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La sexualité de la femme enceinteexcerpts.numilog.com/books/9782402568685.pdf · 2018-05-26 · JEAN GONDONNEAU Secrétaire Général du Mouvement Français pour le Planning Familial

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La sexualité de la

femme enceinte

@ ÉDITIONS BALLAND 1973

JEAN GONDONNEAU Secrétaire Général du Mouvement Français

pour le Planning Familial

GERARD GARNIER

L a s e x u a l i t é

d e l a

f e m m e e n c e i n t e

BIBLIOTHÈQUE DU PLANNING FAMILIAL

BALLAND

Introduction

Devenir mère est une virtualité qui fait partie intégrante du destin biologique et social de la femme. On peut parler d'une « disposition naturelle » de la femme à la maternité, certains auteurs estimant que l'oblativité est inscrite dans le futur rôle de mère, dont l'aptitude à donner serait liée aux caractéristiques biologiques de la féminité. Si l'homme « met sa femme enceinte » expression populaire sym- bolisant la paternité génitale, la femme elle, « tombe enceinte » ou « se trouve prise », cette dernière expression marquant le poids de la fatalité dans une situation regrettable. Souvent, la vie du couple est transformée par l'apparition de l'enfant, dont la venue souhaitée est un événement important et préparé de la vie conjugale. Le désir de maternité de sa partenaire est indispensable pour que se manifeste, chez l'homme, une aspiration à la paternité et, selon Bernard MULDWORF, « on est mère dès l'instant de la conception et dès la grossesse, on devient père ».

La grossesse provoque une transformation du corps qui modifie la perception que la femme a de « l'image » de son corps. C'est, au-delà de l'aspect physique, la personnalité de la femme qui est transformée par les effets de la grossesse. L'enfant en gestation occupe non seulement son corps, mais aussi sa pensée, modifie au-delà de ses formes, son psychisme. La femme enceinte est atten- tive aux changements de plus en plus prononcés de son corps et au développement du fœtus. « Tout au long des neuf mois de grossesse, elle a pu, psychologiquement, faire la différenciation

progressive de ce qui, dans son corps, était elle-même, d 'une part, et se t rouvait être son enfant d 'autre part » (Bernard M U L D W O R F ) . Les relations psychologiques complexes que la femme entret ient avec son corps au cours de la grossesse sont à l 'origine du sentiment maternel qui est donc une relation narcissi- que de la future mère avec elle-même, avant de devenir une relation de la mère avec son enfant. Dans cette perspect ive, la perception que l 'enfant « bouge » est un moment important de la grossesse qui rentre alors dans une phase où l 'homme peut être associé plus concrè tement au développement de son enfant. Les mouvements du fœtus rappellent à la future mère qu 'un être en gestation est là, et maint iennent en éveil l ' intérêt de la femme qui s 'accroît avec les manifestat ions de plus en plus précises du fœtus. Il est bien difficile de distinguer ce qui, dans le rapport affectif de la femme enceinte avec elle-même, concerne spécifiquement la rela- tion avec le fœtus en formation. Féminité et maternité sont pour beaucoup de femmes, inséparables, la maternité étant le plus sou- vent décrite comme un prolongement indispensable de la féminité. Des jugements de valeurs ne sont pas étrangers à de telles considéra- tions. Aussi, convient-il de les accueillir avec méfiance et d 'évi ter toutes les généralisations abusives. La maternité est aussi l 'expres- sion de la nécessité de la reproduct ion et, socialement, son utilité a des conséquences sur l 'at t i tude du mari, de la famille et de l'opi- nion publique à l 'égard de la grossesse et de celle qui en porte la lourde responsabili té. L ' impor tance et la gravité qui caractérisent la période de gestation entraînent des exigences et des interdits concernant la conduite de la femme enceinte pendant sa grossesse. Les relations sexuelles n ' échappen t pas à des considérations dont les aspects moralisateurs seront dégagés. Pour beaucoup, aujour- d 'hui encore, en effet, les relations sexuelles pendant la grossesse sont à éviter, voire à proscrire.

La coexis tence dans les opinions et les pratiques de vérités d'or- dre scientifique et de préjugés est habituelle. Le poids de la tradition et des coutumes contrebalance largement les enseignements de la médecine obstétricale et de la psychologie. Pour interdire ou freiner la pratique de l 'acte sexuel, trois arguments sont le plus souvent avancés : les mouvements coïtaux risquent de décrocher le fœtus, les dangers d' infection mettent en péril la santé du fœtus et de la femme, la femme est fatiguée et ne désire pas avoir de

relations sexuelles. Ces arguments ne sont pas to ta lement irrece- vables, mais leur rationalité est douteuse et leur formulat ion ne repose pas toujours sur des bases scientifiques indiscutables. Ainsi, s'il est vrai que dans le premier t r imestre de la grossesse , les r isques de déc rochement du fœtus existent , plus tard ils d isparaissent . De même, l ' infection est à redoute r en fin de grossesse , où d 'ai l leurs la femme est souvent éprouvée par les derniers jours de gestat ion, mais les craintes d ' infect ion peuvent être conjurées par une hygiène r igoureuse et le devoir conjugal n ' impose pas des relations sexuelles à une femme pendant sa grossesse , pas plus qu' i l ne devrai t l ' impo- ser en dehors de cet te période. Les f luctuations du désir sexuel affectent la période de grossesse comme les autres momen t s de la vie et la grossesse n 'en t ra îne pas ipso facto, loin de là, la dispari- tion du désir.

Il n 'exis te pas que des motifs rat ionnels au carac tère tabou des relations sexuelles pendant la grossesse , les motifs irrationnels sont plus difficiles à dégager et leurs effets sont donc plus pernicieux. Un tel interdit n ' e s t pas faci lement remis en cause par la femme et par le couple. La consul tante , et son médecin quelquefois, restent p rudemment muets sur ce sujet qui les gêne et qu'il serait inconve- nant pour la femme d ' aborde r , dans une c i rcons tance où elle doit uniquement montrer son souci de mener à terme sa gestation. Sa bonne santé est importante , contrôlée par la société (visites prénata- les obligatoires) mais l ' intérêt qui lui est porté s 'expl ique par l 'a t ten- tion que la future mère et la société doivent à l 'enfant à naître. La santé psychique de la femme et son désir sexuel sont négligés et toute l 'analyse psychologique se résume à l ' amour q u ' u n e femme si elle est « normale », est censée donner à son futur enfant . Les relations sexuelles pendant la grossesse présentent des avantages indéniables, liés à la situation el le-même : il n 'y a pas, bien sûr, de possibilité de superfactat ion (nouvelle grossesse) ; les rapports peuvent avoir lieu sans moyen contracept i f empir ique, et souvent contraignant , (coït interrompu ou douche vaginale) ou technique- ment efficace, mais supposant également un certain effort. Si le couple utilise la méthode dite des « tempéra tures », il n 'y a plus à observer des périodes de cont inence et souvent cont ra i rement à des préjugés sol idement ancrés et dont la référence moralisatrice sous-jacente est la seule explication plausible, le désir de la femme, loin de diminuer, s ' épanoui t pleinement et son intensité s 'accroî t .

La composante affective du désir est tout aussi déterminante que sa manifestation physiologique. Si la grossesse a été désirée, la femme est en effet reconnaissante à son partenaire de lui avoir « donné » un enfant (faire un enfant pouvant avoir, au contraire, une signification péjorative) et désire lui témoigner concrètement et physiquement son amour. Les inconvénients des relations sexuel- les pendant la grossesse ne sont pas irrémédiables et leurs effets peuvent , si le médecin ou le psychologue s 'a t tachent à en rechercher les origines, être supprimés ou tout au moins, diminués.

Le refus de renoncer aux relations sexuelles et par là même au plaisir qu'el les procurent n ' e s t pas nécessairement le signe d 'un « amour de soi » immodéré ou névrotique. Nous avons vu que l ' intérêt que porte la femme enceinte au développement du fœtus est tout aussi narcissique. Une conception simplificatrice oppose d 'une part , l ' ac te sexuel pour la procréat ion et l 'acte sexuel pour le plaisir et tend à écar ter le plaisir sexuel de l 'acte procréateur , mais c ' es t la signification et la valeur attribuée à la manifestation du désir dans le plaisir qui sont ignorées et refusées. Un préjugé veut que la femme ne risque pas d 'ê t re enceinte si elle ne jouit pas au cours de l 'ac te sexuel. Sans que cela soit explicitement dit, tout pourrai t laisser croire que le plaisir sexuel, alors qu 'on porte l 'enfant , est vulgaire et honteux, incompatible avec la nobles- se de la gestation. Le seul plaisir que puisse avoir la femme est celui que lui procure sa situation : « son état est intéressant », « être en espérance d 'enfant » est un plaisir suffisant. Les manifes- tations du fœtus doivent retenir toute son attention et combler l 'express ion naissante d ' un sent iment maternel qui est censé capter la libido et la transformer. Aussi, la recherche orgastique serait-elle jugée déplacée et dégradante, eu égard à la dignité enviable de la situation. Quand on porte un enfant, le temps n 'es t pas « à la rigolade », puisque c 'es t ainsi que l 'on désigne populairement l 'acte sexuel pour le plaisir ? Un mari se doit de « respecter » (?) sa femme et la respectabili té ici synonyme d 'abst inence. La femme enceinte doit inviter son partenaire à « la vertu », l 'argu- ment avancé étant, évidemment , le bon développement du fœtus qu'il ne faut pas égoïstement contrarier. L 'ac te sexuel est alors vécu comme une faute à l 'égard du futur enfant. Tout au plus, pour « éviter le pire », une épouse peut-elle « satisfaire son mari » dans un coït rapide qui n 'es t plus alors une faute puisqu'il est destiné à la satisfaction des besoins sexuels (animaux) de l 'homme.

Mais, la femme, elle, n'est pas censée avoir de besoins sexuels pendant sa grossesse. S'ils existent, ils doivent impérativement être refoulés au bénéfice du développement de l'amour maternel dont la noblesse ne peut souffrir de concurrence immorale.

Cette tendance consistant à opposer maternité et libido se retrouve souvent, exacerbée, dans l'attitude de l'entourage familial à l'égard de la femme enceinte, dont la situation « intéressante » est le sujet des conversations familiales. L'événement est commenté dès qu'il est connu et le moment convenable pour l'annoncer, les conditions de l'information préoccupent le couple et relèvent le plus souvent de l'autorité du géniteur. Pour la belle famille, « les choses sérieuses » commencent véritablement quand la belle-fille est enceinte. Pour la jeune femme, la première grossesse constitue la véritable entrée dans le monde adulte et lui donne sa place dans la famille de son époux. La grossesse et la maternité sont des nécessités sociales. C'est une preuve qui doit être fournie à l'homme de l'amour que lui porte son épouse. Aujourd'hui, comme hier, la stérilité est considérée comme une tare ou l'expiation d'une faute antérieure. La virilité du mari s'exprime, socialement, aux yeux de tous, dans la proéminence de l'abdomen de son épouse que celle-ci, par contre, cherche quelquefois à dissimuler. C'est d'ailleurs, traditionnellement, le mari qui est félicité plus souvent que son épouse de l'état de celle-ci, de même qu'il sera critiqué de « ne pas avoir fait attention » si, de toute évidence, son épouse est accablée de grossesses ; on continue à souhaiter au couple, comme premier enfant un garçon, et le problème de la grossesse est celui de la famille. L'expression, « il faudrait s'y mettre », traduit l'inquiétude quant à l'éventuelle stérilité du couple. « Alors, c'est pour quand ? » marque l'impatience du milieu familial qui réclame une preuve sociale de l'existence du couple.

Les recommandations de la mère ou de la belle-mère à la jeune femme enceinte complètent quelquefois, en les recoupant les indica- tions du médecin, mais souvent aussi s'y opposent. Une concurren- ce d influences tend à s'exercer et il est bien difficile de faire la

synthèse de conseils contradictoires, « fruits de l'expérience » qui doit inspirer le respect et l'admiration de la novice. Dans un en- semble de règles impératives, ce sont tous les préjugés à l'égard de la grossesse que l'on retrouve fidèlement répertoriés. Il faut,