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22 RUE CASSETTE 75006 PARIS T. 01 44 39 71 30 / F. 01 44 39 71 39 [email protected] / www.efpp.fr De la nécessité de l’apprentissage précoce de la langue des signes Nicolas MURCIER, Naïma BOULET-MARCOU Avec la collaboration de Marie-Élisabeth HANDMAN et Maryvonne VANOYE avec le soutien de RECHERCHE-ACTION 2011/2013 ENTRÉE PRÉCOCE EN LSF RAPPORT FINAL DE RECHERCHE - SEPTEMBRE 2013 ÉCOLE DE FORMATION PSYCHO PÉDAGOGIQUE

L’apprentissage précoce de la langue des signes française ... · de la petite enfance qui ont accepté de nous rencontrer. Sans la disponibilité des uns et des autres cette recherche

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22 RUE CASSETTE 75006 PARIST. 01 44 39 71 30 / F. 01 44 39 71 39 [email protected] / www.efpp.fr

La recherche que nous avons entreprise souhaite contribueraux nécessaires prisesde conscience en la matière.

De la nécessitéde l’apprentissage précocede la langue des signesNicolas MURCIER, Naïma BOULET-MARCOUAvec la collaboration deMarie-Élisabeth HANDMAN et Maryvonne VANOYE

De la nécessitéde l’apprentissage précoce de la LSF

L’apprentissage précoce de la langue des signes française est une nécessité. Telle est la conclusion à laquelle est arrivée l’équipe de recherche de l’EFPP, après avoir travaillé pendant près de deux années sur l’accueil collectif et l’accompagnement des jeunes enfants confrontés à la surdité.

Pour qu’il atteigne son but, l’accueil de jeunes enfants sourds en milieu ordinaire prôné par la loi du 11 février 2005 requiert la présence simultanée de plusieurs enfants sourds parmi des enfants entendants, ainsi que la possibilité pour eux de rencontrer des adultes et des pairs « signeurs » en LSF, qu’il s’agisse de professionnel-les ou d’enfants, sourds ou entendants. Le bilinguisme au sein des établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE) apparaît dès lors comme une nécessité, tant pour les jeunes enfants sourds que pour leurs parents. Se pose alors la question de l’effectivité de la présence dans ces structures de professionnel-les sourd-es, mais également de leur accès aux formations professionnelles du secteur de la petite enfance, particulièrement à celles ouvrant aux fonctions éducatives. De plus, une sensibilisation de tous les étudiant-es et professionnel-les de la petite enfance à la surdité et à la LSF est souhaitable, puisque la maîtrise d’une base en LSF permet de répondre de meilleure manière à l’accueil de jeunes enfants sourds.

Il s’agit de pouvoir penser – et non panser – la surdité autrement que comme constituant seulement un handicap. La surdité est souvent décrite, désignée depuis l’extérieur comme une déficience à réparer. La réduire ainsi peut nous empêcher d’ « entendre » les revendications de la communauté sourde. On pressent comment la décentration d’une appréhension purement médicale et réparatrice de la surdité ouvre le champ des possibles et permet une autre approche de l’éducation des jeunes enfants sourds. C’est un enjeu majeur pour l’évolution des pratiques d’accompagnement, actuelles et futures, que de porter un autre regard sur la surdité. D’autant que, par contagion, cette « normalisation » de la surdité serait susceptible de s’étendre, bénéficiant ainsi à d’autres handicaps.

EFPP - RECHERCHES - ÉTUDES

22 RUE CASSETTE 75006 PARIST. 01 44 39 71 30 / F. 01 44 39 71 39 [email protected] / www.efpp.fr

avec le soutien de

RECHERCHE-ACTION 2011/2013

ENTRÉE PRÉCOCE EN LSFRAPPORT FINAL DE RECHERCHE - SEPTEMBRE 2013

RAPPORT FINAL DE RECHERCHE - SEPTEMBRE 2013

ÉCOLE DE FORMATION PSYCHO PÉDAGOGIQUE

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De la nécessité de l’apprentissage précoce

de la langue des signes

Rapport final de recherche

Nicolas MURCIER Naïma BOULET-MARCOU Avec la collaboration de Marie-Élisabeth HANDMAN Maryvonne VANOYE

École de Formation Psycho Pédagogique

Septembre 2013

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À la mémoire de François Giraud, décédé dans la nuit du 10 au 11 septembre 2013 à l’âge de trente et un ans.

Éducateur spécialisé sourd formé à l’EFPP de 2007 à 2010, François Giraud, très engagé et créatif, compte parmi les personnes

qui ont apporté leur contribution à cette recherche.

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Remerciements

Au terme de ces deux années durant lesquelles nous avons collectivement travaillé sur l’accompagnement des jeunes enfants sourds et leurs possibilités d’un accès précoce à la langue des signes française, et à l'issue de la rédaction de cette recherche, nous tenons à remercier les nombreuses personnes qui ont permis sa réalisation et qui, à un titre ou un autre, en sont également les co-auteurs.

Nous remercions chaleureusement les parents pour la confiance qu'ils nous ont accordée en acceptant de nous recevoir et en nous faisant partager leur manière de vivre leur surdité et/ou celle de leur(s) enfant(s).

Nous remercions vivement les professionnel-les de la santé, de l’éducation spécialisée ou de la petite enfance qui ont accepté de nous rencontrer.

Sans la disponibilité des uns et des autres cette recherche n’aurait pu voir le jour.

Nous souhaitons également remercier les membres du comité de pilotage 1 de la recherche, qui ont largement contribué à sa réalisation. Enfin, sans le soutien financier du Grif2 et – via l’ASP3 – des sociétés Natixis, Tegaz et McDonald’s, et sans celui de la Fondation Bettencourt-Schueller, ces travaux n’auraient pu être menés à leur terme. Qu’ils en soient ici vivement remerciés.

1. Outre les rédacteurs de ce rapport – Naïma Boulet-Marcou, psychologue clinicienne, Marie-Élisabeth Handman, anthropologue, maîtresse de conférences à l’EHESS, présidente du Conseil scientifique EFPP, Nicolas Murcier, sociologue, juriste, responsable de projets EFPP, Maryvonne Vanoye, psychologue clinicienne, psychothérapeute –, le Comité de pilotage est composé de : Marie-Christine David, directrice générale EFPP, éducatrice spécialisée, psychanalyste, Jean-François Dutheil, directeur de l’Institut national de jeunes sourds de Paris, Didier Flory, linguiste, interprète LSF, Jean-Pierre Husson, directeur adjoint EFPP, Françoise Langlois-Berthelot, éducatrice de jeunes enfants, responsable de projets, responsable de l’année préparatoire pour les étudiants sourds EFPP, Patricia McCallum, éducatrice spécialisée, responsable des formations supérieures et continue EFPP, Isabelle Noël, éducatrice de jeunes enfants, responsable de projets EFPP, Catherine Noël, assistante de projets EFPP. 2. Groupement de recherche d’Île-de-France. 3. Au Service de la Profession, organisme collecteur de la taxe d’apprentissage.

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Sommaire

Introduction ...................................................................................................................... 9

Chapitre I - Contexte et dispositif de la recherche ............................................................ 11

1. Objectifs de la recherche ............................................................................................ 11

2. Dispositif de la recherche : cadre méthodologique .................................................... 11

Chapitre II - Le cadre de l’accueil ..................................................................................... 15

1. La prise en charge au sein de l’éducation spécialisée ................................................ 15

a) Les Centres d’action médico-sociale précoce ........................................................ 15

b) Les services d’éducation spéciale et de soins à domicile....................................... 16

2. L’accueil en milieu ordinaire ..................................................................................... 16

a) L’accueil des jeunes enfants, une nécessité sociale ............................................... 16

b) Des personnels diversement qualifiés .................................................................... 17

c) La professionnalisation de l’éducation des jeunes enfants..................................... 18

d) Des « métiers de femmes » .................................................................................... 18

Chapitre III - L’accueil du jeune enfant handicapé ou déficient en milieu ordinaire ........... 19

1. L’accueil en collectif : choix ou nécessité ? .............................................................. 19

2. Intégrer, inclure ou accueillir ? .................................................................................. 20

a) Qu’est-ce que l’intégration ? .................................................................................. 20

b) De l’intégration à l’inclusion ................................................................................. 21

3. Perception du handicap par les différents acteurs ...................................................... 22

a) Vécu subjectif du handicap par les parents ............................................................ 22

b) Vécu subjectif du handicap par les professionnel-les ............................................ 24

Chapitre IV - La surdité : un handicap, une déficience ? .................................................. 27

1. Présentation de la surdité ........................................................................................... 27

a) Différentes définitions de la surdité ....................................................................... 27

b) Un « handicap » particulier .................................................................................... 28

c) Quelques éléments démographiques ...................................................................... 29

d) Diversité des surdités ............................................................................................. 30

d) Moyens de compensation de la surdité .................................................................. 31

2. Contexte historique................................................................................................. 31

Chapitre V - Diagnostic et annonce du handicap .............................................................. 35

1. Une question d’écarts ................................................................................................. 35

2. L’annonce................................................................................................................... 35

3. Le dépistage de la surdité ........................................................................................... 39

4. Question de temporalité ............................................................................................. 43

5. Le diagnostic : une affaire essentiellement médicale ................................................. 45

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Chapitre VI - L’accompagnement des parents .................................................................. 49

1. Handicap et activité professionnelle parentale .......................................................... 49

a) Une hiérarchie toujours d’actualité des rôles parentaux ........................................ 49

b) Des différences permanentes entre l’emploi masculin et l’emploi féminin .......... 51

c) Le recours contraint au congé parental et au complément du libre choix d’activité lié au handicap ou à la déficience .............................................................................. 52

d) De la nécessaire disponibilité à l’inactivité ou à la recherche d’un emploi à proximité 53

e) Le travail « au loin », la moindre disponibilité des pères renforcent la nécessité de la présence maternelle : l’exemple du milieu rural ............................................... 54

2. Du diagnostic à la prise en charge : un temps long ................................................... 55

a) La solitude des parents ........................................................................................... 55

b) La confrontation à la surdité .................................................................................. 56

c) La découverte de la LSF ........................................................................................ 59

d) Des pères davantage en difficulté .......................................................................... 61

3. Les relations parents sourds/professionnel-les .......................................................... 62

Chapitre VII - L’accompagnement du jeune enfant sourd ................................................ 65

1. Accueil en milieu ordinaire du jeune enfant sourd .................................................... 65

2. La collectivité : un espace de socialisation et d’éveil pour les jeunes enfants sourds ...... 68

3. La collectivité : un espace de développement langagier ........................................... 69

4. L’importance des histoires dans le développement langagier et cognitif .................. 71

a) Les histoires ........................................................................................................... 71

b) Construire du sens ................................................................................................. 71

c) Élaborer un échange .............................................................................................. 73

d) De la nécessité de penser l’aménagement de l’espace .......................................... 73

e) Une offre peu diversifiée voire absente ................................................................. 74

5. Un accueil bénéfique pour les jeunes enfants entendants et sourds .......................... 74

Chapitre VIII - De la nécessaire ouverture des professions de la petite enfance aux professionnel-les sourd-es ................................................................................................. 77

1. De la nécessité de la présence de professionnel-les sourd-es .................................... 77

2. Quelle place dans l’équipe ? ...................................................................................... 79

3. Quelle formation ? ..................................................................................................... 80

Conclusion ..................................................................................................................... 81

Références bibliographiques et filmographiques .......................................................... 83

Lexique des sigles .......................................................................................................... 87

Annexe 1 : Volet 2 ........................................................................................................ 89

Annexe 2 : Volet 3 ........................................................................................................ 91

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Introduction

La recherche De la nécessité de l'apprentissage précoce de la langue des signes présentée ici concerne l’accueil et l’accompagnement au sein des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) des enfants confrontés à la surdité (jeunes enfants sourds ou jeunes enfants entendants de parents sourds) et l’accès précoce à la langue des signes française (LSF). La question de départ de cette recherche interroge l’appropriation par les tout jeunes enfants de la LSF, particulièrement les difficultés qu’ils rencontrent quand ils ne peuvent se trouver dans un « bain de signes » contrairement à ceux, entendants, naturellement immergés dans le bain de langage oral leur permettant l’appropriation de leur langue maternelle dès la naissance. La recherche interroge la prise en charge des tout-petits en milieu ordinaire, dans l’esprit de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. En effet, cette loi affirme la primauté du milieu ordinaire sur le milieu spécialisé selon un principe de subsidiarité : ainsi, tout enfant, tout adolescent en situation de handicap ou présentant un trouble invalidant de la santé doit prioritairement être inscrit dans une institution éducative en milieu ordinaire, à proximité de son domicile. Cette loi affirme aussi la reconnaissance de la LSF au même titre que la langue française. Il s’agit de questionner les incidences sur les pratiques éducatives en milieu ordinaire de l’accueil de jeunes enfants sourds et surtout sur les possibilités d’appropriation de la LSF par les jeunes enfants lorsqu’ils ne sont pas confrontés à des adultes et/ou des pairs « signeurs ». Toutefois, la recherche entreprise par l’EFPP ne se limite pas là. Elle s’inscrit dans un ensemble comportant deux autres volets4, à propos desquels le lecteur trouvera, en annexe au présent rapport, des éléments d’information. La question se pose de l’inclusion en EAJE du jeune enfant en situation de handicap, présentant une déficience ou porteur d’une maladie chronique. Selon le décret n° 2000-762, du 1er août 2000, relatif aux établissements et services d’accueil pour enfants de moins de six ans (article R. 180-1) : « Les établissements et les services d'accueil veillent à la santé, à la sécurité et au bien-être des enfants qui leur sont confiés, ainsi qu'à leur développement. Ils concourent à l'intégration sociale de ceux de ces enfants ayant un handicap ou étant atteints d'une maladie chronique. Ils apportent leur aide aux parents afin que ceux-ci puissent concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. »

4. Volet 2 : ouverture de la formation d’Éducateur de Jeunes Enfants aux sourds, cf. p. 89 ; volet 3 : invention et création d’outils pour faciliter l’appropriation de la LSF par les jeunes enfants sourds, cf. p. 91.

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Malgré l’ouverture des EAJE, par le législateur, aux jeunes enfants en situation de handicap, leur présence dans les structures en milieu ordinaire est encore peu importante5 et se limite bien souvent à l’accueil, dans chaque établissement, d’un ou deux d’entre eux. Pourtant, comme les autres enfants, les jeunes enfants handicapés ont besoin de rencontrer leurs pairs et les parents ont autant besoin de disposer de temps à eux afin d’exercer une activité professionnelle, de s’occuper d’eux-mêmes et, dans le cas de la surdité, d’apprendre la LSF, notamment. Malgré les discours sur l’inclusion, il semble exister des barrières à l’accueil effectif dans les EAJE de tous les jeunes enfants, notamment ceux en situation de handicap. Comme le soulignent Cécile Herrou et Simone Korff-Sausse, « […] comme les autres, l’enfant porteur d’un handicap, quelle qu’en soit la nature ou la gravité, a besoin de vivre parmi les siens, au sein de sa famille, mais aussi avec ceux de sa classe d’âge. Comme les autres, l’enfant handicapé a besoin de rencontrer des personnes, enfants et adultes, ne faisant pas partie du cercle restreint de la famille.6 » Les résultats de notre étude sont limités. Nous n’avons pas la prétention de rendre compte de toutes les situations d’accueil en milieu ordinaire des jeunes enfants sourds.

5 . Éric PLAISANCE, avec la collaboration de Catherine BOUVE, Marie-France GROSPIRON et Cornélia SCHNEIDER, « Petite enfance et handicap. La prise en charge des enfants handicapés dans les équipements collectifs de la petite enfance », Dossiers d’études, n° 66, mars 2005. 6 . Cécile HERROU et Simone KORFF-SAUSSE, Intégration collective de jeunes enfants handicapés, Toulouse, Érès, « Connaissance de l’éducation », 2004, p. 10.

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Chapitre I - Contexte et dispositif de la recherche

1. Objectifs de la recherche

L’accueil en milieu ordinaire des jeunes enfants handicapés, particulièrement au sein des EAJE ou au domicile des assistant-es maternel-les, participe à l’effectivité des politiques publiques en faveur de l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des jeunes enfants handicapés, et ce dès leur plus jeune âge.

L’enjeu de l’accueil de tous les enfants nous semble poursuivre une triple finalité :

- Premièrement, en participant à la socialisation au sein d’un collectif enfantin, participer à l’autonomisation des sujets, tout en permettant l’effectivité du « vivre ensemble », et ce dès le plus jeune âge.

- Deuxièmement, reconnaître le jeune enfant handicapé comme un sujet.

- Troisièmement, éviter l’enfermement et la solitude que vivent, à bas bruit, tant les jeunes enfants que leurs parents – essentiellement les mères – et permettre à ces derniers de maintenir ou de reprendre une activité professionnelle.

Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes intéressés à la surdité.

Conduite par l’EFFP, la recherche vise à :

- Réaliser un état des lieux de la place tant des professionnel-les sourd-es que des jeunes enfants sourds dans le secteur de la petite enfance, et particulièrement de l’inclusion des tout jeunes enfants sourds au sein du milieu ordinaire.

- Réaliser un état des lieux de la mise à disposition des jeunes enfants sourds et de leur famille d’outils et de dispositifs pédagogiques destinés à permettre et faciliter la communication tant intra et interfamiliale qu’entre pairs (sourds et entendants), et entre professionnel-les et enfants.

- Appréhender les besoins des professionnel-les de la petite enfance en situation d’accueillir dans des établissements d’accueil en milieu ordinaire de jeunes enfants sourds, qu’il s’agisse de formations, d’outils ou de techniques.

2. Dispositif de la recherche : cadre méthodologique

Cette étude se situe dans le prolongement de la recherche menée par l’EFPP en 2009 et 20107. Si le champ demeure le même, à savoir la surdité, nous avons déplacé la focale vers la petite enfance pour travailler la question de l’accueil en milieu ordinaire de jeunes enfants sourds et leurs possibilités d’appropriation de la LSF. Ce travail s’inscrit dans une approche compréhensive tant du discours des professionnel-les de la petite enfance et du vécu des familles que des observations réalisées dans des établissements d’accueil pour jeunes enfants (EAJE). 7 . Laurent OTT, Alain BONNAMI (dir), Ouvrir le travail social aux professionnels sourds, Paris, L’Harmattan, 2011.

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La recherche menée utilise trois méthodes d’enquête, à savoir :

- L’observation participante.

- Le recueil d’histoires de vie auprès de familles ayant un jeune enfant sourd ou dont l’un ou les deux parents sont eux-mêmes sourds.

- La réalisation d’entretiens semi-directifs auprès de professionnel-les de l’éducation spécialisée ou de la petite enfance, de parents et de personnalités qualifiées.

L’observation participante

L’observation participante est une technique d’enquête issue d’un courant sociologique définie par Bogdan et Taylor8 comme « une période d’interactions sociales intenses entre le chercheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers. Au cours de cette période, des données sont systématiquement collectées […]. Les observateurs s’immergent personnellement dans la vie des gens. Ils partagent leurs expériences ».

L’utilisation des histoires de vie

Le deuxième outil que nous avons retenu consiste en la réalisation d’entretiens non directifs afin de recueillir des histoires de vie qui, selon Jean-Louis Le Grand et Gaston Pineau9, permettent la « recherche et la construction de sens à partir de faits temporels personnels ».

Les entretiens

Vingt entretiens ont été effectués et ont conduit à recueillir et à transcrire plus de vingt-cinq heures d’échanges et de témoignages. Ces entretiens permettent d’affiner et de contextualiser certains éléments. Nous avons rencontré :

1. Des parents entendants d’enfants sourds, sourds d’enfants entendants ou sourds d’enfants sourds.

2. Des professionnel-les sourd-es et entendant-es de Centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) et de Services d’accompagnement familial et d’éducation précoce (SAFEP), de la santé et de la recherche.

3. Des professionnel-les d’EAJE.

4. Des acteurs issus de la communauté sourde. À partir d’une définition extensive de la notion de « communauté Sourde » étendue aux acteurs associatifs et institutionnels historiquement implantés, nous avons décidé de recueillir les points de vue de différentes organisations :

- Associations de sourds.

- Associations de parents d’enfants sourds.

- Acteurs culturels de cette communauté.

Avec l’accord des personnes interviewées, les entretiens ont été enregistrés puis ont fait l’objet d’une transcription fidèle au mot près. Tous ont été réalisés dans une même période de cinq mois, entre novembre 2012 et mars 2013. 8 . Cités par Georges LAPASSADE, « Observation participante », in Jacqueline Barus-Michel, Eugène Enriquez, André Lévy (dir.), Vocabulaire de psychosociologie, Toulouse, Érès, 2002, p. 375. 9. Gaston PINEAU, Jean-Louis LE GRAND, Les Histoires de vie, 1993, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1993.

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Les entretiens sont consacrés à la perception de la surdité et de l’accompagnement existant des jeunes enfants sourds. Lors des entretiens avec les professionnel-les ont été évoqués leur parcours, leurs motivations à travailler auprès de jeunes enfants sourds, leurs représentations de la surdité, leur conception de l'éducation nécessaire aux jeunes enfants sourds, les modalités d’accompagnement, etc. La quasi-totalité d’entre eux travaillent auprès de jeunes enfants âgés de zéro à trois ans et exercent à Paris ou en Eure-et-Loir. De même, avec les parents, ont été évoqués leur parcours biographique, leur vécu de la rencontre avec la surdité, leurs représentations de la surdité, leurs difficultés, leur rapport à la LSF, la conciliation entre les différents temps sociaux (vie familiale, activité professionnelle, gestion des prises en charge de leur enfant), etc.

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Chapitre II - Le cadre de l’accueil

1. La prise en charge au sein de l’éducation spécialisée

Les jeunes enfants en situation de handicap ou de déficience sensorielle peuvent bénéficier d’une prise en charge en établissement ou service médico-social relevant de l’éducation spécialisée. Cette prise en charge spécialisée permet un accompagnement et un soutien tant des enfants que de leurs familles pouvant prendre diverses formes d'aide : suivi de la santé, entretiens parents-enfants ou parents seuls, psychothérapies, prise en charge éducative et rééducative (orthophonie, psychomotricité). Essentiellement deux types d’établissement médico-social participent à la prise en charge des jeunes enfants sourds âgés de zéro à trois ans : les Centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) et les Services d’accompagnement familial et d’éducation précoce (SAFEP) qui font partie des Services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD).

a) Les Centres d’action médico-sociale précoce

Les CAMSP accueillent des enfants de la naissance à six ans en situation ou susceptibles d’être en situation de handicap, de présenter une déficience, un retard psychomoteur, des troubles sensoriels, neuro-moteurs ou cognitifs, avec ou sans troubles relationnels associés. La prise en charge précoce au sein d’un CAMSP a pour objectifs :

- Le dépistage de handicaps ou de déficiences.

- La prévention de leur aggravation.

- Une prise en charge rééducative précoce en ambulatoire.

- Le soutien et l’accompagnement des familles.

- L’aide à l’intégration dans les établissements d’accueil du jeune enfant (crèche, halte-garderie, multi-accueil, école maternelle).

- La coordination du suivi de la santé de l’enfant et la coordination avec les structures hospitalières et les professionnels de santé exerçant en activité libérale (médecins, orthophonistes, etc.).

La prise en charge est pluridisciplinaire, associant généralement des pédiatres, des pédopsychiatres, des psychologues et/ou des neuropsychologues, des orthophonistes, des assistants de service social, des neuropédiatres, des kinésithérapeutes, des psychomotriciens, des éducateurs spécialisés et/ou des éducateurs de jeunes enfants… Il existe des CAMSP polyvalents (prenant en charge tous les types de handicap ou de déficience) et des CAMSP monovalents (prenant en charge un seul handicap ou déficience, par exemple la surdité). Les CAMSP bénéficient d’un double financement, défini à l’article L. 2118-8 du code de la santé publique, sous forme d’une dotation globale : 80 % au titre de l’assurance-maladie, pour l’activité de soins, et 20 % au titre de la PMI, pour l’activité de prévention.

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b) Les services d’éducation spéciale et de soins à domicile

Les SESSAD interviennent, sur notification de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), sur les différents lieux de vie des enfants en situation de handicap. Leurs missions sont sensiblement les mêmes que celles assurées par les CAMSP. Les SESSAD visent notamment au soutien à l'intégration scolaire ou à l'acquisition de l'autonomie des enfants et adolescents jusqu'à vingt ans, en lien avec les familles. Le plus souvent les SESSAD prennent en charge les enfants à partir de l’âge de trois ans, les SAFEP dès la naissance. Les SESSAD sont également composés d'une équipe pluridisciplinaire associant pédiatres, pédopsychiatres, psychologues, neuropsychologues, orthophonistes, assistants de service social, neuropédiatres, kinésithérapeutes, psychomotriciens, éducateurs spécialisés et/ou éducateurs de jeunes enfants… Les SESSAD sont spécialisés par type de handicap. Leur appellation diffère en fonction du handicap pris en charge. En matière de surdité, on distingue :

- les SAFEP (Service d'accompagnement familial et d'éducation précoce) pour les déficiences auditives et visuelles graves des enfants de zéro à trois ans.

- les SSEFIS (Service de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire) pour les déficiences auditives graves des enfants de plus de trois ans.

Le financement des SESSAD est pris en charge par l’Assurance-maladie sous la forme d’une dotation globale.

2. L’accueil en milieu ordinaire

a) L’accueil des jeunes enfants, une nécessité sociale

Dans la Constitution française, travailler est un droit ; cependant, le contexte socio-économique depuis les années 1980 ne permet pas à chacun, notamment aux femmes, de trouver un emploi. Ces dernières subissent davantage que les hommes les emplois précaires, les temps partiels non souhaités et occupent généralement des emplois moins (voire très peu) qualifiés, moins et peu rémunérés, c’est-à-dire qu’elles connaissent un contexte professionnel difficile. Cependant, la majorité d’entre elles occupent un emploi, y compris lorsqu’elles sont mères. L’entrée dans la maternité vient complexifier la possibilité pour les femmes d’avoir une activité professionnelle et de la poursuivre après la naissance ; la nécessité et la difficulté de trouver un mode de garde ne sont plus à démontrer. Cependant, le fait d’avoir obtenu une place dans un établissement d’accueil régulier n’apparaît pas suffisant pour permettre une réelle conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. En effet, à l’écart entre les offres et les demandes de places en structures d’accueil collectif ou individuel s’ajoute un autre facteur qui limite la possibilité pour nombre de mères d’avoir une activité professionnelle à plein-temps ou leur permettant d’assumer des responsabilités et donc d’occuper des postes d’encadrement : les contraintes concernant les limites horaires de l’arrivée du matin et du départ du soir imposées aux parents.

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La France connaît une pluralité de modes de garde ; outre les réseaux familiaux relationnels (grands-parents, collatéraux, voisins), il existe une diversité de modalités et d’équipements d’accueil : EAJE, assistant-es maternel-les agréé-es à titre indépendant, école maternelle, accueils de loisirs sans hébergement (ALSH), etc. Cependant, l’analyse de la diversité des modes de garde et d’accueil, particularité française, met en évidence qu’elle ne profite pas à tous les ménages. L’utilisation du terme « libre choix », notamment dans les politiques familiales, du mode de garde apparaît donc, dans bien des cas, mensongère10.

b) Des personnels diversement qualifiés

Qui sont les professionnel-les de la petite enfance ? Si l’on se réfère à la définition de Suzon Bosse-Platière, « est professionnel de la petite enfance toute personne dont le travail salarié consiste à garder, éduquer, soigner des enfants de moins de six ans en l’absence de leurs parents11 », on est confronté à un problème de lisibilité tant sous la même appellation se trouvent réunis de métiers d’une grande diversité aussi bien par la formation que par le champ de compétences. Le secteur de la petite enfance apparaît être un champ professionnel aux contours incertains. En effet, sous la même appellation, sont regroupé-es les éducateurs/trices de jeunes enfants, les puériculteurs/trices, les auxiliaires de puériculture, les assistant-es maternel-les, les enseignant-es de maternelle, les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), ainsi que tous ceux qui, dans le cadre de leur activité professionnelle, participent à l’éducation ou aux soins des jeunes enfants. Dès lors, on se rend compte de toute la difficulté de définir les professionnel-les de la petite enfance puisque cette définition est soit trop large et risque donc d’être illisible, soit trop restrictive et ne prend pas en compte tous les professionnels qui composent le paysage de la petite enfance. Certaines professions n’existent qu’en raison de la délégation/relégation de certaines tâches par d’autres professions. Il en est ainsi du métier d’auxiliaire de puériculture. Les différentes tâches que requiert la prise en charge de bébés et de tout jeunes enfants sont hiérarchisées. Si tout-es les professionnel-les exerçant en établissement d’accueil de la petite enfance sont en mesure de prendre soin des jeunes enfants, en pratique ils/elles n’effectuent pas tout-es les mêmes tâches, notamment les soins du corps. Les jeunes enfants, en raison de leur dépendance extrême à un autre qui prodigue soins, attention et tendresse, sont confiés dans la vie quotidienne aux auxiliaires de puériculture. Comme dans le secteur du service à la personne, de l’aide à domicile, ou du soin du corps à l’hôpital, les jeunes enfants comme les personnes dépendantes et/ou vulnérables sont confiés aux personnels les moins qualifiés et les moins rémunérés12. En effet, plus un-e professionnel-le se trouve près du corps, de la souillure, moins l’exigence de qualification est élevée, plus la formation est courte et plus le salaire qu’octroie le métier est faible. Plus les intervenant-es sont qualifié-es, plus ils/elles s’assignent les tâches valorisées et plus ils/elles délèguent et relèguent les tâches les moins valorisées, comme par exemple le change des couches, et s’éloignent de la présence directe et continue au jeune enfant.

10. Jeanne FAGNANI, Un travail et des enfants. Petits arbitrages et grands dilemmes, Paris, Bayard, 2000. 11. Suzon BOSSE-PLATIÈRE, Les Maternités professionnelles, l'accompagnement éducatif des jeunes enfants : Motivations, soucis d'identité, modalités de formation, Toulouse, Érès, 1989. 12. Everett C. HUGHES, Le Regard sociologique. Essais choisis. Textes rassemblés et présentés par Jean-Michel Chapoulie, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996.

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c) La professionnalisation de l’éducation des jeunes enfants

À partir du XIXe siècle, les médecins hygiénistes ont mis en avant la nécessité d’éduquer les mères aux préceptes de la puériculture. Les institutions de garde et d’accueil des jeunes enfants ont constitué un vecteur idéal pour cette éducation. Une fois affirmé le postulat d’une éducation nécessaire des mères, il devient évident que les personnes chargées de garder les bébés pendant le travail de leur mère doivent, elles aussi, être formées selon les mêmes principes. C’est dans la physiologie et l’hygiène que vont être puisés les contenus des formations destinées aux auxiliaires de puériculture et aux puéricultrices, configurant ainsi une culture pédiatrique professionnelle qui va longtemps être dominante dans les crèches collectives (culture d’ailleurs toujours actuelle). Les mutations du contexte socio-économique entraînent une évolution des différents métiers de l’enfance qui conduit les étudiant-es des divers cursus à développer des aptitudes communes, notamment en ce qui concerne les métiers de puériculteur-trice et d’éducateur-trice de jeunes enfants. La modification des connaissances et des savoirs relatifs à la petite enfance a sans nul doute conduit à ces évolutions.

d) Des « métiers de femmes »

Le point commun à tous les métiers de la petite enfance est leur très forte féminisation. L’accès des hommes aux professions et aux institutions de garde et d’accueil de la petite enfance demeure marginal et complexe. Lorsque la profession consiste à prendre en charge de jeunes enfants, les hommes sont quasiment absents. Ils représentent 1 % seulement des emplois d’assistants maternels, d’auxiliaires de puériculture et de puériculteurs, 3 % environ des emplois d’éducateurs de jeunes enfants, profession de la petite enfance la moins féminisée. Toute activité qui confronte le professionnel au tout-petit « exclut, par assimilation de la féminité à la maternité 13 », les hommes d’une profession nécessitant une proximité avec de jeunes enfants. Les métiers confrontant le professionnel au soin, au corps ou à la souillure sont donc hyperféminisés et, nous l’avons vu, dévalorisés socialement. L’idéologie de « l’instinct maternel » et la matrifocalisation des théories ajoutent leur poids à cette « prédestination » des femmes aux fonctions d’éducation des tout jeunes enfants. Puisque les femmes s’occupent « naturellement » des jeunes enfants au sein de la sphère privée, c’est donc tout aussi naturellement qu’elles mettront leurs compétences au service d’un exercice professionnel. C’est seulement en 1973, avec la création et l’institutionnalisation du diplôme d’État d’éducateur de jeunes enfants, profession se substituant à celle de jardinière d’enfants, que le champ de l’éducatif auprès des enfants âgés de zéro à sept ans s’ouvre aux hommes. Il en va de même dans les secteurs paramédical et médical avec la possibilité pour les hommes de faire des études de puériculture ou de sage-femme en 198214. 13. Marc BESSIN, « Le Travail social est-il féminin? », in Jacques Ion (dir.), Le Travail social en débat[s], Paris, La Découverte, 2005, p. 152 à 169 et « Envisager la mixité dans le travail social », Chantiers politiques, n° 3, second semestre 2005, p. 79 à 89. 14. La loi n° 82-413 du 19 mai 1982 modifie la loi n° 191 du 24 avril 1944, la loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967, ainsi que certaines dispositions du code de la santé publique relatives à l'exercice de la profession de sage-femme. Elle abroge le second alinéa de l'article 6 de la loi n° 191 du 24 avril 1944 et stipule notamment que « les termes désignant les personnes candidates se destinant à la profession de sage-femme s'appliquent aux candidats des deux sexes ».

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Chapitre III - L’accueil du jeune enfant handicapé ou déficient en milieu ordinaire

1. L’accueil en collectif : choix ou nécessité ?

Selon l’analyse de Patrick Mauvais, « pour le très jeune enfant, la collectivité n’est pas un besoin. Elle est liée à un besoin social et économique des parents, puisque, même s’il représente un coût important, l’accueil de l’enfant en son sein conditionne souvent l’exercice d’une activité professionnelle.15 » En effet, lorsque les parents ne trouvent pas de mode d’accueil pouvant recevoir leur enfant durant leur activité professionnelle, l’un des deux est alors contraint de s’arrêter de travailler – dans la majorité des cas il s’agit de la mère. D’ailleurs, en France, la garde des enfants de moins de trois ans est encore largement réalisée par un des deux parents, essentiellement la mère (pour environ 98 % des enfants gardés par l’un des parents). Les crèches, haltes-garderies et structures multi-accueil ne proposent que 369 300 places pour 2 464 739 jeunes enfants16. Les représentations sociales de la petite enfance se sont largement modifiées au cours des trois dernières décennies, ainsi que l’accueil des tout-petits en structures collectives17. La petite enfance est actuellement objet d’un intérêt éducatif et social accru, tout au moins dans les discours. Les établissements d’accueil pour jeunes enfants sont devenus des espaces d’éveil et de socialisation. Comme le souligne Patrick Mauvais, « la socialisation primaire s’enracine dans la relation avec les parents […] et repose sur de tout autres bases que celles de l’intégration en collectivité et la confrontation précoce au groupe18 ». L’auteur montre ainsi le glissement sémantique qui fait naître une confusion « entre vie en collectivité et processus psychiques [et sociaux] en jeu dans la socialisation proprement dite19 ». Si ce glissement a pu se produire, c’est en partie parce que dans les sociétés occidentales, les apprentissages – un certain type d’apprentissages, notamment ceux liés à l’activité scolaire – sont mis en avant et ce dans une « culture » de la vitesse où l’individu est sommé « d’être soi20 » et d’être compétent le plus tôt possible. Les recherches sur le bébé – qui se sont multipliées à partir de la seconde moitié du XXe siècle – et les documentaires 21 – largement diffusés – montrent un bébé doué de capacités, de potentialités, capable d’interagir précocement avec son environnement et apte à de nombreux apprentissages. Il conviendrait alors de développer ces capacités, de stimuler l’enfant.

15. Patrick MAUVAIS, « Socialisation précoce et accueil du très jeune enfant en collectivité », Médecine & Enfance, septembre 2002, p. 406. 16. OBSERVATOIRE NATIONAL DE LA PETITE ENFANCE, « L’accueil du jeune enfant en 2011. Données statistiques », caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/Dser/essentiel/accueiljeuneenfantint_bd_fin.pdf. 17. Voir notamment Catherine BOUVE, Les Crèches collectives : usagers et représentations sociales, Paris, L’Harmattan, 2001 ; Liane MOZÈRE, Le Printemps des crèches, histoire et analyse d’un mouvement, Paris, L’Harmattan, 1992. 18. Patrick MAUVAIS, op. cit., loc. cit. 19. Ibid., loc. cit. 20. Alain EHRENBERG, La Fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 2000. 21. Par exemple : Bernard MARTINO, Le Bébé est une personne. L’incroyable histoire du nouveau-né, Paris, J’ai lu, « Psychologie », 2004 (réédition) ; Bernard MARTINO, Le Bébé est une personne, VHS secam, TF1, 1985 ou Paule ZAJDERMANN, L’Incroyable Monsieur bébé, VHS secam, France 2, 1988.

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Cependant, si la collectivité n’est pas un besoin pour le jeune enfant mais répond à une nécessité pour les parents (le décret n° 2000-762 du 1er août 2000, cité plus haut, donne aux équipements de la petite enfance la mission de permettre aux parents de concilier vie familiale et activité professionnelle ou études), l’accueil collectif est également bénéfique pour les jeunes enfants, ces derniers pouvant trouver les conditions nécessaires à leur épanouissement et à leur développement à la condition que soit prise en compte – en permanence – la singularité de chaque enfant, notamment au travers de la personnalisation de l’accueil.

2. Intégrer, inclure ou accueillir ?

a) Qu’est-ce que l’intégration ?

Selon le sociologue Éric Plaisance, « la notion d’intégration est utilisée de manière tellement généralisée et quasi consensuelle (au moins sur le principe) qu’on est en droit de se demander si tout le monde s’accorde sur sa signification : s’agit-il d’une pure et simple assimilation, d’une coexistence de différences, d’un état social, d’un processus impliquant l’activité des personnes elles-mêmes ?22 » D’après le dictionnaire, le mot intégration désigne l’incorporation de nouveaux éléments dans un système, la coordination des activités de plusieurs organes nécessaires à un fonctionnement harmonieux, l’établissement d’une interdépendance plus étroite entre les parties d’un être vivant ou les membres d’une société, l’opération par laquelle un individu ou un groupe s’incorpore à une collectivité, à un milieu. Ce terme d’intégration n’est pas anodin. Son emploi souligne la différence liée au(x) handicap(s) de l’enfant. En effet, on ne parle pas d’intégration lorsqu’il s’agit d’un enfant non « handicapé »23. L’intégration – même si cette notion est actuellement moins utilisée que celle d’inclusion – est mise en avant lorsqu’un individu – ou un groupe d’individus – est confronté à une exclusion. Intégrer semble donc mettre au premier plan le handicap de l’enfant. Ne serait-il pas préférable de parler d’accueil des jeunes enfants handicapés, le terme d’accueil étant beaucoup moins connoté que celui d’intégration ? Il s’agirait alors pour les EAJE d’accueillir tous les enfants comme des sujets singuliers étant doués de potentialités. L’enfant communément dit « handicapé » est également doué de potentialités et de capacités qu’il pourra, plus ou moins, développer selon les capacités d’accueil et d’adaptation de la structure. Accueillir un jeune enfant handicapé dans une structure d’accueil de la petite enfance, c’est reconnaître en lui d’abord un enfant, non un handicap ou une déficience ; c’est considérer que chaque enfant est un sujet singulier doué de potentialités, plus ou moins limitées, qu’il pourra déployer pour peu que la structure d’accueil soit adaptée. C’est ce que résume la chercheuse que nous avons interrogée :

« Je trouve que c’est absolument nécessaire et indispensable que les gens, les professionnels qui vont accompagner cette famille, puissent avoir la vision la plus ouverte possible, la plus anthropologique possible, c’est-à-dire, celle qui regarde l’homme et qui ne regarde pas une partie de l’homme, celle qui essaye de trouver qu’est-ce qui fait que ce bébé soit un être humain et pas un être manquant… »

22. Éric PLAISANCE et al., « Petite Enfance et handicap. La prise en charge des enfants handicapés dans les équipements collectifs de la petite enfance », op. cit., p.15. 23. Il arrive néanmoins que cette expression soit utilisée pour les enfants arrivant en cours d’année dans un groupe (par exemple en cours d’année scolaire).

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Pour Tissier et Ollivier, « est intégré un enfant qui trouve sa place et son rôle à l’intérieur du groupe d’enfants ; il n’est pas en marge, monopolisant en permanence un adulte. Mais il ne faut pas considérer la question de l’intégration uniquement sous l’angle des préoccupations de l’adulte, car un enfant ayant sa place réelle dans le groupe est porté par lui, ce qui pour l’adulte se traduit en gain de temps et en allègement de tensions.24 »

b) De l’intégration à l’inclusion

Progressivement, le terme d’inclusion s’est imposé pour se substituer au concept d’intégration. « Le terme d’inclusion est d’abord proposé et finalement imposé dans le cadre du Conseil européen de Lisbonne (2000), par opposition au terme d’exclusion. Le terme d’inclusion met l’accent sur la nécessité de positiver les différences, de les valoriser toutes comme nécessaires au devenir et à l’organisation de la communauté, de la société tout entière. Dès lors, le Conseil européen de Lisbonne entend opérer un renversement de valeurs et de représentations. La personne handicapée ne peut plus être “pensée” dans nos sociétés comme un sujet assisté mais pleinement comme un sujet de droit. Concrètement, ceci indique que ce n’est plus aux personnes porteuses d’un handicap et/ou d’une différence culturelle de s’adapter systématiquement à leurs environnements, mais c’est bien à la “société” de créer les conditions d’une intégration de ces personnes. Le projet est ambitieux et opère une rupture importante avec les mécanismes sociétaux et culturels actuels, dans la mesure où est affirmé qu’une société inclusive (inclusive society) repose sur sa capacité à créer un environnement (social, économique, culturel) suffisamment porteur et facteur d’inclusion à l’égard des personnes. »25

Cependant, il existe des préjugés, des peurs qui forment autant d’obstacles à une inclusion effective de tous les enfants tant au sein des EAJE que, ultérieurement, au sein de l’école. Comme le souligne Bruno Gaurier, il est nécessaire en amont de lever certaines peurs :

- « Peur [des professionnel-les de la petite enfance et] des enseignants de ne pas savoir faire, de mal faire, de blesser l’enfant ou de ne pas pouvoir lui apporter ce dont il a besoin.

- Peur des parents des enfants en situation de handicap face à l’idée que [l’EAJE] l’école, qui n’a pas été conçue pour eux, les maltraite ; peur également d’apparaître comme “privilégiés” si leur enfant bénéficie plus que d’autres de moyens, de temps, d’attention.

- Peur des parents des enfants non handicapés à l’idée que l’enfant “différent” pourrait accaparer l’attention et en définitive retarder la classe ; peur diffuse – inavouable et donc inavouée – de la contagion.

- Peur des enfants porteurs de handicap, parfois, à l’idée d’être regardés “comme des bêtes curieuses”, peur d’être “un boulet”, mais aussi une forme de crainte à l’idée de “partir”, de se détacher ; c’est-à-dire de sortir du cocon protecteur de la famille ou de l’établissement spécialisé.26 »

24. G. TISSIER et A. OLLIVIER, « Expérience d’intégration en crèche d’enfants psychotiques et autistiques », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 35, n°7, 1987, p. 305. 25. Alain BONNAMI, « Inclusion », in Laurent Ott et Stéphane Rullac (dir.), Dictionnaire pratique du travail social, Paris, Dunod, 2010, p. 180. 26. Bruno GAURIER, avec Dominique-Anne MICHEL, Tous inclus ! Réinventer la vie dans la Cité avec les personnes en situation de handicap, Paris, Les Éditions de l’Atelier/Éditions ouvrières, 2010, p. 93.

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3. Perception du handicap par les différents acteurs

La question du regard porté sur les enfants handicapés est primordiale pour leur développement. Pour le jeune enfant en âge d’être accueilli en EAJE, la différence n’a pas encore de signification. En effet, d’après Cécile Herrou et Simone Korff-Sausse : « S’il n’y a pas de réaction à l’égard de l’enfant “pas comme les autres” chez les tout-petits, c’est parce que la différence n’a pas encore la signification qu’elle va acquérir par la suite. Percevoir la différence implique une certaine maturité psychique, qui correspond à la période œdipienne, avec la prise de conscience de la double différence des sexes et des générations. Ce n’est que lorsque l’enfant acquiert les différenciations liées au masculin et au féminin et au fait d’être grand ou petit que l’altérité de ses camarades aura un sens pour lui, et pourra par conséquent générer de l’angoisse. 27 » Les jeunes enfants appréhendent leurs pairs, quelles que soient leurs différences, comme de possibles compagnons de jeu.

a) Vécu subjectif du handicap par les parents

La naissance d’un enfant avec handicap ou la survenue d’un handicap suite à une maladie, à un accident de la voie publique ou domestique, confronte les parents à une réalité insoutenable. « L’enfant qu’ils ont imaginé et fantasmé avant la conception et pendant la grossesse est remplacé par un enfant dans lequel ils ne peuvent ni se reconnaître ni se regarder. Cette naissance, qui était si attendue et espérée, bouleverse le fonctionnement familial, créant une blessure narcissique incommensurable. 28 » Les parents vont devoir amorcer un travail de deuil, deuil de l’enfant fantasmé et imaginé ou du « bel » enfant – lorsque le handicap survient au cours de la petite enfance – qui va s’avérer être un cheminement long et sinueux.

« Lorsqu’ils arrivent au CAMSP, ce qu’ils viennent chercher, c’est souvent : “Quand est-ce qu’il va parler ?”, “Rendez-le-moi tel que je me le représentais”. Donc, on va aussi tirer ces fils de la représentation psychique de l’enfant idéal et qu’en fait, ce n’est pas cet enfant-là dans la réalité qu’ils ont, et avec lequel on va apprendre à s’apprivoiser les uns les autres, et qu’on va progressivement travailler sur la construction de ce lien avec cet enfant-là. » (Directrice de CAMSP)

Ils ont besoin de trouver soutien et sollicitude, notamment auprès de professionnel-les. Cependant, il est ardu pour les parents d’un jeune enfant handicapé de trouver une place dans les institutions d’accueil de la petite enfance. La surdité confronte les parents à la difficulté de trouver des lieux adaptés.

L’ambivalence des sentiments Face au(x) handicap(s) de son enfant, chaque parent réagit différemment en fonction de son histoire propre. Des sentiments d’injustice, d’amour, de haine, de rejet, etc. peuvent se succéder. Mais le plus présent et celui qui détermine les autres est la culpabilité. Différentes recherches ont mis en évidence l’intense culpabilité parentale face au handicap de l’enfant lorsque celui-ci a une origine génétique.

27. Cécile HERROU, Simone KORFF-SAUSSE, Intégration collective de jeunes enfants handicapés, op. cit., p. 42. 28. Ibid., p. 35.

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La surprotection

Lorsqu’il y a une atteinte narcissique, le sujet cherche une compensation. L’enfant risque alors de devenir pour le parent un « objet » à soigner. Il peut prendre le statut de raison de vivre, comme a pu le montrer Simone Korff-Sausse dans son ouvrage Le Miroir brisé29. La mère (ou le père) peut ne rien changer à ses pratiques au cours du temps comme si l’enfant ne grandissait pas. Elle peut d’ailleurs se convaincre que ce sont ses soins qui maintiennent l’enfant en vie. La culpabilité éprouvée par le parent peut également être à l’origine du fait qu’il ne vive que pour son enfant. Cela est souvent le résultat de la difficulté à trouver une institution ou une personne compétente pour s’en occuper. D’où l’importance d’accueillir les jeunes enfants handicapés au sein d’une crèche ou d’une halte-garderie. En surprotégeant son enfant, la mère se protège elle-même en se prouvant qu’elle n’est pas une mauvaise mère30. L’histoire personnelle des parents et la façon dont ils vivent le(s) handicap(s), la ou les déficiences, la ou les spécificités de leur enfant va favoriser ou gêner l’élaboration de relations positives avec lui.

Le rejet

Certains parents mettent en place comme mécanisme de défense des conduites de rejet. Ces conduites peuvent être partielles, totales, inconscientes ou conscientes. Le rejet peut s’exprimer par une agressivité voilée, le bain chaleureux des contacts tactiles et de la voix n’existe plus. Ainsi selon l’analyse de Françoise de Barbot31 « ce froid dans la relation du tout-petit se manifeste dans une tentative du contrôle de tout ce qui concerne le fonctionnement corporel du bébé comme “corps-machine” ».

Le déni Parfois, les parents peuvent avoir un comportement de déni. Selon Laplanche et Pontalis32, le déni est « le refus de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante ». Les parents peuvent refuser de considérer la réalité du handicap, ne pas tenir compte des conseils des médecins, des rééducateurs ou même des professionnel-les de l’EAJE. Ainsi, la souffrance des parents doit pouvoir être écoutée et entendue, même lorsqu’elle se déverse violemment, agressivement parfois. Le refus d’un traitement et le déni de l’état réel de l’enfant ne sont pas l’indice que les parents ne sont pas conscients de l’état de santé de l’enfant ou des possibilités de celui-ci. Cette attitude parle de leurs souffrances. Certains, au contraire, exigent de leur enfant des efforts incessants et le surstimulent dans la certitude qu’il se rapprochera des enfants non handicapés. Certains peuvent également être amenés à faire des projets d’avenir – à court, moyen ou long terme – irréalisables. Comme le souligne Martine Dethorre, dans le cas de la surdité, « les conduites de déni [sont] souvent repérables par des formulations qui visent à gommer la surdité […]33 ».

29. Simone KORFF-SAUSSE, Le Miroir brisé. L’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Paris, Calmann-Lévy, 1996. 30. Il s’agit là d’une défense. Cela n’est donc pas à entendre dans « un vouloir conscient ». 31. Françoise DE BARBOT, « Enfant handicapé moteur : enfant malade ? », in Pierre Ferrari et Roland Lazarovici (dir.), L’Enfant malade et son corps, Toulouse, Privat, 1987. 32. Jean LAPLANCHE, Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967. 33. Martine DETHORRE, « Surdité : facettes d’histoires, de corps et de langues », in « La Parole des Sourds. Psychanalyse et surdités », Revue du Collège de Psychanalystes, printemps-été 1993, n° 46/47, p. 37.

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Même si l’accueil d’un enfant handicapé au sein d’une structure de la petite enfance est sans doute difficile pour les parents, puisque ceux-ci sont confrontés à ce qu’il ne peut pas faire par rapport aux autres enfants, elle leur permet probablement de prendre en compte les difficultés de leur enfant mais aussi de voir tout ce qu’il peut faire en développant les potentialités qui sont les siennes. Pour les parents d’enfants non handicapés, l’accueil d’enfants handicapés est parfois source d’inquiétude. « Mon enfant va-t-il devenir handicapé ? ». En effet, comme le soulignent Simone Korff-Sausse et Cécile Herrou, « le handicap, consciemment ou inconsciemment, suscite des idées d’infirmité congénitale, de maladie transmissible ou tare. Cette peur-là amène les parents des enfants sans handicap à poser la question toujours présente – clairement formulée ou non – “Est-ce que mon enfant ne va pas imiter l’enfant handicapé ?” Si l’imitation des enfants est courante et ne provoque aucune inquiétude, il en va tout autrement lorsqu’un enfant imite un camarade handicapé. En effet les fantasmes liés à la transmission de l’anormalité réveillent une peur irrationnelle de contagion. Pour les parents, la crainte de l’imitation, c’est en fait la peur que leurs enfants deviennent comme les handicapés ou, même, qu’ils deviennent réellement handicapés. L’idée que ce malheur ou cette punition pourrait contaminer leur enfant ou leur famille provient des croyances magiques inconscientes toujours actives dans la psyché adulte, même si elles paraissent incompatibles avec son savoir actuel.34 »

b) Vécu subjectif du handicap par les professionnel-les

L’accueil d’un jeune enfant handicapé dans une structure de la petite enfance, s’il est souhaitable, demeure difficile. L’image du handicap chez l’enfant touche l’adulte au plus profond de son être. En effet, un jeune enfant est généralement associé à des représentations attendrissantes ou de pureté. Il est appréhendé comme un être en devenir, un futur acteur de la société de demain, la continuité de la génération. L’enfant handicapé renvoie souvent une image négative 35 . Un avenir sombre peut être projeté sur lui, engendrant une souffrance chez les professionnel-les. Souffrance amplifiée lorsque ceux-ci ont un enfant. En effet, le fait d’imaginer que cet enfant handicapé pourrait être le leur ou que leur enfant pourrait tomber malade ou être victime d’un accident et devenir à son tour handicapé est insupportable. La difficile rencontre avec cette « étrangeté radicale » est souvent à l’origine de la difficulté d’accueillir ces enfants différents. L’aspect physique de certains enfants handicapés ainsi que certains comportements stéréotypés peuvent aussi heurter les professionnel-les. Selon Martine Dethorre, « l’échange avec un enfant ou un adulte sourd confronte à la rencontre d’un espace présumé d’absence et de vide en l’autre […]. La surdité de l’autre, perte partielle, carence imaginaire du corps, envahit soudainement tout l’espace relationnel et de communication […] et l’absence de parole de l’un rend l’autre muet… et absent. L’adulte entendant est comme gagné par la surdité de l’enfant.36 »

34. Cécile HERROU, Simone KORFF-SAUSSE, Intégration collective de jeunes enfants handicapés, op. cit., p. 87. 35. Simone KORFF-SAUSSE, Le Miroir brisé, op. cit. et Figures du handicap : Mythes, arts, littérature, Paris, Payot, « Petite Bibliothèque Payot », 2010. 36. Martine DETHORRE, « Surdité : facettes d’histoires, de corps et de langues », in « La Parole des Sourds. Psychanalyse et surdités », op. cit., p. 39.

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Comme le soulignent Laurent Ott et Alain Bonnami, « si le handicap fait peur, l’accueil de la déficience auditive impose en plus une adaptation culturelle qui concerne les modes de communication. En la matière, l’élaboration d’outils particuliers de langage porte en elle un double sens : celui d’offrir une capacité de communication à l’intérieur d’un groupe minoritaire partageant les mêmes codes, et celui de se différencier des outils communs, au risque de l’exclusion. Cette dichotomie infernale se pose de manière aiguë plus que jamais pour la question du langage qui est, comme nous l’avons déjà dit, le cœur d’une identité culturelle. Ainsi, la question de l’ouverture du monde ordinaire à celui des sourds et des malentendants, nécessite un effort qui se heurte non seulement au tabou traditionnel du handicap, mais aussi à celui de l’interculturalité, via le langage.37 »

37. Laurent OTT, Alain BONNAM (dir.), Ouvrir le travail social aux professionnels sourds, op. cit., p. 44.

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Chapitre IV - La surdité : un handicap, une déficience ?

1. Présentation de la surdité

a) Différentes définitions de la surdité

Selon Benoît Virole, « la surdité est une baisse quantitative d’audition et une modification qualitative de la perception se manifestant par des distorsions du signal sonore38». L’hypoacousie est le terme médical désignant la surdité. Pour le sociologue Bernard Mottez,39 la surdité est un « rapport » : pour que l’on puisse parler de surdité, il faut être deux, au moins une personne sourde et une personne entendante. La question de la surdité se prolonge dans de nombreux domaines qui peuvent s’éloigner de son ancrage dans une physiologie auditive. Il est maintenant admis qu’il existe deux points de vue pour traiter la surdité, une approche médicale qui considère les sourds comme déficients et donc nécessitant des traitements, et une approche culturelle qui considère les sourds comme un groupe linguistique et culturel minoritaire ayant sa communauté et son identité spécifique. C’est pourquoi plusieurs auteurs, comme Fabrice Bertin ou Louise Munro et John Rodwell40, parlent de « communauté sourde ». Les personnes sourdes qui s’identifient à une minorité linguistique et culturelle peuvent considérer leur surdité comme un aspect intrinsèque et positif de leur identité. Certains auteurs d'ailleurs mettent un « S » majuscule à Sourd pour faire référence à une catégorie linguistique et sociale et un « s » minuscule quand ils se rapportent au statut audiologique41 (Mottez ; Meynard ; Bertin). L’expérience des enfants sourds grandissant dans des familles avec des parents sourds serait proche de celle des enfants des minorités ethniques42. Cependant, un couple de personnes sourdes aurait une chance sur quatre d'avoir un enfant sourd.43 En outre, les sourds forment une minorité qui diffère des groupes minoritaires ethniques dans le sens où entre 90 % et 95 % d’entre eux sont issus de familles entendantes. Or les parents entendants d’enfants sourds peuvent avoir des attitudes influencées par des professionnel-les de la surdité qui adhèrent à un modèle médical et penser la surdité comme une pathologie à soigner, à réparer. L’ethnologue Yves Delaporte 44 et le sociologue Bernard Mottez, qui ont travaillé avec des Sourds, questionnent la place qui leur est donnée par la société. Leur souffrance ne serait pas due à leur surdité vécue comme un handicap mais à l'accueil que la société majoritairement entendante leur 38.Benoît VIROLE et al., Psychologie de la surdité, Bruxelles, De Boeck Université, 2006. 39. Bernard MOTTEZ, Les Sourds existent-ils ?, textes réunis et présentés par Andrea Benvenuto, Paris, L'Harmattan, 2006. 40. Louise MUNRO, John RODWELL, « Validation of an Australian sign language instrument of Outcome Measurment for Adults in mental health settings », The Australian and New Zealand Journal of Psychiatry, avril 2009, 43, p. 332-339. 41. Bernard MOTTEZ, op. cit. ; André MEYNARD, Surdité, l’urgence d’un autre regard. Pour un véritable accueil des enfants Sourds, Toulouse, Érès, 2008 ; Fabrice BERTIN, Les Sourds : Une minorité invisible, Paris, Éditions Autrement, 2010. 42 . Yael BAT-CHAVA, « Antecedents of Self-Esteem in Deaf People: A Meta-Analytic Review », Rehabilitation Psychology, 1993, Winter, 17(5), p. 221-234. 43. Danielle BOUVET, La Parole de l'enfant. Pour une éducation bilingue de l'enfant sourd, Paris, PUF, « Le fil rouge », 1989. 44. Yves DELAPORTE, Les Sourds c'est comme ça. Ethnologie de la surdimutité, Paris, Édition de la Maison des sciences de l'homme, 2002.

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réserve. C’est une souffrance qui apparaît davantage être conjoncturelle que structurelle. Bernard Mottez cite une formule qui peut illustrer cette idée : « Ce n'est pas de notre surdité dont nous souffrons mais de la façon dont les autres nous traitent en raison de notre surdité45. » Au niveau des représentations sociales de la surdité, il semble y avoir une représentation dominante négative de la surdité perçue comme un manque, un handicap. Delaporte explique qu'il y a « deux points de vue opposés sur ce que sont les sourds et ce que l'on doit faire d'eux46 ». Quand on demande aux personnes entendantes d’imaginer ce que ce serait être sourd, elles font état de faits tels que ne pas entendre de la musique et chanter les oiseaux. De telles réponses décrivent ce que peut être la vie de quelqu’un qui a perdu l’audition. Une personne qui est née sourde n’a rien perdu. Donc quand les sourds de naissance évoquent la surdité, ils en parlent d’un point de vue autre que celui des personnes entendantes (Susan Gregory 47 ). Bernard Mottez (2006) parle même d'un « divorce entre l'image que nous avons de la façon dont l'autre vit cette expérience et la façon dont il la vit effectivement » ; il insiste alors sur l'importance des échanges. Il explique qu'en écoutant des témoignages de Sourds, nous pouvons prendre conscience que de leur point de vue, les choses peuvent être « naturelles, simples, normales ». Yves Delaporte souligne que sous le terme de « sourd » peuvent être regroupées de nombreuses personnes qui ont peu de choses en commun hormis un déficit physiologique. Une culture rassemble un groupe de personnes qui sont liées par un ensemble de savoirs, de représentations, de symboles, de pratiques, de rituels se transmettant de génération en génération. Harlan Lane 48 explique qu'il existait au XIXe siècle une véritable ethnie sourde, dans le sens d'une minorité linguistique avec des valeurs et une histoire communes, un important sentiment d'appartenance aux autres, des normes différentes de la culture entendante, des connaissances spécifiques sur les événements importants du monde Sourd, des façons propres d'intervenir dans une conversation, des tabous particuliers. De plus le monde Sourd est riche en expression artistique, humour, jeux de mot, arts visuels… Fabrice Bertin rappelle qu'« une langue ne sert pas uniquement à communiquer » mais véhicule aussi une « manière de percevoir le monde, de le nommer et d’interagir avec lui ». Il souligne que « la normalité n'est pas naturelle, elle ne va pas de soi. […] c'est un élément construit ». Ainsi, la culture sourde est la « résultante d'une singularité d'être au monde ». Fabrice Bertin explique que cette revendication culturelle n'est pas séparatrice ou favorisant des ghettos, mais l'idée est d'avoir une place. « Le débat sur l'identité sourde reste ouvert et polémique.49 »

b) Un « handicap » particulier

Michel Poizat50 constate que l'histoire des « rapports entre le sourd et la société qui l'entoure » est traversée par « la passion, voire la violence ». L'auteur se questionne sur ce

45. Bernard MOTTEZ, op.cit., p. 76. 46. Yves DELAPORTE, Les Sourds c'est comme ça, op.cit., p. 3. 47. Susan GREGORY, Le Développement socioémotionnel des enfants et adolescents sourds. Un projet pour chaque sourd : enjeux et pratiques de l'évaluation, Paris, 3e colloque international de l'ACFOS, 2000. 48. Harlan LANE, Surdité et langue des signes : analyseurs politiques, philosophiques et sociolinguistiques, communication au séminaire de l’EHESS, Paris, 19 novembre 2012. Voir aussi Harlan LANE, Richard PILLARD, Ulf HEDBERG (eds), The People of the Eye: Deaf Ethnicity and Ancestry, Oxford, Oxford University Press, 2011. 49. Fabrice BERTIN, Les Sourds : Une minorité invisible, op. cit. 50. Michel POIZAT, La Voix sourde : La société face à la surdité, Paris, Métailié, 1996.

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qui se trouve touché à ce point chez l'entendant par la surdité de l'autre. Il remarque que tous les handicaps ne suscitent pas de réaction de ce type. En effet, les choix éducatifs même concernant d'autres handicaps sensoriels n'ont pas suscité d'aussi importantes polémiques. Il y a un enjeu spécifique et puissant qui mobilise l'individu et le groupe social. Michel Poizat souligne que « l'usage du braille pour les aveugles n'a pas mobilisé philosophes, médecins, Académie des sciences, Académie de médecine, ministères et comités éthiques comme la nécessité de la langue des signes pour les sourds ». Fabrice Bertin remarque qu’il peut paraître surprenant qu’« une déficience organique » puisse être à l'origine d'une communauté, formée de personnes : les Sourds partageant « des valeurs culturelles et identitaires ». Il y a d'ailleurs de nombreux débats et désaccords entre une représentation de la surdité à une échelle « individuelle et pathologique » et « collective et linguistique51 ». Danielle Bouvet (1989) explique en quoi la surdité est un handicap particulier. C'est « un handicap que l'on partage, contrairement à d'autres handicaps tels que la cécité ou la paralysie. On ne devient ni aveugle ni paralysé devant une personne souffrant de ces handicaps […], nous pouvons guider l'aveugle, voyant à sa place, nous pouvons conduire un paralysé, marchant à sa place, mais nous ne pouvons pas parler à la place d'un sourd. » Elle parle d’un « embarras partagé » entre un interlocuteur sourd et un entendant provoqué par une communication qui peut se trouver perturbée. En effet, une personne entendante peut avoir des difficultés à comprendre ce que lui dit un interlocuteur sourd et perdre la facilité et le côté naturel de son expression orale qui peut être difficilement déchiffrable par l'interlocuteur sourd. La personne entendante se trouve atteinte dans ses compétences communicatives, entraînant une attitude de rejet de ces échanges difficiles et de ces situations inconfortables. Danielle Bouvet remarque qu'au XXe siècle « la personne sourde est très mal acceptée dans notre société ». Il ressort de notre enquête que certains sourds revendiquent n'être pas handicapés, constituer une minorité culturelle. Il s'agit d'adultes sourds, notamment de parents sourds ayant un enfant sourd, généralement bien insérés dans la communauté sourde. Les jeunes parents entendants ayant un jeune enfant sourd que nous avons rencontrés vivent le plus souvent la surdité comme un handicap. Pour ces parents qui découvrent la surdité et ne connaissent pas la communauté sourde, leur vécu apparaît en partie largement commun avec celui d’autres parents d’enfants porteurs d'autres handicaps.

c) Quelques éléments démographiques

La population des sourds et des malentendants est diverse. Selon le « Plan 2010-2012 en faveur des personnes sourdes et malentendantes 52 », il y aurait 6,6 % de sourds et malentendants dans la population française. Ce chiffre représente 4,09 millions de personnes, dont 88 % auraient acquis une déficience auditive au cours de leur vie. La prévalence de la surdité légère ou moyenne est de 3 % de la population. 483 000 personnes auraient une surdité sévère ou profonde.

51. Fabrice BERTIN, Les Sourds : Une minorité invisible, op. cit. 52. Plan 2010-2012 en faveur des personnes sourdes et malentendantes, Ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, Secrétariat d’état chargé de la famille et de la solidarité, Solidarite.gouv.fr/IMG/pdf/Plan_en_faveur_des_personnes_sourdes_ou_malentendantes_10_02_20102.pdf.

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En France, un enfant sur mille naît sourd profond, soit environ 800 enfants par an, auxquels il convient d’en ajouter 700 qui le deviennent avant l’âge de deux ans (Seban-Lefebvre, Tofin53). L'enquête « Handicaps, incapacité-dépendances » (1998-1999) évalue à 119 000 le nombre de personnes qui utilisent la LSF en France, dont 44 000 personnes avec une surdité. Selon le rapport Gillot54 sur le droit des sourds, ce chiffre se situe entre 60 000 et 80 000 sourds signant. D'après une étude plus récente de Maya De Wit55 citée par Fabrice Bertin (2010), il y aurait en France 100 000 locuteurs sourds de la langue des signes.

d) Diversité des surdités

Il existe différents types de surdité qui peuvent être classés selon la date d’acquisition de la surdité :

- La surdité congénitale quand la surdité est présente avant la naissance.

- La surdité prélinguistique ou acquise postnatale quand elle se manifeste durant la première année de la vie avant l’acquisition du langage.

- La surdité périlinguistique quand elle apparaît pendant la période du développement du langage.

- La surdité postlinguistique quand la surdité est acquise après l’acquisition du langage.

- La presbyacousie quand la surdité est due à un vieillissement de la fonction auditive.

Il existe plusieurs classifications désignant les différentes formes de surdité ; elles font l’objet de débats. Certains parlent de sourds, de demi-sourds, de malentendants, ces termes peuvent parfois être source de confusion. Le Bureau international d’audiophonologie (BIAP) propose une classification qui distingue les surdités selon leur importance. Avec cette échelle il est possible d’apprécier le rapport entre la perte de décibels et les difficultés de perception de la parole. Elle différencie cinq niveaux de surdité :

- Audition normale : le sujet a une sensation auditive avec une pression sonore inférieure à vingt décibels ; la parole, ayant une intensité de soixante décibels en moyenne, est donc perçue sans difficulté.

- Surdité légère : le sujet a une sensation auditive avec une pression sonore comprise entre vingt et quarante décibels. La parole est bien perçue même si certains indices acoustiques ne sont pas reconnus, le sujet compense cognitivement inconsciemment (avec la lecture labiale par exemple).

- Surdité moyenne : le sujet a une sensation auditive avec une pression sonore comprise entre quarante et soixante-dix décibels, de nombreux éléments phonétiques ne sont pas perçus. La parole est perçue si l’interlocuteur élève la voix et que la communication se fait en face à face.

53. Dominique SEBAN-LEFEBVRE, Christine TOFIN, L'Enfant qui n'entend pas, la surdité un handicap invisible, Paris, Belin, 2008. 54 . Dominique GILLOT, Le droit des sourds : 115 propositions, rapport au Premier Ministre, 1998, Intescol.free.fr/TELECHAR/RAPPORTSPLANS/115%20propositions%20sourds.pdf. 55. Maya DE WIT, Sign language interpreting in Europe, Baarn, the Netherlands, M. De Wit, 2008.

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- Surdité sévère : le sujet a une sensation auditive avec une pression sonore comprise entre soixante-dix et quatre-vingt-dix décibels, la voix peut éventuellement être perçue si elle est criée et de forte intensité à proximité mais elle sera tronquée.

- Surdité profonde : le sujet a une sensation auditive avec une pression sonore supérieure à quatre-vingt-dix décibels, il n’y a plus aucune perception de la voix, les bruits très puissants peuvent être perçus mais de façon atténuée. Il y a une forte distorsion des signaux sonores s’ils sont perçus.

d) Moyens de compensation de la surdité

Il existe différents moyens de compensation :

- La lecture labiale, qui est imparfaite à cause des sosies labiaux (sons qui ont la même image labiale, par exemple « Pa, Ba, Ma »).

- Elle peut être accompagnée par le Langage parlé complété (LPC) ou récemment appelé Langue française parlée complétée (LFPC), qui consiste en des mouvements spécifiques de la main à côté de la bouche pendant que la personne parle, ce qui permet au locuteur de différencier les sosies labiaux. C’est un code créé dans les années 1960.

- Le français signé qui consiste à ajouter des signes (issus de la LSF) pendant que le locuteur parle ou articule oralement le français. Le français signé ne respecte pas les règles syntaxiques et grammaticales de la LSF.

- L’appareillage classique/audioprothèse est un appareil auditif qui amplifie les sons.

- L’implant cochléaire est un appareillage qui stimule les terminaisons nerveuses de l’audition situées dans la cochlée avec des électrodes implantées lors d’une opération chirurgicale dans le cerveau.

La langue des signes française n’est pas une compensation. C’est une langue à part entière, reconnue comme telle depuis 2005, et qui peut être choisie par les parents pour une éducation bilingue depuis 1991.

2. Contexte historique

En matière de surdité, il nous semble très important de prendre en compte le contexte sociohistorique. Sur quels savoirs s’appuie-t-on, depuis un siècle, pour organiser l’accueil des jeunes enfants sourds ? Si la prise en charge des bébés et des jeunes enfants sourds a toujours été une préoccupation dépendant des contextes sociohistoriques, des cultures, des connaissances et des représentations sociales de la surdité, la possibilité d’accéder à la LSF a été, dès son origine, objet de controverses et de débats. Certaines idéologies, certains mots d’ordre relatifs à la surdité se sont développés au cours des siècles et sont actuellement à l’œuvre. Le livre de Fabrice Bertin Les Sourds, une minorité invisible nous a été d'un grand éclairage pour retracer le contexte historique dans lequel s’insèrent les questions qui nous animent dans cette recherche portant sur l’accueil en milieu ordinaire des jeunes enfants sourds et sur les possibilités d’un accès précoce à la langue des signes française. L'auteur explique que, dès le IVe siècle avant Jésus-Christ, Aristote présenta la parole articulée

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comme garante de l'intelligence qui différencie l'homme de l'animal. En effet, à cette époque, même la question de l'humanité des sourds ne fait pas consensus. Bien plus tard, des intellectuels comme Montaigne voient dans la langue des signes une spécificité linguistique des sourds et leur attribuent une intelligence équivalente à celle des entendants. Puis, au XVIIe siècle, les sourds sont considérés comme éducables. Leur apprentissage est centré sur l'oralisation, même si des différences apparaissent dans les moyens utilisés. Ces divergences vont être à l'origine de nombreux conflits qui pour certains paraissent encore d'actualité. En 1745, une pédagogie portée par Jacob Pereire sera centrée sur l'oralisation stricte. Une autre pédagogie plus souple, développée par John Wallis, insistera quant à elle sur la compréhension de la langue. L'éducation concerne la classe sociale aisée et est prise dans des enjeux financiers, les techniques sont alors souvent tenues secrètes. À la fin du XVIIIe siècle, l'abbé de L'Épée ouvre la première institution pour l’éducation des sourds-muets, elle devient alors accessible aux milieux plus populaires, ce qui provoque une exacerbation des tensions à propos des choix pédagogiques. L'Abbé va ainsi participer à la remise en question de la primauté de l'oralisation comme méthode éducative. Au départ, il accueille des enfants sourds directement chez lui pour « un cours gratuit d'instruction générale en langage mimique ». Il s'est inspiré de la langue des signes qui existait alors afin de créer une méthode pour apprendre le français. Ainsi, c'est à partir du XVIIIe siècle que deux modalités de prise en charge se distinguent et s'opposent : celle qui considère le sourd comme porteur d'une déficience et vise la réparation, et celle qui considère le sourd comme porteur d'une spécificité communicationnelle et vise à s'appuyer sur ses capacités en développant la langue des signes. De par les efforts de l'Abbé, notamment à travers des démonstrations publiques, la place de la langue des signes dans l'éducation des sourds semble être acceptée à la fin du XVIIIe siècle. Après la mort de l'Abbé en 1789, l’Institution de Paris est reprise par l’abbé Sicard, disciple de celui-ci, en 1790. Il considère les sourds comme « des sortes de machines ambulantes dont l'organisation est inférieure à celle des animaux ». Il fait appel à Jean Itard, médecin célèbre avec Victor, l'enfant sauvage, pour être le premier en poste à l'Institut des sourds-muets de Paris. Au XIXe siècle, cette position marque la médicalisation de la surdité. Pour Jean Itard « la surdité étant traitable, autant la faire disparaître plutôt que de mettre en place une instruction propre ». De plus, la parole gestuelle favoriserait des maladies, comme la tuberculose, dues au manque de stimulation de l'appareil respiratoire. Ainsi la surdité « est considérée comme une maladie qu'il convient d'éradiquer », le symptôme étant « la communication gestuelle ». En 1800 la langue des signes, considérée sous l'angle de la pathologie, est déclarée incompatible avec l'apprentissage de la parole. Des personnes de l'Institution de Paris, sourdes et entendantes, réagissent contre cette méthode orale exclusive. Ainsi le pédagogue Roch-Ambroise Bébian, qui prône un enseignement plus global pour le développement de l'intelligence plutôt que de se concentrer sur l'apprentissage des mots. Au XIXe siècle, les jeunes sourds sont associés à « des pulsions douteuses, des penchants onanistes et des pensées sales pour l'époque, certains assimilent leur comportement à ceux des animaux ». L'Académie de médecine est consultée par Jean Itard avec pour objectif la validation de son cours d'articulation en 1828. L’Académie recommande alors une méthode mixte : en parallèle de l'apprentissage de l'oral, il faut maintenir l'usage de la langue des signes. L'avis ne semble pas être appliqué et une circulaire de l'institution, un an plus tard, prévoit même l'« élimination progressive » de la langue des signes pour ne pas faire de tort au projet oraliste. La place des professeurs sourds est remise en question, ils sont « rétrogradés au rang de répétiteur, c'est-à-dire d'aides aux professeurs

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entendants ». L’Académie sera consultée une deuxième fois, vingt-cinq ans après, par le Dr Alexandre-Louis-Paul Blanchet, avec le même but qu'Itard, et elle se prononcera en faveur d'une méthode mixte à nouveau. Les premières intégrations scolaires dans des écoles ordinaires pour les sourds oralistes sont issues d'un projet médical du Dr Blanchet, construit en opposition à la pratique de la langue des signes. Au congrès de Milan en 1880 est prôné le projet oraliste pur, donnant lieu à l'interdiction des signes dans l'enseignement. L'option oraliste s'impose de manière exclusive, arguant que la langue des signes peut nuire à la parole. Des interventions vont être mises en place pour favoriser l'oralisme strict, comme la séparation des élèves anciens et nouveaux pour éviter une « contamination » des gestes, la transformation de locaux, un projet de dictionnaire de langue des signes abandonné en brûlant le prototype… « La parole pure est proclamée seule capable de relever le défi d'élever les sourds au niveau de l'intelligence.56 ». En parallèle à ce mouvement oraliste « se développe un réseau social Sourd » avec des activités sportives, des rassemblements autour de banquets. Ces réunions porteuses de projets politiques sont l'occasion de rencontres permettant la pratique de la langue des signes. Le premier congrès de sourds-muets, en 1889, réclame le rétablissement de la langue des signes à côté de l'oralisation. Mais jusqu'en 1970 « le discours pédagogique est tourné vers l'oral ». Même si, dès 1908, deux psychologues, Alfred Binet et Théodore Simon, constatent l'échec d'une méthode orale stricte. Ils préconisent alors « le retour à un enseignement par signes » et ce « pour les sourds complets ou sourds avant l'âge d'un an ». À partir de 1910, il y aura un assouplissement avec une tolérance pour la pratique des signes en dehors des classes dans les institutions. La focalisation sur l’oralisation des enfants sourds, qui sont « uniquement perçus comme des individus à soigner », se fait aux dépens de leurs apprentissages scolaires. En 1965, des parents se réunissent au sein de l'association Anpeda pour revendiquer l'intégration scolaire en milieu ordinaire de leurs enfants sourds qui sont orientés vers des professions manuelles dans les institutions spécialisées. Le 7e congrès de la Fédération mondiale des Sourds en 1975 est l'occasion d'échanges entre des Sourds américains et français. Un décalage entre leur participation sociale est flagrant. En effet, parmi les Sourds américains, il y a des avocats, médecins, enseignants… Aux États-Unis existe l'université Gallaudet, fondée en 1864, dont la langue principale est la langue des signes. Suite à ce congrès, différentes revendications émergent en France, notamment celle de la possibilité d’une éducation collective permettant la communication gestuelle. Des personnalités différentes soutiennent le développement de la langue des signes comme Françoise Dolto, dans les années 1980, qui explique l'importance de transmettre la LSF aux enfants avant l’âge scolaire. Selon elle, l'argument comme quoi cette transmission empêcherait l’apprentissage est un non-sens. Au contraire, pour elle il s’agit d’un « tremplin » vers le langage oral qui participe à réduire la dépendance à la famille. Progressivement des classes bilingues avec des professeurs sourds se développent. La représentation sociale d'une personne handicapée évolue vers celle d'un « citoyen culturellement et linguistiquement différent ». En 1986 a lieu une manifestation pour la reconnaissance de la LSF. Puis, en 1991, est consacré le droit à une communication bilingue et à la liberté de choix, mais les préjugés envers la langue des signes sont tellement présents que pour les parents d’enfants sourds le choix est parfois culpabilisant.

56. Fabrice BERTIN, Les Sourds : Une minorité invisible, op. cit., p. 103.

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La LSF peut être considérée « comme la langue naturelle des sourds au sens où elle est entièrement accessible, efficiente et efficace 57 » même si elle n’est pas forcément transmise par les parents. Les parents sourds transmettent la LSF à leur enfant sourd de façon naturelle, comme avec le français oral. Pour les enfants sourds de parents entendants, la transmission peut se faire au sein d’un groupe de pairs, d’où la nécessité de la dimension collective. Avec la loi du 11 février 2005, la LSF est reconnue de façon officielle. Fabrice Bertin montre le paradoxe existant du fait que cette reconnaissance est pensée dans un cadre particulier et restrictif : le champ du handicap. Fabrice Bertin met en évidence « une certaine invariabilité des représentations et des attitudes de la société majoritaire à l’égard de la surdité ». Même si l'auteur remarque une évolution dans les modalités de prise en charge de la surdité, « leur finalité reste pourtant sensiblement la même : s'acharner à faire parler les sourds et réparer la surdité, voire l'éradiquer58 ». Dans une situation de communication entre un sourd et un entendant peut surgir un malaise qui concerne les deux personnes. Ainsi le handicap est partagé, même si c'est de manière inéquitable, « puisque la résolution des difficultés est systématiquement renvoyée aux sourds, minoritaires ». Pour Fabrice Bertin « les Sourds sont aujourd'hui sur le chemin d'une reconquête d'une citoyenneté dont ils ont été injustement et arbitrairement privés il y a un siècle59 ». Pour lui « la langue des signes n'est pas une option pour un enfant sourd mais une nécessité60 ». Il précise que « la solution unique, imparable et universelle n'existe pas, surtout face à une surdité plurielle et hétérogène 61 ». Selon Fabrice Bertin, il faut reconsidérer le handicap car « quelle que soit la part accordée à la physiologie, elle ne peut déterminer un individu et le définir socialement 62 ». « Le handicap n'est ni une maladie ni un problème individuel, mais bien une situation influencée par différents facteurs, notamment sociaux et corporels.63 »

57. Fabrice BERTIN, Les Sourds : Une minorité invisible, op. cit., p. 131. 58. Ibid., p. 141. 59. Ibid., p. 142. 60. Ibid., loc. cit. 61. Ibid., p. 143. 62. Ibid., p. 145. 63. Ibid., p. 146.

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Chapitre V - Diagnostic et annonce du handicap

1. Une question d’écarts

Comme le souligne Roger Salbreux, « ce que les familles souhaitent, au fond, c’est un enfant aussi normal que possible et qui puisse, dans un certain désir d’éternité, réaliser ce à quoi elles auraient voulu parvenir elles-mêmes, bref, prolonger leur lignage par un enfant qui réussisse aussi bien, sinon mieux qu’elles-mêmes. Dans cette déception, d’avoir un enfant qui n’est pas celui que l’on avait espéré, il y a une atteinte grave du narcissisme des parents, du processus de filiation, prenant la forme d’une catastrophe atteignant l’enfant, la mère, le père, les frères et sœurs, les grands-parents […] L’écart entre ce que Michel Soulé a appelé à l’époque l’enfant dans la tête, “l’enfant imaginaire”, et l’enfant réel, ne permet plus à ces familles de se reconnaître dans cet enfant né anormal et de le “reconnaître64 ».

Pour les parents d’un jeune enfant handicapé, l’écart est là. Écart entre l’enfant imaginé, fantasmé, et l’enfant réel qu’ils ont face à eux, qu’ils tiennent dans leurs bras. Il existe également entre l’idée que tout un chacun peut avoir de la notion de handicap, notamment lorsqu’on n’en a pas une réelle connaissance subjective, et la violence de la proximité du handicap de son enfant, qui frappe en pleine face les parents. Si tout nouveau-né est un « étranger » pour ses parents, il est dans un même temps reconnaissable. Les parents le reconnaissent tout autant qu’ils s’y reconnaissent, le sentiment d’étrangeté au contact d’un nouveau-né ne surpasse pas le sentiment de proximité qui se crée très rapidement, le plus souvent dès l’accueil de l’enfant en salle de naissance65. Les parents sont en mesure de s’adresser à lui, de le nommer.

Le nouveau-né et ses parents sont déjà dans un système interactif complexe, ou chacun s’assure autant qu’il (r)assure l’autre. Lorsque l’écart entre l’enfant attendu et l’enfant présent (dans le sens de « qui » est là présentement mais également dans le sens de cadeau attendu) est trop important, voire parfois infranchissable, tout au moins dans un premier temps, survient un déséquilibre, le sol se dérobe sous les pieds.

Les témoignages de parents confrontés à cette violente irruption du réel en disent long : « Le ciel nous est tombé sur la tête ; le sol s’est dérobé sous nos pieds ; rien n’est plus comme avant et rien ne sera plus comme auparavant ; la terre s’est arrêtée de tourner. »

À l’annonce du handicap, les parents, s’ils ne sont pas dans le rejet, se demandent comment faire pour accompagner, pour aimer cet enfant qui est bien le leur, pour se vivre comme ses parents.

2. L’annonce

L’annonce d’un handicap, les mots utilisés, l’ambiance et la manière d’annoncer ont nécessairement des impacts sur les parents.

« Lors de l’annonce, tout d'abord j’ai ressenti un abattement total, puis j'ai déclenché sur

64. Roger SALBREUX, « Naître et reconnaître : les mots ont-ils un poids ? », in Patrick Ben Soussan (dir.), L’Annonce du handicap autour de la naissance en douze questions, Toulouse, Érès, 2013, p. 90. 65. Il existe, cependant, des parents rejetants qui n’ont en rien ce sentiment de proximité.

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le champ une crise de psoriasis. Je crois que c'est à cause de ça que la directrice m'a fait entrer dans son bureau. Ensuite de la colère envers les médecins qui ne m'avaient rien dit sauf qu'elle avait un retard de croissance. Moi, bêtement je pensais que cela signifiait “poids et taille” et non pas développement du cerveau ! Je me souviens surtout que ma fille allait, et va toujours facilement, vers les étrangers, mon mari me disait “tu vois c’est un signe” mais je lui répondais toujours “mais non tu te trompes, elle est seulement très sociable”. Je pense qu'inconsciemment je refusais de voir le handicap même si lorsqu'elle a été scolarisée en maternelle je voyais bien qu'il y avait un “décalage” par rapport aux autres enfants du même âge… Je dis toujours que “je reconnais qu'elle a un handicap mais que jamais je ne pourrai l'accepter”. Essayez d'imaginer que l'on vous annonce que votre enfant est handicapée et que certainement elle ne sera pas totalement autonome dans sa vie, quelle serait votre réaction ? » (Mère d’une enfant handicapée)

L’annonce de la surdité peut être tout aussi violente que l’annonce de n’importe quel handicap.

« La situation joue contre les parents parce qu’on leur annonce les choses et ils reçoivent un coup de massue sur la tête. Il faut dire l’intensité de l’effondrement, qui met en vibration toutes les faiblesses de leur existence, de leur existence individuelle et de leur existence en tant que couple… Il y a des couples qui divorcent, il y a des couples qui se fragilisent, il y a des gens qui font des états dépressifs, voire qui se suicident. L’annonce du diagnostic est quelque chose qui, comme une onde de choc, peut avoir des répercussions extrêmement lointaines et profondes justement, parce que ça fait entrer en vibration toutes les fragilités préexistantes. Je parlais tout à l’heure du fait de ne pas accepter la différence. Quand on vit dans une société sans visibilité de rien de différent, où on n’accepte pas la diversité et où on ne la voit pas, l’apparition de quelque chose de différent est quelque chose de terriblement anxiogène. Donc, lors de l’annonce, plus on concentre les choses plus on vit dans un contexte de différences invisibles et plus l’annonce du diagnostic prend une valeur traumatisante. L’objectif me paraît être de faire en sorte que quand les parents s’effondrent, quand ils sont là, choqués par l’annonce qui leur a été faite, d’éviter de se précipiter pour leur dire que des solutions réparatrices, au sens de la réhabilitation auditive, existent, qui peuvent tout résoudre. Ces discours lénifiants vont dans le sens d’un déni. Ça ne veut pas dire qu’il ne faille pas choisir la voie de la réhabilitation auditive, ça signifie qu’il s’agit d’un processus complexe, il faut que les parents en mesurent la complexité et il faut aussi qu’ils gardent un œil sur le fait que d’autres pistes sont possibles et qu’ils auraient bien intérêt à voir comment on vit quand on est sourd. Est-ce qu’une vie est possible ? Est-ce qu’une vie heureuse est possible ? À mon sens, dans ce qui est proposé aujourd’hui dans nos sociétés, on privilégie toujours la réparation, la réhabilitation auditive, le devenir entendant, en somme la normalisation […] ; même avec un implant, d’ailleurs tous les ORL le disent, un enfant sourd reste un enfant sourd. Il devient sonorisé en quelque sorte, selon l’expression d’André Meynard, il a des possibilités nouvelles qui s’offrent à lui évidemment, parce qu’avec l’implant, le but, c’est quand même d’entendre quelque chose, mais il n’en reste pas moins que quand il l’enlève, il est sourd, que dans les circonstances où il y a du bruit, il va avoir des difficultés, et puis, il va y avoir aussi des particularités au niveau de l’acquisition du langage. La surdité restera très présente quand bien même l’implant sera là donc il faut être conscient de ce qu’est une organisation visuelle et spatiale des choses, de l’importance de la communication visuelle, d’un repérage qui puisse ne pas être seulement dépendant de l’oreille, afin que les parents puissent s’ouvrir aussi à d’autres voies et organisations perceptuelles que celle seulement de l’audition. » (Psychiatre)

Toute annonce d’une déficience ou d’un handicap, quel qu’il soit, affecte profondément les parents, et ce quel que soit l’âge de l’enfant au moment où un doute sur son développement est exprimé par le corps médical et que le diagnostic est posé. Cette

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annonce entraîne une déchirure, une remise en cause violente, un sentiment d’incompétence, de n’avoir pas été en mesure de concevoir un enfant « normal ». De nombreux parents se sentent alors responsables du handicap ou de la déficience de leur enfant.

La réception du diagnostic par les parents, leurs attitudes sont également dépendantes et largement influencées par le regard porté par leur environnement, la société, leur famille, sur la différence. La souffrance des parents doit alors pouvoir être écoutée et entendue, même lorsqu’elle se déverse violemment, et ce durant un temps long. Le refus d’un traitement et le déni de l’état réel de l’enfant ne sont pas l’indice que les parents ne sont pas conscients de l’état de santé de l’enfant ou des possibilités de celui-ci.

Cette attitude parle de leurs souffrances. Si, pour eux, un nouvel appareillage ou un nouveau traitement est synonyme d’une aggravation de l’état de l’enfant, faut-il s’étonner qu’ils le refusent dans un premier temps ? Ce n’est pas tant l’appareillage ou le traitement qu’ils rejettent, mais ce qui se profile derrière : la souffrance, voire la mort de l’enfant. L’ambivalence de leurs sentiments accentue encore l’intense culpabilité qu’ils éprouvent. Il est donc fondamental d’entendre cette détresse, pour pouvoir accompagner l’enfant et sa famille.

En même temps, il faut travailler avec les parents pour qu’ils parviennent à accepter ce qui, aujourd’hui, est pour eux de l’ordre de l’inacceptable. S’il apparaît nécessaire et bénéfique de proposer aux parents qui le souhaitent un accompagnement et un soutien dans leur fonction parentale, on ne peut que s’interroger sur les difficultés que rencontrent les parents d’un enfant en situation de handicap, souvent exclus des structures d’accueil de la petite enfance.

L’annonce d’un handicap ou d’une déficience affecte toujours les parents quel que soit l’âge de l’enfant ; il apparaît donc important de se questionner sur les modalités et les circonstances d’une telle annonce en période néonatale. La découverte d’une déficience ou d’un handicap autour de la naissance constitue un moment critique et déterminant dans le processus complexe de la mise en place des premiers liens parents/enfants, des interactions précoces entre les père et mère et leur nouveau-né, dans le processus d’élaboration des relations parents/enfant.

Devenir parent renvoie à des processus complexes dont les niveaux différents, conscients et inconscients, s’associent et se confrontent, voire s’affrontent, en celles et ceux qui, à l’arrivée d’un ou plusieurs enfants, sont appelés à construire ce que l’on nomme aujourd’hui la parentalité. Autrement dit, être parent n’est pas un donné, mais bien un « à construire avec », avec d’autres, dans un environnement propre à faire surgir et émerger tous les possibles. L’élaboration des premiers liens, dont on sait aujourd’hui qu’ils sont primordiaux dans le développement des capacités des parents à investir leur bébé, risque d’être largement affectée par l’annonce d’une déficience ou d’un handicap à ce moment-là.

Si « quels que soient le moment de l’annonce, la nature et la gravité du handicap, la manière de communiquer le diagnostic est déterminante pour l’avenir de l’enfant et de sa famille66 », il s’avère que lorsque le diagnostic survient dans la période néonatale, celui-ci complexifie encore l’élaboration des premiers liens, surtout si la déficience ou le handicap n’a pu être diagnostiqué pendant la grossesse. La période post-partum entraîne 66. Circulaire du 29 novembre 1985 relative à la sensibilisation des personnels de maternité à l’accueil des enfants nés avec un handicap et de leur famille, Journal Officiel du 21 décembre 1985, p. 14974-14975.

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déjà une fragilité de la mère, mais également du père, fragilité sur laquelle vient se greffer l’annonce du handicap.

En période prénatale, la réception par les parents d’un diagnostic n’est pas plus facile, l’annonce est tout aussi violente, cependant à ce moment-là elle permet soit à l’équipe médicale de proposer une interruption médicale de la grossesse, soit de mettre en place un travail de préparation et d’accompagnement des parents à l’accueil d’un enfant différent dès la naissance.

Lorsque rien n’a permis d’indiquer la possibilité ou la certitude d’une déficience ou d’un handicap lors du suivi obstétrical et que la découverte a lieu lors de la naissance ou dans les jours qui suivent, le retentissement sur les parents est différent. Ce jour qui devait être le « plus beau » dans leur vie de couple devient le pire, sans qu’il y ait eu possibilité d’anticipation. Sauf pour les parents eux-mêmes sourds, ou ayant connaissance de cas de surdité dans leur environnement familial. Dans ce cas, le plus souvent, les parents sourds n’appréhendent pas la surdité de leur enfant comme un handicap ou une déficience. Dans certains cas, la déficience ou le handicap est visible dès la naissance et les parents sont confrontés à la brutalité de sa révélation. Dans d’autres cas, le handicap ou la maladie grave n’est pas visible sur le champ.

Le dépistage de certaines maladies et le diagnostic, généralisés, posent des questions éthiques. Si le dépistage précoce de certaines maladies 67 de l’enfance, létales ou gravement invalidantes, peut s’entendre par la nécessité d’une prise en charge médicale précoce permettant une augmentation tant de l’espérance que de la qualité de vie, on peut légitimement se questionner sur la pertinence d’un dépistage précoce de certains handicaps ou déficiences n’ayant pas un pronostic vital sombre ou n’entraînant pas une mauvaise qualité de vie dans les mois qui suivent la naissance, tels que les handicaps sensoriels (surdité, troubles et handicaps visuels notamment).

L’avancée des possibilités médicales en matière de dépistage précoce de maladies ou de handicaps pose nécessairement des questions d’ordre éthique, philosophique, juridique, social, etc. – et en particulier la nécessaire question des limites posées au dépistage, singulièrement pour les maladies incurables à expression tardive (survenant à l’adolescence ou à l’âge adulte) – ou de l’acceptation (ou non) sociale du handicap et, pour ce qui concerne la surdité, la question des risques inhérents à tout dépistage de faux positifs ou de faux négatifs.

Quelle que soit la période où est faite l'annonce de la surdité, les professionnel-les et les parents rencontrés relèvent que l’annonce, précédée d’un doute sur l’audition de l’enfant, s’est faite de façon relativement brutale, dans une démarche purement médicale. Des parents disent ainsi que le médecin ORL ou la sage-femme n’a pas pris suffisamment de temps pour leur expliquer la surdité, les choix qu’ils allaient devoir faire pour leur enfant. Nous pouvons constater qu’il manque un espace intermédiaire entre la réalité médicale et le vécu subjectif des familles qui se trouvent alors dans une grande solitude, dans cette période néonatale où la charge émotionnelle est importante pour les jeunes parents. Lors d’un entretien, une mère explique : 67. La réalisation du test de Guthrie permet actuellement le dépistage précoce de cinq maladies : la phénylcétonurie, l’hypothyroïdie congénitale, l’hyperplasie congénitale des surrénales, la drépanocytose et la mucoviscidose.

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« Quand on est repartis de l’hôpital avec notre gamin tout sourd, la chose qu’on nous a proposée immédiatement, quand on est sortis des PEA (Potentiels évoqués auditifs précoces), on nous a dit : “Mais surtout, ne vous inquiétez pas, il existe des solutions. Vous savez, maintenant, la médecine a fait beaucoup de progrès et il y a l’implant cochléaire”. » (Mère entendante d’un enfant sourd)

C’est l’unique information dont les parents ont disposé à ce moment-là. Par la suite, ils ont dû chercher les informations eux-mêmes.

Il n’y a pas une façon unique de réagir face à l’annonce par le corps médical de la surdité de son enfant. Les parents se confrontent différemment à la réalité et expriment différemment l’accompagnement qui aurait été pour eux soutenant à ce moment-là. On peut néanmoins observer deux manières d’appréhender la réalité. Certains parents attendent des explications médicales importantes, des réponses précises sur la prise en charge de la déficience, sur les attitudes qu’ils devront adopter vis-à-vis de leur enfant, d’autres disent qu’exprimer leurs besoins est impossible tant ils se sentent abattus. Les propos suivants illustrent bien les attentes parentales :

« On a besoin de temps, d'avoir des professionnels vraiment bien informés, extrêmement empathiques, extrêmement compréhensifs, qui comprennent bien leur sujet, qu'ils soient renseignés et documentés. » (Mère entendante d’un enfant sourd)

L’annonce de la surdité aux parents précède l’annonce à l’entourage familial. Une fois la surdité connue par les parents, ces derniers sont conduits à devoir l’annoncer aux autres membres de la famille (notamment aux grands-parents), ce qui ne va pas non plus sans créer de souffrances. Dans de nombreux entretiens, des parents entendants expriment la grande solitude ressentie lorsqu’ils doivent révéler à leurs proches la surdité de l’enfant, alors qu’ils se trouvent eux-mêmes souvent dans un état de détresse. La solitude qu’ils éprouvent alors accroît la difficulté de cette révélation, d’autant plus qu’ils ne sont, souvent, pas en mesure de répondre aux questions de leur entourage, étant eux-mêmes dans l’incertitude.

3. Le dépistage de la surdité

Comme nous l’avons mentionné plus haut (p. 30), on estime en France à un pour mille le nombre d’enfants présentant une surdité (sévère à profonde) dès la naissance. Lorsqu’on additionne les cas de surdités partielles et légères, le taux atteint alors trois à quatre enfants pour mille. Dans la majorité des situations, environ 95 %, le jeune enfant sourd est né de parents entendants.

Les causes de la surdité sont multiples. Le plus fréquemment, on trouve une origine génétique (70 % des situations de surdité), souvent sans qu’il existe d’antécédents familiaux. En dehors de l’origine génétique, on trouve des facteurs survenus pendant la grossesse (infection virale : rubéole, cytomégalovirus, herpès, toxoplasmose, etc.) ou lors de la naissance (grande prématurité, poids à la naissance inférieur à 1 500 grammes, manque d’oxygénation, etc.). Lors de la survenue de la surdité au cours de la petite

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enfance, sa cause est due soit à des infections par méningite, rougeole ou oreillons, soit à l’administration de médicaments ototoxiques68.

Le dépistage de la surdité, notamment profonde, en France, est tardif, puisqu’il se fait en moyenne à l’âge de 16 mois. Ce qui entraîne une prise en charge du jeune enfant sourd retardée dans le temps et a un impact négatif tant sur la limitation de la perte auditive ou la prise en charge rééducative que sur le développement de l’enfant. En regard de ce dépistage trop tardif de la surdité, l’intérêt du dépistage néonatal est mis en avant par différentes agences et études scientifiques ayant démontré l’importance d’une prise en charge précoce de la surdité sur les futures capacités langagières de l’enfant.

Prenant appui sur l’avis n° 103 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé69, l’Académie nationale de médecine, dans un avis rendu en juillet 2008 70, a recommandé la mise en place d’un dépistage généralisé des déficits sensoriels à la naissance qui soit effectué par une des deux modalités reconnues (Oto émissions acoustiques ou Potentiels évoqués auditifs automatisés) au sein de la maternité dans la période néonatale (entre zéro et huit jours de vie). L’Académie nationale de médecine prend appui sur le dépistage actuellement tardif de la surdité mais également sur le fait que les « expériences de dépistage de la surdité plusieurs semaines après la sortie de la maternité [ont] montré des taux de “perdus de vue” proches de 50 % ». Le dépistage en période néonatale s’effectuant sur un public captif enregistre quant à lui des scores de dépistage très élevés (autour de 95 %). L’Académie nationale de médecine soumet la recommandation de la généralisation du dépistage précoce à l’existence de trois conditions cumulatives :

- « Une information systématique donnée aux parents pendant la période de grossesse sur le rôle de l’audition dans l’apprentissage du langage de l’enfant et la nécessité d’une vigilance soutenue sur l’état de l’audition pendant toute l’enfance.

- Une formation des acteurs du dépistage non seulement d’ordre technique mais aussi d’ordre psychologique concernant l’information à donner aux parents.

- Une parfaite articulation entre les responsables du dépistage fait à la maternité et les responsables de la prise en charge des enfants pouvant présenter un déficit auditif. »

Dans cet avis, l’Académie nationale de médecine recommande la création d’un registre national des surdités de l’enfant permettant le recueil de données épidémiologiques sur « les modalités de prise en charge et le suivi, outil indispensable à une politique de santé rationnelle concernant la déficience auditive de l’enfant ». La Haute autorité de santé (HAS), quant à elle, a rendu en janvier 2007 un avis préconisant la systématisation du dépistage de la surdité permanente bilatérale. Selon le rapport de la HAS, l’étude conclut « à l’efficacité probable du dépistage systématique de la SPN [surdité permanente néonatale] en termes de développement de la communication. 68. « Terme désignant de façon générale ce qui est toxique pour l'appareil auditif. Le plus souvent c'est l'oreille interne et plus particulièrement les structures neurosensorielles telles que la cochlée qui sont altérées. Ceci entraîne une surdité de perception définitive ». Source : http://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie-medicale/ototoxicité. 69. COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D’ÉTHIQUE, Éthique et surdité de l’enfant : élément de réflexion sur le dépistage systématique néonatal et la prise en charge des enfants sourds, décembre 2007. 70. ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE, « Dépistage de la surdité dans la période néo-natale précoce », Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 2008, Tome 192, Juin-Juillet, n° 6, p. 1233-1236.

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Les données parcellaires concernant la sécurité de ce dépistage seront prochainement enrichies par la publication de données françaises sur les aspects psychologiques. Au plan organisationnel, des incertitudes demeurent. La HAS préconise la pérennisation du financement des expérimentations au plan local qui peuvent permettre de fonder des recommandations organisationnelles en termes de modalités de dépistage, de suivi et prise en charge en aval. De plus, la HAS recommande que soient menées dans chaque région des évaluations sur les capacités des structures à réaliser une confirmation diagnostique de qualité, dans un court délai, chez l’ensemble des nouveau-nés dont le test de dépistage est positif, et à coordonner l’ensemble des partenaires intervenant dans le développement de la communication, en proposant des modalités de prise en charge adaptées à chaque enfant et à sa famille. » La HAS recommande « que le dépistage systématique de la SPN soit mis en œuvre au niveau national de façon progressive, en s’appuyant sur les expérimentations en cours afin de bénéficier de leur expérience. Cette montée en charge progressive, région par région, d’un programme de dépistage systématique de la SPN au niveau national permettra d’identifier les difficultés rencontrées au plan organisationnel (modalités de dépistage en maternité et structuration des prises en charge en aval) qui, le cas échéant, pourront être corrigées au fur et à mesure de l’extension. La HAS évaluera la pertinence d’une actualisation de cette recommandation au vu des résultats des expérimentations en cours.71 » L’Assemblée nationale s’est saisie de cette question en 2010 72. La Commission des affaires sociales affirme la nécessité de la généralisation du dépistage et propose que les modalités du dispositif mis en œuvre comportent deux phases. Premièrement un dépistage généralisé en période néonatale en deux temps (repérage puis diagnostic), et deuxièmement la dispensation d’une information objective, complète et neutre sur les modes de communication disponibles. Suite à différentes études et aux recommandations de la HAS, le dépistage de la surdité permanente néonatale est légalement défini par l’arrêté du 23 avril 201273. Il constitue « un programme de santé au sens de l’article L. 1411-6 du Code de la santé publique » (art. 1) et comprend :

1) « Un examen de repérage des troubles de l'audition, proposé systématiquement, avant la sortie de l'enfant de l'établissement de santé dans lequel a eu lieu l'accouchement ou dans lequel l'enfant a été transféré.

2) Des examens réalisés avant la fin du troisième mois de l'enfant lorsque l'examen de repérage n'a pas pu avoir lieu ou n'a pas permis d'apprécier les capacités auditives de l'enfant.

3) Une information des détenteurs de l'autorité parentale, le cas échéant, sur les différents modes de communication existants, en particulier la langue des signes française » (art. 2).

Avant la sortie de la maternité, tous les nouveau-nés auront subi un test de dépistage, le plus souvent à J3, afin de voir s’ils ont ou non un trouble de l’audition. Les techniques

71. HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ, Évaluation du dépistage néonatal systématique de la surdité permanente bilatérale, Service évaluation médico-économique et santé publique, janvier 2007. 72. Jean-Pierre DUPONT, au nom de la Commission des affaires sociales, sur la proposition de loi visant à généraliser le dépistage précoce des troubles de l’audition, Assemblée nationale, Treizième législature, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 novembre 2010. 73. Arrêté du 23 avril 2012 relatif à l’organisation du dépistage de la surdité permanente néonatale, Journal Officiel de la République française du 4 mai 2012, p. 7915, texte n° 48.

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utilisées font appel à l’audiométrie vocale ou tonale74 permettant la mesure objective de la cochlée.

En cas de dépistage d’une surdité, un médecin ORL pose le diagnostic. Actuellement, il existe diverses possibilités de prise en charge des troubles auditifs. Il peut être proposé la langue des signes française (LSF), reconnue par l’État depuis la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. L’appropriation de la LSF vise la possibilité pour le jeune enfant sourd d’établir une communication avec son entourage mais également le développement de ses compétences intellectuelles, sociales, cognitives, affectives et linguistiques. La LSF en tant que langue est constituée d’un vocabulaire, d’une grammaire et d’une syntaxe permettant aussi bien la communication que la compréhension de tous les niveaux d’abstraction. Il peut également être proposé d’autres modalités de communication, mais aussi différentes adaptations auditives (prothèse-contour d’oreille, implant cochléaire mono-latéral ou bilatéral). La généralisation de l’implant, tout au moins sa mise en avant lors du diagnostic, n’est pas sans poser de questions, notamment éthiques. Elle résonne comme « la promesse d’une “réparation” possible de la parole75 ».

Le dépistage précoce de la surdité pose donc de nombreuses questions et a récemment donné lieu à débats. Si l’on peut déplorer le dépistage actuellement tardif de la surdité (rappelons qu’il se fait en moyenne à l’âge de 16 mois), la généralisation d’un dépistage en période néonatale n’est pas sans inconvénients. Il convient nécessairement de penser sa violence possible, comme l’exprime un père rencontré :

« Après l’accouchement, ça s’est assez mal passé parce qu’en fait, nous sommes tous les deux sourds, ma femme et moi, et l’équipe médicale était un petit peu en difficulté, un petit peu perturbée. Le gynécologue savait qu’on était sourds, mais pas du tout le reste de l’équipe médicale. Nous, on pensait que la sage-femme allait informer l’équipe, mais en fait, ça n’a pas été fait. Donc il y a eu un problème de communication au sein de cette équipe. Donc un moment, j’étais assez choqué d’une situation par rapport au dépistage précoce. Ils voulaient le mettre en place, ils l’ont mis en place, ils l’ont fait sans nous prévenir, en fait ! Donc, ça a été comme obligatoire, entre guillemets. Ils nous ont juste donné une feuille d’information, comme quoi deux jours après la naissance, ça allait se passer. Pour nous, pour moi, c’était un petit peu difficile… Un retour sur terre un petit peu rude après la naissance, qui est toujours un moment particulier. Elle est née avec un mois d’avance, donc elle était sous couveuse. C’était un petit peu difficile de devoir subir tout ça, parce que la naissance était prévue sur octobre, finalement, c’est arrivé en septembre. […] Et en fait, les choses se sont faites un petit peu sans qu’on ait la possibilité de réagir, sans trop savoir ce qu’il se passait. On a mis des choses sur notre fille, et ça s’est passé. On nous a dit : “Elle est entendante”. Je ne sais pas comment l’exprimer, mais c’était un petit peu dur. Une semaine après, on en a discuté avec ma femme, et on a envoyé un courrier au directeur de la clinique où ma femme a accouché, pour leur donner notre ressenti par rapport à cette situation. Et effectivement, moi j’imagine, je me dis que pour des parents entendants à qui on déclare comme ça, d’un coup d’un seul : “Votre enfant est sourd”, je ne suis pas sûr que ça puisse bien se passer. Il n’y a pas d’accompagnement, il n’y a pas d’information. Il se passe quoi si le diagnostic, c’est : il est sourd ? Du coup, je ne sais pas, parce que ça n’a pas été ça, mais j’ai trouvé ça très agressif.

74. SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PÉDIATRIE, Dépistage des troubles de l’audition chez l’enfant, Guide pratique, SFP-DGS, juin 2009. 75. Martine DETHORRE, « Surdité : facettes d’histoires, de corps et de langues », in « La Parole des Sourds. Psychanalyse et surdités », op. cit, p. 37.

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On a rencontré après le directeur, qui nous a dit qu’il avait bien reçu notre courrier, qu’en fait, le protocole demandait de faire les choses comme elles se sont passées. Ça vient du ministère de la Santé, c’est comme ça que ça doit se faire. Donc, j’ai un petit peu présenté notre point de vue par rapport au possible diagnostic de surdité pour des parents. Qu’est-ce qu’ils avaient pensé ? Qu’est-ce qu’ils avaient mis en place comme accompagnement, comme annonce ? Est-ce qu’il y a un ORL qui débarque tout de suite dans la chambre pour proposer un implant ? Est-ce que quelque chose est fait d’un point de vue psychologique pour soutenir les parents ou pas ? Nous, en tant que parents sourds, on doit se battre par rapport à notre identité, etc. Donc, même si pour nous, pour moi et ma femme, c’est très clair qui on est… Mais, je me dis que pour des parents qui ne connaissent pas, qui ne sont pas sensibilisés du tout, ça doit être vraiment difficile. » (Père sourd d’un enfant entendant)

Comme le souligne Nicole Farges, « la période du post-partum est, on le sait, une période difficile et sensible concernant la relation précoce mère-enfant. L’importance de ces liens est essentielle à prendre en compte pour que les processus d’attachement se mettent en place progressivement. L’effet des annonces, même lorsqu’elles sont faites dans de très bonnes conditions, est souvent traumatique lorsqu’il s’agit d’un nouveau-né. Le médecin, tel une mauvaise fée ou un mauvais augure, se penche sur le berceau pour prononcer des paroles qui vont se graver dans la tête des parents. Cette suspicion de surdité annoncée à J2 risque d’avoir des effets iatrogènes qui dépassent de beaucoup le bénéfice escompté, perturbant la relation mère-bébé en particulier au niveau de la communication verbale. “Mon bébé ne m’entend pas, à quoi bon lui parler…” En effet, la surdité ne présente pas un caractère d’urgence comme d’autres maladies dépistées en maternité. […] Enfin, un nombre important de familles (neuf sur dix) sont inquiétées inutilement puisque les contrôles pratiqués ultérieurement concluent à une audition normale. Mais l’impact de cette suspicion n’est pas anodin et peut perturber inutilement les relations précoces.76 »

Il nous semble, pour notre part, qu’en matière de dépistage et d’annonce de la surdité, il serait souhaitable d’attendre la consolidation des premiers liens parents/enfant, c’est-à-dire autour du troisième mois de l’enfant. Alors que depuis les années 1990 le soutien de la fonction parentale est mis en exergue par les politiques et se trouve au centre de l’action publique, il nous semble que le dépistage précoce de la surdité, à J2 ou J3 – s’expliquant essentiellement par la « captivité » des bébés permettant un taux de dépistage très important en maternité ou en néonatalogie – fragilise davantage les parents qu’il ne les soutient. Il s’avère indispensable de questionner alors le risque d’instrumentalisation possible de nombre de familles déjà déstabilisées, jusqu’à la rupture, par certaines institutions.

4. Question de temporalité

« On a beaucoup réfléchi à la question, il y a eu les débats concernant le dépistage ultra-précoce des troubles auditifs, c’est-à-dire au lendemain de la naissance, qui est devenu systématique, pas obligatoire mais systématique et qui, au niveau de la maternité, s’applique à tout le monde, pas seulement aux familles sourdes. Sur la question de l’annonce du diagnostic, je voudrais être un peu plus précis. Je ne crois pas du tout qu’en soi-même l’annonce du diagnostic soit forcément traumatisante. Quoi qu’on fasse, les parents s’effondrent, quelle que soit la façon plus ou moins gentille, appropriée,

76. Nicole FARGES, « Dépistage de la surdité, prévention des troubles et prises en charge précoce », Entretiens de la petite enfance de Bichat, 2010, p. 16-17.

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aménagée, etc. Il y a tout un processus qui peut être mis en place et qui fait que dans certaines circonstances, ça peut ne pas l’être. Ce à quoi nous avons à veiller en tant que professionnels c’est faire que ça soit le moins traumatisant possible, c’est-à-dire qu’on ait la capacité non seulement d’annoncer les choses, mais de prévenir la blessure des parents. Et ça, c’est un processus qui d’une part […] nous revient, mais il y a aussi une énorme part du travail qui ne nous revient pas. Un diagnostic qui est annoncé de façon brutale par un praticien qui ne voit la chose que sous l’angle du PEA, de l’audiogramme, etc., qui travaille de façon isolée et qui, de toute façon, ne sera pas concerné par les suites une fois que ce diagnostic est annoncé, c’est la pire des situations. C’est la pire des situations, parce que d’abord, c’est un avis ultra-spécialisé, qui est extrêmement pointu […] L’image qui me vient c’est la piqûre, quand vous diminuez la surface de pression la force qui s’exerce est énorme, […] alors que si vous étalez les choses, la pression diminue. Il faut un processus d’annonce qui soit spatialement, temporellement et socialement étalé. Pour que ça fasse le moins mal possible, il faut qu’il y ait du temps, c’est-à-dire que même quand on ne peut pas faire autrement et qu’il faut l’annoncer, il faut instaurer tout un protocole qui fait que les choses peuvent être temporellement déjà un peu étalées. Ce n’est pas quelque chose qu’on digère en une seule fois, et puis, de toute façon, les aménagements dans la vie de tous les jours seront l’affaire de toute une vie, donc, on ouvre une nouvelle phase de la vie, une nouvelle situation. Donc […] il faut du temps. Deuxièmement, sur le plan spatial et sur le plan social, ça ne concerne pas seulement un médecin spécialiste, ça concerne un ensemble de professionnels, mais aussi un ensemble de dispositifs sociaux et de milieux qui n’ont rien à voir avec les professionnels. » (Psychiatre)

Toute annonce nécessite du temps, c’est-à-dire que le diagnostic et l’annonce s’inscrivent dans différentes temporalités prenant en compte le passé de l’enfant, y compris du nouveau-né (la relation entre ses parents ayant présidé à sa naissance), car ni son présent ni son avenir ne sont fixés à l’avance ou immuables.

Le diagnostic et l’annonce d’un handicap impliquent donc différentes temporalités : temps institutionnel, temps médical, temps administratif (étude du dossier par la MDPH et la CDAPH, etc.), temps social, temps parental, temps de l’enfant, etc. Ces différents temps ne coïncident pas toujours. Le nouveau-né au centre du diagnostic et de l’annonce est essentiellement appréhendé au temps présent du diagnostic, temps sur lequel il n’a pas d’emprise, pas plus d’ailleurs que ses parents.

Plusieurs dimensions temporelles se rencontrent, se confrontent, voire s’affrontent, différentes conceptions du temps, de vivre l’annonce… En matière de diagnostic, d’annonce, puis de prise en charge, il s’avère nécessaire d’aménager le temps afin que chacun des protagonistes du moment (professionnel-les, parents, enfant) ait une marge de manœuvre plus importante. Cela doit permettre aux parents de ne pas subir passivement.

Le temps du diagnostic et de l’annonce est également un temps d’émotions envahissantes, plus ou moins violentes et ambivalentes. Les émotions des parents prennent place dans un système d’interactions réciproques avec les personnels soignants et l’enfant.

Les professionnel-les de santé et les parents ne sont pas dans la même temporalité. Le médecin est concentré sur le diagnostic, sur la mise en place de la prise en charge, alors que les parents sont à la fois dans l’ici et maintenant mais également dans une anticipation du devenir du nouveau-né, de son avenir, de son insertion scolaire et sociale future.

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« On a récemment, là, le cas d’une petite fille qui est rentrée à l’âge de 15 mois et la maman, toutes les questions tournaient autour de l’apprentissage de la lecture et de l’école à partir de six ans, quand elle ira à l’école. On a beaucoup travaillé là-dessus en disant : “On peut pas pour l’instant vous dire comment ça va se passer à six ans. On ne sait pas. On ne peut pas vous le dire. Maintenant, on va se focaliser sur le moment qui est là”. C’est vrai qu’au début, elle parlait beaucoup de ça. Le fait, par exemple, de rencontrer des professionnels sourds, ça les rassure beaucoup, parce que là, quelque part, on voit un adulte sourd. Parce qu’en fait les adultes sourds, on les voit pas. D’ailleurs, c’est vrai que des fois, les enfants qu’on accueille en intégration, ils sont souvent seuls et ils ne s’imaginent pas qu’il y a d’autres personnes, d’autres enfants sourds et des grands, des adultes sourds. » (Éducatrice de jeunes enfants)

La question de la temporalité est donc à penser dès le dépistage et l’annonce mais également tout au long du suivi et de l’accompagnement du jeune enfant sourd et de ses parents, comme l’exprime une éducatrice spécialisée rencontrée :

« Après, la question de l’accompagnement, de toute façon, des parents et des familles, cet accompagnement à mon sens doit se faire sur un temps juste, c'est-à-dire quand les parents sont prêts à rencontrer des équipes de professionnels, c'est-à-dire que ça peut être à quelques semaines de vie de l’enfant, comme à quelques mois de vie de l’enfant. Parce que je pense que c’est important aussi que cette famille, peut-être un petit peu singulière, puisse construire des liens comme n’importe quelle famille avec son bébé, et que rencontrer des professionnels, être parent sous le regard de professionnels, ce n’est pas si simple, même si a posteriori, les familles nous disent à quel point ça a pu les aider dans la compréhension de leur enfant. » (Éducatrice spécialisée en CAMSP)

La nécessité de respecter le temps qu’il faut aux parents pour faire face à la surdité de leur enfant entre souvent en contradiction avec le temps médical où apparaît la nécessité d’agir vite :

« Ce que disent les médecins qui sont vraiment dans la question des appareillages, c’est que plus tôt l’enfant sera appareillé et aura une suppléance auditive et une correction auditive, plus il va pouvoir s’ouvrir au monde, et percevoir par exemple les signaux d’alerte et les choses comme ça que ne perçoivent pas les bébés sourds, les bébés qui ont une surdité sévère ou profonde. » (Éducatrice spécialisée en CAMSP)

5. Le diagnostic : une affaire essentiellement médicale

La systématisation du dépistage de la surdité au cours des premiers jours en maternité ou en néonatalogie est essentiellement médicale. Et ce même s’il est recommandé que la prise en charge, dès qu’il y a un doute sur l’audition de l’enfant, soit pluridisciplinaire et ne s’intéresse pas uniquement au versant physiologique de la déficience auditive possible ou avérée du tout-petit.

« Qui annonce ? C’est le médecin. Aujourd’hui, en France, la seule façon de pouvoir annoncer une réalité telle que la surdité, c’est par le biais d’examens objectifs et c’est effectivement l’ORL qui va annoncer : votre enfant est sourd ou est malentendant. Après comment il le dit, ça, on sait, nous, par ce que les parents nous ramènent, que c’est gravé à tout jamais dans l’esprit des parents. Donc, il y a intérêt à travailler la façon d’annoncer, parce que ça peut impacter très rapidement l’image que les parents vont avoir du corps médical. Moi, je ne suis pas celle qui annonce. Je suis celle qui va annoncer autre chose. Au moment où ils arrivent ici, ils savent que leur enfant est sourd, puisque cela leur a déjà été annoncé. Moi, je vais être celle qui va leur annoncer les

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conséquences qu’a cette surdité sur le parcours, suite au diagnostic, de leur enfant et du leur. » (Directrice de CAMSP)

Les progrès de la médecine et l’avancée des techniques médicales, notamment en matière de surdité, accroissent encore la prise en charge lors du diagnostic sur un versant médical. Sont ainsi souvent mises en avant les possibilités médicales pouvant « réparer » l’oreille qui ne « fonctionne » pas. Les parents s’entendent souvent dire :

« Mais ne vous inquiétez pas, il sera comme les entendants, on va lui mettre des implants… » (Psychiatre)

Cette prise en charge essentiellement centrée sur une visée médicale de réparation pose de nombreuses questions, notamment éthiques. Il apparaît que dans la société postmoderne, les recherches de solutions en matière de surdité vont essentiellement dans un seul sens, c’est-à-dire celui de la réparation, de la réhabilitation auditive, la recherche de faire (re)devenir entendant. Le désir de réparer ne constitue pas une nouveauté mais les possibilités nouvelles offertes par l’implant ne manquent pas de soulever des interrogations, notamment en ces temps où ce qui semble prévaloir est davantage la normalisation tant des pratiques, des conduites et des comportements qu’une compréhension des sujets.

« Aujourd’hui, il y a la pression de la norme, c’est la solution technique, médicalisante qui fait de l’enfant un malade, parce qu’à partir du moment où on se lance dans une intervention chirurgicale, on prend des risques, il peut y avoir des effets secondaires, il peut y avoir des accidents, même si les accidents per ou postopératoires sont actuellement de moins en moins fréquents. La grande différence avec l’orientation langue des signes, c’est que, que je sache, aucun enfant n’est morte de la langue des signes, par contre, il y a eu des décès avec des implants cochléaires. Donc, […] porter un appareil dès son plus jeune âge pour tout le restant de ses jours, ça engage un mode de vie et ça engage à des risques qu’il faut connaître…, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas les prendre, mais il faut savoir aussi ce qu’on veut et savoir aussi que ça peut aussi être un échec, qu’il y a aussi d’autres pistes peut-être à explorer. […] L’information qui a lieu actuellement me paraît très tronquée, très insuffisante et elle est d’autant plus insuffisante qu’elle va dans le sens du déni général qui existe au niveau social. Pour des parents qui sont traumatisés, la seule possibilité, en tout cas, dans un premier temps, c’est de nier, c’est de dire : “Non, je ne veux pas de la surdité.” » (Psychiatre)

Le discours médical est plaisant pour nombre de parents entendants, parents d’un jeune enfant sourd, puisqu’il leur fait croire en la possibilité de le réparer, de le remettre en conformité. Ce discours induit qu’on parle alors moins de l’accompagnement éducatif des jeunes enfants sourds, que la vie qui s’ouvre devant eux peut être tout aussi acceptable que celle d’un tout-petit entendant. Le corps médical peut être hostile à un autre choix parental que celui de la réparation par une intervention chirurgicale lourde ; notamment il est apparu lors des entretiens une incapacité de certains soignants à entendre le point de vue des parents lorsqu’il s’écarte de leur propre point de vue, en particulier lorsqu’il s’agit de parents sourds eux-mêmes qui n’ont nécessairement pas la même approche subjective de la surdité éventuelle de leur enfant. Cette impossibilité d’entendre et la difficulté de respecter un autre choix parental ressortent de l’extrait d’entretien suivant :

« Pour mon fils, lorsqu’il est né, avec ma petite amie qui est entendante et médecin généraliste, très rapidement on a vu qu’il était entendant, parce que la manière dont il

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criait aussi, si on le touchait, etc., si on faisait du bruit à côté, si on tirait la chasse ou n’importe quoi, il était très sensible, très réactif aux sons. Donc, le dépistage, c’était vraiment pas la peine. C’est facile à voir qu’il était entendant. Pour ma fille, elle est née en juin l’an dernier et c’était une période justement de dépistage précoce. C’était obligatoire, on était obligés d’y passer. On avait le droit de refuser quand même. C’était pas obligatoire, on avait le droit de refuser tout de même. Tous les deux, quand notre fille est née, on a dit à l’hôpital qu’on ne voulait pas faire le dépistage pour le moment, on ne souhaitait pas le faire, on le ferait plus tard éventuellement. Ils étaient d’accord. J’ai repris le travail. Mon amie était restée à l’hôpital. Elle prenait sa douche, moi, j’étais pas là et mon bébé était dans une salle, avec une auxiliaire de puériculture qui s’occupait d’elle. Quand elle est sortie de la douche, plus personne n’était dans la salle, ni le bébé ni l’auxiliaire. Elle a demandé : “Où est ma fille ?” – “Elle est partie au dépistage.” Là, ça a été vraiment un choc, parce qu’on nous l’a enlevée pour faire le dépistage, on nous a pas informés. Tous les deux, on avait dit qu’on ne voulait pas pour l’instant. Ma petite amie est intervenue en disant : “Excusez-moi, mais il y a des machines pour faire le dépistage. S’il vous plaît, arrêtez.” Il y avait l’infirmière qui a été surprise en disant : “Mais ça va pas bien ? Un médecin qui veut pas faire un dépistage !” Elle a dit : “Non, avec mon ami, on ne veut pas faire de dépistage pour l’instant. On le fera plus tard. Ça nous est pas utile pour l’instant.” À force de discussions, ils ont accepté d’arrêter le protocole de dépistage. Elle m’a envoyé un message, je suis venu à l’hôpital. Justement, c’était le jour de sortie de l’hôpital. En fait, ils voulaient vraiment faire le dépistage à ce moment-là. On a rencontré le chef de service de l’hôpital qui a accepté en disant : “Le protocole est arrêté, il y a pas de souci, c’est bon.” Mais, si vous voulez, dans le carnet de santé, il y a marqué en gras : “La maman a refusé le diagnostic”, en noir, en très, très gros. “C’est la maman qui a refusé.” Donc, ça a été un peu difficile tout ça. De fil en aiguille, deux-trois mois sont passés et on dormait profondément et mon fils, lui, se réveillait souvent avec du bruit, il était très sensible au bruit. On se disait, quand ma fille dormait profondément… On pensait qu’elle était entendante, mais on était quand même un peu partagés. Ça faisait trois mois. Au bout de trois mois, on a pris rendez-vous justement pour faire un dépistage. Nous sommes allés à l’hôpital Trousseau. Et puis, la première chose que la femme a dite : “Non, ça va pas la tête ? Un bébé de trois mois, c’est trop tard !” J’ai dit : “Non, y a pas de problème.” Elle n’était pas contente. J’ai dit : “Doucement, calmez-vous”. Ma petite amie qui est médecin a dit : “Vous exagérez. En tant que médecin, je sais que ce n’est pas trop tard pour le protocole.” On a fait le diagnostic et elle était, bien entendu, entendante. Mais bon, ça a été des péripéties. C’est vrai qu’on s’est sentis accusés comme responsables, etc. Mais les deux enfants sont entendants. » (Père sourd d’enfants entendants)

Le fait que la mère de l’enfant dans cette situation soit médecin semble encore accroître l’incompréhension des soignants. Que des parents refusent le dépistage, cela peut éventuellement s’entendre, mais lorsque le refus émane d’un parent également médecin, cela devient incompréhensible, comme si ce parent-là trahissait alors « les siens ».

Notre propos ne consiste pas à dire qu’il ne faut pas avoir recours à l’implant cochléaire comme aux différentes possibilités techniques qu’offre la médecine, mais qu’il importe, dans l’information aux parents, de ne pas privilégier une modalité de compensation de la surdité, comme il importe de ne pas les leurrer. Il faut leur dire que même implanté leur enfant demeure sourd, comme le souligne le psychiatre interviewé (cf. p. 36).

Certains sourds implantés peuvent ainsi se sentir dans un entre-deux : ne pas faire réellement partie de la communauté des sourds et en même temps ne pas faire non plus partie de la communauté des entendants.

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Chapitre VI - L’accompagnement des parents

1. Handicap et activité professionnelle parentale

a) Une hiérarchie toujours d’actualité des rôles parentaux

Bien que, au cours des trente dernières années, de nombreuses modifications soient survenues dans la famille contemporaine comme dans les représentations sociales de la petite enfance et des pratiques de soins et d’éducation, les comportements sociaux résistent manifestement en profondeur aux transformations. Actuellement, les femmes prennent toujours majoritairement en charge les jeunes enfants. La conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle leur incombe toujours. L’entrée dans la parentalité induit la mise en place d’un mécanisme inégalitaire qui fait porter sur les mères les tâches que requiert la naissance d’un bébé. Cette « “mécanique inégalitaire” […] va conduire la majorité des femmes à se désinvestir de leur vie professionnelle77. » La naissance demande en général un réaménagement de l’emploi du temps parental, spécialement maternel. La venue de l’enfant, puis sa dépendance extrême à un autre qui lui prodigue soins, attention et tendresse, sont appréhendées dans les représentations traditionnelles comme relevant avant tout du rôle maternel, et ce d’autant plus lorsque l’enfant est malade ou présente un handicap ou une déficience, entre autres la surdité. Si les femmes devenant mères désinvestissent leur vie professionnelle au profit de leur rôle maternel, elles ne le font pas seules mais y sont généralement conduites par différents vecteurs les incitant à subordonner leur activité professionnelle à leur vie familiale et aux obligations de pourvoir en permanence aux besoins de leur(s) enfant(s). Parmi ces vecteurs, les politiques familiales (congé maternité, congé parental, etc.) ont une action puissante. De même, l’inégal accès des femmes et des hommes aux professions les plus qualifiées, les mieux rémunérées et offrant un haut niveau de responsabilité, les difficultés de mobilité ont un impact sur le retrait féminin du marché du travail lors de l’entrée dans la parentalité. Tout semble concourir à éloigner les mères, avec leur assentiment plus ou moins éclairé, plus ou moins volontairement, plus ou moins durablement du marché du travail, en utilisant, entre autres, des arguments psychologiques et/ou médicaux, tels que le « bien-être » ou la santé du jeune enfant. La mise en avant par les professionnel-les prenant en charge les jeunes enfants handicapés, notamment sourds, de la nécessaire disponibilité parentale pour le suivi médical – visites médicales, bilans, accompagnement de l’enfant au centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) ou au service d’accompagnement familial et d’éducation précoce (SAFEP), etc. – des enfants participe largement aussi au retrait maternel du marché du travail. Pendant longtemps, les politiques publiques en matière de vie familiale et d’accueil d’un nouvel enfant dans la famille n’ont pas eu les pères pour public cible. Lorsque l’enfant naissait, son père avait droit à seulement trois jours de congé pour accueillir son nouveau-né et soutenir sa conjointe lors du retour au domicile familial. Depuis le 1er janvier 2002, la création du congé de paternité a octroyé aux pères onze jours supplémentaires. Les soins aux jeunes enfants succédant à la grossesse et à l’accouchement, qui s’effectuent lors des premières semaines durant le congé de maternité, constituent donc une « affaire »

77. Jeanne FAGNANI, Un travail et des enfants, op. cit., p. 19.

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spécifiquement féminine. La « passion de l’enfant78 », qui s’est progressivement diffusée dans la société contemporaine et a installé l’enfant au centre de la famille et non plus à sa périphérie, assigne en permanence le tout-petit aux « bons soins » maternels. Le développement et la multiplication des recherches dans les champs de la psychanalyse, de la pédopsychiatrie et de la psychologie, afin d’avoir une compréhension du développement somatopsychique et des troubles du jeune enfant, ont mis en avant la primauté de la mère, l’importance fondamentale de la relation mère/enfant dans le développement de l’infans, introduisant une hiérarchie dans l’ordre des besoins79. La plupart des discours « psy », ceux de vulgarisation notamment, ont donc construit la mère comme étant indispensable et incontournable. Sa présence attentive, disponible, dévouée est par conséquent souhaitable en permanence afin que le tout-petit connaisse un développement satisfaisant. Cette matrifocalisation des théories, étayée par la scientificité du discours médical qui « contribu[e] à légitimer “scientifiquement” l’argument selon lequel le jeune enfant a, avant tout, besoin de sa mère80 », participe largement à surresponsabiliser les mères et à déresponsabiliser les pères 81 . Différents travaux ont mis en évidence que l’extrême immaturité physiologique et psychique du bébé rend nécessaire la présence d’un adulte disponible et attentif, pouvant s’adapter suffisamment aux besoins du bébé et ayant développé une capacité suffisante de « souci d’autrui ». La mère apparaît alors tout « naturellement » apte à assumer cette charge, et lourde responsabilité, par sa capacité « naturelle » à développer un sentiment de compassion82 et à se montrer dévouée jusqu’à s’oublier elle-même. Cet allant de soi, rarement questionné, enferme les femmes dans une fonction à laquelle elles ne pourraient se soustraire puisqu’il s’agit pour elles d’une caractéristique innée, présente dans leur patrimoine génétique au même titre que l’instinct maternel. Pascale Molinier souligne que « les femmes ne sont ni meilleures ni pires que les hommes. La compassion n’est pas chez elles une aptitude naturelle, ni même une qualité individuelle de certaines d’entre elles 83 ». Il s’agit là d’une construction sociale qui véhicule une image idéalisée de la femme, pour mieux l’asservir. Si, malgré les modifications sociales majeures qui se sont produites dans la société depuis les années 1960-1970 et les mutations de la famille, les femmes adhèrent toujours, dans leur grande majorité, à cette essentialisation de caractéristiques propres à un sexe, ce n’est pas parce qu’elles se laissent bercer par le chant des sirènes mais parce qu’elles sont soumises à des injonctions, d’ailleurs parfois contradictoires, et à des attentes de l’environnement social (entourage familial, amical, professionnel) basées sur ces représentations naturalisantes 78. Laurence GAVARINI, La Passion de l’enfant. Filiation, procréation et éducation à l’aube du XXIe siècle, Paris, Denoël, 2001. 79. Catherine SELLENET, Les Pères vont bien !, Paris, Flammarion, 2005. 80. Jeanne FAGNANI, Un travail et des enfants, op. cit., p. 24. 81. Christine CASTELAIN-MEUNIER, La Place des hommes et les métamorphoses de la famille, Paris, PUF, 2002. 82. La compassion est un sentiment très proche de l’empathie, faculté de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent. La compassion est donc liée à une grande sensibilité humaine (qualité qui serait spécifiquement féminine) qui s’oppose à l’égoïsme (qualité qui serait quant à elle spécifiquement masculine). Pascale Molinier souligne comment les représentations assignent cette qualité au féminin, « les femmes seraient naturellement compatissantes – du moins les femmes normales. Il suffirait donc de mettre de “vraies” femmes partout où la souffrance s’exprime et elles sauraient comment faire, tout simplement parce qu’elles sont femmes ». Pascale MOLINIER, L’Énigme de la femme active : Égoïsme, sexe et compassion, Paris, Payot, 2003, p. 9. 83. Ibid. p. 10.

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qui attribuent des aptitudes en fonction du sexe. Elles se plient aussi à la pression sociale qui leur assigne un rôle et les oblige à pourvoir, de façon quasi exclusive, aux besoins des tout-petits surtout lorsque ces derniers sont malades ou présentent un handicap, au risque, si jamais elles y contreviennent, de se voir « suspectées individuellement de ne pas être tout à fait respectables84 ».

La spécialisation des rôles parentaux qui apparaît dès la naissance donne lieu à une ségrégation des activités et des tâches entre les mères et les pères85. Cette spécialisation et hiérarchisation des rôles parentaux comme la sexuation des tâches qui se met progressivement en place dès la naissance du premier enfant, et se renforce au fur et à mesure des naissances ultérieures, ne sont que rarement questionnées au sein des couples tant elles sont naturalisées et martelées dans les médias.

b) Des différences permanentes entre l’emploi masculin et l’emploi féminin

Malgré les évolutions majeures qui se sont produites à partir des années 1970 dans l’accession au marché du travail pour les femmes, des inégalités massives perdurent entre les femmes et les hommes. Si les femmes ont aujourd’hui une trajectoire professionnelle continue se rapprochant de celle des hommes, il existe toujours une répartition sociosexuée qui entretient les inégalités entre les unes et les autres sur le marché du travail. En raison de la pénurie d’emploi, de l’accroissement du taux de chômage depuis les années 1980, de la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle du fait notamment du nombre insuffisant de places permettant l’accueil des jeunes enfants dans les modes de garde et d’accueil collectifs ou individuels, les femmes occupent une place plus importante dans le sous-emploi et occupent plus fréquemment des emplois peu qualifiés, peu rémunérés. Si l’écart entre le taux d’activité féminin et le taux d’activité masculin s’est considérablement réduit, les femmes actives « occupées » et les hommes actifs « occupés » ne partagent pas des emplois similaires, tant au regard de la durée hebdomadaire du temps de travail, du type de contrat de travail, des métiers que des statuts. Les hommes continuent dans leur grande majorité à occuper un emploi en CDI à temps plein, le recours à ce type de contrat constituant toujours la norme de l’emploi masculin, alors que les femmes sont plus nombreuses à occuper un emploi précaire (CDD, intérim, contrats aidés). De même, elles occupent plus souvent que les hommes un emploi à temps partiel et subissent des horaires atypiques. Au regard des types de contrats de travail, du temps de travail hebdomadaire, le partage du travail est donc l’objet d’une répartition sexuée inégalitaire entre les femmes et les hommes86. L’emploi féminin se concentre toujours dans un nombre restreint de métiers, métiers généralement peu valorisés socialement et peu rémunérés. Comme le souligne Annie Dussuet87, la dévalorisation des métiers « féminins » (infirmières, métiers de la petite enfance et de l’aide à domicile, assistantes maternelles, secrétaires, femmes de ménage, etc.) prend appui sur le fait qu’ils sont appréhendés dans les représentations 84. Pascale MOLINIER, L’Énigme de la femme active, op. cit. 85. Thierry BLÖSS, Sophie ODENA, « Idéologies et pratiques sexuées des rôles parentaux. Quand les institutions de garde des jeunes enfants en confortent le partage inégal », Recherches et Prévisions, n° 80, juin 2005, p. 77-91. 86. INSEE, Femmes et hommes, regards sur la parité, Paris, Insee Références, 2012. 87 . Annie DUSSUET, Sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, Rapport pour la DDTEFP de Loire-Atlantique, DRTEFP, 1998.

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sociales comme constituant une extension du travail domestique. Ainsi, selon Annie Dussuet, « beaucoup de ces professions sont en quelque sorte issues du travail domestique, parce qu’elles réalisent sur un mode salarié les fonctions de soin, d’attention aux autres, qui dans d’autres conjonctures historiques sont effectuées sur un mode domestique. On peut avancer l’hypothèse de la prégnance dans ce cadre salarié des mêmes “logiques domestiques” de dévalorisation observées pour le travail gratuit. Pour ces métiers, on parle d’“aptitudes” et non de “savoir-faire”, de qualités “naturelles” et non pas de qualification. Cette référence à la nature permet de ne pas rémunérer ces “qualités.” »

On peut comprendre également les différences entre l’emploi féminin et masculin comme étant aussi le résultat de la spécialisation et de la hiérarchie des rôles parentaux au sein de la famille88.

c) Le recours contraint au congé parental et au complément du libre choix d’activité lié au handicap ou à la déficience

Avant la naissance, si certaines femmes ont fait le choix d’avoir recours au complément de libre choix d’activité (CLCA) de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), d’autres avaient comme projet de reprendre leur activité professionnelle à la fin du congé de maternité. Lorsque l’état de santé de l’enfant nécessite une hospitalisation, ou qu’est découvert un handicap ou une déficience, le projet de retour à l’emploi antérieur à la naissance ne peut se réaliser. L’état de santé de l’enfant nécessite, quel que soit le handicap, une lourde prise en charge et une grande disponibilité de l’un des deux parents. Le recours au CLCA apparaît comme une situation de fait, que les mères n’ont pas choisie mais qui s’est imposée à elles par la force des événements.

Les conséquences financières résultant de l’état de santé des jeunes enfants handicapés et des adaptations nécessaires à mettre en place sont importantes, notamment lorsque l’un des parents ne peut reprendre son activité professionnelle, l’indemnisation qu’octroie le CLCA étant très limitée. La reconnaissance par la MDPH du handicap de l’enfant permet le versement sous condition89 de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) mais également la possibilité pour la famille de percevoir un des compléments 90 de

88. Thierry BLÖSS, Sophie ODENA, op. cit. 89. Pour percevoir l’AEEH, les parents doivent remplir des conditions d’attribution. À savoir : - remplir les conditions générales pour bénéficier des prestations familiales - avoir un enfant handicapé âgé de moins de 20 ans à charge - que le taux d'incapacité de l'enfant, apprécié par la Commission des droits et de l'autonomie des

personnes handicapées (CDAPH), soit d'au moins 80 % ou soit compris entre 50 % et 79 %, à la condition qu'il fréquente un établissement spécialisé (CAMSP par exemple) ou que son état exige le recours à un service d'éducation spéciale ou de soins à domicile (SESSAD, SAFEP)

- que l’enfant ne soit pas accueilli en internat avec prise en charge intégrale des frais de séjour par l’Assurance maladie, l’État ou l’aide sociale.

Au 1er avril 2013, le montant de base de l’AEEH est de 129,21 euros par mois. 90. Le montant de base de l’AEEH peut être majoré par un complément sur accord de la CDAPH dont le montant est déterminé en fonction de plusieurs paramètres : la cessation d’activité professionnelle (totale ou partielle) d’un des parents, l’embauche d’une tierce personne rémunérée, le montant des dépenses engagées du fait de l’état de santé de l’enfant. Il existe six catégories de complément. 1re catégorie : 96,91 euros ; 2e catégorie : 262,46 euros ; 3e catégorie : 371,49 euros ; 4e catégorie : 575,68 euros ; 5e catégorie : 735,75 euros ; 6e catégorie : 1 096,50 euros. Dans le cas d’une famille monoparentale, une majoration est versée au bénéficiaire d'un des compléments (à partir de la 2e catégorie) à l’allocation de base de l’AEEH lorsque celui-ci est attribué pour recours à une tierce personne, que ce recours soit effectivement assuré par le parent lui- même ou par une tierce personne rémunérée à cet effet.

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l’AEEH ou de choisir la prestation de compensation du handicap (PCH)91 étendue aux enfants depuis la publication du décret n° 2008-451 du 7 mai 2008 relatif à l’accès des enfants à la prestation de compensation. Si l'AEEH de base peut se cumuler avec le CLCA mais également avec l’allocation journalière de présence parentale (AJPP), le cumul d’un complément de l’AEEH et de la majoration pour parent isolé avec l’AJPP est impossible.

Le versement d’un complément de l’AEEH dépend des dépenses engagées par la famille en raison du handicap et/ou de la nécessité de la présence d’une tierce personne (un des deux parents ou une personne rémunérée) pendant une période relativement longue. L’octroi d’un complément, notamment de celui de 6e catégorie – d’ailleurs rarement attribué – , permettant de pallier l’impossibilité pour un parent d’avoir une activité professionnelle en raison de la disponibilité nécessaire pour le jeune enfant, dépend de l’avis de la CDAPH. Il ressort que selon les CDAPH existent de fortes disparités dans l’octroi des compléments de l’AEEH, notamment lorsque l’enfant handicapé est un tout-petit. Certaines CDAPH estiment que le jeune âge de l’enfant nécessite de toute manière la disponibilité d’un des parents, comme pour n’importe quel enfant non handicapé, ou lorsque celui-ci est accueilli partiellement au sein d’un EAJE ou que l’enfant est scolarisé en école maternelle. Si la perception de l’AEEH et d’un de ses compléments ne suffit pas à couvrir les besoins réels des parents dont l’un d’eux a dû cesser ou n’a pas été en mesure de reprendre une activité professionnelle en raison de l’état de santé de l’enfant, le refus par certaines CDAPH de l’attribution d’un complément est doublement problématique. Premièrement il crée une rupture dans l’égalité entre les parents en fonction de leur département de résidence ; deuxièmement il contraint nombre de mères d’enfants de moins de trois ans à se satisfaire du CLCA. Cela est particulièrement vrai pour les parents ayant un enfant en situation de handicap mental, sensoriel, ou présentant des troubles du comportement.

d) De la nécessaire disponibilité à l’inactivité ou à la recherche d’un emploi à proximité

« S’ils acceptent de venir au CAMSP pour que leur enfant soit suivi, je leur annonce qu’il va falloir qu’ils soient très disponibles, parce que si on veut intervenir tôt suite à cette annonce de surdité, il va falloir se mobiliser autour de cette prise en charge. Est-ce qu’ils y sont prêts ? Est-ce qu’ils en ont la disponibilité ? Est-ce qu’ils en ont la proximité géographique ? C’est toute cette dimension-là que je vais leur dire et pour laquelle ils vont être amenés à devoir faire un choix. Alors, parfois avec un non-choix, parce qu’avant trois ans, il y a peu de structures, donc c’est ou le CAMSP ou l’orthophonie de ville. Sachant qu’une orthophonie de ville, pour des enfants sourds profonds, la prise en charge qu’elle va proposer est très parcellaire. C’est de la prise en charge individuelle une à deux fois par semaine quand c’est possible. Ici, il y a un plateau technique assez large. On s’occupe autant de l’accompagnement psychologique des parents quand ils le souhaitent, de la psychomotricité quand il y a des troubles associés, qu’on va dépister assez rapidement […]. On est bien sur l’accompagnement du tout-petit de zéro à trois ans, en amont de la scolarisation. Donc, ce que je vous disais c’est qu’effectivement […] ça va demander beaucoup de temps aux parents, de l’investissement et une adaptation de leur part. C’est pas que de la rééducation orthophonique. » (Directrice de CAMSP)

La disponibilité nécessaire de la mère induite par la prise en charge de la surdité de

91. À terme, il ne devrait plus y avoir que la PCH.

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l’enfant rend souvent impossible la conciliation entre activité professionnelle, vie familiale et gestion du suivi médical et rééducatif de l’enfant, mais également apprentissage de la LSF. Le temps passé à accompagner l’enfant rend quasi impossible une activité professionnelle, même lorsque ce dernier est accueilli à temps partiel au sein d’un EAJE. De nombreuses mères sont conduites à l’inactivité, et sont confinées à être bénéficiaires du congé parental d’éducation, ou à rechercher un emploi à proximité lorsqu’elles arrivent à faire correspondre les horaires de travail avec les horaires de prises en charge (qui peuvent être mouvants). Ce qui entrave largement les possibilités et rend nécessaire une modification du choix professionnel, orienté davantage sur la proximité avec les modes d’accueil des jeunes enfants ou la recherche d’horaires souples ou tardifs (lorsque le conjoint est rentré) que dans leur domaine initial de formation, de compétence et en fonction de leur niveau de qualification. La nécessité de trouver un emploi (notamment lorsque la bi-activité du couple est une nécessité pour la survie économique de la famille) assigne les femmes à un type d’activité professionnelle particulier : celui de l’aide à domicile ou l’exercice de la profession d’assistante maternelle. L’entrée dans l’inactivité professionnelle (dans le cadre du congé parental d’éducation ou l’arrêt du travail sans indemnisation) comme la recherche d’un travail de proximité prennent également leur source dans la difficile conciliation des différents temps sociaux, entre une activité professionnelle et la vie familiale et son cortège de tâches domestiques. L’arrêt de l’activité professionnelle s’avère donc être un choix contraint pour nombre de mères, en raison de la difficile conciliation entre les différents temps sociaux, mais également en raison des discours sur la nécessaire présence maternelle auprès du tout-petit, surtout s’il est porteur d’un handicap ou d’une déficience, entre autres la surdité.

e) Le travail « au loin », la moindre disponibilité des pères renforcent la nécessité de la présence maternelle : l’exemple du milieu rural

Les pères rencontrés installés en milieu rural travaillent majoritairement en région parisienne, ce qui implique une longue absence du domicile. Les habitants de la communauté de commune de la Beauce alnéloise ou de l’agglomération chartraine devant se rendre à Paris ont en moyenne trois à quatre heures journalières de transport qui s’ajoutent au temps de travail proprement dit. La longue absence des pères (ouvriers, employés et cadres) implique une présence maternelle importante pour pourvoir aux besoins des enfants et assurer leur garde à la fin de l’accueil institutionnel (16 h 30 pour l’école maternelle), mais également accompagner les jeunes enfants sourds au CAMSP ou au SAFEP, ou la possibilité de la déléguer, moyennant finances, à d’autres femmes. Si, comme de nombreuses recherches l’ont mis en évidence, les femmes assument en moyenne 80 % des tâches domestiques et la majeure partie des tâches afférentes à l’éducation des tout-petits92, comme nous le voyons l’éloignement du travail des pères conduit les mères à gérer et organiser quasiment seules la vie quotidienne de la famille mais également les prises en charge médicales et rééducatives de leur(s) enfant(s). Les pères rencontrés quittent généralement le domicile familial avant le lever de leur(s) enfant(s) et y reviennent juste avant le coucher ou après celui-ci. 92. Voir notamment Jeanne FAGNANI, Un travail et des enfants, op. cit. ; Françoise DUMONTIER, Danièle GUILLEMOT, Dominique MÉDA, « Les Enquêtes emploi du temps : une source précieuse pour connaître l’évolution des temps sociaux », préface et coordination du numéro spécial d’Économie et Statistique, 2002, n° 352-353.

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2. Du diagnostic à la prise en charge : un temps long

a) La solitude des parents

Il ressort de notre enquête que les parents d’un jeune enfant sourd connaissent une grande solitude après l’annonce. Entre le temps du dépistage, où peut leur être indiqué un doute ou une certitude, le temps de la confirmation de la surdité et son degré, puis le temps de la mise en place d’une prise en charge médicale, rééducative et éducative au sein d’un CAMSP ou d’un SAFEP, un temps long s’écoule généralement (six à huit mois). Si, théoriquement, l’accès à un CAMSP est plus rapide que l’accès à un SAFEP, l’accès y étant direct, en pratique les parents rencontrés disent avoir dû attendre avant que la prise en charge de leur enfant soit effective, en raison du nombre restreint de places. Pour accéder à un SAFEP, les parents doivent attendre la notification de la MDPH, d’où un temps minimum d’attente de quatre mois à partir du dépôt du dossier à la MDPH. Ce temps, durant lequel les parents disent se trouver seuls, peut participer à les séparer de leur enfant et entraîner des difficultés dans son investissement. Certains, nous l’avons vu, se posent la question de l’intérêt de parler à leur bébé sourd puisque ce dernier n’entend pas. La spécificité de la surdité par rapport à d’autres handicaps est qu’il y a des difficultés, voire une impossibilité de communication – tout au moins dans les débuts de la vie de l’enfant – avant que parents et bébés ne trouvent et s’approprient d’autres modalités de communication (par exemple la LSF). La spécificité de la surdité est également que face à un jeune enfant sourd, le parent (mais également le/la professionnel-le) est lui-même placé dans une situation de handicap. Ce n’est pas seulement l’enfant qui n’entend pas, mais les adultes qui prennent soin de lui qui sont confrontés à des difficultés pour entrer en communication avec lui. Il ressort de l’enquête combien est important pour les parents le fait de pouvoir rencontrer, dès l’évocation d’un doute sur l’audition de l’enfant, puis au moment et en aval de l’annonce de la surdité, des psychologues (malgré la difficulté de s’engager dans cette démarche soulignée par certains parents) mais également des éducateurs de jeunes enfants (EJE) entendants et sourds. En effet, lors des entretiens, plusieurs parents ont parlé de la nécessité de rencontrer rapidement des professionnel-les sourd-es.

« À l’heure actuelle, l’éducatrice sourde n’intervient pas en tout début de suivi au pôle « troubles de l’audition ». La raison, en tout cas l’équipe a pensé que ça pourrait être compliqué pour des parents qui ont un très, très jeune enfant, nourrisson, de rencontrer un adulte sourd et de pouvoir se projeter avec leur enfant dans ce type de difficultés. Bon, moi, je ne suis pas du tout d’accord avec ça. Je pense que c’est tout à fait important pour des parents au contraire de pouvoir rencontrer des adultes sourds ou malentendants qui ont construit leur vie, qui ont un projet professionnel, qui peuvent travailler à la fois avec des enfants sourds, des enfants entendants, qui ont une insertion sociale. Je pense que ça peut tout à fait aider les parents à cheminer. » (Éducatrice spécialisée en CAMSP)

Ces professionnel-les, n’étant pas essentiellement centré-es sur les aspects médicaux de la surdité, peuvent accompagner les parents et, dans une prise en compte globale du bébé, mettre en avant ses compétences. Ils/elles peuvent également aider les parents dans la formulation et l’expression progressives de leurs questions souvent diverses.

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Dans de nombreux entretiens, lors de l’enquête, l’idée de prise en compte de l’enfant dans sa globalité est régulièrement apparue. En effet, dans le cas de la surdité il existe un risque de ne voir l’enfant qu’à travers son oreille, comme en témoigne un père :

« Le constat que j’ai, de toutes les manières, c’est que la situation est affreuse ! J’ai énormément de témoignages de parents qui sont confrontés au corps médical et qui sont en difficulté avec beaucoup de propositions d’implants, immédiatement après un diagnostic, sans avoir vraiment d’informations et de propositions objectives. C'est-à-dire que c’est un choix qui est proposé aux parents, et donc finalement qui n’est plus un choix. […] Il n’y a pas de neutralité, pour moi, dans ce qui est proposé aux parents. C’est au contraire tout de suite un parcours sur l’implant, le corps médical qui va prendre en charge. C’est en fait le corps médical qui intervient énormément et qui prend le pas sur tous les autres aspects de l’enfant, de la personne, de l’être humain. Et donc, il réduit cette personne à son oreille. Donc, il n’y a pas de réflexion au niveau social, au niveau développement social, au niveau cognitif, au niveau psychologique. » (Père sourd d’un enfant entendant, éducateur spécialisé)

La nécessité d’oublier suffisamment l’oreille de l’enfant sourd est régulièrement revenue lors des entretiens. Il s’avère extrêmement important de prendre conscience que l’enfant sourd ne se réduit pas à son oreille afin de proposer un accompagnement global.

Les parents d’un jeune enfant sourd connaissent une grande solitude. Si la prise en charge médicale est très présente, les parents disent généralement être peu accompagnés sur les différents versants de la surdité de leur enfant.

« Quand on apprend qu’un enfant est sourd, la période d’accompagnement est très douloureuse. Tout l’aspect médical est vraiment pris en charge. À ce moment-là, on nous dit : “Y a le diagnostic, y a ceci, etc.” mais après, y a vraiment un décalage entre tout l’aspect médical et tout ce qui est de l’ordre de l’éducatif, de l’accompagnement, les choix à faire pour les parents. On est seul. » (Père sourd d’un enfant entendant, éducateur spécialisé)

La solitude que vivent, à bas bruit, les parents d’un jeune enfant sourd ne se limite pas au temps long qui s’écoule entre l’annonce et la prise en charge effective en CAMSP ou en SAFEP. La surdité de l’enfant et l’aménagement des rythmes de la vie familiale pour tenir compte des prises en charge contribuent à isoler les parents. Il y a une restriction du cercle amical, ce que ne vivent pas les parents sourds, ceux-ci étant généralement bien intégrés dans la communauté sourde. Les parents expriment également la solitude qu’ils peuvent ressentir en raison du manque d’espaces dans lesquels ils pourraient rencontrer d’autres parents de jeunes enfants sourds.

b) La confrontation à la surdité

Il ressort de l’enquête que la confrontation à la surdité est souvent violente pour les parents. Il peut arriver cependant que dans certaines situations le diagnostic de surdité ait un caractère « apaisant » pour certains parents. Ainsi lors de l’enquête, une mère explique :

« Je pressentais un gros problème donc du coup j’ai été soulagée d’entendre qu’il ne s’agissait que de surdité. » (Mère entendante d’un enfant sourd)

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Les parents sont souvent déroutés par l’impossibilité de communiquer avec leur(s) bébé(s) ou jeune(s) enfant(s).

« Le plus important d’abord, c’est d’apaiser leur angoisse, leur inquiétude. C’est ça la première réaction : ils sont angoissés, l’inquiétude… Et c’est de les rassurer, et de montrer par exemple, nous, on est sourds et leur montrer les parcours, qu’on a pu aller à l’école, aller au collège, au lycée. Il y a des enfants qui préparent le baccalauréat, qui préparent un métier. Après, c’est leur dire qu’il y a une communication, soit orale, soit la langue des signes. Mais le problème, c’est que ce n’est pas évident parce qu’il y a certains parents “entendants” qui ne veulent pas que les enfants signent. Donc ce n’est pas évident. Ils préfèrent que les enfants parlent. C’est vrai que leur première réaction, c’est : “Non, je veux que mon enfant parle, comme tout le monde !” C’est possible. Mais je pense que ça aide aussi, avec la langue des signes. Il ne faut pas négliger… » (Mère sourde d’un enfant entendant)

Pour les parents sourds eux-mêmes ou l’un d’entre eux, l’annonce de la surdité de l’enfant n’a nécessairement pas les mêmes impacts et ne représente pas une situation dramatique. Pour les parents sourds qui signent, il n’y a pas de difficulté de communication avec l’enfant, qu’il soit lui-même sourd ou entendant. Le bébé est, dès sa naissance, baigné dans un « bain de signes » et, lorsque l’un des parents est entendant, également dans un bain de langage oral. Le jeune enfant se trouve dès sa naissance dans une situation de bilinguisme.

« Mon fils qui a deux ans et demi, lui, au début, bien sûr, il ne comprenait pas : papa est sourd, maman est entendante. Et puis au bout d’un certain temps, il a vu que la communication était différente avec papa et maman, que c’était une méthode de communication différente. En tant que bébé, il a bien compris. Elle, elle travaillait le soir, vous savez comment c’est un médecin, ça a des horaires… Et moi, des fois aussi, je n’étais pas là le soir, parce que je travaillais à l’internat et donc, c’était avec ma petite amie, on alternait au niveau de la communication le soir. Des fois, c’était une semaine l’un seul avec l’enfant, l’autre semaine c’était l’autre, avec le travail de nuit de chacun. Le week-end, on était là tous les deux. Par exemple, maintenant, à deux ans et demi, il a bien compris. Papa signe et lui-même signe aussi. Il a compris que son papa était sourd. Lui, il dit : “Moi, je suis entendant”. Mais ce qui est important, c’est surtout qu’avec ma petite amie, on soit là tous les deux et qu’on signe aussi ensemble pour que lui, il voie aussi que sa maman signe. À table, lorsqu’on mange, c’est important, on signe, on communique en langue des signes pour qu’il voie aussi ses parents communiquer sur un même mode de communication. Quand je ne suis pas là, elle parle avec les enfants, mais quand on est ensemble à table, on signe. Mon fils, tout de même, vers l’âge de deux ans, il avait une grosse frustration. Il disait des mots, mais moi, je ne le comprenais pas et ça l’énervait. Je lui disais : “Mais calme-toi !”. Maintenant, il a deux ans et demi, c’était il y a six mois cela. Il a bien compris, ça va mieux. Mais il a une petite frustration que je comprenne pas certains mots, des petites choses par moments qu’il disait. Il m’appelait. Je lui dis : “Mais c’est pas grave”. Je trouvais d’autres voies, d’autres méthodes pour contourner ça et puis au bout d’un certain moment, ça s’est apaisé. L’assistante maternelle, elle me dit : “Votre fils fait des phrases, construit, etc.”, mais moi, quand je suis tout seul avec lui, je signe avec lui, je communique. […] Ça, c’est bien. Dans notre couple, nous sommes d’accord : quand y a nos enfants, on signe. Quand ils sont tous les trois et que je ne suis pas là, ils parlent, ils sont sur le versant vocal. Mais lui, il a compris que papa était sourd et que maman était entendante. Langue des signes avec papa et on peut parler vocalement avec maman. » (Père sourd d’un enfant entendant, éducateur spécialisé)

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Les difficultés en matière de communication exprimées par les parents confrontés eux-mêmes à la surdité ne concernent pas leur(s) enfant(s), sourd(s) ou entendant(s) mais les relations avec l’extérieur, qu’il s’agisse des professionnel-les spécialisé-es ou ceux accueillant l’enfant en milieu ordinaire (EAJE, assistant-e maternel-le). Les parents sourds ayant un enfant entendant expriment la nécessité pour eux, comme pour leur enfant, que celui-ci ne soit pas mis en situation d’être l’interprète de son/ses parent(s) dans leur relation avec l’extérieur, notamment le mode d’accueil.

« Mon fils, il a deux ans et demi, quand je suis avec lui, je signe avec lui, je communique. Des fois, il a envie de dire : “Papa dit”. Il a envie de traduire. Je lui dis : “Non, tu n’as pas à traduire”. Il est déjà un petit peu dans le fait de vouloir traduire. Je lui dis : “Non, non, on est dans notre communication à nous”. » (Père sourd d’enfants entendants)

De nombreux parents sourds d’enfants entendants ont évoqué le risque que se produise une inversion des rôles lors des situations de communication, notamment avec les différent-es professionnel-les entendant-es.

« Les parents sourds qui ont une identité qui n’est peut-être pas très solide, pas très ancrée, qui sont dans le mime, dans l’oralisme, un petit mélange de tout lié à leur éducation, qui n’ont pas une solidité au niveau identitaire dans un choix de langue. Justement, ces parents-là, qui sont en face de leur enfant entendant, l’enfant, lui, il prend très vite des responsabilités. Il y a une maturité qui s’acquiert très, très vite de la part de l’enfant pour accompagner les parents. Souvent, l’enfant, lui, comprend très vite le besoin des parents, etc., et il va demander à d’autres personnes, etc. Y a une responsabilité très vite acquise par l’enfant entendant dans cette situation-là. Il y a alors un risque d’inversion des rôles. Quand il grandit, à dix ans, l’enfant téléphone pour des démarches administratives, etc. Il prend des rendez-vous pour les parents. Ou ils prennent les parents par la main pour leurs rendez-vous, examens, etc. Les parents n’ont pas conscience. Pour eux, c’est normal, parce que l’enfant a toujours fait ça. Il a toujours acquis cette maturité, il les a toujours aidés dans leurs démarches très tôt. Y a beaucoup de parents sourds comme ça, en province… y a peu d’écoles spécialisées en province, donc peu de communication, etc. Souvent, c’est des choses que l’on constate et justement, les rôles sont inversés. » (Père sourd d’enfants entendants, éducateur spécialisé)

Il ressort de l’enquête qu’il serait nécessaire de penser un accompagnement des parents sourds ayant des enfants entendants, ce qui semble manquer, comme l’exprime un père :

« Il y a peu ou pas d’associations pour l’accompagnement des parents sourds d’enfants entendants. Il y a une association à Paris, je crois, y a pas longtemps qui a été créée. C’est une association à Paris justement pour l’accompagnement des parents sourds d’enfants entendants, des parents entendants d’enfants sourds. C’est global. C’est une équipe d’éducateurs de jeunes enfants, je crois qu’ils sont trois professionnels. Un professionnel sourd et deux professionnels entendants sur l’accompagnement des parents. […] C’est une association qui a ouvert y a pas très longtemps, qui a été créée y a très, très peu de temps en définitive, à Paris. Parce qu’en province, alors là, y a rien. C’est très important effectivement d’accompagner les parents et de créer ce genre d’association. En province, les sourds sont un petit peu disséminés à droite et à gauche. » (Père sourd d’enfants entendants)

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Progressivement, les parents entendants découvrent la surdité et les adaptations nécessaires à mettre en place pour réduire les difficultés qu’elle peut induire dans la vie quotidienne de la famille. Ils découvrent également les différentes possibilités de communication avec leur(s) enfant(s).

« Par exemple, il est très important qu’il y ait un lien avec les parents. Et parmi les parents, il y a aussi des parents sourds J’ai travaillé dans un CAMSP qui recevait des enfants entendants de parents sourds, ce qu’on appelle parfois les EEPS donc […] ce que j’y ai observé c’est l’apport, la contribution des parents sourds qui viennent échanger leur expérience avec les parents entendants. Encore une fois, c’est du collectif, c’est un autre type de collectif, ce n’est pas du collectif professionnel ; les échanges de parents entre eux, c’est fondamental et encore plus si cela se passe entre des parents sourds et des parents entendants. » (Psychiatre)

c) La découverte de la LSF

Les parents entendants ont largement exprimé leur regret de ne pas connaître la LSF avant la prise en charge au sein d’un CAMSP, d’un SAFEP ou dans une association. C’est généralement dans des institutions spécialisées que les parents entendants d’enfants sourds découvrent la LSF, notamment lors de leurs rencontres avec des professionnel-les sourd-es, même si parfois, bien avant de participer à des groupes d’apprentissage de la LSF avec un-e professeur-e sourd-e au sein de l’institution, les professionnel-les intervenant au domicile, notamment les éducatrices de jeunes enfants, leur ont déjà parlé de la LSF. Il ressort des entretiens, tant avec des parents que des professionnel-les de CAMSP ou de SAFEP, que l’entrée dans la LSF est complexe.

« Déjà, souvent, ils ont rencontré les médecins d’abord qui leur ont parlé de l’implant – maintenant, c’est comme ça que ça se passe –, de la langue des signes aussi. Je ne sais pas comment ça se passe vraiment au niveau de l’information parce qu’on n’y est pas, mais c’est vrai que nous, très vite, on leur présente les moyens de communication : “Vous avez le français avec le langage parlé complété, vous avez la langue des signes, vous avez aussi pour les tout-petits tout ce qui est la communication avec les mimiques, etc., qui sont aussi très importantes”. Donc, on leur présente ça et on leur dit que la langue des signes, c’est quand même quelque chose d’important, parce que ça va leur permettre d’accéder tout de suite au sens et que ça va leur permettre très rapidement d’exprimer leurs émotions, très vite, beaucoup plus vite qu’avec le langage oral. On essaie de monter les deux choses en parallèle. » (Éducatrice de jeunes enfants)

Si la LSF est présentée dès la prise en charge au sein du CAMSP ou du SAFEP, l’acceptation par les parents de cette modalité de communication ne va pas de soi. Certains parents la refusent, tout au moins dans un premier temps, pour plusieurs raisons. La LSF rend visible le handicap que les parents ont du mal à accepter. Ils expriment également la crainte que l’apprentissage de la LSF ne freine les acquisitions du langage oral, notamment lorsque l’enfant est implanté, comme le dit une mère : « Ça va freiner quand ils ont un implant l’acquisition orale. »

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« L’apprentissage de la LSF est compliqué, certains parents refusent pour pas qu’on voie, comme on veut pas d’appareils pour pas qu’on voie le handicap. Il y avait un père qui me disait que ça avait été difficile la LSF, parce que ça rendait visible le handicap… qui est, tant qu’on n’est pas dans l’échange, invisible. Et qu’il lui avait fallu du temps. » (Éducatrice de jeunes enfants) « Il y a une dame qui me disait : “Moi, ça me fait honte. Qu’est-ce que vont penser les autres en le voyant faire ça ?”. Maintenant, ça va mieux. Elle dit : “Maintenant, je m’en fiche. Je sais que j’ai envie de lui dire ça. Et puis, je dis, par exemple, si je suis dans un wagon et que les gens me regardent…” Elle dit tout de même avoir le besoin d’expliquer aux autres que son enfant est sourd et qu’il communique comme ça. » (Éducatrice de jeunes enfants)

La surdité a en effet comme spécificité d’être un handicap invisible tant que la personne sourde ne se trouve pas en situation de communication. Chez un bébé sourd, la surdité est d’autant moins visible dans les premiers mois de vie qu’il gazouille et babille comme un bébé entendant et que la capacité de parler pour les enfants entendants est tardive. Il y a donc durant les premiers mois de vie peu de différences visibles entre un bébé sourd et un bébé entendant. Les parents évoquent également la difficulté d’apprentissage de la LSF, la complexité de « passer par cette autre langue qui se parle avec les mains, qui fascine par sa beauté ou qu’on exècre parce qu’elle montre trop l’infirmité et exhibe le corps93 ». Le choix de la LSF pour leur enfant peut s’avérer difficile pour certains parents entendants pour qui cette langue est étrangère. D’où l’importance de la visibilité de la LSF, importance soulignée par plusieurs personnes rencontrées lors de l’enquête. Pour d’autres parents le choix de la LSF est évident dès l’annonce de la surdité.

« On nous a vanté l’implant cochléaire. Et nous, en fait, dans la famille, il y a des gens qui… on avait une tante qui travaillait comme psychologue à Marseille et qui connaissait d’autres psychologues, donc elle a posé des questions et en fait, elle nous a fourni des articles et elle nous a mis en garde, en fait, en nous disant : “Là, j’ai des collègues, eux, ils reçoivent des gamins en consultation, ils reçoivent des gamins sourds adolescents qui ont beaucoup de mal à vivre avec leur implant, qui sont très perturbés donc, faites très attention avec ce truc-là, vraiment, faites gaffe”. Donc, nous, on s’est renseigné grosso modo, mais d’emblée, de toute façon, c’était : 1) il fallait aller à la LSF, 2) l’implant cochléaire, c’était niet, parce que c’était… On s’est renseignés grosso modo, mais on trouvait ça complètement absurde et barbare de faire opérer un enfant d’un an et demi, un an et demi, c’est petit quand même, vraiment, c’est un petit bout de chou, de l’emmener dans un hôpital subir une anesthésie générale, se faire ouvrir le crâne, etc., parce que c’est ça quand même, alors qu’il était en parfaite santé, je veux dire, c’était un gamin qui allait bien, ça nous paraissait totalement disproportionné, et puis, c’est de la souffrance inutile. Donc, on a réfléchi là-dessus, et puis, en fait, on a cherché à prendre des cours de langue des signes adaptés aux parents. On s’est rapidement rendu compte qu’il y en avait pas, mais rien… On a cherché à trouver un accueil pour notre fils en langue des signes quelque part, on s’est rapidement rendu compte qu’il y avait rien. Et puis, justement, par rapport à l’école, on s’est dit : “On va trouver une classe en LSF”, et il y en avait pas, il y avait vraiment pas grand-chose à part une dans une école privée catholique à Sainte-Foy-Lès-Lyon, mais ça, on l’a su un peu plus tard. Donc, en fait, ce qu’on a fait […] l’année d’après, on a pris des cours, comme on avait déjà pris contact avec l’association qui suivait la classe de l’école

93. Claire EUGÈNE, « Votre enfant est sourd ! », in « La Parole des Sourds. Psychanalyse et surdités », Revue du Collège de Psychanalystes, printemps-été 1993, n° 46/47, p. 162.

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privée, c’est via cette association qu’on a rencontré des personnes sourdes, parce que nous, ce qu’on voulait en fait, c’était pendant qu’on allait prendre des cours de LSF, que notre fils soit gardé par une personne sourde. Donc, on a commencé à chercher, etc. […] Mais notre gamin, en fait, il a eu contact avec la LSF, au départ, parce qu’on s’est débrouillés pour trouver quelqu’un, mais sinon, il y avait rien, absolument rien de prévu et puis, il était à la crèche à ce moment-là. Moi, je me souviens d’un moment, il avait des appareils au tout début, et je me souviens que l’équipe éducative, elle était adorable dans cette crèche, mais ça leur foutait les chocottes en fait, de savoir qu’il était sourd. » (Mère entendante d’un enfant sourd)

d) Des pères davantage en difficulté

Il ressort des entretiens que les pères seraient davantage en difficulté tant pour exprimer leurs ressentis face à la surdité de leur enfant que face à l’apprentissage de la LSF.

« Les pères ont plus de mal à parler. Les pères ont une blessure qui est plus profonde. Les mamans, elles arrivent davantage à exprimer ce qu’elles ressentent. Souvent, c’est ça. Comment peut-on l’expliquer ? Je ne sais pas, peut-être la projection dans l’avenir, comment ils vont se débrouiller plus tard. Y a une relation qui est peut-être plus fusionnelle avec les mamans, peut-être parce qu’elles passent plus de temps avec leur enfant, donc elles se rendent compte un petit peu des choses qui bougent, qui évoluent. » (Éducatrice de jeunes enfants)

Les pères sont moins présents notamment dans les prises en charge au sein du CAMSP ou du SAFEP, mais également au sein des EAJE.

« L’année dernière, y a six mois, j’ai fait un stage dans une crèche à Paris. Ils accueillaient des bébés sourds et des bébés entendants. Le directeur de la crèche recevait les parents et souvent, y avait quatre, cinq enfants sourds et les parents venaient pour discuter dans le bureau du directeur et c’était les mamans le plus souvent. Les cinq fois, ça a été les mamans qui sont venues. Pour les bébés entendants, c’était beaucoup de papas ou de papas et de mamans qui venaient alors que pour les enfants sourds, c’était que les mamans. C’est vrai. Je l’ai constaté. Comment peut-on l’expliquer ? Souvent, la maman arrête de travailler pour se concentrer uniquement sur l’enfant et le papa travaille, ne veut pas être sur cette responsabilité. Y a peut-être une notion de culpabilité aussi là-dedans. » (Père sourd d’enfants entendants)

Cela peut être mis en regard de la gêne qu’ils peuvent avoir à parler du handicap de leur enfant, mais également des contraintes professionnelles qui pèsent sur eux. Comme nous l’avons montré, il revient aux mères d’assumer la gestion de la vie quotidienne, le lien avec les établissements spécialisés, l’accompagnement de l’enfant aux différentes prises en charges hebdomadaires, mais également la gestion courante inhérente à la surdité. L’activité professionnelle des pères les rend moins disponibles pour être présents aux différentes prises en charge, notamment aux groupes LSF existant au sein des CAMSP et des SAFEP. D’autant plus qu’il existe actuellement peu de modalités permettant aux pères de ne pas être au travail certains jours pour accompagner également leur enfant (par exemple : non-cumul de certaines prestations, notamment de l’AJPP et du complément de l’AEEH).

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3. Les relations parents sourds/professionnel-les

Lorsqu’un jeune enfant sourd ou entendant de parents sourds est accueilli au sein d’un EAJE ou au domicile d’un-e assistant-e maternel-le, se pose la question de la communication entre parents et professionnel-les. Les parents rencontrés disent rechercher prioritairement un établissement dans lequel les professionnel-les signent. Il en est de même pour le recours à un-e assistant-e maternel-le agréé-e à titre indépendant.

« L’assistante maternelle qui s’occupe de ma fille, elle signe un petit peu. Elle a deux enfants qui sont sourds, qui sont partis, qui sont grands. C’est par hasard qu’on l’a rencontrée. Elle était à Paris dans le 20e, je cherchais une assistante maternelle et je l’ai rencontrée. J’ai discuté avec elle et elle connaissait un petit peu la langue des signes. Quel soulagement ça a été ! Ça a été vraiment une situation parfaite ! » (Père sourd d’enfants entendants) « À la crèche, pour ma fille, la directrice et une éducatrice de jeunes enfants connaissent la langue des signes. Les deux signent un petit peu. Je peux communiquer avec elles, on est à l’aise. Dans ce cas, y a moins de problèmes de communication justement. Bon, la directrice est souvent occupée. C’est l’éducatrice de jeunes enfants qui, elle, va de secteur en secteur dans la crèche. C’est une auxiliaire de puériculture que je vois tous les matins, qui me fait quelques signes quand même : “Bonjour, ça va ?” Un petit peu de mime, etc. Je suis en relation avec elle tous les matins. Ma fille qui a 9 mois, elle fait des signes aussi : “Au revoir”, etc. Elle essaie de copier un petit peu. Ça la motive un petit peu, parce qu’elle voit son papa communiquer aussi. Mais bon, la communication est très facile avec eux. » (Père sourd d’enfants entendants)

Toutefois, il ressort de l’enquête que les parents sourds rencontrent d’importantes difficultés pour communiquer avec les professionnel-les qui s’occupent de leur enfant. L’octroi d’une place en crèche peut rapidement donner lieu à de la déception tant les difficultés communicationnelles entre parents et professionnel-les rendent les relations malaisées.

« J’ai des amis qui sont très déçus de la crèche, parce que la crèche ne fait aucun effort. Au début, ils sont un peu surpris, ils disent : “C’est bien, super, etc.”, il y a une motivation et puis la motivation elle tombe pour les professionnels, parce qu’il y a bien les réunions de parents, mais ils n’ont pas accès à l’information, sur les événements… Y a rien du tout. Ils n’ont pas les informations, ils n’ont rien. Les professionnels disent aussi : “On va communiquer par SMS”, mais pour les parents ce n’est pas satisfaisant, ils disent souvent “Non, non, on peut pas communiquer par SMS”, en tout cas pas seulement, etc. Donc, ils retirent généralement l’enfant de la crèche, parce qu’ils n’arrivent pas à communiquer avec les professionnels et ils les mettent chez une assistante maternelle qui connaît la langue des signes. Ils essaient de trouver une personne qui puisse prendre en charge l’enfant. Même pour un enfant entendant avec des parents sourds, ils ne sont pas motivés même s’ils aimeraient, parce que ce n’est pas agréable, parce qu’ils ne peuvent pas avoir de communication par rapport à l’enfant qui est entendant avec les professionnels de la crèche. » (Père sourd d’enfants entendants)

Les parents rencontrés expriment leur satisfaction lorsqu’ils rencontrent des professionnel-les sensibilisé-es à la surdité et à la LSF. Cela permet alors le développement d’une réelle communication entre professionnel-les et parents sourds, notamment lors des temps de transmission matin et soir qui, lorsque aucun-e professionnel-le n’est en mesure de signer, est complexe et souvent réduite à sa plus simple expression.

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Lors des entretiens avec des adultes sourds est souvent revenue l’idée qu’ils n’étaient pas mis en position d’être des adultes, qu’ils n’étaient pas souvent considérés comme des adultes. D’autres décident pour eux ce qui est bon pour eux, et cela depuis leur plus jeune âge. Le fait de devenir parent les positionne autrement, comme le dit un père :

« Après, ce qui a été drôle aussi, à sa naissance, pour moi, c’était le moment où je me retrouvais un petit peu presque pour la première fois comme un adulte. On commençait à me mettre dans une place d’adulte, parce que je devenais parent. Je n’étais plus un enfant. J’étais responsable d’un autre enfant. J’étais responsable de quelqu’un. » (Père sourd d’un enfant entendant)

Cependant, lorsque les professionnel-les ne signent pas, les difficultés communi-cationnelles existant alors peuvent replacer le parent sourd dans une position infantile. Il faut prendre en compte le risque d’une inversion des rôles entre parents sourds et enfants entendants comme nous l’avons dit précédemment.

« Je pense que la question des relations entre un professionnel et un parent, notamment dans le cadre de l’action précoce, où on a quand même affaire à des parents qui sont très fragilisés par les difficultés de leur enfant, et qui sont souvent dans des sentiments de culpabilité, de défaillance, c’est leur perception en tout cas, d’incompétence, etc., je pense que c’est extrêmement important que le professionnel soit vigilant à la question d’accompagner les parents vers une connaissance de leur enfant, et d’être dans quelque chose qui leur laisse leur place de parent, et qui ne supplée pas aux parents. Ça, ça me semble extrêmement important. Après, dans la question de la relation, c’est toute relation humaine, que ce soit entre entendants, entre professionnels et parents sourds ou entendants, etc., c’est vraiment la question d’être en capacité de communiquer avec l’autre. Il faut être en mesure d’établir une relation de confiance et de communiquer. Et puis après, ce qui est le plus complexe, c’est ce qu’il se passe au niveau inconscient, entre le parent et le professionnel. Mais, ce qu’il se passe, j’allais dire presque dans toutes les situations qu’on peut rencontrer dans un CAMSP, c'est-à-dire tout ce que vivent les parents, tout ce qui se met en place comme processus de défense, le déni, tous les déplacements, les projections, etc., qui rendent parfois compliquées la communication et la relation par ce qu’il se joue au niveau inconscient. Et de la même manière, les identifications des professionnels, parfois à l’enfant, parfois aux parents, parfois à l’un des parents, etc. Et tout ça fait que parfois c’est compliqué la relation entre les parents et les professionnels. Ce qui peut s’ajouter aussi peut-être, en tout cas quand il s’agit de la question de la surdité, que ça soit un parent sourd avec un professionnel entendant, ou un professionnel sourd avec un parent entendant mais qui se joue ailleurs, c’est la question de la représentation, c'est-à-dire qui j’ai en face de moi, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi elle parle comme ça, avec des gestes ? Elle a une voix bizarre. » (Éducatrice spécialisée en CAMSP)

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Chapitre VII - L’accompagnement du jeune enfant sourd

Chaque enfant vit l’expérience de la collectivité selon sa personnalité, son histoire personnelle et familiale et le niveau de sécurité interne acquis. Les professionnel-les de la petite enfance doivent donc accueillir chaque enfant de façon singulière en prenant en compte son individualité. Plus cette attention sera portée et plus l’enfant sera en mesure, progressivement, au fur et à mesure de son développement psychoaffectif, social et cognitif, de s’intégrer dans un collectif, d’y trouver sa place et d’entretenir des interactions nombreuses avec ses pairs et les adultes.

1. Accueil en milieu ordinaire du jeune enfant sourd

« Les mots sont une bizarrerie pour moi depuis mon enfance. Je dis bizarrerie, pour ce qu’il y eut d’abord d’étrange. Que voulaient dire ces mimiques des gens autour de moi, leur bouche en cercle, ou étirée en grimaces différentes, leurs lèvres en curieuses positions ? Je “sentais” quelque chose de différent lorsqu’il s’agissait de la colère, de la tristesse ou du contentement, mais le mur invisible qui me séparait des sons correspondant à ces mimiques était à la fois vitre transparente et béton. Je m’agitais d’un côté de ce mur, et les autres faisaient de même de l’autre côté. Lorsque j’essayais de reproduire comme un petit singe leurs mimiques, ce n’étaient toujours pas des mots, mais des lettres visuelles. Parfois, on m’apprenait un mot d’une syllabe ou de deux syllabes qui se ressemblaient, comme “papa”, “maman”, “tata”. Les concepts les plus simples étaient encore plus mystérieux. Hier, demain, aujourd’hui. Mon cerveau fonctionnait au présent. Que voulaient dire le passé et l’avenir ? Lorsque j’ai compris, à l’aide des signes, qu’hier était derrière moi, et demain devant moi, j’ai fait un bond fantastique. Un progrès immense, que les entendants ont du mal à imaginer, habitués qu’ils sont à comprendre depuis le berceau les mots et les concepts répétés inlassablement, sans même qu’ils s’en rendent compte. [...] Être quelqu’un, comprendre que l’on est vivant. À partir de là, j’ai pu dire “JE”. Avant, je disais “ELLE” en parlant de moi [...] J’étais Emmanuelle, j’existais, j’avais une définition, donc une existence. [...] J’avais sept ans. Je venais à la fois de naître et de grandir, d’un coup. [...] Ce livre [...] va me permettre de dire, aussi, que rien ne doit être refusé au sourd, que tous les langages peuvent être utilisés, sans ghetto ni ostracisme, afin d’accéder à la VIE.94 » Emmanuelle Laborit décrit ainsi l’importance majeure et le rôle de la langue des signes dans son développement, qui lui a permis d’appréhender et de comprendre son environnement et le monde qui se présentait à elle. Si la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 (art. 33) stipule que « dans l'éducation des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue – langue des signes et français – et une communication orale est de droit […] », il apparaît que, vingt ans plus tard, ce choix est toujours incertain. En effet, pour que les parents puissent réellement choisir il faut qu’ils se voient offrir cette possibilité dans les différentes institutions accueillant leur enfant dès le plus jeune âge, c’est-à-dire dès la crèche.

Si les jeunes enfants sourds doivent pouvoir être accueillis au même titre que tous les enfants en situation ou non de handicap, cet accueil pose inévitablement des questions

94. Emmanuelle LABORIT, Le Cri de la mouette, Paris, éditions Pocket Jeunesse, 2003, p. 7.

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éducatives et éthiques. L’ouverture et la prise en compte de la différence dans les pratiques d’accueil sont, certes, une avancée majeure dans les droits de tous les enfants, mais l’observation rend compte que l’accueil se limite souvent à un seul enfant handicapé, quel que soit le handicap. Accueillir un seul enfant handicapé peut participer à son isolement au sein d’un collectif enfantin, en le confrontant à des enfants non handicapés ayant des possibilités qu’il n’a pas, dans lesquels il ne peut se reconnaître. Pour un jeune enfant sourd, cet isolement apparaît décuplé.

Dans son développement, chaque enfant a besoin de rencontrer l’altérité mais simultanément aussi du semblable, c’est-à-dire qu’il doit trouver dans son environnement suffisamment de figures identificatoires et contre-identificatoires. Lorsqu’un jeune enfant sourd est accueilli seul dans un groupe d’enfants entendants, il ne rencontre pas d’enfants qui lui ressemblent. Selon les professionnel-les, il s’agit, avant toute chose, d’accueillir un enfant. On observe parfois une euphémisation du handicap ou de la déficience. Si le jeune enfant sourd est d’abord un enfant et a effectivement des besoins communs à tous les enfants, il s’avère qu’il a également des besoins qui lui sont propres, liés à sa déficience, à sa spécificité, notamment en matière de communication tant avec les autres enfants du groupe qu’avec les adultes. Ainsi l’accueil doit-il répondre aux différents besoins des jeunes enfants sourds, tant à ceux qui sont communs à tous les enfants (sécurité affective, repères spatiaux et temporels, besoin de relation, éveil, etc.) qu’aux besoins qui leur sont spécifiques. La mise en avant de la condition enfantine commune à tous les enfants accueillis peut masquer les difficultés propres aux jeunes enfants sourds, retranchés de la communauté des enfants entendants.

« En crèche, je pense que ce serait important qu’un enfant sourd soit accueilli comme un autre enfant handicapé, à mon sens, qu’il soit accueilli pas seul dans une section, mais qu’ils soient quand même au moins deux ou trois enfants pour pouvoir quand même avoir des moments… En tout cas quand ils sont plus grands, pas forcément quand ils sont bébés, mais quand les enfants rentrent dans le langage pour pouvoir retrouver un mode de communication qui leur est spécifique, notamment la LSF. » (Éducatrice spécialisée en CAMSP)

Le fait que l’enfant soit implanté semble accroître le risque d’isolement au sein du collectif, puisqu’il peut faire croire que l’enfant entend normalement. Confronté à un possible isolement relationnel du fait des difficultés communicationnelles qu’il rencontre, souvent à bas bruit, le jeune enfant doit faire des efforts constants pour être en relation. Derrière la volonté réelle des professionnel-les d’inclure le jeune enfant sourd au sein d’un groupe d’enfants peut se mettre en place une forme d’exclusion qui n’apparaît pas comme telle puisque masquée par l’accueil même. La mise en œuvre d’un réel projet d’inclusion nécessite de penser une intégration collective, c’est-à-dire l’accueil simultané de plusieurs enfants sourds au sein du collectif enfantin. Cet accueil simultané permet d’ouvrir le champ des possibles des jeunes enfants sourds, en leur donnant l’opportunité de développer leurs capacités communicationnelles entre enfants sourds mais également avec les enfants entendants. Il ressort de l’enquête que l’accueil en milieu ordinaire de jeunes enfants sourds doit être véritablement pensé, comme le souligne une directrice de crèche :

« En fait, depuis la loi de 2005, tout enfant porteur de handicap doit être accueilli dans la crèche de son secteur. Or […] la surdité est un handicap, il me semble, assez différent d’un handicap moteur, puisque cela nécessite quand même d’avoir réfléchi au monde de la surdité, à toute la problématique au niveau de la communication, qu’il s’agisse de

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parents sourds ou d’enfants sourds. Par conséquent, chaque crèche ne peut pas improviser du jour au lendemain ce travail de fond. » (Directrice de crèche)

Si l’accueil se fait spontanément lors d’une première demande, l’aménagement de l’accueil doit être rapidement mis au travail.

« On a accueilli les deux premiers enfants sourds dans les années 2000. Deux enfants sourds qui habitaient notre secteur tout simplement. Ils sont arrivés ici comme tout autre enfant. En les accueillant, de suite, on a réfléchi à comment faire pour faciliter leur accueil, comment les aider dans l’accompagnement que nécessite un tout petit enfant, et comment aider les parents entendants de ces enfants sourds. On a travaillé en lien à l’époque avec le Cebes (Centre expérimental bilingue pour enfants sourds, ndlr), puisque ces enfants étaient suivis par le Cebes. On a demandé à avoir de la part du Cebes quelques cours de langue des signes. On était aidés aussi par l’éducatrice spécialisée, elle-même sourde, et l’orthophoniste qui venait à la crèche suivre ces deux enfants. En trois années de temps, on a construit un projet et on a invité aussi la Mairie de Paris à venir voir ce qui se passait autour de ces enfants, autour de la crèche par elle-même pour les autres enfants, pour le personnel […] On a essayé de faire connaître notre initiative et d’expliquer que certes, chaque crèche pouvait être à même d’accueillir un enfant sourd comme ça, du jour au lendemain, mais que le temps consacré à la réflexion était tel qu’on perdait du temps, et qu’il valait mieux peut-être que ces enfants arrivent dans des crèches déjà un petit peu formées à la langue des signes, un petit peu sensibilisées à ce qu’est le monde de la surdité pour répondre au mieux à chacun des enfants et à leur famille. » (Directrice de crèche)

La nécessité de créer un environnement « suffisamment bon », au sens winnicottien95, qui permette que les jeunes enfants sourds ne soient pas complètement isolés dans un collectif enfantin entendant est donc très forte. De nombreux-ses professionnel-les évoquent les difficultés rencontrées pour pouvoir accueillir plusieurs jeunes enfants sourds au sein d’un même établissement, difficultés qui s’expliquent notamment par le faible nombre de tout-petits sourds, lesquels se retrouvent souvent seuls au sein d’une structure située à proximité de leur domicile. Des professionnel-les évoquent l’intérêt qu’il pourrait y avoir à regrouper au sein d’un même établissement plusieurs jeunes enfants sourds.

« C’est vrai que de proposer une crèche pour l’accueil de ce type de handicap… Admettons, on pourrait imaginer que dans Paris, il y ait une crèche par arrondissement qui serait dans la capacité d’accueillir des enfants sourds ou des parents sourds, ça permettrait de réunir un certain nombre d’enfants sourds dans une même crèche. Dans notre crèche, on a eu des enfants d’autres arrondissements, du XIIIe, du XVIIIe, qui sont venus ici parce que les parents ont été demandeurs de cette crèche. Lorsqu’un enfant est porteur de handicap, les parents peuvent choisir la crèche hors arrondissement de leur souhait. […] Ils ont utilisé cette possibilité-là. Ces parents, avec leur enfant, sont arrivés dans cette crèche. C’est vrai que c’est là-dessus qu’il faut travailler. Il faudrait qu’il y ait plus d’enfants sourds. » (Directrice de crèche)

La réflexion sur l’accueil de jeunes enfants sourds induit la nécessité de créer un réseau permettant d’éviter l’éparpillement de ces enfants sur un territoire donné. Le regroupement des jeunes enfants sourds au sein d’un même établissement apparaît bénéfique tant pour les enfants eux-mêmes que pour leurs parents. Ces derniers peuvent alors rencontrer d’autres parents d’enfants sourds, échanger sur les problématiques spécifiques de la surdité, se rassurer mutuellement et par là même ressentir un moindre isolement. Si la possibilité pour les parents d’un jeune enfant sourd de l’inscrire dans un

95. Donald W. WINNICOTT, Jeu et Réalité, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2002.

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établissement accueillant déjà d’autres enfants sourds apparaît souhaitable, se pose actuellement la question de l’accompagnement des jeunes enfants au sein de l’établissement choisi. La question de la mobilité se pose nécessairement moins à Paris qu’en Eure-et-Loir, mais se pose quand même. Si les parents peuvent avoir recours à un taxi, un VSL96 ou un service de transport permettant d’aller chercher les jeunes enfants handicapés pour se rendre dans l’établissement médico-social qu’ils fréquentent, rien n’est actuellement pensé pour transporter les jeunes enfants sourds vers l’EAJE où ils sont accueillis. Cela veut dire que si les parents se voient proposer une structure accueillant déjà de jeunes enfants sourds, ce qui, nous l’avons vu, répond mieux à leurs besoins, la charge de les y accompagner leur revient. Ils doivent alors assumer le détour, qui peut être important en termes de coût et de temps. Ce qui limite pour beaucoup de familles la possibilité de mettre en œuvre ce regroupement. La dimension collective de l’accueil offre une richesse d’interactions possibles entre enfants. Elle permet l’existence des interactions entre enfants sourds, une émulation entre pairs notamment au travers des conduites d’imitation. Elle participe de la sorte au développement du langage et à la transmission de la LSF entre pairs, renforçant l’apprentissage de la langue assuré par les professionnel-les sourd-es du CAMSP ou du SAFEP. La question de la LSF et de la possibilité pour les jeunes enfants sourds de signer et de voir des adultes et/ou des pairs signeurs se pose nécessairement. La communication avec les enfants sourds ne se fait pas uniquement par les signes, mais aussi par l’attitude du corps, les expressions du visage, le pointage. Cependant, lorsqu’aucun adulte ne signe au sein de l’EAJE, il y a une restriction du champ des possibles pour les jeunes enfants sourds. Il apparaît que lorsque le jeune enfant sourd se trouve en relation avec un autre enfant sourd, il bénéficie de la stimulation de l’autre enfant, comme le souligne une éducatrice de jeunes enfants rencontrée lors de l’enquête :

« Là, il y a une petite (sourde), elle a six mois de moins que l’autre petit garçon (sourd) et je me suis aperçue que cette petite fille, elle faisait plus que quand elle est toute seule. Donc je pense que pour cette petite fille il vaut mieux la prendre à deux […]. Je pense qu’elle bénéficie du groupe et pas d’être toute seule. Parce que là, elle prend exemple sur le plus grand et elle fait tout comme lui. J’arrive à faire plein de choses avec elle alors que quand elle est toute seule, j’y arrive moins. En plus, je me suis aperçue que même les plus petits, elle va vers eux, elle les regarde, le petit est attiré. » (Éducatrice de jeunes enfants)

2. La collectivité : un espace de socialisation et d’éveil pour les jeunes enfants sourds

Pour les parents d’un jeune enfant sourd, l’accueil au sein d’un EAJE est important. Ils mettent en avant l’espace de socialisation et d’éveil que constitue l’accueil en collectif. Ils insistent sur les nombreuses activités diversifiées que leur enfant peut faire, accroissant les possibilités de stimulation et d’éveil venant en complément des activités effectuées en famille.

96. Véhicule sanitaire léger.

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L’importance pour les jeunes enfants sourds de pouvoir expérimenter comme les autres enfants le « vivre-ensemble » au sein d’un collectif enfantin est particulièrement ressortie des différents entretiens, à la condition que le jeune enfant sourd ne se retrouve pas seul au milieu d’entendants. Le jeune enfant sourd à besoin de faire partie d’un collectif, comme tout enfant. Il nous semble qu’il faille, aux différents acteurs de la petite enfance, tenir ensemble l’individuel et le collectif, en tant qu’éléments complémentaires, non opposables. Comme le souligne Dominique Oberlé, il s’avère que « en tant qu’éducateurs, notre mission est de participer à notre mesure à la construction harmonieuse de la personnalité des personnes dont nous avons la charge. [...] La formation par le groupe et au groupe [...] semble être le moyen de permettre à chacun de construire sa personnalité, en trouvant sa place parmi les autres, en découvrant qu’il peut compter pour eux et qu’eux comptent sur lui et ainsi anticipant un avenir avec les autres redonner sens au présent.97 »

3. La collectivité : un espace de développement langagier

Différentes activités permettant le développement des compétences langagières des jeunes enfants sont proposées dans les EAJE (lotos, Memory, lecture d’albums jeunesse, etc.). Elles permettent notamment l’utilisation des connaissances des enfants, le développement du vocabulaire, le développement des interactions entre pairs, le partage d’expériences, l’expression de ce que l’enfant voit et comprend, comment il appréhende le monde, la correction mutuelle, etc. Autant d’éléments qui favorisent le développement langagier. Dans ses différents travaux le linguiste Jérôme Bruner98 a mis en évidence l’importance des premiers savoir-faire non linguistiques dans l’acquisition et le développement du langage. Les jeunes enfants ont d’importantes capacités d’apprentissage, notamment au travers de la diversité et du nombre d’interactions qu’ils ont avec les adultes, particulièrement au travers des nombreux feed-back entre enfants et adultes, permettant progressivement le développement des capacités d’expression, de désignation, d’association… Pour Jérôme Bruner, « l’acquisition du langage se produit dans un contexte de “dialogue-action” dans lequel une action est entreprise conjointement par l’enfant et l’adulte99 ». Les interactions entre adultes et enfants permettent le soutien de chaque enfant dans son développement cognitif et langagier au travers des feed-back visant à aider le jeune enfant dans la compréhension, l’interprétation et le commentaire de ses actions. Cela permet au tout-petit de subjectiver et objectiver ses actions et dans le même temps de s’approprier les codes dont se sert l’adulte avec lequel il interagit pour commenter l’action. Pour Bruner, le développement langagier se produit dans des situations interactionnelles signifiantes, autrement dit dans des situations dans lesquelles l’enfant a l’intention de parvenir à un but (Milot, 1983). Il a lieu également par l’intermédiaire des interventions de l’adulte qui permettent tant « l’objectivation de l’action [que] l’appropriation du langage100 ». Le système de feed-back, dans lequel

97. Intervention de Dominique OBERLÉ lors du colloque Groupe/Personne, c’est bien le sujet ! L’individuel et le collectif en éducation organisé par l’EFPP les 24 et 25 novembre 2010. 98. Jérôme BRUNER, Comment les enfants apprennent à parler. Situation initiale du tout-petit, processus d'acquisition et rôle de l'adulte, Paris, Éditions Retz, 2012 et Le développement de l’enfant : Savoir faire, savoir dire, Paris, PUF, 1983. 99. Cité par Jean-Guy MILOT, « Le Développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire », Québec français, n° 52, déc. 1983, p. 71. 100. Ibid., op. cit.

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l’adulte interprète, porte sur l’action de l’enfant mais également sur le langage qu’il utilise, participant au développement des habiletés langagières (Milot, 1983). Jérôme Bruner éclaire l’importance du rôle de soutien de l’adulte dans le développement des habiletés langagières, comme de toute autre habileté. Ainsi, la présence de professionnel-les sourd-es et de professionnel-les entendant-es formé-es aux spécificités communicationnelles de la surdité (notamment par le canal visio-gestuel) est incontournable dans l’accompagnement de l’enfant, et ce dès le plus jeune âge.

« C’est [lors des] premières années [que] l’enfant va construire ses bases cognitives, linguistiques, de rapport au monde, etc., c’est fondamental le fait de pouvoir donner une langue naturelle à un enfant sourd pour qu’il puisse s’exprimer avec tout le potentiel qu’il a. » (Chercheuse)

Jeudi, 11 heures. Au sein de la crèche, les enfants vaquent à leur occupation dans les différents coins de la pièce principale. L’EJE propose aux enfants de se rendre dans une salle d’activité voisine afin de faire un loto. Six enfants viennent et s’installent autour de la table. L’éducatrice présente le jeu aux enfants. Pendant, que l’éducatrice installe le jeu, Benoît101 (3 ans) discute avec Paul (3 ans) sur le fait qu’il connaît ce jeu et qu’il y joue avec ses grands-parents. Marie (2 ans et demi, sourde) observe. L’éducatrice donne la consigne du jeu, tout en distribuant les plaquettes. Elle donne deux exemples en montrant aux enfants un chien sur une carte qu’elle a retournée du paquet qu’elle tient entre les mains. Elle demande aux enfants : « Qui a la photo du chien sur sa plaquette ? ». Rose (2 ans et demi) dit alors : « Moi ! », tandis que Benoît, Paul et Nina (2 ans et demi) crient : « C’est Rose ! » L’éducatrice ajoute alors deux consignes : ne pas crier pendant le jeu et c’est uniquement l’enfant qui a la photo sur sa plaquette similaire à celle de la carte qui doit la reconnaître et le dire. S’adressant à Marie, elle redonne un autre exemple en présentant la carte de la poule et en disant : « Qui est-ce qui a la poule, les enfants ? » Solène (3 ans) s’écrie : « C’est Marie. » L’éducatrice rappelle que seul l’enfant qui a la photo identique doit le dire et elle dit à Marie : « Tu vois, Marie c’est toi qui à la poule » et elle lui donne la carte que Marie place sur la plaquette. Au cours du jeu, l’éducatrice opère une modification, elle ne dit plus le nom de l’animal mais se contente de montrer la carte aux enfants. Ces derniers développent alors davantage d’interactions, notamment verbales ; dans un premier temps, ils nomment alors les animaux qui sont représentés sur les cartes. C’est l’occasion, aussi, de différentes reprises entre enfants. Rose dit : « C’est un cheval », Benoît reprend en disant : « Non ce n’est pas un cheval, c’est un âne ! » Plus le jeu se déroule, moins l’éducatrice intervient sauf à un moment pour questionner les enfants sur les cris des différents animaux. Ce questionnement donne lieu à d’autres échanges entre enfants. Rose dit : « Ça c’est le vache, elle fait meuh. », Benoît s’exclame alors : « Mais non, on dit pas le vache mais la vache, la vache elle meugle. » Marie participe au jeu mais se trouve quelque peu en retrait, elle associe les cartes avec les animaux se trouvant sur sa plaquette, les interactions avec ses pairs sont limitées. (Observation participante)

Ce type d’activité, où l’éducatrice accompagne un groupe de jeunes enfants autour d’une activité définie et réglée, permet la stimulation du langage, mais également la compréhension d’une consigne et la résolution d’une opération mentale. Durant la durée de l’activité, l’éducatrice est progressivement moins intervenue dans la situation ludique, donnant aux enfants la possibilité d’enrichir leur vocabulaire mais également leurs interactions. L’activité en question permet le développement de différentes compétences :

- L’utilisation des connaissances des enfants (nom de chaque animal, cris, etc.).

- Le développement du vocabulaire (la vache, elle meugle).

101. Les prénoms des enfants ont été modifiés.

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- Le développement des interactions entre pairs, le partage d’expériences.

- L’expression de ce que l’enfant voit et comprend.

- La correction mutuelle (« Mais non, on dit pas le vache mais la vache. »)

Dans cette situation, la fonction de tutelle de l’adulte est peu développée pour la petite fille sourde. Le fait que l’adulte ne signe pas limite en effet le soutien pouvant être apporté à l’enfant. Dans l’accompagnement des jeunes enfants sourds se pose également, lors des activités, la question de la temporalité dans l’énonciation d’une consigne. Il s’avère nécessaire de différencier le temps de la consigne et le temps de l’activité elle-même. Pour des entendants, ces deux temps sont le plus souvent confondus, c’est-à-dire que l’adulte dit la consigne en même temps qu’il montre ou joue. Pour le jeune enfant sourd, il est nécessaire de bien séparer ces deux temps.

4. L’importance des histoires dans le développement langagier et cognitif

a) Les histoires

Les histoires constituent une médiation éducative présente dans les EAJE. Lire des histoires aux enfants est une pratique courante, qui participe au développement langagier. En effet, c’est seulement parce que l’Homme est un être de langage que se posent à lui les questions de la lecture et des valeurs qu’elle véhicule. Par ailleurs, celles-ci ne se posent pas de la même façon d’une culture à l’autre ; la lecture n’est pas une valeur universelle. Il existe, en effet, des cultures de l’oral et d’autres de l’écrit. La question du langage est, quant à elle, universelle ; le langage est un dispositif propre à l’Homme. Dans notre société, le rapport à l’écrit est très important et représente une valeur culturelle forte.

b) Construire du sens

Les travaux d’Emilia Ferreiro102, élève de Jean Piaget, ont mis en évidence que les jeunes enfants présentent une vive appétence pour la langue écrite jusqu’à six ou sept ans et ce, quelle que soit leur origine sociale. Il y a donc, à ce niveau, une absence d’inégalité entre les classes sociales. Elle souligne l’importance de donner des livres aux tout-petits et, surtout, la nécessité de leur raconter des histoires. Ce qui handicape un enfant n’est pas forcément qu’on ne lui donne jamais de livres, mais qu’on ne lui raconte jamais d’histoires. En effet, si l’enfant n’a pas de contact avec les livres, ce ne sont pas ses futurs apprentissages scolaires mais son appétence pour ceux-ci et son accès à la langue du récit qui risquent d’être compromis. Marie Bonnafé 103 développe l’idée que jouer avec les livres – et plus précisément, pour un jeune enfant, jouer avec les textes des livres, c’est-à-dire pouvoir prendre du plaisir en écoutant puis en répétant spontanément – n’a pas pour objectif une acquisition immédiate. Ce contact ludique « ouvre la porte » et accompagne les moments d’apprentissages systématiques de la langue écrite et cela, évidemment,

102. Emilia Ferreiro, psycholinguiste argentine, a travaillé en particulier sur la manière dont les enfants conçoivent l’écrit. Voir Emilia FERREIRO, Margarita GOMEZ PALACIO et al., Lire-écrire à l’école, comment s’y apprennent-ils ?, CRDP, Lyon, 1998. 103. Marie BONNAFÉ, Les Livres, c’est bon pour les bébés, Paris, Fayard, « Pluriel », 2011.

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parce que les livres véhiculent la langue du récit et que c’est cette même langue qui est promue par l’école. Avant d’apprendre à lire, il est indispensable d’apprendre à parler. Apprendre à parler, pour de jeunes enfants entendants, ou apprendre à signer, pour de jeunes enfants sourds, c’est apprendre à construire du sens. Il y a deux façons de construire du sens. Selon Marie Bonnafé, nous parlons deux langues sans le savoir. La première langue est la langue factuelle. Elle correspond au langage des actes, des situations. Une partie du sens se trouve dans la situation elle-même. La simple phrase « Le sel, s’il te plaît », par exemple, est suffisante si elle est prononcée à table durant un repas. Le sens est véhiculé autant par la situation que par les mots. Il s’agit du langage courant, de la langue quotidienne. Cette forme de langage est correcte à l’oral mais elle ne se raconte pas, ne se transcrit pas. La deuxième langue est la langue du récit. Le sens est contenu dans les mots, dans le discours. Elle peut être transcrite. Il s’agit d’un langage oral qui présente les caractéristiques de l’écrit. Son sens est contenu dans la narration. Différentes recherches en sociologie, psychologie et pédagogie ont révélé la pauvreté de la langue du récit chez beaucoup d’enfants issus de milieux défavorisés. Pour ces enfants, la langue du récit est un peu une langue étrangère parce qu’elle est différente de la langue parlée à la maison. Les enfants qui ont reçu la langue du récit dans les premières années de leur vie, que ce soit à la maison ou dans un lieu d’accueil, gardent la capacité et le désir de dépasser la difficulté et d’accéder à cette langue. En effet, ils se sont déjà frottés à elle, elle les a déjà bercés. Selon Marie Bonnafé, la langue du récit peut être opposée point par point à la langue factuelle, qui commente l’action. Elle est découpée dans le temps, avec un début qui renvoie à une fin. Elle comporte des séquences bien construites, dont le sens doit à chaque fois être articulé avec le contenu général du texte. Les professionnel-les rencontré-es racontent des histoires aux jeunes enfants sourds au même titre qu’aux autres enfants :

« Il n’y a pas d’activités particulières ou en moins ou en plus pour un enfant sourd. Pour moi, je me dis qu’un enfant, même qui n’entend pas, il a des sensations, il a un sens qui est développé différemment, donc, il y a ce livre aussi et ces images qui tournent, et puis, il y a les intonations de voix donc, même s’il n’entend pas, enfin, il y a, vous voyez des intonations, pour moi, qu’il doit ressentir, des vibrations. Et en fait, il a le droit de toucher le livre quand on raconte une histoire. » (Éducatrice de jeunes enfants)

S’il est important de raconter des histoires aux enfants, entendants et sourds, lorsque le/la professionnel-le ne signe pas le jeune enfant sourd ne bénéficie que des images et des expressions du visage du conteur. Il n’a donc qu’une vision et représentation parcellaires de l’histoire. Comme le relate Emmanuelle Laborit104, c’est le fait de signer qui lui a permis de comprendre, de donner du sens à son environnement. Les jeunes sourds voient des images, ils n’ont pas ou difficilement accès à la langue du récit, au sens contenu dans les mots, dans le discours de l’adulte.

Différentes recherches105 montrent que les sourds connaissent de grandes difficultés à l’écrit. Les histoires racontées dès le plus jeune âge, présentant les caractéristiques de l’écrit, aident les jeunes enfants à s’approprier l’écrit, ce qui n’est pas le cas pour les jeunes enfants sourds qui ont un moindre accès à la langue du récit. 104. Emmanuelle LABORIT, Le Cri de la mouette, op. cit. 105. Valérie DUHAYER, Mô FRUMHOLZ, Brigitte GARCIA, « Acquisition du langage chez l’enfant sourd : quelle oralité pour quel accès à l’écrit ? », Mélanges CRAPEL, n° 29, 2006.

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c) Élaborer un échange

Donner des livres aux jeunes enfants n’est pas en premier lieu leur donner accès aux livres, mais c’est surtout leur donner accès à l’histoire du livre et à la langue parlée et/ou signée. Le livre est essentiellement là pour les aider à construire la langue du récit. Celle-ci donne à la pensée des enfants la possibilité de se structurer car elle définit un « avant » et un « après », l’histoire leur permettant de progressivement appréhender la notion de temporalité. Il y a des événements proches ou lointains aussi bien dans l’espace que dans la durée, ce qui permet de construire les bases de la narration chez l’enfant. Jérôme Bruner a beaucoup insisté sur la fonction narrative dans l’éducation. Elle permet de prendre un peu de recul dans les situations concrètes. C’est ce que nous pouvons observer, par exemple, lorsque deux jeunes enfants sont en conflit : les premières réactions sont physiques, les enfants tirent tous les deux sur le jeu, objet de leur convoitise, sans pouvoir se parler. Si un adulte les aide à raconter ce qui se passe, les enfants arrivent à prendre de la distance par rapport à la situation. Il y a une élaboration mentale qui permet aux jeunes enfants de passer de l’action à la parole et de pouvoir trouver, verbalement ou en signant, un compromis dans lequel chacun aura une place de sujet reconnu. Il est fondamental pour les jeunes enfants de pouvoir narrer, car cela leur permet de prendre de la distance et d’élaborer un échange dans lequel ils racontent quelque chose qui ne se situe pas dans l’action, tout en n’étant pas ou plus, eux-mêmes, dans la situation conflictuelle. Les albums jeunesse permettent aux jeunes enfants d’apprendre à se situer, dans un premier temps, dans le monde des contes, pour progressivement pouvoir se situer dans le « vaste monde ». Lorsqu’une histoire est racontée, son début introduit implicitement une fin. L’enfant circule alors dans l’histoire et se l’approprie à sa façon. La structure de l’histoire est fixe et constitue un facteur de permanence. Ainsi les enfants se repèrent-ils très facilement dans le déroulement d’une histoire, alors que les repères temporels de la réalité sont difficiles à intégrer. Cette permanence de l’histoire aide l’enfant à construire le réel. Certains enfants, pendant des périodes plus ou moins longues, demandent toujours la même histoire. Ils se saisissent de quelque chose de structurant pour eux. À travers la régularité de l’histoire, il y a comme l’instauration d’un rituel suscitant un sentiment favorable à l’élaboration de la permanence de l’objet. Il est donc fondamental d’utiliser le livre au quotidien, le choix du livre revenant aux enfants. Pour les jeunes enfants sourds, il est nécessaire que l’adulte signe l’histoire racontée afin que l’enfant n’ait pas seulement accès aux images.

d) De la nécessité de penser l’aménagement de l’espace

Il ressort de notre enquête que lorsqu’un jeune enfant sourd est accueilli au sein d’un EAJE parmi des enfants entendants, l’aménagement de l’espace doit être pensé spécifiquement. Il s’avère en effet nécessaire que les professionnel-les puissent prendre en compte les spécificités du jeune enfant sourd, notamment en matière de communication. Lors d’observations de moments où un adulte raconte une histoire à plusieurs enfants (sourds et entendants), nous avons pu constater que le plus souvent l’enfant sourd est placé au premier rang, au plus près de l’adulte. Ce placement l’isole du groupe. Il ne peut appréhender ce qui se passe derrière lui, voir les réactions des autres enfants, etc.

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« Les enfants entendants et les personnes entendantes ont cette espèce de cercle à 360 degrés, c'est-à-dire que les entendants sont toujours dans ce cercle avec des informations. L’enfant sourd, il est dans un demi-cercle à 180 degrés, à condition de lever la tête au bon endroit. » (Éducatrice spécialisée sourde)

Il convient donc, dans l’accueil d’un jeune enfant sourd, de prendre en compte cette considération-là.

e) Une offre peu diversifiée voire absente

De nombreuses recherches ont montré l’influence de l’environnement social, dans lequel l’enfant est affilié dès sa naissance, sur la construction de l’identité. Cependant, l’enfant ne se forge pas une représentation du monde qui l’entoure simplement par l’observation directe de son cadre familier. Beaucoup de ses apprentissages sont médiatisés par différents vecteurs tels que la télévision – au travers de la publicité, des films, des dessins animés –, les jouets, les magazines à destination des enfants, les albums et livres pour enfants. Force est de constater que les livres pour jeunes enfants abordent bien rarement la question de la surdité. Nous avons trouvé un seul album édité chez un éditeur généraliste : Julie Silence106. Les jeunes enfants sourds ont donc peu d’occasions de trouver dans les établissements d’accueil des albums mis à leur disposition – et ce dès le plus jeune âge – dans lesquels le personnage principal serait sourd, des ouvrages qui pourraient constituer un support privilégié dans la construction de leur identité. La nécessité de développer les albums pour jeunes enfants portant sur la surdité ou donnant à voir un héros sourd ressort de l’enquête. Il existe des ouvrages édités par des éditeurs spécialisés, notamment les éditions Monica Companys, mais les albums à l’adresse des tout-petits sont peu nombreux.

5. Un accueil bénéfique pour les jeunes enfants entendants et sourds

L’accueil de jeunes enfants sourds en milieu ordinaire apparaît, à la lecture des entretiens, profitable aux jeunes enfants entendants.

« Déjà, ce qu’on s’est aperçu, c’est que ce qu’on mettait en place pour les enfants sourds était extrêmement utile aux enfants entendants, et que quelque part, même sans enfant sourd, on devrait utiliser les outils qu’on a mis en place pour tous les enfants, en fait. Il n’y a rien d’extraordinaire, c'est-à-dire que le support visuel, il est intéressant pour tous les enfants. Vous avez des enfants qui ne vont pas de suite saisir ce que vous attendez d’eux, et le fait de montrer une image. Par exemple, le matin, lorsqu’on rassemble les enfants et qu’on leur présente les activités de la matinée et de l’après-midi, on fait ça avec un support d’images. Les photos que l’on a prises préalablement pour désigner toutes les sortes d’activités ou les lieux de la crèche qui sont différents, on les positionne sur un tableau magnétique qui va rester tout au long de la journée. En fait, ça permet aux enfants, s’ils ont zappé un truc, de pouvoir retourner sur le tableau magnétique voir la photo et comprendre où se passe cette activité. Dans la journée, ils peuvent se remémorer l’après-midi ce qu’ils ont fait le matin. Il n’est pas rare de voir deux, trois enfants ensemble en train d’échanger sur l’activité du matin,

106. Pierre CORAN, Mélanie FLORIAN, Julie Silence, Bruxelles, Alice éditions, 2009.

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alors qu’elle s’est déroulée trois, quatre heures auparavant. Ça, on sait que ça a de la signification pour les enfants sourds par rapport au fait de se repérer dans le temps. Mais, c’est essentiel aussi pour des enfants entendants. Le seul truc qui manque, c’est en fait un petit peu les traces de ce qui s’est déroulé sur la semaine, par exemple. Le vendredi, de retrouver ce qu’il s’est passé le jeudi, le mercredi, ainsi de suite. Ça, on n’a pas trouvé encore un outil qui nous permettrait de remonter le temps. Par contre, l’année passée, on a mis en place un visuel mensuel, c'est-à-dire un événement majeur qui se serait déroulé dans le mois précédent. Ce visuel resterait tout au long de l’année. Ce qu’on a mis en place, en fait, a été abîmé par les enfants, parce que c’était à leur hauteur. Donc là, on recherche une autre formule pour pouvoir laisser des traces de photo sans que les enfants puissent détruire. Ils y touchaient, donc ce qu’on a mis en place, ça n’allait pas. Là, on est en train de réfléchir sur un autre support qui laisserait la possibilité de laisser des moments marquants dans le temps, de septembre à juin par exemple, et en permanence, pour que l’enfant puisse se remémorer les choses passées. On a l’outil, mais maintenant, il faut… » (Directrice de crèche)

La pratique de la LSF dans les EAJE accueillant de jeunes enfants sourds bénéficie aux enfants sourds mais également aux enfants entendants. La LSF est une langue visuelle différente de la langue française orale qui permet au jeune enfant sourd l’apprentissage des notions et concepts, de l’abstraction. Elle permet le développement des situations communicationnelles et enrichit les interactions entre enfants (enfants sourds entre eux / entre enfants sourds et enfants entendants).

« Il s’agit d’enfants de moins de trois ans, alors qu’au Cebes, ils accueillent des enfants jusqu’à six ans. Après, bien évidemment, comme on est nombreuses à signer, à chaque fois qu’il y a un livre de lu, on le signe. Chaque chanson est signée. On a créé aussi un atelier signes une fois par semaine en portes ouvertes, où les enfants intéressés peuvent venir. Il est tenu par une personne qui a suivi les cours de langue des signes en formation. Il s’adresse aux enfants, mais aussi au personnel, c'est-à-dire qu’au cours de cet atelier, il y a deux collègues de la crèche qui peuvent assister à une heure d’atelier langue des signes. On y présente une dizaine de mots. Il y en a trois qui sont majeurs et qui sont retenus. Ces trois signes sont repris à l’aide d’une image qui représente le signe. Le soir de l’atelier, ils sont présentés aux parents. Les parents qui sont attentifs, qui savent que c’est le mardi l’atelier langue des signes, sont attentifs au changement des trois photos, apprennent le signe. Au cours de la semaine, ils peuvent revoir toujours ces mêmes signes appris. Et la semaine suivante, c’est trois autres signes proposés. On a des parents qui jouent le jeu, qui prennent plaisir à attendre les nouveaux, à signer et faire vérifier que c’est bien comme ça qu’on fait le signe. Les enfants qui ont assisté retiennent vraiment. Ce dont on s’aperçoit, c’est que dans les groupes de petits, puisque ce sont des enfants qui restent pendant deux ans dans le même espace avec le même groupe, on s’aperçoit que les petits qui sont attentifs à une chanson, à une histoire signée, à un moment donné retiennent certains signes et les utilisent après coup. Tous les enfants du groupe savent très bien comment on dit “gâteau, encore, maman, papa, parti au travail”, tous les signes qui sont utilisés […] “Manger, interdit, pas possible, à boire, dormir, finir, encore”. Tous les enfants connaissent ces signes-là, notamment les enfants entendants, et les utilisent bien qu’ils sachent parler, ou que ce soient des enfants qui ne parlent pas encore, qui à 15 mois, 18 mois sont dans la capacité de signer ce dont ils ont besoin. La première idée, ce n’est pas de leur apporter le signe pour communiquer à ces enfants entendants, mais comme on signe tout au long de la journée, ils prennent ce dont ils ont besoin. » (Directrice de crèche)

Une confrontation précoce à la LSF permet progressivement au bébé l’élaboration de sa pensée, la compréhension des concepts et de son environnement, alors que l’apprentissage tardif limite les possibilités développementales, y compris sur un plan neurologique. Il ne s’agit pas d’enseigner la LSF aux bébés sourds mais bien de leur

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donner la possibilité de se trouver dans un « bain de signes » en utilisant la vie quotidienne comme support par l’association à une action du signe correspondant tant au sein de la famille que dans l’EAJE. Ces pratiques offrent alors au jeune enfant sourd des outils qu’il s’appropriera progressivement, comme un bébé entendant s’approprie le langage oral en entendant parler, pour comprendre et communiquer avec son environnement. De même que l’enfant entendant comprend avant d’avoir les capacités à parler, le jeune sourd comprend rapidement les signes avant de se trouver en mesure de les reproduire. Très rapidement, les jeunes enfants, entendants comme sourds, comprennent ce qu’est la communication, autrement dit ils appréhendent précocement qu’un mot/signe est signifiant et qu’en l’utilisant et le reproduisant il est possible d’obtenir une réponse tant d’un adulte que d’un autre enfant. Les entretiens avec les professionnel-les des EAJE confirment que les adaptations réfléchies pour l’accueil de jeunes enfants sourds bénéficient également aux enfants entendants.

« Colette Barbelivien et Olivier Schetrit (“Les Contes à deux voix”), quand ils interviennent dans des crèches ou dans des maternelles par exemple, les enfants entendants sont fascinés, c’est absolument extraordinaire de voir comment enfants entendants et sourds communiquent entre eux et avec les adultes, ils apprennent des signes, ils ont une avidité tous d’apprendre des signes et de partager l’expérience, de se dire : “Oui, mais on peut se dire des tas de choses, c’est fascinant”. » (Psychiatre)

Si voir signer des adultes ou des enfants est important pour les jeunes sourds, il ressort de l’enquête que cela est également important pour les enfants entendants. Ils développent des possibilités de communication avec leurs pairs sourds. Permettre à tous les enfants accueillis au sein de l’établissement de s’approprier progressivement la LSF, de s’autoriser à signer participe également à la valorisation, pour l’enfant sourd, de sa langue et, pour l’enfant entendant de parent sourd, de la langue de son parent.

Le projet d’inclusion de jeunes enfants sourds en milieu ordinaire intégrant le développement des capacités langagières visio-gestuelles tant des enfants sourds que des enfants entendants participe à rompre l’isolement que vit généralement l’enfant sourd, étend le champ des possibles des uns et des autres et ouvre à la rencontre. Il semblerait, en outre, que l’appropriation par les jeunes enfants entendants des signes favorise une progression du langage oral107.

Cela nous paraît capital : ce ne sont pas uniquement les enfants sourds qui tirent bénéfice de l’accueil en milieu ordinaire mais tous les enfants, notamment par le biais de la pratique de la LSF ou du français signé. On s’aperçoit que les professionnel-les accueillant plusieurs enfants sourds parmi des enfants entendants créent un environnement qui permet que ces enfants sourds ne soient pas complètement isolés au sein du groupe.

107.Amandine CAILLAUD, Claire CHARVET, Bébé : le langage à portée de mains. Apports des signes pour bébés chez les enfants de 0 à 2 ans accueillis en crèche, mémoire CCO, Université de Lille 2 Droit et santé, Institut d'Orthophonie Gabriel Decroix, juin 2012.

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Chapitre VIII - De la nécessaire ouverture des professions de la petite enfance

aux professionnel-les sourd-es

La recherche Ouvrir le travail social aux professionnels sourds menée par l’EFPP de 2008 à 2010 auprès des professionnel-les, éducateurs/trices spécialisé-es et employeurs entendants, malentendants, a permis l’examen des possibilités et des limites de l’évolution professionnelle des éducateurs/trices sourd-es. Elle a notamment mis en lumière les phénomènes spécifiques de persistance de facteurs discriminants dans le cadre de l’emploi dans le secteur sanitaire et social, que nous assimilons ici aux concepts de plafond et de murs de verre. La recherche a également permis d’esquisser les perspectives d’ouverture en termes de carrière et d’accès à d’autres formations ou qualifications, dans le champ social pour des professionnel-les sourd-es, permettant notamment l’accès aux fonctions d’encadrement mais également à la profession d’éducateur de jeunes enfants.

1. De la nécessité de la présence de professionnel-les sourd-es

Pourquoi avoir recours à des professionnel-les sourd-es au sein des EAJE ? Cette question se pose dans le cadre de l’accueil en milieu ordinaire de jeunes enfants sourds parmi des enfants entendants. Les tout-petits sourds ont des difficultés de communication mais également des difficultés pour appréhender leur environnement. L’inclusion de jeunes enfants sourds au sein d’un groupe de pairs entendants rend nécessaire la collaboration entre un-e professionnel-le sourd-e et un-e professionnel-le entendant-e. En effet, les jeunes enfants sourds ont besoin de rencontrer des adultes sourds qui vont leur permettre l’appropriation de la LSF, langue qui s’avère être le vecteur optimal pour qu’ils puissent progressivement comprendre leur environnement et se faire comprendre tant par les adultes que par leurs pairs. Comme le souligne Jérôme Bruner, « les acquis culturels nécessaires à l’adaptation de l’homme ne se découvrent pas mais se transmettent108 ». Pour s’approprier la LSF, il est donc nécessaire qu’ils se trouvent en présence d’adultes sourds. Cette présence permet également au tout-petit sourd de s’identifier à un Autre qui lui ressemble. Il peut exister un « malaise » dans la relation entre des parents entendants et leur enfant sourd, lié aux difficultés de communication mais également au fait qu’ils ne partagent pas la même langue. Lorsque les parents peuvent rencontrer des adultes sourds, notamment des professionnel-les qui accueillent leur enfant et prennent soin de lui au sein de l’EAJE, cette présence réduit ce malaise, surtout si la présence de professionnel-les sourd-es permet la rencontre et ouvre le champ des possibles des uns et des autres, notamment si les parents ont la possibilité d’apprendre la langue des signes avec ces mêmes professionnel-les lors de temps privilégiés entre parents entendants et professionnel-les sourd-es.

108. Jérôme BRUNER, Comment les enfants apprennent à parler, op. cit.

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Cette rencontre, nous l’avons vu, est possible lorsque les parents d’un tout jeune enfant sourd sont parvenus à accepter les conséquences de la déficience auditive. La présence de professionnel-les sourd-es au sein des EAJE peut faciliter progressivement cette acceptation ainsi que le fait de devoir donner à leur enfant une langue « maternelle » qui n’est pas la leur. Il ressort de notre enquête que la rencontre précoce avec un-e professionnel-le sourd-e facilite l’acceptation de la surdité par les parents. Cette présence permet également d’éviter que se produise une trop importante cassure dans les relations parents/enfants, rendues complexes par les difficultés de communication, en permettant aux parents de s’approprier une autre modalité de communication avec leur bébé. Nous avons vu que dès l’annonce de la surdité, les parents se questionnent sur le devenir de leur enfant, sur son insertion et sa réussite scolaire futures comme sur son insertion sociale et professionnelle à venir. La « nécessaire confrontation » à un-e professionnel-le sourd-e offre également aux parents la possibilité de penser positivement l’avenir de leur enfant. Cette capacité parentale, qui peut parfois être entravée, à projeter positivement son enfant dans un temps à venir est nécessaire au « bon » développement de l’enfant. Comme l’a démontré Winnicott109, dans le développement psychoaffectif du tout-petit, il y a la nécessité que les parents soient en mesure d’investir positivement l’enfant, mais aussi de le présenter au monde et de lui présenter le monde de façon positive. La confrontation de l’enfant sourd tant avec des adultes qu’avec des pairs sourds est une nécessité en ce qu’elle lui permet de trouver des modèles possibles d’identification. La rencontre avec un-e professionnel-le sourd-e l’ouvre à l’appropriation de la langue des signes, appropriation qui demande que le jeune enfant soit en relation directe et continue avec d’autres sourds (adultes et enfants), puisqu’il baigne alors dans un « bain » de langage nécessaire à l’acquisition de sa langue, et ce de manière fiable, ce qui est le cas pour les enfants entendants qui baignent continuellement dans leur langue.

« Au niveau du collectif, je vais prendre une comparaison : dans notre équipe nous avons des éducateurs spécialisés sourds. Je travaille beaucoup avec eux et lorsque nous avons des entretiens à plusieurs, c’est-à-dire un éducateur sourd et moi avec un patient, la dynamique est complètement différente de la dynamique qu’il y a quand nous sommes trois au lieu d’être deux, parce qu’il s’agit d’un professionnel sourd alors que le patient est sourd et que moi, je suis entendant, et parce qu’il y a un rapport à la langue, un rapport à la communication et un rapport au savoir-être tout simplement, au-delà des connaissances de l’expérience professionnelle, qui sont tout simplement différents. Qu’il y ait de la surdité parmi les professionnels, c’est quelque chose qui me paraît tout à fait essentiel dans la prise en charge correcte des usagers sourds. La seule condition véritable qui rende possible le soin correct de la population sourde, c’est qu’il y ait des professionnels sourds ; je dirais exactement la même chose pour les collectifs d’enfants, c’est-à-dire, un collectif d’enfants où il n’y aurait pas de professionnel sourd, ça n’a pas de sens. Et ça ne veut pas dire que les entendants ne peuvent rien faire ou que s’ils apprennent la langue des signes, ça ne servira à rien, non, tout ça, ça doit être fait, mais il faut aussi que la surdité soit présente et visible concrètement au niveau des adultes qui accompagnent les enfants dès le début, il faut du collectif sourd. » (Psychiatre)

109. Donald W. WINNICOTT, Jeu et réalité, op. cit.

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2. Quelle place dans l’équipe ?

La présence de professionnel-les sourd-es au sein d’un EAJE implique une réflexion sur la surdité. Il s’agit de pouvoir la penser comme constituant un état durable tout aussi acceptable que le fait d’entendre ; il ne s’agit pas seulement d’un handicap qu’il conviendrait de réparer. On voit bien la difficulté de penser la surdité autrement tant nous sommes dans une société où les progrès de la médecine laissent croire qu’elle peut tout réparer. Dans ce contexte scientiste, on peut aussi s’interroger sur le devenir de la nécessaire acceptation par les parents de la réalité, et sur leur adaptation à celle-ci. S’il est nécessaire que les jeunes enfants sourds puissent rencontrer dans la vie quotidienne en institution d’accueil ordinaire des professionnel-les sourd-es, il devient inévitable de se questionner sur leur place au sein d’une équipe. Leur présence ne répond-elle qu’à la présence au sein de la structure d’accueil de jeunes enfants eux-mêmes confrontés à la surdité ? Leur demande-t-on seulement d’être sourds ? Quelles compétences leur sont-elles reconnues dans l’établissement ? Si, dans certaines crèches, on peut rencontrer des professionnel-les sourd-es, on remarque que rares sont ceux/celles qui ont pu suivre une formation éducative les préparant à accompagner de jeunes enfants. Pour diverses raisons (manque d’interprètes, difficultés du recours à des interprètes, manque de formations accessibles, etc.).

« Je vous parlais de l’isolement des sourds au travail, je peux vous parler de l’isolement des sourds dans les équipes où j’ai travaillé et où, pourtant, on était a priori très ouverts à la langue des signes. Il faut au minimum (et je ne suis pas le seul à le dire) un tiers de professionnels sourds dans une équipe pour que ça soit vraiment valable. Vous mettez un sourd au milieu de neuf entendants dans une équipe de dix personnes, ça ne va jamais marcher, c’est-à-dire pour que les entendants tiennent compte de la vie du sourd et que le sourd puisse se sentir à l’aise au milieu des entendants, c’est impossible. Trois sourds et sept entendants, c’est déjà beaucoup mieux, vous mettez quatre sourds et c’est vraiment autre chose. Ça ne veut pas dire qu’il ne va pas y avoir des problèmes, il y en aura peut-être mais d’un autre ordre, ce que je veux dire c’est que vous créez les conditions pour que, objectivement, le rapport entre deux langues soit plus équilibré et il y a du collectif là, vraiment. » (Psychiatre)

L’accueil en milieu ordinaire de jeunes enfants sourds demande un travail d’équipe et une mobilisation de tous/toutes les professionnel-les de l’établissement. Cet accueil demande la présence au sein de l’établissement de professionnel-les sourd-es dans une fonction d’encadrement direct et continu des jeunes enfants. Il implique également pour les membres entendants de l’équipe la nécessité de se former tant sur la connaissance de la surdité, de la culture sourde que sur l’acquisition de la langue des signes.

« On a sollicité auprès de la ville de Paris à ce qu’il y ait des cours de LSF donnés au personnel de la ville de Paris. C’est vrai que la responsable a été sensible à cette demande et a mis en place une formation LSF sur deux ans, une journée par semaine sur dix mois, et pendant deux ans. Je suis partie la première année, mon adjointe m’a suivie. Après, ce sont des auxiliaires qui ont entamé la formation. À ce jour, on a dans la crèche sept personnes formées plus nous deux. En fait, chaque année, il y a une auxiliaire en seconde année et une autre auxiliaire qui commence la première année, avec l’idée que chaque année, il y a une personne en plus qui se rajoute. On en est là. » (Directrice de crèche)

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3. Quelle formation ?

L’accueil des jeunes enfants sourds en milieu ordinaire pose nécessairement la question de la formation des professionnel-les de la petite enfance en charge de les accueillir en l’absence de leurs parents. Il n’y a pas nécessité de spécialiser les professionnel-les ou d’avoir recours au sein des EAJE à des rééducateurs, mais l’accueil de jeunes enfants sourds impose l’existence d’un travail en réseau et en partenariat. En effet, les jeunes enfants sourds viennent au sein des EAJE pour être en relation avec d’autres adultes que les membres de leur famille et d’autres enfants entendants et sourds. C’est une chance pour les jeunes enfants sourds que de pouvoir fréquenter des espaces et des lieux éducatifs sans se heurter au refus, sans être confrontés au jugement, à la stigmatisation ; des lieux et des espaces dans lesquels, durant un temps, ils peuvent rire, pleurer, désirer, apprendre, se montrer curieux, téméraires ou timides, donner à voir qui ils sont vraiment, avec leurs défauts et leurs qualités, comme tout enfant. Les jeunes enfants sourds ont besoin comme tout enfant de lieux et de temps où ils peuvent expérimenter, se construire, appréhender et comprendre le monde. Leur accueil en milieu ordinaire demande néanmoins une professionnalisation, la possibilité pour les professionnel-les d’accéder à la formation dans un mouvement dynamique, afin de leur permettre de développer leurs compétences professionnelles dans une adaptation continue aux problématiques et aux besoins des jeunes enfants sourds, à la culture sourde, mais également à la LSF. Si on attend que les EAJE s’ouvrent à la différence, soient en mesure d’accueillir tous les enfants quelles que soient leurs spécificités, il s’avère nécessaire également qu’en amont les centres de formation aux différents métiers de la petite enfance s’ouvrent aussi aux professionnel-les handicapé-es, notamment sourd-es. Comme le souligne Éric Plaisance, si les EAJE « doivent aider à promouvoir l’intégration des enfants en situation de handicap, [ils] devraient aussi “intégrer” des professionnels différents110 ».

110. Éric PLAISANCE et al., « Petite enfance et handicap. La prise en charge des enfants handicapés dans les équipements collectifs de la petite enfance », op. cit, p. 40.

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Conclusion

L’accueil de jeunes enfants sourds en milieu ordinaire semble très positif. Cet accueil nécessite la réunion de différents facteurs. Premièrement, un accueil simultané de plusieurs enfants sourds parmi des enfants entendants. Deuxièmement, la possibilité pour les jeunes enfants sourds de rencontrer des adultes et des pairs « signeurs », qu’il s’agisse de professionnel-les et d’enfants sourds ou de professionnel-les et d’enfants entendants sachant signer. Mais surtout, la présence d’adultes sourds offre à l’enfant des figures d’identification nécessaires à son développement psychique. Le bilinguisme au sein des EAJE apparaît dès lors comme une nécessité tant pour les jeunes enfants sourds que pour les parents sourds d’enfants sourds ou entendants. L’accès précoce à la LSF constitue un outil de prévention, cela permet à l'enfant d’appréhender et de construire le monde.

« En ce qui concerne l’éducation, la langue des signes, c’est important. L’État a reconnu la langue des signes, mais c’est pas encore reconnu au sein des écoles alors que c’est prévu dans la loi. Au niveau de la langue des signes, pour moi, c’est ce qui me permet l’accessibilité à la vie. Pour moi, en tant que personne sourde, ça me permet d’acquérir plein d’informations, de me construire et puis aussi de me structurer et de me dire : “Je suis fort dans la société et en face de la société. J’ai une identité bien précise, bien claire.” » (Père sourd d’enfants entendants)

Se pose alors la question de l’effectivité de la présence au sein des EAJE de professionnel-les sourd-es, mais également de leur accès aux formations professionnelles du secteur de la petite enfance, particulièrement à celles ouvrant aux fonctions éducatives. L’ouverture de la formation d’éducateur de jeunes enfants à des professionnel-les sourd-es est devenue inéluctable. C’est ce qu’a compris l’EFPP qui, en 2012, a ouvert cette formation aux étudiant-es sourd-es. Il apparaît également qu’une sensibilisation des étudiant-es entendant-es se préparant aux différents métiers de la petite enfance à la surdité et à la LSF est souhaitable, puisque la maîtrise d’une base en LSF permet de répondre de meilleure manière à l’accueil de jeunes enfants sourds. Il ne s’agit pas d’attendre des professionnel-les entendant-es l’apprentissage de la LSF aux enfants sourds (comme il n’est pas attendu d’eux/elles qu’ils/elles enseignent le français aux jeunes enfants entendants), mais de leur donner les moyens de communiquer avec tous les enfants qu’ils/elles sont amené-es à accompagner dans leur activité professionnelle. Cette sensibilisation et initiation à la LSF a également comme intérêt majeur le développement d’une meilleure communication entre professionnel-les et parents sourds, notamment lors des transmissions ; en effet les parents sourds interviewés ont fait part des difficultés qu’ils rencontrent avec les professionnel-les. Ressort également de notre enquête la nécessité de développer des outils pour favoriser l’utilisation de la langue des signes avec les tout-petits tant au sein des EAJE que dans les classes de maternelle. La création en cours – dans le cadre du volet 3 de cette recherche – d’albums pour jeunes enfants par Didier Flory, linguiste et interprète en LSF, vient pallier un manque criant d’outils, de supports ludiques à destination des jeunes enfants sourds. Il s’agit de livres illustrés qui mettent en scène des animaux appartenant à un monde fermé

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(l’eau pour les poissons 111, la terre pour les vers) et qui, voulant découvrir d’autres mondes, se heurtent à toutes sortes de difficultés. Ces livres sont accompagnés d’un DVD qui raconte l’histoire en langue des signes. Des jeux reprennent les éléments de l’histoire afin que les petits intègrent bien les principaux signes utilisés dans l’ouvrage. Bien sûr, ces possibles avancées ne suffiront pas pour supprimer le sentiment de honte que ressentent certains parents à l’idée qu’en voyant leurs enfants signer, leur entourage, proche ou non, comprendra qu’il s’agit d’enfants « handicapés ». Le fait que certaines émissions de télévision soient traduites en langue des signes peut contribuer à les rassurer, mais il faudrait qu’elles soient infiniment plus nombreuses pour que la surdité leur apparaisse comme normale, moins étrangère. Il serait utile que le ministère des Affaires sociales et de la Santé comme celui de l’Éducation nationale entreprennent des campagnes de sensibilisation pour éliminer le stigmate qui s’attache encore à la surdité, notamment par le biais des cours d’éducation civique dans le primaire. Il s’agit de pouvoir penser – et non panser – la surdité autrement que comme constituant seulement un handicap. La surdité est souvent décrite, désignée depuis l’extérieur comme une déficience à réparer. La réduire ainsi peut nous empêcher d’ « entendre » les revendications de la communauté sourde. On pressent comment la décentration d’une appréhension purement médicale et réparatrice de la surdité ouvre le champ des possibles et permet une autre approche de l’éducation des jeunes enfants sourds. C’est un enjeu majeur pour l’évolution des pratiques d’accompagnement, actuelles et futures, que de porter un autre regard sur la surdité. D’autant que, par contagion, cette « normalisation » de la surdité serait susceptible de s’étendre à d’autres handicaps. Puisse la recherche que nous avons entreprise contribuer aux nécessaires prises de conscience en la matière.

111. Didier FLORY, Dominique LEFILLEUL, Lucien, le petit poisson qui n’aimait pas l’eau, Le Mans, DF éditions, 2013.

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Lexique des sigles

AEEH Allocation d’éducation de l’enfant handicapé

AJPP Allocation journalière de présence parentale

ALSH Accueil de loisir sans hébergement

ATSEM Agent territorial spécialisé des écoles maternelles

BIAP Bureau international d’audiophonologie

CAMSP Centre d’action médico-sociale précoce

CEBES Centre expérimental bilingue pour enfants sourds

CCNE Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé

CDAPH Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées

CLCA Complément de libre choix d’activité

EAJE Établissement d’accueil du jeune enfant

EJE Éducateur-trice de jeunes enfants

EEPS Enfant entendant de parents sourds

ES Éducateur-trice spécialisé-e

GRIF Groupement de recherche d’Île-de-France

HAS Haute autorité de santé

ILSF Interprète en langue des signes française

LFPC Langue française parlée complétée

LPC Langue parlée complétée

LSF Langue des signes française

MDPH Maison départementale des personnes handicapées

ORL Oto-rhino-laryngologiste

PAJE Prestation d’accueil du jeune enfant

PCH Prestation de compensation du handicap

PEA Potentiels évoqués auditifs

SAFEP Service d’accompagnement familial et d’éducation précoce

SESSAD Service d’éducation spéciale et de soins à domicile

SPN Surdité permanente néonatale

SSEFIS Service de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire

VSL Véhicule sanitaire léger.

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Annexe 1

Recherche-action « Entrée précoce en LSF » - Volet 2

Doter le secteur de la petite enfance de professionnels sourds

Par Marie-Christine David, directrice générale de l’EFPP Cela fait aujourd’hui plus de trente ans que l’EFPP permet à des personnes sourdes d’être qualifiées et diplômées dans le champ de l’éducation spécialisée. Les éléments recueillis de la première recherche conduite par l’EFPP, portant sur les trajectoires qu’ont pu suivre l’ensemble de ces professionnels, ont été exposés dans un rapport intitulé Ouvrir le travail social aux personnes sourdes publié aux éditions L’Harmattan en 2010. Présentés dans le cadre d’une journée organisée au Conseil régional d’Île-de-France la même année, les résultats de cette vaste enquête avaient pu mettre en évidence à la fois les « murs » et les « plafonds » de verre auxquels se heurtent les professionnels sourds dans leur évolution professionnelle. S’agissant du « plafond » de verre – et forts de cette expertise de plus de trente années – nous nous sommes engagés à y remédier en ouvrant, dès septembre 2011, la formation au Caferuis que nous dispensons aux professionnels sourds souhaitant évoluer dans leur carrière vers un poste de cadre. Si nous avons réussi, avec cette entrée en formation au Caferuis de professionnels sourds, à leur permettre de percer enfin ce « plafond de verre », restent encore les « parois » ou « murs de verre » toujours infranchissables pour eux ! C’est là que s’inscrit le volet n° 2 de la présente recherche : ouvrir la formation d’éducateurs de jeunes enfants aux personnes sourdes. C’est ainsi que, en accord avec le Conseil régional d’Île-de-France prêt à s’engager financièrement à nos côtés pour relever le défi inscrit dans la loi du 11 février 2005, nous avons, dès la rentrée de septembre 2012, accueilli en année préparatoire des candidats souhaitant s’orienter vers la formation d’éducateurs de jeunes enfants. Et en cette rentrée de septembre 2013 nous accueillons pour la première fois deux étudiants sourds souhaitant mettre leurs compétences au service du développement du jeune enfant.

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Annexe 2

Recherche-action « Entrée précoce en LSF » - Volet 3

Les outils éducatifs et pédagogiques Par Didier Flory, linguiste, ILSF, initiateur et concepteur du projet

Un projet original

Quand j’ai parlé à des amis de mon projet d’écrire des livres pour enfants, ceux-ci m’ont fait remarquer que la concurrence était rude et que des productions similaires, généralement de grande qualité, sortaient tous les jours. En effet, les parents ne manquent pas d’histoires à raconter le soir à leurs enfants, ce précieux « don de lecture » pour reprendre la formule d’Hervé Benoît. Quand j’ai précisé qu’il s’agissait d’une création s’inscrivant dans un projet plus vaste alliant recherche et action pour le bénéfice des petits enfants sourds, ils ont estimé alors que ce projet était sans doute unique. Il existe quelques DVD-Rom présentant des histoires adaptées en langue des signes, mais ils ne sont jamais accompagnés d’activités pouvant être exploitées en structure de la petite enfance, en classe ou encore à la maison. Les enfants entendants grandissent dans un environnement sonore ininterrompu. Ils reçoivent en permanence des informations linguistiques qui leur permettent de s’approprier la langue de leur mère (et de leur père) à une vitesse qui nous surprend toujours. Les bibliothèques sont remplies d’ouvrages qui leur sont destinés, adaptés à leur âge, à leurs goûts, et qui permettent à leur imaginaire de se développer : il n’y a qu’à se servir. On aimerait que les enfants sourds disposent d’autant d’outils en langue des signes, en complément des livres mentionnés ci-dessus que leurs parents peuvent toujours utiliser, afin de s’approprier aussi précocement la langue des signes. Les enfants entendants peuvent trouver un avantage à apprendre la langue des signes pour échanger avec leurs camarades ou proches sourds ou encore par simple curiosité (on ne connaît jamais trop de langues). J’ai souhaité publier rapidement ce premier ouvrage – Lucien, le petit poisson qui n’aimait pas l’eau – afin de donner une idée de ce que serait une collection d’ouvrages pour s’initier à la langue des signes. Mais je sais aussi que nombreux sont les parents, éducateurs ou enseignants qui attendent un tel ouvrage. Les subventions perçues par l’EFPP concernaient le volet 1 du projet (la recherche à proprement parler dont rend compte le présent rapport) ; il s’agit donc ici d’un investissement financier et en heures de travail personnel, avec le soutien de l’agence-O qui réalise la programmation des activités et de Dominique Lefilleul pour les illustrations, et la participation d’experts et comédiens sourds : Monica Companys, Clément Chapillon et Frédéric Frébourg. Il nous reste maintenant à trouver les fonds qui nous permettront de poursuivre ce travail, dont les premières présentations ont déjà fait l’unanimité quant à sa nécessité !

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Un objectif linguistique

L’objectif principal de cette première production est linguistique, parce que c’est une priorité dans l’absolu, mais aussi un préalable à la réalisation d’autres activités (il faut pouvoir comprendre la consigne et les messages signés), et enfin parce que la linguistique est ma spécialité. Il s’agit donc souvent pour les enfants de repérer des unités linguistiques et de les comparer. L’application se présente ainsi : En cliquant sur l’onglet en haut à gauche, on ouvre les pages d’activités. Les deux autres onglets permettent de passer d’une page à l’autre.

Voici maintenant trois exemples d’activités représentatives des différentes propositions que l’on retrouve le long des 150 activités du DVD-Rom : Dans cette première activité, un QCM de présentation très traditionnelle, l’enfant doit trouver le nom de Lucien en langue des signes ; la fenêtre la plus grande, en haut à gauche, donne la consigne en langue des signes (il faut cliquer sur « jouer » pour la lire), les trois réponses jouent sans qu’il soit besoin de les activer.

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En cliquant sur la caméra, l’enfant obtient l’extrait de la traduction en langue des signes de la page où se trouve la réponse (c’est la deuxième proposition – à noter que Frédéric est droitier, tandis que Clément est gaucher : leur main dominante, celle qui signe, est par conséquent différente).

Il s’agit donc pour l’enfant de repérer dans un énoncé un signe qui lui a été présenté, parmi trois. À noter qu’il y a une solution (la première réponse) qui forme une paire minimale avec la seconde solution : c’est-à-dire qu’elles ne se différencient que par un paramètre : la configuration. Or, c’est en comparant des mots qui se différencient par un seul phonème (voyelle ou consonne) que l’on identifie les phonèmes : si deux mots ont un sens différent et ne comportent qu’un phonème différent (« mère » et « père »), alors les sons, en l’occurrence /m/ et /p/, sont bien des phonèmes distincts. On trouve aussi une solution, la troisième, qui est le signe pour « sardine » et qui apparaît dans la vidéo. L’enfant doit deviner (ou comprendre a posteriori) que ce signe n’est pas le prénom, mais le genre de poisson : on trouve plus tard dans l’histoire une autre sardine. Cette autre activité a pour objet de repérer une suite de signes dans la vidéo et de constituer un petit énoncé de trois signes. Il existe beaucoup de dictionnaires en ligne, mais très peu d’applications abordant la syntaxe de la langue des signes. Il faut dire que l’ordre des signes, s’il est parfois imposé, reste souvent assez libre, et varie selon l’intention du locuteur. C’est pourquoi, dans cette activité, c’est l’ordre des signes de l’adaptation qui est demandé. Ici, Monica (elle dirigeait le tournage) et Clément ont choisi l’ordre suivant : « L’eau » (3) – « Lucien » (2) – « n’aime pas » (1). À noter qu’en passant sur le signe on l’agrandit pour une meilleure lecture.

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Un enfant entendant est confronté à de très nombreux locuteurs, avec des accents, des tonalités de voix, des niveaux de langue très variés. Les enfants Sourds rencontrent peu de locuteurs natifs de la langue des signes. La loi du 11 février 2005, si elle reconnaît la langue des signes comme langue française, prive, en favorisant la scolarisation dans l’école de leur quartier, les petits enfants sourds de l’opportunité de côtoyer leurs pairs plus âgés, comme c’était le cas lorsqu’ils étaient éduqués dans les grands instituts spécialisés.

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Cette activité consiste à comparer l’expression de deux « signeurs » (de surcroît l’un est gaucher, l’autre droitier), en reliant les signes identiques.

Une collection

L’un des atouts de ce projet engagé avec l’EFPP et soutenu par elle tient à ce qu’il propose une continuité allant des structures de la petite enfance à l’école maternelle. Il nous faut donc nourrir cette action en développant des histoires adaptées à l’âge et à l’évolution des enfants, des activités encore plus variées pour permettre la socialisation des enfants sourds, mais aussi le développement de leur langue, indispensable pour en apprendre d’autres (je pense surtout au français, naturellement) très rapidement et sur des bases linguistiques solides. Mais nous avons aussi un objectif quantitatif : le nombre et la variété des histoires, la multiplication des locuteurs figurant sur les vidéos, toujours Sourds, sont autant d’atouts pour accompagner les enfants sourds dans leur développement global. Les Sourds ne représentent pas un « marché », et c’est tant mieux. D’ailleurs, les éditeurs traditionnels ne s’y trompent pas et ne se précipitent pas pour développer des collections dédiées. C’est pourquoi nous sollicitons des financeurs pour poursuivre la recherche avec les éducateurs, les enseignants, les parents et nos experts, et imaginer des activités plus variées, plus ludiques avec des animations dignes des jeux vidéo qui rencontrent tant de succès auprès des jeunes (et des moins jeunes aussi). Ce projet ne se pose pas en opposition à d’autres choix d’éducation pour les jeunes (oralisme pur ou avec LPC). Mais il répond à l’urgente nécessité de combler un vide en matériel éducatif et pédagogique bilingue pour les parents ayant fait le choix du bilinguisme pour leur enfant sourd. Nous entendons le poursuivre, en collaboration directe avec l’équipe de l’EFPP, d’ores et déjà très engagée à travers les recherches qu’elle conduit elle-même sur le sujet de la surdité, et en y associant – comme déjà nous l’avons fait pour cette première réalisation – les étudiants EJE et ES, entendants et sourds, formés à l’EFPP.

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Révision et mise en page : Catherine Noël

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La recherche que nous avons entreprise souhaite contribueraux nécessaires prisesde conscience en la matière.

De la nécessitéde l’apprentissage précocede la langue des signesNicolas MURCIER, Naïma BOULET-MARCOUAvec la collaboration deMarie-Élisabeth HANDMAN et Maryvonne VANOYE

De la nécessitéde l’apprentissage précoce de la LSF

L’apprentissage précoce de la langue des signes française est une nécessité. Telle est la conclusion à laquelle est arrivée l’équipe de recherche de l’EFPP, après avoir travaillé pendant près de deux années sur l’accueil collectif et l’accompagnement des jeunes enfants confrontés à la surdité.

Pour qu’il atteigne son but, l’accueil de jeunes enfants sourds en milieu ordinaire prôné par la loi du 11 février 2005 requiert la présence simultanée de plusieurs enfants sourds parmi des enfants entendants, ainsi que la possibilité pour eux de rencontrer des adultes et des pairs « signeurs » en LSF, qu’il s’agisse de professionnel-les ou d’enfants, sourds ou entendants. Le bilinguisme au sein des établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE) apparaît dès lors comme une nécessité, tant pour les jeunes enfants sourds que pour leurs parents. Se pose alors la question de l’effectivité de la présence dans ces structures de professionnel-les sourd-es, mais également de leur accès aux formations professionnelles du secteur de la petite enfance, particulièrement à celles ouvrant aux fonctions éducatives. De plus, une sensibilisation de tous les étudiant-es et professionnel-les de la petite enfance à la surdité et à la LSF est souhaitable, puisque la maîtrise d’une base en LSF permet de répondre de meilleure manière à l’accueil de jeunes enfants sourds.

Il s’agit de pouvoir penser – et non panser – la surdité autrement que comme constituant seulement un handicap. La surdité est souvent décrite, désignée depuis l’extérieur comme une déficience à réparer. La réduire ainsi peut nous empêcher d’ « entendre » les revendications de la communauté sourde. On pressent comment la décentration d’une appréhension purement médicale et réparatrice de la surdité ouvre le champ des possibles et permet une autre approche de l’éducation des jeunes enfants sourds. C’est un enjeu majeur pour l’évolution des pratiques d’accompagnement, actuelles et futures, que de porter un autre regard sur la surdité. D’autant que, par contagion, cette « normalisation » de la surdité serait susceptible de s’étendre, bénéficiant ainsi à d’autres handicaps.

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ENTRÉE PRÉCOCE EN LSFRAPPORT FINAL DE RECHERCHE - SEPTEMBRE 2013

RAPPORT FINAL DE RECHERCHE - SEPTEMBRE 2013

ÉCOLE DE FORMATION PSYCHO PÉDAGOGIQUE

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