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La théologie de la Lumière dans l’architecture gothique.

La théologie de la Lumière dans - Abbaye d'Hauterive · le dieu du jour et de la lumière. Le thème de la lumière est très présent dans les psaumes de la Bible. Dans l’Evangile

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La théologie de la Lumière

dans

l’architecture gothique.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 2

Sommaire La symbolique chrétienne de la Lumière

La théologie de la Lumière

La lumière au travers des vitraux

La place de la lumière dans la Bible

Pourquoi gothique ?

De nouvelles méthodes de construction

Des révolutions majeures …

… et des murs qui s’ouvrent

De l’importance nouvelle des vitraux dans la cathédrale gothique

La technique du vitrail

Le gothique comme enjeu politique

L’opus francigenum

Un reliquaire flamboyant

Suger, abbé de Saint Denis

Denys l’Aréopagite

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 3

La symbolique chrétienne de la Lumière Au début, la symbolique de la lumière n’est pas une notion exclusivement chrétienne ou

biblique. C’est une notion que l’on rencontre dans à peu près toutes les religions, associant

les éléments physiques de clarté avec des connotations morales, souvent formulées de

manière opposée : bien / mal, lumière / ténèbres. Rien d’étonnant à ce que la Bible utilise ce

fond commun des représentations religieuses pour exprimer le mystère divin et la

participation humaine à ce mystère.

On associe naturellement les ténèbres à la mort et la lumière à la vie. Depuis l’Antiquité, la

relation divinité / lumière est connue. Dans la mythologie grecque, Apollon, fils de Zeus, est

le dieu du jour et de la lumière. Le thème de la lumière est très présent dans les psaumes de

la Bible. Dans l’Evangile de St Jean, Jésus est assimilé à la lumière. Le Credo du Concile de

Nicée en 325 déclare « Jésus, Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière ». Aux 4ème et

5ème s. les Pères de l’Eglise vont développer cette théologie de la lumière. Un philosophe

grec du 5ème s. Denys l’Aréopagite, va poursuivre cette perspective théologique en affirmant

« Dieu est lumière ». Chaque créature, à la place où elle est située dans l’échelle des êtres,

reçoit cette lumière et la transmet à son tour. Au 12ème s. l’abbé Suger va traduire cette

théorie dans la restauration de l’abbaye de Saint Denis à Paris.

La théologie de la Lumière

est une théorie qui s'est exprimée dans l'architecture dite « gothique », et qui a présidé à la

conception des cathédrales gothiques en Occident.

Dans la théologie de la Lumière, la lumière est chargée d'une force symbolique. Georges

Duby, dans Le Temps des cathédrales, décrit également, sous l'angle artistique, la théologie

de la Lumière, initiée à l’abbaye Saint Denis à Paris au 12ème s. qui est à l'origine de

l'architecture dite gothique et de l'émergence des grandes cathédrales. Selon la théologie de

la Lumière, la lumière du ciel passe à travers les vitraux, où sont représentés des scènes de

l'Ancien Testament et du Nouveau Testament, illustration imagée de notre catéchisme

moderne, pour des populations qui étaient encore peu cultivées dans leur ensemble.

Lorsque la lumière du ciel (physique) passe à travers les vitraux, elle se charge

symboliquement d'une manifestation divine. Les vitraux sont chargés de transformer la

lumière physique en lumière divine, autrement dit de faire entrer la présence de Dieu dans

l'église.

La place de la lumière dans la Bible

Dans le livre de la Genèse, le premier acte créateur est de « séparer la lumière et les

ténèbres », mettant ainsi fin au chaos primitif.

Dieu apparaît à travers la lumière.

Le premier verset de la Bible nous présente Dieu, le Père, dans la création de l’Univers :

Au commencement Dieu créa les Cieux et la Terre.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 4

Le deuxième verset insiste sur le travail silencieux du Saint Esprit au sein des ténèbres :

« La terre était informe et vide et il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme et l’Esprit de

Dieu se mouvait au-dessus des eaux. »

Enfin, le troisième verset, nous présente Dieu, le Fils, dans sa victoire sur les ténèbres. Dieu

dit :

« Que la lumière soit ! Et la lumière fut. »

La lumière, créature de Dieu, n’existe que par lui et lui est entièrement soumise. Plus que

les autres êtres créés, la lumière est signe de la présence divine : Dieu « s’en revêt comme

d’un manteau », au dire du psaume : amictus lumine sicut vestimento. Les théophanies

s’accompagnent de lumière et des autres éléments associés qui sont le feu, l’éclair, la clarté

aveuglante. Les derniers livres bibliques dépassent cette imaginaire encore très matériel

pour faire de la lumière une analogie capable d’exprimer l’essence divine : la Sagesse de

Dieu est ainsi qualifiée de «reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tâche de l’activité de

Dieu, une image de son excellence.»

Attribut divin, la lumière est aussi employée pour décrire les dons de Dieu : Il fait luire sur

l’homme « la lumière de sa face »; la parole divine est, pour le croyant, « une lampe pour

mes pas, une lumière sur ma route ». Dieu lui-même est pour lui « lumière et salut », et la

lumière est le premier des signes annonciateurs des temps messianiques : « Le peuple qui

marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière, et sur les habitants du pays de

l’ombre une lumière a resplendi ».

Dans le Nouveau Testament, cette lumière eschatologique promise dans les écrits

prophétiques est devenue une réalité. C’est par la précédente citation d’Isaïe que Mathieu

ouvre le ministère de Jésus en Galilée. Luc axe tous ses récits de l’enfance sur l’annonce de

cette Epiphanie lumineuse, « soleil levant qui vient nous visiter » pour Zacharie, « Lumière

qui se révèle aux nations » pour Siméon; à l’autre extrémité de son récit l’évangéliste fait dire

à Paul devant le roi Agrippa qu’il a été envoyé aux nations païennes afin « qu’elles

reviennent des ténèbres à la lumière », tout comme le Christ, dans sa résurrection, a apporté

« la lumière au peuple et aux nations païennes ».

Les actes et les paroles de Jésus le font apparaître lui-même comme Lumière du monde.

Déjà, dans le prologue de son Evangile, Jean présente le Verbe de Dieu comme la lumière

véritable, celle qui « illumine tout homme venant en ce monde », non sans laisser entrevoir

l’affrontement de cette lumière avec les « ténèbres » du péché et du mal.

En ce qui concerne l'âme de l'homme, une distinction est faite entre la lumière naturelle et

celle de Dieu. De ce que dit la Bible, l'homme est continuellement à la recherche de lumière.

Par conséquent il remplacera celle qu’il a perdue par une lumière artificielle.

Dans les Saintes Ecritures, la lumière est personnifiée. Jésus a dit :

« Je suis la lumière du monde

celui qui marche à ma suite aura la lumière de la vie »

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 5

Ce que dit l'Evangile de Jean :

« Cette lumière est la véritable lumière qui en venant dans le monde

éclaire tout homme. »

Parallèlement, la lumière est indispensable à la vie. La lumière appelle la vie. L’aspiration à

la lumière est universelle. Le désespoir nous éteindrait si la lumière ne devait plus

réapparaître le lendemain. Ce serait pour le monde entier une lente agonie. En peu de temps

notre globe se figerait au zéro absolu. Mais Dieu nous a laissé un signe irréfutable qui nous

prouve que, même absent, il continue de briller et que bientôt l’astre de vie sera de retour.

L’accomplissement de tout se produira dans la Jérusalem céleste : « Elle peut se passer de

l’éclat du soleil et de la lune, car la gloire de Dieu l’a illuminée, et l’Agneau lui tient lieu de

flambeau ». Cette clarté de la cité définitive rejaillira sur les élus : « de nuit, il n’y en aura

plus, ils se passeront de lampe ou de soleil pour s’éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur

eux sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles ».

C’est pourquoi l’architecture gothique cherche toujours à capter plus de lumière. La

profession de maître verrier, d’après le traité sur les métiers d’art datant du 12ème s. devient

la première profession nationale en France, devançant ainsi les autres corps de métiers. Les

vitraux de plus en plus présents au sein des édifices religieux se vulgarisent. Les rosaces et

les verrières font donc leur apparition.

La lumière au travers des vitraux

La recherche de la lumière a commandé l’évolution de l’architecture religieuse. Les

architectes ont appris, petit à petit, à maîtriser les règles physiques de l’éclairement de

l’édifice : prise de lumière dans les parties basses, ensuite larges tribunes, création de clair

étage dans les parties hautes, puis recherche d’éclairement par le transept, et plus encore

sur le pourtour du chœur, lieu privilégié par où infuser la lumière, enfin l’échelonnement des

volumes dans la périphérie du chevet.

En tant que forme artistique, la technique du vitrail atteint sa plénitude au Moyen Âge.

À partir du 6ème s., l'Italie, influencée par Rome, se dote de vitraux enchâssés dans des

cadres en bois. Cette technique stabilisant les vitraux est progressivement remplacée à

partir du 10ème s. en Occident par le vitrail au plomb - un matériau plus malléable - qui

résiste mieux à l'humidité. Ces vitraux n'utilisent comme couleurs que le gris, le brun et le

noir, aussi restent-ils assez sombres et sont employés pour souligner les ombres ou

dessiner les draperies de personnages.

La technique de fabrication des vitraux est décrite pour la première fois dans l'histoire dans

De arte vitriaria, deuxième livre du traité sur les métiers Schedula diversum artium rédigé

dans le premier quart du 12ème s. par un moine bénédictin allemand Theophilus Presbyter.

Durant les périodes romane et gothique primitif (950 à 1240), les ouvertures se développent,

exigeant de plus grandes surfaces vitrées. Le style roman utilisant l'arc en plein cintre ne

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 6

permet que des ouvertures limitées, favorisant les jeux de contraste entre ombre et lumière

et se caractérise essentiellement par de petits vitraux en assemblage de médaillons carrés

ou circulaires, les scènes étant bordées de riches motifs végétaux (feuilles d’acanthes,

fleurons, pétales). Le foyer du vitrail médiéval au plomb se trouve d'abord en France,

notamment à l’abbaye Saint Denis à Paris au 9ème s., ou à Reims. Alors que le pape

Grégoire le Grand met en avant la fonction pédagogique de l'image qui se déploie dans les

églises et que les canons du concile de Rome de 1050 rappellent la mission d'instruire et de

moraliser de l'Église, les œuvres sculptées et les fresques à l'intérieur des édifices romans

retracent la suite des événements bibliques. Lorsque les baies se multiplient et gagnent en

importance à l'époque gothique, la fonction pédagogique des fresques perd de son

importance, au profit des sculptures et des vitraux. Comme l'œil doit effectuer un effort pour

voir les motifs figuratifs des vitraux qui se situent à tous les niveaux de l'église, de plus en

plus haut, les artistes les déforment volontairement afin de les rendre accessibles aux

croyants.

Les cisterciens développent, en rapport avec leur idéal de simplicité et de dépouillement

voulu par Bernard de Clairvaux, un type de vitrail incolore composé le plus souvent de motifs

décoratifs non-figuratifs et répétitifs. À la même époque, les préoccupations religieuses de

Suger le conduisent à donner une grande importance théologique et liturgique aux couleurs

dans la conception des vitraux de l’abbaye de Saint Denis. L'architecture gothique y apparaît

comme la volonté de substituer la transparence du verre à l'opacité des murs qui ont

tendance à se réduire à des nervures où s'encastre le verre. L'arc brisé et la croisée d'ogives

permettent d'équilibrer les forces sur les piliers. Les murs n’ont donc plus à supporter le

poids de la structure et peuvent alors être ouverts vers l'extérieur. Avec le développement

ornemental de l’architecture gothique, les ouvertures deviennent donc de plus en plus

grandes, améliorant l'éclairage des intérieurs. La lumière devient suffisamment abondante

pour que les peintre-verriers puissent jouer à la colorer par de nombreux vitraux. Ces

derniers ne laissent rien voir de l’extérieur mais laissent la lumière pénétrer à l'intérieur.

L'architecture gothique innove en introduisant un cloisonnement des fenêtres par des piliers

verticaux, les meneaux et des motifs de pierre. La composition narrative des scènes

superposées - la lecture de cette iconographie se faisant généralement de gauche à droite

en commençant par le bas - s'accompagne de décors et personnages plus naturalistes au

gothique primitif et rayonnant. La complexité de ces ouvertures atteint son apogée dans les

immenses baies du style flamboyant européen dont les figures s'allongent, pouvant occuper

toute la baie, tandis que les personnages présentés ont des allures plus maniérées.

Intégrés à la tendance à l’élévation verticale des cathédrales et des églises paroissiales, les

vitraux deviennent des créations de plus en plus audacieuses. La forme circulaire, ou

rosaces développée en France, évolua à partir de percements relativement simples dans les

parois de pierre jusqu’aux immenses rosaces, comme celle du fronton ouest de la cathédrale

de Chartres. Cette cathédrale est célèbre pour son « bleu de Chartres » et ses vitraux du

13ème s.. Le temps des cathédrales en France voit l'explosion de cet art, comme à Notre-

Dame de Paris, Bourges, Amiens, Reims, Rouen, ou au Mans ainsi que dans les contrées

germaniques, comme à Strasbourg, Augsbourg, Cologne, Erfurt, Ratisbonne. Ces modèles

atteignent une énorme complexité, la dentelle de pierre étant ramifiée en centaines de

différents points, comme à la Sainte-Chapelle à Paris, véritable vaisseau de lumière.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 7

L'expression « cathédrale de lumière », désignant les églises médiévales baignées de

lumière, est cependant à nuancer : les vitraux qui filtrent la lumière naturelle ont tendance à

assombrir les églises et cathédrales d'autant plus que la fumée des bougies et des encens

encrassent les murs et vitraux qui se colmatent et s'opacifient au cours des siècles. Le clergé

du 17ème s. et surtout du 18ème s. qui recherche plus de clarté privilégie ainsi les vitreries

claires aux bordures décoratives et les vitraux en grisaille qui rendent les églises moins

sombres. Les vitraux sont censés être édifiants pour les fidèles et représentent bien souvent

des scènes bibliques, la vie des saints ou parfois même la vie quotidienne au Moyen Âge,

constituant une véritable « Bible du pauvre ». Ils sont considérés comme de véritables

supports imagés, à la façon d'une bande dessinée, pour le catéchisme des fidèles supposés

n'avoir alors qu'à lever les yeux. En réalité, cette conception utilitariste de l'art médiéval est

fausse, les historiens de l'art ayant longtemps fait confiance aux discours normatifs des

clercs : les vitraux existent comme œuvres d'art par elles-mêmes car certaines verrières

étaient trop hautes pour être lisibles, leurs scènes bien souvent trop petites et beaucoup

situées à hauteur d'œil ne pouvaient pas être interprétées - à l'exception des grands

classiques que sont les scènes de la Nativité, l'Assomption, la Crucifixion, - par les fidèles.

De plus, toutes sortes d'obstacles - jubés, chancels, autels, stalles réservées aux officiants -

se dressent entre les fidèles et les figurations. Le laconisme du vitrail rend souvent la lecture

des images impossible sans un enseignement préalable et des commentaires adéquats.

Mais au-delà de la représentation iconographique, c'est aussi pour toute la symbolique de la

lumière que l'on avait recours aux vitraux durant le Moyen Âge, et plus particulièrement

pendant la période dite gothique. Dans son traité Perspectiva, Vitellion, un moine de Silésie

ayant vécu au 13ème s, distingue deux sortes de lumières : la lumière divine - Dieu - et la

lumière physique - la manifestation de Dieu. Les vitraux étaient alors chargés de transformer

la lumière physique en lumière divine, autrement dit de faire entrer la présence divine dans la

cathédrale.

La lumière provenant des vitraux a ainsi pour but de créer un microcosme céleste au cœur

de l'église !

La Sainte Chapelle, Paris

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 8

Pourquoi gothique ?

Le mot gothique est à l'origine du mot goth synonyme de "barbare" (les Goths étaient un

peuple barbare du nord de l’Europe).

A la Renaissance, les Italiens pour critiquer l'art ogival décidèrent de le qualifier de gothique.

C'est Raphaël, semble-t-il, qui, le premier, dans son célèbre rapport à Léon X, a appliqué la

dénomination de gothique à l'architecture des trois derniers siècles du Moyen âge. Ensuite,

Giorgio Vasari (1511 - 1574 Le Vite de' più eccellenti architetti, pittori et scultori italiani, da

Cimabue insino a' tempi nostri) puis Palladio se chargèrent de mettre ce qualificatif à la

mode. En effet ce style, surtout architectural, était pour Raphaël trop éloigné des

codes esthétiques de l'art classique de la Renaissance italienne.

On peut distinguer quatre périodes qui se succèdent ; le gothique primitif (1130-1150), le

gothique classique (fin 12ème-1230 env.), le gothique rayonnant (1240-1350) et enfin le

gothique flamboyant (dès 1350).

L'art gothique domina l'Europe durant quatre siècles. Rien ne pouvait être bâti sans faire

appel à lui tant il révolutionna les techniques de construction. Cette époque est marquée par

des innovations majeures dans l'architecture qui se traduisent notamment par la volonté de

créer des ouvertures plus grandes afin de laisser pénétrer la lumière. Ainsi, celle-ci devient

symbolique. En effet, selon l'abbé Suger, personnage illustre de la période, la

lumière qui était à l'état physique à l'origine, en passant par les vitraux, deviendrait donc

divine. Cette transformation devînt possible grâce au style architectural qui privilégie la

hauteur.

Il est donc intéressant de se demander comment la Théologie de la Lumière est présente

dans l'architecture gothique.

Notre Dame de Chartres, France

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 9

De nouvelles méthodes de construction

« En l'espace de trois siècles, de 1050 à 1350, la France a extrait plusieurs millions

de tonnes de pierres pour édifier quatre-vingt cathédrales et cinq cents grandes

églises et quelques dizaines de milliers d'églises paroissiales. La France a charrié

plus de pierres en ces trois siècles que l'ancienne Egypte en n'importe quelle période

de son histoire. »

Les Bâtisseurs de Cathédrales

Jean Gimpel

De nombreux progrès ont été réalisés dans le domaine du traitement des matières

premières, objets nécessaires au travail et dans la disponibilité de ces matières. Ainsi on

assiste à une certaine rationalisation des techniques de production. Le problème principal

est celui du transport. Très coûteux, cet acheminement de la pierre se fait de la carrière au

site de la construction. Auparavant, on cherchait même les emplacements des futurs édifices

de façon à se trouver le plus près possible d'une carrière. Les matériaux utilisés sont

principalement la pierre, le bois et les métaux. Si, différentes roches comme le basalte, le

granite ou le grès servent à la construction, le calcaire reste le plus utilisé. En effet, le

calcaire, que l'on trouvait en abondance à l'embouchure de la Seine ainsi qu'à Caen,

possédait de grandes qualités. La pierre calcaire, encore humide, se laissait tailler très

facilement dans tous les calibres. Une fois séché, le calcaire apparaissait très résistant.

Des innovations apparaissent dès le 11ème s., elles marquent ainsi le début du gothique

primitif. Ces premières innovations sont caractérisées par des évolutions dans la façon de

construire. Avant l'époque gothique, le travail s'effectuait de façon instantanée au chantier.

Ainsi, les pierres étaient ajustées immédiatement avant leur emploi. La taille de la pierre et la

pose se faisaient presque instantanément.

Pour la construction des édifices normands, dès le 11ème s., on observe une meilleure

coordination des travaux. Cette innovation est visible dans les carrières, dans l'atelier et sur

le chantier. La dimension d'un certain nombre de pierres était donnée à l'avance. Toute la

construction entreprise pouvait être montée couche après couche d'après le plan. On

retrouve ce procédé lors de la construction de Chartres, cent cinquante ans plus tard.

A partir de l'époque gothique, la taille préalable des pierres prend des mesures

considérables. Une des premières étapes de cette évolution est marquée par la « technique

en délit ». La pose en délit consiste à poser la pierre avec un lit vertical. Elle donne ainsi un

aspect de grandes hauteurs, sans joint et démontre les grandes qualités techniques des

bâtisseurs. Cette technique est importante à Saint-Denis à partir de 1141. Cependant pour

certains aspects on continue de s'en tenir à la manière de construction traditionnelle. Comme

ce fut le cas pour Chartres, l'édifice, ou une section, est monté par couches horizontales.

Cette façon de construire va peu à peu conduire à une autre manière qui s'appuie sur la

verticalité. Ainsi certaines parties de l'édifice étaient utilisables avant la fin de la construction.

Cette technique est marquée par un procédé nommé « technique d'empilement ». Suite à

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 10

l'apparition de « patrons particuliers », les pierres sont dessinées, ainsi on inventa des

coupes rationnelles, les pierres peuvent être ainsi empilées.

Cette construction nécessitait l'emploi de modèles et de gabarits, reproductions grandeur

nature, généralement en bois, des faces à tailler. Les pierres étant taillées par avance dans

les carrières, elles pouvaient s'assembler rapidement les unes sur les autres. Les frais de

transports diminuaient considérablement grâce l'évolution de la taille préalable des pierres.

Cette taille exécutée par avance vaut aussi pour les piliers, les remplages, les embrasures

de fenêtres et pour les autres éléments décorés. Une fois les pierres taillées elles étaient

entreposées sans penser aux problèmes qui pouvaient se poser lors de leur mise en place.

Ce fut le cas lors de la construction de la cathédrale de Reims. Cependant lors des dernières

étapes de construction on en est venu à caractériser les pierres en y inscrivant des signes

distinctifs. Ainsi une marque désignait la partie de l'édifice et un chiffre désignait sa position.

Tous ces procédés ont pris de grandes proportions et ainsi la construction se faisait en

continu, même pendant l'hiver. On suppose qu'une construction en continu avait déjà lieu

lors de la construction de Saint-Denis. Avant, la construction était stoppée pendant l'hiver, or,

dans ses écrits, Suger relate que le chœur de Saint-Denis a été construit en hiver comme en

été pendant trois ans. En hiver, les travaux devaient donc se rapporter à l'ornementation et

au vitrage et concernaient surtout les tailleurs de pierres et les sculpteurs. Cependant les

chantiers progressaient plus vite. De plus, afin de permettre une construction continue,

apparaissent des lieux pouvant être chauffés, tels que la « hutte » ou la loge. Ces lieux

apparaissent dès 1211 lors de la construction de Reims.

On constate également des évolutions pour la division du travail. Avec la taille préalable des

pierres, le travail est réparti entre les ouvriers travaillant dans les carrières, ceux chargés du

transport, les tailleurs de pierres, ceux qui font le crépissage et les maçons. Après les

progrès pour la division du travail, nous pouvons relever des progrès au niveau du

financement. Ces nouvelles techniques nécessitent en effet un financement régulier

suffisant. Il s'effectuait grâce à des donations ou par la mise en disposition d'un fond ou bien

on comptait sur des rentrées régulières. Ainsi le financement assurait la rapidité et la

continuité de la construction. Par exemple, la Saint-Chapelle a disposé d'un grand fond

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 11

provenant de donations. Ainsi sa construction a été achevée en l’espace de deux ou trois

ans, c'est aussi le cas pour la construction du cœur de Saint-Denis.

La rationalisation de la production relève de l'histoire économique et de nouvelles exigences

de planification. Cette fabrication en série a contribué au développement des chantiers des

cathédrales et permit l'expansion de cette nouvelle architecture qui s'exécute avec plus de

rigueur.

Ces évolutions se répandent et se généralisent à toutes les étapes de la construction.

Pour les cathédrales, l'évêque ou le chapitre, ou aussi d'autres groupes comme des

fraternités de bourgeois ou des seigneurs féodaux, pouvaient être responsables de la

construction. Ces hommes, qui, au Moyen-Age imaginent et construisent des églises, restent

dans l'anonymat. Les clercs participent à la construction en tant que commanditaires et

gestionnaires. Ils choisissent ensuite un maître d’œuvre qui conçoit et dirige la construction.

Le maître d’œuvre prend le rôle d'architecte, de géomètre et d'ingénieur. A l'apogée du

gothique, le maître d’œuvre s'éloigne de toute activité manuelle, il fait les plans et conçoit les

devis. Certains de ces architectes sont aujourd'hui connus comme Jean de Chelles et Pierre

de Montreuil, l'un des bâtisseurs de Notre-Dame de Paris. Le maître d’œuvre dirige les

différents travailleurs avec l'aide d'un « parlier ». Il était ainsi nommé pour sa connaissance

des différents dialectes et aidait à la communication entre les différents bâtisseurs. Les

bâtisseurs, appareilleurs, maîtres maçons, sculpteurs, tailleurs de pierres, charpentiers et

verriers, sont des hommes libres. Ils sont rémunérés selon les termes du contrat. Les

ouvriers peuvent improviser sur un thème donné par l’architecte.

Le tailleur de pierre en particulier laisse sa trace sur l’édifice, il possède sa frise et ses motifs

propres. Il marque de son signe distinctif chacune des pierres travaillées par lui.

Jusqu'au 12ème s. on s'en tenait aux méthodes traditionnelles pour l'élaboration des plans, à

l'échelle 1/1. Avec la progression de la taille préalable, une véritable révolution dans la

conception des plans s'est effectuée. L'architecte fournissait une esquisse ou une maquette.

On aurait ensuite défini le plan et fixé les différents niveaux du tracé. En effet, il fallait

envisager avec précision l'emplacement des pièces avant le début des travaux. Auparavant,

l'architecte gardait en mémoire de nombreux détails qu'il exprimait au fur et à mesure de

l’évolution du chantier. Cette méthode n'est plus possible avec le développement d'une taille

préalable.

Les dessins tracés au compas ou à l’équerre sur les murs et les sols sont appelés épures, ils

sont réalisés à l’échelle un. Ils servent au découpage de patrons pour la réalisation

d’éléments d'architecture. Ces tracés continuent d'être dessinés mais ils ne sont plus le

moyen direct d'établir le plan. Ces dessins deviennent une étape intermédiaire entre le plan

et l'exécution.

La construction repose sur un savoir, notamment celui de la géométrie. Pour appliquer ces

lois et procéder à la construction, les deux instruments fondamentaux sont le compas et la

« virga ». Le compas permet de tracer des cercles et donc de retrouver les arcs et les

angles. Le compas à secteur est composé d'un quart de cercle fixé sur l'une des branches,

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 12

qui coulisse à travers l'autre branche. Ce système permet le blocage du compas sur

certaines positions et l'utilisation de graduations gravées. L'architecte utilisait également, sur

le chantier, de très grands compas pour reporter grandeur nature les tracés. La « virga », la

canne du maître d’œuvre, sert de règle. Elle sert aussi d'étalon de longueur. N'existant pas

d'unité de longueur, la « virga » était l'unité propre à chaque maître d’œuvre.

Les bâtisseurs avaient recours à d'autres outils. L’équerre sert de modèle à l'angle droit. Les

deux branches d'une équerre pouvaient posséder des marques servant de repères pour des

angles particuliers.

Le cordeau est un fil à plomb, il définit la verticale. Il peut permettre de tracer des rayons

convergeant sur un centre et de tracer les joints d'un arc à partir du centre. Le cordeau sert à

tracer des cercles et matérialise des droites. Dès la fin du 12ème s. les progrès techniques,

notamment le perfectionnement de la métallurgie, permet de développer de meilleurs outils.

La taille des pierres est ainsi facilitée et les engins de levage, pour hisser les pierres, sont

plus efficaces. Les machines constituent un progrès technique par rapport aux constructions

romanes pour lesquelles on se servait de rampes, comme dans l'ancienne Égypte. Ces

nouvelles machines se résument à des engins de levage et s'inspirent des machines

utilisées par les Romains. Elles sont placées au sol ou au sommet de la construction. Elles

sont actionnées par un treuil à bras ou par une grande roue dans laquelle plusieurs hommes

peuvent marcher. Grâce à des poulies installées en série, la puissance est développée. Ces

engins de levage peuvent ainsi soulever plus de dix tonnes.

Il existe également des engins composés de bras pivotant sur axe, il s'agit des ancêtres de

nos grues.

Les outils de taille deviennent l'objet de véritables modes où rivalisent ciseaux, haches et

marteaux. Les charpentiers utilisent les cognées, herminettes, scies ou les rabots. Ils

peuvent percer de gros trous grâce à des tarières et des plus petits avec des forets. Ils

privilégient les chevilles de bois pour leurs assemblages.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 13

La Basilique Notre-Dame de St Denis, Paris

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 14

Des révolutions majeures …

L'architecture religieuse n'évolue pas de la même façon partout. Si le gothique débute très

tôt en Île de France, l'art roman reste alors présent dans le monde méditerranéen.

Le début du gothique apparaît avec le début de la reconstruction de l'abbaye royale de

Saint-Denis par l'abbé Suger, à partir de 1135.

L'architecture proposée par Suger s'éloigne de la romane. Celle-ci juxtaposait les masses et

additionnait les volumes.

Au contraire, l'architecture gothique cherche à unir ces masses et faire fondre les volumes.

L'architecture gothique a donc su résoudre les problèmes rencontrés lors des constructions

romanes. Face au phénomène des poussées, la nef romane devient une structure

d'absorption et de déviation des forces. Par crainte de voir s’effondrer l’édifice, les

constructeurs n'ajoutent pas de fenêtres hautes

L'architecture gothique propose un nouvel équilibre des forces qui permet d'élever plus

haut l'édifice et de diminuer l'importance des murs. Les solutions apportées par l'architecture

gothique au problème des forces sont liées à l'adoption d'un nouveau type de couvrement, la

voûte sur croisée d'ogives, et à un nouveau type de contrebutement, les arcs-boutants.

La voûte d'ogives résout les problèmes de voûtement et d'éclairage auxquels s'est heurté

l'art roman. La voûte est composée de nervures - ogives - qui délocalisent l'effort.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 15

Il s'agit d'arcs qui se croisent au sommet de la voûte. Grâce à une orientation précise, l'effort

est dirigé vers les points de résistance. Le poids est ainsi reporté du centre de la voûte vers

ses quatre piliers.

Ces voûtes sont composées d'arc-brisés. Ceux-ci offrent de nombreux avantages. L'arc

brisé adopté à partir du 12ème s, est privilégié dans l'architecture gothique. Il effectue un

meilleur report des forces. Les courbes de l'arc brisé se rapprochant de la verticale, les

forces d'écartement sont plus faibles. Grâce à lui, les fenêtres peuvent s'élever jusqu'à la

hauteur des clefs de voûtes. L'arc brisé permet également une meilleure ouverture à la

lumière. Avec une portée égale, l'arc brisé possède une ouverture plus importante que

d'autre type d'arc.

Le fonctionnement des arcs repose sur les pierres, elles sont taillées selon un même angle

et elles se bloquent ainsi mutuellement. Si une pression est exercée sur l'une de pierre elle

ne peut s'échapper et transmet cette pression aux pierres voisines.

Grâce à leur légèreté, les croisées d'ogives peuvent franchir de grands espaces. Par

exemple, certaines voûtes gothiques atteindront vingt mètres de hauteur. Les croisées

d'ogives vont évoluer, cette évolution est liée à la hauteur des voûtes. Ainsi, avec une

hauteur raisonnable, ces ogives n'obligent pas les bâtisseurs à élever dangereusement les

murs.

Croisées d’ogives à Saint Denis, Paris

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 16

Ensuite, les arcs-boutants sont des éléments simples qui prennent appui sur une

excroissance des contreforts. Grâce à la courbe d'un quart de cercle ils épaulent le mur au-

dessus du départ des voûtes et lui permettent de résister aux mouvements de la toiture.

L'arc-boutant est l'une des solutions imaginée par les bâtisseurs romans et améliorée par

l'architecture gothique. Les arcs-boutants sont les contrebutements extérieurs des forces

reportées par la croisée d'ogive. Il s'agit d'opposer aux forces d'écartement de la voûte une

poussée contraire.

L'avènement de la croisée d'ogives permet de lutter contre les forces obliques en des points

précis. L'effet combiné de toutes ces forces au croisement de deux voûtes sur croisée

d'ogives engendre une poussée unique. En appliquant en ce point une contre-poussée les

forces sont contenues et transmises dans les supports. Cette possibilité de renforcer les

murs conduit au 12ème s. à l'apparition de murs-boutants qui épaulent le vaisseau central. Les

bâtisseurs pensent alors pouvoir élever plus haut l'édifice. Ils utilisent alors l'arc-boutant. Le

contrefort s'élève alors à la hauteur de la voûte centrale, il s'agit de la culée. Entre la culée

et la voûte, des arcs, les arcs-boutants, contiennent les forces d'écartement et les

transmettent à leurs supports. Il s'agit du principe fondamental de l'architecture gothique,

l'aboutissement des poussées n'ont plus lieu à l'intérieur du bâtiment, mais à l’extérieur.

Enfin, différents supports à l'intérieur des édifices reçoivent l'aboutissement de certaines

forces. Ces supports sont de deux types, les piliers et les colonnes. La colonne a pour

fonction de recevoir la retombée des arcs qui la surmontent et de les transmettre à sa base.

Elle possède un sommet et une base évasés afin de mieux concentrer les forces et de les

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 17

transmettre au sol. Le pilier supporte des charges plus lourdes que la simple colonne. Sa

forme varie selon son emplacement dans l'église. Le pilier se complexifie à l’époque

gothique afin de recevoir les nombreuses nervures des voûtes sur croisée d'ogives. Ainsi

l'église gothique devient une structure incarnant la maîtrise des forces dans la pierre.

A l'époque gothique, le fer va également être utilisé. Le fer peut ainsi relier la naissance des

voûtes ou les arcs-boutants entre eux. Ils sont ainsi mieux maintenus. Des barres de fer

peuvent également servir à renforcer les ogives, ou les fenêtres. L'usage du fer permet aussi

de ceinturer, au sein même de la maçonnerie, l'édifice. Ainsi les constructeurs vont chercher

à s'émanciper d'une architecture qui repose sur la résistance des matériaux.

Cette architecture devient alors « élastique ». Ainsi, elle peut être réduite ou agrandie à

volonté et elle peut s'adapter de la construction la plus monumentale, à la plus modeste.

Arcs-boutants à l’extérieur de Notre-Dame de Chartres

… et des murs qui s'ouvrent

Toutes ces innovations et évolutions permettent une plus grande ouverture des

murs. L'édifice gothique présente alors une verticalité apparente. Cette verticalité est rendue

possible par les différents procédés architecturaux inaugurés par Suger à Saint-Denis.

L'allègement des structures se manifeste par l'amincissement des supports et

l'agrandissement des baies. Ces agrandissements créent des espaces amples où les

cloisons s'effacent. Apparaît alors une verticalité grâce à la continuité des lignes, du sol aux

voûtes. Ces effets d'optique sont apportés grâce à des procédés techniques qui ont été

perfectionnés par l'architecture gothique. Avec « la pose en délit » les pierres sont posées

sur un lit vertical. Cette technique contribue à donner un aspect de verticalité à l'édifice. De

plus, avec une construction qui s'effectue en pierre de taille, l'aspect des murs va changer.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 18

Habituellement, les piles épaisses étaient composées d'un revêtement de pierre de taille et

l'espace était rempli par des cailloux et du mortier. Désormais on utilise uniquement des

pierres de taille. Les murs et les piliers ont ainsi une apparence plus élancée.

Tout dans la construction cherche à entraîner le regard du croyant vers le ciel, vers Dieu. En

entraînant le regard du pèlerin c'est son âme qui est élevée vers la lumière céleste. La

nouvelle utilisation des voûtes d'ogives lie les masses entre elles et crée une dynamique

verticale. Les nervures qui sont issues de ces voûtes se prolongent au sol, le long des

colonnes.

Ces retombées lient l'espace sur toute la hauteur et guident le regard du visiteur. Ainsi, la

travée est l'objet de nouvelles recherches qui aboutissent à créer une double dynamique, en

hauteur à l'aide des supports dont le mouvement aboutit à la clé de voûte unificatrice et en

longueur grâce à cet effet répétitif.

Le gothique propose un nouveau traitement de l'espace, un espace de clarté, par

l'abondance de l'éclairage et par la rigueur de sa structure. Il traduit ainsi une pensée inédite.

A ses débuts, le gothique n'est qu'une variante du roman. Sa structure nerveuse ou

graphique se démarquant, le gothique va prendre une nature différente.

Le symbolisme de la cathédrale passe par l'évocation du Temple de Salomon ou de la

Jérusalem céleste décrite par Jean dans l'Apocalypse. Dans l'architecture gothique,

l'importance de la lumière s'associe avec le reflet de la Foi. L'architecture gothique combine

deux pensées médiévales. Tout d'abord, la lumière qui pénètre dans l'édifice est la

manifestation divine. Enfin, la rigueur architecturale évoque l'ordre de la Création divine.

L’art roman, qui précède celui des cathédrales gothiques, résume l’état d’âme d’un peuple

au seuil de l’an Mil. Ce peuple s'est replié sur lui-même. A partir du 11ème s., un changement

de mentalité s’opère. On assiste à l'entrée dans une nouvelle ère, remplie d’optimisme.

Saint-Denis et Sens sont les monuments pionniers du gothique. Suger va entreprendre la

reconstruction de Saint-Denis en l'accompagnant de la notoriété de Denys l'Aéropagyte. Il

s'agit d'un disciple de Paul de Tarse à Jérusalem et c'est sous ce nom qu'un théologien

oriental du 5ème s. livra plusieurs traités, notamment le Traité des noms divins. Suger va alors

faire un seul homme des trois personnages. Saint Denis de Paris, Denys disciple de saint

Paul et Denys théologien oriental, sont considérés comme une seule personne. Les textes

de ce dernier Denys évoque la multiplicité de Dieu et la difficulté de sa qualification. Ainsi, la

lumière serait une manifestation du divin. Suger s’intéresse à cette théologie, il insiste sur

le rôle de la lumière qui transfigure l'architecture et lui donne la capacité d'élever l'âme du

fidèle vers Dieu. Pour Suger, la lumière est l’élément central que l’architecture doit

désormais magnifier. Dieu est lumière, et cette lumière doit parvenir à tous les êtres. On

cherche alors à créer un édifice uniforme et avec un certain ordre.

Les voûtes d'ogives ont permis de réduire le rôle porteur du mur, qui peut ainsi être

largement percé afin de permettre une libre circulation de l'air et d'amplifier les vides au

détriment des pleins.

La travée, cellule de base répétée à l'infini, est l'articulation majeure de l'édifice. Ces

éléments, comme les supports, les baies, le couvrement, évoluent jusqu'à atteindre une

certaine union.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 19

La verticalité créée entraîne l'union de l'espace. Une fois l'espace uni, la diffusion de la

lumière est plus importante et ainsi le croyant se rapproche de Dieu par l’intermédiaire de

cette luminosité. Cette diffusion repose sur le principe de transparence.

La structure romane donne l'impression d'un espace impénétrable et déterminé, de

l'extérieur comme de l'intérieur. La structure du gothique classique parviendra à créer un

espace pénétrable.

Le gothique classique cherche ainsi de proposer un plan parfait. Le plan apparaît alors

comme parfaitement équilibré, tout a été ordonné ou supprimé. L'édifice tend vers

l'homogénéité. Par cet exemple, les voûtes se répètent de façon identique. Ainsi, les voûtes

de la nef et du transept ne changent pas de structures par rapport aux voûtes de l'abside,

des chapelles et du déambulatoire. L'uniformité de la voûte d'ogive s'impose alors dans

l'édifice.

L'ordre et la rigueur se reflètent dans l'édifice. La structure de l'ensemble est divisée en trois

parties principales, la nef, le transept et le chevet. Ces parties sont cependant unifiées avec

une rigueur de construction. Ainsi pour une travée voûtée d'ogives de la nef centrale, une

travée voûtée des collatéraux, de chaque côté, lui correspond. Une travée uniforme apparaît

alors.

De l’importance nouvelle des vitraux dans la cathédrale gothique

Paul Souriau écrit en 1911 dans La Revue de Métaphysique et de Morale :

« La lumière a une valeur esthétique toute particulière. C’est d’elle que nous recevons

l’impression de beauté la plus constante, la mieux caractérisée, la plus intense. Il y a même

quand on y réfléchit une singulière analogie entre le sentiment du beau et la sensation

lumineuse : admirer c’est de quelque manière être ébloui. De tout temps la beauté a été

synonyme de splendeur. »

Il illustre ainsi parfaitement la base de la théologie de l’abbé Suger.

En effet cette théologie se fonde avant tout sur l’esthétique. Un lieu religieux éclairé est plus

accueillant et plus chaleureux que la semi-obscurité des édifices romans. C’est pourquoi

l’architecture gothique cherche toujours à capter davantage de lumière.

Suger s’appuie sur les écrits religieux comme l’évangile de Saint Jean : « le Verbe était la

lumière qui éclaire tout homme » et inspire ainsi le principe du vitrail dans les cathédrales

gothiques en commençant par ceux de la cathédrale Saint Denis. Théologie soutenue par

Abélard qui, lui, pense que le rapprochement avec Dieu s’effectue grâce à la lumière et à la

chaleur de son amour.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 20

Verrière du chœur de la Sainte Chapelle, Paris

A l’époque de la construction des cathédrales gothiques, l’art des maîtres verriers connait

d’immenses progrès, leurs techniques s’élargissent et deviennent de plus en plus

précises. C’est ainsi que la profession de maître verrier, d’après le traité sur les métiers d’art

datant du 12ème s., devient la première profession nationale en France devançant les autres

corps de métiers.

Les édifices gothiques se recouvrent de plus en plus de verrières.

Ce changement est possible grâce à l’architecture modifiée des édifices. La cathédrale

n’étant plus soutenue par les murs mais par les piliers et les croisées d’ogives présentes sur

les voûtes, les murs peuvent se couvrir de baies sans risquer de s’écrouler. Le vitrail

gothique remplace les peintures murales et le verre a donc tendance à concurrencer

la pierre. Les cathédrales peuvent donc être appelées livres de pierre mais également livres

de verre. Le vitrail fait briller les murs de l’édifice à l’image de ceux de la Jérusalem céleste

qui, eux, ruissellent de pierres précieuses.

Cette appellation est d’autant plus plausible que les vitraux retracent l’histoire de la Bible

permettant ainsi à tout chrétien de connaître son histoire sans en lire les pages.

Chaque vitrail retrace un passage précis et se trouve situé à un emplacement spécifique de

la cathédrale.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 21

Tous ces vitraux correspondent à une sorte de portail entre la vie terrestre et la Jérusalem

céleste. Selon Denys l’Aéropagyte « toute créature, visible ou invisible, est une lumière

portée à l’existence par le Père des lumières »

Chœur de la Basilique Saint Denis, Paris

Les cathédrales gothiques sont donc des réceptacles de lumière qui ont pour but de montrer

la voie vers la Jérusalem céleste ainsi que de montrer la présence divine dans ces édifices

religieux. Le chœur se compose d’une immense verrière située au-dessus de l’autel

montrant bien l’interprétation de la lumière retransmise par ces vitraux comme une lumière

divine éclairant le croyant.

Ces immenses baies sont également une ouverture sur le monde et le lieu de recueillement

n’est plus un lieu clos mais ouvert sur l’extérieur. Progressivement, ces grandes verrières

entrent en symbiose avec l’architecture des cathédrales. En effet, elles ne forment plus qu’un

seul et même élément visant à transmettre l’élévation divine.

Le verre capte la lumière et la transforme en pensée divine tandis que l’architecture permet

de conserver cette lumière par l’élévation de la voûte par exemple. L’espace de culte se

retrouve alors unifié par cette lumière créant ainsi un sentiment de plénitude et un climat

spirituel qui magnifient la prière.

Le vitrail permet également en dehors d’enseigner le catéchisme, d’éclairer les reliques et

les tombeaux comme à Saint Denis par exemple où les tombeaux sont constitués de telle

façon que les corps physiques qui se détériorent à la mort sont cachés, enfouis, et les

parties visibles sont des sculptures de ces mêmes corps qui, eux, survivent au temps et

attendent la résurrection.

En effet, selon leur théorie, toute personne de sang royal étant descendant de Dieu aurait

droit à la résurrection. Les vitraux laissant passer la lumière divine éclairent ces tombeaux.

C’était, à l’époque, une manière de montrer qu’ils étaient touchés par le pouvoir divin.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 22

La technique du vitrail

L’art du vitrail est essentiellement connu par les verrières des cathédrales gothiques, mais

son origine semble plus ancienne, comme le prouvent les fouilles archéologiques de sites

antiques. Quelques témoignages laissent supposer que cette technique était pratiquée dans

l’art musulman à partir du 8ème s. après JC. Il est probable que le vitrail à décor figuratif soit

né à l’époque carolingienne.

Le matériau de base d’un vitrail est un verre plat, composé de sable auquel on ajoute des

fondants (soude ou potasse). Le verre est obtenu dans des creusets et coloré dans la masse

avec des substances minérales. Les tons bleus, particulièrement lumineux du 12ème s., ont

rendu célèbres les vitraux de la cathédrale de Chartres, d’où l’appellation « bleu de

Chartres ».

Le verrier cueille, à l’aide de sa canne, une boule de verre en fusion dans un creuset (la

paraison). Puis la boule de paraison prend la forme d’un cylindre, qui est ensuite fendu,

ramolli au four, aplati et poli. Le maître verrier peut varier les effets colorés en cueillant la

matière dans des creusets contenant des pâtes de couleurs différentes.

Après le travail du verrier, intervient celui du peintre verrier, qui crée le vitrail à partir de

plaques de verres colorées. Dans un premier temps, il réalise une esquisse (maquette à

échelle réduite) qui présente la forme de la verrière, la représentation de la scène à illustrer,

le tracé des plombs qui maintiendront les morceaux des verres entre eux et les armatures.

C’est le carton. Les couleurs y sont indiquées par une lettre qui est utilisée comme repérage.

Les cartons seront successivement réalisés sur une table, à la mine de plomb ou à la

peinture.

Le maître verrier procède ensuite au choix des plaques de verres colorés. Il les sélectionne

surtout en fonction de l’effet qu’il souhaite faire apparaître. Celles-ci étaient découpées selon

le carton au fer rouge.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 23

Intervient ensuite la peinture sur la surface des plaques. Le peintre utilise un mélange

d’oxyde de fer ou de cuivre, auquel il ajoute un fondant composé de verre broyé, qui permet

la vitrification lors de la cuisson : le tout constitue la grisaille. Au Moyen-Âge, celle-ci est de

tonalité noire ou brune. La grisaille est appliquée à l’aide de divers pinceaux. C’est grâce à

elle que le peintre verrier peut indiquer les détails importants des scènes représentées (traits

des visages, plis des drapés ou autres éléments du décor). La peinture est soumise à une

cuisson à une température modérée, ce qui permet au fondant de s’unir avec la plaque de

verre. Après refroidissement, les plaques sont assemblées entre elles par des baguettes de

plomb.

La technique du vitrail est l’une des caractéristiques primordiales de l’art gothique. Le vitrail

constitue même un élément indispensable de cette architecture puisqu’il joue un double

rôle : il ferme le volume intérieur et laisse passer la lumière. Durand de Mende a d’ailleurs

dit que « les fenêtres très vitrées sont les écritures divines qui versent la clarté du vrai soleil,

c’est-à-dire de Dieu dans l’église, c’est-à-dire dans le cœur des fidèles tout en les

illuminant ». Selon Georges Duby l’art du vitrail aboutit « … aux grandes roses qui portent à

la fois la signification des cycles du cosmos, du temps se résumant dans l’éternel, et du

mystère de Dieu, Dieu lumière, Christ soleil ». Suger, pour réaliser les vitraux de Saint-

Denis, « avait recherché avec beaucoup de soin les faiseurs de vitraux et les compositeurs

de verres de matières très exquises, à savoir de saphirs en très grande abondance qu’ils ont

pulvérisés et fondu parmi le verre pour lui donner la couleur d’azur, ce qui le ravissait

véritablement en admiration ».

Au-delà de la représentation iconographique, c’est aussi pour toute la symbolique de la

lumière que l’on avait recours aux vitraux. Ils étaient alors chargés de transformer la lumière

physique en lumière divine, autrement dit de faire entrer la présence divine dans la

cathédrale. C’est la raison pour laquelle ils sont particulièrement valorisés dans l’architecture

gothique.

Abbaye Sainte Marie d’Hauterive, Suisse

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 24

Le gothique comme enjeu politique

L’abbaye de Saint-Denis possédait un rôle politique majeur au cœur du territoire royal de

l’Ile-de-France. Après Saint Louis, le trésor de Saint Denis fut conservé dans la basilique.

Il s'agit de tous les objets religieux précieux ayant appartenu au pouvoir royal ainsi que les «

Regalia » ; insignes du pouvoir royal. On y trouve par ailleurs la couronne de Charlemagne,

le sceptre, l'épée, la main de justice et l'anneau symbolisant le lien entre le souverain et le

peuple. Comme beaucoup de trésors médiévaux, religieux ou profanes, le trésor de Saint-

Denis fut avant tout une réserve monétaire dans laquelle il était possible de puiser lorsque

le besoin s’en faisait sentir. Ce trésor était notamment composé d’œuvres offertes en

l’honneur de Dieu et des saints dont il abritait les reliques et fournissait par obligation un

précieux remède dans les cas de famines, de catastrophes, ou bien pour la communauté

religieuse ou encore pour les pauvres qui dépendaient du monastère. Le trésor de Saint -

Denis dû notamment servir au rachat de nombreux prisonniers, pour les délivrer lorsqu’ils

étaient tombés aux mains de l’ennemi. Le trésor de Saint-Denis était tel que l’énormité des

richesses constituait une tension permanente pour les abbés.

Mais Saint-Denis est aussi une grande nécropole royale. L’abbaye de Saint-Denis était en

effet la gardienne des reliques du saint et martyr Denys. Ce dernier fut vénéré comme patron

de la « maison royale » et son église devînt le lieu du sacre de Charlemagne et la nécropole

des rois de France, en 1263 voulue par Louis IX. Un an plus tard, en mars 1264, seize de

ses prédécesseurs y furent inhumés. On y visite les tombeaux d’Hugues Capet, Clovis II,

Louis XVI, Arégonde femme de Clotaire Ier, Dagobert Ier. Catherine de Médicis y est

inhumée.

On distingue trois types de tombeaux ; le cœur, les entrailles et le corps du défunt. Les

ossements, considérés comme les reliques les plus précieuses et prestigieuses étaient

conservés à Saint Denis, tandis que les entrailles du défunt était parfois laissées sur le lieu

de sa mort. Par exemple, Charles 1er est représenté par un flacon ; un gisant de cœur. Le

but est de montrer une appartenance de tous les rois à une même famille, en rapprochant

leur tombeaux, dans une même continuité même si la réalité est autre.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 25

L’opus francigenum - l’art des francs - et son développement

Dès les années 1230, un nouveau style apparaît dans la région parisienne et les premières

manifestations de l’art gothique sont très localisées dans le domaine royal. Saint-Denis

concorde avec l’affirmation du pouvoir royal. Au milieu du 12ème s. la dynastie capétienne

commence l’expansion de son domaine, notamment avec Louis VI et Louis VII.

Comme on peut le voir, Saint Denis devient dès 1140 (jusqu’en 1230) la basilique royale, et

le rôle joué par cet édifice est aussi bien politique que spirituel, renforçant la légitimité et le

pouvoir des souverains français. Ceci démontre bien le rôle majeur de Saint Denis.

L’expression « opus francigenum », employée en 1269 (par l’abbé de Wimpfen-im-Tal)

pour nommer le style dans lequel il veut édifier son église, témoigne de la montée qu’exerce

le style français. La France domine en effet l'Europe, politiquement, religieusement mais sa

suprématie se retrouve notamment dans l'art.

En effet partir des règnes de Louis VI et de Philippe Auguste, Paris devient un centre

artistique. En 1163 est posée la première pierre de ce qui sera la cathédrale Notre-Dame de

Paris, l’un des plus beaux monuments du gothique de France, dont Maurice de Sully

entreprend l’édification. Paris est au centre du mouvement gothique, le domaine royal couvre

l’ensemble des régions qui vont développer cet art au plus haut niveau, notamment à

travers la réalisation des cathédrales de Reims, d’Amiens et de Chartres. Pour la première

fois Paris est au centre d’un mouvement artistique de grande ampleur qui s’accompagne

d’un renforcement de son rôle économique et politique.

Paris est donc la capitale des arts. Les réalisations parisiennes se distinguent en

architecture et dans les arts par leurs sens de l'élégance, de la mesure, du goût, des formes

dessinées et facilement transmissibles. Elles sont admirées et sollicitées au-delà des limites

de la chrétienté. Paris occupe donc une place prépondérante dans le domaine artistique à

l'échelon européen.

Les objets d'arts, qui reprennent des idées gothiques, seront souvent rachetés par beaucoup

de souverains. Selon Suger, l'or est l'une des meilleures façons de représenter Dieu !

Un reliquaire flamboyant

L’art gothique est caractérisé en partie par son utilisation de nouvelles techniques

architecturales. Ces innovations permirent la création d’édifices beaucoup plus hauts et plus

fins. Cette période représente surtout une architecture de la lumière. L’art gothique est un art

original, rationnel et symbolique.

Dans la théologie chrétienne, la lumière est assimilée à une manifestation divine :

« Dieu est lumière »

Les vitraux colorés éclairent alors les reliques de la Sainte Chapelle et les tombeaux des

personnages importants à la Basilique Saint-Denis.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 26

La Sainte-Chapelle peut être considérée comme un aboutissement de cet art. Durant cette

période, on cherche à élever des édifices de plus en plus hauts. La cathédrale de Beauvais

avait une hauteur de 48,50 mètres. Dans cette cathédrale, le triforium est vitré, pour un gain

de lumière. Malgré cela, le meilleur exemple qui montre la logique du gothique - rechercher

le plus de lumière possible - reste la Sainte-Chapelle de Paris, construite par Saint Louis.

Elle était destinée à accueillir les reliques de la Passion. On peut alors assister à la

construction d’un véritable reliquaire. Finalement les murs ont une hauteur de 2 mètres et le

reste du bâtiment est construit par des vitraux. C’est ainsi que celle-ci est devenue un

véritable édifice flamboyant. Saint Louis a voulu construire la Sainte-Chapelle afin d’abriter la

Sainte Couronne, un morceau de la Sainte Croix ainsi que diverses autres reliques acquises

par Baudouin de Constantinople. C’est donc comme cela que l’immense reliquaire, prenant

la taille d’un édifice monumental, sert à accueillir les reliques ramenées au Royaume de

France. La partie basse de la chapelle, divisée en trois nefs, accueillait l’assistance laïque du

palais à laquelle elle servait d’église paroissiale. La chapelle haute, reliée à la chambre

royale par une galerie, constituait le véritable écrin des reliques disposées dans la Grande

Chasse derrière l’autel.

Ce reliquaire devenu monumental peut s’expliquer par différentes évolutions. Durant la

période gothique, les ouvertures se développent favorisant ainsi les jeux de contrastes entre

ombre et lumière. Les préoccupations de Suger le conduisent à donner une grande

importance théologique et liturgique aux couleurs et à la luminosité dans la conception des

vitraux de la basilique Saint Denis. Ceci prouvant l’importance de la lumière dans

l’architecture gothique et expliquant pourquoi le reliquaire de la Sainte Chapelle a été

transformé en un édifice impressionnant. De plus, l’élévation jusqu’au royaume de Dieu est à

présent importante. Au sein des édifices gothiques, la nef s’élève de plus en plus haut.

L’élévation de la construction est une métaphore de l’élévation vers Dieu. Le principe retenu

est donc que la lumière élève l’âme. Suger souhaite un art figuratif qui permette une nouvelle

représentation du sacré. La cathédrale est désormais une résidence céleste qui aspire, avec

ses quatre étages, au ciel. L’architecte gothique a dû résoudre un certain nombre de

problèmes techniques auquel il se trouvait confronté.

Trois éléments ont joué un rôle particulier dans ce domaine : l’arc brisé, la voûte d’ogive et

l’arc-boutant. La construction des cathédrales s’inscrit comme un hommage, un culte de la

Vierge à l’action rédemptrice. C’est elle qui ouvre le ciel.

Suger transforme l’ancienne basilique Saint Denis, basée sur les reliques du martyre, en un

édifice digne des rois de France. Il fait d’ailleurs appel à des architectes qui innovent pour

s’assurer d‘un véritable renouveau de l’architecture. Ce sont les innovations de Saint

Denis qui situent l’une des premières manifestations de l’art gothique, qui s’est d’abord

développé dans les villes qui concentraient l’essentiel des richesses. C’est grâce aux

différentes innovations de l’architecture gothique que la lumière devient abondante dans les

cathédrales.

Dans la cathédrale de Chartres, les ouvertures sont plus grandes, on a donc plus de lumière.

Ce qui fait l’originalité de cette cathédrale, c’est précisément l’apparence de l’alternance des

supports qui n’existait pas avant. Cette cathédrale fait l’objet de nombreux pèlerinages au

Moyen-Âge car elle aurait possédé le voile de la Vierge Marie. Il s’agit d’une relique très

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 27

importante qui fût offerte en 876 à la cathédrale par Charles le Chauve, empereur

d’Occident.

Par ailleurs, pendant cette période gothique, on cherche à transformer des édifices de

pierres en édifices de pierres précieuses. Les couleurs deviennent alors très importantes et

cela est mît en évidence dans les cathédrales par les vitraux, particulièrement riches.

C’est donc par un art du renouveau passant par des innovations techniques majeures ainsi

qu’une architecture et une décoration de lumière que l’on peut admirer un reliquaire

flamboyant dans l’architecture gothique.

Voûte de style manuélin de l'église Santa Maria des Hyéronymites (1502), Lisbonne

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 28

Suger de Saint-Denis

Suger de Saint-Denis est un homme d'Église et homme d'État français. Il serait né à

Chennevières-lès-Louvres, en 1080 ou 1081 et mort à Saint-Denis le 13 janvier 1151.

Années d’apprentissage

L'origine de Suger est disputée parmi les historiens : selon les médiévistes Régine Pernoud

et Jacques Heers, c'était un fils de serf, famille de paysans attachés à une terre. Selon

l'historien Jean Dufour, Suger serait issu d'une famille assez aisée, probablement des

minores milites possédant des terres à Chennevières-lès-Louvres situé à 18 km de Saint-

Denis (peut-être y est-il né). La famille de Suger était probablement liée à la famille

chevaleresque des "Orphelin" d'Annet-sur-Marne. L'obituaire de l'abbaye donne le nom de

son père, Hélinand, un frère, Raoul et une belle-sœur, Émeline. Des recherches montrent

que l'oncle de Suger, dont il porte probablement le nom, faisait partie des ministres de

l'entourage de l'abbé de Saint-Denis Yves Ier (1072-1093/1094). La femme de cet oncle

aurait été la maîtresse de l'abbé Yves Ier et la marraine de Suger. Cet abbé aurait été le

parrain de Suger. Cela peut expliquer le choix du père de Suger, après la mort de son

épouse, vers 1091, de placer son fils, vers neuf ans, comme oblat voué à Saint-Denis et non

comme novice d'après l'historien Erwin Panofsky. Il a le privilège pendant son enfance de

côtoyer Louis VI à l'abbaye de Saint-Denis. C'est pendant cette première période qu'il

rencontre le prince Louis, le futur roi Louis VI, à l'abbaye de Saint-Denis pendant quelques

mois vers 1091/1092 avant que ce dernier soit confié au pedagogus Hellouin de Paris.

Il a étudié pendant dix ans au prieuré d'Estrées pour devenir moine. En 1106, il assiste au

concile de Poitiers, puis l'année suivante, il se trouve à l'abbaye de La Charité-sur-Loire, où il

défend devant le pape Pascal II l'abbaye de Saint-Denis contre les prétentions de l'évêque

de Paris. En 1107, il assiste à la conférence de Châlons. Il administre à cette date la prévôté

de Berneval, en Normandie.

En 1109, Suger, alors âgé de 28 ans, est nommé par l'abbé Adam prévôt de Toury. Cette

prévôté de l'abbaye de Saint-Denis gouvernait ses possessions dans la Beauce. Face aux

agressions de Hugues III du Puiset dont le château se trouve à proximité de Toury, Suger

demande l'intervention du roi Louis VI lors de l'assemblée tenue à Melun à partir du 12 mars

1111. À cette réunion sont présents l'archevêque de Sens Daimbert, l'évêque Yves et le

chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Chartres, les abbés de Saint-Père et de Saint-

Jean-en-Vallée, l'évêque d'Orléans Jean II (1096-1135), Étienne de Garlande en tant que

prieur de l'église Saint-Aignan d'Orléans, l'abbé de Saint-Denis, Adam, et Suger. Hugues du

Puiset ne s'est pas rendu à l'assemblée pour répondre, aussi aucune décision n'est prise.

Louis VI demande à Suger d'assurer la mise en défense de Toury. C'est à Compiègne, en

juin 1111, qu'une assemblée formée en cour judiciaire - curia regis - prononce la confiscation

des fiefs d'Hugues du Puiset. L'ost du roi prend le château de Toury. Par un acte fait en

1118, le roi demande à l'abbé de Saint-Denis d'organiser la défense de la place. Cet acte

permet de montrer que le roi s'appuie sur l'abbaye pour assurer la défense de son domaine

en garantissant les droits de l'abbaye de Saint-Denis. En 1112, il est le témoin de la

convention passée à Moissy-Cramayel entre le roi et Hugues du Puiset. Ce dernier se

révolte de nouveau contre le roi et Suger réussit à résister à ses attaques contre Toury.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 29

Le roi réussit à reprendre le château avec l'aide des troupes réunies par Suger dans l'été

1112. Il fait alors détruire le château et remet Hugues du Puiset en prison. Il est présent au

concile du Latran de 1112 convoqué par le pape Pascal II qui annule les droits d'investiture

de l'empereur.

On retrouve Suger, signataire d'un acte de l'abbé Adam en 1114 comme sous-diacre et

religieux à Saint-Denis. C'est à partir de 1118 que Suger devient un familier de l'entourage

royal. Il semble que cette présence soit probablement due aux liens que sa famille devait

avoir avec les Orphelins liés aux Garlande qui sont des proches du souverain.

Il rejoint à la demande de Louis VI l'ambassade conduite par l'abbé de Saint-Germain-des-

Prés Hugues IV de Saint-Denis (1116-1146) auprès du pape Calixte II à l'hiver 1121. Ils

retrouvent le pape à Bitonto le 27 janvier 1122.

Election de Suger comme abbé de Saint-Denis

C'est sur le chemin de retour qu'un moine de Saint-Denis le retrouve et lui annonce la mort

de l'abbé Adam, le 19 février 1122 et son élection comme abbé de Saint-Denis. Cette

élection a été faite sans demander l'avis du roi. Celui-ci a d'abord mal pris cette élection

quand les principaux dignitaires et les plus nobles vassaux lui ont soumis ce choix à son

assentiment. Le roi a commencé à les enfermer dans une prison de son château d'Orléans.

Cette élection sans l'accord préalable du roi ne fait que reprendre les obligations de la

réforme grégorienne d'où a résulté la Querelle des Investitures entre la papauté et

l'empereur, mais aussi avec les autres puissants.

Pour le roi, dont les évêchés et les abbayes sont des éléments importants de la stabilité de

son pouvoir, il ne peut être question de laisser à des clercs la liberté de choix sans prendre

un risque politique dans une période d'affrontements féodaux.

En France, Yves de Chartres avait proposé une solution pour essayer de régler les conflits

que cette réforme avait entraînés entre les rois de France et l'Église catholique en séparant

la part spirituelle des fonctions religieuses réservée aux hommes d'Église et la part matérielle

concernant les biens et droits seigneuriaux pouvant être laissée à l'investiture laïque.

Suger va alors chercher à concilier cette opposition entre le respect du droit canonique de

l'Église en envoyant un clerc romain auprès du pape, et l'accord nécessaire avec le roi en

dépêchant deux émissaires vers lui. Fort heureusement, ceux qui l'ont élu connaissaient ses

relations avec le roi et son entourage. À son arrivée, ses émissaires lui apprennent que le roi

lui a accordé sa paix, que les prisonniers sont libres et que son élection a été acceptée. Le

roi l'accueille avec d'autres dignitaires ecclésiastiques. Le lendemain de son arrivée, le 11

mars 1122, Suger est ordonné prêtre et le dimanche suivant consacré abbé de Saint-

Denis dans l'abbatiale. À la mi-mars, le roi accorda la confirmation des biens et privilèges

de l'abbaye octroyée pendant l'abbatiat d'Adam.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 30

Réformateur de l’abbaye de Saint-Denis

Il en devient l'abbé de 1122 à 1151. Esprit pondéré, répugnant aux excès d'ascétisme, il

s'oppose à Bernard de Clairvaux. On sait par une lettre LXVIII de Bernard de Clairvaux

(1090-1153) à Suger (1081-1151) qu'une réforme de l'abbaye a eu lieu en 1127.

Le goût des ornements dont Suger veut doter son église s'oppose à l'exigence de

dépouillement, le refus de tout ornement et de tout luxe ou de sujets figuratifs détournant les

moines de la prière que prône saint Bernard dans ses écrits et dans l' Exordium Magnum

Ordinis Cisterciensis (Le grand Exorde de Cîteaux).

Dès sa nomination comme abbé, Suger va entreprendre de faire respecter les droits de

l'abbaye, puis commencer à rassembler les fonds nécessaires pour la reconstruction de

l'abbatiale. Suger parle de fissures qui s'ouvrent dans les murs, de tours qui menacent de

s'effondrer, de vases d'autel perdus, de possessions de l'abbaye laissées en friche.

Il continue en critiquant l'entourage du roi Louis VI, et en particulier du rôle particulier

d'Étienne de Garlande qui était un ami, et peut-être un parent, de Suger et qui avait le tort à

ses yeux d'être sénéchal du roi et clerc. La conjonction de la volonté du roi d'avoir le contrôle

de ses affaires et la condamnation de saint Bernard va amener en 1128 la disgrâce

d'Étienne de Garlande qui était un ami de Suger. Cette disgrâce va permettre à saint

Bernard d'entrer en relation directe avec le roi le 10 mai 1128. Cet accord entre Suger et

saint Bernard, le conseiller du roi de France et celui du pape, le riche abbé et le pauvre

abbé, va durer jusqu'à la mort de Suger.

Conseiller du roi

Accord passé entre Suger, abbé de Saint-Denis, et le comte de Roucy en présence des

évêques délégués du Saint-Siège au sujet des exactions exercées par les gens du comte

sur les terres de Saint-Denis à Concevreux. Soissons, 1145.

Ayant toute la confiance de Louis VI, il joue un rôle proche de celui, aujourd'hui, d'un premier

ministre. Chargé de missions diplomatiques à l'étranger, conseiller, notamment pour les

opérations militaires, c’est lui qui conduit Louis, fils du roi et futur roi lui-même, à sa future

épouse, Aliénor d'Aquitaine, en 1137.

Il devient régent de la France de 1147 à 1149 lors du départ de Louis VII pour la deuxième

croisade. À son retour, le roi le proclame « Père de la Patrie ». Lorsque Louis VII évoque

l'idée de faire annuler son mariage avec Aliénor, Suger comprend le danger et la portée d'un

tel acte. Il tente d'en dissuader le roi. Ce n'est qu'après la mort de Suger que Louis VII met

son idée à exécution. Sa tombe fut profanée en 1793.

Pensée politique

Suger œuvre pour renforcer l'autorité du roi de France et aide le roi à donner des droits aux

bourgeois. Le Capétien doit en effet toujours combattre des sires rebelles à l'intérieur de son

domaine et a encore du mal à faire reconnaître son pouvoir direct en dehors de ses fiefs.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 31

Suger formule la théorie de la pyramide vassalique au début du 12ème siècle, le roi est au

sommet de celle-ci et est qualifié de "primus inter pares". Suger a déjà une « certaine idée

de l'État » puisqu’il écrit : « Il n’est ni juste ni naturel que l’Angleterre soit soumise aux

Français ou la France aux Anglais. » Il est également à l'origine des « Grandes chroniques

de France » qui constitue l'histoire officielle de la monarchie et dont il rédige le premier

volume consacré à Louis VI.

Le constructeur de la basilique gothique

Abbé de Saint-Denis, Suger décida de remplacer l'ancienne abbatiale carolingienne

construite par l'abbé Fulrad entre 768 et 775. Elle avait été agrandie au 9ème et 10ème s. Elle

avait été édifiée autour de celle de Dagobert Ier. Suger se plaint dans ses écrits de la

petitesse de l'église carolingienne ne permettant à tous les fidèles d'y entrer pendant les

grandes fêtes.

Il va choisir de commencer par la reconstruction de la façade occidentale vers 1135 en

reprenant le dessin des façades harmoniques qui avait été adopté pour les abbatiales

normandes de Caen - abbaye aux Hommes et abbaye aux Dames, de Jumièges mais en

ajoutant la première rose pour éclairer la nef. La façade est consacrée le 9 juin 1140.

Suger a donné une description de son œuvre dans "De Administratione". Il y a rappelé le

texte qu'il a fait placer sur la façade :

« Pour la gloire de l'église qui l'a nourri et élevé

Suger s'est employé à la gloire de l'église.

Et participant avec toi de ce qui est à toi,

martyr Denis,

Il supplie que par tes prières il ait une part au Paradis.

C'était l'année mil cent quarante,

L'année du Verbe quand fut consacrée. »

Les sculptures du portail royal ont été réalisées autour de 1160 suivant les choix de Suger.

Le thème principal du portail central est le Jugement dernier qui est sculpté sur le tympan. La

Trinité est représentée sur les voussures extérieures. La sculpture du portail s'inspire de la

vie de saint Denis. Le portail sud reprend la vie de saint Denis racontée dans la Passion de

Hiduin. Le portail nord est d'une interprétation plus complexe parce qu'il ne reste du portail

d'origine que les signes du zodiaque des piédroits. Les portes de bronze racontent la

Passion du Christ. Suger y a fait graver, reprenant les thèmes exposés par Hilduin sur les

écrits de Denys l'Aéropagite :

« Qui que tu sois, si tu veux exalter l'honneur des portes,

N'admire ni l'or ni la dépense, mais le travail de l'œuvre.

L'œuvre noble brille, mais l'œuvre qui brille dans sa noblesse

Devrait illuminer les esprits, afin qu'ils aillent, à travers les vraies lumières,

Vers la vraie lumière, où le Christ est la vraie porte.

Ce que la vraie lumière est à l'intérieur, la porte dorée le détermine ainsi,

L'esprit engourdi s'élève vers le vrai à travers les choses matérielles,

Et plongé d'abord dans l'abîme, à la vue de la lumière, il ressurgit. »

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Peut-être par respect pour ses bâtisseurs, Carloman et Charlemagne, Suger ne va pas

toucher à la nef carolingienne. Il va conserver l'agrandissement de la crypte exécuté par

Hilduin. Il réunit, peu après la consécration de la façade occidentale, le chapitre en présence

du roi Louis VII et leur a exposé son programme pour reconstruire le chevet de l'abbatiale. Il

décrit brièvement son projet présenté au chapitre dans le "De constructione" :

il s'engage à traiter les pierres de l'ancienne église comme des reliques de pierre

puisqu'elles ont reçu la consécration divine,

l'ancienne abside sera remplacée par une construction nouvelle, plus haute, pour que

les châsses des martyrs soient mieux visibles,

de solides fondations seront faites dans la crypte pour les colonnes et les arcs du

chevet,

à l'aide de calculs arithmétiques et géométriques, le milieu de l'ancienne nef devra être

aligné avec le milieu du nouveau chevet,

l'extrémité de l'église sera ornée de chapelles avec des vitraux magnifiques et

resplendissants, dont la "lumière merveilleuse et continuelle" viendra "traverser et

purifier la beauté intérieure de l'église tout entière".

Il a donc commencé par le chevet de l'abbatiale. Il posa la première pierre le 14 juillet 1140.

Il a une idée précise de ce qu'il veut obtenir et la volonté de le réaliser : faire entrer la lumière

dans l'église et insérer dans l'architecture la déclaration de Denys l'Aréopagite

Dieu est lumière.

Au sein de l'abbaye de Saint-Denis s'était développée l'étude d'un manuscrit grec des

œuvres de Denys l'Aréopagite. Ce manuscrit a été donné à l'abbaye vers 827 par l'empereur

Louis le Pieux qui l'a reçu de l'empereur d'Orient Michel II le Bègue. C'est ce texte et son

interprétation par Jean Scot Érigène qui est à l'origine de tout un courant mystique de la

théologie médiévale. Cette interprétation a influencé fortement Suger d'autant qu'exact

contemporain du maître le plus écouté de Paris, Hugues de Saint-Victor, il fut

vraisemblablement conforté par sa vision du monde, écrite en 1125 dans ses commentaires

de la Hiérarchie Céleste du Pseudo-Denys.

Le 11 juin 1144, consécration du chevet. Il peut alors écrire fièrement :

« Le nouveau chevet étant réuni au narthex,

L'église étincelle, éclairée en son vaisseau médian,

Car lumineux est ce qui joint en clarté deux sources de lumière.

L'œuvre fameux resplendit de cette clarté nouvelle.

L'agrandissement fut réalisé de nos jours.

C'est moi Suger qui ait dirigé les travaux. »

Entre 1140 et 1151, le chevet s'est élevé avec sa parure des vitraux du déambulatoire. Le

prix de ses vitraux prévu par Suger était de 700 livres.

Suger peut écrire dans le Liber de rebus in administratione sua gestis :"Nous avons fait

peindre, par des mains délicates de nombreux maîtres de divers pays, une splendide variété

de nouveaux vitraux, à la fois en bas et en haut, du premier qui commence la série, l'Arbre

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 33

de Jessé, au chevet de l'église jusqu'à la fenêtre qui surmonte la porte d'entrée principale.

L'une de ces baies, qui nous pousse à nous élever du matériel à l'immatériel, représente

l'apôtre Paul tournant la meule."

La basilique actuelle est le résultat de plusieurs siècles de travaux.

La mort de Suger va arrêter les travaux qui ne seront repris qu'en 1231 par un architecte

nommé par les historiens de l'art, le Maître de 1231, peut-être Jean de Chelles. On sait que

Pierre de Montreuil a travaillé sur l'abbatiale car on le trouve cité comme cementarius

(maçon) de Saint-Denis en 1247 dans un acte de vente d'une carrière à Conflans.

L'église a bénéficié des techniques de construction les plus modernes des 12ème et 13ème s.

La publicité que Suger a donné à la reconstruction de l'abbatiale par ses actes et ses écrits

la concernant a fait que les historiens de l'art l'ont considéré comme le point de départ de ce

que les contemporains appelèrent l'art de France, opus francigenum jusqu'à ce que ce

style soit dédaigné à partir de la Renaissance et qu'il soit appelé à tort style gothique.

On doit cependant remarquer qu'à partir de 1135 est entreprise la reconstruction de la

cathédrale Saint-Étienne de Sens par l'archevêque Henri Sanglier, mais dont le prévôt du

chapitre était Étienne de Garlande. De même à Paris, une première tentative de

reconstruction de la cathédrale était entreprise, avant celle de l'évêque Maurice de Sully,

dont il subsiste le portail Sainte-Anne intégré dans la cathédrale actuelle.

Suger, l'abbaye de Saint-Denis et la monarchie française

Cette basilique reste un des symboles de la monarchie française et la nécropole des rois de

France. Le plus ancien tombeau royal est celui de Dagobert Ier.

En 1120, le prédécesseur de Suger, l'abbé Adam (1094 - 1122), avait obtenu du roi Louis VI

une charte rappelant que, pour se faire pardonner la faute de ne pas avoir donné les

« Regalia » du roi défunt, il donne à l'abbaye la couronne de son père Philippe Ier, l'église et

les dîmes de Cergy et d'autres droits. Suger donne dans ses écrits le texte de cette charte

rappelant la relation particulière qui existe entre le roi de la France occidentale (qui devient

roi de France avec Philippe II Auguste) et l'abbaye.

Tombeau de Suger

Mort le 13 janvier 1151 pendant l'office de Prime, Suger fut inhumé selon son désir, en signe

d'humilité, à l'entrée du cloître pour que les moines se rendant à l'office ou regagnant leurs

cellules passent sur son corps.

Il était composé de deux dalles, l'une perpendiculaire représentant des moines et un abbé,

l'autre horizontale étant la plaque funéraire représentant Suger avec mitre et crosse d'abbé.

On peut aujourd'hui se faire une idée de ce à quoi ressemblait cette tombe grâce à la

restitution de celle de l'abbé Adam qui a été réalisée en 1959 de l'autre côté du portail sud, à

gauche en entrant - près du tombeau monumental de François Ier.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 34

Le lundi 22 octobre 1793 au matin, les ouvriers exhumant les corps reposant dans l'abbaye

arrachèrent la plaque perpendiculaire. Ils ne trouvèrent que des ossements dont certains

tombaient en poussière. Après avoir fait subir le même sort à la tombe voisine de l'abbé

Troon, ils jetèrent les restes humains dans la fosse commune dite « des Valois » qu'ils

avaient creusée dans le cimetière au nord de l'église.

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 35

Denys l'Aréopagite

Denys l'Aréopagite est un Athénien dont le nom est mentionné au verset 34 du chapitre 17

du livre des Actes des Apôtres.

La prédication de Paul aux Athéniens

Au chapitre 17 des Actes des Apôtres, saint Paul se trouve à Athènes, il parcourt la ville et

est questionné par des philosophes épicuriens et stoïciens. Ceux-ci le prennent pour un

« picoreur » c'est-à-dire un discoureur dont le savoir n'est qu'un ramassis d'éléments épars

et sans cohérence. Ils l'amènent à l'Aréopage pour lui demander des éclaircissements sur sa

prédication. L'Aréopage peut désigner ici une colline qui se trouve à l'ouest de l'Acropole, ou

bien un haut conseil qui se réunissait autrefois sur cette colline mais qui à l'époque de Paul

tenait ses séances sous le Portique royal, en bordure de l'Agora.

Devant ce public saint Paul déclare :

« Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes.

Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé

jusqu'à un autel avec l'inscription : au dieu inconnu. Eh bien celui que vous adorez

sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer. »

Actes des Apôtres, 17, 22-23

La prédication de Paul tente de s'adapter au public de philosophes qui l'écoute. Paul parle

de l'unité du genre humain et de sa vocation à n'adorer que Celui en qui nous avons la vie,

et le mouvement et l'être. Cela ne soulève pas d'objection dans l'auditoire jusqu'à ce que

Paul parle de la résurrection :

« À ces mots de résurrection des morts, les uns se moquaient, les autres disaient :

« Nous t'entendrons là-dessus une autre fois. » C'est ainsi que Paul se retira du

milieu d'eux. Quelques hommes cependant s'attachèrent à lui et embrassèrent la foi.

Denys l'Aréopagite fut du nombre. Il y eut aussi une femme nommée Damaris, et

d'autres avec eux. »

Actes des Apôtres 17, 32-34

Attributions pseudépigraphiques

Denys l'Aréopagite est surtout connu pour s'être vu attribuer à titre pseudépigraphique des

traités mystiques rédigés au 5ème ou 6ème siècle. Il est absolument impossible que le Denys

évoqué par les Actes des Apôtres soit l'auteur de ces œuvres, cependant cette attribution est

significative. Emprunter le nom d'un personnage pour lui attribuer une œuvre était une

manière de la situer dans un courant de pensée ou de la présenter comme la traduction de

l'enseignement de ce personnage. L'attribution des écrits du Pseudo-Denys l'Aréopagite à

Denys l'Aréopagite les situe ainsi immédiatement comme une littérature à la fois

philosophique et chrétienne. En outre, la théologie apophatique développée par l'auteur

résonnait avec la référence de la catéchèse paulinienne "au dieu inconnu".

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 36

La collection des ouvrages du pseudo-Denys fut offerte à Louis le Pieux par l'empereur

Michel le bègue en 827. Traduits une première fois en latin par Hilduin entre 827 et 835, ces

ouvrages furent traduits une deuxième fois par Jean Scot Érigène vers 860. Cette dernière

version resta la référence jusqu'à la fin du 12ème s.. Ces textes mystiques imprégnés de

Néoplatonisme marquèrent l'époque. Ils influencèrent Jean Scot Érigène qui s'appuya sur

leur autorité pour promouvoir ses idées.

L'identification au premier évêque de Paris

Denys l'Aréopagite, le converti de Paul, est considéré comme le premier évêque d'Athènes.

À partir du 9ème s., les Parisiens l'ont aussi identifié à leur premier évêque, Denis de Paris

martyrisé au troisième siècle sous le règne de l'empereur Dèce. Hilduin (775-840), abbé de

Saint-Denis popularisa cette idée dans sa Vita.

Alain de Libera évoque cette « légende extravagante » comme relevant d'un transfert

symbolique du « centre des études » d'Athènes à Paris. Il s'agit d'une translation de la même

manière qu'un lieu peut devenir un nouveau sanctuaire grâce à une translation de reliques.

Dans un contexte intellectuel où la filiation de la pensée chrétienne à la philosophie grecque

était largement valorisée, que Paris soit reconnu comme un siège épiscopal fondé par un

philosophe de l'Aréopage athénien a pour enjeu celui de savoir où se trouve la capitale de la

philosophie. L'ancienne Lutèce s'affirmait ainsi être devenue à la pensée chrétienne ce

qu'Athènes était au monde antique. Cette revendication pour la capitale du roi Charles le

Chauve était plus largement répandue dans l'Europe carolingienne. Quelques années plus

tard, Notker de Lippu (950-1022) l'abbé de Saint-Gall développa ainsi le thème de la transitio

studiorum, tandis que d'autres traditions allemandes parlaient d'une « translation des

reliques de saint Denys » à Ratisbonne.

L'identification de l'auteur des traités de mystique au converti de Paul fut contestée à partir

du 15ème s. en même temps que la légende le liant au premier évêque de Paris. À partir des

travaux de Jacques Sirmond (1559-1651) et de Tillemont (1637-1698), trois Denys ont été

distingués : Denys le converti de Paul et premier évêque d'Athènes ayant vécu au 1er siècle,

Denys de Paris, ayant vécu au 3ème s., et enfin, le Pseudo-Denys l'Aréopagite auteur des

traités de mystique, ayant probablement vécu au tournant des 5ème et 6ème s.. Dans le

Martyrologe romain, Denys l'Aréopagite, premier évêque d'Athènes est fêté le 3 octobre,

tandis que le premier évêque de Paris et le Pseudo-Denys l'Aréopagite sont fêtés ensemble

le 9 octobre.

Pseudo-Denys l'Aréopagite

Le Pseudo-Denys l'Aréopagite est un auteur de traités chrétiens de théologie mystique, en

grec. Il est l'une des sources majeures de la spiritualité mystique chrétienne. C'était

probablement un moine syrien qui a vécu vers l'an 500. D'inspiration néo-platonicienne, il est

influencé par les écrits de Proclus, auxquels il fait de larges emprunts ; il a aussi été

influencé par l'école théologique d'Alexandrie (Origène, Clément d'Alexandrie) et par

Grégoire de Nysse.

Selon le Livre des Actes des apôtres, Denys l'Aréopagite était un Athénien faisant partie des

philosophes qui écoutèrent la prédication de saint Paul (Actes, 17:34). L'auteur des œuvres

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Annexe 6 - La théologie de la Lumière … 37

mystiques attribuées à Denys l'Aréopagite ne peut pas avoir été cet Athénien du 1er siècle,

mais l'attribution pseudépigraphique de ces traités à ce philosophe converti par Paul

permettait de les présenter comme des œuvres à la fois chrétiennes et philosophiques.

Identité réelle du Pseudo-Denys

Pendant longtemps on a pris l'auteur de ce corpus pour un des rares disciples que l'apôtre

saint Paul était parvenu à convertir lors de son sermon à Athènes sur la colline de

l'Aréopage. Cela est dû au fait que l'auteur se faisait passer pour un contemporain de saint

Paul. Il prétendait avoir assisté aux ténèbres qui ont assombri la Terre au moment de la mort

de Jésus (lettre VII). Hincmar évêque de Reims professait l'identité de Denis de Paris avec

Denys l'Aréopagite Jacques de Voragine dans sa Légende dorée rapportait la même opinion

tout en donnant ses sources hagiographiques en citant Méthode de Constantinople, Hincmar

mais l'étude du texte montre qu'il s'inspira en outre d'Hilduin. Des doutes furent exprimés dès

le XVe siècle par Nicolas de Cues et Lorenzo Valla, au XVIe siècle par Érasme et Luther,

mais c'est seulement au 19ème s. qu'on a établi avec précision que les écrits en question

étaient empruntés ou postérieurs à Proclus et donc ne pouvaient dater d'avant la fin du 5ème

s. D'où le surnom de "Pseudo-Denys" qui fut donné à l'auteur.

Denys de Paris

Outre son identification à Denis d'Athènes, il fut aussi identifié à saint Denis de Paris. Cette

confusion est due à Hilduin, abbé de Saint-Denis, qui écrivit en 835 son Areopagita dans

lequel il soutient la thèse de l'identité. Cependant, les anciens martyrologes distinguent

nettement Denys de Paris et Denys d'Athènes. Cette confusion née à Paris parvint en Grèce

en passant par Rome. Elle fut néanmoins définitivement réfutée par Le Nain de Tillemont.

Denys l'Aréopagite, qui aurait entendu des sermons de S. Paul, ne pouvait être Denis de

Paris. L'attribution de l'œuvre à celui-ci, premier évêque de Paris, enterré à l'abbaye Saint-

Denis au nord de Paris, est donc une légende, cependant il est avéré que l'influence énorme

au Moyen Âge exercée par les écrits de Denys irradia à partir de l'abbaye Saint-Denis.

Sévère d’Antioche

C'est surtout à partir de Laurent Valla, d'Érasme (1468-1536) et de Luther (1483-1546), que

l'origine des textes est mise en doute.

C'est en 1900 que Joseph Koch et J. Stiglmayr, deux auteurs catholiques, démontrent de

façon incontestable - et indépendante - le caractère pseudépigraphe des écrits de Denys : le

traité des Noms divins est un extrait du traité de Proclos De malorum subsistentia, et Denys

est tributaire de la pensée de Proclos. La rédaction des traités de Denys est conséquemment

fixée entre 485 et 515, la mort de Proclos datant de 485.

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Les oeuvres

Il nous reste, sous son nom, un certain nombre d'écrits, traduits en français par Maurice de

Gandillac en 1943 :

Les Noms divins ;

La Théologie mystique ;

La Hiérarchie céleste ;

La Hiérarchie ecclésiastique ;

Lettres : quatre lettres à Gaïos, une à Dorothée, une à Sosipater, une à Polycarpe,

une à Démophile, une à Tite, une à l'apôtre Jean.

Présentation de sa pensée : Théologie mystique et théologie symbolique

Un des aspects les plus féconds de l'œuvre du Pseudo-Denys est d'avoir introduit la

distinction entre les différentes dimensions de la théologie; la théologie mystique (le sommet

de la théologie), la théologie symbolique et la théologie spéculative'.

La théologie mystique : elle correspond à une révélation secrète. C'est le degré

suprême de la connaissance de Dieu. Plus la connaissance est élevée moins il est

possible de l'exprimer par des mots, la montée vers Dieu est donc une montée dans

le silence et l'obscurité : « étant plongés dans l'obscurité au-delà de tout

entendement, nous allons rencontrer non seulement la pauvreté des mots, mais

l'absence totale de parole et de compréhension ».

La théologie symbolique : c'est le degré inférieur de la théologie. Elle examine les

expressions issues de l'expérience des choses sensibles pour être rapportées à

Dieu ; ainsi les Saintes Écritures parleront de la colère de Dieu, de l'ivresse de Dieu,

du sommeil de Dieu, de son réveil, de la jalousie de Dieu, etc... Le symbole est une

image qui renvoie au-delà d'elle-même, il permet de rendre l'invisible visible et de dire

l'indicible.

Le Pseudo-Denys estime en outre que la théologie négative (ou "apophatique") est plus

parfaite que la positive. Dans la théologie négative on approche de Dieu par la négation de

ce qu'on lui attribue mais qu'il n'est pas. On gravit l'échelle des créatures pour remarquer à

chaque échelon que ce n'est pas là que se trouve le Créateur. Il utilise l'image de la statue ;

à partir d'un bloc de marbre l'artiste va procéder par retranchement pour dégager l'image.

Ainsi dans son traité La Théologie mystique, au chapitre 4 : « Nous disons donc que la

cause de toutes choses, et qui est au-delà de tout, n'est pas sans essence ni sans vie, ni

sans raison, ni sans intelligence et qu'elle n'est pas un corps. Elle n'a ni forme, ni figure, ni

qualité, ni quantité, ni masse. Elle n'est dans aucun lieu. Elle n'est pas vue et on ne peut la

saisir par les sens. Elle ne se perçoit pas par les sens et ne leur est pas perceptible. Elle ne

connaît ni désordre, ni agitation, elle n'est pas troublée par les passions matérielles »

La théologie négative et la théologie affirmative se complètent : lorsqu'on affirme quelque

chose sur Dieu il faut immédiatement dire que ce n'est pas vrai : « Le symbole ne peut

trouver son sens que s'il est purifié par la négation qui, en quelque sorte, découvre le sens

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en retranchant la chair du fruit pour faire apparaître son noyau ». Ainsi la transcendance de

Dieu se trouve-t-elle véritablement honorée.

L’influence du Pseudo-Denys

L'influence du Pseudo-Denys s'est étendue dans le monde grec durant les trois siècles

suivant sa mort. Le corpus dionysien fait partie des trois grands courants philosophiques et

spirituels qui ont formé la pensée de l'Occident médiéval, avec la philosophie grecque et

l'œuvre de Saint Augustin. Le traité « La Théologie mystique » valut au Pseudo-Denys le titre

de père de la mystique. C'est, en Occident, le plus influent des Pères grecs.

Une importante spécificité de son apport à la théologie chrétienne mystique est aussi d'avoir

défini les trois polarités de la théologie : la théologie mystique qui est la plus haute

connaissance de Dieu dans les ténèbres et le silence, au-delà de tout langage, de tout

concept, de toute idée, de toute image et de tout symbole; la théologie symbolique qui

exprime la connaissance de Dieu dans le langage de l'image et du symbole; et la théologie

spéculative.

Ces traités devinrent une référence dans la théologie médiévale, tant en Occident qu'à

Byzance, alors que leur date d'apparition est tardive par rapport à la période apostolique : en

effet, la première référence connue qui en soit faite date de 533, lorsque Sévère d'Antioche,

chef à l'époque de la tendance monophysite, les cite dans sa tentative d'argumentation

contre le concile de Chalcédoine déjà reçu depuis 451 par l'ensemble des Églises, à

commencer par celle de Rome. Les « orthodoxes » rejettent alors ces écrits comme n’étant

pas authentiques. Le premier codex de la Bibliothèque de Photius est consacré à un traité

d'un certain « Théodore le Prêtre » (non autrement connu) intitulé Que le livre de saint Denys

est authentique, tentant de réfuter quatre objections : ces textes ne sont cités par aucun des

Pères de l'Église des premiers siècles ; Eusèbe de Césarée n'en dit pas un mot ; ces textes

font état de traditions qui ne datent pas de l'origine de l'Église et ne s'y sont implantées que

très progressivement ; une lettre d'Ignace d'Antioche, mort sous l'empereur Trajan, est citée.

Photius conclut son bref compte-rendu sans se prononcer lui-même.

Malgré ce débat sur l'authenticité qui a donc été au moins présent à l'esprit des Byzantins

pendant plusieurs siècles, l'autorité des écrits attribués à Saint Denys a rapidement grandi y

compris dans l'Église grecque, et y est finalement devenue incontestée. En Orient, Saint

Maxime le Confesseur (580-662), qui s'y réfère régulièrement dans sa Mystagogie, en a

commenté un certain nombre. De même, les écrits du Pseudo-Denys furent utilisés par Saint

André de Crète (v. 660-740), Saint Jean Damascène (fin du 7ème s. 749).

En Occident, en 827, Louis le Débonnaire reçut de l'empereur byzantin Michel II un

exemplaire du texte grec. Déposé dans la bibliothèque de l'Abbaye de Saint-Denis (car on

confondait Denys l'Aréopagite et Denis de Paris), il fut traduit en latin par l'abbé Hilduin et

ses collaborateurs. Un peu plus tard, vers 850, Jean Scot Erigène le traduisit à nouveau, et

le commenta dans son ouvrage « De divisione naturae » ; ce fut surtout lui qui fut à l'origine

de la popularité de ces écrits en Occident. Les traités du Pseudo-Denys furent également

traduits au XIIe siècle par Jean Sarrazin, et c'est sur cette traduction que travaillèrent Albert

le Grand et Thomas d'Aquin.

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Conclusion

L’architecture gothique présente plusieurs particularités. Dans un premier temps, elle

regroupe de nouvelles techniques architecturales comme les croisées d’ogives et les arcs-

boutants. C’est grâce à ces découvertes que les cathédrales peuvent s’élever et permettre la

création d’immenses verrières. Ces vitraux ont alors plusieurs objectifs : servir de livres

d’images pour l’instruction des croyants et inonder l’édifice d’une lumière devenue divine.

Au-delà de cette lumière dite divine, les cathédrales mettent en avant un nouveau

rayonnement du pouvoir royal.

Cette architecture est donc l’expression de la théologie de la Lumière. En effet, lorsque

Suger entreprit la reconstruction de la basilique Saint Denis, marquant ainsi le début du

gothique, il définit la lumière comme pilier de sa construction, mettant en valeur son

importance.

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Bibliographie

Le Temps des cathédrales, Georges Duby, Gallimard

Le Moyen-Age, Georges Duby, Hachette Pluriel Référence

L’art cistercien, Georges Duby, Flammarion

L’art cistercien, Père Marie-Anselme Dimier OCSO, Zodiaque

Principes et éléments de l'architecture religieuse médiévale, Michel Henry-Claude, Laurence Stefanon et Yannick Zaballos, Fragile Eds

Architecture gothique et pensée scolastique; précédé de L'Abbé Suger de Saint-Denis, Erwin Panofski, Editions de Minuit

Chronologie de l’art du Moyen-Age, Xavier Barral i Altet, Flammarion

Rendez-vous avec l'art gothique, Xavier Barral i Altet, Le Rouergue

L'art médiéval, Xavier Barral I Altet, coll. Que sais-je ?, PUF

Chantiers médiévaux, Etienne Hamon, Paris-La Pierre-qui-Vire,

Le trésor de la Sainte-Chapelle, Musée du Louvre, Dorota Giovannoni

Suger, abbé de Saint-Denis, régent de France, Michel Bur, Perrin

Divers sites Internet.