30
L’apport de la biologie moléculaire à la systématique : l’exemple des noctuelles foreuses de tige. Pascal Moyal Introduction La systématique (encore appelée taxonomie ou taxinomie) est la science de la classification des organismes. L’unité de base de cette classification est l’espèce. Le systématicien cherche à identifier les espèces, puis à les classer dans des ensembles regroupant les espèces proches, appelés genres, euxmêmes ensuite regroupés en des ensembles plus vastes (soustribu, tribu, famille, ordre…). Un nom latin est donné à l’espèce ; il est formé de deux mots, écrits en italique : le premier est le nom du genre, le second celui qui qualifie l’espèce. Ainsi la sésamie du maïs, un foreur du maïs en Europe méditerranéenne, a pour nom scientifique Sesamia nonagrioides ; elle est classée dans le genre Sesamia, et le nom d’espèce qui la caractérise est nonagrioides. L’espèce, cette unité fondamentale de la systématique, est appréhendée de façon différente suivant les disciplines, et a fait l’objet de nombreuses définitions. Deux approches majeures peuvent être distinguées. Celle, tout d’abord, employée souvent par les systématiciens classiques, qui observent la morphologie des organismes et cherchent à les classer parmi l’ensemble des êtres vivants. Cette approche peut être qualifiée de « descendante »; elle consiste à distinguer d’abord les grands groupes d’êtres vivants, par exemple les plantes et les animaux, puis à définir des ensembles homogènes au sein de ces grands groupes, et à descendre ainsi progressivement jusqu’à obtenir des groupes dont tous les individus sont indistinguables par l’analyse morphologique la plus fine. Ces groupes d’individus constituent des espèces, appelées « morphospecies », car basées sur la morphologie uniquement. L’espèce est définie à partir d’un exemplaire unique, appelé le type, généralement déposé dans un musée ; cette démarche aboutit au concept dit typologique de l’espèce. La deuxième approche est celle des généticiens, qui peut être qualifiée d’ « ascendante ». En effet les généticiens travaillent sur les croisements entre individus, et sur le terrain, étudient des « populations », qui sont des groupes d’individus qui se croisent entre eux de façon plus fréquente qu’avec ceux des autres populations. L’espèce, pour les généticiens, est donc définie comme l’ensemble des populations interfécondes. Le critère principal est donc l’aptitude des mâles et femelles à se croiser et à échanger des gènes. C’est le concept dit mixiologique de l’espèce. En pratique, le naturaliste qui récolte un organisme sur le terrain et tente de l’identifier ne peut en général se baser que sur la morphologie, car il ne dispose d’aucune information concernant les échanges géniques entre les individus. Or l’évolution morphologique visible, qui permet de distinguer des morphospecies, peut être plus lente que la mise en place des barrières d’isolement génétique qui séparent les espèces selon les généticiens.

L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

L’apport de la biologie moléculaire à la systématique : l’exemple des noctuelles foreuses de tige. 

 

Pascal Moyal 

 

Introduction 

La systématique (encore appelée taxonomie ou taxinomie) est  la science de  la classification des organismes. L’unité de base de cette classification est l’espèce. 

Le  systématicien  cherche  à  identifier  les  espèces,  puis  à  les  classer  dans  des  ensembles regroupant  les espèces proches,  appelés  genres, eux‐mêmes ensuite  regroupés en des ensembles plus vastes  (sous‐tribu,  tribu,  famille, ordre…). Un nom  latin est donné à  l’espèce ;  il est  formé de deux mots, écrits en  italique :  le premier est  le nom du genre,  le second celui qui qualifie  l’espèce. Ainsi  la  sésamie du maïs, un  foreur du maïs en Europe méditerranéenne, a pour nom  scientifique Sesamia nonagrioides ; elle est classée dans  le genre Sesamia, et  le nom d’espèce qui  la caractérise est nonagrioides. 

 L’espèce, cette unité fondamentale de la systématique, est appréhendée de façon différente suivant les disciplines, et a fait l’objet de nombreuses définitions. Deux approches majeures peuvent être  distinguées.  Celle,  tout  d’abord,  employée  souvent  par  les  systématiciens  classiques,  qui observent  la morphologie  des  organismes  et  cherchent  à  les  classer  parmi  l’ensemble  des  êtres vivants. Cette approche peut être qualifiée de « descendante »; elle consiste à distinguer d’abord les grands groupes d’êtres vivants, par exemple les plantes et les animaux, puis  à définir des ensembles homogènes au sein de ces grands groupes, et à descendre ainsi progressivement jusqu’à obtenir des groupes dont  tous  les  individus  sont  indistinguables par  l’analyse morphologique  la plus  fine. Ces groupes  d’individus  constituent  des  espèces,  appelées  « morphospecies »,  car  basées  sur  la morphologie  uniquement.  L’espèce  est  définie  à  partir  d’un  exemplaire  unique,  appelé  le  type, généralement  déposé  dans  un  musée ;  cette  démarche  aboutit  au  concept  dit  typologique  de l’espèce. La deuxième approche est celle des généticiens, qui peut être qualifiée d’ « ascendante ». En effet les généticiens travaillent sur les croisements entre individus, et sur le terrain, étudient des « populations », qui sont des groupes d’individus qui se croisent entre eux de façon plus fréquente qu’avec  ceux  des  autres  populations.  L’espèce,  pour  les  généticiens,  est  donc  définie  comme l’ensemble  des  populations  interfécondes.  Le  critère  principal  est  donc  l’aptitude  des  mâles  et femelles à se croiser et à échanger des gènes. C’est le  concept dit mixiologique de l’espèce. 

En pratique,  le naturaliste qui récolte un organisme sur  le terrain et tente de  l’identifier ne peut en général se baser que sur la morphologie, car il ne dispose d’aucune information concernant les  échanges  géniques  entre  les  individus.  Or  l’évolution  morphologique  visible,  qui  permet  de distinguer des morphospecies, peut être plus  lente que  la mise en place des barrières d’isolement génétique qui séparent les espèces selon les généticiens. 

Page 2: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

L’utilisation  des  techniques  de  la  biologie  moléculaire  permet  de  réconcilier  ces  deux approches,  et  d’affiner  l’approche morphologique  de  la  notion  d’espèce,  comme  le montrent  les travaux réalisés sur les noctuelles foreuses de tige exposés ci‐après. 

La  biologie  moléculaire  fournit  des  données  qui  permettent  également  d’améliorer  la classification du vivant à tous les niveaux hiérarchiques supérieurs: le regroupement des espèces en genres,  des  genres  en  sous‐tribus…  Grâce  aux  méthodes  de  reconstruction  phylogénétique permettant  de  prendre  en  compte  simultanément  les  caractères  morphologiques,  les  données moléculaires, et d’autres données telles que l’écologie des organismes, il devient possible de définir des  ensembles  issus  d’un  ancêtre  commun,  et  donc  d’obtenir  une  classification  naturelle  des organismes, conforme à  l’évolution de la vie. Il a été proposé de nommer « taxonomie intégrative » cette approche multiple, combinant analyse morphologique, moléculaire, écologique...  

I‐  La systématique morphologique des noctuelles foreuses de tige. 

1‐1 Les Sesamiina 

Les  noctuelles  foreuses  sont  des  lépidoptères  (papillons)  dont  les  larves  (chenilles)  se nourrissent à l’intérieur de la tige des plantes monocotylédones. Elles appartiennent à la famille des Noctuidae (dont le nom usuel est « noctuelles »). Les études réalisées à l’IRD ont porté sur un groupe de  ces  noctuelles  appelé  initialement  «Sesamia  sensu  lato»,  et  qui  a  récemment  reçu  le  rang taxonomique  de  sous‐tribu  sous  le  nom  de  Sesamiina  (Figure  1).  Les  Sesamiina  sont  uniquement présentes dans l’ancien monde, essentiellement dans les régions tropicales d’Afrique et d’Asie, avec quelques  rares  espèces  en  région méditerranéenne.  Plusieurs  de  ces  espèces  sont  des  ravageurs importants des cultures de céréales (maïs, sorgho, riz, canne à sucre) (Figure 2), particulièrement des espèces  du  genre  Sesamia  (Sesamia  nonagrioides,  Sesamia  calamistis,  Sesamia  cretica,  Sesamia poephaga, Sesamia inferens, Sesamia grisescens) et une espèce du genre Busseola (Busseola fusca). 

1‐2 Les limites de la systématique morphologique 

L’identification des espèces de Sesamiina et  leur classification ont tout d’abord été   basées uniquement sur la morphologie externe des adultes, appelée habitus (couleur et ornementations des ailes, forme des antennes…). La grande homogénéité de ces  insectes (Figure 1), qui présentent peu de  caractères  distinctifs  au  niveau  externe,  rendait  cette  tâche  difficile  et  fut  à  l’origine  d’une certaine  confusion. En 1953, deux auteurs britanniques, W.H.T. Tams et  J. Bowden, ont clarifié de façon magistrale la systématique des espèces africaines du groupe en introduisant l’observation des les  pièces  génitales,  les  genitalia,  qui  présentent  des  différences  suffisantes  pour  distinguer  plus aisément  la plupart des espèces proches.  Ils ont décrit de nouvelles espèces et  créé de nouveaux genres définis de façon aussi rigoureuse que possible au plan morphologique. Les limites de l’analyse morphologique  sont  cependant  rapidement  apparues  à  deux  niveaux.  Tout  d’abord  au  niveau  de l’espèce : si Tams et Bowden ont pu distinguer plusieurs espèces  là où auparavant on pensait qu’il n’en  existait  qu’une,  ils  ont  rencontré  des  difficultés  pour  conclure  dans  le  cas  de  populations géographiquement très distantes mais à la morphologie très semblable, et également dans le cas où un certain polymorphisme (variation  inter‐individuelle) rendait  les distinctions difficiles.  Ils ont ainsi créé certaines espèces qui ont été remises en cause par la suite. On en verra un exemple avec le cas de  Sesamia  nonagrioides.  Ensuite,  au  niveau  du  genre :  les  systématiciens  qui  ont  travaillé  sur  le groupe à  la suite de Tams et Bowden  l’ont fait en général dans  le cadre d’un travail d’identification 

Page 3: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

de nombreux  insectes  collectés  lors d’expéditions, et n’ont pu  se  concentrer véritablement  sur  ce groupe.  Ils  ont  donc  simplement  cherché  à  classer  les  insectes  qu’ils  observaient  dans  les  genres définis par Tams et Bowden, même lorsqu’ils étaient conscients que ces insectes ne correspondaient pas  exactement  à  la  description  du  genre.  Cela  a  conduit  ainsi  à  des  genres  « fourre‐tout »,  en attente  d’une  nouvelle  analyse,  par  exemple  le  genre  Sciomesa.  Cependant  le  classement  erroné d’espèces n’a pas  toujours été  volontaire et dû à un manque de  temps,  il a parfois  concerné des espèces dont les systématiciens étaient persuadés qu’elles étaient typiques des genres concernés et pour lesquelles l’analyse moléculaire a révélé qu’ils étaient dans l’erreur.  

 

Page 4: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 1 : Quelques exemples d’adultes de Sesamiina 

 

Page 5: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 2 : Exemples de dégâts de foreurs sur maïs en Côte d’Ivoire 

 

 

 

Page 6: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

II‐  La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. 

Les  techniques  de  biologie moléculaire  permettent  en  particulier  d’extraire  l’ADN  des cellules, d’en amplifier certaines parties par la méthode PCR (polymerase chain reaction), et d’identifier  leur  composition  (séquence)  grâce  aux  appareils de  séquençage.  Il  est  ensuite possible de  comparer  les  séquences homologues d’un  individu  à  l’autre  (souvent un  gène donné) et de déterminer  les changements  survenus dans  leur composition  (mutations)  (on appelle  allèles  les  différentes  formes  d’un  gène  donné  produites  par  les mutations).  Les variations  de  composition  seront  faibles  ou  nulles  chez  deux  individus  appartenant  à  la même espèce, et  seront d’autant plus grandes que  les deux  individus appartiennent à des espèces dont l’ancêtre commun est plus ancien. Il est possible ainsi de reconstruire l’histoire évolutive  des  espèces  sous  la  forme  d’arbres  phylogénétiques  construits  à  partir  de séquences  d’ADN. Au  niveau  infra‐spécifique  on  peut  également  représenter  les  relations entre  individus sous  la forme d’un autre type de graphe,  les réseaux phylogénétiques. Dans le cas des arbres phylogénétiques, tous  les  individus sont placés à  l’extrémité des branches de  l’arbre et  l’on considère que  les ancêtres des couples ont disparu et  ils sont représentés sous  forme  de  nœuds  à  l’intérieur  de  l’arbre (dans  le  cas  d’espèces  ayant  divergé  depuis assez  longtemps, on ne retrouve vivant actuellement que  les espèces‐filles); dans  le cas de populations  (donc  au  niveau  infra‐spécifique),  les  individus  portant  des  séquences  d’ADN issues  d’une  séquence  ancestrale  ayant muté  sont  fréquemment  retrouvés  en  compagnie d’individus  portant  encore  la  séquence  ancestrale intacte;  il  est  donc  nécessaire  d’utiliser une représentation graphique dont les nœuds internes peuvent porter des individus vivants : c’est le cas des réseaux. 

L’ADN peut fournir des indications beaucoup plus fines que l’observation morphologique. Si l’on analyse par exemple une séquence de mille nucléotides, des mutations peuvent avoir lieu  au  niveau  de  chaque  nucléotide  et  fournir  ainsi  des  différences  graduées  entre  les espèces  permettant  de  les  classer  souvent  beaucoup  mieux  que  de  rares  caractères morphologiques. 

 Dans  les cellules eucaryotes animales,  l’ADN est présent principalement dans  le noyau, mais  aussi  dans  des  organelles  du  cytoplasme,  les  mitochondries.  Les  deux  ADN  sont différents mais  caractérisent également bien  l’évolution des espèces.  L’ADN mitochondrial est  plus  facile  et  moins  onéreux  à  manipuler,  présente  des  avantages  dans  les  études populationnelles  car  il  évolue  vite, mais  présente  aussi  l’inconvénient  de  ne  pas  toujours permettre  de  remonter  très  loin  dans  l’histoire  évolutive  de  l’espèce,  comme  on  le  verra dans  le cas de  la sésamie du maïs.  Il est donc souhaitable de combiner analyse nucléaire et mitochondriale pour reconstruire de façon la plus exacte possible l’histoire des espèces. 

  

 

 

 

 

Page 7: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

III‐ Quelques exemples d’apports de la biologie moléculaire 

 

1er exemple. La sésamie du maïs a‐t‐elle traversé le Sahara ? 

La  sésamie  du  maïs,  Sesamia  nonagrioides (Figure  3),  présente  une  particularité unique :  c’est  la  seule  espèce  de  Sesamiina  trouvée  en  Europe,  où  elle  est  le  principal ravageur du maïs en région méditerranéenne. Elle est trouvée également en Afrique du nord. Lors de leur révision des espèces africaines en 1953, W.H.T Tams et J. Bowden ont considéré que  cette  espèce  était  différente  des  espèces  décrites  du  sud  du  Sahara.  Cependant, quelques années plus tard, en 1960, un autre auteur britannique, travaillant au Kenya, I.W.B. Nye,  a  trouvé  qu’elle  était morphologiquement  trop  proche  d’une  espèce  sub‐saharienne décrite par Tams et Bowden, Sesamia botanephaga, pour en faire des espèces différentes. Il les a donc réunies au sein de la même espèce, Sesamia nonagrioides, qu’il a divisée en deux sous‐espèces, Sesamia nonagrioides nonagrioides, présente au nord du Sahara, et Sesamia nonagrioides botanephaga, trouvée au sud du Sahara en Afrique de l’ouest et en Afrique de l’est  (l’insecte n’est pas connu d’Afrique centrale). Néanmoins,  la découverte ultérieure de l’espèce  en  Iran,  où  elle  a  été  déterminée  comme  la  sous‐espèce  botanephaga,  pose  la question  de  la  répartition  géographique  de  part  et  d’autre  du  Sahara.  Par  ailleurs,  J.D. Holloway,  spécialiste  des  noctuelles,  a  écrit  plus  récemment,  en  1998,  que  le  statut taxonomique de ces deux sous‐espèces devait faire faire l’objet d’études plus approfondies, suggérant qu’il pourrait bien s’agir en fait de deux espèces différentes. 

En outre, au niveau écologique, la sous‐espèce botanephaga est adaptée aux régions humides au sud du Sahara. Ainsi, en Côte d’Ivoire, elle n’est un ravageur du maïs que dans les régions forestières du sud et on ne la trouve plus dans les régions plus sèches du nord où le maïs  n’est  infesté  que  par  une  autre  espèce,  adaptée  aux  régions  de  savanes,  Sesamia calamistis.  Dans  les  pays  plus  secs,  comme  le  Kenya,  Sesamia  nonagrioides  n’est  pas  un ravageur  du maïs  et  n’est  trouvée  que  dans  les  endroits  très  humides,  le  long  des  cours d’eaux, des marais… De plus,  les études génétiques menées en Europe ont montré que  les individus  se  déplaçaient  peu  et  à  courte  distance.  Ces  éléments  conduisent  à  se  poser  la question de savoir comment et quand une telle espèce a pu parvenir en Europe alors qu’elle ne  survit  que  dans  des  conditions  très  humides  et  qu’il  lui  a  fallu  franchir  pour  cela  la formidable barrière du désert du Sahara. A‐t‐elle été  introduite par  l’homme ? Ainsi, aussi bien  au  plan  taxonomique  qu’au  plan  évolutif,  cet  insecte  est  une  énigme.  La  biologie moléculaire peut‐elle aider à mieux le connaître?  

 

 

Page 8: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 3. Sesamia nonagrioides 

 

Page 9: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Dans  la  région  paléarctique,  nous  avons  récolté  des  insectes  en  Europe méditerranéenne (Espagne, France, Italie, Grèce) et jusqu’aux pays les plus à l’est de la zone de répartition géographique connue (Turquie et Iran). En Afrique sub‐saharienne, nous avons récolté des insectes en Afrique de l’ouest (Côte d’Ivoire) et en Afrique de l’est (au Kenya, au Rwanda et en Ethiopie). Cette espèce n’était pas connue d’Ethiopie avant cette étude. 

Nous  avons  séquencé  deux  gènes  mitochondriaux,  les  gènes  codant  pour  le cytochrome  b  (Cyt  b)  et  la  sous‐unité  1  de  la  cytochrome  oxydase  c  (CO1),  et  un  gène nucléaire, le gène codant pour la Pheromone Binding protein 2 (PBP2). 

L’analyse  a  consisté  à  reconstruire  à  partir  de  ces  séquences  des  réseaux  et  arbres phylogénétiques, qui permettent de représenter les relations ancestrales entre les individus, et  les distances génétiques  les  séparant. Ensuite  la  répartition géographique des gènes en Europe et la datation de leur ancêtre commun par la méthode de coalescence ont complété le  tableau de  l’évolution de  l’espèce. Quelques  tests préalables ont dû aussi être effectués afin de s’assurer que  les gènes étudiés n’étaient pas sélectionnés (ce qui créerait des biais, comme, par exemple, une évolution accélérée ou différente suivant les gènes), ou que, dans le cas du gène nucléaire, il ne présentait pas de trace de recombinaison avec d’autres gènes, ce  qui  empêcherait  de  reconstruire  l’histoire  du  gène,  puisqu’il  serait  alors  formé  d’une combinaison de plusieurs gènes.  

1‐  Que révèlent les gènes mitochondriaux ? 

Les  trois premières  figures  (Figures 4‐6)  concernent  les  gènes mitochondriaux. Ces gènes étant  liés physiquement sur  le même brin d’ADN,  leur évolution est  très similaire ;  il est intéressant cependant, en particulier en cas d’évolution récente, avec peu de mutations, d’avoir le plus de données possibles pour pouvoir observer des variations. Sur les réseaux, les gros cercles  représentent  les gènes  trouvés et  les petits cercles  ronds sur  les  lignes qui  les joignent représentent  les mutations pour  lesquelles aucun  individu vivant n’a été trouvé. Le numéro donné à l’exemplaire du gène est indiqué près de chaque gros cercle, et, en italique, le nombre d’individus qui portent le gène dans le cas où il y en a plus de deux. Les ensembles d’individus descendant d’un même ancêtre sont appelés des clades. 

Ces trois figures révèlent que : 

‐  La  principale  fragmentation  se  situe  entre  les  populations  ouest  et  est‐africaines, distantes génétiquement de 2.3%. Ces deux populations  sont non  seulement  séparées géographiquement  mais  aussi  isolées  génétiquement.  La  population  européenne  est incluse dans  le groupe est‐africain. On trouve même, dans  le cas du cytochrome b, que l’allèle principal trouvé en Europe est également trouvé en Ethiopie, ce qui suggère que ces deux populations ne se sont séparées que depuis très peu de temps. 

‐  La  diversité  génétique  est  très  faible  en  Europe,  par  exemple  seulement  deux  gènes différant par une seule mutation pour le cytochrome b, tous les individus sauf un portant le même gène. Alors qu’en Afrique sub‐saharienne la diversité est très grande, surtout en Afrique de l’Est, un peu moins en Afrique de l’Ouest où le nombre d’allèles est cependant 

Page 10: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

très  supérieur,  pour  un  seul  pays,  à  ce  qui  est  trouvé  sur  toute  l’étendue  allant  de l’Espagne à  l’Iran. Ceci montre que  la population européenne a été victime d’une  forte réduction  de  sa  diversité,  appelée  goulot  d’étranglement  (bottleneck  en  anglais), traduisant  une  réduction  drastique  de  sa  population  par  rapport  aux  populations africaines.  La  grande  diversité  des  populations  africaines  est  une  preuve  qu’elles  sont ancestrales.  La  population  européenne  est  issue  d’Afrique,  et  les  données mitochondriales  suggèrent  qu’elle  provient,  logiquement,  du  pays  le  plus  au  nord  de l’aire de distribution sub‐saharienne de l’espèce, l’Ethiopie. 

‐  Les grandes  lignes de  l’évolution sont similaires pour  les deux gènes mitochondriaux, ce qui est  logique  puisque,  comme  on  l’a  dit,  ils  sont  liés  et  évoluent  conjointement.  Ainsi  la distance  génétique  entre  les  populations  ouest  et  est‐africaine  est  semblable,  et  la population  européenne  se  regroupe  dans  les  deux  cas  avec  la  population  du  centre  de l’Ethiopie. Par contre, le gène CO1 est plus diversifié en Europe, par le hasard des mutations, ce qui est utile pour reconstruire l’histoire récente, et montre l’intérêt d’avoir des séquences plus longues pour accroître la qualité des résultats. Le gène cyt b, pratiquement uniforme en Europe, ne permettrait pas à lui seul de reconstruire l’histoire européenne de l’espèce.  

Page 11: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 4. Réseau phylogénétique obtenu par le gène Cyt b 

Page 12: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 5. Réseau phylogénétique obtenu par le gène CO1 

Page 13: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 6. Arbre phylogénétique combiné Cyt b‐CO1 

 

Page 14: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

2‐  Les informations fournies par le gène nucléaire 

Le gène nucléaire, PBP2, fournit une autre image de l’histoire évolutive de l’espèce (Figures 7 et 8). Ce gène présente 4 allèles différents au nord du Sahara. L’un d’entre eux est proche d’allèles est‐africains, et en particulier d’un allèle de centre‐Ethiopie. Ce résultat est similaire à celui des gènes mitochondriaux. Par contre on observe deux allèles européens qui se trouvent avec un autre groupe de gènes, eux uniquement ouest‐africains. Cela  signifie que  la population européenne ne provient pas  seulement  d’Afrique  de  l’Est  comme  le  montraient  les  gènes  mitochondriaux,  mais  aussi d’Afrique de  l’Ouest. La trace de cette origine ouest‐africaine a été perdue au niveau mitochondrial et n’est plus perceptible qu’au niveau nucléaire. Ceci s’explique par le fait que l’ADN mitochondrial a une  taille de population plus  faible que  l’ADN nucléaire,  sa diversité génétique est plus  réduite et beaucoup  plus  affectée  par  des  goulots  d’étranglement.  Dans  le  cas  présent,  cela  a  abouti  à  la fixation du génome mitochondrial est‐africain, et à  la disparition du génome ouest‐africain dans  la population  européenne.  Cela  montre  l’importance  de  combiner  les  données  mitochondriales  et nucléaires pour  reconstruire correctement  l’histoire d’une espèce. Les données nucléaires  révèlent aussi des groupes où sont présents des gènes de provenance diverse. Ces groupes sont la trace de ce qu’on appelle du polymorphisme ancestral, c’est‐à‐dire que ces allèles proviennent de la population ancestrale qui a donné naissance aux populations actuelles, et ils n’ont pas encore disparu. 

 Ces données nucléaires  sont aussi particulièrement  importantes  car elles montrent que  la population européenne est  le  résultat du croisement des deux populations sub‐sahariennes, Est et Ouest. Cela prouve donc que, d’une part, ces deux populations sont toujours capables de se croiser malgré un long isolement géographique (révélé par la distance mitochondriale), et d’autre part que la population  nord‐saharienne  et  les  deux  populations  sub‐sahariennes  ne  forment  qu’une  seule  et même  espèce,  dont  les  individus  sont  inter‐fertiles  en  conditions  naturelles.  Cela montre  que  le regroupement de ces populations en une seule espèce sur des bases morphologiques était correct. Par  contre  la  distinction  de  deux  sous‐espèces  n’est  pas  justifiée.  En  effet,  la  population  nord‐saharienne  est  beaucoup  plus  proche  de  chacune  des  deux  populations  sub‐sahariennes  que  ces deux populations ne  le  sont entre elles.  L’espèce est en  fait  constituée de  trois populations  inter‐fertiles isolées géographiquement. 

Page 15: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 7. Réseau phylogénétique obtenu par le gène PBP2 

 

Page 16: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 8. Arbre phylogénétique obtenu par le gène PBP2 

 

Page 17: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

3‐  Que nous apprend la distribution géographique des allèles en Europe 

La  distribution  des  allèles  du  gène mitochondrial  CO1  (Figure  9)  est  caractérisée par  trois groupes bien séparés : Ouest (Espagne‐France, à l’ouest des Alpes), central (Italie, Grèce, Turquie) et Est (Grèce, Turquie, Iran). On retrouve trois ensembles distincts dans le cas du gène nucléaire (Figure 10) avec cependant des chevauchements plus  importants. Ces distributions en ensembles distincts impliquent  un  isolement  dans  le  passé  de  ces  populations ;  par  ailleurs,  l’espèce  est  connue  en Europe pour être sédentaire. Comment expliquer dans ces conditions qu’il ait pu y avoir fixation du seul  génome mitochondrial  d’Afrique  de  l’Est,  ce  qui  nécessite  d’importants  échanges  entre  les populations. Cette fixation a donc dû intervenir avant la colonisation de l’Europe, et obligatoirement en Afrique du Nord, puisqu’en Afrique sub‐saharienne les populations Est et Ouest sont isolées. Cette première  observation montre  donc  que  l’espèce  n’a  pu  être  introduite  directement  par  l’homme d’Afrique sub‐saharienne en Europe. La colonisation de l’Europe a donc été précédée par une phase de mélange  en  Afrique  du  nord.  Les  questions  qui  se  posent  désormais  sont  donc :  comment  et quand l’espèce est‐elle arrivée en Afrique du nord puis en Europe ? 

Plusieurs éléments sont en  faveur d’une colonisation naturelle et relativement ancienne de l’Europe, avant la dernière glaciation : 

‐  La  répartition  en  trois  ensembles  distincts  est  semblable  à  celle  des  espèces  qui  ont survécu durant  la dernière glaciation dans des refuges dans  les régions chaudes du sud de  l’Europe  (péninsule  ibérique,  Italie  du  sud  et  Grèce).  Certains  tests  montrent également  que  la  population  européenne  est  en  expansion,  comme  c’est  le  cas  des espèces recolonisant les territoires après la dernière glaciation. 

‐  La population  française est un mélange de populations du sud  (Espagne et  Italie) ; ceci est  conforme  à  l’hypothèse d’une  colonisation précédant  la dernière glaciation durant laquelle  l’espèce  ne  pouvait  survivre  en  France,  puis  d’une  recolonisation  lorsque  les conditions climatiques devinrent plus favorables. 

Page 18: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 9. Répartition des gènes CO1 en Europe 

 

Figure 10. Répartition des gènes PBP2 en Europe 

Page 19: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

 

4‐  Conclusion 

Compte‐tenu de  la très faible distance génétique entre  la population européenne et la population de centre‐Ethiopie,  la colonisation de l’Europe ne peut être très ancienne. Les  éléments  précédents  indiquent  que  cette  colonisation  a  dû  avoir  lieu  avant  la dernière glaciation ;  le moment  le plus vraisemblable est donc  le dernier  interglaciaire (l’Eemien),  une  période  chaude  et  humide  durant  laquelle  le  Sahara  était  couvert  de végétation. 

Peut‐on avoir une autre estimation,  indépendante, de cette date de colonisation de l’Europe ? Il a été montré chez de nombreuses espèces animales que le taux d’évolution de  l’ADN mitochondrial était assez constant, de  l’ordre de 1, 15% par million d’années (soit une divergence de 2,3% par million d’années entre deux  individus  isolés), ce qu’on appelle une horloge moléculaire. Les observations  réalisées  sur  les noctuelles  foreuses africaines ont montré que ce taux était vraisemblable aussi pour ces insectes ; en effet, il permet  d’expliquer  les  grandes  fragmentations  génétiques  observées  en  Afrique  sub‐saharienne chez diverses espèces par  les grands évènements paléo‐climatiques connus. On  retrouve  également  cette  situation  dans  le  cas  de  Sesamia  nonagrioides :  ainsi,  la distance  génétique  entre  les  populations  ouest  et  est‐africaines  est  de  2.3%,  ce  qui correspond,  avec  ce  taux  d’évolution,  à  une  fragmentation  datant  de  un  million d’années,  qui  est  la  dernière  période  de  grande  sécheresse  connue  en  Afrique  ayant abouti à la disparition de nombreuses espèces ; il est donc très vraisemblable qu’elle soit à  l’origine  de  la  fracture  entre  les  populations  sub‐sahariennes  de  cette  espèce  de milieux humides. Si  l’on admet ce taux d’évolution et que  l’on estime  l’âge de  l’ancêtre de  la population européenne par  la méthode de coalescence  (Figure 11  ), on aboutit à 108000 ans, soit exactement durant le dernier interglaciaire. 

Ces résultats ainsi que d’autres considérations conduisent à rejeter l’hypothèse d’une introduction  humaine  qui  apparaît  fortement  improbable,  et  à  conclure  à  une colonisation naturelle durant l’Eemien.  

 

Les  méthodes  de  biologie  moléculaire  ont  ainsi  permis  de  reconstruire  l’histoire évolutive des diverses populations, dont la connaissance a conduit à la clarification de la systématique  du  groupe.  L’étude  de  la  population  européenne  a  fourni  en  outre  un résultat sans équivalent au niveau de la littérature scientifique mondiale : la validation de l’hypothèse d’horloge moléculaire au niveau de  l’ADN mitochondrial de ces  insectes qui avait  été  émise  précédemment  à  partir  de  données  totalement  indépendantes concernant des espèces uniquement sub‐sahariennes. 

 

Page 20: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 11. Estimation de l’âge de l’ancêtre de la population européenne par coalescence 

Page 21: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

2eme  exemple.  La  découverte  d’une  ancienne  hybridation  et  d’un renforcement morphologique  permet  de  clarifier  le  statut  d’  espèce dans un groupe de sésamies  

 

Dans  leur étude de  la systématique des Sesamia africaines, Tams et Bowden (1953) ont  créé,  au  sein  du  genre  Sesamia,  le  groupe  epunctifera,  constitué  de  quatre  espèces morphologiquement  très  proches :  Sesamia  epunctifera,  Sesamia  poephaga,  Sesamia penniseti et Sesamia poebora. Nye (1960), sans remettre en cause le statut d’espèce proposé par Tams & Bowden, a  suggéré  la possible  conspécificité de S. poephaga et S. epunctifera d’une part, et de S. penniseti et S. poebora d’autre part. 

Sesamia  poephaga  est  connue  principalement  d’Afrique  de  l’ouest  et  d’Afrique centrale,  alors que  S.  epunctifera  a été décrite uniquement d’Afrique de  l’est et d’Afrique australe. Néanmoins certains spécimens de S. poephaga  , principalement des  femelles, ont été décrits d’Afrique de l’est et d’Afrique australe par Tams et Bowden, ce qui pose problème car,  à  l’époque,  les  femelles  de  S.  epunctifera  n’étaient  pas  connues,  et  il  n’est  donc  pas possible d’être certain que les specimens observés n’étaient pas des S. epunctifera. En effet,  dans  ce  groupe  d’insectes,  les  genitalia  des  femelles  sont  parfois  indistinguables  entre espèces proches et on peut penser que ce doit être  le cas pour ces deux espèces dont  les genitalia mâles  sont  très  semblables.  Donc  les  spécimens  d’Afrique  orientale  et  australe décrits comme appartenant à S. poephaga pourraient bien être en fait des S. epunctifera, ou même  ces  deux  taxons  ne  pourraient  constituer  en  fait  qu’une  seule  espèce,  comme  le suggérait Nye. 

De même, les genitalia mâles de S. penniseti et de S. poebora sont très semblables. S. penniseti a été décrite initialement d’Afrique de l’ouest, où elle a été trouvée dans des plants de  la graminée Pennisetum purpureum. S. poebora a été décrite d’Ouganda, en Afrique de l’est, à partir d’un seul mâle trouvé dans  la même plante. Aucun autre exemplaire de cette espèce n’a été  trouvé au cours de prospections ultérieures dans  la région, mais par contre des spécimens identifiés comme S. penniseti l’ont été. L’aire de répartition de cette dernière espèce s’étend donc  jusqu’à  l’Afrique de  l’est. La seule différence morphologique entre ces deux espèces est la présence de fortes marques sur les ailes de S. poebora. On peut donc se demander  si  cette  différence  ne  serait  pas  du  simple  polymorphisme  (variabilité intraspécifique) ce qui signifierait que l’individu nommé S. poebora appartiendrait en fait à S. penniseti. 

Les données morphologiques seules ne permettent donc pas de résoudre  le difficile problème de  la délimitation des espèces dans  ce groupe. Pour  tenter de  le  résoudre nous avons  utilisé  une  approche  de  taxonomie  intégrative,  combinant  morphologie,  biologie moléculaire et écologie.  

Les méthodes de biologie moléculaire et de reconstruction phylogénétique utilisées sont  les  mêmes  que  celles  de  l’étude  sur  Sesamia  nonagrioides  présentée  ci‐dessus.  Le nombre de gènes utilisés ici est cependant plus important : un troisième gène mitochondrial 

Page 22: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

a  été  rajouté  au Cyt b  et  au CO1,  celui de  l’ADN  ribosomique 12S,  et, un deuxième  gène nucléaire a été séquencé en plus de PBP2, le gène de la protéine ribosomique L5, RPL5. 

Des récoltes de chenilles dans leurs plantes hôtes ont été effectuées durant plusieurs années  dans  divers  pays  d’Afrique  sub‐saharienne,  depuis  l’Afrique  de  l’ouest  jusqu’à l’Afrique de  l’est et du sud. Les chenilles ont été élevées et les adultes qui en sont issus ont été identifiés. 

Parmi  les espèces du groupe epunctifera, seule S. poebora n’a pu être  trouvée. Les trois autres espèces ont été  récoltées. Deux autres espèces, nouvelles pour  la  science, qui doivent être incluses dans ce groupe, ont été découvertes. Nous les avons nommées Sesamia firmata et Sesamia veronica. 

Deux découvertes majeures, qui ont permis de proposer une solution au problème posé, ont découlé de  l’utilisation de  l’approche multiple utilisée: une ancienne hybridation et un phénomène de renforcement morphologique. 

1‐  Découverte d’une ancienne hybridation 

L’identification morphologique des insectes a permis de constater la présence de S. penniseti dans  les régions où elle avait été récoltée par  le passé (Afrique de  l’ouest et de  l’est) et en Afrique centrale où  elle n’était pas  connue. Mais  aussi, une petite population  isolée  a  été découverte  en Afrique australe, au Mozambique. L’étude moléculaire a confirmé l’unicité des populations de l’ouest à l’est de l’Afrique, mais a révélé une surprise pour la population d’Afrique australe : alors que l’arbre phylogénétique  construit  à  partir  des  gènes  nucléaires  est  en  accord  avec  la  morphologie,  et regroupe toutes les S. penniseti et les insectes de la population mozambicaine (Figure 12), l’arbre des gènes mitochondriaux regroupe la population mozambicaine avec S. epunctifera (Figure 13). Ceci est la marque d’une ancienne hybridation, qui s’est traduite par l’introgression d’ADN mitochondrial de S.  epunctifera  dans  S.  penniseti.  La  distance  génétique  mitochondriale  entre  l’hybride  et  S. epunctifera est importante (3,9%), ce qui montre que cette hybridation est ancienne. Elle n’a pu être préservée que par l’isolement de cette population mozambicaine survenu dans un passé lointain (il y a près de 2 millions d’années,  selon  le  taux d’évolution mis en évidence dans  la publication  sur S. nonagrioides). La distance génétique au moment de l’hybridation entre les deux espèces qui se sont croisées, S. epunctifera et S. penniseti, a été estimée à 3,7%, ce qui permet d’obtenir une estimation de  la distance génétique à partir de  laquelle  le statut d’espèce est acquis. En effet, si l’on considère que l’introgression ne concerne que l’ADN mitochondrial, qui est transmis par les femelles, et a peu touché l’ADN nucléaire, cela suggère une certaine stérilité des mâles hybrides, donc un processus de spéciation  déjà  partiellement  engagé.  On  peut  donc  situer  le  début  de  l’isolement  génétique caractérisé  par  un  début  de  stérilisation  des  mâles  hybrides,  à  une  distance  génétique mitochondriale d’environ 3,5%. 

Page 23: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

 

Figure 12. Arbre phylogénétique obtenu par les gènes nucléaires 

Page 24: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

 

Figure 13. Arbre phylogénétique obtenu par les gènes mitochondriaux 

 

2‐  Découverte d’un renforcement morphologique 

La nouvelle espèce  Sesamia  firmata est  caractérisée, entre autres, par des genitalia mâles très développés, avec de  longues structures, qui sont à  l’origine du nom que nous  lui avons donné. 

Page 25: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

Ces genitalia males sont très différents de ceux des autres espèces du groupe, et il en est de même pour  les genitalia  femelles. Cependant,  l’arbre phylogénétique, construit à partir de gènes neutres (des tests ont montré qu’ils ne présentaient aucune trace de sélection), place S. firmata non à une extrémité  mais  bien  au  milieu  des  autres  espèces,  en  groupe‐frère  de  la  paire  S.  poephaga‐S.epunctifera  (Figure  14),  avec  S.  penniseti  groupe‐frère  de  l’ensemble.  Ceci  suggère  que  le développement anormal des pièces génitales de cette espèce est le résultat d’une sélection sexuelle visant  à  accélérer  l’isolement  génétique.  Ceci  correspond  typiquement  à  la  définition  d’un renforcement :  « l’évolution  de  barrières  d’isolement  pré‐zygotiques  dans  des  régions  de chevauchement ou d’hybridation (ou les deux) résultant  d’une sélection contre l’hybridation ». 

La distribution géographique des espèces montre en effet que les distributions de S. firmata et  S.  penniseti,  deux  espèces  qui  vivent  sur  la même  plante‐hôte,  Pennisetum  purpureum,  sont parapatriques.  Des  contacts  fréquents  ont  dû  avoir  lieu  entre  ces  deux  espèces,  conduisant  au processus  de  renforcement  chez  S.  firmata.  A  l’inverse,  les  distributions  géographiques  de  S. penniseti  et  de  S.  epunctifera  étaient  séparées  (distributions  allopatriques)  jusqu’au moment  de l’expansion de S. penniseti vers le sud à la faveur d’une période humide. L’évolution des genitalia (et sans  doute  des  phéromones  sexuelles)  s’est  donc  effectuée  de  façon  neutre,  sans  pression  de sélection, ce qui a permis l’hybridation lorsque les deux espèces naissantes se sont retrouvées.  

 

Page 26: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

Figure 14. Arbre phylogénétique obtenu à partir de l’ensemble des gènes et morphologie de la valve droite des genitalia 

 

Page 27: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

3‐  Délimitation des espèces 

Ces deux découvertes majeures permettent de mieux comprendre le processus de spéciation dans le groupe epunctifera, et de proposer une solution à la question de la délimitation des espèces du groupe. Tout d’abord elles permettent de  situer  la distance mitochondriale à partir de  laquelle deux  espèces  naissent ;  ensuite  elles  montrent  que,  si  des  espèces  naissantes  isolées géographiquement entrent de nouveau en contact, elles s’hybrident dans le cas où leur isolement a été  complet  mais  est  encore  suffisamment  récent,  ou  bien,  dans  le  cas  où  les  contacts  sont fréquents, elles s’isolent par le processus de renforcement. 

L’étude  du  groupe  S.  poephaga‐S.epunctifera  basé  sur  des  séquences mitochondriales  de nombreux  individus montre que cet ensemble est divisé en deux clades géographiques distants de 4,5%. L’un des clades s’étend sur l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale, le second sur l’Afrique de l’est  et  l’Afrique  australe.  Cela  suggère  d’après  les  distributions  géographiques  mentionnées précédemment, que le premier pourrait être S. poephaga et le deuxième S. epunctifera. Mais s’agit‐il bien de deux espèces différentes ? 

 Le  fait  que  les  genitalia  de  ces  deux  taxons  soient  indistinguables  peut  s’expliquer  par  la faible  distance  génétique  traduisant  leur  isolement  récent.  En  effet,  les  autres  études  menées précédemment  sur  les  Sesamiina  n’ont  révélé  de  différences  morphologiques  qu’au‐delà  d’une distance génétique mitochondriale de 5%. La distance de 4,5% est néanmoins bien supérieure à celle de  la naissance des espèces déduite de  l’étude de  l’hybridation.  Il apparait donc probable qu’on se situe  à  un  niveau  de  divergence  où  l’isolement  génétique  est  acquis  sans  que  l’on  puisse  encore détecter  de  différence  morphologique  qualitative.  Une  analyse  de  nombreux  individus  a  révélé d’ailleurs une autre différence morphologique, moins aisément détectable:  la taille des genitalia est de 20% plus  importante chez  les  individus d’Afrique de  l’ouest et centrale. Or  il a été montré chez certaines espèces d’insectes qu’une telle différence quantitative peut empêcher  les croisements, et donc conduit à l’isolement génétique et à la spéciation. 

A cette distance génétique et à cette différence morphologique s’ajoutent  les observations écologiques, qui ont révélé que  les deux taxons sont non seulement  isolés géographiquement mais vivent sur des plantes hôtes différentes. Tous ces éléments convergents montrent que nous sommes bien en présence de deux espèces différentes.  

Pour  ce  qui  concerne  le  couple  S.  penniseti‐S.  poebora,  le  premier  élément  important  est qu’aucun nouvel exemplaire de S. poebora n’a pu être récolté malgré des prélèvements nombreux dans la région où cet insecte avait été récolté ; par contre S. penniseti a été trouvée au même endroit et dans  la même plante hôte. Par ailleurs,  la distance génétique entre  les S. penniseti d’Afrique de l’ouest et d’Afrique de l’est est faible, indiquant des flux de gènes importants entre ces deux régions. En outre, la présence de S. penniseti en Afrique de l’Est est probablement très ancienne puisqu’elle y était déjà au moment de  l’expansion qui a  conduit à  l’hybridation au Mozambique. Si S. poebora, dont les genitalia sont semblables à ceux de S. penniseti, existait à l’époque au même endroit, un des deux phénomènes observés, hybridation ou renforcement, aurait dû se produire au contact de ces deux espèces naissantes. Rien de tel n’est observé et la population de S. penniseti est génétiquement très  homogène  de  l’ouest  à  l’est  de  l’Afrique.  La    seule  différence morphologique  entre  les  deux taxons, qui a  conduit à  la  création de S. poebora, est  la présence de marques  importantes  sur  les ailes. Mais  l’observation détaillée des ailes de S. penniseti montre que, au même emplacement, de 

Page 28: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

telles marques existent, bien que beaucoup moins prononcées. Par ailleurs,  chez d’autres espèces proches,  comme  Sesamia  calamistis,  on  trouve  un  trait  central  sur  l’aile  qui  est  très  variable  en intensité  d’un  individu  à  l’autre,  ce  qui montre  qu’il  s’agit  là  d’un  simple  polymorphisme  infra‐spécifique. Toutes ces observations conduisent à la conclusion que l’individu qui a reçu le nom de S. poebora  appartient  en  fait  à  l’espèce  S.  penniseti.  S.  poebora  doit  donc  être  considéré  comme synonyme de S. penniseti. 

 

4‐  Conclusion 

L’utilisation  de  la  biologie moléculaire  a  permis  de  reconstruire  l’histoire  évolutive  de  ce groupe, de mieux comprendre le processus de spéciation et d’ainsi résoudre le problème ardu de la délimitation  des  espèces.  Elle  a  permis  de  mettre  en  évidence  des  mécanismes  d’isolement génétique rares comme  le renforcement morphologique. Elle a permis enfin  la découverte dans ce groupe  d’insectes  d’une  ancienne  hybridation  conservée,  ce  qui  est  exceptionnel  car  nécessite l’isolement de la population hybride, et n’a pas d’équivalent dans la littérature scientifique mondiale. 

 

3eme  exemple .  La  clarification  des  rangs  taxonomiques  supérieurs : l’exemple du genre Sciomesa. 

Un  des  genres  les  plus  confus  de  la  sous‐tribu  des  Sesamiina  était  le  genre  Sciomesa.  A l’origine, ce genre avait été créé pour trois espèces très proches par Tams et Bowden. Par  la suite, plusieurs auteurs ont eu à  identifier des  insectes qu’ils ne savaient où placer et  ils ont choisi de  les classer  provisoirement  dans  le  genre  Sciomesa,  bien  qu’ils  ne  correspondaient  pas  vraiment  à  la définition  stricte  du  genre,  et  sans  chercher  à  redéfinir  le  genre.  Ce  genre  est  ainsi  devenu  un ensemble hétérogène de 20 espèces et une révision s’imposait pour essayer de le clarifier. Là encore, la  combinaison  de  diverses  approches,  morphologique,  écologique  et  moléculaire,  a  permis  de mettre  de  l’ordre  dans  cet  ensemble  confus.  La  figure  15 montre  l’arbre  phylogénétique  obtenu, combinant  les  données  moléculaires  et  les  plantes‐hôtes.  Deux  nouveaux  genres,  Pirateolea  et Feraxinia,  ont  dû  être  créés  pour  y  classer  certaines  des  espèces  placées  à  tort  dans  le  genre Sciomesa. Toutes les espèces indiquées en gras sur le graphique sont celles qui avaient été placées à tort dans  le genre Sciomesa ; par ailleurs  l’étude a révélé que  l’une d’elles appartenait en  fait à un autre genre déjà existant, le genre Carelis. Le genre Sciomesa proprement dit est désormais réduit à cinq  espèces, dont deux nouvellement découvertes.  L’arbre phylogénétique  inclut de nombreuses espèces  autres  que  celles  appartenant  au  seul  genre  Sciomesa  d’origine,  afin  de  montrer  en particulier  que  le  nouveau  genre  Feraxinia,  issu  du  genre  Sciomesa  d’origine,  en  est  en  fait  fort éloigné au niveau évolutif. Or, dans ce cas particulier,  l’auteur qui avait placé ces  insectes dans  le genre Sciomesa en se basant sur la morphologie adulte avait indiqué que les genitalia de ces insectes les plaçaient sans aucun doute dans le genre Sciomesa. Il ne s’agissait donc pas pour ce groupe d’un classement provisoire mais d’une erreur due à la très grande ressemblance d’organes importants au niveau de  la  taxinomie des  lépidoptères. C’est un exemple particulièrement démonstratif du grand intérêt de l’introduction de la biologie moléculaire en systématique. 

Page 29: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

 

Figure 15. Arbre  reconstruisant, à partir de données moléculaires et des plantes‐hôtes,  les relations phylogénétiques entre les espèces placées initialement dans le genre Sciomesa. En gras, les espèces placées désormais dans d’autres genres. 

Page 30: L’apport de la biologie moléculaire à la systématique l ... de la...II‐ La biologie moléculaire, un nouvel outil d’aide à la classification. Les techniques de biologie moléculaire

 

 

Pour en savoir plus 

HOLLOWAY JD. 1998. Noctuidae. In: Polaszek A, ed., African cereal stem borers. London: CABI, 79‐86. 

MOYAL P. 2006. History of the systematics of the Sesamia sensu  lato group of African noctuid stem borers of monocotyledonous plants  (Lepidoptera). Annales de  la Société Entomologique de France, Volume 42(3‐4): 285‐291. 

MOYAL P., LE RU B., CONLONG D., CUGALA D., DEFABACHEW B., MATAMA‐KAUMA T., PALLANGYO B. & VAN DEN BERG  J. 2010. Systematics and molecular phylogeny of two African stem borer genera, Sciomesa Tams & Bowden and Carelis Bowden  (Lepidoptera: Noctuidae). Bulletin of Entomological Research, 100(6): 641‐659. 

MOYAL P., TOKRO P., BAYRAM A., SAVOPOULOU‐SOULTANI M., CONTI E., EIZAGUIRRE M., LE RÜ B., AVAND‐FAGHIH A., FREROT B. & ANDREADIS S. 2011. Origin and taxonomic status of the Palearctic population of  the stem borer Sesamia nonagrioides  (Lefèbvre)  (Lepidoptera : Noctuidae). Biological Journal of the Linnean Society, 103: 904‐922. 

MOYAL P., LE RU B., VAN DEN BERG J., RATNADASS A., CUGALA D., MATAMA‐KAUMA T., PALLANGYO B.,  CONLONG  D.  &  DEFABACHEW  B.  2011.  Morphological  reinforcement,  ancient  introgressive hybridization and  species delimitation  in African  stem borer  species of  the genus Sesamia Guenée (Lepidoptera : Noctuidae). Systematic Entomology, 36 : 421‐434. 

NYE,  I.W.B.  (1960). The  Insect Pests of Graminaceous Crops  in East Africa. Her Majesty's Stationery Office, London. 

TAMS, W.H.T & BOWDEN, J. (1953) A revision of the African species of Sesamia Guenée and related genera (Agrotidae‐Lepidoptera). Bulletin of Entomological Research, 43, 645‐679.