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La vie du général Yusuf

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LA VIE DU i

GÉNÉRAL YUSUF

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

L'ÉPOPÉE CANADIENNE : I. — VERS l'OUEST : Renaissance du Livre. II. — MANITOBA : Editions Rieder. III. — LA BOURRASQUE : Editions Rieder. j IV. — CAVELIER DE LA SALLE : Editions Rieder. V. — UN HOMME SE PENCHE SUR SON PASSÉ (Prix

Goncourt 1928) : Editions Rieder. VI. CLAIRIÈRE : Delamain et Boutelleau.

MORVAN : Editions Rieder.

P. C. DE COMPAGNIE : Editions Rieder.

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LE GÉNÉRAL YUSUF

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VIES DES HOMMES ILLUSTRES - No 54

LA VIE DU

GÉNÉRAL YUSUF par

MAURICE CONSTANTIN-WEYER

nrf LIBRAIRIE GALLIMARD

PARIS 43, rue de Beaune 1930 1

S. P.

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L'ÉDITION ORIGINALE DE CET OUVRAGE A ÉTÉ TIRÉE A SIX CENT DIX EXEMPLAIRES SUR VÉLIN PUR FIL LAFUMA-NAVARRE, DONT SIX CENTS EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 600 ET DIX EXEMPLAIRES HORS COMMERCE MARQUÉS DE 1 A X, SOUS COUVERTURE BLANCHE, A FILETS ROUGES ET NOIRS.

IL A ÉTÉ TIRÉ, SOUS LA COUVERTURE DE LA COLLEC- TION DES Vies des Hommes illustres TROIS CENT SOI- XANTE ET ONZE EXEMPLAIRES SUR VÉLIN PUR FIL LAFUMA-NAVARRE, DONT VINGT ET UN EXEMPLAIRES HORS COMMERCE MARQUÉS DE A à U ET TROIS CENT CIN- QUANTE NUMÉROTÉS DE A 1 A 350 ; QUATORZE EXEM- PLAIRES SUR JAPON IMPÉRIAL DONT NEUF EXEMPLAIRES MARQUÉS DE A à I, UN EXEMPLAIRE RÉSERVÉ A L'AU- TEUR MARQUÉ II. C. A. ET QUATRE EXEMPLAIRES NOMINATIFS.

IL A ÉTÉ TIRÉ EN OUTRE QUINZE CENT DIX EXEM- PLAIRES SUR PAPIER ALFA MOUSSE DES PAPETERIES LAFUMA-NAVARRE, NUMÉROTÉS DE 351 A 1850 ET DE XI A XX.

- TOUS DROITS DE REPRODUCTION, DE TRADUCTION ET D'ADAPTATION RÉSERVÉS POUR TOUS LES PAYS Y COMPRIS LA RUSSIE. COPYRIGHT BY LIBRAIRIE GALLIMARD 1930.

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A SON ALTESSE ROYALE MADAME LA DUCHESSE DE GUISE,

Ce livre est respectueusement dédié, en mémoire de ces grands princes soldats

de la famille d'Orléans, qui ont pris place dans l'Histoire

parmi les héros de la conquête - M. C.-W.

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INTRODUCTION

XIXe siècle !... Et qui croirait qu'à cette époque, les contes des Mille et une nuits se font chair ?... Pourtant, telle est la vie aven- tureuse d'un Yusuf.

Enfant, enlevé entre l'île d'Elbe et la côte italienne par les barbaresques... Vendu au bey de Tunis... Mameluk... A vingt-cinq ans couvert de gloire et d'honneurs... Une prin- cesse le cachera dans son coffre... Il y aura cette évasion nocturne, pleine de coups de feu, à travers des rues noires et sans pitié... Un consul de France, ses fils — et voici le nom de Lesseps mêlé à l'histoire — aideront Yusuf à gagner un navire de guerre français... Où le débarque-t-on ? A Sidi-Ferruch, juste à temps pour la prise d'Alger... Trois coups de sabre, au cours d'une chevauchée, et le voilà de nouveau à sa place... Il prendra Bône... Il

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prendra la Smala... Il gagnera ainsi l'amitié de ces Princes français, qui furent de grands soldats d'Afrique... A l'Isly, il mènera la foudroyante charge de cavalerie qui décidera de la journée...Puis, le plus romanesque des mariages avec Adèle Weyer... Enfin, pour que rien ne manque à sa gloire, le général Yusuf connaîtra une disgrâce imméritée, et la mort, loin de cette Algérie, que, plus que quiconque, il a contribué à conquérir, et que, jusque dans son agonie, il aura aimée.

Une telle vie, on ne peut la raconter sans que ceux qui se sont fait un métier de hurler « au roman » lorsqu'on tente de faire revivre un héros, poussent des cris. Heureusement, il existe des textes. Je prends soin d'indiquer tout de suite quelques témoignages qu'on ne récusera pas aisément.

1. Le général Yusuf, par le colonel Tru- melet.

2. Rapports et documents officiels (Archives du ministère de la Guerre).

3. La prise de Bône et de Bougie, par l'ami- ral de Cornulier-Lucinière.

4. Généraux et Soldats d'Afrique, par le capitaine Blanc.

S. Yusuf, par le général Derrécagaix.

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Indépendamment de ces ouvrages, on trou- vera, à la suite du très important livre du colonel Trumelet, toute une bibliographie à consulter. Ferdinand de Lesseps, le prince de Puckler-Muskau, le général du Barail, le comte Fleury ont contribué largement à donner sur le général Yusuf les détails les plus circons- tanciés. Enfin, des liens de famille, dont je m'honore, m'ont fait le dépositaire de ces récits que le général Yusuf, parfois, faisait aux siens, et dont les Weyer ont gardé pieusement le sou- venir. J'écris, mais c'est en quelque sorte Yusuf qui raconte. Mon seul effort est de continuer cette vie merveilleuse dans la limite des faits

f prouvés par les témoins que j'ai cités plus haut. ; Si elle est trop éclatante, c'est qu'un carac-

tère comme celui d'Yusuf dépasse de loin les misérables existences des hommes ordinaires. Il fut un héros d'épopée. Il n'est nul besoin de l'en excuser. On ne songe qu'à l'admirer et à l'aimer.

M. C.-W.

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CHAPITRE PREMIER

SOUVENIRS D'ENFANCE

S'il arrivait au jeune Yusuf de se rappeler son enfance, il évoquait d'abord un palais, moins riche certes, que celui du Pacha Bey Mahmoud, mais dont ses souvenirs lui disaient la mystérieuse grandeur... Les chaises étaient d'un bois roux, garni de bronzes ciselés. Elles étaient recouvertes de soie verte, ornée d'un N doré. Les tentures étaient pareilles... Des salons, où il lui était interdit de pénétrer, il ne connaissait que ce qu'un enfant peut voir en se glissant entre la porte et le factionnaire aux grises moustaches dont le bonnet d'ourson haussait la taille... Il y avait là des hommes en uniformes dorés, qui en entouraient un autre, avec toutes les marques du respect. Cet homme était petit, gros, vêtu simplement d'un

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habit vert, ou d'une redingote grise. Il parlait d'une voix brève, et il avait parfois d'étranges accès de fureur qui rapetissaient, autour de lui, les statures les plus géantes. Yusuf se rappelait que c'était pour lui que son père, tout malade qu'il était, écrivait fiévreusement des lettres dans un bureau encombré de paperasses. Tous les matins, un peu avant onze heures, le père ajustait son habit som- bre, posait ses lunettes, et disait : « Allons, c'est l'heure de la signature. »

Chaque soir, aussi, le père de Yusuf lui faisait traverser une enfilade d'appartements, et le menait chez une dame qu'on appelait la princesse Pauline. Cette dame prenait l'enfant dans ses bras. Elle lui donnait des sucreries. Puis, elle disait : « Ce petit ne peut pas rester comme cela. Il faudra l'envoyer en pension... Nous allons décider cela un de ces jours... Il faut bien que je m'en charge, puisque ma mère n'est plus là... Je paierai sur ma cas- sette... »

Ce palais était au milieu d'une île, toute petite, si petite, qu'on ne pouvait aller nulle part sans voir la mer. Les gens de la ville parlaient l'italien. Les gens du palais parlaient le français. Yusuf parlait l'une et l'autre

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langue, mais, de préférence, le français. Puis, il y eut au palais de nouveaux arrivants,

et les portes furent plus mystérieusement closes... Les couples qui chuchotaient, se taisaient, même chez la princesse Pauline, dès que paraissait l'enfant. Son père était plus sombre que jamais. Après avoir baisé la main de la princesse, il disait : « Madame, toute cette affaire achève de me tuer. Je recommande cet enfant à Votre Altesse Impériale. » Et elle, souriante, répondait : « Ne vous mettez pas en peine. Nous allons l'envoyer à Piombino. Il y sera très bien. Il y a un bon collège. »

... Le souvenir... Au moment du départ, le père a pleuré. Madame Pauline est venue jus- qu'au port. Elle a donné à l'enfant un sac plein de friandises. Elle a fait mille recommanda- tions à cette dame en ska. (Mais, comment prononcer ce nom tout en tche, en rsce, en trs ?) Quand le bateau a quitté le port, on a vu longtemps le mouchoir qui s'agitait.

... On s'était amusé à.suivre de l'œil ce vaisseau à voilure immense, découpé sur un horizon de myosotis et de violettes... On ne voyait plus la terre depuis longtemps. Cet autre navire était la seule chose vivante... Vivante et terrible... Il a grossi, grossi...

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Lorsqu'il a été très près, une fumée s'est échappée de son flanc... Quelque chose a chuinté dans l'air... Le patron est devenu de la couleur de ses voiles, et a dit : « Nous sommes perdus. Voici les corsaires. Mettez en panne. » Alors, il est monté à bord des hommes au visage dur... Yusuf se souvient mal... La dame en ska a donné ses diamants en pleu- rant... Il y avait trois enfants à bord. On les a emmenés tous les trois.

... Ils sont arrivés au mouillage, au cours de la troisième nuit. Yusuf s'était senti très malade... On entendait clapoter l'eau contre les flancs du vaisseau. Le balancement était pire encore que la danse sur la pleine mer.

Le rêve du jeune Yusuf le conduira main- tenant vers les souks. Il a passé par El-Attari, où la rose, le jasmin et l'ambre mêlent leurs odeurs. Par El-Blagdjia, où l'on vend des pantoufles. Par El-Tronk, où, accroupis, les tailleurs brodent les gandouras. Par Esse- kadjine, où, dans la pénombre, brillent les harnachements... Ici, à El-Berka, il voisine avec des hommes, des femmes et des enfants, nus dans l'ombre et que le regard des ache- teurs fait frissonner comme l'approche d'un orage... Il suit, docile, sans comprendre,

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l'homme à la veste éclatante qui, en remettant les pièces d'or, a souri.

Le Bar do jaunit sous le soleil et bleuit dans l'ombre. Derrière l'homme, qu'il faut bien suivre, il traverse des salles de marbre et d'or, dans lesquelles il voudrait bien s'arrêter pour voir tant de belles choses...

Voici, vêtu à l'européenne, mais coiffé d'un fez, mais barbu, un homme qui a bonne figure.

— Où as-tu trouvé celui-là ? — Au souk El-Berka, parmi d'autres escla-

ves. On en fera un joli mameluk. — D'où vient-il ? — La raïs qui me l'a vendu l'a pris près

des côtes italiennes. Frottant de la main sa bedaine, l'homme replet, aux yeux si doux dans la figure barbue, demande en italien :

— Comment t'appelles-tu ? Voilà enfin un homme qui parle comme les

gens de l'île d'Elbe. Toutefois, on ne lui répondra pas encore, pour le plaisir d'enten- dre un langage qu'on connaît. Le barbon répète la question, toujours en italien. On lui répond en français.

— Je m'appelle Joseph. — Ah ! bagasse ! (Que ce monsieur a une

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drôle de figure).,. Tu ris, peuchère !... Tu ne penses donc pas à tes parents, mon pauvret ?... Comment s'appelle ton papa ?

— Mon papa, il s'appelle papa. — Mais il a bien un autre nom, bagasse ! — Il s'appelle papa. — Bagasse !... Et ta maman alors ! — Je n'ai plus de maman... Mais tu sais,

monsieur, je connais madame Pauline. Et puis, je connais aussi l'Empereur...

— Bagasse !... Le barbon se frotta le ventre... — Tu viens de l'île d'Elbe, alors ? — Oui, monsieur 1 — Ah ! Bagasse !... ... Joseph, devenu Yusuf, reverra mainte-

nant souvent le bon « hakem » Lambert,,. Celui-ci s'attristera.

— Tu sais, pitchounet, j'ai écrit à l'île d'Elbe... Mais nous n'avons pas de chance... L'Empereur est parti... Il est de retour "en France... Il guerroie quelque part... Ta madame Pauline ne m'a pas répondu... On m'a dit : « C'est le fils de quelque fonction- naire impérial, sans doute... » Ah ! Bagasse ! si tu te rappelais un peu le nom de ton papa ! Enfin, qui... vivra... Tu n'es pas trop

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mal au harem,,. Tu jurais pu plus mal tom- ber... Les femmes n'y sont pas trop mau- vaises, et j'aurai l'ceil sur toi... Je tâcherai de t'apprendre un peu de ce que je sais,.. Si on ne retrouve pas les tiens, on fera tou- jours de toi un homme...

Le docteur Lambert ne s'étonna point que le père du petit Joseph ne l'eût pas réclamée L'enfant n'avait-il pas décrit un homme sur- mené, prêt à mourir ? La nouvelle même de l'enlèvement était de nature à achever un moribond. Il ne s'étonna pas davantage que restassent sans réponse toutes les lettres écrites à la princesse Borghèse. Il ne savait que peu de choses sur la situation actuelle de la famille impériale. Traqué par les soldats de la Sainte- Alliance, l'Empereur voyait l'écroulement de ses derniers espoirs. Ses frères, ses sœurs, tous ceux qui avaient partagé sa grandeur, ne songeaient plus qu'à mettre à l'abri ce qu'ils pouvaient sauver de leur stupéfiante fortune.

Admis dans le harem, en qualité de hakem, le médecin revit son petit protégé. Sous le regard bienveillant de Fathma, la nourrice,

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une douzaine d'enfants jouaient ensemble, Yusuf se plaisait particulièrement avec la princesse Kaboura, fille du prince Hoçein. Ensemble, ils suçaient des loukoums !

Le premier souci qu'eut Lambert fut d'en- tretenir l'enfant dans l'usage de la langue fran- çaise. Dans ce palais du Bar do, où l'on parlait arabe et turc, le jeune Yusuf risquait d'oublier sa langue maternelle. Avec les nombreux Maltais, réduits en esclavage et que la chiour- me beylicale faisait travailler sous le bâton, l'orphelin conversait fréquemment en ita- lien. Il se passa peu de temps avant qu'il pût s'exprimer aisément en quatre langues.

Ce fut le docteur Lambert qui lui enseigna à écrire la française. Heureux d'étaler son érudition, le médecin apprenait aussi à l'en- fant les rudiments du latin. Surtout, le Sal- luste à la main, il lui traduisait à peu près correctement la relation de la guerre de Jugurtha. Par lui, Yusuf apprit l'histoire du pays avant l'invasion islamique. Non loin de Tunis, à Carthage, à Dougga, à Tebousenk, à Oudna, à Zaghouan, à El-Djem, à Casse- rine, Sbeitla, des monuments disaient encore la grandeur des anciennes races, autochtones et conquérantes. L'enfant sut que Tebousen

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s'était appelée Thubursicum, Dougga, Thug- ga, Oudna, Itina, Sbeitla, Suffetula, et qu'à El-Djem, qui portait alors le nom de Thys- chrus, Gordien avait été proclamé César. Lambert ne manqua pas d'enseigner à son élève l'histoire du roi franc Saint Louis, mort , devant Tunis la Blanche qu'il assiégeait, et dont le territoire a recueilli les ossements.

En 1821, — Yusuf devait avoir une douzaine d'années, — il fut selon l'usage retiré du harem et placé aux R'elam'nd Solthan. On nommait ainsi le corps des pages de la Cour du bey. La plupart étaient des fils de « grande tente », ou des enfants de dignitaires impor- tants. Les tolbas leur enseignaient le Koran, la grammaire arabe, la jurisprudence musul- mane, les langues turque et espagnole, la calligraphie, le dessin oriental.

Une émotion profonde l'emplissait, lors- qu'il psalmodiait, après le taleb, les mysté- rieuses sourates : Ceux des compagnons qui sont à droite, Dans les jardins des délices, Sur des lits aux étoffes tendues sans plis,

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Reposeront les uns en face des autres. Autout d'eux, des éphèbes, éternellement jeunes, Leur présenteront coupes et verres bien remplis Et les fruits de leur choix, Et la chair des oiseaux qu'ils aiment, Et des houris aux yeux noirs, aux perles semblables, Viendront récompenser le croyant.

Il frissonnait encore, ■— qui n'eût pas frissonné ? — lorsque, vers la fin de cette sourate, il chantait le sort terrible réservé aux Infidèles : Les compagnons de la gauche, oh ! les compagnons

[de la gauche Sous le vent brûlant, sous la pluie bouillonnante Dans l'horreur d'une fumée noire Sans fraîcheur et sans repos. [est un mensonge, Vous qui vivez dans l'erreur, et dites que le Korah Vous mangerez de l'arbre de l'enfer A vous en remplir le ventre. Et vous boirez de l'eau bouillonnante, Vous boirez comme un chameau qui crève de soif, Et voici l'hospitalité pour vous, le jour du jugement

Mais ce jugement dernier lui-même, le taleb le rappelait dans le sourate 70 : Le ciel sera comme de l'airain fondu, Les montagnes, comme des flocons de laine. L'ami n'osera questionner l'ami,

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Et pourtant ils seront face à face ; et le coupable Désirera se racheter au prix de son enfant, De sa compagne et de son père, Au prix de ses parents chéris. Il cherche quel est l'homme qui le voudrait sauver... Personne ! Le feu d'enfer le prendra au crâne, Prendra tout renégat de la vraie religion, Et celui qui amassa et se montra avare... Ils sortiront à pas précipités de leurs tombeaux, Ralliés sous l'étendard de l'enfer, Les yeux baissés, dans l'ignominie. Tel est le jour qu'Allah leur a promis...

Il y avait aussi l'histoire de cet autre garçon qui s'appelait Yusuf comme lui, et qui avait été vendu par ses frères. Il se rappelait que, naguère, la vieille Fathma lui avait dit : « Si l'autre Yusuf avait seulement la moitié de ta beauté, combien la femme de Kitfir n'est-elle pas excusable ! 0 mon œil ! il est vrai, par Allah ! le dicton de nos pères : « Vendre Yusuf pour un vil prix! » Quelle fille ne courra pas après toi, lorsque tu auras l'âge de rendre les femmes heureuses ».

Alors l'enfant, soupirait. Il savait que sa destinée était de gloire et non d'amour. Qu'il porterait le riche costume et les armes étin- celantes du mameluk, et qu'il connaîtrait

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l'ivresse des belles batailles ; encore, que le pacha-bey le comblerait d'or, et lui donnerait ses plus beaux chevaux. Mais, aussi, en échange de tant de gloire, qu'il devrait s'abstenir des femmes, comme du vin et du tabac.

— Petit, — disait le docteur Lambert, — ce que t'apprennent tes tolbas, c'est de la crotte de bique. (Il s'arrêta de parler pour se fourrer une prise dans le nez. )... Oui ! je sais, tu es très fort en calligraphie. On m'a montré certain Koran de ta main, qui a été très remarqué. Le pacha-bey en a accepté l'hommage. Mais, crois-moi, cela ne vaut pas ' une bonne instruction européenne, bien solide. Ne néglige pas les livres que je t'ai prêtés. Cela pourra, par la suite, te servir plus que toutes les sourates dont on te farcit la tête.

Le front baissé, l'enfant écoutait avec un mélange de déférence et d'horreur. Il aimait le hakem. Mais il aimait aussi cette religion musulmane qu'on lui enseignait. Lorsque, du haut des minarets, les muezzins criaient la prière, il savait que, des confins de la mer de

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Chine aux limites de l'Océan Atlantique, des croyants, nombreux comme les poussières de sable du désert, faisaient les mêmes gestes et répétaient les mêmes louanges à la gloire d'Allah ! Ce docteur Lambert était savant. « Mais Allah est plus savant. » Et il trouvait une grande gloire à être une parcelle de cette âme immense et collective de l'Islam !

Déjà, il avait accepté le destin. A condition, toutefois, que ce destin se laissât prendre aux épaules, pour une lutte loyale. Il avait lu l'Epopée d'Antar-Ben-Cheddad, dont les tol- bas chantaient volontiers les strophes, afin d'exalter l'âme des futurs mameluks.

Je suis le fils de mes œuvres et de mon sabre En lui gisent ma gloire et ma noblesse

Ainsi avait parlé Antar. Ainsi parlait l'en- fant, qui, de la phrase d'Antar, s'était fait une devise : « Si tu veux savoir quels sont mes ancêtres, vois mes œuvres. » Le hakem Lam- bert pouvait bien parler du Koran calligraphié pour le Pacha-Bey. Comment aurait-il su que le chef-d'œuvre de calligraphie, c'était cette phrase peinte en lettres d'or sur un par- chemin très précieux, et qui, cousue dans un

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COLLECTION VIES DES HOMES ILLUSTRES " FRANZ LISZT

par Guy de Pourtalès LAZARE HOCHE par Georges Girard

HENRI IV par Pierre de Lanux

CHOPIN OU LE POÈTE par Guy de Pourtalès

DICKENS par G. K; Chesterton

STENDHAL par Paul Hazard

GŒTHE par Jean-Marie Carré BARON LOUIS par C.-J. Gignoux

BEAUMARCHAIS par René Dalsème

JOHN KEATS par Albert Erlanile

SCHUBERT par Paul L3nçJormy

TALLEYRAND par Jacques Sindrat

MONTAIGNE par Jean Prévost

HOFFMANN par Jean Mlstler

DISRAELI par André Maurol.

CYRANO DE BERGERAC par Louis-Raymond Lefèvr"

DELACROIX par Pierre Courthlor.

ALEXANDRE DUMAS PÈRE par J. Lucas-Oub,eto,, FERNAND CORTÈS

par Jean Babaloi LA FAYETTE

par jacques Kayser ATTILA

par Marcel Brlol'\ GOYA

par EugenIo d'Or» LOUIS Il DE SAVIÉRE OU HAMLET-ROI

par Guy de Pc.urtath CHATEAUBRIAND

par Marcel Rouff MARÉCHAL DE RICHELIEU pgtr R. Honnert et M. Augagneur

R. L. STEVENSON Par Jean-Marie Carré

BEETHOVEN va, Édouard He,,Iot

MOLIÈRE par Ramon Fernandez

VATEL par Jean Moura et Paul Louvet

WILLIAM COBBETT par G.-K. Chesterton

SAINT-JUST par Emmanuel Aegerter ORACCHUS BABEUF

par nya Ehrenbourg VAUVENARGUES par Pierre RIchard

EURIPIDE par Marie Delcourt

LOUIS PASTEUR par Henri D,oul. CROMWELL

Jlar John Drlnkwater P H I L I P P E Il

par Jean Cassou SAINT LOUIS

e - , Jacques Boulanger CLAUDE MONET par Marthe de Kels S Œ U R S BRONTÊ

par Emilie et Georges Romtez M " DE MAINTENON

p,ir Gonzague Truc

SCARRON par Jacques Jérames

BOUGAINVILLE par Jean Dorsenne

BAKOUNINE par Hélène Iswolsky WALT WHITMAN par Cameron Rogers

ELISABETH ET LE COMTE D'ESSEX p>r Lytton Strac¡,ey

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