français et de la Marseillaise : «Aimez la France. Battez-vous pour construire, nonpour détruire.» Dix mois après les émeutes en banlieue, il a lancé : «On ne change pas lemonde en brûlant la voiture du voisin, en renversant la table, en insultant son professeur.» Al'adresse des jeunes d'origine étrangère, il a multiplié les mises en garde douteuses («Haïrla France, c'est se haïr soi-même») et prévenu : «On ne devient pas français malgré soi,on le devient parce qu'on le désire ardemment.»

Lors d'une rencontre informelle avec la presse vendredi, il affirmait ne «pas croire àla mobilisation des jeunes» contre lui. Interrogé sur Diam's, la chanteuse à succès quifustige dans un de ses titres «Sarko le démago» et ajoute même en live «Sarko facho», il aconstaté : «Ça a toujours existé, tous les candidats de droite ont eu des artistes de gauchecontre eux. Je ne peux pas faire l'unanimité.» C'est sûr.

Annexe 3 : « Sarkozy, au chaud place Beauvau » , Vanessa Schneider, 21novembre 2006

Cet après-midi, à la tribune de l'Assemblée nationale, Nicolas Sarkozy se livrera àun de ses numéros favoris, celui du grand discours sécuritaire. Cette loi sur la préventionde la délinquance tombe à point pour lui : alors que le Parti socialiste vient de désignersa candidate, le ministre de l'Intérieur veut montrer à ceux qui le pressent de quitter legouvernement pour se consacrer entièrement à sa propre candidature qu'il est encoreutile place Beauvau. «La sécurité, Ségolène Royal en parle, Nicolas agit, c'est la grandedifférence», insiste un des conseillers du patron de l'UMP. Même s'il a reculé face àDominique de Villepin, notamment sur les peines planchers qu'il a recasées dans leprogramme UMP pour les législatives -, il a obtenu de faire passer son texte avant la fin de lamandature. Il en profitera pour marteler son discours répressif sur les mineurs délinquants,surfant sur l'émotion suscitée par plusieurs faits divers violents, dont l'attaque du bus àMarseille.

Vulnérable. Pour Nicolas Sarkozy, il n'est pas question de faire ses valises avantle 14 janvier, date de la désignation du candidat UMP. Batterie de sondages à l'appui,il est convaincu que les Français, encore très préoccupés par la délinquance, ne«comprendraient pas» qu'il quitte son poste de premier flic de France. «Les gens le voientencore ministre et veulent qu'il continue à agir», assure son entourage. Outre le plaisir et leconfort matériel qu'il trouve à être au coeur du pouvoir, le ministre craint d'être remplacé parun chiraquien hostile à sa candidature. Lui, qui avait expliqué son retour à Beauvau pourpouvoir contrôler les officines, refuse de lâcher la place pour les mêmes raisons. Attaquésans relâche par le dernier quarteron de la chiraquie, il craint d'être encore plus vulnérablehors du gouvernement.

Cible parfaite. Mais rester à l'Intérieur ne comporte pas que des avantages. Son bilanà Beauvau n'est pas mirobolant, ce que ses adversaires ne manqueront pas de lui rappeler.

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Cette semaine, les policiers votent pour leurs représentants syndicaux, une élection qui,de l'avis même du cabinet du ministre, pourrait voir une victoire de l'UNSA (gauche). Si cepronostique se révèle exact, Nicolas Sarkozy, qui a axé toute sa politique en se posant enmeilleur défenseur des forces de l'ordre, en sortira forcément affaibli. «Les syndicats sontdans une logique de surenchère, minimise-t-on au ministère, et si ceux de gauche gagnent,c'est parce qu'ils ont fusionné. Ils nous critiquent peut-être, mais ont été avec nous surtoutes les lois que l'on a portées.» L'autre inconvénient à rester numéro 2 du gouvernementest que Sarkozy sera responsable de l'héritage de la majorité depuis 2002, ce qui en feraune cible parfaite pour sa principale rivale, Ségolène Royal. «Qu'il s'en aille ou pas, il seraattaqué de toute façon», préfère philosopher son entourage.

Annexe 4 : « La mue solitaire du petit Nicolas grognon » , Vanessa Schneider,4 septembre 2006

Regonflé à bloc. Oublié le petit Nicolas grognon et enrhumé qui regardait Dominiquede Villepin sortir de l'eau bronzé et sûr de lui sur la plage de La Baule l'été dernier. Quittépar sa femme, menacé par la popularité montante du Premier ministre, le patron de l'UMP,nerveux, agressif et fragile, n'en menait pas large. Un an après, il affiche une mine insolenteet un moral d'acier. Son couple s'est ressoudé, il est resté au top dans les sondages et,à quelques mois de la présidentielle, il s'est débarrassé de tous ses rivaux potentiels àdroite. Seule «MAM» semble encore y croire (lire ci-contre). Lors d'un apéritif informel avecla presse vendredi soir, il ne cachait pas son appétit d'en découdre. «Je voulais le parti, jel'ai. Je voulais rester haut dans les sondages, je le suis. Je voulais incarner à la fois le passéet le présent, c'est fait.» L'immense succès de son livre Témoignage (325 000 exemplairesfacturés aux libraires, selon lui) a achevé d'enflammer son ego : «C'est du jamais-vu !»

«Je ne sais pas si je serai élu», dit-il avec une gourmandise dans les yeux qui lemontre déjà certain de son fait. «Je ne suis pas inquiet, je n'ai pas peur», poursuit-il. Avecses proches, il compose déjà son futur gouvernement. Comme du temps de Balladur en1995... Cet homme, qui se décrit comme «solitaire» et ne fait confiance à personne, seméfie encore des chausse-trapes des chiraquiens : «Je reste vigilant.» Rien, pourtant, nesemble pouvoir l'arrêter. Les socialistes ? «Le travail de démolition, ils le font entre eux !»Ségolène Royal ? «Le vide sidéral.» Un retour de Jospin ? «Il a fait une erreur stratégique.L'idée que les gens se prosterneraient à l'île de Ré pour lui demander de revenir est pour lemoins étrange.» Bayrou qui l'accuse d'avoir tous les patrons de presse à sa botte ? «Je voislà la détresse d'un candidat en perdition dans les sondages.» Jacques Chirac à nouveaucandidat ? «Pas un problème.» Jean-Marie Le Pen ? «Je ne le vois pas comme un dangerpour la France.» Le retour d'Alain Juppé : «Je n'ai besoin de personne, c'est en soi que l'ontrouve les ressources.»

C'est cet égocentrique qui met aujourd'hui davantage en avant le rassemblement que la«rupture». «Ce n'est pas que je le veux, c'est que je le dois», précise-t-il. «Je dois rassemblerpour rassurer, dit-il, mes différences, je les ai déjà assez montrées ces dernières années, cen'est plus la peine d'en rajouter.» Cette nouvelle posture lui permet de justifier sa présenceau gouvernement alors que certains de ses amis le poussent à marquer sa différence avecChirac et Villepin pour mieux incarner le changement dans l'opinion. «La question ne seposera qu'à partir du mois de janvier», date de la désignation du candidat UMP. Mais il seprépare déjà à rester plus longtemps : «Comment partir s'il y a des attentats terroristes parexemple ?» Sa stratégie est définie de longue date : «Je cours dans ma ligne, sans mepréoccuper des autres.» Les autres, eux, ne devraient plus tarder à s'occuper sérieusementde lui.

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Annexe 5 : « Sarkozy n’est pas en sécurité » , Vanessa Schneider et Jean-Dominique Merchet, 6 décembre 2006

Et de dix. Le projet de loi sur la prévention de la délinquance adopté hier à l'Assembléenationale est le dixième texte relatif à l'insécurité voté par la droite depuis 2002. Sanscompter les deux lois sur l'immigration. Ce dernier texte important de la législature deNicolas Sarkozy, sur un thème pilier de sa campagne présidentielle, accroît les pouvoirsdes maires et durcit les sanctions contre les mineurs délinquants et les multirécidivistes. Ilprévoit également des sanctions dès l'âge de 10 ans et de la détention provisoire dès 13ans. Cette loi n'a mobilisé qu'une poignée de députés dans l'hémicycle, comme si les élus,même UMP, s'étaient lassés de cette avalanche législative. Et pourtant, dès aujourd'hui, lacommission des lois se penche sur une nouvelle réforme de la justice.

Giron. Rarement un sujet n'aura été autant traité en une seule mandature et pour desi piètres résultats. Cette inflation législative tient évidemment à la personnalité du ministrede l'Intérieur, qui, dans sa logique présidentielle, a voulu incarner l'«action» au sein desgouvernements Raffarin et Villepin. L'insécurité a été au centre de la campagne de 2002 et laprésence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle a convaincu le patron del'UMP que seule une politique sécuritaire renforcée pourrait faire revenir les électeurs du FNdans le giron de la droite classique. Mais quatre ans et demi après, Le Pen semble ne s'êtrejamais aussi bien porté dans les sondages. Une donnée qui ne déroute guère les élus UMP.«Sur la délinquance et l'immigration, nous avons apporté des réponses responsables ethumaines de nature à faire revenir des électeurs du FN qui nous ont quittés parce que nousn'osions pas nous attaquer à ces sujets», note, optimiste, la députée sarkozyste NadineMorano. Selon elle, c'est «pendant la campagne» que les responsables UMP pourrontconvaincre les «égarés» des «bons résultats» obtenus. Patrick Devedjian, un autre prochedu numéro 2 du gouvernement, est plus réaliste : «Est-ce qu'on a réussi ? Non. Est-ce qu'onpeut réussir ? Non.» Pour lui, l'insécurité est un vaste problème lié à la mondialisation :«Sous la gauche, la délinquance avait augmenté. Avec nous, elle a un peu baissé. On acontenu le problème, même si on ne l'a pas résolu. Les électeurs du FN seront obligés dereconnaître que leurs préoccupations ont été prises en compte. On ne peut plus nous faire lereproche du laxisme.» Même le villepiniste Hervé Mariton approuve la frénésie sarkozyste :«Ce n'est pas sûr que cela suffise, mais c'était indispensable. Si nous n'avions rien fait, leschoses auraient été pires.»

A gauche, Ségolène Royal a affiché d'entrée une ligne de grande fermeté. «Si onveut donner une nouvelle chance aux jeunes, au premier acte de délinquance, il fautdes systèmes d'encadrement à dimension militaire», avait affirmé la candidate, le 31 mai,suscitant une polémique qui, au final, ne lui a pas nui. «Si nous revenons au pouvoir, noussupprimerons ce qui est dangereux dans la loi Sarkozy», promet Delphine Batho, secrétairenationale du PS à la sécurité, proche de Ségolène Royal. Dans cette loi «mal foutue, quine sera peut-être même pas promulguée», selon Christophe Caresche, adjoint au mairede Paris, les socialistes visent en particulier le rôle des maires, transformés à leurs yeuxen «shérifs», la justice des mineurs et le volet santé mentale. Mais surtout le PS veutmettre fin au «bavardage législatif» de la droite. «Cette surenchère législative est du puraffichage, assure Delphine Batho. Certains décrets d'application des lois précédentes n'ontd'ailleurs toujours pas été adoptés. Les professionnels de la sécurité, comme les policiers,se retrouvent avec un mille-feuille législatif inapplicable.»

«Tabou». Le PS souhaite que tous les acteurs (policiers, juges, travailleurs sociaux)travaillent ensemble «sans les dresser les uns contre les autres», comme la gauche accuseSarkozy de le faire. Les maires socialistes refusent de devenir «les premiers maillons

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de la chaîne pénale» ou «les super patrons de la sécurité» dans leur commune, commel'indique une pétition de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains. Surla délinquance des mineurs, «nous défendrons le principe de l'ordonnance de 1945 selonlaquelle on ne juge pas les mineurs comme les adultes», explique Delphine Batho. Maiscette ordonnance n'est pas un «tabou», et les socialistes plaident pour le principe dela «sanction précoce», dès le premier délit. «Les alternatives à la prison doivent êtremassivement développées, car l'enfermement est toujours un échec», ajoute Julien Dray.D'où la proposition de «chantiers d'apprentissage». Avec ou sans encadrement militaire.

Annexe 6 : « Nicolas Sarkozy en rase campagne » , Vanessa Schneider, 16décembre 2006

Comme une machine qui se grippe. Candidat dans sa tête depuis 2002 et candidatdéclaré depuis la fin 2003, Nicolas Sarkozy peine à trouver la sérénité. S'il reste au plushaut dans les sondages, au coude à coude avec Ségolène Royal dans les simulations pourle second tour de la présidentielle, il multiplie les ratages. Premier en date, celui de sadéclaration de candidature. Préparée dans le plus grand secret, son interview à la pressequotidienne régionale a été «outée» sur Libération.fr le 29 novembre, donnant l'impressiond'un gros cafouillage. Depuis, ce professionnel de la communication politique, chouchoudes médias, multiplie les faux pas. La désignation de Ségolène Royal, élue triomphalementau terme d'un processus démocratique sans bavure, semble l'avoir déstabilisé. C'estdésormais la candidate socialiste qui a l'air d'impulser le mouvement, Nicolas Sarkozy sesituant en réaction à ses initiatives.

La laborieuse mise en scène des forums de l'UMPPlus nerveux que jamais, Sarkozy a dérapé lors du conseil national de l'UMP du 16

novembre. Répondant à Alliot-Marie, qui l'avait sévèrement contredit sur plusieurs sujets,il s'est montré agressif.

Conscient d'avoir commis une «erreur», comme il l'a reconnu plus tard, il a cherché àse donner une image plus rassembleuse en proposant l'organisation des forums. Il pensaitdu même coup clouer le bec à tous ceux qui, y compris dans son propre camp, louaient lesdébats du PS et regrettaient que l'UMP soit incapable de se plier à un exercice similaire.

Raté : le premier forum, samedi dernier, a tourné au grotesque. Des jours dediscussions sur l'organisation pour aboutir à deux heures trente ennuyeuses, une colèrede MAM qui s'est estimée lésée, et un public qui n'était pas au rendez-vous. Le deuxièmefut un peu plus animé (lire ci-dessous), mais avec un seul candidat déclaré, la tentative decopier le processus socialiste reste viciée d'avance.

Une adversaire coriaceNicolas Sarkozy aurait préféré un adversaire plus classique que Ségolène Royal. Le

ministre de l'Intérieur entend se montrer poli, courtois, ne jamais attaquer sa personne. Pourne pas victimiser son adversaire, il est décidé à rester sur le fond et à ne s'en prendre à elleque sur des thématiques précises. Une stratégie qui a déjà montré ses limites. En notantà propos de la rencontre de Royal avec un représentant du Hezbollah lors de son voyageau Liban qu'«Hitler a été élu, ça n'en a pas fait un interlocuteur respectable», Sarkozy n'apas marqué des points. Relayé par ses amis, il a paru monter une polémique alors que lesIsraéliens eux-mêmes ne s'étaient pas outrés de l'attitude de la candidate PS.

Beauvau au bord de la crise de nerfsL'arrivée de nouveaux venus dans le staff de campagne du candidat ne s'est pas

faite sans heurt. La mayonnaise a du mal à prendre entre les «historiques» aux côtés

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du chef depuis quatre ans et les recrues les plus récentes. Henri Guaino, appelé pourécrire les grands discours thématiques, a du mal à trouver ses marques au sein d'uneéquipe de «plumes» du cabinet placée sous l'égide d'Emmanuelle Mignon. Même confusiondans le «pool» communication où la guerre des ego fait rage. Jean-Michel Goudard,embauché comme consultant, vit mal l'arrivée récente de François de la Brosse, amenépar Cécilia Sarkozy. Il faut aussi compter sur Franck Tapiro, qui s'occupe officiellementde la communication du parti mais ne désespère pas de prendre toute sa place dans lacampagne. Et bien sûr avec la présence de Cécilia elle-même qui, bien que n'ayant aucuntitre officiel, garde une importance considérable dans la stratégie du candidat.

Les rivalités se font également sentir parmi des soutiens politiques chaque jour plusnombreux. Les amis de toujours ne prennent pas toujours bien de devoir s'effacer au profitdes convertis de l'hiver. Sarkozy annoncera l'ensemble de son équipe de campagne aprèsson intronisation du 14 janvier. La liste des noms retenus risque de faire des jaloux.

Des amis peu fréquentables dans le show-bizSarkozy aurait dû réfléchir à deux fois avant de recruter de nouveaux copains dans

le show-biz. Johnny Hallyday, qui a adhéré avec toute sa petite famille à l'UMP, a suscitéla polémique en annonçant qu'il s'installait en Suisse six mois par an pour ne pas payerd'impôts en France. Même Jacques Chirac a «regretté», vendredi, «le comportement ducitoyen» Johnny. L'ancien ministre du Budget a visiblement du mal à convaincre ses prochesde la nécessité de s'acquitter de ses impôts.

Son autre nouvel ami, le rappeur fumeur de pétards Doc Gyneco vient d'être condamnéà 700 000 euros d'amende dans le cadre d'un redressement fiscal.

Quant au troisième rallié, l'animateur et chanteur Pascal Sevran, il s'est carrémentfendu de propos racistes sur les Noirs.

Annexe 7 : « Quatre ans de campagne » , Vanessa Schneider, 13 janvier 2007L'acharnement aura payé. Candidat à la présidentielle, Nicolas Sarkozy l'est en fait

depuis plus de quatre ans, depuis la réélection de Jacques Chirac à l'Elysée le 5 mai2002. D'emblée, il a misé sur le fait que ce dernier ne se représenterait pas. Et a gagnéchèrement son ticket dans la course des grands. Il n'était pas l'héritier désigné et lachiraquie a beaucoup fait pour le faire trébucher, pariant sur un effondrement qu'elle pensaitinévitable. A chaque chute, le prétendant s'est relevé, toujours plus décidé. Il a écarté unà un tous ses concurrents potentiels, d'Alain Juppé à Michèle Alliot-Marie, en passant parDominique de Villepin. Numéro 2 du gouvernement sous Raffarin comme sous Villepin,tout en se prétendant adepte de la "rupture", il s'est dépensé sans compter, épuisant sesadversaires et occupant les médias jusqu'à l'overdose. Retour sur la montée en puissanced'une candidature devenue inévitable.

Beauvau plutôt que MatignonPendant toute la campagne de 2002, Nicolas Sarkozy fait le forcing pour s'imposer en

Premier ministre. Convaincu que l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, il répèteà tous ses interlocuteurs qu'il est incontournable. Le face-à-face Chirac-Le Pen au secondtour le persuade qu'il est l'homme de la situation pour incarner une politique sécuritaire.Jacques Chirac fait l'analyse exactement inverse : réélu avec 82 % des voix, et d'abordcelles de la gauche, il prétend afficher un profil plus rassembleur. Et comme il nourrit unerancune tenace à l'égard de Sarkozy depuis sa trahison de 1995 lorsqu'il se rangea derrièreEdouard Balladur, il lui préfère Jean-Pierre Raffarin, inconnu des Français. Sarkozy se sentfloué. Il comprend dès lors que le chef de l'Etat ne lui fera jamais de cadeau et qu'il devra

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se battre. Furieux, il ne cache pas son mépris pour le nouveau chef du gouvernement qui lenomme ministre de l'Intérieur. Passée l'aigreur, il transforme ce qu'il considère comme unaffront en moteur : tous les coups sont désormais permis. Il décide de transformer la PlaceBeauvau en machine de guerre à son profit. Suractif, il multiplie déplacements, annonces,et propositions. Il s'impose comme le ministre le plus important du gouvernement, n'hésitantpas à déborder sur les domaines de compétence de ses collègues ministres. Son but :aligner des résultats en matière de lutte contre la délinquance et surtout occuper l'espacemédiatique.

"Pas seulement quand je me rase"Chouchou des médias, au plus haut dans les sondages, Nicolas Sarkozy n'est pas

complètement satisfait. Il s'ennuie assez rapidement dans ses habits de premier flic deFrance. Pour se faire remarquer, il n'hésite pas à se montrer iconoclaste. En octobre 2002, ilremet ainsi en cause la double peine. Un an et demi après son entrée en fonction, il trépignedéjà et ne parvient plus à cacher ses ambitions. Le 20 novembre 2003, invité de l'émission100 minutes pour convaincre, il avoue avec gourmandise qu'il pense à la présidentielle "passeulement quand [il se] rase". Dès lors, plus rien ne l'arrête, malgré les faux pas et leschausse-trapes jetés sur son chemin par les chiraquiens.

Un bref passage à BercyEn mars 2004, la droite se prend une rouste aux élections régionales. Appelé au

secours entre les deux tours pour écumer les régions du pays, il reçoit un soutien amicalde Bernadette Chirac lors d'un meeting à Tulle. Et Nicolas Sarkozy se reprend à rêver :il fait comprendre qu'il est prêt à remplacer Jean-Pierre Raffarin à Matignon. Nouvelledésillusion. Contre toute logique politique, Jacques Chirac préfère conserver son Premierministre affaibli plutôt que de nommer son ennemi intime. En compensation, il proposeà Sarkozy le titre ronflant de ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et del'Industrie. Il espère le pousser à la faute en l'enfermant dans le rôle de l'ultralibéral. Leministre déjoue le piège. Il applique à Bercy les mêmes recettes qu'à Beauvau : activitémaximale et propositions tous azimuts. Surtout, il est là où on ne l'attend pas : il se faitinterventionniste, se bat, avec succès, pour sauver Alstom, se pose, en vain, en porte-drapeau de la baisse des prix dans la grande distribution. Mais une seule chose l'intéressevraiment : rafler la présidence de l'UMP qu'Alain Juppé, condamné en première instance enjanvier 2004 à une lourde peine d'inéligibilité (qui sera allégée un an plus tard) dans l'affairedes emplois fictifs du RPR, n'est plus en mesure de conserver. Sarkozy se déclare, mettantla chiraquie en émoi. Toutes les solutions sont envisagées pour lui barrer la route.

"Je décide, il exécute"Le 14 Juillet 2004, lors de sa traditionnelle allocution, Jacques Chirac sort la grosse

artillerie. Il règle son compte à son ministre devant la France entière, expliquant qu'il estimpossible de cumuler les fonctions de ministre et de chef du parti majoritaire, Alain Juppés'apprêtant à lâcher ce poste pour cause de condamnation dans l'affaire des emplois fictifsdu RPR. Chirac met Sarkozy en demeure de choisir. Interrogé sur leur différend à propos desdépenses de la Défense, le Président lâche un assassin : "Je décide, il exécute", manièrede montrer qui est le chef. Trois jours après, lors d'un meeting à La Baule, Nicolas Sarkozyse venge. Il prétend montrer que c'est Chirac qui perd ses nerfs. "La politique demandedu calme, de la maîtrise de soi, de la sérénité", lance-t-il avant d'ajouter : "Dans sa famillepolitique, on ne peut et on ne doit considérer personne comme un adversaire." Son choixest fait : tant pis pour le gouvernement, c'est le prix à payer pour mettre la main sur l'UMPqu'il juge indispensable pour mener à bien sa conquête de l'Elysée. Le 28 novembre, il est

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élu président du parti avec 85 % des voix. Près de 40 000 personnes assistent à son sacreau Bourget. Le lendemain de son triomphe, il démissionne de Bercy où il n'est resté quehuit mois. Il y est remplacé par un chiraquien, Hervé Gaymard.

De retour à l'IntérieurAu siège de l'UMP, Nicolas Sarkozy tourne en rond. Hors du gouvernement, il intéresse

moins les médias. Il est sauvé par le non au référendum sur l'Europe le 29 mai 2005. Cettefois, Chirac est contraint de se séparer d'un Jean-Pierre Raffarin au bout du rouleau. NicolasSarkozy n'ose plus espérer être nommé à sa place, mais il fait quand même le forcing.Encore raté. C'est Dominique de Villepin qui s'installe à Matignon. Dans sa déroute, la droiteest obligée de serrer les rangs. Ce qui était impossible un an plus tôt le devient subitement :le patron de l'UMP est appelé à revenir au gouvernement en tant que numéro 2 tout enconservant les rênes du parti. Il obtient que le Président l'annonce en personne lors d'unedéclaration solennelle à la télévision. C'est un aveu d'échec pour la chiraquie. Mais, toujoursdécidé à lui faire la peau, Jacques Chirac mise sur Villepin pour s'imposer en présidentiable.Le duo exécutif, convaincu de la fragilité psychologique de Sarkozy, attend qu'il commetteun faux pas. D'autant que ce dernier connaît des difficultés personnelles.

Problèmes conjugaux et dérapages verbauxQuelques jours avant qu'il revienne Place Beauvau, les rumeurs circulent sur la

séparation du couple Sarkozy. Quitté par sa femme, le ministre devient nerveux et irritable.En juin 2005, en visite à La Courneuve, il parle de "nettoyer au Kärcher" la cité des 4000. Le 14 Juillet, il défie Jacques Chirac en organisant une contre-garden party et en lecomparant implicitement à Louis XVI qui "démontait les serrures à Versailles pendant que lepeuple grondait". Pendant les mois qui suivent, les rabibochages et séparations successifsdes Sarkozy sont médiatisés. A la rentrée, les universités d'été de l'UMP, à La Baule, sontmarquées par l'accident vasculaire cérébral de Jacques Chirac. Villepin humilie son ministreen le prévenant avec retard et s'exhibe en maillot de bain sur la plage pendant que le chefde l'UMP ronchonne. En octobre, le patron de la Place Beauvau dérape à nouveau, lorsd'une visite à Argenteuil, en qualifiant les jeunes des cités de "racailles". La chiraquie pensele voir enfin flancher.

A l'épreuve des émeutes en banlieueLorsque les violences éclatent en banlieue, fin octobre 2005, suite à la mort de deux

adolescents poursuivis par la police dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois,Villepin laisse Sarkozy se débrouiller seul pour le rendre un peu plus responsable de lasituation. Sarkozy risque gros. L'ampleur des violences sonne comme un camouflet pour lapolitique de sécurité qu'il conduit depuis 2002. Au bout de plusieurs nuits d'émeutes, Villepinet Chirac sont contraints de faire front avec lui. Après trois semaines de crise et la mise enplace de l'état d'urgence, Sarkozy sort renforcé dans les sondages.

Le CPE et Clearstream discréditent VillepinLe ministre de l'Intérieur, réconcilié avec son épouse, aborde 2006 en bonne posture.

Il est aidé par une magistrale erreur de Villepin, qui met la jeunesse dans la rue avec sonCPE et s'écroule dans les sondages. Nicolas Sarkozy ne laisse pas passer une si belleoccasion : il fait comprendre qu'il désapprouve l'entêtement du Premier ministre et donnedes consignes aux forces de l'ordre pour éviter toute bavure. Lorsque Villepin enterre enfinson projet, il n'est plus en mesure d'être un concurrent pour 2007. La voie est libre pourle numéro 2 du gouvernement qui tente de se débarrasser de lui en l'accusant à demi-mots d'avoir organisé une machination montée contre lui dans l'affaire Clearstream. Il distillel'idée que le locataire de Matignon porte une responsabilité dans le fait qu'il se soit retrouvé

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sur une liste truquée de comptes de la chambre de compensation luxembourgeoise. Toutà son souci de se victimiser au maximum, il lui reproche ensuite de ne pas l'avoir averti àtemps des résultats de l'enquête qui le blanchissaient. Villepin se défend bec et ongles. Augouvernement, l'ambiance est détestable.

Dernière ligne droiteNicolas Sarkozy poursuit son offensive pour s'imposer en candidat unique de son camp

à la présidentielle. Il se lance dans une série de discours thématiques en province et publieun livre, Témoignage, qui se vend comme des petits pains (300 000 exemplaires selonl'auteur). Pourtant, il commet encore quelques faux pas. En septembre, il s'affiche avecGeorge Bush à la Maison Blanche et critique "l'arrogance" de la diplomatie françaises lors dela crise irakienne. Les chiraquiens se ruent immédiatement sur cet impair pour le critiquer.Quelques jours après, Sarkozy s'attire les foudres des magistrats en critiquant le laxismedes juges. Le 16 novembre dernier, il tacle trop durement Michèle Alliot-Marie lors du conseilnational de l'UMP. Il tente ensuite de se rattraper avec l'organisation de forums régionauxoù la ministre de la Défense, qui avait un temps caressé l'idée de le concurrencer, se rendcompte qu'elle n'a aucune chance de rivaliser contre lui auprès des militants. Fin décembre,elle annonce qu'elle renonce à être candidate au sein de l'UMP. Sarkozy est désormais seulen lice.

Annexe 8 : « La grande kermesse de Sarkozy » , 13 janvier 2007La modestie n'est pas son truc. Pour sa messe dominicale d'investiture, le chef de l'UMP

a donc vu les choses en très grand. Signe des temps et de la fascination de Nicolas Sarkozypour les paillettes, c'est Didier Froehly, réalisateur de la Nouvelle Star sur M6, qui a étéchargé de la production audiovisuelle de ce congrès (lire ci-contre). Au parc des expositionsde la porte de Versailles, à Paris, dans le hall même où Jacques Chirac avait fondé le RPRtrente ans plus tôt, le candidat à la présidentielle a prévu d'amasser 50 000 fans venus detoute la France. Huit TGV et 520 cars ont été affrétés, pour un coût symbolique de 10 eurospar voyageur.

Fanfares.Partout dans les allées, les produits dérivés aux couleurs de l'UMP ou à l'effigie de

son champion seront proposés. Il y aura aussi des buffets à profusion, des orchestres,des fanfares... et les incontournables people sarkoïsés : Christian Clavier, Doc Gynéco,Didier Barbelivien. Comme dans ces conventions des partis américains où l'essentiel estd'assurer le show. La facture officielle du raout s'élève à 3,5 millions d'euros ; mais ennovembre 2004, le budget annoncé pour le congrès qui avait vu Sarkozy s'emparer de l'UMP(5 millions d'euros) avait été pulvérisé. Seul candidat en lice - après avoir "transformé l'UMPen machine à exclure toute autre possibilité de candidature", selon l'expression du députéUMP Nicolas Dupont-Aignan qui se présente à la présidentielle en dehors du parti - le patronde l'UMP va être sacré avec 100 % des voix exprimées des 330 000 militants encartés. Plusfort encore que Ben Ali ou Fidel Castro !

Dimanche, Nicolas Sarkozy aura à ses pieds ses amis historiques mais aussi tous lesambitieux et autres ralliés de la dernière heure de la majorité, qui espèrent avoir leur couvertà la table du sarkozysme triomphant. Les grandes figures de la droite, et particulièrement leschiraquiens historiques qui ont baisé la main de leur nouvel homme fort, auront le droit deprendre la parole à la tribune. Ce sera le cas des anciens Premiers ministres Alain Juppé etJean-Pierre Raffarin. Et pour sceller la réconciliation de toute la droite, Edouard Balladur, le"traître" de la présidentielle de 1995 qu'avait rejoint Sarkozy, aura droit aussi à son allocution.Entré en résistance, Dominique de Villepin négociait encore vendredi soir les modalités de

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sa venue au congrès. Il ne s'exprimera pas et se contentera d'un passage à l'heure dudéjeuner. "Nous ferons tout pour que nos militants n'expriment pas leur déception à l'égardde l'action du Premier ministre", a assuré Patrick Devedjian, conseiller politique de Sarkozy.En clair, pour qu'ils ne conspuent pas le locataire de Matignon pour son refus d'allégeance.

Arrière-pensées.Au-delà du message d'union de façade qu'ils veulent distiller, tous ces fauves de la

droite débordent d'arrière-pensées. Jean-Pierre Raffarin guigne la présidence de l'UMP.Alain Juppé veut jouer les bons élèves disciplinés mais mise secrètement sur la défaitede Sarkozy pour mieux l'éliminer ensuite et se remettre en selle pour la présidentielle de2012. Quant à Dominique de Villepin, muré dans ses rêves gaullo-napoléoniens, il caressetoujours l'idée de réaliser le hold-up politique parfait en jouant les invités de dernière minutedans la course à l'Elysée...

En point d'orgue d'une démonstration de force démesurée, Nicolas Sarkozy prononceraun "discours aux Français" d'une grosse heure dans lequel il ambitionne de "trouver un style,un ton, une musique" pour sa campagne, comme il le confiait mardi. Manière de masquerune vraie fausse note : l'absence de message de soutien de Jacques Chirac à son filsrebelle.

Annexe 9 : « Sarkozy adoubé par une droite rassemblée », Renaud Dely, 15 janvier2007

Jacques Chirac en cauchemardait, Nicolas Sarkozy l'a fait ! Malgré les embûches, leprésident de l'UMP a rassemblé la quasi-totalité de son camp. Une unanimité qu'il s'est plu àmettre en scène, hier, tout au long de la grand-messe UMP de la porte de Versailles, à Paris.Un show qui a, de fait, donné les trois coups de la campagne présidentielle. Pour l'occasion,plébiscité par 98,1 % des suffrages des militants, le ministre de l'Intérieur a, surtout, été ralliésans ambiguïté par ses anciens rivaux, au premier rang desquels le maire de Bordeaux,Alain Juppé, et la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie. Dominique de Villepin resteseul à bouder ostensiblement dans son coin.

Même s'il fut parfois chaotique au fil des semaines, ce regroupement de la droitederrière le panache sarkozien contraste avec la zizanie qui s'installe dans le camp d'enface, en particulier sur la question fiscale (lire page 6). D'un côté, un leader qui se lance àl'assaut de l'Elysée, avec une foultitude de propositions, à la tête d'une machine de guerreimpressionnante ; de l'autre, Ségolène Royal, ballottée par les divisions des siens et aphonesur plusieurs sujets ces derniers jours (SDF, fiscalité et même amnistie des PV après lescrutin). Voilà un tableau qui a de quoi inquiéter la gauche.

Changement de climat.En cette mi-janvier, alors que le décor de la campagne est en place, ces indices

témoignent d'un changement de climat, qui vire au radoucissement à droite et aux premiersfrimas à gauche. Face à l'énergie déployée par son adversaire, Ségolène Royal s'estefforcée, hier encore, de garder le même tempo. Refusant de commenter l'investiture deSarkozy, la candidate socialiste s'est contentée de rencontrer des agriculteurs dans sarégion de Poitou-Charentes, "cette France qui réussit parce qu'elle est intelligente et va del'avant".

Notre seconde livraison mensuelle du Baromètre populaire, réalisée par l'Institut LH2(1), traduit toutefois l'effritement de ses positions. Ainsi Royal chute-t-elle auprès descatégories populaires. Celles-ci la plébiscitaient il y a un mois, jugeant qu'elle prenaitmieux en compte leurs "préoccupations" que Nicolas Sarkozy (Libérationdu 12 décembre

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2006). Cette fois, la candidate PS y est nettement devancée par le patron de l'UMP (lirepage 2). L'écart entre les deux concurrents est plus important encore chez les ouvriers etemployés, une catégorie qui considère qu'Arlette Laguiller "prend mieux en compte [ses]préoccupations" que la présidente de Poitou-Charentes. Le Pen y arrive, lui, en quatrièmeposition (8 %), à égalité avec Besancenot.

S'il n'est pas plébiscité par l'ensemble des Français, l'affrontement attendu entreSarkozy et Royal ne provoque pas non plus la nausée que croit percevoir François Bayrou.Certes, il n'y a que 34 % des Français à souhaiter un tel duel final le 6 mai. "Les Français,sur le fond, ont dès aujourd'hui en attente d'autres scénarios que celui du duel Royal-Sarkozy", relève François Miquet-Marty, directeur des études politiques de LH2. Pourautant, seulement 20 % des Français rêvent d'un casting totalement différent.

Changement de cycle.Autre signe que l'omniprésence, y compris médiatique, des duettistes n'est peut-être

pas si lassante, l'électeur se passionne pour ce début de campagne. 61 % des Françaisse disent "très" ou "assez" intéressés par la course élyséenne, contre 39 % d'un aviscontraire. Il y a cinq ans, à pareille époque, seules 38 % des personnes interrogées sedisaient "intéressées" par la campagne. Jusqu'au bout, les Français n'avaient eu de cessede manifester leur indifférence devant le choc annoncé Chirac-Jospin. Un affrontementqu'ils avaient déjà tranché en 1995, puis subi durant la cohabitation. En quête du "troisièmehomme", ils avaient fini par lui accorder la deuxième place le 21 avril, en qualifiant Le Penpour le tour final. Cette fois, le changement de cycle annoncé par la retraite de JacquesChirac aiguise l'appétit des électeurs.

Un renouvellement qui n'est pas pour autant synonyme de souhait de "rupture". NicolasSarkozy apparaît, dans notre enquête, plutôt comme un héritier que comme un hérétiquedu chiraquisme en matière de "choix économiques et sociaux", de "façon de faire de lapolitique" et même de "politique étrangère". A droite, l'heure est à l'apaisement jusque chezles sondés.

(1) Réalisé les 12 et 13 janvier auprès de 1 003 personnes, dont 327 ouvriers etemployés, un sous-échantillon significatif compte tenu des marges d'erreur.

Annexe 10 : « Sarkozy travaille son côté popu », Antoine Guiral , 26 janvier 2007Une usine de carte postale, avec sa fonderie, son vacarme, ses ouvriers en bleu de

chauffe et leurs gestes répétitifs. Sur ces terres ouvrières de l'Aisne, "Arlette" Sarkozy apoursuivi hier son offensive en direction des "travailleurs", comme il dit désormais. Sonpostulat : "La gauche les a trahis et abandonnés." Pour les récupérer, il tente de lesséduire en s'appropriant ses codes, ses références historiques et ses grandes figures. Sansoublier de promettre du pouvoir d'achat supplémentaire à coups d'heures supplémentairesdéfiscalisées.

A l'usine du Creuset qui fabrique des casseroles en fonte, l'homme de Neuilly s'estmijoté un langage popu : "A l'usine, il n'y a pas de bureau, il y a une solidarité. Les anciensapprennent aux plus jeunes. S'il n'y a plus de jeunes c'est foutu, moi je veux des usines. Sion laisse partir les usines, on laisse tout partir." Lui qui souhaite vider l'ISF de sa substanceflingue les 35 heures et propose à son auditoire de travailler plus. "Vous savez, ici on sesoutient sur les grandes avancées sociales. Une majorité de gens ici aurait préféré unevisite plus Royal...", lui répond un syndicaliste.

Fort de l'avance que lui accordent les sondages parmi les classes populaires, lecandidat de l'UMP veut pousser son avantage en dépouillant la gauche de ses totems. A

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François Hollande qui l'accusait de "captation d'héritage" pour avoir cité Blum et Jaurès,Nicolas Sarkozy a répondu hier soir lors d'une réunion publique qu'il se sentait "l'héritierd'une seule et même Histoire dont nous avons toutes les raisons d'être fiers". Provocateur,il a même accusé le couple Hollande-Royal de "n'avoir jamais lu Jaurès". Et d'accuser de"communautarisme historique" la gauche qui "proclame" que l'Ancien régime, les Croisades,la Chrétienté et la droite, "ce n'est pas la France". Tout à son souci de gommer les frontièresentre gauche et droite, il a ajouté Mitterrand à ses références : "Il ne trahissait pas la gauchequand il allait parler de la mort avec Jean Guitton ou de littérature avec Jean d'Ormesson."Sarkozy thuriféraire des hommes de gauche ? Comme dit son slogan, avec lui "tout devientpossible".

Annexe 11 : « Sarkozy porte une casquette de trop », Catherine Coroller et JackyDurand, 26 janvier 2007

Ancien ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement a sommé hier Nicolas Sarkozyde "mettre lui-même fin à une situation qui ne peut que nourrir la confusion". Son successeurPlace Beauvau, le socialiste Daniel Vaillant, a dénoncé une "incompatibilité démocratiqueet républicaine".

Créneau.En délicatesse, la gauche pense avoir trouvé le bon créneau pour contre-attaquer : être

à la fois ministre de l'Intérieur et candidat à la présidentielle relèverait de l'insupportablemélange des genres. De fait, Sarkozy dispose d'une triple casquette susceptible deservir ses intérêts élyséens : il est à la fois responsable de l'organisation du scrutin qu'ilprétend gagner ; il coiffe des services de renseignements qui lui réservent de nombreusesinformations, notamment sur ses adversaires ; et il peut recourir aux moyens matérielsde l'Etat pour faire sa campagne. Est-ce pour cela que le patron de l'UMP a repoussé laperspective de quitter le ministère de l'Intérieur, lui qui y était revenu, en juin 2005, pour"se protéger" des malveillances d'"officines", façon de viser ceux qui tentaient de le mouillerdans l'affaire Clearstream ?

La direction du PS s'est donc emparée de la note des RG sur Bruno Rebelle (lire ci-dessous) pour sommer Sarkozy de quitter Beauvau. Elle dénonce également son "usageabusif des moyens de l'Etat" à l'occasion de ses déplacements de candidat. "Il n'y a pas deconfusion des genres. Les comptes sont clairs. C'est très facile d'y accéder, et c'est facile deles vérifier", réplique Rachida Dati, la porte-parole du candidat. Ainsi, la virée de Sarkozy àMillau, vendredi dernier (Libération du 20-21 janvier), était-elle un déplacement de ministrede l'Intérieur, et même de l'Aménagement du territoire. Ce qui ne l'a pas empêché de poserpour une véritable photo de campagne et de se fendre de phrases à vocation purementélectorale.

Poste d'observation.Concernant l'éventuelle utilisation de renseignements policiers, les vérifications sont

évidemment moins "faciles"... Le ministre de l'Intérieur a répété hier qu'il n'a "pascommandé" d'enquête aux RG. Mais sa seule présence Place Beauvau lui offre unformidable poste d'observation. Il scrute la tranquillité publique des Français, supervise lalutte contre le crime, évalue les menaces intérieures et étrangères (RG et DST). Ministredes Cultes, il dispose de notes précises sur l'activité de tel ou tel imam, le contenu de telou tel prêche, l'état d'esprit des musulmans.

Les RG constituent pour le candidat-ministre un précieux instrument d'information.Avec 4 000 fonctionnaires, ils offrent un maillage très fin du territoire pour faire remonterles humeurs des électeurs. Dans leur jargon, les RG parlent de "notes de tendances",

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rédigées pour "prendre la température". A l'approche d'une élection, elles tournent parfoisau pronostic, souvent erroné. Mais l'ordinaire des notes des RG n'est pas forcémentspectaculaire : "Le ministre ou le préfet peuvent demander une note sur une personne qu'ilsvont recevoir et ne connaissent pas." Officiellement, les RG sont censés ignorer la vie privéedans leurs enquêtes. Pour en avoir le coeur net, tout citoyen peut demander, via la Cnil,communication de son dossier RG comme l'y autorise la loi informatique et libertés. C'estce que compte faire Bruno Rebelle. Enfin, le ministre peut s'appuyer sur les informationsqui lui remontent des préfets, tant en ce qui concerne l'état de l'opinion que la situation del'insécurité.

"Verre d'eau".En déplacement, hier, à Saint-Quentin (lire page 13), Sarkozy a estimé que les

socialistes inventaient "une tempête dans un verre d'eau pour essayer de faire oublier lessondages". Il s'est étonné que Hollande, en 2002, n'ait pas demandé à Jospin de quitterMatignon, oubliant que Chirac était, lui, à l'Elysée. Le ministre de l'Intérieur a donc fait savoirqu'il restera en fonction aussi longtemps qu'il le jugera utile. Pas le meilleur moyen d'éteindreles soupçons...

Annexe 12 : « Sarkozy peine à voir les cités de l’intérieur », Alain Auffray, 8 février 2007La campagne en banlieue, exercice à haut risque. Depuis plusieurs semaines, l'état-

major du candidat de l'UMP cherche la bonne formule. Il faut, le plus vite possible, organiserle déplacement qui permettra de corriger son image de ministre Fouettard. Nicolas Sarkozyira en banlieue pour démontrer qu'il a "changé", qu'il n'est plus celui qui, à l'automne 2005,promettait de nettoyer "au Kärcher" des quartiers encombrés de "racailles". Une rumeurinsistante l'annonçait à Argenteuil dès samedi. Elle a été démentie hier par le cabinet dumaire de cette commune, où le président de l'UMP a laissé un souvenir pour le moins mitigé(lire reportage). Le 25 octobre 2005, quatre mois après sa fameuse sortie sur le Kärcherdans la Cité des 4 000 de La Courneuve, il avait été accueilli sur la grande dalle par desquolibets et des jets de projectiles. Il avait alors promis aux habitants de la cité de "lesdébarrasser de la racaille". Et, puisque cette visite avait "tellement plu" aux "voyous" de ladalle, il s'était engagé à revenir.

"Modeste".Mais, cette fois, ce n'est plus en premier flic de France, mais en candidat de tous les

Français qu'il voudrait se présenter aux habitants du quartier. Il n'est pas le seul à courtiserles banlieues, puisque François Bayrou sera demain à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Sarkozyveut écouter, dialoguer et proposer des solutions : "Ce sera une rencontre modeste", précisesa porte-parole, Rachida Dati, qui prépare au QG de campagne un programme très serréde déplacements dans les zones sensibles. "Je reçois tous les jours des associationsqui veulent inviter le candidat. Nous avons déjà prévu d'aller à Nanterre, La Courneuve,Perpignan, Le Havre." Pour Argenteuil, Rachida Dati assure que l'UMP n'attend plus quel'"invitation" des associations locales. Selon elle, plusieurs options seraient à l'étude :"Certains nous conseillent de venir le samedi, d'autres en semaine. On peut imaginer undébat dans une grande salle avec les habitants ou des visites dans des appartements. Rienn'est décidé."

Mais les acteurs locaux ne sont évidemment pas seuls maîtres de l'organisation decette visite. Elle a été soigneusement préparée depuis le ministère de l'Intérieur. Au siège del'UMP, on a en mémoire le souvenir de la désastreuse visite de Jacques Chirac à Mantes-la-Jolie en mars 2002. Venu dans le fief du fidèle député-maire UMP Pierre Bédier pourune table ronde consacrée aux questions de sécurité dans les transports publics, il dut

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quitter en catastrophe le quartier du Val-Fourré, sous les crachats et les slogans "Chiracvoleur" repris par plusieurs dizaines d'adolescents. Cinq ans après, le député UMP deSeine-Saint-Denis Eric Raoult met en garde son candidat : "Pour tout gâcher, il suffit de 30gamins excités ou d'un préservatif plein de sauce tomate. Draguer des mômes qui n'irontpas voter, c'est une mauvaise idée. Faut qu'il s'adresse aux papas qui en ont marre desvoitures qui brûlent, aux mamans qui veulent pouvoir sortir tranquillement dans la cité. Fautsurtout pas que Nicolas nous la joue casquette retournée." Les stratèges de l'UMP n'ontpas attendu les bons conseils d'Eric Raoult. Depuis plus d'un an, ils préparent le retour surla dalle d'Argenteuil. Fruit de ce travail, une grande rencontre avec les jeunes des quartierspopulaires, le 13 décembre dernier Place Beauvau, qui a servi de répétition générale avantla visite du candidat UMP. Les jeunes étaient invités à "faire entendre leur voix, par lebiais de recommandations et de propositions". Les débats avaient été préparés et menésavec des jeunes de Bleu Blanc Rouge (BBR), une association spécialisée dans l'insertionprofessionnelle fondée à Argenteuil au lendemain de la mémorable sortie sur les racailles.Pour Tarek Mouadane, protégé de Rachida Dati et animateur de cette association, le sigleBBR doit être compris comme un "pied de nez au Front National". Le 27 janvier, à Argenteuil,l'association organisait une rencontre entre jeunes de la dalle et patrons issus de zonessensibles. Objectif : "Donner l'envie de travailler, c'est-à-dire, précise Tarek Mouadane,contrer sur un terrain où elle se croit chez elle une gauche qui prône l'assistanat pourendormir le peuple." Un vrai slogan de campagne.

Annexe 13 : « L’islam officiel se sent trahi par Sarkozy », Catherine Coroller, 8 février2007

Nicolas Sarkozy, qui s'est toujours posé en défenseur des valeurs religieuses, a-t-ilopéré un virage à 180 degrés en direction des laïcs purs et durs ? Son "clair" soutien, parune lettre adressée à Charlie Hebdo hier à l'ouverture du procès intenté par la Mosquéede Paris et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) à cet hebdomadaire, afait l'effet d'une bombe. Et a été vécu comme un lâchage par les associations musulmanes.Hier soir, le bureau du Conseil français du culte musulman (CFCM), auquel appartiennentles deux organisations plaignantes, s'est réuni en urgence pour répondre aux propos duministre. Pendant la journée, certains de ses membres avaient brandi la menace d'unedémission collective. Le ministère de l'Intérieur s'est activé en coulisse, et les responsablesmusulmans se sont cantonnés à une "dénonciation de l'instrumentalisation de cette affairepar les chefs des partis politiques".

"Préjugés" sur TF1.Reste que le choc produit par la prise de position de Sarkozy en faveur de la "satire"

et de la "dérision" a été violent : "Je suis très déçu, déclarait Abdallah Zekri, président dela fédération régionale du Sud-Ouest de la Mosquée de Paris. En tant que ministre del'Intérieur, Monsieur Sarkozy a un devoir de réserve. Il ne peut pas prendre position pourune partie." Sauf que, justement, Sarkozy n'a pas fait cette déclaration en tant que ministrede l'Intérieur, mais en tant que candidat à la présidentielle. L'en-tête de sa lettre envoyée àPhilippe Val, directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, affiche le slogan de campagne deSarkozy : "Ensemble, tout devient possible".

Dans la prise de position du candidat de l'UMP, Fouad Alaoui, secrétaire général del'UOIF, voit d'ailleurs un acte politique : "L'électorat musulman ne compte pas de manièresignificative dans sa campagne." Et sa lettre de soutien à Charlie, comme ses propos tenuslundi soir sur TF1, attestent aux yeux de Fouad Alaoui du désintérêt du candidat pour lesmusulmans : "A la télévision, il a répété les préjugés habituels : la polygamie, l'excision, lemouton qu'on égorge dans son appartement..."

Annexes

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Sarkozy a-t-il sacrifié l'électorat musulman à ses ambitions présidentielles ? Lors de sonbilan de ministre de l'Intérieur, en janvier, il a curieusement passé sous silence l'existencedu CFCM, qu'il a pourtant largement contribué à créer. En déplacement hier à Toulon, leministre a explicité son soutien à Charlie Hebdo : "Je suis l'un des responsables politiquesqui a été le plus souvent et le plus durement caricaturé sur tous les sujets, y compris sur monphysique." Et, tout en assurant comprendre "que les musulmans puissent être choqués"par les caricatures publiées par l'hebdomadaire, il a déclaré ne pas être "favorable à touteforme de censure".

Doubler Chirac.Que cherche Sarkozy avec cette spectaculaire prise de position ? Pour Franck Frégosi,

chercheur au CNRS qui travaille sur la place de l'islam dans les programmes des candidats àl'élection présidentielle, le ministre a voulu concurrencer Chirac et Villepin, qui ont condamnéla parution des caricatures. Mais Sarkozy aurait voulu également doubler la gauche sur sonterrain favori : le combat pour la laïcité. Les instances musulmanes lui ont fait un cadeau : àquelques semaines de la présidentielle, une démission en bloc du CFCM aurait fait mauvaisgenre.

Annexe 14 : « « L’incompétence manifeste de Royal » , Alain Finkielkraut,sans soutenir officiellement Sarlozy, explique pourquoi il s’en sent proche », EricAeschimann, 8 février 2007

Après le soutien apporté par André Glucksmann à Nicolas Sarkozy, l'essayiste AlainFinkielkraut entre à son tour dans la campagne présidentielle. S'il critique certains pointsdu programme du candidat de l'UMP, il prend sa défense avec véhémence. Au point dedénoncer les "lapsus fascistes" du Parti socialiste.

Avez-vous l'intention d'annoncer votre soutien à Nicolas Sarkozy ?Sans doute a-t-on déduit de mon prétendu conservatisme que j'étais sarkozyste. Mais

le journalisme devrait résister à la déduction : toutes les nouvelles qui ont circulé à ce sujetsont fausses. Je n'ai reçu de proposition ni du Figaro pour une interview ni de l'entouragede Sarkozy pour une participation à son meeting du 11 février. Nicolas Sarkozy m'a invitéà déjeuner en septembre 2005 en compagnie de son directeur de cabinet Claude Guéant,mais je ne l'ai pas revu depuis. J'enseigne à l'Ecole polytechnique, j'anime une émissionhebdomadaire sur France Culture : j'ai des convictions, mais un ralliement, c'est unecasquette, et le moins que je doive à mes élèves et à mes invités, c'est de les accueillirtête nue.

Vous sentez-vous proche du candidat de l'UMP ?Il y a, en tout cas, une proximité de situation. Ma famille, comme celle de Sarkozy,

n'est pas française de souche. Aussi ai-je été blessé comme s'il s'était agi de moi-mêmepar la phrase d'un document du Parti socialiste définissant Nicolas Sarkozy comme un"néoconservateur américain avec un passeport français" (la phrase est du député PS EricBesson, Libération du 9 janvier, ndlr). Imaginez un instant que le candidat de la droite sesoit appelé Royal, celui de la gauche Sarkozy, et que les porte-parole du premier aient traitéle second de "stalinien avec un passeport français" - voire d'Américain car il y a une droitesouverainiste et une gauche atlantiste. On aurait défilé de Nation à République et certainsauraient même arboré l'étoile jaune. Or, il ne s'est presque rien passé, et pourtant cettedénaturalisation est impardonnable.

Votre identification à Nicolas Sarkozy va-t-elle jusqu'à son programme ?

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Non. Nous sommes aujourd'hui les témoins, les protagonistes et les victimes d'uneavalanche de désastres : la catastrophe écologique, le désastre de l'école, le désastre dela lecture, le désastre de la civilité, le désastre de la langue. Ces désastres sont dissimuléspar le voile de la bien-pensance. Il arrive à Sarkozy de déchirer ce voile, mais quand il veuten finir avec le repos dominical, il accompagne le désastre (même s'il a raison de préférer letravail à l'assistanat). Bientôt, il ne restera plus rien, dans notre civilisation, de la différenceentre loisir et shopping. Or, cette différence, c'est la civilisation même. Et le désastre de lamondialisation nous condamne à la croissance pour la croissance.

C'est en général la gauche qui parle ainsi de la mondialisation. Et en tout cas pas leprésident de l'UMP...

Celui-ci a au moins le mérite d'envisager un certain protectionnisme à l'échelleeuropéenne. Et je n'oublie pas que la gauche range au nombre de ses prouessesl'installation d'Eurodisney à Marne-la-Vallée. Quant à l'altermondialisation, elle a pour seulennemi l'Amérique. Aussi Ségolène Royal, à Pékin, peut-elle faire, sans dommage de cecôté-là, l'éloge de l'économie et de la justice chinoises. Or, c'est la Chine hypercapitalisteet totalement indifférente à la question des droits de l'homme qui mène la danse infernalede la mondialisation en imposant les délocalisations par ses salaires extrêmement bas eten soutenant au nom de ses intérêts économiques le régime du Soudan comme celui duZimbabwe.

Entre les altermondialistes et Ségolène Royal, ne faites-vous pas une confusionhâtive ?

La gauche de gouvernement est intimidée par l'extrême gauche comme elle l'étaitautrefois par le Parti communiste. Et puis elle ne sait réagir à l'incompétence manifeste de sacandidate qu'en exagérant, qu'en hyperbolisant l'opposition droite-gauche. Mais la réalité,c'est qu'aujourd'hui, la droite et le centre sont fiers de leurs candidats, tandis que la gaucheest mal à l'aise avec sa candidate, et elle fuit cette gêne dans la haine. Je vous rappellece lapsus fasciste qui qualifie Nicolas Sarkozy "néoconservateur américain à passeportfrançais".

C'est un lapsus fasciste ?La gauche officielle est tellement convaincue d'incarner le parti du Bien face au parti de

Pétain qu'elle profère des monstruosités en toute bonne conscience.En somme, comme André Glucksmann, vos sympathies vous portent tout de même

plus vers le candidat de l'UMP ?Mon tempérament (ou ma lucidité) me porte à l'inquiétude. Mon inquiétude m'empêche

de croire que demain tout reviendra possible. Mais, face à la haine que suscite son soutienà Nicolas Sarkozy, je me sens solidaire de Glucksmann. Ce ralliement qui n'est pas lemien n'est ni criminel ni déshonorant. Il y a dans ce pays indéfectiblement robespierristela tentation toujours renouvelée de réduire les problèmes politiques à des affrontementsbinaires, et ceux qui pensent autrement à des scélérats bons pour la guillotine. C'estinsupportable.

Annexe 15 : « Le ministre n’est pas attendu comme le messie » , Jacky Durand,8 février 2007

C'est un avis largement partagé par le petit groupe de garçons : si Nicolas Sarkozyrevient à Argenteuil (Val-d'Oise), "ça va foutre la merde". Ils sont une poignée d'élèves depremière et de terminale agglutinés dans le froid à la sortie du lycée Romain-Rolland. Ladalle d'Argenteuil où le ministre de l'Intérieur fustigea la "racaille" n'est guère à plus d'une

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centaine de mètres. "Il est venu déranger les gens à 10 heures du soir. On s'en souvient,dit Amokrame. Ça a donné une mauvaise image du quartier." Si, cette fois encore, il revientnuitamment avec un important dispositif policier, il va se faire "démarrer [ennuyer, ndlr]", ditun jeune. "Tout dépend de l'heure à laquelle il arrive, affirme Malou. S'il veut revenir, il n'aqu'à arriver à 13 heures. C'est parfait comme heure.""Dites-lui de venir tout seul", lance sonvoisin. "Robert Hue, lui, il est venu tout seul", ajoute Farid.

Promesse.Seul Mathieu juge que le retour de Nicolas Sarkozy "serait une bonne chose, car il avait

promis de revenir". Il estime également que "Ségolène Royal fait trop de bourdes" quandses camarades, en âge de voter, plébiscitent la candidate PS contre son rival UMP. "Lui,c'est un manipulateur, dit un lycéen. Il trouve du travail aux jeunes qui disent voter pour luidevant les caméras de télé." Atman, 18 ans, élève en première ES, s'approche : "D'abord,il faut que Nicolas Sarkozy s'excuse pour ce qu'il a dit ici. Après, il pourra revenir." Ryme,18 ans, affirme qu'"il y a des candidats plus performants que Nicolas Sarkozy. Il ne satisfaitpas les besoins des Français. Il veut diriger des gens auxquels il ne ressemble pas. Moi, jesuis pour Bayrou. Tout ce qu'il dit, ça n'a pas l'air d'être de la comédie".

Ali, 18 ans, élève en première S, désigne le sommet d'une tour : "Quand Sarkozy estvenu en 2005, il y avait des snipers [des policiers en faction, ndlr] sur les toits." A cetteheure de la mi-journée, la dalle est quasi vide. "Regardez, ce n'est pas le Bronx", dit Ali,qui s'engouffre avec ses copains dans une boutique de photocopie et de téléphonie. "Çam'inquiète un peu que Nicolas Sarkozy revienne, souffle Bassam, 26 ans, le tenancier. Ladernière fois, dès le matin, le quartier avait été bouclé. On n'avait plus le droit d'accéderà nos parkings. Il était soi-disant venu pour discuter avec les jeunes, mais il y avait despoliciers partout. A quoi ça servirait, cette nouvelle visite ? En un an et demi, le quartiern'a pas changé. Mis à part qu'il y a davantage de contrôles de police, aucun dispositif deprévention n'a été mis en place."

Dignité.La réputation d'Argenteuil a en tout cas souffert après la visite du ministre de l'Intérieur,

juste avant les émeutes de l'automne 2005. "Maintenant, quand on cherche un boulot, il fauts'habiller comme à Paname", s'emporte un lycéen. "On a des clients qui nous appellent.Dès qu'ils savent que nous sommes sur la dalle d'Argenteuil, ils ne viennent pas", affirmeBassam. "Ce quartier, je l'aime énormément, mais il faut qu'il change énormément", ditKader, qui est membre de Bleu Blanc Rouge (BBR), l'association des jeunes d'Argenteuil,en contact avec le ministre de l'Intérieur depuis un an et demi. Au bar des Eperons, il tentede convaincre ses amis qu'"il faut accepter la main tendue par Nicolas Sarkozy pour faireavancer la situation du quartier". Au comptoir, un jeune homme lui répond : "C'est un peufacile de revenir après avoir insulté les jeunes. Il ne faut pas prendre les gens pour descons. Certes, nous n'avons pas de boulot et pas d'argent. Mais il nous reste notre dignité."

Annexe 16 : « A Neuilly, l’ex-maire aurait bénéficié de renvois d’ascenseur » ,Karl Laske, 1 er mars 2007

"J'essaie de mettre la main sur l'autre menuisier", soupirait, hier matin, Claude Guéant,le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy. Dans son édition datée d'hier, le Canardenchaîné a révélé, factures à l'appui, le détail des travaux d'aménagement réalisés, en1997, par un promoteur de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) dans l'appartement quevenait d'acheter l'actuel ministre de l'Intérieur sur l'île de la Jatte. Un logement de prestige,précisément situé dans le périmètre de la zone d'aménagement concerté (ZAC) qu'ilcoordonnait comme maire de Neuilly jusqu'en 2002. Acquis pour 876 000 euros (5,7 millions

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de francs) à l'époque, ce duplex de 233 m2 a été revendu par le ministre en fin d'annéedernière 1 942 000 euros (12,7 millions de francs).

Escalier. Selon le Canard enchaîné, le cabinet Lasserre aurait gratifié le maireaménageur d'au moins trois faveurs. En premier, selon les calculs de l'hebdomadaire,Nicolas Sarkozy aurait bénéficié, en 1997, d'un prix du mètre carré (24 636 francs) trèsinférieur à celui de la plupart de ses voisins (de 27 871 à 37 624 francs). "Sur le mêmeimmeuble, au même semestre, j'ai trouvé deux transactions à un prix inférieur", a nuancéhier Claude Guéant. Deuxième gentillesse : une semaine après la signature de la promessede vente, le 9 juin 1997, des travaux sont engagés pour réunir deux appartements ouvertured'un plancher, installation d'un escalier à hauteur de 925 002 francs (141 000 euros).Une perte sèche pour le promoteur. Le duplex comprend une entrée, un salon, un bureau,une salle à manger, la jouissance privative d'un jardin, une terrasse de 50 m2, un escalierprivatif, quatre chambres, deux salles de bains et balcons. Troisième problème : d'autresaménagements suivent jusqu'en octobre 1997 48 mètres linéaires de placards, baie, portesblindées, moulures en chêne. Ils s'élèvent à 907 535 francs (138 000 euros), selon leCanard, et Sarkozy n'en aurait réglé qu'une partie, 400 000 francs (61 000 euros), aupromoteur. "Les travaux ont été payés, a rectifié Claude Guéant, hier. Pour un coût de l'ordrede 600 000 francs [91 000 euros, ndlr]". Selon le directeur de campagne, certains travauxauraient été payés directement aux artisans, en particulier l'escalier payé par chèque 72360 francs (11 000 euros) par Nicolas Sarkozy, ainsi que des placards.

Ces faveurs immobilières, si elles étaient confirmées, pourraient s'avérerembarrassantes pour Nicolas Sarkozy. La création de la ZAC sur l'île de la Jatte est l'unde ses grands chantiers sur Neuilly. Peu après l'avoir lancée, en 1987, Sarkozy a cédé laconcession d'aménagement qui se traduira par 500 millions de francs (76 millions d'euros)de droits à construire à la société d'économie mixte du 92 (SEM 92), présidée par CharlesPasqua. Le maire y a presque tout fait, y compris signer les permis de construire. En2004, en récupérant la présidence du conseil général, il devient à son tour président dela SEM et aménageur de l'île de la Jatte... Sans y voir malice, il remet au passage àdisposition de sa copropriété des terrains en bords de Seine pour un euro symbolique."C'est normal qu'il ait voulu vivre dans le quartier qu'il avait contribué à réaliser", expliqueJoël Darcey, conseiller municipal, membre d'une association de protection de l'île. L'undes frères Sarkozy y habitait. Et son père Pal aussi, mais dans la partie levalloisienne del'île. "Les prix étaient tirés vers le bas. Il est arrivé au bon moment pour faire une affaire",commente Joël Darcey. Les promoteurs tirent quand même leur épingle du jeu. "La ZACa rendu constructible des terrains qui ne l'étaient pas à l'origine, explique Thierry Hubert,conseiller municipal Verts. Les berges côté Neuilly sont inondables. On y a construit en dépitdu plan d'occupation des sols."

"Témoins". Reste le promoteur. Aujourd'hui retraitée, Denise Lasserre a fait l'objet,hier, de moult sollicitations. Ainsi que l'a relaté le Monde, l'ancien directeur des servicestechniques de la ville, Jean Claude, a déboulé chez elle, hier, pour obtenir "devant témoins"l'assurance qu'elle n'avait consenti à Nicolas Sarkozy aucune remise sur le prix ni aucunavantage sur les travaux. Dans l'après-midi, le QG de campagne du candidat UMP diffusaitun communiqué de Lasserre allant dans le même sens. Ni remise ni largesses. "Nicolas afait expertiser le prix par les services fiscaux pour s'assurer qu'il s'agissait d'une fourchettenormale, assure de son côté Louis-Charles Bary, l'actuel maire (UMP) de Neuilly. La sociétéde Mme Lasserre a travaillé dans la ville de Neuilly comme beaucoup d'autres, commeBouygues ou la Cogedim, mais ni plus ni moins." Selon le maire, "aucune preuve" d'uneristourne sur le prix n'est apportée. Denise Lasserre "reproche à la mairie de ne plus lui

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donner de marchés". Elle a aussi perdu son fils, retrouvé mort sur l'un des chantiers dela ville, il y a quelques années. "Elle n'a plus d'équipe", tranche Barry. Denise Lasserre ad'ailleurs été tenue à l'écart de la dernière tranche de la ZAC de l'île de la Jatte.

Annexe 17 : « Le petit Nicolas et la grosse télé » , Raphaël Garrigos et IsabelleRoberts, 1 er mars 2007

Comme l'a dit François Bayrou lundi soir sur TF1, "c'est un sujet qui mérite émotion"(oui, Bayrou a dit ça, en parlant des harkis). Le sujet, c'est Nicolas Sarkozy et il méritevraiment émotion. Regardez-le, suivi par les équipes de Cinq ans avec sur M6, dimanchedernier. Sa manière de marcher, comme s'il boitait des deux pieds, son index droit qui touchesans cesse son sourcil droit comme pour éponger une disgracieuse goutte de sueur, sadécontraction forcée, ces mains de supporteurs qu'il serre, ces mains qu'il agrippe commes'il allait se noyer, et toujours, toujours le regard caméra.

Dimanche, c'est un écrin que lui a façonné M6: "On parlera de politique dans ladeuxième partie de l'émission, explique la présentatrice Estelle Denis, mais là on va parlerde vous." D'accord, le people d'abord, servi par deux femmes, Estelle Denis et Anne-Elisabeth Lemoine, la spécialiste du foot et une chroniqueuse de chez Fogiel, rien ne seperd sur la Six. Ensuite, pour les questions politiques, ce sera un homme, Bernard de LaVillardière, parce que faut pas déconner non plus. "Vous allez dire toute la vérité?" demandeDenis. "En tout cas, je vais essayer d'être authentique", répond Sarkozy, qui va nous faireson grand numéro de chattemite, voix doucereuse et détimbrée. Et c'est parti pour unreportage sur l'enfance de Sarkozy, version Oliver Twist de Neuilly, le père qui s'en va, lamère qui n'est plus invitée dans le monde. Commentaire: "Il a été façonné, dit-il, par leshumiliations de son enfance." Tout le temps du sujet et tout le temps de l'émission, une petitelucarne en bas, à gauche montre Sarkozy en train de se regarder en direct, totalement tendusur son image, il ne se quitte pas des yeux, se surveille, parfois rejoue la scène. Retourplateau, Sarkozy fait mine de grimacer quand on le voit jeune ("Retirez le type qui est àl'antenne") ou coiffé d'une casquette ("Excusez-moi encore pour la casquette").

Comme sur du velours, assis entre les deux animatrices, Sarkozy déroule son filsentimental, sa "part d'humanité" comme il dit. Nouveau sujet, Sarkozy en visite dans unsupermarché, raconte à un employé que lui aussi écoute RFM, Chérie FM et puis parfoisNostalgie, fait du rentre dedans pour de faux à une vendeuse. Face à Estelle Denis, ilfait l'étonné: "Non, non, non, je séduis rien du tout." C'est que, voyez-vous, la "télévisionintrospecte tout, vous vous rendez compte si je mentais, ça se verrait comme le nez aumilieu de la figure". Petit Nicolas... Comme ça a dû te faire mal de te faire battre à l'Audimatpar Ségolène Royal sur l'émission de TF1... Un peu plus tôt, M6 visitait son bureau PlaceBeauvau. Quelques objets personnels, un cliché Harcourt de ses enfants, une photo avecLionel Richie et surtout la "seule chose qui m'appartienne vraiment". Sarkozy fait un gestedu doigt pour montrer l'objet: "C'est la télévision, le cadeau de Noël de toute ma famille."Un écran, noir, brillant, plat, grand comme un cercueil, une télé immense pour se voir enénorme dedans. Dans la lucarne en bas à gauche, Sarkozy regarde Sarkozy qui regardesa grosse télé. Dans la lucarne Sarkozy a souri.

Annexe 18 : « Sarkozy chasse sur le territoire du FN » , Catherine Coroller, 10mars 2007

Un tollé. Et un seul soutien. Celui de Jean-Marie Le Pen. Vendredi, la proposition deNicolas Sarkozy, la veille au soir sur France 2, de créer, s'il était élu président, un "ministèrede l'Immigration et de l'Identité nationale" et de faire voter, dès juillet, une nouvelle loisur l'immigration destinée à "encadrer le regroupement familial", a suscité une vague de

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protestations. De ses adversaires évidemment. Mais aussi de l'ensemble des associationsde défense des droits de l'homme.

Nicolas Sarkozy propose trois conditions pour qu'un étranger puisse faire venir safamille en France : la loger "pour qu'il n'y ait plus de squats", avoir des revenus pour lafaire vivre et qu'elle ait appris "des rudiments de français avant de venir en France". Cedurcissement du candidat de l'UMP, désormais sous la pression d'un François Bayrou deplus en plus haut dans les sondages, n'a été salué que par Jean-Marie Le Pen : refuserd'"associer immigration et identité nationale", c'est nier que l'"immigration puisse porteratteinte à l'identité nationale alors qu'il s'agit d'une terrible réalité", a déclaré le leaderd'extrême droite.

"Frontière". François Bayrou a été un des premiers à réagir vendredi. "En enfermantdans la même phrase immigration et identité nationale", le ministre-candidat a franchiune "frontière", a-t-il estimé dans la matinée. Avant de souligner le soir, lors d'un meetingà Perpignan, que l'"identité nationale, elle a un nom et c'est la République. Dans unecampagne électorale, il arrive qu'on ait des déclarations risquées, mais il y a une chose qu'ilne faut pas faire, c'est que ces déclarations remettent en cause les principes républicainsles plus élémentaires".

"Les mots ont un sens", a affirmé pour sa part François Hollande. "Je crains vraimentque, dans cette campagne, Nicolas Sarkozy soit dans un flirt poussé avec les thèsesdu Front national", a ajouté le numéro 1 socialiste. En proposant de créer ce ministère,Nicolas Sarkozy "s'arc-boute dangereusement sur des questions identitaires", a ajoutéFaouzi Lamdaoui, secrétaire national adjoint à l'Egalité du PS. "Accoler immigration etidentité nationale renvoie aux épisodes les plus sombres de notre histoire, a affirmé poursa part Marie-George Buffet. Réveiller ainsi l'époque de Vichy pour mieux donner desgages aux thèses xénophobes et racistes du FN est indigne d'un candidat républicain [...].Décidément, Nicolas Sarkozy est un homme politique dangereux."

Les condamnations ont été tout aussi fortes chez les associations qui luttentquotidiennement aux côtés des étrangers. SOS Racisme, France terre d'asile, la Ligue desdroits de l'homme (LDH), le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples(Mrap) et le Réseau éducation sans frontières (RESF) ont désavoué les déclarations duministre. Ils y voient un risque pour la cohésion nationale. "L'association entre immigrationet identité nationale suggère, comme le martèle Le Pen depuis quinze ans, que les immigrésmenacent l'identité nationale", relève Jean-Paul Dubois, président de la LDH. Pour le Mrap,"Sarkozy fait ainsi un choix de société, celui du rejet de l'autre, dans une logique de divisionincendiaire".

"Opportun". Etonnamment, dans son propre camp, peu de voix se sont levées poursoutenir Sarkozy. Ses porte-parole sont vaillamment montés au créneau. En deux temps, vul'ampleur de la polémique. Le matin, Rachida Dati a estimé qu'il n'y avait "rien de choquant"dans la proposition du candidat UMP de créer un tel ministère. Selon elle, "la Francesouffre depuis plus de vingt ans d'échec de la politique d'intégration". "On a de plus enplus de mal à intégrer des gens qui sont Français, qui sont nés en France, par rapport àune première génération qui a eu moins de difficultés, donc [il faut] que l'immigration etl'identité nationale aillent ensemble", a-t-elle fait valoir. "Ce n'est pas parce que Bayrou està l'affût de tout et que Hollande est aux abois qu'il faut qu'ils racontent n'importe quoi", alancé Xavier Bertrand, l'autre porte-parole de Sarkozy.Hier soir, dans un communiqué, lesdeux porte-parole ont réaffirmé qu'"établir un lien entre l'immigration et l'identité nationaleest tout aussi nécessaire qu'opportun"."Affirmer que la France ne doit accueillir que lesmigrants qui parlent et écrivent le français, aiment la France, respectent ses valeurs, est

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aussi fondamental que de reconnaître que l'identité française s'enrichit avec l'arrivée denouveaux migrants", ont-ils expliqué.

Rhétorique. Reste que cette nouvelle proposition de Sarkozy s'inscrit dans undurcissement continu des conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Avecà la clé une inflation législative qui avait fini par poser question. En 2003, Sarkozy avaitfait voter une loi sur l'immigration, puis une seconde en juillet 2006, qui compliquait déjàle regroupement familial en fixant des conditions (surface d'habitation, ressources) plusexigeantes.

Avec sa déclaration de jeudi, il franchit d'ailleurs un nouveau palier, alors que tous lesdécrets d'application de son dernier texte ne sont même pas encore parus. Pour PatrickWeil, spécialiste des questions d'immigration, "le regroupement familial a déjà été restreintdans les deux premières lois [...]. Aller au-delà des restrictions apportées, c'est risquer demettre en cause le droit à la vie familiale normale qui est un droit fondamental". Celui énoncépar l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit de vivre enfamille.

Annexe 19 : « Du côté de Chirac, Sarkozy ne voit toujours rien venir ; pour sonallocution de dimanche, le Président n’a pas prévu de soutien au candidat » , AlainAuffray et Antoine Guiral, 10 mars 2007

Ne rien attendre de Jacques Chirac. Tel est pour Nicolas Sarkozy le principe de base.Trop de fois, il a espéré, attendu, des gestes de son aîné qui ne sont jamais venus.Dimanche (à 20 heures), pour son ultime causerie radiotélévisée à ses "chers compatriotes",le chef de l'Etat a écrit lui-même un texte court (une dizaine de minutes) que ses prochesannoncent comme "très personnel". "Sans nostalgie", il tentera d'expliquer où il a voulumener la France et insistera "sur les chantiers d'avenir et les grands défis qui attendent laFrance et, au-delà, l'humanité". Il annoncera qu'il ne se représente pas. Mais il n'apporterapas, à cette occasion, de soutien à Sarkozy. "Cela serait en parfaite contradiction avec legrand moment de solennité voulu", dit un de ses plus anciens conseillers.

Trop impatient, comme souvent, Sarkozy avait cherché à imposer son calendrier auchef de l'Etat, faisant dire par ses proches que le soutien présidentiel lui serait accordé ladernière semaine de février. Il n'en a rien été. Et pour cause : l'Elysée n'a pas appréciéque le candidat de l'UMP s'empare des domaines réservés présidentiels en organisant uneconférence de presse sur la politique étrangère (le 28 février), puis une convention sur ladéfense (le 6 mars), avant que Chirac n'ait fait part de ses intentions.

"Peurs". Persuadé que le Président lui accordera bien son soutien avant le premier tour,le candidat UMP a assuré jeudi soir sur France 2 qu'il mesurait l'importance de ce geste,venant de "quelqu'un qui aura été douze ans président de la République". L'entourage deSarkozy estime qu'une absence de soutien serait "catastrophique". "Cela viendrait conforterles craintes et les peurs de certains à l'égard de notre candidat", confiait début févrierFrançois Fillon. Mais, comme tous les sarkozystes, il ne croit pas que "Chirac puisse luirefuser son soutien".

Pourtant, nombre d'amis du ministre-candidat sont inquiets d'un éventuel appui duPrésident ou même de son Premier ministre. "Il faudra trouver la dose idéale. Trop enfaire côté Chirac ne serait pas crédible ; ne pas assez en faire serait interprété commeun désaveu", dit un sénateur UMP. Un autre sarkozyste ajoute, plus crûment : "Il y a piresoutien que celui de Chirac, c'est celui de Villepin." Sarkozy se trouve aujourd'hui dans unesituation particulièrement inconfortable : "Un soutien clair et net donnerait l'impression d'un

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rabibochage de façade, tandis qu'une absence de soutien plongerait la majorité dans lacrise", constate un élu.

Cadeau d'adieu. Soucieux que son bilan soit respecté et assumé par la majorité, Chiracn'a jamais caché sa détestation du mot "rupture", prononcé par Sarkozy. Cherchera-t-il àassocier le ministre de l'Intérieur à son bilan alors que celui-ci veut incarner un profondchangement ? Ce serait un cadeau d'adieu pour le moins malvenu. Mais les fidèles duchef de l'Etat tiennent à cette "valeur ajoutée" qu'ils veulent apporter à la campagne del'UMP. Selon eux, si Bayrou est si haut dans les sondages, c'est qu'il comble un vide queVillepin aurait, lui, su remplir. "Il faudra défendre le bilan d'un gouvernement qui a montréson efficacité dans la lutte contre le chômage", explique un ministre. Le villepiniste FrançoisGoulard, ministre de la Recherche, comprend que le Président se donne un peu de tempsavant d'épauler Sarkozy : "Il a beaucoup de messages à délivrer, il y a là matière à plusieursinterventions." Convaincus que la campagne se gagne dans les trois dernières semaines,les chiraquiens attendent de leur mentor qu'il "rehausse le débat" et aide à identifier les"vrais sujets" dont cette campagne tarde, selon eux, à s'emparer.

Annexe 20 : « Nicolas Sarkozy, l’homme du passif sécuritaire » , Antoine Guiral,29 mars 2007

"Facho", "provocateur", "loubard en costume"... Lorsqu'il débarque hier midi gare duNord pour prendre le TGV, Nicolas Sarkozy est accueilli par des cris hostiles, des sifflets,des huées. L'ex-ministre de l'Intérieur est sous pression, le visage tendu, rongé par des ticsfaciaux. La police en civil est partout. Un vendeur de journaux de rue brandit une caricaturereprésentant le candidat de l'UMP avec des couteaux plantés dans le corps : "Sarkozy entrain de se faire décapiter la tête, ça vous dit ?" La tension est palpable, la haine affleure.Le patron de l'UMP fonce. Il évite le local de la police qui a été assiégé la veille, mais félicitetrois fonctionnaires en uniforme pour leur travail.

Basculer. Sarkozy sent que quelque chose d'important est en train de se jouer. Il saitque sa campagne est plus fragile que ce que les sondages laissent apparaître. Un débutd'émeute comme la veille ici, et tout peut basculer. Il se doit de réagir en chevauchant auplus vite les thèmes de l'ordre et de la sécurité, pour ne pas laisser d'espace à Le Pen. Nià Royal ou Bayrou, qui l'accusent d'avoir fracturé le pays (lire ci-dessous). Alors, pour lapremière fois (il y en aura quatre autres avant son meeting du soir à Lille), il revient sur lesviolences de la veille. "Les gares sont des lieux de droit, c'est le territoire de la République.On n'a absolument pas à accepter que des voyous y commettent de tels actes. Je ne seraipas du côté des tricheurs, des provocateurs, des malhonnêtes qui pensent que pour se faireentendre il faut détruire une gare et des équipements publics payés par les contribuables."Avant de s'engouffrer dans son wagon, il répond à une question de Libération sur ce querévèle ce climat de défiance entre la population et la police : "Depuis des années, uneidéologie post-soixante-huitarde a conduit à tolérer l'intolérable, et je dois dire que le journalLibération en est un des éléments les plus brillants."

"Fiancée". Assis dans le train face à l'ex-ministre de la Santé Xavier Bertrand, Sarkozypasse le trajet à marmonner dans son portable, tête collée à la vitre. A peine arrivé à Lille, ilremet ça sur le quai : "Ce ne sont pas des jeunes qui ont fait ça hier, n'insultez pas les jeunes.Les jeunes, ce ne sont pas eux qui foutent le feu aux voitures ou cassent une gare. Alors,que les voyous ne m'aiment pas, la réciproque est vraie aussi..." Juste avant d'entrer danssa voiture, une jeune femme le hèle : "Mon ami rêve de vous parler, mais il ne peut pas caril porte un bracelet électronique... Je l'ai, là, au téléphone..." Le candidat attrape l'appareil :"Oui allô, c'est Nicolas Sarkozy. Allez, je vous embrasse et j'embrasse votre fiancée..."

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A Douai, le voilà qui déboule dans un centre d'accueil téléphonique. Poignées de main,sourire forcé et fausse décontraction. Les questions fusent, sans complaisance. Un garçonprend le micro : "Etes-vous toujours adepte du Kärcher ?" Le climat est tout aussi électriqueà l'étape suivante, un immense magasin Décathlon de Villeneuve-d'Ascq. Sarkozy a apprisque la gauche et Bayrou l'attaquent. Celui qui posait sa voix et parlait lentement depuisle début de la campagne retrouve un débit saccadé : "Il se trouve une candidate pourdonner raison à ceux qui frappent, ceux qui fraudent ; quel exemple !" Face aux salariés del'entreprise, il se lâche : "J'ai besoin que la France silencieuse, qui est l'immense majorité,dise "ça suffit !""

Dans la soirée au Zénith de Lille, dans une ambiance de feu, il achève la contre-attaque :"Quand je pense que deux candidats à la présidentielle ont osé prendre la défense d'unindividu connu des services de police pour 22 délits [...]. Eh bien, je vous le dis : le respectet l'ordre, c'est de notre côté. Le soutien à la fraude et à la délinquance, c'est de l'autre côté.Au moins, les choses sont claires."

Annexe 21 : « Sarkozy a franchi le périphérique nord » , Charlotte Rotman, 12avril 2007

Ils attendent dans une salle de la mairie, assis face à une tribune vide. Ils viennentd'obtenir la nationalité française, ou alors sont de nouveaux électeurs de 18 ans que la mairieveut honorer. Cela fait une demi-heure qu'ils patientent. A l'extérieur, une soixantaine dejournalistes font le pied de grue : caméras et micros attendent l'arrivée de Nicolas Sarkozyà cette "cérémonie d'entrée dans la nationalité française", organisée par la mairie UMP. Onest à Villepinte, en Seine-Saint-Denis, à huit stations RER de la gare du Nord. En banlieue,donc. "Ici, c'est pas la banlieue... Sarkozy vient à la mairie. C'est pas dans les quartiers",rigole Damien, 19 ans.

La visite est bien encadrée. Sur place, on n'a pas fait la pub de la venue du candidat.Mohamed Zenasni, élu municipal UMP, a découvert le matin même "en allant acheter unebaguette" que Sarkozy était là. Une jeune femme, elle, était dans la confidence car sesparents étaient invités mais elle a "gardé le secret", comme "la mairie avait demandé". Alors,quand Sarkozy arrive en voiture, à quelques mètres de l'entrée de l'hôtel de ville, il n'y apas de comité d'accueil. Et pas de mauvaises surprises non plus. Juste des journalistes(acheminés en bus) pour prouver que le candidat UMP a franchi le périphérique, cinq joursaprès le passage de Le Pen à Argenteuil, là où Sarkozy avait parlé des "racailles". MartineValleton, la maire, en parfaite hôtesse, le rappelle avec le sourire : "Nicolas Sarkozy a bienvoulu venir à Villepinte, en Seine-Saint-Denis, tout un symbole !" "C'est vrai, ça", approuveune militante UMP."Si les gens avaient su, c'est sûr qu'ils auraient été nombreux", penseKevin, 19 ans, un nouvel électeur venu chercher un livret de citoyen. Ils ? Les gars de sacité. Et "ça aurait été plus agité".

A la tribune, Nicolas Sarkozy exalte "la France qui donne tout, pourvu qu'on sache larespecter et l'aimer". Face à de nouveaux Français, il se présente comme "un fils et petit-filsd'immigré". "Moi aussi, j'ai eu à me battre pour y arriver... Vous êtes Français, n'acceptezplus jamais de subir." Il dit : "Désormais, la France est votre pays et vous n'en avez plusd'autre." Dans la salle, des jeunes Français dont les parents sont maghrébins ou africainsentendent qu'ils doivent laisser leurs origines au vestiaire de la République. "Marocains,Italiens, Juifs, Algériens : on n'oublie pas d'où on vient", pense pourtant Roukaya, 18 ans,qui porte le foulard. Sarko leur demande "d'aimer la France, le plus beau pays du monde".Halima, dont le père va voter pour le candidat UMP, nuance : "C'est un pays qui a sesavantages et ses inconvénients." Un pays où il y a du chômage et du racisme, complètent

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Damien et Kevin, qui ajoutent : "Sarko est venu nous serrer la main, je suis sûr qu'on vapasser à la télé : les deux Noirs et lui..."

Annexe 22 : « Un réactionnaire qui ne croit qu’en l’inné » , Charlotte Rotman,12 avril 2007

Les moeurs, le couple, la famille, les pédophiles, les suicidaires, le déterminisme, etc. ?La vision de Nicolas Sarkozy des questions sociétales n'est pas forcément cohérente. "C'estennuyeux : on ne sait pas ce qu'il pense. Il est capable de dire tout et son contraire", constateFrédéric Martel, auteur de le Rose et le Noir, une histoire des combats homos jusqu'auPacs, qui soutient aujourd'hui Ségolène Royal. Parfois, il a une posture politique que l'oncomprend : coller Le Pen pour s'en débarrasser. Mais dire que le suicide est inné, à quellestratégie cela correspond-il ?" s'interroge le chercheur. Qui ajoute : "Il entre dans tous lessujets avec violence, en créant du malaise."

Dernier en date ? Dans un entretien avec Michel Onfray, publié par Philosophiemagazine d'avril, Nicolas Sarkozy déclarait : "J'inclinerais à penser qu'on naît pédophile", et,plus loin : "Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année [...] parceque, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable [...]. Les circonstancesne font pas tout, la part de l'inné est immense." "C'est typique des thèses néoconservatrices,qui reviennent à réduire l'humain au biologique et à dire : "on n'y peut rien"", réagissaitElisabeth Roudinesco dans Libération des 7 et 8 avril.

Nicolas Sarkozy avait déjà provoqué un tollé en proposant le dépistage chez les enfantsde moins de 3 ans des signes avant-coureurs de délinquance. Il s'appuyait alors sur unrapport de l'Inserm qui préconisait "le repérage des perturbations du comportement dès lacrèche et l'école maternelle".

L'inné, encore. En février, Sarkozy a déclaré sur TF1 : "Je suis né hétérosexuel." Cequ'il a répété hier matin à Libération. "Cela identifie les gens, cela dit qu'ils sont incapablesd'évoluer", souligne Frédéric Martel. Le sociologue Eric Fassin analyse ce coming-outhétéro. Selon lui, Sarkozy dit deux choses : que "l'hétérosexualité est sa nature : il est ainsi,il n'y peut rien. [...] Mais du même coup, la nature se trouve individualisée : c'est ma nature."

Pour le juriste Daniel Borrillo, Sarkozy a une "vision sécurisante, familialiste,biologisante et parfois psychologisante (avec les voyous/les honnêtes gens)". Pour lechercheur, les clivages avec la gauche sont clairs. Exemple : pour Sarkozy, la lutte contrel'homophobie ne se fait que d'un point de vue pénal. Rien sur la prévention, "parce qu'il necroit pas aux vertus pédagogiques". Autre exemple : la famille homo. Le candidat UMP aproposé une union civile qui n'ouvre pas la filiation. Tout en répétant que "le modèle qui estle nôtre doit rester celui d'une famille hétérosexuelle"."Contrairement à la gauche, Sarkozyne distingue pas filiation et reproduction, décrypte Borrillo. Pour lui, la filiation hétérosexuelleest la seule "vraie" filiation, puisqu'elle est calquée sur la nature."

Annexe 23 : « Je ne sais pas si je suis un candidat qui inquiète… » , Alain Auffray,Renaud Dely, Antoine Guiral, Laurent Joffrin, Paul Quinio, 12 avril 2007

Partagez-vous cette conviction chiraquienne qu'une présidentielle se gagne dans lesquinze derniers jours ? Non. Elle peut se perdre dans les quinze derniers jours. C'est trèsdifférent. Depuis des années, on répète que je suis parti trop vite, que je vais exploser. Lavérité, c'est que ma stratégie est simple : j'ai commencé à fond et je n'ai cessé d'accélérer.

Vous vous droitisez pour rassembler votre camp au premier tour ?Vous vous trompez sur la situation de la France. Un électeur de gauche a autant besoin

qu'on lui parle de la nation qu'un électeur de droite. Dire que les ouvriers se droitisent est

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une absurdité. Quelle est la vraie caractéristique de cette campagne ? C'est que les gensne se mobilisent pas sur des mesures mais sur des valeurs, sur le sens. Mais si je veux êtretout à fait honnête, Ségolène est plus à droite que Jospin, je suis plus à droite que Chirac,Bayrou est plus à droite que Lecanuet. Finalement, celui qui est moins à droite qu'avant,c'est Le Pen !

Le "ministère de l'immigration et de l'identité nationale" a choqué à gauche, mais aussià droite...

Cela n'a rien d'une provocation. Il faut parler de l'immigration et de l'intégration en mêmetemps. Lévi-Strauss, le plus grand anthropologue français, a dit que "l'identité n'est pas unepathologie". Si vous ne mettez pas la question de l'identité dans la question de l'immigration,alors qu'est-ce que vous dites aux immigrés qui veulent devenir français sur ce qu'est laFrance ?

Cette revendication d'un ministère figure dans le seul programme du Front national.Ce n'est pas parce que Le Pen touche quelque chose que cela devient interdit. Les

gens se demandent ce que c'est qu'être français ? Ceux qui arrivent viennent avec leuridentité ; on ne leur parle pas de l'identité de la France. Je propose de leur parler de l'identitéde la France et de rassembler les deux concepts. Il y a un problème d'immigration, avec unsystème d'intégration qui ne marche plus.

Mais la plupart des immigrés s'intègrent...Le voile, les "grands frères", les mariages forcés, la communauté turque dont certaines

femmes ne parlent pas un mot de français, les nouveaux venus qui vivent entre eux, lesquartiers difficiles avec des ghettos, tout cela, c'est une invention de ma part ?

Vous voulez récupérer l'électorat de Le Pen ?Quand je dis : "Je veux convaincre les ouvriers de voter pour moi", personne ne

m'attaque. Quand on dit : "Attention ! Il veut récupérer l'électeur du Front national", alors là,on tremble ! Au nom de quoi récupérer les électeurs du FN, c'est mal ?

Cela dépend des moyens que l'on emploie...Il n'y a aucun moyen que j'emploie qui n'est pas républicain. Je me présente à des

élections, je fais des discours importants. Je vais chercher ces électeurs en leur disant :"Vous êtes libres de voter pour qui vous voulez mais le vote FN est inutile."

Pourquoi avoir abandonné votre idée d'accorder le droit de vote aux élections localesaux immigrés ? Ce serait un facteur d'intégration...

A titre personnel, je suis pour. Mais c'est une idée qui, aujourd'hui, cristallise lespassions, raidit les positions.

Vous inquiétez un électorat de centre droit séduit par Bayrou...François Bayrou est devenu un candidat de gauche. Il le dit lui-même. Je ne sais pas

si je suis un candidat de droite qui inquiète, mais depuis Pompidou pas un candidat dedroite n'a fait de tels résultats dans les études d'opinion. A la même époque en 2002,Jacques Chirac était à 21 %. La démocratie a besoin d'un vrai débat gauche-droite. C'estla dangerosité de Bayrou. A partir du moment où on nie le débat gauche-droite, on ouvreun champ béant aux extrêmes.

La position de Bayrou entre les deux tours vous inquiète ?

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Il prendra les positions qu'il veut. Je rappelle qu'il y a les législatives après. Il faut bienqu'il fasse une alliance, soit avec la gauche, soit avec la droite. Sinon, comment sont élusses députés ?

Si vous gagnez, Bayrou peut-il être un de vos ministres ?François Bayrou a beaucoup pratiqué l'insulte, pas moi. Je sais bien qu'il faudra

rassembler. J'attends les résultats du premier tour pour décider la stratégie du second.Reconnaissez que c'est curieux, un candidat qui dit : "Si je suis face à Royal, je rassembleraila droite, si je suis face à Sarkozy, je rassemblerai la gauche." C'est même la caricature ducynisme et de l'opportunisme !

Au second tour, serait-il plus redoutable que Ségolène Royal ?Le second tour est redoutable quoi qu'il arrive. Pendant six mois, on m'a expliqué que

Ségolène Royal était imbattable parce que c'était une femme, qu'elle souriait, qu'elle étaitmoderne. Les mêmes expliquent aujourd'hui qu'elle ne peut pas gagner. Ils avaient tort hier,ils ont tort aujourd'hui. Quant à François Bayrou, j'attends de voir, s'il est au second tour, sacapacité à rassembler l'électorat de gauche...

C'est vous le meilleur argument pour le rassembler ?Le "tout sauf Sarkozy" ? Je sais que c'est l'idée que vous caressez, mais où en trouvez-

vous l'illustration ? Où sont ces manifestations contre moi ?Il y a eu le déplacement à la Croix-Rousse, à Lyon, que vous avez annulé...La Croix-Rousse, c'est extraordinaire ! Il y avait quarante militants d'extrême gauche.

C'est ça, le référendum anti-Sarkozy ?S'ils n'étaient que 40, pourquoi avoir reculé ?Vous croyez que je veux faire le 20 Heures avec des images de violence autour de

moi ? Vous pensez que j'ai assez peu d'expérience pour tomber dans ce piège ?Vous n'irez donc pas en banlieue contrairement à ce que vous aviez annoncé ?Vous n'avez cessé d'expliquer que j'instrumentalisais la banlieue en y allant avec des

caméras. Depuis quelques mois, j'y vais moins, et vous expliquez que j'ai tort ! Vous agitezla muleta mais je sais qu'il y a un mur derrière, je ne suis pas obligé de me jeter dedans !

Pourquoi avoir déclaré que la pédophilie était génétique ?Je n'ai pas dit exactement cela. J'ai expliqué que tout ne dépendait pas de l'acquis,

mais qu'une partie pouvait être de l'inné. Dans quelle proportion ? Je ne suis pas savant. Parexemple, quand j'étais enfant, j'étais choqué parce que l'on expliquait, quand un enfant étaithomosexuel : "Sa mère a eu tort, elle a dormi avec lui". Quand un enfant était anorexique, ondisait : "Le père était absent." Quand un enfant était autiste, on disait : "Oh là ! Les parentsont divorcé, cela a provoqué un choc." Depuis, on sait que l'autisme, c'est génétique. Jepense aussi que la sexualité est une identité.

Vous avez dit que vous étiez né hétérosexuel...Oui, je suis né hétérosexuel. Je ne me suis jamais posé la question du choix de ma

sexualité. C'est pour cela que la position de l'Eglise consistant à dire "l'homosexualité estun péché" est choquante. On ne choisit pas son identité. Vous, à quinze ans, vous vousêtes demandé : "Au fond, suis-je homosexuel ou hétérosexuel ?"

Vous pensez qu'on exagère la part de l'acquis dans la mentalité contemporaine ?

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On a l'identité qu'on a. De la même façon qu'il y a des gens qui ont tendance à grossiret d'autres pas, des chauves et des chevelus, des petits et des grands... Nous sommes sixmillions de migraineux. C'est totalement héréditaire. Ma mère était migraineuse, mes filssont migraineux. C'est un patrimoine génétique.

Si on surestime l'acquis , c'est encore un méfait de cette "idéologie soixante-huitarde"que vous exécrez ?

Non. Le 68 que je dénonce, c'est le relativisme : tout se vaut. L'erreur fondamentale de68, c'est de ne pas avoir compris que la transgression de la règle amène à la création. Sivous supprimez la règle, il n'y a plus de beau et de mal, tout se vaut.

Votre programme fiscal ne sert pas vraiment les catégories populaires. La suppressiondes droits de succession, c'est un beau cadeau pour les riches ?

L'égalité des chances, ce n'est pas d'aller prendre le patrimoine de celui qui a la chancede naître dans une famille où il y a un patrimoine, c'est de faire en sorte que celui qui naîtdans une famille où il n'y a pas de patrimoine puisse en acquérir un. Il n'est pas illégitime quedes parents qui ont travaillé toute leur vie transmettent quelque chose à leurs enfants. Quedoit faire la République pour garantir l'égalité des chances ? Non pas retirer le patrimoine decelui qui a des parents qui l'ont gagné, mais donner plus à celui qui n'a pas de patrimoine.Moi, je suis pour que la République corrige les inégalités en promouvant ceux qui n'ont rien.Vous, vous êtes pour que la République corrige les inégalités en faisant reculer ceux quiont un patrimoine.

Le "Canard enchaîné" révèle que vous avez promis à Chirac d'éteindre les poursuitesà son égard après la fin de son mandat ?

C'est faux et grotesque !Quand allez-vous rendre public votre patrimoine comme vous l'aviez promis ?La seule chose que j'ai, c'est le produit de la vente de l'appartement que je possédais

et les parts que j'ai dans mon cabinet d'avocats. Les dividendes que j'ai touchés à cetitre, très modestes, ont été également publiés. Le directeur général des Impôts a dit :"S'agissant de l'ISF de M. Sarkozy, nous pouvons certifier qu'il n'y a aucun problème." Jesuis le seul candidat dont on ait dit cela. Il n'y a rien, aucun secret. Je n'ai pas de sociétécivile immobilière.

Cette campagne, elle est plus dure que vous le pensiez, comme le disait FrançoisBayrou ?

Non, plutôt moins. L'affaire Clearstream était lourde pour moi. Et puis la campagne, àvrai dire, a commencé en 2002.

Cinq ans de primaires à droite ?Oui, Chirac, Villepin, Raffarin, Alliot-Marie, c'est cinq ans de primaires ! Et il reste quinze

jours...Annexe 24 : « La démolition systématique, c’est ignoble » , Paul Quinio, 12 avril

2007"Je suis très heureux de faire une interview avec vous, dans un cadre normal

journalistes-homme politique", mais être l'invité spécial "d'un journal qui fait profession dem'attaquer matin, midi et soir, non". C'était hier, peu avant 9 heures, dans le bureau deNicolas Sarkozy à son QG de la rue d'Enghien, à Paris. Le candidat UMP explique pourquoiil a refusé l'invitation qui lui avait été faite de venir, comme avant lui Ségolène Royal et

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François Bayrou, au journal, pour participer à la conférence de rédaction. Et préféré laformule plus classique de l'entretien. "Vous avez écrit des choses qui m'ont blessé. Je pensequ'il y a des limites à tout. [...] Je n'accepte pas la démolition systématique. Que l'on dise quej'ai des défauts, que ce que je dis ne va pas, tout cela fait partie de la démocratie. Mais ladémolition systématique, ça, c'est ignoble. C'est tout. On ne va pas en faire un drame. Voilà."

C'est la une de Libération du 1er mars titrée "Le soupçon" (au moment de la polémiquesur le montant de son impôt sur la fortune et sur les conditions d'acquisition de sonappartement, revendu depuis, sur l'île de la Jatte à Neuilly ), qui est, plus que tout, restéeen travers de la gorge du candidat. A l'époque, Sarkozy avait appelé l'actionnaire principaldu journal, Edouard de Rothschild, pour s'en plaindre. "Il n'est pour rien" dans les articles"qui passent dans Libération", lui a rappelé hier Laurent Joffrin, directeur de la rédaction etprésident du directoire du journal. "Quand le journal qui lui appartient fait sa une sur "Lesoupçon" sur moi...", a répliqué Sarkozy. "C'est moi...", l'a coupé Joffrin. "Peut-être, maisc'est son argent" qui fait vivre "le journal qui m'attaque non pas politiquement, mais à titrepersonnel de façon assez déloyale, et déplaisante pour tout dire...", poursuit Sarkozy. Joffrinconclut la mise au point : "Il y a une charte, qu'il a signée et que nous avons signée, quidit que les actionnaires n'interviennent pas dans le contenu. Comme il la respecte... il vautmieux m'appeler moi. On a l'habitude de s'engueuler. Il n'y a pas de problème.""Si j'appelaisà chaque fois...", ajoute Sarkozy. L'interview peut commencer.

Annexe 25 : « Il n’en parle plus » , 12 avril 2007Dans son programme, Nicolas Sarkozy promet de baisser de 4 points de PIB

(produit intérieur brut) le taux de prélèvements obligatoires en cinq ans. Dans Libération,l'économiste Thomas Piketty relève "l'absence totale de crédibilité de la promesse",rappelant qu'"au moment où la révolution thatchérienne a produit ses effets les plus forts,de 1985 à 1995, les prélèvements n'ont baissé au total que d'à peine 2 points de PIB" auRoyaume-Uni.

Favorable au droit de vote des immigrés aux élections locales, Nicolas Sarkozy y arenoncé pour cette élection: "C'est une idée qui, aujourd'hui, cristallise les passions, raiditles positions".

En septembre, à Washington, Sarkozy fustige "l'arrogance française"pour le refusfrançais de participer à la guerre en Irak. Le 14 janvier, dans son discours d'investiture, lemême loue le "courage de Jacques Chirac" pour avoir tenu tête aux Etats-Unis en 2003...

En 2003, le ministre envisageait d'amender la loi de 1905 sur la séparation de l'Egliseet de l'Etat pour permettre à l'Etat et aux collectivités locales de financer les lieux de cultemusulman. Le 3 avril, dans la Croix, le candidat y renonce tant qu'il n'y a pas "consensus"sur le sujet.

Annexe 26 : « Sarkozy a peur de trop faire peur » , Alain Auffray, 18 avril 2007Sarkozy fait peur. C'est le sujet qui monte. Royal comme Bayrou s'en emparent pour

mobiliser. Et en en faisant sa une cette semaine, Marianne fait exploser ses ventes (lire ci-contre). L'UMP dénonce une "campagne ignoble", orchestrée par des socialistes "qui n'ontplus rien d'autre à dire". Mais dans l'entourage du candidat, on reconnaît que l'entreprise demétamorphose engagée par le candidat sur le mode de la "rupture tranquille", en novembre,n'a pas eu le succès escompté. Il s'était pourtant donné du mal, le candidat de l'UMP, pourprésenter, sur ses affiches de campagne, le visage rassurant d'un président serein surfond de paisibles pâturages. Mais devant les bureaux de vote, quelques griffonnages noirssabotent un peu partout cette image. Car c'est à lui, plus souvent qu'à Le Pen, que despotaches plus bêtes que méchants prêtent une moustache de dictateur.

Annexes

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Quatre années de guerre de tranchée contre les chiraquiens ont laissé des traces. Lesproches du chef de l'Etat et de son Premier ministre, Dominique de Villepin, avaient fait del'instabilité de Sarkozy leur argument massue. Quand le ministre délégué à l'Enseignementsupérieur, l'UMP François Goulard (rallié à Bayrou), dépeignait un Sarkozy diviseur à l'egosurdimensionné, il disait ouvertement ce que beaucoup confiaient hors micro. "Il exploseraen vol","son pire ennemi, c'est lui-même", assurait-on en chiraquie. Ses propres amis nesont pas à l'abri de ses coups de sang. La très dévouée députée UMP de Meurthe-et-Moselle, Nadine Morano, a été du jour au lendemain écartée de la campagne pour uneprestation télévisée jugée ridicule, tandis que le fidèle Brice Hortefeux, l'ami de trente-cinq ans déjà mis à l'écart, s'est fait incendier pour avoir proposé la semaine dernièrel'instauration de la proportionnelle.

Ce soir, à Issy-les-Moulineaux, Sarkozy tiendra meeting commun avec Simone Veil.C'est sur elle, plus que sur tout autre, que le candidat compte pour se faire reconnaîtrecomme un humaniste tempéré. Raté ! Car, quoi qu'elle dise ce soir, la très populaireancienne ministre centriste pourra difficilement revenir sur ce qu'elle confiait au début dumois au mensuel Tribune juive. Interrogée sur "le ministère de l'Immigration et de l'Identiténationale", elle répondait : "Pour moi, c'est plus qu'une imprudence. C'est plus grave. Jen'ai pas compris. D'abord, je trouve que la formule qu'il a employée est très ambiguë." Ona vu des soutiens plus chaleureux... Ségolène Royal et François Bayrou ne se privent pasd'en rajouter sur le côté "anxiogène" de leur rival, candidat "des clivages, des conflits, desdivisions", qui incarne "la France excitée" selon la socialiste.

A chacun de ses meetings, François Fillon sort, pour rassurer, sa réputation de"gaulliste social". Il explique qu'on peut "décomplexer la droite" sans mener "une campagnedroitière". La preuve ? Jeudi, au Mans, le bras droit de Sarkozy s'est présenté entouré de laporte-parole de l'UMP, Valérie Pécresse, de la secrétaire nationale UMP à la francophonie,Rama Yadé, et de la porte-parole de la campagne, Rachida Dati, "figures d'une nouvellegénération politique à laquelle Nicolas Sarkozy a décidé de donner toute sa chance".

Converti plus récent, Jean-Pierre Raffarin bat la campagne en jurant que "levolontarisme de Sarkozy est bien moins brutal que le sectarisme de Royal". Pour contrerl'argument de la peur, selon lui très "parisien", il suggère de faire monter au front Juppé,Borloo, peut-être Giscard, qui dirontla "confiance" d'une droite rassemblée. "Sarkozy, c'estun leader mais c'est aussi un négociateur qui ne va pas au blocage", fait valoir l'ex-Premierministre. L'ex-ministre Pierre Méhaignerie relativise lui aussi l'impact de l'argument de lapeur. Ça lui rappelle de vieux souvenirs : avant la présidentielle de 1988, ministre à l'époqueUDF sous la cohabitation et supporteur de la candidature de Raymond Barre, il revoitFrançois Mitterrand le prenant à part pour lui expliquer: "Vous, ça va. Mais Chirac, attention,il est dangereux..." C'est justement ce profil de diviseur "dangereux" opposé à un Mitterrandrassembleur qui avait causé la perte du candidat de la droite.

Annexe 27 : « Les dix fractures programmées de Sarkozy » , Service politiqueet société, 25 avril 2007

Que serait la France de Nicolas Sarkozy s'il accédait, le 6 mai, à la présidence de laRépublique ? Quelles sont ses volontés de réforme, ses mesures prioritaires ? En meeting,il répète que ses adversaires veulent le "diaboliser" et lui vouent de la "haine". Loin de nourrirde tels sentiments, Libération décrypte en 10 points les projets du candidat UMP qui fâchent.

Une certaine idée de la justiceCe qu'il veut faire. Il a promis de "lutter contre la récidive en instituant des peines

plancher pour les multirécidivistes". La dernière loi visant à réprimer plus sévèrement

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la récidive (élargissement des critères de la récidive, limitation des sursis...) remonte àdécembre 2005. Nicolas Sarkozy veut qu'au bout de trois fois le condamné écope de la peinemaximale prévue. Ce qui malmène le principe de l'individualisation de la peine inscrit dansla tradition juridique, la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme.Tous les spécialistes estiment qu'une telle mesure fera exploser la population pénitentiaire.

Sarkozy veut aussi supprimer l'excuse de minorité pour les récidivistes de plus de 16ans, et aligner progressivement la justice des mineurs sur celle des majeurs. Il tient aussià "expérimenter" une séparation entre les mineurs dont s'occupent les juges des enfants :d'un côté les victimes, de l'autre les délinquants. Sachant que les frontières sont totalementperméables.

Ce qu'il a fait. Il a beaucoup joué avec le principe de la séparation des pouvoirs, enmettant en cause personnellement des magistrats, notamment ceux du tribunal des enfantsde Bobigny, accusés de "démissionner" face aux délinquants. Au point que Guy Canivet, lepremier président de la Cour de cassation, avait été reçu par Jacques Chirac, en septembre2006, après avoir exprimé sa colère pour dénoncer "les termes provocants" de Sarkozy,alors ministre de l'Intérieur, "mettant en cause le fonctionnement de l'institution judiciaire".Le haut magistrat se montrait alors désireux d'exposer au chef de l'Etat "la gravité de cesatteintes réitérées à la répartition des pouvoirs prévue par la Constitution et le malaiseressenti par les juges".

Sarkozy a aussi multiplié le fichage en étendant notamment le fichier nationalautomatisé des empreintes génétiques créé sous la gauche pour pister les délinquantssexuels à quasiment tous les délits. Contre l'avis de la Commission nationale del'informatique et des libertés, ce fichier ne contient pas que des condamnés mais aussi dessuspects.

Une certaine idée de la policeCe qu'il veut faire. Le ministre de l'Intérieur en avait rêvé contre l'avis de Jacques

Chirac, et cette fois le candidat à l'Elysée est bien décidé à la mettre en place : unedirection unique du renseignement qui réunirait Renseignements généraux (RG) et Directionde la surveillance du territoire (DST). Officiellement, il s'agit de lutter plus efficacementcontre le terrorisme. Une direction unifiée aurait également l'avantage d'être plus facilementcontrôlable pour le pouvoir politique avec un homme idoine à sa tête. Nicolas Sarkozy veutégalement faire voter une nouvelle loi de programmation afin de "combler" les poches deretard des forces de l'ordre en matière de cryptologie, de biométrie et d'équipements. Lorsde ses deux précédents passages place Beauvau, Nicolas Sarkozy avait déjà largementcommuniqué sur les technologies (pistolet à décharge électrique, caméras...) au service dela police.

Ce qu'il a fait. Dès son arrivée au ministère de l'Intérieur au printemps 2002, NicolasSarkozy s'est attaché à galvaniser des policiers et des gendarmes qui avaient manifestéleur blues dans la rue à l'automne 2001. Il leur a garanti moyens et effectifs dans une loi deprogrammation votée durant l'été 2002. Le deuxième étage de la fusée sécuritaire Sarkozya été la mise en place de la "culture du résultat", aujourd'hui largement décriée dans lescommissariats. Lors de leurs dernières élections professionnelles, les policiers ont dénoncé,la "chasse aux crânes", c'est-à-dire l'inflation des interpellations et des gardes à vue. Enfin,il est le ministre de l'Intérieur qui a enterré la police de proximité mise en place par sesprédécesseurs de gauche.

Une certaine idée de l'immigration

Annexes

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Ce qu'il veut faire. L'objectif de Sarkozy est affiché : limiter l'immigration "subie". Lecandidat de l'UMP a annoncé la création d'un "ministère de l'Intégration et de l'Identiténationale" regroupant les attributions confiées aujourd'hui à trois ministères. Il a égalementpromis, dès juillet, une troisième loi sur l'immigration et précisé que les immigrés souhaitantvenir en France au titre du regroupement familial devraient apprendre des "rudiments" dela langue française.

Ce qu'il a fait. Alors ministre de l'Intérieur, il a fait adopter deux lois sur l'immigration, en2003 puis en 2006. La première comprenait une disposition plutôt favorable aux immigrésavec la suppression partielle de la "double peine". La seconde a durci les conditions derégularisation des immigrés en situation irrégulière, et celles d'entrée et de séjour desétrangers. Hautement symbolique, la suppression de la régularisation de plein droit aprèsdix ans de séjour, même clandestin, en France. La lutte de Sarkozy contre l'immigrationclandestine s'est accompagnée d'une augmentation des reconduites à la frontière : 24 000en 2006, un chiffre toutefois inférieur aux objectifs fixés aux préfectures. La loi de 2006était également censée ouvrir la porte à une immigration "choisie". Malgré quelques accordssignés avec des pays comme le Mali, ce système tarde à prendre forme.

Une certaine idée de l'individuCe qu'il veut faire. Nicolas Sarkozy pourrait revenir à la charge en proposant le

dépistage des signes avant-coureurs de délinquance chez les enfants de moins de 3 ans. Ils'était déjà appuyé sur un rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicalequi préconisait "le repérage des perturbations du comportement dès la crèche et l'écolematernelle". A trop scruter les "susceptibilités génétiques", il risque de considérer qu'"unsujet "est" délinquant avant même d'entrer dans l'existence", comme le regrettait alors ledocteur en psychopathologie Rodolphe Adam.

Ce qu'il a dit. Dans un entretien avec Michel Onfray, publié par Philosophie magazined'avril, Nicolas Sarkozy déclarait : "J'inclinerais à penser qu'on naît pédophile", et, plus loin :"Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année [...] parce que,génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable [...]. Les circonstances nefont pas tout, la part de l'inné est immense."

Une certaine idée du socialCe qu'il veut faire. Le candidat Sarkozy veut encadrer le droit de grève en imposant

un vote à bulletin secret au bout de huit jours d'arrêt de travail. Dans le secteur public, ilsouhaite l'organisation d'un service minimum instauré par la loi dès juillet. Il veut réduire lenombre de fonctionnaires en ne remplaçant pas les départs à la retraite. Pour les salariésdu secteur privé, il veut remplacer le CDI et le CDD par un contrat de travail unique, surle modèle du contrat nouvelle embauche (CNE) ou du contrat première embauche (CPE),ce qui permettrait à tout employeur de se séparer d'un salarié sans avoir à se justifier,en contrepartie d'une indemnité de licenciement revalorisée. Sa proposition d'exonérertotalement de charges sociales et fiscales les heures supplémentaires, payées 25 % pluscher, signerait la fin des 35 heures avec un effet négatif sur l'emploi, les entreprises ayantintérêt à allonger la durée du travail plutôt qu'à embaucher.

Ce qu'il a fait. Du fait de ses fonctions ministérielles, Sarkozy n'a jamais eu àintervenir directement dans le domaine social. Son passage au ministère de l'Economie,de mars à novembre 2004, fut bref. Le budget 2005, qu'il a préparé et fait voter, setraduisait essentiellement par le non-remplacement d'une partie des départs à la retraitede fonctionnaires. Il a soutenu la création du CNE à l'été 2005, mais quand Dominique de

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Villepin a lancé le CPE en janvier 2006, il a prudemment laissé le Premier ministre s'enferreravant de plaider comme président de l'UMP pour un repli stratégique.

Une certaine idée du logementCe qu'il veut faire. Alors que la France compte 1,3 million de demandeurs de HLM,

Nicolas Sarkozy, entend fixer "une obligation annuelle de vente de 1 % du parc social, soit 40000 logements" sociaux par an. Cela permettrait "de rendre le rêve de propriété accessibleà beaucoup de personnes qui en sont exclues actuellement", argumente le candidat UMP.Mais ces ventes risquent de concerner les plus beaux morceaux des HLM (les immeublesles mieux situés, les mieux construits), laissant dans le champ du parc social les cités ou lesbâtiments les plus excentrés, accentuant ainsi les phénomènes de ghettoïsation. La miseen oeuvre d'un tel programme risque aussi de réduire l'offre d'habitat social, au momentmême où les loyers du privé flambent et deviennent inaccessibles aux ménages à petitsrevenus, voire moyens en région parisienne et dans les grandes métropoles régionales.

Ce qu'il a fait. Président du conseil général des Hauts-de-Seine, Nicolas Sarkozy adécidé en 2005 de vendre 4 000 HLM dans son département en cinq ans (soit 800 par an enmoyenne). Pour faire taire les critiques, il a promis de les remplacer par des constructionsnouvelles, devant s'ajouter aux 3 300 logements sociaux nouveaux déjà programmésannuellement par le département. Ce qui fait un total de 4 100 logements HLM à réaliserchaque année. Mais sur le terrain ça ne suit pas : seulement 2 590 ont été construits en2006 et à peine plus de 1 500 en 2005. Autre fait d'armes : maire de Neuilly pendant neufans, Nicolas Sakozy n'a jamais accordé une quelconque priorité au logement social. Sa villecompte moins de 3 % de HLM. C'est l'une des pires élèves parmi les communes de France,bien en deçà des objectifs de la loi SRU qui impose 20 % de logements sociaux dans lescommunes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France).

Une certaine idée de la santéCe qu'il veut faire. Son programme Ensemble réaffirme les grands principes du

modèle français de Sécurité sociale, pour "garantir l'égalité et l'équité de l'accès aux soinspour tous". Mais Nicolas Sarkozy veut "également que chacun se sente responsable dufinancement de notre système de santé". Aussi propose-t-il "un système avec quatrefranchises : les premiers euros annuels sur les examens biologiques, les premiers eurosannuels sur les médicaments, les premiers euros annuels sur les visites médicales etmême sur l'hospitalisation". Ces sommes, inscrites sur un "compte annuel", ne seraient"pas remboursées" par la Sécurité sociale. Leur montant ferait l'objet d'un "débat chaqueannée devant le Parlement" et serait fonction de la santé financière de l'assurance maladie.Cette logique strictement comptable de rééquilibrage des comptes de la Sécurité socialereviendrait à rembourser de moins en moins les malades, les contraignant à souscrire desassurances complémentaires de plus en plus onéreuses.

Ce qu'il a fait. Ministre de l'Economie en 2004, au moment où ses homologues à laSanté, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand, préparaient et faisaient voter la réformede l'assurance maladie, Sarkozy ne leur a pas permis de puiser dans les recettes fiscalespour renflouer la Sécurité sociale. Défenseur de l'orthodoxie budgétaire et partisan d'uneréduction des prélèvements obligatoires, il ne connaît que la baisse des dépenses pouréquilibrer les comptes, qu'il s'agisse du budget de l'Etat ou des comptes sociaux.

Une certaine idée de la fiscalitéCe qu'il veut faire. Nicolas Sarkozy a prévu d'abaisser encore le "bouclier fiscal" (qui

permet de plafonner le total des impôts payés par un contribuable) à 50 %, alors qu'il estactuellement de 60 %. Surtout il souhaite supprimer jusqu'à 95 % des "droits de donation

Annexes

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et de succession pour tous les patrimoines petits et moyens". Or, en France, grâce à lalégislation fiscale existante, 80 % des patrimoines transmis en ligne directe échappentdéjà à toute imposition. Avec cette nouvelle proposition, 15 à 20 % des Français les plusriches échapperaient à nouveau aux successions. L'impôt sur la fortune pourrait de faitdisparaître. Le candidat promettant une déduction de 50 000 euros de l'impôt contre un telinvestissement dans une PME. La politique fiscale, au final, devrait profiter aux citoyens lesplus aisés.

Ce qu'il a fait. En cinq ans, la droite a mené une étrange politique fiscale. Que jamaisSarkozy n'a désavouée. Baissant de manière drastique l'impôt sur le revenu (IR), dont letaux marginal a progressivement été abaissé à 40 %. Aujourd'hui l'IR ne représente plusque 25 % des recettes fiscales de l'Etat. Mais dans le même temps, la majorité a réussi laprouesse de faire augmenter le taux des prélèvements obligatoires : l'ensemble des taxesfiscales et sociales atteint 44,4 %. Elle a aussi inventé le "bouclier fiscal". Autant de mesuresfiscales au service des plus aisés.

Une certaine idée des médiasCe qu'il veut faire. Il prévoit un superministère rassemblant les médias, la culture et

l'éducation, et un renforcement des missions culturelles de France Télévisions. En matièrede médias, le programme de Nicolas Sarkozy est maigre. Il faut dire qu'il en a déjà tellementfait...

Ce qu'il a fait. Dernier incident en date : il pète les plomb en coulisses de l'émissionFrance Europe Express sur France 3 parce que monsieur n'a pas de loge. Sarkozy n'aimerien tant que mettre sa patte dans les médias, où il compte beaucoup d'amis : ArnaudLagardère, patron du groupe éponyme qui a gentiment viré Alain Genestar, patron de Paris-Match coupable d'avoir publié une une présentant Cécilia Sarkozy et son nouvel amoureux ou encore Martin Bouygues, qui possède TF1. Sarkozy aime aussi beaucoup passer descoups de fil. A Robert Namias (TF1) et Arlette Chabot (France 2) pour les remercier d'avoirlevé le pied sur le soulèvement des banlieues fin 2005. A Bertrand Méheut, patron deCanal +, pour, en juin 2005, défendre Karl Zéro dont l'émission est menacée. A Edouardde Rothschild pour se plaindre de la façon dont Libération le traite. Le zélé Jean-PierreElkabbach cherche-t-il à Europe 1 un journaliste politique pour suivre l'UMP qu'il demandeconseil à... Nicolas Sarkozy. "Normal, répond celui-ci, j'ai été ministre de la Communication."

Une certaine idée du pouvoirCe qu'il veut faire. Comme souvent en la matière, les postulants à l'Elysée oublient

rapidement leur promesse de partager les pouvoirs du chef de l'Etat qu'ils viennent dese voir attribuer par le peuple. Lorsqu'il dit vouloir un "président fort", nul doute queNicolas Sarkozy le sera. Et surtout, quinquennat oblige, plus engagé dans la conduitede la politique quotidienne. Dans ce cadre, le Premier ministre ne sera plus qu'unchef d'équipe gouvernementale. Logique dans ces conditions que le Président viennes'expliquer en personne devant le Parlement, ce qui lui était interdit jusqu'à présent parla tradition républicaine. Tout aussi logique qu'il ne puisse plus se prévaloir d'aucun"domaine réservé" (politique étrangère et défense). Pour mettre en oeuvre ces réformes,Nicolas Sarkozy a annoncé qu'il désignerait avant l'été une commission de révision de laConstitution dont les conclusions seront soumises au Parlement en septembre

Ce qu'il a dit. L'ancien ministre de l'Intérieur défend les institutions de la Ve République :"Ce régime, avec son président fort et son gouvernement doté des moyens d'agir, est faitpour la France", expliquait-il ainsi début avril. Mais, pour lui, "le président de la Républiquedevra gouverner". S'il entend conserver l'essentiel des institutions créées par le général de

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Gaulle en 1958, il veut les amender sur deux points : en limitant le nombre de mandatsprésidentiels à deux et renforçant les pouvoirs du Parlement, qui aura un droit de regardsur les nominations dans les grandes institutions (Conseil constitutionnel, Conseil supérieurde l'audiovisuel, etc.).

Annexe 28 : « Quelle haine ? » , Laurent Joffrin, 25 avril 2007Non, Nicolas Sarkozy, vous n'êtes pas le martyr de cette campagne, la victime d'une

injuste cabale, le saint Sébastien de la droite française ligoté par les rouges au poteau dusupplice. Pour la plupart, vos adversaires ne sont pas animés par la haine, la peur ou leressentiment. Et, selon toute probabilité, il n'y aura pas de "front anti-Sarkozy" vociférant etgrimaçant, qui vous rendrait la tâche si facile. Il y a seulement un désaccord franc, direct,foncier, avec la politique que vous proposez. Ni plus ni moins. Il faut vous y habituer, mêmesi vous ne goûtez guère la contradiction. Il en va ainsi dans les sociétés libres.

Votre projet est libéral. Ce n'est pas un crime. C'est même un progrès à beaucoupd'égards : plutôt qu'imposé par la fausse fatalité de la mondialisation, ce projet libéral seraitchoisi, si vous gagnez, en connaissance de cause. Mais si le libéralisme n'est pas un crime,il a des conséquences.

Pour les libéraux, seul le libre choix des agents économiques, sans autre frein d'uneloi minimale, permet de parvenir à l'optimum collectif. La plupart des mesures prévues parvous, prudentes ou audacieuses, reposent sur cette conviction. L'ennui, c'est que ce dogmen'est jamais vérifié en pratique. Le marché laissé à lui-même conduit tout le monde le sait à l'efficacité, mais aussi à l'injustice. Vous voulez faire beaucoup pour l'efficacité. Rien oupresque contre l'injustice.

Une seule mesure symbolise toutes les autres : la quasi-suppression des droits desuccession. On comprend que vous vouliez protéger le droit de propriété, qui comprend ledroit de tester librement. Mais ce choix en contredit un autre, qui importe beaucoup dansnotre République : l'égalité des chances. Les uns se donneront beaucoup de peine, commevous le souhaitez. Mais les autres, comme disait un certain Figaro (celui de Beaumarchais,pas l'autre), se donneront seulement la peine de naître.

On a fait une révolution pour cela. Il n'y aura pas de révolution contre vous, rassurez-vous. Personne ne veut voir votre tête au bout d'une pique. Mais, pour cette raison et pourbien d'autres, ils sont beaucoup, soyez-en sûr, à ne pas souhaiter la voir, dimanche 6 mai,avec le sourire du vainqueur.

Annexe 29 : « UMP : La haine ne paie pas » , Alain Auffray, Antoine Guiral, 25avril 2007

Pour l'UMP, il n'y a pas de doute : le "tout sauf Sarkozy" (TSS) ne paie pas. Les Françaisne l'ont-ils pas démontré dimanche en donnant 31 % de leurs suffrages à Nicolas Sarkozy ?Brice Hortefeux estime que "l'excès de caricature" aurait plutôt contribué à renforcer lecandidat en créant du clivage. Selon un cadre de l'UMP qui s'indigne d'avoir à l'expliquer,"Sarkozy n'est pas Le Pen. Pour l'immense majorité des Français, il ne représente en rienun danger pour la démocratie".

"Poliment". "Ils cherchent à constituer un front commun des haines et des intolérances",s'est exclamé hier soir Nicolas Sarkozy à propos des socialistes lors de son meeting àRouen, "qu'ils essaient, si c'est leur façon de concevoir la politique". Comme pour conjurerla constitution d'un front contre lui, le candidat avait pris soin lundi soir à Dijon de seposer en victime en lançant 46 fois cette interrogation : "Pourquoi tant de haine?" Contrele "mensonge, le discrédit jeté sur l'adversaire au moyen de l'insinuation et de la rumeur, il

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nous revient de débattre librement, poliment comme il se doit dans une démocratie apaisée",avait-il ajouté.

Passé officiellement dans le camp sarkozyste depuis lundi soir à Dijon, le député ex-socialiste Eric Besson a prédit à une foule de militants UMP : "La diabolisation est la seulearme qu'a trouvée le PS. Alors n'en doutez pas, vous allez beaucoup la voir à l'oeuvre dansl'entre deux tours."

La porte-parole du candidat UMP, Rachida Dati, a tenté de démontrer, hier matin, que lefront anti-Sarkozy n'avait fonctionné, dimanche, ni chez les jeunes ni dans les quartiers. Ceque ne confirment pas les chiffres disponibles. Nicolas Sarkozy reste loin derrière SégolèneRoyal chez les 18-24 ans. Et s'il fait mieux en banlieue que Chirac en 2002, c'est qu'il y asiphonné l'électorat d'extrême droite. Dans la plupart des bureaux des quartiers sensibles,Ségolène Royal a fortement mobilisé, jusqu'à atteindre plus de 60 % des suffrages !

"Plein et entier". Qu'on ne compte pas, enfin, sur Dominique de Villepin pour alimenterle TSS. Hier, Sarkozy était invité à déjeuner par le Premier Ministre, qui lui a réaffirmé sonsoutien "plein et entier". Sarkozy serait donc capable de s'entendre avec son pire ennemi.Au risque de redevenir le candidat du bilan...

Annexe 30 : « La haute main de Sarkozy sur les médias » , Raphaël Garrigos,Catherine Mallaval, Isabelle Roberts, 28 avril 2007

Les médias sont-ils au service de Sarkozy ? Et, si oui, qui passe les plats ? Alors quel'organisation du débat entre Ségolène Royal et François Bayrou a continué vendredi dedéfrayer la chronique (lire ci-contre), la question d'une certaine intrusion pour rester poli du candidat Sarkozy dans les médias se repose avec une méchante acuité. Suite d'un longfeuilleton, lors duquel l'homme a su déployer un large registre : grosse colère (récemment,en coulisses de l'émission France Europe Express sur France 3, parce qu'il n'avait pas deloge), invectives directes à des journalistes, remerciements douteux, par exemple à RobertNamias (TF1) et Arlette Chabot (France 2) pour avoir levé le pied sur le soulèvement desbanlieues fin 2005, quand il ne s'agit pas d'abus de pouvoir caractérisé. C'est bien NicolasSarkozy qui, lorsqu'il était encore ministre de l'Intérieur, a exigé et obtenu le limogeage dupatron de Paris Match, qui avait eu l'outrecuidance de montrer Cécilia en compagnie d'unautre que lui en une. Caractère autoritaire ? Manque de respect pour l'indépendance desmédias ? Ce qui est sûr, c'est ce que le candidat jouit d'un formidable réseau de copainsqui tiennent le haut du pavé dans les médias.

Un grand réseauD'abord, il y a Martin Bouygues, le plus proche de tous, son meilleur ami et, ça tombe

bien, patron de TF1 (soit un tiers de l'audience télévisuelle). Mais il y a aussi ArnaudLagardère, son "frère", patron du groupe qui abrite en son giron Europe 1, Paris Match,leJDD, etc. C'est sans compter avec Serge Dassault, déçu du chiraquisme, et propriétairedu Figaro, Bernard Arnault, le témoin de son mariage avec Cécilia, et propriétaire de laTribune, ou encore François Pinault, propriétaire du Point avec qui Sarko partage entreautres la même passion du vélo. Et alors ? Tous ces patrons-actionnaires ont-ils le petitdoigt sur la couture et peuvent-ils vraiment mettre leurs journalistes au garde-à-vous ? Passi simple. Mais certains faits sont troublants.

La télé sous influenceCoups de fil, conseils, pressions, et sans doute et aussi une bonne dose d'autocensure

de la part des chaînes de peur de déplaire, l'ombre de Sarko plane sur les JT. La crisedes banlieues de 2005 en est l'illustration toute spéciale. Novembre de cette année-là, 7

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à 8 (TF1) saisit en caméra cachée une provocation policière envers des jeunes. Savon dudirecteur de l'information. Le dimanche suivant, l'émission contrebalance avec les interviewsde maires de banlieues chaudes. Le 10 novembre, cette fois, c'est France 2 qui diffusedans son JT les images du tabassage de jeunes par des policiers. Ceux-ci sont suspendus.Arlette Chabot décide d'ôter le reportage du site web de France 2 : "Nous ne voulions pastomber dans la surenchère." En août dernier, le ministre de l'Intérieur, invité à TF1 pourune interview, en profite pour passer un savon mémorable à un journaliste. La raison ?Un reportage sur les sans-papiers de Cachan, jugé trop complaisant. En juin 2005, quandCanal + songe à se débarrasser de Karl Zéro à la déontologie variable, Sarkozy appelleBertrand Méheut, patron du groupe, pour l'en dissuader. Pour le coup, il n'est pas le seul,puisque Laurent Fabius s'est lui aussi fendu d'un coup de fil. Autre affaire : le 7 mars 2006, laveille d'un délicat voyage du ministre aux Antilles, TF1 annonce que le joker de PPDA seradésormais le journaliste noir et antillais Harry Roselmack. Un bien beau hasard n'arrivantjamais seul, Sarkozy est déjà au courant. Le 17 février, recevant Place Beauvau le clubAverroes, qui défend l'image des minorités dans les médias, le ministre de l'Intérieur avaiten effet annoncé la nouvelle : il y aura, cet été, un Noir au 20 heures. D'ici à ce que cesoit Sarkozy qui ait lui-même soufflé l'idée à Bouygues... Plus récemment, ainsi que leraconte cette semaine le Canard enchaîné, Claude Guéant, directeur de campagne deSarkozy, a tenté de s'assurer auprès de Patrick de Carolis, président de France Télévisions,que les émissions de Georges-Marc Benhamou, récent soutien de l'UMP, seraient bienreconduites à la rentrée. Raté : Carolis l'a envoyé sur les roses. Mercredi dernier encore, lorsde l'interview de Sarkozy sur TF1 par PPDA et François Bachy, un détail amusant : plusieursplans ont montré que, sous la table, le candidat de l'UMP avait enlevé ses chaussures.Sarkozy en chaussettes ! Il se croit chez lui, ou quoi ?

Brouillage sur les ondesEst-ce un hasard si les Guignols s'en donnent à coeur joie sur un si zélé Jean-Pierre

Elkabbach qui, du haut d'Europe 1, pratiquerait à outrance des interviews cire-UMP ? Entout cas, en février 2006, le Canard enchaîné révèle que Jean-Pierre Elkabbach, directeurde la station, a pris conseil auprès de Nicolas Sarkozy sur le choix d'un journaliste politique."C'est normal, fanfaronne Sarkozy. J'ai été ministre de la Communication." Et il ajoute :"Je les connais, les journalistes." De son côté, Elkabbach revendique sa "méthode" derecrutement, qui consiste, dit-il, à prendre l'avis des politiques, mais aussi de syndicalistesou d'associations : "Je fais cela pour tous les services parce que je veux avoir les meilleurs...Je ne peux pas interdire aux politiques de me donner leur avis. Mais, ensuite, je décide à100 % moi-même."

Pressions sur la presseC'est sans doute sur Paris Match que les interventions de Nicolas Sarkozy ont été les

plus directes et les plus pressantes. Témoin, l'incroyable limogeage de l'ancien patron deParis Match, Alain Genestar. Témoin aussi, depuis, le chouchoutage du candidat. Ah ! cetitre "Un destin en marche",dont a bénéficié Sarkozy en décembre dernier (sans parler deshuit pages lui étant dédiées). Mais si c'était tout. Très déboussolant aussi, le tout récent"outing" de Joseph Macé-Scaron, actuellement directeur adjoint de la rédaction de Marianne(1), dans l'émission On refait le monde du 16 avril sur RTL : "J'ai été démissionné du FigaroMagazine [en juin 2005], tout simplement parce que j'ai refusé de tailler des pipes à M.Nicolas Sarkozy." Direct. Autant que les coups de fil de Sarkozy à Edouard de Rothschild(actionnaire de référence de Libération) pour se plaindre...

(1) Les Inrockuptibles du 24 avril.

Annexes

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Chapitre 3, le personnage du Monde (articles)Annexe 1 : « Le virage à droite de Nicolas Sarkozy » , Arnaud Leparmentier, 5septembre 2006

Derrière le triomphe, un net raidissement. Devant les jeunes UMP à Marseille ce week-end, Nicolas Sarkozy a opéré un virage à droite en réponse au trouble provoqué dans sacourse à la présidentielle par l'irruption de Ségolène Royal.

Il y a un an, le président de l'UMP était en position de force. La victoire du non auréférendum européen laissait le Parti socialiste au bord de l'implosion. Nicolas Sarkozypouvait prôner la rupture moderniste avec un PS anachronique, incapable de clarifier sonrapport à la mondialisation et au marché. La rupture valait autant par rapport à l'immobilismechiraquien. Il pouvait espérer occuper un spectre politique large, allant des partisans dePhilippe de Villiers au centre-gauche.

Le phénomène Royal a bousculé la donne : en réhabilitant le blairisme, la présidentede Poitou-Charentes a stoppé la surenchère à gauche du PS, qui a adopté entre-temps unprogramme, certes digne d'un inventaire à la Prévert, mais de nature social-démocrate. Enattaquant sur les valeurs de « l'ordre juste » et du travail, elle est partie à la reconquêtedes classes populaires qui avaient abandonné le PS. Femme, neuve aux yeux du public,elle était la rupture.

Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy se sont ainsi retrouvés à chasser sur les mêmesterres. Sauf que, comme l'explique l'eurodéputé UDF Jean-Louis Bourlanges, « SégolèneRoyal incarne une forme de rupture plus assimilable par les Français ». La candidate àl'investiture socialiste serait plus à même de rassurer les Français et de leur faire accepterles mutations nécessaires dans la mondialisation. Peu importe, si, comme l'a affirmé à tortou à raison le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin, « cette candidate est plus soc ialiste que les autres... cela finira par se voir ».

Pour contrer Mme Royal, Nicolas Sarkozy, qui est parvenu à écarter son rival Dominiquede Villepin, affiche désormais une stratégie de rassemblement : alliance des hommes, avecl'intégration des chiraquiens convertis par nécessité au sarkozysme; union avec l'aile socialede l'UMP avec le discours économique d'Agen aux accents séguinistes prononcé en juin;reprise à son compte d'une partie du bilan du gouvernement Villepin, désormais défendableavec le retour de la croissance et la baisse du chômage.

Mais cette tactique peut donner le sentiment que le président de l'UMP redevientl'héritier de Jacques Chirac et qu'il adopte une tactique attrape-tout pour séduire chaqueélecteur et ses aspirations contradictoires. « Il y a deux mois, j'étais accusé d'être un libéralcommunautariste et atlantiste. Deux mois après je serais devenu tellement ouvert auxFrançais que j'aurais perdu toute cohérence. Ces considérations n'ont aucun sens. La vérité,c'est que si l'on veut gagner l'élection présidentielle, il faut rassembler 50 % des électeurs,plus une voix », s'est défendu, dans le Figaro Magazine, le candidat de la droite.

Comme le note l'eurodéputé Alain Lamassoure, « l'exercice de cohérence globale resteà faire. C'est l'enjeu du programme présidentiel. Sarkozy doit montrer en quoi il parvient àposer le problème en termes nouveaux par rapport à la dialectique classique gauche-droite». Le programme du candidat de l'UMP devra aider à donner un contenu à la rupture.

Pour l'heure, le raidissement se fait sur les sujets de société. Celui qui avait pris decourt les socialistes en osant abolir la double peine veille désormais à ne plus heurter sonélectorat, en particulier les milieux populaires : exit le vote des étrangers aux élections

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municipales. De même, s'il veut instaurer une nouvelle union civile, Nicolas Sarkozy aopposé un « niet » au mariage et à l'adoption par les homosexuels.

Ce repli a été étayé à Marseille, où M. Sarkozy est allé jusqu'à promouvoir unerévolution néo-conservatrice. Il a fustigé la génération de Mai 68 qu'il accuse d'avoir «enterré partout, dans la politique, dans l'éducation, dans la société, une inversion desvaleurs et une pensée unique dont les jeunes d'aujourd'hui sont les principales victimes». Hymne au gaullisme et à la troisième République et invocation des auteurs les plusclassiques : l'exercice a permis à M.Sarkozy d'attaquer les socialistes pour avoir trahil'héritage de Jaurès et de Blum, en citant leurs propos sur l'école.

Mais cet ancrage dans le passé n'est pas sans désavantage : il complique le recoursaux solutions nouvelles. Au lieu de créer de nouvelles valeurs, il restaure celles d'hier. M.Sarkozy avait fait des pas vers la reconnaissance de la diversité de la société française, aupoint qu'il fut accusé de communautarisme. Cette approche devient contradictoire avec lesréférences à la IIIe République et au gaullisme. S'il a vanté le « métissage des cultures etdes idées, le brassage (...), principale force de création dans tous les domaines », la prioritéest à la République. Sans elle, « vous aurez le communautarisme, la loi des tribus, chacunrenvoyé à ses origines ethniques, à sa religion. (...) La République n'est pas un choix. Pourchacun d'entre nous, ce doit être une exigence et un devoir. » Soucieux de mettre fin audénigrement de la France, le président de l'UMP a vanté la jeunesse française « héroïque» en 14-18, célébré la « génération de la résistance » des années 1940 et proposé, dans lafoulée de Ségolène Royal, un service civique obligatoire. « La France est (...) votre patrie etvous n'en avez pas d'autre même si vos parents ou vos grands parents sont venus d'ailleurs», a-t-il lancé.

L'Europe et la mondialisation ont à peine été évoquées à Marseille. M. Sarkozy, qui sedit proche de Tony Blair, de Gordon Brown et d'Angela Merkel, a renoué avec la traditiond'immodestie gaulliste, qui risque de paraître bien pusillanime au XXIe siècle. Ainsi de saproposition pour sauver la langue française : il faut, selon lui, faire apprendre aux enfantsune langue vivante en plus de l'anglais tout « en exigeant de tous nos partenaires que dansleurs trois langues, il y ait le français ».

Le discours de Marseille a montré un futur candidat replacé dans un cadre traditionnelgauche-droite. « J'ai toujours pensé que la bipolarisation était non seulement inéluctablemais nécessaire », a expliqué M. Sarkozy dans le Figaro Magazine. « Si vous gommezle clivage gauche-droite, par quoi le remplacez-vous ? Les anciens et les modernes ? Enconnaissez-vous beaucoup qui se mettront spontanément du côté des anciens ? Le clivageentre Européens et nationaux ? Connaissez-vous beaucoup d'Européens qui accepterontde renoncer à leur patrie, beaucoup de nationaux qui accepteront de renoncer à l'idéeeuropéenne ? »

Devant les jeunes, à Marseille, il a choisi : la droite, les anciens et la nation, au risquede basculer d'une rupture moderne dans une rupture réactionnaire.

Annexe 2 : « Chirac affiche ses désaccords avec le projet Sarkozy » , 17 novembre2006

Peser jusqu'au bout. Jacques Chirac, revenu avec éclat sur la scène publique depuisl'été, agite désormais l'hypothèse d'une cinquième candidature à l'élection présidentielle etse comporte comme s'il était en campagne. Son épouse Bernadette lance ainsi dans LeNouvel Observateur qu'il siégera au Conseil constitutionnel - comme c'est de droit pour toutancien président de la République - mais « dans cinq ans ».

Annexes

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Agiter l'hypothèse d'un troisième mandat - encore faudrait-il être réélu - relèvecependant de la tactique pour terminer correctement le deuxième. M. Chirac a desdésaccords de fond avec Nicolas Sarkozy, qu'il lui signifie désormais publiquement : sur lapolitique étrangère, sur le libéralisme, sur la cohésion nationale. De là à entraver, si celaest possible, la candidature de celui qui sera probablement désigné par l'UMP le 14 janvier2007, il y a un pas que M. Chirac n'a pas franchi. Bernadette Chirac prend d'ailleurs soind'encenser le ministre de l'intérieur, mesurant bien qu'une victoire de la gauche entraîneraitune relecture catastrophique du bilan de son mari.

Et toute la droite n'a qu'un cauchemar : la réédition perpétuelle des guerres familiales.Alain Juppé, qui passe son tour pour la présidentielle en 2007, n'approuve pas la tactiquechiraquienne; il répond sèchement au Figaro du 15 novembre qu'il n'a « pas de commentaireà faire » sur l'hypothèse d'une candidature du chef de l'Etat. C'est l'avis d'à peu près toutela droite, quelques inconditionnels mis à part.

Dominique de Villepin, de son côté, n'a renoncé à rien. Lors du conseil national del'UMP, jeudi 16 novembre, qui doit adopter le programme législatif de l'UMP, il rongera sonfrein. A l'instar du chef de l'Etat, il multiplie les piques à l'égard de Nicolas Sarkozy, sur lefond, mais ne dévoilera aucunement ses intentions avant des mois. Il attend en particulierde savoir si Jean-Marie Le Pen figurera dans la liste des candidats, après avoir obtenu sesparrainages.

L'UMP, elle, tout acquise à la cause de son président, continue à suivre son calendrier.Son projet, qui sera définitivement adopté fin novembre, devrait coûter entre 30 et 40milliards d'euros de dépenses publiques. Pour financer ce contrat de législature, sans greverles finances publiques, le parti majoritaire de la droite table sur une croissance de 2,225% par an en moyenne. L'objectif de Nicolas Sarkozy étant de ramener le poids de la dettepublique « sous la barre de 60 % du PIB ». Au Parlement, c'est le budget de l'Elysée quisera sur la sellette, jeudi. La mission « pouvoirs publics » du projet de loi de finances pour2007 souhaite lever l'« opacité » sur les comptes de la présidence, faisant observer que,depuis 1995, le budget de la présidence, hors fonds secrets, supprimés en 2001 par legouvernement de Lionel Jospin, a été multiplié par neuf.

Annexe 3 : « Sarkozy se pose en candidat de la « rupture tranquille » » , ArnaudLeparmentier et Philippe Ridet, 1 er décembre 2006

Officiellement candidat à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy veut faire de« l'ordre et du mouvement » les deux mots d'ordre de sa campagne. « Nous ne sommes pascondamnés à l'immobilisme dans le monde d'aujourd'hui, a-t-il déclaré, jeudi 30 novembreau Monde. Le mouvement protège, l'immobilisme expose.»

Le président de l'UMP veut faire de la France « le pays où tout peut devenir possiblepour tout le monde ». Il axera son message sur des sujets concrets : « la promotion sociale,la possibilité de devenir propriétaire de son logement, d'avoir pour ses enfants une meilleureécole, la possibilité pour les salariés d'avoir un meilleur salaire et plus de pouvoir d'achat». M. Sarkozy entend « parler à tout ceux qui pensent que ce n'est jamais pour eux ».Une manière aussi de s'adresser à l'électorat de gauche. « Au fond, dit-il, Ségolène Royalva essayer de convaincre qu'elle peut faire de la sécurité, et moi que je peux faire dupouvoir d'achat. » Le candidat de l'UMP ne s'estime pas débordé sur sa droite, alors que lessondages pointent un score élevé du Front national. « Cela reste à prouver », dit-il, estimantqu '« aucune élection partielle ne montre une progression du Front national, aucune. » Alorsque, selon un sondage CSA pour Le Parisien et iTélé, 43 % des Français (contre 40 %)souhaitent que le ministre de l'intérieur aille jusqu'au bout de sa mission, il annonce : « Je

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préciserai le 14 janvier [date du congrès de soutien de l'UMP] quand je partir ai. » « Jene peux pas m'enfermer dans un calendrier trop précis. Des événements peuvent survenir», précise-t-il en évoquant des risques d'attentats ou d'émeutes. « Je suis le premier àm'imposer cette règle », dit-il encore.

Jeudi 30 novembre, plusieurs dizaines de quotidiens régionaux et départementauxont publié un entretien du ministre de l'intérieur accordé à des représentants de la pressequotidienne régionale. De nombreuses fuites sur Internet ont officialisé dès mercredil'annonce de cette candidature. A la question : « Etes-vous candidat à la présidence de laRépublique ? », M. Sarkozy répond simplement : « Oui je le suis. » Evoquant le « choixd'une vie », M. Sarkozy estime avoir « la force, l'énergie et l'envie de proposer une autrevison de la France ».

Et la rupture ? « Rompre, ce n'est pas la crise, insiste le ministre de l'intérieur. A ceuxqui voudraient m'appeler à la continuité, je pose la question : «Etes-vous sûrs d'être enharmonie avec les Français ?» » Toutefois, M. Sarkozy prend soin d'accorder le mot de «rupture » à l'adjectif de « tranquille ». Un « clin d'oeil » assumé à la « force tranquille » deFrançois Mitterrand en 1981. « Il y a beaucoup d'électeurs de gauche qui voteront pour moi,confie M. Sarkozy au Monde. Ceux qui sont vraiment décidés à faire bouger les choses. »

Annexe 4 : « Sarkozy et le partage du pouvoir » , Jérôme Jaffré, 1 er décembre2006

Fort du soutien de l'UMP et de la faveur dont il jouit dans l'opinion de droite, NicolasSarkozy occupe une position jamais vue dans cette partie du champ politique depuis lacandidature de Georges Pompidou en 1969. Mais cette situation est si dominante qu'elleinquiète jusque dans son propre camp. La bataille qui y a fait rage ces dernières semainespeut se lire, au moins en partie, comme la volonté d'obliger le ministre de l'intérieur, s'ilest élu, à partager un peu de l'immense pouvoir qui sera le sien. Et de permettre ainsiaux grands barons de son camp - Alain Juppé, Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie,Jean-Pierre Raffarin ou Jean-Louis Borloo - de conserver l'autonomie et la puissance quileur permettront de jouer un rôle.

Tout cela pourrait apparaître comme une simple affaire d'ambitions personnelles sice qu'on pourrait qualifier d'excès de position dominante de M. Sarkozy ne finissait parinquiéter une partie importante des Français. Ses propositions sur les institutions, au débutde l'année, ont laissé entendre que son projet était d'ajouter aux fonctions du président de laRépublique l'essentiel du rôle du premier ministre, tout en restant bien discret sur les contre-pouvoirs qui viendraient limiter cette toute-puissance. Certains propos laissent égalementpenser que, même élu, il entend bien garder le contrôle de l'UMP. Cette conception estde nature à fournir les armes d'une campagne anti-Sarkozy, puisque, parmi les critiquesque le public lui adresse, vient déjà en bonne place le sentiment d'un homme « assoifféde pouvoir ».

Ce schéma, s'il est celui de M. Sarkozy, s'inscrirait, il est vrai, dans la conceptionclanique qui fut celle des présidents gaullistes de la Ve République. Le général de Gaulleparlait de ses « compagnons », nommait premier ministre son ancien directeur de cabinet etattendait des députés qu'ils se comportent comme des « godillots ». Elu président, GeorgesPompidou écarta sans ménagement nombre des collaborateurs du Général, évinça lesgaullistes de gauche, et son successeur à Matignon, Maurice Couve de Murville, disparutde la scène politique. Vainqueur en 1995, M. Chirac, au lieu de rassembler sa majorité,mena la chasse aux balladuriens. Bénéficiaire d'un triomphe bien chanceux en 2002, il sereplia sur ses soutiens du premier tour, qui représentaient moins du cinquième du corps

Annexes

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électoral. C'est ce boomerang qui inquiète aujourd'hui les chiraquiens, dont beaucoup sontà la recherche d'assurances sur leur avenir dans le sarkozysme.

Fait nouveau dans cet héritage, la conquête de l'UMP par M. Sarkozy a transformél'équilibre classique des institutions. Le ministre de l'intérieur a en effet profité de la révolutiondémocratique - l'élection du président au suffrage universel des militants - lancée au RPRpar Philippe Séguin et de la condamnation d'Alain Juppé. Nicolas Sarkozy a réussi ainsi àmettre la main sur le grand parti de la droite voulu par Jacques Chirac comme garantie d'unmandat sans histoires et promesse d'être libre de se représenter ou de mettre sur orbite lesuccesseur de son choix.

La conquête du parti unique par M. Sarkozy a jeté à bas ce bel édifice. M. de Villepin n'ajamais pu exercer la fonction de chef de la majorité, traditionnellement dévolue au premierministre. Et M. Chirac, s'il semble brûler d'envie d'être candidat, se trouve sans parti niélecteurs pour le soutenir, ce qui risque fort de transformer son désir en regret. Il ne peutmême pas peser sur le choix de celui qui portera les couleurs de la droite et qui s'est imposécontre lui.

Président de l'UMP, M. Sarkozy dispose d'un double pouvoir décisif : le contrôlefinancier de la droite, puisque le budget annuel du mouvement est de l'ordre de 50 millionsd'euros, et son contrôle politique, avec les investitures accordées pour les différentesélections, et en particulier aux 362 députés membres du groupe UMP ou apparentés. Lavolonté de cohérence des électeurs et la notabilisation du système politique qu'entretientle scrutin majoritaire donnent à M. Sarkozy, s'il est élu président, de fortes chances de voirreconduite à l'Assemblée nationale la majorité absolue des sièges pour son parti.

JOLI PARADOXEEnfin, le culte du chef hérité du gaullisme et le charisme du ministre de l'intérieur lui

assurent au sein de son parti des scores à la soviétique. Le projet législatif - critiqué à hautevoix par Mme Alliot-Marie - ne vient-il pas d'être adopté par 98 % des adhérents ? Dans cesconditions, la réticence des candidats possibles à se lancer dans le processus des primairesparaît assez naturelle. Aujourd'hui, l'UMP est moins le grand parti de la droite qu'un partide supporteurs.

A la lumière de ce qu'il fait subir à M. Chirac, on comprend que M. Sarkozy, s'il estproclamé vainqueur le 6 mai 2007, ait le souci de ne pas laisser un grand baron de ladroite s'emparer de l'UMP ! De même qu'on discerne dans la stratégie de M. Juppé, premierprésident du mouvement, ou de Mme Alliot-Marie, seule RPR à avoir été élue à sa têtedirectement par les militants, le dessein de se faire élire président de l'UMP pour assurerleur poids politique et préparer les échéances suivantes.

En leur temps, le général de Gaulle et Georges Pompidou veillèrent à ce que l'UNRpuis l'UDR ne soient dotées que d'un simple secrétaire général, si possible assez effacé.Mais la demande démocratique est aujourd'hui beaucoup plus forte que dans les années1960 ou 1970. Et l'UMP ne peut réussir à assembler les traditions gaullistes, libérale et pourpartie centriste en étouffant en son sein le débat démocratique.

A terme, le risque pour l'UMP est d'éclater en plusieurs formations distinctes. Lasolution réside sans doute dans l'abandon du culte du chef et l'approfondissement d'unevie démocratique reconnaissant l'existence de véritables courants et leur représentation àhauteur de leur influence, avec à la tête un leader qui en assure l'équilibre. Joli paradoxe :si elle porte son président à l'Elysée, l'UMP, pour assurer son avenir, devra davantageressembler au Parti socialiste !

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Dans l'immédiat, le risque pour M. Sarkozy est que les Français s'inquiètent de ce quipourrait apparaître comme une volonté de tout régenter. Même avec des hommes ou desfemmes liges, il ne pourra pas cumuler les fonctions de président de la République, depremier ministre et de chef de l'UMP, comme il cumule aujourd'hui les rôles de ministre del'intérieur-candidat à l'élection présidentielle-chef de l'UMP et président du conseil généraldes Hauts-de-Seine. Le risque est aussi que les barons de son camp préfèrent agir poursa défaite plutôt que de se voir privés d'avenir. Pour s'élever à la fonction présidentielle, illui faut faire progresser la démocratie à droite et montrer que, s'il est élu, il partagera unpeu de son pouvoir.

Annexe 5 : « Les chiraquiens rallient la candidature de Sarkozy », Plantu, 23 décembre2006

Le dernier forum régional de l'UMP, à Bordeaux, jeudi 21 décembre, a été l'occasion,pour Nicolas Sarkozy, de consolider sa position de candidat de son parti à l'électionprésidentielle. Alain Juppé, maire de la ville, a exprimé sa « confiance » dans le fait que «tous, nous nous rassemblerons autour de notre candidat » quand celui-ci aura le soutiendes militants lors du congrès prévu le 14 janvier. « Des changements profonds, parfois desruptures, sont nécessaires », a déclaré l'ancien premier ministre, fondateur de l'UMP etproche de Jacques Chirac. Ces propos, évitant d'anticiper sur le processus de désignationdu candidat, sont assez transparents pour signifier le ralliement de M. Juppé à M. Sarkozy.

Autre ancien premier ministre, Jean-Pierre Raffarin a officialisé, sur TF1, son soutien àM. Sarkozy. M. Raffarin a indiqué que sa démarche sera accompagnée par une centaine dedéputés de l'UMP. Elle fait suite aux ralliements de plusieurs ministres considérés jusqu'alorscomme fidèles de M. Chirac ou favorables à la candidature de Dominique de Villepin : XavierBertrand (santé), Philippe Douste-Blazy (affaires étrangères), Thierry Breton (économie etfinances), entre autres.

Au cours du débat, Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, n'a pas donnél'impression de se préparer à se déclarer candidate contre M. Sarkozy. Celui-ci est ainsien position de force, sans rival annoncé ou crédible. Ce débat a eu lieu le jour même oùle premier ministre était entendu comme témoin par les juges d'instruction qui enquêtentsur l'affaire Clearstream. Vendredi matin, au cours d'un petit déjeuner des membres dugouvernement, M. de Villepin a indiqué, en réponse à une interpellation de M. Sarkozy : «Je ferai tout pour faire gagner mon camp. »

Annexe 6 : « Villepin refuse l’union autour de Sarkozy », 9 janvier 2007Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation

Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de LyonAnnexe 7 : « 2004-2007, les étapes du combat de Nicolas Sarkozy », 14 janvier 2007Annexe 8 : « Sarkozy renforcé », 22 décembre 2006A quatre mois exactement du premier tour de l'élection présidentielle, le 22 avril 2007,

le paysage politique se décante. Il ne fait plus guère de doute que Nicolas Sarkozy, qui seraofficiellement désigné le 14 janvier, portera les couleurs de l'UMP et affrontera SégolèneRoyal, la candidate socialiste, en espérant offrir aux électeurs le second tour dont ils ont étéprivés en 2002. Jeudi 21 décembre, à Bordeaux, l'UMP a achevé - après Paris (9 décembre)et Lyon (15 décembre) - son cycle de forums préprésidentiels. L'exercice a surtout permis àM. Sarkozy de confirmer son leadership et de s'imposer, notamment face aux chiraquiens,comme l'incontournable candidat de la droite républicaine.

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Depuis qu'il a pris la présidence de l'UMP, M. Sarkozy s'efforce de démocratiser lefonctionnement de sa formation. Cet apprentissage de la démocratie est lent et laborieux.Ainsi la « primaire » du 14 janvier rompt avec une tradition gaulliste - selon laquelle l'électionprésidentielle est la rencontre entre un homme et un peuple, et non l'affaire des partis-, même si les 300 000 militants de l'UMP sont invités à « soutenir », et non à investir,le candidat. Ainsi M. Sarkozy a dû se résigner à organiser des débats pour tenir comptede l'écho très positif rencontré par le Parti socialiste, qui a su organiser la confrontationdémocratique entre Ségolène Royal et ses deux challengers, Laurent Fabius et DominiqueStrauss-Kahn.

L'UMP a essayé de copier le PS, mais les deux partis n'étaient pas dans la mêmesituation. M. Sarkozy, archifavori de son camp depuis plusieurs mois, n'avait à affronteraucun autre candidat déclaré. Faute de concurrence réelle et de clivage idéologique entreMichèle Alliot-Marie, qui en est restée au stade de la candidature virtuelle, et le numéro deuxdu gouvernement, les forums ont ressemblé à des jeux de rôle, mis en scène artificiellement.Ils ont surtout permis à M. Sarkozy, quitte à égratigner l'image démocratique qu'il essaie dedonner à l'UMP, de renforcer sa suprématie, en engrangeant les ralliements de ministreschiraquo-villepinistes - de Xavier Bertrand à Philippe Douste-Blazy - et en recueillant, avantmême que le président de la République se prononce, l'onction de fidèles de JacquesChirac : Jean-Pierre Raffarin aujourd'hui et, demain, Alain Juppé, déjà converti aux «ruptures ».

Il reste que les trois derniers mois de l'année 2006 ont vu s'épanouir une saineémulation démocratique, totalement inédite avant une élection présidentielle, entre lesprincipaux partis de gouvernement. Afin d'éclairer le choix des électeurs dans quatre mois,la gauche et la droite devront déployer tout autant d'énergie pour nourrir de véritables débatsà la hauteur des défis politiques, économiques, sociaux et européens que la France doitrelever.

Annexe 9 : « Sarkozy veut rassembler au-delà de son camp », Philippe Ridet, 16 janvier2007

Annexe 10 : « M. Sarkozy centre sa campagne sur la France et le travail », PhilippeRidet, 16 janvier 2007

Annexe 11 : « Un nouveau Sarkozy ? », 16 janvier 2007Annexe 12 : « Le ministre-candidat est accusé par le PS de « confusion des genres »,

Gérard Davet, 1er février 2007Annexe 13 : « Police : Sarkozy rejette les attaques socialistes », Gérard Davet, 1er

février 2007Annexe 14 : « Nicolas Sarkozy remet « l’ordre » et « l’autorité » au premier plan »,

Philippe Ridet, 25 février 2007Annexe 15 : « M. Sarkozy quitte le Ministère de l’Intérieur sur des résultats mitigés »,

Piotr Smolar, 22 mars 2007Annexe 16 : « Sarkozy reçoit le soutien de Chirac et quitte le gouvernement », Béatrice

Gurrey, 22 mars 2007Annexe 17 : « La stratégie des candidats à trois semaines du but », Service France,

4 avril 2007Annexe 18 : « Nicolas Sarkozy fédère contre lui une galaxie hétéroclite », Ariane

Chemin, 7 avril 2007

La Sarko-munication:Mots, images et outils pour gagner

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Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Chapitre 3 : Les unesAnnexe 1 : Libération, 19 septembre 2006

Annexe 2 : Libération, 4 septembre 2006Annexe 3 : Libération, 22 septembre 2006Annexe 4 : Libération, 16 décembre 2006Annexe 5 : Libération, 6 décembre 2006Annexe 6 : Libération, 13 janvier 2007Annexe 7 : Libération, 15 janvier 2007Annexe 8 : Libération, 26 janvier 2007

Annexe 9 : Libération, 1er mars 2007Annexe 10 : Libération, 10 mars 2007Annexe 11 : Libération, 29 mars 2007Annexe 12 : Libération, 18 avril 2007Annexe 13 : Le Monde, 26 septembre 2006

Annexe 14 : Le Monde, 1er décembre 2006Annexe 15 : Le Monde, 20 décembre 2006Annexe 16 : Le Monde, 16 janvier 2007Annexe 17 : Le Monde, 7 avril 2007Annexe 18 : Le Monde, 28 avril 2007Annexe 19 : Le Monde, 4 mai 2007Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation

Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de LyonRésuméLa « Sarko-munication » est la stratégie de communication politique de Nicolas Sarkozy

pour la campagne présidentielle 2007. Elle s’appréhende à travers trois axes : l’héritagequ’il porte de la droite, sa communication dite maîtrisée ou la représentation symbolique deson identité politique, et la révélation du réel par le biais des médias.

Mots-clésCommunication politique, Nicolas Sarkozy, élections présidentielles 2007, médiation

symbolique de l’identité.