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Actes du colloque « L’aléa » organisé le 3 avril 2009 par l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique

Française (Université Panthéon-Assas — Paris II) avec le concours de la faculté de droit, de sciences économiques

et de gestion de l’Université du Maine

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L’aléa

Journées nationalesTome XIV / Le Mans

avec les contributions de :

Philippe Baillot Yves-Marie Laithier Alain Bénabent Valérie Lasserre-Kiesow Philippe Casson Anne-Catherine Muller Sophie Gaudemet Philippe Pierre

2011

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31-35, rue Froidevaux, 75685 Paris cedex 14

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2o et 3o a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la pro-priété intellectuelle.

© ÉDITIONS DALLOZ — 2010ISBN : 978-2-247-10387-4

Le pictogramme qui fi gure ci-contre mérite une ex-plication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la me-nace que représente pour l’avenir de l’écrit, particu-lièrement dans le domaine de l’édition technique et universitaire, le développement massif du photoco-pillage.

Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à

usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée.

Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publica-tion est interdite sans autorisation de l’auteur, de son éditeur ou du Centre français d’exploi-tation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

LEPHOTOCOPILLAGE

TUE LE LIVRE

DANGER

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Sommaire

1 Rapport introductifpar Valérie Lasserre-Kiesow, professeur à l’Université du Maine

7 Aléa et théorie générale du contratYves-Marie Laithier, professeur à l’Université de Cergy-Pontoise

23 Les aléas de l’aléa en assurance-viePhilippe Baillot, docteur en droit, directeur de Bred banque privée, chargé d’enseignements aux universités de Paris II et Paris Dauphine

33 Suicide et assurance-viePhilippe Casson, maître de conférences à l’Université du Maine, HDR, directeur du master 2 Droit des affaires spécialité assurance et banque

51 Aléa et qualification du contrat d’assurance sur la viePhilippe Pierre, professeur à l’Université de Rennes 1, directeur de l’IODE (UMR CNRS 6262)

59 Aléa et responsabilité civileSophie Gaudemet, professeur à l’Université de Rouen

75 Aléa et marchés financiersAnne-Catherine Muller, professeur à l’Université Paris 13

99 Observations finalesAlain Bénabent, agrégé des Facultés de droit, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

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Rapport introductif

Valérie Lasserre-KiesowProfesseur à l’Université du Maine

Un coup de dé jamais n’abolira le hasard. C’est par ces mots de Mallarmé que le sujet qui nous rassemble aujourd’hui peut être introduit  : le droit et l’aléa. L’aléa c’est l’imprévisible et l’impondérable ; c’est le hasard et l’arbitraire du hasard. Le philosophe ajouterait l’aléa, c’est la vie, tant les choses humaines sont incertaines. «  Je suis certain ; j’ai des amis, ma fortune est sûre ; mes parents ne m’abandon-neront jamais ; on me rendra justice ; mon ouvrage est bon, il sera bien reçu ; on me doit, on me payera ; mon amant sera fidèle, il l’a juré ; le ministre m’avancera, il l’a promis en passant : pour Voltaire, toutes paroles qu’un homme qui a un peu vécu raye de son dictionnaire1.  » Même les plans les mieux préparés sont soumis à la malice du destin. Jean Anouilh écrivait dans L’alouette  : « ce que les états-majors ne prévoient jamais... C’est cette petite alouette chantant dans le ciel de la France, au-dessus de la tête de leurs fantassins », c’est l’impondérable.

Nom d’une ville, puis nom de la déesse Minerve, l’aléa, comme jeu de hasard, est devenu le fondement des grandes résolutions : le sort en est jeté.

L’approche philosophique de l’aléa montre deux constantes. L’omniprésence du hasard est plus réelle que l’esprit humain ne le veut accepter. Il ne voit dans le hasard qu’un passager clandestin. Parallèlement, le hasard est fabriqué par un regard humain. Bergson a montré comment la chance ou la malchance sont essentielle-ment un vécu heureux ou malheureux : « il n’y a de hasard que parce qu’un intérêt humain est en jeu ».

Il faudrait peut-être écrire une histoire de la perception de l’aléa. Elle n’est pas identique dans l’antiquité, au Moyen Âge, à l’époque des Lumières ou au xxie siècle. L’essor de la science a fondé un rapport à la vérité d’une force exceptionnelle. L’homme et son environnement, les êtres vivants et les choses, rien n’échappe à l’explication scientifique, même le plus infime. Voltaire disait que « tout est soumis

1. Vo «  Certain, certitude  », Voltaire, Dictionnaire philosophique. Œuvre complète de Voltaire, De l’imprimerie de la société littéraire typographique, 1778, t. 38, p. 432.

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aux lois physiques éternelles. Le soufre, le bitume, le nitre, le fer, renfermés dans la terre, ont par leurs mélanges et par leurs explosions renversé mille cités, ouvert et fermé mille gouffres ; et nous sommes menacés tous les jours de ces accidents attachés à la manière dont ce monde est fabriqué, comme nous sommes menacés dans plusieurs contrées des loups et des tigres affamés pendant l’hiver2 ». Il voulait expliquer les origines physiques et non divines du tremblement de terre qui eut lieu à Lisbonne en 1755. Plus de deux cents ans après le siècle des Lumières, ne faut-il pas craindre que l’empire de la science ne nous incite à l’oubli intégral de la contingence ?

Quelle relation le droit entretient-il avec la contingence ? Qu’est-ce que l’aléa pour le droit ? On peut dire de manière relativement classique que l’aléa est à la fois combattu et apprivoisé par le droit. Combattu parce qu’il ne devrait pas y avoir d’aléa quant à la compréhensibilité du droit, quant à sa valeur et quant à ses solu-tions. Apprivoisé parce que la matière première du droit est le creuset de l’imprévi-sible et que par conséquent, « en tout il y a aléa, et spéculation sur l’aléa3 ». À côté de cette présentation classique des rapports qui s’établissent entre le droit et l’aléa, on peut oser, pour ne pas dire hasarder, une vision peut-être plus moderne  : en se demandant si la société du risque n’est pas propice à la perception de l’aléa. Quelques mots donc sur ces trois aspects de la relation du droit à la contingence : la suppression de l’aléa, la spéculation sur l’aléa et l’intensification de l’aléa.

I. SUPPRESSION

Suppression de l’aléa parce que la construction du droit depuis l’antiquité vise à garantir la sécurité juridique. D’une manière générale, le processus de rationali-sation juridique est une machine de guerre contre l’incertitude. Par exemple, la codification napoléonienne, avec ses idées de clarté du droit, d’accessibilité et d’intelligibilité a voulu imposer la fermeté et la netteté du sens juridique. Le règne de la loi se substituait ainsi à celui de l’équité arbitraire des parlements.

De toute évidence, le droit abhorre le doute. De ses sources, on attend des solu-tions certaines. Depuis deux siècles, cette attente s’est considérablement amplifiée sous l’emprise des sciences et des technologies. Avec l’expertise, la vérité scienti-fique est venue au soutien de la vérité juridique. La rationalisation du droit et sa « scientifisation » ont donc contribué à combattre l’aléa ou à le contenir.

Y sont-elles parvenues ? Rien n’est moins sûr. En témoigne la vitalité du débat actuel sur la sécurité juridique et sur la crise du droit. En réalité, beaucoup de choses en droit sont aléatoires. D’abord, le droit évolue avec la société, avec le temps, avec

2. Vo « Changements arrivés dans le globe », Voltaire, Dictionnaire philosophique. Œuvre complète de Voltaire, op. cit., p. 449.

3. P. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, 3e éd., Defrénois, 2007, no 972.

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Rapport introductif 3

les transformations économiques, sociales, culturelles, ce qui rend son avenir aléa-toire. Le droit objectif est donc variable. Mais le droit subjectif aussi. Josserand a bien montré que l’esprit des droits était empreint de relativité4. La complexité du droit et sa technicité le rendent aléatoire. L’équité, qui selon l’image de la règle de Lesbos de l’Éthique à Nicomaque s’adapte aux circonstances, s’oppose aux solutions inflexibles et à la justice prévisible. Ensuite, tout ce qui est rangé dans la catégorie du fait laisse place au doute. En allant plus loin, la qualification juridique n’est jamais mécanique. Les revirements de jurisprudence, la versatilité de l’interpréta-tion judiciaire ont un parfum d’aléa. Tant qu’une action n’est pas prescrite, il y a un doute sur l’état des choses et du droit. On parle aussi de l’effectivité aléatoire des règles, d’aléa judiciaire en matière d’indemnisation et parfois de « l’aléa de la causalité ». La perte de chance est indemnisable. On indemnise une probabilité. Contre toute attente, même aléa en matière d’expertise. Si le droit scientifique semble assurer contre le risque de la contingence, les batailles d’experts en matière civile ou pénale trahissent les incertitudes de la science, cette vérité changeante et vagabonde. Enfin, comme nous en prévenait Jean Carbonnier, « un noyau résistera toujours à l’explication causale ne fût-ce que sous les espèces de ces phénomènes singuliers que l’on peut dire de droit aléatoire ou de droit absurde5 ». En bref, le pragmatisme juridique est aléatoire6, mais le droit naturel aussi, comme l’avait observé Rudolph Stammler. Les constructions juridiques les plus strictes ne par-viennent pas à empêcher les fluctuations et tergiversations du droit.

L’aléa est omniprésent. Mais les exemples qui précèdent l’ont présenté comme une menace pour la sécurité juridique. À l’opposé, si le droit n’est pas un jeu de hasard (encore que le paradigme ludique soit discuté par les théoriciens), il est sou-vent amené à construire des règles sur les bases du hasard. C’est l’aléa domestiqué. Après la suppression de l’aléa, il est temps d’envisager le deuxième aspect : la spécu-lation du droit sur l’aléa.

4. « La tradition est donc constante, et, semble-t-il, ininterrompue ; comme les prudents de la Rome antique, nos anciens auteurs ont vu dans le droit la science du bien et du juste ; comme eux, ils ont estimé que cette science devait tendre au triomphe de l’équité, non de l’injustice, et que les préro-gatives sociales ne pourraient être exercées que socialement, pour un motif correct, en vue de fins légitimes ; comme eux enfin, ils ont saisi et affirmé cette même opposition entre la légalité stricte et la justice, opposition que Voltaire sertissait dans un vers demeuré classique  : Un droit porté trop loin devient une injustice », L. Josserand, De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus de droit, préf. D. Deroussin, rééd. Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2006, no 3. L’auteur défendait le développement d’une thèse dite sociale des droits subjectifs. « C’est donc dans une direction sociale qu’il doit l’utiliser [son droit], conformément à l’esprit de l’institution, civiliter  », ibid., no 5 ; « Nos droits ne peuvent se réaliser à l’encontre et au mépris de leur mission sociale », ibid., no 10.

5. J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, coll. « Quadrige », 1994, p. 240.6. « La vérité n’a d’autre fondement que l’efficacité, et la mesure de celle-ci est en même temps

la mesure de celle-là  », L.  Duguit, Le pragmatisme juridique, conférences prononcées à Madrid, Lisbonne et Coïmbre, 1923, présentation et traduction S. Gilbert, La mémoire du droit, 2008, p. 243 ; « Les concepts juridiques n’ont de réalité que dans la mesure de leur efficacité », ibid., p. 248.

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II. SPÉCULATION

« En tout il y a aléa et spéculation sur l’aléa7. » Aucun juriste n’ignore que « des événements l’incertitude est grande », comme le disait Molière. Puisque le hasard décide de tout, le droit lui donne un rôle. La mise en scène du hasard est commune dans les systèmes juridiques.

Dans le droit civil, en dépit d’une prohibition de l’action de jeu fondée sur la traditionnelle réprobation morale portant sur les jeux de hasard, la découverte d’un trésor, l’usufruit viager, la force majeure, la révocation de la donation pour cause de survenance d’enfant, le tirage au sort des lots et le pari sont par exemple des ins-titutions anciennes qui en appellent au fortuit. L’aléa tient aussi un rôle central dans la classification des contrats et dans les modalités de l’obligation. Le regain d’intérêt actuel pour les rentes viagères rend compte de la vitalité du contrat aléa-toire. Mais la plus prodigieuse technique juridique de domestication du hasard, le contrat d’assurance, s’est développée de façon spectaculaire au xixe siècle, mettant à profit l’essor du calcul probabiliste et imposant une circonscription stricte de l’aléa à travers le risque assuré et assurable. On voit ici un aléa soumis au calcul, un aléa susceptible de limite, un aléa subordonné aux exigences de sécurité dans un cadre spéculatif. « La spéculation n’est que l’usage du possible », selon les mots de Paul Valéry. Les juristes ont employé une énergie considérable à cet usage et les tech-niques conjuguées de l’assurance et de la banque montrent que spéculation sur spé-culation vaut, en témoigne l’assurance-vie.

D’une manière générale, la détermination des risques relève de l’activité quoti-dienne du juriste. De quels coups du hasard doit-on être le garant ? La théorie des risques, la règle selon laquelle à l’impossible nul n’est tenu, l’interdiction de la révi-sion pour imprévision, la réparation du dommage prévisible, l’encadrement de l’in-demnisation de l’aléa thérapeutique, l’absence de responsabilité pour risque de développement, l’obligation d’informer les investisseurs sur le caractère spéculatif des opérations proposées (et donc les fluctuations du marché), l’obligation d’infor-mer le malade sur les risques thérapeutiques, la responsabilité délictuelle fondée sur le risque, lié à l’exploitation d’une activité ou à l’utilisation de certains biens : toutes ces règles sont fondées sur les hasards obstinés. Cette problématique est aussi fondamentale en droit des contrats. Bien que la force obligatoire du contrat soit une assurance pour l’avenir contre la versatilité des parties, les risques de l’inexécution sont l’objet de multiples clauses contractuelles.

Suppression de l’aléa, spéculation du droit sur l’aléa, quelques mots enfin sur un autre aspect : l’intensification de l’aléa dans la société du risque.

7. V. supra note 3.

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III. INTENSIFICATION

Si le traitement juridique de l’incertitude est ancien, on constate aujourd’hui une évolution qui semble mettre directement en cause et à grande échelle l’accidentel et le hasard. Sang contaminé, maladies post-vaccinations, vaches folles, grippe aviaire, amiante, pollution par l’Erika, explosion de l’usine AZF, inondations, tem-pêtes, OGM... Dans La société du risque, Ulrich Beck a montré comment le contrôle du risque s’est imposé comme un nouveau paradigme8. C’est une société des catas-trophes (sanitaires, alimentaires, environnementales, biologiques, technologiques et industrielles) malade de son insécurité.

La société du risque est une société de l’aléatoire, mais en réalité à plus d’un titre. Ce n’est pas seulement la réalisation des risques qui est aléatoire, mais aussi, et ce qui est plus grave, leur existence elle-même.

Lorsqu’un risque existe (industriel ou naturel par exemple), sa réalisation est possible. On peut envisager de mesurer sa probabilité de survenance, mais l’aléa de sa réalisation n’en demeure pas moins. La gestion du risque, par une socialisation de celui-ci, par une politique préventive et par une politique d’intervention post-accident est un traitement de l’aléa — cette prétendue bonne gouvernance.

Les principales difficultés actuelles proviennent du caractère systémique des risques et de leur connaissance. D’une part, la mondialisation des risques en a ampli-fié les conséquences. D’autre part, le partage de l’information portant sur les risques est devenu un enjeu politico-économique majeur. Ce sont bien les aléas mondia-lement ignorés de titres dits a posteriori risqués qui sont au cœur du désastre de la finance mondiale actuelle.

Mais ce qui est plus inquiétant encore, c’est l’incertitude qui porte non sur la réalisation du risque mais sur son existence. C’est le problème du risque incertain, c’est-à-dire dont rien ne prouve qu’il existe, et dont rien ne prouve qu’il n’existe pas (comme c’est le cas pour les OGM). Mais, et c’est tout l’enjeu de cette question : aussi virtuel soit-il, le risque est dans le débat. Risque imaginaire ? Risque aléatoire ? La société du risque perçoit ses risques et, en même temps, ne les connaît pas. C’est ce qui permet à Ulrich Beck de présenter les stratégies de dramaturgie du risque comme des stratégies utilisées par la société civile contre les gouvernements et les industries. Selon lui, alors qu’il ne s’agit pas d’un risque (calculable) mais d’une incertitude (incalculable), la stratégie du risque fondée sur les «  dangers perçus, les doutes et les craintes des consommateurs9 » est d’une efficacité exceptionnelle que seule une politique de transparence de l’information peut espérer combattre. En

8. « Comment les risques et les menaces qui sont systématiquement produits au cours du pro-cessus de modernisation avancée peuvent-ils être supprimés, diminués, dramatisés, canalisés, et dans le cas où ils ont pris la forme d’“effets induits latents”, endigués, évacués, de sorte qu’ils ne gênent pas le processus de modernisation, ni ne franchissent les limites de ce qui est “tolérable” (d’un point de vue écologique, médical, psychologique, social) ? », U. Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, 2008, p. 36.

9. U. Beck, Pouvoir et contre-pouvoir à l’heure de la mondialisation, Flammarion, 2003, p. 443.

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témoigne encore récemment l’absence de soutien à la Commission des pays mem-bres de l’Union européenne s’agissant de la levée du moratoire pour les OGM. « Ainsi, la biorévolution ouvre de plus en plus de marges d’action, qui requièrent en même temps des marges de décision et de risque d’un genre nouveau10. » L’exemple du risque incertain mais stigmatisé, virtuel mais débattu, potentiel et suspectable, mais fondement d’une obligation de précaution, risque paradoxalement imprévi-sible mais que l’on est in fine tenu d’avoir prévu, risques « réels et irréels à la fois11 », illustre la force du risque dans l’angoisse contemporaine, traduit l’omniprésence de l’aléa dans notre siècle et rend compte de la nécessité d’ériger la confiance comme valeur.

Enfin, et pour conclure ce propos, que les étincelles du hasard n’épargnent ni le droit ni les juristes n’est pas nouveau, mais les mutations actuelles de la société nous enseignent que la perception même de l’aléa est susceptible d’évoluer.

10. Ibid., p. 444.11. U. Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, op. cit., p. 61.

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Aléa et théorie générale du contrat

Yves-Marie LaithierProfesseur à l’Université de Cergy-Pontoise

L’aléa (lato sensu) et le contrat entretiennent des rapports antagonistes, semblables à ceux qui peuvent exister, plus généralement, entre le hasard et le droit1.

D’un côté, le contrat est un instrument de maîtrise de l’aléa — de « gestion des risques  » aurait dit Mousseron2. L’instrument joue à double sens. Si l’aléa est redouté, les parties chercheront à le supprimer, par exemple, en convenant d’une clause forfaitaire de dommages-intérêts, qui permet de se prémunir contre l’aléa de l’évaluation judiciaire du préjudice, ou en introduisant des clauses visant à échap-per aux aléas de la preuve3. Si l’aléa est irréductible ou s’il est recherché, il peut être appréhendé par le contrat à des degrés divers, allant de la simple obligation d’information jusqu’à la soumission de l’étendue voire de l’existence des obligations au hasard. La conclusion d’un contrat aléatoire ou la stipulation d’une condition4 en sont des illustrations. La méfiance du droit vis-à-vis du hasard ne cessant de reculer5, comme le montre encore la récente loi du 12 mai 2010 relative à l’ouver-ture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, l’appréhension contractuelle de l’aléa n’en est que plus forte.

D’un autre côté, l’aléa est un facteur de perturbation du contrat, à tout le moins lorsque son exécution est repoussée ou étalée dans le temps. Des événements incer-tains de toute nature, par exemple un cas de force majeure, un revirement de juris-prudence, une interdiction administrative, peuvent entraîner la disparition du contrat ou inciter les parties à le modifier. Le contrat n’est donc pas seulement une

1. Sur ceux-ci, v.  A.  Bénabent, La chance et le droit, préf. J.  Carbonnier, LGDJ, 1973, no  3 ; A. Sériaux, Contrats civils, PUF, coll. « Droit fondamental », 2001, no 44.

2. J. M. Mousseron, « La gestion des risques par le contrat », RTD civ. 1988. 481, spéc. no 2.3. V.  par exemple, M.  Mekki, «  Réflexions sur le risque de la preuve en droit des contrats

(2e partie) », RDC 2009. 453.4. V. par exemple, soulignant cette utilité, P. Malaurie, L. Aynès, P. Stoffel-Munck, Les obli-

gations, 4e éd., Defrénois, 2009, no 1305 : la condition « est une modalité très employée car elle permet d’anticiper sur l’avenir en assurant contre ses aléas ».

5. Sur cette évolution historique aux xixe et xxe siècles, v. A. Bénabent, thèse préc., no 6 s.

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« emprise sur l’avenir6 », fonction de prévision que l’on se plaît à souligner depuis Hauriou7, c’est également un pari sur l’avenir. Ce dont certains déduisent que le refus de la révision judiciaire pour imprévision n’est pas injuste  : «  si le hasard dépouille [le débiteur] de ses espérances, c’est à ce seul hasard qu’il doit s’en prendre8 ! ». Et ce qui fait dire à d’autres, plus largement, que l’aléa est omni-présent dans le contrat9.

Mais c’est sans doute confondre l’aléa et toute forme d’incertitude. En retenant de l’aléa une acception plus stricte, on découvre que cette notion joue un rôle struc-turant en droit français des contrats. C’est en effet sur elle que repose la célèbre classification faite par l’article 1104 du Code civil entre les contrats commutatifs et les contrats aléatoires ; une distinction à laquelle la doctrine a, par la suite, donné toute sa dimension en recherchant les éléments d’un droit commun des contrats aléatoires10.

Ce rôle structurant joué par l’aléa mérite d’être souligné car il ne va pas de soi. En témoignent les droits de common law qui, évidemment, connaissent les contrats aléatoires (par exemple, les contrats d’assurance ou les paris11) et qui admettent par conséquent que l’existence d’un aléa suffise à constituer une «  consideration12  », mais qui ne les regroupent pas au sein d’une catégorie juridique spéciale et opposée aux contrats commutatifs. Les contrats aléatoires ne font donc pas l’objet de la même systématisation qu’en droit français ou que dans d’autres droits voisins du nôtre13. La remarque vaut pareillement pour les Principes du droit européen du contrat, le Draft Common Frame of References (DCFR), ou les Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, dans lesquels l’aléa n’est quasiment jamais mentionné en tant que tel14 et la catégorie des contrats aléatoires ignorée.

6. P. Hébraud, « Rôle respectif de la volonté et des éléments objectifs dans les actes juridiques », in Mélanges offerts à J. Maury, t. 2, Dalloz, 1960, p. 420, spéc. p. 424.

7. V. par exemple, H. Lécuyer, « Le contrat, acte de prévision », in L’avenir du droit. Mélanges en hommage à F. Terré, PUF-Dalloz-Juris-Classeur, 1999, p. 643.

8. A. Sériaux, Droit des obligations, 2e éd., PUF, coll. « Droit fondamental », 1998, no 46.9. V., F.  Grua, «  Les effets de l’aléa et la distinction des contrats aléatoires et des contrats

commutatifs », RTD civ. 1983. 263, spéc. no 1 et 6.10. V. surtout, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, 8e éd., Montchrestien,

coll. « Domat », 2008, no 1310 s.11. V. à ce sujet, la réforme anglaise issue de la loi Gambling Act 2005, entrée en vigueur le

1er sept. 2007, supprimant par principe (mais non de manière absolue) la nullité des contrats de jeux et paris.

12. V. par exemple, en droit anglais, S. A. Smith, Atiyah’s Introduction to the Law of Contract, 6th  ed., Oxford, Clarendon Press, 2006, p.  107 ad  notam ; en droit américain, E.A.  Farnsworth, Contracts, 4th ed., New York, Aspen Publishers, 2004, § 2.11 ; Restatement (Second) of Contracts, § 76, comment c.

13. V. par exemple, en droit italien, l’étude approfondie et enrichie de réflexions comparatives de G.  Capaldo, Contratto aleatorio e  alea, Milano, Giuffrè Editore, 2004 ; en droit suisse, P.  Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., Berne, Stæmpfli Éditions, 1997, p. 165.

14. L’aléa peut être recherché derrière la notion de «  risque  » assumé (art.  4:103(2)(b) et art.  6:111(2)(c) des PDEC). Il apparaît dans la mise en œuvre de la distinction entre obligations de moyens et obligations de résultat (art. 5.1.5 des Principes d’Unidroit), signe de l’emprunt fait ici par les rédacteurs des Principes au droit français. V. sur ce dernier point, S. Vogenauer, « Art. 5.1.4 »,

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Aléa et théorie générale du contrat 9

Chacun sait que les actuels projets de réforme du droit français des contrats —  qu’il s’agisse de l’avant-projet rédigé sous la direction de Pierre Catala, des propositions du groupe de travail présidé par François Terré ou des projets de la chancellerie — se sont inspirés, directement ou indirectement, de ces divers Prin-cipes internationaux. Or, bien que l’ensemble de ces travaux aient le même objet, à savoir le droit commun des contrats, les réformes proposées en France main-tiennent toutes la classification du Code civil15 et en tirent les mêmes consé-quences usuelles.

Partant de là, deux hypothèses peuvent être émises. Soit les travaux internatio-naux évoqués sont incomplets, soit l’importance accordée à l’aléa et au contrat aléatoire est peut-être excessive. La vérification de la première hypothèse nous éloi-gnerait du sujet. L’examen du droit français nous conduit donc à tenter de vérifier la seconde, en s’interrogeant, d’une part, sur la clarté de la notion d’aléa dans le contrat (I), d’autre part, sur la pertinence de l’intérêt attaché à la qualification de contrat aléatoire (II).

I. LA NOTION D’ALÉA DANS LE CONTRAT

La notion d’aléa dans le contrat est obscurcie de deux manières. D’abord, contraire-ment à ce que la classification du Code civil laisse espérer, l’aléa n’est pas un critère fiable de distinction entre les contrats aléatoires et les contrats commutatifs. L’aléa est présent dans l’une et l’autre catégorie. Ensuite, la définition de l’aléa a récem-ment été élargie au point que ce qui paraissait mériter la qualification de contrat commutatif est parfois qualifié de contrat aléatoire. La situation actuelle est donc doublement confuse puisqu’il existe de l’aléa dans les contrats commutatifs  (A) tandis qu’il existe des contrats aléatoires sans aléa véritable (B).

A. L’ALÉA DANS LES CONTRATS COMMUTATIFS

Ce qui caractérise l’aléa en présence de contrats commutatifs, c’est qu’il ne peut être qu’un élément accidentel (1), ce qui ne signifie pas qu’il n’ait pas d’incidence sur la qualification du contrat (2).

in S.  Vogenauer, J.  Kleinheisterkamp (dir.), Commentary on the Unidroit Principles of International Commercial Contracts (PICC), Oxford, OUP, 2009, no 1, p. 548.

15. V.  art. 1102-3 de l’Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription (dir. P. Catala) ; art. 9 des Propositions de réforme du droit des contrats (dir. F. Terré) ; art. 8 du Projet de réforme du droit des contrats (Chancellerie, déc. 2008).

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L’aléa10

1. Le caractère accidentel de l’aléa

S’inspirant d’une distinction adoptée par les romanistes modernes puis clarifiée par Pothier16, les auteurs contemporains font le départ entre les contrats aléatoires par essence et les contrats aléatoires par accident17. L’élément essentiel est celui qui est nécessaire à l’existence d’un type déterminé de contrat. Le contrat aléatoire par essence est donc celui qui n’existerait pas sans aléa. On dit encore que l’aléa affecte l’obligation fondamentale18. Le contrat d’assurance19 ou la cession de droits litigieux20 en sont des illustrations21. L’élément accidentel est celui que les parties ont introduit dans le contrat. Le contrat aléatoire par accident est donc celui dont l’économie est gouvernée par l’aléa, mais qui pourrait exister sans cet aléa. L’aléa n’est plus « un élément objectif inhérent à la structure contractuelle22 ». Par exemple, une vente à forfait est un contrat aléatoire par accident23.

L’intérêt de la distinction réside dans la sanction de l’absence d’aléa. Si l’aléa fait défaut, la sanction est la nullité en présence d’un contrat essentiellement aléa-toire24, et la requalification en présence d’un contrat accidentellement aléatoire25. Ce système n’est pas parfaitement fiable. Ainsi, le contrat d’assurance-vie, que la Cour de cassation qualifie de contrat d’assurance, donc de contrat aléatoire par essence, peut être requalifié en donation en l’absence d’aléa26. Mais on pourrait

16. Pothier, Traité des obligations, t. 1, Éd. Debure, 1774, no 5 s.17. V. par exemple, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op.  cit., no 1320.

Rappr. P.  Malaurie, L. Aynès, P. Stoffel-Munck, Les obligations, op. cit., no 415.18. V. pour de plus amples développements, A. Morin, Contribution à l’étude des contrats aléa-

toires, préf. A. Ghozi, LGDJ, 1998, no 26 s.19. V. par exemple, Civ. 1re, 4 nov. 2003, Bull. civ. I, no 220 : « attendu que le contrat d’assu-

rance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l’assuré sait déjà réalisé » (remarque : à suivre la distinction consacrée, il aurait été préférable de se référer à l’«  essence  » plutôt qu’à la « nature » car le contrat d’assurance ne peut subsister sans aléa).

20. V. par exemple, Civ. 1re, 26 mars 1985, Bull. civ. I, no 106.21. On sait que le cas de la transaction est plus controversé. Sur les éléments de la discussion,

v. A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 1422. V. également, R. Libcha-ber, obs. sous Civ. 1re, 6 déc. 2007, Defrénois 2008. 693, qui défend la distinction entre le modèle de transaction adopté par le Code civil, de caractère aléatoire, et la transaction portant sur des droits reconnus par un jugement définitif, qui « tire vers la commutativité ».

22. A. Morin, thèse préc., no 189, p. 88.23. V. par exemple, Com. 12 oct. 1993, Bull. civ.  IV, no 331, Defrénois 1994. 806, obs. Dele-

becque (qui adhère à la distinction présentée).24. Exemples : nullité de la rente viagère constituée sur une personne déjà décédée ; nullité du

contrat d’assurance lorsque le risque couvert n’existe pas ; nullité du contrat de jeu ou de pari en cas de tricherie.

25. V.  par exemple, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op.  cit., loc.  cit. ; A. Morin, thèse préc., no 666 s.

26. V. par exemple, Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, Bull. ch. mixte, no 13, D. 2008. 1314, note Douet ; JCP 2008. II.  10029, note Mayaux ; JCP 2009. I.  109, no  10, obs. Le  Guidec ; RTD  civ. 2008. 137, obs. Grimaldi. V. également, P. Pierre, R. Gentilhomme, « Assurance-vie  : la donation entre vifs à l’épreuve de la mort du souscripteur. À propos de Cass. ch. mixte, 21 décembre 2007 », JCP N 2008. 1222.

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Aléa et théorie générale du contrat 11

objecter, non sans raisons27, que la qualification de départ est erronée. Un autre exemple, moins controversé, peut être trouvé dans la constitution de rente viagère à titre onéreux. Bien qu’il s’agisse d’un contrat aléatoire par essence28, l’absence d’aléa a pu être sanctionnée sur le fondement de la lésion29, donc sur le fondement d’une règle applicable au contrat commutatif de vente.

Il faut néanmoins reconnaître que l’intérêt de la distinction proposée est vérifié dans la grande majorité des cas.

Faut-il aller plus loin et soutenir que l’aléa, élément essentiel, renvoie à la cause de l’obligation, tandis que l’aléa, élément accidentel, renvoie à la seule valeur de l’une des prestations30 ? Rien n’est moins sûr. À supposer que l’introduction de la cause soit ici un complément d’analyse utile, ce qui n’est pas certain, la thèse défendue peut être contestée. Elle tient pour acquis que la cause réside dans le risque ou le hasard dans les contrats aléatoires par essence, et dans la contre-partie promise dans les contrats commutatifs. Mais, à la réflexion, aucun débiteur ne s’engage pour l’aléa ; le débiteur, même lié par un contrat aléatoire, s’engage pour l’obtention d’un «  équivalent  » (art.  1104 C.  civ.). Par exemple, l’assuré s’oblige pour obtenir la couverture d’un risque, le débirentier s’oblige pour obtenir le transfert de la propriété d’un bien, etc. Dans les contrats à titre onéreux, la cause de l’obligation du débiteur réside toujours dans l’avantage patrimonial attendu de l’exécution du contrat, sans qu’il y ait lieu, du point de vue de la définition de la cause, de distinguer le contrat aléatoire et le contrat commutatif 31. Certes, dans les contrats aléatoires, l’aléa sert à l’appréciation de l’existence de la cause. Mais ce n’est pas propre à l’hypothèse dans laquelle le contrat est aléatoire par essence. Pour apprécier l’existence de l’avantage escompté d’un contrat que les parties ont rendu aléatoire, il faut pareillement vérifier que l’aléa, accidentel, était réel au moment de la formation du contrat. Par exemple, si un terrain à la constructibilité incertaine est vendu, la réalité de l’incertitude au moment de la conclusion de la vente devra être contrôlée. En somme, la définition de la cause est la même dans tous les contrats conclus à titre onéreux et l’aléa peut être un moyen d’ap-précier son existence sans qu’il faille distinguer selon que le contrat est essentiel-lement ou accidentellement aléatoire.

27. V. infra I, B.28. V. par exemple, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 1322, qui

souligne que la cession d’un bien en contrepartie de la constitution de la rente n’autorise pas, en droit, à décomposer le contrat en une rente d’un côté et une vente de l’autre : le contrat est indivisible (ibid., no 1374).

29. V. par exemple, Civ. 1re, 18 nov. 1975, Bull. civ. I, no 334.30. V. en ce sens, introduisant une distinction entre ce que l’auteur appelle « l’aléa juridique »

et « l’aléa économique », F. Grua, art. préc., no 35 s. Cette distinction est reprise, aussi bien dans son principe que dans sa portée, par A. Morin, thèse préc., no 17 s., qui a le mérite de l’approfondir, mais qui a le tort de se l’approprier.

31. V., J. Ghestin, Cause de l’engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, no 465 ; et dans le même sens, M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 1, PUF, coll. « Thémis », 2008, no 163, spéc. p. 401 ; F. Chénedé, Les commutations en droit privé. Contribution à la théorie générale des obligations, préf. A. Ghozi, Economica, coll. « Recherches juridiques », 2008, no 194.

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L’aléa12

On s’en tiendra donc à la première affirmation  : ce qui caractérise l’aléa en présence d’un contrat commutatif ne tient pas à la cause, mais à son caractère acci-dentel. Ce qui est accidentel n’est cependant pas anodin puisque la qualification du contrat peut s’en trouver modifiée.

2. L’incidence de l’aléa sur la qualification du contrat

L’introduction de l’aléa dans un contrat commutatif peut transformer celui-ci en contrat aléatoire. Toutefois, le passage d’une catégorie à l’autre n’est pas systéma-tique. Tout va dépendre du rôle joué par l’aléa sur l’économie du contrat. De deux choses l’une.

Soit l’aléa introduit n’empêche pas les parties d’apprécier, au moment de la conclusion du contrat, l’avantage qu’elles retireront de son exécution, auquel cas le contrat reste commutatif. Par exemple, un contrat commutatif comportant une clause limitative de responsabilité en cas d’inexécution d’une obligation accessoire ne devient pas aléatoire, même si celui à qui la clause s’impose accepte un risque32. L’économie du contrat n’est pas affectée.

Soit l’aléa introduit rend impossible, à ce même moment, l’appréciation de l’avantage qu’en retireront les parties et le contrat, commutatif par essence, devient aléatoire par accident. Il en est ainsi, par exemple, de la vente d’une œuvre d’art à l’authenticité douteuse33, ou d’un bail dont le loyer dépend, à la hausse comme à la baisse, du chiffre d’affaires du preneur.

Encore faut-il s’en tenir à une définition rigoureuse de la notion d’aléa, sans quoi apparaissent des contrats qui n’ont d’aléatoire que le nom.

B. LES CONTRATS ALÉATOIRES SANS ALÉA

Les contours de l’aléa dans les contrats aléatoires sont controversés. La conception traditionnelle, centrée sur la nécessité d’une mise, laisse place à une conception plus large, qui délaisse l’incidence de l’événement aléatoire sur l’équilibre écono-mique final du contrat. Autrement dit, l’aléa, normalement associé au risque de perte (1), est désormais associé à l’incertitude (2).

1. L’aléa et le risque de perte

Traditionnellement, il n’y a pas d’aléa, au sens du droit des contrats, sans un risque de perte. Ce risque de perte, qui suppose l’existence d’une mise, doit être réciproque.

32. V., A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 1329.33. V. par exemple, S. Lequette-de Kervenoaël, L’authenticité des œuvres d’art, préf. J. Ghestin,

LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », 2006, no 367 s.

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Aléa et théorie générale du contrat 13

L’existence de la mise s’explique par le fait que le contrat aléatoire n’est qu’une espèce de contrat conclu à titre onéreux34. Dans le contrat aléatoire, l’avantage reçu n’est pas un don, mais la contrepartie du risque de perte. Ce risque est matéria-lisé par une mise. C’est pourquoi si les parties n’ont rien à perdre en contrepartie de ce qu’elles peuvent recevoir, le contrat n’est pas aléatoire, quand bien même son issue serait incertaine. Ainsi, pour reprendre un exemple donné par Alain Béna-bent, les courses hippiques ne sont pas juridiquement des paris lorsque, comme à Dubaï, les tickets sont gratuits35.

Le risque doit être réciproque36. Ce que perd l’un des cocontractants, l’autre doit le gagner. C’est dire que les parties ne doivent pas courir ensemble la même chance de perte ou de gain. C’est la raison pour laquelle le contrat de révélation de succession n’est pas un contrat aléatoire : seul le généalogiste court un risque, et la perte qu’il subit ne procure aucun gain corrélatif à l’héritier37. C’est pour la même raison que le contrat de société n’est pas un contrat aléatoire : il y a bien une mise (sous forme d’ap-ports), une participation des associés aux pertes et aux bénéfices qui dépend des résul-tats économiques de la société, mais le même événement incertain ne détermine pas le gain des uns et la perte corrélative des autres. Les associés courent ensemble la chance de bénéfices ou d’économie et le risque de contribution aux pertes38. De même, comme cela a été indiqué, le bail dont le loyer est fixé en fonction du chiffre d’affaires du preneur est a priori un contrat aléatoire (par accident). Mais il en va différemment, semble-t-il, s’il est stipulé que le loyer ne peut en aucun cas être infé-rieur à la valeur locative. Dans cette situation, l’aléa n’est pas réciproque : le bailleur peut gagner (si le chiffre d’affaires dépasse la valeur locative), mais ne peut pas perdre (si le chiffre d’affaires est en dessous de la valeur locative)39.

La réciprocité du risque suppose-t-elle que les prestations dues par chaque partie soient toutes incertaines ? En d’autres termes, la certitude de l’objet de l’une des prestations fait-elle obstacle au caractère aléatoire du contrat ? La question, en partie suscitée par la discordance de définitions entre les articles 1104 et 1964 du Code civil, fut très discutée par les auteurs classiques40. Elle ne l’est plus : l’ensemble

34. Sur ce dernier point, v. par exemple, J. Flour, J.-L. Aubert, É. Savaux, Les obligations, t. 1, L’acte juridique, 14e éd., Sirey, coll. « Université », 2010, no 87 ; J. Carbonnier, Les obligations, 22e éd., PUF, coll. « Thémis », 2000, no 15 ; P. Malaurie, L. Aynès, P. Stoffel-Munck, Les obligations, op. cit., no 414.

35. A. Bénabent, obs. sous Civ. 1re, 14 déc. 2004, RDC 2005. 693, spéc. 695.36. V. par exemple, P. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, 4e éd., Defrénois,

2009, no 970.37. V., A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 1319. La Cour de cas-

sation fait sienne cette analyse depuis un arrêt de Civ. 1re, 5 mai 1998, Bull. civ. I, no 168, Defrénois 1998. 1042, obs. Delebecque ; RTD civ. 1998. 901, obs. Mestre. V. également, Civ. 1re, 21 févr. 2006, Bull. civ. I, no 100, Defrénois 2006. 1223, obs. Libchaber.

38. Le prêt à la grosse aventure, institution désuète que la loi du 12 mai 2009 sur la simplifcation du droit a supprimée de l’article 1964 du Code civil, pouvait être rapproché du contrat de société.

39. Contra Paris 21 sept. 2005, JCP 2006. II. 10115, note crit. Morin.40. V. la synthèse qu’en propose É.  Savaux, obs. sous Civ.  3e, 4  juill. 2007, Defrénois

2007. 1737.

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L’aléa14

de la doctrine admet aujourd’hui que le contrat est aléatoire si, en dépit de la certi-tude qui affecte l’objet de l’une des obligations, toutes les parties courent une chance de gain et un risque de perte. Ainsi, la détermination du montant des primes payées par l’assuré n’ôte pas au contrat d’assurance son caractère aléatoire. De même, la fixité du prix payé par l’acheteur n’empêche pas la vente d’une œuvre d’art à l’authenticité douteuse d’être aléatoire. En somme, peu importe que l’une des pres-tations ne soit pas soumise au hasard de l’événement incertain tant que le résultat du contrat «  dépend, pour chacune des parties, de cet événement incertain41  ». Tirant toutes les conséquences de ce raisonnement, la Cour de cassation a jugé qu’un bail à nourriture conservait son caractère aléatoire dans l’hypothèse où le vendeur du bien immobilier avait reçu une somme fixe et où le bénéficiaire de l’obligation de soins était une tierce personne —  et non le propriétaire du bien aliéné42. Pourtant, le vendeur ne semblait courir aucun risque : une somme fixe lui était due quelle que soit la suite des événements. Mais les juges ont sans doute considéré, à juste titre, que le prix fixé aurait sans doute été plus élevé en l’absence d’obligation de soins au profit de celui qui était un proche parent du vendeur43. Même s’il n’était pas créancier de cette obligation, le vendeur en retirait un avan-tage44 qui, cependant, n’était pas appréciable lors de la conclusion du contrat parce qu’il dépendait d’un événement incertain (l’ampleur et la durée des besoins du bénéficiaire). En cela, le contrat était bien aléatoire.

La distance prise ici par la Cour de cassation avec la lettre de l’article 1104 du Code civil, lequel laisse entendre que chaque obligation des parties doit consister en une chance, est la bienvenue. Elle est en revanche malvenue lorsqu’elle aboutit à assimiler l’aléa à l’incertitude.

2. L’aléa et l’incertitude

La Cour de cassation a admis, au moins à deux reprises, qu’un événement incertain suffise à qualifier un contrat de contrat aléatoire, indépendamment de son inci-dence sur l’équilibre économique de l’opération et, par suite, sans qu’existe néces-sairement un risque de perte corrélé à une chance de gain.

D’abord, la Haute juridiction a jugé que l’acquisition d’un bien avec une clause d’accroissement constitue un contrat aléatoire et non une libéralité, dans une affaire où le prix avait été payé par un seul des deux acquéreurs45. L’arrêt est critiquable

41. A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 1311.42. Civ.  3e, 4  juill. 2007, Bull.  civ.  III, no  124, CCC  2007, no  293, obs.  Leveneur ; Defrénois

2007. 1535, note Dagorne-Labbe, et 1737, obs. Savaux.43. V. en ce sens, É. Savaux, obs. préc.44. V. en ce sens, L. Leveneur, obs. préc. : la chance de gain consiste dans « la satisfaction de

voir les soins dont son oncle aurait pu avoir besoin peut-être pendant de longues années pris en charge par l’autre partie ».

45. Civ.  1re, 14 déc. 2004, Bull.  civ.  I, no  313, D.  2005.  2263, note Le Gallou, et  2122, obs. Nicod ; Defrénois 2005. 617, obs. Libchaber ; JCP 2005. I. 187, no 8, obs. Le Guidec ; RDC 2005. 693, obs. Bénabent.

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Aléa et théorie générale du contrat 15

car, on l’a dit, il ne saurait y avoir de contrat aléatoire sans prise de risque par cha-cune des parties. Lorsque le financement du bien acquis avec une clause d’accroisse-ment est intégralement supporté par l’un des acquéreurs, ce n’est pas le contrat qui est aléatoire, mais la valeur de la donation46. Un arrêt plus récent rendu dans des circonstances comparables retient, semble-t-il, une conception plus exacte du contrat aléatoire47. Mais sa portée est indécise puisque sont relevés, pour retenir la qualification de libéralité, non seulement le caractère exclusif du financement, mais également l’âge et l’état de santé de l’unique contributeur, éléments qui ren-daient probable son prédécès. Il n’est donc pas certain que, pour la Cour de cassa-tion, l’exclusivité du financement suffise à priver l’opération d’accroissement de son caractère aléatoire48.

Ensuite, et surtout, la Cour de cassation décide que les contrats d’assurance-vie sont des contrats aléatoires, même lorsqu’ils réalisent des opérations de pur placement, aux motifs que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa49  ». On sait les nombreuses critiques dont cette jurisprudence est l’objet. Pour ne pas s’écarter de notre propos sur la notion d’aléa, on en retiendra deux. C’est une jurisprudence qui dénature la notion de contrat d’assurance puisqu’elle fait disparaître «  toute idée de couverture d’un risque50  ». Et c’est, plus largement, une jurisprudence qui dénature la notion de contrat aléatoire. Il est exact que le souscripteur perd le montant des primes s’il décède et qu’il y a donc une incertitude quant au bénéficiaire de la prestation. Mais l’équilibre économique du contrat n’est pas affecté par cette incertitude51. Au risque de perte ne correspond pas une chance de gain pour le souscripteur. S’il reste en vie suffisamment longtemps, il ne gagne rien de plus que ce qu’il a versé moins les frais de gestion. Et s’il décède, la perte, à supposer qu’il y en ait une52, n’entraîne pas d’enrichissement corrélatif de l’assureur.

46. V. surtout, A. Bénabent, obs. préc., spéc. p. 694. Rappr. R. Libchaber, obs. préc. (qui sou-ligne que la solution « permet d’incontestables enrichissements qui ne seront jamais sanctionnés »).

47. Civ. 1re, 10 mai 2007, Bull. civ. I, no 173, D. 2007. 2134, obs. Nicod ; JCP N 2007. 1215, note Garçon ; RDC 2007. 1165, obs. Bénabent.

48. V. en ce sens, A. Bénabent, obs. préc.49. Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, Bull. ch. mixte, no 4 (4 arrêts), GAJC, 12e éd., Dalloz, no 132,

obs. Terré et Lequette ; D. 2005. 1905, note Beignier ; Defrénois 2005. 607, obs. Aubert ; JCP 2005. I.  187, no  13, obs. Le  Guidec ; RDC 2005.  297, obs.  Bénabent ; RGDA 2005.  110, note  Mayaux ; RTD civ. 2005. 434, obs. Grimaldi. V. également, J. Ghestin, « La Cour de cassation s’est prononcée contre la requalification des contrats d’assurance-vie en contrats de capitalisation », JCP 2005. I. 111 ; F. Leduc, P. Pierre, «  “Assurance-placement”  : une qualification déplacée. (À propos des arrêts de chambre mixte du 23 novembre 2004) », RCA 2005. Étude 3.

50. J.-L. Aubert, « L’aléa et l’assurance sur la vie », in Responsabilité civile et assurances. Études offertes à H. Groutel, Litec, 2006, p. 13, spéc. p. 20. Contra J. Ghestin, art. préc., no 27, qui soutient que l’existence d’une chance de gain ou de perte ne participe pas de la nature du contrat d’assurance, opinion qu’il est difficile de concilier avec la lettre de l’article 1104 du Code civil.

51. V. déjà, A. Morin, thèse préc., no 101 s. ; dans le même sens, F. Terré, Y. Lequette, obs. sous Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, préc., no 7 et les références citées.

52. V. contestant l’existence d’une perte, J.-L. Aubert, art. préc., p. 19.

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L’un des prolongements possibles de cet élargissement jurisprudentiel de la notion d’aléa est le suivant. Si le critère du contrat aléatoire ne réside plus dans l’incidence de l’événement incertain sur le résultat économique du contrat en rai-son du risque réciproque de perte et de gain qu’il fait courir aux parties, mais qu’il réside dans la seule impossibilité de déterminer à l’avance l’objet exact d’une prestation ou l’identité de son bénéficiaire, les donations dont l’objet dépend d’un événement incertain devraient être qualifiées de contrats aléatoires. De fait, si la vente d’un coup de filet est un contrat aléatoire53, pourquoi la donation d’un coup de filet ne le serait-elle pas54 ? La même question pourrait être posée à propos de la rente viagère constituée à titre gratuit (art. 1969 et 1970 C. civ.), ou de la cession d’usufruit ou de nue-propriété consentie à titre gratuit. À s’en tenir à la conception traditionnelle de l’aléa, ces actes ne sont pas des contrats aléatoires car leur équi-libre n’est pas affecté par l’incertitude du montant de la donation : le gain appar-tient toujours au donataire55. Mais à suivre la conception de l’aléa consacrée par la Cour de cassation dans les arrêts du 23 novembre 2004, la solution contraire est envisageable. La qualification de contrat aléatoire ne serait donc plus incompatible avec celle de contrat conclu à titre gratuit. Le changement est radical et, à la réflexion, l’on ne voit guère les progrès qu’il faut en attendre.

Que ce pas soit un jour franchi ou non, le dévoiement de la notion d’aléa est déjà à l’œuvre. L’évolution n’est certes pas irréversible, mais elle a pour effet de brouiller le sens de la distinction entre les contrats commutatifs et les contrats aléatoires, et par suite, de diminuer l’attractivité du droit français comme modèle. Voyons si l’examen de l’intérêt attaché à la qualification de contrat aléatoire confirme ou infirme cette première impression.

II. L’INTÉRÊT ATTACHÉ À LA QUALIFICATION DE CONTRAT ALÉATOIRE

Toutes les règles spéciales applicables aux contrats aléatoires ne méritent pas la même attention. Ainsi, il n’y a pas lieu d’insister sur l’exclusion de la résolution judiciaire56, d’abord, parce qu’elle est relative, la résolution étant parfois remplacée par un dispositif légal équivalent, parfois prévue conventionnellement, ensuite, parce qu’elle n’est pas propre aux contrats aléatoires (pour ne prendre qu’un seul

53. Sur l’emptio spei, v. P. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, op. cit., no 190 ; R. Zimmermann, The Law of Obligations, Oxford, OUP, 1996, p. 246 s.

54. C’est la question posée par R.  Libchaber, obs. sous Civ.  1re, 14  déc. 2004, préc., p.  619. V., dans le même sens, M. Nicod, obs. sous Civ. 1re, 14 déc. 2004, préc., p. 2122.

55. V.  par exemple, à propos du crédirentier-donataire, A.  Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 1371.

56. Sur celle-ci, v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Pré-cis », 2009, no 649.

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exemple, l’employeur ne peut agir en résolution du contrat du travail)57. Il n’y a pas lieu non plus d’insister sur le régime de l’exécution des obligations nées des contrats de jeux et paris58, car sa spécificité tient davantage à la nature de l’activité qu’au caractère aléatoire de ces contrats (sans quoi l’exécution de tous les contrats aléatoires obéirait à ce même régime).

En réalité, le véritable intérêt de la qualification de contrat aléatoire a trait au contrôle de l’équivalence des obligations réciproques. Dans un contrat commutatif, l’équilibre économique est fixé, ne varietur, à la date de la conclusion du contrat. À ce moment, les parties savent ce à quoi elles s’engagent et elles regardent, à tort ou à raison, leurs obligations réciproques comme équivalentes. Dans un contrat aléatoire, les parties se lient par des obligations réciproques qu’elles estiment équi-valentes. Par exemple, l’assuré et l’assureur considèrent que leur obligation respec-tive et réciproque de payer les primes et d’offrir une garantie s’équivalent59. Pour-tant, et c’est ici la différence avec le contrat commutatif, les parties sont incapables de savoir, au moment où elles s’engagent, ce que sera le résultat économique du contrat, parce que celui-ci dépend du hasard60. La Cour de cassation ne dit pas autre chose lorsqu’elle juge que « l’aléa existe dès lors qu’au moment de la forma-tion du contrat les parties ne peuvent apprécier l’avantage qu’elles en retireront parce que celui-ci dépend d’un événement incertain61  ». Pour cette raison, le contrat aléatoire porte en lui le risque de déséquilibre. Mais aussi criant ce déséqui-libre puisse-t-il être, il demeure acceptable dès lors qu’à la chance de perte corres-pond une chance de gain pour chacune des parties.

Évidemment, le système ne fonctionne que parce que le perdant ne trouve pas dans la règle de droit le moyen d’échapper aux pertes qu’il avait pris le risque de supporter. C’est pourquoi, il ne saurait être question, en principe, de sanctionner le déséquilibre entre les prestations échangées62. Ne dit-on pas que l’aléa chasse la lésion63 ? Mais cette conséquence, si fondée soit-elle, peut heurter le sentiment de justice ou d’équité. Aussi existent-ils des moyens, qui certes ne dérogent pas à la règle de principe de manière frontale, mais qui permettent, plus subtilement, de se soustraire à son application. Ce sont, en quelque sorte, des « stratégies d’évite-ment » ; elles ne suppriment pas l’intérêt de la qualification, mais le relativisent. Le discret contrôle de l’équilibre du contrat aléatoire peut emprunter deux voies : la plus douce est la réduction de l’aléa (A), la plus forte l’exclusion de l’aléa (B).

57. Pour de plus amples développements, v. T. Genicon, La résolution du contrat pour inexécution, préf. L. Leveneur, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », 2007, no 263 s.

58. V. par exemple, P. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, op. cit., no 977 s.59. V., M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 1, op. cit., no 77, spéc. p. 177.60. V., J.-L. Aubert, art. préc., p. 18.61. Civ. 3e, 4 juill. 2007, préc. ; Civ. 1re, 8 juill. 1994, Bull. civ. I, no 235.62. V. par exemple, Com. 3 mars 1998, Bull.  civ.  IV, no 93, Defrénois 1998. 1413, obs. Dele-

becque, et p. 1458, obs. Bénabent ; RTD civ. 1998. 925, obs. Gautier (impossibilité d’agir en nullité pour défaut de prix réel et sérieux en raison du caractère aléatoire de la vente).

63. V. par exemple, J. Carbonnier, Les obligations, op. cit., no 50 ; M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 1, op. cit., no 164.

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A. LE CONTRÔLE DE L’ÉQUILIBRE CONTRACTUEL PAR RÉDUCTION DE L’ALÉA

Le contrôle de l’équilibre contractuel par la réduction du champ conventionnel de l’aléa est la solution la plus respectueuse de l’intention commune des parties et de la règle de principe ci-dessus évoquée.

Cette réduction peut être explicite. Par exemple, la cession sans garantie d’éviction d’un bien sur lequel les droits sont incertains est un contrat aléatoire  : le risque d’éviction affecte l’équilibre économique du contrat64. Mais c’est (par hypothèse) le seul risque conventionnellement accepté. L’acquéreur conserve la possibilité d’agir contre le cédant s’il est victime d’un vice caché. L’aléa chasse une garantie, mais laisse subsister l’autre65, permettant ainsi, pour reprendre le même exemple, l’exercice de l’action rédhibitoire ou estimatoire.

Mais, ce qui est plus révélateur de l’existence d’un contrôle, c’est le devoir imposé aux juges, par la Cour de cassation, de rechercher si les parties n’ont pas implicitement réduit le champ conventionnel de l’aléa. La jurisprudence relative à l’erreur sur une qualité substantielle permet d’en fournir l’illustration. Chacun sait que l’erreur commise sur l’authenticité d’une œuvre d’art est admise comme vice du consentement, bien qu’il s’agisse d’un domaine où les plus fins experts se trompent66. C’est en effet une erreur de croire indiscutable l’origine d’une œuvre alors que la réalité est incertaine67. Chacun sait également, au moins depuis la fameuse affaire du Verrou de Fragonard68, que le doute sur l’authenticité de l’œuvre, s’il est accepté par les parties, empêche la victime d’une mauvaise affaire d’obtenir l’annulation du contrat sur ce fondement69. Mais, et c’est le point sur lequel on veut insister, l’aléa accepté ne chasse pas nécessairement l’erreur, comme le montre un arrêt relativement récent de la Cour de cassation70.

Dans cette affaire, un tableau est vendu comme étant un portrait de Monet peint par le peintre américain Sargent. Ultérieurement, des doutes apparaissent sur l’authenticité de l’œuvre et l’acheteur décide d’agir en nullité pour erreur. Finale-ment, les parties transigent et la vente du tableau est maintenue, mais à moitié prix. Découvrant, dix ans plus tard, que l’acheteur présente le tableau comme un autoportrait de Monet, le vendeur demande à son tour la nullité. Il est débouté par la cour d’appel de Paris aux motifs, entre autres, qu’en confirmant la vente alors que l’attribution à Sargent était à ce moment incertaine, le vendeur avait accepté l’aléa sur l’authenticité de l’œuvre. L’arrêt est cassé pour défaut de base légale. La cour d’appel aurait dû rechercher si, dans l’esprit du vendeur, la réduction du prix

64. V. par exemple, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 349.65. V., F. Grua, art. préc., no 28 ; A. Morin, thèse préc., no 575.66. V., J. Carbonnier, Les obligations, op. cit., no 50.67. V. par exemple, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, op. cit., no 217.68. Civ.  1re, 24  mars 1987, Bull.  civ.  I, no  105, D.  1987.  489, note J.-L.  Aubert ; RTD  civ.

1987. 743, obs. J. Mestre.69. V. par exemple, M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 1, op. cit., no 128.70. Civ. 1re, 28 mars 2008, Bull. civ. I, no 95, D. 2008. 1866, note Treppoz ; Defrénois 2008. 1958,

obs. Libchaber, JCP 2008. II. 10101, note Serinet ; RDC 2008. 727, et les obs.

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consentie n’excluait pas le fait que le véritable artiste puisse être plus connu que celui auquel il avait initialement songé.

L’analyse est fine et convaincante71. L’erreur est à rechercher dans l’inadéqua-tion entre, d’un côté, l’aléa entré dans le champ contractuel et, d’un autre côté, l’aléa existant dans la réalité72. En l’espèce, le vendeur a accepté plusieurs attri-butions possibles (c’était peut-être un Sargent, peut-être pas). Mais le fait qu’il ait consenti à une réduction du prix de vente de moitié laisse supposer le sens et l’étendue de sa conviction  : l’artiste véritable, quel qu’il soit, ne pouvait qu’être un peintre à la notoriété inférieure à celle de Sargent. Telle était la limite de l’aléa accepté. Divers éléments ont ensuite permis d’établir que l’aléa réel était beaucoup plus vaste que celui envisagé, au point qu’il n’est pas exclu aujour-d’hui que le tableau soit de Monet lui-même. Il y a donc deux incertitudes à confronter  : celle envisagée dans toutes ses formes par l’errans et celle entachant la réalité. Si une incompatibilité surgit entre la première et la seconde, il y a place pour l’erreur sur la substance. Cette incompatibilité était probable en l’espèce. En effet, on peut penser qu’un tableau qui n’est peut-être pas un Sargent, mais qui, contrairement à ce que son propriétaire avait cru, pourrait être un Monet, n’aurait pas été cédé pour la moitié du prix initialement convenu, mais au contraire pour un prix nettement plus élevé. C’est donc pour ne pas avoir recherché la délimitation, même implicite, de l’aléa conventionnel que l’arrêt est, à juste titre, censuré pour manque de base légale. Faut-il alors ajouter que, l’erreur sur une qualité substan-tielle étant le plus souvent à l’origine d’une erreur sur la valeur, c’est l’équilibre du contrat aléatoire qui est ici discrètement contrôlé ?

Ce contrôle peut emprunter une autre voie, plus énergique, consistant à exclure l’aléa.

B. LE CONTRÔLE DE L’ÉQUILIBRE CONTRACTUEL PAR EXCLUSION DE L’ALÉA

Le procédé est d’une désarmante simplicité : pour échapper à la règle interdisant de contrôler l’équilibre contractuel dans les contrats aléatoires, il suffit d’en chasser l’aléa. Il existe plusieurs façons de parvenir à ce résultat.

D’abord, et c’est la technique la plus respectueuse du principe, le contrôle peut porter sur l’équivalence des chances encourues de pertes et de gains73. Les exemples sont légion. Ainsi, il a été jugé que la vente d’un immeuble était rescindable pour lésion en dépit de l’aléa que pouvait constituer la réserve d’usufruit car, compte

71. Comp. R. Libchaber, obs. préc.72. V., F. Grua, art. préc., no 28 : « pour que l’aléa exclue l’erreur, celle-ci doit se situer dans la

zone d’incertitude qui a servi de base à l’accord des parties » ; G. Vivien, « De l’erreur déterminante et substantielle », RTD civ. 1992. 305, spéc. no 21 : « si l’aléa interdit l’erreur, ce n’est que dans la mesure des réalités envisagées de la sorte par la partie ». Et, dans le même sens, A. Morin, thèse préc., no 573.

73. V.  par exemple, G. Chantepie, La lésion, préf. G. Viney, LGDJ, coll. « Bibl. dr.  privé », 2006, no 452 s.

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tenu de l’âge du vendeur, « cette réserve était de trop minime importance74 ». Les juges ont estimé qu’il n’y avait pas d’« égalité devant le bon ou mauvais sort75 ». L’acheteur ne courait pas véritablement de risque de perte et avait au contraire toutes les chances de réaliser un gain. Au fond, c’était une vente commutative, soumise comme telle à l’article 1674 du Code civil. Dans le même ordre d’idées, une jurisprudence séculaire décide que la constitution de rente viagère est nulle faute d’aléa, lorsque le montant des arrérages est inférieur aux revenus que retire ou pourrait retirer le débirentier du bien acquis76. La solution devrait être analogue lorsque la rente viagère est temporaire et que le prix maximum que peut devoir ver-ser l’acquéreur représente la valeur réelle du bien : celui-ci peut gagner si le crédi-rentier décède avant le terme, mais il ne peut pas perdre77. Le contrat n’est donc pas aléatoire. Toujours à propos de la constitution de rente viagère, on sait que si l’article  1975 du Code civil frappe de nullité le contrat lorsque le crédirentier malade décède dans les vingt jours qui suivent la date de sa conclusion, la jurispru-dence étend le dispositif et annule pareillement le contrat lorsque le crédirentier décède peu de temps après l’expiration du délai légal, si l’acquéreur savait son cocontractant condamné à brève échéance. C’est, à nouveau, l’absence d’aléa qui justifie la solution78.

Dans ces affaires, ni le raisonnement, ni la solution à laquelle il aboutit, ne sont critiquables. Le contrat perdant la qualification de contrat aléatoire, il est logique qu’il puisse être annulé pour absence de prix sérieux ou rescindé pour lésion79 — dans les cas exceptionnels où celle-ci est admise. Le principe est donc sauf. Le propos vise simplement à souligner qu’à l’instar de tous les contrats conclus à titre onéreux, le contrat a  priori aléatoire n’échappe pas au contrôle du déséquilibre manifeste.

Ensuite, le contrôle porte parfois, non plus sur l’équivalence des chances, mais directement sur l’équivalence des prestations. Le cas est plus rare, mais on peut en trouver un exemple dans la révision du marché à forfait. La stipulation d’un forfait, à condition qu’elle soit accompagnée d’une prise de risque réciproque, ce qui n’est pas nécessairement le cas80, permet de ranger l’acte dans la catégorie des

74. Civ. 3e, 3 oct. 1991, Bull. civ. III, no 219, D. 1992. 197, obs. Paisant ; Defrénois 1992. 387, obs. Vermelle ; RTD civ. 1992. 578, obs. Gautier.

75. A. Sériaux, Contrats civils, op. cit., no 34.76. V. par exemple, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op.  cit., no 1379.

Exemple  : Cass., req., 1er mai 1911, DP 1911. I. 353, note crit. Planiol, qui annule une vente pour défaut de « prix réel ». Sur les difficultés de mise en œuvre de la solution, v. Civ. 3e, 4 juill. 2007, Bull. civ. III, no 125, Defrénois 2007. 1750, obs. Savaux.

77. V., F. Collart Dutilleul, P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2007, no 178 ; P. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, op. cit., no 996 ; A. Morin, thèse préc., no 642 et les références citées.

78. V. par exemple, Civ. 3e, 2 févr. 2000, Bull. civ. III, no 26 ; Civ. 1re, 16 avr. 1996, Bull. civ. I, no 184, Defrénois 1996. 1078, obs. Bénabent.

79. V. par exemple, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, op. cit., no 316.80. V. par exemple, montrant que forfait et aléatoire ne sont pas synonymes et évoquant à titre

d’illustration le cas du contrat du généalogiste dont la rémunération est forfaitaire, A.  Bénabent, obs. sous Com. 3 mars 1998 et Com. 16 juin 1998, préc., p. 1458.

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contrats aléatoires. Les parties doivent par conséquent s’en tenir strictement aux termes convenus quel que soit le coût final de l’opération. Néanmoins, grâce à la notion de « bouleversement de l’économie du contrat81 », qui est apparue expli-citement au début des années 1990, le juge peut, à certaines conditions, exclure le forfait82 et par suite exclure l’aléa.

D’une certaine manière, le principe est sauf là encore puisque, techniquement, l’effet provoqué par le bouleversement de l’économie du contrat peut être analysé comme une novation par changement d’objet83 : un nouveau contrat (commutatif) remplace l’ancien (aléatoire)84. Mais, concrètement, le contrôle judiciaire du désé-quilibre contractuel manifeste n’en est pas moins évident.

Enfin, et c’est le plus audacieux des trois procédés, il arrive que l’absence d’aléa réel soit indirectement présumée. Par exemple, la vente dans laquelle l’acheteur s’engage à ses « risques et périls » n’est pas aléatoire si le vendeur est un profession-nel85. L’exclusion juridique de l’aléa découle ici de la qualité d’une partie. Ce qui permet, une fois encore, de contrôler l’équilibre contractuel sans déroger formel-lement au principe applicable aux contrats aléatoires.

* **

Ni l’obscurcissement de la notion d’aléa, ni la relativité croissante de la principale conséquence attachée à la qualification de contrat aléatoire ne condamnent, dans son principe, la reconnaissance par le législateur de cette catégorie juridique86 et l’effet structurant qu’elle emporte. Mais l’intérêt de cette reconnaissance et, par suite, l’éclat du Code civil (actuel ou réformé) comme modèle87, ne pourront être préservés à terme que si, au minimum, plus de rigueur est apportée dans ce qui constitue la spécificité du contrat aléatoire.

81. V., S. Pimont, L’économie du contrat, préf. J. Beauchard, PUAM, 2004, no 393 s.82. V. par exemple, Civ. 3e, 12 mars 1997, Bull. civ. III, no 54.83. V. en ce sens, A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 848. Rappr.

F.  Collart Dutilleul, P.  Delebecque, Contrats civils et commerciaux, op.  cit., no  751 ; P.  Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, op. cit., no 768. Comp. F. Labarthe, C. Noblot, Le contrat d’entreprise, LGDJ, coll. « Traité des contrats », 2008, no 398.

84. Rappr. Civ. 3e, 20 mars 2002, Bull. civ. III, no 72, décidant que les modifications intervenues avaient fait perdre au marché « son caractère forfaitaire initial ».

85. V., A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., no 356.86. Contra F. Terré, « L’aléa chasse la lésion. Après la lésion, le contrat aléatoire », JCP 2009,

464 in fine. Comp. la conclusion de F. Grua, art. préc., no 45, qui ne nie pas la distinction entre contrat aléatoire et contrat commutatif, mais qui conteste leur opposition et considère que le premier n’est qu’une variété du second.

87. Comp. sur ce point, l’opinion plus pessimiste de T. Revet, « Le Code civil comme modèle (Synthèse) », in T. Revet (dir.), Code civil et modèles, LGDJ, coll. « Bibl. Institut A. Tunc », 2005, p. 593, spéc. p. 602 s.

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Les aléas de l’aléa en assurance-vie

Philippe BaillotDocteur en droit, directeur de Bred banque privée,

chargé d’enseignements aux universités de Paris II et Paris Dauphine

Pour favoriser le développement de l’assurance-vie, la nécessité de faire échapper l’indemnité d’assurance aux prétentions des créanciers et des héritiers de l’assuré conduisit la Cour de cassation à porter progressivement son attention sur l’ar-ticle 1121 du Code civil.

« La stipulation pour autrui constitue, [ainsi] sans aucun doute, un des cas les plus typiques de formation jurisprudentielle du droit par l’influence des besoins de la pratique1. »

L’année 1888 marqua l’aboutissement de cette évolution2. La Cour posa alors, en termes particulièrement explicites, le principe de la stipulation pour autrui comme mécanisme de l’assurance-vie, permettant de justifier le droit du bénéfi-ciaire :

« Attendu que le contrat d’assurance sur la vie, lorsque le bénéfice de l’assurance est stipulé au profit d’une personne déterminée, comporte essentiellement l’application de l’article 1121 du code civil, c’est-à-dire des règles qui régissent la stipulation pour autrui. »

Cette analyse du contrat d’assurance-vie au profit d’un tiers, admise par la doc-trine et la jurisprudence, fut consacrée par la loi du 13 juillet 1930, dont l’article 67 (codifié sous l’article L. 132-12 du Code des assurances) dispose que :

«  Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéfi-ciaire déterminé ou à ses héritiers ne fait pas partie de la succession de l’assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir seul droit à partir du jour du contrat même si son acceptation est postérieure à la mort de l’assuré. »

1. C. Larroumet et D. Mondolini, Vo « Stipulation pour autrui », Rép. civ. Dalloz, no 6.2. Civ. 16 janv. 1888, DP 1888. 1. 77. Sur les arrêts de 1888, V. Flurer, Revue critique 1889. 314.

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L’aléa24

Une telle analyse emporte naturellement de nombreuses conséquences sur le plan du droit civil quant aux droits du bénéficiaire déterminé d’une assurance-vie3.

En pratique, l’application de cette théorie aux contrats d’assurance-vie a pu, avec force, être dénoncée, comme un « truc » ou une « combine »4.

En schématisant à l’extrême5, le versement, au titre d’un contrat de «  pré-voyance pure », d’une prime de 100 euros, suivi le lendemain d’un décès accidentel, va induire le versement au bénéficiaire désigné d’un capital par hypothèse de 100 000 euros. Le rapport supposé entre la cotisation versée par le souscripteur et le capital perçu par le bénéficiaire met en évidence que ce capital n’est, en aucune manière, « sorti » du patrimoine du souscripteur assuré pour entrer dans celui du bénéficiaire désigné.

Par suite, les créanciers du souscripteur assuré, voire ses héritiers réservataires, ne sauraient y voir une atteinte à leurs droits.

Inversement, dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie «  moderne  » ou « d’épargne », le versement, toujours à la veille d’un décès accidentel, par un sous-cripteur assuré d’une prime de 100 000  euros ouvrira droit, pour le bénéficiaire décès désigné, à la perception d’un capital équivalent (ou plus précisément d’une somme représentant les primes perçues, majorées des produits financiers pour les fonds en euros, voire de l’évolution — positive ou négative — de la valorisation de l’unité de compte de référence au sein de contrats multisupports).

Les interrogations induites sur la nature de l’aléa au sein de tels contrats ont conduit à leur contester la qualification même de contrats d’assurance-vie6.

En l’occurrence, la Cour de cassation a écarté la thèse de la requalification du contrat d’assurance-vie en contrat de placement : « Attendu que le contrat dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa, au sens des articles 1964 du Code civil et L. 310-1, 1 et R. 321-1, 20 du Code des assurances, et constitue un contrat d’assurance-vie7. »

3. V. à ce sujet Picard et Besson, Les assurances terrestres en droit français, t. 1, 2e éd., Librairie générale de jurisprudence, imp. R. Vançon, 1964, no 523 s.

4. V., M. Grimaldi, « Réflexions sur l’assurance-vie et le droit patrimonial de la famille », Defré-nois 1994. 737.

5. V. de l’auteur, « L’insaisissabilité des contrats d’assurance-vie », JCP E 2009. 1225 s.6. En faveur de la qualification d’assurance, v. J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. III.

Le contrat d’assurance, LGDJ, 2002, no 129 ; J. Ghestin, M. Billiau, « Contre la requalification des contrats d’assurance en contrats de capitalisation » JCP 2001. I. 329 ; J. Kullmann, « Contrats d’assu-rance sur la vie : la chance de gain ou de perte », D. 1996. Chron. 205 ; L. Mayaux, « L’assurance-vie est-elle soluble dans la capitalisation ? », RGDA 2000. 767.

V., en sens contraire, G. Courtieu, « De l’utilité de la souscription d’une assurance-vie », RCA 1997. Chron. 25 ; « Propos hérétiques sur un arrêt orthodoxe », RCA 1995. Chron. 4 ; P. Delmas Saint-Hilaire, « Assurance-vie », J.-Cl. Notarial fasc. 110 ; M. Grimaldi, « Réflexions sur l’assurance-vie et le droit patrimonial de la famille », Defrénois 1994, art. 35841 ; « Assurance-vie et successions », Defrénois 1991, art. 37276 ; F. Lucet, « La qualification des contrats d’assurance-vie », Gaz. Pal. 28 nov. 1997, p. 2 ; F. Sauvage, « L’assurance-vie et le patrimoine de la famille », Cridon, no spécial 1996, p. 29 s. ; G. Durry, Rev. Risques 2005, no 64, p. 117.

7. Cass., ch.  mixte, 23  nov. 2004, 4  arrêts, JurisData no  2004-025783 ; Bull.  ch.  mixte, no  4 ; JCP N 2005, no 1-2, 1003.

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Les aléas de l’aléa en assurance-vie 25

Le fondement juridique de ces décisions n’emporte pas nécessairement la conviction. En réalité, cette jurisprudence apparaît presque explicitement consé-cutive à l’appréhension — sans doute excessive8 — du risque systémique qu’aurait fait peser une éventuelle requalification du cadre juridique de près de 60  % de l’épargne financière des ménages français.

À cet égard, la messe semblait dite, dès le début de l’année 2004, quand le Premier président de la Cour de cassation, M. Guy Canivet, déclarait aux Échos9 : «  Il faut intégrer dans le débat judiciaire autant que possible des données écono-miques et sociales et mesurer les conséquences de nos décisions ».

Naturellement, il est loisible de s’interroger sur la capacité et la légitimité des magistrats à intégrer cette dimension en lieu et place du législateur.

En toute hypothèse, la problématique relative à la requalification des contrats d’assurance-vie dits modernes apparaît ainsi durablement réglée : ils « comportent un aléa ».

Pour autant, «  l’insoutenable légèreté  » de cet aléa semble comme projeter son ombre sur les hypothèses de (re)qualification d’un contrat d’assurance-vie en donation par le Conseil d’État (I) et par la Cour de cassation (II). « L’assurance-vie échappe difficilement aux “aléas juridictionnels”. Après l’évacuation de l’“aléa financier” par la chambre mixte de la Cour de cassation10, les questions resurgissent avec l’aléa technique (probabilité)11. »

I. UNE REQUALIFICATION DE L’ASSURANCE-VIE PAR LE CONSEIL D’ÉTAT

En application des dispositions de l’article L. 132-8, 2o du Code de l’action sociale et des familles, une action en récupération est ouverte aux départements notam-ment « contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ».

En l’occurrence, au regard du succès de l’assurance-vie12, la problématique de l’articulation de son économie et de cette législation ne pouvait manquer d’être soulevée.

Traditionnellement13, la direction de l’aide sociale est en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l’engagement d’une action en récupéra-tion : « qu’à ce titre, un contrat d’assurance-vie peut être requalifié en donation si,

8. Le législateur pouvant au demeurant —  en tant que de besoin (au regard de la lettre des articles considérés...) — réaffirmer le seul statut fiscal des opérations critiquées.

9. Les Échos, 30 nov. 2004, p. 2.10. Arrêts du 23 nov. 2004, RGDA 2005. 110, obs. Mayaux ; JCP 2005. I. 111, chron. Ghestin.11. V. RGDA 2005. 490, note J. Bigot.12. Dont le stock représente plus de 60 % de l’épargne financière des ménages français.13. RM Le Nay no 55445, JO 10 mai 2005.

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L’aléa26

compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour l’essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du béné-ficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l’intention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patri-moine, s’y dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléa-toire en raison de la naissance d’un droit de créance sur l’assureur ; que, dans ce cas, l’acceptation du bénéficiaire alors même qu’elle n’interviendrait qu’au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l’administration de l’aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l’application des dispositions relatives à la récupération des créances d’aide sociale14 ».

Dans une seconde espèce15, le Conseil d’État va, à nouveau, requalifier en donation un contrat d’assurance-vie quasiment au même motif  : «  ...  l’intention libérale est établie lorsque le souscripteur du contrat eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine, doit être regardé, en réalité, comme s’étant dépouillé de manière à la fois actuelle et irrévocable au profit du bénéficiaire à raison du droit de créance détenu sur l’assureur16 ».

Cette jurisprudence appelle nombre de critiques17, en particulier sur le carac-tère « actuel » du dépouillement réalisé.

Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement18 soulignait  : «  si un contrat d’assurance-vie n’a pas, par lui-même, le caractère d’une donation, il ne peut être exclu, sur le plan de l’analyse juridique, qu’il puisse avoir en réalité cette nature et que l’administration ou le juge de l’aide sociale puisse alors la rétablir. Mais une telle requalification n’est possible que dans les cas où il apparaît, au regard notamment de son espérance de vie, que le souscripteur a clairement voulu procéder à la transmission d’une partie de son patrimoine. »

À titre de simple illustration, le caractère « actuel » de cette prétendue trans-mission devrait autoriser tous les souscripteurs âgés de plus de 89 ans19 — « eu égard à leur espérance de vie » (sic) — à ne plus déclarer leurs contrats à l’ISF. Cette nou-velle hypothèse d’exonération (!)20 constituerait, en effet, la conséquence logique de la jurisprudence susvisée. Le « dépouillement actuel et irrévocable » du souscrip-teur (au sens de l’article 894 du Code civil) s’accompagnera, en effet, nécessaire-ment de la disparition de la valeur dudit contrat de son patrimoine.

Selon la même prétendue logique d’«  irrévocabilité du dépouillement  », le droit, pour un souscripteur, de procéder au rachat de son contrat (au sens de

14. CE 19 nov. 2004, req. no 254797, X c. Département de l’Allier, RGDA 2005. 485.15. CE, 1re et 6e ss-sect. réun., 6 févr. 2006, req. no 259385, RGDA 2006. 741 s.16. V. également CE 21 oct. 2009, req. no 316881, Bertoni c. Département de Seine-Saint-Denis.17. Pour sa critique en droit des assurances v. RGDA 2006. 746 s., note L. Mayaux.18. AJDA 2006. 888, note C. Devys.19. Âge de la souscriptrice dans l’espèce du 19 nov. 2004.20. V. art. 885 F CGI.

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Les aléas de l’aléa en assurance-vie 27

l’article L. 132-5 du Code des assurances) sera censé disparaître à compter du même âge. Ainsi, les tenants de cette thèse modifient-ils, « comme en passant », les dis-positions d’ordre public du Code des assurances21, énumérant limitativement les types de contrats ne donnant pas droit au rachat !

Les conséquences induites par cette thèse devraient en démontrer l’inanité.Enfin, cette approche « probabiliste » du droit — liée notamment à l’espérance

de vie du souscripteur — devrait s’accompagner d’un examen médical de chaque justiciable (sauf, par hypothèse, à n’attraire devant les tribunaux que les de cujus). Elle n’en paraît guère plus satisfaisante.

Pour autant, la requalification effectuée est d’autant plus significative que le Conseil d’État, en l’espèce, a souligné qu’il n’y avait pas lieu à question préjudi-cielle : « ... par suite, en jugeant que cette question soulevait une difficulté sérieuse justifiant qu’il soit sursis à statuer pour permettre à la juridiction judiciaire de la trancher, alors qu’elle n’exigeait que des interprétations et des appréciations rele-vant de la compétence des juridictions de l’aide sociale, la commission centrale d’aide sociale a commis une erreur de droit ».

Ainsi, l’existence d’un aléa — régissant normalement la relation entre les seules parties au contrat d’assurance-vie (le souscripteur et la compagnie d’assurance) — semble-t-elle retenue par le Conseil d’État pour « requalifier en donation » un contrat d’assurance-vie (mixte).

Le «  grand  » âge du souscripteur paraît conduire le Conseil d’État à écarter l’hypothèse d’un dénouement du contrat en cas de vie, pour développer son raison-nement sur la seule garantie en cas de décès.

« S’agissant de la garantie “décès”, l’intention libérale est bien présente. Mais pour que la qualification s’accompagne d’une “requalification” [comme l’estime le Conseil d’État], c’est-à-dire pour que, dans un même mouvement, le contrat cesse d’être regardé comme un contrat d’assurance, il faut autre chose, à savoir l’absence d’aléa. Cela suppose que, eu égard au très grand âge du souscripteur, la garantie “vie” ne soit jamais susceptible de jouer ou, si l’on préfère, que le risque d’un décès avant l’échéance du contrat soit de réalisation certaine. C’est à cette condition que le souscripteur se dépouille d’une manière à la fois “actuelle et non aléatoire” (CE 19 novembre 2004) ou “à la fois actuelle et irrévocable” (CE 6 février 2006)22. »

Ainsi, l’absence d’aléa « au sein » d’un contrat d’assurance-vie, écartée par la jurisprudence judiciaire —  depuis les arrêts de chambre mixte du 23  novembre 200423 — ressurgit-elle dans notre jurisprudence administrative.

Cette résurgence de la recherche d’un «  aléa technique  » est d’autant plus remarquable qu’elle « paraît... inspirer la Cour de cassation24 », comme en retour.

21. Art. L. 132-23.22. V. RGDA 2006. 748, note L. Mayaux.23. V. RGDA 2005. 110, obs. Mayaux ; JCP 2005. I. 111, chron. Ghestin.24. V. Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, no 06-12769, note J. Bigot ; RGDA 2008. 211.

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L’aléa28

II. L’HYPOTHÈSE EXTRÊME DE L’EXCLUSION D’UN ALÉA EN ASSURANCE-VIE PAR LA COUR DE CASSATION

Dans ses décisions susvisées du 23 novembre 200425, la chambre mixte de la Cour de cassation semblait mettre un terme aux interrogations relatives au caractère aléatoire du contrat d’assurance-vie moderne  : «  Le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1,1o et R. 321-1, 20 du Code des assurances et constitue un contrat d’assurance sur la vie. »

En cette occurrence, la chambre mixte prenait cependant déjà garde de vérifier que les décisions critiquées aient visé factuellement l’existence d’un aléa inhérent aux contrats d’assurance-vie :

«  La cour d’appel ayant relevé qu’à la date de souscription des contrats litigieux Mme X ignorait qui d’elle ou des bénéficiaires recevrait le capital puisque le créancier de l’obligation de l’assureur différait selon que l’adhérent était vivant ou non au moment où le versement du capital devrait intervenir, a caractérisé l’aléa inhérent aux contrats aux sens des textes précités26. »« Attendu que l’arrêt retient, d’une part que les contrats litigieux [...] d’assurance-vie mixte en ce qu’ils comprenaient une assurance sur la vie à capital différé et une assu-rance temporaire décès, comportaient un aléa tenant à la durée de la vie du souscripteur dont devait dépendre le réel bénéficiaire, d’autre part, que l’exécution des contrats [...] dépendait de la durée de la vie de l’assuré ; que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a exactement déduit l’existence de l’aléa inhérent aux contrats aux sens des textes précités27. »

Dans la logique du Conseil d’État28 et de sa jurisprudence de 2004, la chambre mixte a cru devoir29, dans une hypothèse extrême « en l’absence d’aléa dans les dis-positions prises », requalifier un contrat d’assurance-vie en donation.

« Attendu, d’autre part, qu’un contrat d’assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ; que la cour d’appel, qui a retenu que Serge J. qui se savait, depuis 1993, atteint d’un cancer et avait souscrit en 1994 et 1995 des contrats dont les primes correspondaient à 82  % de son patrimoine, avait désigné, trois jours avant son décès, comme seule bénéficiaire la personne qui était depuis peu sa légataire universelle, a pu en déduire, en l’absence d’aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat et l’existence chez l’intéressé d’une volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller ; qu’elle a exactement décidé que l’opération était assujettie aux droits de mutation à titre gratuit. »

25. Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, 4  arrêts, JurisData no  2004-025783 ; Bull.  ch. mixte, no  4 ; JCP N 2005, no 1-2, 1003.

26. Arrêt no 01-13.592.27. Arrêt no 02-11.352.28. Supra I.29. Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, no 06-12.769, P+B+R+I, Giusti c. Administration fiscale.

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Les aléas de l’aléa en assurance-vie 29

Sur le plan du droit des assurances30 ou des droits d’enregistrement31 cette déci-sion a appelé les plus vives critiques.

Au regard du seul sujet du présent colloque, cette critique se limitera à une interrogation sur la nature du contrat souscrit par Serge  J  : «  Est-ce encore un contrat aléatoire32 ? »

Les faits de l’espèce et la procédure éclairent particulièrement la logique de la décision.

Serge  J, né en 1930 et atteint d’un cancer en 1993, a souscrit deux contrats d’assurance-vie, le premier en octobre 1994, pour 10 millions de francs, le second en janvier 1995, pour 4 millions de francs. Ces contrats ont été abondés en janvier et mars 1996 de 700 000 francs et 1 800 000 francs. En pratique, ces contrats repré-sentaient plus de 80 % de son patrimoine.

Initialement ces contrats désignaient comme bénéficiaires la sœur du souscrip-teur pour les deux tiers et Mme G, sa légataire universelle, pour le reste.

Trois jours avant son décès33 et en cours d’hospitalisation, Serge J a changé la clause de ses contrats pour désigner exclusivement Mme G.

Dans un premier temps, l’administration fiscale a notifié deux redresse-ments fondés sur l’abus de droit34. Dans un second temps, cette approche a été abandonnée par l’administration pour ne rechercher qu’une (re)qualification en donation indirecte.

Conformément aux dispositions de l’article 894 du Code civil, le succès de cette prétention nécessite la démonstration du caractère « actuel » et « irrévocable » du « dépouillement » du souscripteur du contrat d’assurance-vie.

Le recours à l’assurance-vie semblait interdire la réunion de ces caractéristiques par suite de la possibilité offerte au souscripteur, à tout moment :

— d’une part, de procéder au rachat de son contrat35 ;— d’autre part, de modifier sa clause bénéficiaire36 (cette dernière possibilité

ayant justement été exercée en l’occurrence).À ce sujet, la chambre commerciale de la Cour de cassation37 avait été parti-

culièrement explicite : « la cour d’appel, en retenant que la faculté de rachat dont bénéficiait chaque souscripteur pendant la durée du contrat excluait qu’il se soit dépouillé irrévocablement au sens de l’article  894 du Code civil, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ».

30. V. RGDA 2008, no 1, note J. Bigot ; L. Mayaux, « Dans quelles conditions un contrat d’assu-rance-vie peut être requalifié en donation », JCP 2008. Actu. II 10.02, note L. Mayaux.

31. B. Hatoux, « Où la Cour de cassation invente une présomption de volonté individuelle ! », RJF, mars 2008, no 3, p. 220-226.

32. V. le rapport du conseiller Falcon sur le site de la Cour de cassation.33. À la suite apparemment d’une dispute qui s’avérera exceptionnellement dispendieuse.34. Dont une notification retirée pour vice de forme.35. Art. L. 132-5 C. assur.36. Art. L. 132-9 C. assur.37. Com. 28 juin 2005, no 03-18.397 ; v. également Civ. 1re, 2 juill. 2002, Bull. civ. I, no 179.

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L’aléa30

La problématique de l’espèce consistait à observer d’éventuelles circonstances propres à faire comme disparaître la réalité de l’aléa considéré. Le droit au rachat devenu illusoire, le dépouillement du souscripteur s’avérerait actuel et irrévocable.

En ce sens la première chambre de la Cour de cassation avait déjà statué dans une première espèce limite38 :

«  Attendu qu’après avoir relevé que, le 24  octobre 1997, Marc  X avait émis deux chèques d’un montant de 200 000  fr. chacun au profit d’actif épargne, alors qu’il séjournait à l’hôpital Laennec qu’il avait quitté le 21 novembre suivant, pour rejoindre une unité de soins palliatifs où il était décédé un mois plus tard, la cour d’appel a estimé souverainement que ces versements ne pouvaient être destinés à lui assurer un complément de retraite à cette époque de son existence et dans son état avancé de maladie ; qu’elle a ainsi caractérisé l’absence d’aléa du contrat et exclu la qualification de contrats d’assurance-vie, de sorte que l’article L. 132-13 du code des assurances n’était pas applicable. »

En l’espèce, la chambre mixte ne pose pas l’absence d’aléa du contrat mais « une absence d’aléa dans les dispositions prises ».

Ainsi, le contrat d’assurance-vie n’est-il pas requalifié au motif d’une absence intrinsèque d’aléa. Au demeurant, comment cette absence d’aléa aurait-elle pu découler du seul changement d’une clause bénéficiaire, parfaitement étrangère au lien contractuel entre le souscripteur et sa compagnie d’assurances ?

La requalification effectuée par la chambre mixte semble dès lors incom-préhensible. Elle paraît relever exclusivement d’une préoccupation de sanctionner une trop grande habileté fiscale. Ce souhait est illustré par le « chapeau » du rap-port du conseiller rapporteur, étrangement consacré aux seuls charmes fiscaux de l’assurance-vie.

Cette décision s’apparente-t-elle à une subtile problématique zen — « à partir de combien de grains de sable obtenez-vous un tas ? (2, 10, 100...) » — ou, plus crû-ment, du « trop, c’est trop » (l’économie de droit visée par la légataire universelle pouvant surprendre depuis qu’il n’est plus d’usage de «  mettre les mourants en Pinay »). Dans cette hypothèse, l’abandon par l’administration fiscale de son recours initial, sur le fondement de l’abus de droit — dont relève classiquement l’approche de la requalification —, apparaît particulièrement dommageable.

« L’arme atomique de qualification exclusive aurait dû rester à l’armurerie39 » et l’espèce limitait son champ au seul plan fiscal.

En toute hypothèse, en l’absence de limites légales — telles que prévues par la législation fiscale40 —, d’usages professionnels faisant autorité41... la sécurité juri-dique des nouveaux souscripteurs de contrats d’assurance-vie —  voire de leurs

38. Civ. 1re, 4 juill. 2007, no 05-10.254.39. V. L. Mayaux, préc.40. À l’aune des 66 et 70 ans, successivement visés par l’article 757 B CGI.41. V. l’engagement approuvé par l’Assemblée générale de la FFSA, les 17 déc. 2001 et 24 juin

2003, et du GEMA, en date du 13 nov. 2008, visant un contrôle renforcé des motivations des sous-criptions postérieures au 85e anniversaire d’un assuré.

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Les aléas de l’aléa en assurance-vie 31

détenteurs désireux de procéder à un simple changement de la désignation de leurs bénéficiaires — se trouve dommageablement remise en cause.

« Devront »-ils survivre 3 jours, un mois, voire demain beaucoup plus42, à l’ex-pression de leur volonté ? Au demeurant, relève-t-il des tribunaux de procéder comme à un examen médical, par essence posthume, de la capacité d’un souscrip-teur ? Enfin, n’y a-t-il pas un paradoxe à valider pleinement l’expression d’une volonté à trois jours d’une mort «  annoncée  » et d’en dénier toute possibilité à J-2,  -1... de telles spéculations ne sont-elles pas odieuses et ne relèvent-elles pas d’un tout autre ordre ?

* **

L’aléa consubstantiel à toute opération d’assurance réside normalement au cœur de la relation entre le souscripteur d’une police et sa compagnie. Par un paradoxal glissement, au lendemain d’une affirmation de principe du caractère aléatoire des contrats d’assurance-vie modernes, les derniers développements contentieux portent sur une éventuelle absence d’aléa en toute hypothèse parfaitement étran-gère à la relation entre les parties au contrat d’assurance-vie (à l’image d’un change-ment de sa clause bénéficiaire par un mourant).

Les décisions critiquées paraissent procéder essentiellement — voire exclusive-ment — de préoccupations relatives aux recettes publiques (l’aide sociale pour le Conseil d’État, les droits d’enregistrement pour la Cour de cassation). Elles auraient normalement dû s’inscrire dans les seules problématiques de l’abus de droit ou des primes manifestement exagérées. Leurs motivations n’emportent pas néces-sairement la conviction. En toute hypothèse, le choix arrêté de procéder par requa-lification s’avère inopportun. Les multiples interrogations pendantes, l’insécurité juridique induite peuvent constituer autant de dommages.

42. Pour une décision en sens inverse où le décès était survenu 9  ans après la souscription  : Civ. 2e, 22 oct. 2009, no 08-17.793, Cazeaux c. Cazeaux.

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Suicide et assurance-vie

Philippe CassonMaître de conférences à l’Université du Maine, HDR,

directeur du master 2 Droit des affaires spécialité assurance et banque

« Être, ou ne pas être, telle est la question1 » posée à l’être humain jusqu’au jour où celui-ci, de gré ou de force, entre dans la « poudreuse famille des sourds » évoquée par Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe2. Seul problème philosophique sérieux3, le suicide a entraîné moralistes et philosophes à faire, en vain, assaut d’arguments4 pour répondre à la question de savoir si « Se donner la mort, est-ce

1. Shakespeare, La tragique histoire d’Hamlet. Prince de Danemark, acte III, scène 1, 55, in Shakes-peare, Tragédies. Œuvres complètes, t. I, édition bilingue, Gallimard, coll. « La Pléiade », 2002, p. 807.

« Être ou ne pas être, voilà la question :Est-il plus noble pour l’esprit de souffrirLes coups et les flèches d’une injurieuse fortune,Ou de prendre les armes contre une mer de tourments,Et, en les affrontant, y mettre fin ? Mourir, dormir,Rien de plus, et par un sommeil dire : nous mettons finAux souffrances du cœur et aux mille chocs naturelsDont hérite la chair ; c’est une dissolutionArdemment désirable. Mourir, dormir,Dormir, rêver peut-être, ah ! c’est là l’écueilCar dans ce sommeil de la mort les rêves qui peuvent surgir,Une fois dépouillée cette enveloppe mortelle,Arrêtent notre élan. C’est là la penséeQui donne au malheur une si longue vie. »2. « ... quand l’éternité m’aura de ses deux mains bouché les oreilles, dans la poudreuse famille

des sourds, je n’entendrai plus personne », R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Éd. du cente-naire par Maurice Levaillant, t. I, Flammarion Grand Format, 1982, p. 9.

3. « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite », A. Camus, Le mythe de Sisyphe. Œuvres complètes, t. 1, Gallimard, coll. « La Pléiade », 2006, p. 221.

4. V. à presque deux millénaires de distance les arguments, identiques, en faveur et en défaveur du suicide dans deux œuvres majeures de la littérature : F. Josèphe, La guerre des juifs, traduit du grec par P.  Savinel, précédé par Du bon usage de la trahison par P.  Vidal-Naquet, Minuit, coll. «  Argu-

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L’aléa34

capituler devant l’épreuve ou acquérir la suprême maîtrise, celle de l’homme sur sa propre vie5 ? » Le droit, quant à lui, répond à cette question en ignorant le suicide — qui, s’il revêt les attributs d’une liberté ne constitue certainement pas un droit subjectif  — sauf à prévoir ponctuellement une réglementation ad  hoc. Tel est le cas en matière d’assurance sur la vie où il est nécessaire que le risque pour s’avérer assurable puisse être présenté comme aléatoire, l’aléa relevant de l’essence du contrat d’assurance6. Notion apparemment technique donc. Force pourtant est de constater que la question du caractère aléatoire du suicide en matière d’assurance sur la vie est abordée à travers le prisme de la morale. A. Bayet a mis en évidence la coexistence d’une double morale dans l’appréhension du suicide7. « Il n’y a pas, dans la morale contemporaine, comme on le dit trop souvent, une doctrine qui condamne le suicide et une doctrine qui l’approuve : il y a une morale simple qui condamne tous les suicides, en principe et dans tous les cas, et une morale nuancée qui, plus souple, distingue entre les cas et va de l’horreur au blâme et à la désap-probation, de la désapprobation à la pitié, de la pitié à l’excuse, à l’approbation, à l’admiration8.  » Cette opposition entre morales réapparaît lorsque l’on interroge les juristes sur la problématique du caractère aléatoire du suicide9. Initialement conçu comme non aléatoire parce qu’immoral par la pratique et la doctrine, le sui-cide est finalement apparu à la jurisprudence ainsi qu’au législateur comme essen-tiellement aléatoire  (I). Mais, dans la mesure où la volonté de celui qui s’essaie à rentrer « dans le grand silence de la matière inanimée10 » demeure incertaine, et,

ments », 1977, III. 8, p. 335 (contre le suicide) et VII. 8, p. 543 (en faveur du suicide) ; J.-J. Rousseau, La nouvelle Héloïse. Œuvres complètes, t. 2, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1964, Lettre XXI (pour le suicide), p. 377 s. et Lettre XXII, (contre le suicide), p. 393 s.

5. R. Aron, in J. Baechler, Les suicides, Calmann-Lévy, 1975, préface, p. I.6. Y. Lambert-Faivre, L. Leveneur, Droit des assurances, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2005,

no 211.7. A. Bayet, Le suicide et la morale, Alcan, 1922, rééd. L’Harmattan, 2 vol., 2007 (les citations

sont tirées de cette réédition)8. A. Bayet, op. cit., vol. 1, p. 23.9. Sur le suicide appréhendé par le droit des assurances v. H. Capitant, « La loi du 13  juillet

1930 relative au contrat d’assurance », RGAT 1930. 739 ; A. Trasbot, « Commentaire de la loi du 13  juillet 1930 relative au contrat d’assurance », DP 1931. IV. 33 ; F. Terré, « Du suicide en droit civil », in Études dédiées à A. Weill, Dalloz, 1983, p. 523 ; J. Bigot, « La loi du 7 janvier 1981 et l’assu-rance-vie », JCP 1981. I. 3047 ; A. Besson, « La loi du 7  janvier 1981 sur les assurances », RGAT 1981.  5 ; H.  Groutel, «  Suicide, assurance contre les accidents corporels et charge de la preuve  », RCA  1991. Chron.  21, «  Suicide, assurance contre les accidents corporels et charge de la preuve (suite) », RCA 1993. Chron. 13 ; F. Terré (dir.), Le suicide, PUF, 1994 ; H. Groutel, « À propos d’une proposition de loi sur le suicide en assurance-vie (ou : quand des parlementaires perdent leur temps) », RCA 1996. Chron. 33, « Suicide de l’assuré  : choisir le bon moment », RCA sept. 1998, Repères ; G. Courtieu, « Un suicide raté ou lorsque le législateur se tire une balle dans le pied », Gaz. Pal. 1999. 1. 61 ; P. Pierre, « Suicide et assurance », Rev. jur. Ouest 1998. 149 ; J. Kullmann, « Suicide et assu-rance : une déjà vieille notion, mais un tout nouveau régime », RGDA 2002. 908 ; H. Groutel, « Le suicide en assurance sur la vie : une réforme inopinée », RCA 2002. Repères 1 ; G. Courtieu, « L’assu-rance du suicide, suite et fin ? », Gaz. Pal. 2002. 779 ; J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. 4, Les assurances de personnes, LGDJ, 2007, no 117-1 s., par L. Mayaux ; H. Groutel (dir.), Traité du contrat d’assurance, Litec, 2008, no 2164 s, par P. Pierre.

10. J.-P. Sartre, L’idiot de la famille, vol. 1, Gallimard, coll. « Bibl. de philosophie », 1971, p. 46.

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par voie de conséquence, incertaine également la faute intentionnelle qui remet en cause l’aléa11, il apparaît nécessaire de prévoir un encadrement juridique spécifique du suicide (II).

I. LE SUICIDE, UN RISQUE ALÉATOIRE

Tant la pratique que la doctrine s’accordaient, en raison de motifs d’ordre moral, pour tenir le suicide comme insusceptible de constituer un risque aléatoire couvert par un contrat d’assurance (A). Une telle conception n’est plus de mise aujourd’hui où la jurisprudence et le législateur retiennent le caractère aléatoire du suicide (B).

A. LE SUICIDE, UN RISQUE LONGTEMPS TENU POUR IMMORAL ET DONC COMME NON ALÉATOIRE

Le suicide a longtemps souffert de la réprobation morale qui n’a jamais cessé de l’accompagner (1) et sa prise en charge par l’assurance, elle-même peu appréciée des codificateurs de 1804 lorsqu’elle avait pour objet des personnes physiques, en a été contrariée (2).

1. Le suicide, un acte immoral

Avant la révolution française12, le statut du suicide, l’homicide de soi-même, était entièrement dans l’espace du droit, qui le réprimait pour des raisons essentiel-lement religieuses13. Le suicide était perçu comme l’hypothèse de l’acte commis avec le consentement de la victime, comme un crime de lèse-majesté divine puisque la vie étant un don de Dieu, seul celui-ci peut décider du moment où chacun doit la quitter. La tentative de suicide entraînait contre le suicidant l’ouverture de l’action publique et pouvait aboutir à une sentence capitale. Lorsque le suicide réussissait, le cadavre était jugé, un curateur étant désigné pour représenter le suicidé lors de l’information. La sentence, capitale là également, conduisait à supplicier la dépouille, exhumée le cas échéant, en la traînant sur une claie, puis en la pendant et, enfin, en la jetant à la voirie. La sépulture chrétienne était évidemment refusée

11. Faut-il rappeler qu’aux termes de l’article L. 113-1, alinéa 2, C. assur., « Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. » Sur la faute intentionnelle qui ne peut être assurée car remettant en cause le caractère aléatoire du contrat d’assurance v. notamment Y. Lambert-Faivre, L. Leveneur, op. cit., no 383 s.

12. Pour une histoire du suicide en occident v. G. Minois, Histoire du suicide. La société occiden-tale face à la mort volontaire, Fayard, 1995.

13. A. Bayet a démontré que cette condamnation du suicide, expression de la morale simple, n’est pas d’origine chrétienne (op. cit., p. 221 s.), que morale simple et morale nuancée proviennent de la Rome païenne (op. cit., p. 271 s.) et que l’Église, volens nolens, les a repris à son compte (op. cit., p. 320 s.).

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par l’Église. Tout cela car le suicidaire est, étymologiquement, sui coedere, meurtrier de soi. Les proches quant à eux n’étaient pas épargnés car le plus souvent les biens du suicidant ou du suicidé étaient confisqués14 et l’opprobre retombait sur eux. Cela étant, l’état de démence du suicidaire ou du suicidé constituait une cause de non-culpabilité. L’Église, pour le même motif, permettait qu’une sépulture chrétienne soit donnée au défunt15. Cette dernière issue était encore prévue par le Code canonique de 1917, dans son article 1240, § 1er, 3o aux termes duquel la sépulture n’était refusée qu’à ceux qui se sont tués de propos délibéré. Le Code canonique de 1983 ne comporte plus aucune disposition sur la question qui est abandonnée à l’appréciation de l’ordinaire16. En 1791, la Révolution française dépé-nalise le suicide qui est alors renvoyé à l’espace du privé et sort du champ du droit. Selon le doyen Carbonnier « ... c’est une liberté civile, parmi d’autres, que la Révo-lution a léguée à la France17 ». Liberté de se donner la mort soit, mais non pas droit au suicide, lequel reste malgré tout l’objet d’une très forte réprobation morale. Dans le même temps, les codificateurs de 1804 n’ont pas dissimulé leur répugnance vis-à-vis de l’assurance-vie. Tout un chacun connaît la célèbre formule par laquelle Por-talis a fustigé ce contrat : « Il est sans doute permis de traiter sur des choses incertai-nes, de vendre et d’acheter de simples espérances ; mais il faut que les incertitudes et les espérances qui sont la matière du contrat ne soient contraires ni aux sentiments de la nature, ni aux principes de l’honnêteté. Nous savons qu’il est des contrées où les idées de la saine morale ont été tellement obscurcies et étouffées par un vil esprit de commerce, qu’on y autorise les assurances sur la vie des hommes. Mais en France de pareilles conventions ont toujours été prohibées. Nous en avons la preuve dans l’ordonnance de la marine de 1681, qui n’a fait que renouveler des défenses antérieures. L’homme est hors de prix ; sa vie ne saurait être un objet de commerce ; sa mort ne peut devenir la matière d’une spéculation mercantile. Ces espèces de pactes sur la vie ou sur la mort d’un homme sont odieux, et ils peuvent n’être pas sans danger. La cupidité qui spécule sur les jours d’un citoyen est souvent voisine du crime qui peut les abréger18.  » L’assurance de personne resta donc à l’écart de l’œuvre législative de la Révolution et de l’Empire. Cette double condamnation morale, et du suicide et de l’assurance-vie, a joué, sans conteste un rôle très important dans la manière dont le suicide sera abordé par le droit des assurances.

14. A. Laingui et A. Lebigre, Histoire du droit pénal. I Le droit pénal, Cujas, 1979-1980, p. 151.15. A. Laingui et A. Lebigre, op. et loc. cit.16. B.  Beignier, «  La loi du 3  décembre 2001  : la couverture des prêts immobiliers, par une

assurance, en cas de suicide », Dr. fam. 2002. Chron. 13. Cet auteur renvoie également au catéchisme de l’Église catholique qui reprend cette réserve de l’acte commis sous l’empire de troubles psychiques.

17. J. Carbonnier in F. Terré (dir.), Le suicide, PUF, 1994, p. 215.18. P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome quatorzième, Vide-

coq, 1836, p. 119

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2. Le suicide, un risque dénué d’aléa puisque immoral

L’assurance-vie se développera dans le courant du xixe  siècle jusqu’aux célèbres arrêts de la Cour de cassation, qui y virent un avatar de la stipulation pour autrui de l’article 1121 du Code civil, et lui donneront un régime juridique adapté, d’ailleurs conforté en grande partie par la loi du 13  juillet 193019. Quant au suicide, il sera finalement pris en charge par les assureurs, contraints et forcés par la jurisprudence à le garantir, dès lors qu’il n’apparaissait ni volontaire ni réfléchi20. Et c’est la loi du 13  juillet 1930 qui entérinera cette évolution dans son article 62, l’actuel article L.  132-7 du Code des assurances, en admettant même que puisse être couvert le suicide volontaire après l’expiration d’un délai de deux années. Mais gardons à l’es-prit que, même alors, la garantie du suicide soulevait de solides réserves de la part de la doctrine. Celle-ci approuva sans réserve l’exclusion de principe, par l’article 62, alinéa 1er, de la loi de 1930, de la garantie du suicide volontaire. D’après Besson, « Cette prohibition de l’assurance du suicide n’a pas besoin d’être longuement jus-tifiée. Elle s’impose d’abord pour des raisons d’ordre public et de moralité : sans cela les individus seraient incités à se suicider et, plus encore, à s’assurer dans ce dessein. D’autre part, l’exclusion légale est conforme au principe posé par l’article 12, d’après lequel les fautes dolosives ou intentionnelles de l’assuré sont inassurables21. » Inver-sement, ces mêmes auteurs n’épargnèrent pas leurs critiques à l’encontre de la clause dite d’incontestabilité différée, dont la stipulation était autorisée par l’alinéa 3 de l’article 62 de la loi du 13  juillet 1930, et qui permettait la prise en charge du suicide volontaire passé un délai de deux années à compter de la conclusion du contrat d’assurance. Ainsi, selon Picard et Besson, celle-ci était « de nature à pousser au sui-cide des assurés qui, sans la clause, auraient peut-être renoncé à leur sinistre dessein.

19. Civ. 16 janv., 6 févr., 8 févr. 22 févr. et 27 mars 1888, Sirey édition refondue 1886-1888 XV. 1. 609 ; 7 août 1888, Sirey édition refondue 1886-1888. 1. 833 ; Cass., req., 22 juin 1891, DP 1992. 1. 205, S. 1892. 1. 177 ; Civ. 29 juin 1896, Sirey édition refondue 1896-1897, XIX. 1. 232 ; L. Balley-dier et H. Capitant, « L’assurance sur la vie au profit d’un tiers et la jurisprudence », in Le Code civil, 1804-1904, Livre du centenaire, Paris, 1904, rééd.  Dalloz, 2004, p.  515 ; H.  Capitant, F.  Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 12e éd., Dalloz, 2008, no 171, p. 222.

20. CA Paris 30 nov. 1875, S. 1877. 2. 132.21. M.  Planiol et G.  Ripert, Traité pratique de droit civil français, t.  XI, Contrats civils, 2e  éd.,

LGDJ, 1954, par A. Besson, no 1398. V. également, du même auteur : « Il est vrai que, au principe posé par l’article 12, le législateur a lui-même apporté une exception difficilement compatible avec la loi morale  : il s’agit, en matière d’assurance sur la vie, de la possibilité pour les parties d’insérer au contrat une clause couvrant le suicide volontaire et conscient après un délai de deux ans depuis sa conclusion (art. 62). On a pensé, par le délai prévu dans la dite clause, supprimer toute immoralité à l’assurance du suicide : il est exact que l’on évite ainsi la conclusion d’une assurance en vue du sui-cide, car on n’envisage pas qu’un individu, décidé de mettre fin à ses jours, souscrive un contrat et attende froidement deux ans pour exécuter son projet. Mais la clause autorisée risque néanmoins de heurter la morale, car elle peut inciter celui qui s’est assuré sans intention de suicide à mettre fin à ses jours une fois le délai de deux ans écoulé, sachant ainsi que, malgré son acte intentionnel, le contrat produira pleinement effet au profit du bénéficiaire : elle est ainsi, ce qui est profondément immoral, de nature à favoriser le suicide et l’on peut regretter que le législateur ait autorisé une telle possibi-lité », A. Besson, « Le contrat d’assurance et la morale », in Le droit privé français au milieu du XXe siècle. Études offertes à G. Ripert, LGDJ, 1950, p. 178, spéc. p. 181.

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L’aléa38

Elle présente ainsi un certain caractère d’immoralité que le législateur a négligé ou à tort a sous-estimé22  ». Et ces critiques n’étaient pas l’apanage des seuls auteurs spécialisés. Ainsi, Mme Béquignon-Lagarde n’hésitait-elle pas à écrire, à propos de la clause d’incontestabilité, qu’elle se heurte « à la fois à nos conceptions morales, à l’article 12 [de la loi du 13  juillet 1930], au caractère aléatoire du contrat d’assu-rance23 ». Et ce sont Picard et Besson qui nous apprennent que dès 1910 des consi-dérations liées à la concurrence avec des sociétés étrangères amenèrent certains assu-reurs français à prévoir dans leurs contrats cette clause d’incontestabilité différée, prévoyant parfois un délai de carence d’une seule année24, clause que le législateur décida de porter à deux années en 1930. Aujourd’hui encore, la doctrine relève que l’exclusion du suicide par les assureurs de leur garantie se fonde essentiellement sur des raisons d’ordre moral25. Malgré cela, le suicide s’est vu reconnaître le caractère d’un fait social, d’un risque de vie constitutif d’un risque aléatoire.

B. LA RECONNAISSANCE DU CARACTÈRE ALÉATOIRE DU SUICIDE

La prise en compte du suicide en tant que fait social par sociologues et statisti-ciens a sorti le suicide de l’ornière morale dans laquelle celui-ci était cantonné (1) et a permis tant à la jurisprudence qu’au législateur de lui reconnaître les caracté-ristiques d’un risque aléatoire et donc assurable (2).

1. Le suicide, un fait social

Voir dans le suicide un phénomène social comme l’a fait Durkheim en 1897 dans son ouvrage éponyme26, aboutit à relativiser la problématique individuelle du suicide

22. M. Picard et A. Besson, Traité général des assurances terrestres en droit français, t. IV, Assu-rances de personnes, LGDJ, 1945, no  97. Mais le délai de deux ans était présenté par certains comme faisant échapper au reproche d’immoralité le contrat d’assurance-vie conclu par un individu décidé à mettre fin à ses jours, v. H. Capitant, op. cit., no 73.

23. C. Beudant, Cours de droit civil français, t. XII bis, Contrats civils divers, 2e éd., Rousseau, 1950, par Mme Béquignon-Lagarde, no 791.

24. M. Picard et A. Besson, op. cit., no 96.25. J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. 4, Les assurances de personnes, LGDJ, 2007,

no 117-9, par L. Mayaux.26. « Mais le fait ainsi défini intéresse-t-il le sociologue ? Puisque le suicide est un acte de l’indi-

vidu qui n’affecte que l’individu, il semble qu’il doive exclusivement dépendre de facteurs individuels et qu’il ressortisse, par conséquent, à la seule psychologie. En fait, n’est-ce pas par le tempérament du suicidé, par son caractère, par ses antécédents, par les évènements de son histoire privée que l’on explique d’ordinaire sa résolution ? Nous n’avons pas à rechercher pour l’instant dans quelle mesure et sous quelles conditions il est légitime d’étudier ainsi les suicides, mais ce qui est certain, c’est qu’ils peuvent être envisagés sous un tout autre aspect. En effet, si au lieu de n’y voir que des évènements particuliers, isolés les uns des autres et qui demandent à être examinés chacun pour sa part, on consi-dère l’ensemble des suicides commis dans une société donnée pendant une unité de temps donnée, on constate que le total ainsi obtenu n’est pas une simple somme d’unités indépendantes, un tout de collection, mais qu’il constitue par lui-même un fait nouveau et sui  generis, qui a son unité et son individualité, sa nature propre par conséquent, et que, de plus, cette nature est éminemment sociale.

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en mettant en évidence les déterminants sociaux qui influent sur celui-ci27. La thèse de Durkheim, qui repose sur le postulat que ce ne sont pas les individus qui se suicident, mais la société qui se suicide à travers certains sociétaires28, consomme « la dépossession pour la personne de sa conduite suicidaire29 ». Pour s’en tenir aux données les plus récentes, notons simplement que la France demeure l’un des pays industrialisés les plus touchés par le suicide qui représente 10  000 décès annuels (10 500 en 2001 année pour laquelle nous disposons des derniers chiffres consolidés) c’est-à-dire 2 % des 540 000 décès annuels toute cause confondue. L’homicide de soi-même représente la seconde cause de mortalité pour les 15 à 44 ans et la première pour les 30 à 39 ans pour aller ensuite en régressant sensiblement. Les hommes se suicident davantage que les femmes et les taux de suicide les plus élevés concernent les veufs, puis les divorcés, les célibataires et enfin les personnes mariées. Les chiffres varient également, en France, d’une région à l’autre. Le Nord-Ouest de la France se trouve en situation de surmortalité par rapport aux régions de l’Est ou du Sud-Ouest. L’Île-de-France, l’Alsace et les pays du Sud de la France sont en revanche en sous mortalité. Le suicide est également un phénomène de génération, certaines, celles nées en 1930-1940, se suicidant moins que celles nées après 1950. Les moda-lités du suicide sont également connues et varient, là encore, selon l’âge, le sexe et la région30. Lorsque l’on sait que l’assureur a besoin de données statistiques pour déter-miner, en recourant à la loi des grands nombres, la fréquence avec laquelle surviennent les sinistres pour accepter de les garantir et déterminer le montant de la prime qu’il demandera à chaque assuré31, il n’est pas surprenant, dès lors, que la doc-trine contemporaine en déduise que le risque suicide est probabilisable32, il est vrai

En effet, pour une même société... ce chiffre est à peu près invariable... », E. Durkheim, Le suicide, PUF, coll. « Quadrige », 1999, p. 8.

27. La démarche de Durkheim a fait des émules chez les sociologues : M. Halbwachs, Les causes du suicide, Alcan, 1930, PUF, 2002 ; J. Baechler, Les suicides, préf. R. Aron, Calmann-Lévy, 1975, 2e éd., Calmann-Lévy, 1981, 3e  éd., Hermann, 2009 ; L.  Chauvel, «  L’uniformisation du taux de suicide masculin selon l’âge : effet de génération ou recomposition du cycle de vie ? », in « Le suicide, un siècle après Durkheim », Rev. franç. sociol. 1997, XXXVIII-4, 681-734 ; P. Besnard, « Mariage et suicide : la théorie durkheimienne de la régulation conjugale à l’épreuve d’un siècle », in « Le suicide, un siècle après Durkheim », Rev.  franç. sociol. 1997, XXXVIII-4, 735-785 ; C. Baudelot et R. Establet, Suicide, l’envers de notre monde, Seuil, 2006 ; C. Baudelot et R. Establet, Durkheim et le suicide, 7e éd., PUF, 2007.

28. J. Baechler, Les suicides, 3e éd., Hermann, 2009, p. 22.29. J. Védrine et J.-M. Elchadus, « Du droit à la clinique, une question d’éthique », in F. Terré,

Le suicide, PUF, 1994, p.  159, spéc. p.  162. Ainsi, pour Durkheim, «  ...  le taux social des suicides ne s’explique que sociologiquement. C’est la constitution morale de la société qui fixe à chaque ins-tant le contingent des morts volontaires. Il existe donc pour chaque peuple une force collective, d’une énergie déterminée, qui pousse les hommes à se tuer », E. Durkheim, op. cit., p. 336.

30. Sur tout ceci v. E. Jougla, « Mortalité par suicide en France », sur le site de l’Inserm. Il est également possible de consulter sur ce même site, dans la rubrique Statistiques des causes médicales de décès, les données chiffrées établies pour les années allant de 1979 à 2005. Ces chiffres démontrent une constante du nombre des décès par suicide en France.

31. T. Corfias, « Les tables de mortalité », RGDA 2008. 627 ; « L’espérance de vie », RGDA 2008. 895 ; « Les principes de tarification du contrat d’assurance-vie », RGDA 2009. 68.

32. J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, op. cit., 117-9, par L. Mayaux ; B. Beignier, Droit du contrat d’assurance, PUF, 1999, no 109.

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dans un contexte où l’on constate un recul constant des limites de l’assurabilité33. Ainsi, comme l’a observé Michel Debout, professeur de médecine légale, dans un rap-port du Conseil économique et social consacré au suicide, « la constante du nombre de suicide est là pour en apporter la preuve, la personne qui réalise un tel geste semble s’inscrire dans une cohorte socialement repérable  : le nombre annuel de morts par suicide s’apprécie avec autant de certitudes que celui lié aux accidents de la route, au cancer du côlon ou à l’infarctus du myocarde. La connaissance épidémiologique des causes de mortalité est à la base de toute la pratique d’assurance et le suicide ne déroge pas à cette règle. Le “risque suicide” peut donc être tout à fait apprécié et calculé globalement par les spécialistes de ce domaine pour être intégré dans le calcul de toute prime y compris dans le cas exceptionnel du “suicide sacrificiel”34 ». Et c’est bien ce que la jurisprudence et le législateur ont compris.

2. Le suicide, un risque aléatoire

Avant l’édiction de la loi du 13 juillet 1930, les assureurs excluaient le suicide de la garantie décès sans plus de précision. La jurisprudence décida qu’une telle exclusion ne pouvait porter que sur le seul suicide « volontaire et réfléchi », c’est-à-dire le suicide conscient, car seul de nature à priver le contrat d’assurance de tout aléa35, ce qui mettait à la charge de l’assureur de prouver et le suicide et son caractère volon-taire et conscient36. Les conséquences d’un suicide inconscient étaient donc mises à la charge de l’assureur à moins que celui-ci n’ait pris la précaution d’exclure le sui-cide sous toutes ses formes. Les assureurs continuèrent donc à garantir le suicide dès lors qu’il demeurait inconscient puisqu’aléatoire, la survenance du sinistre ne dépendant pas du seul assuré. La loi du 13 juillet 1930, dans son article 62 vint à la fois confirmer et modifier ces solutions. En effet, selon l’alinéa  1er de ce texte, qui disposait que « L’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement la mort », le suicide commis volontairement n’était pas assurable, ce qui était le cas jusque-là, mais cette règle de principe était immédiatement amendée par l’alinéa 3 du même article 62 qui énonçait que « Toute police conte-nant une clause par laquelle l’assureur s’engage à payer la somme assurée, même en cas de suicide volontaire et conscient, ne peut produire effet que passé un délai de deux ans après la conclusion du contrat. » Était ainsi affirmé le caractère assu-rable et donc aléatoire, certes à titre supplétif, du suicide, non seulement incons-

33. H.  Cousy, «  La fin de l’assurance ? Considérations sur le domaine propre de l’assurance privée et ses frontières », in Droit et économie de l’assurance et de la santé. Mélanges Lambert, Dalloz, 2002, p. 111, spéc. p. 120.

34. M. Debout, « Le suicide », JO 1993, p. 56, du même auteur, Le suicide, Ellipses, 1996, p. 73.35. CA Paris 30 nov. 1875, S. 1877. 2. 132 ; Cass., req., 3 août 1876, S. 1877. 1. 25 ; CA Bor-

deaux 8 juin 1903, S. 1903. 2. 295 ; Civ. 29 janv. 1912, S. 1912. 1. 367, DP 1912. 1. 159 ; CA Gre-noble, 1re ch., 19 mars 1929, RGAT 1930. 555, obs. M. P.

36. M.  Picard et A.  Besson, Traité de droit des assurances, t.  1, Le contrat d’assurances, 5e  éd., LGDJ, 1982, no 476, p. 752, par A. Besson. ; B. Beignier, note sous CA Versailles, 3e ch., 3 févr. 1994, D. 1995. 42, spéc. 44.

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cient mais également conscient dès lors que ce dernier survenait à l’expiration d’un délai de carence de deux années destiné à parer à tout suicide organisé de mauvaise foi37. En outre, l’alinéa 4 de l’article 62 de la loi du 13 juillet 1930 aména-geait les règles de preuve38  : à l’assureur de prouver le suicide39 ; au bénéficiaire de démontrer que l’assuré avait agi dans un état d’inconscience au moment de commettre l’acte létal40, étant entendu que l’appréciation du caractère conscient ou inconscient du suicide relevait du pouvoir souverain des juges du fond41. Les assu-reurs demeuraient donc libres de s’en tenir au libellé de la loi en garantissant le suicide inconscient, le suicide conscient demeurant exclu à moins qu’une clause du contrat n’en prévoie la prise en charge après l’écoulement du délai de deux ans. Liberté était également reconnue à l’assureur d’exclure tout suicide de sa garantie quelle qu’en soit l’origine pendant toute la durée du contrat ou simplement durant ses deux premières années42. La loi du 7 janvier 198143 donna une nouvelle version de l’article L. 132-7 du Code des assurances aux termes de laquelle « L’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement et consciemment la mort au cours des deux premières années du contrat. » C’était affirmer que l’assu-reur qui garanti le suicide, une clause contraire demeurant licite44, devait prendre en charge et le suicide inconscient, sans condition de délai, et le suicide conscient passé un délai de deux ans. De la garantie exceptionnelle du suicide conscient,

37. C’est l’explication qu’en donnait la doctrine qui se présentait comme très critique à l’en-contre de cette clause d’incontestabilité différée difficilement justifiable à ses yeux tant au regard de la morale que de l’ordre public. V. par exemple A. Trasbot, D. 1931. IV. 33 ; H. Capitant, « La loi du 13 juillet 1930 relative au contrat d’assurance », RGAT 1930. 739, spéc. 795 ; M. Picard et A. Besson, Traité général des assurances terrestres en droit français, t.  IV, Assurances de personnes, LGDJ, 1945, no 97 ; C. Beudant, Cours de droit civil français, t. XII bis, Contrats civils divers, 2e éd., Rousseau, 1950, par Mme Béquignon-Lagarde, no 791 ; M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. XI, Contrats civils, 2e éd., LGDJ, 1954, par A. Besson, no 1400.

38. Applicables aux seules assurances sur la vie en cas de décès et non aux assurances contre les accidents corporels comportant une garantie décès consécutif à un accident. Dans une telle hypo-thèse, c’est le droit commun de la preuve qui s’applique  : Civ. 1re, 29 oct. 1958, RGAT 1959. 475, obs. A. B. ; Civ. 1re, 28  janv. 1964, no 62-10.368, Bull.  civ.  I, no 50, RGAT 1964. 520, obs. A. B. ; Civ. 1re, 22 juill. 1964, RGAT 1965. 212, obs. A. B. ; Civ. 1re, 15 oct. 1975, no 74-11.084, Bull. civ. I, no 272, RGAT 1976. 395 ; Civ. 1re, 1er juin 1976, no 75-10.301, Bull. civ. I, no 206 ; CA Paris, 1re ch. B, 26 janv. 1978, RGAT 1979. 541 ; TGI Paris, 4e ch., 2e sect., 23 mai 1980, RGAT 1980. 557 ; Civ. 1re, 13 mai 1986, no 85-10.494, Bull. civ. I, no 120, RGAT 1986. 424, obs. J.-L. Aubert (action en répéti-tion de l’indu).

39. CA Grenoble, 2e ch., 29 juin 1970, RGAT 1971. 198, obs. A. B. ; Civ. 1re, 12  nov. 1975, no 73-14.510, Bull. civ. I, no 318.

40. CA Lyon, 1re ch., 10 juin 1952, RGAT 1953. 53, obs. A. B.41. Civ. 1re, 2 mai 1955, RGAT 1955. 402, obs. A. B. ; Civ. 1re, 19 mai 1969, no 67-13.147 et

67-13.146, Bull. civ. I, no 189, RGAT 1970. 76 ; Civ. 1re, 21 mai 1975, no 73-13.917, Bull. civ. I, no 166, RGAT 1975. 520, obs. A. B.

42. Civ. 11  mars 1980, RGAT 1981.  65, note  A.  B. ; Civ.  1re, 28  mai 1984, no  83-11.626, Bull. civ. I, no 170, RGAT 1985. 98, obs. J.-L. Aubert.

43. L. no 81-5 du 7 janv. 1981 relative au contrat d’assurance et aux opérations de capitalisation, JO 8 janv. 1981, p. 194. Sur cette réforme v. J. Bigot, « La loi du 7 janvier 1981 et l’assurance-vie », JCP 1981. I. 3047 ; A. Besson, « La loi du 7 janvier 1981 et les assurances », RGAT 1981. 5.

44. Civ. 1re, 11 déc. 1990, no 89-15.880, RCA  1990. Comm. 82, RGAT 1991. 144 ; Civ. 1re, 10 oct. 1995, no 94-10.668, RGDA 1996. 423, obs. J. Kullmann.

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prévue par une stipulation du contrat d’assurance, le suicide inconscient n’ayant jamais posé problème, on passait ainsi à la garantie de principe du suicide conscient après l’expiration du délai de carence, sauf stipulation contraire. Cette réforme ne prévoyait aucune règle probatoire particulière, ce qui eut pour conséquence que l’assureur qui garantissait le suicide supportait, dès lors qu’il entendait opposer l’ex-clusion de garantie en cas de suicide survenant durant le délai de carence, la charge de prouver à la fois le suicide et son caractère conscient45. La loi du 2 juin 199846 apporta à son tour deux changements au régime de l’assurance du suicide. Tout d’abord, elle réduisit le délai de deux années, au-delà duquel la garantie du suicide conscient devenait licite, à une seule. Ensuite, elle ajouta un deuxième alinéa à l’article L. 132-7 du Code des assurances selon lequel « Ces dispositions ne sont pas applicables aux contrats mentionnés à l’article L. 140-1 souscrits par les organismes mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 140-6. » Si les dispositions de l’ali-néa 1er de l’article L. 132-7 du Code des assurances ne sont pas applicables, cela signifie donc que l’assureur de groupe est en droit de garantir le suicide sans avoir à respecter un quelconque délai de carence. Étrange hypothèse, puisque sans doute très éloignée des pratiques des assureurs47, mais qui révèle que le suicide sous toutes ses formes, conscient ou non, doit pouvoir être garanti. Enfin, la loi du 3 décembre 200148 apporte une ultime contribution au régime du suicide. Les deux premiers alinéas de l’article L. 132-7 du Code des assurances affirment désormais, d’une part, que l’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement la mort au cours de la première année du contrat et, d’autre part, que « L’assurance en cas de décès doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat. » Disparaît ainsi toute allusion à la distinction entre suicide conscient et suicide inconscient qui existait jusque-là et dont la mise en œuvre posait d’inso-lubles difficultés pratiques49. Mais surtout, d’une garantie initialement conçue comme facultative, on passe à une garantie obligatoire du suicide, conscient ou inconscient, dès l’expiration du délai de carence d’un an. Bien mieux, l’alinéa 4 du même article L. 132-7 prévoit dorénavant la garantie immédiate et obligatoire du suicide dès la souscription du contrat d’assurance de groupe souscrit par l’établis-sement de crédit pour couvrir le remboursement du prêt contracté par l’assuré pour financer l’acquisition du logement principal. Aux termes d’une telle évolution, cer-tains commentateurs à propos de la réforme initiée par la loi du 3 décembre 2001 ont parlé de révolution50, comment ne pas tenir pour constant le caractère aléatoire du risque du suicide ? Cela étant, force est de reconnaître que la particularité du

45. J. Bigot, « La loi du 7 janvier 1981 », op. cit., no 21.46. L. no 98-546 du 2 juill. 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier,

JO 3 juill., p. 10 127.47. H. Groutel, « Suicide de l’assuré ; choisir le bon moment », op. et loc. cit. ; G. Courtieu,

« Un suicide raté », op. et loc. cit.48. L.  no  2001-1135 du 3  déc. 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants

adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, JO 4 déc., p. 19 279.49. V. note 54.50. J. Kullmann, « Suicide et assurance », op. et loc. cit.

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suicide qui tient, comme nous allons le voir, à la difficulté d’admettre son caractère volontaire nécessite un encadrement juridique spécifique.

II. LE SUICIDE, UN RISQUE ALÉATOIRE JURIDIQUEMENT ENCADRÉ

Aléatoire sans contestation possible, le suicide doit néanmoins être encadré juri-diquement afin d’éviter la prise en charge de sinistres frauduleux. C’est ce à quoi s’emploie l’article L. 132-7 du Code des assurances dans sa dernière version (A) qui supporterait sans doute une ultime réforme (B).

A. DE LEGE LATA

L’article L. 132-7 du Code des assurances dans sa rédaction actuelle prévoit d’appli-quer au suicide trois régimes distincts  : un régime de droit commun  (1) et deux régimes d’exception qui ont vocation à jouer lorsque le suicide est garanti dans le cadre d’une assurance de groupe (2).

1. Le droit commun

Ce régime de droit commun est prévu par les deux premiers alinéas de l’article L. 132-7 du Code des assurances qui font alterner prohibition (a) et obligation (b).

a. La garantie du suicide prohibéeUltime séquelle « de stigmates du geste suicidaire51 », l’alinéa 1er de l’article L. 132-7 du Code des assurances prohibe la garantie du suicide durant la première année qui suit la formation du contrat. On ne saurait retenir un autre point de départ, comme par exemple la date de prise d’effet de la garantie52 ou reconnaître aux parties, comme a pu le faire dans le passé la Cour de cassation53, la libre fixation de ce dies a quo, car l’article L. 132-7 du Code des assurances est d’ordre public. Disparaît ainsi, avec cette nouvelle formulation, toute allusion à la distinction entre suicide conscient et suicide inconscient dont l’application pratique relève de la quadrature

51. J. Védrine et J.-M. Elchardus, « Du droit à la clinique, une question éthique », in F. Terré (dir.), op. cit., p. 159, spéc. p. 161. Ces auteurs ajoutent que « ... la “faute” du suicidé rejaillirait encore sur sa famille, et il existerait dans cette réponse répressive sur le plan économique une véritable mesure de rétorsion contre le suicidé, le groupe s’estimant lésé, voire véritablement agressé » (op. cit., p. 162). Il s’agirait là d’une autre subsistance du temps où le suicide entraînait la confiscation des biens du suicidé et de ses proches (op. et loc. cit.).

52. J. Bigot (dir.), op. cit., no 117-20.53. Civ. 1re, 9 juin 1998, no 96-11.930, Bull. civ. I, no 204, RGDA 1998. 794, obs. A. Favre-Rochex,

D. 1998. 618, note B. Beignier ; Civ. 1re, 23 juin 1998, no 96-10.839, D. 1998. 618, note B. Beignier.

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du cercle54. L’assureur doit aujourd’hui démontrer le suicide la première année du contrat pour décliner sa garantie. Dans une telle hypothèse, la sanction remonte à la loi du 13 juillet 1930, l’article L. 132-7 répute le contrat d’assurance de nul effet et l’article L. 132-18 dispose que l’assureur est alors tenu de verser au bénéficiaire une somme égale à la provision mathématique, ce qui a pu faire écrire qu’«  il en résulte que, lorsque les engagements contractuels de l’assureur se limitent à cette provision, ce qui est le cas des contrats dits “épargne-assurance” qui sont de loin les plus nombreux, tout se passe comme si le contrat était exécuté55 ». Enfin, l’alinéa 2 de l’article L. 132-7 du Code des assurances prévoit qu’en cas d’augmentation des garanties en cours de contrat, le risque du suicide, pour les garanties supplémen-taires, est couvert à compter de la deuxième année qui suit cette augmentation.

b. La garantie du suicide imposéeÀ l’expiration du délai annal, l’alinéa 2 de l’article L. 132-7 du Code des assurances prévoit que « L’assurance en cas de décès doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat. » L’assureur est donc, cette fois, tenu de garantir le suicide sans que, là non plus, la distinction entre suicide conscient et suicide inconscient ne puisse réapparaître. Le législateur a ainsi considéré qu’une fois le délai de carence d’un an écoulé, plus aucun suicide ne peut être écarté de la garan-tie, le lien de causalité entre celui-là et la mise en œuvre de la garantie étant rompu. Le suicide, passé ce seuil, devient un risque de vie comme un autre avec lequel l’assureur doit compter56. On imagine mal, en effet, une personne suicidaire attendre tranquillement une année avant de passer à l’acte. Et il semble que cette garantie obligatoire du suicide puisse s’appliquer immédiatement aux contrats en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001. Non pas seulement en considération du caractère d’ordre public de l’article L.  132-7 du Code des assurances, qui ne suffit pas à évincer la règle qui veut qu’un contrat en cours reste soumis à la loi en vigueur au jour de sa conclusion ; l’ordre public, lorsqu’il a cet effet, est un ordre public renforcé dont la reconnaissance suppose, à défaut de dis-position légale, une décision de la Cour de cassation57. Mais bien plutôt parce que

54. V., J. Kullmann, op. cit., no 51, qui rend compte d’une jurisprudence contradictoire à propos de faits similaires retenant ou non le caractère conscient du suicide.

55. J. Bigot (dir.), op. cit. no 117-18. Pour une hypothèse où l’assureur n’aurait rien à restituer v. J. Kullmann, Rép. civ. Dalloz, no 57.

56. V.  ce qu’écrivait le professeur Grimaldi à l’époque où le délai de carence était de deux années et la garantie du risque du suicide facultative : « Le suicide conscient n’illustre-t-il pas la faute intentionnelle qui, parce qu’elle chasse l’aléa, est inassurable ? En vérité, la règle se justifie par l’idée que la fraude redoutée est celle qui entacherait la conclusion même du contrat ; celle qui consisterait à souscrire la police en vue de l’acte autodestructeur —  corrélation que permet vraisemblablement l’écoulement d’un délai de deux ans. Quant à la survenance, en cours de contrat, de la volonté de mourir, elle est, au fond, considérée au même titre que la maladie ou l’accident, comme l’un des éléments du risque de mort », M. Grimaldi, « Le suicide en droit privé », in F. Terré, Le suicide, op. cit., p. 143

57. J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil. Introduction au droit, 4e éd., par J. Ghestin, G. Gou-beaux, M. Fabre-Magnan, LGDJ, 1994, no 408.

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la garantie obligatoire du suicide soumet les parties au contrat à un véritable statut légal qui transcende les situations contractuelles58.

2. Le droit spécial

Ce droit spécial qui concerne les assurances de groupe est apparu en deux temps. Tout d’abord avec la loi du 2  juin 1998  (a), puis avec la loi du 3  décembre 2001 (b).

a. Les assurances de groupe en généralAux termes de l’article L. 132-7, alinéa 3, du Code des assurances, tel que modifié par la loi du 2  juin 1998, « Les dispositions du premier alinéa ne sont pas appli-cables aux contrats mentionnés à l’article L. 141-1 souscrits par les organismes men-tionnés au dernier alinéa de l’article L. 141-6. » Autrement dit, lorsque le suicide est couvert par un contrat d’assurance de groupe souscrit par une entreprise ou un groupe d’entreprises, au profit de ses salariés ; par un groupement professionnel représentatif d’entreprises, au profit des salariés ; par un organisme représentatif d’une profession non salariée ou d’agents des collectivités publiques, au profit de ses membres, la prohibition instituée par l’alinéa 1er de l’article L. 132-7 du Code des assurances reste inapplicable. Ce qui signifie que le suicide peut être couvert sans délai de carence pour l’être obligatoirement, par application de l’alinéa 2 auquel l’alinéa  3 ne déroge pas, à l’issue de la première année du contrat. Durant cette période de 365  jours, l’assureur retrouve la faculté soit d’exclure le suicide de sa garantie, qu’il soit conscient ou inconscient sans distinguer, soit de la garantir immédiatement59.

b. Les assurances de groupe garantissant le logement principalIssu de la loi du 3 décembre 2001, l’alinéa 4 de l’article L. 132-7 du Code des assu-rances prévoit, en substance, que les contrats d’assurance de groupe souscrits par les établissements de crédits pour garantir le remboursement d’un emprunt contracté par l’assuré pour acquérir son logement familial, doivent garantir le décès, donc le suicide, dès la souscription du contrat dans la limite d’un plafond défini par décret60. Motivée par l’exclusive considération du sort du conjoint survivant, cette disposi-tion fait totalement fi des contraintes de l’assurance en supprimant tout délai de carence. Rendant obligatoire, dès la souscription du contrat d’assurance jusqu’à sa cessation, la garantie du suicide dès lors que l’assurance a été souscrite pour couvrir

58. J. Ghestin, (dir.), op. cit., no 409. Dans ce sens v. H. Groutel, « Le suicide en assurance sur la vie : une réforme inopinée », op. et loc. cit. ; G. Courtieu, « L’assurance du suicide, suite et fin ? », op. et loc. cit. ; H. Groutel (dir.), Traité..., op. cit., no 2172 ; J. Bigot (dir.), op. cit., no 117-25.

59. H.  Groutel, «  Suicide de l’assuré  : choisir le bon moment  », RCA sept.  1998. Repères ; G. Courtieu, « Un suicide raté ou lorsque le législateur se tire une balle dans le pied », Gaz. Pal. 1999. 1. 61. J. Bigot (dir.), op. cit., no 117-27 ; J. Kullmann, Vo « Assurances de personnes », Rép. civ. Dalloz, no 59.

60. Ce plafond a été fixé à 120 000 euros (art. R. 132-5 C. assur.).

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l’acquisition du logement principal de l’assuré, l’alinéa  4 de l’article L.  132-7 du Code des assurances refuse d’envisager l’hypothèse de la souscription frauduleuse, certes exceptionnelle61, mais qu’il est cependant indispensable de prévoir pour conserver à l’assurance le garde-fou nécessaire à sa crédibilité. Il est avéré qu’avec cette disposition toute considération d’ordre moral est exclue, seul l’intérêt du bénéficiaire, en l’espèce celle du conjoint survivant, devant l’emporter. Mais la doctrine a regretté que seuls les emprunteurs qui adhèrent au contrat d’assurance de groupe souscrit par l’établissement de crédit qui prête les fonds bénéficient de cette règle et qu’en soient exclus ceux qui adhèrent à des contrats d’assurance de groupe souscrits par une autre personne morale que le prêteur62. Dès lors, ne conviendrait-il pas de proposer une ultime réforme de l’article L. 132-7 du Code des assurances ?

B. DE LEGE FERENDA

Réformer consiste bien souvent à prévoir l’abrogation pure et simple des dispo-sitions existantes pour leur en substituer d’autres, censées plus pertinentes. Cependant, dans le domaine de la couverture du suicide par l’assureur-vie, nous allons constater qu’il en va autrement et que la réforme suggérée passe tout d’abord par le maintien en l’état des règles de droit commun (1) et ensuite par la modifi-cation du droit spécial (2).

1. Une abrogation peu pertinente de l’article L. 132-7 du Code des assurances

Conviendrait-il d’abroger purement et simplement l’article L. 132-7 du Code des assurances ? Une telle mesure, qui a déjà été proposée63, ne laisserait d’ailleurs abso-lument pas l’assureur démuni pour contester sa garantie dans les cas où l’assuré aurait agi en fraude de ses droits. En effet, une fausse déclaration intentionnelle de risque lors de la conclusion du contrat d’assurance portant sur les antécédents médicaux de l’assuré (tendances suicidaires, état dépressif...), serait sanctionnée sur le fondement de l’article L. 113-8 du Code des assurances par la nullité du contrat64. La même sanction serait applicable en cas de dissimulation de l’existence d’un cumul de contrats d’assurances-vie65 lors de la souscription du contrat. La faute

61. CA Agen, 1re ch., 15 sept. 1999, D. 2000. 327, note B. Beignier. Un dépouillement systéma-tique de la Revue générale des assurances terrestres de 1930 à 1996 et de la Revue générale de droit des assurances de cette même année à 2009 ne nous a permis de relever qu’une trentaine de décisions, toutes juridictions confondues, portant sur un contentieux relatif au suicide de l’assuré.

62. J. Kullmann, « Suicide et assurance : une déjà vieille notion, mais un tout nouveau régime », RGDA 2002. 907, spéc. 918, Rép. civ. Dalloz, op. cit., no 61.

63. Proposition de loi de 1996 sur laquelle v. H. Groutel, « À propos d’une proposition de loi sur le suicide en assurance-vie », op. et loc. cit., ; B. Beignier, note sous CA Agen, 1re ch., 15 sept. 1999, D. 2000. 327.

64. Civ. 1re, 8 juill. 1994, no 92-11.258, RGAT 1994. 1198, 1re esp., note J. Maury.65. Civ. 1re, 9 nov. 1941, RGAT 1942. 139 ; Civ. 1re, 9 juin 1942, RGAT 1942. 264 ; Civ. 1re,

13 mai 1997, no 95-14.843, Bull. civ. I, no 153, D. 1997. 351, note J.-L. Aubert.

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intentionnelle, inassurable en vertu de l’article L.  113-1 du Code des assurances parce que supprimant le caractère aléatoire du contrat d’assurance, serait certaine-ment plus difficilement admissible car le suicide rentre malaisément dans le moule de ce type de faute. En effet, ce que le Code des assurances exclut du champ de l’as-surance, ce sont les conséquences de la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. Or, nous l’avons relevé, le suicide, qui n’est que l’usage d’une liberté66, ne constitue ni une faute pénale ni une faute civile et n’est en soi empreint d’aucune illicéité67. Ajoutons que si le suicide relevait de la faute intentionnelle, son « inassurabilité » devrait être permanente68. D’ailleurs, les données médicales laissent entendre que l’association des termes suicide et volonté serait antithétique. En effet, selon Michel Debout, « ... la notion de volonté qui, si elle peut être opérante en ce qui concerne beaucoup d’actes de la vie, devient beaucoup plus discutable dès lors qu’il s’agit jus-tement de se donner la mort. Nous sommes là à l’évidence dans une zone frontière et tout ce que nous savons du geste suicidaire, même le plus “volontaire”, dès lors que la personne en réchappe, est que son désir de finitude était pour le moins ambi-valent. Le concept de volonté ne nous paraît pas adapté à cette situation. Il nous semble plus traduire l’idée que le sujet a posé un acte délibéré — et il ne faut pas lui ôter cette capacité — mais l’aléatoire persiste, non pas dans l’acte lui-même, mais dans sa signification et son objectif 69.  » Au demeurant, si l’article L.  132-7 du Code des assurances venait à être purement et simplement abrogé, la garantie du suicide redeviendrait facultative pour l’assureur et rien ne pourrait empêcher celui-ci d’exclure ce risque de sa garantie quelle qu’en soit la cause. Cela constituerait un retour en arrière difficilement envisageable. Une autre issue doit donc être recherchée.

2. La révision de l’article L. 132-7 du Code des assurances

Cette révision de l’article L. 132-7 du Code des assurances pourrait, tout d’abord, consister à maintenir le statu quo relativement, d’une part, au délai de carence d’une année prévu par le premier alinéa de cette disposition, eu égard à la difficulté tenant à la démonstration du caractère volontaire de l’acte suicidaire évoquée précédem-ment, et, d’autre part, au caractère obligatoire du suicide à compter de la deuxième année d’existence du contrat. Ce délai, désormais incompressible dans sa durée, permet d’emblée d’écarter tout suicide prémédité par le souscripteur lors de la conclusion de la police d’assurance. Pourrait, en revanche, être abrogé l’alinéa 3 de l’article L. 132-7 du Code des assurances, dans la mesure où sa raison d’être reste à justifier. En effet, les assureurs n’utilisent pas spontanément la faculté de garantie

66. F. Terré, op. cit., p. 19.67. J.  Bigot (dir.), op.  cit., no  117-23. Contra J.  Kullmann, «  Suicide et assurance  : une déjà

vieille notion, mais un tout nouveau régime », RGDA 2002. 907, spéc. 914.68. B. Beignier, note sous CA Versailles, 3e ch., 3 févr. 1994, D. 1995. 42.69. M. Debout, op. et loc. cit.

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immédiate prévue par cette disposition70 qui laisse subsister l’exclusion du suicide la première année du contrat fondée sur l’appréciation du caractère conscient ou non du suicide, ce qui nous semble peu opportun eu égard aux difficultés d’applications de cette distinction71. Les bénéficiaires des contrats actuellement soumis à cet ali-néa relèveraient dès lors de l’actuel droit commun du régime du suicide en assuran-ce-vie. Enfin, l’alinéa 4 de l’article L. 132-7 du Code des assurances pourrait être maintenu, mais en étendant son domaine à toutes les assurances de groupe quel qu’en soit le souscripteur. En effet, on ne voit pas pour quel motif péremptoire la garantie de l’assureur ne pourrait jouer immédiatement que dans la seule hypothèse où le contrat d’assurance emprunteur a été souscrit par l’établissement de crédit qui a prêté l’argent nécessaire à l’acquisition du logement principal de l’assuré. La sous-cription d’une assurance emprunteur souscrite auprès d’un autre organisme devrait donner lieu à une prise en charge dans les mêmes conditions. Pour justifier la solu-tion adoptée en 2001, on pourrait être tenté d’invoquer le fait que jusqu’ici le Code de la consommation permettait au banquier bailleur de fonds d’imposer à son client d’adhérer au contrat d’assurance de groupe emprunteur souscrit à son profit par ses soins (art. L. 312-8 et L. 312-9 C. consom.) ; et la pratique des établissements de crédit consiste effectivement le plus souvent à contraindre le client à adhérer à ce contrat72. La solution retenue par le législateur pouvait donc se comprendre dans la mesure où la plupart des emprunteurs adhéraient au contrat d’assurance qui leur était imposé. Mais un projet de loi portant réforme du crédit à la consommation prévoit dans son article 17 de modifier les articles L. 312-8 et L. 312-9 du Code de la consommation en supprimant la possibilité pour les banques, dans le cadre de prêts immobiliers, d’imposer à leurs clients d’adhérer à des contrats d’assurance de groupe souscrits pour leur compte afin de garantir leurs emprunts dès lors que le niveau de garantie du contrat souscrit par ailleurs et auquel l’emprunteur adhère est équivalent à celui proposé par l’établissement de crédit73. Il n’y aurait donc plus aucune raison de réserver l’avantage reconnu par l’article L.  132-7 du Code des assurances à une seule catégorie d’assurés. Si, comme aimait à le répéter Raymond Aron, la politique consiste à choisir entre un préférable et un détestable74, on l’aura compris, pour ce qui concerne la garantie du suicide en assurance-vie, le détestable serait certainement de revenir à une totale liberté contractuelle ; le préférable se trouve sans doute dans un encadrement juridique du suicide qui ne lèse les droits ni des uns ni des autres.

70. H. Groutel, « Suicide de l’assuré : choisir le bon moment », op. et loc. cit.71. V. la note 54.72. P. Dominati, Rapport Sénat 2009, no 447, relatif au projet de loi de réforme du crédit à la

consommation.73. Projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, article 17. Depuis que ces lignes

ont été écrites, la loi no 2010-737 du 1er  juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation (JO 2 juill., p. 12001, art. 21 et 22) a modifié les articles L. 312-8 et L. 312-9 C. consom. dans le sens indiqué dans le texte.

74. R. Aron, Le spectateur engagé, Le Livre de Poche, coll. « Références », 2004, p. 405.

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ANNEXE

LES VERSIONS SUCCESSIVES DES ARTICLES L. 132-7 ET L. 132-18 DU CODE DES ASSURANCES

1o Loi du 13 juillet 1930 relative au contrat d’assurance, D. 1931. IV, p. 31.

Article 62 : « L’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volon-tairement la mort. Toutefois, l’assureur doit payer aux ayants droit une somme égale au montant de la réserve, nonobstant toute convention contraire.

Toute police contenant une clause par laquelle l’assureur s’engage à payer la somme assurée, même en cas de suicide volontaire et conscient, ne peut produire effet que passé un délai de deux ans après la conclusion du contrat.

La preuve du suicide de l’assuré incombe à l’assureur, celle de l’inconscience de l’assuré au bénéficiaire de l’assurance. »

2o Loi no 81-5 du 7 janvier 1981 relative au contrat d’assurance et aux opérations de capitalisation ( JO 8 janv., p. 194) :

Article L. 132-7 du Code des assurances : « L’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement et consciemment la mort au cours des deux premières années du contrat. »Article L. 132-18 du Code des assurances : « Dans le cas de réticence ou fausse déclaration mentionné à l’article L. 113-8, dans le cas où l’assuré s’est donné volon-tairement et consciemment la mort au cours du délai mentionné à l’article L. 132-7 ou lorsque le contrat exclut la garantie du décès en raison de la cause de celui-ci, l’assureur verse au contractant ou, en cas de décès de l’assuré, au bénéficiaire, une somme égale à la provision mathématique du contrat. »

3o Loi no 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier ( JO 3 juill., p. 10127).

Article L. 132-7 du Code des assurances : « L’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement et consciemment la mort au cours de la première année du contrat.

Ces dispositions ne sont pas applicables aux contrats mentionnés à l’article L.  140-1 souscrits par les organismes mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 140-6. »Article L. 132-18 du Code des assurances : « Dans le cas de réticence ou fausse déclaration mentionné à l’article L. 113-8, dans le cas où l’assuré s’est donné volon-tairement et consciemment la mort au cours du délai mentionné à l’article L. 132-7 ou lorsque le contrat exclut la garantie du décès en raison de la cause de celui-ci,

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l’assureur verse au contractant ou, en cas de décès de l’assuré, au bénéficiaire, une somme égale à la provision mathématique du contrat. »

4o Loi no  2001-1135 du 3  décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral ( JO 4 déc., p. 19279).

Article L. 132-7 du Code des assurances : « L’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement la mort au cours de la première année du contrat.

L’assurance en cas de décès doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat. En cas d’augmentation des garanties en cours de contrat, le risque de suicide, pour les garanties supplémentaires, est couvert à comp-ter de la deuxième année qui suit cette augmentation.

Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables aux contrats mentionnés à l’article L. 141-1 souscrits par les organismes mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 141-6.

L’assurance en cas de décès doit couvrir dès la souscription, dans la limite d’un plafond qui sera défini par décret, les contrats mentionnés à l’article L. 141-1 sous-crits par les organismes mentionnés à la dernière phrase du dernier alinéa de l’ar-ticle L. 141-6, pour garantir le remboursement d’un prêt contracté pour financer l’acquisition du logement principal de l’assuré. »Article  L.  132-18 du Code des assurances  : «  En cas de réticence ou fausse déclaration mentionné à l’article L. 113-8, dans le cas où l’assuré s’est donné volon-tairement la mort au cours du délai mentionné à l’article L.  132-7 ou lorsque le contrat exclut la garantie du décès en raison de la cause de celui-ci, l’assureur verse au contractant ou, en cas de décès de l’assuré, au bénéficiaire, une somme égale à la provision mathématique du contrat. »Article L. 132-5 du Code des assurances : « Le plafond mentionné au dernier ali-néa de l’article L. 132-7 ne peut être inférieur à 120 000 euros. »

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Aléa et qualification

du contrat d’assurance sur la vie

Philippe PierreProfesseur à l’Université de Rennes 1,

directeur de l’IODE (UMR CNRS 6262)1

Est-il judicieux, ce 3 avril 2009, d’encore revenir sur la question de l’aléa en tant qu’instrument de qualification du contrat d’assurance sur la vie ? Nul n’ignore com-bien a été intense la controverse tranchée sans ambages par les célèbres arrêts de chambre mixte du 23 novembre 20042. Ceux-ci ont soutenu la qualification d’assu-rances des figures contractuelles les plus problématiques, les «  assurances place-ments » qui associent en un même élan une opération d’épargne et de prévoyance, et combinent à cette fin des prestations en cas de vie ou de décès. Dans leur forme contemporaine, celle de l’assurance « mixte » lato  sensu, il s’agit de permettre le remboursement au bénéficiaire désigné ou à ses ayants droit de la provision mathé-matique constituée, lorsque le décès avant terme de l’assuré en cas de vie frappe de caducité l’engagement fourni de ce chef par l’assureur. L’assureur y assume dès lors un engagement équivalent en cas de vie et en cas de décès, « l’assuré étant certain soit de récupérer le montant des primes versées majoré des produits financiers et diminué des frais de gestion, s’il est en vie au terme du contrat, soit de le voir verser au bénéficiaire s’il décède avant le terme3  ». Lors même que nombre d’auteurs, rejoints par une fraction non négligeable des juridictions du fond, avaient dénoncé l’artifice de la qualification d’assurance de ces purs produits de placement, la Cour de cassation l’a pourtant consacrée en énonçant que « le contrat d’assurance dont

1. La forme orale de cette présentation liminaire a été, pour l’essentiel, conservée.2. Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, 4 arrêts, H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre, M. Asselain, Traité du

contrat d’assurance terrestre, préf. G. Durry, Litec, coll. « Les Traités », 2008, no 2109, p. 1383, et la bibliographie citée.

3. Selon la formule de M. Grimaldi, « Réflexions sur l’assurance-vie et le droit patrimonial de la famille », Defrénois 1994, art. 35841, p. 737, no 1 et note 8, reprise par le TGI Paris 31 mars 1995, Caubert c.  Suravenir, Defrénois 1995, art.  3619, p.  1286, note M.  Vion ; JCP  N 1995.  1794, obs. C. David, F. Lucet, D. Vidal.

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les effets dépendent de la vie humaine comporte un aléa au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1, 1o et R. 312-1, 20 du Code des assurances et constitue un contrat d’assurance sur la vie  ». La chambre mixte ajoutait par ailleurs que les contrats querellés « comportaient un aléa tenant à la durée de vie du souscripteur dont devait dépendre l’identité du réel bénéficiaire  ». L’on ne reprendra pas de nouveau les termes de la controverse, ni les multiples réserves que l’on peut émettre sur le plan juridique à l’égard de décisions ouvertement inspirées par l’environne-ment économique, en l’occurrence de l’agitation de la menace de rachats massifs ou de la perte fiscale d’une poule dont les œufs seraient, dit-on, d’or...

Brevitatis causa, comment en effet se satisfaire, pour discerner un contrat aléa-toire dans les assurances placements, d’une incertitude purement évènementielle dont ne « dépend » en réalité — au sens de l’article 1964 du Code civil visé par la Cour de cassation — aucun « avantage » ni aucune « perte » d’ordre économique ? Comment identifier une véritable assurance au sein d’une convention qui peut par-faitement prospérer à titre isolé, à l’écart de la mutualisation des risques, nécessaire sur le plan technique à une telle qualification ? Et les assureurs eux-mêmes, en bannissant les questionnaires de santé ordinairement requis à l’orée de l’assurance, n’ont-ils pas avoué de longue date l’indifférence —  ou l’indigence  — de l’aléa contractuel ?

Néanmoins, puisque la messe semble donc dite, et la querelle vidée, ne pour-rait-on avec le recul trouver quelque avantage à l’extinction définitive de ce débat qualificatif qui a sans doute fait long feu  (I) ? Ou bien, au contraire, les braises n’étant qu’apparemment éteintes, le feu de la dispute sur la qualification des assu-rances placements ne couve-t-il pas toujours, appelant, irréductiblement quoi qu’en des termes différents, le retour du débat (II) ?

I. NE PLUS DÉBATTRE DE L’ALÉA QUALIFICATIF ?

A. TARIR D’AUTRES CONTENTIEUX LATENTS ?

Pour discutables qu’ils soient sur le fond, les arrêts de chambre mixte ne laissent pas prise à la moindre marge d’interprétation. Les circonstances des espèces y ont conduit à énoncer sans ambages la qualification d’assurance à l’endroit non seule-ment des assurances placements «  mixtes  », mais également d’une forme parti-culière d’assurance « vie entière »4, aussi discutable en ce qu’elle prévoit le verse-ment d’un capital décès égal à tout moment à la valeur acquise de l’épargne, et non prédéterminé quelle que soit la date du décès, ce que réalisent plus couramment d’autres contrats ainsi dénommés. De fait, la position de la Cour de cassation a épuisé un contentieux jusqu’alors croissant, pour se résumer à la liquidation de

4. Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, no 02-11.352.

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pourvois pendants devant la Haute juridiction, sans que l’on observe depuis la moindre résistance des juges du fond, conscients de l’autorité qui s’attache à une décision de chambre mixte et à l’intérêt des justiciables...

À l’opposé, la déqualification effective des « assurances placements » n’aurait-elle pas été la prémisse à l’apparition d’autres types de litiges parfaitement inextin-guibles ? Parmi ces perspectives contentieuses, n’aurait-on pas rapidement assisté à la réintroduction dans les conventions mixtes d’une légère variation des sommes dues en cas de décès ou en cas de vie, d’un « zeste d’aléa5 » gagé cette fois sur la mutualisation des risques, de nature à contrarier l’équivalence actuelle des presta-tions servies qui, en l’état, anéantit l’incidence économique de l’aléa évènemen-tiel6 ? Il aurait alors incombé aux juridictions d’établir le seuil propre à déclencher ce retour vers l’assurance ainsi qualifiée, et aux assureurs de convaincre le souscrip-teur d’associer une opération de prévoyance à la constitution d’une épargne de complément. Autant de facteurs quantitatifs et psychologiques d’appréciation malaisée, propres à alimenter une casuistique sans fin, s’ajoutant à celle qui perdure sur l’exagération manifeste des primes, et d’autant plus intarissable qu’il faut se sou-venir de l’immense diversité des formules contractuelles d’ores et déjà disponibles sur le marché de l’assurance-vie7...

B. USER D’INSTITUTIONS ALTERNATIVES ?

Le contrôle de la qualification des assurances placements par le truchement de l’aléa d’assurance a pour finalité principale la restauration d’un traitement liquidatif ordinaire — que l’on raisonne en termes successoraux ou matrimoniaux — ou bien encore la protection des droits des tiers, tels que les créanciers du souscripteur. Cette lourde mécanique juridique n’est-elle pas concurrencée par des institutions plus expédientes ?

Ainsi, un arrêt rendu le 26  juin 2008 par la Cour constitutionnelle belge ne peut laisser indifférent, qui a considéré l’exclusion des capitaux décès du rapport à succession — par l’article 124 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre — contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination garanties par la Constitution8 « en ce que cette disposition a pour effet que la réserve ne peut être invoquée à l’égard du capital en cas d’opération d’épargne par le de  cujus sous la

5. F. Lucet, « La qualification des contrats d’assurance-vie », Gaz. Pal. 28-29 nov. 1997, p. 2.6. Rétrospectivement, sur une telle hypothèse  : J.-M.  Binon et B.  Dubuisson, «  L’aléa dans

les produits d’assurance-vie. Le point de vue belge », in B. Dubuisson et C. Jaumain (dir.), Les nou-veaux produits d’assurance-vie. Droit civil et droit fiscal, Bruxelles, Academia-Bruylant, 2000, no  54, p. 53.

7. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les outils de comparaison en ligne des contrats disponibles, où la moindre étude commerciale implique l’analyse de plusieurs centaines d’offres !

8. Art. 10 : Les Belges sont égaux devant la loi. L’égalité des femmes et des hommes est garantie.Art. 11 : La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination.

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forme d’une assurance-vie mixte9  ». L’inconstitutionnalité belge ne rimerait-elle pas avec l’inconventionnalité européenne ? De fait, un pont peut sans nul doute être jeté vers la Convention européenne des droits de l’homme, dont la violation fut sanctionnée par le célébrissime arrêt Mazurek, statuant à propos du sort réservé à l’enfant adultérin selon l’ancien article 760 du Code civil10. Les juges de Stras-bourg s’étaient alors, précisément, fondés sur la prohibition des discriminations par l’article 14 de la Convention, en le combinant avec l’article 1er du protocole no  1 garant de la protection du droit de propriété, dont la jurisprudence de la Cour européenne a démontré le potentiel d’expansion lorsqu’il s’est agi de limiter l’application dans le temps de la loi « anti-Perruche11 ».

Semblablement, la répression de l’exagération manifeste des primes d’assurances sur la vie, telle qu’y invite l’article L. 132-13 du Code des assurances, impose selon la Cour de cassation d’examiner notamment l’âge du souscripteur ainsi que l’utilité du contrat pour celui-ci12. Ces critères prétoriens, dont on observe la prégnance dans la jurisprudence récente, reviennent à considérer comme excessives les primes versées dans le seul but de financer une opération de transmission d’actifs à cause de mort, en bénéficiant du régime fiscal et civil encore attractif de l’assurance sur la vie. Autant d’hypothèses où, justement, la chance de gain ou de perte écono-mique pour le preneur d’assurance est parfaitement indifférente, mais où la sanction du défaut d’aléa peut achopper sur l’intervalle séparant la date de souscription et celle du trépas, au moins pour qui s’obstine, comme y convie la Cour de cassation, à concentrer l’aléa d’assurance sur la seule incertitude de la durée de vie.

Cela étant, ces institutions rivales de l’aléa qualificatif, en ce qu’elles offrent elles aussi des possibilités de réguler les excès de tous bords, ne sont pas non plus exemptes de faiblesses. L’arrêt de la Cour constitutionnelle belge portait, expressis verbis sans pour autant les définir, sur des contrats « d’assurances mixtes », tandis que d’autres contrats abritent des placements tout aussi attentatoires à la réserve, à l’instar de certaines assurances vie entière... De surcroît, la Cour relevant « les effets disproportionnés [de l’assurance] en ce qui concerne le traitement des différentes catégories d’héritiers réservataires », la répression de la discrimination ne se délite-t-elle pas lorsque l’on s’écarte de la cohérie, lors même que les abus les plus choquants concernent souvent la désignation d’étrangers au cercle familial13 ? Quant au jeu de l’article L. 132-12 du Code des assurances, sa subtilité actuelle, puisqu’il importe en jurisprudence de combiner d’autres paramètres d’appréciation de l’excès tels que la situation familiale du preneur d’assurance, attise un conten-

9. Y.-H. Leleu et J.-L. Renchon, « Assurances vie et réserve héréditaire : égalité et solidarité ? », Journal des Tribunaux, Éd. Larcier, 25 oct. 2008, p. 597 ; RTD civ. 2008. 526, obs. M. Grimaldi.

10. CEDH 1er févr. 2000, sur lequel not. JCP 2000. I. 278 ; no 1, obs. R. Le Guidec.11. CEDH, Gr. ch., 6 oct. 2005, 2 arrêts, sur lesquels not., RTD civ. 2005. 798, obs. T. Revet.12. S. Hovasse, « Actualité de l’assurance-vie », JCP N 2007, no 1298, no 46 s. En dernier lieu,

Civ. 1re, 17 juin 2009, no 08-13.620.13. Là-dessus v.  P.  Pierre, «  Variations sur la stipulation pour autrui en assurances de per-

sonnes », RCA mars 2009, p. 37.

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tieux récurrent, pour un résultat parfois moindre que celui d’une déqualification contractuelle, à l’instar du cantonnement légal du rapport successoral au montant nominal des primes exagérées14.

Par contrecoup, le débat sur l’aléa ne regagnerait-il pas alors quelque lustre ?

II. DÉBATTRE MALGRÉ TOUT DE L’ALÉA QUALIFICATIF ?

A. DE LEGE LATA

Si les arrêts du 23 novembre 2004 ont asséché le contentieux de la qualification des assurances placements, ils ne l’ont pas exterminé. Et c’est de la Cour de cassation elle-même qu’est venu récemment le signe d’un frémissement. Le 4 juillet 2007, la première chambre civile a approuvé une cour d’appel d’avoir « caractérisé l’absence d’aléa du contrat et exclu la qualification de contrat d’assurance-vie » en estimant que les versements effectués moins de deux mois avant le décès du souscripteur « ne pouvaient être destinés à lui assurer un complément de retraite à cette époque de son existence et dans son état avancé de maladie ». Il s’en est évincé le rapport à la succession de l’intégralité des primes ainsi versées, sans qu’il soit besoin de discuter la mise en œuvre de l’article L. 132-13 du Code des assurances, formellement écarté des débats15. Cette position de la première chambre de la Cour de cassation n’est pas, en soi, incompatible avec celle adoptée en chambre mixte. Puisque l’aléa requis afin d’identifier un contrat d’assurance sur la vie s’entend, factuellement, de celui portant sur la durée de vie de l’assuré, il est logique que son évanouissement pro-voque le rejet de la qualification d’assurance.

Cependant, une telle défaillance de l’aléa événementiel est vouée, d’emblée, à la marginalité, sans commune mesure avec les implications d’une discussion, à la racine, de la nature des « assurances placements ».

— Marginalité chronologique car elle ne s’envisage, en l’état, que dans les circonstances extrêmes — telles l’extrême-onction du souscripteur ! — lorsque l’es-pérance de vie du contractant n’est plus que désespérance. À ce stade même, la déqualification de l’assurance restera impuissante à combattre certaines dérives, à

14. L’article L. 132-13, al. 2, C. assur. visant, littéralement, les sommes versées à titre de primes. Sur la question de la valorisation en cas de déqualification, Traité du contrat d’assurance terrestre, préc., no 2305. Et sur les difficultés supplémentaires de mise en œuvre du texte après la loi du 17 déc. 2007 : V. Nicolas, « Vers un déclin de l’article L. 132-13 alinéa 2 du Code des assurances relatif aux critères d’application de la sanction pour primes manifestement exagérées ?  » (à propos de Civ. 2e, 10  avr. 2008), Dr. fam. 2008. Comm. 127.

15. Civ.  1re, 4  juill. 2007, no  05-10.254, RCA 2007. Comm.  333  : a «  caractérisé l’absence d’aléa du contrat et exclu la qualification de contrat d’assurance-vie » la cour d’appel ayant estimé que les versements effectués moins de deux mois avant le décès du souscripteur « ne pouvaient être destinés à lui assurer un complément de retraite à cette époque de son existence et dans son état avancé de maladie ».

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l’exemple d’un retour de volonté du souscripteur soucieux de réorienter la clause bénéficiaire peu de temps avant son trépas, mais en exécution d’un contrat conclu de longue date...

–  Marginalité logique car, en présence de souscriptions tardives, la jurispru-dence n’use pas principalement du contrôle de qualification fondé sur l’aléa. De fait, outre la répression de l’excès manifeste du chef de l’article L. 132-13 du Code des assurances, la Cour de cassation n’hésite plus guère à distordre d’autres quali-fications, celle des donations en l’occurrence. Ainsi, dans le sillage d’une position adoptée en chambre mixte le 21  décembre 200716, on relèvera cet arrêt de la deuxième chambre civile, du 23 octobre 2008, énonçant « qu’un contrat d’assuran-ce-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son béné-ficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable17 ». Une telle formulation provoque la perplexité, pour qui persiste à considérer la donation comme un contrat et non un acte unilatéral de volonté, ou s’étonne de la «  requalification  » du contrat d’assurance en donation quand il s’agit d’identifier une libéralité indirecte, susceptible d’être soutenue par une convention dont la dénomination est indifférente. En revanche, ce recentrage du débat vers la donation sous-jacente esquive une interrogation restée à ce jour sans réponse. Quelle qualification substitutive adopter, le cas échéant, en cas d’abandon de celle d’assurance faute d’aléa ? Dans le silence de l’arrêt du 4 juillet 2007, lequel se cantonne à entériner un rapport à succession des primes sans envisager la nature du contrat qui en causa le règlement, toutes les hypothèses demeurent ouvertes  : fiducie désormais légalement reconnue, contrat de dépôt, ou convention sui generis dont le régime se bâtirait par capillarité contractuelle18 ?

B. DE LEGE FERENDA

Peut-être ces questions ne seront-elles jamais résolues par leur seul traitement jurisprudentiel. Ne faut-il pas dès lors, en guise de conclusion de ces brefs propos, attendre une réouverture des débats de l’intervention législative, présentée à ce jour comme imminente ? Aussi bien, l’Avant-projet de réforme du droit des obligations et de

16. P. Pierre et R. Gentilhomme, « Assurance-vie : la donation entre vifs à l’épreuve de la mort du souscripteur » (à propos de Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007), JCP N 2008, 1222.

17. Civ. 2e, 23 oct. 2008, no 07-19.550 : « l’arrêt retient que le 19 janvier 1999, soit exactement trois jours avant son décès, survenu le 22 janvier 1999, Robert X... a souscrit une assurance-vie initia-tives transmission no ... par la Caisse d’épargne de Provence Alpes Corse et Réunion désignant comme bénéficiaire Mme Z... ; qu’une somme de 328 000 francs (50 003,28 euros) était ainsi retirée du compte de Robert X... ; que Mme Z... n’est pas héritière de Robert X..., envers lequel elle était un tiers depuis son divorce ; qu’il ne peut y avoir rapport à succession, mais seulement réduction de la libéralité dans l’hypothèse où celle-ci est possible ; qu’en effet le versement de cette prime vidait pratiquement le compte Caisse d’épargne de M. Robert X... ; que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire, en l’absence d’aléa dans la disposition prise trois jours avant le décès du souscripteur, que ce contrat correspondait de fait à une donation de la prime versée. »

18. Traité du contrat d’assurance terrestre, préc., no 2102 s., p. 1373.

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la prescription qualifie le contrat d’aléatoire «  lorsque les parties, sans rechercher l’équivalence de la contrepartie convenue, acceptent une chance de gain ou de perte pour chacune ou certaines d’entre elles, d’après un événement incertain19 ». Quant à la version actuellement en instance auprès de la chancellerie, elle vise « les parties [qui], sans rechercher l’équivalence de la contrepartie convenue, accep-tent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages attendus, d’un événement incertain20 ». À notre sens, ces deux propositions se rejoignent en ce qu’elles consacrent la nécessité de relier causalement l’événement incertain et son incidence économique, lien dont s’est d’ores et déjà ouvertement libérée la Cour de cassation. Toutefois, le premier texte — proposé en « tenant compte » de l’actuel article 1964 du Code civil — libère le contrat aléatoire d’une chance de gain ou de perte partagée par les deux parties, lors même que le second ne conçoit celle-ci qu’au pluriel. Même si l’opposition de  lege lata entre les articles 1104 et 1964 du Code civil nous semble confiner à l’artifice21, et le premier devoir primer sur le second, n’est-il pas envisageable que la concentration de  lege ferenda du risque économique sur une ou sur deux parties, selon les projets, influence la qualification des assurances placements ? Comment, en effet, soutenir qu’un risque financier pèse bilatéralement sur les contractants lorsque, quelle que soit la formule, l’assu-reur est comptable d’une dette qu’il sait mesurer à tout moment, puisqu’elle n’est autre que la restitution de l’épargne constituée ?

Mais il est vrai que la Cour de cassation s’est également affranchie de telles considérations, en appliquant l’article  1964 du Code civil à des conventions où aucune des parties n’encourait de chance de gain ou de perte, en l’occurrence des assurances dites « vie entière » stipulant le remboursement à un tiers désigné des capitaux placés, et ne pouvant, par leur nature même d’assurance-décès, jamais profiter personnellement à leur souscripteur22...

19. Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, 22 sept. 2005 (consul-table notamment sur [www.henricapitant.org]), art. 1102-3, al. 2.

20. Selon l’art. 8 de ce projet.21. F.  Leduc et P.  Pierre, «  Assurance-placement  : une qualification déplacée  », RCA 2005.

Chron. 322. Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, no 02-11.352, préc.

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Aléa et responsabilité civile

Sophie GaudemetProfesseur à l’Université de Rouen

Il est des rapprochements classiques ; il en est d’autres qui le sont moins. Celui de « l’aléa » et de « la responsabilité civile » a plutôt paru du second ordre. Une rapide consultation de dictionnaires ne dément d’ailleurs guère ce sentiment premier. À l’entrée « aléa », le Vocabulaire juridique rédigé sous l’égide de l’Association Henri Capitant passe ainsi imperceptiblement de l’aléa au contrat aléatoire. Si, en effet, la définition s’ouvre par « élément de hasard, d’incertitude, qui introduit, dans l’éco-nomie d’une opération, une chance de gain ou de perte pour les intéressés », elle se poursuit par la précision : « et qui est de l’essence de certains contrats »1. Les ouvrages de droit des obligations eux aussi, qui retiennent le terme « aléa » parmi leurs mots clés, renvoient très largement à des développements sur le contrat aléatoire.

Un peu comme si l’aléa retenait principalement l’attention là où il n’a pas la vocation la plus naturelle à s’épanouir : en tant qu’il porte sur l’objet de l’obligation dans un contrat, acte de prévision, voulu et gouverné comme tel. Cela n’est proba-blement pas sans lien avec la conception relativement stricte de l’aléa en général retenue lorsqu’il est question de contrat aléatoire. L’aléa qui fait le contrat aléatoire est relatif à l’équilibre des prestations ; il introduit dans l’économie de l’opération une chance de gain ou de perte pour les intéressés ; le hasard, l’incertitude doivent porter sur la prestation de l’une au moins des parties et le résultat du contrat en dépendre. La précaution est du reste parfois prise en doctrine, consistant à indiquer que l’aléa, compris comme critère de distinction des obligations de moyens et de résultat dans la responsabilité civile contractuelle, n’est pas de ceux-là2.

1. Vocabulaire juridique Capitant, Vo « Aléa ».2. V., A. Morin, Contribution à l’étude des contrats aléatoires, préf. A. Ghozi, Presses universi-

taires de Clermont-Ferrand, LGDJ, 1998, no 9 : « la notion juridique d’aléa doit [...] être réservée à un élément de hasard qui introduit dans l’économie d’une opération une chance de gain ou un risque de perte pécuniaire pour les intéressés. Aussi, les décisions qui, en l’absence d’une chance de gain ou d’un risque de perte, recourent à la notion d’aléa dans le sens d’incertitude, afin de déterminer un régime de responsabilité, contribuent à faire régner une confusion fâcheuse sur la notion technique d’aléa, et témoignent du même coup de la faiblesse de notre langage juridique ».

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De fait, l’aléa de la responsabilité civile ne se confond en général pas avec celui du contrat aléatoire. Il est sans doute une hypothèse dans laquelle l’un et l’autre pourraient se rejoindre  : l’assurance de responsabilité. Pour qu’il y ait lieu à assu-rance de responsabilité civile, encore faut-il que cette responsabilité procède d’un aléa. D’où le caractère inassurable des dommages déjà réalisés3 ou dus à une faute intentionnelle4. En réalité, autant que d’un aléa portant sur la responsabilité civile, c’est de contrat aléatoire qu’il s’agit alors : que le dommage soit survenu dès avant la souscription du contrat d’assurance ou qu’il le soit par la suite mais au terme d’une faute intentionnelle, et le contrat ne présente plus l’aléa dont les parties étaient convenues alors qu’il est de l’essence de ce type d’opérations.

Au-delà de cette hypothèse sur laquelle on ne s’arrêtera pas davantage tant elle rejoint ce qui a été dit du contrat aléatoire, l’aléa, pris dans le champ de la responsa-bilité civile, peut être compris comme se présentant dans des hypothèses propres5. Il n’est plus question de mesurer les prestations réciproques des parties à un contrat, la contrepartie aux obligations souscrites de part et d’autre, mais de s’attacher à l’« obligation de répondre civilement du dommage que l’on a causé à autrui6 » sui-vant la définition générique de la responsabilité civile que l’on retiendra ; et ce, dans le cadre d’un contrat comme en dehors de celui-ci. De même, moins souvent que de « chance de gain », c’est de « chance de perte7 » qu’il s’agit. L’indemnisation de la perte de chance, sans doute, est en principe celle d’un possible « gain », perdu du fait de la survenance d’un événement dommageable. On ne saurait toutefois s’en tenir là ; le risque de « perte » caractérise aussi l’aléa. Or, le principe de la répa-ration intégrale dans la responsabilité délictuelle, celui de la limitation de la répa-ration au préjudice prévisible dans la responsabilité contractuelle s’opposent par nature à une véritable « chance de gain » ; tout au plus cette chance serait celle que l’événement dommageable ne se produise pas8.

Partant, la tentation pourrait être de retenir une conception fort large de l’aléa, s’approchant de ce qui, dans le langage courant, en fait le «  tour imprévisible que peuvent prendre les événements9 ». Tout ou presque serait alors plus ou moins empreint d’aléa dans la responsabilité civile, du moins dans la responsabilité délictuelle, y compris éventuellement la faute à l’origine d’un dommage. Sans aller jusque-là, on doit pouvoir considérer qu’il y a place pour une conception inter-médiaire, plus « opératoire », une conception juridique en somme de l’aléa dans la responsabilité civile, laquelle suppose en toute hypothèse un parti pris pour la rai-

3. Sous réserve de la question du risque putatif.4. Art. L. 113-1, al. 2, C. assur.5. Comp. L. Williatte-Pelletteri, « Contribution à l’élaboration d’un droit civil de l’aléa », in

Droit des contrats – France, Belgique, LGDJ, 2005, p. 181, no 2 et Contribution à l’élaboration d’un droit civil des événements aléatoires dommageables, préf. F. Dekeuwer-Défossez, LGDJ, 2008.

6. Vocabulaire juridique Capitant, Vo « Responsabilité civile ».7. Sur la signification originelle tant positive que négative du terme « chance », v. A. Bénabent,

La chance et le droit, LGDJ, 1973, no 1.8. Sous réserve de ce qui sera dit sur le risque-profit.9. Le Petit Robert, Vo « Aléa ».

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son déjà évoquée que le terme n’a été ni naturellement ni traditionnellement défini dans le droit de la responsabilité civile. Si l’idée n’y est pas absente, c’est sous des formes qui lui sont propres, le cas échéant avec des termes qui le sont aussi. Cette conception entend s’en tenir, pour reprendre la définition précitée, aux éléments de « hasard » et d’« incertitude » de nature à interférer dans le jeu de la responsabilité civile. Le hasard, exclusif d’une faute, peut porter sur l’origine du dommage ; l’incertitude affecter l’identification de celui-ci. C’est cette conception que l’on se propose de retenir pour mesurer les conséquences qu’elle emporte sur la naissance de l’obligation de réparer les dommages causés à autrui.

Le premier mouvement paraît alors être de réticence, sinon de défiance : l’aléa n’aurait a  priori guère sa place dans la responsabilité civile. Le dommage fortuit n’appelle en principe pas, en tant que tel, réparation ; l’incertitude ne saurait du reste entacher les éléments constitutifs de la responsabilité civile, qui doivent au contraire être certains. L’aléa pèserait sur les épaules de la victime ; s’il devait se réaliser, ce serait à elle d’en supporter la charge.

L’affirmation appelle pourtant des nuances. Le dommage fortuit n’est pas néces-sairement exclu du champ de la responsabilité civile ; l’incertitude n’écarte en outre pas toujours le jeu de la responsabilité. L’aléa ne chasse pas systématiquement la responsabilité civile. La charge du risque correspondant est parfois déplacée sur un débiteur de réparation par réticence à laisser des dommages non réparés. C’est ce que l’on se propose d’éprouver, que l’aléa porte sur l’origine du dommage — hypothèse du dommage fortuit — ou que le dommage lui-même soit empreint d’aléa — hypo-thèse du dommage affecté d’un coefficient d’aléa. C’est s’interroger sur le dommage causé par la réalisation d’un aléa, et apprécier le coup du sort (I), puis sur le dommage entaché d’un aléa, et apprécier le sort de l’incertain (II).

I. LE DOMMAGE CAUSÉ PAR LA RÉALISATION D’UN ALÉA : LE COUP DU SORT

Dans une première analyse du moins, le dommage qui trouve son origine dans la survenance d’un aléa, dommage fortuit, n’entrerait pas dans le champ de la respon-sabilité civile ; « le droit n’étant pas fait pour redresser les coups du sort, ceux-ci doivent être laissés à leur attributaire naturel10 ». C’est sur la victime que pèse le risque correspondant. L’évolution a toutefois été remarquée, qui a consisté, par le jeu très largement de la charge de la preuve, à admettre la réparation d’un dommage alors même qu’il trouverait son origine dans la réalisation d’un aléa. La charge de l’aléa est alors déplacée sur d’autres épaules que celles de la victime. Le coup du sort peut ainsi être redressé au titre de la responsabilité contractuelle (A), de la respon-

10. A. Bénabent, La chance et le droit, op. cit., no 16.

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sabilité délictuelle (B) ou bien encore supporté dans ses conséquences par la collec-tivité (C).

A. LE COUP DU SORT REDRESSÉ AU TITRE DE LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE

L’exécution d’un contrat n’est en général pas exclusive de tout aléa. La « réparti-tion naturelle des maux par la fatalité11 » voudrait alors que le dommage en résul-tant reste à la charge du créancier, victime de l’inexécution. Le dommage résultant de la survenance d’un aléa ne devrait, en ce sens, pas appeler réparation. Le droit positif est en réalité bien plus nuancé, qui distingue suivant la nature de l’obligation souscrite.

En ce sens, la distinction des obligations de moyens et de résultat, proposée en vue de concilier les articles  1137 et  1147 du Code civil, a permis de mettre en lumière des hypothèses de prise en charge du coup du sort non plus par la « vic-time  » mais par son cocontractant. Si l’obligation est de moyens, la preuve doit être rapportée par le créancier d’un manquement de son cocontractant aux obliga-tions qui lui incombent, entendu d’une absence de mise en œuvre des moyens qui auraient permis d’aboutir au résultat recherché. S’il s’agit d’une obligation de résul-tat, il suffit au créancier d’établir que le résultat n’a pas été atteint. Dans ce second cas, celui des obligations de résultat, le dommage fortuit pèse non plus sur la « vic-time » mais sur son cocontractant. C’est à ce dernier qu’il revient, pour s’exonérer de la responsabilité qui lui incombe, de rapporter la preuve d’une faute de la victime ou d’un cas de force majeure. La charge de la preuve emporte — classiquement — celle des risques. Les dommages fortuits sont à la charge du débiteur, qui ne peut s’en dégager entièrement qu’à la condition d’établir la survenance d’un aléa parti-culier, dont l’origine doit être identifiée et prouvée : un cas de force majeure.

Ceci rejoint les critères classiquement avancés de distinction des obligations de moyens et de résultat, à commencer précisément par celui de l’aléa. Selon que le résultat attendu de l’exécution du contrat «  est plus ou moins tributaire d’aléas extérieurs12 », la nature de l’obligation varie. L’importance de l’aléa conduit à y voir une obligation de moyens ; sa moindre importance, une obligation de résultat. Le critère n’est probablement pas sans faille, dans sa mise en œuvre notamment ; il n’en contribue pas moins à éclairer la place faite au dommage fortuit dans la res-ponsabilité contractuelle. Lorsque le résultat escompté ne laisse guère de place pour la survenance d’événements aléatoires, ce résultat peut être promis. Ne peut-on pas présumer, dans ces conditions, que les parties se sont accordées à faire peser le coup du sort sur le débiteur ? Lorsqu’en revanche le résultat laisse une place non négligea-ble à l’aléa, seule la mise en œuvre des moyens nécessaires à son obtention est en

11. F. Millet, La notion de risque et ses fonctions en droit privé, préf. A. Bénabent et A. Lyon-Caen, Presses universitaires de Clermont-Ferrand, LGDJ, 2001, no 170.

12. A. Bénabent, Les obligations, 11e éd., Montchrestien, coll. « Domat », 2007, no 411.

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général promise, sans que le résultat le soit. N’y a-t-il alors pas lieu de présumer que les parties se sont accordées à faire peser le coup du sort sur le créancier ?

Le raisonnement n’est probablement pas propre au critère de l’aléa, proposé pour distinguer parmi les obligations contractuelles. Il pourrait être transposé à celui du rôle actif ou passif du créancier, souvent avancé en complément du précé-dent. La passivité du créancier dans l’exécution d’une obligation, en ce qu’elle laisse une importante liberté d’action au débiteur, inclinerait en faveur d’un dommage fortuit supporté par ce dernier, le débiteur ; l’obligation de résultat y conduit. Au contraire, le rôle actif du créancier, en ce qu’il place le débiteur dans la dépendance des agissements de son cocontractant, conduirait à la solution inverse ; l’obligation de moyens est en ce sens.

Ces critères ne sont en toute hypothèse généralement présentés que comme supplétifs de volonté. Les parties peuvent en décider autrement et déplacer en conséquence la charge du dommage fortuit. Il peut s’agir, sans modifier la nature de leurs obligations, de convenir de clauses limitatives ou élusives de responsabilité. Ce sont autant de stipulations qui, dans l’esprit des contractants, peuvent être conçues comme un moyen de répartir par anticipation les conséquences financières de la survenance d’un aléa. La limitation de la réparation au préjudice prévisible en matière contractuelle n’est-elle pas déjà pour partie en ce sens ? Limiter la répara-tion au dommage prévisible lors de la conclusion du contrat, c’est exclure la répara-tion de ce qui sort des prévisions des contractants et, par là même, de ce que chacun d’eux a pu raisonnablement accepter. Mais les parties peuvent aussi intégrer plus directement un aléa dans leur contrat en acceptant un risque inhérent à celui-ci. Accepter un risque, c’est admettre de supporter la charge de l’aléa correspondant. L’idée sous-tend déjà les critères de distinction des obligations de moyens et de résultat. On a tenté de le montrer, lorsque l’obligation tend à la réalisation d’un résultat aléatoire, les aléas pourraient être considérés acceptés par le créancier. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple très classique, du patient qui, en concluant un contrat médical, est considéré avoir accepté les aléas inhérents à la médecine13. L’idée pourrait du reste n’être pas absente de l’analyse de la force majeure en matière contractuelle.

Lorsqu’en effet le droit déplace le poids de l’aléa sur les épaules d’un débiteur de réparation, c’est — mis à part les systèmes de garantie — pour autant que ce dernier ne parvienne pas à se libérer par la preuve d’un cas de force majeure. Cas de force majeure qui peut alors être envisagé comme un aléa, dont l’origine est identifiée et présentant certains caractères. L’analyse est parfois proposée, consistant à voir dans la force majeure un instrument de répartition des risques entre contractants. L’interprétation de la condition d’imprévisibilité notamment, en ce que cette condition continue d’être requise par la jurisprudence aux côtés de l’irrésistibilité et de l’extériorité, pourrait y conduire. Si l’événement, pour constituer un cas de force

13. Tant du moins que la loi ne prend pas le relais en assurant l’indemnisation des dommages résultant de la survenance d’un aléa thérapeutique, sur lequel v. infra.

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majeure, doit être imprévisible au moment de la conclusion du contrat, n’est-ce pas que ceux qui, en revanche, sont prévisibles seront jugés avoir été acceptés par le débiteur ? Le débiteur aurait «  implicitement mais nécessairement accepté de prendre à sa charge un risque contre lequel le créancier s’est, par voie de consé-quence, cru garanti14 ». La prévisibilité ou l’imprévisibilité, entendues de la proba-bilité de la survenance d’un aléa, seraient de nature à déterminer l’imputation et la charge du risque. L’événement dont la survenance était probable resterait en ce sens à la charge du débiteur, considéré avoir accepté l’aléa correspondant. Celui dont la survenance ne l’était pas, l’événement imprévisible constitutif d’un cas de force majeure, serait en revanche de nature à libérer le débiteur de sa responsabilité, faute pour lui de l’avoir accepté.

L’analyse laisse une large place à l’interprétation de la probabilité de la surve-nance d’un aléa. Elle pourrait contribuer à laisser parfois le poids du dommage for-tuit sur le débiteur, permettant ainsi le jeu de la responsabilité contractuelle, notam-ment en cas de déséquilibre entre les parties. Faire relever le coup du sort de la responsabilité n’est d’ailleurs pas propre à la responsabilité contractuelle. La respon-sabilité délictuelle aussi y contribue.

B. LE COUP DU SORT REDRESSÉ AU TITRE DE LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

Le phénomène consistant à intégrer un dommage causé par la réalisation d’un aléa dans le champ de la responsabilité civile est perceptible en matière contractuelle lorsque l’on glisse de l’obligation de moyens à l’obligation de résultat. Il n’est pas absent non plus de la responsabilité délictuelle. Le passage de l’article 1382 à l’ar-ticle 1384 du Code civil n’avait-il pas déjà participé d’un mouvement compa-rable, par le jeu là aussi de la charge de la preuve ?

En découvrant sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil un principe général de responsabilité du fait des choses, la Cour de cassation a entendu —  l’explication est connue  — éviter que des dommages anonymes ne restent sans réparation. Quittant la responsabilité pour faute au profit d’une responsa-bilité de plein droit, elle fait peser sur le gardien de la chose le poids de dommages fortuits, sous réserve ici aussi de l’exonération par la preuve d’un cas de force majeure. La charge de la preuve emporte là encore celle des conséquences dom-mageables de certains aléas, les faisant entrer dans le champ de la responsabilité. Le même constat pourrait valoir à propos des responsabilités du fait d’autrui — pour s’en tenir aux régimes du droit commun de la responsabilité.

Le rapprochement avec la responsabilité contractuelle a toutefois ses limites. D’une part, quant au rôle donné à l’aléa. En matière contractuelle, l’importance de l’aléa est un indice dans le sens d’une obligation de moyens, et par là même d’un dommage fortuit restant à la charge de la « victime ». En matière délictuelle,

14. T. Genicon, RDC 2009. 67, obs. ss Civ. 1re, 30 oct. 2008. V. déjà P. Stoffel-Munck, RDC 2003. 59, cité par T. Genicon.

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en revanche, l’importance de l’aléa est un indice en faveur d’une responsabilité objective, et en conséquence d’un dommage fortuit susceptible de peser sur un débi-teur de réparation15. Limites du rapprochement avec la responsabilité contractuelle, d’autre part, au regard de la diversité des dommages fortuits susceptibles d’être répa-rés. Dans ce cas des obligations de résultat, c’est l’ensemble des dommages fortuits que le débiteur peut avoir à charge de réparer faute de parvenir à rapporter la preuve d’un cas de force majeure. Dans le cas de la responsabilité du fait des choses, ce sont les seuls dommages causés par le fait de la chose qui pèsent sur le gardien tant qu’il ne parvient pas à se dégager de sa responsabilité. C’est dire en particulier qu’une chose inerte, qui n’est pas dans une position anormale, dont ni l’état ni le fonction-nement ne sont anormaux ne peut en principe être considérée comme ayant eu un rôle actif dans la production du dommage ; la responsabilité du fait des choses est alors exclue.

Ces différences entre les deux ordres de responsabilités s’expliquent logique-ment  : elles tiennent à la préexistence des liens qui unissent les parties à un contrat16. Si en s’engageant envers son cocontractant et en lui promettant un résul-tat une partie peut être considérée avoir accepté de répondre des aléas qui interfére-raient dans la réalisation de ce résultat, le même engagement est difficilement concevable en dehors d’un contrat. La jurisprudence, il est vrai, n’exclut pas pour autant le jeu de l’acceptation des risques en l’absence de contrat, lorsqu’en parti-culier une activité s’exerce dans un cadre relativement bien défini. L’appréciation de la faute du sportif, considéré avoir accepté les risques inhérents à la pratique nor-male du sport, l’illustre. Mais pour le reste, l’aléa dans la responsabilité délictuelle ne peut être pris en compte qu’une fois le dommage survenu : son appréhension est nécessairement rétrospective ; elle suppose que l’événement aléatoire soit survenu.

Ce n’est pas dire pour autant que la tendance n’est pas, dans la responsabilité délictuelle aussi, à faire peser certains aléas sur les épaules d’un débiteur de répara-tion. Il s’agit alors d’inclure des dommages, dont l’origine exacte demeure pourtant difficilement identifiable, dans le droit de la responsabilité. Deux courants jurispru-dentiels pourront l’illustrer.

Sur la première de ces jurisprudences, la Cour de cassation paraît certes aujourd’hui revenue. Les hypothèses n’en ont pas moins été remarquées, dans les-quelles a été admis le jeu de la responsabilité du fait de choses inertes sans pourtant qu’une anormalité soit établie. Des baies vitrées qui cèdent sous l’impulsion de per-sonnes qui s’y heurtent17, une boîte aux lettres18 ou un plot de stationnement19

15. Rappr. F. Millet, La notion de risque et ses fonctions en droit privé, op. cit., no 322.16. Ibid.17. Civ. 2e, 29 avr. 1998, Bull.  civ.  II, no 142, RTD civ. 1998. 913, obs. P.  Jourdain ; Civ. 2e,

15  juin 2000, Bull.  civ.  II, no 103, D. 2001. 886, note G. Blanc ; JCP 2000. I. 280, obs. G. Viney ; RTD civ. 2000. 849, obs. P. Jourdain.

18. Civ. 2e, 25 oct. 2001, Bull. civ. II, no 162, D. 2002. 1450, note C. Prat ; JCP 2002. I. 122, obs. G. Viney ; RTD civ. 2002. 108, obs. P. Jourdain.

19. Civ. 2e, 18 sept. 2003, Bull. civ. II, no 287, D. 2004. 25, note N. Damas ; JCP 2004. I. 101, obs. G. Viney.

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dont la position n’est pas en cause et sur lesquels un passant se blesse..., et le gardien a été jugé responsable. Dans ces circonstances, la question a pu être posée de savoir si c’était l’ensemble des dommages dont on peine à identifier l’origine exacte, plus ou moins rattachables à une chose, et non pas seulement ceux résultant de l’anormalité de la chose, qui auraient dû appeler réparation sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil. L’extension des cas de responsabilité aurait été considérable, ce qui pourrait expliquer l’attitude aujourd’hui nettement plus prudente de la Cour de cassation, qui s’attache à vérifier l’anormalité des choses inertes20. La tentative n’en témoigne pas moins d’une réticence à laisser certains aléas en dehors du champ de la responsabilité.

La seconde de ces jurisprudences demeure, sinon s’amplifie. Elle s’est mani-festée en matière médicale — sans se limiter à une analyse contractuelle — à mesure que sont apparues des pathologies dont la question est posée de savoir si elles sont dues à l’injection de certains produits  : produits sanguins ou vaccins. Bien que l’origine exacte des maladies reste inconnue, la jurisprudence a admis que les dommages correspondants puissent relever de la responsabilité. Elle l’a fait en pre-nant plus ou moins de liberté avec l’exigence requise d’un lien de causalité.

C’est parfois la technique des présomptions de droit qui a été sollicitée. La jurisprudence, suivie en cela par la loi, a ainsi présumé le lien de cause à effet entre des transfusions sanguines et la contamination par le VIH ou l’hépatite C constatée ultérieurement. Le doute qu’il s’agit alors de pallier n’est pas scientifique ; il est scientifiquement établi que le virus du sida comme de l’hépatite C se transmettent par transfusion sanguine. Il s’agit de présumer que la contamination, dont l’origine ne peut être rattachée à une autre cause, résulte de la transfusion sanguine qui a précédé.

En d’autres hypothèses, la Cour de cassation a été plus loin. L’illustration, remarquée, en a été donnée par le contentieux du vaccin contre l’hépatite B, lorsque s’est posée la question de savoir si ce vaccin était à l’origine du développement, chez certains patients, de la sclérose en plaques. Le contexte était, cette fois-ci, celui de l’incertitude scientifique, le lien de causalité entre l’injection du vaccin et le développement de la maladie n’étant pas établi. C’est ce qui avait conduit la Cour de cassation à exclure la responsabilité des fabricants de vaccins21 avant que le Conseil d’État ne l’admette en certaines hypothèses22. Cette solution n’a sans doute pas laissé la Cour de cassation indifférente, qui a opéré par la suite un revire-ment de jurisprudence23. Les présomptions sur lesquelles elle se fonde ne sont alors

20. Civ. 2e, 24 févr. 2005, Bull. civ. II, no 51, GAJC, no 207 ; D. 2005. 1395, obs. N. Damas ; JCP 2005. I. 149, no 6, obs. G. Viney ; RTD civ. 2005. 407, obs. P. Jourdain.

21. Civ.  1re, 23  sept. 2003, Bull.  civ.  I, no  188, D.  2003. Point de vue  2579 ; L.  Neyret, D.  2004.  898, note Y.-M.  Serinet et R.  Mislawski ; D.  2004. Somm.  1344, obs.  D.  Mazeaud ; JCP 2004. I.  101, no  23, obs.  G.  Viney ; RTD  civ. 2004.  101, obs.  P.  Jourdain ; RTD  com. 2009.  200, obs. B. Bouloc.

22. CE 9 mars 2007, Mme S., Lebon 118 ; AJDA 2007. 861, concl. T. Olson ; D. 2007. 2204, note L. Neyret ; D. 2007. Pan. 2900, obs. P. Brun ; JCP 2007. II. 10142, note A. Laude.

23. Civ. 1re, 22 mai 2008, Bull. civ. I, no 147, 148, 149, D. 2008. AJ 1544, note I. Gallmeister ;

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pas de droit ; doute scientifique oblige. Elles sont de fait. C’est à partir d’un faisceau d’indices — dont la proximité temporelle entre le développement de la maladie et l’injection du vaccin — qu’il n’est plus exclu de retenir la responsabilité des pro-ducteurs de vaccins. C’est admettre que le fabricant d’un produit de santé puisse être tenu pour responsable d’affections auxquelles il n’est pourtant pas certain que ce produit expose, les connaissances scientifiques ne permettant pas de l’établir. Réticente à faire peser l’aléa correspondant sur la victime, la Cour de cassation s’est attachée à en transférer le poids sur le producteur. L’idée de « risque-profit » n’est pas loin.

Les hypothèses ne sont donc pas exceptionnelles où, plutôt que sur la victime, c’est sur un débiteur de réparation que le droit entend faire peser la charge de dom-mages dont l’origine demeure difficilement identifiable. Rétrospectivement, il fait relever un aléa du droit de la responsabilité. La même préoccupation conduit du reste le législateur à prendre en certains cas le relais. Il s’agit alors non plus tant de faire peser l’aléa sur un débiteur de réparation que de répartir le poids de ses conséquences dommageables sur la collectivité.

C. LE COUP DU SORT RÉPARTI SUR LA COLLECTIVITÉ

Le rôle de l’assurance dans les évolutions du droit de la responsabilité civile est plus que connu. La prise en compte de l’aléa par le droit de la responsabilité ne fait que l’illustrer. En déplaçant sur les épaules d’un débiteur de réparation le poids d’un aléa, la jurisprudence a en réalité souvent pour effet de le faire supporter par l’assurance du responsable et de le répartir, par là même, sur la mutualité des assurés.

Mais au-delà de ces assurances, le cas échéant obligatoires, il est d’autres méca-nismes de prise en charge du poids de l’aléa directement par la collectivité. L’hypo-thèse n’est là non plus pas nouvelle, dont la question précisément dite de l’aléa thérapeutique est une illustration. «  Aléa thérapeutique  » pour la jurisprudence, « accident médical » pour la loi, il s’est agi de permettre l’indemnisation, par la soli-darité nationale, de dommages fortuits, non réparés au titre de la responsabilité civile.

La Cour de cassation est en effet restée fidèle à l’analyse du contrat médical comme ne comportant en principe qu’une obligation de moyens à la charge du médecin. Elle s’est tenue à la position suivant laquelle « la réparation de l’aléa thé-rapeutique n’entre pas dans le champ de l’indemnisation dont le médecin est

RTD civ. 2008. 492, obs. P. Jourdain ; JCP 2008. II. 10131, note L. Grynbaum ; Civ. 1re, 9 juill. 2009, Bull.  civ.  I, no  176. Rappr., pour un vaccin ORL, Civ.  1re, 25  juin 2009, Bull.  civ.  I, no  141. Adde G. Viney, « La responsabilité des fabricants de médicaments et de vaccins : les affres de la preuve », D. 2010. 391 ; et, antérieurement à cette jurisprudence, P. Pierre, « Les présomptions relatives à la causalité », RLDC 2007, suppl. au no 40, p. 39.

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contractuellement tenu à l’égard de son patient24 ». De fait, à défaut de pouvoir être rattaché à une faute du médecin, voire au fait d’une chose qu’il avait sous sa garde ou au défaut d’un produit, le dommage ne pouvait l’être à aucun des faits généra-teurs de nature à déclencher le jeu de la responsabilité civile, sa cause exacte demeu-rant inconnue. L’aléa devrait alors rester en dehors du champ de la respon-sabilité. C’est là encore la réticence à laisser des dommages fortuits non réparés, sans compter la différence de traitement entre les juridictions judiciaires et administratives, qui a conduit le législateur à faire sortir, par la loi du 4 mars 2002, la question du champ de la responsabilité civile pour l’inscrire dans un système d’indemnisation. Certains de ces coups du sort sont désormais pris en charge au titre de la solidarité nationale. Ceux qui n’en relèvent pas continuent en revanche d’être des dommages fortuits, exclus en tant que tels du mécanisme de la respon-sabilité civile.

Faire en sorte que le coup du sort ne pèse pas systématiquement sur la victime, le droit de la responsabilité civile, à ce titre déjà, compose avec une part d’aléa. Une même réticence à exclure l’aléa du champ de la responsabilité se retrouve lorsque celui-ci intéresse non plus l’origine du dommage mais son identification.

II. LE DOMMAGE ENTACHÉ D’ALÉA : LE SORT DE L’INCERTAIN

En tant qu’elle fait naître une obligation de réparation, la responsabilité civile ne s’accommode en principe pas d’un dommage dont la réalisation serait incertaine. C’est, au contraire, la certitude qui est requise. Dans ces conditions, l’aléa enta-chant le dommage pèse sur celui qui se prévaut de sa qualité de victime ; à défaut d’un dommage certain, il ne peut y avoir lieu à réparation. Si telle est l’affirmation de principe, il faut encore en mesurer la portée. La certitude traditionnellement exigée n’est que relative (A) ; l’incertitude est aujourd’hui même tolérée (B).

A. LA CERTITUDE TRADITIONNELLEMENT EXIGÉE

Du dommage réparable, on enseigne qu’il doit être certain, qu’il ne doit pas être éventuel, hypothétique. C’est une condition de son existence ; c’est aussi une consé-quence du principe selon lequel l’indemnisation ne doit pas procurer d’enrichis-sement à la victime. L’aléa qui affecte le dommage empêche en principe le jeu de la responsabilité civile.

En réalité, la certitude exigée n’est pas absolue ; elle n’est que relative : « comme d’ordinaire, en droit, celle qui est ici requise ne s’entend que d’une probabilité suf-

24. Civ. 1re, 8 nov. 2000, Bull. civ. I, no 287, D. 2001. Somm. 2236, obs. D. Mazeaud ; JCP 2000. II. 10493, note F. Chabas ; RTD civ. 2001. 154, obs. P. Jourdain.

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fisante25 ». La réparation du dommage futur l’illustre. Certitude et futur, enseigne-t-on, ne sont pas incompatibles. Poser la condition d’un dommage certain, ce n’est pas exclure la réparation d’un dommage futur. Ce n’est pas l’exclure dans la mesure où, précise la Cour de cassation, ce préjudice est «  la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuels  » et peut être évalué26. Il n’en demeure pas moins, au-delà de l’affirmation de principe, que le dommage futur ne peut être abso-lument certain. Réparer un dommage futur, c’est par hypothèse le faire avant qu’il se soit produit. Or, tant que le préjudice n’est pas subi, il n’est pas dit qu’il le sera. Il suffit d’imaginer que la victime décède avant la survenance du dommage : bien que qualifié de certain, le préjudice n’aura en définitive pas été entièrement subi27. La certitude avec laquelle compose la responsabilité civile n’est pas absolue ; elle laisse une place — résiduelle certes, mais une place — à certains aléas, pré-férant les faire peser sur un débiteur de réparation plutôt que sur une victime.

Dans ces circonstances, la question est de savoir à partir de quel degré de pro-babilité on quitte la certitude relative, qui permet la réparation, pour l’incertitude, qui l’exclut ; elle est celle de l’identification de la part d’aléa qui continue à exclure le jeu de la responsabilité et en conséquence à peser sur la victime. Une illustra-tion peut en être trouvée dans l’identification des dommages réparables à la suite d’une contamination par le VIH. En tant qu’elles sont atteintes de séropositivité, les victimes subissent un dommage, le préjudice spécifique de contamination. Mais au moment où l’indemnisation est arrêtée, elles n’ont pas toujours développé la maladie correspondante, le sida. Le risque qu’elles subissent ce nouveau dommage est certes hautement probable ; il n’est toutefois pas inéluctable. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation, jugeant ce second dommage éventuel, a refusé d’admettre qu’il soit de nature à engager la responsabilité de son auteur potentiel. Plus exactement, elle a procédé ici à une innovation intéressante en condamnant à une indemnisation conditionnelle, dont le versement est subordonné à la consta-tation médicale de la maladie28. L’aléa, s’il reste à la charge de la victime, ne l’est qu’autant que l’événement défavorable ne s’est pas réalisé, solution que l’avant-projet de réforme du droit des obligations a proposé d’inscrire dans le Code civil en ces termes  : «  lorsque la certitude du préjudice dépend d’un événement futur et incertain, le juge peut condamner immédiatement le responsable en subordonnant l’exécution de sa décision à la réalisation de cet événement29 ».

25. J.  Flour, J.-L.  Aubert et E.  Savaux, Les obligations, t.  2, Le fait juridique, 12e  éd., Sirey, coll. « Université », 2007, no 137. V. aussi, P. Jourdain, « Le préjudice et la jurisprudence », RCA, hors-série, juin 2001, p. 45, no 24 s.

26. Cass. 1er  juin 1932, S.  1933. I.  49, note  H.  Mazeaud ; D.  1932. I.  102, rapp.  Pilon, cité par G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, 3e éd., LGDJ, 2006, no 277.

27. Rappr. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, ibid.28. Civ.  2e, 20  juill. 1993, Bull.  civ.  II, no  274, D.  1993.  526, note  Y.  Chartier ; RTD  civ.

1994. 107, obs. P. Jourdain. Rappr., dans une hypothèse différente, celle de la responsabilité notariale, Civ. 1re, 29 févr. 2000, Bull. civ. I, no 72, RTD civ. 2000. 576, obs. P. Jourdain ; Defrénois 2000. 733, obs. J.-L. Aubert.

29. Avant-projet Catala, art. 1354, al. 2.

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La frontière est donc parfois ténue entre l’incertitude, qui empêche l’obligation de réparer de naître, et la certitude relative, qui ne l’empêche pas. Il reste que la place ainsi faite à l’aléa dans la responsabilité civile se veut très réduite ; elle n’est qu’une manifestation de la difficulté à établir une certitude absolue.

Plus grand est le pas franchi, dans le sens de l’admission d’une réparation mal-gré un aléa, avec l’indemnisation de la perte d’une chance. L’hypothèse est connue. Elle permet à celui qui pouvait « tenter sa chance », qui avait un espoir — et non la certitude — d’obtenir un avantage futur, d’être indemnisé du dommage correspon-dant à la perte de cet espoir : perte de l’opportunité d’être au départ d’une course, de se présenter à un examen, de gagner un procès30... Parce que la certitude que la course aurait été emportée, l’examen décroché, le procès gagné n’est pas établie, et ne peut d’ailleurs plus l’être, le dommage correspondant n’est pas réparable. En revanche, un dommage distinct de ce dommage final l’est : la perte d’une chance d’une issue favorable. Dommage qui, lorsque la chance perdue est réelle et sérieuse, est jugé certain et à ce titre réparable.

Qui ne voit pour autant que, glissant d’un dommage à un autre, c’est une part d’aléa que l’on fait entrer dans le dommage ? Sans doute, la chance est perdue ; elle pouvait être tentée et ne peut plus l’être. Il n’en reste pas moins que l’appréciation de cette chance perdue ne peut se faire qu’au terme d’un raisonnement probabiliste, raisonnement qui intègre l’aléa. De fait, la chance n’ayant pas été courue et ne pou-vant désormais plus l’être, nul ne sait quelle aurait été l’issue si elle l’avait été. Plus encore, et ainsi que cela a été montré, la logique conduite à son terme aurait pu per-mettre de s’en tenir à l’alternative suivante  : la réparation de l’entier dommage ou l’absence de réparation, selon que le raisonnement probabiliste permet ou non de tenir pour quasi certaine la réalisation de l’événement favorable : « pour bien faire, la probabilité de la chance perdue ne devrait pas étalonner le montant de la réparation, mais simplement permettre aux juges de dire si, actuellement, la chance ayant été courue, elle serait réalisée ou anéantie31 ». Telle n’est pas la solution du droit français, qui procède à une évaluation de la chance perdue ; l’indemnisation s’apprécie au regard de la probabilité que l’avantage espéré avait de se réaliser, de la « valeur » de la chance32. Un aléa est bien intégré dans l’appréciation du dommage.

Classiquement donc, et au-delà de l’affirmation de la certitude requise du dommage, la jurisprudence a admis de composer avec une certitude parfois relative. À s’en tenir là, la place faite à l’aléa demeure étroitement encadrée. La jurispru-

30. Pour une présentation de la diversité des hypothèses dans lesquelles la perte de chance a été admise, v. G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, op. cit., no 280.

31. A. Bénabent, La chance et le droit, op. cit., no 237. V. aussi O. Deshayes, RDC 2010. 1032, spéc. 1034 : « il est indéniable que si le fait générateur de responsabilité n’avait pas modifié le cours de l’histoire, la victime aurait reçu l’avantage escompté en totalité ou bien n’aurait rien reçu. Mais en aucun cas elle aurait pu n’en recevoir qu’une quote-part. Par où l’on voit que l’indemnisation de la perte de chance revient à arrêter le cours de l’histoire un instant de raison avant le fait dommageable afin de replacer la victime dans l’état dans lequel elle se trouvait à ce moment-là ».

32. A. Bénabent, ibid. V. en ce sens, Avant-projet Catala, art. 1346 : « la perte de chance consti-tue un préjudice réparable distinct de l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ».

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dence, pourtant, n’a pas exclu d’aller plus loin, tolérant davantage encore d’incerti-tude.

B. L’INCERTITUDE AUJOURD’HUI TOLÉRÉE

De cette plus grande prise en compte de l’aléa dans le dommage réparable, on retiendra deux manifestations, qui ne sont certes pas nouvelles mais ont donné lieu à des décisions remarquées ces derniers temps.

La jurisprudence fait d’une part une utilisation renouvelée de la perte de chance. Alors que la théorie a été initialement comprise — on l’a rappelé — comme permettant la réparation de la perte de l’espoir d’obtenir un gain, il en a parfois été fait usage là où l’espoir était d’éviter un dommage. Ainsi d’une erreur de diagnostic médical ou d’un manquement à une obligation d’information à la suite de laquelle le patient ne guérit pas voire décède. Il peut, dans ces circonstances, être diffi-cile d’établir que l’absence de guérison ou le décès résultent bien de la faute du médecin ; que, sans ce manquement, il y aurait eu guérison ou survie. À cette diffi-culté, la jurisprudence a admis de répondre en déplaçant le dommage : le dommage indemnisé est alors non pas le dommage final mais celui consistant en la perte de chance de guérir ou de survivre ; dommage qui, celui-là, peut être rattaché à la faute commise par le médecin. Le processus a cette fois-ci été à son terme ; un dommage en est résulté. Mais, en l’absence de certitude sur le lien de causalité entre ce dommage et le fait générateur de responsabilité, la Cour de cassation déplace la question de l’indemnisation du dommage final à celle de la perte de chance d’éviter le dommage33. L’incertitude qu’il s’agit alors de pallier porte sur le lien causal, à telle enseigne que la question a parfois été posée de savoir si c’est encore de perte de chance qu’il s’agit34. Il n’en reste pas moins que c’est en passant du dommage final au « diminutif » de celui-ci qu’est la perte de chance de ne pas subir le dommage que la Cour de cassation y parvient. Pour composer avec le lien de causalité, elle compose avec le dommage réparable35 ; et la chance perdue ne saurait de nouveau s’apprécier qu’au terme d’un raisonnement probabiliste.

33. V. not. Civ. 1re, 14 déc. 1965, JCP 1966. II. 14753 ; Civ. 1re, 7 juin 1989, Bull. civ. I, no 230, D. 1991. 158, note J.-P. Couturier ; Defrénois 1990. 746, note J.-L. Aubert ; Civ. 1re, 10 janv. 1990, Bull.  civ.  I, no 10, D. 1991. Somm. 358, obs.  J. Penneau ; Civ. 1re, 6 déc. 2007, Bull.  civ.  I, no 380, D. 2008. 192, note P. Sargos ; RTD civ. 2008. 272, obs. J. Hauser et p. 303, obs. P. Jourdain ; RDC 2008. 769, obs. J.-S. Borghetti.

34. V. not. R. Savatier, « Une faute peut-elle engendrer la réparation d’un dommage sans l’avoir causé ? », D. 1970. Chron. 123 ; J. Boré, « L’indemnisation pour les chances perdues : une forme d’ap-préciation quantitative de la causalité d’un fait dommageable », JCP 1974. I. 2620 ; F. Chabas, « La perte d’une chance en droit français  », in Développements récents de la responsabilité civile, Centre d’études juridiques européennes, Zürich, 1991, p.  131 ; C.  Ruellan, «  La perte de chance en droit privé », RRJ 1999. 725, spéc. no 35 s. ; J.-S. Borghetti, RDC 2008. 776. En sens contraire, v. G. Durry, RTD civ. 1967. 181 et 1967. 797 ; P. Jourdain, RTD civ. 1992. 109, O. Deshayes, note préc.

35. Rappr., sur le caractère indissociable de la causalité et du dommage, J.-P.  Couturier, note préc., p. 159 ; O. Deshayes, note préc., p. 1036 ; M. Bacache-Gibeilli, Les obligations, t. V, La res-ponsabilité civile extracontractuelle, Economica, 2007, no 391.

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D’autre part — et c’est une seconde manifestation de la prise en compte de l’aléa allant celle-là jusqu’à l’incertitude sur la survenance, même possible, d’un dommage — la jurisprudence n’exclut pas systématiquement l’indemnisation d’un risque de dommage36. En principe, tant qu’il demeure à l’état de risque, le dommage pourrait ne paraître qu’éventuel. Pourtant, il est des décisions à la lecture desquelles le sentiment naît que les juridictions judiciaires ne sont pas hostiles à admettre qu’un risque fasse naître une menace, menace qui appelle en tant que telle répara-tion. Risque de projection de balles que crée, pour le propriétaire voisin d’un terrain de golf, le mauvais tracé d’un parcours37, risque d’incendie communiqué à une mai-son voisine en raison de meules de foin entreposées à proximité38, risques d’éboule-ment sur un terrain voisin à la suite de travaux d’excavation39, risques qui seraient liés à l’implantation d’antennes de téléphonie mobile40 et d’autres encore41.

Un certain nombre de ces décisions, il est vrai, se placent non pas sur le terrain de la responsabilité civile mais sur celui des troubles anormaux de voisinage. La question y est en conséquence analysée en termes d’anormalité du trouble plus que de dommage à proprement parler42. Mais il est aussi des arrêts qui se prononcent sur le fondement de la responsabilité43. Surtout, il y a là une tendance en juris-prudence, tendance à admettre que le risque, par la menace qu’il crée, peut être à l’origine d’un préjudice réparable. Devraient à ce titre être indemnisées les seules conséquences de la menace créée et non pas le préjudice résultant de la réalisa-tion effective de ce risque. Les mesures prescrites devraient permettre d’éviter la réalisation du dommage, non de le réparer comme s’il s’était réalisé44.

À ces différents titres, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles en février 2009, remarqué en ce qu’il a ordonné le démantèlement d’antennes relais de téléphonie mobile, pourrait bien aller au-delà. En effet, si dans les hypothèses

36. Sur la distinction de la perte de chance et du risque de dommage, v. not. L. Raschel, note ss Civ. 1re, 14 janv. 2010, JCP 2010. 413.

37. Civ. 2e, 10 juin 2004, Bull. civ. II, no 291, RTD civ. 2004. 738, obs. P. Jourdain ; D. 2005. Pan. 186, obs. D. Mazeaud ; RDI 2004. 348, obs. F. G. Trébulle.

38. Civ. 2e, 24 févr. 2005, Bull. civ. II, no 50, JCP 2005. I. 149, no 10, obs. G. Viney ; JCP 2005. II. 10100, note F. G. Trébulle.

39. Civ. 2e, 15 mai 2008, Bull. civ. II, no 112, D. 2008. 2894, obs. P. Brun ; JCP 2008. I. 186, no 1, obs. P. Stoffel-Munck ; RTD civ. 2008. 679, obs. P.  Jourdain ; RDI 2008. 488, obs. F. G. Tré-bulle.

40. CA Versailles 4 févr. 2009, D. 2009. 819, note M. Boutonnet ; D. 2009. 1369, note J.-P. Feld-man ; JCP 2009. Actu. 83, obs. C. Bloch ; RTD civ. 2009. 327, obs. P.  Jourdain ; RLDC avr. 2009, p.  17, obs.  C.  Quézel-Ambrunaz ; AJDA 2009.  712, note  S.  Bourillon ; confirmant TGI  Nanterre 18  sept. 2008, D.  2008.  2916, note M.  Boutonnet. V.  déjà CA  Aix-en-Provence 8  juin 2004, D. 2004. 2678, note M. Boutonnet ; D. 2005. Pan. 186, obs. D. Mazeaud.

41. Sur le détail de cette jurisprudence, qui n’est pas nouvelle, v. spéc. G. Viney et P. Jourdain, op. cit., no 278.

42. Sur cette « irréductible originalité » de la théorie des troubles anormaux de voisinage par rapport à la responsabilité civile classique, v. not. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 2e éd., Litec, coll. « Manuels », 2009, no 166, note 779 et no 488 s.

43. V. par ex. Civ. 1re, 28 nov. 2007, Bull. civ. I, no 372 ; Civ. 2e, 15 mai 2008, préc.44. G. Viney, obs. préc.

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Aléa et responsabilité civile 73

précédentes un risque était encouru, il n’était pas douteux qu’il puisse se réaliser : que les pierres puissent endommager la propriété en contrebas en tombant, les meules de foin la propriété voisine en s’embrasant, la réalisation du risque est certes incertaine, mais il est certain que s’il se produit il aura alors des conséquences dommageables. Dans le cas des antennes de téléphonie mobile, en revanche, une incertitude demeure en amont  : elle tient aux doutes scientifiques sur la nocivité pour la santé des ondes émises. L’arrêt, lui-même, l’admet, jugeant que « si la réali-sation du risque reste hypothétique, [...] l’incertitude sur l’innocuité d’une expo-sition aux ondes émises par les antennes relais demeure et [...] elle peut être qua-lifiée de sérieuse et raisonnable  ». Il y a comme un aléa —  l’apparition de pathologies — lui-même greffé sur un aléa préalable — si tant est que les antennes de téléphonie mobile puissent être à l’origine de tels dommages. La considération n’a peut-être pas laissé les juges versaillais indifférents, qui ne se sont prononcés qu’en faveur de l’admission d’un dommage moral : le risque possiblement encouru ferait naître une angoisse, qui appellerait en tant que telle réparation. De fait, c’est en se fondant sur une « angoisse créée et subie [...] du fait de l’installation sur la propriété voisine d’une antenne relais », que la cour d’appel de Versailles s’est pro-noncée. Il reste que la réparation ordonnée, le démantèlement des antennes, a pour effet de faire cesser les éventuels dommages qui pourraient être causés bien au-delà de l’angoisse générée.

Il faut probablement voir là une expression du fameux principe de précaution dans le droit de la responsabilité civile45. Prévenir, c’est par hypothèse anticiper ; et anticiper, c’est composer avec des événements dont la réalisation est incertaine, aléatoire. Certaines juridictions du fond n’y semblent pas défavorables, en parti-culier lorsqu’est en cause la santé humaine. La tendance est là encore une illus-tration de la réticence à laisser le dommage entaché d’aléa non réparé, à faire peser l’aléa correspondant sur la victime.

Si donc l’aléa devait en principe chasser la responsabilité civile, il est un cer-tain nombre d’aléas avec lesquels le droit positif compose, s’attachant à en faire peser la charge, plutôt que sur la victime, sur un débiteur de réparation. Le besoin de sécurité serait sans cesse plus pressant, qui souvent conduit en pratique à en répartir le poids sur une collectivité, dont on peut douter qu’elle en ait pleinement conscience.

45. Sur lequel, parmi une littérature désormais abondante, v. C. Thibierge, « Libres propos sur l’évolution du droit de la responsabilité  : vers un élargissement de la fonction de la responsabilité civile ? », RTD civ. 1999. 561 ; D. Mazeaud, « Responsabilité civile et précaution », RCA, hors-série, juin 2001, p. 72 ; M. Boutonnet, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, préf. C. Thi-bierge, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 444, 2005 ; G. Viney, « Principe de précaution et responsabi-lité civile des personnes privées », D. 2007. 1542.

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Aléa et marchés financiers

Anne-Catherine MullerProfesseur à l’Université Paris 13

« L’aléa est un terme neutre, [...] il est la manifestation d’une circonstance qui pourra se traduire par un résultat heureux ou non1. » L’aléa boursier peut se défi-nir comme l’incertitude sur le cours d’un actif financier. Bien connu de tous, il explique l’attrait qu’exercent les marchés financiers sur les investisseurs, depuis plusieurs dizaines d’années. Des fortunes se sont faites mais aussi défaites en bourse. Il est classique d’énoncer que l’aléa n’a pas d’existence en dehors du champ contractuel2. Les marchés financiers fournissent une parfaite illustration de ce principe puisque les investisseurs ne peuvent se plaindre de l’aléa boursier. Si cette affirmation était exacte — elle l’est encore pour partie — elle doit être reconsi-dérée. Bien trop générale, des nuances doivent y être apportées. Première nuance, et non des moindres, il convient de distinguer entre l’aléa économique et l’aléa juridique. L’aléa économique, ou aléa au sens commun du terme, est présent dans tout contrat et plus particulièrement dans toute vente, car l’évolution ultérieure de la valeur du bien acquis est incertaine. L’achat de valeurs mobilières constitue un exemple topique d’aléa économique, l’incertitude relative à la valeur des titres domine l’opération, pour autant le droit n’y attache aucune conséquence. Tel n’est pas le cas en présence d’un aléa juridique, c’est-à-dire d’un événement incer-tain dont dépend le montant des prestations des parties à une convention3, l’aléa s’intègre à la cause du contrat. Or il se trouve que sur les marchés financiers se négocient des instruments financiers pour lesquels l’aléa est juridique. Cette dis-

1. V. Nicolas, Essai d’une nouvelle analyse du contrat d’assurance, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 267, 1996, § 131.

2. V. Nicolas, préc., § 59, « en dehors du champ contractuel, l’aléa n’a pas d’existence ou d’inci-dence juridique ». En ce sens également, F. Grua, « Les effets de l’aléa et la distinction des contrats aléatoires et des contrats commutatifs », RTD civ. 1983. 261, spéc. p. 265.

3. Pour une distinction plus subtile entre aléa juridique et aléa économique, v. A. Morin, Contri-bution à l’étude des contrats aléatoires, Presses univ. de Clermont-Ferrand, 1998. Cet auteur qua-lifie exclusivement d’aléa économique l’incertitude affectant la valeur d’une prestation au moment de l’échange des consentements (§ 190 s.).

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L’aléa76

tinction conduit à formuler une seconde nuance à l’affirmation générale selon laquelle l’aléa boursier demeure ignoré du droit. Le marché financier a considéra-blement évolué, à telle enseigne que l’on parle aujourd’hui des marchés financiers. Le marché historique, celui des valeurs mobilières, l’ancienne bourse, s’est déve-loppé principalement par diversification des titres proposés et par ouverture à des entreprises plus nombreuses. Mais, surtout, ont été créés au milieu des années 1980, les marchés financiers à terme qui ont largement contribué à l’essor du secteur financier. La nécessaire distinction entre aléa économique et juridique, entre marché d’investissement et marché à terme conduit à réfuter l’affirmation classique selon laquelle l’aléa de marché est ignoré du droit. La récente crise financière a révélé l’ampleur prise par les marchés financiers dans l’économie mais aussi les ris-ques attachés à ce secteur d’activité4. Aussi il nous est apparu que ce thème conduit à s’interroger sur ce qu’est, ou ce que devrait être, la réaction du droit face au phénomène bien connu de l’aléa du marché. Les marchés financiers, depuis le milieu des années 1980, se sont considérablement développés, ce secteur, de concep-tion plutôt artisanale, s’est transformé en une véritable industrie. Cette mutation s’est opérée avec encadrement normatif léger, de nature à accompagner, à encoura-ger l’innovation financière et l’apparition de nouveaux marchés. Pourquoi cette bienveillance à l’égard des marchés ? Leur développement est utile à l’économie, grâce aux marchés financiers les entreprises trouvent plus facilement des fonds qu’auprès des seules banques, elles investissent, elles améliorent leur gestion pour satisfaire les actionnaires. Dans le cadre de la mondialisation de l’économie, les marchés favorisent les rachats d’entreprises, les concentrations... Les marchés déri-vés ont été créés pour répondre à des besoins nouveaux, l’ingénierie financière a contribué à imaginer de nouveaux produits qui ont, à leur tour, contribué au développement des marchés à terme.

Dans un premier mouvement, le droit a permis le développement d’un véri-table marché de l’aléa. Le second mouvement est seulement en train de s’écrire, il n’est pas achevé, c’est celui de la réaction du droit pour tenter d’endiguer l’expan-sion tentaculaire des marchés financiers et les risques qui en constituent le corol-laire. L’expansion des marchés financiers, les nouveaux risques venus s’ajouter à l’aléa traditionnel du marché, expliquent que le droit ne puisse plus rester indif-férent à l’aléa du marché.

I. LE MARCHÉ DE L’ALÉA

La fin des années 1980 marque le début de l’expansion des marchés financiers, la naissance d’une industrie de la finance. Constitue une bonne illustration de

4. V.  par ex. «  L’appréhension du risque financier par le droit  », dossier RD  banc.  fin. nov.-déc. 2010.

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ce phénomène le nombre de professions qui se sont créées autour des marchés financiers (agences de notation, conseils en investissement financier, analystes financiers, journalistes...)5. On observe un développement des marchés de finance-ment, notamment avec l’ouverture de marchés spéciaux pour les sociétés dites « de la nouvelle économie », mais l’expansion des marchés financiers trouve principale-ment sa source dans le développement des marchés à terme. Ceux-ci se situent au cœur de notre sujet puisque précisément l’aléa de marché, la variation du cours d’un instrument financier, constitue l’objet des engagements qui y sont négociés. Ainsi que l’exprime fort bien un auteur « les juristes ont imaginé des conventions aptes à transférer la charge (d’un risque) à autrui, à répartir cette charge, à diluer le risque. Si le risque est juridiquement maîtrisé, il peut constituer le support d’une nouvelle activité, avec son cortège de conventions appropriées6. » Se trouve ainsi expliquée la naissance des marchés à terme et d’un véritable marché de l’aléa.

A. L’INTRODUCTION DE L’ALÉA JURIDIQUE PAR LES INSTRUMENTS FINANCIERS À TERME

Les instruments financiers à terme sont-ils des contrats aléatoires ? — L’activité et corré-lativement les résultats financiers des entreprises sont de plus en plus soumis à des variables difficilement maîtrisables. Au traditionnel coût des matières premières sont venues s’ajouter les incertitudes relatives aux devises, aux taux d’intérêt, aux risques climatiques... La volatilité de ces variables économiques a fait naître un besoin de protection auxquels les marchés financiers ont apporté une réponse, en développant au début des années 1980 les instruments financiers à terme. Ceux-ci permettent de se prémunir contre l’aléa qui réside dans la variation du coût d’une matière première7 en transférant celui-ci à un tiers. Un exemple simple permet de comprendre le mécanisme. Un fabricant de chocolat entend ne pas subir une éven-tuelle hausse du cours du cacao au moment de la fabrication des chocolats de Pâques. Il sait qu’il aura besoin de 5 tonnes de cacao au mois de février. Il prend par conséquent une position d’acheteur de 5 tonnes de cacao à échéance fin février pour un prix déterminé, celui du marché le jour de la conclusion du contrat à terme, par exemple 2 500 euros la tonne. À l’échéance, le cours du cacao sur le marché est monté à 3 000 euros. Notre fabricant peut acheter 5 tonnes au prix prévu au contrat à terme, dit prix d’exercice, soit 2 500 euros. Il ne subira pas, par conséquent, la hausse du cours et maintiendra son prix de revient. Plutôt que d’acheter effecti-vement le cacao, l’exécution du contrat se fera par le versement d’une différence, entre le prix d’exercice et le cours du bien à l’échéance, dans notre exemple le ven-deur devra à l’acheteur 5 × 500, 2 500 euros. Si le cours du cacao a baissé entre la conclusion du contrat à terme et l’échéance, c’est à l’acheteur de verser la diffé-

5. Elles possèdent un point commun, elles visent toutes à évaluer l’aléa de marché.6. A. Ghozi, préface de la thèse d’A. Morin, Contribution à l’étude des contrats aléatoires, Presses

univ. de Clermont-Ferrand, 1998.7. Ou d’une autre variable économique.

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rence avec le prix d’exercice au vendeur. Ainsi l’acheteur peut se prémunir contre une hausse des cours, en revanche il ne tire pas de gain d’une baisse, le vendeur quant à lui est perdant en cas de hausse, gagnant en cas de baisse. Les marchés à terme se sont ainsi développés car ils offrent la possibilité de « se décharger du risque associé à la valeur d’une chose dans le futur, sans la chose elle-même8 ». Ces marchés sont également désignés sous l’appellation de marchés dérivés car s’y négo-cient des contrats dont la valeur dérive de celle d’un actif sous-jacent. Le terme constitue le véhicule juridique de l’introduction de l’aléa dans un instrument finan-cier puisqu’en différant l’exécution, l’incertitude quant à la valeur future de l’objet du contrat prend une importance plus grande9. Aussi est-il légitime de se demander si les instruments financiers à terme constituent des contrats aléatoires. Un contrat est dit aléatoire lorsque son objet consiste en la poursuite « d’une chance de gain ou la recherche d’une garantie contre le risque de perte10 ». Malgré la divergence de rédaction des articles 1104 et 1964, quant au point de savoir si toutes les parties au contrat doivent supporter un aléa identique ou seulement certaines d’entre elles11, il est possible de retenir la définition suivante donnée par la Cour de cassation : un contrat est aléatoire « lorsque l’avantage que les parties en retirent n’est pas appré-ciable lors de la formation du contrat parce qu’il dépend d’un événement incer-tain12 ». Parmi les instruments financiers à terme, seront confrontés à cette défi-nition les contrats à terme ferme, les contrats d’option et les contrats d’échange.

Les contrats à terme ferme. — S’agissant tout d’abord des contrats à terme ferme, il convient d’analyser un peu plus finement l’objet du contrat et ses modalités d’exé-cution. Lorsque le contrat à terme ferme porte sur un bien livrable, comme le cacao dans notre exemple13, il s’agit d’une vente à terme, qui n’est pas un contrat aléa-toire. Il existe bien une incertitude quant à la valeur du bien acquis au jour de l’exé-cution du contrat, mais cet aléa n’est qu’un aléa économique et non juridique car il n’est pas intégré au contrat14. La variation de la valeur du bien, postérieurement à l’échange des consentements, ne rend pas le contrat aléatoire. En revanche, lorsqu’il est prévu que le contrat puisse être exécuté par le versement d’un différentiel entre le prix d’exercice et le prix du marché à l’échéance, l’incertitude quant à la valeur du bien à l’échéance est intégrée au contrat, l’aléa devient juridique. Il en va de

8. A. Gaudemet, Les dérivés, Economica, coll. « Recherches juridiques », 2010, § 7.9. Pour autant, le terme suspensif ne suffit pas à rendre le contrat aléatoire, A. Morin, thèse

préc., § 224.10. Vocabulaire juridique Capitant, Vo « Aléatoire ».11. La doctrine admet de façon quasi unanime que l’incertitude quant au résultat du contrat

peut être partagée par toutes les parties ou supportée par une ou plusieurs d’entre elles seulement. V.  également la rédaction de l’article  1102-3 de l’avant-projet de réforme du droit des obligations « lorsque les parties, sans rechercher l’équivalence de la contrepartie convenue, acceptent une chance de gain ou de perte pour chacune ou certaine d’entre elles, d’après un événement incertain ».

12. Com. 10 juin 1960, Bull. civ. IV, no 225.13. On songe également aux valeurs mobilières.14. A. Morin, préc., § 12 et 13 et qu’il est postérieur à l’échange des consentements.

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même, a fortiori, lorsque le contrat à terme porte sur un élément non livrable15. La qualification de vente doit alors être écartée16, et le contrat devient sans conteste un contrat aléatoire17. La levée de l’aléa — la connaissance du cours du sous-jacent à l’échéance — permet de déterminer le montant de l’obligation et la partie qui sera débitrice. Cet aléa constitue également la cause de l’engagement des parties, qui cherchent à se protéger contre l’incertitude attachée à l’évolution de la valeur du sous-jacent dans le temps.

Le contrat d’option.  — Le contrat d’option constitue la forme financière de la promesse unilatérale, d’achat ou de vente. L’acheteur de l’option acquiert, moyen-nant le paiement d’une prime, le droit, mais non l’obligation, d’acheter ou de vendre, à l’échéance ou durant une période donnée, un actif à un prix convenu d’avance. Si l’évolution du sous-jacent lui est défavorable, l’acheteur du contrat ne lèvera pas l’option, il aura donc perdu le montant de la prime. Cet élément a conduit certains auteurs à douter du caractère aléatoire du contrat d’option, au motif que l’acheteur connaît à l’avance le montant maximum de sa perte et le vendeur celui de son gain, soit le montant de la prime. Mais comme l’a montré un auteur, dans le contrat aléatoire c’est le résultat du contrat aléatoire qui dépend de l’événement incertain, ici la valeur du sous-jacent, l’une des prestations des parties peut très bien être fixe18. Le contrat d’option entre donc bien dans la catégorie des contrats aléatoires.

Le contrat d’échange ou de swap19. — Ces contrats, de nature et de qualification juri-dique très variée20, reposent sur « une volonté de modification de la situation res-pective de chaque partie par transfert de charges ou produits entre elles21 ». Cer-tains acteurs économiques endettés à taux fixe peuvent souhaiter s’endetter à taux variable, endettés en dollars s’endetter en euros... Il leur suffit de trouver une contrepartie prête à prendre la position symétrique22. Si leur qualification juridique fait débat23, ils n’entrent pas dans la catégorie des contrats aléatoires puisque la prestation de chacune des parties au contrat est déterminée lors de sa conclusion24, « la modification de la charge de remboursement (en cas d’une hausse du taux

15. Le «  sous-jacent  » (c’est-à-dire l’élément qui sert de référence au contrat) peut être un indice (le CAC 40), un taux d’intérêt, une variable climatique, v. liste non limitative (v. 8o) de l’article D. 211-1 A, 7o C. mon. fin.

16. Pour la qualification de l’instrument à terme, v. infra § B.17. T. Bonneau et F. Drummond, Droit des marchés financiers, 3e éd., Economica, coll. « Cor-

pus », § 164.18. A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, 8e éd., Montchrestien, coll. « Domat »,

2008, § 1317 à 1319.19. Visé à l’art. D. 211-1, A C. mon. fin.20. Pour un aperçu complet v. A. Gaudemet, ouvr. préc., § 71 s.21. P.-A. Boulat et P.-Y. Chabert, Les swaps, Masson, 1992, p. 28.22. Il s’agit d’une forme de contrat à terme ferme, T. Bonneau et F. Drummond, ouvr. préc.,

§ 166.23. A. Gaudemet, préc., § 71 s.,T. Bonneau et F. Drummond, spéc. § 166-2.24. En ce sens, A. Gaudemet, thèse préc., § 153.

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variable par exemple) ne résulte pas d’un aléa sur la valeur de la prestation au jour de l’échange des consentements mais d’une modification du contexte économique postérieurement à la conclusion du contrat25 ».

Ainsi, parmi les instruments financiers à terme ou instruments dérivés, cer-tains sont des contrats aléatoires, d’autres non. Ils ont tous pour effet de transférer un risque à un tiers. Lorsque Portalis loue les contrats aléatoires « produits d’une civilisation déjà bien avancée » c’est en pensant au contrat d’assurance, « le résultat de ces conventions, c’est que nous amortissons les coups du sort en nous associant pour les partager »26. Nul n’ignore aujourd’hui que les marchés financiers à terme ne visent pas uniquement à lutter contre les coups du sort.

B. L’INDIFFÉRENCE À LA FINALITÉ POURSUIVIE

Dans la conception du Code civil, la licéité des contrats aléatoires dépend de leur but. Seuls ceux qui garantissent contre le hasard sont autorisés. Aussi la naissance des marchés à terme, répondant à un besoin de protection contre les variations de l’environnement économique27, a été positivement perçue. Mais rapidement il est apparu qu’un grand nombre d’intervenants sur les marchés financiers ne se trouvent soumis à aucun aléa, ils s’y exposent volontairement dans un but pure-ment spéculatif. Cette double finalité invite à s’interroger sur deux points : la couverture des risques par l’instrument financier à terme permet-elle d’assimiler celui-ci à un contrat d’assurance ? Traditionnellement suspecte en droit commun, la spéculation est-elle admise sur les marchés financiers ?

L’instrument financier à terme constitue-t-il une forme d’assurance ? — La finalité pre-mière des marchés à terme, se couvrir contre un risque, incite à s’interroger sur une possible assimilation des instruments financiers à terme au contrat d’assurance, contrat aléatoire nommé du Code civil. Les marchés à terme exercent la même fonction économique que le contrat d’assurance puisqu’ils permettent de s’assurer contre le risque de perte en cas de variation des cours28. Si le risque est défini comme la possibilité d’une perte en patrimoine, les instruments financiers à terme servent de couverture. Les marchés financiers offrent une plus grande capacité de financement que le secteur de l’assurance et permettent d’échapper au monopole de ce dernier, pour un coût moindre. Les similitudes sont grandes mais peut-on pour autant estimer que les instruments financiers à terme constituent une nouvelle forme de contrat d’assurance ? L’assurance répond à quatre critères, un risque, une

25. A. Morin, thèse préc., § 252.26. Portalis cité par A. Bénabent, La chance et le droit, § 51.27. Le slogan publicitaire utilisé lors de l’ouverture du Matif « Passif ou Matif » s’avère à cet

égard très parlant.28. P. Didier, Droit commercial, vol. 3, PUF, 1999, p. 266, cet auteur parle même de « contrat

d’assurance réciproque ».

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prime, une prestation en cas de sinistre et enfin une mutualisation du risque29. L’instrument à terme permet le transfert du risque au marché, la finalité écono-mique est donc identique. Dans le contrat d’assurance, le risque redouté est un risque objectif, dans les dérivés le risque est subjectif, puisqu’il repose sur une antici-pation de l’évolution du sous-jacent. De plus, sur les marchés à terme l’exposition au risque peut être volontaire, lorsque l’instrument est souscrit dans un but spécula-tif, il n’y a dans cette hypothèse pas de risque réel. La prime du contrat d’assurance est déterminée grâce à des calculs actuariels, celle de l’instrument financier à terme résulte de la loi de l’offre et de la demande. Sur les marchés financiers à terme, l’idée d’indemnisation est absente et, de surcroît, il n’y a pas de mutualisation du risque. Le risque est supporté, dans son intégralité, par la contrepartie. Enfin, pour conclure sur l’impossible assimilation des instruments financiers à terme à une forme d’assurance, on observera que sur les marchés financiers le risque peut être transféré, réparti, parce que de nombreuses personnes acceptent de prendre un risque sur lequel elles n’ont pas la même anticipation. En revanche, le principe de l’assurance repose sur la loi des grands nombres et sur une mutualisation du risque qui permet d’en répartir la charge30.

Légitimité de la spéculation. — Ce dernier argument permet de mettre en lumière que la possibilité de conclure une transaction sur un instrument financier à terme sup-pose qu’une autre personne ait une anticipation contraire de l’évolution du sous-jacent. Or tous les intervenants ne cherchent pas nécessairement à se pré-munir contre un risque, certains entendent seulement tirer profit d’une évolution des cours correctement anticipée. C’est donc grâce à la spéculation que le risque est transféré sur les marchés à terme. La spéculation est facteur de liquidité desdits marchés. Pour autant faut-il l’admettre ? Cette finalité n’est pas, par elle-même, prohibée par le droit, même si elle est jugée immorale. Les rédacteurs du Code civil ont simplement limité les actions relatives aux contrats de jeu et de pari au travers de l’exception de jeu de l’article 1965. Malgré certaines hésitations doctrinales31, la qualification de pari pour les instruments financiers à terme ne fait pas de doute, pour le législateur tout au moins. En effet, cette assimilation a justifié dans un pre-mier temps la prohibition pure et simple des marchés à terme32. Celle-ci a été levée par la suite mais les contrats à terme étant qualifiés de pari, c’est alors l’exception de jeu qui menaçait leur exécution. Néanmoins, certains ont réussi à démontrer l’utilité économique des marchés à terme, conduisant la jurisprudence à distinguer entre les marchés dits « sérieux » et ceux dits « fictifs », ceux pour lesquels la livrai-son du bien était effective et ceux qui se dénouaient par règlement d’une simple

29. H. Le Nabasque et alii, Droit financier, Dalloz, coll. « Précis », 2008, § 983.30. Un dernier argument peut être avancé, le contrat d’assurance obéit au principe indemni-

taire, il ne peut être source de gains.31. P. Pailler, La notion d’instrument financier à terme, thèse, Paris I, 2008, § 275.32. Par un arrêt du Conseil du roi de 1724. Pour un rappel historique détaillé, v. T. Bonneau et

F. Drummond, ouvr. préc., § 45 s.

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différence. Seuls les premiers pouvaient faire l’objet d’une exécution forcée. Cette distinction, infondée, a pris fin avec la loi de 1885 qui a validé les marchés à terme quelles que soient leurs modalités d’exécution. Depuis, ce texte a dû être modifié à plusieurs reprises afin de faire échapper les nouveaux produits apparus au fil des années à l’application de l’article 1965 du Code civil33.

Pour conclure on constatera qu’en matière de marchés à terme, le législateur, indifférent à leur finalité, est intervenu uniquement pour les favoriser en suppri-mant tout obstacle juridique éventuel à leur exécution. La spéculation représente un élément fondamental des marchés financiers, sans lequel ils ne seraient pas les mêmes. Elle contribue à la régulation des cours et à la liquidité des marchés, elle présente ainsi une indéniable utilité34.

Contrat aléatoire. Spéculation.  — La spéculation a énormément contribué au développement des marchés à terme, car les contrats aléatoires qui en sont l’objet représentent un formidable outil pour les spéculateurs35. Pour autant, la spé-culation existe également sur les marchés au comptant, en dehors de tout contrat aléatoire. Une vente d’instruments financiers au comptant n’a pas a  priori de caractère spéculatif. Mais la pratique a imaginé les ventes à découvert. Les tran-sactions sur les marchés financiers ne sont exécutées que trois jours de bourse après leur conclusion. C’est cette livraison légèrement différée qui autorise un vendeur à passer une transaction sans posséder les titres car, en concluant une opération de sens inverse avant le jour de la livraison, grâce à la compensation, ses obligations se résoudront en une seule, celle de payer ou de recevoir la diffé-rence de prix entre la première et la seconde transaction. Ce mode d’exécution particulier fait de la vente à découvert une opération spéculative dans laquelle l’aléa résultant de la variation des cours prend toute sa place. Bien que constituée de deux transactions distinctes, la vente à découvert de titres suivie d’une revente, cette opération forme un tout indissociable dans l’esprit du spéculateur, une opé-ration aléatoire, même si ce n’est pas à proprement parler d’un aléa juridique qu’il s’agit, la finalité est bien la même que celle d’un contrat aléatoire. Cette opération n’est rendue possible qu’en raison de l’existence d’un marché sur lequel il est facile de trouver une contrepartie pour acheter les titres précédemment vendus et sur lequel il est possible de compenser les obligations nées des deux tran-sactions. C’est donc bien le marché qui permet l’exploitation de l’aléa et favorise la spéculation.

33. Art. L. 211-35 C. mon. fin. La rédaction très générale du texte actuel valide l’ensemble des instruments financiers à terme.

34. « Se couvrir c’est transférer à autrui un risque qu’on ne veut pas assumer. Et ce risque qu’on transfère, il faut bien que quelqu’un le prenne. C’est là le rôle et la justification du spéculateur. Le marché à terme est donc aussi nécessairement un marché de spéculation », P. Didier, « La dérégle-mentation des marchés publics », Cah. dr. entr. 1988. 16.

35. « La spéculation est l’âme des contrats aléatoires », F. Grua, « Les effets de l’aléa et la dis-tinction des contrats aléatoires et des contrats commutatifs », RTD civ. 1983. 261, § 1 in fine.

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Développement d’un marché de l’aléa. Facteurs. — Ainsi l’aléa relatif à la variation du cours d’un élément financier fait l’objet d’un véritable commerce, notam-ment au travers des instruments financiers à terme, à telle enseigne qu’il est possible d’affirmer que les marchés financiers constituent véritablement un marché de l’aléa.

Le développement sans précédent des marchés financiers, et plus particulière-ment des marchés à terme, a été favorisé par deux séries de facteurs. Tout d’abord les marchés à terme ont attiré les spéculateurs par l’effet de levier qu’ils procurent. Un exemple simple permet de le comprendre : si vous anticipez une hausse du cours d’une valeur mobilière, vous pouvez faire l’acquisition d’un certain nombre de titres sur le marché au comptant et les revendre lorsque le cours aura effectivement monté. Cela suppose toutefois que vous disposiez de la somme nécessaire à l’achat des titres, et le profit tiré de l’opération sera rapporté à la somme investie. La même opération peut être menée sur les marchés à terme en souscrivant un contrat à terme ferme36. La conclusion d’une telle opération n’oblige l’acheteur qu’à verser une couverture représentant environ 20 % du montant de l’achat37. À l’échéance, le profit résultant de la différence de cours sera le même en valeur, mais bien plus important rapporté à la somme engagée. Voilà la première raison du succès des marchés à terme et de leur dimension hautement spéculative qui conduit les opéra-teurs à s’exposer volontairement à l’aléa. La mise de fonds exigée est relativement faible par rapport au profit possible. Le second facteur de « l’industrialisation » des marchés à terme réside dans la souplesse qu’ils offrent. Cette souplesse s’explique par deux caractéristiques des marchés réglementés ou organisés38, la standardisation des instruments et leur « négociabilité ». Sans aller plus loin dans l’explication de ce terme39, il suffit de savoir que l’intervention d’une chambre de compensation sur ces marchés permet à un donneur d’ordres, ayant conclu une transaction, de mettre fin à tout moment à son engagement, sans attendre le terme. Que son anticipation de l’aléa ait été bonne ou mauvaise, sur les marchés à terme, le donneur n’est pas tenu d’attendre l’échéance pour arrêter son profit ou sa perte40. Cette possibilité augmente encore l’attractivité des marchés à terme.

Les marchés financiers à terme se sont développés en exploitant l’incertitude attachée à l’évolution de certaines variables. Ils ont permis à certains de se protéger contre un réel risque de perte dans leur activité, ils reposent également sur l’inter-vention d’agents économiques qui s’exposent volontairement à l’incertitude dans

36. Le contrat d’option permet lui aussi de réaliser l’opération, l’acheteur ne verse que le mon-tant de la prime, en revanche celle-ci est perdue si l’anticipation est mauvaise.

37. Lorsque cette couverture est demandée à l’acheteur par son intermédiaire. De nombreuses transactions sur les marchés à termes se concluent sans que le PSI n’appelle la couverture, autrement dit sans que le donneur d’ordres ne fasse l’avance d’aucune somme d’argent. Cette pratique a été jugée fautive et source de responsabilité civile par la jurisprudence en 2008, v. infra § relatif à l’obligation de couverture.

38. Par opposition aux marchés dits de gré à gré.39. V. par ex. T. Bonneau et F. Drummond, ouvr. préc., § 157.40. T. Bonneau et F. Drummond, préc., § 31.

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l’espoir d’en tirer profit. Ainsi redouté ou recherché, l’aléa se situe au cœur de l’activité des marchés à terme. Ceux-ci, grâce à leurs atouts, ont prospéré jusqu’à prendre une place centrale dans l’économie. Ce constat ainsi que la récente crise financière incitent à se demander si l’exploitation de l’aléa par les marchés est juri-diquement maitrisée. Il convient donc de s’intéresser à l’aléa résultant des marchés financiers eux-mêmes.

II. L’ALÉA DU MARCHÉ

Aléa du marché. Notion. — Toute activité humaine comporte une part d’aléa. Ce terme est souvent employé afin d’exprimer que le résultat d’une action comporte une part d’incertitude, ce qui justifie notamment, suivant le degré d’incertitude, qu’on ne puisse mettre en jeu la responsabilité41. L’existence d’un aléa est donc bien prise en compte par le droit, le plus souvent pour exprimer l’inéluctable qui ne peut être pris en charge par la société. C’est également ce qu’exprime l’idée d’aléa de la bourse, variation de la valeur d’un bien après son acquisition dont on ne peut se plaindre. Ainsi pendant longtemps les aléas boursiers sont-ils restés ignorés du droit. Mais le développement des marchés financiers, en particulier des marchés à terme, conduit à revenir sur l’approche ultralibérale du secteur. Cette approche, connue au travers de la formule d’Adam Smith « Laisser passer, laisser faire », n’a été remise en cause que très récemment en raison de la crise financière. Nul n’ignore aujourd’hui que cette crise a commencé aux États-Unis pour se propager au monde entier. Les gouvernants ont, à cette occasion, mesuré à quel point l’ingénierie financière, d’une extrême sophistication, est porteuse de risques pour l’économie entière. L’aléa habituellement associé aux variations des marchés d’investissement est largement dépassé par l’aléa attaché aux nouveaux instruments financiers et aux marchés à terme. Cela s’impose désormais comme une évidence, les marchés financiers comportent une grande part d’aléa, même en dehors des contrats aléatoires. Un auteur a souligné « que l’incertitude est partout et dans tout42 ». Les marchés finan-ciers ne font pas exception à la règle, mais l’importance prise par les marchés finan-ciers dans l’économie contemporaine implique que le droit ne puisse plus rester indifférent à l’aléa que fait naître ce secteur. Pour déterminer quelle est ou quelle peut être la réaction du droit face à l’aléa du marché, il importe tout d’abord de définir ce que l’on entend par « aléa du marché ». Dans une première acception, la plus ancienne et la plus commune, la notion d’aléa du marché renvoie à l’aléa attaché à la variation du cours de l’instrument financier. Il s’agit de l’aléa que connaît tout donneur d’ordres sur le marché. Le droit laisse les chances de gain ou

41. L’exemple topique étant le contrat de soins mais il en va ainsi de tous les contrats compor-tant une obligation de moyens.

42. V. Nicolas, ibid., § 62.

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de perte à la charge du donneur d’ordres et ne vise qu’un seul objectif, que cet aléa soit connu au moment de la conclusion de l’engagement.

Mais à y regarder de plus près l’aléa du marché financier ne réside pas unique-ment dans l’imprévisible variation des cours. Une fois la transaction conclue, il convient d’être certain qu’elle sera exécutée. Il existe bel et bien un aléa relatif à l’exécution par la contrepartie et, plus généralement, un aléa relatif à l’exécution sur le marché de l’ensemble des engagements qui y sont souscrits.

A. LA MESURE DE L’ALÉA RELATIF À LA VARIATION DU COURS DE L’INSTRUMENT FINANCIER

Par aléa du marché on entend généralement l’incertitude attachée à la variation du cours d’un instrument financier. Cet aléa est considéré comme inéluctable, il peut s’entendre comme un risque de perte ou comme une chance de gain et c’est précisément cette dernière perspective qui explique l’attirance des épargnants pour les marchés financiers. Le législateur, soucieux avant tout du financement des entreprises, facteur de croissance de l’économie, a favorisé le développement de l’appel public à l’épargne43, soumettant ainsi un grand nombre d’épargnants indi-viduels aux aléas de la bourse. Cette expression, commune, désigne l’incertitude relative à la variation du cours de bourse, est utilisée afin d’indiquer que ce type d’aléa est le lot commun de tous les investisseurs et de toutes les activités écono-miques, et qu’on ne peut s’en plaindre44. La place prise par les marchés financiers dans l’économie contemporaine, la sophistication des produits qui y sont proposés incite cependant à revenir sur cette affirmation traditionnelle. Il serait inexact de croire que l’investisseur est laissé seul face à ses décisions d’investissement, face à l’incertitude qui caractérise l’évolution des marchés. Le droit vise à limiter les mau-vaises décisions, à dissuader les donneurs d’ordres de prendre des risques sans pour autant le leur interdire. De façon classique, c’est par l’amélioration de la connais-sance que les investisseurs ont de l’aléa du marché que le droit est intervenu pour s’assurer d’un consentement éclairé. Les investisseurs ont aujourd’hui acquis le droit d’être informés afin de prendre leurs décisions d’investissement en connaissance de cause. La transparence constitue l’un des principes directeurs du droit des marchés financiers45, elle se concrétise notamment par l’obligation d’information. Pour être rigoureux, il convient de parler des obligations d’information car celles-ci sont nombreuses, elles possèdent toutes la même finalité, améliorer la connaissance de l’aléa de marché. Ces informations portent sur l’instrument financier (2) mais également sur l’émetteur lorsque l’instrument financier est un titre de capital (1).

43. Il s’agit de l’ancienne terminologie pour désigner le placement de titres dans le public, on parle aujourd’hui d’offre au public.

44. V.  par ex., écartant la responsabilité d’un notaire, gestionnaire de portefeuille, Civ.  1re, 8 déc. 2009, Bull. civ. I, no 238, « si le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours, il n’a pas à répondre [...] des aléas financiers liés à la conjoncture boursière acceptés par ses clients ».

45. T. Bonneau et F. Drummond, ouvr. préc., § 23.

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1. L’information sur l’émetteur de l’instrument financier

S’agissant des marchés d’investissement, ou marchés au comptant, sur lesquels se négocient des titres de capital, l’information sur la qualité de l’émetteur du titre est essentielle. L’émetteur d’un instrument financier, et plus précisément sa santé financière, ses perspectives d’évolution, représentent l’un des facteurs d’évolution du cours du titre négocié sur le marché financier. Toutes les informations — un très grand nombre tout au moins — sont de nature à influer sur l’appréciation que se font les investisseurs, les analystes financiers de la rentabilité future du titre... et par conséquent sur son cours de bourse. C’est pourquoi très tôt la réglementation boursière s’est préoccupée de la transparence du marché afin de garantir aux inves-tisseurs qu’ils détiennent tous, à tout moment, les éléments d’information leur permettant d’anticiper l’évolution du cours du titre. Dès lors que la bourse de valeurs mobilières s’ouvrait aux petits épargnants46, il lui fallait rendre l’aléa bour-sier acceptable en donnant à tous la possibilité de connaître la personne morale dans laquelle l’investissement est réalisé. C’est ainsi que l’on a vu apparaître un ensemble d’obligations d’information à la charge de la société émettrice du titre47. Information ponctuelle, à l’occasion d’une offre publique, information périodique lors de la publication des comptes, information prévisionnelle. Les émetteurs sont également soumis à une obligation d’information dite permanente qui leur impose de porter à la connaissance du public « toute information [...] susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours de l’instrument financier48 ». À ce vaste domaine de l’obligation d’information pesant sur l’émetteur, il convient d’ajouter les contraintes attachées à la diffusion de ladite information, diffusion tenue d’être « effective et intégrale49 ». L’objectif de transparence se décline de façon très concrète et l’on s’aperçoit que si l’aléa boursier est présent, il doit être le même pour tous et s’accompagne d’une certaine visibilité sur la situation de l’émetteur, on songe notamment à toute l’information à caractère prévisionnel. C’est bien une forme d’égalité dans l’incertitude qui est imposée sur les marchés50. Ces obligations d’information, devant servir à une prise de décision éclairée et à une anticipation de l’évolution du cours du titre, se doublent de délits51 qui viennent sanctionner une rupture d’égalité dans l’information, le délit d’initié52 et le délit de diffusion de

46. Lors de la création de la COB, en 1967, l’un de ses objets était la protection de l’épargne publique, cette finalité figure toujours dans les attributions de l’AMF, art. L. 621-1 C. mon. fin.

47. Certaines obligations d’information sont à la charge des actionnaires de l’émetteur, on songe notamment aux déclarations de franchissement de seuils. Elles permettent d’anticiper un éventuel changement de contrôle, qui aura une influence sur le cours du titre.

48. Art. 223-2 et 621-1 RG AMF.49. Art. 221-3 RG AMF.50. Cette expression est employée par le professeur Bénabent à propos des parties au contrat

aléatoire (ouvr. préc., § 1314, « il faut que les parties disposent des mêmes éléments d’évaluation du risque »). Ici tous ceux qui sont soumis à l’aléa du marché doivent disposer des mêmes informations en même temps.

51. Et de sanctions administratives dénommées « manquements ».52. Créé en 1970, il figure désormais à l’article L. 465-1, al. 1er, C. mon. fin. et vise le fait, pour

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fausse information53. Ces éléments illustrent la théorie d’une nécessaire égalité devant l’aléa boursier, l’information sur les éléments susceptibles d’affecter le cours de bourse devant être la même pour tous. Si l’émetteur n’est pas suffisamment trans-parent, la variation du cours ne sera pas analysée comme résultant d’un aléa de marché mais d’une tromperie sur les perspectives d’évolution.

Fausse information. Sanction civile. — Des décisions récentes ont admis la possibilité d’une indemnisation des « victimes » de l’information fausse ou trompeuse. La diffi-culté principale réside dans la reconnaissance et l’évaluation d’un préjudice indivi-duel à réparer. Dans une décision remarquée, la cour d’appel de Paris a considéré que pouvaient se prévaloir d’un préjudice non seulement des personnes qui ont acquis ou cédé des titres en se fondant sur l’information erronée mais également celles qui ont conservé les titres possédés, car elles ont perdu une chance « d’effec-tuer des arbitrages éclairés, de mieux investir leur argent54 ». On ne saurait mieux exprimer le fait que les investisseurs ont le droit de disposer d’une information complète et fiable avant et pendant la souscription de titres. Pour autant, les juges n’ignorent nullement que la variation du cours ne s’explique pas uniquement par les performances de l’émetteur mais également par des facteurs extérieurs. Dans cette même affaire, la cour d’appel de Paris, pour l’évaluation du préjudice, n’a pas retenu la perte subie lors de la revente des titres, « en raison du risque et de l’aléa propre à tout investissement boursier ». L’information diffusée par l’émetteur ne représente qu’un des éléments influant sur le cours, elle permet une appréciation plus solide sur l’évolution prévisible du cours, elle ne fait pas pour autant disparaître l’aléa du marché.

Deux remarques en conclusion : tout d’abord il faut souligner que l’information diffusée par les émetteurs n’est pas forcément facile à comprendre pour l’inves-tisseur. C’est d’ailleurs pour cette raison que s’est développé un secteur d’activité parasite aux marchés financiers. Agences de notation, analystes financiers, conseils en investissement financier monnaient leurs compétences afin de permettre aux investisseurs de prendre une décision éclairée. Ces professionnels améliorent la connaissance qu’un non-initié peut avoir d’un émetteur ou d’un produit mais, la récente crise financière l’a démontré, les opinions qu’ils émettent ont une influence sur les décisions des investisseurs mais aussi sur le cours de l’instrument financier.

Ensuite, ces obligations d’information à la charge de l’émetteur n’existent que sur les marchés dits réglementés. Sur les autres marchés, il est plus difficile de pré-voir l’évolution du cours de bourse. L’aléa de marché, défini comme l’incertitude relative à l’évolution du cours, est donc plus grand.

les personnes détentrices d’une information privilégiée, de réaliser « une opération avant que le public ait connaissance de cette information ».

53. Art. L. 465-2, al. 2, C. mon. fin. punissant le fait « de répandre des informations fausses ou trompeuses [...] de nature à agir sur les cours ». Le dol n’est pas loin.

54. CA Paris 31 oct. 2008, Sidel, Bull. Joly Bourse 2009. 28.

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2. L’information sur l’instrument financier lui-même

Tout le monde sait que l’investissement en bourse constitue un placement risqué. Le risque peut avoir un sens neutre, chance de gain ou risque de perte. Les marchés à terme sont des marchés encore plus risqués. Caractérisés par l’effet de levier, ils peuvent générer des profits mais également des pertes considérables. Ce que l’affaire Kerviel/Société Générale a porté à la connaissance du grand public, aucun profes-sionnel de marché ne l’ignorait. Face à cette évolution, le réflexe premier du droit est de permettre à l’investisseur de prendre connaissance de ce risque avant de s’en-gager. Aussi, de façon très classique, faisant une application particulière de l’obliga-tion d’information, la jurisprudence a contraint les professionnels des marchés à mettre en garde leurs clients. Cette obligation se limite aux contrats aléatoires, ins-truments juridiquement conçus pour s’exposer à l’aléa de marché et susceptibles d’engendrer des gains ou des pertes importants (a). Il ne faut cependant pas négliger la connaissance des instruments financiers commercialisés sur les marchés d’inves-tissement, moins risqués, mais néanmoins soumis à un aléa pas toujours clairement identifié (b).

a. La mise en garde contre les instruments financiers aléatoiresLa jurisprudence a soumis les prestataires de services d’investissement à une obli-gation d’informer le donneur d’ordres sur les risques relatifs aux engagements sur les marchés à terme55. Le risque constitue la face négative de l’aléa, la perte poten-tielle. L’arrêt fondateur de cette jurisprudence, l’arrêt Buon, en a délimité le domaine, le banquier est tenu « d’une obligation d’information sur les risques encourus dans les obligations spéculatives sur les marchés à terme hors le cas où le client en a connaissance56 ».

De cette jurisprudence relative à l’obligation de mise en garde du professionnel des marchés on retiendra ceci, en rapport avec notre sujet :

Domaine. Opérations spéculatives ou aléatoires ?  — Tout d’abord, son domaine est limité aux opérations spéculatives. Par cette expression, les magistrats visent uni-quement les marchés à terme, et plus précisément les contrats aléatoires qui s’y négocient. Ils ont en effet écarté l’achat de valeurs mobilières et la souscription d’un swap, considérant qu’il ne s’agissait pas d’opérations spéculatives. On obser-vera que cette approche ne correspond pas à la définition traditionnelle de l’opéra-tion spéculative, qui repose sur un achat suivi d’une revente pour tirer parti de la différence de cours. L’achat de valeurs mobilières entre dans cette définition57, pour autant la jurisprudence refuse de le soumettre à l’obligation de mise en garde. On citera à cet égard un arrêt de la chambre commerciale ayant écarté l’obligation de mise en garde du banquier à propos de l’achat de 200 000 actions d’une société

55. Cette obligation peut alors être qualifiée d’obligation de mise en garde.56. Com. 5 nov. 1991, Bull. civ. IV, no 327.57. Le Vocabulaire juridique de l’Association Capitant le cite comme exemple de spéculation.

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étrangère58. Les juges du fond avaient pourtant accepté la mise en jeu de la respon-sabilité du banquier pour manquement à son obligation de mise en garde au motif que le donneur d’ordres avait engagé « la quasi-totalité de ses avoirs sur un seul titre à l’évolution incontrôlable, compte tenu de sa nature et de l’extranéité de la société émettrice ».

Il semble qu’alors, plutôt que les opérations spéculatives, ce soient bel et bien les opérations aléatoires sur les marchés à terme qui seules donnent naissance à l’obligation de mise en garde59. Leur dimension spéculative est renforcée par la défi-nition même de l’objet du contrat — le paiement d’un différentiel de cours — et l’absence de mise de fonds préalable. Ce qui donne naissance à l’obligation de mise en garde, c’est la conclusion « d’opérations spéculatives présentant un risque parti-culier que le client n’est pas en mesure d’apprécier60  ». Cette interprétation est conforme à la fois à la conception traditionnelle de l’obligation de mise en garde et au principe selon lequel l’existence d’un aléa économique postérieur à la conclusion du contrat ne donne naissance à aucune obligation. Certains ont souligné que la mise en garde n’est due qu’à l’occasion d’opérations dans lesquelles le risque de perte excède le montant investi61. Pour les autres produits, le professionnel n’est tenu qu’à une simple obligation d’information s’agissant « du risque boursier ordi-naire, les aléas de la bourse, un risque présumé connu de tous62  ». L’information reste due, mais il n’est pas nécessaire que le professionnel attire spécifiquement l’at-tention de l’investisseur sur les risques de l’opération63.

Bénéficiaire. Client profane.  — Ensuite, l’obligation jurisprudentielle de mise en garde n’est due qu’au client « profane ». De façon là aussi très classique, la jurispru-dence estime que le professionnel est exonéré de son obligation de mise en garde en présence d’un donneur d’ordres averti, capable donc d’apprécier les risques qu’il prend sans l’aide du professionnel. Or la jurisprudence a développé une approche contestable de la notion de client averti, estimant par exemple que cette qualité, qui s’apprécie au moment de la passation des premiers ordres sur les marchés à terme, était évolutive, que l’on pouvait devenir averti après quelques mois de pra-

58. Com. 14 déc. 2004, Bull. civ. IV, no 222 ; D. 2005. 2610, note Y. Reinhard et S. Thomasset-Pierre. Dans le même sens, à propos de l’achat de parts de Sicav, Com. 5  févr. 2008, pourvoi no 06-21.513.

59. Ces opérations, en raison des risques qu’elles présentent, posent également la question de la capacité du donneur d’ordres, v. par ex. H. Le Nabasque, ouvr. préc., § 984.

60. Com. 5 févr. 2008, préc.61. Un auteur a parlé de « risque aggravé », R. Bonhomme, « Responsabilité et gestion du risque

financier », RD banc. fin. 2010. Études 31, § 16.62. R. Bonhomme, préc.63. En sens contraire, on citera une décision de la chambre commerciale relative à l’achat de

titres sur le nouveau marché (marché spécialisé dans la commercialisation de titres de sociétés qui viennent de se créer ou de s’introduire en bourse). L’obligation de mise en garde du donneur d’ordres a été retenue à propos des « risques particuliers présentés par les opérations sur le nouveau marché », Com. 26 mars 2008, Bull. civ. IV, no 69, pourvoi no 07-11.554. Cette décision, à notre connaissance, demeure isolée.

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tique, et qu’ainsi la faute originelle du professionnel « était sans rapport avec les pertes subies plus tard64 ». Cette casuistique est à l’évidence contraire à la sécurité juridique65, l’aléa judiciaire ne doit pas venir s’ajouter à l’aléa financier...

Pour conclure sur l’obligation de mise en garde, on signalera que la transposi-tion de la directive MIF et la réécriture complète du Code monétaire et financier qui en a résulté ne devraient pas sensiblement modifier la perspective. S’agissant de la qualité du client, c’est le point positif, le prestataire de services d’investissement est désormais tenu de procéder à la classification de ses clients66, ce qui devrait limi-ter le nombre de clients abusivement qualifiés d’avertis67. S’agissant ensuite des produits concernés par l’obligation de mise en garde, le Code monétaire et financier a exclu les « instruments financiers non complexes68 ». Or la définition qu’en donne le règlement général de l’AMF, auquel la loi renvoie, correspond à l’analyse juris-prudentielle puisque ne sera pas considéré comme complexe un instrument « qui n’implique pour le client aucune dette effective ou potentielle qui excède son coût d’acquisition69 ». Cette définition de la complexité est un peu réductrice, mais il est évident qu’il ne faut pas espérer une extension du domaine rationae materiae de l’obligation de mise en garde par l’application des nouveaux textes issus de la MIF. La différence de domaine entre obligation d’information et mise en garde est justi-fiée par l’importance du risque couru. L’investisseur, acquéreur de titres au comp-tant, qui subit une perte en capital, ne peut se plaindre car il est victime de l’aléa boursier, dont il est censé avoir connaissance. Pour autant les investisseurs, qui ont le droit de prendre une décision éclairée, peuvent-ils se satisfaire de l’information qui leur est fournie au titre de l’obligation générale pesant sur les PSI ?

b. L’information sur les instruments financiers au comptantL’investissement dans un instrument financier au comptant donne naissance à une obligation générale d’information précontractuelle. Cette information est moins précise que celle due au titre de l’obligation de mise en garde due pour les enga-gements à terme. L’affaire Bénéfic est emblématique de cette analyse, la chambre commerciale a jugé que les acheteurs de parts d’un fonds commun de placement étaient suffisamment informés par la remise de la notice d’information, celle-ci mentionnant qu’en cas de baisse de l’indice CAC 40 la valeur des parts serait mino-rée70. La mise en jeu de la responsabilité de l’émetteur est rejetée car les souscrip-teurs n’ont pas démontré en quoi « l’information délivrée aurait été incomplète,

64. Com. 14 déc. 2004, Bull. civ. IV, no 221.65. Pour une illustration de cette casuistique, v. Com. 6 oct. 2009, pourvoi no 04-12.787.66. Art. L. 533-16 C. mon. fin., art. 314-4 RG AMF. Les nouveaux textes font également peser

sur le prestataire un véritable devoir de se renseigner sur les connaissances et l’expérience de son client en matière d’investissement (art. L. 533-13, II C. mon. fin.).

67. La distinction client professionnel/non-professionnel se substitue désormais, dans les textes, à celle jurisprudentielle de client averti/profane.

68. Art. L. 533-13, III, 1o C. mon. fin.69. Art. 314-57, II, 3o RG AMF.70. Com. 19 sept. 2006, 5 arrêts, Bull. civ. IV, no 185 à 187.

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inexacte ou trompeuse ». Ce produit relève d’une simple obligation d’information, tout comme l’achat d’actions71.

Complexité des nouveaux instruments financiers au comptant. — Cette analyse juris-prudentielle appelle deux séries de remarques : tout d’abord l’absence de mise en garde d’un investisseur en titres au comptant est justifiée par l’idée qu’informer est suffisant car les investisseurs ont conscience de l’aléa attaché au cours de bourse. Le droit n’est pas là pour protéger les imbéciles, maxime parfaitement illustrée par cette jurisprudence. Mais cette analyse néglige le changement profond opéré par les techniques de l’ingénierie financière. Les titres au comptant sont aujourd’hui bien plus variés que les traditionnelles actions ou obligations émises par un émetteur à forte notoriété. On parle de produits structurés, de produits complexes, de produits opaques et... toxiques. La pratique américaine a fait connaître du grand public la technique de la titrisation, identifiée comme l’un des principaux facteurs de propa-gation des défaillances de particuliers surendettés au reste du monde. La titrisation consiste à transformer une créance en un titre de capital d’un fonds commun de créances72. Cela repose juridiquement sur une cession de créance, réelle ou synthé-tique73, et revient donc à transférer le risque subi par le cédant, le défaut de paie-ment de la créance, aux titulaires des parts du fonds commun. Cette technique est très utilisée par les banques américaines afin d’alléger la présentation de leur bilan, elle commence à l’être également par les sociétés d’assurance pour des opérations de réassurance74. Ces instruments contribuent à la diffusion massive d’un risque à des personnes qui y sont totalement étrangères75 et n’ont pas forcément les moyens de connaître et d’apprécier l’étendue du risque de perte du capital investi qu’elles courent. Le produit est d’une grande complexité et mérite par conséquent une information bien plus détaillée qu’un titre de capital classique. L’aléa ne réside plus uniquement dans la variation du cours de l’instrument financier, c’est bel et bien sa nature, sa composition, sa liquidité qui est source d’aléa. Les acquéreurs de parts de fonds commun de créance, des professionnels pour l’essentiel, n’avaient pas pleine-ment conscience de la composition des actifs du fonds. Pour prendre leur décision,

71. V. supra note 61.72. Les fonds communs de créance ont été introduits en droit français par la loi no 88-1201.

Depuis l’ordonnance no 2008-556 du 13 juin 2008, ils se nomment fonds commun de titrisation ou sociétés de titrisation. Regroupée sous le vocable « d’organismes de titrisation », art. L. 214-42-1 s. C. mon. fin.

73. Dans la titrisation synthétique, la créance n’est pas cédée, seul le risque associé au défaut de paiement de la créance l’est.

74. Pour un exemple d’une telle opération, lire S. Praicheux et P. Mousseron, « Et le risque devint produit », in H. de Vauplane et J.-J. Daigre (dir.), Droit bancaire et financier. Mélanges AEDBF-France V, Revue banque édition, 2009, p. 407, spéc. p. 416.

75. La rédaction de l’article L. 214-42-1 C. mon. fin. (issu de la loi du 13 juin 2008) est à cet égard très explicite, elle décrit l’objet des organismes de titrisation en ces termes « d’une part être exposés à des risques [...] par l’acquisition de créances [...], d’autre part, d’assurer en totalité le finance-ment ou la couverture de ces risques par l’émission d’actions, de parts ou de titres de créances ».

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ils se sont fiés à la note attribuée à l’émission de titres par une agence de notation76. Cette confiance accordée à la note démontre que les investisseurs sont inca-pables d’apprécier par eux-mêmes la qualité du titre ni les risques que celui-ci leur fait courir. L’aléa attaché à un investissement dans un titre au comptant est beau-coup plus complexe qu’autrefois et on ne saurait présumer que les investisseurs ont conscience des risques qu’ils prennent.

La nouvelle rédaction du Code monétaire et financier, issue de la transposition de la directive MIF, impose au PSI de communiquer à leurs clients « les informa-tions leur permettant raisonnablement de comprendre la nature du [...] type spécifi-que d’instrument financier proposé [...] afin que les clients soient en mesure de prendre leurs décisions en connaissance de cause77  ». Par ailleurs ce même texte exige qu’une information «  sur les risques afférents à l’instrument financier pro-posé78 » soit donnée, ce qui est plus précis qu’une information relative « aux carac-téristiques du produit proposé79 », et se rapproche d’une mise en garde, même si le texte n’emploie pas ces termes.

Encadrement de la commercialisation. Vers une évolution ? — Mais l’information, aussi complète soit-elle, n’est pas toujours l’élément pris en compte lors de la décision, souvent parce qu’elle est trop fournie et trop technique80. Aussi convient-il d’ap-prouver le durcissement opéré par la jurisprudence en matière de techniques de commercialisation des instruments financiers. Dans une décision du 24 juin 200881, la faute du commercialisateur de parts d’OPCVM a été retenue en raison de l’absence de cohérence entre la publicité (« Vous n’avez pas à vous inquiéter de l’évolution des marchés financiers ») et les caractéristiques de l’instrument finan-cier proposé82. Ce qui est intéressant dans cette décision de cassation c’est que les juges du fond avaient considéré que la cliente avait été dûment informée par la

76. Sur l’encadrement, tardif, des agences de notation, acteur central dans l’évaluation des risques attachés aux instruments commercialisés sur les marchés, v.  infra partie relative à l’encadre-ment des acteurs des marchés financiers.

77. Art. L. 533-12, II C. mon. fin.78. Art. L. 533-12, II C. mon. fin. V. également RG AMF art. 314-34 s.79. Com. 5 févr. 2008, préc.80. Le régulateur se préoccupe régulièrement d’améliorer le contenu des documents remis au

souscripteur (v.  «  Guide de bonnes pratiques pour la rédaction des documents commerciaux et la commercialisation des instruments financiers », AMF 21 juin 2010). Il consacre également des règles détaillées relatives à l’information sur les performances de l’instrument financier, art. 314-13 à 314-15 RG AMF.

81. Bull.  civ.  IV, no  127, analyse confirmée par une décision du 19  janv. 2010, pourvoi no 09-10.627, RD banc. fin. 2011, no 77, comm. M. Storck.

82. Qui conduisait à une perte en capital, ce que ne faisait pas apparaître la publicité qui laissait entendre que l’investissement n’était pas soumis à l’aléa de marché. Critique envers cette décision, le professeur Martin estime « qu’un tel risque, inhérent à un produit de marché, est, sauf débilité, connu de tout souscripteur » et que cela revient à imposer à la publicité financière une inscription en gros caractères, à l’instar de celle qui figure sur les paquets de cigarettes, « Investir peut nuire gravement à votre patrimoine » (D. 2009. 1054), cela résume admirablement le débat... Cette décision participe peut-être d’un mouvement de « consumérisation » du droit financier, justifié si on prend en considé-ration la masse des investisseurs individuels.

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remise de la notice d’information visée par l’autorité de marché, ce qui lui interdi-sait d’attaquer l’information publicitaire. Les motifs de la cassation conduisent à s’interroger sur le point de savoir si la remise de la note d’information est suffisante, ou bien si le prestataire doit de plus attirer l’attention du souscripteur sur les risques potentiels attachés au produit. Dans une matière voisine, celle de l’obligation d’in-formation du banquier en matière d’assurance groupe, un arrêt d’assemblée plé-nière83 a énoncé que la remise de la notice ne suffit pas à satisfaire à cette obliga-tion, que le banquier devait de surcroît « éclairer l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle ». Cette formule fait écho à celles employées par les nouveaux textes issus de la MIF qui font obligation au profession-nel de vérifier le caractère adéquat ou approprié du service ou de l’instrument pro-posé84. La jurisprudence dispose, par conséquent, des moyens d’évoluer pour étendre la protection offerte à l’investisseur, comme en matière bancaire.

Si l’aléa attaché à la variation du cours de l’instrument financier, subi par l’in-vestisseur, est le mieux connu, il n’est cependant pas le seul aléa auquel donne nais-sance une transaction. Des incertitudes sont susceptibles de peser sur l’exécution de la transaction.

B. LA MAÎTRISE DE L’ALÉA RELATIF À L’EXÉCUTION DE LA TRANSACTION

L’aléa attaché à la variation du cours de l’instrument financier n’est pas nouveau, il a simplement pris une dimension nouvelle en raison du développement des mar-chés financiers et de l’ingénierie financière. Mais l’expansion des marchés finan-ciers et la récente crise ont mis en lumière que ce n’était pas la seule incertitude que faisait naître ce secteur. Il existe bel et bien un aléa attaché à la bonne fin des opé-rations conclues sur les marchés. Le risque de contrepartie est loin d’être négli-geable, et il est lui-même porteur d’un risque dit systémique. Ce dernier consiste en l’hypothèse de défaillances en chaîne, la défaillance d’un membre du marché étant susceptible d’entraîner celle d’autres membres voire celle du système tout entier. Ce risque est identifié depuis longtemps puisque la sécurité des marchés constitue l’un des principes directeurs du droit des marchés financiers85. L’aléa du marché est donc loin de se limiter au seul aléa relatif aux instruments financiers eux-mêmes. Mais la réaction du droit n’est pas la même car l’objectif de sécurité des transactions s’op-pose à l’idée d’aléa. Pour le droit du marché, l’exécution des transactions ne peut être empreinte d’incertitude, bien au contraire nombreuses sont les règles qui visent à réduire le plus possible cet aléa. Ces normes existent, la récente crise a cependant incité à s’interroger sur l’opportunité de les durcir et/ou de les compléter. Dans ce

83. Cass., ass. plén., 2 mars 2007, Bull. ass. plén., no 4.84. Art. L. 533-13, I et II C. mon. fin.85. V. par ex. l’intitulé de la loi du 2 août 1989 « Sécurité et transparence des marchés finan-

ciers  », sur le «  principe directeur des marchés financiers relatif à la sécurité  », v.  T.  Bonneau et F. Drummond, ouvr. préc., § 22.

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domaine également, l’aléa du marché est bien plus grand sur les marchés dits de gré à gré que sur les marchés réglementés ou organisés, sur lesquels s’appliquent des règles visant à prévenir une éventuelle inexécution. Mais même sur les marchés réglementés, la crise a démontré que les normes existantes étaient sans doute insuf-fisantes et qu’il fallait réglementer davantage ce secteur d’activité. Cette nécessité a trait aussi bien à l’encadrement des acteurs du marché (1) qu’aux produits eux-mêmes (2).

1. La régulation des acteurs des marchés financiers

Visant à prévenir une défaillance d’un intervenant86, puis une défaillance en domino, de nombreuses règles existent afin de s’assurer que l’exécution des transac-tions sera menée à bonne fin. Participe de cet objectif, l’exécution des transactions par le biais d’une chambre de compensation. Celle-ci, à la fois contrepartie centrale du marché et garante de la bonne fin des transactions87, dispose d’un fonds de garantie de la compensation dans lequel elle puise, in fine, lorsqu’elle a exécuté une transaction en lieu et place d’un acteur du marché. Ce fonds de garantie est ali-menté par les adhérents, on retrouve là une forme de mutualisation du risque sem-blable à celle de l’assurance. Mais avant d’en arriver à ce qui est considéré comme une situation extrême, les règles de marché contiennent des dispositions visant à prévenir l’inexécution. Vouloir ouvrir les marchés financiers à des sources de finan-cement nouvelles est une chose, s’assurer que les donneurs d’ordre sont en mesure d’exécuter leurs engagements en est une autre. Des institutions anciennes existent, mais leur application laisse parfois à désirer ainsi que l’a démontrée la récente crise. Il est ainsi apparu que le comportement de certains intervenants était susceptible d’augmenter l’aléa du marché et qu’il convenait par conséquent de mieux encadrer les pratiques. C’est essentiellement un durcissement à l’égard des prestataires de services d’investissement qui s’est produit. On observe la même évolution à l’en-contre d’autres intervenants.

PSI. Durcissement dans l’application des règles déontologiques. — Profession historique des marchés88, bénéficiaire d’un monopole de négociation89, elle se situe au cœur du fonctionnement des marchés. Ce rôle essentiel a encore été renforcé par la transpo-sition de la directive MIF. Cette dernière a considérablement alourdi les obligations des prestataires de services d’investissement, notamment en ce qui concerne les

86. La défaillance visée ici est celle de l’inexécution d’un engagement sur le marché, de nom-breuses normes ont également pour finalité la prévention de la défaillance d’un intervenant du sys-tème financier en général, on songe notamment à toutes les règles prudentielles bancaires.

87. Pour une explication à cette incompatibilité juridique, v. A.-V. Le Fur, La compensation dite multilatérale, Éd.  Panthéon-Assas, 2003 et M.  Roussille, La compensation multilatérale, Dalloz, coll. « Nouv. bibl. de thèses », t. LIX, 2006.

88. Anciennement connue sous l’appellation d’agents de change puis de sociétés de bourse.89. Ce monopole existe toujours, après transposition de la directive MIF, sur les « systèmes mul-

tilatéraux de négociation », il porte le nom « d’obligation d’intermédiation ».

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relations avec leurs clients90. Les prestataires de services d’investissement ont un rôle central sur les marchés notamment en ce qui concerne l’exécution des transac-tions parce qu’ils interviennent en qualité de commissionnaire. Ils sont par consé-quent engagés proprio nomine par les transactions qu’ils concluent91. Cela signifie que si le donneur d’ordres est insolvable, le prestataire de services d’investissement en supportera les conséquences92. Aussi depuis longtemps les règles de marché contiennent-elles des dispositions visant à garantir l’exécution par le donneur d’ordres ou, à défaut, son éviction du marché. Il s’agit des obligations de couverture, de règlement des marges et de liquidation d’office des positions. Ces obligations concernent pour l’essentiel les marchés à terme, pour lesquels le risque d’inexé-cution à l’échéance est plus élevé.

La couverture consiste en un versement d’une somme d’argent représentant un pourcentage du montant de l’engagement à terme93 par le donneur d’ordres au pro-fit du professionnel au moment de la passation de l’ordre. Cette couverture fait ensuite l’objet d’un ajustement journalier par le biais d’un appel de marge. La marge est l’écart entre le prix d’exercice de l’instrument à terme et le cours du marché94. Elle représente en quelque sorte une actualisation du prix du contrat et permet de recevoir ou de payer par fractions son gain ou sa perte. Ainsi, le jour de l’échéance, l’exécution de l’instrument à terme ne consiste que dans le paiement d’une ultime marge. Il est aisé de percevoir la fonction de garantie des marges, l’aléa relatif à l’exécution de la transaction à l’échéance est moins grand puisque les parties se sont exécutées un peu tous les jours.

Obligation de couverture. Évolution. — La couverture et les marges doivent être ver-sées par le donneur d’ordres au prestataire puis par le prestataire à la chambre de compensation. Cette vision est hélas trop théorique. En pratique ces garanties sont demandées avec grande rigueur par la chambre de compensation à ses adhérents. On observe en revanche que les prestataires de service d’investissement négligent fréquemment de les exiger de leurs clients. Cela peut surprendre car ces garanties ont été édictées dans l’intérêt des professionnels et lorsque ceux-ci s’acquittent de leurs obligations envers la chambre sans réclamer les sommes correspondantes à leurs clients, ils consentent nécessairement une avance de trésorerie95. Pourquoi les

90. Citons sans exhaustivité, l’obligation de catégorisation des clients, l’obligation de conclure une convention écrite, l’obligation de se renseigner sur l’expérience, la situation patrimoniale et les objectifs de leurs clients, l’obligation d’information et de mise en garde ...

91. Civ. 14 juin 1892, DP 1893. I. 500.92. Si le prestataire d’investissement est incapable d’exécuter la transaction, c’est la chambre de

compensation qui viendra se substituer à lui pour assurer l’exécution, du moins sur les marchés où elle intervient.

93. La couverture peut également consister en des titres, leur propriété sera alors transférée au prestataire de services d’investissement. Elle représente en général 20 % du montant de la transaction.

94. Pour une présentation détaillée du calcul quotidien des marges, v. T. Bonneau et F. Drum-mond, ouvr. préc., § 904.

95. Cette avance de fonds est réduite par le fait que les marges positives font également l’objet d’un versement, qui vient par conséquent diminuer les sommes dues au titre de l’évolution défavo-rable des cours.

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professionnels n’appellent-ils pas les couvertures ? Tout simplement parce que la couverture réduit la rentabilité de l’opération — elle diminue le fameux effet de levier — et surtout elle permet au donneur d’ordres de mesurer l’ampleur de son engagement, et peut, à cet égard, le dissuader de s’aventurer dans des transactions aussi risquées96. Pendant longtemps la jurisprudence a refusé au donneur la possibi-lité de se prévaloir du défaut d’appel de couverture pour mettre en jeu la responsabi-lité du professionnel. Elle se fondait pour cela sur le fait que l’obligation de couver-ture avait été édictée « dans l’intérêt du professionnel et dans celui de la sécurité du marché97 », et non dans l’intérêt du donneur d’ordres. Cette analyse venait priver une grande partie des règles du droit financier de leur effectivité. Uniquement pas-sibles de sanctions disciplinaires, leur application n’était pas assurée, et, parmi ces règles, la méconnaissance de toutes celles ayant pour finalité la bonne exécution des transactions se révèle très dangereuse pour la sécurité du marché. Aussi ne peut-on que se féliciter du revirement de jurisprudence intervenu en février 200898. Désormais les donneurs d’ordre peuvent mettre en jeu la responsabilité civile des prestataires de service d’investissement pour tout manquement à leurs obligations professionnelles. Voilà un excellent moyen juridique de conférer à ces obligations une plus grande portée et donc d’assurer, par ricochet, la sécurité du marché. En effet nombreuses sont les dispositions qui visent à lutter contre le risque d’inexé-cution à l’échéance, et les marchés financiers ont tout à gagner à ce qu’elles soient strictement appliquées.

Deux exemples supplémentaires, tirés de la jurisprudence, viennent illustrer cette affirmation. Les prestataires de service d’investissement qui acceptent les ordres donnés par internet doivent se doter d’un système de blocage automa-tique des ordres, notamment afin d’éviter les erreurs de saisie. Une telle erreur a été commise par un donneur d’ordres et son ordre a été transmis par le professionnel, sans contrôle, au marché. Son exécution puis la contrepassation de l’ordre en sens inverse a engendré une perte substantielle pour le donneur d’ordres. Son action en responsabilité contre son intermédiaire a été accueillie favorablement99. Dans le même sens on citera une décision relative à la liquidation d’office des positions. Celle-ci doit être mise en œuvre par le professionnel dès lors que le donneur d’ordres manque à son obligation de verser la couverture et les marges. Elle signifie que le donneur d’ordres va être exclu du marché en passant des opérations de sens

96. La jurisprudence, afin de permettre au donneur d’ordres de se prévaloir du défaut d’appel de couverture par l’intermédiaire, a estimé que cela pouvait s’analyser comme un manquement à l’obliga-tion d’information et ce d’autant plus facilement que la couverture doit être demandée avant la conclusion de la transaction. V. par ex. Com. 14 janv. 2003, pourvoi no 99-20.872.

97. Souligné par nous, v. par ex. Com. 8 juill. 2003, Bull. civ. IV, no 118.98. Com. 26 févr. 2008, Bull. civ. IV, no 42.99. L’intermédiaire est tenu d’une obligation de filtrage des ordres, précisément afin d’éviter que

des ordres aberrants ne soient transmis au marché, v. CA Paris 22 oct. 2009, req. no 2009-019719, et aussi Com. 4 nov. 2008, Bull. civ.  IV, no 185 à propos d’un ordre passé par internet qui excédait le plafond contractuellement convenu.

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contraire à celles qu’il avait souscrit100. L’intérêt de cette institution, dont la fina-lité consiste en l’élimination des donneurs d’ordres insolvables, au regard de l’objec-tif de sécurité du marché semble évident. Pour autant, la liquidation d’office des positions a longtemps été considérée comme une simple faculté pour le profession-nel101. Elle fait désormais partie des obligations professionnelles passibles de sanc-tions civiles102 et on ne peut que se réjouir de ce durcissement à l’égard des pra-tiques des professionnels des marchés. L’aléa lié à l’inexécution des transactions ne doit pas être sous-estimé, notamment car il engendre une incertitude sur la capacité du marché à absorber la défaillance d’un ou plusieurs intervenants. La contractua-lisation des règles de bonne conduite103 constitue à cet égard un progrès dans l’application des normes existantes.

Régulation des autres intervenants. — Si les prestataires de services d’investissement jouent un rôle essentiel au bon fonctionnement du marché, d’autres professionnels y contribuent également. La crise a démontré qu’ils sont nombreux et l’exercice de leur activité est souvent sous-encadré. Les derniers mois ont fourni leur lot de règles nouvelles adoptées avec le souci de ne plus subir une crise financière de la même ampleur. Lorsque l’on entend réduire l’aléa du marché lié à une mauvaise exécution des transactions, hormis le durcissement précédemment évoqué à l’égard des presta-taires de services d’investissement, c’est principalement le post-marché qui doit être encadré. Ce terme désigne toutes les opérations relatives à l’exécution des transac-tions, qui reposent sur des systèmes de règlement-livraison auxquels participent les chambres de compensation, les banques nationales, les dépositaires centraux des titres. Ce domaine n’a fait l’objet d’aucune régulation par la directive MIF, mais cet oubli devrait être réparé lors de sa révision, actuellement en projet. Il est éminem-ment souhaitable que le post-marché, élément central dans la réduction de l’aléa attaché à l’exécution des transactions, fasse l’objet d’une réglementation.

D’autres acteurs des marchés financiers ont déjà fait l’objet d’une réglemen-tation post-crise. Deux exemples illustrent la complexité de la matière, les agences de notation et les fonds alternatifs. Les agences de notation ont été montrées du doigt car elles ont été jugées en partie responsables de la crise. Les agences de nota-tion sont en quelque sorte des experts de l’aléa de marché puisqu’elles notent les émetteurs de titres104 et les titres émis, notes censées contribuer à évaluer plus facilement la qualité des instruments acquis. Cette activité, très peu encadrée, a notamment montré lors de la crise que les conflits d’intérêts étaient susceptibles de jeter le discrédit sur les notes attribuées. Par ailleurs, les agences de notation pro-duisent de l’information financière qui influence fortement les investisseurs, la

100. Cela est possible grâce à l’intervention de la chambre de compensation, v. supra.101. Le raisonnement était sensiblement identique à celui mené en matière de couverture.102. Com. 24 nov. 2009, pourvoi no 08-13.295.103. Il s’agit de la dénomination des règles déontologiques dans le Code monétaire et financier.104. Par exemple la notation est obligatoire avant l’émission de parts d’un fonds commun de

créance, lorsqu’elles font l’objet d’une offre au public. Art. L. 214-44 C. mon. fin.

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dégradation brutale de ces notes fragilise l’entité qui en est victime, ce qui induit un risque pour le système tout entier. Ces agences ont fait l’objet d’une réglementation communautaire105, que beaucoup jugent insuffisante.

S’agissant ensuite des fonds alternatifs (ou « hedge funds »), il s’agit de fonds d’investissement à très hauts risques, susceptibles de subir les effets d’une défaillance d’une des entités dans lesquelles ils investissent. Le régulateur communautaire est là aussi intervenu106 afin de contrôler davantage ces fonds, en réservant notamment la possibilité de limiter l’usage de l’effet de levier. Ainsi, en limitant l’exposition à l’aléa de marché traditionnel, le législateur entend réduire l’aléa attaché à l’exé-cution des transactions et le risque systémique.

2. Régulation des instruments et des pratiques

Il est également apparu nécessaire d’encadrer certains produits ou certaines pra-tiques. La question s’est principalement posée à propos de dérivés, de la titrisation et des ventes à découvert. S’agissant tout d’abord des dérivés, il a été montré précé-demment qu’instruments de transfert du risque, ils participent à la propagation dudit risque au marché. Ils ont par conséquent été rendus responsables de l’ampleur de la crise financière. La réaction du droit face au développement des dérivés est en train de s’écrire, avec notamment une volonté de rendre plus sûres les transactions conclues de gré à gré107. Les mêmes questions se posent à propos de la titrisation, elle aussi responsable de la diffusion de risques au marché.

S’agissant ensuite des ventes à découvert, elles illustrent la difficile position du législateur face à certaines pratiques de marché, en l’espèce la spéculation à la baisse. Faut-il les interdire, les encadrer ou seulement les contraindre à davantage de transparence108 ? Le futur règlement communautaire retient une solution hybride, transparence en période normale, encadrement et restrictions en cas de troubles affectant le marché.

Ce qui n’était qu’une hypothèse d’école, une petite incertitude relative à l’exé-cution des transactions est désormais une certitude  : les marchés financiers sont source d’aléa, ils sont facteurs de risques, non seulement pour eux-mêmes mais pour l’économie tout entière. Face aux marchés financiers, il est toujours difficile de déterminer jusqu’où la règle de droit doit aller. Un droit trop invasif pèse sur les investissements et la liquidité des marchés et donc sur l’économie. Un droit trop permissif engendre des pratiques incontrôlables. Le curseur est difficile à position-ner. Aléa et marchés financiers, incertitudes du droit...

105. Règl. CE no 1060/2009 du 16 sept. 2009.106. Dir. AIFM du 11 nov. 2010.107. V.  par  ex. A.  Reygrobellet, «  Quel encadrement normatif pour les produits dérivés ?  »,

RTDF 2010, no 1, p. 73.108. V. commentaire de T. Bonneau sur la proposition de règlement communautaire relatif aux

ventes à découvert, RD banc. fin. 2010, no 238. La loi de régulation bancaire et financière (no 2010-1249 du 22 oct. 2010) entend régler la difficulté en diminuant le délai de livraison (art. L. 211-17-1, II C. mon. fin.).

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Observations finales

Alain BénabentAgrégé des Facultés de droit,

avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

En 52 avant Jésus-Christ, époque bien connue des amateurs de bandes dessinées, pendant qu’un petit village gaulois ignorait sa gloire future, Cicéron atteignait à Rome l’apogée de la sienne en sa double qualité d’homme politique et de juriste. Si la première devait funestement le conduire sur les « rostres » du forum, la seconde a laissé l’exemple fameux de la vente ambiguë du « coup de filet » : vente de chose future (et donc conditionnelle) si les parties ont entendu traiter sur le produit espéré de la pêche (venditio rei speratae), mais contrat aléatoire (et donc ferme) si c’est la chance de pêche elle-même qui a été troquée contre un prix alors dû quel que soit le résultat (venditio spei).

Depuis lors, comme auparavant, le droit a toujours été confronté à l’aléa et a dû réagir, d’une façon ou d’une autre, à cette donnée primordiale qui innerve nos vies, sociales ou individuelles, du début (le hasard de la naissance) jusqu’à la fin (les décès accidentels de toutes sortes).

Le droit étant par nature volonté d’organisation et de prévision, l’omni-présence de l’aléa lui a toujours posé problème : c’est le grain de sable qui enraye les meilleures machines, l’imprévisible qui déjoue les plans les plus minutieux, le « concours de circonstances » qui humilie les meilleurs organisateurs.

La réaction humaine —  philosophique  — à cette perturbation constante a longtemps été faite d’humilité, par une sorte de partage de compétence : au droit le gouvernement de ce qui peut dépendre de l’homme et de ses moyens d’action limités ; à la religion la soumission aux forces supérieures qui entrechoquent nos vies et nos sociétés.

Mais notre époque n’est plus à l’humilité : acceptant de plus en plus mal d’être en butte à l’aléa, elle prétend le maîtriser ou s’en amuser et nos scientifiques ont inventé les calculs de probabilité pendant que nos pouvoirs publics ont eux-mêmes organisé la concurrence des églises par les tiercés, quintés et lotos. Et la journée

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d’aujourd’hui a bien reflété cette volonté de « domestiquer » le hasard : les termes de « maîtrise », « régulation », « gestion » de l’aléa sont revenus en leitmotiv.

Il serait vain de vouloir «  synthétiser » une journée aussi riche en vagabon-dages par monts et par vaux : mieux vaut peut-être tenter, pour réduire le bagage de retour, de hasarder un double constat sur la situation actuelle de l’aléa en droit : il est partout mais il est en crise.

I. L’UBIQUITÉ DE L’ALÉA EN DROIT

Le programme le laissait entendre, les propos l’ont largement confirmé : le droit contemporain porte la marque d’une conscience de plus en plus étendue du phé-nomène aléatoire et des efforts déployés pour l’intégrer dans le champ juridique.

On en trouve des manifestations dans toutes les disciplines et toutes les direc-tions. Aux plus classiques (la catégorie même des contrats aléatoires ou le tirage au sort dans les partages) sont venues progressivement s’en ajouter de plus récentes (la perte d’une chance en matière de responsabilité, les loteries objet de nouveaux quasi-contrats, etc.), non sans parfois des dévoiements (comme l’assimilation oppor-tuniste des contrats de capitalisation à des assurances sur la vie). Même le droit pénal est entré dans le jeu, avec ce nouveau délit de « mise en danger ».

Et aussi, peut-être plus frappant, la prise de conscience de ce que le droit lui-même n’échappe pas au phénomène et est objet d’aléa : on le sait depuis longtemps pour les procès (d’où le vieux régime du retrait litigieux), mais la préoccupation est plus récente pour la règle de droit, surtout quand elle est jurisprudentielle (d’où le vœu de traiter l’aléa des revirements).

Y a-t-il des lignes directrices à dégager de ce foisonnement ? Peut-être l’impres-sion que notre droit est presque obnubilé par un souci dominant de protection contre les aléas de toutes sortes : alors qu’on délaisse avec méfiance le tirage au sort —  quoi de plus impartial pourtant, le sort n’est-il pas aussi aveugle que la jus-tice ? —, on voit se multiplier les mesures de protection : protection des consomma-teurs, protection des plaideurs, protection des épargnants, etc. C’est sans doute le reflet du sentiment plus ou moins inconscient que l’aléa est souvent source d’iné-galités, et ainsi peu démocratique, parfois même source de malheur et appelle ainsi à la solidarité. Lui laisser libre cours par un abandon au « fatum » serait méconnaî-tre deux des trois piliers de la devise nationale, l’égalité et la fraternité.

Mais, prise en ce sens, la tâche ne se renouvelle-t-elle pas indéfiniment et notre droit, placé dans la position de Sisyphe, ne s’essouffle-t-il pas ? D’où l’hypo-thèse d’une crise de l’aléa.

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Observations finales 101

II. LA CRISE DE L’ALÉA EN DROIT

Bien que le thème soit à la mode, ce qui doit toujours commander une certaine défiance, on se résigne à l’évoquer ici tant la notion d’aléa, malgré son omnipré-sence, semble appartenir aux mal-aimés du droit contemporain. Et, comme pour tout mal-aimé, la double question se pose : l’aléa est-il encore bien compris, est-il encore bien accepté ?

A. On peut parfois se demander si la notion est encore bien comprise, dans sa structure profonde. N’a-t-on pas tendance à n’y voir que l’expression de ce qui est incertain, peu maîtrisable, irrationnel, et par là perturbant, désarmant pour les juris-tes ? L’aléa serait en quelque sorte « anti-juridique ». D’où un certain malaise des juristes, voire une certaine répulsion, qui va parfois jusqu’à se traduire par l’igno-rance : il est frappant, par exemple, de constater que les contrats aléatoires sont absents de presque tous les ouvrages actuels de « contrats spéciaux », de même qu’ils le sont des « Principes européens ».

C’est peut-être dommage car le régime de ces contrats met bien en lumière qu’au-delà de la surface des choses, ce qui fait l’essence de l’aléa, c’est la nécessaire balance entre risque de perte, d’un côté, et chance de gain, de l’autre côté : en droit (comme dans la vie en général d’ailleurs), l’un ne va pas sans l’autre, ils sont les corollaires nécessaires composant la structure même de l’aléa. C’est vrai pour les contrats aléatoires (même si, préoccupations fiscales aidant, on l’a opportunément oublié pour les contrats de capitalisation...), mais aussi de façon plus générale : par exemple en matière de responsabilité civile où le retour aux fondamentaux conduit à rechercher, pour admettre une responsabilité pour risque, si l’activité créatrice de ce risque est corollairement génératrice de profit, et au bénéfice de qui. Cette balance, qui est la philosophie même de l’aléa, semble parfois perdue de vue, par exemple lorsque telle banque se plaint des pertes d’un de ses traders sans avoir dit mot tant que son activité lui procurait des gains, ou lorsque tel casino refuse de verser ses gains à un joueur « interdit » après l’avoir benoîtement laissé faire des pertes... En constatant que banque et casino ont obtenu gain de cause en justice, on comprend qu’on puisse s’interroger sur la compréhension même de la notion d’aléa par la jurisprudence contemporaine.

Mais le ressort de cette incompréhension se trouve peut-être dans le second volet de cette crise de l’aléa, qui réside plus radicalement dans un refus d’acceptation.

B. L’environnement contemporain, assurément rationaliste, scientifique et sécuri-taire, rend à la vérité de plus en plus insupportable l’existence d’aléas, perçus comme des poches de résistance aux forces humaines, qu’il faut réduire à toute force et dont la reconnaissance même serait le signe d’une sorte de défaitisme. Protection et sécurité sont, pourrait-on dire, devenues les deux mamelles du droit contemporain.

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L’aléa102

D’où la traque de tous les risques : « sécurité juridique » agitée à tout propos, « régulation » recherchée dans tous les domaines, principe de précaution idéalisé et constitutionnalisé, et même chasse aux «  risques de risque  » (OGM, antennes radioélectriques, etc.).

Ces efforts sont incontestablement source de progrès constants dans l’organi-sation sociale qui est l’objet même du droit. Mais les soutenir et vouloir les pour-suivre ne dispense pas du constat lucide que l’existence même d’aléas est consubs-tantielle à la vie des sujets de droit : les combattre par tous les moyens juridiques disponibles (en particulier la responsabilité civile) n’exclut donc pas d’en traiter la part irréductible par d’autres moyens (les contrats et, en particulier, l’assurance).

La journée d’aujourd’hui a eu le mérite de mettre en pleine lumière ces divers aspects et l’importance juridique de l’aléa.

L’idée qu’on peut en dégager, pour finir, est que cette notion n’est pas protéi-forme, pas plus que ne l’est la notion de faute : c’est aussi une notion homogène, mais tout aussi tentaculaire, et tout aussi importante. Et s’il est vrai que les juristes sont enclins à être plus familiers de celle de faute (peut-être par sa référence à la morale, qui est toujours leur péché mignon), puisse cette journée encourager les plus courageux à investir tout autant celle d’aléa.

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Statuts de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française

(statuts dont les modifications ont été approuvées par décret du 7 mars 1977)

I. BUT ET COMPOSITION DE L’ASSOCIATION

Art. 1er. – L’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française, fondée en 1935 à Paris, a pour but :

1o d’établir des relations personnelles régulières entre les juristes attachés à la culture juridique française et, plus largement, la culture juridique romaniste, quelle que soit leur nationalité ;

2o d’organiser des congrès périodiques, nationaux et internationaux, consacrés à l’étude des ques-tions de droit propres à mettre en relief la valeur de ces cultures.

Sa durée est illimitée.Elle a son siège social à Paris.

Art. 2. – Les moyens d’action de l’association sont : des bulletins, des conférences, des congrès pério-diques, et, de manière générale, les moyens de nature à permettre une collaboration scientifique.

Art. 3. – L’association se compose :1o de personnes physiques qui doivent être des juristes ;2o de personnes morales publiques (établissements publics) ou privées (associations reconnues

d’utilité publique, associations déclarées conformément à l’article-5 de la loi du 1er juillet 1901).Pour adhérer, il faut être présenté par deux membres et être agréé par le Conseil d’administration.La cotisation annuelle minimum est de 50 euros pour les personnes physiques (25 euros pour les

étudiants). Elle est portée à la somme minimale de 100 euros pour les personnes désirant recevoir les publications de l’association (75 euros pour les étudiants).

Les cotisations annuelles peuvent être modifiées par décision de l’Assemblée générale.Le titre de membre honoraire peut être donné par le Conseil d’administration aux personnes

qui ont manifesté pendant de longues années leur intérêt à l’association. Ce titre confère aux per-sonnes qui l’ont obtenu le droit de faire partie de l’Assemblée générale sans être tenues de payer une cotisation.

Art. 4. – La qualité de membre de l’association se perd :1o par la démission ;2o par la radiation prononcée, pour non-paiement de la cotisation ou pour motifs graves, par le

Conseil d’administration, le membre intéressé ayant été préalablement appelé à fournir ses explica-tions, sauf recours à l’Assemblée générale.

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II. ADMINISTRATION ET FONCTIONNEMENT

Art. 5. – L’association est administrée par un Conseil dont le nombre des membres fixé par délibération de l’Assemblée générale, est compris entre 16 et 24. Les membres du Conseil sont élus au scrutin secret pour trois ans par l’Assemblée générale, et choisis dans les catégories de membres dont se compose cette Assemblée. Ils sont rééligibles.

En cas de vacance, le Conseil pourvoit provisoirement au remplacement de ses membres. Il est procédé à leur remplacement définitif par la plus prochaine Assemblée générale. Les pouvoirs des membres ainsi élus prennent fin à l’époque où devrait normalement expirer le mandat des membres remplacés.

Le Conseil choisit parmi ses membres, au scrutin secret, un bureau élu pour trois ans, composé des président, trois vice-présidents, secrétaire général, trésorier. Il peut aussi, sans que ses effectifs n’excèdent le tiers de ceux du conseil d’administration, désigner un secrétaire général adjoint, dans les mêmes conditions.

Le Conseil choisit, pour se compléter, deux membres de deux Comités locaux étrangers de l’association, ceux-ci restant en fonctions pendant une période de deux années ; ils n’ont qu’une voix consultative.Art. 6. – Le Conseil se réunit deux fois par an au moins et chaque fois qu’il est convoqué par son président ou sur la demande du quart de ses membres.

La présence du tiers au moins des membres du Conseil d’administration est nécessaire pour la validité des délibérations.

Chaque administrateur ne peut détenir plus d’un pouvoir.Il est tenu un procès-verbal des séances.Les procès-verbaux sont signés par le président et le secrétaire général. Ils sont établis sans blancs

ni ratures, sur des feuilles numérotées, conservées au siège de l’association.Art. 7. – Les membres de l’association ne peuvent recevoir aucune rétribution en raison des fonctions qui leur sont confiées.

Des remboursements de frais sont seuls possibles. Ils doivent faire l’objet d’une décision expresse du Conseil d’administration statuant hors de la présence des intéressés ; des justificatifs doivent être produits, qui font l’objet de vérifications.

Les agents rétribués de l’association peuvent être appelés par le président à assister avec voix consultative aux séances de l’Assemblée générale ou du Conseil d’administration.Art. 8. – L’Assemblée générale de l’association comprend les membres titulaires et honoraires, les per-sonnes morales y sont représentées par un seul délégué. Elle se réunit une fois par an et chaque fois qu’elle est convoquée par le Conseil d’administration ou sur la demande du quart au moins de ses membres.

Son ordre du jour est réglé par le Conseil d’administration.Son bureau est celui du Conseil.Elle entend les rapports sur la gestion du Conseil d’administration, sur la situation financière et

morale de l’association.Elle approuve les comptes de l’exercice clos, vote le budget de l’exercice suivant, délibère sur

des questions mises à l’ordre du jour, et pourvoit, s’il y a lieu, à la désignation des membres du Conseil d’administration.

Le rapport annuel et les comptes sont à la disposition préalable des membres de l’association, au secrétariat.

Sauf application des dispositions de l’article précédent, les agents rétribués de l’association n’ont pas accès à l’Assemblée générale.Art. 9. – Le président représente l’association dans tous les actes de la vie civile, ordonnance les dépenses et peut donner délégations dans des conditions qui sont fixées par le règlement intérieur.

En cas de représentation en justice, le président ne peut être remplacé que par un mandataire agissant en vertu d’une procuration spéciale.

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Statuts de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française 105

Les représentants de l’association doivent jouir du plein exercice de leurs droits civils.Art. 10. – Les délibérations du Conseil d’administration relatives aux acquisitions, échanges et alié-nations des immeubles nécessaires au but poursuivi par l’association, constitutions d’hypothèques sur lesdits immeubles, baux excédant neuf années, aliénations de biens rentrant dans la dotation et emprunts, doivent être soumises à l’approbation de l’Assemblée générale.Art. 11. – Les délibérations du Conseil d’administration relatives à l’acceptation des dons et legs ne sont valables qu’après l’approbation administrative donnée dans les conditions prévues par l’article 910 du Code civil, l’article 7 de la loi du 4 février 1901 et le décret no 66-388 du 13 juin 1966.

Les délibérations de l’Assemblée générale relatives aux aliénations de biens mobiliers et immobiliers dépendant de la dotation, à la constitution d’hypothèques et aux emprunts, ne sont valables qu’après approbation administrative.Art. 12. – Si la législation locale le permet, des Comités locaux peuvent être créés en pays étrangers par délibération du Conseil d’administration, approuvée par l’Assemblée générale. Ces Comités locaux, qui fonctionnent sous le contrôle du Conseil d’administration de l’association, ont un bureau composé d’un président, d’un secrétaire général et, s’il y a lieu, d’un ou deux vice-présidents et d’un trésorier.

Le rôle des Comités locaux étrangers est de faciliter le recrutement de nouveaux membres et de grouper par pays les membres de l’association en vue de faciliter le travail préparatoire aux congrès périodiques.

Les groupes locaux établissent un règlement intérieur qu’ils soumettent au Conseil d’adminis-tration qui doit l’approuver et qui exerce sur eux un contrôle direct. Les Comités locaux ne sont pas représentés comme tels à l’Assemblée générale ; ils peuvent l’être à tour de rôle au sein du Conseil d’administration.

Une conférence rassemble autour du bureau de l’Association, les présidents, vice-pré sidents, secrétaires généraux et trésoriers des comités locaux. Elle se réunit chaque année. Elle assiste le Conseil d’administration pour la préparation des Congrès périodiques inter nationaux.

III. DOTATION, FONDS DE RÉSERVE ET RESSOURCES ANNUELLES

Art. 13. – La dotation comprend :1o une somme de 45,73 euros placée conformément aux dispositions de l’article ci-après ;2o les immeubles nécessaires au but recherché par l’association ainsi que des bois, forêts ou

terrains à boiser ;3o les capitaux provenant des libéralités, à moins que l’emploi immédiat n’en ait été autorisé ;4o le dixième annuellement capitalisé du revenu net des biens de l’association ;5o la partie des excédents de ressources qui n’est pas nécessaire au fonctionnement de l’associa-

tion pour l’exercice suivant.Art. 14. – Tous les capitaux mobiliers, y compris ceux de la dotation, sont placés en titres pour lesquels est établi le bordereau de références nominatives prévu à l’article 55 de la loi no 87-416 du 17 juin 1987 ou en valeurs admises par la Banque de France en garantie d’avance. Ils peuvent être également employés soit à l’achat d’autres titres nominatifs, après autorisation donnée par arrêté, soit à l’acquisi-tion d’immeubles nécessaires au but poursuivi par l’association, ainsi que de bois, forêts ou terrains à boiser.Art. 15. – Les recettes annuelles de l’association se composent :

1o du revenu de ses biens à l’exception de la fraction prévue au 5o de l’article 13 ;2o des cotisations et souscriptions de ses membres ;3o des subventions de l’État, des départements, des communes et des établissements publics ;

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4o du produit des libéralités dont l’emploi est autorisé au cours de l’exercice ;5o des ressources créées à titre exceptionnel et, s’il y a lieu, avec l’agrément de l’autorité compé-

tente ;6o du produit des rétributions perçues pour service rendu.

Art. 16. – Il est tenu une comptabilité faisant apparaître annuellement un compte d’exploitation, le résultat de l’exercice et un bilan.

Chaque établissement de l’association doit tenir une comptabilité distincte qui forme un chapitre spécial de la comptabilité d’ensemble de l’association1.

Il est justifié chaque année auprès du préfet du département, du ministre de l’Intérieur et du ministre chargé de l’éducation nationale de l’emploi des fonds provenant de toutes les subventions accordées au cours de l’exercice écoulé.

IV. MODIFICATIONS DES STATUTS ET DISSOLUTION

Art. 17. – Les statuts ne peuvent être modifiés que sur la proposition du Conseil d’administration ou du dixième des membres dont se compose l’Assemblée générale.

Dans ce dernier cas, la proposition doit être soumise au Bureau au moins un mois avant la séance.

Dans l’un et l’autre cas, les propositions de modifications sont inscrites à l’ordre du jour de la prochaine Assemblée générale, lequel doit être envoyé à tous les membres de l’Assemblée au moins un mois à l’avance.

L’Assemblée doit se composer du quart au moins des membres en exercice. Si cette proportion n’est pas atteinte, l’Assemblée est convoquée de nouveau, mais à quinze jours au moins d’intervalle et cette fois, elle peut valablement délibérer, quel que soit le nombre des membres présents.

Dans tous les cas, les statuts ne peuvent être modifiés qu’à la majorité des deux tiers des membres présents ou représentés.Art. 18. – L’Assemblée générale, appelée à se prononcer sur la dissolution de l’association et convoquée spécialement à cet effet, dans les conditions prévues à l’article précédent, doit comprendre, au moins, la moitié plus un, des membres en exercice.

Si cette proportion n’est pas atteinte, l’Assemblée est convoquée à nouveau mais à quinze jours au moins d’intervalle, et cette fois, elle peut valablement délibérer quel que soit le nombre des membres présents.

Dans tous les cas, la dissolution ne peut être votée qu’à la majorité des deux tiers des membres présents ou représentés.Art. 19. – En cas de dissolution, l’Assemblée générale désigne un ou plusieurs commissaires chargés de la liquidation des biens de l’association. Elle attribue l’actif net à un ou plusieurs établissements analogues publics ou reconnus d’utilité publique.Art. 20. – Les délibérations de l’Assemblée générale prévues aux articles 18, 19 et 20 sont adressées sans délai au ministre de l’Intérieur et au ministre chargé de l’éducation nationale. Elles ne sont valables qu’après l’approbation du gouvernement.

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V. SURVEILLANCE ET RÈGLEMENT INTÉRIEUR

Art. 21. – Le président doit faire connaître dans les trois mois à la préfecture de Paris tous les change-ments survenus dans l’administration ou la direction de l’association.

Les registres de l’association et ses pièces de comptabilité sont présentés sans déplacement, sur toute réquisition du ministre de l’Intérieur ou du préfet de Paris, à eux-mêmes ou à leur délégué, ou à tout fonctionnaire accrédité par eux.

Le rapport annuel et les comptes – y compris ceux des Comités locaux – sont adressés chaque année au préfet du département, au ministre de l’Intérieur et au ministre chargé de l’éducation natio-nale.Art. 22. – Le ministre de l’Intérieur et le ministre chargé de l’éducation nationale ont le droit de faire visiter par leurs délégués les établissements fondés par l’association et de se faire rendre compte de leur fonctionnement.Art. 23. – Les règlements intérieurs préparés par le Conseil d’administration et adoptés par l’Assemblée générale doivent être soumis à l’approbation du ministre de l’Intérieur et adressés au ministre chargé de l’éducation nationale.

Siège de l’Association

12, place du Panthéon, 75005 PARISTéléphone : 01 43 54 43 17Télécopie : 01 40 51 86 52

E-mail : [email protected] Internet : www.henricapitant.org

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Publications de l’Association Henri Capitant

Journées de droit civil de Mons, année 1938 (Paris, Sirey, 1939, 124 p.).Journées de droit civil de Lille, année 1939 (Paris, Sirey, 1939, 96 p.).Premier Congrès international de l’Association Henri Capitant : Québec-Montréal, année 1939 (Montréal, 1940, 802 p.).Travaux de la Semaine internationale de droit de Paris de 1937, en participation avec la Société de législation comparée et la Société d’études législatives (Paris, Sirey, 1937, 1274-p.).Travaux de la Semaine internationale de droit de Paris de 1950, en participation avec la Société de législation comparée (Paris, Pédone, 1954).

TRAVAUX DES JOURNÉES INTERNATIONALES

– Tome I, année 1945.Travaux du groupe français. « L’opportunité d’une partie générale dans le futur Code civil

français ».Journées belges de Bruxelles et Gand. « L’intervention de l’État dans les contrats ». « La lésion

dans les contrats » (Dalloz, 1946, 234 p.).– Tome II, année 1946.

Journées suisses de Genève, Lausanne, Zurich et Bâle. « L’évolution du droit de propriété ». « L’influence du droit public sur le droit privé ». « La responsabilité sans faute ». « Les droits de la personnalité ».

Journées françaises de Paris. « L’action directe de la victime contre l’assureur de la responsabi-lité ». « Le contrôle de la puissance paternelle » (Dalloz, 1947, 506 p.).– Tome III, année 1947.

Journées de Luxembourg. « La notion juridique de l’entreprise ».Journées belges de Liège. « Le problème des fictions en droit civil » (Dalloz, 1948, 328 p.).

– Tome IV, année 1948.Journées néerlandaises de La Haye et Leyde. « L’enrichissement sans cause ». « La représentation

dans les actes juridiques ». (Dalloz, 1949, 162 p.).– Tome V, année 1949.

Travaux du groupe français. « Études sur le rôle du juge » (Dalloz, 1950, 154 p.).– Tome VI, année 1950.

Semaine internationale du droit de Paris. « Le problème de la méthode depuis le Code civil de 1804 ».

Journées belges de Verviers. « La propriété commerciale » (Dalloz, 1952, 192 p.).

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– Tome VII, année 1952.Journées canadiennes de Québec et Montréal. « L’évolution de la condition respective du mari

et de la femme dans le mariage ». « La stipulation pour autrui et ses principales applications ». « Le problème de la mutabilité du régime matrimonial ». « Le progrès de la science et le droit de la preuve ». « La notion de l’ordre public et des bonnes mœurs dans le droit privé ». « La notion d’obligation natu-relle et son rôle en droit civil » (Dalloz, 1956, 908 p.).

– Tome VIII, année 1953.Journées italiennes de Pavie et Milan. « L’intérêt d’actualité du projet de Code franco-italien

des obligations ». « L’influence des variations monétaires en matière de contrats de prêts et de rente viagère et en matière de contrats administratifs » (Dalloz, 1955, 308 p.).

– Tome IX, année 1955.Journées belges de Louvain, Bruxelles et Bruges. « La limitation de la responsabilité dans les

entreprises commerciales et les moyens de parer à ses dangers ». « L’assurance automobile obligatoire ». « La grève et le service public » (Dalloz, 1957, 350 p.).

– Tome X, années 1954 et 1956.Journées uruguayennes de Montevideo. « Le droit de veto dans les organisations interna-

tionales ». « La légitimation adoptive en droit français ». « Le droit des savants ». « Le mandat irré-vocable ».

Journées suisses de Fribourg, Berne et Neuchâtel. « Le boycottage ». « Les consortiums d’action-naires et la protection des minorités dans les sociétés anonymes ». « La vente à tempérament » (Dalloz, 1959, 460 p.).– Tome XI, année 1957.

Journées françaises de Lille. « Les situations de fait ». « Les sociétés de fait ». « Le gouvernement de fait » (Dalloz, 1960, 362 p.).

– Tome XII, année 1958.Journées canadiennes Québec, Montréal et Ottawa. « Les procédés de défense des intérêts patri-

moniaux de la famille légitime ». (Dalloz, 1961, 948 p.).

– Tome XIII, années 1959-1960.Journées espagnoles de Madrid. « Protection de la personnalité ».Journées françaises de Paris, Dijon et Strasbourg. « Les renonciations au bénéfice de la loi ». « Les

délits économiques » (Dalloz, 1963, 812 p.).

– Tome XIV, années 1961-1962.Journées luxembourgeoises de Luxembourg. « Les notions d’égalité et de discrimination en droit

interne et en droit international ».Journées italiennes de Turin. « Inexistence, nullité et annulabilité des actes juridiques » (Dalloz,

1965, 840 p.).

– Tome XV, année 1963.Journées brésiliennes de Rio de Janeiro. « La responsabilité civile et pénale des adminis trateurs

des sociétés. Les sociétés d’économie mixte, les entreprises publiques et les fondations. L’évolution des sociétés commerciales » (Dalloz, 1967, 940 p.).

– Tome XVI, année 1965.Journées belges de Liège. « La croissance des villes et son influence sur la réforme juridique de la

propriété immobilière » (Université Liège, 1966, 452 p.).

– Tome XVII, année 1964.Journées turques d’Istanbul. « Les sanctions attachées à l’inexécution des obligations contrac-

tuelles » (Dalloz, 1968, 440 p.).

– Tome XVIII, année 1966.Journées françaises de Lyon, Grenoble et Aix-en-Provence. « Nul ne peut se faire justice à

soi-même : le principe et ses limites » (Dalloz, 1969, 350 p.).

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Publications de l’Association Henri Capitant 111

– Tome XIX, année 1967.Journées néerlandaises de La Haye, Rotterdam et Leyde. « Les choses dangereuses » (Dalloz,

1971, 444 p.).

– Tome XX, année 1968.Journées suisses de Genève et Lausanne. « Les modes non formels d’expression de la volonté »

(Dalloz, 1972, 294 p.).

– Tome XXI, année 1969.Journées italiennes de Trieste. « Les groupements et organismes sans personnalité juridique »

(Dalloz, 1974, 360 p.).

– Tome XXII, année 1970.Journées françaises de Paris et Montpellier. « Le rôle du juge en présence des problèmes écono-

miques » (Dalloz, 1975, 274 p.).

– Tome XXIII, année 1971.Journées turques d’Istanbul. « Les effets de la dépréciation monétaire sur les rapports juridiques

contractuels » (Publication de la Faculté de droit d’Istanbul, 1973, 818 p.).

– Tome XXIV, année 1973.Journées canadiennes de Montréal, Québec et Sherbrooke. « La protection des consommateurs »

(Dalloz, 1975, 578 p.).

– Tome XXV, année 1974.Journées libanaises de Beyrouth. « Le secret et le droit » (Dalloz, 1975, 820 p.).

– Tome XXVI, année 1975.Journées belges de Bruxelles, Liège, Gand et Louvain. « Le corps humain et le droit » (Dalloz,

1977, 536 p.).

– Tome XXVII, année 1976.Journées françaises de Paris et Bordeaux. « La protection juridique du voisinage et de l’environ-

nement » (Dalloz, 1979, 462 p.).

– Tome XXVIII, année 1977.Journées grecques d’Athènes et Thessalonique. « L’abus de pouvoirs ou de fonctions » (Écono-

mica, 1980, 456 p.).

– Tome XXIX, année 1978.Journées louisianaises de la Nouvelle-Orléans et Baton-Rouge. « L’interprétation par le juge des

règles écrites » (Économica, 1980, 464 p.).

– Tome XXX, année 1979.Journées égyptiennes du Caire. « La protection de l’enfant » (Économica, 1981, 702 p.).

– Tome XXXI, année 1980.Journées italiennes de Florence. « Les réactions de la doctrine à la création du droit par les juges »

(Économica, 1982, 636 p.).

– Tome XXXII, année 1981.Journées portugaises de Lisbonne. « La publicité-propagande » (Économica, 1983, 616 p.).

– Tome XXXIII, année 1982.Journées mexicaines de Mexico. « Le droit au logement » (Économica, 1984, 724 p.).

– Tome XXXIV, année 1983.Journées suisses de Lausanne, Neuchâtel et Genève. « Le rôle de la pratique dans la formation du

droit » (Économica, 1985, 616 p.).

– Tome XXXV, année 1984.Journées brésiliennes de Rio de Janeiro et Saõ Paulo. « La responsabilité du banquier. Aspects

nouveaux » (Économica, 1986, 662 p.).

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– Tome XXXVI, année 1985.Journées françaises de Paris et Aix-en-Provence. « L’effectivité des décisions de justice » (Écono-

mica, 1988, 418 p.).– Tome XXXVII, année 1986.

Journées néerlandaises d’Amsterdam, Leyde et Utrecht. « Les nouveaux moyens de reproduction (papier, sonores, audiovisuels et informatiques) » (Économica, 1988, 418 p.).– Tome XXXVIII, année 1987.

Journées canadiennes de Montréal et Québec. « La vérité et le droit » (Économica, 1989, 780 p.).– Tome XXXIX, année 1988.

Journées turques d’Istanbul. « Quelques aspects récents de l’évolution du droit de la famille » (Économica, 1990, 818 p.).– Tome XL, année 1989.

Journées polonaises de Varsovie. « La protection des biens culturels » (Économica, 1991, 584 p.).– Tome XLI, année 1990.

Journées camerounaises de Yaoundé. « La maîtrise du sol » (Économica, 1992, 722 p.).– Tome XLII, année 1991.

Journées égyptiennes du Caire. « La responsabilité des constructeurs » (Litec, 1993, 528 p.).– Tome XLIII, année 1992.

Journées louisianaises de Baton-Rouge et la Nouvelle-Orléans. « La bonne foi » (Litec, 1994, 586 p.).– Tome XLIV, année 1993.

Journées franco-italiennes de Nice et Gènes. « La circulation du modèle juridique français » (Litec, 1994, 662 p.).– Tome XLV, année 1994.

Journées japonaises de Tokyo. « Les groupements » (Litec, 1995, 648 p.).– Tome XLVI, année 1995.

Journées argentines de Buenos Aires. « L’endettement » (LGDJ, 1997, 720 p.).– Tome XLVII, année 1996.

Journées portugaises de Porto. « Les garanties de financement » (LGDJ, 1998, 864 p.).– Tome XLVIII, année 1997.

Journées luxembourgeoises de Luxembourg. « L’étranger » (LGDJ, 2000, 778 p.).– Tome XLIX, année 1998.

Journées libanaises de Beyrouth. « L’ordre public : aspects nouveaux » (LGDJ, 2001, 1168 p.).– Tome L, année 1999.

Journées panaméennes de Panama. « La responsabilité : aspects nouveaux » (LGDJ, 2002, 856 p.).– Tome LI, année 2001.

Journées franco-belges de Paris et Gand. « La discrimination » (SLC, 2004, 942 p.).– Tome LII, année 2002.

Journées mexicaines de Mexico et Oaxaca. « Les minorités » (Institut de recherches juridiques de l’Université nationale autonome de Mexico, 2005, 828 p.).– Tome LIII, année 2003.

Journées vietnamiennes de Hanoï. « La propriété » (SLC, 2006, 608 p.).– Tome LIV, année 2004.

Journées québécoises de Montréal et Québec. « L’indemnisation » (SLC, 2008, 872 p.).– Tome LV, année 2005.

Journées brésiliennes de Rio de Janeiro et Saõ Paulo. « Le contrat » (SLC, 2008, 978 p.).

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Publications de l’Association Henri Capitant 113

TRAVAUX DES JOURNÉES NATIONALES

Tome I, Lille – 1996. « Le renouvellement des sources du droit des obligations » (LGDJ, 1997, 192 p.).Tome II, Nice – 1997. « Les professions libérales » (LGDJ, 1998, 148 p.).Tome III, Limoges – 1998. « La motivation » (LGDJ, 2000, 150 p.).Tome IV, Nantes – 1999. « La relativité du contrat » (LGDJ, 2001, 258 p.).Tome V, Toulouse – 2000. « Le contrat électronique » (Éditions Panthéon-Assas, 2002, 152 p.).Tome VI, Aix-en-Provence – 2001. « Droit et théâtre » (PUAM, 2003, 186 p.). Tome VII, Bordeaux – 2002. « L’indivision » (Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2005, 132 p.).Tome VIII, Grenoble – 2003. « L’image » (Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2005, 138 p.).Tome IX, Strasbourg – 2004. « Le droit patrimonial de la famille : réformes accomplies et à venir » (Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2006, 124 p.).Tome X, Montpellier – 2005. « Entreprise et liberté » (Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2008, 138 p.).Tome XI, Caen – 2006. « Le droit et l’environnement » (Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2010, 188 p.).Tome XII, La Rochelle – 2007. « La personnalité morale » (Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2010, 142 p.).Tome XIII, Boulogne-sur-Mer – 2008. « Le droit souple » (Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2009, 190 p.).

VOCABULAIRE JURIDIQUE

Vocabulaire juridique, sous la direction du doyen Gérard Cornu, 8e éd. (PUF, 2000, 926 p.).Vocabulaire juridique, sous la direction du doyen Gérard Cornu, 8e éd. (PUF, coll. « Quadrige », 2007, 986 p.).

AUTRES PUBLICATIONS

Apports de René Capitant à la Science juridique – 1990 (Litec, 1992, 96 p.).Rencontres internationales de droit comparé de Damas en Syrie, année 1996. « Les modes alternatifs de règlement des conflits » (Revue internationale de droit comparé no 2, Société de législation comparée, 1997).Journée Jacques Flour « Le Formalisme » – 1999 (Defrénois, 15-30 août 2000, no 15-16).Journée Marcel Waline – 2001 (RDP, 2002, p. 911 et s.).L’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) (Les Petites affiches, 13 octobre 2004, no 205).Le Code civil, 1804-2004, Livre du Bicentenaire (Dalloz, Litec, 2004, 718 p.).Journée Henri, Léon et Jean Mazeaud « La responsabilité civile » (Les Petites affiches, no spécial, 31 août 2006).Les droits de tradition civiliste en question à propos des Rapports Doing Business de la Banque mondiale, vol. 1 (SLC, 2006, 144 p.) et Contributions des autres Groupes de l’Association, vol. 2 (SLC, 2006, 162 p.). En accès libre sur le site www.henricapitant.org.Hommage de l’Association Henri Capitant à Jean Carbonnier – 2005 (Dalloz, 2007, 278 p.).

Hommage de l’Association Henri Capitant à Gérard Cornu (Dalloz, 2009, 82 p.)

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Certains de ces ouvrages sont épuisés.Se renseigner auprès de l’éditeur :

Dalloz, 31-35, rue Froidevaux, 75685 Paris Cedex 14.Économica, 49, rue Héricart, 75015 Paris.

LGDJ, 31, rue Falguière, 75741 Paris Cedex 15.Litec, 141, rue de Javel, 75015 Paris.

Société de législation comparée, 28, rue Saint-Guillaume, 75007 Paris.

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Travaux des groupesde l’Association Henri Capitant

Publications du Groupe québécois

1. Livres

Droit civil et droits autochtones : confrontation et complémentarité (Actes du colloque du 12 avril 1991, Montréal, 1992, 195 p.).Droit québécois et droit français : communauté, autonomie, concordance (Actes du colloque du 10 novembre 1993, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1993, 597 p.).Médiation et modes alternatifs de règlement de conflits : aspects nationaux et internationaux (Actes du colloque du 7-février 1997 et des Journées syriennes, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, 374 p.).

2. Articles de revues

« Les réactions de la doctrine à la création du droit par le juge » (Journées italiennes de 1980), (1980) 21 Cahiers de droit 229.« La publicité propagande » (Journées portugaises de 1981), (1981) 41 Revue du Barreau 943.« Le logement » (Journées mexicaines de 1982), (1982) 13 Revue générale de droit 245.« Le rôle de la pratique dans la formation du droit » (Journées suisses de 1983), (1984) 14 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 375.« La responsabilité du banquier » (Journées brésiliennes de 1984), (1985) 10 Revue juridique Thémis 145.« L’effectivité des décisions de justice » (Journées Paris-Aix de 1985), (1985) 26 Cahiers de droit 921.« Les nouveaux moyens de reproduction » (Journées néerlandaises de 1986), (1986) 46 Revue du Barreau 691.« La vérité et le droit » (Journées canadiennes de 1987), (1987) 18 Revue générale de droit 801.« Aspects nouveaux du droit de la famille » (Journées turques de 1988), (1988) 19 Revue générale de droit 373.« La protection des biens culturels » (Journées polonaises de 1989), (1990) 24 Revue juridique Thémis 37.« La maîtrise du sol » (Journées camerounaises de 1990), (1991) Revue du notariat 3.« La responsabilité des constructeurs » (Journées égyptiennes de 1991), (1992) 22 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 255.« La bonne foi » (Journées louisianaises de 1992, (1992) McGill Law Journal 1024.« Le modèle juridique français » (Journées Nice-Gênes de 1993), in H. P. Glenn (dir.), Droit québécois, droit français : communauté, autonomie, concordance, Yvon Blais Éd., 1993, 597 p.

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« L’endettement » (Journées argentines de 1994), (1995) 26 Revue de droit de l’Université de Sher-brooke 1.« Problèmes actuels des sûretés réelles » (Journées portugaises de 1996), (1997) 31 Revue juridique Thémis 619.« L’étranger » (Journées luxembourgeoises de 1997), (1998) 43 McGill Law Journal 141.

3. Publication spécialeActes du colloque du 7 avril 1988 sur « La réforme du droit des obligations », (1989) 30 Cahiers de droit 555.

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Composition du Conseil d’administration de l’Association

AYNES LaurentProfesseur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).

BÉNABENT AlainAvocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Agrégé des Facultés de droit.

BLANC-JOUVAN XavierProfesseur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).

CARCASSONNE GuyProfesseur à l’Université Paris X-Nanterre.

CHARRUAULT ChristianPrésident de la Première chambre civile de la Cour de cassation.

DECORPS Jean-PaulNotaire, Président honoraire du Conseil supérieur du notariat.

DELFOSSE AlainNotaire, Directeur de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat.

DUBARRY Jean-ClaudeAvocat à la Cour, Professeur à l’Institut de droit des affaires de l’Université Panthéon-Assas (Paris II),Trésorier de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française.

DUPICHOT PhilippeProfesseur à l’Université Paris XII,Secrétaire général adjoint de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française.

GAUDEMET YvesProfesseur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II),Vice-président de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française.

GORÉ MarieProfesseur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II),Vice-présidente de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française.

GRIMALDI MichelProfesseur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II),Président de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française.

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GUILLAUME MarcSecrétaire général du Conseil constitutionnel.

JAUFFRET-SPINOSI CamilleProfesseur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II).

LEQUETTE YvesProfesseur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II).

LYON-CAEN ArnaudAvocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation,Vice-président de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française.

MAISTRE DU CHAMBON PatrickProfesseur à l’Université Pierre Mendès France (Grenoble II).

MALINVAUD PhilippeProfesseur émérite à l’Université Panthéon-Assas (Paris II),Président d’honneur de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française.

MATTEOLI François-XavierAncien Bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine.MAZEAUD DenisProfesseur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II),Secrétaire général de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française.MESTRE JacquesProfesseur à l’Université d’Aix-Marseille III, Doyen de la Faculté de droit d’Aix-Marseille III.

RAQUIN Jean-JacquesAvocat au Barreau de Paris.TERRÉ FrançoisMembre de l’Institut, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II).VINEY GenevièveProfesseur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).

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Composition du Bureau de l’Association

Président d’honneur

M. le Professeur Philippe MALINVAUD

Président

M. le Professeur Michel GRIMALDI

Vice-Présidents

M. le Professeur Yves GAUDEMET

Mme le Professeur Marie GORÉ

Me Arnaud LYON-CAEN

Secrétaire général

M. le Professeur Denis MAZEAUD

Secrétaire général adjoint

M. le Professeur Philippe DUPICHOT

Trésorier

Me Jean-Claude DUBARRY

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Photocomposition CMB Graphic44800 Saint-Herblain

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