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la voie maritime du saint-laurent Cinquante ans et l’avenir à nos portes Traduit de l’anglais par michel gaulin d arcy jenish

La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

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Page 1: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

l a vo i e m a r i t i m edu sa int-laurent

Cinquante ans et l’avenir à nos portes

Traduit de l’anglais parmichel gaulin

d’arcy jenish

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jenish, d’arcy, 1952– La Voie maritime du Saint-Laurent: cinquanteans et l'avenir à nos portes/D'Arcy Jenish;traduction de Michel Gaulin. Traduction de: The St. Lawrence Seaway.Comprend un index.

isbn 978-1-897323-85-41. Voie maritime du Saint-Laurent—Histoire. i. Gaulin, Michelii. Titre.

fc2763.2.j46 2009 386.5’09714 C2009-900896-3

© 2009 corporation de gestion de la voie maritime du saint-laurent

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Avant-propos, Richard Corfe9

La Voie maritime aujourd’hui 13

Promesse tenue, 1959–1969 29

Croissance et optimisme, 1969–1979 45

Des années difficiles, 1980–1992 62

Un nouveau départ, 1992–2002 79

La Voie maritime: l’avenir 98

Index113

La Voie maritime du Saint-Laurent |Table des matières

1

2

3

4

5

6

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J’étais bien loin de penser, quand je me suis joint àl’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, en 1983, que j’occuperais la présidence del’organisme au moment où il célébrerait soncinquantième anniversaire!

Quand j’ai été embauché, la Voie maritime amorçaitun changement de direction. Elle avait mis enveilleuse ses objectifs de croissance pour seconcentrer sur le maintien de ses acquis,modification de stratégie suscitée par laconjoncture économique difficile du début desannées 1980. En tant qu’ingénieur en mécanique,mes antécédents se situaient du côté de lamaintenance. Ma première responsabilité consista àmettre sur pied un programme d’optimisation desressources qui permettrait de tirer le maximum dechaque dollar consacré au maintien du réseau.Cette initiative survenait au moment opportun,puisqu’au cours des trente mois qui allaient suivre,la Voie maritime aurait à affronter les conséquencesde deux défaillances majeures d’infrastructure, l’uneau pont de Valleyfield, sur la section Montréal-lacOntario, l’autre à l’écluse 7 du canal Welland.

Ces «événements émotivement significatifs» pourla Voie maritime nous amenèrent à dire «plusjamais». Ils fournirent l’impulsion nécessaire à uneremise en état, à mi-vie, de nos installations grâce,notamment, au programme de réhabilitation ducanal Welland et à la mise sur pied d’un systèmecomplet de gestion de l’infrastructure qui, comptetenu du vieillissement du réseau, nous a bien servis.

Depuis plus de vingt ans maintenant, nous avonsréussi à respecter l’engagement que nous avionspris d’éviter des défaillances majeures, et nousexploitons de façon coutumière l’ensemble duréseau à plus de 99 pour cent de disponibilité. Lesrecherches se poursuivent, toutefois, en vue detrouver le financement adéquat pour maintenir cerecord enviable.

En matière d’entretien du réseau, j’ai eu l’occasionde «prêcher par l’exemple», quand, vers la fin desannées 1980, j’ai été muté au canal Welland commedirecteur de l’ingénierie et de la maintenance. J’aioccupé par la suite le poste de vice-présidentadjoint pour la région Niagara, puis celui de vice-président, Ingénierie, pour l’ensemble du réseau.

Puis vint la commercialisation!

Au cours des années récentes, j’ai souvent eul’occasion de parler du chemin que nous avonsparcouru depuis notre statut de société d’Étatmodèle, à celui d’une corporation «sans butlucratif» parfaitement rodée. En tant que sociétéd’État, nous étions tournés sur nous-mêmes pourfaire en sorte de nous aligner sur des pratiques

Avant-propos | 9

La Voie maritime du Saint-Laurent |Avant-propos

Richard Corfe, président de la Corporation de Gestion

de la Voie Maritime du Saint-Laurent.

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exemplaires dans tous les aspects de notreexploitation, et d’avoir en place des systèmesadéquats de gestion environnementale.

En tant qu’organisme commercialisé, nous avons dûadopter une approche axée sur l’extérieur, soit lesbesoins directs et immédiats de nos clients, quiconstituaient la véritable raison d’être de notrenouveau statut. Puis, au fur et à mesure que lacorporation atteignait sa vitesse de croisière,démontrait sa valeur et réussissait à accroître sonrôle dans l’industrie du transport maritime, nous ensommes venus progressivement à nous regarder del’extérieur. Dans le cadre de cette démarche, nousnous sommes penchés non seulement sur lesbesoins directs de notre clientèle, mais sur ceuxégalement de toutes les parties concernées etnous avons élaboré une approche de «viabilité»fondée sur l’intégration à nos activités courantesd’une politique de responsabilité socialed’entreprise.

Cette approche nous a amenés à reconnaître quenous sommes l’un des usagers d’une richessepartagée—le fleuve Saint-Laurent et les GrandsLacs—et que, alors que le transport maritime estessentiel à l’activité économique et à lacompétitivité de bon nombre de nos industries, ilnous faut forger avec d’autres intervenants desliens de concertation si nous voulons assurer notresuccès et, sur la longue durée, notre viabilité.

Si l’on jette un regard sur l’avenir, l’on peut dire quela Voie maritime a le vent dans les voiles. Nosactivités de marketing à la grandeur du réseau etnotre promotion de la marque Autoroute H2O ont

eu pour effet de faire mieux connaître le réseauGrands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent, tandisque nos initiatives en matière de développementdes marchés ont attiré un nouvel achalandage etcontribué à une diversification des cargaisons. Lesoccasions en ce sens abondent, dans le sillage de larécente Étude des Grands Lacs et de la Voiemaritime du Saint-Laurent et de la stratégie de laPorte continentale et du Corridor de commerceOntario-Québec.

La corporation s’est donné pour mission d’assurerun avenir durable pour le réseau en accroissant aumaximum son utilisation, ce qui aura pour effetd’accroître les effets bénéfiques qui endécouleront pour les deux pays impliqués. Enmême temps, nous avons mis sur pied desinitiatives destinées à minimiser les impacts quel’utilisation du réseau peut avoir sur d’autres quenous et pour gérer les coûts de façon à assurer unjuste équilibre de rendement à toutes les partiesintéressées, y compris les populations du Canadaet des États-Unis par l’entremise de leursgouvernements respectifs.

Dans ce contexte, avec une infrastructure en bonétat sur laquelle asseoir l’avenir—et le financementnécessaire pour l’y maintenir—nous comptons surla technologie moderne pour tirer du réseau desbénéfices maximums.

Tout au long de l’histoire de la Voie maritime,l’innovation et le recours à des technologiesnouvelles ont fait en sorte que son infrastructuresoit en mesure de répondre aux besoins du jour enmatière de transport. Cet état d’esprit persiste aumoment où nous célébrons notre cinquantièmeanniversaire. Les premiers systèmes de gestion dutrafic ont évolué depuis les débuts et continuent àle faire. Il y a cinq ans, la Voie maritime est devenuela première voie navigable au monde à mettre enservice un système d’identification automatique

10 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

La corporation s’est donné pour mission d’assurer unavenir durable pour le réseau en accroissant aumaximum son utilisation, ce qui aura pour e◊etd’accroître les e◊ets bénéfiques qui en découlerontpour les deux pays impliqués.

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(SIA), et des améliorations survenues depuis ontfait en sorte que le réseau reste à la fine pointe dela technologie. Au moment même où nous nouspenchons sur l’avenir, nous sommes en passe demodifier l’ensemble de notre processusd’exploitation grâce à la mise en place de transits«mains libres».

L’infrastructure de la Voie maritime du Saint-Laurent, construite dans les années 1950, et lecanal Welland, en exploitation depuis 1932, ont étéle fondement sur lequel le succès de l’entreprise aété édifié. Mais la Voie maritime n’aurait puconnaître ce succès si ce n’avait été de sesemployés.

Génération après génération, la Voie maritime a étébien servie par ses travailleurs—depuis ceux quiont bâti le réseau, jusqu’à ceux qui en assurentl’exploitation et l’entretien, en passant par ceux quiœuvrent dans l’ombre pour assurer le supportnécessaire à ses diverses activités.

Ce livre leur est dédié, travailleurs et travailleuses,aussi bien anciens qu’actuels, au moment ou,ensemble, nous nous engageons dans un avenir quis’annonce passionnant.

— richard corfe

Avant-propos | 11

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« Quiconque a fait l’expérience de la vie à bordd’un navire des Grands Lacs est en mesured’apprécier le travail qui s’y accomplit, lacompétence des membres de l’équipage et lesdéfis auxquels ils font face. »

wayne smithPremier vice-président,

Affaires commerciales, Algoma Central

Vêtu de façon décontractée dans une chemisetteblanche et un pantalon court bleu marine, chausséde sandales Birkenstock, le capitaine WernerDraenger apparaît bien reposé au moment où ilremonte l’escalier conduisant de la cabine ducommandant à la passerelle du NM Algomarine. Ils’arrête un instant à son poste, au-dessus de laproue du navire, et balaie du regard les eaux vertgrisâtre du fleuve Saint-Laurent, quelque quarantepieds sous lui. On est au milieu de l’après-midi, unsamedi de juillet, et l’Algomarine, un bâtiment de730 pieds, est amarré depuis huit heures au quai 99du port de Montréal, dans l’est de la ville. Durant cetemps, il a déchargé 24000 tonnes de fragmentsde pierre à chaux, de la grosseur de balles de golf,qui se dressent maintenant sur le revêtementasphalté du quai en deux pyramides bienordonnées, d’une hauteur de cinquante piedschacune. Le capitaine, un vieux routier qui vientd’atteindre ses soixante-cinq ans, s’apprête àdonner les ordres de départ.

Au cours des dix-huit à vingt prochaines heures, ilguidera le navire à travers les chenaux, les canaux etles sept écluses qui forment la section Montréal-lacOntario de la Voie maritime du Saint-Laurent. À15h20, le capitaine Draenger passe en revue une listede vérifications avant départ. Il demande à sonpremier lieutenant, Joe Ames, si tout l’équipage devingt-quatre personnes est à bord. Puis il donneinstruction à l’officier mécanicien en chef, SethGordon, assis dans la salle de commande des

moteurs, à quelque sept cents pieds de distance, à lapoupe, de mettre en marche le propulseur d’étrave. Ils’agit d’un engin d’une puissance de 800 hp, installédans la coque, directement sous la passerelle, et quiactionne une hélice de deux mètres de diamètre.

La proue du navire s’éloigne du mur de bétondu quai, et le voyage s’amorce. L’Algomarine est en

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 13

1 | La Voie maritime aujourd’hui

Un navire voyageant en direction ouest, dans l’écluse de Saint-

Lambert, avec la ville de Montréal en arrière-plan. Cette écluse

sert de porte d’accès à la Voie maritime du Saint-Laurent.

air photo max

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route pour Thunder Bay, en vue d’y charger unecargaison d’avoine. Ses six énormes cales, quipeuvent déplacer le même volume demarchandises que 870 camions de transport outrois trains de 100 wagons chacun, sont vides, maisses citernes de ballast sont remplies d’eau pourdonner de la stabilité. Quelques minutes aprèsavoir quitté le quai, l’Algomarine navigue au large,sur le Saint-Laurent.

Le ciel est gris, les vents légers et le fleuvegrouille d’activité. On aperçoit sur l’eau desbateaux d’excursion, des bateaux à moteur, desbateaux de pêche, des kayaks et des Sea-Doo,tandis que l’imposant vraquier—plus long que deuxterrains de football mis bout à bout, et large de lamoitié—poursuit sa route en amont. Il dépasse LaRonde, le parc d’attractions très fréquenté, situé àla pointe est de l’île Sainte-Hélène, où s’est tenueExpo 67. Il passe sous l’une des deux arches dupont Jacques-Cartier, s’engage dans le chenalmaritime et se dirige vers l’écluse de Saint-Lambert

et la première étape de sa montée vers le lacOntario.

L’écluse est située sur la rive sud du Saint-Laurent, directement en face du centre-ville deMontréal. Besogne délicate que celle de fairepasser un navire dans la chambre de béton, et quirequiert une dextérité considérable et une toucheexperte de la part du capitaine et d’une équipe quicomprend le préposé au gouvernail, les lieutenantset les ingénieurs. L’écluse fait quatre-vingts piedsde large. Le navire, lui, en fait soixante-quinze, cequi laisse à peine deux pieds et demi de marge demanœuvre de chaque côté, bien peu de place pourquelque erreur que ce soit.

Le capitaine donne ses ordres d’une voix calmeet rassurante. Il est en communication constanteavec son équipe: le préposé au gouvernail, qui setient immédiatement derrière lui; les mécaniciens,bien installés dans leur salle de commande; enfin,ses lieutenants, le premier à la proue, le deuxième àla poupe, tous deux munis d’un radio émetteur-récepteur afin de tenir le capitaine bien informé dela position du navire au moment où la poupe frottecontre le mur de guidage, glisse en direction de laporte et pénètre dans l’écluse.

À 17h40, l’Algomarine repose dans l’écluse et,douze minutes plus tard, y est bien amarré. À 18heures, l’eau commence à s’engouffrer dans le saset, en huit minutes, élève le navire à une hauteur dedix-huit pieds. La porte s’ouvre, le capitaine émet unbref coup de sifflet qui signifie « Larguez toutes lesamarres» et le navire reprend son voyage dans lecanal de la Rive Sud, long de 22,5 kilomètres, quiserre de près la côte en forme de V d’une sectiondu fleuve connue sous le nom de bassin deLaprairie.

La prochaine étape, à seize kilomètres enamont, est celle de l’écluse de Côte-Sainte-Catherine, qui tire son nom d’une localitéadjacente de banlieue. Cette écluse soulève lenavire de trente pieds. Un peu plus loin, le fleuves’élargit et devient le lac Saint-Louis. L’Algomarine

14 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Avec à peine deux pieds et demi de marge de manœuvre de

chaque côté, parfois moins en certains cas, il faut une équipe

hautement qualifiée pour faire pénétrer l’Algomarine, un navire

long de 730 pieds, dans une écluse. patrick jenish

Besogne délicate que celle de faire passer un naviredans la chambre de béton, et qui requiert unedextérité considérable et une touche experte.

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atteint le lac au moment où le soleil se couche. Unfeu d’artifice et le parc d’attractions d’une foireestivale illuminent le ciel au-dessus du Territoiremohawk de Kahnawake, sur la rive sud. De l’autrecôté du lac, dans l’Ouest-de-l’Île, les lumières deDorval, de Pointe-Claire et de Beaconsfieldcommencent à scintiller.

Vers minuit, après avoir traversé le lac Saint-Louis, le navire atteint la première des deuxécluses de Beauharnois, adjacentes à un barragehydroélectrique et à une usine de productiond’électricité qui portent le même nom. Chacune deces écluses élève l’Algomarine de quarante-deuxpieds, jusqu’à la hauteur du canal de Beauharnois.Creusé à l’origine dans les années 1930, puisapprofondi pendant les années 1950 lors de laconstruction de la Voie maritime, ce canal fait vingtet un kilomètres de long et fournit la plus grande

part de l’eau du lac Saint-François, autreélargissement du fleuve, aux turbines de la centraleélectrique de Beauharnois.

Au lever du soleil, le navire a atteint l’extrémitéouest du lac Saint-François. Il a dépassé de petiteslocalités situées sur le bord du lac, Saint-Zotique,au Québec, et Lancaster et Summerstown, enOntario. Cornwall se trouve un peu au-delà.L’Algomarine pénètre dans le chenal maritime dufleuve, marqué par des bouées et des aides à lanavigation. Il dépasse plusieurs petites îles et deux

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à gauche : Un navire descendant, dans le canal de la Rive Sud,

navigue en direction de l’écluse de Côte-Sainte-Catherine, en

route vers Montréal. à droite : Les écluses supérieure et

inférieure de Beauharnois procurent chacune une élévation ou

une descente de quarante-deux pieds et sont adjacentes à un

barrage hydroélectrique du même nom. air photo max

Page 10: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

grandes—l’île St-Régis et l’île Cornwall—et atteintl’écluse Snell. Celle-ci est la première de deuxécluses situées du côté américain de la Voiemaritime et la cinquième des sept étapes de laremontée du navire en direction du haut Saint-Laurent et du lac Ontario. L’écluse Snell élève lenavire de quarante-sept pieds. L’écluse Eisenhower,à six kilomètres et demi en amont, l’élève dequarante-deux pieds additionnels.

La dernière écluse, celle d’Iroquois, qui porte lenom de la petite ville ontarienne située sur lesbords du fleuve, se trouve à 40 kilomètres plus àl’ouest. Elle élève l’Algomarine de deux pieds àpeine. Au moment où il quitte l’écluse, l’Algomarinese trouve à 175 kilomètres à l’ouest de Montréal, enamont de laquelle, depuis son départ, il a été élevéde 224 pieds. Le fleuve, dont l’étendue est iciimposante, est en grande mesure libre d’îles, et lenavire franchit facilement les chenaux maritimespour dépasser Prescott et Brockville, du côtécanadien et Ogdensburg et Morristown, sur la rivede l’État de New York.

Tôt le dimanche après-midi, le navire acommencé de se frayer un chemin à travers lecélèbre archipel des Mille-Îles. Les propriétaires dechalets et de maisons des deux côtés du Saint-Laurent profitent d’un après-midi chaud etensoleillé, tandis que les bateaux à moteur filent àtoute vitesse dans les deux sens du fleuve. Àl’heure du dîner, l’Algomarine a dépassé CapeVincent et Tibbets Point. Il a quitté le fleuve et sedirige maintenant, à un rythme soutenu, versl’extrémité ouest du lac Ontario.

§ On est à deux heures du lever du soleil, le lundimatin, quand le capitaine Draenger guidel’Algomarine au-delà de la petite ville tranquille dePort Weller, sur les bords du lac, pour le fairepénétrer dans les eaux toujours sombres du canalWelland, en direction de la masse noire arrondie del’escarpement du Niagara, que l’on aperçoit àl’horizon et qui se dresse entre les lacs Ontario et

16 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Concept artistique du réseau Grands Lacs-Voie maritime du

Saint-Laurent. Albert G. Ballert, autrefois directeur de la

recherche à la Great Lakes Commission, à Ann Harbor, au

Michigan, a produit cette image vers la fin des années 1960.

albert ballert

Le capitaine Draenger garde la main droite sur lamanette de contrôle des gaz. Sans cesse enmouvement, ses yeux scrutent les cadrans, les écranset les jauges de la console placée devant lui.

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Érié. Il est 4 heures du matin, et le capitaineDraenger est debout déjà depuis une heure, à sonposte sur la passerelle. Il va passer les douzeprochaines heures à guider le navire à travers lesécluses, les passages et les chenaux du canal, quifait quarante-trois kilomètres de long. Tirée pargravité, de l’eau en provenance du lac Ériépénétrera dans les huit écluses du canal et enressortira, élevant l’Algomarine de 100 mètres—326pieds, la hauteur d’un immeuble de 32 étages. Lamontée commence, sous l’éclat aveuglant desréflecteurs orange de l’écluse 1.

Le capitaine Draenger garde la main droite sur lamanette de contrôle des gaz. Sans cesse enmouvement, ses yeux scrutent les cadrans, les écranset les jauges de la console placée devant lui.L’Algomarine se déplace à deux kilomètres à l’heure—très lentement, selon l’échelle graduée burinée surl’accélérateur. Au cours des minutes qui suivent, lecapitaine Draenger réduit la vitesse. Puis il donnel’ordre au mécanicien de renverser le sens de lamarche, ce qui a pour effet d’amener le navire à unarrêt complet, à un ou deux mètres à peine desportes supérieures de l’écluse. Il est 4h21, et letroisième lieutenant, qui est présent dans la cabine dela passerelle, inscrit l’heure dans le journal de bord.

Au-dessous, depuis le pont, les premier etdeuxième lieutenants tendent aux éclusiers descâbles d’amarrage en acier tressé enroulés sur destreuils. Les éclusiers attachent fermement lenavire en passant les câbles par-dessus de grossesbittes de fer, appelées bollards, encastrées dansla surface de béton. L’opérateur d’écluse ouvrequatre énormes vannes d’entrée. Chacune fait

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 17

à gauche : L’entrée du canal Welland par le lac Érié, à Port

Colborne, en Ontario. Le chenal de navigation se trouve à droite.

L’autre est un chenal d’alimentation qui fournit de l’eau en

provenance du lac au reste du canal. à droite : Les écluses

jumelées constituent le cœur du canal Welland. Elles accueillent

simultanément le trafic remontant, comme dans cette photo, et

le trafic descendant. Elles élèvent ou abaissent les navires en

trois marches géantes d’escalier, chacune d’une hauteur de

quarante-deux pieds. air photo max

Page 12: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

sept pieds de largeur sur quatorze de hauteur,assez grand pour y laisser passer une voiture. Lavoix de l’opérateur d’écluse se fait entendre sur lesystème de communication: «Algomarine, vousmontez».

On entend distinctement le son de l’eau qui seprécipite en cascade dans le sas. En l’espace de dixminutes, 23 millions de gallons d’eau—ce quireprésente la consommation quotidienne d’uneville de près de 130000 habitants—se sontengouffrés dans le sas et ont élevé l’Algomarine de46 pieds et demi. Il est 4h41. Le troisièmelieutenant inscrit l’heure dans le journal de bord.Les portes supérieures commencent à s’ouvrir etl’opérateur d’écluse s’adresse de nouveau aucapitaine: «Algomarine vous avez la voie libre pourle transit. Bon voyage ».

L’Algomarine est le seul bâtiment à naviguersur le canal en ce matin d’été. Il franchitrapidement les écluses 2 et 3 avant de parveniraux écluses jumelées en série—numéros 4, 5 et 6—qui s’élèvent depuis le pied de l’escarpement et legravissent l’une après l’autre en trois étapesgéantes, à peu près jusqu’au sommet de cetteformidable barrière naturelle. Chaque éclusejumelée est dotée de deux chambres, érigées l’uneà côté de l’autre, ce qui permet aux navires demonter et de descendre simultanément. Au sortirde l’écluse 6, l’Algomarine traverse un courtpassage de plusieurs centaines de mètres pouratteindre l’écluse 7 et accomplir une dernièremontée de 47 pieds et demi et se hisser au niveaude la terre ferme.

Puis il poursuit sa route en direction sud,dépassant la ville de Welland, côtoyant des terresagricoles fertiles, se glissant sous des pylônesd’électricité, par-dessus deux tunnels quipermettent libre passage aux trains, aux camions etaux voitures, puis atteignant la petite ville de PortColborne pour enfin franchir la huitième écluse ducanal et se retrouver dans le lac Érié. Il est alorsprès de 16heures. Le capitaine Draenger réintègresa cabine, située immédiatement sous la passerelle,pour y prendre un repos bien mérité. Le premierlieutenant le relève, et le navire poursuit sonvoyage en direction ouest.

§ L’Algomarine a maintenant terminé son passage àtravers le cœur du réseau Grands Lacs-Voiemaritime du Saint-Laurent—le système de canaux,de chenaux et d’écluses qui a achevé sacinquantième année d’activité en 2008. La Voiemaritime rend possible la navigation commercialedepuis les eaux de marée du golfe du Saint-Laurentjusqu’à Thunder Bay, en Ontario, et Duluth, auMinnesota, à l’extrémité ouest du lac Supérieur.Cette splendide voie navigable s’étend à l’intérieurdes terres sur 3700 kilomètres, pour ainsi atteindrele cœur du continent. Huit États américains et deux

18 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Le canal Welland court du nord au sud et traverse la péninsule

du Niagara. Le canal fait 43,4 kilomètres de long et ses huit

écluses élèvent ou abaissent les navires de 326 pieds et demi.

corporation de gestion de la voie maritime du saint-laurent

Page 13: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

provinces canadiennes bordent la Voie maritime, etun tiers de la population de l’Amérique du Nord vitdans ces ressorts territoriaux.

La Voie maritime est, à n’en pas douter, l’une desplus importantes autoroutes maritimes intérieuresau monde. Elle est en outre une merveilled’ingénierie. Le canal Welland actuel est en fait laquatrième voie navigable construite depuis le débutdu dix-neuvième siècle pour relier les lacs Ontario etÉrié. Il a été construit sur une période de près devingt ans et a été ouvert à la navigation en 1932. Lasection Montréal-lac Ontario, construite entre 1954et 1959, compte parmi les plus remarquables exploitsd’ingénierie et de construction de l’histoire duCanada. En 2000, l’American Public WorksAssociation classait la Voie maritime parmi les dixprojets les plus importants financés par les pouvoirspublics au cours du vingtième siècle, au même titreque le pont Golden Gate, le barrage Hoover et lecanal de Panama.

La Voie maritime représente également uneforce économique considérable. Elle soutient,directement et indirectement, 75000 emplois auCanada et 150000 aux États-Unis. Le commerce,à l’intérieur du réseau, produit annuellement plusde 4,3 milliards de dollars de revenu personnel,3,4 milliards de revenus commerciaux liés au

transport et 1,3 milliard en revenus fiscaux pourles provinces, les États ou les gouvernementsmunicipaux. Outre les bénéfices d’ordrecommercial qu’il représente, le transport maritimea devant lui un avenir prometteur parce qu’il estplus sécuritaire et plus respectueux del’environnement que les autres modes detransport avec lesquels il est en concurrence. Oncompte un accident maritime pour 13,7 accidentsferroviaires et 74,7 accidents impliquant descamions. Et pour chaque déversement accidentelqui se produit sur l’eau, on en compte 10 dans lesecteur ferroviaire et 37,5 dans celui ducamionnage. Les navires n’émettent que ledixième des gaz à effet de serre qu’émettent lescamions, et que la moitié de ceux qu’émettent lestrains. Le transport maritime produit égalementmoins de bruit et de déchets. De plus, le fait detransborder sur des navires une partie du traficmarchandises acheminé par camion ou par trainpourrait réduire la congestion qu’engendre àl’heure actuelle ce genre de trafic.

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 19

Les écluses et les principaux ports du réseau Grands Lacs/Voie

maritime du Saint-Laurent. La Voie maritime rend la navigation

possible depuis le golfe du Saint-Laurent jusqu’à l’extrémité ouest

du lac Supérieur. cgvmsl

portsécluses canadiennesécluses américaines

écluses1. Saint-Lambert2. Côte-Sainte-Catherine3. Beauharnois (inférieure)4. Beauharnois (supérieure)5. Snell6. Eisenhower7. Iroquois8. Canal Welland (8 écluses)9. Écluses de Sault Ste. Marie

supérieur

érié

f.sa

int-

laur

ent

mic

higan

huron

ontario

golfe dusaint-

laurent

Page 14: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Chaque jour, pendant une saison de navigationqui commence fin mars et se poursuit jusque tarden décembre, une moyenne de douze à treizenavires transitent par le réseau Grands Lacs-Voiemaritime du Saint-Laurent. Au cours d’une saisontypique de près de 285 jours, quelque 3600navires voyagent sur ses eaux. Durant les cinquanteannées écoulées depuis l’ouverture de la Voiemaritime au printemps de 1959, plus de 260000navires ont emprunté cette voie navigable. Ils ontdéplacé 2,3 milliards de tonnes de fret, d’unevaleur de 350 milliards de dollars, à destination deports du Canada, des États-Unis et de plus decinquante autres pays.

Au cours des années récentes, la Voie maritimea manutentionné annuellement quelque 40 millionsde tonnes de marchandises, principalement en vrac.Les céréales et le minerai de fer ont toujours été lesproduits principaux transportés par l’industriemaritime dans le bassin des Grands Lacs, etreprésentent maintenant de 50 à 60 pour cent dutrafic annuel. Les céréales en provenance desprovinces canadiennes des Prairies transitent parThunder Bay, celles du Midwest des États-Unis pardes ports américains situés sur les lacs supérieurs.Elles sont ensuite expédiées vers le Bas-Saint-Laurent pour transbordement sur des navireshauturiers, ou encore chargés directement sur desocéaniques en partance pour des ports situés enEurope, sur la Méditerranée, en Afrique du Nord ouailleurs. Le minerai de fer—extrait de vastesgisements situés dans l’ouest du Labrador et dansl’est du Québec—est chargé à Sept-Îles, Port-Cartieret Pointe-Noire et acheminé en direction ouest, enamont du réseau, à Hamilton, Nanticoke, Ashtabula,Toledo et autres centres où existent des aciéries.

Les sociétés de transport maritime du Canadaet des États-Unis acheminent d’autresmarchandises—du charbon, du sel de voirie, dusucre, du granulat, du clinker à ciment et desproduits pétroliers, pour ne citer que quelquesexemples, mais toutes ces marchandises ne

suffisent pas à assurer la pleine capacité defonctionnement de la Voie maritime. À son pointculminant, dans les années 1960 et 1970, le réseaumanutentionnait couramment entre 50 et 60millions de tonnes de fret annuellement. Dans lesmeilleures années, le volume atteignait les 70millions de tonnes. Mais, durant la décenniemenant à son cinquantième anniversaire, la Voie

20 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Une carte postale produite par la Saint Lawrence Seaway

Development Corporation, l’organisme américain responsable de

la Voie maritime, explique le fonctionnement d’une écluse. cgvmsl

Page 15: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

maritime ne fonctionnait plus qu’à quelque 60 pourcent de son potentiel.

Pendant près de quarante ans, une sociétéd’État, connue sous le nom d’Administration de lavoie maritime du Saint-Laurent ou, plussimplement, de «Voie maritime», assurait la gestiondu réseau. Mais un changement devait survenirvers la fin des années 1990. Aux prises avec desproblèmes d’ordre budgétaire liés au déficit desfinances de l’État, le gouvernement fédéral décidade privatiser ou de commercialiser la plus grandepart possible de l’infrastructure de transport aupays. Dans le cadre de ce processus, Ottawaconserva la propriété de l’actif de la Voie maritime,mais transféra la gestion des affaires courantes etl’exploitation du réseau à un groupe d’usagers quimirent sur pied la Corporation de Gestion de laVoie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL). Cetorganisme s’est employé à réduire les coûts et àaméliorer la capacité de rendement du réseau. Il afait de ce dernier l’objet d’un marketingdynamique, le désignant sous le nom d’«AutorouteH2O»—l’autoroute «verte» et viable de l’avenir.

«Nous tentons de maximiser l’utilisation duréseau, affirme Richard Corfe, président et chef dela direction de la CGVMSL. Nous prévoyons queles céréales, le minerai de fer et le charbondemeureront des produits de base stables. En cequi concerne l’avenir, nous estimons pouvoir tirerparti de nouveaux débouchés grâce à unediversification des marchandises. Nous aspirons àdevenir un intervenant d’importance dans letransport de conteneurs.

«Au fur et à mesure que la Chine, l’Inde etd’autres pays en développement deviennent desproducteurs pour l’ensemble de la planète, nousnous attendons à ce qu’une part beaucoup plusimportante de ces produits débarque sur la côteEst de l’Amérique du Nord, parce qu’un grandnombre de ports de la côte Ouest fonctionnentdéjà à pleine capacité ou presque. De plus en plusde marchandises conteneurisées seront

acheminées dans de gros navires vers des portstels Halifax. Nous entrevoyons une activitécroissante de transbordement vers des navires pluspetits, aux dimensions adaptées à la Voie maritime,qui fileront ensuite en direction de tous les ports lelong de l’Autoroute H2O—Montréal, Toronto,Hamilton, Cleveland, Detroit, Chicago, et autres—parce que les routes et les chemins de fer sontcongestionnés et que la situation ne peut que sedégrader. C’est le but que nous visons. Nouspourrions passer d’un rendement de 60 pour centà un rendement plein, uniquement avec desconteneurs.»

La première campagne en faveur de l’AutorouteH2O a été lancée au printemps de 2003. LaCGVMSL a d’abord eu recours à des panneauxpublicitaires érigés le long des autoroutesontariennes de série 400. Ces panneauxsignalaient aux automobilistes qu’un navire de laVoie maritime peut transporter à lui seul autant de

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 21

Les deux corporations de la Voie maritime et leurs partenaires

font la promotion de la voie navigable sous le nom d’Autoroute

H2O—la solution de rechange écologique au chemin de fer et

aux réseaux routiers. cgvmsl

«En ce qui concerne l’avenir, nous estimons pouvoirtirer parti de nouveaux débouchés grâce à unediversification des marchandises.»Richard Corfe · président de la CGVMSL

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fret que 870 camions, et que le transport maritimeest apte à réduire la congestion sur les routes.

Par la suite, la CGVMSL invita son pendantaméricain, la Saint Lawrence Seaway DevelopmentCorporation, à se joindre à cette initiative. Lesdeux organismes s’adressèrent aux autorités desports du Saint-Laurent et des Grands Lacs, lesinvitant à participer à une campagne élargie, dansle but d’intéresser à la voie navigable des usagerspotentiels. En six mois, on avait recueilli l’accordde dix-huit ports sur quelque quarante-cinq, ycompris les plus importants. Depuis, vingt-cinqautres participants se sont ajoutés, soit la plupartdes compagnies de navigation les plus importantesdes deux côtés de la frontière, de même quequelques-unes des municipalités que longe leréseau.

L’Autoroute H2O est devenue la marque de laVoie maritime et la pierre angulaire de toute unegamme d’efforts de marketing et de promotion,dont la participation à des salons professionnels etla conduite de missions commerciales annuelles àl’étranger. Au cours des dernières années, les deuxorganismes responsables de l’administration de laVoie maritime ont conduit des missions en Chine,en Europe et au Brésil. Ils ont aussi retenu lesservices de représentants en Europe et en Chine,dont le rôle consiste à rencontrer les expéditeurset les sociétés de transport maritime pour lespersuader d’utiliser la Voie maritime.

«Nous croyons que, plus que jamais auparavant,la réputation de notre réseau est désormaissolidement établie, affirme Richard Corfe. Quandnous parlons aux décideurs, à Ottawa ou àWashington, l’Autoroute H2O est une marque quileur est familière.»

§ Les premières années, la Voie maritime ouvraithabituellement entre le début et le milieu du moisd’avril. Les deux sections étaient normalementfermées pour l’hiver au plus tard à la mi-décembre,ce qui donnait aux sociétés de navigation et à leurs

clients une saison de huit à huit mois et demi, ou de235 à 255 jours. Mais des températures plusdouces, attribuables peut-être à l’effet duréchauffement climatique, et le recours à destechnologies destinées à réduire l’accumulation deglace tant à l’intérieur qu’aux abords des éclusesont permis d’allonger la période de navigationcommerciale de deux semaines ou plus en début eten fin de saison.

Le réseau est maintenant ouvert de neuf à neufmois et demi par année, ou 285 jours, et a connuson ouverture la plus hâtive en 2007, la sectionMontréal-lac Ontario étant mise en service le 21mars, tandis que le canal Welland l’avait été vingt-quatre heures auparavant, le matin du 20 mars. Cejour-là, le ciel au-dessus de la péninsule du Niagaraétait clair, et la température marquait quelquesdegrés au-dessus du point de congélation. Mais unvent vif en provenance du nord-ouest charriait unfroid glacial au moment où quelque 200 personnesse rassemblaient, à proximité de l’écluse 3, à 10heures du matin, pour la cérémonie dite du haut-de-forme, qui marque annuellement le passage dupremier navire par la Voie maritime.

Cette distinction appartenait, en 2007, au CSLTadoussac, un navire long de 740 pieds, en routepour Picton, en Ontario, afin d’y embarquer unchargement de clinker à ciment. À l’écluse 3, lecapitaine Dan McCormack descendit de son navireen compagnie du chef mécanicien Ron Sequeirapour participer à la cérémonie, qui se tenait sousune large tente démontable, érigée sur uneplateforme cimentée sise entre le canal et le muséede St. Catharines. Le St. Catharines Collegiate JazzCombo, une formation de six membres, assurait leprogramme musical, tandis que plusieurs journauxet stations de télévision couvraient l’événement.Des dirigeants politiques et des cadres supérieursreprésentant l’industrie du transport prirent alorsla parole pour souligner l’importance de la Voiemaritime et le rôle vital du transport maritime dansl’économie du bassin des Grands Lacs.

22 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

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«L’ouverture la plus hâtive de l’histoire de laVoie maritime témoigne de l’importance de lademande pour des services de navigation sur lesGrands Lacs, a déclaré Peter Partington, présidentdu Conseil régional du Niagara. Cette industrie ajoué un rôle majeur dans notre histoire et jouera unrôle majeur dans notre avenir. Elle est partieintégrante du tissu social et économique de cetterégion.»

Donna Cansfield, qui était alors ministre desTransports de l’Ontario, assura l’auditoire du pleinsoutien de son gouvernement tant pour l’industriedu transport maritime que pour la voie navigable.«Le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent est une richesse sous-utilisée, a déclaréMme Cansfield. Le transport maritime s’impose ànous pour réduire la congestion, pour protégernotre environnement et pour accroître la sécuritéroutière. Nous considérons cette industrie commeune partie intégrante du réseau de transport denotre province. Elle joue de nouveau un rôle depremier plan. Nous prêtons l’oreille, et nouscomptons bien innover en ce domaine.»

Tom Brodeur, vice-président, Marketing etservice à la clientèle de la Société maritime CSL,dont le siège social est situé à Montréal, a loué les

avantages d’une saison maritime plus longue, etévoqué la confiance de sa société en l’avenir duréseau. «La Voie maritime est notre raison de vivre,a-t-il déclaré. Nous avons été la société la plusproactive sur les lacs en matière de mise à niveaude notre flotte.»

CSL a dépensé 225 millions de dollars entre 1999et 2007 pour remettre en état six de ses navires, aexpliqué M. Brodeur. Le travail a été réalisé en deuxprogrammes. Le premier concernait quatre naviresconstruits dans les années 1970: les CSL Assiniboine,CSL Niagara, CSL Rt. Honorable Paul J. Martin etCSL Laurentian. Dans chaque cas, la salle desmachines et les locaux de l’équipage dans la poupeétaient en bon état et furent conservés. Le reste dela coque fut scié et remplacé par une avant-coquequi ajouta dix pieds à la longueur de chaque navireet trois pieds de largeur, ce qui eut pour effetd’accroître de quelque 3000 tonnes la capacité dechaque bâtiment. Dans le cadre du secondprogramme, la société conserva la poupe et la proue

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 23

L’Assiniboine a été l’un des quatre navires de la société CSL à être

dotés d’une nouvelle avant-coque au cours de la dernière décennie.

Chacun de ces bâtiments est maintenant un navire «seaway-max»,

faisant 740 pieds de long et 78 pieds de large. www.boatnerd.com

Page 18: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

de deux autres navires, le CSL Tadoussac etl’Atlantic Huron, mais en remplaça la partie médiane.

«Nous croyons en cette industrie, a déclaré M.Brodeur. Si nous n’y croyions pas, nous neconstruirions pas ces navires.»

En terminant, le cadre supérieur de CSL a faitremarquer que la prolongation de la saisonreprésentait un bénéfice majeur pour les sociétésde navigation. Dans le cas de CSL, dont quinzenavires sont en service sur la Voie maritime, lesvingt jours additionnels représentent unsupplément de quelque 300 jours de navigationpour l’ensemble de la flotte. «C’est commeposséder un navire additionnel qui ne vous coûterien», a-t-il déclaré.

À 11 heures, les allocutions étaient terminées. Lecapitaine McCormack, un homme trapu, degrandeur moyenne et portant un collier de barbepoivre et sel, s’est avancé pour recevoir le haut-de-forme aux bords un peu élimés que l’on sortd’entreposage chaque année spécialement pourcette cérémonie. Un ecclésiastique a récité unecourte prière pour la sécurité de tous les capitaines,les mécaniciens, les équipages qui œuvrent sur les

navires, puis a cédé le micro à Richard Corfe: «Aunom de la ministre Cansfield, des dignitairesassemblés et des partenaires de l’Autoroute H2O, alancé ce dernier, je déclare ouverte la saison 2007.»

§ Deux types différents de navires—des vraquiers etdes auto-déchargeurs—dominent le trafic intérieursur les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent. Ces navires sont utilisés pour transporterdes marchandises en vrac, et plusieurs font tout prèsde 740 pieds de longueur et 78 pieds de largeur,dimensions maximales autorisées par les règlementsde la Voie maritime. La principale différence entreces deux types de navires est que les vraquiers nepossèdent pas leur propre dispositif dedéchargement. Ils doivent compter sur des gruesfixées au quai et munies de bennes preneuses poursaisir la matière qu’ils ont transportée et la déversersur une jetée ou dans des wagons-trémies.

Les navires auto-déchargeurs ont été mis aupoint sur les Grands Lacs et existent sous une formeou une autre depuis près de trois quarts de siècle.Mais les systèmes dits de «boucle en C» en usageaujourd’hui ont été conçus et perfectionnés dans lesannées 1970. Les marchandises sont arrimées descales, dont le nombre peut atteindre six, chacunemunie, dans le bas, de portes coulissantes. Aumoment du déchargement, ces portes sont ouvertes,

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L’Algomarine décharge des granulats sur un quai dans le port de

Montréal. Les auto-déchargeurs peuvent aussi déposer du fret

dans des trémies ou dans la cale d’autres navires. patrick jenish

Page 19: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

une cale à la fois, en fonction d’un plan élaboré parle premier lieutenant. Les marchandises basculentsur un transporteur à courroie, large de six piedsenviron, qui s’étend de quelque 600 pieds de longsur le plancher du navire.

Ce transporteur entraîne les marchandises endirection de la poupe, vers une paire de courroies,connue sous le nom de «boucle en C», ainsiappelée parce que les courroies forment un trèsgrand C. Ce dispositif presse fermement lesmarchandises, un peu comme la viande dans unsandwich, et les hisse de quelque vingt à soixante-dix ou quatre-vingts pieds jusqu’au niveau du pont.Le troisième élément de ce système est la flèche.Sur la plupart des navires, elle fait environ 250pieds de longueur. Elle peut être redressée de 45degrés et amenée à pivoter de près de 180 degrés.Elle est équipée d’un transporteur à courroie, quise déplace de la base à la pointe et décharge lacargaison.

Les auto-déchargeurs présentent deux avantagesimportants: vitesse et souplesse. Ils peuventdécharger des marchandises au rythme d’environ

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 25

Le diagramme schématique ci-dessus a paru dans une brochure

promotionnelle produite par Canada Steamship Lines, de

Montréal. Il démontre en cinq étapes comment le système

d’auto-déchargement dit de «boucle en C» fonctionne.

1 · Entraîné par la gravité, le fret est acheminé à travers une série

de portes coulissantes, et déposé sur des tapis roulants qui

courent de la proue à la poupe sous les cales.

2 · Le fret est alors transféré par un autre jeu de courroies sur

celles du dispositif dit de «boucle en C».

3 · La boucle en C soulève la cargaison et la dépose sur une

courroie de la flèche de déchargement.

4 · La flèche de déchargement transporte la cargaison depuis le

navire jusqu’à l’installation destinée à la recevoir.

5 · La vitesse à laquelle le fret est déchargé peur être ajustée

selon qu’il est déposé dans une trémie, un terminal ou un

autre navire. canada steamship lines

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6000 tonnes à l’heure et ne requièrent l’aided’aucun matériel fixé au quai. Ils sont en mesure dedécharger des marchandises sur un quai, dans unetrémie, ou directement à bord d’un océanique.

Les vraquiers nécessitent des équipages de dix-neuf ou vingt personnes, tandis que les auto-déchargeurs en requièrent jusqu’à vingt-huit pourassurer l’entretien et le fonctionnement du matérielde déchargement et de la machinerie qui y estassociée. On compte à l’heure actuelle environ5000 hommes et femmes directement employésdans l’industrie du transport maritime sur lesGrands Lacs canadiens. Ce personnel est répartien plusieurs catégories et niveaux de compétence.Les capitaines sont les officiers supérieurs à bordd’un navire, mais ils comptent fortement sur leconcours de leurs premier, deuxième et troisièmelieutenants, qui prêtent assistance à la navigation etassument diverses responsabilités sur le pont. Lechef mécanicien est responsable de l’engin quipropulse le navire ainsi que de la centraleélectrique qui produit chaleur et électricité.Second officier à bord, il est secondé par uneéquipe formée des deuxième, troisième etquatrième mécaniciens.

Le reste de l’équipage est formé d’aides-mécaniciens, ou graisseurs; d’électriciens; decuisiniers; de matelots de pont; de réparateurs depoulies; et de manœuvres de tunnel qui œuvrentloin dans le ventre des auto-déchargeurs. Cesmanœuvres passent leur quart dans un étroitcorridor aux apparences de tunnel, à la base desvastes cales de chargement, et maintiennent enbon état de fonctionnement les quelque 2000pieds de courroies des tapis transporteurs de laboucle en C, de même que les rouleauxmétalliques sur lesquels elles tournent.

Des Terre-Neuviens comptent pour au moins untiers de cette main-d’œuvre, la plupart d’entre euxnés «avec la mer dans les veines», comme ilsaiment à dire, et attirés vers l’intérieur du payspour y gagner leur vie après que les perspectives

d’emploi dans l’industrie morutière de l’Atlantiqueeurent commencé à décliner. Le reste de l’effectifprovient d’ailleurs dans le Canada atlantique, duQuébec, de l’Ontario, ou encore d’autres pays, etbon nombre d’entre eux sont aussi attachés à la viede gens de mer que le sont les Terre-Neuviens.

Cindy Simpson, deuxième cuisinière, a suivi lestraces de son père dans cette industrie. Celui-ciavait quitté une situation de choix dans une usinede la General Motors, à St. Catharines, pourprendre la mer, comme elle le dit, et elle-même n’ajamais pensé à faire autre chose. «Une fois que celavous est entré dans les veines, explique-t-elle, vousne pouvez plus vous habituer à un emploi qui vousretient sur la rive.»

Seth Gordon, le chef mécanicien, a grandi dansun village au bord de la mer, au Ghana, sur la côteouest de l’Afrique. «Je voyais les navires filer àl’horizon et j’étais fasciné», se rappelle-t-il. Gordonavait déjà navigué à bord d’océaniques avantd’arriver au Canada à l’âge de vingt-neuf ans, et iltravaille sur le réseau Grands Lacs-Voie maritime duSaint-Laurent depuis trente ans.

«La première fois que j’ai navigué sur les lacs, jen’en revenais pas de la beauté du réseau de la Voiemaritime, dit-il. Quand on traverse les canaux, onaperçoit des gens qui travaillent dans leurs jardinsou qui sont allongés auprès de leur piscine. J’avaisattrapé le virus, et j’ai décidé de rester.»

Le capitaine Werner Draenger a grandi enAllemagne de l’Ouest et a pris la mer en 1959, àl’âge de dix-huit ans. Son premier navire était untramp, un navire à vapeur qui naviguait de port enport à la recherche de fret. Après avoir passé un anet demi en mer, il avait trouvé sa vocation. Ilnavigue depuis ce temps. Venu au Canada en 1965,il obtenait en 1982 son brevet de capitaine. Il auraitpu faire valoir ses droits à la retraite au cours de lasaison de 2007, mais se dit qu’il pourrait continuerencore un an, peut-être deux. «Pourquoiabandonnerais-je? demande-t-il pour la forme.J’aime mon travail.»

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«La première fois que j’ai navigué sur les lacs, je n’enrevenais pas de la beauté du réseau de la Voiemaritime.» Seth Gordon · mécanicien en chef

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En dépit des satisfactions que peut procurer cegenre de travail, les entreprises canadiennes detransport maritime intérieur éprouvent du mal àrecruter des jeunes pour remplacer ceux quiprennent leur retraite. Leur main-d’œuvre prendégalement de l’âge en raison d’une transitionmajeure qui a touché l’industrie dans les années1980 et 1990. Les cargaisons de céréales et deminerai de fer ont alors diminué de façon trèsmarquée, comme il en a été des sociétés detransport maritime. En 1980, on comptait sur lesGrands Lacs environ quinze sociétés importantesdont le siège social se trouvait au Canada. À la findu siècle, il n’en restait plus que cinq environ. Dessociétés établies depuis longtemps avaient faitfaillite. D’autres avaient été absorbées par desconcurrents plus importants et en meilleure santéfinancière.

Tout le monde congédiait. Pendant près d’unedécennie (de 1985 à 1995), personne n’embauchait,et l’âge moyen de l’effectif œuvrant sur les naviresdes Grands Lacs montait en flèche. Plusieurs destravailleurs approchent maintenant de l’âge de laretraite, et les entreprises ont recommencé àrecruter du personnel. Des postes sont disponiblesà tous les niveaux, et les compagnies embauchentrapidement, particulièrement quand un jeunecandidat détient un grade universitaire ou undiplôme collégial en provenance d’unétablissement qui offre un programme entechniques de la mer ou en sciences nautiques.

Aaron Coffin, un Terre-Neuvien dans la jeunevingtaine, a obtenu son diplôme en sciencesnautiques de l’Université Memorial de Terre-Neuve àl’été de 2007 et a immédiatement adressé parcourriel à plusieurs sociétés une lettre accompagnéede son curriculum vitæ. L’une d’entre elles, AlgomaCentral, lui a répondu immédiatement. «Je leur ai ditque j’avais mon brevet de troisième lieutenant, et ilsm’ont répondu: “On vous veut sur un navire”, serappelle Coffin. Je n’ai même pas eu le temps d’allerrendre visite à mes parents.»

§ Chaque année, entre Noël et le jour de l’An, unmoment que la plupart des Canadiens réserventaux plaisirs du foyer et de la famille, les derniersnavires cheminent à travers le canal Welland ouredescendent le Saint-Laurent en direction del’océan. Une dernière saison de navigation touche àson terme. Dans les premiers jours de janvier,parfois dans un froid de loup cinglant, de petiteséquipes d’employés de la Voie maritime

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 27

L’entretien hivernal le long des quinze écluses de la Voie

maritime débute en janvier et se poursuit jusqu’à la mi-mars. Ce

travail e◊ectué pendant la saison morte est partie intégrante

d’un système rigoureux de gestion des infrastructures qui a fait

de la Voie maritime l’une des voies navigables les plus sûres et

les plus fiables au monde. air photo max

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entreprennent, dans chacune des deux sections, latâche ardue de vider les écluses et de les prépareren vue de l’entretien hivernal.

La tâche est très différente dans chacune desdeux sections. À St. Catharines, le coordonnateurtechnique Lou Spagnol et son équipe doivent viderune partie de la voie qui fait près de quatorzekilomètres de long, depuis l’écluse 1 à Port Weller,jusqu’à l’écluse 7 au sommet de l’escarpement duNiagara. Ils commencent par ouvrir partiellementles vannes d’entrée et de sortie de l’écluse 1 afin decréer un écoulement lent et continu de l’eau. Ilsouvrent ensuite les vannes de l’écluse 2, puispoursuivent en amont le long du canal jusqu’aumoment où l’eau coule librement de haut en bas àtravers les écluses et les passages qui les séparent.L’eau baisse à un rythme de trois pouces à l’heure,ou huit centimètres, et la manœuvre prend en toutde soixante-douze à quatre-vingts heures.L’entretien hivernal commence au moment où leschambres et les passages qui les séparent sontvides.

Les écluses de la section Montréal-lac Ontariosont toutes situées à même le fleuve, de sorte quela tâche à accomplir se présente très différemment.Des murs temporaires doivent être érigés àl’extérieur des portes supérieures et inférieuresafin d’isoler l’écluse. On se sert à cette fin depoutrelles d’acier, qui font de quatre à six pieds dehauteur, environ quatre pieds de largeur et quelquequatre-vingt-quatre pieds de longueur, et peuventpeser jusqu’à 63000 lb. Des grues sont utiliséespour lever ces poutrelles, puis pour les abaisserdans des crans pratiqués dans les murs de guidage,l’une après l’autre, jusqu’à ce qu’une barrière ait étéérigée. Chaque mur nécessite de dix à quinzepoutrelles et peut faire de quarante à quatre-vingtspieds de hauteur.

Une fois ces barrières érigées en amont et enaval des écluses, la vidange de l’eau peutcommencer. Poussée par gravité, l’eau s’écoulejusqu’à ce qu’elle atteigne le niveau de l’eau du côté

de l’aval. Le reste doit être évacué par pompage,une manœuvre qui peut nécessiter entre quarante-huit et soixante-douze heures.

L’évacuation de l’eau de certaines parties desdeux sections a été pratiquée annuellement depuisl’ouverture de la voie navigable en 1959. Mais, en1996, la Voie maritime a adopté un nouveausystème de gestion des infrastructures dans le butd’améliorer la fiabilité tant du canal Welland que dela section Montréal-lac Ontario. Cette approcheest fondée sur un index des biens de la Voiemaritime, quelque 1100 au total, ce qui comprendl’infrastructure, le matériel et les immeubles.

Le personnel de l’ingénierie procèderégulièrement à l’inspection de ces biens, y comprisles écluses, les murs, les portes, les vannes d’entréeet de sortie, et effectue une fois l’an une évaluationde l’état de chaque pièce. Chacune est classée, surune échelle de un à six. Un indique que la pièce enquestion ne remplit plus pleinement sa fonction, sixqu’elle est «comme neuve». Certaines de cesinspections sont visuelles, alors que d’autresnécessitent la prise de mesures, ou une mise àl’épreuve, d’autres encore une inspection menéepar des scaphandriers. Les évaluations sontfondées sur les résultats de l’inspection,l’expérience d’exploitation ou d’utilisation, etpeuvent parfois nécessiter des études techniques.

Cette approche permet à la Voie maritime desuivre au fil du temps l’évolution de l’état de sesbiens. Les ingénieurs décident du moment où desréparations s’imposent ou une pièce de matérieldoit être remplacée, et le travail est prévu dans lecadre du programme d’entretien hivernal. «Notresystème de gestion des infrastructures a produitdes résultats tangibles, explique Richard Corfe. LaVoie maritime du Saint-Laurent est l’une des voiesd’eau les plus sécuritaires et les plus fiables aumonde, sans longues périodes d’interruption deservice, et une disponibilité de 99,75 pour cent aucours des dernières années.»

28 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

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Peu après 11 heures du matin, le 26 juin 1959, unavion du gouvernement américain se posait sur lapiste d’un aéroport militaire, à Saint-Hubert, enbanlieue de Montréal, roulait lentement endirection d’un tapis rouge disposé sur l’aire destationnement, et s’arrêtait aussi délicatementqu’un taxi au bord d’un trottoir. Quelques minutesplus tard, le président des États-Unis d’Amérique,Dwight D. Eisenhower, en descendait,accompagné de son épouse Mamie. Le présidentet la première dame sourirent, saluèrent de lamain, puis s’avancèrent pour être accueillis par SaMajesté la reine Elizabeth II, son mari le princePhilip, le premier ministre du Canada, JohnDiefenbaker, et son épouse Olive, et d’autresdignitaires rassemblés pour l’occasion. Après avoirpassé en revue une garde militaire d’honneur, laReine, le président et le reste des dignitairesmontèrent à bord de Cadillac noires rutilantespour se rendre quelques kilomètres à l’ouest, àSaint-Lambert, sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, en face de Montréal, pour l’ouverture

officielle de la Voie maritime des Grands Lacs etdu Saint-Laurent.

Une foule évaluée à 20000 personnes était surplace, en compagnie de 5000 invités spéciaux: leconseil fédéral des ministres en son entier; desmembres de la Chambre des communes et duSénat; des sénateurs et des membres du Congrèsaméricain; des maires de cités et de villes sises lelong de la Voie maritime, aussi loin que Chicago etMilwaukee; des dirigeants de sociétés maritimesvenus d’Angleterre, des Pays-Bas, d’Allemagne, deGrèce et de plusieurs autres pays. Le thermomètremarquait 80°F et l’air était lourd d’humidité, mais lacérémonie fut brève et, selon le Globe and Mail,«austère en sa simplicité».

La fanfare d’un régiment royal de fusiliersmarins interpréta le Star Spangled Banner. Une

2 · Promesse tenue | 29

2 | Promesse tenue, 1959–1969

La Reine et le président des États-Unis, Dwight Eisenhower,

quittent le yacht royal Britannia au cours de l’ouverture

o∫cielle de la Voie maritime du Saint-Laurent le 26 juin 1959.

bibliothèque et archives canada e0084-33

Page 24: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

fanfare de la Marine américaine joua le God Savethe Queen. Puis Sa Majesté prit la parole. «Cettecompagnie distinguée est réunie, déclara la Reine,en provenance des deux grands pays qui bordentcette voie navigable, pour marquer l’achèvementd’une entreprise conjointe qui se classe parmi lesréalisations d’ingénierie les plus remarquables destemps modernes. L’on peut vraiment dire que cetteoccasion mérite de prendre place dans les annalesde l’histoire.»

Le président parla lui aussi de la Voie maritimeen termes très élogieux. «Son achèvement, déclaraEisenhower, constitue un hommage à tous lesesprits clairvoyants et persévérants qui, au coursdes années, ont foncé de l’avant, en dépit dedécennies de déceptions et de revers. Par-dessustout, cette entreprise est, à la face du mondeentier, un symbole splendide des réussitespossibles pour les nations démocratiques quiœuvrent de concert, dans la paix, au biencommun.»

Un groupe d’écolières interpréta l’Ô Canada,après quoi les hauts dignitaires montèrent à borddu yacht royal Britannia, ancré tout près, dans le

chenal conduisant à l’écluse de Saint-Lambert, lapremière des sept écluses nouvellementconstruites le long de la section du Saint-Laurentde la Voie maritime. À midi trois minutes, le navirepénétra dans l’écluse et, sur ce, la Voie maritime futdéclarée ouverte. Les cloches des églisessonnèrent à travers tout Montréal. À proximité, lesnavires et les embarcations de plaisance firententendre leurs sirènes et leurs klaxons. Un feud’artifice éclata au firmament. Une foulenombreuse laissa fuser sa joie, et la Reine, leprésident, le premier ministre et leurs conjointsrespectifs agitèrent la main en réponse, depuis lepont du Britannia.

Cette inauguration présentait une occasionappropriée de réjouissance pour marquerl’achèvement d’un énorme projet d’ingénierie et deconstruction qui avait coûté 475 millions de dollars,avait été réalisé en moins de cinq ans et s’apprêtaità mettre au service de deux pays, de douzaines decommunautés et d’une part importante del’industrie du transport maritime dans le mondeune artère commerciale indispensable. C’était, audire de Lionel Chevrier, le premier président del’Administration de la voie maritime, «l’une destransformations les plus ambitieuses et les plusefficaces jamais pratiquées de main d’homme àêtre achevées sur la surface du globe».

Des chenaux avaient été creusés en pleine terre,ou par dragage à même des fonds de rivières. Desécluses avaient été érigées. Des barrages et descentrales hydroélectriques avaient été construits.Des milliards de tonnes de terre avaient étéextraites. Des fermes, des villages, des cimetières,des routes et des lignes de chemin de fer avaient étédéplacés. L’opération avait mobilisé une arméed’hommes et de femmes—quelque 21000travailleurs au total. Le premier contrat relatif à cettecolossale entreprise avait été accordé en octobre1954; les travaux étaient achevés au cours de l’hiverde 1958–1959, et la section du Saint-Laurent étaitouverte à la navigation le 25 avril 1959, un samedi.

30 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

La construction de la Voie maritime fut, au dire de Lionel

Chevrier, «l’une des transformations les plus ambitieuses et les

plus e∫caces jamais pratiquées de main d’homme à être

achevées sur la surface du globe». cgvmsl

Page 25: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Le premier navire à se déplacer en directionouest était le Simcoe, un petit navire de canalcanadien (canaller en anglais), alimenté au charbonet vieux de trente-six ans. Il avait quitté Montréal àvide et, trente heures plus tard, atteignait Kingston,pour y prendre une cargaison de céréales. Un autrenavire canadien du même type, le Humberdoc, quise dirigeait vers Montréal avec une cargaison decéréales, compléta le transit inaugural en directionest. Il avait franchi les sept écluses sises entreIroquois, en Ontario, et Saint-Lambert, unedistance de 175 kilomètres, en seize heures.

Le Britannia était le mille huit cent soixante-quinzième navire à pénétrer dans le réseaud’écluses, de chenaux et de canaux qui forment lasection du Saint-Laurent de la Voie maritime. À lafin de la saison, le 3 décembre 1959, près de 8150navires s’étaient déplacés en direction ouest ou endirection est de cette section de la voie navigable,quelque 3000 de moins que le nombre de ceux quiavaient franchi, l’année précédente, l’ancien réseau

d’écluses et de canaux. Mais le tonnage transportéavait plus que doublé. Il avait atteint 18,68 millionsde tonnes, parce que les chenaux de navigationdans le Saint-Laurent atteignaient maintenant 27pieds de profondeur, plutôt que 14 auparavant. Lesnavires faisant 730 pieds de long, et présentant untirant d’eau de 25 pieds, pouvaient désormais sedéplacer tant vers le haut que vers le bas du fleuve,alors que l’ancien réseau ne pouvait gérer lepassage que de navires longs de 250 pieds—lesnavires de canal—présentant un tirant d’eau demoins de 14 pieds.

Sur le canal Welland—la section ouest de la Voiemaritime—, la situation était la même: moins denavires, mais, combinés, le fret en vrac et les

2 · Promesse tenue | 31

Le premier navire à se déplacer en direction ouestétait le Simcoe, un petit navire de canal canadien,alimenté au charbon et vieux de trente-six ans.

Lionel Chevrier, en pardessus foncé, à gauche, examine l’un des

nouveaux canaux en compagnie de Vincent Massey, alors

gouverneur général. Longtemps député de Cornwall, Lionel

Chevrier fut l’un des plus fervents partisans de la Voie maritime.

gracieuseté de bernard chevrier

Page 26: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

marchandises diverses avaient connu une croissancede 30 pour cent, pour atteindre 24,98 millions detonnes. Ce n’était là qu’un début. Au cours des deuxdécennies suivantes, les résultats enregistrés en 1959en viendraient à apparaître minimes. Le trafic annuelsur la Voie maritime et les volumes de fretmanutentionnés allaient s’accroître considérablementau fur et à mesure que la demande mondiale decéréales, d’acier et d’autres marchandisess’amplifierait, que les engorgements seraient éliminés,que la saison de navigation serait allongée et que leréseau fonctionnerait avec plus d’efficacité.

Malgré tout, au cours de cette première année,la Voie maritime avait plus que prouvé sa valeur. Ellepermettait à des navires de haute mer de pénétrerà 3680 kilomètres à l’intérieur des terres—jusqu’aucœur du pays, en d’autres mots—et elle les élevait àune hauteur équivalente aux soixante étages d’unimmeuble, du niveau de la mer, à l’embouchure duSaint-Laurent, à une hauteur de 182 mètres sur leseaux vastes et froides du lac Supérieur. Ellepermettait à des entreprises céréalières de chargerune cargaison de blé ou d’orge à Thunder Bay ou àDuluth, et de l’expédier à Rotterdam. Ellepermettait à des fabricants de textiles de mettreleur marchandise à bord de navires à Liverpool etde la livrer à des clients à Chicago.

Mais, ce qui comptait tout autant, l’ouverture dela Voie maritime représentait égalementl’aboutissement d’un rêve vieux de plusieurssiècles, qui consistait à transformer un fleuvecélèbre et les mers intérieures situées en amont enune voie navigable à la portée de navires de hautemer. Vers la fin des années 1600, des colons de l’îlede Montréal avaient fait les premières tentativesd’amélioration du transport maritime en creusantun canal qui permettrait de contourner les rapidesde Lachine. Mais après avoir triomphé d’unobstacle majeur, ils avaient rencontré cinq autresensembles de rapides dans les sections deSoulanges et de Long Sault du fleuve Saint-Laurent,en amont de Montréal. Plus loin à l’ouest, environun siècle plus tard, des pionniers loyalistes installésdans la péninsule fertile qui séparait le lac Ontariodu lac Érié devaient à leur tour se buter à unterrifiant obstacle à la navigation: l’escarpement duNiagara, la dénivellation de 326 pieds qui sépare lesdeux masses d’eau.

Soutenus par leurs gouvernements et par lesmeilleurs ingénieurs de l’époque, des gensd’affaires prévoyants avaient passé la majeurepartie du dix-neuvième siècle à construire desécluses et des canaux, ou à y apporter desaméliorations, afin de créer une voie d’eaunavigable depuis le bas du Saint-Laurent jusqu’auxlacs supérieurs. Le premier canal Welland, quifaisait 27 milles et demi de long (44,5 kilomètres) etpouvait livrer passage à des bâtiments à voilesprésentant un tirant d’eau de près de huit pieds, fut

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L’American Society of Civil Engineers reconnut, en 1960,

l’importance et la complexité des travaux de construction de la

Voie maritime et des centrales électriques qui y étaient reliées.

cgvmsl

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ouvert à la circulation à la fin de novembre 1829. Aumilieu du siècle, le canal avait été reconstruit, et lescanaux du haut Saint-Laurent avaient subi desaméliorations en vue de créer un chenal continud’au moins neuf pieds de profondeur, depuisMontréal jusqu’au lac Érié. En 1904, un troisièmecanal Welland avait été construit, tandis que denouveaux aménagements le long du Saint-Laurentavaient créé un chenal de quatorze pieds deprofondeur.

Le canal Welland fut reconstruit une quatrièmefois, entre 1913 et 1932, pour permettre le passagede navires longs de 736 pieds et demi, avec untirant d’eau pouvant atteindre 25 pieds. Mais leSaint-Laurent, lui, resta sans travaux d’envergure. Ilen résulta une autoroute maritime fracturée. Lesgros laquiers transportant des céréales ou d’autresmarchandises en direction est depuis les lacssupérieurs atteignaient Toronto, Kingston ouPrescott, où leur cargaison était déchargée,entreposée dans des terminaux, puis acheminée endirection aval à bord de navires de canal. De même,les océaniques devaient s’arrêter à Montréal, ouailleurs dans le Bas-Saint-Laurent, et expédier leurcargaison en amont à bord du même genre depetits navires.

Ce système était inefficace et intenable à longterme, si bien qu’en 1920 les gouvernements duCanada et des États-Unis commandèrent lespremières études destinées à examiner, d’une part,la faisabilité d’une expansion de la voie navigabledu haut Saint-Laurent et, d’autre part, l’exploitationde l’immense potentiel hydroélectrique du fleuve.Plus de trois décennies allaient cependants’écouler avant le début des travaux. La Crise de1929, tout comme la Seconde Guerre mondiale,retardèrent la mise en œuvre du projet. Maisl’opposition au sein du monde politique constituaitégalement un obstacle sérieux.

Comme Lionel Chevrier l’écrivait dans La Voiemaritime du Saint-Laurent, l’ouvrage qu’il aconsacré à la construction du réseau:

Peu d’entreprises ont opposé tant d’opinions,suscité tant de discussions ou de litiges, faitsigner tant de traités, ou échangé [sic] tant denotes entre gouvernements. Peud’entreprises aussi vitales ont été retardéesaussi longtemps. [L’histoire de la Voiemaritime] raconte le conflit entre deshommes qui luttent pour leurs intérêts et desnations qui défendent le leur.

Deux choses allaient faire pencher la balancedans le sens de l’intérêt national. En premier lieu,dans l’immédiat après-guerre, l’Ontario et l’État deNew York éprouvaient un besoin pressant del’hydroélectricité du Saint-Laurent pour alimenterleurs économies respectives, alors en pleineexpansion. Dans les deux ressorts territoriaux, lespoliticiens exerçaient des pressions sur lesgouvernements canadien et américain en vue d’uneentente qui permettrait l’érection de barrages et decentrales électriques sur le fleuve. En second lieu,l’industrie américaine de l’acier était en traind’épuiser les plus gros gisements de minerai de ferdes États-Unis, dans le district de Mesabi, à l’ouestde Duluth, au Minnesota. Ainsi, quand d’importantsnouveaux gisements furent découverts dansl’intérieur du Labrador et, non loin, dans l’est duQuébec, les gros bonnets de l’industrie ajoutèrentleur voix à celles qui réclamaient déjà laconstruction de la Voie maritime.

En octobre 1949, un consortium formé de dixgrands producteurs d’acier et sociétés minières mitsur pied l’Iron Ore Company of Canada (IOC) pourexploiter des réserves minérales qui dépassaient400 millions de tonnes et se trouvaient à quelque580 kilomètres au nord de Sept-Îles, au Québec. Enjuin 1954, l’IOC avait acheminé par chemin de ferses premiers wagons de minerai en direction deSept-Îles, au sud, et la production allait rapidementatteindre 10 millions de tonnes annuellement. Maisl’entreprise ne pouvait transporter ce minerai dansde gros navires que jusqu’à des terminaux situés à

2 · Promesse tenue | 33

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Contrecœur, environ 40 kilomètres en aval deMontréal. De là, le minerai était chargé sur desnavires de canal pour le voyage en direction deBuffalo, de Cleveland, de Detroit et d’autres portsdes Grands Lacs.

Les sociétés garantes de l’IOC étaientconvaincues que le Canada et les États-Uniss’entendraient pour construire la Voie maritime,qui permettrait à leurs navires de remonter leSaint-Laurent sans interruption en cours devoyage. Des chicanes de nature politique,principalement à Washington, connurent enfinleur terme avec l’élection d’Eisenhower àl’automne 1952. Le nouveau président étaitfavorable à la Voie maritime et, en janvier 1953, leCongrès entreprit de rédiger une loi quiautoriserait la participation des États-Unis.Eisenhower apposa sa signature au projet de loien mai 1954. Mais les adversaires les plus obstinésréclamèrent une injonction dans le butd’empêcher la réalisation du projet.

La Cour suprême des États-Unis repoussa lademande d’injonction au début de juin, geste quisuscita une explosion de joie populaire à Cornwall,petite localité sise sur les bords du Saint-Laurent,où, pendant une majeure partie du vingtièmesiècle, la population avait discuté de la constructiond’une voie maritime. La ville organisa rapidementun grand défilé. Le maire, Aaron Horovitz, et lepréfet, Elzéar Émard, ouvraient le défilé dans lavoiture de tête. Deux unités du service d’incendiede la ville prenaient part à l’événement. Toutes lesfanfares disponibles avaient été mises àcontribution, comme l’avaient été les réservistesdes Stormont-Dundas-Glengarry Highlanders, quiroulaient dans les rues à bord de porte-mitrailleuses Ben. Quand le défilé prit fin,l’ensemble de la population se joignit à la fête, quele Cornwall Standard-Freeholder du lendemaindevait qualifier de «plus grande manifestationspontanée de rue depuis la fin de la SecondeGuerre mondiale».

Moins de cinq mois plus tard, le travailcommençait sur la Voie maritime. L’achèvement dece projet monstre devait transformer le transport

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Un navire descendant passe devant le site d’Expo 67 dans le

nouveau canal de la Rive Sud. cgvmsl

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maritime sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs, etceux qui furent témoins de ce changement enconservent un vif souvenir. «Nous étions habituésde voir des navires de canal», se rappelle BillMcNairn, un ecclésiastique aujourd’hui à la retraite,qui avait grandi sur les bords du fleuve et n’avaitpas encore vingt ans au moment de l’ouverture dela Voie maritime. «Nous sortions sur le fleuve dansdes bateaux de pêche quand les gros navirescommencèrent d’y passer—uniquement pour leplaisir de les observer. Nous nous rendions compteà quel point ils étaient énormes. Nous avionsl’impression de côtoyer le Titanic.»

Même les marins les plus expérimentés n’encroyaient pas leurs yeux. «Tout ce qui pouvaitflotter passa par ici en 1959», se rappelle le pilote àla retraite Robert «Louie» Stevenson. «Une forceopérationnelle de la Marine américaine se renditjusqu’à Chicago, uniquement pour y montrer sescouleurs. Il devait bien y avoir soixante navires—des péniches de débarquement, trois sous-marins,des destroyers. Le vaisseau amiral était le croiseurMacon. Il réussit à peine à franchir les écluses.»

Il y eut également un afflux d’océaniques—de

«salés», comme on les appelle dans le métier, quinaviguaient aux côtés de douzaines de flottesauxquelles ces eaux étaient familières depuis déjàplusieurs années. Selon le Greenwood’s Guide toGreat Lakes Shipping, on comptait environ quatre-vingts sociétés américaines sur les lacs au débutdes années 1960, et quarante-trois canadiennes,toutes représentant des intérêts divers.

La Compagnie pétrolière impériale, ShellCanada et Texaco Canada possédaient leurspropres flottes de pétroliers. Les compagniescharbonnières, les producteurs de papier, lesentreprises qui faisaient le commerce du sable, dugravier et des granulats avaient leurs propresnavires. Le Canadien Pacifique était propriétaire dedeux navires de caissage et se trouvait enconcurrence avec des sociétés telles la NorthwestSteamships de Toronto et l’Owen SoundTransportation Company. La Canada Steamship

2 · Promesse tenue | 35

Les proportions monumentales de la Voie maritime

nouvellement construite ne cessaient d’étonner les résidents de

longue date de petites communautés situées le long du Saint-

Laurent. cgvmsl

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Lines, installée à Montréal, était, avec ses quarante-quatre navires, la société canadienne la plusimportante à utiliser la Voie maritime, mais c’était laUS Steel qui, avec ses cinquante-six bâtiments,détenait le titre de championne du transport demarchandises sur les Grand Lacs.

Les salés compliquaient la situation tant pourles sociétés habituées à naviguer en eau douce,que pour la Voie maritime elle-même. Le réseauétait souvent affecté par une pénurie de pilotes—des capitaines locaux dont la tâche consistait àguider les navires étrangers dans des eauxintérieures peu familières. Cette situationperturbait le trafic. À certains moments, également,la barrière linguistique entravait lescommunications entre les navires et le rivage. Parailleurs, plusieurs capitaines de haute mer venant

de l’étranger ancraient leurs bâtiments pour la nuitafin d’éviter d’avoir à naviguer dans des eauxintérieures qu’ils connaissaient mal, et cettepratique gênait elle aussi la fluidité du trafic.Presque dès l’ouverture du réseau, un sérieuxproblème de congestion se posa aux deuxextrémités du canal Welland. «Nous avionsquotidiennement plus de cinquante navires ancrésà Port Weller et à Port Colborne», raconte JohnKroon, un employé de la Voie maritime de 1956 à1995. «Cela finissait par créer un embouteillage.Parfois, les navires restaient immobilisés pendantplusieurs jours.»

Le problème provenait en partie du système decontrôle de la circulation sur le canal, qui étaitrudimentaire. Un seul préposé au mouvement desnavires, travaillant depuis le quatrième étage d’unimmeuble situé à proximité de la porte de garde, ausud de l’écluse 7, appelait les navires à pénétrerdans le canal, en provenance soit du lac Ontario,soit du lac Érié. Mais il ne gérait pas le mouvement

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Un amas de navires à l’entrée du canal Welland par le lac

Ontario. La congestion posait un sérieux problème dans les

premières années d’existence de la Voie maritime. cgvmsl

«Nous avions quotidiennement plus de cinquantenavires ancrés à Port Weller et à Port Colborne.… Celafinissait par créer un embouteillage.»John Kroon · employé de la Voie maritime, 1956–1995

Page 31: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

de la circulation. Les maîtres-éclusiers laissaiententrer et sortir les navires en fonction de leurexpérience, et la règle capitale qui les guidait étaitde ne jamais laisser une écluse vide. Les capitainesrestaient en contact les uns avec les autres parradio et tenaient le préposé au mouvement desnavires informé du progrès de leur transit à traversla voie navigable. «Le canal Welland avait à peinemodifié ses méthodes d’exploitation depuis lemoment de son ouverture en 1932», se rappelleHenry Koski, un ancien employé de la Voiemaritime, qui avait été, un temps, responsable de lanavigation sur le réseau.

La congestion sur le canal Welland demeura undéfi logistique de premier plan pendant toute lapremière décennie de la Voie maritime, et leproblème devint aigu en 1964. «Ce printemps, laVoie maritime a connu un accroissementconsidérable de tonnage», rapportait le FinancialPost en juin de cette année-là. «Le trafic sur lecanal Welland et dans d’autres écluses de la Voiemaritime s’est accru de 50 pour cent par rapport àl’année dernière. Ce facteur auquel, de nombreuxmatins du printemps, s’est ajouté le brouillard aentraîné la formation de longues files de navire enattente aux deux extrémités du canal.»

Chaque retard se traduisait en pertes pour lesentreprises de transport, qui exigeaient que l’onremédie à la situation. Certains proposaient que lepassage à travers le canal soit déterminé enfonction d’un ordre de priorité. D’autressuggéraient que les navires d’eau douce aientpréséance sur ceux qui provenaient de l’Atlantique.L’Administration de la voie maritime—l’organismequi gérait le réseau—rejeta ces idées. Plutôt, aucours de l’été de 1964, l’organisme retint lesservices de la firme d’experts-conseils Kates, Peat,Marwick & Company en vue de résoudre leproblème que causait la congestion.

Le printemps suivant, la Voie maritime avaitcommencé de mettre en œuvre certains deschangements recommandés par les consultants.

Cinq chenaux furent élargis. Des modificationsd’ordre hydraulique permettaient de remplir et devider les écluses plus promptement, et desmesures avaient été prises en vue d’ouvrir et derefermer les portes plus rapidement. Des panneauxde signalisation munis de feux rouges, jaunes et

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au haut : Un répartiteur, à l’entrée du canal Welland, contrôle le

mouvement des navires attendant d’y pénétrer en novembre 1969.

À l’approche de la fin de la saison, un grand nombre de navires

descendants se pressaient d’y entrer depuis le lac Érié. au bas : Une

firme d’experts-conseils, dont les services avaient été retenus au

milieu des années 1960, aida l’Administration de la voie maritime à

mettre sur pied le premier système de contrôle du trafic, qui

comprenait, entre autres, l’utilisation de caméras de télévision en

circuit fermé, une technologie encore nouvelle à l’époque. cgvmsl

Page 32: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

verts furent installés en haut et en bas de chaqueécluse pour faciliter les entrées et les sorties. Lestirants d’eau maxima autorisés, qui étaient passésde 25 pieds, en 1959, à 25 pieds et six pouces en1963, furent accrus une fois de plus à 25 pieds etneuf pouces en 1967, ce qui permit auxtransporteurs maritimes de déplacer de plus fortstonnages à l’occasion de chaque voyage.

Les consultants recommandèrent égalementque des modifications soient apportées aux éclusesde Saint-Lambert et de Côte-Sainte-Catherine,près de Montréal, changements qui permirent à laVoie maritime d’ajouter près d’un mois à la saisonde navigation commerciale dans la section est duréseau. En accroissant et en modifiant le débitd’eau, les éclusiers pouvaient briser les premièresglaces de l’hiver et en effectuer la vidange, commeils pouvaient devancer la débâcle printanière. Onput ainsi allonger la saison, qui était de 222 jours en1959, à 250 jours en 1968.

Mais, ce qui importait plus encore, c’est que lesconsultants avaient jeté les bases d’un systèmeefficace de contrôle du trafic. Un centre exclusif decontrôle fut mis sur pied, au bas de l’escarpement,dans un immeuble qui avait jusque-là serviprincipalement d’atelier d’entretien et deréparation. Des équipes formées de trois membres—un superviseur et deux adjoints—travaillaient

vingt-quatre heures sur vingt-quatre et géraient lemouvement des navires sur la totalité du canal.Trois caméras de télévision en circuit fermé—unetechnologie encore relativement nouvelle àl’époque, et encore employée principalement à desfins de sécurité dans les prisons et lesétablissements industriels—étaient installées àchaque écluse, de façon à ce que les contrôleurspuissent suivre visuellement la progression desnavires et communiquer par radio avec lescapitaines.

Ces équipes contrôlaient le cours du trafic surun tableau d’affichage animé, qui faisait neufmètres de long et présentait du canal et del’escarpement un modèle à l’échelle. Le tableauétait pourvu de petits navires de bois que lescontrôleurs déplaçaient à l’aide d’une baguette aufur et à mesure que les vrais bâtiments transitaientà travers le réseau. Le tableau animé fut par la suiteremplacé par un modèle mécanisé, utilisant unengrenage à vis sans fin ou des tiges filetées pourdéplacer les navires horizontalement quand ceux-citraversaient un chenal, et verticalement quand ilsmontaient ou descendaient dans les écluses.

«Le système de contrôle du trafic futcomplètement modifié», se rappelle Pierre Camu,qui était à l’époque président de la Voie maritime.«On était passé d’une approche qui appartenaitencore au dix-neuvième siècle, à une autreaccordée aux besoins du vingtième. Le changementfut appliqué également à la section Montréal-Saint-Laurent.»

Toutes ces modifications eurent pour effetd’améliorer les temps de transit et d’atténuerl’engorgement. Malgré tout, les dirigeants de la Voiemaritime estimaient que des améliorationsmajeures s’imposaient en vue d’assurer lefonctionnement ordonné du canal Welland et de lerendre capable de répondre adéquatement àl’accroissement de la demande au cours desdécennies à venir. À cette fin, ils élaborèrent unplan qui consistait à achever le jumelage des sept

38 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

La Voie maritime a été construite pour la navigation

commerciale, mais des embarcations de plaisance utilisent aussi

le réseau. Les bateaux que l’on aperçoit ici, dans l’écluse de

Saint-Lambert, remontent le Saint-Laurent. cgvmsl

Page 33: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

écluses qui élèvent les navires depuis le lac Ontariojusqu’au sommet de l’escarpement, un projet donton estimait que le coût pourrait atteindre 450millions de dollars.

Les écluses 4, 5 et 6 s’élèvent telles troismarches géantes posées sur la face del’escarpement. Elles étaient depuis longtempsjumelées pour permettre la montée et la descentesimultanées du trafic. La Voie maritime envisageaitla création d’un chenal parallèle et la constructionde quatre écluses pour correspondre aux écluses 1,2, 3 et 7. Le gouvernement fédéral annonça en août1963 que le projet irait de l’avant, et les dirigeantsde la Voie maritime se mirent au travail pour choisirun tracé et mener des études préliminaires.

À l’automne de 1965, ils avaient décidé que lanouvelle voie navigable serait construite à unkilomètre environ à l’est du canal existant. Le tracés’étendrait sur quelque quatorze kilomètres endirection sud, depuis le lac Ontario, et rejoindrait leréseau plus ancien au-dessous de l’écluse 7. Deuxobstacles, immeubles par nature, se dressaientcependant sur le chemin de ce nouvel ouvragepublic: le Queen Elizabeth Way et le cimetièreLakeview, à Thorold, où se trouvaient 8000sépultures. Les planificateurs de la Voie maritime

envisagèrent de creuser un tunnel qui ferait passerla route express sous le canal, mais le cimetièredevrait être déplacé. L’aspect le plus contentieuxdu projet était la perspective de devoir exproprierdes terres détenues par des intérêts privés. Deslettres furent adressées aux intéressés avant la finde 1965 et, en mai 1966, la Voie maritime avaitacquis, de 335 détenteurs de titres de propriété, auprix de 4 millions de dollars, 1971 acres de terres.

Entre-temps, les ingénieurs de la Voie maritimeétaient déjà au travail sur deux projets encore plusambitieux, appelés Projet X et Projet Z, qui, unefois achevés, auraient remplacé le canal Wellandexistant par un autre ouvrage, entièrementnouveau. Le Projet Z prévoyait un nouvel ensembled’écluses qui élèveraient les navires, depuis le lacOntario jusqu’au sommet de l’escarpement, enquatre marches géantes de près de 80 piedschacune. Qui plus est, chaque écluse ferait millepieds de long. Les ingénieurs produisirent uneétude de définition pour cette entreprise, mais

2 · Promesse tenue | 39

Vue aérienne du canal Welland traversant la ville de Welland.

Étroit et plein de tournants, comprenant de nombreux ponts, le

canal était considéré par les capitaines de navires comme une

section particulièrement traîtresse de la Voie maritime. cgvmsl

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n’allèrent guère plus loin, parce que le Projet Xdévorait déjà le temps, l’énergie et les fonds del’organisme.

En 1966, la Voie maritime s’engagea dans ceprojet monstre, qui prit bientôt le nom de «canal dedétournement de Welland». Le nouveau chenalremplacerait une partie existante du canal, longuede 14,5 kilomètres, qui était considérée commecarrément traîtresse. Cette section ne faisait que180 pieds de largeur en la plupart des points de sonparcours et était ainsi un peu trop étroite pour lesbâtiments qui naviguaient désormais sur ses eaux.Elle présentait de plus quatre courbes importanteset plusieurs de dimensions moindres. Elle traversaitla ville de Welland, et l’on y trouvait six ponts—dontquatre enjambaient le canal le long d’une étenduede quelque deux kilomètres.

L’une de ces structures, le pont 15, acquit uneréputation internationale parmi les capitainesd’océaniques. C’était un pont tournant destiné auxtrains de la ligne principale du chemin de fer NewYork Central, voyageant entre Buffalo et Detroit. Lepont reposait sur un socle de béton qui se dressaiten plein milieu du canal. «Le pont 15 était connupartout au monde», se rappelle le pilote à laretraite Stevenson. «Quand vous montiez à bordd’un navire à Port Weller, à l’extrémité du lacOntario, où commençait le canal, les capitainesétrangers demandaient toujours: “Où se trouve cefameux pont?”. Quelques-uns d’entre eux n’osaientmême pas respirer quand nous passions par là.C’est dire à quel point le passage était étroit.»

Comme si cela ne suffisait pas, un légertournant se présentait juste au sud de la structure,ce qui ajoutait à la difficulté de la navigation,explique Charles Tully, un autre pilote à la retraite.«Vous tâchiez de maintenir en tout temps le navireau centre du canal, explique-t-il. Donc, vous sortiezde ce tournant et, subitement, vous vous trouviezface à face avec le pont 15. Il vous fallait alorsorienter votre navire vers la droite et l’aligner demanière à vous frayer un passage. Vous travailliez

comme un forcené. Sur quelques-uns des plusvieux navires, vous deviez vous déplacer vers lecôté droit du gouvernail et pousser de vos deuxmains vers le bas. Je détestais ce pont.»

Par mesure de précaution, la Voie maritimedisposa autour du socle des pieux trempés decréosote, de la grosseur de poteaux téléphoniques.On installa également des capteurs, de mêmequ’une cloche qui se faisait entendre si le naviretouchait le pont—circonstance qui se produisaittrop souvent pour rassurer qui que ce soit.

Une autre situation bien connue sur cette partiedu canal était la rencontre de deux navires,presque nez à nez. Deux bâtiments avançaient trèslentement l’un vers l’autre en direction opposée,chacun d’entre eux au centre du canal. Quand lesdeux pilotes constataient qu’ils n’étaient plusséparés que par une distance équivalente à lalongueur d’un navire, ils obliquaient vers la droite,laissant à peine un espace large de moins de deuxmètres entre les deux bâtiments—normalement cequ’il fallait pour les tenir éloignés l’un de l’autre.

«Les frôlements étaient nombreux, se rappelleTully. Les navires frottaient l’un contre l’autre. Si lesdommages étaient superficiels, vous poursuiviezsimplement votre route. Aujourd’hui, on parleraitd’“incidents” et il faudrait en faire rapport.»

«Parfois, c’était la peinture qui s’enflammait,ajoute Stevenson. Vous seriez surpris du nombrede fois où l’on apercevait des flammes. Mais je tiremon chapeau à ces capitaines. Ils accomplissaientun travail extraordinaire. Autrement, on aurait eu àdéplorer nombre d’accidents sérieux.»

Tandis que la Voie maritime éprouvait une crisede croissance, l’industrie du transport maritimesubissait de son côté une transformationremarquable. «Le changement fut spectaculaire»,se rappelle Jack Leitch, longtemps président deUpper Lakes Shipping, une entreprise établie àToronto. «Dès l’ouverture de la Voie maritime, onconstatait un important phénomèned’obsolescence. Les navires étaient tout

40 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

«Vous travailliez comme un forcené.… Je détestais cepont.» Charles Tully · pilote à la retraite

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simplement trop vieux ou trop petits. Ils nerapportaient pas. Il nous fallait accroître la taille denotre flotte, et ce, pour deux raisons: nousdébarrasser des navires de canal, d’une part, et del’autre, répondre à l’accroissement soutenu de lademande pour le transport du charbon et duminerai de fer.»

Upper Lakes était, à l’époque, propriétaire devingt-neuf vaisseaux, dont quinze étaient desnavires de canal aptes à transporter entre 2000 et3000 tonnes de fret. Au bout de cinq ans, tous cespetits navires avaient été retirés du service,deuxième étape d’un programme de modernisationde la flotte, qui avait en réalité commencé au débutdes années cinquante, en prévision de laconstruction de la voie maritime. En 1952, UpperLakes accordait un contrat à un chantier naval deMidland, en Ontario, pour la construction de deuxvraquiers longs de 644 pieds, destinés au transportde minerai, de charbon et de céréales. Ces naviresfurent baptisés Gordon C. Leitch, du nom dufondateur de l’entreprise, et James Norris, enl’honneur du magnat de l’industrie céréalière,domicilié à Chicago, qui détenait un intérêt de 65pour cent dans la société.

Six ans plus tard, Upper Lakes construisit unnavire long de 681 pieds aux chantiers en cale sèchede Port Weller, dont elle avait fait l’acquisition en1956. On avait besoin de ce navire, destiné à la Voiemaritime, pour répondre aux conditions d’uncontrat à long terme visant à fournir du charbon etdu minerai de fer à la Dominion Foundries and Steel(Dofasco), de Hamilton. On donna à ce bâtiment lenom de Frank A. Sherman, en hommage auprésident du conseil de Dofasco.

Une fois la Voie maritime ouverte, Upper Lakesdut faire diligence pour remplacer la capacitéporteuse qu’elle avait perdue en mettant aurancart les navires de canal. Au bout du compte,elle avait, en l’espace de dix ans, construit, ouacheté en vue de les remettre à neuf, treizenavires. Elle avait acquis quatre pétroliers, dontelle avait, dans ses chantiers de Port Weller, accrules dimensions de la coque, de jusqu’à 200 piedsparfois, et les avait convertis en vraquiers. Elle fitégalement l’acquisition de quatre vaisseaux plusanciens, variant en longueur de 550 à 600 pieds,qui pouvaient êtres mis en serviceimmédiatement. Enfin, elle construisit quatreauto-déchargeurs—les Cape Breton Miner,Ontario Power, Canadian Century et CanadianProgress—qui furent utilisés principalement pourfournir en charbon les centrales électriquesd’Hydro Ontario.

Tous les autres principaux acteurs canadiens dutransport maritime mirent sur pied desprogrammes de renouvellement de leur flotte. Pourquelques-uns d’entre eux, pareille initiativeprésentait un défi complexe, comme l’écrivait EdgarCollard dans Passage to the Sea: The Story ofCanada Steamship Lines. «La perspectivealarmante était que la flotte de CSL allait devoirêtre reconstruite. Un trop grand nombre de sesnavires étaient trop petits. Néanmoins, tous lesnavires de canal de CSL devraient être entretenuset maintenus en ordre d’appareillage jusqu’au jour

2 · Promesse tenue | 41

Avant même que la Voie maritime ait atteint ses dix ans, les

services postaux du Canada et des États-Unis avaient émis des

timbres dénotant son succès remarquable. cgvmsl

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même de l’ouverture de la Voie maritime. CSLaurait à se préparer à affronter le nouvel ordre deschoses tout en restant prisonnier de l’ancien.»

Tout comme Upper Lakes, CSL entreprit de bâtiren fonction de la Voie maritime, avant même le débutde la construction du nouveau réseau. En novembre1953, l’entreprise lança le T.R. McLagan, un navire longde 714 pieds, muni d’un barrot de 70 pieds. Le navirepouvait traverser le canal Welland, mais les dirigeantsde CSL avaient parié que les écluses, le long de lanouvelle voie maritime, seraient assez spacieusespour livrer passage au T.R. McLagan.

Le boom véritable se produisit dans lesannées 1960. L’un après l’autre, les naviressortaient de chantiers navals de la société, àLauzon, au Québec, et des localités ontariennesde Midland, Collingwood, Kingston et PortArthur : le Murray Bay, en 1960; l’English River, leFort Chambly, le French River et le Whitefish Bay,en 1963 ; le Saguenay, en 1964; le Rimouski et leStephen B. Roman, en 1965. À la fin de ladécennie, CSL avait achevé la construction desept autres navires.

En dernier ressort, cette périodeexceptionnelle de construction navale modifial’équilibre de la concurrence entre lestransporteurs maritimes. Algoma Central Marine,dont le siège social est maintenant à St. Catharines,était un petit transporteur, par comparaison avecdes sociétés telles Scott Misener Steamships, N.M. Patterson & Sons et Hall Corporation ofCanada. «Nous avons pris notre essor presque sansnous en rendre compte», affirme Peter Cresswell,un ancien président d’Algoma. «L’une des raisonsqui nous ont permis de croître est que nous avonsrapidement opté pour des auto-déchargeurs, alorsque d’autres parmi nos concurrents n’avaient pasfait le même pari. Les auto-déchargeurs coûtentplus cher à construire, mais sont plus profitables. Ilsne requièrent pas l’utilisation d’installations situéessur la rive. Vous pouviez ainsi disposer de votre frettrès rapidement. Il fallait vingt-quatre heures à unvraquier pour décharger une cargaison de mineraide fer, et jusqu’à deux jours pour une cargaison decéréales. Les auto-déchargeurs ne nécessitent quede huit à dix heures.»

Algoma entreprit elle aussi son programme deconstruction avant la mise en exploitation de laVoie maritime, avec le E.B. Barber, un cargo générallong de 564 pieds, construit en 1953 et converti enauto-déchargeur au début des années 1960. Ellelança le Sir Denys Lowson en 1964, le Roy A. Jodreyen 1965, l’Algorail et l’Algocen en 1968, enfinl’Agawa Canyon en 1970. L’expansion de la flotte se

42 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Pierre Camu, président de l’Administration de la voie maritime

de 1965 à 1973, à droite, rencontre David Oberlin, administrateur

de la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, à

Massena, dans l’État de New York. cgvmsl

Page 37: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

poursuivit jusqu’au début des années 1980. Lasociété avait alors construit quatorze navires.

À la fin des années 1960, les propriétaires denavires construisaient des bâtiments d’unelongueur de 730 pieds, le maximum permis enraison des dimensions des écluses de la Voiemaritime. Trente-huit de ces navires étaient enservice, dont cinq lancés au cours de la seule année1968. Tous avaient été construits dans des chantiersmaritimes canadiens. La Voie maritime avaitégalement servi de catalyseur pour la conversiondes navires de la vapeur au diesel. Jack Kinnear, unancien dirigeant au sein de la société de transportmaritime Carryore, qui devait par la suite fusionneravec Algoma, note que la plupart des navires enservice sur les lacs avant l’ouverture de la Voiemaritime étaient actionnés par des turbinesalimentées au mazout. «Ces navires ne pouvaientdescendre plus loin que la ville de Québec, parcequ’ils y rencontraient rapidement de l’eau salée,explique notre interlocuteur. Les navires plusanciens avaient besoin d’eau douce pour chaufferleur chaudière.»

L’ouverture de la Voie maritime entraînaégalement des améliorations dans les principauxports des Grands Lacs. La plupart durent êtreagrandis pour desservir la nouvelle flotte de naviresde même que les océaniques, beaucoup plus gros,qui pénétraient à l’intérieur des terres. Les chenauxd’accès furent approfondis. Des travaux de dragagefurent entrepris aux abords des quais, des jetées etdes postes de mouillage. Les hangars de terminauxde fret, les silos à céréales, les systèmestransporteurs et les pipelines furent modifiés oureconstruits pour répondre aux exigences d’unaccroissement du trafic.

Au moment de son ouverture, la Voie maritimeétait en mesure de desservir 90 pour cent desnavires du monde entier. Après une premièredécennie, les flottes de trente pays utilisaient leréseau. Elles venaient notamment du Japon, de laThaïlande, de Taïwan, de Grèce, d’Angleterre et de

Russie. Cela démontrait que les sociétésinternationales de transport maritime avaientreconnu le fait que la Voie maritime était uneartère commerciale indispensable, qui donnaitaccès au cœur de l’Amérique du Nord.

Qui plus est, le réseau fonctionnait si biendurant ces dix premières années qu’il avait à jamaisimposé silence aux sceptiques et aux irréductiblesqui s’étaient pendant si longtemps opposés auprojet et en avaient entravé la réalisation. Pendantla phase d’exécution des travaux, les planificateursde la Voie maritime avait prévu qu’en 1969 levolume annuel des marchandises acheminées sur lasection Montréal-lac Ontario atteindrait 50 millionsde tonnes, et 60 millions sur la section du canalWelland.

Le sommet, pour la décennie, fut atteint en1966, quand le volume sur la section Montréal-lacOntario dépassa 44,67 millions de tonnes, alors que53,77 millions de tonnes transitaient par le canalWelland. Deux ans plus tard, les chiffres étaientsemblables: 43,5 millions pour la section Montréal-lac Ontario, et 52,68 millions pour le canal Welland.La voie navigable aurait vraisemblablement atteintou dépassé les volumes projetés en 1968, mais lesavait ratés en grande partie à cause d’une grève detrois semaines des employés de la Voie maritime.Quoi qu’il en soit, le réseau entier manutentionnaittrois fois plus de marchandises que ne l’avait fait,dans sa dernière année d’exploitation, l’anciennevoie navigable fragmentée.

Ainsi, il y avait moult raisons de réjouissancesquand la Voie maritime acheva sa dixième annéed’exploitation. Pierre Camu résuma les défis et lesréalisations dans une allocution prononcée àl’occasion de la conférence annuelle de laDominion Marine Association et de la LakeCarriers’ Association. «Il fallait amener le milieu desaffaires—les importateurs, les exportateurs, lestransporteurs en vrac, les sociétésd’hydroélectricité et les producteurs d’acier—àconsidérer la Voie maritime comme une artère

2 · Promesse tenue | 43

Au moment de son ouverture, la Voie maritime étaiten mesure de desservir 90 pour cent des navires dumonde entier. Après une première décennie, lesflottes de trente pays utilisaient le réseau.

Page 38: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

commerciale efficace, rapide et sécuritaire»déclara le conférencier. «En dix ans, nous avonsamélioré l’image de la Voie maritime au point queceux qui, en 1959, tendaient à la considérer commeune réalisation superflue en étaient venus, en 1965,à la conclusion qu’elle était utile et, en 1969, qu’elleétait devenue nécessaire.»

Cet été là, pour marquer le dixièmeanniversaire, des cérémonies publiques furentorganisées à Morrisburg, en Ontario, à Sault Ste.Marie, à Massena, dans l’État de New York et dansplusieurs autres localités le long de la Voiemaritime. L’événement le plus notable se déroula le27 juin 1969, à l’exposition Terre des hommes, sited’Expo 67 deux ans plus tôt. Le premier ministrePierre Trudeau s’y trouvait, de même que leprésident des États-Unis, Richard Nixon, qui faisaitsa première visite au Canada depuis son électionen 1968, ainsi que plusieurs dignitaires politiques.Les deux dirigeants dévoilèrent une plaque qui selisait ainsi: «Cette plaque commémore l’amitié et la

collaboration entre les États-Unis et le Canada ence jour du 10e anniversaire de la Voie maritime duSaint-Laurent.»

Le premier ministre Trudeau parla le premier,suivi par le président Nixon. «Nous sommesheureux de vous accueillir, monsieur le Président»,déclara le premier ministre, s’adressant en français,«pour saluer le travail que nos deux peuples ontaccompli de concert, pour constater le progrèséconomique qui en a découlé, mais, par-dessustout, pour démontrer que cette voie navigable […]peut servir, non de barrière entre nos deuxpeuples, mais comme une passerelle de bienvenue,de progrès et d’accès» [traduction libre].

Le président exprima des sentimentssemblables, puis ajouta: «S’il me vient une pensée àlaisser à cet auditoire distingué, c’est celle-ci: jecrois que l’esprit qui a construit cette voie maritimeest l’esprit dont le monde a besoin aujourd’hui pourrassembler les peuples du monde entier.»

44 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Le 27 juin 1969, à Montréal, Pierre Trudeau et Richard Nixon

dévoilaient une plaque destinée à commémorer « l’amitié et la

collaboration » qui avaient mené à la construction de la Voie

maritime. cgvmsl

Page 39: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Debout sur la passerelle du SS Georgian Bay, tardl’après-midi du 15 décembre 1972, le capitaineArthur Perry guidait son navire, un bâtiment longde 630 pieds, en direction sud, depuis le lacOntario, et s’apprêtait à entrer dans les eaux noird’encre du canal Welland. Le soleil était déjàcouché et il neigeait abondamment. C’était, pour leGeorgian Bay, le dernier parcours de la saison, untrajet de 43 kilomètres sur le canal, en direction deson poste hivernal de mouillage à Port Colborne,sur le lac Érié. Ce voyage était également le dernierpour le capitaine Perry, qui prenait sa retraite aprèsune carrière passée sur les lacs. Le moment étaithistorique, enfin, pour l’Administration de la voiemaritime du Saint-Laurent, pour les sociétés detransport maritime qui utilisaient le canal, de mêmeque pour les résidents qui vivaient sur ses bords.Ce transit était le dernier à travers une étroitebande du canal, longue de 14,5 kilomètres, quitraversait la ville de Welland et qui était devenueun obstacle majeur tant pour les navires que pourles véhicules et les trains. Au point culminant de lasaison de navigation, quelque cinquante laquiers etcargos transocéaniques étaient immobilisés àchacune des extrémités du canal en raison d’ungoulot d’étranglement qui se formait au milieu. Et,pour chaque transit (7000 au cours de la saison de1972), les moteurs de voitures tournaient au ralentiet les automobilistes rageaient aux abords de sixponts que l’on avait élevés ou fait pivoter pourlivrer passage.

Un grand nombre des 45000 résidents deWelland en étaient venus à exécrer les retards ainsicausés, et des milliers d’entre eux étaient sur place,par cette nuit hivernale, pour voir passer le derniernavire. Ils avaient allumé des feux le long duparcours et avaient immobilisé leurs véhicules, dontils faisaient clignoter les phares au passage duGeorgian Bay, tandis que, dans leurs maisons, lespropriétaires allumaient et éteignaient à répétitionles lumières. Sur les bords du canal, les enfantss’amusaient à lancer des boules de neige contre les

flancs de fer du gros laquier. À 20 heures, le navirefit entendre son sifflet à l’approche du pont numéro13, à l’intersection de la rue Main, au centre-ville,où, pendant quarante ans, le pire de la congestionde la circulation avait sévi. Massée sur dix rangs, lafoule poussa des hourras en réponse. Les bras dunuméro 13 furent soulevés pour ce dernier passageet quand, lentement, ils redescendirent, certains,dans la foule, entonnèrent une version locale d’unevieille chanson populaire britannique: «Wellandbridge is coming down, coming down, coming down.Welland bridge is coming down…»

Quand ils eurent terminé, leur attention sereporta sur le maire de la ville, Alan Pietz, qui,jubilant, s’approcha d’un microphone posé sur une

3 · Croissance et optimisme | 45

3 | Croissance et optimisme,1969–1979

Un laquier traverse le centre-ville de Welland, interrompant la

circulation le long de la rue Main, une voie à sens unique, et

créant une longue file de véhicules tournant au ralenti sur le

côté est du pont. thies bogner

Page 40: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

estrade et déclara: «C’est la fin d’une époque et ledébut d’une nouvelle.»

Cette ère nouvelle s’amorça le 28 mars 1973. Cejour-là, le NM Senneville, un vraquier chargé d’orgeen route vers Port-Cartier, au Québec, pénétradans le canal à Port Colborne et effectua lepremier passage commercial dans un nouveauchenal qui contournait la ville. L’ouvrage avait coûté188 millions de dollars, et sa construction s’étaitétendue sur cinq ans. Le nouveau chenal était pluslarge, plus profond et plus droit que celui qu’ilremplaçait, et son inauguration fut encore une foisl’occasion de réjouissances, bien que sur uneéchelle moindre que celles qui avaient marqué la

fermeture du canal trois mois plus tôt. Descentaines d’écoliers avaient obtenu congé pourêtre témoins de l’événement, et la ville avaitorganisé un feu d’artifice.

«Vous nous avez gâtés», déclara à cetteoccasion le capitaine du Senneville, W.T. Elliott, àdes dignitaires de l’Administration de la voiemaritime. Ce sentiment faisait écho à ceux de biend’autres marins au cours des années.

«C’était une amélioration importante», serappelle le pilote à la retraite Charles Tully, quicommençait à l’époque sa carrière sur les lacs.«L’on n’avait plus à se préoccuper des ponts. Lenouvel ouvrage offrait tout l’espace voulu pourcroiser d’autres navires. De notre point de vue, celafaisait une différence considérable.»

46 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

ci-dessus : Vue aérienne du canal Welland en direction nord

depuis Port Colborne, avec le passage à travers la ville de

Welland, à gauche et une excavation en vue du parcours du

nouveau chenal, à droite. tim root

à droite : Plan montrant le canal Welland et le parcours du

chenal détourné, représenté par la ligne pointillée en gras.

cgvmsl

Page 41: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Le canal de détournement de Welland, nomque l’on avait donné à cette initiative, était le plusgros projet d’immobilisations entrepris au coursdes deux premières décennies d’exploitation de laVoie maritime. Il améliorait la rapidité et la sécuritéde la navigation. Il permettait à l’industrie dutransport maritime de satisfaire à la demandeaccrue qui résultait de la croissance de l’économiecanadienne. Qui plus est, c’était, pour reprendre lesmots du rapport annuel de la Voie maritime pourl’année 1972, «un exploit dans le domaine du génie»,et l’entreprise avait pu être menée à terme «dansdes délais sévèrement limités et sans aucuneinterruption de la circulation routière, ferroviaireou maritime».

Le nouveau chenal faisait 13,3 kilomètres delongueur. Il était d’une largeur de 350 pieds, et d’uneprofondeur de 30 pieds. La planification de cetteentreprise colossale avait été amorcée au milieu desannées 1960, quand des dirigeants de l’industrie dutransport maritime et des élus municipaux s’étaientplaints que les retards et les perturbations sur leréseau étaient devenus intolérables. En mai 1966,peu de temps après en avoir obtenu l’accordgouvernemental, l’Administration de la voie maritimeentreprit d’acquérir les 6500 acres de terre requispour le creusage du nouveau chenal et, quatorzemois plus tard, la construction démarrait. Aumoment de l’achèvement du projet, quelque 4000personnes y avaient œuvré.

Ces travailleurs avaient extrait 65 millions detonnes de terre, de glaise et de vase. Ils avaientdéplacé des lignes ferroviaires appartenant à troischemins de fer, soit le Canadien National, le PennCentral et le Toronto, Hamilton, and Buffalo. Ilsavaient posé 160 kilomètres de nouvelles voies,construit une gare, un centre de contrôle, des garesde marchandises et de triage. Sous le canal dedétournement, ils avaient creusé un tunnel pour lestrains et les véhicules automobiles. Ce tunnelfaisait 1 080 pieds de longueur, 116 pieds et demi delargeur et 35 pieds de hauteur. Il était assez

spacieux pour accueillir trois lignes ferroviaires etune route à deux voies. Enfin, les mêmestravailleurs avaient creusé une route à quatre voiessous la rue Main, au centre de Welland, et déplacé80 kilomètres de voies artérielles.

La rivière Welland avait dû être détournéepour passer sous la déviation. Cette manœuvre

3 · Croissance et optimisme | 47

au haut : Le tunnel de la rue Main en cours de construction à l’été

de 1971. Tout le trafic ferroviaire et routier passerait désormais sous

le nouveau chenal pour assurer une navigation plus sécuritaire et

mieux ordonnée. au bas : On aperçoit des aqueducs-siphons qui

furent construits pour gérer le débit de la rivière Welland. cgvmsl

Sous le canal de détournement, on avait creusé untunnel pour les trains et les véhicules automobiles.

Page 42: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

avait nécessité la construction d’un siphoncontenant quatre conduits, chacun d’une largeurde 94 pieds et d’une longueur de 638 pieds, soitassez grands pour répondre aux exigences dedébits de pointe de 12000 pieds cubes d’eau à laseconde. Enfin, des lignes de transportd’électricité, des conduites de gaz, des lignestéléphoniques et des conduites d’égout avaient dûêtre déplacées et réinstallées en fonction desbesoins de la nouvelle infrastructure.

«Nous ne voulions d’aucun pont mobile sur lenouveau chenal», se rappelle l’ancien président dela Voie maritime, Bill O’Neil, qui était responsablede la construction de cet ouvrage. «Nous en avionsassez des interruptions de traversées et, ainsi, nous

avons construit partout des tunnels pour remédierà la situation.»

L’inauguration du canal de détournementsurvint au moment où les entreprises de transportmaritime éprouvaient du mal à suivre le rythmed’une économie alors en pleine expansion. En 1969,année qui marquait la fin de la première décennied’exploitation de la Voie maritime, 48,56 millions detonnes de marchandises avaient transité par lecanal Welland. En 1973, le volume du trafic avaitatteint 60,96 millions de tonnes, un nouveaurecord, et la quatrième hausse d’affilée en autantd’années. De même, un nouveau sommet—52,28millions de tonnes—était atteint sur la sectionMontréal-lac Ontario.

Le volume connut une chute prononcée sur lesdeux sections en 1974, en raison, d’une part, deconflits de travail et, d’autre part, du pire accident àsurvenir sur le canal Welland au cours de sesquarante-deux années d’exploitation. Le canal restafermé pendant quinze jours—du 25 août au 8

48 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Le 25 août 1974, un navire propriété d’une filiale de la

Bethlehem Steel, le Steelton, transitant par le canal Welland,

entra en collision avec le pont de Port Robinson. C’était le pire

accident à survenir en plus de quarante ans. La voie navigable

resta fermée jusqu’au 8 septembre. thies bogner

Page 43: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

septembre—après que le Steelton, un laquier longde 620 pieds, propriété d’une filiale de laBethlehem Steel, installée à Buffalo, eutcomplètement détruit un pont levant à PortRobinson. Selon un rapport de l’accident dans leToronto Star, la collision s’était produite à 4h20 dumatin, faisant trembler les maisons qui setrouvaient à proximité et éveillant la majeure partiedes habitants de la localité. Les contrepoids dupont, pesant chacun 300 tonnes, s’étaientretrouvés l’un profondément enfoncé dans lachaussée, au-dessous, l’autre dans la vase et lasaleté du fond du canal.

Après les revers de 1974, le volume desmarchandises transportées sur la Voie maritimes’accrut annuellement pendant quatre saisonsconsécutives. À la fin de la seconde décennied’exploitation, les deux sections servaientconjointement de passage, annuellement, à plus de74,3 millions de tonnes de fret, près de deux fois etdemie les volumes atteints en 1959. Mais les chiffresne dépeignaient qu’une partie de l’histoire.

«La Voie maritime s’est révélée l’un desinvestissements les plus remarquablementprofitables qu’ait jamais appuyés le Canada»,déclarait Ralph Misener, président du conseil deScott Misener Steamships, une société detransport maritime établie à St. Catharines, enOntario, dans une allocution prononcée à Regina,en janvier 1974, devant les membres de la PalliserWheat Growers’ Association. «La Voie maritime aconsolidé la position du Canada en tant que payspossédant une marine marchande virile. Elle aattiré de nouvelles cargaisons qui, auparavant,atteignaient la côte Est du pays par les chemins defer américains, et elle a généré de façon soutenuedes dividendes étonnants grâce au stimulant qu’ellea fourni au développement et au progrèséconomique.»

La vie était belle pour la Voie maritime, pour lessociétés de transport maritime ainsi que pour leshommes et les femmes à leur emploi. «En juillet

1976», se rappelle Bruce Duffett, un matelot de 3e

classe, dont la carrière sur les lacs s’est étendue surtrois décennies, «j’ai quitté Terre-Neuve en voiture,avec cinq camarades, pour me rendre à Toronto.Vous entriez au bureau d’embauche du syndicat desgens de mer, rue King, et le tableau d’affichage étaitcouvert d’offres d’emploi. Nous avons tous trouvédu travail sur les navires, ayant presque champ librequant au choix de nos postes. Je n’avais pas lamoindre expérience quand j’ai commencé.»

L’aide-mécanicien Jacques Dumont, unQuébécois originaire de Cap-Chat, en Gaspésie, aconservé des souvenirs semblables. «Vous pouviezmonter à bord d’un navire à l’écluse 1 du canalWelland et, si le capitaine ne vous plaisait pas,descendre à l’écluse 3, puis monter à bord d’un autrebâtiment. J’ai pris un emploi comme huileur àMontréal, uniquement dans le but de me rendre aubureau du syndicat, à Thorold, en Ontario. J’ai étérenvoyé à Cardinal, ai filé en autobus jusqu’à Thoroldet obtenu un autre emploi en moins de rien.»

3 · Croissance et optimisme | 49

Le terminal de l’Iron Ore Company of Canada, à Sept-Îles, au

Québec. Le minerai de fer et les céréales comptaient pour 79

pour cent du trafic sur la Voie maritime au cours des années

1970. cgvmsl

«Vous entriez au bureau d’embauche du syndicat desgens de mer, rue King, et le tableau d’a∫chage étaitcouvert d’o◊res d’emploi.»Bruce Duffett · matelot de 3e classe

Page 44: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Des douzaines de types de marchandises et deproduits divers transitaient par la Voie maritime àcette époque: de la pierre, du sel, du soufre, desproduits chimiques, du mazout et du ciment, pourn’en énumérer que quelques-uns. Mais les céréaleset le minerai de fer dominaient sans conteste lemarché. Sur une majorité d’années, cesmarchandises comptaient, en termes de volume,pour 70 pour cent environ des biens transportés, etla demande pour ces matières premières propulsales tonnages de la Voie maritime à des niveauxinconnus jusqu’alors.

Depuis des décennies, le Canada exportait dublé et d’autres grains cultivés dans les troisprovinces des Prairies. Mais ce commerce connut

des changements considérables au cours desannées 1960 et 1970, quand l’Union soviétiqueentreprit de négocier des achats importants de cesproduits. La Voie maritime tira des avantagesmajeurs de ce changement de donne. Tout au longdes années 1950, la Russie avait annuellementexporté de petits volumes de céréales,principalement dans le but d’en obtenir des devisesétrangères, mais de mauvaises récoltes, au débutdes années 1960, renversèrent le courant.

En 1962, le gouvernement communiste de NikitaKhrouchtchev annonça une augmentation des prixde la viande, du beurre et d’autres denrées depremière nécessité. Cette annonce déclencha desmouvements d’agitation un peu partout à travers lepays et, dans la ville de Novotcherkassk, des grèveset des manifestations.

Bien que le soulèvement ait été court etbrutalement réprimé, il eut néanmoins un effetdurable. L’année suivante, les autorités soviétiquesdonnèrent leur accord, pour la première fois, à des

50 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

«Gigantesque vente de blé en perspective; entente de500000000$ avec les Soviétiques»Globe and Mail, 14 septembre 1963

Le président de la Voie maritime, Paul Normandeau, à l’extrême

droite, rencontre une délégation de hauts responsables de

l’industrie soviétique du transport maritime en tournée au

Canada en décembre 1974, au moment où l’URSS procédait à des

achats records de céréales. cgvmsl

Page 45: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

importations massives de céréales. À l’été de 1963,des représentants d’Exportkhleb, l’agence d’Étatdont relevaient les ventes à l’étranger, se mirent à larecherche de grains céréaliers à acheter. Uneimportante délégation arriva à Ottawa fin août,établit ses quartiers au Château Laurier etentreprit des négociations avec le gouvernementcanadien.

Les entretiens se déroulaient en privé, maisaprès quinze jours de tractations à huis clos, lesecret commença à s’ébruiter. Le 14 septembre1963, le Globe and Mail titrait à la une:«Gigantesque vente de blé en perspective; ententede 500000000$ avec les Soviétiques». Deux joursplus tard, le ministre canadien du Commerceextérieur, Mitchell Sharp, et S.A.Borisov, premiersous-ministre du ministère soviétiquecorrespondant, signaient une entente qui prévoyaitl’expédition par le Canada de 228 millions deboisseaux de blé à la Russie et à ses satellitesd’Europe de l’Est. C’était, dans l’histoire duCanada, la plus importante transaction impliquantdes céréales.

«Cette annonce marquait un tournant dansl’histoire du commerce céréalier d’après-guerre,ainsi que dans l’histoire de l’Union soviétique elle-même», écrivait Dan Morgan dans son livreMerchants of Grain, paru en 1979. «La récolte decéréales avait connu un échec, mais, cette fois, l’onne demandait pas aux Russes de se serrer laceinture. À l’exemple de pays riches tel le Japon,Khrouchtchev couvrait le déficit par desimportations.»

Immédiatement après la signature du contrat,les Soviétiques commencèrent à dépêcher desflottes de cargos vers les ports canadiens del’Atlantique et du Pacifique, et le ministre duCommerce extérieur, Mitchell Sharp, affirmait auxjournalistes que la plus grosse part des céréalesseraient expédiées par le Saint-Laurent. L’effet decette décision devint rapidement apparent dans lesvolumes de céréales qui transitaient par Thunder

Bay, à l’extrémité ouest du lac Supérieur, et par laVoie maritime: 6,5 millions de tonnes en 1962, 8,8millions en 1963, 11,6 millions en 1964, 10,9 millionsen 1965 et 12,9 millions en 1966. Les Russespersistaient à acheter année après année parceque, écrivait Morgan, «l’agriculture soviétique […]continuait à représenter un échec désastreux encomparaison avec les normes de l’Occident. Lesfermes collectives et les fermes d’État étaientinefficaces pour toutes sortes de raisons—facilitésde transport insuffisantes, mesures incitativesinadéquates, investissements aux mauvais endroits,déprime rurale. […] Les échecs en matière derécoltes, quand ils se produisaient, étaienthabituellement colossaux.»

À la fin des années 1960, les autoritéssoviétiques tentaient d’accroître la taille de leurstroupeaux de bétail afin d’être en mesure de mettreplus de viande et de volaille sur les tables russes.Cela signifiait qu’au sein d’une société où sévissait lapénurie, d’énormes quantités de céréales servaientà l’alimentation animale. Peu avant Noël 1970, lerégime annonça que le prix des aliments allaitaugmenter, ce qui ne faisait qu’aggraver la situation.C’en était trop pour les travailleurs polonais desvilles de Gdansk et de Szczecin, qui se mirent engrève par mesure de protestation.

Peu de temps après, les Soviétiquesentreprirent une fois de plus de parcourir le mondeà la recherche de nouvelles sources de céréales.Dix-huit mois plus tard, ils effectuaient unetransaction qui demeure encore aujourd’hui la plusimportante de l’histoire du marché céréalier. Cettefois, ils avaient été capables de se ravitailler auprèsde sociétés privées américaines, parce que legouvernement des États-Unis avait levé les

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À la fin des années 1960, les autorités soviétiquestentaient d’accroître la taille de leurs troupeaux debétail afin d’être en mesure de mettre plus de viandeet de volaille sur les tables russes.

Page 46: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

restrictions visant les exportations destinées àl’Union soviétique. L’ampleur des achats de laRussie est évidente dans une note de l’Agencecentrale de renseignement des États-Unis,adressée à Carroll Brunthaver, secrétaire adjointdu département américain de l’Agriculture, le 31août 1972:

La somme totale des contrats de céréalespassés avec tous les pays contractantspour livraison au cours de l’exercicefinancier de 1973 s’élève maintenant à 24,2millions de tonnes, une valeur de près de1,5 milliard de dollars, soit trois fois laquantité importée au cours de l’exercice de

1972 et plus de deux fois le montant desachats effectués après les récoltesdésastreuses de 1963 et de 1965. Un contratrécent portant sur un million de tonnes degraines de soja destinées à l’alimentationanimale et à la fabrication d’huile végétaleporte le total des achats à près de 1,6milliard de dollars. Ces importations decéréales viendront en grande partie desÉtats-Unis, soit 17,5 millions de tonnes, lereste provenant du Canada, de France,d’Australie et de Suède.

Cette énorme transaction et d’autres survenuestout au long des années 1970 allaient mettre à dureépreuve les capacités du système canadien demanutention des céréales. Elles assuraient en outreque la Voie maritime fonctionnerait annuellementau maximum de sa capacité, ou tout près, depuis lemoment de l’ouverture de la navigation, auprintemps, jusqu’à celui de sa fermeture, au débutde l’hiver. Dans des centaines de localités des

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La pression qui pesait sur le transport des céréales fit en sorte que

la Voie maritime dut prolonger la saison de navigation et en hâter

l’ouverture. Dans cette photo, on aperçoit le vapeur Canadian

Hunter, propriété de Upper Lakes Shipping, qui redescend le Saint-

Laurent avec un chargement de céréales, le 26 mars 1974—date

d’ouverture la plus hâtive à ce moment-là. cgvmsl/ottawa citizen

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provinces des Prairies, les agriculteurstransportaient leurs céréales jusqu’à des silos àgrain répandus dans les campagnes. Les cheminsde fer en faisaient la collecte et les transportaientjusqu’à Thunder Bay, à l’époque l’un des ports lesplus grouillants d’activité au pays.

Selon le Greenwood’s Guide to Great LakesShipping, il y avait vingt et un silos terminaux à latête des Grands Lacs. Le plus petit pouvaitcontenir 1,75 million de boisseaux, le plus grandneuf millions. Plus de 1700 personnes travaillaientdans le port et, de temps à autre, les cours detriage étaient encombrées de quelque 8000wagons couverts attendant d’être déchargés. «Nous travaillions à plein rendement», se rappelleGene Onchulenko, un résident de Thunder Bay quiétait employé sur le front d’eau à l’époque. «Il yavait beaucoup plus de navires que maintenant.Nous chargions des céréales sans arrêt. Je merappelle un week-end où nous avons assuré ledépart de dix navires.»

Les céréales destinées à la Russie se rendaientà des terminaux détenus par des intérêtsaméricains à Baie-Comeau et à Port-Cartier, lesdeux ports en eau profonde, près de l’embouchuredu Saint-Laurent, qui avaient la capacité derecevoir les gros cargos de l’Union soviétique.Certains de ces cargos étaient de vieux pétroliersqui, nettoyés, avaient la capacité de transportertrois fois autant de fret qu’un laquier. Les céréalesd’origine américaine transitaient également versces terminaux par la Voie maritime, mais à raisond’une partie seulement, le reste étant exporté àpartir de Houston ou de La Nouvelle-Orléans.

«Je me souviens des files d’attente», déclareTom Brodeur, vice-président, Ventes et marketing àla société CSL, qui travaillait à l’époque sur les lacs.«Aujourd’hui, vous estimez qu’il y a problème sivous devez attendre une journée à Baie-Comeaupour décharger. La moyenne, à l’époque, était decinq jours environ. Il y avait des engorgementsconsidérables à tous les silos du Saint-Laurent.»

Bob Charman, un ancien vice-président, Ventes àla CSL, se rappelle les pressions extraordinaires quicaractérisaient alors le transport des céréales: «LesRusses exerçaient des pressions sur la Commissioncanadienne du blé, et celle-ci, en retour, faisaitpression sur nous pour accélérer l’acheminementdes cargaisons, parfois même quand la chose étaitpresque impossible, explique notre interlocuteur. Endécembre, le temps était horrible. Nous devionscomposer avec le brouillard, la glace, le vent, lagiboulée et la neige. C’était dur pour nos équipages.Nous courions beaucoup de risques.»

Et quand un navire avait déchargé ses céréalessur le Saint-Laurent, il y avait toujours du mineraide fer qui attendait à Baie-Comeau, à Port-Cartier,ou plus loin en aval, à Sept-Îles. En amont du fleuve,les cales à marchandises étaient toujours pleinesde minerai destiné aux aciéries de Hamilton ou deSault Ste. Marie, sur le côté canadien, ou deCleveland, de Detroit, ou d’autres centres, sur le

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Un auto-déchargeur débarque du charbon aux docks de Stelco

dans le port de Hamilton en novembre 1973. La production

mondiale d’acier connut un essor considérable au cours des

années 1970 et les usines canadiennes eurent parfois de la

di∫culté à se procurer su∫samment de minerai pour répondre

à leurs besoins. hamilton port authority

Page 48: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

côté américain. Pendant une bonne partie de ladécennie, les usines pouvaient à peine produireassez rapidement pour faire face à la demande.

La production mondiale d’acier s’accrut, passantde 650 millions de tonnes en 1971, à 705 millionsl’année suivante, et à 780 millions en 1973. Elle fit unautre bond important en 1974, pour atteindre 795millions, avant de chuter à 723 millions de tonnesen 1975. Elle reprit toutefois son élan un an plustard et augmenta annuellement jusqu’à la fin de ladécennie. En 1979, la production globale avaitatteint 827 millions de tonnes. Les industriescanadienne et américaine de l’acier avaient suivi

des trajectoires semblables et, dès le début de ladécennie, les dirigeants de l’acier manquaient demots pour décrire cette flambée d’activité.

«Je n’ai jamais rien vu de pareil», déclarait auFinancial Post, en juin 1973, Peter Gordon,président de la Steel Company of Canada, installéeà Hamilton. «Et le phénomène est le même danschaque pays producteur—aux États-Unis, enEurope de l’Ouest et au Japon.»

«Nous avons dû avancer de plusieurs annéesnotre planification en raison de l’essor inattendu dela demande», déclarait, de son côté, FrankSherman, président de la Dominion Foundries andSteel, également de Hamilton. «Notre taux deproduction, à l’heure actuelle, a déjà atteint leniveau prévu à l’origine pour 1976–1977.»

Le Financial Post rapportait, à l’automne de 1973,que toutes les principales aciéries canadiennesfonctionnaient à plein rendement et que le nombrede grands projets de nature industrielle etcommerciale alors à l’état de planification allaitmaintenir la demande à des niveaux très élevéspendant des années à venir. Les services publicsd’électricité prévoyaient que leurs besoinss’élèveraient à 1,2 million de tonnes entre 1974 et 1980pour des projets de production d’énergie déjà enmarche ou encore en voie d’élaboration. L’industriepétrolière et gazière avait besoin de 635000 tonnesd’acier afin d’accroître sa capacité de raffinage, deconstruire des usines pétrochimiques et de mettreen œuvre des projets d’exploitation des sablesbitumineux. De nouveaux ponts, des viaducs, desautoroutes en exigeraient 200000 tonnes.

First Canadian Place, une tour de bureaux desoixante-douze étages, appelée à devenir le siègede la Banque de Montréal, était en construction àl’angle des rues King et Bay, au centre-ville deToronto, et allait requérir 42000 tonnes d’acier deconstruction. Ce n’était là qu’un exemple de plusde cinquante projets de construction commercialeou industrielle qui nécessiteraient environ 816000tonnes d’acier.

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Des navires à quai, le long de la jetée no 21 de Dofasco,

déchargent du matériau en vrac destiné à l’industrie de l’acier.

hamilton port authority

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Les aciéries elles-mêmes étaient au nombre desutilisateurs du produit parce qu’elles étaient enexpansion en vue de faire face à la demande. Enjuin 1975, Algoma Steel, de Sault Ste. Marie, publiaitdes annonces pleine page dans la presse d’affaires,sous le titre: «Le Canada obtient quotidiennement5000 tonnes de plus de fer en fusion». La sociétéannonçait l’achèvement d’un nouveau hautfourneau—le no 7—une expansion de sesinstallations, qui avait coûté 50 millions de dollars.

«Pour fabriquer plus d’acier, Algoma a besoinde plus de fer, affirmait la société. Le haut fourneauno7 nous le fournira. Cet ouvrage fait 30 étages dehauteur et possède un creuset de 35 pieds dediamètre, ce qui en fait l’un des plus gros hautsfourneaux du Canada. Quand il aura atteint sonplein rendement, le no7 fournira à nos aciéries àl’oxygène suffisamment de fer en fusion pouraccroître notre production d’acier brut à 4000000de tonnes par an.»

Au même moment, Stelco entreprenait laconception d’un nouveau complexe intégré defabrication d’acier—le premier à voir le jour enAmérique du Nord en plusieurs décennies. Lasociété avait acquis 6600 acres de terre. Le coûtdu projet allait s’élever à 500 millions de dollars. Etil allait transformer du tout au tout la petitecommunauté agricole de Nanticoke, sur les rives dulac Érié, à soixante kilomètres à l’ouest de Hamilton.«L’accroissement de la production d’acier sur cettepropriété va mener Stelco fort avant dans le XXIe

siècle, écrivait W.L. Dack dans le Financial Post, etouvrira la voie à une capacité annuelle deproduction de plus de 12 millions de tonnes.»

Les mises de fonds de la Stelco liées au projetde Nanticoke s’accroissaient toutefois au momentoù la demande d’acier plongeait. Une récessionentraînée par la hausse des prix du pétrole et uneinflation galopante frappa l’économie en 1975. Laproduction mondiale d’acier chuta de neuf pourcent cette année-là et celle des États-Unis de vingtpour cent, tandis que l’industrie canadienne

produisait quatre pour cent de moins. Selon lejournaliste d’affaires canadien Peter Foster, ils’agissait du «revers le plus traumatisant del’histoire de cette industrie dans l’après-guerre».

Quand la récession prit fin, les producteursnord-américains d’acier furent confrontés à unautre défi embarrassant. De l’acier à bas prix enprovenance du Japon, d’Europe et de pays auxéconomies émergentes, dont le Brésil, la Corée duSud, et certains pays d’Afrique avait commencé àinonder le marché nord-américain et à gêner laproduction locale. L’industrie se colleta avec ceproblème pendant deux ans, jusqu’au moment où lareprise économique se fit sentir et, pour lesproducteurs canadiens d’acier, la décennie setermina à peu près comme elle avait commencé.

Leurs carnets de commandes étaient remplis.Les usines fonctionnaient à pleine capacité oupresque, et les sociétés faisaient état de robusteshausses de la production. Stelco et Algomaaccrurent chacune leur rendement de 12 pour centen 1978, et Dofasco de six pour cent. Vers la fin de1979, le Financial Post déclarait: «Les troisprincipaux producteurs d’acier voient peu denuages à l’horizon. Ils ont des commandes encarnet, la plupart de leurs clients sont assujettis àdes contingentements et ils ont été incapables derépondre à toutes les demandes d’exportation enprovenance des États-Unis.»

Les mouvements de céréales et de minerai defer—les navires en aval remplis à craquer decéréales, ceux en amont gonflés à bloc de minerai—avaient propulsé la Voie maritime et l’industrie dutransport maritime sur les Grands Lacs vers la

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Les mouvements de céréales et de minerai de fer—lesnavires en aval remplis à craquer de céréales, ceux enamont gonflés à bloc de minerai—avaient propulsé laVoie maritime et l’industrie du transport maritime surles Grands Lacs vers la meilleure décennie qu’ellesaient connue.

Page 50: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

meilleure décennie qu’elles aient connue. Pendantdes années, les aciéries et les centrales électriquesde l’Ontario avaient brûlé du charbon américain,transporté à bord de trains de 100 wagons, à partirde mines situées en Pennsylvanie, au Kentucky eten Virginie, avant d’être transbordé sur des laquiersà Toledo, Sandusky, Ashtabula et autres ports del’Ohio, puis transporté de là jusqu’à Hamilton,Toronto et Sault Ste. Marie. Entré en scène aumilieu des années 1970, le charbon canadien enprovenance de l’Ouest devint rapidement lamarchandise qui connut la plus forte croissanceparmi celles qui étaient transportées sur les lacs.

Dans le but de diversifier leurs sourcesd’approvisionnement, Hydro Ontario et lesproducteurs d’acier entreprirent d’acheter du ligniteen Saskatchewan et de la houille en Alberta et enColombie-Britannique. Stelco prit livraison de270000 tonnes en 1975, qui transitèrent par desinstallations existantes à Thunder Bay, et HydroOntario fit l’acquisition de 180000 tonnes. Mais cen’était là qu’un début. Un terminal charbonnieroccupant 236 acres était en construction sur l’îleMcKellar, à l’embouchure de la rivière Kaministiquia,qui se jette dans le lac Supérieur, à proximité deThunder Bay. La construction fut achevée àl’automne de 1978. Au cours de sa première annéecomplète d’exploitation, le nouveau terminal avaitmanutentionné 365000 tonnes de charbon. En1980, ce chiffre avait atteint 2,4 millions de tonnes.

Le réseau devait fonctionner avec le plusd’efficacité possible pour gérer les volumes enquestion, et l’Administration de la voie maritime mitsur pied nombre de mesures pour assurer ce bonfonctionnement, particulièrement par temps froid.

56 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Avec l’accroissement annuel du trafic le long de la voie

navigable, la congestion sur le canal Welland demeurait un défi

majeur. L’Administration de la voie maritime répondit à cette

situation en concevant et en produisant plusieurs prototypes

d’un remorqueur de manœuvre, capable de guider les navires à

l’entrée et à la sortie des écluses du canal. L’illustration ci-

dessus présente un écorché de ce type d’engin, pour en montrer

le fonctionnement. phil jenkins

«Exception faite de construire un nouveau canal, aucuneamélioration ne paraît o◊rir l’accroissement marqué decapacité qui nous permettra de continuer à utiliser nosinstallations pendant encore plusieurs années» Paul Normandeau · président de la Voie maritime, 1973–1980

Page 51: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Le directeur de l’exploitation, A.M. Luce, passa enrevue quelques-unes de ces mesures en février1974, à l’occasion de la conférence annuelle de laDominion Marine Association et de la LakeCarriers’ Association.

Des portes spécialement isolées avaient étéinstallées à l’écluse de Côte-Sainte-Catherine, demême qu’à l’écluse supérieure de Beauharnois, envue de réduire au minimum les accumulations deglace. La Voie maritime se livrait également à desexpériences qui consistaient en l’application d’unrevêtement époxydique aux murs d’écluses dans lebut d’y prévenir la formation de glace. Des busesétaient déjà en place à Saint-Lambert et à Côte-Sainte-Catherine pour chasser la glace des écluses,et on en installait à l’écluse supérieure deBeauharnois ce même hiver. «Nous avonsl’intention, poursuivait le conférencier, de continuerà étudier les problèmes liés aux biefs et structuresde divers canaux. Nous continuerons à moderniserles installations dans les écluses en vue d’améliorernotre capacité de fonctionner par temps froid.»

Deux ans plus tard, le président de la Voiemaritime, Paul Normandeau, s’adressant à uneréunion conjointe des deux organismes, décrivaitun projet encore plus ambitieux en vue d’accroîtrela capacité du réseau: la création de remorqueursde manœuvre qui seraient fixés à la poupe ou à laproue des navires transitant par le canal Welland,pour guider leur entrée et leur sortie des écluses.«Nous estimons qu’utilisés de concert avec unsystème précis de guidage, ces engins demanœuvre marins spécialement conçus offrent laméthode la plus directe et la moins coûteused’obtenir un accroissement important de lacapacité de notre Voie maritime, expliquait leprésident. Nous croyons que cette mesurepourrait suffire à répondre à la croissance dutrafic attendue au cours des vingt prochainesannées.»

Ces remorqueurs étaient des plateformessemblables à des barges. Ils faisaient cinquante-

deux pieds de largeur et dix-huit pieds deprofondeur, et l’un de leurs flancs se distinguait parun cran en V, destiné à recevoir la proue d’un navire.Un seul engin de fabrication japonaise, d’unepuissance de 3600 hp, actionnait deux propulseurs,ou hélices, larges de six pieds, situés aux deuxangles. Ces propulseurs avaient la capacité dedéplacer le navire vers la gauche ou la droite, ou dele faire avancer ou reculer. Leur mise en serviceéliminerait, pour le capitaine et l’équipage, lanécessité d’avoir recours au mur de guidage pourengager le navire dans une écluse. Ils donneraientaussi suffisamment de stabilité pour que l’équipagen’ait plus à amarrer le navire avant que le niveau del’eau soit élevé ou abaissé dans l’écluse.

3 · Croissance et optimisme | 57

La Voie maritime acheta deux vieux navires en vue de procéder à

des essais sur l’eau avec ces remorqueurs. La photo ci-dessus

montre un essai particulièrement bien réussi, avec le Marinsal,

sur le canal Welland, vers 1979. phil jenkins

Page 52: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Le président estimait que la Voie maritimeaurait besoin d’une flotte de trente remorqueurs,au coût total de 50 à 65 millions de dollars, chiffrequi fut par la suite porté à 100 millions. Les étudestechniques de la Voie maritime prévoyaient queces remorqueurs pourraient réduire de 20 pourcent le temps qu’un navire mettait à franchir uneécluse. «Exception faite de construire un nouveaucanal, aucune amélioration ne paraît offrirl’accroissement marqué de capacité qui nouspermettra de continuer à utiliser nos installationspendant encore plusieurs années», déclara leconférencier.

Le programme de remorqueurs n’en étaitencore qu’à ses débuts au moment où le présidentNormandeau avait pris la parole devant lesreprésentants de l’industrie du transport maritimeet, au cours des cinq années qui suivirent, lesingénieurs de la Voie maritime soumirent lesplateformes à des essais sur l’eau. L’organismeacquit deux vieux navires en vue de ces essais, leMarinsal, un bâtiment jaugeant 8600 tonneaux, etle Menihek Lake, dont la capacité s’élevait à 36400tonneaux. Les remorqueurs furent soudés à laproue et à la poupe des deux navires parce que, àl’époque, les ingénieurs n’avaient pas encoredéterminé la meilleure façon de fixer lesplateformes aux divers types de navires auxquelsils auraient affaire.

Ces remorqueurs fonctionneraient sanséquipage. Des câbles ombilicaux devaient relier laplateforme à une console portable, installée sur lapasserelle, d’où le capitaine contrôlerait lemouvement du navire. Les essais expérimentauxconsistaient à faire transiter les navires par le canalWelland, et les nouveaux engins réalisèrent ce quel’on attendait d’eux, selon un rapport paru dans leFairplay International Shipping Weekly daté du 17mai 1979 : «La manœuvrabilité a été jugéeexceptionnelle, rapportait la revue spécialisée. Lepositionnement peut être maintenu avec précision,sous toutes les conditions de courant et de vents,

au moyen d’un réglage soigneux des commandesdu propulseur.»

Les remorqueurs en étaient encore au stadeembryonnaire de leur développement, et la Voiemaritime continua pendant plusieurs années deperfectionner le concept. Entre-temps, l’industrieprivée exerçait des pressions sur l’Administrationde la voie maritime en vue de garder le réseauouvert de plus en plus longtemps chaque année et,ainsi, de prolonger la saison de navigation. En 1974,l’Administration de la voie maritime annonça lafermeture du canal Welland pour le 30 décembre.Mais Stelco et plusieurs autres entreprises firentpression pour un délai, et l’Administrationprolongea l’ouverture du canal jusqu’au 17 janvier1975, soit dix jours de plus que le record précédent,établi trois ans auparavant.

Les autorités américaines, elles, allèrentencore plus loin. Pour la première fois dansl’histoire de la Voie maritime, elles gardèrentouvertes tout l’hiver les écluses de Sault Ste.Marie, en grande partie pour répondre au désir dela US Steel et du directeur de sa division maritime,William H. Ransome, un ardent défenseur de lanavigation à longueur d’année. À la mi-février, neufdes quarante navires de l’entreprisetransportaient encore du charbon, des boulettesde minerai de fer et de la pierre à chaux depuisTwin Harbors, au Minnesota, aux usines de lasociété, à Chicago. À la mi-mars, le nombre denavires était tombé à cinq. «Mais ces navires»,écrivait John Dalrymple dans Canadian Shippingand Marine Engineering, «barattaient encore dansles écluses du “Soo” et se faufilaient à travers lesdétroits de Mackinac en dépit des avertissementsdes assureurs.»

À la même époque, les gouvernementscanadien et américain, de même que ceux del’Ontario et du Québec, et ceux de six Étatsaméricains avaient contribué financièrement à uneétude de plusieurs millions de dollars, dont le butétait d’en arriver à prolonger la saison de

58 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Des scientifiques tentaient de déterminer lesmoyennes relatives aux conditions de la glace sur lesGrands Lacs.

Page 53: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

navigation. Des scientifiques tentaient dedéterminer les moyennes relatives aux conditionsde la glace sur les Grands Lacs et se livraient àl’examen de diverses méthodes destinées à réduireles accumulations de glace dans les canaux et lesécluses. Des chercheurs examinaient la possibilitéd’installer des diffuseurs de bulles d’air sur le soldes écluses pour pousser vers le haut de l’air pluschaud, de façon à maintenir l’eau à la surface au-dessus du point de congélation. Ils envisagèrentégalement l’éventualité d’installer des conduites dechauffage le long des murs d’écluses. L’autre défiqui se posait était de garder libres les couloirs denavigation sur les lacs et les rivières. Leschercheurs examinèrent la possibilité d’accroître lavitesse d’écoulement des eaux des rivières et cellede détourner vers la Voie maritime des effluentsd’eau chaude en provenance d’usines et decentrales électriques.

Les technologies de déglaçage paraissaient lesplus prometteuses. Pendant plusieurs hivers, àpartir de 1974–1975, la Garde côtière canadienne selivra à des essais avec des brise-glaces, de mêmequ’à des expériences avec une technologie decoussins d’air élaborée à Calgary en vue d’une

utilisation dans l’Arctique. C’est cette dernièretechnologie qui se révéla la plus efficace, selon BillO’Neil, qui était alors commissaire de la Gardecôtière. Des véhicules à coussin d’air pouvaientêtre attachés sur le devant de brise-glaces ou êtreautopropulsés, comme un aéroglisseur. Des jupessouples en caoutchouc étaient tendues comme unrideau de douche sur le pourtour d’une barge defaçon à créer un coussin d’air qui soulevait levaisseau au-dessus de la surface de l’eau et luipermettait de se déplacer en direction d’unenappe de glace. Le poids du vaisseau produisaitdes vagues sous la glace, et le mouvement desvagues entraînait le bris de la surface glacée et sadispersion.

En février et mars 1976, la Garde côtière fit sur leSaint-Laurent l’expérience de cette nouvelletechnologie, couplée à celle de brise-glacestraditionnels, aussi bien en amont qu’en aval deMontréal. «Ces progrès laissent entrevoir des

3 · Croissance et optimisme | 59

Le CSL Saguenay, un navire long de 730 pieds, en route vers

Hamilton, depuis Sandusky, en Ohio, avec une cargaison de

charbon, quitte l’écluse 7 le 4 janvier 1974. Le Saguenay fut le

dernier navire à traverser le canal Welland cette année-là. cgvmsl

Page 54: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

possibilités séduisantes dans le domaine destechnologies du déglaçage, écrivait peu après BillO’Neil dans Canadian Shipping and MarineEngineering. Ils favorisent notre objectif, qui consisteà allonger la saison de navigation sur le réseauGrands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent.»

La prolongation de la saison resta un sujet dedébat et d’étude jusqu’à la fin de la décennie. En1978, à l’occasion de la rencontre conjointe de laDominion Marine Association et de la LakeCarriers’ Association, plusieurs experts livrèrentdes communications sur les avantages et lesinconvénients de pareille mesure. La navigation àlongueur d’année sur l’ensemble ou, à tout le moins,sur une partie du réseau permettrait une utilisationplus rationnelle du capital investi dans le transportmaritime. Les ports pourraient être utilisés defaçon continue. Les manufacturiers seraient enmesure de fonctionner avec des stocks moindresde matières premières, et les emplois saisonniersseraient transformés en travail à plein temps.

Mais il y aurait aussi de nombreux inconvénients.Les conditions de travail à bord des navires, dansles ports ainsi que dans les écluses et sur les canauxdeviendraient plus ardues. Les frais d’assuranceaugmenteraient. Les systèmes diffuseurs de bullesd’air, les estacades à glace et les aides à lanavigation devraient être améliorés et modifiés. La

Garde côtière devrait mener des opérationsininterrompues de reconnaissance aérienne surl’état des glaces et briser la glace sur les couloirs denavigation de façon à les garder ouverts.

Le Corps of Engineers de l’armée américaineentreprit une étude sur la navigation d’hiver et envint à la conclusion qu’elle vaudrait aux États-Unisdes bénéfices substantiels. Toutefois, avantd’engager des dépenses en immobilisations pourprolonger la saison, l’Administration de la Voiemaritime retint les services de la firme LBAConsulting Partners, d’Ottawa, pour évaluer lesretombées économiques de pareilles mesures. Lesconsultants déposèrent leur rapport en octobre1978. Ils en étaient venus à la conclusion que leCanada et les États-Unis devraient investir 30millions de dollars pour prolonger la saison jusqu’àneuf mois et demi, et 440 millions, en excluant lecoût de brise-glaces, pour la porter à onze mois.

Tout au long des années 1970, les sociétés detransport maritime firent leur part pour accroître levolume des marchandises transitant par la Voiemaritime. Elles poursuivirent les programmes derenouvellement de leurs flottes qui avaient étéamorcés dans les premières années d’exploitationdu réseau. La plupart des nouveaux navires furentconstruits selon les spécifications maximalesadmissibles sur la Voie maritime. Des améliorationsapportées à la conception des coques et des cales

60 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Détail d’une publicité de la société Stephens-Adamson pour le

système d’auto-déchargement dit de «boucle en C». Cette

réclame a paru dans un magazine canadien de transport

maritime dans les années 1970. Le texte explique comment la

société, alors installée à Belleville, en Ontario, avait conçu et

fabriqué des systèmes d’auto-déchargement depuis 1908.

Page 55: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

permirent d’accroître les tonnages. Maisl’innovation la plus marquante de la décennie futincontestablement la mise au point du systèmed’auto-déchargement appelé «de boucle en C».

Les technologies d’auto-déchargement étaienten usage sur les Grands Lacs depuis le milieu desannées 1920 et, au fil des ans, les sociétés detransport maritime avaient investi dans des systèmesaméliorés. Au début des années 1960, deux types detechnologie étaient monnaie courante: l’un utilisaitdes élévateurs à godets, l’autre comptait sur unesérie de courroies inclinées pour élever lescargaisons depuis le sol des cales jusqu’à la flèche dedéchargement sur le pont et sur le rivage.

Selon Ed DeRoche, vice-président directeur ausein de CSL International, à Boston, c’est uningénieur de la Canada Steamship, Bill Johnston,qui proposa l’idée de la boucle en C à la fin desannées 1960. Ce dispositif utilisait deux largescourroies qui, comme le pain dans un sandwich,retenait les marchandises en place tandis qu’ellesétaient hissées en vue du déchargement. «À laCSL, nous prenions toutes sortes de mesures pouraccroître le taux de déchargement, explique notreinterlocuteur. La saison n’avait que neuf mois etnous voulions déplacer plus de tonnes demarchandises. L’une des options à notre dispositionconsistait à améliorer les déchargeurs.»

Pour mettre au point la boucle en C, CSLs’associa avec la division Stephens-Adamson de Allis-Chalmers Canada. Ed DeRoche s’était joint à la CSLau début de 1972 et se rappelle avoir vu un modèlede mise au point technique de ce dispositif sur undes chantiers de la division Stephens-Adamson, àBelleville, en Ontario. Au milieu des années 1970, lenouveau système avait été mis en place à bord dequatre navires de la CSL, le J.W. McGriffin, le H.M.Griffith, le Louis R. Desmarais et le Jean Parisien. Enpeu de temps, les concurrents commencèrent euxaussi à adopter cette technologie.

La boucle en C présentait plusieurs avantages.«Une fois que vous aviez placé la marchandise

entre les deux courroies, elle y restait, précise M. DeRoche. Le déchargement s’accomplissaitbeaucoup plus proprement parce qu’il y avaitmoins de débordements. Le matériel était d’unentretien plus facile, et le dispositif lui-même étaitbeaucoup plus rapide que tout autre système. Onpouvait décharger à un rythme de 6000 tonnes àl’heure. C’était du jamais vu.»

§ Les années 1970 furent des années pleinesd’entrain et d’optimisme. L’humeur du tempsappelait à la fête au moment où s’achevait ladécennie. La Voie maritime marqua son vingtièmeanniversaire par des cérémonies, le 7 septembre1979, dans les sections est et ouest du réseau. Enmatinée, une foule de 600 personnes se joignit auxreprésentants des gouvernements canadien etaméricain pour une cérémonie d’hommages, tenuedevant l’écluse Eisenhower sur le Saint-Laurent,tandis que quelque 200 personnes participèrent àune cérémonie semblable sur le canal Welland aucours de l’après-midi.

«Au moment où la Voie maritime s’apprête àentreprendre sa troisième décennie d’existence,déclara l’ambassadeur du Canada aux États-Unis,Peter M. Towe, c’est avec plaisir que nousentrevoyons la poursuite de notre collaborationavec nos homologues américains. L’on peut direque les rêves qui unissent deux pays comme lesnôtres sont beaucoup plus forts que ceux qui lesdivisent. La Voie maritime du Saint-Laurent est unexemple éclatant des rapports qui caractérisent lesrelations entre les États-Unis et le Canada.»

Le sous-secrétaire d’État américain, Luther H.Hodges, parla avec une éloquence semblable. «LaVoie maritime sert de modèle à d’autres pays dumonde, déclara-t-il. Elle m’apparaît comme unruban qui relie nos deux pays. Comme nous auronsl’occasion de le constater au cours des vingtprochaines années, la Voie maritime est appelée àjouer un rôle de plus en plus vital dans les affairesdu monde.»

3 · Croissance et optimisme | 61

Les années 1970 furent des années pleines d’entrain etd’optimisme. L’humeur du temps appelait à la fête aumoment où s’achevait la décennie.

Page 56: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

L’air était frais et humide le matin du 24 mars 1980,en raison d’une tempête qui, au cours de la nuit,avait répandu de la pluie et de la neige mouillée surune grande partie du sud de l’Ontario. Dans lapéninsule du Niagara, les températures oscillaientautour du point de congélation, engourdissant defroid quelques centaines de braves—des employésde la Voie maritime, des retraités, des mordus dutransport maritime et des politiciens locaux—quis’étaient réunis peu avant 10h30, à l’écluse 3 ducanal Welland, pour la cérémonie dite du haut-de-forme, qui marque annuellement le passage dupremier navire de la saison dans la Voie maritime.

C’est au H.M. Griffith—battant pavillon de laCanada Steamship Lines—que revenait cet honneur.C’était l’ouverture la plus hâtive de la Voie maritimeen ses vingt et une années d’existence, mais letemps faisait des siennes. Le Griffith étaitimmobilisé à l’écluse 2, en raison d’une accumulationde glace. Les éclusiers travaillaient avec des gaffes

pour dégager le navire et les dignitaires de la Voiemaritime ne cessaient de consulter leurs montres.En fin de compte, à 11h20, la cérémonie dut êtredéplacée sur les lieux où se trouvait le navire. Àmidi, le maître du Griffith, le capitaine Jim Playford,mit pied à terre et le vice-président de la région del’Ouest, Malcolm Campbell, lui présenta le haut-de-forme symbolique. «J’espère que vous ne penserezpas que c’est ainsi que nous exploitons le canalWelland pendant toute la saison, dit le vice-président Campbell à la foule. Nous avonsl’habitude d’être beaucoup plus efficaces.»

Le personnel du canal prouva rapidement quece n’étaient pas là de vains mots. Au coucher dusoleil, le H.M. Griffith filait gaiement sur le lac Érié,à destination de Cleveland, pour y prendre unecargaison de charbon, et cinq autres naviresavaient transité par le canal. La section est de laVoie maritime était également entrée en service cejour-là et, avec la bousculade et l’agitationhabituelles, une nouvelle saison de transportmaritime venait de s’amorcer.

Au sein de l’Administration de la voie maritime,toutefois, les choses étaient loin de tournerrondement. L’organisme vivait une transitionmajeure. Paul Normandeau avait démissionné enjanvier 1980, après avoir occupé pendant sept ansle poste de président. Le pays était en périodeélectorale au niveau fédéral, et la campagne prit finau début de février, Pierre Trudeau et le Partilibéral obtenant une majorité. Jean-Luc Pepin,devenu ministre des Transports, annonçait le 4juillet la nomination de Bill O’Neil au poste deprésident de l’Administration de la voie maritime.

Pour M. O’Neil, un ingénieur civil âgé de 53 ansqui avait grandi à Ottawa et étudié à l’Université deToronto, cette nomination représentait en quelquesorte un retour au bercail, puisque plus tôt dans sacarrière il avait été pendant seize ans cadresupérieur à la Voie maritime. «Cela faisait bon derevenir, se rappelait-il lors d’une entrevue accordéeplusieurs années plus tard. Je me sentais tout à fait

62 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

4 | Des années di∫ciles, 1980–1992

La cérémonie annuelle dite du haut-de-forme, antérieure à

l’existence de la Voie maritime, marque le passage du premier

navire de la saison sur le canal Welland au printemps.

L’événement photographié ici se tint sur le pont d’un auto-

déchargeur remontant, amarré à l’écluse 3. thies bogner

Page 57: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

chez moi. Je connaissais le réseau. Pas de courbed’apprentissage pour moi à surmonter au momentde mon entrée en fonction.»

Bill O’Neil s’était joint en 1955 à l’Administrationde la voie maritime du Saint-Laurent, qui venaitalors d’être mise sur pied. Il avait quitté un poste ausein de la division des services de canaux duministère des Transports, à Ottawa, pour rejoindreun groupe d’ingénierie à Montréal, au sein duquel ilavait travaillé brièvement aux études préparatoiresdu canal de la Rive Sud. Peu de temps après, ils’installait à St. Catharines pour superviser ledragage du canal Welland, de même que les autresaméliorations nécessaires pour faire en sorte que lavieille voie maritime serait compatible avec lanouvelle.

Au moment de sa démission de la Voiemaritime, en 1971, M. O’Neil était responsable de laconception et de la réalisation du projet dedétournement du canal Welland. Son personnelavait mené les études de faisabilité, mis sur pied leséquipes d’ingénieurs et accordé les contrats aux

sociétés externes qui devaient exécuter le gros dutravail. Il quittait la Voie maritime pour devenircommissaire de la Garde côtière canadienne, àOttawa. Quand, neuf ans plus tard, il revint sur unterrain qui lui était familier, il faisait néanmoins faceà des défis bien différents de ceux que sonprédécesseur avait dû relever.

Le pays était sous le coup d’une récession, lapire, au dire de certains observateurs, depuis laCrise des années 1930. L’économie avait étéparalysée par une inflation galopante, un taux dechômage élevé, des hausses de taux d’intérêt quibattaient tous les records, la flambée des prix dupétrole et des déficits gouvernementaux qui necessaient de croître. Les dépenses de

4 · Des années difficiles | 63

Présentation du haut-de-forme au capitaine Ted Courtemanche,

du NM Meaford, un navire de la société Upper Lakes Shipping,

le 29 mars 1974. Les trois hommes à droite sont Allan Luce, alors

directeur de l’exploitation à l’Administration de la voie

maritime; Tom Quigg, vice-président; et Malcolm Campbell,

directeur de la région de l’Ouest. cgvmsl

Page 58: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

consommation fléchissaient. Les ventes de voituresétaient en baisse. L’industrie canadienne de l’acier,quant à elle, souffrait d’un excédent de capacité etbaignait dans d’importants déficits. La demande deminerai de fer—l’une des deux marchandises quiconstituaient la pierre angulaire de la Voie maritime—s’effondra abruptement. Les expéditions decéréales américaines étaient elles aussi en baisseen raison de l’évolution de la scène politiqueinternationale. L’Union soviétique avait envahil’Afghanistan au début de 1980, entraînant, de lapart de Washington, un embargo sur lesexpéditions de céréales en direction des pays dubloc communiste.

Les exportations de céréales canadienness’accrurent toutefois—l’un des rares motifs d’espoirdans le cours d’une année qui vit l’ensemble desvolumes de marchandises décroître de 10 pour

cent sur les deux sections de la Voie maritime. Aucours des deux saisons suivantes, l’industrie dutransport maritime continua d’éprouver les effetsde la récession. La Dominion Marine Associationrapporta que 12 pour cent de la flotte canadienneétait paralysée en 1981 et que, l’année suivante, 20pour cent des navires étaient immobilisés. Lasituation était encore pire du côté américain, où uncinquième de la flotte était inactive en 1981, et 41pour cent en 1982.

En 1981, les deux flottes, canadienne etaméricaine, ainsi que des océaniques d’origineétrangère transportèrent 50,6 millions de tonnessur la section Montréal-lac Ontario, et 58,9 millionsde tonnes le long du canal Welland, en gros lemême tonnage que l’année précédente. Mais, en1982, le volume des marchandises décrut de 15 pourcent sur la section est, et de 17 pour cent sur lasection ouest. Les revenus d’exploitation de la Voiemaritime s’affaissèrent de tout près de 10 millionsde dollars, pour s’établir à 52 millions de dollars.Selon le rapport annuel de 1982, l’Administration dela voie maritime fut forcée d’effectuer «certainescoupures importantes dans son budgetd’exploitation et d’entretien en vue de maintenir uncapital de roulement suffisant». L’une des victimesde ces mesures d’austérité fut le programme deremorqueurs, qui dut être mis en veilleuseindéfiniment.

La conjoncture était difficile, mais lesdirigeants de la Voie maritime restaient optimistesquant à l’avenir. «Nous connaîtrons une baissecette année, avouait le président dans uneentrevue accordée au Globe and Mail en juin 1982mais, l’an prochain, nous pourrions bénéficierd’une hausse substantielle. C’est un rendement endents de scie—toujours à la hausse—et il nous fautconstamment conserver un pas d’avance sur lademande.»

L’optimisme du président était fondé sur deuxrapports consacrés aux perspectives d’avenir à longterme de la Voie maritime. En 1981, le groupe

64 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

En 1984, la Voie maritime organisa une cérémonie pour marquer

vingt-cinq années d’exploitation du réseau. Sur cette photo, Bill

O’Neil, alors président de la Voie maritime, observe Lionel

Chevrier, au moment où il allume les bougies du gâteau

d’anniversaire. gracieuseté de bernard chevrier

Les exportations de céréales canadiennes s’accrurenttoutefois—l’un des rares motifs d’espoir dans une annéequi vit l’ensemble des volumes de marchandises décroîtrede 10 pour cent sur les deux sections de la Voie maritime.

Page 59: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

d’étude sur les Grands Lacs mis sur pied parl’Ontario en venait à la conclusion qu’en 1985,l’accroissement du trafic serait cause de congestionet que la Voie maritime atteindrait sa capacitémaximale de transit peu de temps après.

La seconde prévision relative au trafic fut émisepar Acres Consulting Services, de Toronto, et DataResources, de Lexington, au Massachusetts.L’Administration de la voie maritime et la SaintLawrence Seaway Development Corporation avaientcommandé ce rapport au début de 1980, et les deuxfirmes présentèrent les résultats de leur enquête enfévrier 1982. Elles concluaient que «les mouvementsdu trafic sur les deux sections, Welland et Montréal-lac Ontario, [allaient s’accroître,] mais à un rythmeplus lent que par le passé».

Les experts-conseils prévoyaient que le traficsur la section Montréal-lac Ontario atteindrait 60 millions de tonnes en 1985, et 80 millions detonnes en 2000. Ils faisaient preuve d’optimismequant aux perspectives d’avenir du canal Welland,estimant que les volumes de marchandisesatteindraient près de 70 millions de tonnes en 1985,et 90 millions de tonnes au tournant du siècle. Enfait, tant la section est que la section ouestconnurent une remontée modeste du trafic en 1983,et de nouveau en 1984. Mais l’ensemble du réseausubit deux revers inattendus qui remirent enquestion la réputation de la Voie maritime en tantque voie navigable sécuritaire et fiable.

Le premier incident se produisit à 7h30 dumatin le 21 novembre 1984. L’on était en train desoulever la travée mobile d’un pont levant près deValleyfield, au Québec, pour livrer passage à unnavire. Cette travée faisait 215 pieds de long, pesait1400 tonnes et n’était qu’une section d’uneautoroute combinée avec un passage de chemin defer au-dessus du canal de Beauharnois, qui faisait3300 pieds de large. Le pont avait été érigé aumoment de la construction de la Voie maritime, etétait en exploitation depuis vingt-cinq ans. Desmilliers de fois la travée avait été soulevée sans

incident à une hauteur de 114 pieds et demi, puisramenée à niveau. Cette fois-ci, elle se coinça àenviron un quart de sa montée.

«Le coordonnateur du canal de Beauharnoisappela au secours et un groupe d’entre nous serendit sur les lieux», se rappelle Pat Dalzell, quiétait alors ingénieur des contrats régionaux aucentre d’entretien de la Voie maritime, à Brossard.«Nous ne savions pas ce qui avait pu se produire.Ma première réaction fut de me dire que nousétions dans un sale pétrin. L’hiver approchait et ilnous fallait faire sortir les océaniques.»

En fait, les navires immobilisés commencèrentbientôt à s’accumuler sur les eaux du lac Saint-François, à l’ouest du canal de Beauharnois, et surle lac Saint-Louis, à l’est. Le 26 novembre, la Pressecanadienne rapportait que trente-deux navires enaval et vingt-huit en amont étaient à l’ancre entreMontréal et Prescott. Vingt-deux autresocéaniques se trouvaient ailleurs sur le réseau, au-delà de Prescott.

4 · Des années difficiles | 65

L’Administration de la voie maritime dut dépêcher sur les lieux,

depuis Montréal, une grue flottante autotractée, munie d’une

flèche de 250 pieds, pour dégager la poulie et l’arbre endommagés.

Cette photo montre la grue flottante et la travée du pont, coincée à

environ un quart de sa montée. cgvmsl

Page 60: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Pendant ce temps, des efforts frénétiques étaienten cours pour réparer le pont. Pat Dalzell et sescollègues avaient rapidement compris ce qui s’étaitproduit. Le mécanisme élévateur comprenait quatregrosses poulies, deux pour chaque pylône du pont.Celles-ci faisaient 15 pieds de diamètre et 46 poucesde largeur au moyeu. Seize câbles d’acier mesurantdeux et un huitième de pouces de diamètre étaienttendus sur chacune des poulies. Les câbles étaientattachés à la travée et aux contrepoids de béton, unpour chaque pylône, pesant chacun 750 tonnes etenfermés dans un coffre d’acier.

Quand un navire transitait par le canal, lespoulies pivotaient environ deux fois et demie surun arbre, qui faisait quelque deux pieds dediamètre et neuf pieds de long. De chaque côté, lescontrepoids s’abaissaient au fur et à mesure que latravée s’élevait. Une fois passé le navire, lamanœuvre était renversée. La travée descendait,les contrepoids remontaient, et les pouliespivotaient deux fois et demie. Après un quart desiècle d’utilisation et des milliers de tours à hautecontrainte, l’arbre d’acier forgé de l’un des moyeuxs’était fendu et brisé, entraînant l’affaissement de lapoulie contre le pylône.

La Voie maritime dut s’en remettre à desentrepreneurs de l’extérieur pour réparer le pont,puisqu’elle ne possédait ni le personnel nil’outillage nécessaires. Le premier défi, explique M.Dalzell, consistait à édifier deux pylônestemporaires pour supporter la travée et lescontrepoids. Une fois cette tâche accomplie, lesentrepreneurs tournèrent leur attention versl’enlèvement de la poulie fracassée. La Voiemaritime dépêcha sur les lieux, depuis Montréal,une grue flottante autotractée, de type Hercules.Cette grue faisait 75 pieds sur 200 et étaitnormalement utilisée pour lever les portesd’écluse quand elles avaient été accidentellementendommagées par des navires. Une grue de 200tonnes munie d’une flèche de 250 pieds fut placéesur le pont de la grue Hercules et positionnée envue de la manœuvre à effectuer.

C’est alors que la température se mit à faire dessiennes. Pat Dalzell se rappelle que plusieurs joursde grands vents et d’eau agitée empêchèrent dedégager la poulie, lourde de trente tonnes, dupylône contre lequel elle reposait et de l’abaissersur le pont de la grue Hercules. «Le moindre ventexagérait le mouvement au sommet de la flèche,explique-t-il. Pendant quelques nuits, je dus dormirsur une table à dessin, dans une roulotte installéesur le chantier, et le grutier dormait sur le sol, à mescôtés. Nous espérions que le vent s’apaiserait juste

66 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

«Pendant quelques nuits, je dus dormir sur une table àdessin, dans une roulotte installée sur le chantier, et legrutier dormait sur le sol, à mes côtés.»Pat Dalzell · ingénieur à la Voie maritime

Cette photo montre la flèche de 250 pieds en position verticale,

prête à enlever le matériel endommagé. Le mauvais temps

entrava les e◊orts de réparation. Plusieurs jours de vents forts et

d’eau agitée empêchèrent de soulever la poulie, qui pesait

trente tonnes. cgvmsl

Page 61: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

avant le lever du soleil, pour nous permettred’abaisser le faisceau.»

La poulie contenant dans son moyeu l’arbrefracassé fut portée dans un atelier d’usinage de laDominion Bridge, à Lachine et, une fois de plus, undéfi d’importance se posa, celui de retirer l’arbrede sa gaine. John Vazalinskas, qui était alorsingénieur de l’entretien général de la région Est dela Voie maritime, supervisa ce travail. «Peu importece que nous tentions, nous n’arrivions pas à retirerles morceaux.»

On tenta d’abord de jumeler azote liquide etlampe à souder, avec l’espoir que le froid de l’azoteamènerait l’arbre à se contracter, tandis que lachaleur de la flamme dilaterait le moyeu de lapoulie. Cette méthode ayant échoué, la poulie futplacée sur une presse de 1000 tonnes, cette foisdans l’espoir de forcer la sortie de l’arbre de sonmoyeu. Plutôt, c’est la presse qui se tordit.

En fin de compte, M. Vazalinskas et l’équipe dela Dominion Bridge décidèrent de forer l’arbre horsde sa gaine. La poulie fut cramponnée au plateautournant d’un tour vertical, un dispositif semblableà un tour conventionnel, qui entreprit d’aplanirl’arbre à partir de son centre en direction de sacirconférence. «Nous avons aplani vingt-quatreheures par jour pendant quelques jours, serappelle-t-il. J’étais incapable de dormir, la plupartdu temps, et je me tourmentais comme un père quiattend la naissance de son enfant.»

Le pont fut enfin remis en service le 9décembre—dix-neuf jours après la panne. Centsoixante-cinq navires attendaient alors de pouvoirpoursuivre leur voyage, 104 en aval et 61 en amont.Grâce au beau temps,—et à un effort extraordinairede la part du personnel de la Voie maritime, despilotes et des équipages—à la date du 15 décembrel’arriéré avait été surmonté.

La Voie maritime resta ouverte, cette saison-là,jusqu’au 2 janvier 1985, et le pont de Valleyfield demême qu’une seconde structure, semblable, le longdu canal de Beauharnois, furent maintenus en

position levée jusqu’à la fermeture du réseau pourl’hiver. Les ingénieurs de la Voie maritime avaientdécouvert des fissures dans plusieurs autresarbres, et l’entreprise ne pouvait courir le risqued’une seconde défaillance. Les travées de tous lesponts levants de la région de l’Est furent enfinabaissées après que le dernier navire fut sorti duréseau, et les pièces défectueuses furentremplacées au cours de l’hiver.

De nombreuses pressions avaient pesé toutl’automne sur les employés de la Voie maritimechargés de remettre en service le pont deValleyfield, mais leurs efforts furent reconnus.«Plusieurs d’entre nous reçûmes des lettres duministre fédéral des Transports à l’époque, DonMazankowski, se rappelle M. Vazalinskas. Il nousremercia personnellement de la contribution quenous avions apportée à l’économie canadienne.»

La section juridique de la Voie maritime, elle,était encore aux prises avec les répercussions dela panne du pont de Valleyfield, soit des

4 · Des années difficiles | 67

Une grue abaisse une poulie, faisant quinze pieds de diamètre,

depuis la tour du pont de Valleyfield. Ces poulies pivotent sur

un arbre d’acier et supportent les seize câbles d’acier qui servent

à élever et à abaisser la travée du pont. Des fissures apparues

dans l’arbre avaient empêché la poulie de pivoter au moment où

l’on élevait la travée pour livrer passage à un navire. cgvmsl

Page 62: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

douzaines de poursuites et des réclamationstotalisant plus de 200 millions de dollars, quandune deuxième mésaventure tout aussidévastatrice survint le 14 octobre 1985, jourd’Action de grâce. À 10h25 du matin, un céréalierappartenant à des intérêts américains, le Furia,était amarré dans l’écluse 7 du canal Welland.Long de 564 pieds, le vaisseau était chargé de16775 tonnes de blé et s’apprêtait à entreprendresa descente de l’échelle d’écluses en direction dulac Ontario. Dans l’écluse, l’eau avait été abaissée.La porte s’ouvrit. Le navire se détacha du mur. Ilcommença à avancer, puis s’arrêta sibrusquement, au dire du capitaine, qu’on aurait pucroire qu’il s’était échoué. Les membres del’équipage et les éclusiers découvrirent alorsqu’une partie du mur ouest s’était effondrée.

Des responsables de la Voie maritime furent surles lieux en quelques minutes. «Nous pouvionsapercevoir de gros morceaux de béton quireposaient contre la coque, se rappelle l’ingénieurde travaux publics Robert Poe. Nous ne

connaissions pas l’étendue des dommages, ni lacause de pareil effondrement.»

Les réponses à ces questions ne viendraient queplus tard. Il fallait, en toute priorité, libérer le navirede l’écluse. Le maître-éclusier ferma la porte aval. À18h15, il entreprit, lentement, le remplissage de lachambre. Par bonheur, le Furia, par une légèreembardée, arriva à se dégager des décombres debéton qui reposaient à bâbord, sur 250 pieds de long,de la proue jusqu’à la partie centrale de la coque.L’eau souleva de 38 pieds le gros vraquier, le maître-éclusier et son équipe laissèrent échapper un soupirde soulagement, et le capitaine fit sortir le navire del’écluse à reculons et l’amarra au mur d’approche. Ilétait alors 21h25, et la nuit était tombée.

Plus d’une douzaine de cargos attendaient detransiter par le canal au moment de l’accident etfurent forcés de jeter l’ancre ou de s’amarrer. Pourchaque jour où leur navire était immobilisé, lessociétés de transport maritime étaient exposées àperdre entre 5000 et 10000 dollars. Leurs clientsétaient touchés eux aussi. «Mon Dieu!», s’écriaJohn Hanieski, président du conseil de la Detroit-Wayne County Port Authority, en apprenant que lecanal était temporairement fermé. «C’est un gros,un très gros problème, particulièrement en cemoment, où bien des entreprises sont à mettre àniveau leurs stocks en prévision de la fermeture dela Voie maritime pour l’hiver.»

Les responsables de la Voie maritime nepouvaient offrir aucun réconfort. «Je n’ai aucuneidée du temps qu’il faudra pour rétablir la situation,parce qu’il faut d’abord comprendre ce qui s’estproduit», déclara Malcolm Campbell, qui était alorsvice-président pour la région de l’Ouest. «Nousn’avons jamais fait face auparavant à un problèmesemblable.»

Le lendemain matin de l’incident, les ingénieursde la Voie maritime entreprirent d’évaluer lesdommages. Robert Poe et plusieurs de sescollègues montèrent à bord d’un canot d’aluminiumlong de douze pieds, équipé d’un moteur hors-

68 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

À la fin d’octobre, les travailleurs avaient enlevé environ 2 000

verges cubes de décombres de béton, pesant 5 000 tonnes. Sur

cette photo, on aperçoit les travailleurs en train d’ériger

l’échafaudage nécessaire à la coulée du béton. cgvmsl

Plus d’une douzaine de cargos attendaient de transiterpar le canal au moment de l’accident et furent forcésde jeter l’ancre ou de s’amarrer.

Page 63: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

bord. L’eau fut abaissée jusqu’au sommet de la lignede faille, et la petite équipe put apercevoir de près,pour la première fois, la fracture. Celle-ci couraitsur environ le tiers de la longueur de l’écluse et, encertains endroits, elle avait causé l’effondrement deprès de la moitié des quatre-vingts pieds dehauteur du mur.

Entre-temps, les cadres supérieurs de la Voiemaritime avaient obtenu d’entrepreneurs del’extérieur, capables de procéder à la réfection dumur, des propositions en ce sens et avaient passé lajournée à les examiner. Le 16 octobre, ilsaccordaient des contrats à Pitts Engineering et àCanron. «Cela marquait le début de vingt et unjours de travail ininterrompu, se rappelle M.Poe.Nous travaillions par périodes de douze heures,sept jours sur sept. Une équipe travaillait le jour,l’autre la nuit.»

Les entrepreneurs eurent recours à deschargeuses frontales et à des pelles rétrocaveusespour enlever la terre du remblai—un mélanged’argile et de limon—mis en place plusieurs annéesauparavant contre la face extérieure du murendommagé. Le but de cette opération était

d’atténuer la pression qui s’exerçait contre le muret d’empêcher un nouvel effondrement. Pendantque le remblai était excavé, on installait des étaisentre les murs est et ouest afin de stabiliser lastructure. Deux barges furent introduites parflottement dans la chambre le matin du 18 octobre.Au cours des cinq jours qui suivirent, destravailleurs mirent en place quatorze de ces piècesde renfort, une rangée de six près du sommet del’écluse, et une autre trente-neuf pieds plus bas.

Ayant bien assujetti le mur, les entrepreneursintroduisirent dans l’écluse, à bord des barges, desbéliers à marteaux hydrauliques. Ces machines,semblables à une pelle rétrocaveuse, étaientéquipées de bras articulés munis d’un dispositifressemblant à un marteau perforateur qui devaitservir à briser le béton endommagé sur la face dela fracture. Huit jours plus tard, le 26 octobre,l’écluse avait été vidée, et l’ampleur des dommagespouvait enfin être déterminée avec justesse.

4 · Des années difficiles | 69

Les réparations étaient presque achevées au moment où fut

prise cette photo. Le canal Welland fut rouvert le 7 novembre,

après avoir été fermé pendant près de vingt-quatre jours. cgvmsl

Page 64: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

D’énormes blocs de béton asymétriquementfracassé reposaient sur le sol de la chambre et,derrière eux, une cavité béante, d’une hauteuréquivalente à quatre étages d’un immeuble, etd’une profondeur de douze pieds, s’étalait à la vue.Tout compte fait, 2000 verges cubes dedécombres de béton, d’un poids estimé à 5000tonnes, avaient dû être enlevées par camion.

Une fois achevé le nettoyage, les entrepreneursprocédèrent au coffrage de la cavité. Le dispositiffut ancré au mur du fond, et les travailleursentreprirent d’y couler du béton par gâchées, ouportions, qui ne faisaient pas plus de huit pieds etdemi de haut. La première gâchée fut coulée lematin du 30 octobre, la dernière à 21 heures le 4novembre. Ce même soir, les équipescommencèrent à retirer les étais et à nettoyer lechantier.

L’écluse 7 fut remise en service à 5h43 du matin,le 7 novembre. Le Furia fut le premier navire à lafranchir, ayant été immobilisé pendant vingt-trois

jours, dix-neuf heures et dix-huit minutes. Cent trenteautres navires attendaient de transiter par le canal.

Tandis que les réparations s’accomplissaient,des ingénieurs de la firme Acres Internationaltentaient de déterminer la cause de l’effondrement.Quelques années plus tard, en raison de poursuitesdécoulant de l’incident, la Voie maritime commandaune autre étude, menée, celle-là, par deuxingénieurs de l’Université de Waterloo, RogerGreen et Leo Rothenburg. Les constats de cetteétude variaient quelque peu par rapport à ceux dela première, mais les deux équipes étaientpareillement venues à la conclusion que plusieursproblèmes étaient à l’origine des fracturessurvenues à l’intérieur du mur.

Dans un premier temps, l’âge de l’écluseconstituait un facteur qui avait contribué àl’effondrement. L’écluse était en service depuis plusde cinquante ans. Elle avait servi à quelque380000 transits. Chaque fois que l’écluse se vidait,puis se remplissait, l’effort imposé par la charges’accroissait, puis retombait. Quand l’eau étaitabaissée, le poids de l’argile du remblai faisaitployer le mur imperceptiblement vers l’intérieur.Quand la chambre était pleine, l’eau procurait dusupport au mur, contrebalançant ainsi la pressionqui s’exerçait contre le pan externe. Avec lepassage des années, des conduites d’écoulementencastrées dans le remblai s’étaient bouchées, et

70 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Entreprise en novembre 1986, la réhabilitation du canal Welland

s’étendit sur une période de sept ans et coûta 175 millions de

dollars. Entre autres travaux, ce programme comprenait la

remise à neuf de la face des murs d’écluse. En certains endroits,

on dut arracher jusqu’à trente pouces de béton à l’aide d’outils

spécialisés, ou avoir recours, comme on le voit dans cette photo,

à des explosions contrôlées. cgvmsl

Page 65: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

l’argile était devenue saturée. Cet état de faitpoussa les charges qui pesaient contre le mur bienau-delà de la capacité prévue par la conceptiontechnique et entraîna la formation de fissures,invisibles à l’œil nu, dans les profondeurs del’ouvrage.

Une deuxième source de difficultés était unesorte de buse, ou conduite forcée, qui courait toutle long du mur ouest de l’écluse 7, de même quedes écluses qui se trouvaient immédiatement au-dessous. Ce dispositif, qui faisait 6300 pieds delong et huit pieds six pouces de diamètre, livrait del’eau à la centrale électrique, propriété de la Voiemaritime, située à proximité de l’écluse 3. Il étaitrevêtu d’acier à l’intérieur, sur presque toute salongueur, sauf à l’écluse 7. La pression de l’eauentraîna la formation de fissures, dans lesquellesl’eau s’infiltra avant de les pousser de plus en plusprofondément dans le béton, au point quel’intégrité du mur s’en trouva gravementcompromise.

Vers la fin de novembre 1986, une pleine annéeaprès la grave défaillance à l’écluse 7, le ministrefédéral des Transports, John Crosbie, annonçaitque le gouvernement allait consacrer, sur unepériode de sept ans, 175 millions de dollars à unprogramme de réhabilitation du canal Welland. LaVoie maritime avait en main les rapports de troissociétés d’experts-conseils et, sur la foi desconclusions de ces rapports, on élabora un plandestiné à assurer la viabilité de la Voie maritimependant encore une bonne partie du vingt etunième siècle.

Ce programme comportait trois élémentsprincipaux: le renforcement et la stabilisation desmurs d’écluse, la rectification des dommagessurvenus, de même que des réparations aux mursd’approche, au sommet et à la base des écluses.Tout le travail devait se faire au cours des troismois, entre la fin de décembre et la fin de mars, oùle canal était fermé pour la saison. Des équipes deconstruction regroupant parfois jusqu’à 700

travailleurs durent œuvrer dans le froid hivernal etsous la contrainte d’échéanciers très serrés. Leprogramme comportait tant de projets que laréhabilitation du canal prit effectivement les septannées prévues à l’origine. En fait, l’Administrationde la voie maritime dépensa encore 29 millions dedollars durant le dernier hiver, celui de 1992–1993,plus qu’elle n’en avait dépensés dans chacune dessaisons précédentes.

On comprend facilement que le travail sur lesécluses constituait la part la plus importante duprojet de réhabilitation, et qu’il commençaithabituellement par le renforcement des murs. Lesentrepreneurs perçaient des trous,horizontalement et verticalement, certains à uneprofondeur de quatre-vingts pieds, et yinstallaient des tiges d’acier à haute résistance, quifaisaient un pouce et trois huitièmes d’épaisseur.De gros boulons étaient fixés à l’extrémitésupérieure et l’on utilisait des vérins pour lesétirer, de manière à comprimer et à renforcer lebéton.

Par après, la terre du remblai, à l’extérieur dumur—principalement de l’argile ou de l’argilelimoneuse—était excavée. De nouveaux réseauxd’évacuation et de drainage, consistant enconduites de huit pouces de diamètre, étaient misen place, et de la petite pierre poreuse servaitdésormais de matériel de remplissage. La plusgrosse tâche consistait à réparer les facesintérieure et extérieure des murs, et ce travaildevait être bien planifié et exécuté par étapes. Leséquipes de construction ne pouvaient travailler quesur un côté du mur à la fois quand elles refaisaientla face, parce qu’elles ne pouvaient décaper lesdeux faces en même temps.

Les équipes utilisaient des explosifs, des béliers à marteaux hydrauliques et des marteauxperforateurs pour enlever jusqu’à trente pouces de béton. Couler du béton en hiver présentait des défis inusités. Les granulats devaient êtreréchauffés à l’avance, à la vapeur ou à la

4 · Des années difficiles | 71

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chaleur sèche. De même, l’eau devait être chaufféeà 40oC et ajoutée aux bétonnières contenant déjàles granulats, avant que l’on ne puisse y introduirele ciment. Le béton était coulé dans le coffrage àune profondeur maximale de cinq pouces à la fois.Enfin, les surfaces existantes devaient elles-mêmesêtre chauffées au moins jusqu’à 5oC pour faire ensorte que le nouveau béton adhère à l’ancien.

Le sérieux problème survenu à l’écluse 7entraîna une multitude de poursuites contre la Voiemaritime et des réclamations de plusieurs millionsde dollars en dommages. Mais ce n’était pas là laseule difficulté à laquelle l’entreprise eût à faireface. Par pure coïncidence, le volume desmarchandises transitant par la Voie maritime, en1985, diminua de 20 pour cent—«soit la baisse la

plus sévère depuis l’ouverture du système en 1959»,selon le rapport annuel.

«Cette situation était d’autant plusperturbatrice qu’elle était inattendue, poursuivait lerapport. Une baisse marquée des deux principalescargaisons passant par la Voie maritime—lescéréales et le minerai de fer—correspond à la pertepresque totale du tonnage.»

Les cargaisons de minerai de fer n’avaient jamaisconnu de véritable reprise après la récessiondévastatrice de 1981. En fait, l’industrie américainede l’acier consacra la majeure partie de la décennieà la restructuration et à la rationalisation de sesactivités. Par ailleurs, l’embargo américain sur lechargement de céréales destinées à l’Unionsoviétique demeura en vigueur, ce qui entraîna uneréduction permanente des transits de céréales etd’autres marchandises américaines par le Saint-Laurent. En 1985, enfin, les mouvements de céréalescanadiennes le long de la Voie maritime chutèrenteux aussi, en raison de changements fondamentauxtouchant le flux de la circulation des marchandises

72 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Tout le travail devait être accompli pendant les mois d’hiver, et

la coulée du béton par températures froides présentait des défis

inusités. L’eau et les granulats devaient être réchau◊és à

l’avance, pour faire en sorte que le nouveau béton adhère à

l’ancien. thies bogner

Page 67: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

sur le réseau, état de fait que le président O’Neildut reconnaître dans une entrevue accordée enjanvier 1986 au Financial Post.

«Tout le réseau des Grands Lacs se trouvecoincé, à l’heure actuelle», déclara M. O’Neil. DonRothwell, président d’un groupe d’usagers connusous le nom de Great Lakes WaterwaysDevelopment Association, ne mâcha pas davantageses mots: «Les revers de fortune de la Voiemaritime ne sont pas un simple phénomènepassager. Ils représentent un changementstructurel.»

La Commission canadienne du blé avaitcommencé à détourner de la Voie maritime desexportations qu’elle dirigeait plutôt vers le port deVancouver, ou encore vers un terminal flambantneuf, situé à Prince Rupert, qui avait été érigé parun consortium d’entreprises. Pendant la campagneagricole se terminant le 31 juillet 1983, lestransporteurs des Grands Lacs avaientmanutentionné 57 pour cent des exportations decéréales en provenance des Prairies, alors que 41pour cent avaient transité par des ports de la côteOuest. Pendant la campagne de 1984–1985, à peine47 pour cent des exportations de céréales étaientpassées par la Voie maritime. La majorité d’entreelles avaient été acheminées en direction ouest. En1988–1989, autre année difficile, tout juste 38 pourcent des exportations canadiennes de céréalesavaient utilisé la Voie maritime, alors que 61 pourcent avaient quitté le pays par la côte Ouest. Troisans plus tard, en 1991–1992, la part de la Voiemaritime dans le mouvement des exportations étaittombée à 27 pour cent.

Ces céréales embarquées à Vancouver ou àPrince Rupert pouvaient être acheminées par lecanal de Panama et atteindre les marchés d’Europeou d’Afrique du Nord aussi rapidement que lescéréales expédiées vers l’est en direction deThunder Bay, puis, par la suite, par le Saint-Laurent.Qui plus est, il était devenu plus économiqued’acheminer des céréales par les ports de la côte

Ouest, comme le faisait observer le président etchef de la direction de CSL, Paul Martin, à l’occasiond’une allocution prononcée devant les membres duclub Rotary de St. Catharines, au printemps de 1986.

«Pour le dire sans détour, déclara leconférencier, la Voie maritime du Saint-Laurent etle canal Welland ne sont plus concurrentiels. Selonla Commission canadienne du blé, il en coûtedavantage par tonne pour expédier en Europe descéréales de l’Ouest par l’Atlantique plutôt que parle Pacifique. Une comparaison semblable existe,pour l’expédition de céréales américaines, entre laVoie maritime et le fleuve Mississippi.»

La législation fédérale, par l’entremise de la Loisur le transport du grain de l’Ouest (LTGO),

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«Les revers de fortune de la Voie maritime ne sont pasun simple phénomène passager. Ils représentent unchangement structurel.» Don Rothwell · président, Great Lakes Waterways Development Association

La réhabilitation des écluses en escaliers fut e◊ectuée au cours

de l’hiver de 1992, la dernière année de la durée du projet. Ces

écluses étaient construites de panneaux, ou monolithes, et la

remise à neuf de la face des murs fut exécutée en conformité

avec la structure d’origine. cgvmsl

Page 68: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

adoptée en novembre 1983, encourageaitégalement les agriculteurs des Prairies à expédierleurs céréales vers les ports du Pacifique. Selon unrapport daté de 1992, préparé par TransmodeConsultants pour Transports Canada, «[l]a LTGOavait créé une situation par laquelle un producteur[des Prairies], quel que soit son lieu de résidence,verrait ses frais de transport remboursablesréduits, et ses bénéfices d’exploitation accrus si sescéréales empruntaient la route [de la côte Ouest].Il apparaît donc que la LTGO a créé une distorsionentre les conditions économiques véritables de laroute [de la côte Ouest] d’une part, et celles de laVoie maritime, d’autre part, et qu’elle aartificiellement modifié leurs positionsconcurrentielles respectives».

Pour aggraver la situation, la productionmondiale et la consommation de grains céréaliersconnaissaient elles aussi des changements.Plusieurs pays d’Europe de l’Est et d’Europe del’Ouest—qui pendant des années avaient importédu blé—étaient devenus auto-suffisants etexportaient même une part de leurs récoltes,grâce, en grande partie, à d’opulentes subventionsà l’agriculture accordées par l’Union européenne.Au même moment, de nouveaux marchés pour lescéréales canadiennes s’ouvraient dans la région del’Asie et du Pacifique.

Entre 1978 et 1982, à peine plus de 23 pour centdes exportations étaient destinées à l’Europe del’Ouest. En 1990, tout juste six pour cent étaientdestinées à l’Europe toute entière. Parcomparaison, les exportations vers l’Asieatteignaient 43 pour cent, de 32 pour cent qu’ellesavaient été pendant la période 1978–1982.

Aucune solution miracle ne pointait à l’horizonpour résoudre rapidement le déclin desexpéditions de céréales ou de minerai de fer. Enconséquence, le bilan de la situation financière dela Voie maritime essuya une débâcle significative.Les revenus de 1985 étaient inférieurs de 13 millionsde dollars par rapport aux attentes, tandis que les

dépenses dépassaient de près de 16 millions dedollars les prévisions, en grande partie en raison decoûts imprévus reliés au grave incident survenu àl’écluse 7. L’exercice se soldait donc par une pertede 25,2 millions de dollars, la plus importante enprès d’une décennie.

Le volume total des marchandises acheminéesen 1986 restait pratiquement le même par rapport à1985, mais la haute direction avait eu le temps des’adapter aux changements en cours. Les prévisionsde recettes furent réduites en réponse à la baissedu volume des cargaisons. L’on coupa égalementdans les dépenses, en partie par des réductions ausein du personnel de l’exploitation et de l’entretien.Ces mesures permirent à la Voie maritime delimiter ses pertes d’exploitation, pour l’année 1986,à 4,4 millions de dollars.

Presque tous les intervenants du transportmaritime sur les Grands Lacs—les transporteurs,les ports, les chantiers maritimes—connurent desennuis. Au port de Thunder Bay, environ 1000travailleurs dans les silos terminaux, soit la moitiéde la main-d’œuvre, furent sans emploi pendant lamajeure partie de 1985. À la fin de la décennie, lenombre de silos encore en exploitation était tombéà quatorze, de vingt et un qu’il avait été, et lespertes d’emploi étaient devenues permanentes.

Le même sort toucha le personnel navigant. En1980, le nombre de membres des sections localesdes Grands Lacs au sein du Syndicat internationaldes marins (SIU) atteignait 8000. Au printemps de1986, il ne restait plus que 5000 membres, et laplupart d’entre eux ne travaillaient pas à pleintemps. «Le syndicat s’accroche à la bouée desauvetage du partage d’emplois», écrivait CareyFrench, en avril 1986, dans le Globe and Mail. «Àcompter de la présente saison, un timoniermembre du SIU, travaillant à bord d’un laquier, doitpasser à terre un mois sur quatre.»

Les trois chantiers maritimes ontariens, situésrespectivement à Port Weller, Collingwood etThunder Bay, faisaient face à des perspectives

74 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Page 69: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

d’avenir encore plus sombres. Ils étaient tous en finde contrats, mais aucun d’entre eux ne comptait denouvelles commandes en carnet. Plusieurs dessociétés de transport maritime éprouvaient ellesaussi de très sérieuses difficultés. Le président dela Dominion Marine Association, dont le siègesocial se trouvait à Ottawa, Norman Hall, déclaraitdans une entrevue accordée à la presse que treizedes plus anciens laquiers, équipés de systèmes depropulsion désuets, avaient été retirés du serviceen 1984 et 1985. Une enquête menée au début dejuillet 1986 auprès des transporteurs maritimes desGrands Lacs révélait que 43 cargos sur 133 étaienttemporairement inactifs.

Le ralentissement de l’activité entraîna unecompression majeure de l’industrie du transportmaritime sur les Grands Lacs. En 1980, on comptait,selon le Greenwood’s Guide, quatre-vingt-neufflottes—trente et une d’entre elles canadiennes—sur les lacs. Dix ans plus tard, on ne comptait plusque vingt-quatre flottes canadiennes sur un totalde soixante-huit. Les pertes comprenaient devieilles sociétés d’origine familiale, établies depuis

longtemps. L’une des premières à déclarer forfaitfut la société Halco, établie à Montréal.

L’entreprise avait été fondée en 1930 par FrankAugsbury, d’Ogdensburg, dans l’État de New York.Au début des années 1980, les descendants dufondateur détenaient encore le contrôle de lasociété, qui exploitait une flotte de dix-sept navires,y compris des vraquiers, des pétroliers et des auto-déchargeurs. Selon Tom Brodeur, vice-président deCSL, qui avait entamé sa carrière chez Halco, lasociété avait trop compté sur le transport decéréales américaines en direction du Bas-Saint-Laurent et sur celui du minerai de fer dans ladirection opposée.

En 1983, la Banque Royale du Canada,principale créancière de Halco, prit le contrôle de

4 · Des années difficiles | 75

Cette photo montre les écluses en direction aval. Suite aux

défaillances du réseau éprouvées au cours des années 1980, la

Voie maritime a adopté une approche globale à la gestion de

l’infrastructure. En conséquence, la voie navigable n’a eu à

déplorer aucune défaillance majeure depuis plus de vingt ans.

thies bogner

Page 70: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

la flotte dans le cadre d’un plan de restructurationfinancière. En 1986, elle avait décrété la cessationde ses activités. «C’était déprimant que detravailler dans pareille atmosphère, se rappelle M. Brodeur. Nous éprouvions du mal à faire desaffaires parce que les clients doutaient que nousserions encore là pour assurer le service après-vente. Personne ne voulait nous accorder de crédit.Personne ne voulait nous donner de contrats.»

D’autres sociétés se trouvèrent elles aussi endifficulté pour la même raison: elles avaient tropcompté sur les céréales et le minerai de fer. Ouencore, elles possédaient trop de vraquiers, qu’ilfallait charger et décharger à l’aide de matériel enplace sur la rive. Les transporteurs qui survécurentau resserrement du milieu des années 1980tendaient à être ceux qui avaient consacré desinvestissements importants à l’acquisition d’auto-

déchargeurs, affirme Peter Cresswell, qui était àl’époque président d’Algoma Central.

Algoma avait assemblé une flotte d’auto-déchargeurs à partir de la fin des années 1960, etquand les difficultés des années 1980 sedissipèrent, elle apparut comme l’un destransporteurs les plus solides sur les lacs. Les auto-déchargeurs coûtaient quelque 10 millions dedollars plus cher à construire que les cargos,explique M. Cresswell. Ils réclamaient deséquipages plus importants et coûtaient davantage àexploiter. Mais utilisés à bon escient, ils étaient à lalongue plus profitables.

«Ce sont tout simplement des navires plusefficaces, fait-il observer. Ils peuvent être chargéset déchargés tellement plus rapidement qu’uncargo. Ils sont plus efficaces aussi sur de courtesdistances parce que vous utilisez le matériel d’auto-déchargement plus fréquemment. C’est ce qui nousa permis de nous maintenir en activité après lachute de la demande de céréales et de minerai defer. Nous étions en mesure de transporter du sable,

76 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

La réhabilitation du canal Welland comprenait la réfection de

quelques-uns des murs d’approche, le processus illustré dans

cette photo. thies bogner

Les transporteurs qui survécurent au resserrement dumilieu des années 1980 tendaient à être ceux quiavaient consacré des investissements importants àl’acquisition d’auto-déchargeurs.

Page 71: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

de la pierre à chaux, des granulats, de la bentoniteet d’autres marchandises.»

La crise du milieu des années 1980 entraînaégalement un changement fondamental dans lafaçon de penser des administrateurs de la Voiemaritime et de leurs partenaires au sein del’industrie du transport sur les Grands Lacs.Ensemble, ils conclurent qu’ils devaient tousassumer un rôle plus actif dans la promotion duréseau et dans la façon d’y mener des affaires. Cenouvel état d’esprit ouvrit la voie à la mise sur piedde missions commerciales. La première de cesinitiatives se déroula en janvier et février 1985,suivie d’une deuxième en mars 1987.

«Quelques-uns des avantages de notre superbevoie navigable demeurent un mystère pour lesdécideurs dans le domaine de l’acheminement desmarchandises», déclarait Bill O’Neil à une revue detransport maritime peu de temps avant le départde la mission de 1987. «Nous espérons que cettemission réussira à leur fournir les renseignementsnécessaires en vue de modifier cette situation.»

La délégation comprenait des représentants del’Administration de la voie maritime et de sonpendant américain, la Saint Lawrence SeawayDevelopment Corporation, de même que de hautsresponsables de ports maritimes, de sociétés detransport maritime et de sociétés de services demarine. La délégation s’arrêta à Oslo, à Copenhague,à Dusseldorf, à Anvers et à Londres. En octobre 1987,une conférence axée sur des questions de mise enmarché se tint à Chicago et une troisième missioncommerciale fut organisée en mars 1989. Trente-deux représentants prirent part à ce déplacementd’une quinzaine de jours et s’arrêtèrent à Londres, àAnvers, à Madrid, à Tunis et à Casablanca.

Au moment où la décennie s’achevait,l’Administration de la voie maritime fit l’expérienced’une autre transition majeure. Vers la fin de 1989,Bill O’Neil remettait sa démission pour devenirsecrétaire général de l’Organisation maritimeinternationale, à Londres. Le 10 janvier 1990, le

ministre des Transports, Benoît Bouchard,annonçait que Glendon Stewart était nomméprésident et chef de la direction de la Voiemaritime.

Âgé de 54 ans, natif de Victoria, en Colombie-Britannique, le nouveau président était uningénieur civil qui avait entamé sa carrière au seinde la division des services de marine du ministèredes Transports. De 1968 à 1975, il avait exercé lesfonctions d’adjoint exécutif auprès de Pierre Camu,lorsque ce dernier occupait le posted’administrateur de la division et détenait desresponsabilités de surveillance auprès de la Voiemaritime, de la Garde côtière et du Conseil desports nationaux. De 1975 jusqu’à sa nomination à laVoie maritime, M. Stewart avait occupé plusieurspostes à la Garde côtière, dont celui decommissaire adjoint, à Ottawa.

Le nouveau président entrait en fonction aumoment où une transformation majeure était encours à l’échelle mondiale. La guerre froide tirait àsa fin. L’Union soviétique se désintégrait. Sessatellites d’Europe de l’Est—la Pologne, laTchécoslovaquie, la Hongrie et la Roumanie, parmid’autres—déclaraient leur indépendance. La liberté,la démocratie et le capitalisme prenaient la placedes dictatures et des économies centralementdirigées de l’ère communiste.

Tous ces événements allaient avoir un profondeffet sur les ventes canadiennes de céréales auxpays de l’ancien bloc communiste et, en dernierressort, sur la Voie maritime, comme le faisaitobserver M. Stewart lors d’une allocutionprononcée en avril 1990 à l’occasion de la réunionsemestrielle de la Great Lakes Commission desÉtats-Unis. «Ces pays européens vont gagner enefficacité et, ainsi, en productivité, et leur rapportde dépendance à l’égard de l’économie des pays del’Ouest ne sera plus aussi marqué qu’il a pu l’êtredans le passé, déclarait-il. Nous sommes d’avis quele développement de l’esprit d’entreprise ne seproduira pas du jour au lendemain, et qu’il faudra

4 · Des années difficiles | 77

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quelque temps pour que ces pays se libèrent dudirigisme étatique.»

Le président estimait que les ventes decéréales aux anciens pays communistescommenceraient à décliner vers le milieu ou la findes années 1990. Entre-temps, le mandat qu’il avaitreçu du gouvernement était clair. «Quand je suisentré en fonction, le ministre m’a dit: “Nous voulonsque vous procédiez au redressement de cetteentreprise”, se rappelle M. Stewart. Il était plusvraisemblable que nous atteindrions le seuil derentabilité en réduisant les coûts plutôt qu’enobtenant de nouvelles sources de revenus.»

Néanmoins, sous son leadership, l’Administrationde la voie maritime déploya des efforts tant du côtédes revenus que du côté des dépenses. Peu avantl’ouverture du réseau en 1990, l’Administration mit enplace un programme incitatif en matière de droits depéage, dans l’espoir d’attirer de nouveaux clients. Ceprojet pilote s’appliquait aux cargos qui n’avaient pastransité par une écluse de la Voie maritime au coursdes trois saisons précédentes ainsi qu’aux cargaisonsqui représentaient moins de cinq pour cent du traficmoyen vers une destination particulière pendant lamême période.

Des réductions de 25 pour cent s’appliquaient aupéage depuis le moment de l’ouverture de lanavigation jusqu’à la fin du mois de juin. La remiseaugmentait à 50 pour cent pour les moistraditionnellement lents de juillet, août etseptembre, puis retombait à 25 pour cent pour lereste de la saison. Les transporteurs bénéficièrentde rabais totals de 306000 dollars en 1990 sur745000 tonnes de nouveau fret. L’année suivante,ils épargnèrent près de 681000 dollars sur 2,1 millions de tonnes.

La Voie maritime proposa également desristournes sur volume, qui connurent un succèsplus important encore. Les transporteurs maritimesavaient droit à des rabais de 20 pour cent pour desmarchandises qui dépassaient la moyennetransportée sur cinq ans depuis certains ports

déterminés du réseau, ou d’outre-mer selon le paysd’origine. En 1991, quelque 5,1 millions de tonnes defret furent jugées admissibles, et les transporteurstouchèrent des rabais de 1,1 million de dollars.

Le président Stewart instaura également unprogramme d’austérité qui allait transformerprofondément l’organisme. Sur une période dequatre ans, lui et son équipe de cadres supérieursréduisirent la masse salariale de 13 millions dedollars, pour la ramener à 45 millions de dollarsannuellement. Ils informatisèrent le plus grandnombre possible d’opérations, éliminèrent lechevauchement des tâches et réduisirent lesrecoupements. «Nous avons fait face au déclin desrevenus en réduisant nos coûts», explique-t-il.

Le monde s’était transformé, et l’organisme quiexploitait la Voie maritime avait subi le même sort.Mais, bien qu’elle ait connu des difficultés, la voienavigable n’en restait pas moins un élément vital del’infrastructure du transport au Canada. Un rapportpréparé à l’intention du ministère fédéral desTransports vers la fin de l’année 1992 en venait à laconclusion que la contribution de la Voie maritimeà l’économie canadienne s’élevait annuellement à 2,1milliards de dollars. Elle générait des emplois pour17500 personnes, y compris 9000 d’entre elles quiœuvraient directement dans le secteur desservices de marine.

Un second rapport, publié par le Comitépermanent de la Chambre sur les transports,déclarait en conclusion: «Le bien-être économiquefutur du réseau Grands Lacs-Voie maritime duSaint-Laurent est très important pour la prospéritésociale et économique de la région centrale duCanada. Il est crucial non seulement pour ThunderBay et pour les autres ports de l’Ontario et duQuébec qui bordent le réseau, mais égalementpour l’industrie agricole, le secteur manufacturieret l’industrie minière de l’Ontario et du Québec. Ilest vital, en outre, pour les intérêts à long terme del’agriculteur de l’Ouest, qui vit enclavé dans sesterres» [traduction libre].

78 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Page 73: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Où qu’il se tournât durant ses deux premièresannées à la présidence de l’Administration de lavoie maritime du Saint-Laurent, Glendon Stewartentrevoyait des signes de difficultés. L’économiecanadienne était en récession. Les marchésmondiaux de produits de base subissaient destransformations qui influaient de façon négativesur la Voie maritime. D’importatrice nette decéréales qu’elle avait été auparavant, laCommunauté européenne était devenueexportatrice. La Russie, ébranlée par ladésintégration de son ancien empire, se trouvaitdans l’impossibilité de régler le coût de ses achatsde blé canadien. Qui plus est, les politiquesfédérales en matière de transport favorisaient leschemins de fer et les ports de la côte Ouest, audétriment du réseau Grands Lacs-Voie maritime duSaint-Laurent. Le volume des marchandisestransitant par la voie navigable avait décru de 50pour cent par rapport au sommet qu’il avait atteintvers la fin des années 1970. Les expéditions decéréales, de minerai de fer et de charbon étaienttoutes en baisse. La Voie maritime perdait del’argent et ne réussit à éviter de faire appel à uneaide financière gouvernementale qu’en puisantdans les réserves qu’elle avait accumulées pendantles années qui lui avaient été favorables.

Le président Stewart en vint à la conclusion quela Voie maritime devait s’adapter ou courir le risqued’être marginalisée en permanence. La cultured’entreprise avait commencé à changer sous laprésidence de William O’Neil mais, sous bien desaspects fondamentaux, l’Administration de la voiemaritime, en 1992, restait le même organismequ’elle avait été en 1959, l’année où elle avaitcommencé à exploiter la voie navigable intérieurequi rendait possible la navigation commercialedepuis le golfe du Saint-Laurent jusqu’à l’extrémitéouest du lac Supérieur. Le siège social del’entreprise se trouvait toujours à Ottawa. Desbureaux régionaux continuaient d’exister à Saint-Lambert, au Québec, et dans les deux

municipalités ontariennes de Cornwall et de St.Catharines. La feuille de paie comptait encore prèsde 1000 employés. Finalement, et c’était là sansdoute l’élément le plus important, l’Administrationde la voie maritime demeurait une société d’État.

Le gouvernement fédéral était propriétaire del’infrastructure de la Voie maritime, qui comprenaitles écluses, les canaux et les chenaux de navigation,de même que les ponts, les immeubles et mêmeune petite centrale hydroélectrique. La Loi surl’Administration de la voie maritime, adoptée par leParlement au milieu des années 1950, établissait lemandat de l’entreprise. Le premier ministrenommait le président de la Voie maritime. Chaqueannée, le président préparait un plan d’entreprisequ’il soumettait au ministre fédéral des Transports

5 · Un nouveau départ | 79

5 | Un nouveau départ, 1992–2002

Glendon Stewart accéda à la présidence de l’Administration de

la voie maritime durant la période la plus di∫cile des premières

cinquante années d’existence de la voie navigable et guida

l’entreprise dans une transformation complète. cgvmsl

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pour approbation. En 1977, dans le cadre d’unerestructuration financière, le gouvernement décidaque la Voie maritime devait devenir financièrementautonome. Mais des pertes continuelles, à partir de1983, compromirent le statut de l’Administration entant qu’entreprise quasi-indépendante,fonctionnant à distance des autorités politiques.

Il fallait agir, et le président Stewart mit enplace un plan radical de redressement, quis’étendait sur plusieurs années. Quand l’initiativefut arrivée à terme, l’Administration de la voiemaritime était un organisme beaucoup réduit detaille et allégé, sa culture d’entreprise avait ététransformée, et les pertes financières avaient étéremplacées par des profits. Qui plus est,l’entreprise était prête pour la commercialisation,c’est-à-dire prête à être transformée de sociétéd’État qu’elle était en entreprise autonome à butlucratif, qui serait gérée par les usagers du réseau.

«Il nous fallait devenir une entreprise moinslourde, animée par un esprit d’entreprenariat», serappelait M. Stewart, dans une entrevue accordéeplusieurs années plus tard. «Il nous fallait travailleren équipe, nous axer sur les résultats et nous faireles champions de l’autonomie financière. Le butque nous poursuivions désormais était celui del’excellence à faible prix de revient.»

Pour concrétiser des changements aussifondamentaux, le président et son équipe dedirection durent s’assurer de la plus largecollaboration possible. Ils menèrent des étudestant à l’interne qu’à l’externe. En novembre 1990,l’Administration de la voie maritime et la SaintLawrence Seaway Development Corporation(SLSDC) réunirent le premier Sommet de la Voiemaritime. Cette rencontre rassembla quelque 70

participants venus des deux côtés de la frontière, ycompris des armateurs, des représentants desautorités portuaires, des exploitants de silos, desagents de pilotage et des leaders syndicaux.L’objectif était d’examiner divers moyens de réduireles coûts, d’améliorer l’exploitation du réseau etd’offrir à l’usager final une solution de rechangeplus attrayante en matière de transport.

Pareil rassemblement aussi imposant en termesde participants se révéla lourd à gérer et stérile.Les réunions qui suivirent regroupèrent moins de lamoitié du nombre de représentants que la réunioninitiale et, avec le temps, l’on finit par former uncomité de six personnes chargées de formuler desrecommandations. Pourtant, à la fin de 1994, il étaitdevenu clair que le sommet ne produirait pas lesrésultats attendus. «Il y avait trop d’intérêtsdivergents, explique M. Stewart. Il était difficile derassembler tous les intervenants et de les amener àcheminer dans la même direction sans conflits, ousans que soit divulguée de l’informationcommercialement sensible.»

En dernier ressort, les études menées àl’interne et les changements mis en place allaientse révéler plus fructueux. Le changementorganisationnel s’amorça sérieusement auprintemps de 1991, quand la Voie maritime retint lesservices de la société d’experts-conseils Coopersand Lybrand pour aider la haute direction à trouverdes moyens de réduire les recoupements et lesfrais d’administration. Les consultantsrecommandèrent des investissements dans lesnouvelles technologies, de même qu’unerestructuration des deux divisions régionalesd’exploitation, restructuration qui permettrait àl’Administration de la voie maritime d’éliminer de lafeuille de paie environ 100 postes sur une périodede trois à cinq ans.

Les mêmes experts-conseils suggérèrentégalement de réorganiser les équipes de préposésaux écluses en réduisant le personnel de quatre àtrois par écluse. À l’époque, un opérateur logé

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«Il nous fallait travailler en équipe, nous axer sur lesrésultats et nous faire les champions de l’autonomiefinancière.» Glendon Stewart · président de la Voie maritime, 1990–1997

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dans une tour de contrôle était responsable del’ouverture et de la fermeture des portes, ainsique du remplissage et du vidage de la chambre.Un maître-éclusier et deux préposés aux amarres étaient postés sur le mur, chargésprincipalement d’amarrer les navires. Lesconsultants recommandèrent de transférer lescommandes dans un kiosque posé directementsur le mur. L’opérateur continuerait à assurer lecontrôle des portes et les mouvements de l’eau,mais aiderait également à l’amarrage des navires.De cette façon, un poste de préposé aux amarrespar équipe pourrait être éliminé. Tout compte fait,en 1993, 52 emplois avaient été éliminés,entraînant des économies de 3 à 4 millions dedollars par an.

Coopers and Lybrand avait proposé les grandeslignes d’un plan de réorientation. Le présidentStewart et son équipe de direction se tournèrentalors vers le personnel en vue de recueillir despropositions qui leur permettraient d’élaborer pourl’entreprise un plan stratégique de dix ans. La hautedirection sollicita des idées à tous les niveauxhiérarchiques. «Il nous fallait des chiffres, serappelle M. Stewart. Autrement, nous nous serionsretrouvés avec de grandes déclarations vides quin’exprimeraient pas la nécessité de l’exerciceauquel nous nous livrions.»

Ce remue-méninges et ces discussions àl’interne débouchèrent sur une réunion de deuxjours, appelée Vision 2002, tenue à l’hôtel RamadaInn de Trenton, en Ontario, en octobre 1992.Cinquante-deux cadres supérieurs de tous lessecteurs de l’entreprise participèrent à cetterencontre qui constituait une expérience nouvellepour la plupart d’entre eux. «Ça, c’était du nouveauà la Voie maritime», se rappelle le gestionnaire desressources humaines Jean-Guy Lauzon, qui étaitprésent. «C’était, à ma connaissance, la premièrefois que se dessinait une vision stratégique. Nousavions un service de planification, mais il travaillaitisolément. Ce projet intéressait toute l’entreprise.»

Dans son mot d’ouverture, le président Stewartexposa en des termes on ne peut plus clairs les défisauxquels faisait face l’entreprise. Le trafic étaittombé de 42,1 millions de tonnes en 1988, à un peu

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L’amarrage d’un navire dans une chambre d’écluse se fait en

quatre étapes. Sur cette photo, un préposé aux amarres

commence par lancer une corde de nylon aux matelots de pont

à bord du navire. Les matelots attacheront cette corde à un

câble d’amarrage en acier tressé. Le préposé met en marche un

petit moteur, qui bobine la corde et le câble. Enfin, le préposé

passe la boucle du câble autour d’un bollard et les matelots de

pont bobinent à leur tour le câble pour attacher le navire.

ron samson

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moins de 32 millions de tonnes en 1992. Les revenusrestaient stables à environ 70 millions de dollars parannée, mais les coûts étaient à la hausse et la Voiemaritime perdait de l’argent—11 millions de dollars en1992, contre 1,8 million de dollars l’année précédente.«Selon le scénario que nous adopterons, prévint-ill’assemblée, nous risquons de nous retrouver à boutde ressources d’ici deux ans à peine.»

Le plan de survie qu’il proposait comprenait unaccroissement des revenus et une réduction desdépenses. La Voie maritime pouvait accroître sesrevenus par divers moyens, soit par de nouvellesinitiatives de marketing, soit encore en tentantd’attirer de nouveaux types de cargaisons ou enaugmentant les péages. Elle pouvait réduire lescoûts en pratiquant des coupures au sein dupersonnel, en se dessaisissant d’immeubles etautres propriétés excédentaires ou en transférant àdes agences gouvernementales la responsabilité deponts et de tunnels.

De concert avec ces mesures à caractèrespécifique, le président insistait sur la nécessitéd’une mutation plus ample dans les attitudes et lesapproches. «Il nous faut définir où nous voulons enêtre en 2002 et décider comment nous allons yparvenir, dit-il, puis élaborer une cultured’entreprise et un style de gestion compatiblesavec cette vision.»

Le premier jour de la rencontre, les employésfurent répartis en quatre groupes différents. Onleur demanda de réfléchir sur l’image que la Voiemaritime devrait projeter d’elle-même dans dix ans.Ils devaient également s’interroger sur la façondont l’entreprise devait s’adapter aux conditionschangeantes du marché, sur le visage que prendraitla hiérarchie organisationnelle et sur le nombre depersonnes que l’entreprise aurait à son emploi. Onleur demanda en outre de se pencher sur desquestions telles que la viabilité financière del’entreprise, l’état de l’infrastructure, les droits depéage et les revenus. Les idées mises de l’avantdevaient avoir un caractère aussi spécifique que

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ci-dessus : Tout navire commercial qui navigue sur la Voie

maritime porte sur sa coque un certain nombre de marques. Les

marques de Plimsoll, à la gauche, sur cette photo, indiquent la

profondeur maximale à laquelle un navire peut être chargé, en

fonction des conditions météorologiques. Les colonnes de

chi◊res, à la droite, sont des échelles de tirant d’eau en

graduation métrique et impériale. Ces échelles indiquent la

profondeur du navire, ou son tirant d’eau, sous la ligne de

flottaison. ron samson

page ci-contre : La tâche consistant à faire pénétrer un navire

«seaway-max» dans une écluse est délicate. Ces navires peuvent

atteindre jusqu’à 740 pieds de longueur et 78 pieds de largeur,

alors que les écluses ne font que 80 pieds de large.

au haut : Le capitaine du Canadian Transport a orienté la proue

du navire vers le mur d’approche, dont il se sert pour guider le

navire. au milieu : Le capitaine fait avancer le navire le long du

mur d’approche, mais tient la poupe à distance du mur et

alignée sur l’entrée de l’écluse. au bas : Ayant atteint le bout du

mur d’approche, la proue du Canadian Transport est

correctement alignée sur l’entrée de l’écluse et pénètre dans la

chambre. ron samson

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possible, et toutes furent dûment notées. Unsecond exercice consistait à imaginer la taille etl’état de l’Administration de la voie maritime aucours des trois premières années durant lesquelleselle entreprendrait d’atteindre les objectifs derestructuration fixés en vue de l’an 2002.

La rencontre généra de nombreuses idées, quifurent par la suite utilisées pour formuler unénoncé de vision—«De concert avec nospartenaires, nous sommes les chefs de file pourrépondre aux besoins de nos clients en matière detransport»—et pour élaborer quatre objectifsstratégiques: améliorer la part de marché de laVoie maritime, maintenir l’infrastructure en étatsécuritaire et fiable pour les usagers, exploiter laVoie maritime de manière rentable et optimaliser lepotentiel de tous les employés.

Guidée par cet énoncé de vision et les objectifsspécifiques qui y étaient rattachés, la Voie maritimeréussit, en deux ans à peine, à redresser sasituation financière de façon remarquable. Lacapacité porteuse du réseau fut accrue enpermettant à de plus gros navires, plus lourdementchargés, de transiter par les écluses et les canaux.Le tirant d’eau maximum fut porté à 26 pieds ettrois pouces, de 26 pieds qu’il était auparavant. L’onautorisa également le passage de navires à barrotsde 78 pieds, contre la limite auparavant autoriséede 76 pieds. Enfin, la limite de longueur desbâtiments fut portée de 730 à 740 pieds.

La Voie maritime entreprit également de sedéfaire d’immobilisations excédentaires. En 1992, elleréalisa 2,3 millions de dollars en liquidant 29propriétés. L’année suivante, 22 propriétés furentvendues, rapportant 1,6 million de dollars. En mai1995, l’entreprise avait réalisé 7 millions de dollars àmême la vente de terres qu’elle n’utilisait pas, et lesrevenus de location de certaines propriétés et autresimmeubles avaient dépassé 8 millions de dollars.

Au début de l’année 1993, l’entreprise lança unprogramme de primes de départ volontaire en vuede réduire les effectifs, principalement par retraite

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anticipée. «Cette mesure était destinée aupersonnel de l’exploitation et de l’entretien, maistout le monde pouvait s’en prévaloir, se rappelleJean-Guy Lauzon. Les intéressés devaientprésenter une demande. Nous n’avons jamais forcéqui que ce soit à partir. Nous offrions des forfaitsde départ, et plusieurs employés des secteurs del’exploitation et de l’entretien choisirent de s’enprévaloir.»

En avril 1994, le président Stewart informait lesdéputés membres du sous-comité de la Voiemaritime au sein du Comité permanent de laChambre sur les transports que, sur une périodede quatre ans, l’Administration avait réduit seseffectifs de 230 années-personnes, ou 25 pourcent, en pratiquant des coupures dans lesdomaines de l’administration, de l’ingénierie, del’exploitation et de l’entretien. Cette rationalisationavait été réalisée grâce à l’apport de nouvellestechnologies, à la combinaison des groupes detravail et à l’élimination des recoupements et dudédoublement des tâches.

Aux écluses, par exemple, on fusionna lepersonnel des opérations et celui de l’entretien, defaçon à ce que les deux groupes puissent se prêtermutuellement assistance quand le besoin s’enfaisait sentir. Les opérateurs travaillaient àl’entretien quand aucun navire ne franchissait lesécluses, tandis que le personnel de l’entretienprêtait assistance au fonctionnement de cesdernières quand des navires y transitaient. Grâce àdes mesures semblables, la Voie maritime avaitréduit son budget de fonctionnement de 12millions de dollars et était en très bonne voied’atteindre l’objectif qu’elle s’était fixé, soit lalimitation des effectifs à 600 personnes en l’an2002.

Concurremment, l’entreprise déployait devigoureux efforts dans le but d’accroître sa part demarché. Son programme de réduction des péagesse révéla l’un des outils les plus performants àcette fin. Cette initiative prévoyait des remises

pour nouveaux usagers et des ristournes survolume pour les sociétés de transport maritimedont les tonnages, dans une année donnée,dépassaient les moyennes historiques. «Cetteinitiative a eu pour effet de générer plus de 26millions de dollars en nouveaux revenus de 1990 à1994 et, sur la même période, environ 6 millions dedollars en remises pour les usagers» [traductionlibre], déclarait le président Stewart devant leComité permanent de la Chambre sur lestransports en 1995.

L’Administration poursuivait également sesefforts de marketing au moyen de missionscommerciales et en rencontrant les usagers finalspour leur faire valoir les avantages de la voienavigable. Ces efforts commencèrent à produire desrésultats en 1993, quand la section Montréal-lacOntario manutentionna 300000 tonnes de charbondes Appalaches, destiné à Énergie Nouveau-Brunswick. Les sociétés de transport maritimeétaient elles-mêmes à la recherche de nouvellescargaisons, avec des résultats parfois étonnants.

Du charbon en provenance du bassin dePowder River, au Montana, transita par la Voiemaritime pour la première fois en 1993, grâce à uneentente novatrice entre Venture Fuels et CanadaSteamship Lines, de Montréal. Venture acheminaitnormalement le charbon de Powder River à sesclients européens par le réseau du fleuveMississippi. Mais quand des inondations seproduisirent le long du fleuve, cet été-là, Ventureentreprit de livrer le charbon par rail à des portssitués sur le lac Supérieur, d’où il était transféré àbord d’auto-déchargeurs appartenant à CSL. Cesnavires transportaient la cargaison jusqu’à Sept-Îleset la transbordaient directement sur des naviresPanamax de CSL pour la traversée vers l’Europe.Le charbon atteignit les clients au moment voulu età un prix concurrentiel.

L’entrée en scène de nouveaux usagers, demême qu’un accroissement des expéditions denouvelles marchandises permirent à la Voie

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maritime de réduire sa perte, pour l’année 1993, à6,1 millions de dollars, par comparaison à 11 millionsde dollars en 1992. L’année suivante fut marquéepar de nouveaux progrès. Le mouvement descargaisons sur la section Montréal-lac Ontarioatteignit 38,4 millions de tonnes, en hausse de 20pour cent. Le trafic sur le canal Welland s’accrut deprès de 25 pour cent, à 39,7 millions de tonnes. Lesrevenus de péage atteignirent 76 millions dedollars, soit 28 pour cent de plus que ce qu’ilsavaient été en 1993. Cinquante-neuf navirestransitèrent par le réseau pour la première fois, etquarante-six y refirent une apparition après desabsences allant parfois jusqu’à six ans. Une autreréduction des effectifs, équivalente à quatre-vingt-trois années-personnes, épargna 4,5 millions dedollars en charges salariales. Les résultatsd’exploitation nets montraient un profit de 15,5millions de dollars, le premier depuis 1983.

Ces résultats marquaient le début d’unredressement soutenu. La Voie maritime réalisa unprofit de 238000 dollars en 1995, sur des revenusde 80 millions de dollars. L’année suivante, près de50 millions de tonnes de marchandises transitèrent

par le réseau, et les revenus atteignirent 88,6millions de dollars, le plus haut niveau de toutel’histoire de l’Administration. Trois mille neuf centcinquante-trois navires transitèrent par la voienavigable, soit le relevé de trafic le plus importantdepuis l’année 1988. Qui plus est, le 10 mai 1996, laVoie maritime atteignit un jalon important. Le NMAlgosoo, propriété d’Algoma Central, transita par lecanal Welland, en route pour décharger à Lorain,en Ohio, une cargaison de minerai de fer qu’il avaitprise en charge à Pointe-Noire, au Québec.L’Algosoo acheminait la deux milliardième tonne defret à franchir la Voie maritime depuis 1959.

Entre-temps, le changement organisationnel sepoursuivait. En 1994, l’Administration mit sur piedun processus de gestion de la qualité totale pourfaire en sorte que l’action des employés, à tous les

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Le 10 mai 1996, le NM Algosoo, propriété d’Algoma Central,

transita par le canal Welland, en route pour décharger à Lorain,

en Ohio, une cargaison de minerai de fer. Il acheminait la deux

milliardième tonne de fret à franchir la voie navigable depuis

1959, et la Voie maritime tint une cérémonie sur le pont du

navire pour marquer l’occasion. thies bogner

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niveaux, soit axée sur les besoins de la clientèle.Des conseils de la qualité furent établis, l’ondétermina les besoins de la clientèle et desmesures de rendement furent mises en place. Onétablit des programmes pour former le personnelen fonction de cette nouvelle approche. Le rapportannuel de 1995 résumait en ces mots latransformation globale qui résultait des tous cesefforts: «La satisfaction de notre clientèle estdevenue le moteur de tous les rouages de la Voiemaritime […] l’avenir de la Voie maritime, en tantqu’axe de transport important, dépend de lasatisfaction des besoins de ses clients qui veulentun service rentable, fiable et rapide.»

En 1994, l’Administration avait également menéun sondage parmi les usagers, initiative qui mit aujour deux sujets de préoccupations. Le premieravait trait aux temps de transit. Le second portaitsur le système destiné à signaler la position desnavires, de façon à ce que les sociétés de transportmaritime puissent déterminer avec une plus grandeprécision le moment d’arrivée de leurs bâtimentsaux écluses et dans les ports. La Voie maritimes’empressa d’examiner les deux problèmes.

De manière à améliorer les temps de transit,l’Administration prit deux engagements, soit que 95pour cent de tous les navires franchiraient chaquesection de la voie navigable dans la limite de quatreheures de la durée moyenne de transit, et que 90pour cent la franchiraient dans la limite de deuxheures de la durée moyenne. En se basant sur3000 navires par saison, cela voulait dire que seuls150 navires, ou 5 pour cent, pourraient dépasser deplus de quatre heures la durée moyenne.

La Voie maritime mit également au point uncode spécial de retard en vue de cerner les causesde retard et d’en imputer la responsabilité. Cecode comprenait cinq catégories: les retardsimputables aux pannes à bord des navires, auxaccidents, aux infractions aux règlements; ceux quisont attribuables au vent, à la glace, à la visibilité ouà d’autres circonstances d’ordre environnemental;

ceux qui résultent de pannes des structures ou dumatériel d’exploitation; ceux qui engagent laresponsabilité des partenaires de la Voie maritime,tels les chemins de fer ou les compagniesd’électricité; ceux, enfin, qui résultent de la gestiondu trafic.

Ce système fut mis en vigueur au début de lasaison de navigation de 1996. Les résultats de cettepremière année d’application indiquaient que 92pour cent des navires sur la section Montréal-lacOntario et plus de 95 pour cent de ceux qui avaienttransité par le canal Welland avaient complété lepassage à l’intérieur des quatre heures de la duréemoyenne de transit.

En réponse aux préoccupations relatives à ladétermination de la position des navires, la Voiemaritime fit l’acquisition d’un nouveau systèmeinformatisé de visualisation graphique, quifournissait des données mises à jour toutes les dixminutes sur le canal Welland, et toutes les quinzeminutes sur la section Montréal-lac Ontario. Cesystème indiquait aux employés de la Voie maritimela position exacte de chacun des navires le long duréseau et les tenait au fait des conditionsmétéorologiques de même que de l’utilisationprévue des écluses. Les expéditeurs et lesdestinataires avaient accès à ces renseignementspar l’entremise d’un système de réponse vocaleinteractif, et la Voie maritime avait déjà entreprisdes démarches en vue de rendre tous cesrenseignements disponibles sur Internet.

Les changements intervenus au début desannées 1990 étaient partie intégrante d’un effort deplus grande portée destiné à préparer la Voiemaritime à la commercialisation, initiativecommandée par le fait que le gouvernementfédéral était à court d’argent. Les Libéraux de JeanChrétien avaient pris le pouvoir vers la fin de 1993,au moment où le pays s’acheminait vers une crisesérieuse des dépenses publiques après vingt-cinqannées de déficits budgétaires. Les frais croissantsdu service de la dette minaient l’aptitude d’Ottawa

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le contrôle des espècesexotiques envahissantes

L’Étude des Grands Lacs et de la Voie maritimedu Saint-Laurent résume le problèmesuccinctement et de manière catégorique:«L’introduction d’espèces exotiquesenvahissantes (EEE) dans le bassin des GrandsLacs et le fleuve Saint-Laurent, en particulierdepuis les eaux de ballast des naviresocéaniques, représente l’un des problèmesenvironnementaux les plus difficiles et les plusétendus de ceux qui affectent ces eaux.»

Plus de 185 espèces envahissantes ont étéintroduites dans le Saint-Laurent et les GrandsLacs au cours des deux derniers siècles, enprovenance de sources variées—l’aquaculture,les marchés de poisson vivant, la pêchesportive, le commerce des animauxdomestiques, les poissons-appâts et les plantesde jardin, ainsi que la vidange des eaux deballast des océaniques.

L’exemple consigné le plus ancien del’apparition d’une espèce aquatiqueenvahissante est celui de la lamproie marine,qui atteignit les Grands Lacs par le canal Ériédans les années 1820. Depuis 1990, lesscientifiques ont documenté l’apparition dequelque 12 nouvelles espèces—aucune d’aussitriste notoriété que la moule zébrée, unmollusque de la grosseur d’un ongle, venu dela mer Caspienne. Entrée en Amérique duNord vers la fin des années 1980, à même l’eaude ballast d’un cargo océanique, elle s’estrépandue depuis lors dans tous les GrandsLacs de même que dans des rivières et denombreux lacs en Ontario, au Québec ainsique dans plusieurs États américains.

L’entrée en scène de la moule zébrée acoïncidé, tant au Canada qu’aux États-Unis,avec des efforts pour mettre fin à l’introductiond’espèces envahissantes. En 1989, TransportsCanada énonçait, à l’intention des navirespénétrant dans les Grands Lacs, des directivesfacultatives relatives à l’échange des eaux de

ballast—la première tentative en vue demaîtriser le problème.

De son côté, la United States Coast Guardrendait publics, en 1993, les premiersrèglements s’appliquant aux navires enprovenance de l’Atlantique qui pénétraientdans les Grands Lacs avec de l’eau de ballast àbord. Cette réglementation obligeait cesnavires à échanger leur eau à 200 milles, aumoins, du littoral. Les bâtiments qui nepouvaient, pour des raisons de sécurité,échanger leur eau douce pour de l’eau saléeétaient tenus de la retenir dans des réservoirsscellés ou de la faire traiter au moment dudéchargement.

Entre-temps, l’industrie du transportmaritime se préoccupait elle-même de cettequestion. En 1991, l’Organisation maritimeinternationale (OMI) avalisait le principe del’échange des eaux de ballast et publiait unensemble de lignes directrices préliminaires.Des lignes directrices mises à jour furentrendues publiques en 1997 et, en 2004, desreprésentants de 74 des pays membres de l’OMI

La moule zébrée, un mollusque exotique envahissant, de la

grosseur d’un ongle, est arrivée vers la fin des années 1980 et

s’est répandue rapidement dans d’autres lacs et rivières du

bassin hydrographique des Grands Lacs.

environmental protection agency

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avaient adopté la Convention pour le contrôle etla gestion des eaux de ballast et sédiments desnavires. Cette convention devait entrer envigueur 12 mois après qu’elle eut été ratifiée par30 États membres représentant 35 pour cent dutonnage de la marine marchande à travers lemonde.

En septembre 2000, la Fédération maritimedu Canada (FMC) adoptait un code desmeilleures pratiques en matière de gestion deseaux de ballast à bord des océaniques quipénétraient dans le réseau. Et, quatre mois plustard, en janvier 2001, la Lake Carriers’Association des États-Unis et l’Association desarmateurs canadiens rendaient publiques despratiques volontaires de gestion destinées àréduire le transfert d’espèces aquatiquesnuisibles par l’entremise du transport maritimeintérieur.

Les deux corporations responsables de laVoie maritime mirent en place, en 2002, desdispositions réglementaires obligatoiresfondées sur le code de la FMC et adoptèrentégalement les pratiques volontaires de gestionde la Lake Carriers’ Association et del’Association des armateurs canadiens.

Aucune de ces mesures ne réussit à satisfaireles critiques de l’industrie du transport maritime.Au début de 2003, l’ancien député libéral HerbGray, coprésident canadien de la Commissionmixte internationale, suggéra au Comité despêches de la Chambre des communes derecommander la désignation, par legouvernement, d’un ministère responsable decette question, plutôt que de la laisser rebondirsans cesse entre le ministère de l’Environnementet ceux des Pêches et des Transports.

Johanne Gélinas, ancienne commissairefédérale à l’environnement et audéveloppement durable, fut encore plusexplicite dans ses critiques quand ellecomparut devant le même comité. «On nedécèle aucun consensus sur les priorités,déclara-t-elle, aucun accord sur qui fait quoi, etaucune capacité de mesurer le progrès enrapport avec les engagements du

gouvernement. On ne trouve aucun gestepratique, de la part du gouvernement, pourempêcher ces espèces envahissantes de causerdes dommages aux écosystèmes du Canada»[traduction libre].

Les choses étaient toutefois sur le point dechanger. Désormais, les navires ayant de l’eaude ballast à bord et pénétrant dans la Voiemaritime depuis l’Atlantique pour se diriger versun port canadien étaient tenus d’échanger leureau de ballast à 200 milles, au moins, du littoralet dans des mers qui faisaient au minimum2000 pieds de profondeur. Les navires netransportant pas d’eau de ballast devaientrincer à l’eau salée leurs réservoirs et leurssystèmes de ballast afin de détruire tous lesorganismes qui étaient toujours présents dansl’eau résiduaire et le sédiment.

Ces dispositions créaient néanmoins, selonles observateurs scientifiques, une divergence,de même qu’une lacune majeure entre lesrèglements canadiens et américains, puisque lesrèglements américains ne s’appliquaient qu’auxnavires contenant de l’eau de ballast. Avantl’ouverture de la saison de navigation de 2008,la Seaway Corporation américaine acceptad’harmoniser son approche aux pratiquescanadiennes.

«Le contrôle de l’introduction de nouvellesespèces envahissantes est la prioritéenvironnementale numéro un desgouvernements et des industries maritimes», adéclaré Collister Johnson Jr., administrateur dela Saint Laurence Seaway DevelopmentCorporation. Richard Corfe, président et chefde la direction de la CGVMSL, ajoutait pour sapart: «Cette entente démontre la volontéferme des deux corporations de la Voiemaritime, des gouvernements canadien etaméricain ainsi que de l’industrie du transportmaritime de gérer avec efficacité la questiondes eaux de ballast et d’appliquer à chacun desocéaniques qui pénètrent dans notre réseau lesmeilleures pratiques en place au sein del’industrie.»

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à assurer des services efficaces et à répondre à denouveaux défis et à de nouveaux besoins. Legouvernement se devait de réduire ses obligationsfinancières là où la chose était possible, ce quientraînait la nécessité d’examiner et de remettre enquestion la presque totalité de son action.

Au sein du gouvernement Chrétien, le ministredes Transports, Doug Young, apparut bientôtcomme l’un des réformateurs les plus énergiques etles plus efficaces. Il secoua de fond en comble sonministère et orchestra un remaniement majeur dessecteurs aérien, ferroviaire et maritime. Il réduisitles subventions et dégagea le gouvernementfédéral de ses obligations en matière de propriétéet d’exploitation d’aéroports, de systèmes decontrôle de la circulation aérienne, de ports etautres installations. Sous sa direction, le ministèredes Transports mit à peu près complètement fin àson rôle d’intervenant direct dans le mouvementdes marchandises et des personnes et assuma unrôle plus limité, qui s’en tenait à la réglementation.Dans ces circonstances, la Voie maritime ne pouvaitespérer demeurer à l’abri de ces changements.

En novembre 1994, l’Administration de la voiemaritime prépara à l’intention du ministre unrapport intitulé Un plan pour commercialiser la Voiemaritime du Saint-Laurent et, en mars 1995, leprésident Stewart en présenta lesrecommandations au Comité permanent de laChambre sur les transports. La directionsupérieure de l’entreprise avait examiné neufoptions—depuis le maintien du statu quo, jusqu’à lafermeture du réseau. Elle avait été guidée dans saréflexion par trois principes: offrir aux usagers unmeilleur service, réduire les coûts d’ensemble tantpour le gouvernement que pour les usagers etaccroître la compétitivité de la Voie maritime.

Le président déclara aux députés qu’il y avait àson avis trois options réalistes. La premièreconsistait à conserver à l’Administration de la voiemaritime la responsabilité de la voie navigable, maisd’étendre son autorité jusqu’à Thunder Bay, et de

lui assigner, en plus, la responsabilité d’encadrer laGarde côtière et l’Administration de pilotage desGrands Lacs. Ce scénario était celui que favorisaitM. Stewart. Il fit valoir que cette façon de fairepermettrait aux trois organismes de combiner leslieux d’activité et les installations, épargnant ainside 10 à 20 pour cent de leurs coûts d’exploitationannuels combinés, soit de 15 à 30 millions dedollars.

La seconde option consistait en un partenariatpublic-privé. Le gouvernement demeureraitpropriétaire du réseau et conserverait laresponsabilité des dépenses en capital les plusimportantes. Mais une société privée, sans butlucratif, ou un consortium, assurerait l’exploitationde la Voie maritime et utiliserait les revenus despéages pour couvrir les coûts d’exploitation etd’entretien de base. Ou encore, Ottawa pourrait sedépartir entièrement de la Voie maritime en entransférant l’infrastructure et les coûtsd’immobilisation connexes à une société privée.

M. Stewart n’était que l’un des nombreuxtémoins à comparaître, ce printemps-là, devant lecomité, qui tenait des audiences en vue deconseiller le ministre sur la forme et l’orientationd’une nouvelle politique maritime nationale. Lesdéputés soumirent leur rapport en mai 1995 et leministre Young comptait rendre public un plandirecteur sur l’avenir de la Voie maritime, de laGarde côtière et des ports nationaux au plus tarden septembre.

Cet été-là, il tint des consultations directes avecl’industrie. Au cours de ces discussions, la firmed’ingénierie et d’experts-conseils SNC-Lavalin, deMontréal, apparut comme un acheteur possiblepour la Voie maritime. À la mi-décembre 1994, M. Stewart avait rencontré le président de SNC,Bernard Lamarre, et son frère Jacques, qui étaitalors vice-président de la firme, au restaurantparisien Le Métro, situé au centre-ville d’Ottawa.Les deux frères avaient alors posé des questionsdétaillées sur les dépenses, les revenus et la

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structure de gestion de la Voie maritime. M. Stewartrencontra de nouveau Bernard Lamarre, au mêmerestaurant, au début du mois de mai 1995 et, cettefois, l’homme d’affaires exprima son intérêt pour lesponts Jacques-Cartier et Champlain, qui relientMontréal à la rive sud du Saint-Laurent, et dont lagestion relevait de la Voie maritime.

L’intérêt manifesté par SNC attira l’attention deNorman Hall, qui était alors président del’Association des armateurs canadiens (AAC). Cettesituation l’inquiétait et il proposa à son conseild’administration de préparer une proposition deprise en charge en son propre nom. «L’industriemanifesta en premier lieu son intérêt pour la Voiemaritime parce que le ministre Young avait affirméqu’il voulait la mettre en vente», se rappelait M. Hall dans une entrevue accordée au magazineCanadian Sailings, «et en second lieu parce quenous avions entendu dire que SNC-Lavalin étaittrès intéressée à mettre la main sur la voienavigable.»

M. Hall adressa à son conseil d’administrationune mise en garde: «Vous savez ce qui se produirasi ces gens-là réussissent dans leur entreprise. Ilsn’utilisent même pas la Voie maritime. Ils voudronts’enrichir à même les coûts d’ingénierie etd’infrastructure qu’une Voie maritime qui prend del’âge impose automatiquement. Dieu sait ce queseront les péages dans ce contexte.»

Norman Hall avait en tête un plan quiressemblait fortement à celui du président Stewart.«Nous devrions envisager la possibilité qu’unenouvelle corporation de la Voie maritime assume laresponsabilité de toutes les questions relatives àl’aide à la navigation sur les Grands Lacs, proposa-t-il à ses collègues du conseil. Ne serait-il pas plus

sensé que la Voie maritime soit responsable dudéglaçage sur les lacs, des aides à la navigation, ensomme qu’elle remplace entièrement la Gardecôtière? La corporation pourrait demander dessoumissions et trouver des fournisseurs de servicesqui feraient le travail pour moins cher.»

De son côté, SNC comprit rapidement que lespéages nécessaires pour couvrir les coûtsd’exploitation et les dépenses en immobilisationseraient prohibitifs et renonça à poursuivre l’affaire.Mais, en manifestant de l’intérêt, elle avaitnéanmoins eu un profond effet sur l’avenir de laVoie maritime. L’AAC fut à l’origine de la mise surpied d’un groupe d’usagers en vue de préparer unesoumission. Les membres du groupe comprenaientquatre armateurs (Algoma Central, Upper LakesShipping, Canada Steamship Lines et FednavInternational), trois sociétés céréalières (JamesRichardson & Sons, Louis Dreyfus et Cargill) demême que les aciéries Stelco et Dofasco.

Le groupe négocia avec le gouvernementpendant un an environ. Entre-temps, toutefois, unremaniement ministériel vint interrompre lesnégociations. Doug Young fut muté à un autreministère et remplacé aux Transports par DavidAnderson, de la Colombie-Britannique. À la mi-juillet 1996, cependant, le ministre Anderson etRobert Swenor, premier vice-président chezDofasco, avaient signé une lettre d’intention en vuede créer une société sans but lucratif qui prendraitles commandes de la Voie maritime, peut-être dèsle 1er janvier 1997.

Les deux parties s’étaient mises d’accord sur unpartenariat public-privé semblable à celui qu’avaitévoqué Glendon Stewart au moment de sacomparution devant le comité des Transports. Legouvernement resterait propriétaire des écluses,des canaux et des installations connexes. Il auraitégalement la responsabilité des réfections et desmises à niveau majeures. Les utilisateursexploiteraient la voie navigable et s’occuperaientde l’entretien de routine.

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Les deux parties s’étaient mises d’accord sur unpartenariat public-privé semblable à celui qu’avaitévoqué Glendon Stewart au moment de sacomparution devant le comité des Transports.

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Plusieurs points clés restaient cependant àrésoudre. Le gouvernement et les usagers devaients’entendre sur une formule de partage des excédentsd’exploitation. Le nouvel organisme devait se donnerun conseil d’administration de même qu’une équipede direction. Des décisions s’imposaient égalementquant à l’emplacement du siège social de l’entrepriseet à la fermeture d’autres installations. Desoppositions au nouvel arrangement s’étaient parailleurs manifestées au sud de la frontière.

«Divers intérêts des ports des Grands Lacs etde l’industrie du transport maritime aux États-Unisont exprimé de fortes réserves à la perspectived’une exploitation de la voie navigable par ungroupe d’usagers et d’une augmentation éventuelledes péages, rapportait Canadian Sailings. Lesdirigeants américains de la Voie maritime ontmanifesté leur opposition à l’idée de remettreentre les mains de l’industrie privée des biens quiappartiennent à la collectivité.»

La Saint Lawrence Seaway DevelopmentCorporation avait, elle, son propre ordre du jour.Elle préconisait la création d’une agencebinationale pour gérer le réseau, et de hautsresponsables des ministères des Transports desdeux pays discutèrent de cette question au coursdu même été. Ces pourparlers ne donnèrent pasde résultats et l’idée fut temporairement mise decôté.

La transition entre l’ancien et le nouvelorganisme connut un retard de près de deux ans,non en raison d’opposition venant de l’extérieur,mais par suite d’événements de nature politiquesurvenus sur la scène canadienne. La Loi maritimedu Canada devait être amendée pour permettre auministre de dissoudre l’Administration de la voiemaritime et de conclure une entente avec legroupe d’usagers. En septembre 1996, le ministreAnderson déposa un projet de loi qui incorporaittant ces changements que d’autres, qui devaientpermettre la privatisation de certains ports et laréorganisation de la Garde côtière.

Le projet de loi fut adopté en troisièmelecture à la Chambre des communes, mais mourutau feuilleton du Sénat au début d’avril 1997 quandle premier ministre Chrétien prorogea leParlement et déclencha une élection généralefixée au 2 juin. Cela signifiait que le projet de loidevrait être déposé de nouveau, ce qui ne seproduirait qu’après la rentrée des Chambres, àl’automne.

Entre-temps, une relève de la garde seproduisait au sein de l’Administration de la voiemaritime. Le mandat de président de GlendonStewart arrivait à échéance le 7 août 1997, date àlaquelle il prit sa retraite. Il avait guidé l’entreprisedans le cours d’une transformation remarquable ets’était acquis le respect de l’industrie. «La gestion àson meilleur», clamait le titre d’un article consacréau président sortant dans Canadian Sailings.

«M. Stewart peut être satisfait de son mandat àla tête de la Voie maritime», écrivait lecorrespondant outaouais du magazine, WilbrodLeclerc. «Le tonnage et les revenus ont augmenté.Les coûts ont décru. Les effectifs ont été réduits.La gestion améliorée. Tout cela est signe d’unerationalisation réussie. La Voie maritime fonctionnemaintenant selon des principes commerciaux.»

«Tout indique, poursuivait l’article, que la Voiemaritime a atteint l’étape où ses opérationspeuvent être prises en charge avec succès parl’industrie privée. Le groupe d’usagers qui attenddans la coulisse pourra aller de l’avant avec undegré accru de confiance.»

David Collenette devint ministre des Transportsdans le gouvernement Libéral réélu et annonça lanomination de Michel Fournier au poste deprésident et de chef de la direction par intérim de

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«Tout indique, poursuivait l’article, que la Voiemaritime a atteint l’étape où ses opérations peuventêtre prises en charge avec succès par l’industrieprivée.» Wilbrod Leclerc · magazine Canadian Sailings

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la Voie maritime. M. Fournier était un notaire publicde Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec, spécialiséen droit commercial et en droit corporatif. Legouvernement l’avait nommé, en 1995, àl’Administration de la voie maritime, où il avait étél’un de deux vice-présidents travaillant directementsous l’autorité de Glendon Stewart.

Cet automne-là, le ministre Collenette déposade nouveau le projet de loi destiné à amender laLoi maritime du Canada, et la Chambre descommunes en fit l’adoption avant le congéparlementaire de Noël. Le Sénat l’adopta enfin audébut de juin 1998, levant ainsi le dernier obstaclequi s’opposait au transfert du contrôle de la Voiemaritime aux utilisateurs.

Ce transfert se fit officiellement le 1er octobre1998, et une cérémonie destinée à marquerl’occasion fut tenue à bord du NM Canadian

Olympic alors qu’il transitait par le canal Welland.L’Administration de la voie maritime du Saint-Laurentdevint la Corporation de Gestion de la VoieMaritime du Saint-Laurent. Le siège social del’entreprise déménagea d’Ottawa, pour s’installer àCornwall. Le conseil d’administration nouvellementconstitué était formé de neuf membres enprovenance des industries du fer et de l’acier, ducommerce des céréales, des sociétés de transportmaritime, tant océanique qu’intérieur, et de troisreprésentants, respectivement, des gouvernementsfédéral, de l’Ontario et du Québec. Le neuvièmemembre était le nouveau président, Guy Véronneau.

Alors âgé de 61 ans, M. Véronneau possédaitplusieurs années d’expérience à titre de cadresupérieur d’entreprise et était une figure demarque au sein de l’industrie de la constructionnavale, alors en déclin. Il avait entamé sa carrière àla fin des années 1950 dans le domaine dutraitement mécanique des données, champ quiallait évoluer pour devenir celui de la technologiede l’information. D’abord entré au service d’unebrasserie, il passa à un journal, puis devint directeurdes systèmes et du traitement mécanique desdonnées chez Marine Industrie Ltée (MIL), sociétémanufacturière située à Sorel, au Québec, quiconstruisait des navires et des wagons de cheminde fer, et produisait du matériel hydroélectrique.

Vers la fin des années 1970, MIL lui confia laresponsabilité d’un projet de construction decargos pour le gouvernement polonais et, en 1980,il devint vice-président de la division deconstruction navale. En 1986, il quittait ce postepour aller occuper celui de vice-président,Marketing, à la division du transport en communchez Bombardier. Trois ans plus tard, il revenaitchez MIL, qui avait entre-temps fusionné avecDavie Shipbuilding, de Québec. M. Véronneauassuma la direction du chantier naval de Davie,jusqu’au moment où celui-ci fut vendu en 1996. Ilprit alors sa retraite, déménagea dans les Cantonsde l’Est, où il se trouvait toujours quand une

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Guy Véronneau, un ancien cadre supérieur de l’industrie de la

construction navale, devint le premier président de la

Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent,

qui venait d’être mise sur pied. Hésitant au départ à répondre

favorablement aux tentatives faites pour le recruter, il accepta

d’abord un mandat de trois ans, mais se plut su∫samment dans

le poste pour y rester cinq ans. cgvmsl

Page 87: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

entreprise de recrutement s’adressa à lui, en juin1998, au sujet du poste à la Voie maritime.

«Je leur ai dit: “Mais vous êtes fous, non?”»,devait se rappeler M. Véronneau quelques annéesplus tard. «J’avais passé sept années très difficilesau chantier naval et il me fallait me remettre del’expérience. Je n’avais pas du tout l’intention deretourner au travail.»

Mais le nouveau conseil d’administration de laVoie maritime tenait à se prévaloir de ses services.Ainsi, les chasseurs de têtes persistèrent et, à la find’août, il avait accepté. Le conseil souhaitait obtenirde sa part un engagement de deux ans. M. Véronneau accepta de rester en poste pendanttrois ans, mais finit par y passer près de cinq ans.«Je m’y suis plu énormément, affirme-t-il. C’était unorganisme très professionnel. Nous faisions nospremiers pas dans une relation complètementdifférente avec le monde.»

Son arrivée coïncida toutefois avec un nouvelaffaissement du volume des marchandisestransitant par la Voie maritime. Cinquante millionset demi de tonnes franchirent le réseau en 1998,puis le volume déclina au cours de chacune desquatre saisons suivantes, s’établissant à 41,4 millionsen 2002, la dernière année où M. Véronneauoccupa le poste de président.

Néanmoins, son mandat fut rempli de projets etd’initiatives, et il poussa plus avant latransformation de la culture d’entreprise lancée parGlendon Stewart. Son premier effort en ce sens futla tenue d’une retraite des gestionnaires dans unhôtel situé du côté américain des Mille-Îles. Cetterencontre fut l’occasion d’une très vaste démarchede planification stratégique et d’une réitération dela mission, de la vision, des valeurs et des buts del’entreprise.

Mais, ce qui est tout aussi important, c’est quela démarche mena à l’élaboration de quelquecinquante plans d’action et que quatre équipesfurent mises sur pied pour passer en revue la façondont le travail s’accomplissait à la Voie maritime.

Ces équipes furent chargées de se pencherrespectivement sur les questions suivantes: lagestion de projet et les dépenses en capital,l’entretien préventif et correctif, les tâchesassignées aux équipes des écluses, etl’approvisionnement. Les recommandationscontenues dans leur rapport indiquaient que lemoment était vraisemblablement propice à lacréation d’une nouvelle structure organisationnelle,et la Voie maritime retint les services d’une sociétéd’experts-conseils pour aider à sa mise en œuvre.

Cet exercice entraîna un remaniement completde la structure organisationnelle. Terminé en mars2000, ce remaniement résultait en une délimitationplus claire et plus efficace des responsabilitésrespectives des bureaux régionaux et du siègesocial. Les vice-présidents régionaux responsablesde l’exploitation, à Saint-Lambert et à St. Catharines,se virent confier deux responsabilités majeures:assurer de façon efficace le passage des navires surleur section de la voie navigable et veiller àl’entretien de l’infrastructure. Les services auxiliaires,tels ceux des ressources humaines, des finances etde technologie de l’information, furent centralisés ausiège social, à Cornwall, et un nouveau poste, celuide vice-président au développement stratégique etcommercial, fut créé.

«Nous prévoyons que cette nouvelle structureproduira une meilleure coordination etcommunication entre les services d’ingénierie,d’entretien et d’exploitation […] ce qui améliorera leservice à la clientèle tout en réduisant les coûts»,écrivait M. Véronneau dans le rapport annuel de1999–2000.

Avec le temps, le rôle joué par M. Véronneaudans la réorganisation de l’entreprise en vint à êtreapprécié par plusieurs de ses collaborateurs.

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Avec le temps, le rôle joué par M. Véronneau dans laréorganisation de l’entreprise en vint à être appréciépar plusieurs de ses collaborateurs.

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«Nous cherchions quelqu’un qui soit capable detransformer la culture de l’entreprise, et Guy a faitce qu’il fallait», devait déclarer par après leprésident du conseil, Robert Swenor. «Il a recueillile respect de tous. »

Albert Jacquez, qui était alors administrateurde la Saint Lawrence Seaway DevelopmentCorporation (SLSDC), ajoute: «Provenant dusecteur privé, Guy apportait à notre voie navigableun esprit et une culture d’entreprise différents. Ilaccueillait le changement, l’embrassait avecenthousiasme. Il était axé sur le rendement etl’obtention de résultats dans tous les secteurs del’entreprise.»

M. Véronneau estimait qu’il était impératifd’améliorer les rapports de travail de l’entreprise

avec les dirigeants de la SLSDC. C’est pourquoi ilinsista pour que la Voie maritime entreprenne departiciper à des missions commerciales regroupantde hauts représentants de la corporation américaineet des dirigeants de l’industrie du transport maritime.

L’amélioration des rapports entre les Canadienset leurs collègues américains entraîna la réalisationde deux initiatives importantes en matière detechnologie, qui sont venues renforcer lefonctionnement de la Voie maritime. En mars 2000,les deux organismes responsables de la Voiemaritime lancèrent un projet conjoint, conduit parles Américains, en vue d’acquérir et de mettre àl’essai, un système d’identification automatique(SIA) ayant pour objectif d’améliorer le contrôle dutrafic. Il fallut non moins de trois ans pour acheverles essais, procéder à l’installation des diverséléments du système et s’assurer qu’ilsfonctionnaient correctement, mais le jour del’ouverture de la saison de 2003, le SIA état enparfait état de fonctionnement.

Le SIA utilisait des transpondeurs et dessystèmes mondiaux de localisation pour transmettre

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Pendant trois ans à partir de l’an 2000, on procéda au

développement et à la mise à l’essai d’un système d’identification

automatique. Cette technologie fut mise en service au printemps

de 2003. Elle permettait un contrôle intégré et sans coupure du

trafic entre les centres situés à l’écluse de Saint-Lambert, à

l’écluse Eisenhower et sur le canal Welland. thies bogner

Page 89: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

des renseignements d’un navire à un autre, ou entreles navires et les centres de contrôle du trafic situésà Saint-Lambert et à St. Catharines du côtécanadien, et à l’écluse Eisenhower du côté américain.Au fur et à mesure qu’un navire franchissait lesécluses et les canaux, un transpondeur SIA installé àbord transmettait sa localisation aux centres decontrôle et aux autres navires. Sa positionapparaissait sur les écrans d’ordinateur des centresde contrôle et des autres navires en transit, etévoluait à l’écran selon que progressait son voyage.Le système était également en mesure d’estimerl’heure d’arrivée à une écluse donnée et de fourniraux capitaines des renseignements précis sur lavitesse et la direction des vents, la profondeur del’eau, l’état des glaces et la direction d’unchangement de cap.

«Avec le SIA, nous faisions d’une pierre deuxcoups, explique M. Véronneau. Le systèmeaméliorait la sûreté et la sécurité du réseau. Il enaccroissait l’efficacité, et nous avions justementdéfini l’efficacité comme l’un des moyens pourdévelopper l’entreprise.»

La seconde avancée technologique majeure fut lamise sur pied d’un site Web pleinement interactif,polyvalent et binational. La Voie maritime canadienneavait assumé la conduite de ce projet, et quand le sitefut devenu pleinement fonctionnel, il offrait auxtransporteurs maritimes un service sans égal. Ce sitedonnait aux armateurs, aux opérateurs et aux agentsun accès en temps réel à des renseignements sur lalocalisation des navires de même qu’un accès en ligneà leurs comptes. Il permettait aux utilisateurs dont lesbâtiments étaient vides de repérer des cargaisons,tandis que ceux qui en avaient à acheminerpouvaient localiser des navires. Le site proposaitégalement une calculatrice capable de produire uneestimation spécifique du coût d’une expédition demarchandises d’un point donné à un autre. Enfin, ilpermettait aux utilisateurs de remplir et d’achemineren ligne des déclarations de dédouanement anticipé

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Sur cette photo, on aperçoit des employés de la Voie maritime à

leur poste au centre de contrôle de St. Catharines. La Voie

maritime fut la première voie navigable au monde à adopter une

technologie aussi perfectionnée. thies bogner

Page 90: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

et de transit. Rapidement, le site attira quelque70000 appels de fichier par mois et devint la sourcede renseignements la plus complète au sujet de lanavigation commerciale sur la Voie maritime.

M. Véronneau lança également l’idée de deuxautres changements d’ordre technologique qui nepurent qu’être amorcés, mais non mis en œuvre,alors qu’il était encore président. Il chargea desmembres du personnel supérieur de commencer àse renseigner auprès de diverses voies navigables àtravers le monde sur un système d’amarrage mainslibres pour les navires quand ils transitaient par uneécluse. En d’autres mots, il souhaitait trouver unetechnologie qui permettrait de mettre fin à lapratique séculaire par laquelle les lieutenants, àbord des navires, passaient des câbles d’acier à deséclusiers qui amarraient le navire en attachant lescâbles à des grosses bittes de fer appeléesbollards. Enfin, M. Véronneau préconisait la misesur pied d’un programme qui ferait appel àl’hydraulique pour remplacer les moteurs et lescâbles d’acier utilisés jusqu’alors pour ouvrir etfermer les portes des canaux ainsi que les vannesd’entrée et de sortie de l’eau.

Entre-temps, en vue de réaliser desréductions de coûts, M. Véronneau en était venuà la conclusion que la Voie maritime devraittravailler de concert avec d’autres partiesintéressées au sein du réseau. En 1999, lui-mêmeet le président du conseil, Robert Swenor,entreprirent de tenir des rencontres avec desexpéditeurs, des sociétés de transport maritime,des autorités portuaires et d’autres intervenantspour discuter de stratégie et de planification

stratégique à la grandeur du réseau. Cesdiscussions menèrent à la formation d’un groupeappelé Le Forum des enjeux stratégiques de laVoie maritime.

Placé sous la présidence de M. Véronneau, leforum comprenait des représentants de Cargill, deStelco, de Québec Cartier, d’Algoma Central et deFednav, des ports de Duluth, de Thunder Bay et deMontréal, ainsi que de la Saint Lawrence SeawayDevelopment Corporation. Les membres du forumdécidèrent de poursuivre quatre objectifs, soitd’améliorer la gestion de la voie navigable et deréduire les coûts, d’accroître les tonnages sur leréseau, d’en améliorer la compétitivité à long termeet d’obtenir un soutien gouvernemental adéquat. Ilsformèrent des comités en vue de poursuivrechacun de ces buts.

Le forum était une initiative de longue haleinequi se poursuivit au-delà du mandat de M. Véronneau comme président et chef de ladirection de la Voie maritime. Dans le rapportannuel pour l’exercice 2001–2002, le présidentannonçait son intention de prendre sa retraite à lafin de l’exercice financier de l’année suivante, soitle 31 mars 2003. Il annonçait en outre qu’il avaitdéjà entrepris des démarches en vue de trouverquelqu’un pour lui succéder. M. Véronneau agit àtitre de président d’un comité de sélection detrois membres. Le comité tint des entrevues avecdes candidats possibles, tant à l’interne qu’àl’externe, avant d’arrêter son choix sur RichardCorfe, alors âgé de 54 ans, qui occupait lesfonctions de vice-président de la régionMaisonneuve de la Voie maritime, autrefoisconnue sous le nom de section Montréal-lacOntario. M. Corfe était le premier employé de laVoie maritime en plus de trois décennies à êtrechoisi pour diriger l’entreprise.

«Le candidat choisi devait être en mesure debien s’acquitter de ses fonctions, se rappelle M. Véronneau. Mais je dis au conseil qu’il seraitavantageux de nommer un président choisi à

96 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

«Alors même que nous desservons nos clients actuels,nous devons également envisager l’avenir. Il nous fautpromouvoir les avantages du transport maritime, enparticulier les avantages, du point de vue del’environnement, de réduire la pollution et lacongestion.» Richard Corfe

Page 91: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

l’interne. Cela serait bon pour le moral des troupeset, après tous les changements survenus au coursde la décennie précédente, il était important pournous de poursuivre notre chemin dans la mêmedirection.»

Ingénieur en mécanique, M. Corfe était né enAngleterre et y avait grandi. Il était diplômé de laCity University de Londres. Il avait entamé sacarrière dans l’industrie du caoutchouc et dupneumatique, avant de se joindre à la Voiemaritime en 1983 en tant que chef des servicesd’entretien. Au cours des deux décenniessuivantes, il avait travaillé dans les sections Est etOuest et détenu des postes qui touchaient àl’exploitation, au contrôle du trafic, à l’inspectiondes navires, aux relations avec la clientèle, à lasécurité et à l’environnement de même qu’à lanégociation de conventions collectives.

Le nouveau président héritait d’uneorganisation dorénavant allégée, efficace etfinancièrement saine en dépit du déclin desvolumes de trafic éprouvé depuis 1998. La Voiemaritime venait de compléter un cycle d’affaires decinq ans. Elle avait atteint ses objectifs en matièrede revenus, tout en maintenant ses coûts gérablesà près de 5 pour cent au-dessous de ce queprévoyait le budget. Et l’entreprise avait consacré123 millions de dollars à son programme derenouvellement de l’actif.

Au moment où la Voie maritime s’engageait dansun nouveau cycle d’affaires de cinq ans, leprésident Corfe souhaitait égaler ces réussites, etmême les dépasser, comme il l’expliquait dans lenuméro de juin 2003 du Maritime Magazine :«Alors même que nous desservons nos clientsactuels, nous devons également envisager l’avenir. Ilnous faut promouvoir les avantages du transportmaritime, en particulier les avantages, du point devue de l’environnement, de réduire la pollution et lacongestion. Il nous faut développer notreentreprise en mettant sur pied de nouveaux modesde prestation de nos services et en attirant de

nouveaux types de cargaisons. Et il nous fauttravailler de concert avec tous nos partenairespour faire en sorte que des décisions éclairéessoient prises en vue d’assurer l’avenir du transportpartout au pays.»

5 · Un nouveau départ | 97

Richard Corfe était le premier employé de la Voie maritime en

plus de trois décennies à accéder à la présidence de l’entreprise.

Il a été au premier plan des e◊orts destinés à accroître et à

diversifier la nature des cargaisons transitant par le réseau.

thies bogner

Page 92: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Au printemps de 1955, Evans McKeil rejoignait laruée de travailleurs—des milliers de manœuvres,d’ouvriers qualifiés et d’ingénieurs—qui, enprovenance de tous les coins du Canada,convergeaient vers Cornwall pour entreprendre laconstruction de la Voie maritime du Saint-Laurent.Le jeune McKeil arriva sur place en tant quemanœuvre. Employé au début, à bord d’uneplateforme de dragage, à dynamiter, puis à sculpterun chenal de navigation à même le fond rocheux dufleuve, il repéra vite une occasion. Les embarcationsservant à transporter les travailleurs vers leurs lieuxde travail depuis leurs camps, leurs hôtels ou leurspensions étaient rares. Avec l’aide de son père,William, McKeil fils construisit un bateau long de 40pieds—le Micmac—et, au cours des trois saisons quisuivirent, exploita, jour et nuit, un service denavette depuis le début de la navigation, auprintemps, jusqu’à la prise des glaces vers la fin del’automne. L’entreprise se maintint jusqu’à l’hiver de1958–1959, alors que le travail était à peu prèsachevé et que les contrats arrivaient à échéance.Mais la Voie maritime avait fourni l’occasion demettre sur pied une entreprise appelée à durer.

Le jeune entrepreneur s’installa à Hamilton,forma la société McKeil Marine et entrepritd’acquérir des remorqueurs. Au cours des quatredécennies qui suivirent, la petite entreprisefamiliale offrit des services à l’industrie dutransport et de la construction maritime sur lesGrands Lacs. Au début des années 1990, EvansMcKeil céda l’entreprise à son fils Blair. Ce derniers’engagea bientôt dans une nouvelle et audacieusedirection, celle du transport maritime, acheminantdes cargaisons aller et retour, depuis le golfe duSaint-Laurent jusqu’au lac Supérieur, au moyen debâtiments dits «intégrés». Ceux-ci réunissaient unremorqueur et une barge. Un cran en V dans lapoupe de la barge permettait à la proue duremorqueur de venir s’y fixer.

En l’espace de quinze ans, McKeil Marine devintle plus grand exploitant de remorqueurs et de

barges sur le côté canadien de la Voie maritime etdevait prendre livraison de cinq bargesnouvellement construites entre 2008 et 2013. Cesnavires font généralement 75 pieds de largeur, de350 à 450 pieds de longueur et peuvent transporterde 10000 à 14000 tonnes de cargo, soit la moitiéenviron de la capacité de chargement des vraquierset des auto-déchargeurs qui dominent le transportmaritime sur les Grands Lacs.

Ils compensent toutefois en polyvalence ce quileur manque en volume. Certaines barges sontfermées. D’autres possèdent un toit escamotable.D’autres encore n’ont que des parois. Ces navirespossèdent également un faible tirant d’eau, ce quileur permet de naviguer dans des ports interditsaux vraquiers et aux auto-déchargeurs. Dans lecours d’une saison typique, les navires de McKeilMarine transportent du carburant aviation deMontréal à Hamilton, des sous-produits d’acier deHamilton à Cleveland et du bois d’œuvre de l’îled’Anticosti, dans le golfe du Saint-Laurent, àCacouna de même que du sel, en provenance deWindsor, à Bécancour et du coke, provenant deHamilton, à Belledune, au Nouveau-Brunswick.

En juillet 2005, McKeil Marine commençad’acheminer des lingots d’aluminium depuis le portde Pointe-Noire, près de Sept-Îles, jusqu’à Trois-Rivières puis, de là, de les faire transiter par la Voiemaritime. Il s’agissait d’un nouveau type decargaison et, à la fin de la saison de transportmaritime de 2007, la société avait transporté plusde 300000 tonnes de lingots, tous produits parAluminerie Alouette, la plus importante aluminerieen Amérique du Nord.

«Notre entreprise a subi une cure derajeunissement, déclare Blair McKeil. Nous avonscontribué à l’expansion des affaires sur la Voiemaritime. Nous avons consenti des investissementsà long terme.»

De ce point de vue, McKeil Marine nereprésentait pas un cas isolé. Après quelque deuxdécennies de repli, au cours desquelles les volumes

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6 | La Voie maritime du Saint-Laurent:l’avenir

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de fret avaient connu des réductions et plusieurssociétés aux vieux noms familiers (Halco, Misener,Parrish & Heimbecker) avaient quitté l’industrie, lesgrosses entreprises depuis longtemps établiesavaient recommencé à investir. La majeure partiede l’argent disponible—largement au-dessus d’unmilliard de dollars—était consacrée auremplacement de vraquiers et d’auto-déchargeurs.Mais une part des fonds était également utiliséepour l’acquisition de nouveaux types de navires quipourraient bien représenter l’avenir du transportmaritime sur les Grands Lacs.

Fednav International, dont le siège social est àMontréal et qui est le plus importanttransporteur de classe océanique à utiliser laVoie maritime, est le chef de file en matière deconstruction de nouveaux navires. Fednavexploite une flotte de près de 100 navires, dont22 lui appartiennent en propre et le reste estloué. De 50 à 60 de ces navires sont aptes ànaviguer sur les Grands Lacs et la Voie maritimedu Saint-Laurent. Le président et chef de ladirection, Laurence Pathy, explique que de l’acierfini ou du demi-produit en provenance del’Europe, de l’Asie et de l’Amérique du Sudconstituent les principaux arrivages, alors que la

principale exportation consiste en céréalesdestinées à l’Afrique du Nord ainsi qu’àl’Amérique centrale et à l’Amérique du Sud.

En 1994, Fednav a lancé un programme derenouvellement de sa flotte en commandant, aucoût de 100 millions de dollars, six vraquiers de34000 tonnes au chantier naval Jiangnan, deShanghai, en Chine. Elle a pris livraison du dernierde ces navires dans la seconde moitié de 1997,après quoi elle a annoncé qu’elle avait commandé àla société Oshima Shipbuilding, d’Oshima, auJapon, quatre autres vraquiers, ceux-là de 35750tonnes chacun.

Peu après le tournant du siècle, Fednavcommandait à des chantiers navals de Chine et duJapon, au coût de 200 millions de dollars, septnouveaux bâtiments appelés à entrer en service

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Fednav, dont le siège social est à Montréal, est le plus important

usager de la Voie maritime dont les navires naviguent également

en haute mer. La société a construit plusieurs générations de

navires destinés au commerce sur le Saint-Laurent et les Grands

Lacs. Le Federal Rhine, que l’on aperçoit ici dans l’archipel des

Mille-Îles, est l’un de quatre navires de Fednav construit au

chantier naval Jiangnan, à Shanghai, en Chine, dans la seconde

moitié des années 1990. ron samson

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entre 2008 et 2011. M. Pathy explique que la sociétéa mis sur pied un programme à long terme derenouvellement de sa flotte, qui fera en sorte qu’ellecontinuera à commander de nouveaux navires et àretirer du service des bâtiments plus anciens. «Nousavons commencé à utiliser la Voie maritime dès sonentrée en service, ajoute M. Pathy. Nous maintenonsnotre engagement envers l’avenir des Grands Lacscomme l’une des bases de notre entreprise.»

Sur le plan national, Canada Steamship Lines(CSL) a consacré 225 millions de dollars, entre1999 et 2007, à la remise à niveau de sa flotte deonze auto-déchargeurs. La partie avant de quatrenavires et la section médiane de deux autres ontété munies de nouvelles coques. Les six bâtimentsfont maintenant 740 pieds de longueur et 78 delargeur, le maximum autorisé par les règlements dela Voie maritime. En même temps, CSL a aussiacquis des vraquiers. En 2003, elle achetait àFednav le Birchglen et le Spruceglen, et plus tardacquérait d’autres bâtiments de la même société—le Lake Michigan, le Lake Superior, le Lake Erie etle Lake Ontario, qui devaient se joindre à la flottede CSL en 2008 et 2009.

Ces navires de Fednav avaient tous étéconstruits au début des années 1980 mais, en dépitde leur âge, ils permettaient à CSL d’étendre saportée et d’accroître ses activités. Ce sont desnavires de haute mer, ce qui veut dire que CSLpeut les utiliser depuis le Saint-Laurent jusque surl’Atlantique et ce, à longueur d’année. Acquis aucoût de quelque 50 millions de dollars, ils pourront,estime-t-on, demeurer en service pendant unepériode de dix à quinze ans. «La prochaine étapeconsiste à construire de nouveaux navires, expliqueTom Brodeur, vice-président, Marketing et service àla clientèle. Certains de nos navires sont en passede devenir très vieux et devront être remplacés.»

Seaway Marine Transport, de son côté,envisageait un programme tout aussi ambitieux derenouvellement de sa flotte de vingt auto-déchargeurs et treize vraquiers, propriété conjointed’Algoma Central et du groupe Upper Lakes. Laplupart de ces navires avaient été construits entrela fin des années 1960 et la fin des années 1970, etle temps était venu de les remplacer. En 2007,Seaway Marine retint les services de deux sociétésde l’extérieur pour concevoir les coques et lessuperstructures d’une nouvelle génération denavires qui pourraient être convertis de vraquiersen auto-déchargeurs, ou vice-versa.

«Ils ont investi un million de dollars dans ledéveloppement de ce modèle, explique GraemeCook, vice-président, Expansion des affaires, ausein du groupe Upper Lakes. On constatera dansces nouveaux bâtiments un niveau destandardisation jamais vu parmi les navires de lagénération précédente.»

Les nouveaux navires ne représentaient quel’un des éléments du programme. Au début de2008, Algoma annonçait avoir acquis, au coût de 38millions de dollars, auprès de Viken Shipping AS,une société établie à Bergen, en Norvège, troisvraquiers adaptés aux dimensions de la Voiemaritime, mais aptes également à naviguer en hautemer. Ces navires, qui étaient alors loués à Fednav,

100 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

À partir de la fin des années 1990, les grandes sociétés de

transport maritime intérieur qui utilisent la Voie maritime ont

investi largement, plus d’un milliard de dollars, dans le

renouvellement de leur flotte. L’Algobay, que l’on aperçoit ici,

est l’un des navires de la flotte de Seaway Marine Transport qui

fut reconstruit à cette époque. cgvmsl

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devaient rejoindre la flotte de Seaway Marine d’icià l’année 2012. Construits vers la fin des années1980, l’on s’attendait à ce qu’ils puissent naviguersous pavillon d’Algoma pendant au moins vingt ans.

Deux autres vaisseaux de la flotte de SeawayMarine, le NM Algobay et le NM Algoport, étaienten voie d’être reconstruits. En novembre 2007,Algoma et Upper Lakes conclurent un accord envue de consacrer environ 125 millions de dollars à laconstruction de nouvelles avant-coques auto-déchargeuses destinées à être ajustées à la pouperemise à neuf des deux navires. La société ChengxiShipyard Co., installée à Jiangyin, en Chine, obtintle contrat pour ce travail et estimait être en mesurede livrer un premier vaisseau en décembre 2009 etun second en septembre 2010.

Le président et chef de la direction d’Algoma,Greg Wight, affirme qu’ajoutés aux vraquiers acquisde Viken, les navires reconstruits contribueront àmaintenir la capacité et la marge de manœuvre dela flotte de Seaway Marine en attendant laconstruction des nouveaux bâtiments. «Ils vontcombler l’écart jusqu’au moment ou nous pourronsmettre en service les nouveaux navires, explique-t-il. Ils constituent la première étape d’un projetmajeur de renouvellement de notre flotte que nousallons entreprendre au cours des cinq à dixprochaines années.»

§ Au cours du dernier demi-siècle, les vraquiers etles auto-déchargeurs ont été le pivot de l’industriedu transport maritime sur les Grands Lacs et lefleuve Saint-Laurent. Depuis l’ouverture de la Voiemaritime en 1959, ils ont acheminé près de deuxmilliards et demi de tonnes de marchandises, et ilsen achemineront vraisemblablement le mêmevolume, sinon plus, au cours des cinquanteprochaines années, s’il faut en croire l’Étude desGrands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent (GLVMSL), menée conjointement par leCanada et les États-Unis sur les perspectivesd’avenir du transport maritime sur ce cours d’eau.

Sept ministères et organismes, y comprisTransports Canada et le ministère des Transportsdes États-Unis, de même que les deux organismesnationaux responsables de l’administration de laVoie maritime, ont contribué à cette étude qui aété rendue publique à l’automne 2007.

L’étude s’est penchée sur quatre sujets:l’importance, du point de vue économique, duréseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent; les questions relatives à son impact surl’environnement; les coûts associés à l’entretien età la préservation de son infrastructure; lesoccasions et les défis que présente l’avenir. Lesauteurs en sont venus à la conclusion que la Voiemaritime a été un corridor vital pour le bassin desGrands Lacs et celui du Saint-Laurent, et qu’elle ledemeurera. Depuis les années 1990 et le début dusiècle présent, le réseau fonctionne à environ 60pour cent de sa capacité et sert à acheminerannuellement quelque 40 à 45 millions de tonnesde fret, ce qui représente environ 1,2 milliard dedollars en coûts de transport chaque année.

«Un tel volume de trafic ne peut simplementpas être transféré à un réseau de transportterrestre déjà surchargé sans conséquenceséconomiques graves pour les industries touchées,conclut le rapport. Le transport maritime demeureun complément essentiel et viable aux réseauxroutiers et ferroviaires implantés dans la région.»

Les auteurs estiment que le volume du trafic envrac sur les deux sections de la Voie maritimepourrait s’accroître d’environ 20 pour cent au coursdes vingt prochaines années, entraînant desavantages économiques additionnels, et exigeant lerenouvellement de même que l’accroissement de laflotte intérieure existante.

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Au cours du dernier demi-siècle, les vraquiers et lesauto-déchargeurs ont été le pivot de l’industrie dutransport maritime sur les Grands Lacs et le fleuveSaint-Laurent.

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Toutes ces observations constituent de bonnesnouvelles pour l’environnement puisque letransport maritime présente deux avantagesmajeurs. Il est le mode de transport le pluséconomique, et l’étude GLVMSL en vient à laconclusion qu’il est aussi le moins dommageablepour l’environnement. «Le secteur des transportsdans son ensemble, écrivent les auteurs de l’étude,contribue pour 27% des émissions de [gaz à effetde serre]. Toutefois, moins de 3% des émissions deGES proviennent de l’expédition maritime.

«Comme chaque navire transporte une trèsgrande quantité de cargaison, l’expédition maritimedemeure globalement plus économe en carburantque le train ou le camion; elle consomme le moinsd’énergie et produit moins d’émissions»,poursuivent les auteurs.

En dépit de ces avantages, toujours selonl’étude, la navigation commerciale n’en a pas moinsdes effets adverses sur l’environnement, et ce, dediverses façons. Les navires utilisent un carburantde moins bonne qualité que les trains ou lescamions, et leurs émissions comportent desquantités relativement élevées de dioxyde de

soufre, d’oxyde d’azote et de matière particulaire.Le passage régulier de gros navires près du rivage,particulièrement sur le Saint-Laurent, a des effets àlong terme sur les berges, les zones humides et lesîles de même que sur les espèces aquatiques. Ledragage peut endommager l’habitat faunique ou ledétruire et modifier les niveaux d’eau, tandis queles eaux de ballast lâchées par les navires de hautemer sont l’un des vecteurs d’introduction d’espècesaquatiques envahissantes.

L’étude note toutefois que les deux organismesresponsables de l’administration de la Voiemaritime, canadien comme américain, ont adoptéune série de politiques et de pratiques destinées àrestreindre les dommages causés àl’environnement. Ils ont mis en place des directivesrigoureuses en matière d’eaux de ballast. Dans lebut de modérer l’érosion et d’améliorer la sécurité,les limites de vitesse ont été abaissées dans leschenaux étroits. Des avis de sécurité relatifs autirant d’eau sont diffusés pour mettre en garde lescapitaines et les officiers à bord des navires, ce quiaide à réduire les échouages et autresperturbations. Des normes de qualité en matièrede carburant ont été adoptées, avec pour objet delimiter les émissions nocives. Enfin, les autoritésportuaires contrôlent l’ancrage, la gestion desdéchets et toute autre pratique qui peut nuire à laqualité de l’eau.

En bref, les auteurs du rapport concluent: «Ces20 dernières années, les industries qui utilisent leréseau GLVMSL et les organismes qui en sontresponsables ont assumé la fonction de géranceenvironnementale.»

§ L’entretien de l’infrastructure—responsabilitéconjointe de la Voie maritime et du gouvernementfédéral en vertu de l’accord de commercialisationde 1998—constitue un second défi majeur.L’infrastructure, sur la section Montréal-lac Ontario,comprend cinq écluses, six ponts levants, deuxponts basculants et un pont tournant. Les coûts

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Cette a∫che a été conçue dans le cadre de la campagne de

marketing en faveur de l’Autoroute H2O. Elle est destinée à

expliquer quelques-uns des avantages économiques et

environnementaux du transport maritime. Les navires

produisent moins de bruit, sont plus sécuritaires et fournissent

un meilleur rendement que les trains et les camions. cgvmsl

Page 97: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

d’exploitation de base sont en moyenne dequelque 31 millions de dollars par an. La facturepour le canal Welland est plus élevée, s’établissant,selon les années, entre 38 millions et 41 millions dedollars, mais le matériel y est beaucoup plusimportant: onze écluses, trois ponts levants et huitponts basculants.

Dans le cadre d’un plan quinquennal derenouvellement des actifs qui s’est étendu de 2003à 2008, les dépenses en immobilisations ont atteint170 millions de dollars. Transports Canada acontribué près de 108 millions de dollars, alors quela Corporation de Gestion de la Voie maritime duSaint-Laurent (CGVMSL) a fourni le reste, soit unpeu plus de 62 millions de dollars. Le projet le plusimportant touchait le canal Welland et consistait enla conversion à l’hydraulique du matérielmécanique d’origine. Entrepris en 2005,l’achèvement de ce projet est prévu pour 2010. Lereste des fonds a été affecté à diverses autrestâches, telles du dragage, des réparations auxécluses et aux ponts, le remplacement d’autrespièces de matériel mécanique et la mise à niveaude systèmes électriques, explique le directeur duservice d’ingénierie civile de structures à la Voiemaritime, Mike Whittington.

Entre-temps, Ottawa avait accepté departiciper au second plan quinquennal (2008-2013)de renouvellement des actifs, évalué, celui-là, à 270millions de dollars. Sur le canal Welland, la Voiemaritime entrevoyait de compléter, au coût dequelque 30 millions de dollars, la transition àl’hydraulique. On espérait également achever laréfection de la face des murs d’écluse commencéevers la fin des années 1980, après l’effondrement dumur ouest de l’écluse 7 en octobre 1985. Le travailavait été entrepris dans le cadre du programme deréhabilitation du canal Welland et devait s’étendresur sept ans, mais le financement fourni par legouvernement fédéral se révéla inadéquat et lesfonds furent épuisés avant que la tâche pût êtremenée à terme.

Toutefois, le projet de loin le plus important,appelé à s’étendre sur dix ans et à coûter 80millions de dollars, avait trait aux bajoyers à l’entréedes écluses du canal Welland. Ces ouvragesconsistaient en pieux de gros bois, surmontés d’unecalotte en béton. Vieux de quarante ans et en étatde détérioration, les pieux devaient être remplacéspar des pieux métalliques et munis de nouvellescalottes.

Au-delà de l’année 2013, la Voie maritime feraface à un défi d’entretien encore plus important,

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L’entretien d’une infrastructure vieillissante, tel ce pont levant,

à l’écluse de Saint-Lambert, constitue un défi majeur. Mais le

programme exhaustif de gestion de l’infrastructure en place à la

Voie maritime, de même que l’initiative continue de

renouvellement des actifs ont fait de la voie navigable l’une des

plus fiables au monde. ron samson

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soit la réfection de la face des murs de quatre descinq écluses de la section Montréal-lac Ontario.L’on s’attend à ce que le projet nécessite seizeannées de travail et coûte jusqu’à 350 millions dedollars. Un phénomène connu sous le nom deréaction alcaline des granulats est à la source d’uncertain gonflement des murs et de la formation delézardes, résultant en un mauvais alignement de lamachinerie, comme les portes et les vannes, et unrétrécissement progressif des sas d’écluse.

Le gonflement des murs s’est manifesté entrele milieu et la fin des années 1990, explique leprésident de la Voie maritime, Richard Corfe. Aumoment d’entreprendre les préparatifs liés auxtravaux à être exécutés au cours de l’hiver, leséquipes d’entretien commencèrent à éprouverdes difficultés à mettre en place les poutrellesd’arrêt dans les crans pratiqués au sommet et aubas des écluses. «Nous nous demandions ce quise produisait, se rappelle M. Corfe. Il fallaitraboter les poutrelles pour arriver à les mettre enplace.»

Les ingénieurs de la Voie maritime finirent pardéterminer que le problème était causé par uneréaction de l’alcali contenu dans le mortier deciment à des composants du granulat. Le gonflementprogresse lentement, au rythme d’un pouce environtous les cinq ans. «Théoriquement, nous comptons80 pieds entre les murs, explique M. Corfe. Enréalité, nous en sommes rendus à 79 pieds sixpouces, ou sept pouces en certains endroits.»

La solution consistera vraisemblablement àforer les murs de la surface à la base. Ces murs fontenviron 20 pieds d’épaisseur au somment et 50d’épaisseur à la base. On y installera ensuite desdispositifs d’ancrage pour bien les assujettir. Puis, àl’aide de charges explosives, de pellesrétrocaveuses et de marteaux perforateurs, jusqu’àtrois pieds de béton seront arrachés aux murs.Pour terminer, on en reconstruira la surface à l’aidede béton contenant des granulats appropriés.

En plus des projets de renouvellement desactifs envisagés conjointement par la Voie maritimeet Transports Canada, la Corporation elle-même ainvesti dans les nouvelles technologies de pointe.En 2007, elle a entrepris de mettre à l’essai, sur lecanal Welland, un système d’amarrage mains libres,concept préconisé par Guy Véronneau alors qu’iloccupait le poste de président. L’un des objectifsque l’on poursuivait était de réduire le temps mispar un navire à franchir une écluse. Un autreconsistait à mieux utiliser les services du personneld’écluse en lui confiant du travail d’entretien plutôt

104 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Les céréales, le minerai de fer et les marchandises en vrac

demeurent la pierre angulaire du transport maritime

commercial sur la Voie maritime. Mais, au cours des années

récentes, grâce, notamment, au marketing agressif des deux

corporations responsables de la voie navigable et de leurs

partenaires, celle-ci a réussi à attirer d’autres types de

cargaisons. Cette photo montre un océanique remontant, qui

transporte des pales d’éolienne. ron samson

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que de l’affecter à la tâche monotone et routinièredu maniement des câbles d’amarrage. La Voiemaritime fit l’acquisition de la technologie mainslibres de la société Cavotec MoorMaster, installéeà Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et la mit àl’essai, au cours de l’été 2007, à l’écluse 8 du canalWelland parce qu’elle élève ou abaisse les naviresuniquement de trois pieds. «Nous avons aplani biendes difficultés et décelé les problèmes quirestaient à résoudre», explique Mike Whittington.

En 2008, la Voie maritime a mené des essais àl’écluse 7, où l’élévation du niveau des eaux est de 47pieds et demi. Le système mains libres remplace lescâbles d’amarrage utilisés jusqu’ici par deux caissonssous vide, ou boîtiers en acier, de formerectangulaire, faisant quelque quatre pieds sur huit,et qui sont recouverts, comme la tête d’un tambour,d’un joint d’étanchéité en caoutchouc. Une pomperetire l’air de ce dispositif, créant ainsi un vide qui faiten sorte qu’il adhère solidement au flanc du navire.L’appareil est rattaché à une cuve de flottaison qui sedéplace verticalement sur des rails encastrés dansune rainure pratiquée dans le mur d’écluse.

Si l’essai dans une écluse de pleine hauteur serévélait satisfaisant, la Voie maritime espéraitinstaller ce système mains libres dans les six autresécluses du canal Welland. Cette initiative, qui sevoulait davantage un projet d’ordre stratégiquequ’une question de renouvellement del’infrastructure, était destinée à améliorer lerendement du réseau. Le coût total du projet étaitestimé à 50 millions de dollars et, au printemps de2008, la Voie maritime travaillait à l’élaborationd’une analyse de rentabilisation et négociait avecTransports Canada en vue d’en faire couvrir lescoûts, en tout ou en partie, par ce ministère. Alorsque ce projet, à l’origine, était envisagé comme unemesure destinée à réduire les coûts, il setransforma, par la suite, en un effort qui avait pourbut d’amoindrir les obstacles à l’accès au réseaupour une vaste gamme de navires et d’offrir à laclientèle une plus grande souplesse et plus de

facilité en matière d’utilisation de la voie navigable.La Corporation voit ce programme comme la pierreangulaire de son initiative stratégique destinée àaccroître l’achalandage sur la Voie maritime.

§ Avec une infrastructure fiable et bien entretenue,et un marché stable pour les marchandises en vrac,deux composantes de l’avenir de la Voie maritimesont déjà en place. Mais un défi majeur reste encoreà relever: la diversification et l’accroissement descargaisons transitant par le réseau. La Voie maritimetravaille de concert avec les exploitants de navires,tant anciens que nouveaux, en vue d’attirer une partplus importante de marchandises diverses et deconteneurs, stratégie que préconisait l’Étude desGrands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent.L’entrée en service de remorqueurs et de barges, demême que de petits navires polyvalents est perçuecomme une première étape en vue d’améliorer lagamme des marchandises acheminées sur le réseau.Et ces nouveaux types de navires pourraient trèsbien représenter un élément significatif de l’avenirdu transport maritime sur les Grands Lacs.

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En 2008, la Voie maritime a mené des essais à l’écluse 7, où l’élévation du niveau des eaux est de 47 pieds et demi.

Les corporations canadienne et américaine responsables de

l’administration de la Voie maritime de même que leurs

partenaires au sein de l’initiative Autoroute H2O se sont

employés à attirer sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs

le trafic de conteneurs. transports canada

Page 100: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

McKeil Marine a joué un rôle de leader enmatière d’utilisation de remorqueurs et de bargesen vue de mousser les affaires, mais d’autressociétés ont également investi des ressources dansce mode de transport. Upper Lakes a acquis dessystèmes semblables à ceux qui sont en usage surle fleuve Mississippi. Graeme Cook explique qu’en2005, sa société a affrété deux remorqueurs et huitbarges pour transporter des céréales—dont unecertaine part destinée à des usines de fabricationd’éthanol—de Prescott, en Ontario, à desterminaux situés à Sorel, à Trois-Rivières, et àSillery, au Québec. Chacune de ces barges fait 200pieds de longueur sur 35 pieds de largeur et peutcontenir environ 1500 tonnes de céréales. Unremorqueur pousse deux barges à la fois, côte àcôte, une approche en usage sur le Mississippi, oùun seul remorqueur pousse souvent jusqu’à huitbarges à la fois.

Upper Lakes transporte en direction aval desbarges remplies de céréales, qu’elle laisse à unterminal pour être déchargées. Le remorqueurrepart en direction amont avec deux barges vides envue de prendre une nouvelle cargaison à Prescott.Un voyage aller-retour de Prescott à Sorel nécessitetrois jours et, en utilisant le système américain,appelé «drop-barge», qui consiste à se séparer debarges à divers points de raccordement en cheminet à en reprendre d’autres, les remorqueurs sont enactivité la majeure partie du temps. «Le système enusage au Mississippi est l’un des modes de transportmaritime les plus efficaces au monde, affirmeGraeme Cook. Nous avons décidé de l’imiter. Inutilede tenter de réinventer la roue.»

Au fur et à mesure que la Voie maritime s’adapteà la nouvelle donne, un potentiel important existe,selon l’étude, pour l’ajout de marchandises diverses.Ces prévisions se fondent sur la croissance prévue:

d’abord, celle de l’économie de la région des GrandsLacs; celle, ensuite, du mouvement des conteneursdepuis l’Asie vers l’Amérique du Nord. L’étudeprévoit que le produit intérieur brut des États etdes provinces qui bordent les Grands Lacs fera plusque doubler, croissant de 6 billions de dollars en2005, à 14 billions de dollars d’ici à l’an 2050. Cettesituation entraînera une croissance importante de lapopulation et une congestion tout aussiremarquable au sein des systèmes de transportterrestres.

L’étude prévoit que le trafic mondial deconteneurs croîtra annuellement de 6,3 pour centd’ici à l’année 2020. À cette date, près de 100millions d’équivalents vingt pieds (EVP) atteindrontchaque année l’Amérique du Nord. Mais, déjà auxprises avec la congestion, les ports de Los Angeles,de Seattle et de Vancouver, sur la côte Ouest,voient leur capacité d’expansion limitée par le faitqu’ils sont situés dans d’importantes zonesurbaines. Selon le rapport, le tiers environ du traficde conteneurs devra être détourné de la côteOuest vers l’est. La moitié de ce volume transiterapar le canal de Panama, et le canal de Suezapparaît de plus en plus comme une solution derechange pour traiter l’excédent. Les marchandisestraverseraient l’océan Indien, parcourraient lalongueur de la mer Rouge, pour aboutir au canal deSuez et traverser par la suite la Méditerranée avantd’emprunter l’Atlantique Nord en direction de portstels ceux de Halifax et de Norfolk, en Virginie.

«Ces pressions et ces tendances pourraientcréer des possibilités pour le réseau GLVMSL,conclut l’étude. Comme le réseau fonctionne àenviron la moitié de son potentiel de capacité, ilpeut accueillir un trafic qui soulagerait au moinsune partie de la congestion croissante des routeset voies ferrées de la région.»

Une importante possibilité se dessine, à l’heureactuelle, d’entreprendre par la Voie maritime, àpartir de ports en eau profonde, l’acheminementde conteneurs en direction des marchés de

106 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

«Nous voulons devenir un partenaire important dansl’acheminement de conteneurs.…» Richard Corfe

Page 101: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

consommation situés sur les Grands Lacs. Letransport maritime à courte distance—lemouvement de marchandises, principalement enconteneurs, par des voies navigables intérieures oucôtières, grâce à un réseau intégré comprenant destrains et des camions—constitue une autre façond’accroître et de diversifier les cargaisons. Lesgouvernements européens considèrent le transportmaritime à courte distance comme un moyen deréduire la congestion sur les autoroutes encontournant les zones urbaines et en évitant lesgoulots d’étranglement de la circulation, et ils ontrésolument favorisé cette façon de faire depuis ledébut des années 1990.

Au cours de la dernière décennie, TransportsCanada et le ministère des Transports des États-Unis ont examiné le potentiel que présentent lesvoies navigables pour réduire la congestion sur lesroutes et les chemins de fer. Le 16 juillet 2003, leCanada et les États-Unis signaient un protocole decoopération sur le transport maritime à courtedistance, protocole que le Mexique a égalementparaphé un peu plus tard. Cet accord encourageaitles trois pays à échanger de l’information sur despercées en recherche ou dans le domainetechnologique qui pourraient servir à promouvoirle concept.

«Nous voulons devenir un partenaire importantdans l’acheminement de conteneurs, déclare RichardCorfe. Alors que la Chine, l’Inde et d’autres paysasiatiques sont en passe de devenir producteurspour l’ensemble de la planète, plusieurs ports de lacôte Ouest fonctionnent à pleine capacité oupresque. Nous nous attendons à ce qu’une partbeaucoup plus importante de ces cargaisonsdébarque sur la côte Est de l’Amérique du Nord.Nous entrevoyons des opérations detransbordement de conteneurs entre des océaniqueset des navires plus petits, de taille adaptée à desvoies navigables. Ces navires livreront ensuite lesmarchandises par eau à tous les ports situés le longde l’Autoroute H2O—Montréal, Toronto, Hamilton,Cleveland, Detroit, Chicago—parce que les routes etles chemins de fer sont déjà congestionnés et quecette situation ne peut qu’empirer.»

En dépit des risques inhérents, deux sociétés sepréparaient à lancer, au printemps de 2008, desservices de transport maritime à courte distance, àl’aide de navires porte-conteneurs de type européen,

6 · L’avenir | 107

Un navire de transport maritime à courte distance de type RO/RO

et LO/LO. Les camions peuvent utiliser la rampe arrière pour

atteindre les cargaisons en pontée, alors que deux énormes grues

sont utilisées pour soulever les cargaisons. upper lakes shipping

Page 102: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

108 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

la question des péages

La Voie maritime allait être libre de dettes enl’an 2008. Le premier président del’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, Lionel Chevrier, faisait cette prédictionhardie dans son livre de 1959 portant sur laconstruction de la voie navigable et lesdécennies de débats qui l’avaient précédée.Cette prédiction reflétait l’opinion, alorslargement répandue, que les péagesgénéreraient des revenus suffisants pourcouvrir les coûts annuels d’exploitation etd’entretien, de même que le remboursement dela dette et les frais d’intérêt.

Le gouvernement américain avait posécomme condition de sa participation au projetque la Voie maritime soit exploitée selon leprincipe du financement par l’usager. Laquestion était complexe et les comités mis surpied étaient aux prises avec un très grandnombre d’impondérables. Ils ignoraient quellepart du trafic consisterait en céréales, en mineraide fer et autres marchandises en vrac, laquelleserait constituée de semi-vrac, tels le bois depâte et le sel, laquelle, enfin, consisterait enmarchandises diverses. Ils devaient égalementmettre en place des tarifs qui ne feraient pas dedistinctions injustes entre les produits de base,transportés par les plus gros navires, et lesfournitures de tout genre, acheminées par desnavires beaucoup plus petits.

Au moment de l’ouverture du réseau, auprintemps de 1959, les usagers de la sectionMontréal-lac Ontario étaient assujettis à unpéage de quatre cents par tonneau de jaugebrute, de quarante cents par tonne dechargement en vrac et de quatre-vingt-dix centspar tonne de marchandises diverses. Lesnavires transitant par le canal Welland payaientdeux cents par tonneau de jauge brute, deuxcents par tonne de vrac et cinq cents par tonnede marchandises diverses.

Le gouvernement fédéral suspendit lespéages sur le canal Welland en 1962 et, cinq ansplus tard, imposa un modeste droit d’éclusage,

qui demeura en vigueur jusqu’en 1977. Lespéages furent maintenus sur la sectioninternationale, celle de Montréal-lac Ontario,bien que durant les années 1960 et jusque dansle cours des années 1970 ils soient restésbloqués à leurs niveaux premiers de 1959. Lespéages étaient perçus par les autoritéscanadiennes, qui en retenaient 71 pour cent,alors que le solde—29 pour cent—était versé àla Saint Lawrence Seaway DevelopmentCorporation.

Les revenus de péage s’accrurent de façonphénoménale entre 1959 et 1979, reflétant lacroissance des volumes de cargaisons quitransitaient par la Voie maritime. Une majoritéd’années, l’Administration canadienne de la voiemaritime recueillit assez d’argent pour couvrirles dépenses d’exploitation et d’entretien. Maisil devint vite apparent que les péages negénéreraient jamais assez de revenus pourrembourser progressivement la dette liée à laconstruction de la voie navigable, qui étaitdétenue par le gouvernement canadien. Pouraggraver la situation, l’Administration de la voiemaritime était même incapable de couvrir enentier les frais d’intérêt annuel sur cette dette,si bien que chaque année l’intérêt demeuréimpayé venait s’ajouter à l’ensemble de la dette.

En 1959, la dette s’élevait à 283 millions dedollars, la majeure partie imputable à laconstruction de la section Montréal-lac Ontario.À la fin de la saison 1974, la dette avait bondi à786,6 millions de dollars. Cette situation étaitintenable à long terme. Elle rendait impossibleune planification financière réaliste. Elleébranlait le moral de l’entreprise et portaitpréjudice à la perception que le public se faisaitde la Voie maritime.

Un an plus tard, la dette avait atteint 817millions de dollars, et l’Administration de la voiemaritime estimait qu’elle pourrait atteindre unmilliard de dollars en 1981 à moins que desmesures correctives aient été prises entre-temps. L’organisme tirait de l’arrière chaqueannée parce que, depuis 1973, les revenus despéages ne suffisaient plus à couvrir les coûtsd’exploitation et d’entretien. Ces déficits annuels,

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6 · L’avenir | 109

auxquels s’ajoutait l’intérêt qui ne pouvait êtreacquitté, accroissaient le total de la dette.

En 1976, la direction de l’Administration de lavoie maritime soumit au gouvernement un plande restructuration de la dette, qui comprenaitune augmentation des péages—la premièredepuis 1959—mesure à laquelle l’industrie dutransport maritime s’opposait avec véhémence.Un éditorial paru dans le numéro de novembre1975 de Canadian Shipping and MarineEngineering déclarait: «Depuis des années,Canadian Shipping demande l’abolition despéages sur la Voie maritime, estimant qu’ils sontpunitifs et discriminatoires. Après tout,pourquoi la Voie maritime serait-elle traitéedifféremment de la route Transcanadienne?Toutes deux sont des artères économiquesvitales et, pourtant, l’une impose des péages,alors que l’autre ne le fait pas.»

En dépit de pareille opposition, legouvernement approuva un train de mesuresqui entrèrent en vigueur le 1er avril 1977. Ottawaconvertit 625 millions de dollars de prêts encapital-actions ordinaire détenu par legouvernement fédéral. La Voie maritime devaitverser annuellement un pour cent au Trésorpublic à titre de rendement sur le capitalinvesti. Une autre part de 216 millions de dollarsen intérêts non versés fut transformée en prêtsans intérêt, dont le gouvernement, par la suite,n’exigea pas le remboursement. Les péagesfurent accrus sur les deux sections de la voienavigable à un niveau qui devait permettre decouvrir les coûts annuels d’exploitation, ycompris l’amortissement comptable et le unpour cent de rendement sur le capital investi dûau gouvernement.

L’augmentation des péages fut échelonnéesur une période de trois ans, à partir de 1978.Au même moment, la Voie maritimemanutentionnait des volumes records decargaisons. À la fin de la saison de 1979,l’Administration de la voie maritime pouvait faireétat d’un niveau de revenus jamais atteint demême que d’un surplus de 1,4 million de dollars,le premier de toute l’histoire de la Voie

maritime. «Après toutes ces années de bilansdéficitaires, écrivait le nouveau président, BillO’Neil, dans le rapport annuel pour 1979, lesrésultats de l’an dernier sont assurément unesource de grande satisfaction.»

En vertu de cette restructuration financière, laVoie maritime était appelée à devenir une sociétéd’État financièrement autonome. Mais l’atteintede cet objectif allait se révéler un défi majeur aucours des deux décennies qui suivirent. Lesvolumes de cargaisons déclinèrent de façonmarquée durant la récession du début desannées 1980 et ne retrouvèrent jamais les niveauxatteints à la fin des années 1970. Le vieillissementde l’infrastructure entraînait un accroissementdes coûts d’entretien. L’Administration de la voiemaritime entreprit de réduire les dépenses etdut, de façon répétée, puiser dans les réservesliquides qu’elle avait accumulées pendant lesbonnes années pour éviter de devoir faire appel àl’aide gouvernementale.

Dans ces circonstances, une augmentationdes péages était inévitable. Ceux-ci furentaccrus en 1982 et, de nouveau, en 1983, puisfurent gelés en 1984. L’Administration de la voiemaritime et son pendant américain s’entendirentpour prolonger ce gel sur la section Montréal-lacOntario jusqu’à la fin de la saison de 1988. Àcette date, le canal Welland était devenu unesource majeure des déficits annuels de la Voiemaritime. Il en résulta que les droits d’éclusagefurent rétablis sur le canal Welland en 1982 etque les péages sur cette section s’accrurent de15 pour cent en 1985 et de huit pour cent tant en1987 qu’en 1988.

À la fin des années 1980, l’Administration dela voie maritime continuait à réduire les coûts,mais avait commencé à réfléchir sérieusementaux moyens à prendre en vue d’attirer unenouvelle clientèle qui lui permettrait d’accroîtreses revenus. En 1990, on institua un programmede péages incitatifs à l’intention destransporteurs maritimes qui utilisaient la voienavigable pour la première fois et on consentitdes remises aux transporteurs en fonction desvolumes de marchandises acheminés. Par la

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à manutention à la fois horizontale et verticale,appelés RO/RO et LO/LO (d’après l’anglais roll on,roll off, load on, load off). La société Great LakesFeeder Lines, installée à Burlington, en Ontario,prévoyait lancer le premier service régulier de porte-conteneurs sur la Voie maritime par un parcourshebdomadaire reliant Halifax, Montréal et Toronto.Le président et chef de la direction, Aldert vanNieuwkoop, ancien cadre supérieur dans le domainedu transport maritime en Europe et ancien directeurdu marketing à la Voie maritime, déclarait que sasociété allait utiliser à cette fin un navire construit enAllemagne et vieux de vingt ans, le Dutch Runner.

Ce bâtiment, qui fait 260 pieds de longueur et 51pieds de largeur, peut transporter environ 3000tonnes de marchandises. «Ce n’est pas un très grosnavire», explique M. van Nieuwkoop, dont la sociétébénéficie de l’appui financier d’une firme

d’acheminement de marchandises située à Erie, enPennsylvanie. «Mais nous desservons un marché enémergence, et nous comptons remplir le navire. Noussommes des pionniers dans le domaine. Il fautcependant un plus grand nombre de navires de cetype sur ces eaux si nous voulons que les portsconsentent à investir dans l’infrastructurenécessaire.»

Upper Lakes, de son côté, a mis en service unnavire américain, le John Henry, d’une longueur de300 pieds et d’une largeur de 55 pieds, qui peuttransporter 3000 tonnes de marchandises. Ce cargoest muni d’une rampe arrière et d’une rampe avant,ainsi que de deux grues pour charges lourdes,chacune assez puissante pour soulever ou abaisser450 tonnes de marchandises. Graeme Cook expliquequ’Upper Lakes se livrait à une expérience pourmettre à l’épreuve le marché. Au début, la société

110 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

même occasion, un nouveau tarif de péages futapprouvé, qui prévoyait une moyenned’augmentations de 5,75 pour cent par an en1991, 1992 et 1993.

Entre-temps, les États-Unis avaient éliminéles péages sur leur portion de la Voie maritimeen 1985, mais ceux-ci furent en réalitéremplacés par une taxe d’entretien des ports,que les sociétés de transport maritimeacquittent chaque fois qu’un de leurs bâtimentspénètre dans un port américain. Legouvernement canadien continua jusqu’en 1995à percevoir les péages auprès des navirestransitant par les deux écluses situées du côtéaméricain. Ces revenus étaient remis à la SaintLawrence Seaway Development Corporation,qui les remboursait aux usagers.

Depuis la commercialisation de la voienavigable, en 1998, la Corporation de Gestionde la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL)est autorisée, en vertu des ententes qui la lientà Transports Canada, à accroître les péages dedeux pour cent par année. Ces ententes, d’unedurée de cinq ans chacune, permettaientégalement à la Corporation d’accroître les

péages de moins de deux pour cent, à conditionque certains objectifs financiers aient étéatteints. Le président de la CGVMSL, RichardCorfe, note qu’au cours de la premièredécennie qui suivit la commercialisation, lespéages s’accrurent de 20 pour cent, alors quel’indice des prix à la consommation avait grimpéde 25 pour cent au cours de la même période.

En 2008, la CGVMSL et Transports Canadaont paraphé une troisième entente de cinq ans,couvrant la période de 2008 à 2013. Les péagessont gelés pour les trois premières années, et legel peut être étendu aux deux annéessubséquentes si la Voie maritime atteint lesobjectifs qu’elle s’est fixés relativement aurecrutement de nouveaux usagers.

«Au cours des dernières années, il nous aété possible de proposer aux usagers unenvironnement plus prévisible, déclare M. Corfe. Les revenus ont couvert chaqueannée les coûts d’entretien. Cet état de faitnous a permis de contribuer au coût derenouvellement des actifs. Pour les usagers, cesmesures ont entraîné une situation très stable.Meilleure que jamais auparavant.»

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comptait utiliser un remorqueur pour pousser lebâtiment, ce qui permettait d’éviter le coût d’y mettreen place un équipage, mais cette situation pourraitchanger au gré de l’évolution des affaires.

«L’un des problèmes que pose pour nous cettenouvelle génération de navires est quel’infrastructure nécessaire est inexistante dans lesports, fait observer M. Cook. C’est la vieille histoirede la poule et de l’œuf. Qui sera le premier àconsentir des investissements en infrastructure?Devrons-nous d’abord faire nous-mêmes la preuvede l’efficacité du concept?»

L’industrie a fait pression en faveurd’investissements, tant auprès du gouvernementfédéral que des gouvernements provinciaux, et ellea connu quelques succès dans ces démarches. Maisbien des obstacles matériels et réglementairessubsistent. Les frais imposés aux usagers pour ledéglaçage, le dragage et le pilotage, de même que

les péages de la Voie maritime contribuent tous àréduire la compétitivité de l’autoroute maritime. Demême, des politiques gouvernementales désuètes,par exemple, les droits de 25 pour cent imposés surles navires construits à l’étranger, font en sorte qu’ilfaut une bonne dose de courage quand on songe àinvestir dans de nouveaux services destinés auréseau. La collaboration entre l’industrie et lesgouvernements a mené à la création de la Portecontinentale et du Corridor de commerce Ontario-Québec, initiatives qui permettront de procéder àl’examen de quelques-uns de ces obstacles.

Alors que la Voie maritime se préparait àmarquer son cinquantenaire, la Corporation étaitoccupée à fournir un soutien aux activités danslesquelles était engagée toute l’industrie, à faire le

6 · L’avenir | 111

Une carte montrant les ports partenaires de l’Autoroute H2O.cgvmsl

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marketing de l’ensemble du réseau au moyen de lamarque Autoroute H2O et à investir dans latechnologie afin de faire en sorte de maximiser lesbénéfices du réseau dans l’avenir.

L’initiative Autoroute H2O avait été lancéemodestement au printemps de 2003 à l’aide depanneaux publicitaires érigés le long desautoroutes ontariennes de série 400 pourpromouvoir les avantages environnementaux dutransport maritime. Elle est devenue, depuis, lapierre d’angle de tous les efforts de promotion dela Voie maritime. L’objectif de la campagne est defaire valoir que le transport maritime s’intègrecomme naturellement aux réseaux routiers etferroviaires. Cette campagne vise aussi à accroîtrele trafic annuel sur le réseau lui-même, de quelque40 millions de tonnes actuellement à son pleinpotentiel de 60 à 70 millions de tonnes.

Entre-temps, les efforts de marketing ont gagnétant en étendue qu’en raffinement. De concert avecson partenaire américain, la Saint Lawrence SeawayDevelopment Corporation, la Corporation a peu àpeu recueilli l’appui de quarante-quatre partiesintéressées, y compris les autorités des ports desprincipales destinations qui bordent la Voiemaritime et de tous les transporteurs maritimes.

Le contenu du message a également évolué. Lematériel de promotion attire maintenant l’attentionsur le fait que l’option maritime est le mode detransport le plus économique en carburant, qu’elleproduit moins d’émissions de gaz à effet de serre,qu’elle occasionne beaucoup moins d’accidents, etqu’elle est moins bruyante que les autoroutes et leschemins de fer. En outre, les eaux du Saint-Laurentet des Grands Lacs sont une autoroute naturelle.Le recours à ce mode de transport peut réduire lanécessité de construire de nouvelles routes etlignes de chemins de fer.

§ Telle se présentait la situation au moment où laVoie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurentachevait son premier demi-siècle d’exploitation et

s’apprêtait à aborder le second. La Voie maritimese classe assurément parmi les plus grandesentreprises publiques du continent, et elle trouveaisément sa place parmi les voies navigables lesplus importantes du monde. Son achèvement, auprintemps de 1959, marquait la réalisation d’un rêve,vieux de plusieurs siècles, d’ouvrir le centreindustriel du Canada et des États-Unis à lanavigation de haute mer.

La Voie maritime a transformé l’industrie dutransport maritime sur le Saint-Laurent et les GrandsLacs. Elle a ouvert la voie à la création d’unenouvelle génération de navires plus gros et plusperformants, conçus spécifiquement pour se glissercommodément à travers les quinze écluses duréseau. Elle est une artère vitale qui rend possible lemouvement rentable et ininterrompu de cargaisonsen vrac depuis l’extrémité ouest du lac Supérieurjusqu’au golfe du Saint-Laurent. Elle apporte unsoutien indispensable, quoique trop souvent passésous silence, à l’économie des Grands Lacs.

La Voie maritime a le potentiel nécessaire pourexercer un impact encore plus important dansl’avenir. Au moment où elle célèbre son cinquantièmeanniversaire, la Voie maritime des Grands Lacs et duSaint-Laurent fonctionne à environ 60 pour cent desa capacité. De 40 à 45 millions de tonnes demarchandises transitent annuellement sur ses eaux.En diversifiant le fret transporté sur le réseau, 25millions additionnels de tonnes de marchandisespourraient être acheminées par eau plutôt que parvoie ferroviaire ou routière. La Voie maritime, oul’Autoroute H2O, comme l’appellent ses promoteurs,peut réduire l’engorgement routier et la congestionferroviaire. Elle peut aussi accroître sa contributionvitale à un système de transport plus sécuritaire, plusécologique et plus viable. Elle représente uneoccasion extraordinaire, qui attend encore d’êtrepleinement reconnue par les décideurs dans lescapitales politiques de deux pays, de deux provinceset de huit États.

112 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Page 107: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Acier, production d’, 53, 55; etimportations, 54; déclin(1975), 55; reprise, 55

Acres International, 70Administration de la voie

maritime du Saint-Laurent.Voir sous «Voie maritime(organisme)»

Administration de pilotage desGrands Lacs, 89

Afrique du Nord, 20, 73, 99Agawa Canyon, 42Algocen, 42Algoma Central, 27, 42–43, 76, 85,

90, 96, 100, 101Algoma Steel, 55Algobay, 100, 100Algomarine, 14, 24 ; transit par la

Voie maritime, 13–18Algoport, 100Algorail, 42Algosoo, 85, 85Allis-Chalmers Canada, 61. Voir

également «Stephens-Adamson»

Aluminerie Alouette, 98American Public Works

Association, 19Ames, Joe, 13, 17, 18Anderson, David, 90Ashtabula (OH), 20, 56Assiniboine, 23, 23Association des armateurs

canadiens (AAC), 90Atlantic Huron, 24Augsbury, Frank, 75Auto-déchargeurs, 24–25, 24, 26,

41, 42, 53, 60, 75–76, 84, 98,99, 100; boucle en C, 24-25,25, 26, 60–61, 60

Autoroute H2O, 21, 21–22, 24, 102,105, 107, 111, 112

Baie-Comeau (Qué.), 53Beaconsfield (Qué.), 15Beauharnois, canal de, 15, 65, 67Beauharnois, centrale électrique

de, 15Beauharnois, écluses de, voir

sous «Écluses»Belleville (Ont.), 60Bethlehem Steel, 48Birchglen, 100Bombardier, 92Borisov, S.A., 51Bouchard, Benoît, 77Boucle en C, voir sous «Auto-

déchargeurs»Brésil, 22Brise-glaces, 59, 60. Voir

également «Coussins d’air…»Britannia, 29, 30, 31Brockville (Ont.), 16Brodeur, Tom, 23, 24, 53, 75, 76,

100Brossard, (Qué.), 65Buffalo (NY), 34, 40Brunthaver, Carroll, 52Bureau d’embauche du syndicat

des gens de mer (Toronto),49

Campbell, Malcolm, 62, 63, 68Camu, Pierre, 38, 42, 43–44, 77Canada Steamship Lines, 22, 23-

24, 23, 25, 35–36, 41-42, 53, 59,61, 62, 73, 75, 84, 90, 100

Canadian Century, 41Canadian Hunter, 52Canadien Pacifique, Chemin de

fer, 35Canadian Olympic, 92Canadian Progress, 41Canadian Sailings, 90, 91Canadian Shipping and Marine

Engineering, 58, 60, 109

Canadian Transport, 82Canron, 69Cansfield, Donna, 23, 24Cape Breton Miner, 41Cape Vincent, 16Cargill, 90, 96Cargaisons, 20, 24, 49, 58;

céréales, 20, 21, 32, 50–53, 64,72, 74, 75, 78, 99, 106; mineraide fer, 20, 21, 33, 41, 50, 58,53–55, 64; charbon, 20, 21, 41,56, 58, 84; conteneurs, 21,105–107, 110

Carryore, 43Cavotec MoorMaster, 105Changement climatique, voir

sous «Réchauffementclimatique»

Charman, Bob, 53Chengxi Shipyard Co. (chantier

naval), 101Chevrier, Lionel, 30, 31, 33, 64,

108Chicago (IL), 21, 29, 32, 35, 41, 58,

77, 107Chrétien, Jean, 86, 89, 91Cleveland (OH), 21, 34, 53, 62, 98,

107Coffin, Aaron, 27Collard, Edgar: Passage to the

Sea, 41Collingwood (Ont.), 42, 74Collenette, David, 91Commission canadienne du blé,

53, 73Commission mixte

internationale, 88Compagnie pétrolière impériale,

35Contrecœur (Qué.), 34Cook, Graeme, 100, 106, 110, 111Coopers and Lybrand, 80

Index · Acier à Coopers | 113

La Voie maritime du Saint-Laurent | Index

Page 108: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Corfe, Richard, 21, 22, 24, 28, 88,96, 97, 97, 104, 106, 107, 110

Cornwall, île, 16Cornwall (Ont.), 15, 34, 79, 92, 93,

98Cornwall Standard-Freeholder,

34Cour Suprême (E.-U.), 34Courtemanche, Ted, 63Coussins d’air, technologie de, 59Cresswell, Peter, 42, 76Crise de 1929, 33, 63Crosbie, John, 71Dack, W.L., 55Dalrymple, John, 58Dalzell, Pat, 65–66Davie Shipbuilding, 92DeRoche, Ed, 61–62Detroit (MI), 21, 34, 40, 53, 107Detroit-Wayne County Port

Authority, 68Diefenbaker, John, 29Diefenbaker, Olive, 29Dofasco (Dominion Foundries

and Steel Co.), 41, 54, 54, 55,90

Dominion Bridge, 67Dominion Marine Association,

43, 57, 64, 75Dorval (Qué.), 15Draenger, Werner, 13–14, 16, 17, 18,

26Duffett, Bruce, 49Duluth (MN), 18, 32, 33, 96Dumont, Jacques, 49Dutch Runner, 110Eaux de ballast, gestion des,

87–88E.B. Barber, 42Écluses: Beauharnois, supérieure

et inférieure, 15, 15, 57; Côte-Sainte-Catherine, 14, 38, 57;

Eisenhower, 16, 61, 94;Iroquois, 16; Snell, 16; Saint-Lambert, 13, 14, 30, 37, 38, 38,57, 94, 103 ; fonctionnementd’une, 20. Voir égalementsous «Welland, canal»

Écluses jumelées. Voir sousWelland, canal

Eisenhower, Dwight, 29, 29, 30,34

Eisenhower, Mamie, 29Elizabeth II, 29, 29, 30Elliott, W.T., 46Émard, Elzéar, 34Énergie Nouveau-Brunswick, 84English River, 42Équipages: composition, 26;

données démographiques,26; taille, 26; recrutement, 27

Érié, lac, 17, 18, 32, 33, 36, 45, 55,62

Espèces exotiquesenvahissantes, 87–88

Étude des Grands Lacs et de laVoie maritime du Saint-Laurent, 87, 101–102, 105

Expo 67, 14, 34, 44Fairplay International Shipping

Weekly, 58Federal Rhine, 99Fédération maritime du Canada,

88Fednav International, 90, 96,

99–100Financial Post, 37, 54, 55, 73First Canadian Place, 54Fort Chambly, 42Forum des enjeux stratégiques

de la Voie maritime, 96Foster, Peter, 55Fournier, Michel, 91Frank A. Sherman, 41

French, Carey, 74French River, 42Furia, 68, 70Gélinas, Johanne, 88Georgian Bay, 45Globe and Mail, 29, 50, 51, 64, 74God Save the Queen, 30Golden Gate, pont, 19Golfe du Saint-Laurent, 18, 79, 98Gordon C. Leitch, 41Gordon, Seth, 13, 26Gordon, Peter, 54Gray Herb, 88Grands Lacs, bassin des, 20, 22Great Lakes Commission (É.-U.),

77Great Lakes Feeder Lines, 110Great Lakes Waterway

Development Association,73

Green, Roger, 70Greenwood’s Guide to Great

Lakes Shipping, 35, 53, 75Groupe d’étude sur les Grands

Lacs (Ontario), 64-65Guerre froide, 77Hall Corporation of Canada

(Halco), 42, 75, 99Hall, Norman, 74, 90Hamilton (Ont.), 20, 21, 53, 54, 55,

56, 59, 98, 107Hamilton, port de, 53Hanieski, John, 68Haut-de-forme (cérémonie dite

du), 22–23, 62, 62H.M. Griffith, 61, 62Hoover, barrage, 19Horovitz, Aaron, 34Houston (TX), 53Humberdoc, 31Hydro Ontario, 41, 56Île de Montréal, 32

114 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Page 109: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Île Sainte-Hélène, 14 Inde, 21Industrie morutière (Atlantique),

26Iron Ore Company of Canada,

33–34Jacquez, Albert, 94James Norris, 41James Richardson & Sons, 90Jean Parisien, 61Jiangnan Shipyard (chantier

naval), 99John Henry, 110Johnson Jr., Collister, 88J.W. McGriffin, 61Kaministiquia, rivière, 56Kates, Peat, Marwick & Co., 37Kahnawake, Territoire mohawk

de, 15Khrouchtchev Nikita, 50, 51Kingston (Ont.), 31, 33, 42Kinnear, Jack, 43Koski, Henry, 37Kroon, John, 36La Ronde, 14Labrador, 20Lachine, rapides de, 32Lake Erie, 100Lake Michigan, 100Lake Ontario, 100Lake Superior, 100Lakeview, cimetière, 39Lamarre, Bernard, 89Lamarre, Jacques, 89Lancaster (Ont.), 14Laprairie, bassin de, 14Laurentian, 23Lauzon (Qué.), 42Lauzon, Jean-Guy, 81, 84LBA Consulting Partners, 60Leclerc, Wilbrod, 91Leitch, Jack, 40

Liverpool (Angleterre), 32Loi maritime du Canada, 91–92Loi sur l’Administration de la voie

maritime, 79Loi sur le transport du grain de

l’Ouest, 73–74Lorain (OH), 85Louis R. Desmarais, 61Louis Dreyfus, 90Luce, A.M., 57, 63Macon, 35Main-d’œuvre:recrutement de

la, 27; vieillissement de la, 27.Voir également «Équipages»

Marine Industrie Ltée, 92Marinsal, 57, 57Maritime Magazine, 97Martin, Paul, 73Massena (NY), 44Massey, Vincent, 31Mazankowski, Don, 67McCormack, Dan, 22, 24McKeil, Blair, 98McKeil, Evans, 98McKeil Marine, 98, 106McKeil, William, 98McKellar, île, 56McNairn, Bill, 35Meaford, 63Méditerranée, 20, 106Memorial (université) (Terre-

Neuve), 27Menihek Lake, 58Mesabi, chaîne de collines

(É.-U.), 33Micmac, 98Midland (Ont.), 41, 42Midwest (États-Unis), 20Mille-Îles, archipel des, 16, 99Milwaukee (WI), 29Misener, 99Misener, Ralph, 49

Mississippi, fleuve, 73, 84, 106Montréal (Qué.), 13, 13, 14, 15, 16,

29, 30, 31, 32, 33, 34, 38, 59Montréal, port de, 13, 24Morgan, Dan: Merchants of

Grain, 51Morrisburg (Ont.), 44Morristown (NY), 16Moule zébrée, 87, 87Murray Bay, 42Nanticoke (Ont.), 20, 55Navires: période exceptionnelle

d’expansion de laconstruction de, 41–43;«salés», 35, 36, 37, 43; tailledes, 23–24, 43, 60–61;vieillissement des, 41, 43;vraquiers c. auto-déchargeurs, 24–26, 76–77.Voir également «Vraquiers»;«Auto-déchargeurs»;«Remorqueurs et barges»;noms individuels de navires.Voir aussi sous «Voiemaritime»

New York Central Railroad, 40Niagara, 23Niagara, escarpement du, 16, 18,

28, 32, 38Nieuwkoop, Aldert van, 110Nixon, Richard, 44, 44N.M. Patterson & Sons, 42Normandeau, Paul, 50, 56–58, 62Northwest Steamships, 35Nouvelle-Orléans, La (LA), 53Ô Canada, 30Oberlin, David, 42Ogdensburg (NY), 16Onchulenko, Gene, 53Ontario, lac, 14, 16, 17, 19, 32, 36,

39, 40, 45, 68Ontario Power, 41

Index · Île à Ontario | 115

Page 110: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

O’Neil, Bill, 48, 59, 60, 62–63, 64,64, 73, 77, 79, 109

Organisation maritimeinternationale, 77, 87

Oshima Shipbuilding (chantiernaval), 99

Owen Sound Transportation Co.,35

Panama, canal de, 19, 73, 106Panamax (CSL), 84Parrish & Heimbecker, 99Partington, Peter, 23Passerelle (de navire) 13, 17, 18,

45, 58Pathy, Laurence, 99–100Pepin, Jean-Luc, 62Perry, Arthur, 45Pitts Engineering, 69Playford, Jim, 62Philip, prince, 29Picton (Ont.), 22Pietz, Alan, 45Poe, Robert, 68, 69Pointe-Claire (Qué.), 15Pointe-Noire (Qué.), 20, 85, 98Pont no 15 (canal Welland), 40Port Arthur (Ont.), 42Port-Cartier (Qué.), 20, 45–46,

52, 53Port Colborne (Ont.), 17, 18, 36,

45, 46Port Weller (Ont.), 16, 28, 36, 40,

74Port Weller, chantier en cale

sèche de, 41Porte continentale et Corridor

de commerce Ontario-Québec, 111

Prairies, 20, 49, 53, 73, 74Prescott (Ont.), 16, 33, 65Presse canadienne, La, 65

Privatisation: de l’infrastructurede transport, 21, 86, 89, 91

Projet X, 39. Voir également sous«Welland, canal»

Projet Z, 39Protocole de coopération sur le

transport maritime à courtedistance (Canada-É.U.-Mexique), 107

Québec Cartier Mining, 96Québec, ville de, 43Queen Elizabeth Way, 39Quigg, Tom, 63Ransome, William H., 58Récession: années 1970, 55,

63–64; années 1980, 72–76;années 1990, 79

Réchauffement climatique, 22,102. Voir également sous«Voie maritime»

Remorqueurs de manœuvre,56–58, 56, 57, 64

Remorqueurs et barges, 98,105–106

Rimouski, 42Rive Sud, canal de la, 14, 15, 34,

63RO/RO, LO/LO, 107, 110 Rothwell, Don, 73Rotterdam (Pays-Bas), 32Roy A. Jodrey, 42Rt. Honorable Paul J. Martin, 23Saguenay, 42, 58Saint-François, lac, 15, 65Saint-Hubert (Qué.), 29Saint-Lambert (Qué.), 29Saint-Laurent, fleuve, 13, 14, 16, 20,

27, 29, 31, 32, 33, 34, 35, 51, 52,53, 58, 59, 72, 73, 75, 87, 90, 99,100, 101, 102, 105, 112; potentielhydroélectrique du, 33;

premières tentatives denavigation sur le, 32–33

Saint Lawrence SeawayDevelopment Corp. (É.U.),20, 21, 22, 42, 65, 77, 80, 88, 91,94, 96, 108, 112

Saint-Louis, lac, 14, 15, 65Saint-Zotique (Qué.), 15Sandusky (OH), 56Sault Ste. Marie (Ont.), 44, 53,

55, 56Scott Misener Steamships, 42, 49Seaway Marine Transport, 100Seconde Guerre mondiale, 33,

34Sept-Îles (Qué.), 20, 33, 49, 53,

84, 98Senneville, 46Sequeira, Ron, 22Sharp, Mitchell, 51Shell Canada, 35Transport maritime, industrie du:

faillites, 27, 99; stadesprécoces du développementde l’, 32–33; transformationde l’, 40-41, 98–101

SIA (système d’identificationautomatique), 94–95, 94

Simcoe, 31Simpson, Cindy, 26Sir Denys Lowson, 42SNC-Lavalin, 89–90Sommet de la Voie maritime,

80Spagnol, Lou, 28Spruceglen, 100St. Catharines (Ont.), 22, 26, 28,

42, 49, 63, 73, 79, 93, 95St-Régis, île, 16Star Spangled Banner, 29Steelton, 48, 48

116 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Page 111: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

Stelco (Steel Company ofCanada), 53, 54, 55, 56, 58,90, 95

Stephen B. Roman, 42Stephens-Adamson, 60, 60, 61Stevenson, Robert “Louie”, 35,

40Stewart, Glendon, 77, 78, 79, 79,

80, 81–82, 84, 89, 90, 91, 92,93

Suez, canal de, 106Summerstown (Ont.), 15Supérieur, lac, 18, 32, 51, 56, 79,

84, 98, 112Swenor, Robert, 90, 94, 96Tadoussac, 22, 24Taxe d’entretien des ports (É.-U.),

110Terre des hommes (exposition),

44Texaco Canada, 35Thorold (Ont.), 39, 49Thunder Bay (Ont.), 14, 18, 20, 32,

51, 53, 56, 73, 74, 78, 89, 95, 96Tibbets Point, 16Titanic, 35Toledo (OH), 20, 56Toronto Star, 49Toronto (Ont.), 21, 33, 49, 54, 56,

107, 110Towe, Peter M., 61T.R. McLagan, 42Transmode Consultants, 74Trudeau, Pierre, 44, 44, 62Tully, Charles, 40, 46Twin Harbors (MN), 58Un plan pour commercialiser la

Voie maritime du Saint-Laurent, 89

Union européenne, subventionsde l’, 74

Union soviétique: délégationcommerciale, 50, 51; échecdes récoltes (années 1960),50–52; marché conclu sur lescéréales, 50–53; invasion del’Afghanistan/embargoaméricain, 64;démembrement, 77

Upper Lakes Shipping, 40, 41, 42,52, 63, 90, 100, 101, 105, 107,110

US Steel, 36, 58Valleyfield, pont de (panne),

65–68Vazalinskas, John, 67Venture Fuels, 84Véronneau, Guy, 92, 92, 93, 94,

95, 96, 104Viken Shipping AS, 100Vision 2002, 81–83Voie maritime (organisme): actif,

21, 28, 83; Administration dela voie maritime du Saint-Laurent, 21, 37, 45, 46, 58, 60,64, 77, 79–91 et passim ;commercialisation de la,85–86, 89–91, 102-103, 108–110;Corporation de Gestion de laVoie Maritime du Saint-Laurent, 21, 88, (création dela) 91, 102–103; grève (1968),43; marketing, 21, 77, 82, 84,111–112; missionscommerciales, 22, 77, 84, 92;rapports annuels, 47, 64, 72,86, 93, 96; restructuration(années 1990), 80–84, 85, 86,91–93; système de gestiondes infrastructures (1996), 28,102–103; site Web, 95. Voirégalement «Autoroute

H2O»; «Remorqueurs demanœuvre»; «SaintLawrence SeawayDevelopment Corp.»; «Voiemaritime (voie navigable)»

Voie maritime (voie navigable):accidents, 19, 48–49, 48 ;améliorations apportées à,37–40, 44, 45–48, 55–58,64–65, 93–96, 102–105;caractère historique de, 30,44; carte de, 19 ;cinquantième annéed’exploitation de, 18, 111 ;concept artistique de, 16 ;congestion sur, 36–39, 45, 47,53, 65; construction de, 30,34–35, 98; effet surl’économie, 22, 23, 43–44,46–47, 49, 78; entretienhivernal de, 22, 27–28, 27, 57;et l’emploi, 19, 49, 60; etl’environnement, 19, 21–22, 23,87–88, 101–102, 110; et la miseà niveau des navires, 23–24,41–43, 75–76, 98–101, 105–106;et la politique, 33, 34, 44, 61,86, 89, 111 ; gestion du trafic,38, 86; inauguration de (1959),29–31, 35; longueur de lasaison de navigation, 20, 22,23, 24, 31, 38, 57–59; marchéconclu avec les Soviétiquessur les céréales, 51–53;péages, 78, 108–111; sectionMontréal-lac Ontario, 19, 22,28, 43, 48, 64, 65, 84, 85, 86,96, 102, 104; sécurité de, 19,23, 28, 44; tonnage, 20, 31, 37,38, 48, 50, 51, 56, 58, 61, 64,72, 84, 88, 91, 96, 98, 100, 105;

Index · Stelco à Voie | 117

Page 112: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

triomphe d’ingénierie, 19, 47;volumes de trafic, 20, 31, 43,45, 51, 55–56, 64–65, 72, 73, 74,81–82, 84, 85, 93, 96, 101. Voirégalement «AutorouteH2O»; «Cargaisons»;«Écluses»; «Main-d’œuvre»;«Navires»; «Remorqueurs demanœuvre»; «Voie maritime(organisme)»; «Welland,canal»

Voie maritime des Grands Lacset du Saint-Laurent (voienavigable). Voir «Voiemaritime»

Vraquiers, 24, 25–26, 41, 75–76, 98,99, 100, 101

Welland, canal, 16, 17, 17, 18, 27, 28,36–39, 42, 43, 45, 48, 48, 56,57, 57, 58, 59, 62, 64, 65, 69,84, 85, 86, 92; constructiondu, 19, 32–33; expansion du(années 1960), 37–38; canalde détournement, 39–40,45–48, 46, 63; écluse 1, 17, 28,39, 49; écluse 2, 18, 28, 39, 62;écluse 3, 18, 22, 39, 49, 62, 71;écluses jumelées (nos 4–6), 17,18, 39; écluse 7, 18, 36, 39, 59;écluse 7, effondrement,68–72, 103; écluse 8, 18;programme de réhabilitation(1986), 70, 71–72; projet derenouvellement des actifs(2003–2008, 2008–2013),102–105

Welland (Ont.), 18, 40, 45–48, 45Whitefish Bay, 42Whittington, Mike, 103Wight, Greg, 101Young, Doug, 89, 90

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Page 113: La Voie maritime du Saint-Laurent - Cinquante ans et l'avenir à nos

La Voie maritime du Saint-Laurent : Cinquante anset l’avenir à nos portes a été conçu et composé parDennis Choquette à l’hiver 2009. Il a été imprimé,cousu à la machine Smyth et relié par Tri-Graphic,Ottawa. Le caractère de labeur est Neutra, 12/15; lecaractère d’affiche est Cartier. Le papier estHannoArt, 100lb.