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Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
1
La systémique, grille de lecture dans les universités pour maîtriser la
complexité et la mouvance de l’environnement
Par Michelle Gillet1
Résumé : Dans l’environnement actuel des universités, caractérisé par l’incertitude et la mouvance,
la systémique, par son approche globale et dynamique, offre un cadre conceptuel à l’évolution des
méthodes de gestion. La définition triviale du concept de système proposée en 1977 par Jean-Louis
Le Moigne2 peut servir de fil conducteur à l’analyse des différents angles de vue des problèmes
actuels, afin de construire une stratégie de développement pour l’organisation, qui prenne en
compte les besoins des différents acteurs.
Abstract : In the current environment of universities, characterized by uncertainty and flux, the
systemic, for its global and dynamic approach, provides a conceptual framework to change
management practices. The definition of trivial system concept, suggested in 1977 by Jean-Louis Le
Moigne2, can provide a guide to analyze the different points of view of current problems, in order to
build a strategy of development for the organization, which takes into account the needs of the
different actors.
Introduction :
La démarche proposée dans cet article a son origine dans l’observation des comportements
managériaux dans les universités. Ces constatations ont été réalisées, depuis une dizaine d’années,
dans le cadre des missions de consultants réalisées pour QUASAR Conseil, lors de la mise en place
d’outils intégrés au système d’information, ayant pour but de faciliter l’adaptation des
établissements aux évolutions des exigences de leur environnement.
Dans la France contemporaine, les dirigeants des universités, qu’ils soient chefs de services,
notamment DGS, ou élus, sont confrontés à la nécessité d’apprendre à maîtriser un environnement
complexe, mouvant, voire menaçant.
Pour une équipe présidentielle, il est nécessaire d’arriver à cerner les conséquences sur
l’établissement, des décisions prises par les acteurs de l’environnement, en premier lieu, les tutelles.
En tant qu’opérateur de l’Etat, les universités (ou EPSCP) sont soumises aux nouvelles règles de
gestion définies par la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances), votée en août 2001 et mise
en place au 1er janvier 2006. Elles seront également concernées par les nouvelles règles issues de la
RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques).
Plus spécifiquement, en tant qu’établissement d’enseignement supérieur et de recherche, une
université est soumise à un train de réformes successives, qui bouleversent le cadre de ses activités
et les repères de ses acteurs internes.
1 Michelle Gillet, PRAG à l’IAE de Poitiers et consultante en Systèmes d’Information (société QUASAR Conseil)
2 Jean-Louis Le Moigne, La théorie du système général, PUF 1977
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
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Le décret du 19 avril 2002 relatif au SAIC (Services d’Activités Industrielles et Commerciales des
universités) en précise les modalités de gestion. Il introduit de nouveaux concepts et de nouvelles
méthodes : la comptabilité analytique en coût complet, la sectorisation des activités lucratives et non
lucratives.
En 2006, la Loi sur la Recherche du 18 avril et la création des pôles de compétitivité, appel à projets
lancé par le gouvernement en décembre 2004, avaient modifié le paysage de la recherche
universitaire.
En 2007, la LRU (Loi du 10 août 2007), instaurant le passage aux RCE (Responsabilités et
Compétences Elargies), entraîne l’obligation de maîtriser la masse salariale, le patrimoine immobilisé
et le pilotage budgétaire de l’établissement.
En 2009, l’introduction du modèle SYMPA (SYstème de répartition des Moyens à la Performance et à
l'Activité), en remplacement du modèle San Remo, introduit une méthode de calcul de dotation à
l’activité, proche de celle qui a été implantée dans les établissements publics de santé, la T2A
(Tarification A l’Activité).
Parallèlement d’autres acteurs de l’environnement des universités, qui ont un fort impact sur le
développement d’un établissement universitaire, ont modifié leurs modes de fonctionnement. Il
s’agit notamment de l’accès aux fonds de financement de la recherche, qui s’appuie essentiellement
sur la notion d’appels à projets, au niveau local, national comme européen. On peut cependant
remarquer que les exigences de ces acteurs, en termes de règles de gestion, convergent avec les
exigences de réformes de l’Etat et du MENESR.
Des acteurs plus lointains de l’environnement, comme l’Université de Shanghai et son classement
des établissements au niveau mondial, ont un impact important sur l’avenir de l’établissement.
L’action de ce type d’acteurs de l’environnement entraîne une motivation forte pour atteindre la
taille critique permettant d’être visible et reconnu à l’échelle mondiale.
C’est également une motivation pour procéder au regroupement des universités, notamment sur
une base géographique, dans le cadre des PRES.
Donnons quelques exemples d’observations, pour illustrer les effets de ces mutations de
l’environnement sur les établissements, et de la difficulté des dirigeants à en maîtriser les impacts.
Il n’est pas rare d’entendre un DGS prôner de prendre, dans divers domaines, la solution de la
majorité, même si l’établissement est persuadé de son inadéquation, plutôt que de se distinguer en
créant sa propre démarche. Le leitmotiv est de « ne pas faire de vague ».
Lors d’une démarche de PRES fusion, les dirigeants sont souvent tournés vers la conquête du
pouvoir, laissant les acteurs de leurs établissements dans l’incertitude du lendemain, avec une
réorganisation menée par un consultant extérieur et des instances élues quelques jours avant la mise
en œuvre du nouvel établissement. Dans les mois qui suivent, tandis que les politiques s’auto
congratulent, force est de constater, sur le terrain, le développement d’une entropie importante
entraînant des coûts parasites et une très grande insatisfaction des personnels du nouvel
établissement.
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De nombreux établissements préfèrent laisser gérer leurs contrats de valorisation de recherche par
le CNRS ou d’autres EPST, plutôt que d’acquérir les compétences dans ce domaine. Les résultats de la
valorisation sont alors fléchées sur l’EPST, y compris dans les médias.
Dans de nombreux établissements, les dirigeants n’obtiennent pas d’alignement concernant les
thématiques de recherche ou la diffusion des publications de leurs chercheurs sur des sites
d’archives ouvertes.
En conséquence, il apparaît que le besoin de maîtriser les impacts que les acteurs de
l’environnement ont sur le développement d’un établissement universitaire, implique pour l’équipe
dirigeante d’avoir une vision globale et dynamique de l’établissement et de ses relations avec un
environnement, qui est de plus en plus complexe.
Pour atteindre cet objectif, nous proposerons dans cet article aux universités l’utilisation de l’analyse
systémique comme grille de lecture de leur univers, et comme vecteur pour mettre en œuvre le
management stratégique.
Pour rendre opérationnelle cette approche, dans le cadre du type d’organisations que constituent les
universités, nous proposons d’utiliser le questionnement sous-jacent à la définition triviale du
concept de système, proposée par Jean-Louis Le Moigne dans La théorie du système général3.
Chacun des éléments de cette définition va servir de fil conducteur pour une compréhension globale
de la problématique de l’organisation et pour la mise en œuvre d’un nouveau type de management,
le management stratégique, adapté au contexte de l’environnement actuel.
Afin d’initialiser ce parcours, il nous faut énoncer la définition « triviale » du concept de système.
« Un système est quelque chose qui, dans quelque chose, fait quelque chose, pour quelque chose,
avec quelque chose, et qui se transforme. »
Nous allons reprendre chacun de ces éléments pour déterminer une méthode qui permettrait aux
universités de passer de la gestion de crise, associée à la culture des moyens, à la gestion stratégique,
associée à la culture du résultat.
La dernière partie cherchera à proposer une démarche pour gérer les changements de
positionnement de l’établissement, de manière à obtenir un équilibre dynamique de l’organisation.
3 Jean-Louis Le Moigne, La théorie du système général, PUF 1977, p.61 et 62
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I - L’université est un système
La vision systémique de la réalité correspond à une approche globale et dynamique où
l’établissement est positionné par rapport aux acteurs de l’environnement avec lesquels il entre en
interaction.
Schéma 1 : Structure du système et interactions avec son environnement
Le schéma ci-dessus, montre à la fois la structure du système, avec les interactions de ses éléments
composants et l’interaction avec les principaux types d’acteurs de l’environnement.
Un système est composé :
- de modules opérationnels qui mènent l’activité du système, en interagissant avec
l’environnement, ce qui leur permet de collecter des données sur les conditions de celui-ci,
- de modules pilotes qui prennent les décisions engageant l’avenir du système, mais qui n’ont
pas d’interaction directe avec l’environnement, dans le cadre de l’activité quotidienne de
l’établissement. On pourrait objecter que les modules pilotes des établissements,
notamment les présidents, participent à des instances de mutualisation entre
établissements, comme la CPU (Conférence des Présidents d’Université). La collecte des
données concernant l’état de l’environnement d’un système est parallèle aux processus de
transformation des entrants en extrants, avec création de valeur ajoutée. Cette
transformation est réalisée par les opérationnels dans le cadre de l’activité du système.
Lorsque les individus qui composent les modules pilotes d’organisations similaires se
réunissent dans le cadre d’une instance, aucun d’eux n’est impliqué dans les processus de
transformation créateurs de valeur ajoutée. Ils ne sont donc pas dans leur organisation au
contact des conditions de leur environnement. Ils ne peuvent que partager les informations
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indirectes qui leurs sont fournies, via le système d’information, par la collecte des données
des opérationnels de leur établissement. Pour utiliser une métaphore, ce ne sont pas les
yeux (modules opérationnels) qui « voient », mais le cerveau qui interprète les points colorés
lumineux captés par les yeux et transmis au cerveau (module pilote), par le nerf optique
(système d’information). Néanmoins, si les yeux ne captent pas les points lumineux et
colorés et/ou si le nerf optique ne transmet pas l’information, le cerveau ne pourra pas
interpréter l’image et prendre de décision.
- en conséquence, pour prendre les décisions dans de bonnes conditions, les modules pilotes
ont besoin des informations collectées par les modules opérationnels et traitées par le
système d’information. Le système d’information assure, dans cette optique, le couplage
organisationnel entre les modules opérationnels et les modules pilotes. On peut l’assimiler
au système nerveux d’un être évolué, tel qu’un être humain.
I-1 - Première affirmation : « un système, c’est quelque chose… »
Cette affirmation amène à chercher à définir le type d’objet auquel on a affaire. Cette définition peut
être envisagée d’un point de vue statique ou d’un point de vue dynamique.
Point de vue statique : il s’agit d’une vision de ce qu’est une université au présent.
Plusieurs angles de vue peuvent exister sur ce qu’est une université, voire même coexister au sein
du même établissement.
1er type d’opposition de points de vue : On rencontre souvent des présidents qui se considèrent
comme des dirigeants d’organisations ayant une autonomie de prise de décision. Mais on rencontre
également des DGS qui considèrent que les établissements étant des opérateurs de l’Etat, ils ont
pour mission d’exécuter les consignes et de se conformer quasi exclusivement aux règles édictées
par les tutelles. Cette opposition est une manifestation du bicéphalisme du pouvoir que l’on
rencontre dans tous les types d’établissements publics entre les élus et les services. Mais c’est
également l’effet des rôles attribués par les tutelles aux différents acteurs, des discours qui leurs sont
tenus et des modes de « reporting » qui sont mis en place par les ministères. Dans certains cas, le
positionnement de certains acteurs, vu d’un Ministère, relève de ce que l’on appelle « l’œil de
Moscou ». Paradoxalement, cela semble être encore plus flagrant depuis l’introduction de la LRU
introduisant le passage aux RCE.
2ème type d’opposition de points de vue : Les élus et les cadres des services centraux prônent une
vision globale de l’établissement, tandis que les doyens des composantes disciplinaires visent à
mener des politiques indépendantes. Lors des audits de passage aux RCE, l’IGAENR a insisté sur la
nécessité d’avoir une vision globale d’établissement. La maîtrise de la masse salariale, par plafonds et
enveloppes, échappe aux composantes. Dans cette optique, elles n’ont plus la maîtrise de recruter
librement leurs contractuels. La maîtrise du patrimoine immobilisé, et notamment l’imputation des
dotations aux amortissements, passe également par la centralisation au niveau établissement. Les
marges de manœuvre des composantes s’effritent totalement, créant une situation de tension.
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Un autre facteur agit sur le renforcement des forces centrifuges et la dilution du pouvoir de décision
dans l’établissement. Ce phénomène est lié aux laboratoires de recherche constitués en unités
mixtes de recherche (UMR), au sein desquels l’université est associée à des EPST ou à d’autres EPSCP.
Le sentiment d’appartenance des acteurs des UMR est principalement axé sur leur laboratoire avant
de l’être sur l’établissement. Ils rattacheront leurs publications, leurs contrats, leurs dossiers de
propriété intellectuelle au laboratoire en priorité.
Le fait que ces points de vue se confrontent fréquemment au sein d’un même établissement signifie
que les acteurs de la prise de décision sont partagés dans leur vision du monde.
Envisageons les conséquences de ces différents points de vue :
- L’université est essentiellement un opérateur de l’Etat : de ce point de vue, la prise de
décision stratégique ne se fait pas au niveau de l’établissement mais au niveau du Ministère.
Cette vision aboutit à la pérennisation de la culture des moyens. C’est ce qu’expriment les
responsables qui affirment qu’en tant qu’opérateur de l’Etat, l’université doit
essentiellement se conformer aux textes, instructions, règlements, qui lui dictent sa voie.
- L’université est un regroupement de composantes : dans cette vision, le pouvoir de prise de
décision est dilué dans les composantes. L’équipe présidentielle est obligée d’adopter un
comportement consensuel, afin d’éviter l’implosion de l’établissement, sous l’effet des
forces centrifuges. Cette vision aboutit au management de crise. C’est ce qu’expriment de
nombreux directeurs de composantes qui veulent définir et mener leur propre stratégie de
manière prioritaire à celle de leur établissement.
- L’Université est une organisation indépendante où l’équipe dirigeante se doit d’assurer le
développement à long terme. Cette vision permet la mise en œuvre du management
stratégique. C’est le sens que Christine Musselin donne à l’évolution des universités4, où les
équipes dirigeantes renforcent leur positionnement. Certains présidents d’université se
conçoivent comme des chefs d’entreprise, qui, avec leur comité de direction, se doivent de
prendre des décisions stratégiques et les mettre en œuvre. Ils considèrent alors le cadre
normatif des tutelles comme une donnée de leur environnement, qui peut constituer des
opportunités ou des menaces, à prendre en compte dans la prise de décision stratégique.
Point de vue dynamique : il s’agit d’une vision de ce qu’une université peut ou doit être demain.
L’évolution de « l’espèce organisationnelle » université est poussée de toute part vers une taille
croissante, par des mécanismes de croissance externe : fusion, scission, absorption.
La recherche de la taille critique est en premier lieu un facteur endogène. Elle est liée à la recherche
de pouvoir de l’équipe dirigeante. Comme tous les dirigeants salariés, les dirigeants des universités
tirent une aura personnelle, qui rejaillit sur leur carrière, du développement de leur établissement.
La recherche de la taille critique est également issue d’un facteur exogène. Dans ce cas, elle est liée à
la pression des collectivités territoriales, qui poussent au regroupement des établissements présents
4 Christine Musselin, Universités françaises : l’autonomie tant attendue ? Sciences humaines Hors série N° 28 Le
changement De l’individu aux sociétés Mars/Avril/Mai 2000
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sur leur territoire, afin de pouvoir afficher, au plan national et international, un pôle universitaire de
renom.
Pour réussir cette évolution, qui correspond à la structure des PRES Fusion, l’équipe dirigeante
devrait posséder la maîtrise de la stratégie de croissance externe.
Ce type de stratégie est difficile à réussir dans tous les types d’organisation, car il faut absolument
obtenir un certain nombre de résultats dès le début du projet, sous peine d’échec. Il faut notamment
posséder une nouvelle équipe dirigeante et un système d’information homogènes. Pour des raisons
statutaires, la formation de la nouvelle équipe dirigeante est tardive dans les fusions d’universités.
On constate également que les systèmes d’information n’étant pas conformes à la définition
systémique, mais étant plutôt un puzzle d’outils informatiques et bureautiques, leur fusion est
difficile et n’apporte pas d’efficacité à l’organisation créée.
Ce premier questionnement, issu de la définition triviale du concept de système, permet de poser
qu’il existe un problème de définition de périmètre de l’objet université et un problème de vision de
ce qu’il est au sein même de son organisation.
I-2 - Deuxième affirmation : « un système, c’est quelque chose qui, dans quelque chose, … »
Comme tout système, l’université est dans un environnement avec lequel elle entre en interaction
permanente pour mener ses activités.
Le schéma 2 montre que les acteurs de l’environnement sont de natures très diverses et qu’ils
appartiennent tant à l’espace national qu’international, ce qui est cohérent avec la mondialisation
généralisée de notre société.
Schéma 2 : Les différents acteurs de l’environnement : leurs rôles et leur perception
Universités
étrangères
Classement
de Shanghai
ÉCONOMIE
mondiale
Formation et recherche au plan international
Formation et recherche au plan national
ECONOMIE
nationale
MENESR
et MINEFI
ANR PRES
EPST
Partenaires ou
concurrents ?
Tutelles
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Plusieurs types d’acteurs de l’environnement ont un impact important sur un établissement
universitaire.
- Dans le contexte national :
o Les EPST
L’organisation de la recherche en France depuis l’après-guerre entraîne que l’université n’a
pas le monopole de la recherche publique. Elle partage ce rôle avec les EPST présents dans
les laboratoires de type UMR (Unité Mixte de Recherche). Cette relation est ambivalente. On
constate aujourd’hui que, de manière insidieuse, cette relation avec les EPST tend à vider
l’université de sa substance, en matière de recherche.
Quelques exemples permettent de s’en persuader.
a) Lorsque l’on consulte les différents systèmes d’archives ouvertes, qui référencent les
publications des chercheurs, présents dans les laboratoires de l’université et salariés de
celle-ci, on constate qu’une minorité seulement des publications est attachée au critère
de recherche de l’université. En effectuant une recherche de ce type sur le site HAL du
CNRS5, on a pu constater que les publications listées pour l’ensemble d’une université et
pour une année représentaient à peine 20% du nombre de publications de son principal
laboratoire de recherche, UMR avec le CNRS et une école d’ingénieur. Cela nuit à la
visibilité nationale et internationale de l’université, les publications étant reliées au
critère du laboratoire et du partenaire EPST, dans la plupart des cas.
b) On peut constater le même type de phénomène en ce qui concerne les contrats de
recherche et la gestion de la propriété intellectuelle. Pour des raisons de compétences et
de masse critique en termes organisationnels, les universités confient volontiers aux
EPST, notamment au CNRS, la gestion de contrats de recherche et de la propriété
intellectuelle. La généralisation du mandat unique de gestion dans les UMR favorise
cette méthode. Sur le plan de la gestion, c’est effectivement une mesure qui semble
rationnelle. Mais cela accroit l’habitude de rattacher les résultats de la recherche d’une
UMR à l’EPST et non à l’université. Lisant dans une revue scientifique un article sur une
invention importante, connaissant les inventeurs, enseignants-chercheurs dans une
université, appartenant à un laboratoire ayant un EPST pour cotutelle, il a été surprenant
de constater que seul le nom des inventeurs et de l’EPST étaient cités. Ce type de
phénomènes crée un déficit d’image pour l’université.
o les grandes écoles
Les grandes écoles sont en position de concurrence par rapport aux universités, dans le
contexte français de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Qu’il s’agisse d’écoles d’ingénieurs ou d’écoles de commerce, cette dualité a tendance à
semer la confusion et à diviser les potentiels tant en enseignement qu’en recherche.
D’autant qu’actuellement, on trouve ce type d’écoles aussi bien intégrées à l’université
qu’autonomes. Par rapport à l’objectif de reconnaissance à l’échelle nationale et
internationale, la division des ressources et le peu de lisibilité des structures est un handicap.
o les collectivités territoriales
5 Site Internet HAL, archive ouverte pluridisciplinaire : hal.archives-ouvertes.fr
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Elles font pression sur les établissements de leur territoire, pour les pousser à constituer des
PRES. Dans les agglomérations ou dans les régions possédant plusieurs universités, les
collectivités territoriales incitent à la fusion, en assortissant cette opération de subventions
non négligeables. Cette pression peut amener à réaliser des opérations de fusion qui ne
respecteront pas les règles évoquées précédemment, hypothéquant les chances de réussite
de l’opération de croissance externe.
o le financement de la recherche au niveau national
La recherche publique a été amenée à diversifier ses sources de financement. Actuellement,
l’essentiel des financements sont issus de la réponse aux appels à projet d’organisations
telles que l’ANR ou les collectivités territoriales. La mise en œuvre d’une stratégie de
recherche au sein d’un établissement universitaire passe par le contrôle des processus par
lesquels les chercheurs, au sein des laboratoires de l’établissement, répondent aux appels
d’offre. La non maîtrise de ces processus au niveau global de l’organisation va entraîner
l’impossibilité de mettre en œuvre une stratégie de recherche s’appuyant sur des
thématiques rendant visible l’établissement. Les chercheurs auront la possibilité de se
comporter comme des électrons libres. Contrôler les modalités de réponse aux appels d’offre
n’est pas chose facile, car les financeurs du type ANR proposent des modalités de réponse
directe et en ligne aux chercheurs, renvoyant en fin de processus le quitus de
l’établissement. Dans la majorité des cas, les financeurs lancent des appels à projet dont la
durée est de deux ou trois ans. C’est donc à l’établissement d’avoir des perspectives à plus
long terme sur des thématiques de recherche porteuses en termes stratégiques. Dans cette
optique, obtenir un financement sur réponse à un appel à projet n’est plus une fin en soi,
mais une étape dans le développement d’un Domaine d’Action Stratégique (DAS).
- Dans le contexte international :
o les financeurs internationaux, notamment l’Union Européenne:
L’UE constitue un financeur essentiel des projets de recherche. Monter un dossier, trouver
les partenaires européens, et, en cas de succès, gérer le projet en tant que chef de file,
constitue un parcours qui exige des compétences au sein de l’établissement et des processus
de gestion précisément modélisées et mis en œuvre. Dans la phase de négociation, il faut
être capable de faire du « lobbying » pour avoir une chance d’être sélectionné. Cela pose un
problème de masse critique pour avoir la capacité de financer le recrutement d’un spécialiste
des appels à projets européens. Dans la phase de gestion du projet, lorsque l’établissement
est chef de file, il faudrait avoir les méthodes et les outils de traitement de l’information
permettant d’obtenir la qualité requise de la gestion sans coûts parasites. Dans la réalité, on
constate que l’essentiel des outils de gestion tournent autour de l’usage d’outils
bureautiques.
o Les partenariats avec les établissements étrangers
La stratégie de développement d’une université va buter sur le partage « du marché
intérieur », notamment en ce qui concerne l’activité de formation initiale. Les universités
vont devoir se développer à l’international, en nouant des relations avec des établissements
étrangers. De la mobilité étudiante, dans le cadre des programmes ERASMUS aux contrats
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
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d’ingénierie pédagogique ou aux réponses communes à des appels à projet internationaux,
l’activité des universités est de plus en plus tournée vers l’international. C’est le moyen de
poursuivre la croissance avec un « marché intérieur» de taille limitée, où seuls quelques
établissements très attractifs, grâce à leur renommée, peuvent prétendre à se développer
sur le territoire national. L’activité internationale n’est pas sans embûches. Les universités
françaises subissent la baisse d’attractivité de notre langue et de notre culture. Pour les
programmes ERASMUS, par exemple, nous avons plus d’étudiants qui partent à l’étranger
que d’étudiants européens qui viennent en France. A quelques exceptions, les universités
subissent les effets de leur taille insuffisante.
o Le classement de Shanghai
L’université de Shanghai a créé un grand remous dans l’environnement des universités, avec
son classement des 500 premières universités mondiales. Certes, il y a de nombreuses
critiques concernant les critères de classement. Néanmoins, tous les établissements, et
même la politique du Ministère, sont orientés vers l’obtention d’un nombre plus important
d’établissements français classés et vers l’obtention de meilleures places. C’est un facteur de
motivation très important qui pousse au regroupement des universités, prôné par de
nombreux acteurs de l’environnement. Mais, sans apporter de solutions aux problèmes de
défaut d’identification des activités de recherche par rapport à l’université et au problème de
rayonnement de la langue et de la culture française, problèmes décrits précédemment, on
peut douter de l’efficacité réelle du processus de concentration en cours.
La prise de décision stratégique implique de bien connaître les acteurs de l’environnement à forts
impacts sur l’établissement, car ils sont source d’opportunités et de menaces qu’il faut savoir
analyser. Pour cela le pré requis fondamental est la maîtrise de la démarche de prise de décision
stratégique au sein de l’établissement.
C’est un des aspects de la méthode de prise de décision IMC (Intelligence Modélisation Choix)
d’Herbert Simon6, qui offre une méthode de prise de décision et de mise en œuvre de la stratégie en
cohérence totale avec la vision systémique de l’organisation.
6 Herbert Simon, Human problem solving, (avec A. Newell), (1972), Englewood Cliffs, NJ: Prentice-Hall.
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Schéma 3 : Le management stratégique d’après H. Simon et les effets judo et karaté d’après J. Apter
La méthode IMC d’Herbert Simon dans la théorie de la prise de décision est bien connue. Sa mise en
œuvre dans le contexte d’un établissement universitaire appelle néanmoins quelques remarques. On
ne peut pas se contenter d’énoncer le point de départ de la méthode, notamment la confrontation
« forces et faiblesses de l’organisation » avec « opportunités et menaces de l’environnement »,
comme un principe aisé à mettre en œuvre. L’éclairage de la systémique et de la posture
épistémologique constructiviste qui lui est sous-jacente, amène une interprétation plus complexe de
ce principe. L’analyse opportunités - menaces est notamment centrée sur la problématique de la
relation de l’organisation à son environnement, objet du questionnement qui nous intéresse à cette
étape de la définition de l’université en tant que système. L’orientation constructiviste nous amène à
remarquer que l’environnement dont nous venons de donner quelques caractéristiques ne présente
en lui-même ni opportunités, ni menaces, mais qu’il crée des événements par la décision de ses
acteurs, qui ont des impacts sur les universités. La perception d’un événement comme étant une
opportunité ou une menace pour l’organisation est donc subjective. Cette perception va être
influencée par la vision de ce qu’est l’établissement que possède le sujet. On constatera donc de
grandes divergences d’un sujet à l’autre, y compris au sein d’un même établissement. Si l’on se
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réfère au développement du point I-2, il est clair que la perception des événements en tant
qu’opportunités ou menaces pourra connaître des différences importantes d’un sujet à l’autre. Il
pourra donc être très difficile au sein d’un établissement de parvenir à une vision commune des
différents types d’acteurs impliqués dans la prise de décision. Cela pourrait entraîner un effet
paralysant sur l’établissement. On doit remarquer également que la perception d’un événement
comme étant opportun ou menaçant est également liée à la vision que le sujet a des forces et
faiblesses de son organisation. L’effort d’introspection organisationnelle que présuppose l’analyse
forces et faiblesses peut être réduit à néant par des visions du monde divergentes chez les décideurs.
Nous analyserons également au point IV-1 les effets de la culture de l’organisation et de sa structure
sur sa capacité à développer l’analyse forces et faiblesses. La culture et la structure aura également
un impact sur les autres phases du processus de prise de décision et de gestion stratégique.
S’adapter à l’évolution de son environnement est une obligation en termes de survie pour toute
espèce vivante, qu’elle soit biologique ou sociale. Parmi les choix possibles, certains pourront se
révéler plus judicieux que d’autres, notamment en termes d’efficience. Pour aider les décideurs à
choisir parmi les axes de développement possibles, on peut utiliser l’analyse de Jacques Apter7, qui
différencie les actions à effet judo et à effet karaté. La mise en œuvre de la stratégie utilisera les
méthodes de ces disciplines sportives. Dans les actions à effet judo, on se servira de la flexibilité de
l’organisation comme avantage de souplesse pour déstabiliser l’adversaire. A l’opposé dans les
actions à effet karaté, on concentrera toutes les ressources disponibles de l’organisation, réduisant la
flexibilité à zéro, pour mettre à terre l’adversaire. Pour une organisation, il est donc plus facile de
choisir en priorité les actions à effet judo et de ne se lancer dans des actions à effet karaté que dans
les cas où toute autre solution est impossible.
Si l’on se réfère au schéma ci-dessous, le positionnement des projets, à mener dans le cadre de la
mise en œuvre de la stratégie, sur les branches d’une hyperbole équilatère permet de visualiser
l’importance du résultat obtenu par rapport à l’intensité de l’effort consenti.
7 Jacques Apter, De nouveaux outils pour maîtriser la dynamique de l’entreprise, L’Harmattan 2002
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Schéma 4 : Positionnement des projets « effet judo » et « effet karaté »
Sur la branche « a » de l’hyperbole, la variation de résultat (marge de progression obtenue) est plus
que proportionnelle par rapport à l’effort consenti (consommation de ressources supplémentaires).
Les projets positionnés sur cette branche ne nécessitent pas d’affecter toutes les ressources
disponibles pour réussir. Ils laissent la possibilité de disposer de flexibilité (ressources inemployées)
ce qui rend la situation interne moins tendue. Cela correspondra aux projets de type « effet judo »
Sur la branche « b » de l’hyperbole, si la situation concurrentielle exige de gagner encore en qualité
dans un domaine où l’organisation est déjà très performante, il faudra mobiliser toutes les
ressources disponibles, ramenant la flexibilité à zéro, pour glaner un progrès modeste. Cette
situation est très tendue, elle correspondra aux projets de type « effet karaté ».
Δ 1 Δ 3
Δ 4
Δ 2
Résultat
s
Efforts (consommations
de ressources)
a. Projets à effet judo, maintien de la
flexibilité (ressources disponibles car
besoins faibles de ressources pour réussir
le projet)
b. Projets à effet karaté, suppression de la
flexibilité (affectation du maximum de
ressources disponibles pour réussir le projet)
0
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
14
II - L’université : un système finalisé
II-1 - Troisième affirmation : « un système c’est quelque chose qui, dans quelque chose, fait quelque
chose … »
Toute organisation mène des activités qui doivent lui permettre d’atteindre son but. Le schéma 1
montre que ces activités, menées par les modules opérationnels les amènent à entrer en interaction
avec l’environnement. C’est dans ce cadre que les modules opérationnels collectent les données, qui
seront transmises et traitées par le système d’information afin d’aider la prise de décision par les
modules pilotes.
Plusieurs aspects doivent être pris en compte.
- Pour qu’une organisation, quelle qu’elle soit, ait vocation à survivre à long terme, ses
activités doivent créer de la valeur ajoutée. Cette constatation se déduit de la définition du
système. Les activités doivent permettre d’atteindre le but de l’organisation, qui s’évalue
parfois en termes de bénéfice, mais toujours en termes de création de valeur pour les ayants
droits. Mais on peut constater également que cette affirmation est cohérente avec le
principe de la LOLF, faire passer les opérateurs de l’Etat d’une culture des moyens à une
culture du résultat. Dans le cadre de la LOLF, on raisonne en termes de missions, de
programmes et d’actions dont on doit pouvoir prévoir et mesurer les résultats.
- Pour réaliser cette mutation culturelle et obtenir une bonne allocation des ressources,
permettant de bonnes conditions d’obtention de la valeur ajoutée, il faut avoir des acteurs
compétents. Comment définir la compétence des acteurs du système ? On peut se référer
aux principes de l’ISO 9000 V2000, qui définit, au nombre de ses principes fondateurs,
l’obligation pour l’organisation de gérer la compétence de ses salariés. Un salarié est
compétent dans son poste s’il possède les savoirs, savoir-faire et savoir-être, qui
correspondent à celui-ci. Cela entraîne l’obligation pour les dirigeants de communiquer pour
obtenir l’alignement stratégique des salariés. Il s’agit de répondre à l’ensemble des questions
qui se posent pour chaque acteur et chaque tâche d’un processus. Pour mener ses activités
de manière efficace, un salarié appartenant aux modules opérationnels a besoin d’avoir des
réponses à un ensemble de questions que l’on résume habituellement sous le sigle QQQOCP
(Qui, Quand, Quoi, Où, Comment, Pourquoi). Dans les universités, comme c’est le cas dans
de nombreuses entreprises, les décideurs éludent fréquemment le « pourquoi », ce qui sous-
entend que les opérationnels peuvent se contenter du quoi et du comment. Dans une
période de mutations profondes, comme l’est la période actuelle, où la définition même du
périmètre de l’organisation est floue, ainsi que nous l’avons montré précédemment (I-1), la
communication est fondamentale pour maintenir la cohésion sociale dans l’organisation.
Elle doit émaner des dirigeants et doit permettre aux opérationnels de comprendre où les
décideurs les conduisent. En l’absence d’information concernant l’avenir de l’organisation,
donc le leur, les opérationnels vont développer des peurs, néfastes à la poursuite efficace de
leurs activités.
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
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Schéma 5 : le Système d’Information, composante d’un système assurant le couplage entre MO et MP :
véritable système nerveux de l’organisation
- La collecte de données et le SI (Système d’Information). Le schéma 5 montre l’interaction
permanente entre les opérationnels et l’environnement dans le cadre des activités,
créatrices de valeur ajoutée, qui appartiennent aux missions dévolues à l’établissement.
C’est dans ce cadre que les opérationnels sont amenés à collecter les données qui seront
transmises et traitées par le système d’information. Les décideurs ne seront pas en mesure
de disposer d’aide à la décision si cette collecte n’est pas qualitative.
Modules pilotes (MP)
Système d’Information (SI)
Modules opérationnels (MO)
Flux entrants de
l’environnement
Flux sortants vers
l’environnement
Collecte des
données par les MO
Applications
opérationnelles : gestion
des flux d’activités
quotidiens
Informations expression
des décisions des MP
pour actions
Informations
à caractère
informel
non intégrables
au SI
Outils de contrôle /
Tableau de bord : calcul
et analyse des écarts,
variables d’état et
alertes
Objectifs : inclus
dans le budget
Système d’Information
d’Aide à la Décision
(SIAD) adapté au niveau
hiérarchique : respect
de l’angle du vue du
sujet et zoom sur les
informations
Informations issues
de la prise de
décision stratégique
et tactique
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
16
Par qualité de la collecte des données, on entend la recherche du zéro erreur, du zéro
omission et du zéro délai. Pour obtenir ce résultat, plusieurs conditions sont requises. Il faut
posséder un système d’information qui soit structuré comme un véritable système nerveux.
Dans la réalité, il s’agit le plus souvent d’un puzzle d’applications informatiques hétérogènes
et du recours intensif aux outils bureautiques. Cette architecture des outils, à la disposition
des opérationnels, présente des inconvénients majeurs, dont le résultat final est
l’indisponibilité d’indicateurs pour les décideurs. Parmi les inconvénients qui nuisent à
l’efficacité des activités, il y a le renforcement de l’individualisme des personnes dans leur
poste de travail. Cela est dû à l’utilisation des outils bureautiques et à l’improductivité de ce
mode de traitement de l’information, qui génère des saisies multiples et des coûts parasites,
entraînés par la nécessité de réconcilier les résultats obtenus par les uns et par les autres.
Ce mode de fonctionnement accroît tous les facteurs de non qualité à la fois. Cela entraîne
des coûts parasites qui dilapident les ressources et des tensions qui dégradent les relations
humaines.
II-2 - Quatrième affirmation : « un système c’est quelque chose qui, dans quelque chose, fait quelque
chose, pour quelque chose … » : objectifs stratégiques d’une université
Selon le principe téléologique, l’établissement poursuit une finalité. Ce but, défini par les dirigeants,
doit être la cible permanente des activités menées par les opérationnels. Ces activités constituent les
moyens d’atteindre le but.
Deux questions se posent alors :
1) Comment définir le but ?
2) Comment le partager avec les opérationnels ?
La première question consiste à s’interroger sur la manière de mettre en place au niveau de l’équipe
dirigeante des pratiques organisées de prises de décisions stratégiques.
On peut proposer d’utiliser un outil comme le diagramme Ishikawa8. On pourrait également utiliser la
technique du « mind mapping ».
8 Christophe Longépé, Le projet d’urbanisation du S.I., Editions Dunod 2
ème édition 2004, pp. 78 et 80
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
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Schéma 6 : Exemple d’utilisation du diagramme Ishikawa pour définir le but de l’organisation et les
domaines d’actions stratégiques
Cet exemple réalisé avec un établissement a pour but de montrer que des outils de modélisation
sont nécessaires pour mettre en œuvre la démarche de prise de décision stratégique et le partage
des objectifs. Il est inspiré de l’usage du diagramme Ishikawa en urbanisation des SI proposé par C.
Longépé9.
La « tête du poisson » doit contenir « le but », au sens de Goldratt et Cox 10. L’élaboration de cette
périphrase, qui ne doit pas comporter de conjonction de coordination, afin de s’assurer d’exprimer
« Le But » et non des objectifs, est un travail collaboratif des dirigeants de l’établissement, qui
permet de clarifier la vision de l’avenir qu’ils se doivent de partager. Le développement des sous-
objectifs sur les « arêtes principales et secondaires » doit permettre de définir les domaines d’actions
stratégiques à gérer pour atteindre le but. Les arêtes élémentaires représenteront des projets à
mener. Cette démarche collective des dirigeants permet d’aboutir à une vision claire et partageable
de la stratégie avec tous les membres de l’organisation.
On pourra associer un second diagramme représentant les sous-ensembles du système d’information
qui vont être à développer ou à faire évoluer de manière à assurer le succès de la mise en œuvre des
9 Christophe Longépé, Le projet d’urbanisation du S.I., Editions Dunod 2
ème édition 2004, pp. 78 et 80
10 Eliyahu M. Goldratt et J. Cox : Le but, un processus de progrès permanent, Afnor 3
ème édition juin 2003
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
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axes stratégiques de ce premier diagramme. En effet, il faut prendre en considération le fait que
seule une évolution adaptée du système d’information permettra de maîtriser l’inévitable tendance à
l’entropie que le développement de l’organisation va engendrer. Le système d’information va
constituer le facteur clé de succès ou le facteur d’échec de la mise en œuvre de la stratégie. Son
évolution se doit d’être envisagée simultanément avec la prise de décision stratégique. Cette
méthode permet d’enchaîner la réflexion en s’appuyant sur les deux diagrammes qui sont
homothétiques.
Construire un système d’information
adapté, capable d’évoluer
Gérer
la formation
tout au long de la vie
Gérer la formation
initiale
Gérer
la recherche
Gérer les
informations
de la recherche
Gérer
les publications
et les colloques
Gérer
les doctorants
Gérer le
contrat quadriennal
et les
partenariats
Gérer les laboratoires
et les équipesGérer la
valorisation de
la rechercheGérer les contrats
avec les entreprises
et les contrats
publics
Gérer les
brevets
et licences
Posséder
une comptabilité
analytique (ABC)
Remplir les
obligations
fiscales
Gérer les informations
sur les foramtions
Gérer les connaissances
et la veille commerciale
et technologique
Gérer les données de l’offre
de formation
Gérer
les modalités
de formationContrôler
l’affectation
des
ressources
Gérer les
obligations
liées aux contrats
et conventions
Gérer les cursus et
la transversalité
Gérer la
formation
permanente
Gérer les cursus
à distance
Suivre
la facturation
et
les règlements
Gérer
les données
de validation
Gérer les connaissances
et la veille commerciale
et technologique
Gérer les cursus
et les données
administratives
Gérer les cursus
et les données
administratives
Posséder des
outils de contrôle
de gestion
Gérer les données relatives
aux offres de stages et d’emplois
Posséder
des outils
de
communication
: forum
messagerie,
Chat,
classe virtuelle
Pouvoir gérer des cours
en ligne
Gérer les données
de prospections
Gérer le budget
de communication
Gérer
les données
relatives
aux
interlocuteurs
Gérer un annuaire des
anciens étudiants
Gérer
les relations
extérieures
Diagramme Ishikawa : Impacts du POS sur les besoins en matière de système d’information et marquage de l’existant
En trait plein : il n’existe pas d’outil, flèches tirets : il existe des outils insuffisants ( tableaux Excel par exemple ,flèches pointillés : il existe des outils
satisfaisants
Gérer
la prospection
Posséder un site
avec les offres et
l’inscription
en ligne
Posséder des
Outils de pilotage
Groupware et Workflow
Intégrés à la gestion
Des processus métiers
Groupware et Workflow
Pour gérer la qualité
Outil
GPEC
Data
Warehouse
Schéma 7 : Exemple d’utilisation du diagramme Ishikawa pour définir la structure adéquate du Système
d’Information
Utiliser ce type d’outil aura deux impacts :
- Transformer l’équipe dirigeante en groupe de créativité, ayant pour cible la prise de décision
stratégique. Ce type de décisions engage l’avenir de l’établissement à moyen et long terme.
Dans les universités, les équipes dirigeantes sont confrontées à plusieurs écueils dans le
processus de prise de décision stratégique. Elles subissent, comme dans toutes les
organisations publiques, les effets du partage du pouvoir, dû au bicéphalisme que représente
la dualité entre élus et services. Elles sont confrontées à l’absence d’alignement des acteurs
sur les décisions prises car ceux-ci ont l’habitude d’opposer soit l’inertie, soit un
comportement de type « électron libre ». Elles ne disposent pas d’un système d’information,
tel qu’on le définit en systémique, qui, véritable système nerveux, leur permettrait
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
19
d’améliorer le couplage entre modules opérationnels et modules pilotes. Adopter des outils
de ce type va rendre inévitable le débat des décideurs concernant le but et les voies pour
l’atteindre. L’équipe dirigeante devrait donc gagner en cohérence et en cohésion à l’issue de
cette démarche. C’est un résultat fondamental, car on rencontre des situations où les
membres de l’équipe présidentielle sont en désaccord total, chacun poursuivant son propre
objectif.
- Instaurer la communication autour des décisions stratégiques prises, à destination des
opérationnels chargés de leur mise en œuvre. Comme nous l’avons évoqué précédemment,
un acteur opérationnel dans l’organisation ne peut être compétent dans son action que dans
la mesure où il en comprend la finalité (le P du QQQOCP). Le manque de clarté sur le but
poursuivi par l’équipe dirigeante et le manque de communication sur la stratégie adoptée se
traduisent en incompétence des opérationnels, c’est-à-dire en impossibilité d’agir vers le but
dans le cadre de leurs activités. On peut traduire cette situation en disant qu’il y a un
manque d’alignement stratégique des acteurs de l’organisation. Cette expression peut
induire que les opérationnels sont responsables de cet état de fait. Dans la réalité, obtenir
cet alignement est incontournable pour atteindre le but. Mais, on ne peut l’obtenir qu’à deux
conditions : savoir prendre des décisions stratégiques et savoir communiquer à leur propos
auprès de l’ensemble des acteurs de l’organisation. De surcroît, la communication ne doit
pas se contenter de répondre aux questions QQQOC (Qui, Quand, Quoi, Où, Comment). Elle
doit être limpide concernant le Pourquoi.
Prenons un exemple, les équipes dirigeantes de nombreuses universités prennent la décision
de créer une UB Recherche, pour regrouper les laboratoires de toutes les UFR disciplinaires.
Cette décision suscite de nombreuses réactions de résistance au changement, notamment
pour des problèmes de partage de pouvoir. On constate que la communication sur ce sujet
est le plus souvent factuelle. Il s’agit uniquement d’informer que la décision est prise et
qu’elle prendra effet à une certaine date. Or, il y a de nombreuses raisons stratégiques qui
peuvent amener à prendre cette décision dans le contexte environnemental décrit
précédemment. Donnons quelques exemples d’arguments stratégiques permettant d’étayer
cette décision. Regrouper la recherche la rend plus visible de l’extérieur. Cela permet au
conseil scientifique et au conseil d’administration d’avoir une stratégie de recherche au sein
de l’établissement et d’en assurer la mise en œuvre. Pour les établissements pluri
disciplinaires, cela peut favoriser la recherche transversale. Développer une campagne de
communication interne, concernant tous les opérationnels, permettrait de conduire ce
changement en le légitimant. Cela permettrait de diminuer l’intensité des résistances au
changement et favoriserait l’alignement stratégique des acteurs de l’organisation. La mise en
œuvre de la stratégie s’en trouverait améliorée, notamment accélérée.
C’est un aspect très important dans les universités que de permettre et d’accélérer le
changement. Le non alignement stratégique entraîne l’inertie des hommes et l’immobilisme
de l’organisation. Dans le contexte environnemental actuel, ne pas évoluer rapidement est
impossible. Cela entraînerait la disparition de l’organisation à brève échéance. Mais ne pas
savoir conduire le changement, pour mettre en œuvre une stratégie clairement définie et
explicitée, entraîne des phénomènes très négatifs. Sur le plan humain, vont apparaître les
phénomènes que nous avons qualifiés de syndrome France Télécom. Pour l’organisation,
c’est sa survie à long terme qui est alors remise en cause.
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
20
III - L’université un système en transformation
III-1 - Cinquième affirmation : « un système c’est quelque chose qui, dans quelque chose, fait quelque
chose, pour quelque chose, avec quelque chose » : vers une structure matricielle pour mettre en
œuvre la méthode projets ?
Cette dernière partie de la définition triviale du concept de système fait référence à la structure de
l’organisation. Il s’agit du squelette qui permet à l’être vivant social de mener ses activités et, ainsi,
d’atteindre son but. Tous les types de structure ne sont pas favorables au couplage entre modules
opérationnels et modules pilotes.
La structure existante est le plus souvent hiérarchique. Elle fait donc référence à la mise en œuvre
des principes d’Henri Fayol11. Dans ce cadre, il est impératif, pour la plupart des flux d’informations
échangés, de suivre la ligne hiérarchique. Par exemple, les courriers sont souvent transmis sous
couvert de la direction de l’institution d’appartenance du destinataire. A certaines époques de
l’année, il serait plus efficace d’écrire au domicile personnel, mais ce n’est pas la règle. Le respect
des habitudes et des règles prévaut par rapport à l’efficacité. Il y a dans les établissements un code
du langage et des usages qui freine le mouvement. Il est fréquent de s’entendre dire que l’on ne peut
pas dire ou faire telle chose. Ce qui est hors norme est généralement réprouvé. La prise en compte
de la complexité croissante de l’environnement et du mouvement lié aux réformes exigerait, tout au
contraire, de la plasticité de l’organisation. Cela favoriserait la capacité d’adaptation aux évolutions
du contexte.
La rupture avec la structure hiérarchique correspond à une rupture culturelle. La plupart des
organisations de taille importante ont adopté la méthode projets comme moyen de mettre en œuvre
les décisions stratégiques avec succès. Parallèlement, elles ont fait évoluer leur structure vers une
structure matricielle. Dans le cadre de cette structure, la conduite des projets, qui structurent les
activités orientées vers le but, n’est pas dépendante de la pression de la hiérarchie. Cette structure
permet de clarifier la chaîne de responsabilités dans le succès ou l’échec d’une opération. On va se
situer dans une sorte de relation client-fournisseur généralisée. La dimension verticale, représentant
les structures fonctionnelles, offrira des services à la dimension horizontale, représentant les projets,
qui créent la valeur ajoutée.
Cependant définir un nouvel organigramme matriciel est une condition nécessaire mais pas
suffisante pour obtenir le changement culturel que cela implique.
La gestion en mode projets est encore étrangère aux universités. On entend fréquemment des chefs
de services affirmer qu’il va leur falloir travailler en mode projets et que cette pratique est inconnue
dans leurs services. Dans la plupart des cas, le mode projets est imposé comme étant une sorte de
solution « magique » pour faire évoluer la manière dont les personnes envisagent leurs postes de
travail. Par contre, cette annonce ne s’accompagne d’aucune action pour rendre les responsables
compétents dans la conduite des projets de changement.
Réussir la mutation structurelle est incontournable pour réussir le passage au management
stratégique. L’implication de l’équipe dirigeante doit être forte pour être capable d’entraîner
l’ensemble de l’organisation dans cette mutation avec succès.
11
Henri Fayol, Administration Industrielle et Générale, Dunod 1918
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
21
Il faudrait mettre en place :
- L’exercice du leadership. Pour motiver et mobiliser les opérationnels, les dirigeants doivent
se positionner en leaders. Il leur faut exercer un pouvoir charismatique sur les acteurs de
l’organisation. C’est ce que l’on a coutume d’appeler un profil de meneur d’hommes. Ce
profil est rare dans les universités, comme dans les entreprises. On peut citer Antoine Riboud
comme exemple de ce profil de dirigeant12.
On trouve plus fréquemment dans les universités des dirigeants consensuels, attentifs à ne
fâcher personnes. Exercer le leadership du dirigeant ne consiste pas à faire plaisir à tout le
monde mais à convaincre du bien fondé des choix que l’on a effectué et, grâce à un certain
talent de communication, à entraîner et à guider les opérationnels vers le but.
- L’apprentissage du travail collaboratif et de la recherche de l’amélioration permanente des
pratiques.
Atteindre cet objectif passe par :
o Savoir conduire les projets de changement
Pour faire face à des mutations génératrices de peurs et dont les conséquences sont difficiles
à évaluer, les acteurs de l’organisation ont tendance à résister au changement. Dans la
plupart des cas, ils ont des habitudes ancrées depuis de nombreuses années, qui n’ont jamais
été remises en question. Par exemple, dans les services qui doivent passer de la gestion
administrative des personnels à la gestion de ressources humaines, on entend souvent des
personnels objecter, face aux demandes de modifications de leurs méthodes de travail, que
depuis des années cela fonctionne de la même manière, que cela convenait bien, donc
pourquoi changer.
Avec le passage aux RCE et au modèle SYMPA, il devient cependant nécessaire d’introduire le
changement dans les méthodes de travail, pour améliorer leur efficience.
Il faut observer qu’il n’y a pas d’incitation des tutelles vers la conduite des projets de
changement. Toujours dans l’esprit d’éviter de faire des vagues, on entend dire, au plus haut
niveau, qu’il ne faut pas affoler les personnels et les dirigeants en expliquant que le modèle
SYMPA implique des calculs économiques de type seuil de rentabilité ou coût marginal, afin
d’étayer la prise de décision stratégique.
o Savoir faire travailler les personnes ensemble
Les méthodes de travail sont très individualisées car elles s’appuient sur des outils
bureautiques, qui sont à tort assimilés à des briques du système d’information. Utiliser des
outils bureautiques dans le traitement de l’information est la manifestation de l’entropie qui
règne dans l’organisation et qui est liée aux insuffisances du système d’information, pris au
sens de la systémique, autrement dit l’instrument de couplage organisationnel entre
opérationnels et pilotes. Travailler de cette manière renforce l’isolement de chacun dans son
poste de travail et pérennise la parcellisation du pouvoir. Une personne qui est seule à
détenir une information détient, de ce fait même, du pouvoir auquel elle va difficilement
renoncer. Dans cette situation, il n’existe pas non plus de capitalisation des compétences
permettant de faire face au « turn over ».
12
Antoine Riboud, fondateur et président du groupe Danone jusqu’en 1996
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
22
III-2 - Sixième affirmation : « un système c’est quelque chose qui, dans quelque chose, fait quelque
chose, pour quelque chose, avec quelque chose, qui se transforme »
Parce qu’une université est un être vivant social, elle obéit au règne du vivant, c’est-à-dire qu’elle est
condamnée à évoluer, sous peine de disparaitre.
Comme tout être vivant, elle n’est pas menacée de disparition tant qu’elle s’inscrit dans un processus
de développement. Mais la croissance, dont l’aspect positif est d’empêcher le déclin et la mort,
possède de manière dialectique son côté obscur. Se développer signifie une augmentation de la
variété, si le mode de croissance est l’expansion, et une augmentation de la complexité, si le mode
de croissance tend vers la diversification. Les universités sont confrontées aux deux phénomènes
lorsqu’elles participent à un PRES, notamment un PRES fusion. Sans une évolution du système
d’information, seule capable de maîtriser les conséquences inéluctables de l’évolution, l’entropie va
se développer. Dans un premier temps, elle sera cause de gaspillage de ressources et de dégradation
des relations humaines, mais si elle n’est pas jugulée à temps par l’évolution du système
d’information, l’entropie entraînera la disparition de l’établissement. Le passage aux RCE est en train
de provoquer des situations de ce type.
Le fait de poser l’évolution du système comme un principe incontournable devrait amener l’équipe
dirigeante à tirer les conséquences sur l’évolution du système d’information de ses décisions
stratégiques. Elle devrait tenir compte du fait qu’une stratégie ne peut se mettre en œuvre sans un
système d’information adapté. Or actuellement, le système d’information est essentiellement perçu
comme un ensemble d’outils informatique et non comme l’élément composant du système en
charge du couplage entre opérationnels et pilotes. Cette vision systémique du rôle du système
d’information est cependant nécessaire si l’on veut atteindre le but fixé par l’équipe dirigeante en
menant les activités opérationnelles.
Un deuxième enseignement peut être tiré de cette affirmation concernant l’évolution. Une université
doit se transformer de manière à s’adapter à son environnement, sous peine de disparition si elle n’y
arrive pas. Elle doit alors manifester son intelligence organisationnelle, au sens où André Gide
définissait l’intelligence comme la faculté d’adaptation.
Mais sa nature d’être social fait qu’elle est composée d’un ensemble d’êtres humains. De ce fait, et
contrairement aux être biologiques, la cellule de base d’une organisation dispose d’un libre arbitre et
de la possibilité de manifester son opposition entre la perception de ses intérêts propres et les
intérêts de l’organisation.
Cela entraîne l’absolue nécessité pour les dirigeants d’être capable de conduire le changement
organisationnel lié à l’évolution et, notamment, de le légitimer.
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
23
IV - L’université à la recherche de l’équilibre
Dans son ouvrage La théorie du système général, Jean-Louis Le Moigne proposait un schéma de
positionnement13 entre être (principe ontologique), agir (principe fonctionnel, voire éthologique) et
évoluer (principe génétique).
Schéma 8 : Définition du positionnement suivant les trois définitions d’après Jean-Louis Le Moigne
Cette représentation possède une vertu opérationnelle pour l’équipe dirigeante d’une université.
Ce positionnement sur les trois axes représente la position actuelle du centre de gravité de
l’organisation. Il permet de juger de la nature de son équilibre. Si le centre de gravité est trop orienté
vers l’être, l’organisation est nombriliste, avec une tendance à l’inertie et au refus du changement.
S’il est orienté à l’excès vers l’action, l’organisation est activiste, de tradition orale et incapable de
penser son évolution. Si elle est orientée principalement vers l’évolution, elle perturbe les acteurs
dans leur action et leur fait perdre le repère de ce qu’est l’organisation à laquelle ils appartiennent.
C’est dans ce type de situation que va se développer le « syndrome France Télécom ».
Tout l’art de la direction d’un établissement va donc consister à analyser où se trouve le centre de
gravité actuel de l’organisation, à prévoir où il devrait être pour s’adapter à l’environnement, et à
conduire le changement pour gérer le déplacement du centre de gravité vers cet équilibre
compatible avec le contexte.
13
Jean-Louis Le Moigne, La théorie du système général, PUF 1977, p. 64
Être
Evoluer Agir
Positionnement
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
24
Schéma 9 : Dynamique du positionnement du centre de gravité
Il y a donc trois problèmes à résoudre :
1- Savoir positionner le centre de gravité actuel. Cela exige de pratiquer l’introspection
organisationnelle. Ce n’est possible qu’à condition de faire preuve d’un maximum
d’honnêteté intellectuelle face à ce qu’est l’organisation, d’éviter de recourir à un code de
langage convenu et de s’affranchir de la pesanteur de la hiérarchie.
2- Savoir déterminer le bon positionnement pour atteindre les objectifs stratégiques.
La mise en œuvre de la stratégie entraîne soit une augmentation de variété (augmentation
du volume d’activités dans les domaines d’actions stratégiques existants), soit une
augmentation de complexité (adjonction de nouveaux domaines d’actions stratégiques),
voire les deux à la fois. L’analyse des conséquences de la stratégie décidée par les dirigeants
permettra donc de déterminer :
o le positionnement sur l’axe « Evoluer » en fonction de la variation de complexité,
o le positionnement sur l’axe « Agir » en fonction de la variation de la variété.
o le positionnement sur l’axe « Être » sera donc résiduel. Mais il faudra vérifier que le
nouveau centre de gravité ainsi déterminé n’entraînera pas une perte d’identité au
sein de l’organisation à cause de ce nouveau positionnement sur l’axe « Être ».
3- Savoir gérer le mouvement pour passer d’un point à un autre. Pour cela, il faut être conscient
des vitesses relatives d’évolution des différents acteurs, afin de synchroniser leurs
mouvements. Déterminer la vitesse d’évolution sur les acteurs les plus rapides pourrait
entraîner l’implosion de l’organisation. Synchroniser l’évolution sur les plus lents présente
Être
Agir Evoluer
(1) Savoir se positionner
(introspection organisationnelle)
(2) Savoir déterminer le bon
positionnement pour atteindre
les objectifs
(3) Savoir gérer le
mouvement
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
25
moins de risque, à condition de savoir motiver ces acteurs afin qu’ils fassent de leur mieux
pour accélérer au maximum de leurs possibilités.
Dans leur ouvrage Le but, un processus de progrès permanent14, Eliyahu M. Goldratt et J. Cox
décrivent clairement les bonnes pratiques pour synchroniser les mouvements des membres d’une
équipe afin d’éviter la désorganisation et d’obtenir le meilleur résultat possible de l’actions de
l’ensemble des acteurs du groupe. C’est pourquoi au-delà de l’action en elle-même, c’est l’obtention
d’un comportement de groupe (sur l’axe « Agir ») qui permet d’obtenir une dynamique équilibrée
(sur l’axe « Evoluer »), sans qu’il y ait perte d’identité (sur l’axe « Être »).
14 Eliyahu M. Goldratt et J. Cox : Le but, un processus de progrès permanent, Afnor 3
ème édition juin 2003
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26
Conclusion :
L’approche présentée a l’avantage de rendre possible la gestion de la complexité, qui ne peut se
comprendre que par une analyse globale et dynamique du monde réel. Elle constitue à ce titre une
manière efficace d’intelligence des problèmes auxquels l’établissement est confronté.
Elle présente également l’avantage d’être facile à traduire en actes. Il est en effet possible, avec cette
démarche, de modéliser les solutions disponibles pour les problèmes identifiés, et de choisir la
solution à implémenter, après évaluation des différentes possibilités en termes de pertinence par
rapport à la situation.
Cette approche offre aux dirigeants d’un établissement une méthode qu’ils peuvent s’approprier
pour prendre des décisions stratégiques, pour les mettre en œuvre et pour contrôler les résultats de
la mise en œuvre.
Appréhender un système complexe, comme une université, de manière globale, grâce à la
systémique, constitue un facteur de progrès de l’organisation en elle-même et des hommes qui la
composent. Les structures, les méthodes de travail, le système d’information, le rôle de chaque
acteur : tous ces éléments se trouveront légitimés et dynamisés dans le cadre de l’analyse
systémique.
Le potentiel de l’organisation s’en trouve alors décuplé. C’est le sens du concept de paradigme
inforgétique, présenté par Jean-Louis Le Moigne15. Une organisation apprenante, où le système
d’information joue bien son rôle de couplage organisationnel entre les modules opérationnels et
pilotes, crée des services à valeur ajoutée, en évitant les coûts parasites. Elle est dans une dynamique
de progrès permanent, qui permet d’améliorer à la fois les conditions de fonctionnement de
l’organisation et les conditions de travail des hommes qui la composent.
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Jean-Louis Le Moigne : Organisation intelligente et système d'information stratégique, co direction avec J.A.Bartoli. Editions Economica. 1996
Michelle GILLET Article - Colloque du 19 Novembre 2010 à l’IPAG
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Bibliographie
Jean-Louis Le Moigne : La théorie du système général, PUF 1977
Jean-Louis Le Moigne : Organisation intelligente et système d'information stratégique, co direction avec J.A.Bartoli. Editions Economica. 1996
Herbert Simon : Theories of Decision-Making in Economics and Behavioral Science, (1959), American
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Jacques Apter : De nouveaux outils pour maîtriser la dynamique de l’entreprise, L’Harmattan 2002
Christine Musselin : Universités françaises : l’autonomie tant attendue ? Sciences humaines Hors
série N° 28 Le changement De l’individu aux sociétés Mars/Avril/Mai 2000
Christophe Longépé : Le projet d’urbanisation du SI, Dunod 2ème édition 2004
Eliyahu M. Goldratt et J. Cox : Le but, un processus de progrès permanent, Afnor 3ème édition juin
2003