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La Treizième Université d’Été de l’Innovation Rurale est organisée par : La Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers, La Mission Agrobiosciences. avec la collaboration de : L’équipe d’organisation de Jazz In Marciac, L’Office de Tourisme de Marciac, avec le concours financier de : Conseil Régional Midi-Pyrénées, Conseil Général du Gers, Union Européenne. avec le soutien de : Mairie de Marciac, Chambre Régionale d’Agriculture de Midi-Pyrénées, Coopérative Producteurs Plaimont, Coopérative Vivadour.

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La Treizième Université d’Étéde l’Innovation Rurale

est organisée par :La Communauté de Communes Bastideset Vallons du Gers,La Mission Agrobiosciences.

avec la collaboration de :L’équipe d’organisation de Jazz In Marciac, L’Office de Tourisme de Marciac,

avec le concours financier de :Conseil Régional Midi-Pyrénées,Conseil Général du Gers,Union Européenne.

avec le soutien de :Mairie de Marciac,Chambre Régionale d’Agriculture de Midi-Pyrénées,Coopérative Producteurs Plaimont, Coopérative Vivadour.

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13e

université d’été de l’innovationrurale

dans le cadre de «Jazz in Marciac» (Gers) 1/2/3 AOUT 2007

UNE RENCONTRE INTERNATIONALEAGRICULTURE ET SOCIETE

Agriculture etterritoires ruraux : Quelle politiqueagricole européennevoulons-nous ?

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Merci à tous les participantsChristophe ABRASSART, Unité prospective Inra Paris, Gilles ALLAIRE, économiste Inra Toulouse, Matthieu ANSALONI, doctorant Inra Toulouse,

Philippe ASSALIT, photographe, Serge AUGE, agriculteur, Yves BARBASTE, Adasea Gers, Dominique BARRAU, secrétaire général FNSEA, Jean-Jacques BARRERE, curé, Michel BAYLAC, Chambre d’agriculture du Gers, Alain BERGER, directeur de l’Interprofession fruits et légumes (Interfel),

Sylvie BERTHIER, Mission agrobiosciences, Daniel BESSE, éleveur, Elodie BONNEMAISON, Comité des Paysages Côtes de Beaupré, SylvieBONNY, économiste INRA, Véronique BORZEIX, ministère de l’Agriculture et de la Pêche (DPEI), Gérard BOUCHER, association Nouvelle Donne, LucienBOURGEOIS, Assemblée permanente des chambres d’agriculture, Michel BUISSON, agroéconomiste, Matthieu CALAME, Fondation Charles-Léopold

Mayer, Henri-Bernard CARTIER, président de la chambre d’agriculture du Gers, Anne CASTELAIN, Centre d’études des Verts français au Parlement

européen (Sinople), Roger CAZENAVE, Conseil de développement du Val d’Adour, Serge CHAMBERT, Chambre d’agriculture du Gers, Jean-MarcCHAMPFRAULT, ministère de l’Agriculture et de la Pêche (DICOM), Jean-Louis CHAUZY, Président du Conseil économique et social Midi-Pyrénées, FranckCLAVIER, coopérative Vivadour, Thérèse CLERY, enseignante, Françoise COCHOIX, inspectrice pédagogique de l’enseignement agricole, FrançoisCOLSON, directeur de l’Institut National d’Horticulture, Jean-Marie CONSTANT, journaliste Entraid’Oc, Yvonne COUTEAUDIER, Déléguée régionale

Inra Rhône-Alpes, Eliane CREPEL, infirmière, Francis DAGUZAN, conseiller général du Gers, président de la Compagnie d’aménagement des coteaux

de Gascogne, Bernard DARRIS, Adasea Gers, Maryse DAUNES, enseignante en lycée agricole, Christian DAURIAC, chambre d’agriculture du Gers,

Alain DAZIRON, Maison de la culture de Larrazet (82), Jean-Louis DEJEAN, Ecole supérieure d’agriculture Purpan, Jean-Jacques et MartineDELMAS, agriculteurs, association Les Amis de la Terre, Pierre DELOFFRE, directeur général du groupe Bonduelle, François DELPLA, Mission

Agrobiosciences, Claire DELTHEIL, Ecole supérieure d’agriculture Purpan, Georges DEMEAUTIS, enseignant en lycée agricole, Joëlle DEPARIS,enseignante en lycée agricole, Amandine DESETABLES, WWF, Alain DESHAYES, chercheur Inra, Eric DESSEZ, association Energie M4, JeanDUBOS, Eurowine, Michel DUBOURG, agriculteur, groupe local de réflexion, Marie-Laure DUFFAUD, enseignante, Isabelle DUMAS, Snes FSU,

Patrice DURAN, Ecole nationale Supérieure Cachan, Aurélien ESPOSITO FANA, doctorant Université Joseph Fourier, Charles FERRAN, curé, RémyFOURCADE, chambre d’agriculture du Gers, Jean-Claude FLAMANT, Mission Agrobiosciences, Françoise FOURNIE, ministère de l’Agriculture et

de la Pêche (IGA), Monique FRAYRET, coopérative Vivadour, Hélène FREBOURG, blogueuse, Guillaume GASC, Sica Seli, Marc GAUCHEE, Grande

Halle La Villette, Lucie GILLOT, Mission Agrobiosciences, Marie GISCLARD, doctorante Inra, Michel GRIFFON, conseiller pour le développement durable

Cirad, René GRONEAU, Fédération nationale de l’agriculture biologique, Serge GUERRE, Organisation générale des consommateurs, Jean-LouisGUILHAUMON, maire de Marciac, président de Jazz In Marciac, Benoît GUILLARD, Adasea 32, Cécile HA MINH TU, ingénieur aérospatiale, Jean-Marie GUILLOUX, Mission Agrobiosciences, Emmanuelle HESTIN, DDAF Seine-et-Marne, Nicolas JACQUET, vice-président de la Coordination

rurale, François JANODET, consultant, Emmanuel JOLIVET, président du Centre Inra Jouy en Josas, Mathilde JOSSO ADIVEZE, DDAF du Gers,

Yann KERVENO, journaliste, Patrick Kirchner, porte-parole régional Confédération Paysanne, Julie LABATUE, doctorante Inra, Christian

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LAFORET, coopérative Avigers, Damien LAGRANGE, journaliste canal Sud, Nadine LAMBRET, Sica Seli, Daniel LAPEZE, coopérative Vivadour,

Olivier LAZZAROTTI, géographe Université de Picardie, Jacques LE CACHEUX, chercheur à l’OFCE – Sciences Po, Alain LEFEBVRE, professeur

urbanisme et aménagement Université Toulouse-Le-Mirail, Stéphane LE FOLL, député européen, Dominique LHOSTE-RESCLAUSE, chambre

d’agriculture du Gers, Arnaud LIBILBEHETY, directeur de la communauté de communes Bastides et Vallons du Gers, Jacques LOYAU, assistant

parlementaire européen, Christian LURO, maire de Blousson-Sérian (32), Bertrand MANTEROLA, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche (département

médias), Thibault MARCEAU, enseignant en lycée agricole, Dominique MARCHAIS, réalisateur, Patrick MARCHESIN, groupe local de réflexion,

Martin NISSEN, premier attaché de l’ambassade d’Allemagne en France, Philippe MARTIN, président du Conseil général du Gers, Philippe MAUGUIN,Draf Ile-de-France, Jacques MAXCH, Conseil général du Gers, Robert MEILLE, ministère de la Défense, Paul MELLIET, Adel 32, Sophie MICHAUX,Coordination Rurale, Gilles de MIRBECK, association Serenata, François MITTEAULT, CNASEA, Nicole MOLUSSON, retraitée, ClaireMONTGOBERT, FGA-CFDT, Catherine MORZELLE, journaliste La Dépêche du Midi, Jan MULDER, député européen (Pays-Bas), Jean-MarcNeuville, ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables, Dominique OLIVIER, Sica Seli (Lot), Hervé OSSARD, président du

centre Inra Toulouse, Martine OULE, DDAF 32, Guy PAILLOTIN, secrétaire perpétuel à l’Académie d’Agriculture, Gérard PARGADE, Vivadour, BrunoPARMENTIER, directeur de l’Ecole Supérieure d’Agronomie d’Angers, Valérie PEAN, Mission Agrobiosciences, Laure PEDOUSSAUT, Aïda Ecotechnology,

Antoine PELISSIE du RAUSAS, agriculteur, Robert PERUSSAN, conseiller général du Gers, Daniel PEZZIN, enseignant en lycée agricole,

Aurélie PIN, Sup’Agro, Yves et Brigitte PINEL, François POINTEREAU, Fondation FARM, Jean-Pierre PORTET,DDAF 32, Eric PRACISNORE,vice-président de la Confédération Logement et Cadre de Vie, Brigitte PREVOST, association de consommateur, Philippe PREVOST, Sup’Agro Montpellier,

Charles PUJOT, Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques, Jean-Michel RAMIS, DIACT Pyrénées, Sonia RAMONTEU, Association de

Coordination Technique Agricole, RAOUL et ROSALIE, clowns analystes (Cie Bataclown), Cyril RICHON, Catherine RIVOAL, Ministère de l’Agriculture

et de la Pêche (Mission prospective), Jacques ROCHEFORT, Mission Agrobiosciences, Jacques ROLLET, CAP 21, Olivier RONIN, URCOOPA, StéphanieROUQUETTE, SICA SELI, Stéphane SANDRE, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche (magazine Bimagri), Anne et Pascal SEINGIER, agriculteurs

(Seine-et-Marne), Guy SEMPE, Vivadour, Francis SEVILA, directeur de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie de Toulouse, Jean-Noël SILLAC,Vivadour, Sabine SOLLE, Communauté de communes Bastides et Vallons du Gers, Annie SOYEUX,Ministère de l’Agriculture et de la Pêche (Mission Prospective),

Csaba TABAJDI, député européen (Hongrie), Henri TARDIEU, directeur général de la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne, ChristopheTERRAIN, coopérative Vivadour, Stéphane THEPOT, journaliste, Jean-Pierre TILLON, Union de coopératives In Vivo, Maryline TRASSARD,journaliste, Christian TROUCHE, Adasea 32, Egizio VALCESCHINI, économiste Inra Paris, Emmanuelle VANDER KERCKHOVE, Confédération

paysanne, Marie VELLA, association de consommateurs, Gisèle VERGNES, Julien VERT, ministère de l’Ecologie et du Développement Durable,

William VILLENEUVE, Chambre d’agriculture du Gers.

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Un an après avoir réussi à débattre des sujets qui fâchent…sans se fâcher, la Mission Agrobiosciences a souhaité aborderune thématique qui, justement, risquait bel et bien de susci-ter les polémiques : la Politique Agricole Commune. Cinquanteans après sa création et à la veille de son « bilan de santé »,il s’agissait clairement de mettre les pieds dans le plat : ne pour-rait-on pas parler de la « fin de la PAC » ? En d’autres termes,imaginons non seulement sa disqualification mais bel et biensa disparition, pour en envisager les conséquences et, faisanttable rase, inventer d’autres manières de faire. Sauf que cettePAC est déjà morte depuis plusieurs années, annonce d’em-blée Guy Paillotin, tandis que Lucien Bourgeois attise lesréflexions en considérant qu’il aurait fallu opter pour une Poli-tique Alimentaire Commune ! Le chantier est ainsi ouvert pourélaborer un nouveau contrat autour de grandes orientationsredéfinies.L’atmosphère tamisée des ombrages de Marciac est toujoursfavorable aux échanges : agriculteurs et dirigeants d’orga-nismes agricoles, élus locaux, militants d’associations, uni-versitaires et étudiants, journalistes, membres de cabinetministériel, dirigeants et cadres d’entreprises… Chacun par-ticipe à l’alchimie de ce laboratoire d’idées unique en France,enrichi cette année d’une troisième journée et de la partici-pation de députés européens issus de différents pays et appar-tenances politiques. Où l’on a pu constater que la fin suggéréede la PAC suscitait avant tout la… faim d’un cadre et d’un cappolitique clairs.

ÉDITO

13e1 université d’été de l’innovation rurale

13e UNIVERSITÉ D’ÉTÉ DE L’INNOVATION RURALE

À toutes fins utiles…

Jean-Claude FlamantDirecteur de la Mission

d’Animation desAgrobiosciences

Les actes de l’Université d’Été de l’Innovation Rurale sont conçus, rédigés et édités par la MissionAgrobiosciences. Directeur : Jean-Claude Flamant. Directeur de la publication : Jean-Marie Guilloux.Rédaction : Sylvie Berthier et Valérie Péan. Photographies : Philippe Assalit. Maquette et dessins : Gilles Sire.Mise en page et photogravure : Nuances du Sud. Imprimeur : Parchemins du Midi. ISSN 1637-5319.Mission Agrobiosciences : ENFA, BP 72638, 31326 Castanet-Tolosan Cedex. Tél : 05 62 88 14 50Fax : 0562881451 – www.agrobiosciences.org

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Agriculture et territoires ruraux : quelle

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politique agricole européenne voulons-nous ?

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EXPOSÉS INTRODUCTIFS

Politiquement, la PAC est déjà morteGuy Paillotin P7

Quand l’Europe se fait remettre à sa placeJacques Le Cacheux P9

RESTITUTION DES CERCLES D’ÉCHANGES

Demain, j’enlève la PAC… P11

PONCTUATIONS

Éloge de l’entonnoirMarc Gauchée et Jean-Marc Neuville P17

REGARDS D’AILLEURS

2013, année erratique ?Jan Mulder et Csaba Tabajdi P19

SYNTHESE

La PAC est morte, vive la PAC ?!Gilles Allaire P25

REPÈRES

Chiffres et définitions P26

SOMMAIRE

13e4 université d’été de l’innovation rurale

SUPPOSONS… LA FIN DE LA PAC

REPERONS… LA FAIM D’AGRICULTURE

RELECTURE

Penser l’Europe pour vouloir son agricultureOlivier Lazzarotti P29

EXPOSÉS INTRODUCTIFS

Pour une Politique Alimentaire CommuneLucien Bourgeois P31

Agriculteurs, saisissez-vous des questions environnementales ! Michel Griffon P33

RESTITUTION DES CERCLES D’ECHANGES

Associations d’idées P36

PONCTUATIONS

Le point G et le couteau suisseMarc Gauchée et Jean-Marc Neuville P42

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SOMMAIRE

13e5 université d’été de l’innovation rurale

TABLE RONDE

À la recherche du contrat perduPatrice Duran, Alain Berger, Pierre Deloffre, Dominique Barrau, Nicolas Jacquet, Patrick Kirchner P44

SYNTHÈSE

Le déluge est près de nousEgizio Valceschini P52

CONTRIBUTIONS

Pour retrouver le sens de l’orientation P55

L’heure de la prospective François Colson P55

Politiques, soyez clairs ! Christian Laforêt P56

Si le cadre est fixé… Henri-Bernard Cartier P57

Oublier l’étroitesse de la logique sectorielle Christian Dauriac P58

Nous avons tous les éléments du Lego® Philippe Mauguin P58

L’aptitude des territoires à gérer la complexitéFrançois Mitteault P60

TABLE RONDE

L’agenda politique : ce qu’il faudrait négocier…Philippe Martin , Yan Mulder, Stéphane Le Foll P61

CONCLUSIONS

L’art du bricolage face à l’impossible cohérencePatrice Duran P64

Cette Europe qui dérange Olivier Lazzarotti P64

Une génération s’en va… Michel Griffon P65

Oser parler d’efficacité Guy Paillotin P65

ELABORONS… LES FINS ET LESMOYENS D’UNE POLITIQUE AGRICOLE

LA CONVERSATION

La place de l’agriculture ne va plus de soi, y compris dans le monde rural P67

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13e6 université d’été de l’innovation rurale

On la disait à l’agonie faute de crédits,on la vouait aux gémonies pour lesinjustices qu’elle instaure, on s’apprê-tait à autopsier outils sectoriels etbureaucratie tâtillonne. Les uns l’af-firmaient d’ailleurs défunte depuis1992, d’autres estimaient n’avoirconstaté le décès qu’en 2003. Il nerestait donc plus qu’à faire le deuild’une certaine politique agricole euro-péenne et du rêve de la régulation desmarchés. Paix à la Pac.Mais voilà qu’à l’heure des funérailles,nul ne veut plus enterrer la dépouille.D’interventions en débats, de cerclesd’échanges en tables rondes, la poli-tique agricole commune renaît de sescendres au fil de cette première jour-née. Une Pac rénovée plus que réfor-mée, où sont reconvoqués les objectifsinitiaux et intégrées de nouvellesnotions, dans une Europe qui, malgréses élargissements successifs, necesse de rétrécir à l’échelle du mondeet dont la construction politique mérited’être pansée et repensée.

SUPPOSONS…LA FIN DE LA PAC

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Je vais être extrêmement synthétique. La premièredifficulté qui se pose à la tenue des débats en géné-ral, y compris pour ceux qui fâchent, c’est la force denos présupposés, ces convictions que nous ne pou-vons remettre en question que par la discussion,l’échange avec des interlocuteurs qui nourrissent eux-mêmes leurs propres certitudes. Aussi vous mets-jeen garde : nous pouvons certes faire l’hypothèse d’uneextinction de la PAC, laquelle est déjà probablementbien avancée, mais le risque est grand de mettre à platl’édifice pour en reconstruire un tout à fait semblable,faute d’avoir fait aussi chanceler nos a priori. J’ai hélasvécu cette situation plus d’une fois.Parmi les écueils qu’entraîne cette disposition d’espritfort naturelle, j’en citerai trois. Le premier consiste àconfondre un dispositif de soutien public à l’agricul-ture – je pèse chaque mot - avec une politique agri-cole. Ce peut-être notamment un présupposé enGrande-Bretagne.Le deuxième consiste au contraire à croire que laPAC n’était qu’une politique agricole. Là, il s’agit d’unprésupposé bien français… Enfin, le troisième écueiltient dans l’oubli que s’il y a réussite d’une politique,c’est que des conditions sociales ont été réunies pourpermettre son succès.Reprenons les deux derniers points. La PAC n’était pasqu’une politique agricole. Je regrette que EdgardPisani ne soit pas là, mais j’ai heureusement vécu lesdiscussions du Groupe de Seillac(1) qui m’ont apprisbeaucoup de choses, notamment avec Michel Deba-tisse. La politique agricole européenne a certes cor-respondu à une forte aspiration de développementéconomique, social et éthique du monde agricole. Ducôté économique, la réussite est là, même s’il reste

encore beaucoup à faire. En revanche, du côté socialet éthique, bien du chemin reste à parcourir. Surtout,n’oublions pas que la création de cette politique com-munautaire traduisait une triple volonté : sortir de lacolonisation qui induisait l’approvisionnement et laconsommation de produits alimentaires tels que l’huiled’arachide ; forger l’Europe et lui donner un sens ter-ritorial ; industrialiser la France en favorisant le trans-fert de forces vives agricoles vers l’industrie. Et ce enassurant l’accès à une alimentation en quantité et àdes prix assez bas pour favoriser la classe ouvrière,choses qui sont implicitement écrites dans les choixde la politique américaine que nous copions, d’ailleurspeut-être censément, depuis quelques années.Enfin, la PAC a réussi parce que ce schéma de déve-loppement correspondait pleinement aux aspirationsde l’époque, y compris pour le monde agricole quiacceptait alors l’idée d’une diminution de sa popula-tion active pour atteindre un standard de vie compa-rable au reste de la société. Aujourd’hui, ce cerclevertueux de développement n’existe plus en France nien Europe. De ce fait, d’une certaine façon, la PAC estpolitiquement morte.D’autant que, progressivement, cette politique agénéré, via l’urbanisation croissante de la France,l’émergence des industries agroalimentaires qui ensont le produit, puis de la grande distribution et enfinl’éloignement de la majorité de nos concitoyens deslieux de production. Parallèlement, les populationsagricoles, notamment avec le soutien par les prix, ontvu grandir l’écart vis-à-vis de leurs clients et dessphères où se crée la valeur ajoutée. Et aujourd’hui,à mon sens, elles tournent le dos à la ruralité tellequ’elle est en train de se construire. Un isolement quia été exacerbé par la mise en avant de la seule agri-culture soutenue par la PAC, celle qui concerne lemoins les marchés locaux et qui fait de la productionl’unique fin du destin agricole.

Les effets pervers des soutiens publics actuels… Celadit, comment peut-on avancer concrètement au coursde ces débats ? Quelques pistes. Nous devons bien sûranalyser les conséquences d’une suppression dessoutiens publics à l’agriculture, par exemple sur lenombre d’actifs agricoles qui diminuera significative-ment, ainsi que sur notre présence sur les marchésmondiaux. Mais nous devons aussi élargir notre ana-lyse et l’ouvrir à bien d’autres aspects. J’en citeraiseulement cinq.L’Europe, d’abord, sans laquelle il n’y a pas de poli-tique agricole, même si certains pensent le contraireet sont tentés de renationaliser la PAC… Certes, l’es-pace communautaire connaît de grandes disparités.Ainsi, à l’Académie d’agriculture, nous avons écoutédes Hongrois et des Polonais. Les premiers regret-

SUPPOSONS… LA FIN DE LA PAC

13e7 université d’été de l’innovation rurale

EXPOSÉ INTRODUCTIF

Politiquement,la PAC est déjà mortePar Guy Paillotin, grand observateur du monde agricole etagronomique, auteur de plusieurs ouvrages dont « Tais-toiet mange ! » en 1999. Guy Paillotin a été Président de l’Inra,au sein duquel il a créé le Comité d’éthique et de précaution,puis du Conseil national de l’alimentation et du Conseild’administration de l’Agence française de sécurité sanitairede l’environnement et du travail. Une carrière atypique pource Docteur ès sciences physiques, diplômé de l’École desMines, actuellement secrétaire perpétuel de l’Académied’agriculture.L’abord rugueux mais l’œil rieur, l’homme ne dédaigne pasl’usage de la provocation par refus des idées tièdes, de lalangue de bois et du penser en rond. En ouverture del’Université d’Été, son intervention donne le ton: commençonspar faire un état des lieux sans concession ni préjugés…

(1) Le Groupe de Seillacs’est constitué endécembre 1992, dans lecontexte de la réformede la PAC et avecl’appui de la fondationCharles Léopold Mayer.Animé par Edgar Pisani,comptant une vingtainede membres, ce cerclesouhaitait approfondirla réflexion sur l’avenirde la politiqueeuropéenne. Sesdocuments, dont le livre« Pour une agriculturemarchande etménagère », sous lasignature d’E. Pisani,connaîtront un fortimpact. En 1995, cecercle est dissous pourdonner naissance auGroupe de Bruges, àdimensioninternationale, dont lacréation a été confiée àBertrand Hervieu etEdgard Pisani.

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tent la disparition de leur politique agricole nationalequi leur permettait de renforcer leurs avantages com-paratifs, surtout dans l’élevage. Une valorisation qu’ilsne peuvent plus maintenir en raison de la puissanceconsidérable que constitue l’apport financier com-munautaire sur les grandes cultures, à laquelle ils nepeuvent pas résister. La Pologne, au contraire, tirebénéfice de la PAC qui leur permet de maintenir à lacampagne des populations que leurs industries nesauraient accueillir, contribuant ainsi à résoudre unepartie de leurs problèmes en matière d’emploi. Voilàdonc des situations radicalement différentes. Et laquestion que nous devons alors nous poser est la sui-vante : la politique agricole européenne a-t-elle sudévelopper les avantages comparatifs de chaquepays ? Finalement, cette politique « moyenne » quenous avons choisi de mener n’abrase-t-elle pas lesdynamiques existantes, pénalisant les orientationsnationales ?Deuxième point : en dehors de l’agriculture, qui pro-fite des soutiens publics de la PAC et de quellemanière ? Souvent, la grande distribution vante son uti-lité en termes de prix bas pour les consommateurs etelle a raison. Mais ces prix bas sont également le fruitdes soutiens publics. D’ailleurs, les distributeurs ne seprivent pas de dire aux agriculteurs : puisque vousbénéficiez d’aides financières, vous devez accepternos fourches caudines. Ces conséquences sur lesautres secteurs économiques doivent être abordées,y compris au niveau du tissu industriel local, même sile sujet n’est pas simple. Je pense par exemple audéveloppement récent de la boulangerie issu de labaisse du prix du blé qui a permis une diversificationdes qualités de pain : cela ne va-t-il pas disparaîtreavec l’augmentation actuelle du prix du blé ? À l’in-verse, je note que la filière fruits et légumes frais n’apas connu une telle diversification. En clair, commentse couple l’intervention des soutiens publics avec lesmarchés locaux ?Cela me conduit au troisième point, qui concerne larelation entre l’alimentation et la santé. À l’échelleinternationale, même les pays développés connais-sent des problèmes de santé publique, dont ceux del’obésité et des maladies cardio-vasculaires. Or, si l’ondoit juger du système à son résultat, il ne s’agit pas deregarder si nous produisons assez ou pas, mais d’ana-lyser la manière dont nous nous alimentons. Or iln’existe aucune corrélation entre les prix des alimentset ce que les nutritionnistes nous conseillent de man-ger. Oser dire aux citoyens qu’ils doivent consommersix à sept légumes par jour est la preuve qu’on n’estjamais allé faire son marché ! La puissance publiquedoit-elle intervenir pour corriger les externalités dupoint de vue de la santé ou doit-on déboucher surune politique alimentaire ? La question reste ouverte.

SUPPOSONS… LA FIN DE LA PAC

13e8 université d’été de l’innovation rurale

Confrontés à la ruralité… Quatrième aspect : l’envi-ronnement. Lorsque j’interroge les économistes libé-raux, ils me répondent que la meilleure solution pourl’environnement réside dans la baisse des prix desproduits agricoles et agroalimentaires, qui pousse lesproducteurs à économiser sur les intrants. Mais desagronomes m’ont indiqué que dans ce contexte debaisse des prix, les agriculteurs choisissaient de dif-férer des investissements pourtant favorables à la ges-tion de l’environnement, contribuant ainsi àl’externalisation des problèmes environnementaux ;c’est bien la preuve qu’une intervention des pouvoirspublics s’avère nécessaire, d’autant qu’on admetdésormais que la disparition de l’agriculture entraî-nera une dégradation de l’environnement, faute d’oc-cupation et d’entretien de l’espace. Il y a donc unoptimum à trouver. Et là, nous sommes encore faceà des problèmes. Ainsi, je pensais que les céréalierss’empareraient de la notion d’agriculture raisonnée, demanière à garder une maîtrise sur l’environnement. Ilsne le font pas massivement. Force est de constaterque ce sont les producteurs agricoles les plus prochesdu marché – ceux qui notamment cultivent des fruitset des légumes - qui sont amenés, à la demande desnégociants, à respecter plus fortement l’environne-ment. Alors même que nous nous accordons à direqu’il faut un soutien public pour favoriser le respect del’environnement, nous voyons là que ces mêmes sou-tiens publics ont des effets pervers en la matière, pri-vilégiant les productions les plus consommatricesd’intrants.Je terminerai sur la ruralité et je serai assez sévère.Depuis dix ans, le monde agricole disparaît un peuplus des territoires ruraux, et pas seulement en

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SUPPOSONS… LA FIN DE LA PAC

13e9 université d’été de l’innovation rurale

nombre : quelle place occupe-t-il et quel rôle joue-t-il dans les dynamiques nouvelles de la ruralité ? Ilconviendrait d’examiner la situation région par région.Pour ma part, je viens de la Charente-Maritime : dansce département, l’agriculteur a quasiment disparudes renouveaux culturels qui animent les villages.Pour en revenir aux soutiens publics, je citerai unexemple : depuis décembre 2000, il y a obligationpour les communes de plus de 1500 habitants de dis-poser de 20 % de logements sociaux, faute de quoielles se voient appliquer une sanction financière. Lesgrandes villes, qui disposent de moyens financiersconséquents, se contentent de payer l’amende. Tan-dis que les petites communes, qui se voient actuelle-ment subventionnées pour pouvoir respecter cetteobligation, seront pénalisées dès lors que cesseral’aide publique : elles ne pourront ni construire lenombre de logements sociaux suffisant, ni s’acquitterde la taxe. Pour l’heure, il s’agit là d’un soutien publicà la ruralité et non pas à l’agriculture. Il est un faitque les villages et les communes rurales voient arri-ver des populations nouvelles, qui n’ont plus aucunlien avec la production agricole. Les élus locaux seréjouissent du gain migratoire : les campagnes serepeuplent, attirant les services et les équipements. Demême, un tissu industriel s’y crée. C’est d’ailleurs lecas dans le Gers. De multiples petites entreprises secréent, profitant des possibilités qu’offrent les tech-nologies de l’information.Pour les agriculteurs, c’est là un enjeu. S’ils conti-nuent à parler à l’échelle de la production mondiale,ils n’intéressent pas le monde rural. Et s’ils veulentaborder la ruralité, ils ne peuvent plus se contenter dedéfinir la ruralité qu’ils veulent ou tels qu’ils l’imagi-nent. À eux de regarder en face la ruralité telle qu’elleest aujourd’hui, tout près d’eux, et de chercher lesmoyens de s’y insérer. S’ils n’y parviennent pas, jecrains qu’un jour ou l’autre, nos concitoyens n’adhè-rent absolument plus à une politique publique quiserait strictement agricole. ■

EXPOSÉ INTRODUCTIF

Quand l’Europe se faitremettre à sa placePar Jacques Le Cacheux, professeur agrégé en économieaux Universités de Pau et des Pays de l’Adour. Jacques LeCacheux est également chercheur à l’Observatoire Françaisdes Conjonctures Économiques (OFCE) où il a longtempstravaillé au côté de Henri Mendras et où il dirige ledépartement des études. Ses travaux de recherche portentnotamment sur la macroéconomie appliquée, l’agriculture etl’intégration européenne.Il enseigne aussi dans de nombreux établissementsprestigieux et collabore à divers réseaux de rechercheeuropéens. Il a publié dans de nombreuses revues,françaises et internationales et a dirigé un ouvrage collectifsur le sujet qui nous concerne, « Europe, la nouvelle vague.Perspectives économiques de l’élargissement », collectionRéférences/OFCE Presses de Sciences Po.Posément et chiffres à l’appui, c’est à un exercice de luciditéqu’il nous convie, où l’Europe et la France doiventradicalement reconsidérer le Monde dans lequel ellesévoluent. En écho aux propos de Guy Paillotin, il formule luiaussi l’acte de décès de la PAC actuelle.

Je vais essayer de donner un certain nombre de pointsde repère qui seront, je l’espère, complémentaires deceux qui ont été donnés à l’instant par Guy Paillotin.Pour continuer dans la provocation, quand on dit « sup-posons la fin de la PAC… », il faut en fait l’exprimer clai-rement : il n’y a même pas à supposer, la PAC est finie !Depuis 2003, la politique agricole que tout le monde aen tête, celle qui a été fondée sur le soutien des prix,celle-là n’existe plus. Elle a tellement connu de révisions,ajustements et réformes qu’elle a totalement été réorien-tée, et ses instruments avec.Certes, le budget agricole, qui représente à peu près45 milliards d’euros, peut paraître considérable, acca-parant un peu plus de 40% du budget communautaire.En réalité, quand on ramène ce montant, non plus à lataille du budget de l’Union européenne, mais à celle desrichesses produites dans l’ensemble des pays, ce finan-cement ne représente que 0,3 % du PIB européen.De plus, le coût budgétaire de cette politique est désor-mais essentiellement affecté aux aides directes poursoutenir le revenu des agriculteurs. De ce point de vuelà, la version actuelle de la PAC n’a plus grand choseà voir avec celle qui avait été initialement lancée. Quantà ses perspectives, elles me semblent encore plus dra-matiques, avec une réorientation très marquée. Tousles observateurs et les gouvernements européens s’at-tendent à ce que le fameux bilan de santé débouchesur une réforme profonde de notre politique agricole.

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SUPPOSONS… LA FIN DE LA PAC

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Seule la France veut encore croire qu’il s’agira seule-ment de petits réajustements.

Chéri, j’ai rétréci l’Europe ! Je vais commencer par uncertain nombre de considérations plus vastes, portantsur les marchés mondiaux et l’OMC, et j’en viendraiensuite aux choix auxquels l’Europe va être confrontéeen matière agricole et alimentaire.Il convient d’abord de rappeler que l’évolution ducontexte mondial dans lequel s’inscrit la politique agri-cole européenne est fortement conditionnée par lestendances démographiques. Il y a un peu plus de qua-rante années, quand la PAC a été créée, la populationmondiale comptait à peine la moitié du nombre d’ha-bitants que nous connaissons aujourd’hui. Elle a doncplus que doublé en moins de 50 ans – nous sommespassés de 3 milliards à 6,5 milliards, ce qui est abso-lument inédit dans l’histoire de l’humanité. Et ce n’estpas fini : selon les différents scénarios, la populationmondiale se stabilisera, d’ici une cinquantaine d’an-nées, autour de 9 à 10 milliards d’habitants, ce quisignifie que nous connaîtrons encore de fortes aug-mentations au cours des trois ou quatre prochainesdécennies.L’essentiel de cette croissance s’est produite et conti-nuera de se produire en Asie. En 1968, Jacques Dutroncchantait 700 millions de petits Chinois et moi et moi etmoi… Aujourd’hui, ils sont 1,4 milliard. Avec l’Inde, l’Asierassemble déjà la moitié de la population mondiale !Cette part va encore augmenter, car si la Chine va vieillirrelativement vite du fait de sa politique de contrôle desnaissances par les décennies passées, l’Inde continueraà connaître une augmentation rapide de sa population.À l’inverse, l’hémisphère Nord est marqué par « l’hiver »démographique. Il est très accusé au Japon, en Europede l’Est et encore plus en Russie, qui est en phase dedécroissance, ainsi que dans la plupart des pays com-munautaires, à l’exception de la France où le taux defécondité est proche du taux de renouvellement desgénérations. Tout cela signifie que la place de l’Europecommunautaire dans le Monde a radicalement changéet ne cessera de diminuer dans les années qui vien-nent. Rendez-vous compte : alors que durant toute l’his-toire connue et jusqu’au début du XXe siècle, l’Europereprésentait entre un quart et un tiers de la populationmondiale, elle en rassemble désormais à peine 8%. Ilfaut avoir en tête ce revirement brutal.Je mets là cependant de côté la question des flux migra-toires, un paramètre pour lequel il est difficile de tracerdes perspectives, du fait de la forte dimension poli-tique qui le caractérise. Nous savons que la premièremondialisation, celle de la fin du XIXe siècle, s’estaccompagnée de migrations massives à l’échelle de laplanète. C’est l’Europe qui, alors, exportait sa popula-tion dans le reste du Monde, ce qui est évidemment très

différent de ce que nous connaissons aujourd’hui. Jadisexportatrice de capitaux et de population et importatricede matières premières, elle est devenue un peu impor-tatrice de population et de capitaux, et pourrait deve-nir exportatrice de matières premières.

Doha : peste soit de la PAC. Dernier aspect, et non desmoindres : dans la mesure où la croissance de la popu-lation s’opère dans des régions précises du Monde, etdu fait des évolutions du climat et des ressources eneau, il est très probable que ces envolées démogra-phiques ne coïncident pas, en terme de répartitiongéographique, avec les possibilités d’accroissement dela production alimentaire. Pour certains, la mondiali-sation constitue du coup une réponse parmi d’autresà cette situation, permettant de combler l’écart entre lespossibilités de développement de l’offre de produitsagricoles d’un côté et, de l’autre, l’explosion de lademande.Une demande alimentaire qui, d’ailleurs, augmenteplus rapidement que la population, notamment en Asie,du fait de l’enrichissement de certaines régions deChine et d’Inde. Les rapports de la FAO montrent eneffet que l’apport calorique moyen dans ces deux paysa augmenté de manière considérable au cours destrente dernières années. Ces pays continuant à s’enri-chir, la composition de ce que consomme leur popu-lation va également évoluer : elle mangera de plus enplus de produits carnés, riches en protéines, ainsi quede produits transformés, ce qui induit des modifica-tions de l’offre mondiale agricole et agroalimentaire.Dans ce contexte, les négociations qui se déroulent àl’OMC recouvrent des enjeux considérables pour tous.Vous le savez, le cycle de Doha dans lequel nous noustrouvons a été lancé pour libéraliser progressivement leséchanges de produits agricoles et agroalimentaires,avec l’idée – fausse, à mon sens – qu’elle permettra ledéveloppement économique des pays les plus pauvres.Il y a là une pression énorme sur l’agriculture et la poli-tique agricole européenne. Pour caricaturer, cela rap-pelle Les animaux malades de la peste. Puisqu’il fautun coupable, ce sera l’âne, et tous de crier haro sur lebaudet. Ici, en l’occurrence, le responsable de tous lesmaux, c’est l’agriculteur européen. C’est lui qui a appau-vri la planète, et c’est le système de la PAC qu’il fautabolir. Pour le moment, aucun accord n’est intervenu,mais un certain nombre de pays et d’acteurs, y com-pris en Europe, sont favorables à son aboutissementpour une libéralisation plus poussée des échanges deproduits agricoles et agroalimentaires.

L’heure des bilans : peut-on se refaire une santé ? Qu’enest-il plus précisément des perspectives européennesconcernant la politique agricole ? Premier point : laFrance est très isolée au sein même de l’espace com-

Référencesbibliographiques :

Fitoussi, Jean-Paul, etJacques Le Cacheux,dir., 2005 : L’état del’Union européenne,Fayard et Presses deSciences-Po.

Fitoussi, Jean-Paul, etJacques Le Cacheux,dir., 2007 : L’état del’Union européenne,Fayard et Presses deSciences-Po.

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munautaire. S’il est vrai que, malgré leur hétérogénéité,les Pays de l’Est conservent un certain nombre d’inté-rêts en matière de politique agricole, l’ancienne Europedes Quinze, en revanche, ne compte plus un seul gou-vernement, en dehors du nôtre, qui soit prêt à se battrepour défendre une politique agricole commune enEurope et encore moins la PAC actuelle.Deuxième point : quasiment en même temps que le« bilan de santé » de la PAC, se déroulera en 2008-2009 la révision à mi-parcours du budget européen. En2005, l’Union européenne a en effet adopté les pers-pectives budgétaires s’appliquant pour la période 2007-2013, dans laquelle nous sommes depuis quelquesmois. Or tous les gouvernements, la commission etacteurs concernés jugent insatisfaisantes ces pers-pectives, adoptées faute de mieux. Le budget com-munautaire va donc être reconsidéré pour être sipossible amélioré. Et en l’occurrence, il est très impro-bable qu’on maintienne la PAC en l’état, d’autant queson coût budgétaire risque d’être encore plus critiquéqu’auparavant. La raison en est simple : le budget euro-péen représente à peu près 125 milliards d’euros etaucun gouvernement ne veut mettre un centime deplus. Pire, tous s’accordent à désigner d’autres objec-tifs prioritaires à financer : la recherche & développe-ment, l’éducation, l’environnement, l’énergie… Dansces conditions-là, soit nous sommes capables de des-siner une politique agricole qui ne sera pas considéréepar les autres pays européens et nos concitoyenscomme une simple politique de soutien aux revenusdes agriculteurs, et nous pourrons maintenir un bud-get cohérent, soit nous restons sur une défense secto-rielle purement agricole, fondée sur une logiqueredistributive, et la PAC n’a aucune chance de survie :presque tous les partenaires de la France à l’Ouestconsidèrent que la PAC actuelle est de ce point de vueprofondément injuste, puisqu’elle soutient massive-ment des producteurs qui n’en ont pas besoin et qu’elleest financée par des pays qui n’en ont pas forcémentles moyens. ■

RESTITUTIONS DES CERCLES D’ECHANGES

Demain, j’enlève la PAC…Qu’évoque pour vous la PAC ? Quelles seraient lesconséquences de son arrêt, en France et en Europe? Queferiez-vous du montant financier ainsi libéré? Autour de cestrois questions plus complexes qu’il n’y paraît, chacune etchacun des participant(e)s a pu exprimer son sentiment, sessuggestions et son analyse, dans l’un des neuf cerclesd’échange qui se déroulaient en parallèle, à l’ombre desplatanes devenus arbres à palabres. Après une heure etdemie de discussions et une large pause déjeuner, les neufrapporteurs avaient pour consigne de restituer les anglesles plus saillants de ces réflexions collectives. Où comment,en partant de mêmes questions, on repère certes despoints de consensus – le discours de l’incertitude, parexemple -, mais on obtient aussi neuf réponses différentes,selon le profil des participants de chaque cercle. Et autantde pistes pour refonder une politique commune, largementréorientée vers l’alimentation et le territoire.

CERCLE 1Animateur : Jean-Marie Guilloux, MissionAgrobiosciences.Rapporteur : Jean-Pierre Tillon, Union decoopératives In Vivo.

Ruptures innovantes…Nous avons d’emblée traduit la question qui nous étaitposée par la suivante : quelle agriculture voulons-nous?Nous avons en effet estimé que les producteurs ne sontpas les seuls à avoir une idée sur ce point et à pouvoirles exprimer. Ce débat est très ouvert et les agriculteursne sont peut-être pas, justement, les mieux placés pourrépondre à ces interrogations. C’est d’ailleurs bien ce quiest angoissant, car nous n’avons plus de repères. Com-ment en trouver de nouveaux? La notion d’innovation estalors arrivée à notre secours, grâce à l’un des partici-pants, qui a distingué les innovations « réglées » - cellesqui ne posent plus problème - et les innovations de rup-ture qui marquent des périodes de fortes mutations.Nous sommes bien dans ce deuxième schéma, quinous impose d’avoir de nouveaux outils intellectuels etpratiques pour pouvoir penser et agir. « Si la réalité estinconcevable, alors il faut forger des concepts incon-cevables », écrivait Hegel dans une même situation detourmentes. Nous avons ainsi mentionné des outils quiparaissent désormais indispensables pour affronter lesincertitudes qui marquent de plus en plus fortementl’agriculture : dans le domaine de l’assurance, tout par-ticulièrement, mais aussi en matière de compensation.Un exemple : nous avions un éleveur porcin parmi nousqui a signalé qu’en privilégiant les tourteaux pour lanourriture animale, il aidait directement les agriculteurs

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de la filière agrocarburants, puisque les tourteaux en sontun co-produit. Comment prendre en compte économi-quement cette contribution ?

CERCLE 2Animatrice : Sylvie Berthier, MissionAgrobiosciences.Rapporteur : Pascal Seingier, agriculteur.

Mettre la PAC au pas…Pour nous tous, la PAC était la condition de la construc-tion de l’Europe. C’était à l’origine un contrat très clairmais qui, victime de son succès, est devenu un tissu decontradictions. En essayant d’envisager quelles seraient,selon nous, les conséquences de la suppression de cettepolitique, nous avons en fait revisité son contenu. Nousnous sommes dit qu’il fallait la mettre au « PAS » : unePolitique d’Approvisionnement de la Société…Car supprimer purement et simplement la PAC, celasignifie, comme l’a dit l’un d’entre nous, originaire du Loi-ret, la disparition de 85% des agriculteurs de ce dépar-tement. Un déclin qui aurait des répercussions sur letourisme, car maintenir l’agriculture dans certainesrégions, c’est maintenir des paysages, notamment enzones de montagne. Ce serait aussi la baisse du prix desterres qui est aujourd’hui renchéri par les aides. Deplus, pour le consommateur, cela risque d’accélérerl’uniformisation des produits, nous rendant peut-êtreplus dépendants encore de la mondialisation. Ainsi,nous avons donné l’exemple de productions qui béné-ficient actuellement d’aides de la PAC, comme le bœuf,qui pourraient alors cesser.Aussi, au lieu de fermer le robinet budgétaire, pourquoine pas revoir les aides, de manière à les relier au mar-ché, ce qui permet de réancrer la production et laconsommation au niveau local ? Une façon de revenir àla première PAC, mais avec de nouvelles ambitions, etune régulation des marchés assurée également par lapréoccupation sanitaire et la dimension écotouristique…Sachant qu’il faudra néanmoins toujours des outils pourassurer une politique publique des structures.

CERCLE 3Animateur : François Delpla, MissionAgrobiosciences.Rapporteur : Bruno Parmentier, directeurde l’École Supérieure d’Agriculture d’Angers.

La fin du conformisme ?

CERCLE 4Animatrice : Julie Labathut, doctoranteINRA.Rapporteur : Matthieu Calame, FondationCharles-Léopold Mayer.

Donner du prix à la stabilité

d’une politique environnementale et d’aménagement duterritoire. Que pourrait provoquer la cessation de cesaides? Probablement des abandons d’exploitations, maismalgré la PAC, sept millions d’entre elles ont déjà disparudepuis les années soixante! Donc avec ou sans cette poli-tique agricole, le mouvement est amené à se poursuivre.Reste que cela demanderait, selon nous, la mise enœuvre d’une politique sociale d’accompagnement pourlutter contre la paupérisation qui pourrait toucher cer-taines campagnes. Par ailleurs, supprimer le premierpilier, c’est voir se creuser l’écart entre l’agriculture mon-dialisée et une petite agriculture localisée qui chercheraà se rapprocher beaucoup plus du consommateur; avecle risque de conflits plus fréquents entre ces deuxlogiques. Nous avons également constaté qu’au momentmême où les aides sont appelées à se déliter, les prix desproduits agricoles et alimentaires s’enflamment. Unepartie des agriculteurs, les céréaliers principalement, vaainsi être sauvée par le gong, en obtenant par le marchéce qu’ils souhaitent: vivre de leur production. Une haussemondiale qui pourrait perdurer, du fait de la demandeénergétique de biocarburants et de la hausse du niveaude vie en Asie et qui, de facto, rend a priori obsolètes desaides créées à l’origine pour compenser le faible niveaudes prix mondiaux. Avec toutefois cette inégalité fonda-mentale: le renchérissement de l’alimentation est sourcede famines dramatiques dans l’hémisphère Sud.Pour conclure, nous avons deux positions possibles. Sil’on est pessimiste, on soulignera que les Français, tou-chant plus de subventions que d’autres en Europe, res-tent à l’abri d’un cocon et ne se sont pas préparés àl’inéluctable. Mais on peut aussi être optimiste, en poin-tant que la Pac encourageait avant tout le conformismeet que, du coup, son arrêt pourrait déclencher les ini-tiatives en faveur d’une diversification des modèles agri-coles. Dans ce cadre, il serait opportun d’affecter unepartie des 45 milliards de la PAC à la recherche, pourrépondre aux défis des valorisations non alimentairesde la biomasse, du développement des cultures protéi-niques pour l’alimentation animale et humaine, de l’op-timisation des ressources en eau, ou encore de laprévention des phénomènes météorologiques extrêmes.

Nous avons principalement appréhendé la suppressiondu premier pilier, c’est-à-dire des aides directes, sachantque les autres, nettement plus faibles, ne nous sem-blaient pas menacées, l’Europe ne pouvant se priver

Nous avons balayé tous les outils existants, du premierpilier au second, en passant par les protections du mar-ché européen à ses frontières. Cela nous a amenés notam-ment à rappeler que l’agriculture est également soumise

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à un certain nombre d’évolutions et de normes qui nefont pas partie nominalement de la PAC, mais qui pèsentsur le secteur. C’est le cas, par exemple, des normes liéesau bien-être animal et des règles en matière de santéhumaine. Ensuite, si nous sommes évidemment enfaveur de prix stables et rémunérateurs, tant pour l’agri-culteur que pour le consommateur, nous n’avons pas sudire comment stabiliser ces prix, d’autant qu’il existeune grande volatilité des monnaies au plan mondial.Disons que si la PAC est maintenue, elle doit inscrire dansses orientations la recherche de cette stabilité des prix.Toute inflation à ce niveau serait en effet problématiquepour l’équilibre alimentaire des populations les moinsaisées et, plus généralement, toute fluctuation brutalerisque de perturber les équilibres de certains territoires.Enfin, nous avons insisté sur la réorientation d’une par-tie des aides vers une politique efficace d’infrastructures,sur le mode espagnol, ainsi que vers un soutien auxPME des pays de l’Est. Par ailleurs, si le premier pilier estselon nous à maintenir, la répartition des montants doitcependant être rééquilibrée en faveur du deuxième pilier.Et puis, surtout, n’oublions pas les outils non budgé-taires tels que les quotas et les protections aux fron-tières, qu’il convient de préserver.

CERCLE 5Animateur : Matthieu Ansaloni, doctorantINRA.Rapporteur : Lucie Gillot, MissionAgrobiosciences.

Panne de sensNotre premier tour de table a permis de savoir commentnous percevions la PAC: « C’est compliqué », « Celachange tout le temps », « C’est brouillon, sans cesse enmodification et en négociation », « C’est inquiétant » amême dit un enseignant de lycée agricole en rapportantle sentiment de ses élèves… Un seul d’entre nous, venude la Réunion, a estimé que la PAC fonctionnait plutôtbien et avait même un effet bénéfique pour sa région, évi-tant certaines importations. Pour tous les autres, la PACest aujourd’hui en panne de sens. Pour lui redonnerune signification forte, nous avons bien sûr évoqué, nousaussi, la réorientation de ses objectifs vers l’alimenta-tion, ce qui a déjà été amorcé lors de certaines crisestelles que celle de la vache folle. Cela dit, nous noussommes principalement prêté au jeu de la suppressionde la PAC et de ses conséquences : la diminution dunombre d’agriculteurs, avec des répercussions sur lasituation de l’emploi ; l’appauvrissement de notre diver-sité alimentaire ; des fractures territoriales probables entermes de localisation des agricultures. Toutefois, pourl’un d’entre nous – Egizio Valceschini –, la suppressionde la PAC serait au contraire plutôt une bonne nouvelle.

Et de nous inviter à nous questionner sur ce qui demeurecommun entre les Etats membres dans cette politiqueuniquement redistributive. De fait, les élargissementssuccessifs de l’Union européenne conduisent à une trèsgrande diversité de besoins et de points de vue, notam-ment au niveau des nouveaux entrants. Nous avonsconclu sur un paradoxe : nous voulons certes redonnerun sens commun à cette PAC, mais pour la rendre pluséquitable, l’une des solutions prônées consistent en larégionalisation des aides. Du coup, nous avons eu un peule sentiment que le serpent se mordait la queue.

CERCLE 6

Animatrice : Eliane Crepel, groupe local deréflexion.Rapporteur : Maryline Trassard,journaliste.

Le bio, le social et le territoirePeut-être aurait-il fallu préciser si nous devions envisa-ger la suppression de la PAC telle qu’elle a été conçueou telle qu’elle existe actuellement. Nous avons optépour la deuxième solution. Nous avons constaté que laPAC a généré une agriculture productiviste et que noussommes perdants en termes de conséquences sociales,environnementales et même alimentaires. Or, ainsi quel’a précisé l’un des participants, citant Einstein : « On nerésout pas les problèmes avec les modes de penséequi les ont générés ».Cela dit, il nous est apparu qu’il est impossible d’envisa-ger une fin brutale de la PAC et qu’il convient plutôt d’en-visager une transformation progressive de ses objectifs etde ses outils, mais en soulignant la nécessité absoluede maintenir les fonctions d’assurance et de régulationface aux aléas de la production et des marchés. Sur lesconséquences de la suppression, certains d’entre nousont parlé de « cataclysme » pour un certain nombred’agriculteurs, d’un agrandissement probable des exploi-tations, d’un bouleversement des territoires, d’abandonsde certaines productions et, du même coup, de pro-blèmes d’approvisionnement. D’autres ont pointé, à l’in-verse, que l’arrêt des soutiens actuels permettrait àl’agriculture biologique de s’imposer davantage. Et, plusglobalement, que l’on pouvait espérer une relocalisationdes politiques agricoles aux niveaux national et régional.Comment réaffecter les aides du premier pilier ? Nousavons émis plusieurs propositions: il conviendrait d’aiderles agriculteurs par le biais de politiques sociales et de for-mation. De redonner à chaque pays une marge demanœuvre en matière de critères d’affectation des sou-tiens directs. D’attribuer des aides à la consommationpour les produits biologiques, de qualité et relevant de cir-cuits courts. Et, enfin, de mettre en œuvre une politique« Agricole, Alimentaire et Territoriale Commune ».

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CERCLE 7Animateur : Jacques Rochefort, MissionAgrobiosciences.Rapporteur : Stéphane Thépot, journaliste.

Refuser le « désarmement »Notre cercle comportait une seule agricultrice qui, pro-duisant du bio, ne se sent pas du tout concernée parle maintien ou la suppression de la PAC. De fait, c’estun député européen néerlandais – Jan Mulder - qui amis sur le tapis la question du revenu des agriculteurs.Ensuite, en tant que consommateurs, si nous noussommes un peu inquiété des prix alimentaires, nousavons préféré parler de la conditionnalité des aidesqui obéit, selon nous, à des critères absurdes et com-pliqués. Pour résumer à grands traits, l’un d’entre nousa dit que la PAC avait longtemps incité à faire plus,mais qu’on ne savait toujours pas inciter à faire mieux.Nous avons également comparé – et c’est très français- la culture et l’agriculture, les deux pouvant parfaite-ment « produire sans public » mais avec des résultatsquelque peu insatisfaisants. Et puis, nous avons beau-coup parlé, et parfois avec nostalgie, de la place per-due. Celle de l’agriculture en Europe et dans le Monde,celle de la France dans l’Union européenne et dans leMonde : nous avons bel et bien perdu cette premièreplace qui nous a longtemps incombé. Reste cette pré-occupation qu’est l’autonomie alimentaire. En lamatière, Jan Mulder nous a rappelé que tous les paysdéveloppés subventionnent l’agriculture, parfois à 70%comme au Japon, tant l’alimentation est stratégique.Et d’ajouter cette phrase : l’Europe ne doit pas céderface au désarmement unilatéral. Un « désarmement »qui ne renvoie pas aux missiles Pershing des annéessoixante-dix, mais tout simplement au blé.

CERCLE 8Animateur : Christian Dauriac, agriculteur,groupe local de réflexion.Rapporteur : Cécile Ha Min Tu, ingénieuraérospatial.

L’occasion de refonder les concepts

buteurs. Depuis peu, à travers l’émergence desRégions, la réforme de 2003 ou encore la gestion de laconcurrence entre les biocarburants et l’alimentation,nous avons le sentiment que les choses bougent. Maisdans quelle direction ? Que nous réserve l’avenir ?L’« après » verra-t-il le règne d’un modèle capitalis-tique, avec la disparition d’un grand nombre d’agricul-teurs et l’augmentation des surfaces sans pour autantqu’il y ait une augmentation des revenus et avec, enligne de mire le modèle sud-américain ?Ou bien pouvons-nous encore espérer mettre en œuvreun modèle « filière-territoire », où la culture aurait toutesa place, porteuse de deux rapprochements : celui duproducteur et du consommateur, et celui de l’agricul-ture avec l’alimentation.Je conclurai sur un paradoxe : la suppression de laPAC qui suscite des inquiétudes porte peut-être aussien elle, à l’horizon 2013, une opportunité inédite pourposer clairement la question des objectifs stratégiquesd’une politique agricole. Bref, l’occasion de refonder lesconcepts et ce, avec une population enfin conscienteque se nourrir est vital.

CERCLE 9Animatrice : Yan Kerveno, journalisteindépendant.Rapporteur : Alain Lefebvre, socio-géographe, Université du Mirail.

Pour une valeur ajoutéeterritorialePremière remarque: autour de la fin de la PAC, se déve-loppe un discours de l’angoisse qui se rajoute au discoursde la plainte que l’on connaissait jusque là. Du coup, ilsemble que nous ayons du mal à distinguer ce qui relèvedu réel, et ce qui se rapporte au fantasme.Une angoisse qui apparaît tout de même un peu para-doxale dans nos sociétés où l’on vit de plus en plusvieux, et où l’on est globalement plus riches.Deuxième remarque : si nous sommes si angoissés parla fin de la PAC, c’est peut-être parce qu’elle a constitué,et qu’elle constitue encore, un cadre extrêmement struc-turant de la société, façonnant les productions, les pay-sages, les bâtiments, les hiérarchies sociales à l’intérieurde l’agriculture, les dommages environnementaux, lessystèmes de distribution et de consommation… Sansoublier l’aide au maintien d’activités dans les zones dif-ficiles.Non seulement supprimer la PAC, c’est supprimer dumême coup ce cadre structurant, mais nous ignoronstout de ce qui pourrait lui succéder. Sera-ce le modèled’un entreprenariat capitaliste à l’espagnole ? Ou aucontraire celui d’une agriculture en circuits courts ? Ou

Nous nous sommes rendu compte que les questionsposées, a priori simples, nous ont conduit à interrogerfinalement le modèle de société dans lequel noussommes, en exprimant des inquiétudes. Nous avonsainsi identifié que nous étions conscients de vivredepuis de nombreuses années une période de transi-tion en matière de politique et de modèle agricoles,avec des coûts de production qui baissent et une valeurajoutée se situant du côté de l’industrie et des distri-

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bien encore un compromis entre les deux? Quelles quesoient les évolutions à venir, deux aspects nous parais-sent fondamentaux : la production de valeur ajoutée ter-ritoriale, d’une part, qui associe les produits, les territoireset les acteurs, mais pas forcément dans une logique oùs’affronteraient l’agriculture mondialisée et l’agriculturelocalisée; d’autre part, l’élargissement des compétencesdes acteurs d’aujourd’hui et de demain, pour les préparerà des formes d’organisation éloignées du modèle libéraldominant, mais aussi du modèle familial qui paraîtaujourd’hui inadapté aux nouveaux défis. ■

Jacques Rollet, distributeur de produits phytosani-taires : Je m’interroge sur le budget. S’agit-il de rééqui-librer des disharmonies sociales et environnementalesou d’augmenter des appétits de consommation et depuissance économique ? Si les aides répondent audeuxième objectif, elles ne sont ni utiles ni saines.

Michel Buisson, agroéconomiste : Je note que nousn’avons pas mentionné les pays émergents parmiceux qui réclament la suppression de la PAC, pourlever les restrictions d’importations que pratique l’Eu-rope ainsi que les aides directes européennes et amé-ricaines qui perturbent les marchés internationaux. Ily a là une vraie question qui nous est posée : quelsseraient les éléments fondateurs d’une nouvelle PACà même de repenser les relations entre pays richeset pays pauvres ?

Eliane Crepel, infirmière, groupe local de réflexion :Dans notre cercle, nous avons fait le lien entre lasanté et l’alimentation. Or, dans l’agroalimentaire,nous savons qu’il y a souvent trop de sel, de sucres,de graisses… Il nous faudrait réfléchir non seule-ment à la qualité de la production, mais aussi à cellede la transformation.Sur un tout autre aspect, je voudrais rapporter lespropos d’un agriculteur de notre cercle : sa produc-tion étant planifiée sur plusieurs années, il ne peut pasprendre de risques inconsidérés. Si la PAC est sup-primée, alors qu’elle garantissait une assurance auxagriculteurs, ceux-ci feront logiquement l’impassesur tout ce qui demande des investissements à longterme, avec des conséquences en cascade pour lesruraux comme pour les urbains. C’est donc à lasociété tout entière qu’il convient d’élargir le débat surla PAC.

Jean-Jacques Delmas, agriculteur bio dans leGers : L’un des rapporteurs a signalé l’allongementde l’espérance de vie. En fait, ce n’est pas tout à faitvrai. J’ai assisté il y a deux ans à une conférencerégionale Santé et Environnement à l’École des minesd’Albi, où le directeur de la DRASS a expliqué que lacourbe de la longévité est en train de stagner, voirede s’inverser, notamment en raison de facteurs envi-

DEBAT

Peut-on dire que l’agriculture est une industrie comme les autres ?

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ronnementaux. Il serait peut-être nécessaire dedemander aux consommateurs, dans les années àvenir, de consentir à consacrer un peu plus d’argentà une alimentation plus sûre et de qualité.

Michel Bellac, membre du CESR : Une précisionpour que nous soyons clairs. Certains demandent lasuppression, non pas de la PAC, mais d’un systèmed’aides. Car on ne peut pas imaginer les gouverne-ments européens vouloir continuer à bâtir l’Europesans une politique agricole commune. Reste cepen-dant à y intégrer la notion d’équité. Il faut que la caté-gorie socio-professionnelle qui a en chargel’alimentation d’un territoire, en l’occurrence l’Eu-rope, puisse vivre correctement de son travail etpuisse offrir à d’autres catégories socioprofession-nelles la possibilité d’acheter des denrées à un prixconvenable. Une sorte de commerce équitableNord/Nord… Le véritable enjeu de la PAC est là. Etsi nous avons suffisamment de forces sur nos terri-toires pour faire passer cette idée là, nous seronssuivis politiquement. Mais encore faut-il transmettreces messages et les idées qui émergent du terrain,plutôt que de renvoyer systématiquement la faute àla PAC dès que quelque chose ne va pas.

Marie Vella, Union de défense des consommateurs(UFCS) : La PAC a d’abord subventionné la producti-vité après la guerre, puis elle s’est plutôt orientée versla qualité, et j’ai bien peur qu’elle se consacre désor-mais aux agrocarburants, au détriment des produc-tions alimentaires, et pour un bilan environnementaldont certains doutent. Par ailleurs, je me demandecomment nous allons nous y prendre pour dire auxnouveaux entrants que nous souhaitons désormaisbaisser les aides… Cela me paraît difficile.

Bernard Darris, agriculteur : Je voudrais répondreà Marie Vella. Face à la pénurie à venir des ressourcesfossiles, l’agriculture doit jouer un rôle de premierplan en termes de propositions et de production.Pour ma part, je parlerais plutôt de la filière de l’huilevégétale pour le diester, destiné au diesel, qu’il ne fautpas confondre avec la filière éthanol, destinée à l’es-sence, ce qui ne correspond pas au parc automobileeuropéen.Philippe Prévost, Sup Agro Montpellier : J’ai unequestion provocante : peut-on dire que l’agricultureest une industrie ? Et si oui, peut-on dire que c’est uneindustrie comme les autres ? Nous avons beaucoupde difficultés à le formuler. Parfois nous le recon-naissons, d’autres fois, nous le rejetons, ce qui nousempêche d’affecter des objectifs clairs à ce secteurde production. Or, sans objectif, nous ne pouvonsbâtir de politique agricole.

Jean-Jacques Delmas : Plusieurs personnes ontabordé la question du productivisme comme un sys-tème du passé. Or, actuellement, nous y sommesencore à plein ! Je rappelle que 2 000 m3 d’eau sontalloués aux surfaces de maïs pour l’irrigation. Lesagriculteurs concernés en demandent le double pouraugmenter encore leur production et leur rende-ment. Certains rêvent d’un rendement de 150 quin-taux de maïs à l’hectare (Ndlr : contre 90 en moyenneaujourd’hui). Ces agriculteurs ont surtout peur qu’uneréforme de la PAC mette des freins à cette course…

Bruno Parmentier, directeur de l’École supérieured’agriculture d’Angers : une remarque sur la pro-ductivité et le productivisme. Nous avons un énormeproblème de quantités au tournant de ce XXIe siècle :nous ne savons pas aujourd’hui comment nourrirles 9 milliards d’individus à venir d’ici 50 ans. Et enEurope, où la croissance démographique sera bienmoindre, nous ne savons pas comment nourrir leshabitants tout en produisant significativement del’énergie. Il nous faut donc apprendre à raisonnerautrement. Jusque-là, nous avions deux outils pour mesurer laproductivité : la productivité à l’hectare et la pro-ductivité à l’homme. Or ce ne sont pas les deux fac-teurs qui vont manquer le plus. Mais nous n’avonspas de nouveaux outils tels que la productivité aulitre d’eau et celle au litre d’équivalent pétroleconsommé.Dire aujourd’hui que nous devons désormais nousattacher à la qualité, c’est ne pas affronter le pro-blème qui se pose à nous. Il va bien falloir produireplus, et ce avec moins d’eau et moins de pétrole.

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LES PONCTUATIONSde Marc Gauchée et Jean-Marc Neuville.

Éloge de l’entonnoir

Marc Gauchée : Éloge funèbre. Dès ce matin, unintervenant a déclaré que la PAC était morte. Nouspourrions donc imaginer son éloge funèbre - en fai-sant l’impasse sur la minute de silence car vous nousavez laissé trop peu de temps -, prononcé par un Pré-sident de la République qui la dépeindrait ainsi : « Ledrame de l’agriculture, c’est qu’elle n’est pas assezentrée dans l’histoire, jamais elle ne s’est lancée versl’avenir. Dans cet univers où la nature commandaittout, l’agriculture est restée immobile au milieu d’unordre immuable où tout était écrit d’avance etc. »

Jean-Marc Neuville : La parabole de l’entonnoir. Jetrouve important de rappeler, même si c’est ennuyeux,que la PAC trouve son origine dans le Traité de Rome,et qu’elle a fondé l’Europe avec cette autre grande poli-tique qui l’a précédée, celle de l’acier (CECA). Un acieraujourd’hui produit en Chine alors que l’agriculture esttoujours présente dans l’espace communautaire. Etalors que nous sommes tentés de rédiger l’acte dedécès de la Politique Agricole Commune, nous avonsl’impression que l’Europe manque d’un socle civilisa-tionnel que cette même politique pourrait offrir.Ensuite, n’oublions pas qu’elle recouvre des enjeuxmajeurs pour la France… Nous avons évoqué les45 milliards de l’enveloppe annuelle de la PAC, or il fautquand même savoir que la France en prend 10 chaqueannée ! Dix milliards d’euros, dont 9 concernent lesrestitutions aux exportations et les fameux droits depaiement unique (DPU). Des aides qui ne bénéficientqu’à 350 000 exploitants français sur un total de550 000.Faites le compte : 200 000 exploitants ne touchentaucune aide européenne. Et il reste un milliard d’eurosseulement pour le développement rural, auquel serajoute un milliard d’euros national. Je n’ai pas entenduces chiffres ce matin.Pour expliquer la manière dont je vois cet instrumentqu’est la PAC, je vais accessoiriser mon propos, en meservant de la métaphore – ou du syndrome - de l’en-tonnoir. Vous savez, ce petit objet très utile qui sert à

L’un est un spécialiste de la culture et de la communication.L’autre un journaliste et fin connaisseur des médias. Tousdeux ont été conviés à jouer le rôle de témoins au fil des deuxpremiers jours de l’Université d’Été. Leurs impromptus ontl’impertinence salutaire de ceux qui souhaitent opérer unemise à distance, sans censure ni concession. Uneponctuation qui use à loisirs des signes, pour mieuxbousculer la grammaire de nos réflexions.

Marc Gauchée estactuellement directeurde la communication etdes publics de laGrande Halle de laVillette. Il aprécédemment étédirecteur des affairesculturelles d’unecommune francilienne,puis chargé decommunication auMinistère del’Agriculture.Critique et essayiste, ila notamment co-écrit« Culture rurale,cultures urbaines ? »,publié au Cherche Midi.

Jean-Marc Neuville estjournaliste et finconnaisseur desarcanes del’information desministères. Après avoirtravaillé au sein du pôleEditions du Ministère del’Agriculture,où il a été notammentrédacteur en chef dumensuel Bima, il dirigeaujourd’hui le pôleéditions du Ministère de l’Ecologie et duDéveloppementDurable.

Jean-Louis Chausy, directeur du CESR : Quelquesremarques. Quelles idées ont motivé ceux qui ontdemandé une révision et un bilan de santé de la PACen 2008 et en 2013 ? L’Europe a voulu plus de soli-darité avec moins de budget. Dans les raisons autresque budgétaires, quand ces dates ont été arrêtées,l’Europe était en surcapacité de production. Moinsde cinq ans plus tard, c’est l’inverse, elle est en défi-cit. Il n’y a pas eu de prospective !Cette faute lourde a une conséquence désastreuse :la diabolisation de la recherche scientifique, dont nousaurons besoin, plus que jamais, pour faire face auxmutations que nous nous apprêtons à connaître. C’estla raison pour laquelle le CESR a porté il y a deux ansle projet d’un troisième pôle de compétitivité pourMidi-Pyrénées, Agrimip Innovation, dédié à l’innova-tion agricole et agro-alimentaire.Méfiez-vous par ailleurs du concept d’une agriculturesans eau. Elle préfigure une agriculture sans agricul-teurs. Qui le souhaite ? Personne d’entre nous.

Jean-Pierre Tillon, Groupement de coopératives InVivo : J’ai bien aimé les remarques de Bruno Par-mentier. Cela rejoint ce que dit souvent Michel Griffon :nous parlons de productivité de la ressource, mais il ya aussi celle de la terre, de la surface. Et là, les agri-culteurs vont peut-être devoir être responsables de laplus grande productivité possible, non seulement deleur agriculture, mais aussi du système agricole danslequel ils évoluent.Ne vouons pas forcément le terme de productivité auxgémonies et ne l’opposons pas systématiquement auterritoire. Car il s’agit bien aussi d’améliorer l’intensitéterritoriale (surface par tonne de produit), comme le ditun chercheur de l’Inra, Arthur Riedacker. ■

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réguler l’écoulement de liquides ou de grains en vrac,à guider le flux d’une matière produite, d’une nourriture.Curieusement, depuis plusieurs années, les agricul-teurs et les politiques se servent de cet entonnoir pourun tout autre usage : une fois mis à l’envers et placédevant la bouche, il devient un porte-voix. Nous avonsainsi vu la manière dont Blair a d’abord utilisé l’enton-noir de la PAC pour réclamer sa réforme. Un simpleeffet d’annonce puisqu’il n’a rien tenté au cours de laprésidence britannique. Nous verrons si, en 2008, laprésidence française sera plus à la hauteur.Reste un dernier avatar de l’entonnoir. Car il peut éga-lement être mis l’envers et posé ainsi au sommet de latête. À la manière des personnages fantasmagoriquesque peignait Jérôme Bosch, des gens qui sans êtrevéritablement des « fous à lier », avaient tout perdu,leurs repères et leurs connaissances. Tout perdu, saufla raison.

Marc Gauchée: Galerie des monstres. Je reviens à lamort de la PAC. Il y a deux choses que Jean-Marc etmoi avons entendues remises en cause : les objectifsde cette politique, passablement brouillés. Et l’approchepar les seuls outils financiers ou techniques.Il est vrai que les finalités de la politique agricole euro-péenne sont très diverses, nous le rappelons depuis cematin : la production, l’exportation, le soutien à l’amé-nagement du territoire, le développement rural etc.Cela dessine un mouton à cinq pattes – pardon pourmes amis de l’Inra.Quant à l’approche guidée par les seuls outils tech-niques et financiers, où l’on négocie des taux de ceciet des quotas de cela, j’avoue que je décroche, et quela PAC pour moi n’est plus un mouton à cinq pattes,mais un canard sans tête – pardon à mes amis duministère : il continue à marcher mais sans plus savoirpourquoi. Car la Sagesse a sept piliers, mais la Pacn’en a que deux.

Jean-Marc Neuville : Cornet acoustique. Reprenonsl’entonnoir. Nous avons vu qu’iil avait une fonction derégulation et de redistribution de la production agri-cole, ce fut le début de la PAC. Puis qu’il s’est mué enporte-voix, cette même PAC devenant une variabled’ajustement dans les négociations entre Étatsmembres et, enfin, qu’il atterrissait au sommet de latête. Aujourd’hui, à la veille du bilan de santé 2008, c’estpeut-être l’occasion de faire glisser cet entonnoir de latête à l’oreille. Un moment où société et agriculture ontrendez-vous et où un cornet acoustique serait fort utilepour favoriser l’écoute.Un rendez-vous que le politique peut rendre possible,et qui contrebalancerait l’OPA du monde industriel surle secteur primaire, qui a développé une logique baséesur l’exploitation de la matière à l’aide de fermesconçues comme des usines ou des mines. Or quand

une mine est épuisée, on la ferme. Une logique enfind’organisation verticale de la société et d’une urbani-sation triomphante. Mais attention… Trop d’urbains etla rue râle.

Marc Gauchée: Un peu de fraîcheur… Je vais finir surune anecdote. Comme bon nombre d’entre vous, jesuis logé chez l’habitant, un couple charmant, et hiersoir, tout en me lavant les dents dans la salle de bains,je réfléchissais à la PAC… Je me disais qu’on aimeraitbien avoir une baguette magique pour pouvoir touteffacer et recommencer à zéro. À ce moment là, enlevant les yeux, j’aperçois au-dessus de l’armoire àpharmacie deux bombes aérosol. Il y avait là une laque,« Elnett fixation satin », et un vaporisateur « VivairRefresh, deux en un ». Elnett fixation satin, je me suisdit que c’était bien : ça fait briller et plus rien ne bouge.Le problème, c’est que cela s’enlève en un rinçage etvu ce que nous avons dit ce matin sur les menaces etles forces contradictoires qui pèsent sur la PAC, nousrisquons justement d’être rincés. Restait « Vivair Refreshdeux en un ». Là, j’avoue que j’étais intrigué. En fait,c’est un produit qui consiste à « supprimer les mau-vaises odeurs et à restituer les senteurs de la nature ».Je me suis dit : un coup de Refresh, mais c’est exac-tement ce qu’il nous faudrait pour la PAC ! ■

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Une quarantaine d’années séparent les Pays-Bas et laHongrie en termes d’adhésion à la PAC. Alors que lesPays-Bas font partie des six pays signataires du Traitéde Rome et ont donc intégré la Politique agricole euro-péenne dès son origine, en 1962, la Hongrie fait partiedes dix nouveaux États membres qui ont adhéré àl’Union européenne en mai 2004. Reste que Budapesta déposé sa candidature, lançant le processus dès ledébut des années 1990.Au-delà de cet écart temporel, il va de soi que les agri-cultures de ces deux pays ont peu de choses en com-mun. En termes d’activités de production, la Hollandeest tournée vers l’horticulture ainsi que l’élevage laitierintensif, tandis que la Hongrie connaît une vocationcéréalière en plaine, à laquelle s’ajoutent fruits, légumes,viticulture, élevage porcin, riz ou encore paprika.En termes d’organisation, les différences sont toutaussi palpables. Les Pays-Bas, dont les exploitationsoccupent en moyenne environ 24 hectares - contre 45hectares en France-, connaissent un système très inté-gré de formation et de recherche autour des coopéra-tives. Quant à la Hongrie, la taille moyenne de sesexploitations – 6 hectares seulement - reflète mal lagrande diversité de ses structures avec, d’un côté, detrès grandes exploitations sociétaires héritées des uni-tés collectives et, de l’autre, une noria de micro-exploi-tations. Depuis quelques années cependant,l’économie de transition voit l’émergence d’exploita-tions familiales.Seul point commun notable, a priori, de ces deux États :une forte activité exportatrice, principalement dans l’es-pace communautaire.

REGARDS D’AILLEURS

2013, année erratique ?Avec Jan Mulder, Néerlandais. Ingénieur agronome deformation, expert pour la FAO au Kénya dans les années 70,puis fonctionnaire au Ministère des Affaires Étrangères desPays-Bas. Elu député européen (groupe Alliance desdémocrates et des libéraux) en 1994, il est vice-présidentde la Commission des budgets, et membre suppléant de laCommission de l’agriculture et du développement rural.Et Csaba Sandor Tabajdi, Hongrois. Économiste etphilosophe de formation, il a commencé par une carrière dediplomate au Ministère des Affaires Étrangères de son paysnotamment en tant qu’attaché culturel à l’ambassade deMoscou (1975-1981), avant d’occuper des fonctions deministre adjoint et de sous secrétaire d’État dans leGouvernement hongrois. Élu député européen en 2004(groupe Parti socialiste européen), il est membre de laCommission de l’agriculture et du développement rural etmembre suppléant de la Délégation pour les relations avecla République Populaire de Chine.

Valérie Péan : Comment réagissez-vous à la teneurdes débats que nous menons depuis ce matin, à l’aunede votre fonction de député européen, mais aussi entant que citoyen étranger ?

Jan Mulder: La langue est différente, mais le contenuest le même ! Nous avons exactement les mêmes dis-cussions aux Pays-Bas, où nous nous inquiétons beau-coup du budget. Pour ma part, je pense qu’il faut laisserle budget tel qu’il est jusqu’à 2013 mais qu’il faut s’at-tendre, à partir de là, à une forte diminution qui devraitfaire l’objet de négociations dès 2011.En revanche, vous n’avez guère souligné la valeur quereprésente un marché commun de 500 millions deconsommateurs. C’est pourtant essentiel pour l’unifica-tion de l’Europe, au même titre que la Politique AgricoleCommune, qui a fortement joué ce rôle depuis 68. Sansla PAC, jamais le marché commun ne se serait ouvert auxautres biens et services. Une PAC qui, au passage, nepeut pas être abandonnée, pour une raison fort simple,c’est qu’elle est inscrite dans le Traité de Rome et pré-vue de manière plus ou moins semblable dans le Traitéréformé. Le budget qui lui est consacré peut certes varier,mais le marché unique reste son objectif. Je voudraisajouter que l’agriculture, selon moi, conserve une placestratégique dans tous les pays comme au sein de l’Unioneuropéenne, au nom d’une autosuffisance alimentaire,à l’instar du secteur de l’énergie.

Csaba Sandor Tabadji : Le général de Gaulle s’étaitécrié : « Comment peut-on gouverner un pays où ilexiste 258 sortes de fromages ? » À mon tour, je medemande : comment peut-on faire une politique agri-cole française avec de telles divergences de vue, quej’entends depuis ce matin ? Pour moi, Marciac, c’estLa Mecque. J’ai fait le pèlerinage dans le Gers. Sachantque la France est de surcroît l’allié européen le plusimportant pour les Hongrois, je ne vous cache pas quej’ai été un peu choqué par votre propre embarras.Il y a, selon moi, trois positions qui se dessinent claire-ment par rapport à l’avenir de la PAC : celle d’une libé-ralisation totale que souhaite la Grande-Bretagne ; celledes pays contributeurs nets, comme les Pays-Bas, quiestiment inévitable un co-financement par les États. Etpuis il y a la position de la France, qui a été formulédans le fameux Memorandum(1), signé par 17 paysmembres dont la Hongrie.Il est clair que la libéralisation totale signerait la fin dela PAC. Quant au cofinancement, il préoccupe forte-ment les nouveaux entrants qui ont parfois le senti-ment d’être des boucs émissaires auxquels on imputetous les problèmes. Mais de fait, c’est l’accord « Chi-rac-Schröder » qui, en octobre 2002, a gelé le budgetagricole (Ndlr : on parle à ce propos de « sanctuarisa-tion » du budget) ! Aussi, de 2007 à 2013, le même

(1) Le Mémorandumfrançais sur la mise enœuvre et l’avenir de laPAC réformée, adresséen mars 2006 à laCommissioneuropéenne, a été co-signé par Chypre,Espagne, France, Grèce,Hongrie, Irlande, Italie,Lituanie, Luxembourg,Pologne, Portugal,Slovénie. La Bulgarie etde la Roumanie yétaient associées. CesÉtats membres ontsouligné leurattachement aumaintien d’une politiqueagricole européenneambitieuse etcompétitive répondant àtous les défis d’ordreenvironnemental etsanitaire. Ils ontégalement insisté sur lanécessité de simplifierla gestionadministrative de laPAC afin de la rendreplus simple, plustransparente et plusefficace. Lemémorandummentionne notammentdes mesures destinéesà la fois à prévenir maisaussi à gérer les crises.

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De plus, nous estimons que lorsque nous faisons unepromesse, celle que nous avons faite en 2002 sur lemaintien en l’état du budget de la PAC, nous ne pou-vons pas décider trois ans après de l’amoindrir d’envi-ron un tiers !Nous avons donc obtenu gain de cause au printemps2007. La modulation facultative, c’est fini, excepté pourl’Angleterre, comme d’habitude et de manière moindrepour le Portugal.En 2008, Mariann Fischer-Boel, la commissaire euro-péenne chargée de l’agriculture, devrait proposer unenouvelle augmentation de la modulation obligatoire,pour que celle-ci passe de 5% à 10%. Tout le mondes’y attend. Reste à savoir s’il faut accepter ou non unediminution des aides directes de 10% pour une politiquede développement rural. Ce sera la grande question.

Csaba Sandor Tabajdi : En Hongrie, le cofinance-ment à hauteur de 30 % des aides directes a introduitde grandes inégalités sur les marchés, avec des condi-tions paradisiaques pour la filière des céréales ! Enrevanche, les grands perdants de la PAC, ce sont lafilière porcine, la volaille, les fruits et légumes. J’ai pourma part analysé le bilan des trois ans de l’adhésiondes dix nouveaux entrants dans un rapport(3) que le Par-lement européen a examiné en avril 2007 et j’aiconstaté de grandes inégalités, notamment à Chypre eten Hongrie, où le système de financement européen aapprofondi les distorsions entre les céréales et l’éle-vage et a discriminé les exploitations de moyenne etpetite taille. C’est hélas un argument pour les adver-saires de la PAC au sein de ces pays.

Si vous avez un « truc » pour augmenter le pouvoir du Parlement…V.P. : Je souhaiterais que vous éclaircissiez le rôle duParlement européen. Quelle est sa marge de manœuvreréelle par rapport à la politique agricole ? En clair, a-t-il du pouvoir ?

Jan Mulder : C’est assez compliqué car chaqueannée, nous négocions le rôle du Parlement, avec l’ob-jectif d’accroître de plus en plus son pouvoir. En prin-cipe, le Parlement n’a qu’un rôle de conseil concernantle budget et la législation agricoles relevant du premierpilier. Si la Commission européenne ne tient pas comptede notre avis consultatif, nous pouvons certes retarderla législation de deux mois, mais à l’issue de ce délai,la Commission et le Conseil européen sont libres dedécider comme ils l’entendent.Concernant le 2e pilier, nous avons également un rôletrès limité, purement consultatif, concernant la législa-tion. En revanche, nous avons le dernier mot sur lebudget. C’est bien ce qu’illustre la décision récente duConseil sur le dossier de la modulation facultative : nous

(2) Le Conseil européenréunit les chefs d’Étatou de Gouvernement detous les pays membres,auxquels s’ajoute leprésident de laCommission. Il définitles orientationspolitiques générales del’UE mais sespropositions, prises parconsensus n’ont aucunevaleur juridique. Ellesdoivent donc êtreproposées par laCommission européenneet soumises aux votesdu Parlement européenainsi que du Conseil del’Union européenne,appelé égalementConseil des ministres.

(3) Accéder au Rapport :www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=REPORT&référence=A6-2007-0037&language=FR&mode=XML

gâteau devra-t-il contenter désormais 27 membres…Dans ce contexte, je partage une autre formule dugénéral de Gaulle quand il a déclaré : « Il faut êtrel’avant-garde de l’inévitable ». En clair, il faut réformerla PAC. Cela dit, pour Jan comme pour moi, il est évi-dent qu’on ne peut pas non plus changer de politiquetous les deux ans !Au cours de la période budgétaire à venir, les ressourcesseront insuffisantes pour alimenter pleinement le premierpilier. Si l’on y ajoute la discipline financière, tout lemonde comprend qu’il faut soit réduire les aidesdirectes, soit faire appel au cofinancement des États. Cecofinancement, les pays les plus pauvres de l’UE le pra-tiquent déjà ! Cette année, alors que les agriculteursfrançais reçoivent 100 % des aides directes euro-péennes, les agriculteurs hongrois n’en perçoivent que40%. Il faut donc y ajouter les compléments nationaux.

Quand le facultatif est facteur de distorsionsJan Mulder: Csaba a évoqué le cofinancement. Nousavons établi le budget agricole en 2002 pour 25 pays.En 2003, l’accord du Luxembourg réformant la PAC aintroduit la modulation obligatoire qui diminue les aidesdirectes de 5 %, ce qui dégage un montant affecté audéveloppement rural. Puis, en 2005, une autre dimi-nution du budget agricole est intervenue avec l’adhé-sion de la Roumanie et de la Bulgarie, qui porte lenombre des États membres à 27. Pour les dix nou-veaux entrants de 2004, il est impossible de toucher aubudget car il figure dans le traité d’adhésion. Cela signi-fie que le coût de l’élargissement à la Roumanie et à laBulgarie est assumé par les agriculteurs des Quinze. Enclair, nous connaîtrons donc en 2013 une nouvellediminution des aides directes d’environ 8%. J’ignore sice fait est connu en France, mais il s’agit là d’une esti-mation de la Commission européenne. Le Parlementeuropéen a d’ailleurs insisté pour que cette dernièreprenne clairement position, dès 2008, sur la questiondu cofinancement : est-il possible, oui ou non ? Et il nes’agit pas là d’un co-financement volontaire, mais obli-gatoire. Car au regard du marché unique, nous ne pou-vons pas avoir un système de subvention qui diffèred’un pays à l’autre.Dans le même ordre d’idées, le Parlement européen estfortement opposé à la décision prise en décembre 2005par le Conseil européen(2), qui autorisait les Étatsmembres à transférer 20 % des aides directes qu’ilsperçoivent, au bénéfice du développement rural, etsans cofinancement de leur part. Il s’agit d’une modu-lation facultative, qui vient en complément de la modu-lation obligatoire de 5 %. À deux reprises, nous avonsdemandé le retrait de cette proposition, car nous esti-mons que cette mesure est extrêmement dangereuse,introduisant des écarts de prix des produits agricolestrès préjudiciables au principe du marché commun.

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avons utilisé une sorte de chantage. Comme la Com-mission refusait d’expliquer au Parlement les consé-quences que peut avoir la modulation facultative sur lemarché commun et l’égalité des chances pour les agri-culteurs européens, nous, députés européens, avonstout simplement décidé de geler la réserve de 20 %sur les crédits de développement rural pour 2007… En clair, les États membres n’ont pas le droit de dépen-ser 20% de leur fonds pour le développement rural. Ducoup, nous avons été pris au sérieux, et le Conseil nousa répondu favorablement. Sur la promesse de la Com-mission d’abandonner la modulation facultative, le Par-lement a donc levé la réserve. Voilà un pouvoirbudgétaire que nous avons utilisé pour la premièrefois(4). L’année prochaine, peut-être découvrira-t-on unautre « truc »… Si vous avez des suggestions, vousêtes les bienvenus !

Vers un label de qualité européen ?V.P: Les Pays-Bas, très fortement urbanisés connaissentdes préoccupations croissantes en matière d’environ-nement, par exemple en terme de bien-être animal…Cette logique est-elle à même de bousculer la logiqueque vous avez décrite sur la PAC ?

Jan Mulder : En la matière, mon pays connaît unepremière mondiale. Lors du dernier scrutin, nous avonsen effet élu, au sein de notre Parlement national, descandidats du parti des animaux… Il y a des humainsqui ont voté pour cela. La seule vocation de ce mou-vement politique est d’améliorer le bien-être des ani-maux dans l’agriculture. Selon les sondages, ce partitrès populaire obtiendrait cinq sièges (sur 150) lors desprochaines échéances électorales.Cela dit, je crois que nos agriculteurs sont prêts à four-nir des produits de qualité, mais il faut que ceux-ci sedistinguent dans les rayons des supermarchés. Nousdevons nous concentrer de plus en plus sur les aspectsqualitatifs et sur les moyens de différencier ces pro-duits au sein de l’UE, ainsi que dans les négociationsde l’OMC, où l’on parle surtout des prix… Certes, ilexiste des barrières dites non tarifaires, lorsque desproduits sont refusés pour des questions phytosani-taires et vétérinaires, mais ce n’est pas suffisant.Surtout, s’il est possible en Europe de consommer, celadevient de plus en plus difficile de produire. Ce n’est pasacceptable. Nos lois sur l’environnement sont en effetextrêmement strictes et entraînent une bureaucratieénorme, incompréhensible… Alors que nos agriculteursdoivent faire avec ces contraintes, la porte est ouvertepour n’importe quel produit du reste du monde, élaborédans des conditions très différentes. Cela doit faire par-tie des négociations à mener dans le cadre de l’OMC.Hélas, nous ne sommes pas prêts à le faire. La Com-mission dit que c’est trop difficile, que nous avons déjà

(4) En l’occurrence, Jan Mulder est tropmodeste. Car nonseulement il a participéen tant que rapporteurà ces négociationsentre le Parlement, leConseil et laCommission, mais c’estlui qui a suggéré debloquer 20 % descrédits pour ledéveloppement rural,dans un amendementau rapport sur lebudget 2007 de l’Unioneuropéenne. Source : europarl.

du fil à retordre avec les prix et qu’il ne faut pas alourdirle dossier avec d’autres aspects. Pour moi, il y a cepen-dant une deuxième option : il s’agit d’introduire un labelde qualité pour tout produit fabriqué selon les critèreseuropéens. Nous pouvons aussi parler de label de qua-lité supérieure, à l’image du label rouge pour les viandesen France. Ce doit être une démarche volontaire au seinde chaque pays. Répondre aux préoccupations de l’opi-nion publique, qui s’expriment fortement aux Pays-Bas,passe donc soit par une solution internationale, soit parun label européen, sur la base du volontariat national.

Pour nous, la priorité n’est pas l’écologie, maisla pauvretéCsaba Sandor Tabajdi : C’est très étonnant, mais jesuis tout à fait d’accord avec Jan. Concernant les négo-ciations au sein de l’OMC, je suis catégorique : jamaisje ne signerai avec cette organisation un accord quin’intègre pas le respect des critères européens, vétéri-naires, phytosanitaires et environnementaux. Car c’estlà un grand désavantage pour notre compétitivité àl’échelle mondiale.Deuxième remarque : dans cette agriculture euro-péenne à deux vitesses, on peut considérer commeun avantage le fait que les nouveaux venus n’ont pasassez d’argent pour les engrais chimiques et les pesti-cides. De fait, notre agriculture est moins polluante quecelle des Quinze. Sachez en effet que les dix nouveauxpays membres utilisent en moyenne 40 % seulementde la quantité de pesticides qu’emploient les Quinze,et un tiers des engrais chimiques.Troisième remarque : il y a une autre césure entre lesQuinze et les Douze, car, pour nous, ce n’est pas l’éco-logie la priorité, mais la pauvreté. Quand nous faisons noscourses au supermarché, nous ne nous soucions pas del’origine, nous regardons uniquement le prix ! C’est pour-quoi je ne peux pas dire que la préoccupation environ-nementale pourrait infléchir notre position. Sur le principe,je suis évidemment pour une agriculture européenne àvaleur ajoutée écologique, comme la promeut le mani-feste de Stéphane Le Foll. Mais je prône avant tout uneagriculture à valeur ajoutée socio-économique. Au coursde la période de transition, la majorité des agriculteurshongrois ont perdu leur travail à travers la suppressiondes coopératives et des grandes entreprises d’État. D’unecertaine manière, vous avez connu un tel processus il ya cinquante ans, avec la modernisation de l’agricultureet l’exode rural. Sauf que chez nous, les chômeurs sontrestés à la campagne. S’y sont ajoutés les chômeurs quitravaillaient dans les usines et qui ont quitté les villes, carla vie coûte moins cher dans le rural. Cela génère des ten-sions très fortes. C’est encore plus grave en Roumanieet en Pologne, où le taux d’actifs dans l’agriculture est res-pectivement de 33% et de 20%, contre 1% en France,et 4 à 5% en Hongrie.

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13e22 université d’été de l’innovation rurale

Guy Paillotin : Je voudrais rassurer notre ami Csaba,je ne pense pas que cette assistance soit pessimiste surl’avenir de l’agriculture. Mais curieusement, le Fran-çais « moyen » est un peu devenu libéral. Il fait atten-tion aux prix. Et il sanctionnera les politiquesd’augmentation des prix, accompagné en cela par lagrande distribution. Il faut crier casse-cou aux agricul-teurs qui n’y prendraient pas garde. Le Français estégalement sensible au montant de ses impôts. Enfin,la compétitivité est absolument nécessaire. Elle peuts’opérer sur les prix ou sur la qualité. Nous sentonsbien qu’une compétitivité dirigée par les marchés mon-diaux de denrées, donc par les coûts, est extrêmementpérilleuse pour une agriculture qui veut également desaides. Les libéraux pensent que l’absence d’aides estle meilleur outil pour être compétitif. Pour eux, l’avenirde l’agriculture est simple : il est fait de grandes exploi-tations, comme l’Angleterre en connaît, qui ne bénéfi-cient d’aucun soutien mais qu’on n’embête pas surl’environnement.Il y a des leaders agricoles en France qui sont pour unecompétitivité guidée par les prix, et comme ils sontlogiques, ils demandent l’effacement de l’Europe. Danscette Mecque agricole, effectivement, où les grandes cul-tures sont plutôt compétitives, ils ont bien comprisqu’avec la disparition des aides, disparaissent égale-ment leurs concurrents européens, de la Hongrie oud’ailleurs. Il existe une autre compétitivité, qui supposeau contraire une Europe, et qui est d’ordre territoriale :l’emploi, le maintien de productions diversifiées, l’équi-libre de nos campagnes. Nous devons faire attention àne pas confondre les deux.

Csaba Sandor Tabajdi : Je déteste le manque detransparence qui existe parfois dans la PAC. Ainsi, dansmon pays, à qui appartiennent les grandes exploita-tions de céréales, qui reçoivent la majeure partie desaides ? Certainement pas à des agriculteurs, mais àdes professions libérales le plus souvent. Des gens quiont bénéficié du mouvement de restitution des terres.Alors même qu’une grande partie des aides échappeà la sphère agricole, les libéraux dénoncent le principemême de soutien à l’agriculture. En face, les paysansn’ont pas suffisamment d’arguments, d’autant que cesmêmes aides introduisent des distorsions de concur-rence et des inégalités de traitement entre filières etentre types d’exploitations. Ce sont tous les citoyensqui seront perdants. C’est pourquoi nous devons cor-riger ces défauts.

DEBAT

Qui reçoit les aides directes ?

Jan Mulder : Concernant l’Europe à deux vitesses, ilest malaisé d’expliquer que les agriculteurs roumains,hongrois ou polonais ne reçoivent que 40 % des aidesdirectes.À l’époque, lorsque nous avons négocié le Traité d’ad-hésion, nous avons pensé que ces pays avaient surtoutbesoin d’aides structurelles. Nous avons donc privilé-gié le fonds pour le développement rural. La Polognedoit ainsi dépenser chaque jour, jusqu’au 31 décembre2013, 40 millions d’euros… C’est ce qu’on lui donnechaque jour. C’est beaucoup.

V.P : En quelques mots, avant que son bilan de santén’ait lieu, pouvez-vous faire un pré-diagnostic de laPAC ?

Jan Mulder : Je reste optimiste. Et je crois aussi notreCommissaire européenne, Mariann Fischer-Boel,quand elle annonce qu’elle souhaite proposer de pas-ser la modulation obligatoire de 5 à 10 %, la difficultépour les États membres étant de trouver le cofinance-ment correspondant. Elle a également proposé de pla-fonner les aides directes, mesure qui est plutôtpopulaire. Son prédécesseur, Franz Fischler, souhaitaitégalement le faire, en argumentant qu’en Angleterre,c’est la reine Elizabeth qui reçoit le plus gros montantd’aides agricoles directes. En France, je crois que c’estle prince de Monaco… À l’époque, l’Angleterre et l’Al-lemagne se sont opposé à cette mesure. Nous verronssi, cette fois, elle passera.Mariann Fischer-Boel est d’avis qu’il ne faut pas opé-rer de grands bouleversements, mais que si quelquechose est malade dans la PAC, il faut le guérir.

Csaba Sandor Tabajdi : Qu’on aime ou pas la mon-dialisation et la globalisation, la compétitivité des pro-duits européens est une question clé ! On ne peut pasl’éviter. Dans le même ordre d’idées, d’ici quelquesdécennies, il y aura une réelle pénurie à l’échelle de laplanète en matière de produits agricoles. Quand nousréfléchissons à l’avenir de la PAC, il ne faut donc jamaisoublier que nous avons là un trésor. Toutefois, le lobbyagricole européen n’est pas assez fort. Il doit absolu-ment s’organiser et accepter les changements néces-saires. En la matière, vous n’avez pas conscience de laresponsabilité qu’ont les spécialistes français dans laredéfinition de l’agriculture du XXIe siècle, moderne,écologique et compétitive. Il faut réformer profondé-ment ce secteur, à l’aide des recherches scientifiqueset des nouvelles technologies. Pour les agriculteursfrançais, il y aura toujours des aides directes suffisantesou presque, mais qu’en sera-t-il de la cohésion euro-péenne et de la PAC? Aussi oserai-je vous dire, et peut-être est-ce marxiste, mais je l’ai été et je ne le cachepas : agriculteurs de l’Europe, unissez-vous ! ■

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13e23 université d’été de l’innovation rurale

Eliane Crepel : Je voudrais attirer votre attention surune question de langage. Il serait bien de ne plus par-ler de l’« Europe de l’Est », mais plutôt de « l’Est del’Europe ». Autrement dit, ces ex-pays de l’Est sont euro-péens.

Csaba Sandor Tabajdi : Je vous embrasserai aprèsce débat ! Pour ma part, je viens de l’Europe Centrale.L’Europe de l’Est, c’est l’Ukraine, la Russie, la Bielo-russie. De même qu’il y avait le mur de Berlin, nousappartenions politiquement à l’Est, mais ni géographi-quement, ni culturellement. Nous avons été christiani-sés il y a plus de 1000 ans, comme les Polonais et lesTchèques. C’est pourquoi nous sommes très sensiblesà votre remarque.

Matthieu Calame: J’aurais besoin d’un éclaircisse-ment budgétaire. Vous avez évoqué l’accord Chirac-Schroëder qui limite à 1% du PIB le montant du budgeteuropéen. À l’heure actuelle, si on maintient cet accord,l’UE peut-elle honorer, sans faire appel au cofinance-ment des États membres, les engagements de la PACde 2003?

Jan Mulder : Cet accord, qui s’est déroulé en 2002dans l’hôtel le plus cher de Bruxelles où MM Chirac etSchroëder étaient logés, portait sur le budget de la PACà 25, dans les perspectives financières 2007-2013. Cesdernières ne sont pas prévues dans le traité : il s’agit d’unaccord volontaire entre la Commission, le Parlement etle Conseil européen qui succède aux « paquets » DelorsI et 2 et à l’Agenda 2000. Si l’une des trois institutionsveut en changer les termes, elle doit obtenir l’approba-tion des deux autres. En clair, si les États membres veu-lent changer le budget européen, qui inclut celui del’agriculture, ils doivent obtenir l’accord de la Commis-sion, mais surtout du Parlement.Quant à la contribution des pays, c’est une procéduretrès complexe. En décembre 2005, quand les 25 Etats-membres ont approuvé ce budget 2007-2013, certainsont qualifié cet accord d’arbre de Noël car chaque paysa obtenu un petit quelque chose… Pour les Pays-Baset l’Angleterre, il s’agissait d’un rabais de leur contribu-tion. Pour changer aujourd’hui le montant de ces contri-butions, il faut changer les perspectives financières, cequi n’est pas aisé !

Gilles Allaire, économiste Inra : Nous avons très peuparlé jusque là du second pilier. Le désigner en parlantde développement rural est un peu mythifiant. Car ilcontient également d’autres politiques, comme l’aide àl’installation, les aides aux zones défavorisées, les sub-ventions d’investissements pour les exploitations, lesmesures agro-environnementales… Finalement, il y apeu de développement rural au sens propre ! À partir de

là, je me demande d’une part si des questions telles quecelle du chômage rural, qu’a évoquée Csaba Tabajdipour la Hongrie, se résout par la politique agricole.D’autre part, il y a une réflexion sérieuse à mener sur ledéveloppement rural qui est peut-être tout autre choseque ce que contient le deuxième pilier.

Jan Mulder : Concernant le développement rural, jene suis pas sûr que les aides aillent vraiment vers lesagriculteurs. Récemment, un rapport de la Cour descomptes européenne a signalé que ce dispositif ne fai-sait l’objet d’aucune évaluation. Cela a freiné l’enthou-siasme du Parlement… Aux Pays-Bas, beaucoupd’espaces sont voués au développement rural et ainsiprotégés mais je ne vois pas l’avantage qu’en tirent lesagriculteurs. Au contraire, si leur propriété est à proxi-mité d’un tel espace, sa valeur diminue car bon nombrede procédés ou de cultures y sont interdits. Il faut doncrevoir les experts sur les effets de cette politique dedéveloppement rural.

Michel Buisson, agroéconomiste : sur la compétiti-vité, je voudrais compléter ce qu’a dit Guy Paillotin aveclequel je suis d’accord. Elle n’est pas seulement liée auprix et à la qualité, mais aussi à des tas d’éléments quenous avons souvent du mal à chiffrer, qui sont les règles,les normes, la taille et la dynamique des entreprisesetc. C’est donc une notion très complexe, très difficileà évaluer d’autant qu’elle est très idéologisée.Je voudrais signaler à nos deux invités que je suis trèsétonné par leur modération et leur accord sur deux pro-positions : modulation obligatoire et plafonnement desaides. Ne devons-nous pas réfléchir à d’autres règles deconditionnalité, par rapport à l’environnement, maisaussi au niveau des aides par rapport au prix de mar-ché, avec des aberrations sur le prix des céréales ? Nefaut-il pas sortir d’une mécanique simpliste ?

Jan Mulder : Je ne suis pas en faveur d’une aug-mentation de la modulation obligatoire, je dois doncclarifier mon propos. Car pour moi, on ne peut pas ren-forcer un dispositif tant qu’on en ignore les effets, ce quiest le cas de la modulation. Pour ma part, donc, je nevoterai pas en faveur de cette augmentation. Quant à laconditionnalité, je travaille actuellement sur un rapportdont l’objet est d’étudier les manières de simplifier cettedernière. Elle est en effet si complexe qu’il faut quasi-ment disposer d’un bureau d’études pour remplir les for-mulaires !

Jean-Jacques Delmas, agriculteur, membre des Amisde la Terre : D’une manière générale, la façon dont vousavez présenté les choses nous pousse, nous, à les inter-préter aussi de manière différente. Un exemple.M. Tabajdi, vous avez dit que la France avait une pro-

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13e24 université d’été de l’innovation rurale

Jan Mulder : Pourquoi les aides à l’hectare diffèred’un territoire à l’autre? Jusqu’à présent, nous avons prisune période de référence, 2000-2002. Dans la mesureoù la subvention équivaut à la diminution du prix deblé de 60%, il va de soi que son montant varie en fonc-tion du rendement par hectare. Moins on produit àl’hectare, moins on reçoit. Il y a des profiteurs, et desgens qui souffrent. Lors du bulletin de santé, il y auravraisemblablement tout un débat autour de ce type dequestions. Vaut-il mieux un système unique pour toutel’Europe ?

Csaba: Notre enveloppe communautaire, en Hongrie,est totalement découplée. Vous avez mentionné queles bases historiques ont causé beaucoup de turbu-lences en France, c’est pourquoi nous avons un systèmemixte : le budget européen est découplé, mais pas lebudget national ou partiellement. Et nous n’avons pasde base historique, heureusement.Je ne connais pas votre expérience : cela a-t-il diminuéla pollution et l’intensivité ? Mes collègues bretons m’ontdit que cela s’était accru. Peut-être parfois faut-il recou-pler pour sauver certains secteurs. Nous ne devons pasêtre dogmatiques.

Jean-Marc Neuville : Je réagis aux propos de JanMulder sur la Reine d’Angleterre, première bénéficiairedes aides agricoles. Dans le cadre de la Conventioneuropéenne d’Aarhus(1), ratifiée par la France, on stipuleque tous les fonds publics doivent être transparents vis-à-vis du citoyen. Seriez-vous pour la publication de laventilation des aides directes dans tous les pays ? Ainsi,aujourd’hui, il semble que 70% des aides aillent à 30%des agriculteurs.

Jan Mulder : La Commission oblige plus ou moins àla publication annuelle de toutes les subventions(2). AuxPays-Bas, cela constitue chaque année un grand évé-nement. On s’est ainsi rendu compte que même lacompagnie aérienne KLM et, indirectement la France,reçoivent des subventions européennes. Tout simple-ment parce qu’on sert à bord des avions des cafés avecdu sucre, sucre qui bénéficie, comme vous le savez,d’aides agricoles.Sachez enfin qu’un pays comme l’Autriche mentionneau sein même de sa Constitution l’obligation de publierles subventions.

Csaba Tabajdi : La Hongrie, elle, ne les publie toujourspas. La liste est secrète même pour moi, député euro-péen. Reste qu’en 2009, il deviendra obligatoire, pourtous les pays membres, de publier la liste des bénéfi-ciaires des aides directes. Ce sera l’occasion de mon-trer au grand jour les inégalités de ce système. Et ce seralà une nouvelle phase de notre Europe commune. ■

(1) La Conventiond’Aarhus (Danemark), du25 juin 1998, porte surl’information et laparticipation du publicau processus décisionnelet sur l’accès à la justiceen matièred’environnement.Pour accéder au texte :http://www.unece.org/env/pp/documents/cep43f.pdf

(2) Sur l’obligation, pourles États, de publier laliste des bénéficiairesd’aides directesagricoles, lire cedocument du Parlementeuropéen :www.europarl.europa.eu/news/expert/briefing_page/10863-283-10-41-20070927BRI10862-10-10-2007-2007/default_p001c009_fr.htm

ductivité fantastique, que c’était génial, que c’étaitLa Mecque. Et vous avez évoqué la moindre richesse dela Hongrie qui, du coup, consomme beaucoup moinsd’engrais et de pesticides, ce qui peut devenir un atout.Il y a là une contradiction. À l’échelle de la planète, despoints de productivité agricole permettent de mesurerle niveau de chaque pays ; les États-Unis et le Brésil ontainsi une productivité de 4, alors que la France atteintles 7 points. Cela signifie que nous sommes au taquet :on ne pourra pas faire mieux. Il faudra même fairemoins au regard des problèmes d’eau, d’érosion et depollution. Je vous invite donc, vous Hongrois, à ne sur-tout pas nous imiter ! Si vous devez toucher des sub-ventions, c’est justement pour aider les agriculteurshongrois à ne pas tomber dans ce travers. En Europeoccidentale, nous devrions baisser le niveau de nosaides pour vous les redistribuer, afin de vous aider à rat-traper, en revanche, un niveau social. Quant au déve-loppement rural, en France, les chambres d’agriculturesont en train d’investir ce créneau et nous pensons quedes sommes seront détournées et n’arriveront jamais auxagriculteurs.

Csaba Sandor Tabajdi : Pour répondre à GillesAllaire, il est clair qu’il y a une agriculture à deux vitessescar chez nous, la première tâche est de moderniser, dedévelopper les techniques et la technologie agricoles. Les trois premières années, nous avons pu utiliser beau-coup de moyens pour régler les problèmes, mais n’ou-bliez pas que tout ce qui concerne le deuxième pilier,dont le développement rural, fait l’objet d’un cofinan-cement de l’État.Quant à la remarque de Jean-Jacques Delmas, je doisdire que malheureusement, nous sommes en traind’imiter les erreurs des Quinze, comme le montre lafilière céréalière. Il n’y a pas de véritable débat sur le pro-ductivisme car nous savons très bien que la compétiti-vité mondiale est inévitable. C’est complexe, comme l’adit M. Buisson. Ainsi, les critères de la compétitivitépour la culture de l’abricot n’ont-ils absolument rien àvoir avec ceux des céréales.

Michel Baylac, agriculteur à Roquelaure: Sur les aides,je ne souhaite pas qu’on refasse une sorte de lutte desclasses Est-Ouest. En France aussi, nous avons connudes disparités. En 1992, par exemple, les aides à l’hec-tare n’étaient pas les mêmes d’un département à l’autre.Pour une même surface, un agriculteur de la Marnetouchait le double d’un agriculteur du Gers. Une diffé-rence qui a été globalement admise en raison des écartsqui existaient en termes de charges. Si la ferme hon-groise touche 40% de moins que la ferme françaiseou allemande, c’est qu’il y a sans doute une raison àcela. La réussite de l’Europe, c’est aussi la patience,une valeur attachée à l’agriculture.

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13e25 université d’été de l’innovation rurale

LECTURE DE LA JOURNEE

La PAC est morte,vive la PAC ?!

Quelqu’un qui arriverait ici par hasard pourrait sedemander qui est mort et quand ? On peut d’autantplus se le demander que la plupart des cerclesd’échanges s’est refusé à considérer la fin de la PAC,ne suivant pas tout à fait le jeu qu’avait proposé la Mis-sion Agrobiosciences. Cette réticence doit signifier qu’ily a là une dimension symbolique ou identitaire assignéeà la politique agricole.À l’inverse, on peut se demander quand sont nées lespolitiques agricoles. Il faut pour cela revenir longtempsen arrière, à l’époque de la première mondialisation, auXIXe siècle. L’économie était alors largement agricole,l’agriculture orientant très largement le développementde l’industrie chimique. Au cours de cette période dedéveloppement économique, il existait peu de poli-tiques agricoles nationales. Seules se sont progressi-vement construites des régulations du marché desmatières premières, principalement au niveau inter-national et sur la base de grandes organisations secto-rielles. À partir des années 30, Keynes, comme d’autresgrands économistes, a élaboré un schéma de régula-tion internationale des marchés agricoles, dont le dys-fonctionnement a contribué à la crise de 1929, carc’est là que le problème se posait à l’instar du marchédes matières premières. Pourquoi les marchés agri-coles ne peuvent pas se réguler tout seuls ? Tout sim-plement parce qu’il faut des stocks pour assurer lacontinuité de la production et la sécurité des approvi-sionnements alimentaires. Ces stocks supposent uneprise de risque financier que les agents économiquesne veulent pas assumer, faute d’incitation. Sans régu-lation, les marchés agricoles sont donc erratiques.Le problème, c’est qu’en 1947, lorsque le GATT a étécréé pour harmoniser les règles des échanges inter-nationaux, l’agriculture en a été exclue. Un fait trèsimportant car c’est sur cette base que se sont consti-tuées des politiques agricoles à l’échelle nationale.Celles-ci se sont fondées sur deux grands principes :celui de l’autonomie alimentaire et celui de la mobili-sation des facteurs de production (pour rendre cesderniers plus mobiles(1)) - ce qu’on a appelé la moder-nisation. Les politiques agricoles nationales ne datentdonc que du milieu du XXe siècle(2).Quand il s’est agi de rédiger le Traité de Rome, l’objectifpremier était d’instaurer le marché commun. Et c’estbien pour remplir cet objectif que la politique agricoleest apparue indispensable, afin de placer les agricul-

teurs et les consommateurs dans les mêmes condi-tions. Sans elle, pas de marché unique du travail ni del’industrie. La politique agricole européenne ne doitdonc son existence qu’à la volonté de créer le MarchéCommun. Et finalement, je conçois la PAC comme unesorte de politique nationale, au sens où il y a archéunique et recherche d’autonomie alimentaire.Que signifie la fin des politiques agricoles ? Nos deuxdéputés européens l’ont bien dit : la question ne peutpas être de supprimer le marché unique. Aussi aurons-nous toujours besoin de certaines politiques, dont cellede l’agriculture. S’agit-il alors de supprimer les instru-ments de la PAC, qui sont la régulation des marchés(premier pilier) et la régulation des externalités ainsique la modernisation structurelle (deuxième pilier) ?Comme nous avons surtout parlé de la régulation desmarchés, il s’agit donc en clair de supprimer ou demodifier le premier pilier.Lorsqu’on cherche à dater la mort de la politique agri-cole, au sens restreint de la régulation des marchés, onmet toujours en avant le symptôme, à savoir la ques-tion budgétaire. Cela a été le cas dans les années 80,période à laquelle certains font remonter la mort de laPAC, avec la mise en place des quotas laitiers (1984)puis du plafonnement des dépenses de régulation dumarché des céréales (c’est aussi en 1985 qu’est créél’instrument des Mesures agro-environnementales,mises timidement en œuvre en France depuis 1991).Une autre date a été avancée dans le cercle dans lequelj’étais :1989. Le mur de Berlin s’écroule et, rapidement,il est question d’un nouvel ordre mondial qui débouchesur la création de l’OMC, en 1994, dont les principesinspirent la réforme de la PAC de 1992, cette dernièreayant été mise en œuvre par étapes jusqu’au décou-plage de 2003. D’autres dressent l’acte de décès à unmoment ou un autre de la longue crise budgétaire de1992 à 2003. Une série de réformes comme autant devains remèdes qui génèrent à leur tour des effets secon-daires.Finalement, qu’est-ce qui a changé depuis Keynes et lesannées 30 ? Ce qui a changé, c’est la différenciationdes marchés et le rôle des normes en termes de qua-lité ou de sécurité sanitaire… Et, en fait, au niveau inter-national, il y a déjà des formes de régulation à la foisprivée et publique. Lorsque l’enseigne américaine degrande distribution Wall Mart, première entreprise mon-diale, choisit telle ou telle politique de référencement, ellepratique une normalisation et une régulation des mar-chés ! Des marchés qui sont même désormais très for-tement régulés ou contrôlés, et pas seulement par lesgrandes firmes. Des forums internationaux qui, endehors des États, réunissent tant les firmes internatio-nales que les représentants des producteurs et desassociations de protection de la nature, comme WWF,édictent aussi des normes qui organisent le marché.

Par Gilles Allaire, directeur de recherche Inra.

(1) Les agriculteurs quitardent à prendre leurretraite limitent lamobilité du travail. La terre est certesimmobile par nature,mais l’investissementqui « artificialise » lemilieu peut être assimiléà une mobilité.

(2) Avant ladécolonisation, ils’agissait plutôt, eneffet, de politiques« impériales ».

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SUPPOSONS… LA FIN DE LA PAC

13e26 université d’été de l’innovation rurale

Sans oublier des accords relevant de l’OMC, tels quel’APDIC, sur la protection des droits intellectuels dontrelèvent les produits sous indication géographique. Nousne sommes donc plus du tout dans un système de mar-ché de matières premières, comme c’était le cas àl’époque de Keynes, mais dans un système beaucoupplus complexe, avec des formes de régulation hybrides,qui mettent notamment en avant, ne serait-ce que pourprévenir les contestations, des normes environnemen-tales et une référence au développement durable.En revanche, aucun de ces nouveaux standards nerègle par lui-même la question du territoire et du déve-loppement local. Cet espace là peut donc être occupépar des politiques nationales ou européennes, se pré-occupant d’aménagement des territoires…Nous sommes donc effectivement en train de vivre lafin des politiques agricoles telles que nous les avonsconnues au tournant du XXe siècle, avec un change-ment d’échelle des questions de régulation : d’un côtéla régulation territoriale relevant de politiques natio-nales ou européennes, de l’autre celle de nouveauxmarchés très différenciés, désormais largement inter-nationalisée. ■

CHIFFRES, DEFINITIONS, REPERES…

Les grandes étapes de la PAC

Les principes fondateurs. La crainte des pénuries ali-mentaires a conditionné, à l’origine, la priorité donnée àl’agriculture par la politique européenne. La conférencede Stresa, du 3 au 12 juillet 1958, entre les six Étatsmembres de la CEE, a fixé les grands principes de laPAC:- Unicité des prix sur le marché interne,- Solidarité financière entre les États,- Préférence communautaire concernant les produits.L’article 39 du Traité de Rome en énonce les objec-tifs : accroître la productivité, assurer un niveau devie équitable aux agriculteurs, stabiliser les marchés,garantir la sécurité des approvisionnements, assurerdes prix raisonnables aux consommateurs. Elle s’estnotamment structurée en 21 Organisations Com-munes de Marché (OCM) principalement pour lescéréales, produits laitiers et viandes bovines. La PACest l’une des politiques les plus intégrées de l’Unioneuropéenne.

Le tournant de 1992 : soutenir le revenu des agricul-teurs. Les réformes qui se sont succédé à partir desannées 80 et jusqu’en 1999, ont eu pour objectifd’adapter la PAC au nouveau contexte mondial, decontinuer à réguler les quantités produites et les prix,à renforcer la compétitivité du secteur, à mieux maîtri-ser les dépenses de l’Union européenne et, enfin, avecla réforme dite « Agenda 2000 », à préserver et valori-ser l’environnement rural ainsi qu’à répondre aux nou-velles attentes des consommateurs. Le versementd’aides directes a pu ainsi, au gré des États, être condi-tionné au respect de règles environnementales.Mais c’est surtout la réforme de 1992 qui a introduit untournant majeur, faisant passer la PAC d’un systèmefondé sur la garantie et la stabilité d’un prix minimumdes produits agricoles, à un soutien au revenu des agri-culteurs, reposant en partie sur des aides directes. Ils’agissait en effet d’assurer une plus grande compéti-tivité de l’agriculture européenne en se rapprochantdes prix mondiaux par la diminution des prix de sou-tien, compensée par les aides directes, dites paiementscompensatoires.

2003 : pour se mettre en règle avec l’OMC. Principale-ment motivée par le souci de se « mettre en règle » parrapport à l’OMC, la réforme de 2003, dite « compromisde Luxembourg », a mis l’accent sur la rigueur bud-gétaire, rendue d’autant plus nécessaire que dix nou-veaux Etats membres rejoignent l’UE.

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SUPPOSONS… LA FIN DE LA PAC

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Cette réforme a instauré le découplage des aides directespour continuer à soutenir le revenu des agriculteurs touten évitant une distorsion de concurrence sur leséchanges internationaux, que condamne l’OMC. Lemoyen : la création d’un Droit à paiement unique (DPU)par exploitation, indépendamment de ses choix de pro-duction et, même, sans que celle-ci soit obligée de pro-duire. Le DPU remplace ainsi, en partie ou totalementselon le choix des États (on parle alors de découplagepartiel, comme en France, ou total, comme en Italie surle blé dur), les fameux paiements compensatoires.Cette nouvelle forme de soutien est calculée sur la basedes aides que les agriculteurs ont reçues de 2000 à2002. C’est ce qu’on appelle la référence historique.Enfin, cette réforme crée l’obligation de subordonner lesaides directes – DPU et montants compensatoires – aurespect de normes environnementales ainsi qu’enmatière de santé des animaux et des végétaux et dubien-être animal.

Des dépenses gérées par des fonds spécifiques. LeFEOGA, Fonds européen d’orientation et de garantieagricole, a longtemps été le principal instrument finan-cier de l’Europe communautaire, créé dès l’origine dela PAC, en 1962. Il regroupait deux volets : la section« garantie », qui finance la politique des marchés et desprix, et la section « orientation » qui encourage lesinvestissements liés au développement rural.Depuis 2005, un règlement européen a remplacé leFEOGA par deux fonds distincts :le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et leFonds européen agricole pour le développement rural(FEADER). Ce règlement est effectif depuis le 1er jan-vier 2007.

Dépenses budgétaires agricoles dans l’Union euro-péenne à 25 : 48,1 milliards d’euros en 2004. Ellesrecouvrent les dépenses du FEOGA et concernent pour84% le 1er pilier : les aides directes versées aux agri-culteurs ainsi que les soutiens indirects (restitutions auxexportations, dépenses d’intervention, aides à l’écoule-ment de produits agricoles sur le marché intérieur).Le solde, 26%, est affecté au 2e pilier, qui concerne lesmesures agri-environnementales et les aides aux zonesdéfavorisées.Ces dépenses représentent 42 % du budget total del’UE et sont en baisse depuis plusieurs années.La France en est la première bénéficiaire. Contribuantà 19,6 % de la production agricole de l’UE à 25, elle aperçu 19,8% des dépenses du FEOGA en 2004. Vien-nent ensuite l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et leRoyaume-Uni.En moyenne, les exploitations professionnelles ontperçu, en France, 24 900 €/exploitation, avec cepen-dant de grandes disparités selon les filières (sourceRICA). ■

Superficies agricoles utilisées : 183,6 millions d’hectaresTaille moyenne des exploitations : 17 hectares dans l’Union à 25,

75 hectares en Bulgarie,3 hectares en Roumanie.

Nombre d’exploitations (hors forêt) : 15 millionsNombre d’actifs agricoles : 13,8 millions

(agriculture, sylviculture, chasse et pêche)Part de l’agriculture dans le PIB : 1,6 % du PIB de l’Union à 25

11,8 % en Bulgarie8,1 % en Roumanie

Part de l’agriculture dans l’emploi : 5,2 % dans l’Union à 2510,7 % en Bulgarie32,6 % en Roumanie

Sources : RICA et Eurostat 2003-2004

L’agriculture dans l’Europe des 27

Les principaux chiffres de la PAC

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Il y a comme un état de manque. Sil’Europe ne connaît plus que de loin-tains souvenirs de disettes, la haussedes prix agricoles mondiaux agitcomme une crampe à l’estomac etrisque bel et bien d’affamer des pansentiers d’une population mondiale quicontinue de croître. De fait, tant qu’ily aura des mangeurs, il faudra bienproduire de quoi les nourrir. Unecrainte de la pénurie qu’alimentent lestensions sur les ressources naturelleset énergétiques et les défaillances d’unmarché soumis aux aléas climatiques,à la faiblesse des stocks et aux spé-culations financières. Où l’on constateque le manque est aussi du côté dupolitique : c’est la régulation qui faitdéfaut, la clarté des objectifs, l’intelli-gibilité des intentions que résumeraitune politique alimentaire commune,territoriale et environnementale : une« PACTE » construite collectivement,sur la base d’un contrat où se négo-cient les fonctions nouvelles que doitassumer l’agriculture européenne.Tout cela serait malgré tout bien labo-rieux s’il n’y avait cet autre effet dumanque: attiser le désir.

REPERONS…LA FAIM D’AGRICULTURE

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REPÉRONS… LA FAIM DE L’AGRICULTURE

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Relecture

Penser l’Europe pourvouloir son agriculture…Par Olivier Lazzarrotti. Géographe, professeur à l’universitéde Picardie Jules-Verne, responsable du projet « Habiter-PIPS » et membre de l’équipe Mobilités Itinéraires Tourismesde l’université Paris 1. Auteur de plusieurs livres dont « Lesloisirs à la conquête des espaces périurbains » aux Editionsl’Harmattan (1995), « habiter, la condition géographique »aux éditions Belin (2006) et co-auteur de l’ouvrage collectif« Le tourisme. Acteurs, lieux et enjeux », édité chez Belin enmai 2003.

Hier, nous avons donc parlé de la fin de la PAC. Peut-être, aujourd’hui, pourrait-on inverser le regard pourse demander ce que la PAC nous dit du Monde(1) et,plus spécifiquement, ce qu’elle dit de nous. Puisquel’entrée géographique est ici privilégiée, nous pou-vons aborder cette question du point de vue des dif-férentes échelles qui ont, de manière implicite, croiséles propos. Parmi elles, j’en ai choisi trois, les plussimples et les plus importantes selon moi.

La France, un déficit d’autocritique. Considérons,d’abord, l’échelle française. La PAC y soulève résis-tance et contradiction. La résistance, parce que j’ail’impression que la France a, en général, du mal avecle changement et, particulièrement, avec le change-ment agricole. Ce pays est en effet l’un de ceux quis’est le plus construit sur des fondements terriens,sur la référence au sol et, de manière parfois outran-cière, sur la référence à la terre comme glèbe quipèse lourd dans notre culture. C’est également le paysqui a construit une part de sa citoyenneté sur la figuredu soldat-laboureur, allant jusqu’à inventer le per-sonnage de Nicolas Chauvin(2), dont est dérivé le chau-vinisme. C’est cet attachement particulier de notrepays à la terre que la suppression de la PAC remet encause symboliquement.Cela dit, les contradictions et les résistances que nousconnaissons masquent aussi un déficit d’autocritique.Nous avons évoqué hier, sans difficulté aucune, desaspects externes à l’agriculture. La question de lagrande distribution en est une. Elle réalise les plusgrandes marges au détriment des producteurs et consti-tue l’une des sources du mécontentement paysan. Enrevanche, nous avons peu évoqué l’existence d’unehiérarchie socio-professionnelle à l’intérieur même dela profession. Les agriculteurs ne forment pas un blochomogène, où tous seraient uniformément victimes,ou au contraire uniquement profiteurs. Au sein dumonde agricole, il y a des dominants et des dominéspour reprendre une terminologie un peu désuète. Avec

la PAC, les dominants sont devenus encore plus domi-nants. C’est cette critique-là qu’il conviendrait de por-ter et sur laquelle il nous faudrait réfléchir. D’autantque résident là de fortes contradictions. Car, quandmême, on peut difficilement nier que la France est lepays qui a le plus bénéficié de la PAC, financièrementet économiquement. Et pourtant, c’est la France aussiqui a rejeté l’Europe en 2005, à l’occasion du référen-dum sur le traité constitutionnel. Ce refus a ses rai-sons, mais il est nourri de divers fantasmes qui secristallisent à l’occasion de la remise en cause de laPAC. Ils font aussi craindre qu’une telle manière col-lective de poser les problèmes fasse encore obstacle àune approche sensée et raisonnable qui reste, à cejour, la meilleure chance de règlement des problèmes.

L’Europe, des enfants gâtés aux horizons du futur. Ladeuxième échelle apparue est celle de l’action, autre-ment dit l’Europe. À ce niveau, les attaques contre laPAC font émerger d’autres contradictions, liées à l’élar-gissement de l’Europe. Une Europe à vingt-sept, c’estun phénomène historiquement inespéré, une oppor-tunité fabuleuse, mais qui a bouleversé l’équilibre desrelations entre les pays communautaires et soulevé lesproblèmes que posent les écarts importants entre lesEtats membres. Certes, ce n’est pas totalement nou-veau, car nous avons déjà vécu ces décalages avecl’entrée de l’Espagne ou de la Grèce. Mais l’ampleurdu fossé avec certains pays est tout de même inédite.Il nous faut traiter cette question des inégalités etrendre cette Europe viable. Est-il encore envisageablequ’une même politique s’applique, comme par lepassé, à l’ensemble des territoires ?De fait, cette ouverture européenne crée une multi-plicité de modèles possibles là où, en matière de poli-tique agricole, il n’en existait qu’un. Nous avons ainsiévoqué plusieurs de ces grands modèles : celui dulibéralisme défendu par la Grande-Bretagne, celui ducofinancement et, enfin, le modèle proposé par laFrance qui se retrouve isolée, puisqu’elle est la seuleà vouloir un modèle pour tous dont aucun autre neveut ! Situation particulière et quelque peu gênante.Cette Union à vingt-sept voit également se multiplierles opérateurs européens, autrement dit ce par etavec quoi l’Europe a été faite. Nous ne pouvons pasfaire l’économie d’une réflexion sur les deux guerresdu début du XXe siècle qui ont donné naissance, dansles décombres, à une Europe construite sur le pilierde l’amitié franco-allemande. C’est là le premier opé-rateur. Puis viennent deux autres : l’industrie et l’agri-culture d’une part, la monnaie unique de l’autre. Ilen reste un quatrième à réaliser : la politique. C’estaujourd’hui la question fondamentale de l’Europe, quisecondarise du même coup celle de l’agriculture.Cette dernière n’est plus prioritaire.

(1) Pour distinguer le« monde », nomcommun, du« Monde », objetgéographique dedimension unique, il estdésormais convenud’utiliser la majuscule.

(2) Nicolas Chauvin estun soldat paysanimaginaire qui incarneun patriotismeexacerbé. D’après cemythe historique, ilserait né autour de1790 à Rochefort etaurait servihéroïquement dans lesarmées de Napoléon 1er.Il est rapidementdevenu un personnagede comédie, objet decaricature.

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En revanche, le rapport aux produits agricoles et ali-mentaires nourrit les tensions européennes… Nous vivons une époque formidable. Je suis né en1959 et, pour cela, n’ai jamais fait la guerre. Il estexceptionnel, dans l’histoire du Monde et ce, depuisla dernière glaciation, qu’une génération ait vécuexclusivement en temps de paix. Mieux, je mange àma faim, parfois trop d’ailleurs, ce qu’on me reproche.Nous devons, impérativement, mesurer la préciositéet la rareté de cette situation. Mes parents sont encorevivants. Les relations entre générations peuvent exis-ter. Nous sommes vraiment des enfants gâtés de l’hu-manité. Et tout ça, c’est grâce à l’Europe et, en partie,à la PAC. Du coup, on ne se pose même plus la ques-tion de l’alimentation. La dernière disette françaisedate des années 1850 alors que l’histoire « normale »du Monde est ponctuée de femmes et d’hommes quimeurent de faim. Cela ne signifie pas pour autant quenous allons conserver notre politique agricole commeun patrimoine immémorial. Mais il est important derappeler que nous vivons dans une société d’abon-dance. Entrez dans un supermarché et voyez la pro-fusion inimaginable de biens.L’agriculture est-elle, pour autant, une activité du tropplein ? Cela n’est pas sûr, en particulier si l’on prenden compte les possibilités d’évolution générale de laproduction agricole, tout autant que celles de sesobjectifs. Le rapport même aux produits alimentairespourrait changer. On peut imaginer passer de la notionde nourriture à celle d’aliment, faisant de la questionde la qualité des produits, via la « santé », la préoc-cupation prioritaire. De même, on pourrait aussi assis-ter à un renversement d’usage, qui ferait des produitsagricoles, des produits énergétiques. Ainsi, on peutpenser que l’horizon de l’agriculture européenne pour-rait bien, à terme, s’ouvrir.

Le Monde : angoisses et peurs. La troisième échelle quime semble importante, c’est celle du Monde. Elle estcelle des angoisses et des peurs qui se cristallisent, àla fois à tort et à raison, sur deux éléments. L’un toucheà l’environnement, au développement durable ; l’autre,c’est le libéralisme. Ce dernier constitue bel et bienune idéologie. Elle se résumerait en une simple loi dumarché, sauf que la loi du marché n’est jamais« simple », parce que, comme certains, parmi les-quels P. Bourdieu n’est pas des moindres, l’ont faci-lement montré, les acteurs du marché n’ont pas lemême poids.Le libéralisme, représenté par l’approche l’OMC, obéità une logique purement comptable. Hier, l’un d’entrevous a dit que la mondialisation et la libéralisationdes échanges permettaient d’acheter en Europe cequ’il était interdit d’y produire, notamment pour desraisons écologiques et sociales. C’est effectivement

REPÉRONS… LA FAIM DE L’AGRICULTURE

13e30 université d’été de l’innovation rurale

une manière de fonctionner qui inquiète parce qu’elleredéfinit totalement la géographie des avantages com-paratifs, le plus souvent aux détriments de pays sou-mis à de strictes réglementations. Or, cela génère destransferts énormes à l’échelle de la planète, des chan-gements radicaux en termes de localisation des acti-vités de production.L’environnement et le développement durable consti-tuent eux aussi une idéologie comme l’a montré ledémographe Hervé Le Bras en 1994 dans Les res-sources de la planète(3). Pour autant, il ne faut passous-estimer les arrière plans politiques et les tensionsqu’ils génèrent, à l’image de la question des OGM.D’autant que ces notions ne sont pas exemptes d’am-biguïtés : nous ne savons pas trop ce qu’est l’environ-nement et ce qu’il recouvre ; l’idée d’une agriculture« respectueuse » de cet environnement bute égale-ment sur le sens à donner au respect. Et l’on peut direla même chose de l’agriculture « raisonnée ». Ajoutez-y les relations à la science, faites d’espérance ou desuspicion, et vous comprendrez que les analyses exis-tantes sont souvent embrouillées par l’affectif.

Que proposez-vous ? Alors, faut-il supprimer la PAC ?J’ai retenu plusieurs arguments. Ceux en faveur d’unesuppression ne manquent pas. Le premier est demauvaise foi - je provoque sciemment -, c’est celui del’anti-productivisme. Comme si la PAC était la causeunique et directe du productivisme en France et enEurope ! Comme si la France et l’Europe étaient lesseuls ensembles à avoir développer une agricultureproductiviste ! Mais, au fond, demandons-nous plutôtqui cette politique agricole dérange. Et qu’est-ce quel’on propose d’autre ? Je n’ai pas entendu beaucoup

(3) LE BRAS, Hervé(1994). – Les limites dela planète. Mythes de lanature et de lapopulation. Paris,Flammarion, 350 p.

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de pistes en la matière et moi-même, je n’en ai pas.Pourtant, il ne faudrait pas que l’argument de la cri-tique, sur lequel tout le monde se retrouve, masqueles propositions. Cette absence de parole traduit, nonpas une absence d’idées sur la politique agricole com-mune, mais sur la politique européenne en général.Quel est notre projet pour l’Europe ? Pour formuler unprojet, nous devons avoir une vision géostratégique duMonde. Nous devons penser les problèmes de l’Eu-rope par rapport au Monde. Où vont passer ses lignesde force ? Comment s’articulent les différenteséchelles ? Quelle va être la place de notre espaceeuropéen là-dedans ? Et, question subsidiaire, quelrôle et quelle place l’agriculture va-t-elle jouer à l’in-térieur de cette vision stratégique ?En conclusion, et pour signaler à quel point touteéchelle est désormais emboîtée dans les autres, jevoudrais revenir sur la question du développementdurable qui me semble extrêmement importante. Au-delà des aspects moralisants, un énorme enjeuest en train de prendre forme dans le Monde contem-porain : la lutte pour les énergies. Il y a là un affronte-ment gigantesque entre le « bushisme », qui est uneversion néo-conservatrice fondée sur le monopole dupétrole, et certaines structures qui fondent leur réflexionsur les solutions alternatives. Les tenants du pétrolesont prêts à faire la guerre pour continuer à faire tour-ner leur business et nos voitures. Dans ce contexte, ledéveloppement durable constitue une alerte, sous-tendue par des intentions politiques ou philanthro-piques : « Attention, le Monde tel qu’il se construitencore est un Monde qu’il faut renouveler ». Il pose laquestion des énergies pour redessiner la carte duMonde et les rapports entre ses différentes régions.C’est dans cette perspective, à mon sens, que doitêtre pensée la problématique de l’agriculture commemodèle de développement et source d’énergie. ■

EXPOSE INTRODUCTIF

Pour une PolitiqueAlimentaire Commune.Par Lucien Bourgeois. Conseiller du président del’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, il dirigeau sein de cette structure les études économiques et laprospective. Membre de l’Académie d’Agriculture, ancienPrésident de la Société française d’économie rurale quiporte la revue du même nom, Lucien Bourgeois n’hésitepas à prendre la plume pour exprimer ses convictions.Citons notamment « La sécurité alimentaire, une affaired’État », dans la revue Futuribles (janvier 2007) ainsi que sesnombreux articles dans les revues « Chambresd’Agriculture » et « Paysans ».

Ce matin, la Dépêche du Midi, comme bien d’autresjournaux, consacrait toute une page à l’augmentationdes prix alimentaires mondiaux et à l’inquiétude desconsommateurs. Ce n’est pas rien. Impossible en effetde ne plus acheter à manger : nous sommes obligéspour survivre de nous nourrir quotidiennement, et ceplusieurs fois par jour, ce qui nous rend évidemmenttrès attentifs à la moindre tension sur les prix et surl’approvisionnement des produits agricoles et alimen-taires. Or ce que nous vivons aujourd’hui, c’est plusqu’une tension localisée. Il s’agit d’une crise sur lesmarchés mondiaux, due à une pénurie temporaire decertains produits de base : le blé a augmenté en un ande 50 %, le maïs et l’orge de 30 à 40 %. Plus rare, lebeurre et la poudre de lait ont vu leur prix flamber. Per-sonne n’aurait parié, il y a un an, que ces derniersconnaîtraient un tel renchérissement, qui se répercutesur les viandes et les produits transformés.Certes, nous avons connu par le passé de semblablespénuries assorties d’inflation. En 1952, au moment dela guerre de Corée. En 1972, lors du premier chocpétrolier. Aujourd’hui, les raisons en sont multiples :mauvaises récoltes dues à la sécheresse en Australie,hausse de la demande en Chine et en Inde, captationd’une partie des stocks pour les biocarburants… LesÉtats-Unis ont ainsi consacré un quart de leur maïs àla production d’éthanol, le tout pour atteindre seulement3 % de leurs besoins en carburant. D’ailleurs, mêmes’ils utilisaient à cette fin l’intégralité de leurs récoltes demaïs, ils n’économiseraient que 12 % de leur consom-mation d’essence ou de diesel. En attendant, faute dequantités suffisantes pour l’alimentation animale ethumaine, la crise est là. Certains pourraient rétorquer :laissons faire le marché, il va restaurer les équilibres.Pour ma part, j’ai tendance à penser que les réservoirsdes 4X4 des pays riches seront toujours plus solvablesque les estomacs des habitants des pays pauvres.

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Du coup, qu’a-t-on fait en 1992 ? Eh bien, nous avonscopié nos amis américains, même si leur modèle nemarche pas très bien. Le raisonnement sous-jacent estle suivant : dans la mesure où l’Europe emboîte le pasdes États-Unis, ces derniers ne pourront plus nouscontrer au sein de l’Uruguay Round, ses défauts étantles nôtres, « et voilà pourquoi votre fille est muette ».Nous avons donc signé les accords de Marrakech,ceux-là même qui, en avril 1994, concluant le cycleUruguay, créent l’OMC en remplacement du GATT et,surtout, intègrent désormais l’agriculture dans le champde ces négociations. Depuis, nous continuons à singerles Américains, de manière plus ou moins fidèle, avecsept ans de retard et un manque total d’analyse.En revanche, nous avons quand même marquéquelques points. Ainsi, nous avons fait une PAC for-midable pour les industries agro-alimentaires, per-mettant à l’Europe de gagner la bataille sur les produitstransformés et les exportations agro-alimentaires, sehissant devant les Américains en 2006. Cette mêmeannée, notons que ces derniers ont d’ailleurs aban-donné les négociations du cycle de Doha. Ce n’estpas un hasard, donc, si la première puissance indus-trielle agro-alimentaire, Nestlé, est en Europe… Saufqu’elle se situe en Suisse ! Ce pays a tout compris dufonctionnement de la PAC et sait parfaitement se ser-vir de l’Union européenne : on vit très bien à l’abri d’ungéant, qui plus est lorsqu’on fait de la concurrencefiscale.

Malthus, le Monde et la Méditerranée. Comment recons-truire un dispositif cohérent ? D’abord en prenantconscience que le monde n’est pas à l’abri des crises.Nous n’avons plus que 111 millions de tonnes de bléen stock, soit 66 jours seulement de réserve au planmondial. Une marge de manœuvre très faible pourfaire la jonction entre deux moissons. Nous sommes àla merci du moindre événement météorologique,cyclone ou sécheresse. Et dans ce contexte, en termed’alimentation, Malthus revient au galop. Je vous rap-pelle que cet économiste observait l’élimination phy-sique des pauvres, dans l’Angleterre de la fin du XVIIIe

marquée par de mauvaises récoltes. Je crois malheu-reusement qu’aujourd’hui, à l’échelle du Monde, cetteélimination physique a tendance à s’appliquer. Ras-surons-nous, la riche Europe n’a pas grand chose àcraindre. Sur ce point, je vous renvoie à un excellentlivre sur les « Génocides tropicaux » écrit par MikeDavis, un universitaire américain. Il montre notammentque lors des épisodes de grande famine qui frappaientl’Inde Britannique – cinq millions de victimes en 1877,deux millions en 1943 - le Royaume-Uni continuait des’y approvisionner sans aucun problème en céréales,qu’il acheminait par chemin de fer de tout le sous-continent.

Le marché se révèle bien imparfait pour résoudre cetype de problèmes et il ne faudrait pas que nous pen-sions que le libéralisme est la doctrine du « laisser-faire ». Car pour être efficace, le marché a besoin decertaines conditions précises - transparence de l’infor-mation, libre entrée sur le marché, atomicité desagents…- auxquelles l’État doit veiller. La concurrencelibre et parfaite nécessite une autorité. Or, au niveaumondial, il n’y en a pas. Je ne vois donc pas commentle marché mondial pourrait fonctionner correctementet répartir les richesses. Seule l’intervention politique està même d’asseoir les grands équilibres.

Quand l’Europe était au pied du Mur… Pour revenir àl’échelle européenne en revisitant l’histoire, je souhaiterappeler qu’à la fin du XIXe siècle, aucun Etat, pasmême la France, n’avait pour projet d’instaurer unepolitique agricole et encore moins d’assurer un revenuaux agriculteurs. Le souci majeur, à cette époque là,consistait à pacifier le monde paysan, par peur desrévoltes et autres jacqueries. Dans ce but, il s’agissaitalors, notamment, de préserver les agriculteurs d’unecertaine forme d’agressivité du marché, de les tenir àl’écart des grands mouvements sociaux et de les faireadhérer à la République. D’où la création du Ministèrede l’Agriculture (1881) et la mise en œuvre de mesuresprotectionnistes à travers les lois Méline (1892). Para-doxalement, c’est lorsque l’abondance devient la règleque les pouvoirs publics commencent à se préoccu-per réellement de politique agricole. En la matière, legrand tournant se situe dans les années trente, lors-qu’on s’est aperçu que les crises industrielles pou-vaient aussi affecter le bon fonctionnement del’agriculture. Et là, l’initiateur de génie se nomme Frank-lin Roosevelt. C’est lui qui a eu l’idée de mettre lesproduits agricoles à l’abri des excès de l’économie demarché, et de mettre en place des mesures de soutiendes marchés et de régulation de la production commele gel des terres.En France, ce sont plutôt l’après-guerre et la décoloni-sation qui nous ont obligé à changer nos façons depenser. Il fallait trouver d’autres méthodes que l’occu-pation coloniale pour approvisionner les marchés. Celanous a conduit à faire l’Europe, mais toujours pas la poli-tique agricole commune : le traité de Rome a été signéen 1957 et la PAC n’est née qu’en 1962. De fait, il a falluqu’une nécessité historique intervienne : nous avonsattendu que l’Europe soit coupée en deux par un rideaude plomb, en 1961, pour nous décider à agir en matièred’agriculture, contre Staline et l’URSS. Bref, il a fallu quenous soyons mis au pied du mur… Mais une fois cemur tombé, en 1989, nous sommes devenus orphelinsd’ennemis. Depuis, nous avons du mal à reconstruirel’Europe sur un autre pilier que la réconciliation franco-allemande et le péril de l’Est.

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REPÉRONS… LA FAIM DE L’AGRICULTURE

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Nous vivons la même chose aujourd’hui : il n’y a pas decrise réelle pour nous mais une crise possible pour leMonde, qui connaît déjà 850 millions d’humains souf-frant de sous-nutrition et deux milliards souffrant decarences alimentaires. À côté de cela, dans les paysdéveloppés, on dénombre un milliard de personnesconcernées par l’obésité. Curieusement, les pays qui encomptent le plus – États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande… - sont ceux-là même qui prônent la libéra-lisation des marchés agricoles.Enfin, ainsi que le souligne fréquemment Bertrand Her-vieu, n’oublions pas que l’Europe est en contact directavec la région méditerranéenne: une vingtaine de pays,500 millions d’habitants dont 260 millions hors de l’UEpour lesquels la question alimentaire est là aussi cru-ciale. Avant de gloser sur l’OMC ou une hypothétiquegouvernance du monde, commençons par prendreconscience que l’ensemble euro-méditerranéen, richede 760 millions d’hommes, mérite que l’on réfléchissesérieusement à la production alimentaire.

À première vue, rien ne change dans cette PAC que jevous propose, et dont pas une initiale n’est modifiée.Sauf qu’elle désigne une Politique Alimentaire Com-mune, qui nécessite une politique volontariste et laréinvention d’une construction collective. D’abord parceque nos entreprises agroalimentaires constituent tou-jours notre premier secteur industriel aussi bien enFrance qu’en Europe. Ensuite parce que notre culturealimentaire a permis de développer toute une chaîne deservices et de commerces basés sur la gastronomie,pourvoyeuse d’emplois. Pourquoi ne pas inventer undispositif astucieux qui inclue également ces secteurs ?Enfin, plutôt que de songer à renationaliser la PAC,réfléchissons à la complémentarité qui peut existerd’une part entre les 500 millions de consommateurseuropéens et les producteurs agricoles. D’autre part,entre l’espace communautaire et nos voisins du Sud,pour élaborer un système euro-méditerranéen, garan-tissant la sécurité des approvisionnements et le main-tien des cultures alimentaires locales, prémices,peut-être un jour, d’une politique alimentaire communeau plan mondial. Mais je n’ose pas y songer. ■

EXPOSE INTRODUCTIF

Agriculteurs, saisissez-vous des questionsenvironnementales !Par Michel Griffon. Conseiller pour le développementdurable au Cirad, président du Conseil scientifique du Fondsfrançais pour l’environnement mondial et de l’Institut d’étudesdu développement économique, responsable dudépartement écosystèmes et développement durable àl’Agence nationale pour la recherche… Michel Griffonbénéficie de la double compétence d’ingénieur agronomeet d’économiste. Fin connaisseur des politiques agricolesdes pays en développement, il a sillonné la planète, del’Amérique Centrale à l’Asie en passant par l’Afrique, parceque, selon lui, les avancées de la recherche ne sauraients’entendre sans débouchés concrets en termesd’applications et parce que la recherche doit se nourrir duterrain. Sur place comme au ministère de la Coopération oùil a exercé des responsabilités, Michel Griffon a mené denombreux travaux, sur les réformes de politiques agricolesà conduire et les politiques de recherche agricole à mettreen place. Toujours avec ce credo: un développement agricoledurable, écologique, plus productif et équitable pour lesproducteurs peut voir le jour. Il a d’ailleurs publié un livre surce thème chez Odile Jacob en 2006, « Nourrir la planète ».

État d’épuisement… Je souhaite évoquer l’avenir del’agriculture européenne et mondiale, mais particuliè-rement celui de l’agriculture française tel qu’on peutl’imaginer aujourd’hui en fonction des contraintes etdes opportunités qu’elle connaîtra probablement. Peut-on imaginer une agriculture qui reste suffisammentproductive pour couvrir les besoins alimentaires et éner-gétiques, tout en gérant l’environnement et le fonc-tionnement des territoires? Cette question se pose parceque la situation actuelle n’est pas durable et qu’elle lesera de moins en moins. Les grandes agricultures pro-ductives, sur tous les territoires de la planète – enFrance, au Brésil comme dans les zones de la révolu-tion verte en Inde – voient aujourd’hui leurs rende-ments plafonner. Par ailleurs, en raison de leur fortedépendance à l’égard de l’énergie, leurs coûts de pro-duction vont considérablement augmenter. Pensez àl’agriculture conçue sur le labour et voyez la quantité decarburant nécessaire pour le pratiquer à grande échelle.Si vous y ajoutez les engrais azotés, fabriqués essen-tiellement à partir de gaz naturel et à l’aide de hautestempératures, vous obtenez presque la moitié de laconsommation énergétique de l’agriculture… Par

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des agromatériaux, dans le secteur de la constructionet de l’isolation thermique par exemple, fabriqués àpartir de la biomasse telle que les résidus de cotondans certains pays. Enfin, ces dernières années, estapparue cette autre opportunité qu’est l’écotourisme,qui constitue un peu partout dans le monde - à la péri-phérie des parcs nationaux ou dans les régions quibénéficient de paysages remarquables - un moyenconsidérable d’augmenter les revenus des agriculteursle temps d’une saison ou deux par an.Pour répondre à ces contraintes et à ces opportunités,la recherche doit se mobiliser pour contribuer à chan-ger en profondeur les outils techniques, les modèlestechnologiques et, au-delà, les politiques d’accompa-gnement telles que la PAC.Cette nouvelle vague de technologies porte des nomsque vous avez déjà entendu : « agro-écologie », « éco-agriculture », « révolution doublement verte(1) »…D’autres termes vont fleurir tels que l’« agriculture àhaute valeur écologique » ou encore, dans le cadre duGrenelle de l’Environnement, l’« agriculture à hautequalité environnementale ». On emploie aussi parfois leterme d’« agriculture écologiquement intensive » quin’est pas toujours bien compris. Il désigne en fait uneagriculture, non plus intensive en produits chimiques,mais qui utilise au mieux le fonctionnement des éco-systèmes sans altérer leur renouvellement. D’une cer-taine manière, c’est une agriculture qui fait confiance auxcapacités productives naturelles du vivant. Quelquesexemples. De nombreuses agricultures traditionnelles,comme celle que nous avons connue au Moyen Age,sont fondées sur le labour pour détruire les mauvaisesherbes. Elles se sont perpétuées à travers une agricul-ture coûteuse en énergie qui a fait « table rase » des éco-systèmes. Le sol y est considéré comme un substratphysique sur lequel on prépare un lit de semences. Etcomme le labour a provoqué une baisse de la fertiliténaturelle des sols, on y adjoint des engrais. On y cultiveune espèce et une seule, sans mauvaises herbes. Ducoup, tant que la plante n’est pas sortie de terre, le soleilenvoie de l’énergie lumineuse sur un sol nu qui ne sertà rien en termes de production de biomasse. Vient laplante cultivée qui grandit, formant un immense tapisvégétal que l’on moissonne à maturité. Mais, une fois larécolte faite, le soleil continue, lui, à fournir de l’énergiesur un sol à nouveau nu, en plein été, là encore sansproduction de biomasse. Finalement, nous n’auronsutilisé qu’une partie de l’énergie solaire pour produire cescultures alors que la biomasse supplémentaire aurait pualimenter le sol en matière organique.

Traitement hormonal… Dès lors, que faire pour optimi-ser le fonctionnement de l’écosystème dans cedomaine particulier ? Dès la fin de la culture, il fautcouvrir le sol par une autre plante qui, utilisant le gaz

ailleurs, les autres engrais, tels que le phosphate et lapotasse, sont d’origine fossile et ont donc, eux aussi,une durée limitée à l’échelle de l’histoire de la planète :40 à 60 ans, au rythme et au coût d’extraction actuels.Au-delà de cet horizon, les gisements devenant demoins en moins accessibles, leur prix connaîtra unrenchérissement à l’instar du pétrole.Les traitements phytosanitaires n’ont guère plus d’ave-nir au sein du modèle agricole dominant que nousconnaissons : cultiver de mêmes variétés sur des cen-taines de milliers d’hectares, c’est fournir un espacerêvé pour les insectes, bactéries, virus et champignons,favoriser leurs mutations génétiques et leurs résistancesaux pesticides. D’où la véritable course aux armementsque livre l’industrie agrochimique contre les patholo-gies végétales. Une guerre de plus en plus sophisti-quée et onéreuse : il faut aujourd’hui dépenser 250 à350 millions d’euros pour développer une nouvelle molé-cule ! Du coup, certains groupes commencent à sedemander s’ils ne feraient pas mieux d’abandonnercette activité…De même, comment ignorer cet autre grand facteurlimitant qu’est l’eau ? Une ressource que consommenten abondance les grandes agricultures, au point quemême dans les régions du Monde où les précipitationssont abondantes, des conflits d’usage se font jour.Sachant que les scénarios en matière de changementclimatique prévoient, à l’horizon 2080, la généralisationdu climat méditerranéen sur la quasi totalité du territoirefrançais, il nous faudra bien affronter la question de l’ir-rigation et de la reconstitution des nappes phréatiques.Ailleurs, c’est la forêt qui menace de se réduire commepeau de chagrin, face à l’extension de très grandesexploitations. C’est le cas au Brésil où certains rêveraientde remplacer l’intégralité de la forêt brésilienne par dessurfaces de maïs et de soja. Où va-t-on? Nous sommesen train de détruire un des grands réservoirs de ladiversité biologique de la planète. Je vous rappelle quetous les spécialistes considèrent qu’à l’échelle de l’his-toire de la planète, nous vivons actuellement la sixièmeextinction massive des espèces vivantes, après cellequi a eu lieu pour les dinosaures, il y a soixante-cinq mil-lions d’années.

Intensifier… les processus naturels. Voilà un certainnombre de contraintes que nous devons gérer. Et noussommes mal partis pour le faire sérieusement. Mais ily a aussi des opportunités pour les producteurs agri-coles. Ainsi va-t-il falloir continuer à produire. Et mêmeà produire plus. Nous l’avons dit et répété : il faut faireface à un besoin de doublement de la production ali-mentaire mondiale pour nourrir les neuf milliards d’ha-bitants probables à l’horizon 2050. Et puis, l’agricultureva aussi devoir produire à des fins non alimentaires.Pour les biocarburants, inévitablement, mais aussi pour

(1) Cette expressioninventée par MichelGriffon fait écho à la« révolution verte » qui,dans les années 60, a consisté en unemodernisationaccélérée del’agriculture danscertaines régionspauvres du globe,basée sur les engrais,les pesticides, lagénétique et unepolitique agricoleincitative, pouraccroître la productivitéface à des situations depénurie alimentaire. Ce modèle s’est d’abordappliqué à l’Inde, puisgénéralisé à l’Asie,avant de s’exporteravec plus ou moins desuccès, en Amériquelatine et dans quelquespays d’Afrique. Trèsonéreux pour les États,ce processus a étéstoppé dans les années80-90. Une révolution« doublement verte »fait l’hypothèse d’unaccroissement desrendements qui nes’accompagnerait pasd’atteintes àl’environnement etd’une inflation descoûts.

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carbonique de l’atmosphère, l’énergie solaire et lespluies d’automne, produit une biomasse qu’il suffit delaisser se décomposer pour se transformer progressi-vement en humus : un élément de fertilité naturellesupplémentaire pour le sol où sera semée la plantecultivée l’année suivante. Des techniques sont en coursde développement pour optimiser ce processus natu-rel qui existe depuis la nuit des temps. C’est un exempled’intensification d’un phénomène écologique naturel.Autre exemple, de nouvelles pratiques culturales per-mettent d’éviter le « matraquage » des ravageurs pardes pesticides, tout en protégeant efficacement les cul-tures. Ainsi que le préconise Bernard Chevassus auLouis(2), des méthodes de défense « en profondeur »alliant par exemple différentes techniques de lutte pré-ventive et d’intervention biologiques, des résistancesvariétales, des mélanges de culture, peuvent être effi-caces. Mais il faut pour cela identifier tous les préda-teurs des insectes nuisibles et leur aménager leshabitats qui conviennent dans les haies ou les floresenvironnantes. D’autres choses tout à fait originalespeuvent être initiées pour les piéger, par exemple avecdes hormones sexuelles, qui permettent d’attirer lesravageurs dans un endroit où ils seront éliminés. C’estce qu’aux USA on appelle des trapps and killing zones :une technologie en passe d’être opérationnelle outre-Atlantique. À nous d’explorer cette voie à notre tour, etdès maintenant. Certains de ces procédés existent defaçon spontanée et empirique dans certaines régionsdu Monde, nécessitant peu de recherches agrono-miques. À minima, ils permettent de maintenir le niveauactuel de rendement. Mais, dans la majorité des cas,ils permettraient de les augmenter, tout en abaissant lescoûts de production, la facture énergétique et la pres-sion sur l’environnement puisqu’ils jouent sur les méca-nismes naturels. Cela dit, il ne faut pas pour autants’interdire totalement la guerre chimique contre lesmaladies et ravageurs : à condition qu’elle intervienneen dernier ressort, quand toutes les alternatives ont ététentées sans succès.

Le sang de l’écosystème. Au-delà même de la produc-tion de leur exploitation, les agriculteurs pourraient êtreà même de maintenir, renforcer, voire rétablir les grandséquilibres de l’écosystème, à travers des gestes que laplupart d’entre eux connaissent parfaitement. Ainsi,l’agriculture peut contribuer à lutter contre les incendiesdans certaines régions en opérant des éclaircies quicoupent les voies que le feu emprunte sous les ventsdominants. De même, pour lutter contre l’érosion dessols, il s’agit de placer des haies dans les endroits stra-tégiques, de reboiser des pentes, de créer des ter-rasses pour les cultures, d’utiliser des plantes pourassurer une couverture végétale qui protège le sol…Cette même couverture végétale permet de retenir l’eau

un peu partout dans le paysage, notamment grâce àdes plantations de zones ripariennes(3). Il s’agit alors,non plus de multiplier des barrages et retenues, maisde « penser » l’eau et sa circulation, car elle est « lesang » qui irrigue la vie de l’écosystème.Concernant la biodiversité, en plus de la réintroduc-tion de haies abritant des auxiliaires de l’agriculture,pourquoi ne pas multiplier les bandes enherbées quijouent le rôle de jachères apicoles et maintiennentl’existence de pollinisateurs ? De même, il relève dusimple bon sens que de créer des mosaïques de cul-tures et des rotations régulières plutôt que d’opter pourdes centaines de milliers d’hectares d’une seule espèce,voire d’une seule variété.Vous l’avez compris, un certain nombre de techniquesobéissent à de multiples usages en termes de gestionenvironnementale : la lutte contre les mauvaises herbeset les ravageurs, le maintien du carbone dans les sols,la biodiversité, la préservation de sources de qualité…Si vous y ajoutez une dimension esthétique, la miseen place de clôtures pour guider les animaux dans leszones d’élevage, l’entretien de sentiers de randonnéeet l’ouverture de gîtes, l’écotourisme peut se dévelop-per, venant compléter le revenu de l’exploitation. Autre-ment dit, je le répète : qui mieux que les agriculteurspeuvent connaître tous les ressorts d’un territoire donnépour en améliorer la qualité écologique et esthétiquetout en en restant très productif ?

Une recherche mobilisée, un contrat négocié. Tout celane pourra se faire sans une recherche forte et mobili-satrice. Elle doit approfondir les connaissances de la bio-sphère, cette mince pellicule de terre de 20 cm enmoyenne, complexe et fragile, où vraisemblablement150 000 espèces de bactéries travaillent à sa fertilité.C’est là que réside, tout simplement, le secret de la viesur Terre. De même, la recherche agronomique peutmettre au point des espèces végétales adaptées auxdéfis que j’ai énumérés. Par exemple en proposant desplantes ayant un enracinement profond pour travaillerle sol à la place des tracteurs et captant l’azote de l’at-mosphère.L’avancée de ces connaissances et la mise au point denouvelles pratiques ne doivent pas uniquement fairel’objet de travaux de laboratoire, dans les grands centresscientifiques. Les programmes de recherche que nousfinancerons dans l’avenir doivent faire appel aux com-pétences des agriculteurs, à leurs savoirs historiques,à leur expérience d’un territoire donné. Car, je le répète,personne n’est mieux placé qu’eux pour gérer, surchaque territoire, les grands équilibres du vivant pourle bienfait de l’ensemble de la société.Du point de vue de la politique agricole, au-delà desoutils que nous avons abordés hier, tels que l’assu-rance sur les revenus et le maintien d’une politique de

(2) Bernard Chevassusau Louis a été Directeurgénéral de l’Inra,président de l’AFSSA etdu Museum nationald’histoire naturelle,ainsi que vice-présidentde la Commission dugénie biomoléculaire.

(3) « Riparien » signifie« relatif aux rives d’uncours d’eau ou d’unlac ». Boiser cesbandes de terrecomporte beaucoupd’avantages au-delàmême du fait qu’ellesabritent une fauneimportante. Celastabilise en effet lesberges et freinel’érosion ; les brancheset leur ombre offrent uncouvert aux poissons etmaintiennent lafraîcheur de l’eau ; cesplantations filtrentégalement les eaux desurface, limitant lesexcès de contaminants.

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quota, j’insiste quant à moi sur le contrat qu’il fautrenouveler entre l’agriculture et la société. Au fond,c’est la société qui a demandé dans les années cin-quante aux agriculteurs français de relever le défi deproduire beaucoup plus afin de baisser les prix et d’ac-quérir la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, la sociétécomme les agriculteurs ont changé. Que demandons-nous ? Une agriculture suffisamment productrice, pro-tectrice des paysages et à haute valeur écologique.C’est aux agriculteurs de se saisir de cet enjeu. C’est làune posture radicalement autre que celle qu’ils connais-sent majoritairement aujourd’hui, en tant que cible desmouvements écologistes, bloqués psychologiquementdans une attitude de défense. Rester dans cette que-relle stérile avec les mouvements écologistes, c’estperdu d’avance.Au lieu d’être sommé d’être le payeur, parce que pol-lueur, le monde agricole, notamment à travers ses lea-ders, doit accepter de devenir l’un des gestionnaires cléet les entrepreneurs proactifs des solutions environne-mentales. Cette agriculture là repose sur la notion decontrat, implique directement les collectivités locales ets’articule autour de négociations, elles aussi locales,entre toutes les catégories sociales concernées par laformidable complexité d’un écosystème. Cela appelledes techniques de débat. Au fond, c’est ce que nousfaisons à Marciac. ■

RESTITUTION DES CERCLES D’ECHANGES

Associations d’idéesPour quels motifs la société soutiendrait-elle son agricultureet ses agriculteurs? Après les introductions toniques deLucien Bourgeois et Michel Griffon, ainsi que l’appel de GuyPaillotin à abandonner nos présupposés implicites, le doutes’est installé dans les cercles d’échange. Que faudrait-il doncfaire? Quelles fonctions de l’agriculture soutenir? Avec quelstypes d’aides ? Et d’ailleurs, les aides elles-mêmes sejustifient-elles ? Pas si simple. Si, de cercle en cercle,certaines notions comme celle du contrat semblentpartagées, chaque rapporteur a mis en exergue desapproches très distinctes, selon la coloration et lacomposition des groupes, qui mises bout à bout, formentun faisceau dense de questionnements et de propositions.Sans oublier cette mise en garde, formulée par le derniercercle, sur la tentation de l’angélisme.

CERCLE 1Rapporteur : Hervé Ossard, président ducentre Inra Toulouse.

Le contrat fait consensusAux motifs pour lesquels la société soutiendrait son agri-culture, nous avons ajouté la question des moyens néces-saires. En la matière, il y a eu un consensus profond,dans ce cercle, sur la nécessité d’un contrat co-construitentre toutes les parties prenantes, dont les agriculteurs.Tout est important dans cette proposition: la notion decontrat, celle de la construction en commun, et le fait den’écarter aucune des parties prenantes. Pour quelqu’unqui, comme moi, a connu beaucoup de débats, il estimportant de noter que le consensus qui s’est dégagé cematin n’aurait pas eu lieu il y a encore quelques années…Sur les motifs de soutien de l’agriculture, nous avonscertes évoqué les questions de l’alimentation, de l’envi-ronnement, du territoire, de l’aménagement des espacesruraux, ou encore du revenu des agriculteurs. Tous cesaspects étaient volontairement combinés. Mais lequelchoisirions-nous si les responsables politiques nous ledemandaient? Nous n’avons pas tranché sur ce point. Ledébat reste ouvert.Dans son intervention, Olivier Lazzarotti s’est appuyé surtrois niveaux d’échelles géographiques. Nous en avonsévoqué deux autres, plus petites: l’échelle du territoire, etcelle de l’exploitation agricole, au niveau microécono-mique. Et là encore, nous n’avons pas tranché sur leniveau géographique le plus pertinent. Il nous faut doncpoursuivre notre réflexion pour déterminer les priorités etrépondre de manière approfondie à la question qui nousétait posée.

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CERCLE 2Rapporteur : Pascal Seingier, agriculteur.

Produire du territoireD’emblée, l’un d’entre nous a fait remarquer que dèsqu’on parle de politique, on pense « soutien ». Pourtant,cette corrélation n’est pas toujours établie…En examinant les fonctions de l’agriculture qu’il nousparaissait légitime de subventionner, nous avons eu dumal à distinguer la production de biens privés et celle debiens publics, les activités agricoles marchandes et cellesqui s’apparentent aux services non marchands. Cela dit,s’il faut maintenir l’agriculture, il nous est apparu évidentque cela se fera au regard du territoire et non de la fonc-tion de production. Aussi, ne demandons pas à agricul-teur de répondre à une multitude d’aspects. D’autantque souvent, il ne se rend pas encore compte de tous lesservices que son activité peut rendre à la société. Voilàpour la partie franco-française que l’un d’entre nous aconclue ainsi : « On parle de soutien à l’agriculture et auxagriculteurs. Cela ne doit-il pas passer avant tout par la for-mation? » Je me suis permis alors de dire que tous les agri-culteurs de France et de Navarre devraient passer par lesUniversités d’été de l’innovation rurale.Concernant l’Europe, la plus jeune du groupe a demandécomment pouvait-on dessiner une politique agricole com-mune à 27 avec une telle diversité agricole? ». Pour mapart, je viens de Seine-et- Marne. Et pour venir jusqu’ici,j’ai traversé des paysages très divers : il est évident quenous ne pouvons pas tous les soutenir de la même façon.Il faut donc des politiques régionales et territoriales, encohérence avec les demandes de la société. Après avoirprivilégié la production au profit de l’emploi, l’Europedevrait adapter les aides aux conditions du marché et àl’environnement de la production.

CERCLE 3Rapporteur : Bruno Parmentier, directeurde l’École supérieure d’agricultured’Angers.

L’aide publique ne serésume pas à un chèqueNous avons d’abord établi qu’il ne faut pas confondre« aide publique » et « chèque à la production », ce der-nier perdant de son importance dès lors que le cours desmatières premières augmente significativement. De fait,cela permet de se recentrer sur d’autres dimensions. Carla politique publique ne se résume pas en un soutienéconomique à la production. Elle englobe aussi la régle-mentation, l’organisation des marchés, le conseil, la tech-nique, la structuration des filières, la recherche ou encorela protection aux frontières. C’est bien dans ce sens là

qu’une telle politique doit continuer à soutenir l’agriculture,sans démanteler pour autant les systèmes d’aide à laproduction qui peuvent s’avérer utiles dans les années àvenir, vu les incertitudes qui pèsent sur les prix.Deuxième idée: il faut trouver un équilibre nouveau entrela centralisation et la déconcentration. À l’évidence, unepolitique agricole commune qui soutient uniformément27 agricultures, c’est compliqué et forcément inefficace.À l’inverse, trop de déconcentration peut engendrer uneforme d’injustice. Par exemple, à terme, les agriculteursroumains seront-ils uniquement soutenus via les impôtsde leurs concitoyens? Ou y aura-t-il au contraire une vraiesolidarité entre les régions?À partir de ces éléments, tentons de répondre à la ques-tion. Nous non plus, nous n’avons pas réussi à trancherentre deux voies : l’une centrée sur une politique alimen-taire et l’autre sur la politique environnementale. De fait,selon nous, il faut soutenir à la fois l’alimentaire, l’énergieet la santé. Par exemple, nous nous sommes demandéspourquoi la politique agricole ne s’était jamais intéresséeaux fruits et aux légumes alors même qu’ils sont au cœurde la demande sociale de santé. Même chose pour le tou-risme ou le soutien aux circuits courts. Il faut donc diver-sifier au maximum les aides.Dernier point : il convient de se libérer de cette contrainteintellectuelle qu’est l’OMC. Car l’essentiel ne sera plusdans les soutiens économiques à la production mais dansla politique, celle que l’on peut faire avec ou sans OMC.

CERCLE 4Rapporteur : Matthieu Calame, FondationCharles-Léopold Mayer.

Évaluer les politiquespubliquesLes échanges de notre cercle convergent avec ce quivient d’être dit. Il y a tout d’abord eu un relatif consen-sus autour de l’enjeu territorial, sur lequel doivent seconcentrer les fonds publics – faut-il les appeler aidesou rémunération d’un service, c’est tout l’objet du débat.L’exemple emblématique, c’est l’entretien des haies etl’ouverture des chemins pour maintenir un territoirepraticable. Les agriculteurs sont-ils les seuls à pouvoirrecevoir ce type de fonds ? Pas nécessairement. Cen’est donc pas une aide spécifique à l’agriculture.Ensuite, grâce à la présence parmi nous d’un repré-sentant de l’ambassade d’Allemagne, pays qui est, jele rappelle, le premier contributeur net de l’Union euro-péenne, il nous a été rappelé que la montée des prixagricoles et alimentaires remet en question les aidessystématiques par année et par hectare. En clair, lesconsommateurs allemands ne souhaitent pas payerdeux fois. En revanche, ils sont conscients de la néces-

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CERCLE 5Rapporteur : Lucie Gillot, MissionAgrobiosciences.

Citoyen ou consommateur ?Nous avons reformulé la question pour nous deman-der si les financements devaient être apportés via lemarché ou par des fonds publics, autrement dit nosimpôts. À cette nuance près : le marché ne peut et nedoit pas tout financer. Nous avions estimé, hier, qu’ilfallait donner un nouveau sens à la PAC ; aujourd’hui,nous proposons qu’elle soit plus décentralisée, régio-nalisée à travers des contrats souples, incitatifs pourles agriculteurs et limités dans le temps. Cela dit, quesommes-nous prêts à financer à travers nos impôts ?« Je ne suis pas prête à soutenir tous les exploitants »,« Je veux bien payer si c’est pour maintenir le tissurural », « D’accord, pour un maintien local de l’agri-culture. » Comme le soulignait l’un d’entre nous, àtravers cette agriculture, ce sont en effet les petitesPME qui bénéficient indirectement du soutien public.Et, in fine, le consommateur reste le bénéficiaire final.Car le maintien du tissu industriel local permet de lut-ter contre l’uniformisation de l’alimentation. Reste àsavoir quels agriculteurs nous souhaitons maintenir.Ceux d’ici ou ceux d’ailleurs ?Ensuite, nous avons tenté de hiérarchiser les aides àapporter en fonction des instruments dont nous dis-posons et le degré de maîtrise que nous en avons. Parexemple, nous maîtrisons bien les systèmes des labelset des quotas. À priori, ce marché peut fonctionnercorrectement par l’offre et la demande. Que maîtri-sons-nous mal, en revanche ? L’aspect environne-mental. C’est donc à ce niveau-là que les aides doiventse situer et que le politique doit agir.Par ailleurs, il convient également d’agir sur certainesrègles et normes à travers les cahiers des chargesplutôt que l’octroi de subventions, qui peut être une

solution de facilité. Enfin, un agriculteur bio parminous a suggéré que le prix de l’aliment pourrait inté-grer le coût de la dépollution. Reste que nous savonspertinemment qu’en tant que consommateur, nousavons différentes casquettes et que nos logiquesd’achat sont complexes, voire contradictoires avecnotre discours de citoyen.

sité d’un dispositif de soutien assurantiel par rapport auxaléas climatiques, avec une contrepartie environne-mentale acceptée par la profession.Par ailleurs, nous avons pointé de manière générale lesouhait que l’Europe soutienne la création d’accords etde liens régionaux, ce qui permet d’agir à des niveauxdifférents, sachant que les différences sont plus grandesentre régions qu’entre nations. D’où la moindre perti-nence de l’échelon national. Dernier point par rapportà tous ces dispositifs : qui dit fonction, dit résultatsmesurables. Or l’expérience française nous met engarde contre le dévoiement des dispositifs et nous rap-pelle la nécessité d’évaluer les politiques publiques :on a vu des dispositifs pleins de bonnes intentions finiren « quenouille ».

CERCLE 6Rapporteur: Maryline Trassard, journaliste.

Une dignité retrouvéeQuelles sont les fonctions de l’agriculture qui pour-raient se passer d’aides ? Selon notre cercle, il y a desfonctions qui ne répondent plus aux attentes de lasociété et que l’on pourrait ainsi décourager. Parexemple, des productions gourmandes en eau.Nous avons ensuite rappelé que la PAC recouvre éga-lement des restitutions aux exportations qui, fort heu-reusement, sont en train de disparaître. Cette dispositiona en effet fragilisé certains types d’agriculture, notam-ment dans les pays en voie de développement. Enfin,l’un d’entre nous a suggéré qu’il fallait progressive-ment que les aides publiques n’interviennent plus quede façon ponctuelle, lorsqu’il faut pallier des déséqui-libres.Quelles fonctions de l’agriculture mériteraient enrevanche d’être aidées ? Il nous faut sans doute relégi-timer la fonction de production, qui doit rester le cœurdu métier d’agriculteur. Peut-être les fonctions de pré-servation du paysage et des ressources ne sont-ellespas dissociables, d’ailleurs, de la production : les façonsde conduire les cultures et l’élevage modèlent les pay-sages et gèrent plus ou moins bien les ressources. Il ya là sans doute une dignité retrouvée pour les agricul-teurs si, par leur métier, ils contribuent à faire perdu-rer les ressources.Du coup, il s’agit de s’interroger non plus sur les fonc-tions, mais sur les modes de production que nous sou-haitons encourager. Nous avons souligné la primautéde la fonction nourricière et il ne faudrait pas qu’ellesubisse un excès de règles. Nous avons également misen évidence la fonction du maintien de l’emploi dansles campagnes. Enfin nous avons estimé que l’Europefinancerait de moins en moins les aides à la productionet que les régions pourraient prendre le relais poursoutenir l’organisation des filières, la transformation, lacommercialisation… tout ce qui peut apporter de lavaleur ajoutée. Reste que la réponse n’est pas la mêmeselon les pays. Ainsi faut-il aider plus encore les nou-veaux pays adhérents à organiser leur secteur agricoleet prévoir une aide sociale spécifique dans la mesureoù la PAC risque d’entraîner la disparition d’une foulede petites structures pourvoyeuses d’emplois.

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CERCLE 7Rapporteur : Stéphane Thépot, journaliste.

Des supporters plus que des subventionsContrairement à hier, notre cercle comprenait plusieursagricultrices et agriculteurs, ce qui nous a aidé à envi-sager les choses sous un autre angle. Je commenceraipar cette phrase d’un agriculteur qui bénéficie d’aideseuropéennes : « J’aimerais bien avoir du soutien, maispas seulement financier. J’ai aussi besoin de suppor-ters ! » Et d’expliquer qu’il ne suffit pas de lui donner unetape dans le dos, « C’est bien, ce que vous faites petit,continuez », mais qu’il s’agit d’acheter aussi ses produits.Une aide directe, donc, venant du consommateur. Sepose alors la question des agricultures et des agriculteursà « supporter ». Dans notre cercle, nous avons bien vuqu’il y avait différentes façons de jouer, mais aussi quela question de l’image, bonne ou mauvaise, était égale-ment essentielle. L’image d’agriculteurs « nuisibles ».Celle de l’agriculteur fauché par les faucheurs, imagecaptée par d’autres, notamment à la télévision. Qui a labonne ou la mauvaise image, je vous en laisse juge. Etpour terminer sur ce thème, nous avons égalementparlé de l’image du film We feed the world (« le marchéde la faim »), réalisé par l’Autrichien Erwin Wagenhoferet qui propose une vision assez terrifiante de l’industrieagroalimentaire, faite d’abondance et gaspillage, auregard de la misère et de la faim.Pour conclure en maintenant le niveau « agriculturel »de nos échanges, je citerai non pas un spécialiste apriori de la culture mais un agriculteur de notre cercle.Celui-ci nous a rapporté ce propos du metteur en scènede théâtre Jean-Michel Ribes, venu faire une forma-tion auprès d’agriculteurs : « Plus je suis subventionné,moins je me sens libre ».

CERCLE 8Rapporteur : Cécile Ha Minh Tu, ingénieurdans l’industrie spatiale.

Rémunérer le service renduNous sommes très largement revenus sur les exposésintroductifs de Michel Griffon et Lucien Bourgeois, etdonc sur les prix, les fonctions et les soutiens de l’agri-culture. Pour discuter de ces trois aspects, nous avonssuivi un fil historique avec notamment l’exemple gersois.Avant les grandes réformes de la PAC, l’agriculture dudépartement s’appuyait sur un trépied: céréales- bovins-spécialisation. Progressivement, à partir des années 90,les normes et les types d’aides européennes, qui ontopté pour les critères de l’OMC, ont conduit à la mono-culture et donc à la modification non seulement des

paysages mais aussi de l’alimentation… Ces dernièresannées, les questions de développement durable et desanté font que l’on va peut-être revenir vers cette agri-culture initiale, avec une relocalisation de la produc-tion, une remise en cohérence des territoires et donc denouvelles méthodes de développement en fonction desrégions.Concernant le prix, ensuite, celui qui rémunère l’agri-culteur : d’un point de vue industriel, il est composédes coûts de production auxquels s’ajoute une marge.Sauf que cela ne prend pas en compte les autres fonc-tions du monde agricole. Il faut donc mettre en place uncontrat avec la société et le monde rural, sur la qualitéalimentaire et le respect environnemental. Il s’agit, dansce cas, de rémunérer la tertiarisation. De même, ilconvient de distinguer d’un côté, les fonctions ayantdes externalités positives et qu’il faut soutenir, commeles fonctions sociales, le service rendu à la collectivité,la gestion des territoires et des écosystèmes. Et d’unautre côté, celles qui ont des externalités négatives,comme les exportations, qu’il faut cesser de soutenir.Enfin, selon notre cercle, après avoir connu les sou-tiens aux prix, les aides compensatoires puis la DPU, ilnous a semblé qu’il s’agissait justement d’en revenir àla notion de prix suffisamment rémunérateur pour l’agri-culture. Pour conclure, la France pourrait partager ausein de l’Europe son expérience, tirée de sa pratique dedifférents modèles, au bénéfice des nouveaux entrantsqui ont en commun une richesse de paysages et denombreux actifs agricoles.

CERCLE 9

Rapporteur : Alain Lefèbvre, professeurdes Universités.

La tentation de l’angélismeLe début de notre atelier a été chaud. Très chaudmême. Progressivement, avec la fraîcheur de la tem-pérature extérieure et le bon esprit de l’Université d’été,tout s’est arrangé, mais dans une ambiance qui n’estpas restée pacifiée pour autant. Je veux dire par làque nous avons exprimé qu’il fallait faire attention aurisque d’angélisme. Pour le dire autrement, des pro-positions techniques pour une agriculture rénovée nedeviennent de bonnes idées que si elles sont largementpartagées et qu’elles peuvent se concrétiser voire, danscertaines circonstances, s’imposer. Ainsi, nous avonscité le cas d’un certain nombre d’élèves de l’ensei-gnement agricole, convaincus de l’intérêt d’une agri-culture à haute qualité environnementale, mais quisont prêts à passer par les procédés conventionnels quileur assurent le meilleur revenu à court terme. Il y a làune véritable contradiction, voire une certaine schizo-phrénie.

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Concernant les critères d’attribution des aides, nousnous sommes rendu compte de la complexité de cedossier, où les points de vue ne sont pas forcément par-tagés. Il y a certes les critères environnementaux maisaussi l’harmonisation des conditions sociales de pro-duction. En l’occurrence, le pire n’est pas nécessaire-ment à des milliers de kilomètres de nos côtes : il existeaussi à l’intérieur de nos terres, comme l’illustrent lesscandales autour du travail des étrangers ou de l’ex-position aux pesticides. Il y a là un travail à faire avecnos voisins européens mais aussi à l’intérieur de nospropres espaces.La maîtrise du foncier est également un enjeu impor-tant. Dans une agriculture dite productiviste, l’un desobjectifs essentiels ne serait-il pas de maintenir la terreagricole comme propriété des agriculteurs, au lieu delaisser les sociétés financières s’en emparer, avec leslogiques que nous connaissons ? De même, sur lespratiques de consommation, nous gagnerions à dis-cuter, éduquer, clarifier les problématiques et définir lesactions nécessaires. C’est un préalable avant de pou-voir poser des actes précis.Pour définir ces objectifs, il nous a paru nécessaire derenforcer la coopération d’acteurs, principalement auniveau local. Il y a une méconnaissance profonde de lasituation agricole par les autres acteurs du monde rural.Il faut déverrouiller les esprits. Ainsi, une charte de bonvoisinage a été proposée par l’un d’entre nous, pour lut-ter contre les préjugés et les malentendus. Enfin, nousavons estimé nécessaire de travailler à plusieurséchelles spatiales, notamment pour nous ouvrir d’autresterritoires comme l’Europe de l’Est et le bassin médi-terranéen. Peut-être connaissez-vous ce slogan alter-mondialiste « Agir localement, penser globalement ».Il nous a semblé qu’il fallait peut-être l’inverser : « Agirglobalement et penser localement ». ■

Martin Nissen, premier conseiller à l’ambassade d’Al-lemagne en France, chargé des affaires agricoles et dela protection des consommateurs : Pour compléter toutesces approches, je souhaiterais vous éclairer sur la posi-tion du gouvernement allemand. Ainsi, concernant lesperspectives financières 2007-2013, notre ministre del’Agriculture a dit très clairement qu’il ne voterait pas lechangement lors de la révision à mi-parcours, car la plu-part des règles existantes ne sont appliquées quedepuis quelques années, voire quelques mois pourcertains pays. Ne serait-ce que par égard pour les agri-culteurs, il faut se laisser un peu de temps et stabiliserles règles. Nous sommes donc contre une granderéforme de la politique agricole jusqu’en 2013.Nous nous interrogeons beaucoup sur la façon dontsont créées ces règles. Celles de la conditionnalité desaides, par exemple, nous paraissent trop difficiles àappliquer en Allemagne et en France. Les agriculteursn’ont plus le temps de travailler ! Aussi avons-nousdemandé à la Commission européenne de veiller àsimplifier les critères et les procédures administratives.D’un autre côté, il faut bien justifier les aides publiquesaux yeux des contribuables par des critères précis. EnAllemagne, nous avons mis en place un dispositif dif-férent du vôtre, en optant pour un découplage completqui a un effet positif aux yeux des agriculteurs car ilsdeviennent réellement des entrepreneurs en décidantseuls des productions propices à leur exploitation. Demême, ils ont la possibilité de vendre leurs produits àdes prix assez hauts sur le marché.Autre remarque, sur un aspect que vous avez peu évo-qué : il y a quelques semaines, notre ministre de l’Agri-culture a demandé à ses services d’étudier les différentssystèmes d’assurance-récolte en usage dans les autrespays. Il est en effet convaincu que l’État et l’Union euro-péenne doivent garantir un salaire stable à l’agricul-teur qui n’est pas responsable des dégâts liés aux aléasclimatiques. Il pense qu’une assurance récolte finan-cée par l’UE peut être un instrument important pour lapolitique agricole commune à venir. Nous en discu-tons actuellement avec les différentes instances pro-fessionnelles.

Lucien Bourgeois : L’un des rapporteurs a évoqué lanotion de légitimité. Ce matin, quand j’évoquais l’ali-mentation, il s’agissait pour moi de redonner un peude sens à l’agriculture, dont les fonctions ont été

DEBAT

Ce qui ne suffit plus pour légitimer les aides publiques

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brouillées par la multifonctionnalité. Et j’ai l’impressionqu’on cherche un phare pour justifier la politique agri-cole. Je rappelle que payer 400 euros à l’hectare pourtondre la pelouse, c’est un peu cher ! À l’inverse, la pro-duction à des fins alimentaires est immédiatement com-prise par l’opinion publique et elle ne s’oppose pas àl’éco-conditionnalité. Le fil conducteur est le suivant :les consommateurs demandent une sécurité des appro-visionnements alimentaires qu’on leur fournit en pro-duisant localement, ce qui implique une protection desterritoires et du patrimoine, donc une vigilance sur l’éco-conditionnalité qui trouve tout son sens avec la qualitéet la sécurité sanitaire des aliments.

Une responsabilité territorialeMichel Griffon : Il a été dit que l’agriculteur devaitrester, ou plutôt devait redevenir un entrepreneur. Dece point de vue, ce peut être un entrepreneur de pro-ductions agricoles alimentaires et non alimentaires,mais aussi de services écologiques. Ne vous méprenezpas : il ne s’agit pas d’être le « jardinier de l’environne-ment », de tailler les haies ou de tondre les pelouses.Mais d’assurer des services nécessaires aux fonction-nements des écosystèmes et de la biosphère pour lebien de la société.Deuxième remarque : plutôt que de parler de « sou-tien », il conviendrait de parler de rémunération logiquedes services rendus à la société. Si l’on arrive à admi-nistrer la preuve que tel ou tel agriculteur, par de nou-velles pratiques culturales, a séquestré plus de carbonequ’auparavant, contribuant ainsi à la réduction d’émis-sion de gaz à effet de serre, cet agriculteur là devrait sevoir rémunéré par la société. Nous entrons dans unmonde de ressources limitées. Nous avons tous lu dansla presse qu’il fallait une, deux, voire trois planètes pourréaliser ce que nous voulons produire. Or nous n’avonsqu’une planète. Ceux qui la maîtrisent sont les agri-culteurs. Ils doivent être rémunérés pour la gérer.Troisième chose : je proposerai au Grenelle de l’envi-ronnement de parler non seulement d’agriculture àhaute qualité environnementale, mais aussi à hautequalité territoriale.

Christophe Abrassard, directeur adjoint de la pros-pective à l’Inra : Il me semble que l’avenir est à une poli-tique de l’innovation rurale, avec des agriculteursdevenant des entrepreneurs du développement localdurable, capables de diversifier de façon pérenne leurspratiques, s’émancipant de trajectoires structurées parcertains lobbies industriels, oeuvrant à l’agro-écologie,au tourisme vert et autres services.Cette politique pourrait mettre l’accent sur la diffusiond’outils de délibération avec les parties prenanteslocales, ce qui est particulièrement important pourl’agriculture péri-urbaine, ainsi que sur la dynamique

des savoirs : en réformant l’enseignement agricole et enconstituant notamment une base de connaissancessur les expériences pionnières et innovantes, diffuséeau niveau européen. Dernier point : cette approche del’innovation devrait pleinement prendre en compte etvaloriser les savoirs des agriculteurs, considérés commedes concepteurs.

Henri-Bernard Cartier, président de la chambred’agriculture du Gers : J’ai entendu un rapporteur s’ap-puyer sur l’exemple du département, avant et après laPAC. Je voudrais apporter quelques aspects concrets.Les structures d’exploitation se sont certes agrandies,le nombre d’agriculteurs diminuant, mais je ne peux paslaisser dire que la monoculture a envahi le paysagegersois. C’est plutôt le contraire. Si des modificationsétaient constatées depuis 92, ce serait au marché qu’onles devrait et non aux aides. Mais globalement, onconnaît plutôt une stabilité des productions et des cul-tures dans ce département. La PAC ne les a pas modi-fiées.

Sylvie Bonny, chercheur à l’Inra : Beaucoup dedemandes sont adressées à l’agriculture. Or il y a demoins en moins d’agriculteurs et ceux qui sont là sontplutôt âgés. Par ailleurs, on dit souvent qu’ils sont peusensibles à la protection de l’environnement. Il faudraits’interroger : pourquoi diable les agriculteurs seraient-ils réfractaires à cet aspect ? Est-ce une réaction faceà la virulence des critiques qu’on leur adresse? Dernièreremarque : il m’a semblé que l’on soutenait beaucouples consommateurs alors que ceux-ci n’opèrent pasforcément les bons choix en terme d’écologie. J’aime-rais bien que l’on fasse attention à ne pas trop « tirer »sur les agriculteurs dont le métier est difficile.

La transparence passée soussilenceAlain Berger, directeur de l’Interprofession fruits etlégumes frais (Interfel) : Je voudrais réagir sur la ques-tion de la légitimité des soutiens publics agricoles. Jene suis pas sûr qu’il suffise de dire, de façon un peutrop rapide, qu’ils sont légitimes au nom des servicesnon marchands rendus à la société, notamment pardes pratiques respectueuses de l’environnement. C’estconcevable si l’on se place dans la logique d’éco-conditionnalité et de défiscalisation. Mais justement,nous voulons intégrer pleinement l’agriculture dans lasociété. Or prenez les autres secteurs : nous ne ver-sons pas d’aides publiques aux industries qui enga-gent des pratiques respectueuses de l’environnement.Tout au plus bénéficient-elles de mesures de défis-calisation. Il conviendrait à mon sens d’enracinerbeaucoup plus fortement la problématique du rôledes agriculteurs dans la société. En l’occurrence, ilsrendent peut-être des services non marchands mais

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ils ont surtout une responsabilité territoriale dans lamesure où ils occupent une grande partie des espacesruraux.

Dominique Olivier, directeur de la coopérative Sicaceli(Lot) : J’adhère aux propos de Lucien Bourgeois et deMichel Griffon, mais je me demande qui va pouvoir fairece que vous préconisez? Dans les secteurs du MassifCentral – et je crois que c’est le cas dans d’autres régions– depuis trente ans, un tiers des agriculteurs disparaîttous les dix ans. Un territoire vit de la valeur ajoutée quiy est produite et qui, selon moi, est proportionnelle aunombre d’actifs. Or nous allons bientôt connaître leseffets du papy boom, alors même que l’artisanat et lesservices en milieu rural exigent un besoin accru de nou-veaux actifs. Aussi ai-je tendance à être un peu moins« agricolo-agricole », en me demandant si la probléma-tique de nos territoires ne tourne pas plutôt autour de laressource humaine et de la compétence territoriale.

Stéphane Sandre, rédacteur en chef du mensuelBimagri (ministère de l’Agriculture et de la Pêche) : Jesuis étonné que l’on passe sous silence une notion quime semble être pourtant à la base de la légitimité detoute aide : la transparence. Cela a été évoqué hier,avec la Convention d’Aarhus. Les agriculteurs commetoutes les structures du secteur ne devraient-ils pasprendre en main ces questions, expliquer, faire preuvede pédagogie ? Il n’y a pas à rougir de recevoir desaides. Certains secteurs industriels en perçoivent, ainsique des structures locales. De plus, les exploitationsagricoles ne sont pas des entreprises délocalisables. Àce titre, les aides qu’elles touchent peuvent constituerune sorte d’investissement à long terme.

Francis Daguzan : Toutes ces réflexions m’amènentà dire que les aides de l’Europe doivent être rediscutéeset remises à disposition du territoire. Et en l’occurrence,la France peut être force de proposition. Nous nousdirigeons, non plus vers des aides à l’hectare ou à l’ex-ploitation basées sur une période de référence, maisvers un contrat avec l’agriculteur. Nous avons expéri-menté un certain nombre de procédés contractuels. Ilssont adaptables, transposables et peuvent être discu-tés au niveau départemental et régional, sous contrôlede l’État et de l’Europe. Cela devrait permettre à chaqueagriculteur de « s’y retrouver », dans un contrat qu’ilpasserait avec les pouvoirs publics, mais aussi avecles coopératives et tous les organismes qui font vivrel’agriculteur de son revenu. ■

LES PONCTUATIONSde Marc Gauchée et Jean-Marc Neuville.

Le point G et le couteau suisse

Jean-Marc Neuville : Pas de désir sans manque. Jecommencerai par la faim, non pas au sens de la finitudemais de la « famitude »… . La faim, c’est le titre d’unroman du norvégien Knut Hamsun, écrit en 1890. Dansce livre, l’auteur postule que c’est à la lisière du manqueque l’homme maintient sa liberté et donc sa capacitéd’éveil. Quand l’homme sait entretenir sa propre faim,il peut entretenir également son désir de vivre, son appé-tit de liberté. Je le mentionne en écho aux propos deLucien Bourgeois qui, ce matin disait qu’ici, nous pou-vions réfléchir parce que nous sommes tous des nan-tis. Autrement dit, le problème concret de la faim sesitue au niveau des 850 millions de personnes sur la pla-nète qui ne trouvent pas de quoi manger.Alors je souhaite réintroduire malgré tout un peu defaim parmi les nantis : car ce qui fait peut-être larichesse de ces débats, et de l’humanité en général,c’est la part manquante.

Marc Gauchée : Tout salaire mérite travail. Je vaisd’abord résumer la différence entre hier et aujourd’hui.Hier, en nous interrogeant sur la PAC, nous avons ditque tout travail mérite salaire. Aujourd’hui, nous disonsplutôt l’inverse : tout salaire mérite travail… En clair,nous avons cherché à déterminer quelles activités agri-coles pouvaient être rémunérées, et avec quelles contre-parties.Compte tenu de la richesse de nos propos d’hier, je mesuis ensuite dit, ce matin, que la presse en parlait cer-tainement aujourd’hui. Je suis donc allé au kiosquepour acheter les différents quotidiens. Il y avait certesles habituels « marronniers » alors que je cherchais lesplatanes. On y trouvait le scandale des taxis, le prix del’immobilier, le palmarès des lycées et le salaire descadres, les tests de l’été « Etes-vous plutôt de droite ousimplement tenté par une présidence de commis-sion »… Et enfin, j’ai trouvé un journal qui parlait denous. En manchette qui plus est : « Lyon a toujoursfaim ». (Ndlr : Marc Gauchée montre à la salle le jour-nal en question, il s’agit de l’Equipe…).

Jean-Marc Neuville : Ego et Géo. Personne d’entrenous n’a vraiment faim. Ici, nous nous sentons mêmeun peu coupables de nous remplir le ventre à tous lesrepas. Et finalement, toutes nos discussions ont unfond anxiogène très puissant. Pour revenir à Knut Ham-sun, maintenir son éveil et sa liberté en continuantd’avoir faim, c’est élever notre niveau de conscience.

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En l’occurrence, nous disons aujourd’hui que les res-titutions aux exportations ont créé des nuisances, qu’ilfaut abandonner ce système pour en adopter un autre.Or un système est toujours à géométrie variable. Il fau-drait donc faire un peu de géométrie. Et la géométrie,cela me rappelle ce qui se passait autour et dans letemple de Delphes, au temps de Platon. Seuls les géo-mètres pouvaient y entrer. Mais ils ne pouvaient pas ydemeurer s’ils n’étaient que géomètres.Aujourd’hui, au niveau des agriculteurs, des citoyens,des consommateurs, il faudrait pouvoir passer durepaire au repère, c’est-à-dire sortir du refuge pourtrouver ce qui va nous permettre de nous orienter. Jeme suis dit : au commencement, il y avait la Terre. Ima-ginez une ligne courbe, à l’horizontale. Je l’appelleraiGéo. Puis, imaginez une ligne verticale : est apparul’homme, se dressant peu à peu. Je le nommerai Ego.À partir de là, nous pouvons nous rendre compte queGéo et Ego se croisent… au point G ! Je vous invitedonc tous à trouver ce point G, cette rencontre entre laTerre et les hommes, et à le substituer à l’angoisse età la culpabilité…

Marc Gauchée : L’exception culturale. Pour ma part,je vais rester plus pragmatique. Hier, notre camaradehongrois a lancé un appel à la France. Or dans le cadredes échanges internationaux, nous avons effective-ment une solution : Cela s’appelle l’exception cultu-relle. Il faut donc faire l’exception agricole. Pour réalisercelle-ci, il faut réunir quatre conditions et trancher unequestion. Commençons par le plus facile. Premierpoint : il faut un ministre qui reste toujours en tête à têteavec des professionnels. C’est le cas pour l’agriculture.Deuxièmement, il faut un ministre qui distribue desdécorations, fait les rubriques nécrologiques et organisedes réceptions. Nous l’avons aussi. Plus difficile à pré-sent : il faut doubler le budget et mettre en place unrégime d’intermittent ou plutôt de saisonnier puisquenous sommes dans le secteur agricole. Dernier point :nous devons avoir conscience que nous avons unemission universelle. En clair, il faut confondre l’intérêtde la France avec celui du Monde. Pour l’agriculture,il s’agit de la question à trancher : déterminer quelssont nos intérêts français, européens et mondiaux.

Jean-Marc Neuville: Le cinquième pouvoir. Moi aussij’ai fait ma revue de presse. Ainsi, ce matin, à la rubriqueEcoterre du journal Libération, un article montre laguerre que mène Pékin aux ONG écologistes. Et derapporter que le Gouvernement chinois, pour justifierles descentes de police dans les locaux des associationset l’arrêt de leurs sites Internet, explique textuellement :« Pour les autorités chinoises, une société civile maturene doit pas émerger trop vite dans un pays qui compteencore deux-tiers de paysans ». Cela fait longtemps

que le politique manipule l’agriculture. Aussi je rêved’une alliance entre agriculture et société. Que lescitoyens et les agriculteurs parlent ensemble et peut-être sera-ce l’occasion d’organiser un nouveau « bio-pouvoir ».

Marc Gauchée : Entre le de Gaulle et le couteausuisse. Une fois encore, je vais terminer sur une anec-dote. Hier soir, en rentrant chez ma logeuse, j’avais unpeu soif. Je prends donc une bouteille de Cote de Saint-Mont et j’ouvre un tiroir de la cuisine pour trouver untire-bouchon. Et là, dans le tiroir, je vois trois types detire-bouchons. Le premier, c’est le fameux «de Gaulle»,assez simple d’utilisation, qui lève les deux bras au furet à mesure qu’il s’enfonce dans le bouchon. Ledeuxième était un Laguiole équipé d’une lame et d’untire-bouchon. Le troisième, c’était le couteau suisse.Vous savez, celui qui a une multifonctionnalité, avec lalime à ongle, les ciseaux, le décapsuleur et autresbidules. C’est là que je me suis aperçu que plus il y ade fonctionnalités, plus il est difficile d’ouvrir la bouteilleparce que la vrille du tire-bouchon est toute petite.C’était ma contribution pour une réflexion sur les outilset les moyens d’une politique agricole. ■

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les acteurs syndicaux, doit-elle être singulièrementrepensée.Nous avons évoqué hier la figure du regretté HenriMendras qui avait enterré les paysans. Par la suite, il aégalement tenté d’enterrer les notables mais ces der-niers se sont fortement réveillés en 1969 en renvoyantun général écrire ses mémoires à Colombey-les-Deux-Eglises. Mais il fut une époque où il était très aisé deconstruire l’action publique : il suffisait que des notableset des fonctionnaires s’entendent. Il en allait de mêmeavec les politiques agricoles, co-gérées par la filièrepolitico-administrative et la filière syndicaliste. L’Europea fait exploser ce système. Et l’arrivée de nouveauxacteurs repose très clairement la question de la repré-sentation.

L’identité des agriculteurs : banale ou singulière ?Patrice Duran : Je voudrais m’adresser d’abord auxreprésentants des syndicats agricoles ici présents. Cettequestion de la recherche du contrat perdu n’est-elle pasune projection d’une recherche propre aux agricul-teurs, celle de leur identité ? Ce n’est pas un hasard sielle arrive à un moment de désingularisation de la pro-fession agricole, qui n’a jamais autant ressemblé auxautres. Et, pour nouer une relation avec autrui, encorefaut-il être renseigné sur sa propre identité. À vousentendre, vous vivez dans un univers dramatique : onne vous aimerait pas. J’ai donc regardé l’évolution desEurobaromètres vous concernant. 76% des personnesinterrogées estiment que les agriculteurs sontmodernes ; 61 % qu’ils sont respectueux de l’environ-nement. Et 71% des personnes interrogées en Francepensent que les agriculteurs et l’agriculture sont unechance pour l’économie. N’est-il pas paradoxal de sesentir aussi peu aimé alors que les sondages sont à cepoint favorables? Certes, l’opinion publique n’est pas ungroupe social et cela ne veut pas dire grand chose.Mais que veut dire cette interrogation que vous avez surl’identité du monde agricole ?

Dominique Barrau : Un métier. Je n’ai pas ce pro-blème. Les agriculteurs aujourd’hui se sentent bien.L’interrogation à soulever serait plutôt celle-ci : pour-quoi les Français aiment leurs paysans mais pas leuragriculture ? Pour moi, la réponse est à trouver dans lapolitique agricole. Je ne souhaite pas, en tant qu’agri-culteur, que la société me rémunère. Je veux que lapolitique agricole me permette de vivre des revenusde mon entreprise, en me donnant les moyens de nour-rir les hommes et les animaux et de garantir l’autosuf-fisance alimentaire. Quant au développementenvironnemental et territorial, il fait aujourd’hui partie dechaque exploitation, même si toutes ne sont pas à lamême vitesse. J’ajouterais que l’agriculture est devenue

TABLE RONDE

À la recherchedu contrat perduUne table ronde présentée et animée par Patrice Duran,professeur des Universités, directeur du Département desciences sociales de l’École normale supérieure de Cachanet membre de l’Institut des sciences sociales du politique(ISP-CNRS, UMR 8166).Avec Alain Berger, directeur de l’Interprofession des fruitset légumes frais (Interfel) ; Pierre Deloffre, directeur généraldu groupe Bonduelle; Dominique Barrau, secrétaire généralde la Fnsea ; Nicolas Jacquet, vice-président de laCoordination rurale ; Patrick Kirchner, porte-parole régionalde la Confédération paysanne ; Eric Prascisnore, vice-président de l’association Consommation, logement et cadrede vie.

Patrice Duran : Comment vivre ensemble tout enessayant de coopérer le moins possible? À travers la pro-blématique du contrat perdu, c’est toujours la mêmequestion lancinante qui revient : quel est le rapport desagriculteurs avec la société ? Personnellement, je nesais pas trop ce qu’est la société. Je sais en revancheque nous sommes toujours à la recherche d’une com-munauté, d’une cohésion. D’où cette idée de « fairesociété ». Or ce n’est jamais très simple. C’est pourcela que l’idée de contrat est intéressante. L’un despères de la sociologie en France, Emile Durkheim,disait que tout n’est pas contractuel dans le contrat. Der-rière cette notion, il y a toujours des significations et desvaleurs partagées, qui relèvent de la morale ou del’éthique. D’un autre côté, le contrat est aussi un ins-trument caractérisé par des règles qui s’expriment dansle langage du droit, ou par des normes sociales quenous devons respecter. Un juriste vous dira par ailleursque l’important n’est pas tant de faire respecter uncontrat, mais que son non-respect entraîne une sanc-tion, qu’elle soit négative ou positive. Il y a, enfin, un troi-sième acteur : le politique, garant des deux dimensionsdu contrat – le maintien d’un certain nombre de valeurset le respect de règles juridiques ou sociales.Evidemment, les choses ne sont probablement pasaussi évidentes que cela. Le problème majeur pourune communauté pourrait se poser de la façon sui-vante : comment vivre ensemble tout en essayant decoopérer le moins possible ? C’est pour cela que nousavons inventé la bureaucratie. Mais aujourd’hui, ilsemble que les choses soient d’autant plus compli-quées que l’espace politique s’est élargi, comptant,en plus de l’État, les collectivités territoriales et l’Europeet que de nouveaux acteurs entrent en scène, tels queles associations de consommateurs. Aussi la placedes représentants classiques de la profession, à savoir

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un métier. S’il ne nous convient plus, on peut le quit-ter. Voilà le problème posé à la société : est-ce que lesagriculteurs-éleveurs de Midi-Pyrénées vont continuerleur activité compte tenu des contraintes ? C’est unequestion importante qui va peser sur le territoire, l’en-vironnement et le paysage.

Nicolas Jacquet : Des gens responsables. C’est vrai,les Français ont plutôt une bonne opinion des agri-culteurs. Quand il y a eu la réforme de la PAC en1992, qui nous a affaibli économiquement, on nousa accusé de tous les maux. À ce titre, je cite souventLes animaux malades de la peste. In fine, le respon-sable désigné par les autres animaux, c’est l’âne,parce qu’il est le plus faible et qu’il ne sait pas sedéfendre. Ce qui nous est arrivé ressemblait à cettefable. Mais aujourd’hui, j’ai le sentiment que noussommes à un tournant et qu’il y a un consensus pourarrêter de crier haro sur les agriculteurs ; l’opinionpublique se rend compte que ce sont des gens utilesqui seront parmi les hommes clés de demain. Lesmentalités changent et nous devons être motivés.Mais, surtout, il faut arrêter de nous taper dessus avecde la conditionnalité et des contrôles : nous sommesdes gens responsables et raisonnables.Concernant l’identité des agriculteurs, je souligneraispour ma part la spécificité de la transmission du métierde père en fils. Il y a peu de métiers pour lesquels latradition familiale perdure ainsi. Le goût du risqueégalement, car pour être paysan, il faut aimer êtrepionnier, ne pas avoir peur des événements naturelset économiques. Mais il y a aussi deux logiques contra-dictoires : d’un côté, nous cherchons à cultiver cetteidentité singulière, de l’autre, nous tentons de nousrapprocher des autres catégories professionnelles. Cen’est pas simple d’être paysan aujourd’hui.

Patrick Kirchner : Sous le regard des autres. Je nesuis pas fils d’agriculteur et à ce titre, je n’ai pas d’iden-tité spécifiquement agricole. Je ne me sens pas diffé-rent de vous, dans le public, que vous exerciez ou nonce métier. En revanche, si je me retrouve avec desurbains et qu’ils apprennent que je fais de la polycul-ture et de l’élevage, ils me regardent différemment.L’identité agricole est plutôt dans les yeux de ceux quinous regardent que dans la tête des agriculteurs. Cer-tains viennent de dire que les agriculteurs allaient bien.Je pense le contraire. Il y a un grand malaise des agri-culteurs lié à l’inadéquation entre ce qu’on leur propose,y compris les organisations syndicales, et ce qu’ils veu-lent. Ils ont le sentiment d’aller dans le mur et ne saventpas comment ils vont s’en sortir demain.

P. Duran : Je me tourne donc vers les autres partici-pants de cette table ronde : quel regard posez-vous surles agriculteurs ?

Eric Pracisnore : Divorce. Il me semble que leconsommateur a une opinion mais pas une image pré-cise de l’agriculteur. Ce dernier est loin du consom-mateur qui, le plus souvent, fait ses achats ausupermarché et le lien est largement parasité. Je mepose alors une question. La notion de contrat est impor-tante mais comment faire pour trouver des lieux et desespaces où consommateurs et agriculteurs pourraientse rencontrer directement et ainsi faire avancer desprojets ou des idées ? Au sein des commissions dépar-tementales d’orientation agricole ou dans les anciensconseils départementaux d’hygiène, le consommateurn’occupe qu’un strapontin. Sa parole n’est pas ou peuprise en compte. Il existe toutefois des liens contractuelsdirects entre les consommateurs et l’agriculteur : cesont les AMAP. Ce système fonctionne bien au béné-fice de tous. En clair, je pense que nous avons toutintérêt, nous les consommateurs, à mieux connaîtreles agriculteurs. D’autant que nous aimerions parleravec eux de l’impact sanitaire et environnemental deleur activité. Il y a là un contentieux, une confianceécornée entre vous et nous que de vrais échangespourraient peut-être résoudre. Je dois également ajou-ter que, depuis ce matin, je vous ai peu entendu par-ler du consommateur, or il contribue largement, parses achats et ses impôts, à faire vivre le monde del’agriculture.

Pierre Deloffre : Surdité. Vous avez déjà tous vu despublicités pour des produits agroalimentaires : on yparle très rarement des agriculteurs. Et plus l’annonceurest important, qu’il se nomme Danone, Unilever ouNestlé, moins il en parle. Parce que dans l’univers duconsommateur, l’agriculteur performant n’a pas saplace. Le consommateur ne veut pas entendre cetteréalité. Quand on lui vend des légumes, il imagine qu’ilsviennent du potager. Il n’est pas prêt à écouter lacontemporanéité de producteurs agro-industriels. Voilàla réalité aujourd’hui, le divorce que E. Pracisnore men-tionne. Je vais même plus loin. Ce divorce se situedans un cadre beaucoup plus large, celui de laconfiance accordée par la société à la science et à latechnique, qui touche bien d’autres secteurs écono-miques. Personne ne veut ouvrir ce débat. J’ajoute quecette problématique est particulièrement exacerbée enFrance. Une enquête est parue à ce sujet la semainedernière : dans les 47 pays les plus industrialisés dumonde, le plus pessimiste sur son avenir, c’est laFrance. C’est un phénomène surprenant.

Alain Berger : Et repli sur soi. La question de l’iden-tité est effectivement essentielle. Elle est liée à la pro-blématique d’une agriculture mal comprise par lasociété -consommateurs, citoyens, contribuables.Je distinguerai deux grandes fonctions de l’agriculture.Nourrir la population, d’abord, avec cette réserve : aux

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yeux du consommateur, qu’a d’agricole le produit ali-mentaire ? Peu de choses. Il y a un déracinement de ceproduit. C’est une réalité et nous devons faire avec.Reste qu’avec l’émergence des agrocarburants, nousreparlons de la fonction nourricière qui, au-delà mêmede la problématique de la faim dans le monde, a unedimension sociétale fondamentale. Il y a ensuite lafonction territoriale. L’agriculture occupe la majorité denotre territoire. Cela lui confère une responsabilité tanten termes marchands que paysagers, avec les pro-blèmes de conflits d’usage et d’occupation territorialeque cela peut poser. Tout cela construit de l’identité.Quelle est l’attitude du monde agricole face à l’incom-préhension du reste de la société et aux éventuelsconflits ? Il y a deux grandes attitudes. La premièreconsiste à adopter une posture de défense et de repli,qui s’accompagne souvent d’une démarche corpora-tiste. Faut-il un ministère de l’agriculture ? Je pose laquestion. Cette population doit-elle être défendue aunom d’une singularité, d’une spécificité ? Ou, aucontraire, peut-on envisager que l’agriculture se réap-proprie toutes ces préoccupations sociétales, parcequ’elles relèvent de sa responsabilité ? La même ques-tion se pose pour l’écologie : faut-il un ministère del’écologie ? L’écologie ne devrait-elle pas plutôt être inté-grée, de manière transversale, dans tous les ministèreset tous les secteurs économiques ?Le malaise des agriculteurs, qui ont pourtant une réelleidentité, vient peut-être d’un excès de repli alors mêmequ’ils sont dépendants du crédit public et donc ducontribuable, et qu’ils assument des responsabilitéssociétales considérables. L’agriculteur doit respecterles problématiques environnementales mais aussi faireface à des contraintes économiques – c’est sa vie, sasurvie. Le dire est audible. Et pointer ces contraintes,tout en donnant le sentiment de prendre pleinement encompte ces préoccupations sociétales, c’est avancerdans une logique d’intégration. C’est une remarqueque j’adresse au syndicalisme agricole.

Les agriculteurs, unis ou dispersés ?P. Duran : Sur cette question d’identité, les repré-sentants syndicaux ici présents n’ont pas tout à faitrépondu. Que représentez-vous dans un paysage plu-raliste ? Y a-t-il une unité de la communauté agricole oupas ? Tout le monde parle de l’agriculteur comme on alongtemps parlé de « classe ouvrière », incarnée dansla figure des OS qui constituaient l’unité de ce monde,jusqu’au jour où l’on s’est aperçu qu’il y avait des dif-férenciations internes fortes au sein de cette classe.L’identité agricole ne se construit-elle pas, elle aussi,dans la diversité des revenus, voire la disparité dessituations ? Et, du même coup, cette dispersion per-met-elle l’action collective ?Ensuite, par rapport à ce qu’a dit Alain Berger, j’aime-

rais soulever une question un peu provocatrice. Il y aquelque chose qui m’a toujours agacé, c’est quand ondemande aux entreprises d’être citoyennes. Et je suisen accord avec les cadres d’entreprise qui déclarentqu’ils ne sont pas là pour ça - c’est le problème dupolitique – et ce, pour une raison simple : il ne faut sur-tout pas croire en la bonté de la nature humaine. C’estbien pour cela qu’il faut construire des règles : ellesobligent les hommes à adopter un comportement « ver-tueux ». C’est également le bien-fondé des contrats, quivisent à stabiliser un univers dans lequel l’autre consti-tue une incertitude. Bref, jusqu’où peut-on demanderaux agriculteurs de prendre en charge des fonctions quirelèvent du collectif et qu’il revient au politique de faireassumer ?

N. Jacquet: Les dégâts de la co-gestion. C’est vrai qu’ily a un certain pluralisme. Cela explique notammentque la Coordination rurale, qui est née dans le Gers etdont le siège est à Auch, a fortement progressé. Entermes d’image, l’agriculture a souffert de la co-gestionpar des responsables multi-casquettes, proches dupouvoir et qui avaient un pied dans la coopération,voire dans l’industrie des semences. C’est pour celaque notre syndicat essaie d’être indépendant, sur leplan économique, idéologique ou politique. Dans leurensemble, les agriculteurs sont très modérés : ils n’ai-ment pas faire trop de vagues.

P. Kirchner : Une vision monolithique. Il y a effecti-vement une grande diversité de profils d’agriculteurs.Permet-elle l’action collective ? J’en doute. À tel pointque lorsque j’ai appris le thème de cette table ronde,je me suis étonné du fait que l’on ne parle que d’uncontrat, comme s’il y avait une vision monolithique dumonde agricole. Ce contrat que l’on pense avoir perdu,admettons que ce soit le contrat politique au sens largeet que celui-ci comporte plusieurs « sous-contrats » :alimentaire, économique, environnemental, social. Pourdéfendre l’ensemble de ces agricultures, il faudrait unéquilibre entre ces différents cahiers des charges. Cen’est pas du tout le cas avec la PAC.

D. Barrau : Une richesse. Que représentons-nous ?550 000 exploitations réparties sur l’ensemble du ter-ritoire. Peut-on avoir une politique commune à 27 pays?On l’a eu en France avec des régions aussi différentesque la mienne et celle d’un agriculteur de la Brie. C’est15 % de l’emploi en intégrant l’agroalimentaire etl’agroéquipement en zone rurale. C’est une richesseproduite pour la France. Mais aujourd’hui, dans le sys-tème polyculture-élevage, par exemple, l’agriculteur neva presque plus au champ. Il reste à l’étable. Il faudraretrouver du revenu dans ces exploitations pour yremettre de l’emploi. Cela peut paraître utopique et

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rêveur mais si on ne le fait pas, elles disparaîtront lesunes après les autres. Or n’oublions pas que les agri-culteurs et l’agroalimentaire ont permis à nos sociétésd’avoir des rayons pleins à des prix modiques.

P. Duran : Je me tourne vers Alain Berger. Quel estle poids de l’interprofession que vous dirigez et quepeut-elle représenter ?

A. Berger : Là où cela pêche. L’interprofession est unrassemblement. C’est peut-être un bien grand mot,mais nous tentons de mettre autour d’une table l’en-semble des acteurs d’une filière, des producteurs jus-qu’à la GMS. Dans ce type de structure, la fonction dereprésentation professionnelle s’opère dans unelogique non pas syndicale mais partenariale. Ce quisuppose une démarche de construction commune etnon pas de revendication. C’est déjà une modificationde comportement qui n’est pas toujours facile à vivre.Un exemple : nous avons vécu ces trois dernièressemaines de juillet une crise assez forte sur la pêchenectarine, avec des tiraillements entre l’État et l’inter-profession, et un syndicalisme jouant sur les deuxtableaux. D’un côté, la Fédération nationale des pro-ducteurs de fruits demande à l’État d’appliquer le coef-ficient multiplicateur – un dispositif de criseconjoncturelle prévu par la loi, qui permet de rehaus-ser le prix d’achat aux producteurs, actuellement trèsbas. Or cette mesure rigidifie les rapports économiquesentre les différents opérateurs. C’est notamment unépouvantail pour le distributeur qui voit ses margesdiminuer. Bien évidemment, la Fédération des entre-prises du commerce et de la distribution (FCD) crieimmédiatement au scandale : l’État se substitue à lanégociation interprofessionnelle. De l’autre, il y a unesituation concrète qui repositionne bien le problème del’agriculteur dans le contrat interprofessionnel : les pro-ducteurs de pêches nectarines étaient payés en deçàde leur prix de revient. Ils demandaient donc que lesdifférents opérateurs de la filière, y compris le consom-mateur et le marché, leur apportent un prix rémuné-rateur. Une position somme toute légitime. Sauf quel’aval n’était pas dynamique : le consommateur n’ache-tait pas de pêche nectarine. Et là, nous avons constatédes inégalités flagrantes. D’un côté, un producteur quivend à perte et de l’autre, des opérateurs qui veulentbien jouer le jeu à ce détail près : eux ne vendrontjamais à perte, puisqu’ils peuvent, s’ils le souhaitent,vendre d’autres types de fruits. Le seul qui est obligéde vendre à perte et qui n’a pas la capacité d’entrerdans cette logique partenariale, c’est le producteur.Dès lors, il redevient syndicaliste et se retourne vers l’État en disant : « L’interprofession ne sait pas faire ».Tant que perdurera cette inégalité de fait, nous auronscette représentation duale.

P. Deloffre : Un système trop compliqué. Il y a bel etbien une exception culturelle française. Bonduelle pro-duit dans huit pays. Un seul a une interprofession : laFrance. Notre système d’organisation professionnelleagricole et agroalimentaire est trop compliqué. À l’étran-ger, personne ne comprend à quoi cela sert. Quant àla politique agricole commune, c’est fini : il n’y en aplus. Il y a des politiques nationales ou régionales agri-coles coordonnées. Et si les organisations profession-nelles ne se mobilisent pas pour faire valoir lesspécificités de leur production et la défense de leursintérêts auprès de Bruxelles, nous allons au-devantd’une situation où les différentes zones de productionen Europe vont se livrer entre elles à une compétitiondommageable.

P. Duran : Quels sont les lieux de rencontre avec lesagriculteurs pour les consommateurs ? Où devraientse situer les enjeux de négociation? À ce jour, on dit qu’ilfaut communiquer. Mais vous savez comme moi qu’onne communique que lorsque l’on a un intérêt à le faire.C’est pour cela qu’un conflit est toujours un lieu decommunication extraordinaire.

E. Pracisnore : Un lieu à inventer. Pour l’instant, celieu là n’existe pas. Je parlais des conseils départe-mentaux de l’orientation agricole. Pourquoi pas ? Maisdans ce cas, il faudrait singulièrement rééquilibrer lesreprésentations en créant un collège avec les consom-mateurs et les collectivités locales. Nous avons parlé deterritoire. Les collectivités territoriales se retrouvent fré-quemment exclues de ces instances. Oui, ce lieu là, ilfaut l’inventer. Prenons l’exemple des Mesures Agri-Environnementales (MAE) : ces contrats sont confiésaux chambres d’agriculture. L’agriculteur se retrouvedonc juge et partie par rapport à des financementspublics. Ce contrat ne peut ni servir le monde agricole,ni le consommateur. Il faut créer des instances quisoient réellement des lieux de construction communeet négociée de contrat.

Les autres acteurs du contratP. Duran: Un acteur revient à chaque fois, ce sont lescollectivités territoriales. Quelle place leur faire aujour-d’hui ? Les syndicats sont-ils prêts à travailler avec elles?Après tout, les vrais propriétaires du territoire aujour-d’hui, ce sont les élus locaux.

D. Barrau : Si le président de la région Midi-Pyré-nées vous entendait, il vous rappellerait le budget qu’ilconsacre chaque année à l’accompagnement de l’agri-culture, pour aider à la construction de bâtiments d’éle-vage, à la mise en œuvre de démarches qualité ou à lavalorisation de la biomasse. Aujourd’hui, on pourraitse passer de l’échelon national si l’on avait un cadre

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européen efficient. Mais l’Europe n’a pas tranché entredeux scénarios : donner les moyens de produire loca-lement, ou se contenter d’acheter où les prix sont lesmoins chers.

N. Jacquet: Effectivement, les collectivités territorialessont déjà très investies dans l’agriculture. En revanche,je crains un phénomène de renationalisation de la poli-tique agricole. Les agriculteurs ont beau pester contreBruxelles, je pense qu’ils raisonnent « européen ». Celafait 40 ans que les marchés se font à cette échelle.

P. Kirchner : L’échelle régionale permet de compen-ser des orientations nationales avec des financementsspécifiques. Par exemple, nous avons une forte politiqued’installation en Midi-Pyrénées. Dans dix ans, la moi-tié des agriculteurs de Midi-Pyrénées auront disparu.De plus en plus de communes s’inquiètent de cette dis-parition. À une époque, nous avions lancé ce slogantoujours d’actualité : trois petites fermes valent mieuxqu’une grande. Dans la filière lait par exemple, il est plusintéressant d’avoir trois exploitations à 200 000 litresde quotas qu’une ferme à 600000 litres. Car le jour oùl’exploitant de cette dernière partira à la retraite, on nepeut pas être certain de trouver un successeur. Lespetites structures ont plus de chance de trouver desrepreneurs.Dans ma municipalité, il y a aujourd’hui des terrains demaraîchages en friche faute d’agriculteurs. La munici-palité a passé des annonces pour en recruter. Elle envi-sage même de mettre à disposition ou d’aiderfinancièrement l’acquisition de logements dans cettezone périurbaine où les prix de l’immobilier ont grimpé.

P. Duran : Derrière cette idée de contrat, il y a cellede la qualité des produits. Comment construire cettepression à la qualité dont tout le monde a besoin ?

P. Deloffre : La qualité se construit d’abord par desexigences réglementaires, et celles-ci augmentent pro-gressivement au niveau national et européen. Elle seconstruit ensuite dans chaque entreprise par rapport àce socle minimum : qu’est-ce que je promets de plusau consommateur, en termes de qualité intrinsèquedu produit, ou d’exigences telles que, pour la viande,la manière dont sont élevés les animaux. À partir de cesocle, chaque entreprise fait valoir sa spécificité, y com-pris en terme d’images. Car si la part de l’agricultureclassique est effectivement de plus en faible dans l’in-dustrie agroalimentaire, celle consacrée à toutes lesvaleurs ajoutées du produit est de plus en plus forte.C’est la contrepartie.Pour vous répondre sur la pression à la qualité, la pre-mière d’entre elles est simple : quand une marque estvotre principal actif, le risque majeur est qu’elle soit

détruite par un accident de qualité. Bonduelle est à lafois le nom de la marque et de l’entreprise. Si, demain,des consommateurs ont de graves problèmes de santéaprès avoir consommé l’un de nos produits, l’entreprisen’existe plus. Avec une telle épée dans le dos, vous êtesobligés jour après jour d’augmenter vos efforts pourgarantir au consommateur qu’il ne sera pas déçu par vosproduits. C’est un aiguillon bien plus puissant que laréglementation ! D’autant que le seuil d’exigence duconsommateur augmente en permanence. Unexemple : il y a une dizaine d’années, nous avons initiéune charte d’approvisionnement de type agriculture rai-sonnée. Nous nous sommes fait tirer à boulet rougepar les collectivités locales parce que l’on refusait l’épan-dage des boues des stations d’épuration. Il a été dit quecette charte était intolérable, que l’on s’opposait audéveloppement urbain… Aujourd’hui, c’est tout à faitadmis. Garantir que nos produits sont exempts de rési-dus pouvant mettre en péril la santé des consommateursest devenu un socle sur lequel on s’appuie.

P. Duran : Sur la question du politique, je me tournevers Alain Berger. Est-ce que le ministère de l’Agricul-ture et de la Pêche sert à quelque chose aujourd’hui ?Quid du niveau de l’État aujourd’hui dans les politiquesagricoles ?

A. Berger : Je poserai la question différemment : leministre de l’Agriculture est-il le ministre des agriculteursou de l’agriculture dans la société? S’il s’agit de défendreune corporation par opposition à une société hostile,alors, non ! C’est le pire scénario envisageable. Si c’estpour faciliter une intégration qui reste encore à faire,favoriser la compréhension de ce qu’est l’agriculture parles contribuables, consommateurs et citoyens, alors là,oui ! Car les enjeux politiques sont considérables. L’ali-mentation, qui englobe la sécurité sanitaire, l’autosuf-fisance et les problématiques géopolitiques au niveaumondial, mérite déjà, à elle seule, une politique. S’yajoute celle du territoire. Nous sommes constammenten balance entre l’équité, qui suppose la mutualisa-tion, donc une politique centralisée, et la multiplica-tion des projets territoriaux, parce que c’est là que setrouve la réalité. Avec une Europe à vingt-sept, il y a unéventail de réalités territoriales très ouvert, avec deslogiques de projets plus que de guichets.Dans le contexte actuel, l’État se désengage. Il n’y a pasde politique agricole commune mais une OrganisationCommune de Marché (OCM) sur les fruits et légumesqui n’est pas interventionniste. Les autres OCM sont pro-gressivement en train d’être démantelées. Si l’État n’in-tervient plus, et sachant qu’il y aura toujours uneinstabilité forte dans l’univers agricole, peut-on espérerune régulation par les lois du marché ? Pensez-vousvraiment qu’un distributeur va accepter des fluctua-

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tions en aval ? Nous aurons de fait toujours besoin d’unEtat régulateur. Peut-être moins sous la forme demannes financières, et plus en termes d’espaces régle-mentaires. Je pense, par exemple, que l’on a énormé-ment à faire en droit de la concurrence. Il estaujourd’hui trop figé pour être adapté à l’univers agri-cole. De plus, l’inégalité est trop grande entre un amontrelativement atomisé et un aval relativement concentré.

Retrouver la vueP. Duran : Je reviens sur un point très important.Nous avons toujours raisonné en termes de logiques deproduction. Or Alain Berger nous rappelle que noussommes surtout comptables des conséquences. Et cequi modifie aujourd’hui considérablement la donne,c’est la relative visibilité de ces dernières. On pouvaitautrefois négocier heureux et cachés. Aujourd’hui, l’im-pact des politiques dont nous sommes tous acteurs selit sur le territoire. La contrainte de négociation et decontrat vient peut-être de cette perte de singularité. Lapire des choses est de croire que l’on ne ressemble àpersonne. Or tout ce que vous observez là pour l’agri-culture s’observe également pour l’ensemble des poli-tiques publiques : la désegmentation, la multiplicité deséchelles et des acteurs concernés. Nous avons donc àconstruire des dispositifs de gestion pour lesquels nousne sommes pas très armés.

P. Deloffre : Les situations sont de plus en plusdiverses dans un espace qui est plus large que le régio-nal ou le national. Il y a un échelon tout aussi important,c’est l’Europe. Elle met en place un certain nombre depolitiques qui, dans un grand nombre de cas, changentprofondément les règles du jeu. La difficulté à laquellenous devons aujourd’hui faire face est la suivante :quelle visibilité des politiques agricoles au niveau régio-nal, national, européen peut-on avoir et quelles sont lesinteractions entre ces trois niveaux tout en sachant quenous travaillons sur des pas de temps, dans nosmétiers, de l’ordre de trois à cinq ans minimum? On nedéménage pas une usine comme cela ! Nous avonsbesoin d’une clairvoyance quant aux politiques qui vontêtre menées aux trois échelons.

N. Jacquet : Nous avons tous besoin de visibilité àlong terme. Quand, avec le découplage total, certainspays ont accordé des aides pour les légumes transfor-més, et d’autres non, je me doute que cela doit être dif-ficile à gérer pour une entreprise de légumestransformés. Doit-elle investir en France, au Royaume-Uni ou à l’Est ? Les producteurs comme les transfor-mateurs ont besoin d’y voir clair. L’échéance de 2013me paraît de courte vue. Nous devons imaginer unenouvelle PAC à l’horizon 2020-2030 pour pouvoir inves-tir et rentabiliser ces investissements.

A. Berger : Aujourd’hui, la logique du contrat est iné-luctable pour des tas de raisons, ne serait-ce que celledu malaise supposé entre agriculture et société. Lepremier type de contrat est simple : il concernel’échange entre le producteur ou l’élaborateur et leconsommateur. Ensuite, il y a tout un éventail d’outilscontractuels, qui vont de la pacification des rapports jus-qu’à la logique synergique où l’on construit un avenirensemble. Dans ce cadre, il faut du temps. Les gensdoivent apprendre à se connaître, à considérer que lesinterlocuteurs sont fiables, à passer l’éponge sur toutesles déceptions, les contrats bidons… Il faut aussi quele consommateur apprenne à connaître les réalités del’agriculteur. Prenez l’exemple du prix des fruits etlégumes. On entend en permanence qu’ils sont chers.Mais qui sait qu’en une heure, un ramasseur ne récolteque 10 kg de cerises, que le coût horaire de main-d’œuvre est de 12 ou 13 euros de l’heure, chargescomprises et que ramasser un kilo de cerises coûtedéjà 1,30 euros ? Personne ! ■

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Guy Paillotin : Parler de contrat donne une vision limi-tée de la profession agricole ce qui, de temps en temps,a pu gêner les partenaires tels que Pierre Deloffre.Lorsque j’ai fait le rapport sur l’agriculture raisonnée, j’aidiscuté avec les pouvoirs publics, le syndicalisme agri-cole mais aussi les chambres d’agriculture et les coopé-ratives. Il y avait d’ailleurs entre elles une émulationsympathique sur le sujet. On ne peut pas omettre lescoopératives dès lors qu’on évoque les contrats éco-nomiques. De même qu’on ne peut pas oublier leschambres d’agriculture quand on parle d’environne-ment et de bien public. Enfin, si l’on veut aller un peuplus loin, il m’est arrivé de discuter avec les présidentsdu Crédit Agricole et de Groupama qui, contrairementà ce que l’on pourrait croire, défendent l’idée d’un dis-positif assurantiel pour la production. Il est donc dom-mage de ne pas avoir un panorama plus large pourmontrer toute la puissance économique de la profes-sion agricole ! Quand Pierre Deloffre rencontre certainescoopératives, je suppose qu’ils ont des discussionsd’égal à égal sur un certain nombre de questions. Et jeme félicite qu’il y ait en France des syndicats et descoopératives puissantes.

Brigitte Prévost , présidente d’une association deconsommateurs, l’Adéic 31 : Je voudrais réagir aux pro-pos de M. Deloffre. Vous avez dit que la publicité n’évo-quait jamais l’agriculture parce que le consommateurn’est pas prêt à entendre la réalité d’aujourd’hui. Moi,je pense qu’il est prêt pour cela, mais qu’on ne la luimontre pas car l’image ancestrale de l’agriculture dansla publicité est plus flatteuse et vendeuse.

Pierre Deloffre : Si l’industrie agro-alimentairedépense chaque année des sommes importantes encommunication pour vanter ses produits, c’est qu’elles’appuie sur des études réalisées auprès des consom-mateurs. Et il ressort clairement de ces études queles consommateurs attendent aujourd’hui soit un dis-cours sur une agriculture de type ancestrale, soit undiscours exempt de toute référence à l’agriculture.Danone ne parle jamais d’éleveurs laitiers. Non pasparce qu’il ne le souhaite pas, mais parce que sesconsommateurs attendent de lui autre chose : de lasanté, du bien-être, de l’équilibre nutritionnel. Je ne faisici qu’un constat.

DEBAT

L’agriculture n’a plus de mission, mais desfonctions dont on débat

Henri-Bernard Cartier, président de la Chambred’agriculture du Gers : Le consommateur ne manque derien, ni en qualité, ni en quantité. Même s’il demandetoujours plus, on peut dire que la mission a été remplie.Parallèlement, le nombre d’agriculteurs a été diminuépar deux ou trois. Cette révolution s’est opérée parceque les agriculteurs travaillent plus. Celui qui hier avait50 vaches en a aujourd’hui 100, celui qui avait 100 hec-tares en a 200… L’agriculture a répondu à la demandequi lui a été faite. Qu’est-ce que le consommateurattend de nous aujourd’hui? Les agriculteurs vont devoirallier productivité, qualité sanitaire et environnementale.Le consommateur quant à lui, est-il prêt à discerner etchoisir des produits identifiés ? Continuera-t-il à ache-ter des produits du Brésil alors que, pour produire cesderniers, on saccage la forêt amazonienne ? Il faudrabien que sa parole se traduise en actes. Mon gendreest dans le commerce équitable du côté de Biarritz…Une belle idée qui ne lui permet pourtant pas d’envivre économiquement.

P. Deloffre : Il faut faire attention effectivement à dif-férencier l’opinion du comportement. On peut avoir debelles idées et se comporter de manière différente. Jevous rappelle au passage que le premier restaurateuren France s’appelle Mac Donald.

Alain Berger : Vous utilisez le terme de « mission ».Nous ne sommes plus dans cette logique. Nous avonscomplètement changé de rapport. Est-ce un rapportfournisseur-client ? Je ne sais pas. En tout cas, c’estpour cela que j’ai parlé plutôt de fonction. Cela changebeaucoup de choses. La mission ne donnait pas lieu àdébat. Vous aviez telle mission que vous deviez assu-mer. Aujourd’hui, nous voulons en débattre démocra-tiquement. C’est une bonne chose. Le consommateurdemande effectivement que le produit soit lié à desvaleurs qui vont au-delà de ses qualités intrinsèques.Et si on lit la réalité sous cet angle, on comprend mieuxcertains malaises ou incompréhensions actuelles.

Dominique Olivier, responsable de coopérative : J’aiété surpris ces derniers temps par la publicité de Sodial,qui parlait d’un agriculteur coopérateur, ou par celle dela Macif dont le slogan est « assureur militant »… Demême, je suis surpris par la montée du commerceéquitable et des alter-consommateurs. Comme si leconsommateur cherchait, entre le bien privé et le bienpublic, un bien commun. Or une coopérative peut por-ter un certain nombre de valeurs susceptibles d’inté-resser le consommateur.

Christophe Abrassard, directeur adjoint prospec-tive Inra : De plus en plus d’entreprises agroalimen-taires et de distribution définissent d’ailleurs des

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politiques de développement durable et des pro-grammes d’actions associées. C’est, par exemple, le casde Monoprix qui a une offre de produits bio avec lavolonté de mettre en place un marché de« consomm’acteurs ». Ils n’attendent pas de connaîtreles souhaits des consommateurs : ils les fabriquent.Danone fait de même avec sa filière lait et ses contratsde gestion préventive des aquifères. Avez-vous chezBonduelle une politique équivalente et a-t-elle des effetsinnovants dans vos rapports avec les consommateurset avec la filière amont ?

P. Deloffre: Oui, elle se décline en quatre axes. Sécu-rité alimentaire et nutrition ; ressources naturelles ; agri-culture raisonnée ; développement des hommes et descollaborateurs de l’entreprise. Cette politique a été miseen place depuis cinq ou six ans. J’ai également signaléqu’il y a dix ans, nous avons mis en place une charted’approvisionnement. Il s’agit d’un engagement contrac-tuel avec 4 000 agriculteurs sur les 70 000 hectaresque l’on cultive en Europe. Cette charte s’est peu àpeu transformée en guide d’audit sur l’ensemble desprescriptions qui doivent être respectées pour atteindrenotre niveau de qualité et la préservation de l’environ-nement, en terme de traitements phytosanitaires, d’ir-rigation etc.Bonduelle est aussi membre fondateur de Cœur etArtères, une fondation basée au CHU de Lille, qui étu-die l’ensemble des relations entre la nutrition, laconsommation de légumes et les maladies cardiovas-culaires associées. Enfin, nous initions une cinquièmeaction concernant le transport et la logistique, car c’estun élément important de nos coûts et de la productionde CO2.

Yves Pinel : Les prises de parole précédentes m’inci-tent à m’interroger sur la représentativité. Bien évi-demment, il ne peut y avoir autour de la table les vingtou vingt-cinq organismes qui auraient la légitimité d’êtreprésents. Pourtant, quand vous dites que le consom-mateur a tout à sa disposition, cela n’exclut pas de sedemander qui a les moyens d’accéder à cette diversitéde produits. Je trouve important qu’un représentantd’une association de consommateur, soit autour de latable. Cependant, je pense que les débats pourraientprendre une tournure un peu plus polémique, au sensconstructif du terme, si les secrétaires de la CFDT, deFO, de la CGT étaient également présents à cette tablepour témoigner des conditions de vie d’une partie nonnégligeable de la population française.

Eliane Crepel : Sur la question de la représentation,il me semble que, politiquement, les agriculteurs sontproportionnellement très bien représentés. Je songenotamment aux sénateurs. Quant à leur identité, nous

n’avons pas évoqué la dimension affective. Je medemande si le moment n’est pas venu de clôturer lechapitre du Bal des célibataires décrit par Bourdieu. Ladévalorisation du monde agricole est faite. Voilà, il esttout en bas. Il est susceptible de disparaître. Il est peut-être temps de le réinclure dans la société. Les gens dupays ne sont-ils pas tous paysans finalement ?

Où l’on revient à la baguette de pain…Eric Pracisnore : Nous n’avons pas ou peu parlédes problèmes de coût. Permettez-moi donc d’en direun mot. Entre 1960 et 2005, les prix d’achat aux pro-ducteurs ont été divisés par deux en francs constants ;ce sont des données de l’Insee. Le consommateur, enbout de chaîne, n’a rien vu. Les agriculteurs sont vic-times de ce fait. Je crois qui si nous pouvions nousrencontrer plus souvent, nous aurions un intérêt com-mun à faire pression sur la grande distribution et lespouvoirs publics.

Charles Pujos, Office national des eaux et des milieuxaquatiques en Midi-Pyrénées et Aquitaine : Certains rap-ports comme l’état des lieux de la directive cadre surl’eau montrent que les pressions agricoles sur l’envi-ronnement ne cessent de croître avec des consé-quences fâcheuses sur les milieux. Un tiers seulementdes cours d’eau du bassin Adour Garonne est considérécomme étant en bon état. N’y a-t-il pas un black-outtotal sur la façon dont sont produites les denrées agri-coles ? C’est peut-être l’une des raisons qui expliquentque les agriculteurs peinent à s’emparer des questionsenvironnementales. Ils sont face à des problèmes dif-ficiles à traiter avec des pressions lourdes exercées surles milieux, qu’il est dur d’inverser malgré tous les dis-cours optimistes et volontaristes que l’on peut avoirdans ce domaine.

Claire Montgobert, Fédération agroalimentaire dela CFDT : Il y a une autre dimension que nous n’avonspas beaucoup évoquée pendant ces deux jours, c’estla question de l’emploi dans la filière agro-alimentaire.La présence des industriels est de fait importante. Nousconsommons peu de produits issus directement de laproduction agricole ; la plupart des produits consomméssont transformés. Je pense notamment à la restaura-tion hors domicile. Je me demande quelle est la placeaccordée à la politique de l’emploi dans les politiquesagricoles, pour l’ensemble des acteurs, qu’ils soientagriculteurs, salariés ou entrepreneurs ?

Nicolas Jacquet : Trois points pour conclure. Il fauteffectivement que l’on communique pour dire que noussommes présents sur les territoires et qu’à l’origine dela chaîne, se trouvent les paysans. Sur le commerce

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équitable, je vous rappelle qu’il y a un an, le prix du blécomptait pour 3 centimes dans le prix total de labaguette. Sachez que si elle comptait six centimes deblé, une grande partie de l’agriculture française et euro-péenne serait sauvée. Il ne faut donc pas grand-chosepour faire du commerce équitable.Troisième point : nous savons répondre aux besoinsdes consommateurs. Mais leurs attentes nous appa-raissent parfois contradictoires ou utopiques ; nousavons du mal à les saisir.

Dominique Barrau : Nous avons peu parlé de larecherche appliquée en agriculture. Ce domaine pro-pose de multiples solutions. Là aussi, cela passe par uncontrat. Si la recherche arrive à influencer le politiquepour que l’on aille vers une politique alimentaire, je croisque les maillons se mettront en ligne. Mais cela ne sefera pas effectivement au prix de trois centimes de blédans la baguette. Ce sont des process qui demandentplus de surfaces, plus de temps, plus d’emplois. ■

LECTURE DE LA JOURNEE

Le déluge est près de nousPar Egizio Valceschini (1), directeur de recherche Inra.

Je vais évidemment revenir sur la notion de contrat.Pour que ce dernier fonctionne efficacement, il fautqu’il porte une stratégie partagée par les parties pre-nantes. D’où cette question : quelle stratégie peut êtreaujourd’hui partagée par tous en Europe ? Pour mapart, je développerai la notion de stratégie d’investis-sement, en reprenant pour partie ce qu’a évoqué LucienBourgeois ce matin à propos de la crise des marchésmondiaux, due notamment à un défaut d’investisse-ment au cours de ces dernières années. Et il y a effec-tivement, selon moi, des investissements d’intérêtcollectif que nous devons impérativement faire.Mais auparavant, je voudrais revenir sur un point quime tient à cœur. Depuis hier, nous analysons la poli-tique agricole commune, donc une politique à l’échelleeuropéenne. Pourtant, dès lors que nous parlons desagriculteurs et des autres acteurs concernés, nousnous appuyons uniquement sur le cas français. Pour-tant, avec le dernier élargissement, de profonds chan-gements ont eu lieu. Les agriculteurs européens nesont plus du tout les mêmes. Plus que jamais, nous nesommes pas seuls en Europe. L’agriculteur, au sens col-lectif, doit non seulement être raisonné à l’échelle del’espace communautaire, mais il ne ressemble en rienà l’agriculteur européen des cinquante dernièresannées. Cette remarque est d’autant plus importantequ’il est une des parties prenantes du contrat.Au fond, commençons par nous demander quel est l’in-térêt d’une politique publique ? L’intérêt collectif qu’elleva mettre en avant doit être pensé par rapport à unavenir commun. Opérer des investissements, cela signi-fie que nous sommes prêts aujourd’hui à consacrerdes efforts ou des financements pour un résultat quiaura lieu demain et dont on ne connaît pas encoretous les tenants et aboutissants. Mais ce qui est certain,c’est que sans cet investissement présent, nous seronsprobablement en mauvaise position demain. Plusieurschantiers sont ouverts, et nous les avons évoqués en fili-grane toute la journée. Sans prétendre être exhaustif,je voudrais en citer quatre ou cinq.Il y a tout d’abord des investissements à faire dans l’or-ganisation des agriculteurs et des filières. Un exemple :les politiques agricoles française et européenne dans lesannées 70 ne reposaient pas que sur des subventions ;elles consacraient également des moyens à l’aide auxgroupements de producteurs. Si l’agriculture euro-péenne est encore compétitive, c’est parce que l’on a

(1) Ses travaux portentsur les différentesstratégies de qualité,l’organisation desfilières et laréglementation enEurope des signesofficiels de qualité.C’est également unspécialiste des contratsentre producteurs etindustriesagroalimentaires.Depuis septembre2006, il est lereprésentant françaisdu Comité permanentpour la rechercheagronomique qui aidela Commissioneuropéenne à définir lesgrandes orientations dela recherche.

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su créer des formes d’organisation adaptées, même sielles diffèrent d’un pays à l’autre. À présent, il nousfaut probablement les revisiter et les réformer pourqu’elles répondent aux nouvelles règles du commerceinternational, ce qui nécessite des investissements à lafois financiers et juridiques.Le deuxième domaine concerne la formation et la com-pétence. C’est ce que nous a dit Michel Griffon : nousallons vers un nouveau modèle technologique. Cela nesignifie pas que toutes nos connaissances seront inva-lidées mais que de nouveaux savoirs vont être produits.Il faudra bien les diffuser et les mettre en oeuvre. Or nossystèmes de formation, quelque peu scolaires et forte-ment hiérarchisés, n’y suffiront pas. Nous sommestous trop intelligents pour n’être que des élèves disci-plinés : nous avons envie de mieux comprendre et departiciper à la formation. Comme Michel Griffon nousl’a rappelé, les agriculteurs doivent être partie prenantede leur propre apprentissage technique.Troisième point. Vous allez me dire que je suis corpo-ratiste mais il y a des investissements importants à faireen recherche agronomique. Ce nouveau modèle tech-nologique que je viens d’évoquer appelle un nouveaumodèle scientifique et de nouvelles connaissances.Nouvelles pas seulement au regard du passé. Avec lechangement climatique, il y a de fortes probabilitéspour que certaines connaissances doivent être révi-sées parce que les données sur lesquelles elles portentont changé. C’est un enjeu considérable au niveaueuropéen. Dans cette perspective, l’alliance avec lemonde agricole sera également décisive.Enfin, des investissements sont à mener sur les formesde gouvernement - Je n’aime pas beaucoup le terme degouvernance. Lors de la crise de la vache folle, qui a pro-

voqué une chute dramatique du marché de la viande,on a ainsi inventé une nouvelle manière, transitoire maisefficace, de gouverner la filière. La grande distribution,les représentations interprofessionnelles, les syndicatsagricoles et les pouvoirs publics ont redéfini conjointe-ment les normes de production de la viande. Cela a eudeux effets : cela a permis de renforcer la sécurité surun problème méconnu ou inconnu auparavant. Etd’améliorer la situation économique en accentuant la dif-férenciation des viandes. Et aujourd’hui, alors que nousne sommes pas en situation d’urgence, nous ne saurionspas le faire? Cela me semble étrange. J’ajoute que cettenouvelle forme de gouvernement doit intégrer lesconsommateurs. J’adhère ici aux propos de Guy Paillo-tin. Le consommateur est en même temps très faible ettrès fort. Fort par le pouvoir que lui confère son gestequotidien d’achat : il peut peser sur certaines orientationséconomiques. Faible parce qu’il est peu représenté ins-titutionnellement en France et en Europe.Cette notion d’investissement renvoie à celle du temps :à quel horizon raisonne-t-on ? En règle générale, onparle d’investissement dans le long terme. Mais aujour-d’hui nous sommes dans une période trépidante etangoissante où se rencontrent le court et le long terme.Nous n’avons plus de temps à perdre. Nous ne pou-vons plus nous permettre de remettre au lendemain cesproblèmes. Nous ne pouvons plus dire, « Après moi, ledéluge ». Car, d’une certaine manière, le déluge est toutprès de nous. Aussi devons-nous raisonner nos inves-tissements en restructurant notre horizon temporel. ■

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Une fois appréhendés l’ampleur desmutations opérées dans le mondeagricole et dans nos sociétés ainsique les enjeux planétaires en termesalimentaires, environnementaux etéconomiques, peut-on dessiner denouvelles voies pour l’action publique?Que serait une politique agricole fran-çaise et européenne qui réponde àces défis, qui retrouve une lisibilitécollective et qui, par la légitimité deses finalités et de ses moyens, ren-contre l’adhésion de l’ensemble de lasociété quant à la place et au rôledes agriculteurs?Où l’on a pu entendre un exercice deprospective de la part d’acteurs éco-nomiques locaux et de gestionnairesde la décision publique ; l’agenda poli-tique des négociations qu’il convientde mener à l’échelle européenne parPhilippe Martin, Stéphane Le Foll etJan Mulder ; et les leçons que tirentde ces trois journées Patrice Duran,Olivier Lazzarotti, Michel Griffon etGuy Paillotin.

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D’UNE POLITIQUE AGRICOLE

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Pour ma part, je reste convaincu que l’agriculture aencore durablement besoin d’une intervention publiqueappropriée à sa spécificité. En termes d’analyse éco-nomique, l’absolue nécessité d’une régulation se fondesur les défaillances du marché, qui connaissent d’im-portantes fluctuations des prix, sur les aléas clima-tiques, ainsi que sur la non prise en compte des bienspublics et environnementaux par les prix. Soyonslucides : si le consommateur est prêt à payer la qualitéqu’il souhaite, il ne peut et ne veut pas assumer à sajuste valeur le coût du respect des normes environne-mentales, ainsi que Guy Paillotin l’a souligné dans sonrapport sur l’agriculture raisonnée(1). Enfin, il convientaujourd’hui de prendre en compte l’équilibre global dela balance carbone à l’échelle de la planète au regarddes conséquences du changement climatique. Làencore, l’intervention publique est requise dans lesannées à venir. Elle est loin de ne concerner qu’une poi-gnée d’agriculteurs : elle engage la cohésion socialetout entière.

La montée en puissance de l’organisation collective.Trois pistes de réflexion à présent. La première sur lesdomaines d’intervention des politiques publiques enmatière d’agriculture. En la matière, Edgard Pisani a étéd’une rare clairvoyance lorsqu’il prônait déjà, dans lesannées 60, le triptyque « L’homme, les produits, les ter-ritoires ».Ces trois dimensions nous guident toujours dès lorsque l’on tente de donner sens aux politiques publiques.Nous sommes en effet dans une phase problématiqueoù l’importance des soutiens publics à l’agricultureparaît inexplicable aux yeux du reste de la société. Il estdonc nécessaire de relégitimer ces soutiens, au nom dela gestion des produits et des territoires, de la formationdes hommes et de la recherche.De même, il convient de s’atteler à la mise en cohérencedes politiques agricoles, en fonction des niveaux d’in-tervention, ainsi que Philippe Mauguin nous l’expli-quera. Que faut-il mettre en œuvre, aux plans mondial,européen, national et local, pour construire dans les cin-quante ans à venir des équilibres tels que la productionalimentaire et la gestion de l’espace seront encore régu-lées ? Au niveau mondial, pour atteindre un équilibrecarbone et une sécurité d’approvisionnement sur lesdenrées de base ; au niveau européen, non seulementpour basculer d’une protection tarifaire à une protec-tion sanitaire, sociale, environnementale – et en lamatière, nous sommes en retard –, mais aussi pour lafaire respecter en termes d’importations, de manièreplus efficace qu’à travers des taxes et des subventions.De même, il s’agit de mettre en cohérence la politiquecommunautaire sur les modalités d’intervention dansles différentes régions. Dans cette perspective, lesniveaux de cofinancement doivent être repensés en

CONTRIBUTIONS

Pour retrouver le sens de l’orientationAprès deux jours de réflexion, le temps des prises deposition. Il était demandé en effet à chacun de verser sacontribution, pour approcher ce qui relève du choix politiqueet de la décision publique. À la tribune, après l’introductionde l’économiste François Colson, chargé de clarifier lesenjeux, se sont d’abord succédés les points de vue d’acteursde terrain : Christian Laforêt, qui rapportait la position destrois grandes coopératives gersoises Avigers (volailles),Vivadour (semences) et Plaimont (vins) ; Henri-BernardCartier, président de la chambre d’agriculture du Gers ; etChristian Dauriac, pour le groupe local de réflexion.Philippe Mauguin, délégué régional Ile de France pourl’Agriculture et la Forêt, ainsi que François Mitteault,directeur du Développement rural au Cnasea, ont ensuitedéveloppé le regard qu’ils portent sur la politique agricole àconstruire au regard de la décision publique. Desinterventions que relie un même credo: clarté de la politique,cohésion sociale et cohérence des échelles de décision.Une règle des « 3 C » que seule l’intervention publique peutinitier et prendre en charge.

L’heure de la prospectiveUn avant-propos de François ColsonLa période que nous vivons se prête véritablement àune réflexion de prospective sur la politique agricole.Cinquante ans après le traité de Rome, nous assis-tons à un basculement de la place qu’occupent l’agri-culture et l’agriculteur dans la société, ainsi que desconditions d’élaboration des politiques publiques. N’ou-blions pas en effet qu’il y a un demi-siècle seulement,les agriculteurs représentaient près de 20 % des actifset qu’un agriculteur nourrissait alors 8 personnes.Aujourd’hui, ce dernier nourrit plus d’une centained’individus. Il est évident que la place de l’agriculteurdans la société a considérablement changé. Il en va demême pour les échanges agricoles au niveau interna-tional. Dans les années 60, ceux-ci représentaient25 % du commerce mondial. Aujourd’hui, leur partse situe en dessous de 10 %.Cette réflexion de prospective est également renduenécessaire par plusieurs rendez-vous qui nous atten-dent très prochainement : la révision de la PAC, le nou-veau cycle de Doha, mais aussi, en France, lesinterrogations que certains expriment sur l’utilité ounon de maintenir un ministère de l’Agriculture. Avec leraisonnement suivant : les agriculteurs étant devenusdes acteurs économiques comme les autres, avons-nous besoin d’une politique agricole perçue commeune béquille ?

(1) Rapport commandéen 1999 par JeanGlavany, alors ministrede l’Agriculture et de laPâche, à Guy Paillotin, àl’époque Président del’Inra. Rendu public enmars 2000.Téléchargeable sur lesite de la MissionAgrobiosciences :www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=0140

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vue de rééquilibrer les inégalités dans le développe-ment économique. Enfin, au niveau national, l’enjeuréside principalement dans la formation et la rechercheainsi que dans l’équilibre territorial. Même si les Régionsinterviennent pour moins de 5 % des soutiens publicsà l’agriculture en France, il est évident qu’elles vontjouer un rôle de plus en plus déterminant.Troisième piste : l’importance du processus de miseen œuvre des politiques agricoles par l’organisationcollective des agriculteurs. Le basculement qui va s’ac-célérer dans les années à venir, c’est celui d’une poli-tique agricole qui va passer du top down (logiquedescendante) au bottom up (mouvement ascendant) ;Là où toutes les règles étaient construites par la déci-sion publique et la réglementation au niveau du minis-tère et de Bruxelles, nous allons vers une montée enpuissance de l’organisation collective, professionnelleet interprofessionnelle, apte à exercer un rapport deforces. Ainsi, selon moi, l’organisation coopérative estexemplaire au niveau d’un territoire, même s’il convientde surpasser la difficulté liée au pluralisme. Etre capablede travailler ensemble sur certains aspects alors que desdésaccords existent sur d’autres, nous ne savons pasfaire en France. Cela nous rend fragile.Pour terminer cet avant-propos, je m’inspire du concertde jazz auquel j’ai assisté hier soir : un groupe d’une éner-gie impressionnante, composé de six chanteuses amé-ricaines dont l’une était muette et s’exprimait avec lelangage des signes. Voilà l’enjeu pour toute création col-lective, dont relève la politique agricole : la réussite seraliée à la capacité d’instaurer une égale dignité de toutesles fonctions alimentaires et environnementales et detous ses acteurs, salariés agricoles ou industriels del’agroalimentaire, fonctionnaires ou agriculteurs. C’estpour moi l’un des critères d’une politique capable d’as-surer la cohérence nécessaire pour mieux vivre ensemble.

Politiques, soyez clairs !Par Christian Laforêt, président d’Avigers.Je commencerai par spécifier que les coopérativesoccupent une position très particulière, puisque nousnous plaçons entre les agriculteurs et le monde éco-nomique. Une fonction d’intermédiaire qui fait circulerégalement l’information entre ces deux mondes, entenant au courant les agriculteurs des orientations poli-tiques, et en faisant remonter les doléances de cesderniers sur les effets de ces orientations. Dans le Gerset le Sud-Ouest de la France, s’y ajoute une autre sin-gularité. La politique agricole a en effet pris en comptecertains de nos handicaps en termes de moyens, aidantle secteur à les compenser par le développement deproductions et de filières de qualité.À notre niveau, comment percevons-nous le contextegénéral actuel ? D’abord, nous constatons une pro-

gression de la libéralisation. C’est très net. Aussi bienpour les productions directement concernées par laPAC, comme les céréales, que pour d’autres filièrestelles que la viticulture où disparaissent des élémentsrégulateurs comme les droits de plantation. Et notreprincipale inquiétude pourrait se résumer ainsi : où va-t-on ? Nos structures coopératives vont-elles avoir àfaire à des agriculteurs de culture paysanne ou fami-liale, ou serons-nous face à des exploitations de grandestailles, ce qui implique des relations très différentes ? Lemonde coopératif s’étant élargi en intégrant l’offre defournitures, en gérant l’approvisionnement, voire enassumant la collecte de céréales, il s’est investi dans lemonde économique et constate aujourd’hui que la libé-ralisation ne supprime pas toutes les distorsions deconcurrence, notamment vis-à-vis de l’étranger. Desdistorsions sociales et environnementales, notamment,qui affectent nos produits. Autre incertitude, plusrécente, qui nous préoccupe : la surenchère énergé-tique. Serons-nous capables, demain, de répondre à lafois à la demande alimentaire et à celle des énergiesrenouvelables ? Enfin, nous nous questionnons sur letype d’accompagnement de l’agriculture que va adop-ter l’Europe. Depuis des années, nous connaissons auplan communautaire des schémas compensatoires parrapport aux prix sur les marchés mondiaux. Mais lesÉtats-Unis, eux, mettent l’accent sur des systèmesassurantiels, climatiques et économiques. Quellesseront les options européennes à moyen terme ?Vous l’avez compris, ce que nous demandons en pre-mier lieu, c’est que le choix politique soit très clair,expliqué et affirmé. Nous avons le sentiment que depuisdes années, nous assistons à du replâtrage, de simplescolmatages ici ou là. Quelles que soient les optionsprises par la puissance publique, nous ferons tout pourles mettre en œuvre et en assumer les conséquences,mais au moins, que ce choix soit clair !

Pas de coop sans produits différenciés. Très humble-ment, notre groupe a essayé ensuite d’approfondir deuxpoints importants à nos yeux. Le premier est lié à l’évo-lution de notre fonction coopérative, initialement prévuepour rassembler les agriculteurs et regrouper une offredans un contexte économique précis. Or, nous inté-grons de plus en plus une dimension territoriale, y com-pris au niveau des produits. Aussi sommes-nousattachés à une agriculture européenne capable deprendre en compte la différenciation territoriale. Queserait le monde coopératif s’il n’y avait qu’un produitstandard produit et commercialisé dans toute l’Europe?À quoi servirions-nous ?Certes, il existe déjà une politique communautaire enla matière. Il s’agit tout simplement des indications géo-graphiques – les IGP et les AOP – inspirées de la poli-tique française des AOC et des labels rouges, mais

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beaucoup plus orientées sur la défense des territoiresque sur celle de la qualité. C’est là une source de confu-sion. Alors qu’en France, nous raisonnons en termede cahier des charges sur la qualité, Bruxelles protègeun nom. Dans ce cadre, nous avons deux questions :cette politique territoriale doit concerner quelle part deproduits ? 10 %, 20 % ? Ou 100 % des produits euro-péens ? Il faut nous le dire car il est évident qu’il y auraaussi des produits basiques, issus de n’importe quelendroit, sans distinction aucune.Deuxième point, quelles sont les implications territorialesd’une politique européenne ? Au-delà de la politiqueagricole pure, y a-t-il un cadre plus large ? Ainsi, nouspensons qu’aujourd’hui, la politique de qualité tellequ’on l’a vécue en France s’épuise. Pour le consom-mateur, il va donc falloir faire apparaître une autre dif-férenciation. Et là, réapparaissent des notions tellesque la consommation de carbone, en espérant que lapolitique territoriale menée sera en faveur de ces cri-tères. De même, comment prendre en compte la rura-lité, les plans d’urbanisme et la place de l’agriculturedans des campagnes qui se repeuplent ? D’autant queplus on s’approche des zones urbaines, plus il y aopportunité de faire de la vente directe, et plus les typesd’exploitations diffèrent de ce que nous collectons encoop. Enfin, quel relais aura cette politique européennesur le terrain, sachant que sa traduction économiqueest actuellement opérée par les instances régionales ?Pour conclure, nous souhaitons vous adresser un mes-sage : dans toutes ces réflexions, il ne faut pas oublierle facteur humain. De notre côté, nous commençonsà nous interroger sur le nombre de bras dont nous dis-poserons demain : en aurons-nous assez pourrépondre à la demande de produits alimentaires ouénergétiques, principalement dans la filière animale ?Comment accompagner ce risque de pénurie de main-d’œuvre et quelle formation mettre en place pour chan-ger l’état d’esprit des futurs agriculteurs et salariésagricoles ?

Si le cadre est fixé…Henri-Bernard Cartier, président de lachambre d’agriculture du GersJe ne suis président de la chambre d’agriculture quedepuis quatre mois, mais j’ai aussi d’autres responsa-bilités, en tant que secrétaire général de l’Associationgénérale des producteurs de maïs (AGPM) au niveaunational et européen. À ce titre, je participe régulière-ment à des réunions ou des travaux dans le cadre denégociations internationales. Je considère que c’estune chance car d’un côté, je peux ainsi mieux cernerles enjeux de la politique agricole européenne, et del’autre, je suis un acteur de sa mise en place au niveaudépartemental.

Nous sommes dans une situation, ici comme ailleurs,qui est et restera tributaire du contexte européen etmondial. D’ailleurs, si vous regardez l’agriculture ger-soise, extrêmement diversifiée ainsi que Christian Dau-riac l’a indiqué, certains produisent pour le marchémondial, d’autres pour le marché européen, d’autresencore, comme Avigers, pour un marché national, sansoublier ceux qui s’insèrent sur un marché local deproximité… De fait, il y a là une panoplie d’agriculteurset d’agricultures qui sont d’abord sur des marchés.C’est fondamental.Nous sommes tributaires de l’existence de marchésmais aussi de politiques d’accompagnement, car nousn’avons pas forcément réussi, sur tout le territoire natio-nal, à maintenir une activité agricole partout où lecontexte économique le permettait. Oui à une fortePAC, donc. Et je le dis d’autant plus volontiers que jefais partie de ceux qui se sont battus, non pas contreune politique agricole commune, mais contre laréforme de 1992. Un tournant terrible qui a introduitla notion d’aide, sans lien avec la production. C’estnotre dignité qui a été mise en cause. Ce dont nousavons besoin aujourd’hui, c’est d’une orientation poli-tique ferme pour savoir quel est le cadre dans lequelnous allons agir. Ainsi, l’Europe va-t-elle faire le choixd’une agriculture qui prenne en compte la probléma-tique actuelle, nationale, internationale et gersoise ?Car rappelons-le : il s’agit de continuer à faire pro-gresser la disponibilité des ressources alimentaires. Etl’acte de production est plus que jamais nécessairepour apporter dans le même temps des réponses nou-velles aux problèmes de l’énergie. Ce qui suppose qu’ilfaut à la fois accentuer les efforts d’innovation et demaîtrise des enjeux environnementaux, et continuer àsuivre de près l’évolution des modes de vie en orien-tant nos productions vers les besoins d’équilibre nutri-tionnel, de santé publique et de sécurité sanitaire. À lapolitique européenne de choisir d’intégrer ou non cesenjeux dans un cadre. Si celui-ci est fixé, ne soyezpas inquiets, les agriculteurs ont toujours su fairepreuve de leurs capacités d’adaptation, à conditionque la recherche nous propose des méthodes et desoutils nouveaux. Aussi, à l’Inra, je dis : nous avonsbesoin de chercheurs, et nous avons besoin aussi detrouveurs, car produire demain ne se fera pas avec lessolutions d’hier. À condition également, et c’est crucial,que nous acceptions tous de parler des véritables pro-blèmes. Nous et Vous. Il y a par exemple des taboussur l’eau : pouvons-nous enfin parler ensemble serei-nement de son utilisation ? De même, est-il scandaleuxde parler des biotechnologies ? Confrontons-nous àtous ces débats, ici comme ailleurs, car les problèmesdu Gers sont les mêmes que ceux qui se posent auxniveaux national et communautaire.

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Oublier l’étroitesse de la logique sectorielle

Par Christian Dauriac, animateur du Groupelocal de réflexion(2)

Nous avons d’abord remarqué entre nous que malgréla très grande diversité de nos profils et expériences,nous partagions des avis assez homogènes sur la PAC.Après avoir valorisé la diversité de nos agricultureslocales, nous avons souligné la nécessité d’équilibrerles soutiens publics entre les différentes filières de pro-duction. Car dans ce secteur un peu difficile decoteaux, certaines productions extensives connaissentparfois des difficultés, en particulier pour l’élevageovin. Si ce dernier disparaît ou se délocalise, nous ris-quons de voir les prairies herbagères remplacées pardes cultures qui n’apportent pas les mêmes avantagesterritoriaux, paysagers et environnementaux. De même,les producteurs de fruits et légumes se voient confron-tés à un prix de marché inférieur à leurs prix derevient…Aussi avons-nous formulé trois suggestions qui nousétaient apparues très novatrices, mais qui le sont moinsaprès deux jours de débats ! Il est toutefois intéressantde relever cette convergence de vues.Premièrement, la politique agricole ne doit pas êtredéconnectée des autres politiques car cela induit uneopposition ou une rivalité entre elles. Les agriculteurs,eux, conçoivent leurs activités dans le cadre d’unensemble de politiques cohérentes, qu’elles soient ter-ritoriales, rurales, énergétiques ou environnementales.Toutes ont des incidences très fortes sur leur secteur.Il faut donc inscrire pleinement l’agriculture et la poli-tique agricole dans ce large environnement.Ensuite, selon nous, une régulation équilibrée par lemarché doit primer sur une régulation politique. Lesagriculteurs souhaitent concrètement tirer leurs reve-nus de leur métier, grâce aux prix de leur produit,peut-être parce qu’ils ont justement été très critiquéspour les aides et les compensations qu’ils reçoivent,pas toujours bien perçues par l’opinion publique. Enfin,sachant que la dimension européenne de la PAC nepermet pas de répondre aux enjeux de relocalisationet de diversification des productions, nous avons insistésur une nécessaire régionalisation des politiques agri-coles.La réponse n’est donc pas seulement à trouver dansles instruments classiques de la politique agricole : ellenécessite aussi un changement de modèle agricole etagronomique, favorisé par la synergie des compé-tences entre la recherche, les instituts techniques, leschambres d’agriculture, les coopératives et les agri-culteurs.

Nous avons en main tous les éléments du Lego®

Par Philippe Mauguin, directeur régional Ilede France pour l’Agriculture et la Forêt.Il m’a été demandé de définir les manières dont onpourrait articuler les différentes échelles de décisionpublique, du mondial au territorial, du global au local.Pour commencer par le niveau mondial, il existe déjàdes dispositifs qui encadrent les politiques agricoles,définis au niveau de l’OMC, de la FAO et du Codex Ali-mentarius(3). Pour l’essentiel, ce sont les normes sani-taires et phytosanitaires qui président aux échangesde denrées agricoles à l’échelle de la planète. Aujour-d’hui, même si des débats ont cours pour faire évoluerces normes et leur champ d’application - par exemplesur les Ogm ou les viandes aux hormones - il est acquisqu’elles doivent continuer à être déterminées au niveaumondial. Il en va de même pour un autre volet quitouche de près aux échanges agricoles : la propriétéintellectuelle, dont relèvent les brevets et les marques,et peut-être demain, comme nous l’espérons, les Indi-cations Géographiques.Reste que, selon moi, les dispositifs de régulation àl’échelle mondiale devraient aller plus loin en intégrantd’autres paramètres tout aussi importants. La luttecontre l’effet de serre, par exemple, qui depuis les Som-mets de Rio et de Kyoto, pourrait aboutir à un consen-sus sur une fiscalité un peu plus prescriptive, tellequ’une taxe mondiale sur les émissions de carbonenon renouvelable. Cela devrait être également le cas surdes normes sociales minimales qui, en reprenant lesorientations du Bureau International du Travail, prési-deraient à la production des biens ayant vocation àêtre échangés au niveau international.Enfin, il est décisif que les discussions à l’OMC pro-gressent sur la reconnaissance de la légitimité des poli-tiques agricoles conduites dans les blocs géographiquesrégionaux, en cohérence avec leur niveau de dévelop-pement économique et social. Quel que soit le devenirdes négociations du cycle de Doha, il me semble quenous allons dans ce sens, et même de façon irréver-sible, du moins je l’espère. D’ailleurs, la crise sur les res-sources énergétiques et le début des tensionsmondiales sur les ressources agricoles joueront pro-bablement un grand rôle, amenant les plus rétifs – leséconomistes et les politiques anglo-saxons notamment–, à accepter cette idée de façon plus explicite qu’au-jourd’hui.Si l’on aborde le bloc géographique qui nous intéresse,celui de l’Union européenne, de nombreux élémentssont déjà fixés au niveau communautaire : en matièrede politique environnementale, non plus au niveau desbilans carbone et de changement climatique mais, à un

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(2) Le groupe local deréflexion Communautéde Communes Bastideset Vallons du Gersrassemble des élus, desagriculteurs et desacteurs du monde ruralde tout le département.Il collabore à laconception del’Université d’Été deMarciac et préparechaque année un pointde vue sur le sujet encours.

(3) Le Codexalimentarius est unrecueil de normesalimentairesinternationales, adoptépar la Commission dumême nom. Créée en1963 par la FAO etl’OMS, celle-ci estchargée d’élaborer desnormes alimentaires,des lignes directrices etd’autres textes, tels quedes Codes d’usages,dans le cadre duProgramme mixteFAO/OMS sur les normesalimentaires. Les butsprincipaux de ceprogramme sont laprotection de la santédes consommateurs, lapromotion de pratiquesloyales dans lecommerce des alimentset la coordination detous les travaux denormalisation ayant traitaux aliments entreprispar des organisationsaussi biengouvernementales quenon gouvernementales.

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niveau intermédiaire, sur les normes de qualité de l’eauque l’on souhaite définir, sur les objectifs de biodiver-sité, sur le rythme auquel on souhaite aller et les choixque nous voulons opérer en matière de maîtrise del’énergie et de développement des énergies renouve-lables. De même, sur la qualité alimentaire, l’Unioneuropéenne a intégré la politique des IGP, des AOC,ainsi que de l’agriculture biologique. Enfin, le cadrecommunautaire comprend d’autres politiques quiimpactent fortement les activités agricoles, notammentsur les règles de concurrence et en matière derecherche qui est, elle encore, pour partie nationale etpour partie communautaire, mais qui est appelé pourdes raisons d’efficacité à être de plus en plus intégréeau niveau européen.

Exercice d’articulation. Il y a là toute une série d’élé-ments qui permettent de refonder une politique agricolecommune claire et de relégitimer les aides européennesaux yeux de notre opinion publique et par rapport auxpays tiers, ainsi que vous l’appelez de vos vœux. Nousavons en main tous les éléments du Lego®. À conditiond’être explicite. En mettant en avant, par exemple, leconsensus européen pour se doter d’un niveau d’exi-gences plus élevé que le socle minimum qui existe auplan mondial, sur la rémunération et la législation du tra-vail, sur la qualité de l’eau ou sur la biodiversité. Des cri-tères plus sévères, donc, qui pèsent fortement surl’activité agricole, ce qui justifie la mise en place d’aidesdirectes. Si on peut montrer qu’elles ne couvrent quela différence entre les normes mondiales et les normeseuropéennes, elles seront considérées comme non dis-torsives au niveau des échanges mondiaux.Nous avons également à clarifier quels sont les niveauxd’intervention les plus efficaces en terme de subsidia-rité(4), entre l’Europe, le régional et le national, pour lamise en place des aides en faveur de l’agriculture et desagriculteurs. Certaines aides directes n’ont pas voca-tion à varier d’un pays à un autre et relèvent donc clai-rement du niveau communautaire. Il y a certes desdifférences au niveau des DPU mais on comprend bienqu’on ne pourra pas durablement justifier le calcul surdes références historiques, même s’il était légitime dele faire au moment de la réforme de 2003. Reste àsavoir si les aides directes communautaires seront appli-quées à l’hectare, de manière totalement découplée,ou s’il convient de mettre en place des aides distinctespour les productions végétales et pour les productionsanimales qui obéissent à des contraintes différentes.Cela doit faire partie de la discussion, mais voilà en toutcas, selon moi, le socle d’une politique européenne enmatière d’agriculture. À celui-ci s’ajoutent les politiquesd’assurance-récolte et d’assurance-revenu qui devraientêtre intégrées dans le premier pilier de la PAC. Les pro-ductions agricoles ayant en effet une rémunération de

plus en plus voisine des cours mondiaux, il doit y avoirdes mécanismes permettant de faire face aux fluctua-tions de ces cours, elles-mêmes liées aux aléas clima-tiques. Des dispositifs qui doivent eux aussi être définisau niveau européen, même s’il y a nécessairement unepart de subsidiarité dans leur mise en œuvre au sein dechaque État.Enfin, le troisième étage de la fusée européenne réunitles éléments de la politique territoriale qui, subsidiai-rement, devront probablement être mis en oeuvre auniveau régional. Par exemple, la gestion d’un bassinversant dans le cadre de la politique européenne del’eau, ou encore la préservation des paysages et l’in-tégration des activités agricoles dans un territoiredonné, en regard de la politique communautaire surla biodiversité. Pour ce troisième volet, c’est proba-blement autour d’un contrat refondé que nous devonsréfléchir à de nouveaux outils. Mais alors, quelle placepour le niveau national ? Celui-ci ne va pas disparaîtredans une UE à 27 ou même à 30… D’abord parcequ’avec 500 régions, nous en aurons besoin pourmaintenir et développer la coordination. Ensuite, parcequ’il constitue un premier niveau de gestion des crises.Et enfin, parce que la formation et l’enseignement relè-vent encore pour de nombreuses années de la res-ponsabilité des États.Voilà sommairement comment nous pourrions essayerd’articuler à la fois la définition, la justification et lamise en œuvre d’une politique agricole européenne, quiest loin de se résumer au soutien public des marchés.À nous d’être plus explicites et d’énoncer clairementque nous devons refonder une politique alimentairecommune, à dimension territoriale et fondée sur unpacte en termes d’environnement. Elle doit donc agré-ger autour de la politique agricole au sens strict - c’est-à-dire les outils et les orientations en termes de gestionde marchés - tous les éléments des autres politiquesqui concernent l’activité agricole : celle de la nutritionet de l’alimentation définie par la Direction généralesanté et protection du consommateur ; celle de l’éner-gie ; celle des AOP et des IGP; celles de la concurrenceet de la recherche. Car très concrètement, dans lanégociation européenne, il me paraît impossible dedire à nos collègues des 26 autres pays que nous sou-haitons réintégrer tous ces outils dans la PAC… Il fautdonc être pragmatique. Dans un premier temps, laPAC doit rénover ses outils de gestion et d’aide publiqueafin de pouvoir démontrer qu’ils ne font que compen-ser les surcoûts environnementaux et sociaux liés auxchoix politiques de notre continent. Ensuite, on pourraconstruire une politique agricole et alimentaire inté-grée qui mette en cohérence les orientations de la PACet celles des autres politiques qui concernent l’agri-culture.

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(4) La subsidiarité (dulatin subsidiarii, troupede réserve), désigne enpolitique le principeselon lequel uneresponsabilité doit êtreprise par le plus petitniveau d’autoritépublique compétentpour résoudre leproblème. Dans laconstructioneuropéenne, il consisteen une règle derépartition descompétences entrel’Union et les Étatsmembres. Ainsi, endehors des domaines de compétences qui luisont propres, l’Unioneuropéenne n’agit quesi son action est plusefficace que celleconduite au niveau desÉtats ou des Régions.

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L’aptitude des territoiresà gérer la complexité

Par François Mitteault, directeur du déve-loppement rural au CNASEA.Quand on est opérateur de politiques publiques, il fauten effet faire la synthèse de tous les échelons de déci-sion et rendre compte aux différents financeurs et don-neurs d’ordre. Or, on ne gère pas un eurocommunautaire de la même façon qu’un euro de l’Étatfrançais ou d’une collectivité territoriale. Chacun a sesrègles de gestion et ses éléments d’évaluation. D’ailleurs,la France se dote actuellement de nouveaux systèmesd’indicateurs avec la Loi organique relative aux lois definances (LOLF). D’où la complexité d’une gestion quiintègre les différentes strates des politiques publiques.D’une façon générale, et c’est plutôt encourageant, cespolitiques publiques sont des outils de promotion duchangement. Même si elles sont perfectibles, elles peu-vent faire bouger les lignes, accompagner des mutations,amener les collectivités à faire évoluer leur fonctionne-ment. Elles ont ainsi été fortement initiatrices, ces der-nières années, de nouveaux modes de relation entreagriculture et environnement, et ce aussi bien au niveaucommunautaire, où l’Europe a joué un rôle très impor-tant dans la rénovation de certaines pratiques, qu’auniveau régional et infra-régional où les initiatives et lesinnovations sont nombreuses en termes de politiquespubliques. C’est ce qu’illustre notamment la forte diver-sification de notre politique contractuelle au cours desdix à vingt dernières années. Nous sommes passés decadres très rudimentaires à une gamme d’instrumentsbeaucoup plus élaborés, des cahiers des charges quivont du moins contraignant aux clauses les plus pré-cises, que ce soit pour les agriculteurs, les forestiers, lesentreprises ou les associations. Nous pouvons ainsicontractualiser sur des arbres considérés comme patri-moine national au titre de Natura 2000.Nous avons donc énormément progressé dans la miseen œuvre du contrat et des politiques publiques engénéral. Ainsi en est-il de la territorialisation. Que signi-fie ce terme barbare ? Il s’agit de définir à quel niveaud’échelle, européen, national ou local, est fixé le contenudes politiques. Un exemple: la Prime à l’herbe agro-envi-ronnementale (PHAE) est une aide de niveau national.Les mêmes clauses contractuelles et les mêmes mon-tants s’appliquent donc sur tout le territoire français. Enrevanche, le contrat qui sert à protéger les berges del’Adour et à encourager les agriculteurs à ne pas semerde maïs trop près est conçu au niveau infra-régional. Ilne faut donc pas se tromper : des contenus doivent êtreréglés au niveau central mais leur construction s’opèreau niveau local. Dans cet exercice, nous n’avons hélaspas encore atteint la maturité suffisante, face à Bruxelles.

L’administration européenne est très tentée de s’ap-proprier tous ces aspects, exerçant souvent un droit deregard en détail sur des politiques qui devraient êtredavantage subsidiarisées. À l’inverse, il serait inoppor-tun et inefficace de concéder toutes les décisions auniveau local, car plus on territorialise, plus l’ingénieried’accompagnement est lourde. Qui doit décider de quoi,c’est la question fondamentale.Cela dit, j’insiste, l’intérêt du niveau territorial est mul-tiple et renvoie à la cohésion sociale. Même si le mon-tant d’argent public alloué est peu élevé, confier auniveau territorial la définition du contenu contractuel faitbouger des choses. Ainsi, l’une des initiatives euro-péennes les plus abouties en termes de territorialisation,c’est le programme Leader qui touche l’agriculture,l’artisanat, la culture, de manière très transversale.Moyennant un cadrage souple et une rigueur surl’usage de l’argent, c’est le territoire qui opère tous leschoix d’intervention.Je vais même plus loin : il ne faut pas hésiter à laissergérer les problématiques complexes par les territoires.Quand on leur laisse la main, les acteurs du territoiresavent trouver des compromis, de la médiation, de lacohésion… Lorsque je suivais les CTE, j’ai eu un entre-tien avec une agricultrice qui m’a beaucoup marqué.« Ce qui m’intéresse dans les contrats élaborés locale-ment », m’a-t-elle dit, « c’est que cela me donne unelégitimité ». Les solutions concrètes pour mieux posi-tionner l’agriculteur dans son environnement local nepeuvent pas venir de Bruxelles. C’est bien au niveau desterritoires qu’est conférée une place à l’agriculteur, à tra-vers les choix opérés collectivement et localement. Desprogrès restent toutefois à faire, en termes de cohérencenotamment. Il me semble que nous devrions tendreainsi vers un contrat unique qui englobe les deux piliers.Aujourd’hui, il y a autant de documents et de clausescontractuelles que de financeurs… Or il n’est pas nor-mal que des politiques publiques se contredisent entreelles. Par ailleurs, nous pourrions contractualiser davan-tage avec ce niveau intermédiaire que sont les struc-tures collectives telles que des coopératives ou desassociations, y compris sur des thématiques environ-nementales, lesquelles se porteraient garantes pourles agriculteurs. Enfin, n’oublions pas que de nouveauxoutils tels qu’Internet sont en train de modifier le rap-port entre la puissance publique et le citoyen. Ce n’estpas neutre et il faut se préparer à ces changements derelation. ■

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TABLE RONDE

L’agenda politique : cequ’il faudrait négocier...Animée par Jean-Claude Flamant, avec Philippe Martin,président du Conseil général du Gers, Stéphane Le Foll etJan Mulder, députés européens.

Comment se profilent les débats autour du bilan de santéde la PAC et quels sujets faut-il inscrire prioritairement àl’agenda des négociations ? Le point de vue de trois élus etdes éclairages sur ce grand inconnu qu’est le Parlementeuropéen, où les majorités se construisent au fil des débatset souvent au-delà des étiquettes partisanes.

L’heure de la prospectiveJean-Claude Flamant : En introduction, je m’adresseà Philippe Martin qui nous accueille dans son départe-ment et qui soutient financièrement cette Universitéd’Été. J’ai été frappé, au fil de nos échanges, par l’im-portance accordée aux territoires. Comment vivez-vous,au niveau du Gers, les évolutions de la PAC et ses ajus-tements, avec ses dimensions humaines, territoriales etéconomiques ?Philippe Martin: Au fond, alors que par mes fonctionscela fait plusieurs années que je m’intéresse aux ques-tions agricoles, je constate que plus le temps passe etmoins je repère avec précision la direction dans laquelleil faut aller. Ce matin – je le dis avec beaucoup d’ami-tié pour ceux qui sont intervenus – j’ai entendu beau-coup de constats pour le présent et le passé, mais peude pistes pour l’avenir. Des échéances vont survenir etj’ai le sentiment que nous n’y sommes pas préparés.Nous n’avons rien mis en oeuvre pour anticiper labaisse des soutiens agricoles, ou le changement deleurs mécanismes. Pour moi, cela équivaut, touteschoses égales par ailleurs et en m’excusant par avancede la caricature, à passer d’un tour de France à l’EPOà un tour de France mis à l’eau claire. Ce sera sûrementplus exaltant, mais, plus difficile.Deuxième remarque. J’ai entendu Christian Laforêt surla nécessaire clarification des choix politiques et, auniveau national, sur l’urgence à appréhender pleine-ment les problèmes de territorialité. Je voudrais à cepropos souligner deux points. D’abord, la territorialité,n’a de sens que si les territoires disposent tous demoyens équitables. Dans le cas contraire, les dispari-tés continueront à s’accentuer. Deuxièmement, Fran-çois Mitteault a souligné qu’on ne gérait pas un euroeuropéen comme un euro français. Or ce que les col-lectivités locales doivent gérer, c’est bien plutôt l’ab-sence d’euros européens ! Nous subissons de plein

fouet la réduction du concours financier communau-taire alors même que nos collectivités connaissent descharges financières croissantes. Il ne faut pas se leur-rer : les marges de manœuvre des départements, pourne parler que d’eux, diminuent. Cela signifie qu’ilsdevront d’abord se recentrer sur leurs compétencesobligatoires avant de mener des politiques innovantesspécifiques. Ainsi, quand le Conseil général du Gersappuie une expérimentation en agroforesterie, il assumeune mission qui ne lui est pas dévolue, au détriment decertaines autres. La territorialité trouve ses limites dansla capacité financière des territoires.

J-C. Flamant : Je me tourne vers Jan Mulder. Avantd’envisager ce que peut être la future PAC, pouvez-vousnous expliquer la manière concrète dont les négociationspeuvent s’engager à propos du bilan de santé 2008 ?Jan Mulder : C’est la Commission européenne qui vapublier ce document que l’on appelle le bulletin desanté, vers le mois de novembre. Mme Fischer Boel leprésentera avec l’approbation des autres commissaires.Ce document sera transmis au Parlement européen quien débattra et formulera des résolutions. Il revient ensuiteau Conseil des ministres de prendre des décisions.Reste que si un changement est apporté en termes deperspectives financières, le Parlement sera chargé del’approuver ou non, comme je l’expliquais hier.

J-C. Flamant : Au niveau national, comment cela va-t-il se traduire ? Les Parlements de chaque Etat membrevont-ils être consultés ?J. Mulder : J’ai parlé du Conseil des ministres : quelque soit l’État, quand un ministre de l’agriculture prendune position, il est contrôlé par le parlement national etl’on peut donc dire que ce dernier approuve la positionque le ministre adoptera en Conseil.

J-C. Flamant : Philippe Martin, est-ce que cela figuredéjà dans le calendrier de l’Assemblée Nationale ?P. Martin : Je ne le crois pas. C’est pourtant un pointessentiel. Les ministres concernés gagneront en légiti-mité et en autorité s’ils bénéficient, dans des négocia-tions européennes, d’un aval de leur parlement national.Telle n’est pas hélas la règle et c’est l’une des raisonspour lesquelles les parlementaires français connais-sent mal les structures européennes. Ainsi a-t-il fallu,au cours de la dernière législature, que Mme CatherineColonna, ministre déléguée aux Affaires Européennes,propose aux parlementaires de les emmener avec elleà Bruxelles et Strasbourg pour leur faire découvrir lefonctionnement du Parlement européen. Une trèsbonne initiative. Nous parlementaires avons une visiontrop hexagonale. Mais le gouvernement porte égale-ment une responsabilité, en ne soumettant pas auxdébats les questions européennes, débats qui devraient

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être assortis d’un vote engageant le Parlement national.Ce serait là une évolution institutionnelle intéressante.

J-C. Flamant : Stéphane Le Foll, vous nous avez dit,dans nos précédentes discussions, qu’il serait intéres-sant d’accompagner ce bilan de santé par de largesdébats…S. Le Foll : Deux hypothèses sur le résultat possibledu bilan de santé de la Pac. Soit nous sommescapables de définir une stratégie découlant de ce bilan,pour définir où nous voulons aller et comment, ce quiest selon moi un préalable à toute décision. Or, pourl’instant, nous souhaitons prendre des décisions avantmême d’ avoir répondu à ces questions. Soit nous n’yparvenons pas, et toute la problématique de l’agricul-ture se résumera à une question technico-budgétaire,ce qui constitue à mes yeux une dramatique erreur.L’idée que j’essaie de porter est la suivante : il convien-drait d’élargir les débats que nous allons avoir au Par-lement, pour aborder les objectifs que doit assumerl’agriculture en Europe. Dans quel monde s’inscrit-elle ?Dans quelles contraintes allons-nous devoir évoluer? Et,à partir de là, quelle politique agricole européenne pou-vons-nous construire ? Pour ce faire, nous avons besoinde nous projeter dans le temps, de faire appel à laprospective. D’autant que la France aujourd’hui n’estpas en position de force pour se faire entendre sur laquestion budgétaire au niveau européen. Si elle com-mence le débat en énonçant qu’elle souhaite conser-ver intact le montant des aides qu’elle reçoit, elle risquede tout perdre. Si l’on veut être intelligent, nous devonsdonc être capables de porter ce débat sur les objectifset la prospective. Et en la matière, il y a de quoi faire.

J. Mulder : En ce qui concerne le budget, nousdevons tenir parole. Nous avons promis un budgetjusqu’en 2013 et nous ne devons pas l’amoindrirentre temps. Mais il y a un problème. Le coût de l’en-trée de la Roumanie et de la Bulgarie sera assumépar les quinze premiers États membres. Le Parlementeuropéen a estimé que ce n’était pas raisonnable.Dans cette optique, il est probable que les aidesdirectes à destination des agriculteurs soient baisséesde 8 % en 2013, notamment en France et aux Pays-Bas. J’estime que la Commission doit mentionner cettediminution dans le bilan de santé de la PAC et qu’elledoit faire une proposition pour savoir si ces 8 % serontpayés par les États membres avec un cofinancementobligatoire.

Sortir de la caricatureJ-C. Flamant : On dit souvent que dans les discus-sions internationales, il convient d’abord de se mettred’accord sur les grands affichages, ce que l’on appelle

l’agenda. En clair, quelles seraient, pour vous, lesrubriques que doit comporter la négociation ?P. Martin : Il m’apparaît nécessaire que ce bilan desanté n’exclut pas la question de la place de l’homme.Quelles ont été les conséquences de la Politique agri-cole commune, au cours de ces dernières années, enterme de présence humaine des agriculteurs dans lesterritoires? L’agriculture restera-t-elle une activité faisantappel à des femmes et des hommes, ou va-t-elle glis-ser progessivement vers une activité économique pou-vant se dispenser de l’humain ? Dans un départementcomme le Gers, il y a de moins en moins d’agricul-teurs. À tel point qu’il devient parfois très difficile detransmettre une exploitation, de trouver un repreneur,notamment dans l’élevage. Il y a là des dégâts humainsou, tout du moins, un problème d’équilibre entre l’ac-tivité économique et le nombre de personnes instal-lées. Dans un département rural, on sait l’importancedu nombre de personnes qui s’installent : c’est le main-tien de services publics de proximité qui est en jeu,c’est aussi une manière d’appréhender le développe-ment local.

S. Le Foll : Il faut également prendre en compte lasituation des nouveaux États entrants, et le choc queleur population agricole va connaître. Celle-ci va vivreen dix ans ce que nous avons vécu en trente ou qua-rante ans et sans disposer des mesures d’accompa-gnement social que nous avons connues. Il est donc denotre responsabilité politique de doter l’Europe demoyens suffisants pour assumer son ambition agricole,mais aussi industrielle et de recherche. Car il y a éga-lement cet autre défi : la capacité que nous aurons àexister en tant que déposeur de brevets, au sens nobledu terme, c’est-à-dire d’innovations.Enfin, si je ne crains pas vraiment la pénurie pour l’Eu-rope, la question de l’alimentation du monde est posée.Dans cette perspective, le pourtour méditerranéenrisque de connaître, notamment avec le changementclimatique, de graves problèmes de subsistance. Etl’on ne pourra plus alors parler d’immigration choisie :si la population est affamée, elle ne restera pas auxportes de l’Europe et elle aura raison. C’est un sujetdont nous devons débattre.

J-C. F : Voilà, selon vous, les critères de diagnostic.Quels sont, dans ces négociations futures, les sujets quirisquent de fâcher ?P. Martin : L’une des questions à résoudre consisteà trouver le juste équilibre entre le développementéconomique, la nécessité de produire et les contraintesen matière de développement durable et d’environ-nement. On a souvent le sentiment qu’il s’agit de deuxsujets antinomiques et l’on tombe vite dans la carica-ture avec, d’un côté d’horribles productivistes, de

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l’autre les gentils défenseurs de l’environnement. Celamasque de vrais problèmes en attente de solution.Quand la Commission européenne condamne laFrance à une trentaine de millions d’euros de pénali-tés pour ne pas avoir traité comme il le fallait les pro-blèmes d’eau en Bretagne, ce n’est pas rien. Et quandla seule réponse du Gouvernement consiste à fermerquatre captages d’eau, en conseillant à la populationd’acheter de l’eau en bouteilles, c’est encore plus pré-occupant car ce discrédit rejaillit injustement sur touteune région. Les questions environnementales doiventêtre centrales dans la réflexion que nous aurons surl’agriculture d’après 2013.

J. Mulder : Je suis en faveur de la politique agricoleactuelle mais le soutien des prix n’est pas un bon sys-tème. Il faut payer les agriculteurs pour les servicesrendus et mieux définir les critères d’attribution despaiements directs. Il y a là une bureaucratie énorme àsimplifier.Deuxième point à discuter : la probabilité de plus enplus forte, avec la globalisation, de l’importancequ’émergent demain d’autres épidémies animales.Selon les règles en vigueur, une partie du coût lié à lalutte contre ces maladies est prise en charge par l’Eu-rope. La fièvre aphteuse a coûté annuellement environdeux milliards d’euros. Ce qui explique que, pour lapremière fois, l’Angleterre n’ai pas demandé cette annéeun rabais de sa contribution. Si demain, nous vivons lamême crise qu’il y a cinq ans, cela signifie qu’il faut cou-per toutes les aides directes des agriculteurs en Europepour en assumer les coûts. Nous devrions donc avoirun système d’assurance européen.

S. Le Foll : Je suis d’accord avec Philippe Martin. Lepremier sujet porte effectivement sur les questions envi-ronnementales, le réchauffement de la planète et laproblématique du lien qu’il convient de faire entre éco-logie et économie. Il faut se sortir de la tête la dichoto-mie que Philippe a évoquée. Les études quicommencent à sortir montrent que les agriculteurs quiavaient déjà anticipé de nouveaux modes de produc-tion parviennent à concilier des rendements élevés etdes pratiques écologiques. Dès lors, il faut que l’Europemène une politique publique suffisamment incitative etbasée sur la contractualisation avec les agriculteurspour en faire des acteurs à part entière de sa politique.C’est un débat conflictuel, mais il faut l’aborder fran-chement.Deuxième point : la question de la globalisation. Nousavons parlé hier de souveraineté alimentaire. Pour mapart, j’insisterais plutôt sur la culture alimentaire. Il y aun droit à la différence culturelle de l’alimentation. Celame paraît plus porteur d’ambition dans les négocia-tions mondiales. Et je le dis d’autant plus que l’Europe

comme la France ont une richesse à faire valoir. C’estun enjeu majeur qui se décline au niveau territorial.Troisième point : l’unité de la politique agricole à l’échelleeuropéenne. L’Europe s’est construite grâce à cettepolitique intégrée qu’est la PAC. Si on laisse penserque demain, via des cofinancements, nous allons détri-coter cette politique intégrée, nous porterons atteinte àl’idée même de l’Europe. Voilà qui me paraît être essen-tiel dans les dix années à venir.

J-C. Flamant : Jan, êtes-vous d’accord avec ces posi-tions ?J. Mulder : Tout à fait d’accord. Le danger d’un co-financement, s’il est volontaire, existe : il peut favoriserla renationalisation des politiques agricoles. Si c’est lecas, je suis contre. Mais le cofinancement est-il si dan-gereux ? Le développement rural fait l’objet d’un co-financement. L’aide aux structures aussi. Même chosepour la politique de recherche, ou l’aide au dévelop-pement des pays africains. Finalement, la seule excep-tion, c’est le premier pilier de la PAC et c’est la raisonde son budget. Si on veut être en ligne avec les autrespolitiques européennes, il faut que ces aides directesfassent aussi l’objet d’un cofinancement des États.

J-C. Flamant : Pour terminer cet échange, une ques-tion me brûle… Nous avons tous été étonnés hier que JanMulder et Csaba Tabajdi soient d’accord alors qu’ils nesont pas du même groupe politique. Et ce matin, nousretrouvons ces points de convergence qui vont au-delàdes appartenances politiques. Qu’est-ce que cela traduit?S. Le Foll : Le Parlement européen a un fonctionne-ment différent de celui d’un parlement national. À Stras-bourg ou Bruxelles, nous travaillons sur la base d’untexte sans qu’une majorité ou une opposition soientdéfinies par avance. La majorité se construit au fil dudébat et elle est à géométrie variable. Voilà pourquoi lessocialistes peuvent se retrouver sur un certain nombrede sujets, certes avec les verts, mais aussi avec leslibéraux, notamment pour ce qui concerne les droits del’homme, la place de l’Europe dans le développement.Sur les questions agricoles, les socialistes anglosaxonssont parfois plus libéraux que les députés allemands duCDU !

J. Mulder : Je crois le Parlement européen est sous-estimé. Nous faisons des lois qui s’appliquent à 500 mil-lions d’êtres humains… Cela signifie aussi que nousdevons disposer de majorités plus larges que dans unparlement national. En matière de budgets ou de loissur l’environnement, pour qu’un projet soit adopté, il luifaut rassembler les 2/3 des élus… D’où les coalitions.C’est un autre système. ■

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CONCLUSIONS

L’art du bricolage face àl’impossible cohérencePatrice Duran.J’aimerais revenir sur l’éternelle confusion entre local etterritoire. Nous avons souvent l’impression que lorsquenous parlons de territorialisation, nous évoquons lelocal. C’est une erreur. Il y a longtemps que je travaillesur les politiques publiques et lorsque j’étais à la Com-mission des ports, nous savions tous que l’hinterlanddu port de Marseille rayonne jusqu’à Strasbourg. Laspatialisation des effets d’une politique déborde large-ment le local. Ce dernier n’est en rien une catégorie del’action publique. Il n’a jamais existé, même avant ladécentralisation. D’ailleurs, le cumul des mandats enest une illustration. Car celui-ci a justement permis unenationalisation de la vie politique locale et une locali-sation de la vie politique nationale. Toutes les politiquespubliques ont été et sont toujours des mixes entre lesdeux. Cela renvoie à une conséquence première : ilfaut rompre une fois pour toutes avec l’idée de cohé-rence des politiques, pour la simple raison que leurseffets sont multiples et se déclinent sur des territoiresdifférents. La décentralisation n’a fait que le renforcer :la distinction de blocs de compétences a montré qu’ellene permettait pas véritablement de clarifier les pro-blèmes. De fait, le problème du politique n’est pas celuide la cohérence mais bien plutôt celui du choix et dela responsabilité de ce que l’on veut traiter.Pendant ces quelques jours, nous avons parléd’échelles de décision. L’un des problèmes majeurs dela gestion publique consiste effectivement à repérer laconstruction institutionnelle qu’il convient de déve-lopper, à partir du moment où l’on est dans desespaces où se joue une multiplicité d’intérêts, decroyances, de valeurs et où la mise en cohérence estimpossible. Qu’est-ce que cela a provoqué dans unpays comme le nôtre, qui demeure fasciné par la figurede l’État ? La fin de l’intérêt général. La réforme del’enquête publique l’a bien montré. Aujourd’hui, sedessine un intérêt général de la ville, mais aussi de larégion, de l’État et celui de l’Europe. Lequel prédo-mine? C’est tout le problème. Dès lors, l’action politiquereste l’art du bricolage.

Cette Europe qui dérangeOlivier Lazzarotti Nous sommes à un moment critique qui se caractérisepar une redéfinition du rapport à l’espace. L’une desmanifestations de cette redéfinition serait l’émergencede l’Europe comme échelle pertinente de compétences.C’est très important. Une nouvelle carte de l’Europepolitique, démographique et économique est effecti-

vement en train de se construire, avec des relocalisa-tions industrielles vers l’Est et un mouvement de l’argentvers l’Ouest. Pour nous, cela pose la question de savoirde quel côté se place la France. Par ailleurs, nous assistons à une redéfinition de larelation ville-campagne. La fin de la césure laisse désor-mais place à une continuité : on peut être rural à la ville,urbain à la campagne. À ce propos, Csaba a comparéMarciac à la Mecque, en faisant de cette commune, àce moment donné, l’une des capitales mondiales del’agriculture ou du jazz. C’est un phénomène tout à faitrécent : nous sommes ici dans un centre du Mondeéphémère. L’un des chantiers de la science géogra-phique consiste d’ailleurs à en rendre compte. Toutes ces choses remettent en cause nos cadres depensée avec, à l’occasion, des libérations de fantasmesqui font parfois rire, parfois s’énerver. Et dans cetensemble instable, la question des échelles est apparuecentrale. Il semble que l’on soit passé de l’échelle double– le local et le mondial – à des échelles multiples quis’imbriquent et que nous expérimentons dans bonnombre de nos pratiques. Et l’Europe dans tout ça ? Leproblème qui nous est donc posé, à nous Européensconvaincus, c’est de rendre cette Europe acceptable.Quels sont, en effet, les précédents exemples d’unetelle intégration territoriale ? Pour la plupart, ils sont mili-taires et en tant que tels, jamais durables. L’expériencede l’Europe contemporaine est unique parce qu’elle estpacifique. Les autres exemples sont d’ordre politique -le jacobinisme en France – ou économiques - le Zoll-verein (union douanière) en Allemagne.. Que peut-ondonc faire aujourd’hui ? C’est dans cette perspectiveque la PAC est intéressante à évaluer. Nous connaissonsles fondamentaux de la Politique agricole européenne.Il s’agit de nous nourrir. C’est acquis et je ne vois pascomment nous pourrions revenir en arrière. Ce seraitcomme la perte du feu. Parmi les autres fondamen-taux, il s’est agi de construire l’Europe. Voilà sa granderéussite. Il s’agit de faire vivre ensemble 500 millions depersonnes dont plus de 95% sont alphabétisées. Defait, l’Europe dérange et ceux – lesquels ?- qui vou-draient remettre en cause cet édifice nourrissent peut-être quelques arrières-pensées. Il faut en être conscient.Reste le problème politique et je me tourne vers lesélus. L’enjeu de la construction européenne résidedans la manière dont nous pouvons articuler leséchelles. Comment faire pour que le local, le nationalet l’Europe s’articulent ? Et comment, dans ce schéma,l’agriculture, en produisant local, peut-elle s’ouvrir auMonde ? Cela peut s’opérer dans le conflit et pas néces-sairement dans l’harmonie et l’utopie de l’Eden. Maisdu moins, il convient que chacun y trouve le sens d’unmouvement. Car selon moi, l’échec de cette Europeserait, aujourd’hui, comparable pour nous à ce que futl’effondrement de l’Empire romain.

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Une génération s’en va…Michel GriffonL’agriculture est face à des contraintes qu’elle doit écou-ter et des opportunités dont elle doit se saisir.Contraintes et opportunités signifient un changementobligatoire. Hier, nous aurions parlé de crise. Pour mapart, je dirais qu’il s’agit de mutations. À écouter lesdébats, il me semble que nous en avons distinguéquatre : technologique, organisationnelle, politique etgénérationnelle.La mutation technologique, je l’ai déjà évoquée. Il s’agitd’une agriculture productive, à haute qualité environ-nementale et territoriale., Bien évidemment, son expres-sion devrait être différente en fonction de chaque lieu :ce qui se passerait en Beauce n’aurait rien à voir avecce qui peut se faire en Bretagne ou dans le Cantal. Oumême ici, entre les coteaux et les vallées. Je crois aussique nous n’avons pas assez insisté sur le fait que ceciva demander un gros effort d’infrastructures écolo-giques. De la même façon que Bernard Chevassus-au-Louis, je n’hésite pas à dire que nous avons connuune grande période d’investissements urbains et indus-triels, sans oublier les transports et les télécommuni-cations. C’est ce même effort qu’il nous faut faire enversles infrastructures écologiques, avec l’émergence desciences et techniques des écosystèmes ruraux et dela biosphère. La politique agricole commune ne peutpas être indifférente à cet aspect. Il se peut mêmequ’elle devienne le mode de financement principal enEurope de ces nouvelles infrastructures écologiques.Mutations dans l’organisation. Mes collègues en ontparlé, je n’en dirai donc que deux mots. Gérer les éco-systèmes et l’agriculture à l’échelle locale implique unedémocratie locale délibérative où chacun a la parole etoù l’on aboutit à la notion de contrat.Mutation dans les politiques publiques. Il me sembleque la question principale est celle traitée précédem-ment par Philippe Mauguin, à savoir l’articulation entreles différentes échelles et la capacité d’intégrer locale-ment les effets des politiques agricoles, alimentaires,environnementales, territoriales. C’est indispensable.Car derrière tout cela, il apparaît clairement que l’agri-culture est le processus clé pour l’établissement demeilleures relations entre la nature et la société. Cecisuffit en soi à légitimer une politique agricole.Enfin, la dernière mutation est générationnelle. J’ai étéimpressionné, presque ému, par la figure de l’agricul-teur proposée hier par les clowns. Son acolyte lui lan-çait une balle en l’air que l’agriculteur rattrappait, puisune deuxième, une troisième, et au final, l’agriculteurne parvenant plus à jongler laisse échapper toutes lesballes. Derrière le sourire, il y avait l’intention de mon-trer la fatigue d’une génération d’agriculteurs. Avec letemps, arrive un moment où l’on en a marre des muta-

tions : on aspire à la tranquillité. C’est à une nouvellegénération de prendre la parole. Or, il y a là un problèmeque nous n’avons fait qu’effleurer à travers quelquesconversations : qui sera cette génération ? Où se forme-t-elle ? Dans les lycées agricoles, dans les écoles agro-nomiques ? Je n’en suis absolument pas certain. Etpourtant, c’est elle qui va hériter d’une agriculture éco-logiquement intensive en connaissances. Car savoirgérer simultanément le carbone, la potasse, la biodi-versité, les auxiliaires des cultures, c’est une aventurepour entrepreneurs, certes, mais il va falloir aussi accu-muler beaucoup de savoirs. Sans oublier ce dernierpoint : la mutation foncière. Car si une génération s’enva et qu’elle est en grande partie propriétaire du sol,comment va se passer la transmission ? Ne faut-il pasinventer des modes astucieux d’agencements aptes àdéconnecter la propriété de la charge morale et affec-tive qu’on porte à la terre ? Ce serait là une manière deréinjecter une certaine fluidité dans la transmission dupatrimoine pour que de nouvelles générations puis-sent faire l’agriculture de l’avenir.

Oser parler d’efficacitéGuy PaillotinLa première chose qui m’a frappé c’est qu’au fil denos échanges, nous avons vu des éléments s’éclairciret presque aussitôt se réassombrir. Pour y voir plusclair, il faut monter un échelon de plus sur l’escabeau.Un autre point m’a marqué : plusieurs intervenants ontindiqué que la France avait un problème. Je crois quec’est vrai. Mais il faut savoir le situer. Selon moi, il sesitue à un niveau éthique. Nous sommes dans unmonde occidental qui connaît deux approcheséthiques : une approche utilitariste de type anglosaxon,et une approche personnaliste qui est la nôtre. Ellespeuvent s’accorder. La première tente d’appréhendercomment mieux vivre ensemble, par la somme desintérêts de chacun. La seconde donne beaucoup plusd’importance à la personne et à la solidarité. Ceci étant,l’utilitarisme a un avantage, c’est qu’il met en avantl’efficacité et la liberté. Certes, c’est contestable, maisau moins, cette posture en parle, elle n’a pas peurd’évoquer ces notions, alors que nous autres sommespétris de honte à l’idée de parler d’efficacité…Descendons d’un échelon de l’escabeau pour arriver àla politique. La politique est devenue progressivementla gestion du bien public. Dans les cercles, j’ai évoquéce qui était payé par le contribuable, ce que nous vou-lions soutenir ou pas. Mais pour cela, nous devonsd’abord partir de la notion de bien public. À mon sens,le développement local différencié, la santé, l’équilibreentre les villes et les campagnes, ou encore le droit à

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une certaine culture gastronomique, font partie du bienpublic. Vous allez me dire que ceci est particulière-ment français… Que nenni ! J’ai évoqué cette idée àPékin, à Djakarta comme aux États-Unis, et tout lemonde en était d’accord. Je peux même vous direqu’en Indonésie, c’était la seule question qui les inté-ressait. De même, les Américains peuvent vous direqu’ils ne s’occupent pas de cela, c’est faux ! Les notionsde biens publics qui nous sont propres peuvent êtrepartagées, encore faut-il les énoncer clairement.Concernant le marché et la politique, nous n’avons peut-être pas regardé les choses d’assez près. Une partiedes négociations de l’OMC est menée par certains detelle sorte que le marché ne fonctionne pas. Le toutétant de savoir si c’est le consommateur qui est l’ar-bitre, ou l’industrie… Là-dessus, on est loin du compte.Par ailleurs, que peut-on résoudre par des démarchesde marché locaux? Dès l’instant où ils n’interfèrent pastrop avec l’international, personne ne va s’opposer à ceque l’on fasse du foie gras dans le Gers! Mieux, personnene s’oppose à ce qu’il y ait des politiques de santé danschaque pays. Mais il faudrait regarder là aussi de plusprès pour comprendre pourquoi cela ne se passe pascomme cela. D’ailleurs, sur ce point, la France et l’Eu-rope ne sont peut-être pas si claires que cela.Enfin, j’en viens à ce bien public non finançable par lemarché et qui se traduit, comme cela a été dit ici, parle terme de contrat. Encore faut-il préciser le statut dessignataires, la nature des engagements et autresvétilles…Pour revenir au début de mon propos, nous ne pouvonspas, en France, effacer la question de la liberté et del’efficacité. Cela a été dit : si l’environnement est unesuite de prescriptions édictées par des techniciensentourés de technocrates et imposées sans discus-sion, comme c’est souvent le cas, cela ne tiendra pasla route longtemps face à un désir de liberté. Et ceuxqui ne voient dans le développement durable – ce quin’est pas mon cas – qu’un gadget sinistre gagneront.Nous devons donc introduire de la liberté dans nosréflexions. Et comme l’a rapporté Matthieu Calame, laprofession agricole dans son ensemble doit se poser laquestion de l’efficacité. C’est là en effet une critiquemajeure des contribuables : toutes les subventions pro-fitent-elles de façon juste à des agriculteurs efficaces ouentretiennent-elles une certaine inefficacité ? Si nousn’abordons pas cette question, nous ne sommes pascrédibles. Nous avons ouvert de nombreuses pistes,très constructives et je souhaite bonne chance auxUniversités d’Été des années futures. ■

Commençons par les aspects positifs. Sur le fond, Mat-thieu Calame souligne l'enjeu majeur que constituel'articulation des différentes échelles de décision et, dece point de vue, l’intérêt des interventions, qui « ont per-mis de montrer les difficultés qui se posent à eux.Notamment celles à innover dès lors que les anciensdispositifs demeurent ». De même, la diversité des par-ticipants, l’apport des cercles d’échanges ainsi que lacontribution d’acteurs économiques locaux tels queles coopératives et le Groupe local de Réflexion, ontlargement été valorisés. Et François Colson de suggé-rer une extension de ce dispositif : pourquoi ne pasinclure quelques groupes mêlant consommateurs etagriculteurs, ici ou dans d’autres régions, comme laBretagne ? En revanche, s’il est une soif qui n’a pas puêtre étanchée, c’est celle des débats : unanimement,trop peu de temps ont été consacrés à ces moments.Un manque dont tiendra compte la prochaine édition.Sur le contenu, enfin, la façon de traiter la questionenvironnementale suscite les désaccords. Pour les uns,la thématique a été prise au sérieux, notamment à tra-vers l’exposé de Michel Griffon, unanimement saluépour avoir posé les questions dans leur globalité. Pourd’autres, on n’en a que trop vaguement parlé. C’estl’avis de Martine Delmas, agricultrice et membre desAmis de la Terre : « Il y a une certaine hypocrisie. Onen parle, mais pour évacuer très vite la question. »Agriculteur et membre du groupe local de réflexion,Michel Dubourg tempère : « Le monde agricole estconscient des enjeux et des problèmes environne-mentaux. Mais renverser la culture du rendement pro-mue pendant des décennies demande du temps, denouveaux investissements et l’adaptation de la forma-tion ». Justement, la hausse des prix agricoles devraitfavoriser cette mutation technologique et économique,selon Michel Griffon : « Si les agriculteurs des grandescultures ne profitent pas de ce moment crucial pourintroduire de nouvelles technologies en faveur de l’en-

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LA CONVERSATION

La place de l’agriculturene va plus de soi, y compris dans le monderuralQu’avons-nous appris ensemble et sur quels points sommes-nous restés sur notre faim ? Depuis trois ans désormais,la Conversation constitue le point final des rencontres deMarciac. Une dernière table ronde à laquelle ont contribuéune cinquantaine de participants et d’intervenants pourdresser un bilan « à chaud » et dessiner les contours dusujet de l’Université d’Été prochaine.

LA CONVERSATION

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vironnement, nous aurons raté une chance historique ».Quant aux propositions de sujet pour 2008, les sug-gestions fusent, dans les domaines les plus variés. Celuide l’alimentation, de la santé et des actes d’achat desconsommateurs. Celui des territoires, dans la manièreque nous avons de les partager, et dans leur aptitude àtenir compte de politiques complexes. Celui des relationsentre agriculteurs et chercheurs : que savent les cher-cheurs ? Que connaissent les agriculteurs ? Comments’organisent aujourd’hui les processus d'innovation ?Plus largement encore, se fait jour la nécessité deprendre en compte les démarches innovantes des dif-férentes composantes de la société au sein des terri-toires ruraux. Ainsi, pour Guy Paillotin, il existe un hiatusentre l’affichage de ces rencontres, dites de l’« Inno-vation rurale », et des sujets souvent trop agricoles,alors même que la place de l’agriculture ne va pas desoi, y compris dans le monde rural. Mais au fait, c’estquoi aujourd’hui, le monde rural ? Une remarque priseà la lettre… ■

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LA CONVERSATION

À quoi servent ces débats ?À cette question lancinante, Michel Griffon a réponduclairement : « Je m'occupe d'un département del'Agence Nationale de la Recherche, récemment crééepour financer massivement des sujets d'importancenationale où l'on estime que la recherche est néces-saire. Or j'ai toujours beaucoup de mal à justifier lesinvestissements dans le domaine agronomique, aunom des aides déjà accordées à l’agriculture et de sesniveaux de productivité. Je souhaite vous dire que lesquestions souevées ici, à Marciac, feront d’une certainemanière l’objet d'un programme de recherche de 12à 13 millions d’euros par an, pendant trois annéessuccessives, intitulé « Nouvelles technologies agricolespour la gestion intégrée des écosystèmes et des terri-toires ». Et je souhaite que ce programme ne soit pasuniquement capté par les grands instituts derecherche, mais que les lycées agricoles y participentet que des agriculteurs qui en ont le tempéramentexpérimentent les protocoles, en proposant aussi deshypothèses de travail aux chercheurs. Un deuxièmeprogramme, doté du même niveau de financement,portera sur les contaminants, les écosystèmes et lasanté, faisant écho à vos préoccupations : pour la pre-mière fois, des médecins vont travailler avec des éco-logues et des chimistes. Troisième sujet : l'alimentationet les industries agroalimentaires, pour promouvoir làencore la haute qualité nutritionnelle et environne-mentale dans ce secteur. Enfin, dernier domaine, laconnaissance fine du génome des plantes et desmicrobes, pour mieux connaître et utiliser ce substratqu’est le sol.Dans cet esprit, tout ce que vous dites m’est extrê-mement utile. Ce sont des nourritures qui alimententdes demandes à la recherche. Et dans les cerclesd’échanges, bon nombre de ces idées ne viendraientpas spontanément à l'esprit des chercheurs. » ■

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14e UNIVERSITÉ D’ETÉ DE L’INNOVATION RURALE

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14e UNIVERSITÉ D’ETÉ DE L’INNOVATION RURALE,6, 7 ET 8 AOÛT 2008

C’est par où, le rural ? Notions floues, lignes de fuite et issues

Depuis plusieurs années, les traits qui différenciaient jusquelà le monde rural du monde urbain s’effacent sous l’effet dela mobilité des populations, de l’homogénéisation des modesde vie et du nombre réduit d’agriculteurs. Et pourtant, jamaisla « ruralité » n’a été autant idéalisée et distinguée, si ce n’estdans la réalité, du moins dans l’imaginaire de nos sociétés.Ce paradoxe n’est pas sans bousculer les logiques habi-tuelles qui articulaient les villes et les campagnes. Une vasterecomposition qui amène plusieurs questions. Ainsi, quedésigne-t-on aujourd’hui quand on parle de ruralité ou d’es-paces ruraux : des étendues géographiques spécifiques?Un système de valeurs? Un cadre de vie? Une ressourceenvironnementale? Ou le lieu d’une utopie?De même, à l’échelle de l’Europe, les nouvelles migrationsdes habitants, les uns quittant la ville, les autres pousséshors des campagnes, transforment les paysages environ-nementaux, économiques, culturels et sociaux.En tentant de comprendre notamment les motifs et lesmanières d’habiter la campagne dans les différentes régionseuropéennes, il s’agit de mieux identifier les forces de chan-gement et les enjeux de pouvoir qui traversent ces territoireset qui sous-tendent les notions du rural.Un état des lieux qui, intégrant les aspects prospectifs,invite nécessairement à revisiter les principes et les orien-tations des politiques dites rurales, tant au niveau européenque régional. ■