36
Antoine Destemberg – Agrégation interne (2014-2016) – Cours n° 2 1 L’ART DE LA GUERRE (1) : LES COMBATTANTS Dans son article de 1991 consacré au « combattant dans l’Occident médiéval », Philippe Contamine proposait de considérer « de façon approximative, les trois modèles de combattants […] correspond[ant] à trois phases de l’histoire du Moyen Âge occidental. La notion de peuple en armes [1 : le peuple en armes] appartient spécifiquement au haut Moyen Âge, la coïncidence entre pouvoir et fonction guerrière [2 : les combattants au pouvoir] est le propre de la société féodale, tandis que la première modernité a vu, avec une sensible croissance de l’État et des institutions publiques, l’émergence du soldat, du militaire de carrière [3 : profession : homme de guerre]. » Il s’agit, bien évidemment, de tendances globales qui peuvent et doivent être discutées, en posant notamment la question de la temporalité de ce cycle et de la succession des modèles. Car, si le modèle peut paraître séduisant, l’observation de la seule période de la fin du Moyen Âge – celle qui nous intéresse ici – montre que, dans le détail, cette succession n’en est pas véritablement une : même si l’on y recours de moins en moins, l’idée du peuple en arme n’est pas absente, voire sert à justifier des modes de recrutements autoritaires de la part des autorités royales ou princières ; si la féodalité des XIV e -XV e siècles n’est plus celle des XI e -XII e siècle – certains auteurs on parlé de « féodalité bâtarde » pour la période tardive – il reste incontestable que le pouvoir reste structuré autour de la notion de service et notamment de service armé du seigneur. Il faut donc éviter de considérer, dans une vision quelque peu téléologique, la période au programme comme un long cheminement vers les armées professionnelles. Dans cette perspective, on proposera d’observer la question du combattant en trois points : 1/ Qui sont ces hommes en armes, leurs équipement, armement et les effectifs ? 2/ Les modes de recrutements et de constitution des armées ; 3/ La question de l’encadrement militaire et de la cohésion de ces troupes. I. DES HOMMES EN ARMES De façon générale, les combattants se divisent en deux catégories, qui ne sont pas que militaires, mais qui reposent aussi sur des considérations sociales et politiques que l’activité guerrière vient révéler, ou du moins manifester : la cavalerie et l’infanterie. Le phénomène le plus essentiel qu’il convient immédiatement de souligner pour notre période est celui de l’inversion du rapport de force stratégique entre cavalerie et infanterie, ce que certains historiens ont qualifié – on l’a vu – de « révolution de l’infanterie ». A. La cavalerie : « gens d’arme » et « gens de cheval » Même si au cours de la période qui nous intéresse le rôle militaire de la cavalerie tend à diminuer, celle-ci reste longtemps dans l’imaginaire militaire de la fin du Moyen Âge, le cœur du dispositif combattant. Cette place se lit dans le vocabulaire même qui la désigne ou en dérive, et qui illustre également la forte dimension sociale de cette composante militaire : ceux que l’on nomme les « gens d’arme » ou « hommes d’arme », ce sont les cavaliers lourds, à laquelle appartiennent ceux qui se reconnaissent – dans un cadre idéologique sur lequel nous aurons l’occasion de revenir – comme appartenant à la chevalerie. Mais la

L’ART DE LA GUERRE (1) : LES COMBATTANTS...Brabant où, contrairement à ce qui se passe chez ses voisins, la cavalerie lourde est généralement majoritaire2. - En Angleterre, la

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 1

    L’ARTDELAGUERRE(1):LESCOMBATTANTS

    Dans son article de 1991 consacré au «combattant dans l’Occident médiéval»,PhilippeContamineproposaitdeconsidérer«defaçonapproximative,lestroismodèlesdecombattants […] correspond[ant] à trois phasesde l’histoireduMoyenÂgeoccidental. Lanotion de peuple en armes [1: le peuple en armes] appartient spécifiquement au hautMoyen Âge, la coïncidence entre pouvoir et fonction guerrière [2: les combattants aupouvoir]estlepropredelasociétéféodale,tandisquelapremièremodernitéavu,avecunesensiblecroissancedel’Étatetdesinstitutionspubliques,l’émergencedusoldat,dumilitairede carrière [3: profession: hommedeguerre].» Il s’agit, bien évidemment, de tendancesglobales qui peuvent et doivent être discutées, en posant notamment la question de latemporalité de ce cycle et de la succession desmodèles. Car, si lemodèle peut paraîtreséduisant,l’observationdelaseulepériodedelafinduMoyenÂge–cellequinousintéresseici–montreque,dansledétail,cettesuccessionn’enestpasvéritablementune:mêmesil’onyrecoursdemoinsenmoins, l’idéedupeupleenarmen’estpasabsente,voiresertàjustifier des modes de recrutements autoritaires de la part des autorités royales ouprincières; si la féodalité des XIVe-XVe siècles n’est plus celle des XIe-XIIe siècle – certainsauteursonparléde«féodalitébâtarde»pourlapériodetardive–ilresteincontestablequelepouvoirrestestructuréautourdelanotiondeserviceetnotammentdeservicearméduseigneur. Il faut donc éviter de considérer, dans une vision quelque peu téléologique, lapériodeauprogrammecommeunlongcheminementverslesarméesprofessionnelles. Danscetteperspective,onproposerad’observerlaquestionducombattantentroispoints: 1/Qui sont ces hommesen armes, leurs équipement, armement et les effectifs?2/Les modes de recrutements et de constitution des armées; 3/ La question del’encadrementmilitaireetdelacohésiondecestroupes.I.DESHOMMESENARMES

    Defaçongénérale,lescombattantssedivisentendeuxcatégories,quinesontpasque

    militaires,maisquireposentaussisurdesconsidérationssocialesetpolitiquesquel’activitéguerrièrevientrévéler,oudumoinsmanifester: lacavalerieetl’infanterie.Lephénomèneleplusessentielqu’ilconvientimmédiatementdesoulignerpournotrepériodeestceluidel’inversion du rapport de force stratégique entre cavalerie et infanterie, ce que certainshistoriensontqualifié–onl’avu–de«révolutiondel’infanterie».

    A. Lacavalerie:«gensd’arme»et«gensdecheval»

    Mêmesiaucoursdelapériodequinousintéresselerôlemilitairedelacavalerietendàdiminuer, celle-ci reste longtempsdans l’imaginairemilitairede la finduMoyenÂge, lecœurdudispositifcombattant.Cetteplaceselitdanslevocabulairemêmequiladésigneouendérive,etquiillustreégalementlafortedimensionsocialedecettecomposantemilitaire:ceux que l’on nomme les «gens d’arme» ou «hommes d’arme», ce sont les cavalierslourds,àlaquelleappartiennentceuxquisereconnaissent–dansuncadreidéologiquesurlequel nous aurons l’occasion de revenir – comme appartenant à la chevalerie. Mais la

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 2

    cavaleriemédiévalen’estpasque lacavalerie lourde,notammentà la finde lapériode: ilexiste également une cavalerie légère, que l’on nomme parfois – pour la distinguer des«gensd’armes»–des«gensdecheval».

    La cavalerie lourde est présente dans toutes les armées des espaces considérés, àquelques exceptions près – Suisses et Irlandais notamment – et durant toute la périodeenvisagée.Lesproportionsfurentcependanttrèsvariables,d’unearméeàl’autre,voireauseind’unemêmearméeouselonletypedeconfrontations.Defaçongénérale,notonsquela part de la cavalerie lourde fut beaucoup plus élevée en France ou en Brabant qu’enAngleterre,parexemple.

    -EnFrance,lesproportionsdépassentpresquetoujoursletiersdeseffectifsglobaux.ÀCourtrai en 1302, si l’on en croit les estimations fournies par Xavier Hélary, la cavalerielourde devait être composée de quelques 2000 cavaliers, tandis que la troupe devaitavoisiner 3 à 4 000 fantassins1. Il n’est pas rare que les hommesd’armes représentent lamoitiéouplusdeseffectifs totaux, surtoutaprès1350.Mêmetendancedans leduchédeBrabant où, contrairement à ce qui se passe chez ses voisins, la cavalerie lourde estgénéralementmajoritaire2.

    -EnAngleterre,laproportionestmoindreetvarieselonlesthéâtresd’opérationetlesstratégies adoptées: dès le début de la période, les armées d’ÉdouardIer atteignentrarement10%d’hommesd’armes,cequiestd’abordliéàlanaturedesguerresgalloisesetécossaises3.Laproportionestplusélevéepour lesarméesd’ÉdouardIIIenFrance,dans lecontextestratégiquedelaguerredechevauchéeetdeséchecsdel’infanteried’ÉdouardIer:oncompteainsijusqu’à40%d’hommesd’armeslorsdelacampagnede1359-1360.

    - Enfin, en Bourgogne, Bertrand Schnerb amontré que, sous l’influence anglaise, laproportion d’hommes d’armes diminue constamment entre la fin du XIVesiècle et ledeuxième quart du XVesiècle, passant de près de 80% en 1382 à environ 30% dans lesannées14304.

    Originellement, le recrutementde lacavalerie lourdeestentièrementaristocratique,l’homme d’armes, par essence, étant noble: c’est l’expression même de sa dominationsociale, et plus prosaïquement, c’est une condition sociale qui permet l’acquisition d’unéquipement sans cesse plus sophistiqué et donc plus coûteux (nous y reviendrons). Enréalité,danslapériodequinousoccupel’homogénéiténobiliairedelacavalerielourden’estplus aussi évidente: àCourtrai, sur les 2000 cavaliers,moinsde500devaient réellementêtrechevaliers,lesautressepartageantsentreécuyersnoblesousimpleshommesd’armes.Dès ledébutde lapériode,onobserveeneffetunedifférenciationsocialecroissante,plusou moins accentuée selon les pays, accompagnant l’apparition de différents types dechevaliers,distinguésenfonctiondeleurrangetdeleursrevenus.Onpeutainsidistinguer:- leschevaliersbannerets,dont l’originedutermeestpurementmilitaire.Ceterme,

    apparuenFranceaudébutdu XIIIesiècleetenAngleterrevers1240,est«attribuéauxseigneursqui,danslesarmées,avaientledroitd’avoirundrapeauàleursarmesde forme carrée ou rectangulaire: la bannière. La création et la diffusion duqualificatif de banneret furent avant tout un moyen pour les chefs d’armée

    1HélaryX.,Courtrai.11juillet1302,Paris,Tallandier,2012,p.73-74.2BoffaS.,WarfareinmedievalBrabant,1356-1406,Woodbridge,2004.3PrestwichM.,«EdwardI’sarmies»,JournalofMedievalHistory,37,2011,p.233-244.4SchnerbB.,L’Étatbourguignon,1363-1477,Paris,2005(1èreéd.1999),p.267.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 3

    d’articuler leurs troupes en un certain nombre d’unités regroupées autour desbannières»5 . Ce n’est qu’avec le temps que la dimension sociale devient plusimportanteet il faut icidistinguerentre laFrance–où lesbanneretsdésignent lesnoblesnontitrés,maisimportants–etl’Angleterre–oùilsenglobenttoutelacouchesupérieure,noblestitréscompris.

    - leschevaliers simplesoubacheliers: ilsdésignent leschevaliersadoubés,maisquinedisposentpasd’hommesàleurservicepourconstitueruneunitépropre;

    - lesécuyers, enfin, qui ne sont pas adoubés, et sont théoriquement au service deschevaliers,maisquisontparfoisaussiriches,voireplus,quecertainschevaliers.

    Dans tous les territoires envisagés, on observe dès le début de la période uneproportiongrandissanted’écuyersaudétrimentdeschevaliers:dans l’arméed’ÉdouardIercombattant à la bataille de Falkirk (1298)6, on comptait 111 chevaliers bannerets, pourenviron 600 bacheliers, et 1700 «hommes d’armes». Dans les armées anglaises de laguerredeCentAns,lapartdeschevaliersestpasséede20%aumilieuduXIVesiècleà10%àlafindusiècle,etellecontinueàdiminuerauXVesiècle.Cettetendanceestliéeenpartieaucoûtde l’équipement–etde laguerreengénéral–toujourscroissant,certains,mêmes’ilsenontlesmoyens,estimantlacontributiontroplourde.Elleestaussiliée–dumoinsàla fin du XIVesiècle et au XVesiècle –au fait que les couches supérieures de la noblessesemblentmoinsenclinesàguerroyeretquelerecrutementsefaitdeplusenplusauseindelapetiteetmoyennenoblesse [nousy reviendrons].EnAngleterre,estainsi instauréedès1242, ladistraintof knighthood, quioblige les gentilshommesayantun revenu suffisantàpayerunefortetaxes’ilspersistentàrefuserl’adoubement.Notonsainsiqueseuls21,5%desnoblesbourguignonssontadoubésen1474.

    Decefait,dèsledébutduXVesiècle,etsurtoutàlafindelapériode,lesdistinctionsentrebannerets,chevalierssimplesetécuyersn’ontplusvraimentcourt–entoutcasdanslecadredel’armée.Commel’amontréPh.ContaminedanssathèsesurlesarméesduroideFrance,lessoldesdeshommesd’armescommencentàêtreunifiéesaudébutduXIVesiècle

    etladistinctionbanneret/chevaliersimple/écuyerdisparaîtcomplètement–aumoinssurleplanfinancier–après13407.

    L’armementet l’équipementdeshommesd’armessont,duranttoute lapériode,enmajoritéàleurproprecharge.Pourunchevalier,cecoûtpeutêtreextrêmementimportant:pourunmembredelapetitenoblesse,ilpeutfacilementdépasserl’équivalentd’uneannéede revenus. Le cheval est dans une grandemajorité des cas, le poste de dépense le plusimportant,proportionnellementauxrevenus.Ladimensionsymboliqueetsocialeest, toutcommecelledesarmes,trèsimportante,etellen’estpasseulementguerrière.Ondistinguedeuxprincipaux typesde chevauxde guerre: le coursier et le roncin8. Le coursier, grandcheval de guerre, tend à remplacer ce que l’on appelait jusqu’au XIIe siècle, le destrier –Dextrarius vientdu faitque l’écuyer le conduisaitde lamaindroite–, sansque l’on sachevraiments’ils’agitd’unchangementderaceoùsimplementd’uneévolutiondesonusageet

    5ContaminePh.,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge.ÉtudessurlesarméesdesroisdeFrance,1337-1494,Paris,1972(réimp.2004),p.14.6Bataillequivoitladéfaitedel’écossaisWilliamWallace,enjuillet1298.7ContaminePh.,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge...8Schnerb B., «Le cheval et les chevaux dans les armées des ducs de Bourgogne au XIVesiècle», dansContamine Ph., Dutour Th. et Schnerb B. dir., Commerce, finances et société (XIe-XVIesiècles). Recueil detravauxd’histoiremédiévaleoffertàM.leProfesseurHenriDubois,Paris,PUPS,1993,p.71-87.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 4

    de son dressage. Le coursier se distingue par sa taille, sa vivacité, «son endurance et samobilité, ainsi que son noble port» 9 .Ce sont les montures les plus chères, souventréservées aux chevaliers bannerets. Elles firent l’objet de programmes d’acquisition etd’élevage,aumoinsenFranceetenAngleterre,dèslafinduXIIIesiècle:lesplusrecherchésvenaient d’Espagne ou des Pouilles. On se les procurait dans des foires spécialisées, parl’intermédiaire demarchands professionnels, parfois entre hommes de guerre,mais aussisous forme de prises de guerre10. À côté du coursier, on trouve un cheval de meilleurmarché, le roncin – que l’on substitua au palefroi –, davantage affecté au transport descharges et des hommes: plus petit et lourd, nombrede cavaliers n’ayant pas lesmoyensdevaients’encontenterégalementpourlecombat.

    De façon générale, les prix des montures étaient extrêmement variables.Généralementcomprisentre15et40livres,ilspouvaientatteindredesniveauxexorbitantsencasde fortedemandeen tempsdeguerre: selonPhilippeContamine,en1359, leprixmoyen des montures de chevaliers bannerets était de 206 livres tournois, celui desmonturesdeschevaliersbacheliersde109livrestournois,celuidesmonturesdesécuyersde57livrestournois11.Ilfautajouteràcelaquechaquecavalierdisposaitdeplusieurschevaux:aumilieu du XIVe siècle, la norme s’impose de requérir 2 chevaux par hommed’armeouécuyer,3pourlessimpleschevaliersetparfoisplusencorepourleschevaliersbannerets.Oncomprendque,dès ledébutduXIVesiècle,onconfectionnadesprotectionsaussipour leschevaux.Laperted’unchevalétaitparfoiscompenséeparlapratiquedurestor,c’est-à-direle remboursementd’unemontureperdue sur le champdebataille par l’employeur;maiscette pratique disparu dans troisième tiers du XIVesiècle12, car cela coûtait très cher auxseigneurs,sansêtrepourautanttoutàfaitefficace13.

    D’unpointdevuedel’armementoffensif, leshommesd’armesétaientéquipésdelalance,armed’hastparexcellence,composéed’unehampequipouvaitatteindre4à5mdelongetd’unferaubout.Portéesous lecoudeetsoutenuepar l’arrêtdecuirasse–partiemétalliquesaillante,généralementuncrochet,placéesurlacuirasseauniveaudelaplaquede torse sur laquelle reposait partiellement la lance – elle n’est pasdestiné à être lancéemaisàservird’armedechoc,pourl’estoc.L’épéeestl’autrearmeoffensiveprincipale,quirevêtenoutreunedimensionsymboliqueforte–duglaivesymboledepouvoiràl’épéedusacre. Il en existe unemultitude de formes (jusqu’à l’épée à deuxmains)14, mais le plusgénéralementc’estunearmelonguede90cmà1,20m,pesantde1à2kg,composéed’unelame droite à double tranchant permettant de frapper de taille ou d’estoc. La dague,couteau de lame plus courte que l’épée, permettait dans les combats rapprochés de

    9AytonA.,«Arms,armour,andhorses»,dansKeenM.H.dir.,MedievalWarfare:AHistory,Oxford,OxfordUniversityPress,1999,p.191.10SchnerbB.,«Lechevaletleschevaux…»,art.cit.,p.77-80.11ContaminePh.,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge.ÉtudessurlesarméesdesroisdeFrance,1337-1494,Paris,1972,réimp.2004,p.656.12EnAngleterreetenFranced’aborddanslesannées1370etenBourgogneàl’extrêmefinduXIVesiècle.13En 1340, par exemple, il aurait coûté environ 10000 livres au duc Eudes de Bourgogne. Mais certainshommesd’armesn’étaientenfaitjamaisremboursés.Ilacependantfallumettreenplacedesmécanismesdecompensations.EnAngleterre,parexemple, lapartdubutinréservéeauroiestpasséede lamoitiédutotaldesprisesàuntiers.14Surl’épée,voirlecataloguedelarécenteexpositiondumuséedeCluny:L’épée.Usages,mythesetsymboles,28avril-26septembre2011,Paris,2011.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 5

    chercherlesfragilitésdel’armure.Enfin,ilexisteunemultitudedemasses,hachesetfléauxd’armes,quisontdesarmesdechocdestinéesàdéfoncerlesdéfensescorporelles.

    Encequiconcernel’armementdéfensif,outrel’écu–d’environ60x70cm,iladopteuneformelégèrementconvexeetuneéchancrurepourretenirlalance–quifutdemoinsenmoins utilisé à partir du XIVesiècle, àmesure que les armures se perfectionnaient, il fautinsister sur les évolutions importantes de l’armure durant la période: alors que dans lapremière moitié du XIVesiècle, les armures sont, de manière générale, constituées deplaquesdemaille (principalement lehaubertou lehaubergeon,plus court)ne recouvrantquecertainespartiesducorps(leresteétantfabriquéencuir,parfoisagrémentédeplaquesmétalliques),ellessetransformentpeuàpeuenvéritablescarapacesfaitesentièrementdeplaques de fer, dans les dernières décennies du XIVesiècle. Au XVesiècle, cette armurecomplètedeplaquesestnommée«harnaisblanc»:elleprotègetouslesmembres,latêteet le tronc15. L’ancien heaume, lourd et imposant, est progressivement remplacé par lebassinet,aucoursduXIVesiècle,puisparlasalade(cf.exemplesduMuséedel’armée).Toutceci eu tendanceàunalourdissementprogressif de l’armure,mais lesprogrès techniquesquiintervinrentfirent,qu’encoreàlafinduXVesiècle,lacavalerielourderestaitunearmedechocpuissanteetredoutable.

    Àcôtéde lacavalerie lourde, ilexistaitaussiunecavalerie légère, faitede«gensdecheval», mais aussi d’archers ou arbalétriers montés, que l’on nomme «gens de traitsmontés». Le développement de cette cavalerie légère doit beaucoup à l’expérience despremières croisades,durant lesquelles la cavalerie lourdeavait subit lesharcèlementsdesTurcopoles, et se développe donc surtout dans l’espace méditerranéen. Pour autant, ontrouvedèsledébutdenotrepériodel’exempledescavalierslégersirlandais,utilisésparlesseigneurs gaéliques pour leurs coups de main et pour leurs raids: ils sont d’autant plusdéterminantstratégiquementqu’iln’yapasdecavalerie lourdeen Irlande.LesAnglais lesappelèrent les hobelars, du nom de la race de chevaux (hobbies) et les employèrentrégulièrement dans la premièremoitié du XIVe siècle, jusqu’à leur abandon au profit desarchersmontés.EnFrance,lesgensdechevalfontleurapparitiondansladeuxièmemoitiédu XIVesiècle: on les nommait «brigandiniers», «vougiers à cheval», «chevau-légers»,«demi-lances»ouencore«lancesdelapetiteordonnance»16.

    Mais le phénomène majeur de l’évolution de la cavalerie légère est l’importancecroissante,desgensdetraitmontés,notammentsousinfluenceanglaise.EnAngleterre,lesarchersmontésapparaissentdemanièresignificativedanslesarchivesàpartirde1334-1335etconstituentuneproportioncroissantedesarméesroyalesdèslespremièresphasesdelaguerredeCentAns17.IlfautattendreleXVesièclepourquelaproportiondegensdetraitsmontésaugmentesingulièrement,entoutcasenFranceetenBourgogne:«deuxfoismoinsnombreuxqueleshommesd’armesvers1400,deuxfoisplusnombreuxàpartirdesannées1430»18.Lerecrutementdesgensdetraitsmontésestplusvariéqueceluide lacavalerielourde:sonprofilestsouventnon-aristocratique,cequineveutpasdirequ’ilest issudescouches les plus défavorisées etmême si au XVesiècle, notamment, on trouve parmi eux 15Cf.parexempleJ.-P.Reverseau,«L’armementdéfensifàl’époquedeJeanned’Arc.L’armuredel’héroïne»,dansJeanned’Arc.Uneépoque,unrayonnement,Paris,1982,p.67-72.16ContaminePh,Laguerre…,p.245.17AytonA.,KnightsandWarhorses:MilitaryServiceandtheEnglishAristocracyunderEdwardIII,Woodbridge,TheBoydellPress,1994.18ContaminePh.,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge…,p.533.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 6

    une proportion non négligeable demembres de la petite noblesse. L’archermonté de laguerre de Cent Ans est par excellence un yeoman anglais, qui n’est pas membre del’aristocratiemaisdontleniveaudevie,surtoutàpartirdelafinduXIVesiècle,estsouventproche de celui de la couche inférieure de la gentry (petite et moyenne noblesse).Demanière générale, ces hommes à cheval sont beaucoup plus légèrement équipés que leshommes d’armes, ce qui constitue un élément fondamental pour l’accroissement de lamobilitédesarmées.Notonscependantque,d’unpointdevuestratégique,laplupartdecesgensdetraitsdémontentpourcombattreetdansunecertainemesure,viennentrenforcerleseffectifsdel’infanterie.

    B. Combattantsàpieds:«gensdepieds»Laplacedeplusenplusimportantepriseparl’infanteriedanslesconflitsdelafindu

    Moyen Âge a conduit certains historiens, et notamment Clifford Rogers, à parler de«révolution de l’infanterie». Il est indéniable que son rôle connaît une importancecroissante,cependantilconvientdesoulignerquel’infanterien’estpasuneinventiondelafinduXIIIesiècle–quel’onsongeenparticulierauxmilicescommunales,constituéesàpartirduXIIe siècle, et si décisivespourPhilippeAuguste àBouvines – et que, par ailleurs, sondéveloppement est inégal et irrégulier: en France par exemple, elle est beaucoup plusimportante avant 1350 et après 1450 qu’entre ces deux dates; enAngleterre, elle baisseconsidérablement après 1330. Il faut aussi relativiser son efficacité: Michael Prestwich asouligné que l’infanterie des armées d’ÉdouardIer, très nombreuse mais mal équipée etassez inexpérimentée,avaitsouventbrilléparsonabsencederésultats19.LesgensdepiedfrançaisnefirentpasvraimentleurspreuvesàCrécyouàPoitiers,oùilsfuirentrapidementlechampdebataille.PhilippeContaminepointe,à lafinduXVesiècleencore, l’indisciplinedes francs-archers de Louis XI responsables de la défaite deGuinegatte en 1480 – ce quiprovoquad’ailleurs leurdissolution.Cela étant, ce sont finalement surtout lesdimensionssociale, culturelle et politique du phénomène qui ont marqué, plus que leur dimensiontactique: c’est le fait que les gens de pied, des non-nobles, s’invitèrent de manièrecroissantedansl’exercicetantnobiliairedelaguerreet,pire,quepourlespremièresfoislacavalerie lourde se vit défaite par des armées presque entièrement piétonnes, comme àCourtrai(1302)20ouMorgarten(1315)21.Defaçongénérale,l’infanterie–composéedenon-nobles–separtageendeuxcatégories:les«gensdetraits»,archersetarbalétriers22,etlespiquiers et lanciers, munis d’armes d’hast (cf. Jean Froissart, Chroniques, mi XVe siècle,Paris,BnF,fr.2643,fol.60:«lesièged’Aubenton(1340)»).

    Lesarbalétriersontconnuundéveloppement importantdepuis lafinduXIIesiècle,même si cela vautdavantagepour le sudde l’Europequepournotre zonegéographique.

    19PrestwichM.,«EdwardI’sarmies»,JournalofMedievalHistory,37(2011),p.233-244.20LeseffectifsàCourtraifurentrécemmentrevusettendentànuancerl’imagedelavictoireflamande:ilestprobablequelescontingentsd’hommesàpiedsdanslesrangsflamandss’élevaientà8000ou9000hommes,auxquels il convient d’associer plusieurs centaines, voire un millier, d’hommes d’arme, à cheval. En face,l’arméeducomted’Artoisrassemblait2à3000cavalierset3à4000fantassins:Hélary2012,p.59-91.21La bataille de Morgarten (au sud de Zurich), le 15 novembre 1315, vit la victoire de l’infanterie desConfédéréshelvétiques composéed’environ1500hommes, face à l’arméeduHabsbourg, le duc Léopold Ierd’Autiche,composéed’environ3000hommes,dontuntiersdecavalierslourds.22Ouvragedesynthèseenfrançais:SerdonV.,Armesdudiable:arcsetarbalètesauMoyenÂge,Rennes,PUR,2005.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 7

    C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que le roi de France a utilisé autant lesarbalétriersgénois,desmercenairesréputésêtrelesmeilleursdanslemaniementdecettearme. On trouve toutefois, dans les rangs de l’armée du roi de France, beaucoupd’arbalétriers issus dans les villes (demême que les archers): dans la secondemoitié duXIVesiècle, CharlesV encouragea les villes à développer des compagnies d’archers etd’arbalétriers par des privilèges (généralement de nature fiscale). L’arbalète présentecependantuncertainnombred’inconvénients:elleestbeaucouppluslourdequ’unarc,cequi réduitquelquepeu lamobilité;parailleurs, ses traits (nomméscarreaux)sont longsàtirer,c’estd’ailleurspourcelaquedurantnotreépoque,lesarbalétrierssontdeplusenplussouventprotégéspardespavesiersouporteursdepavois(cf.JeanFroissart,Chroniques,miXVesiècle,Paris,BnF,fr.2644,fol.9:siègedeDurasen1377).Pourautant,c’estunearmepluspuissanteque l’arc,dont laportéepeuatteindre200m,etdont letirplustenduqueceluidel’arcpermetdetranspercercertainescuirasses.(Onvoitsurl’imagedeuxhommesutilisantdes«arbalètesàtour»,aveclesquellesonexercelatensiondelacordeparunjeudepoulies;ilexisteégalementdesarbalètesàétrier,àpieds-de-biche).

    Encequi concerne lesarchers, c’est surtout lecasdesarchersanglaisquidoitnousarrêter. On a longtemps affirmé que l’utilisation en masse des archers datait du règned’ÉdouardIer.L’historiographierécentearévisécepointdevue,etilestadmisaujourd’huiquecen’estqu’àpartirdurègned’ÉdouardIIIqu’ilsontjouéunrôleclé:certes,l’infanteriedes armées d’ÉdouardIer était très importante numériquement, mais n’était passpécifiquementcomposéed’archers23.AvecÉdouardIII,l’arméeanglaiseconstituedescorpsd’archers,divisésengroupesde20et100,généralementcommandéspardeschevaliers.Lesautorités se sont montrées d’autant plus soucieuses de leur formation que leur rôlestratégiqueétait grand: ainsi, enAngleterre,des tournoisd’archers sontorganisés, tandisqu’ÉdouardIV, dans les années 1470, interdit la pratique de certains jeux au profit del’entraînementàl’arc.

    L’efficacitédesarchersanglais fut longtempsattribuéeà leurarc, le longbow,unarclongdeprèsde2mètresetfabriquéenboisd’if,tandisqueles«arcsfrançais»atteignaient1,30à1,60metétaientfaitsdefrêne,d’érable,denoisetieroud’aubépine.Lelongbowfutl’undesatoutsmajeursdesAnglaispendantunebonnepartiedelaguerredeCentAns,aumoins jusqu’à la fin des années 1420. Son histoire a engendré de nombreux débatshistoriographiquesquiportentprincipalementsursadiffusionauseindesarméesanglaiseset sa réelleefficacité.Au sujetde sadiffusion, il est admisque le longbow existaitdepuislongtemps– ilestutilisénotammentpar lesGalloisauXIIesiècle–avantd’êtreadoptédefaçon partielle dans les armées d’Édouard Ier, puis de façon plus important sousÉdouardIII24. Mais les historiens – comme Matthew Strickland – tendent aujourd’hui àrevenir sur l’idée selon laquelle le longbow aurait totalement supplanté l’arc simple oushortbow. Quantà sonefficacité,elleest au cœurd’undébatqui aopposé leshistoriensKelly de Vries et Clifford Rogers25, ce dernier voyant dans cet arc, une arme «bien plus

    23PrestwichM.,«EdwardI’sarmies»,art.cit.24Ibid,p.238:MichaelPrestwich,arguedufaitquelacouronnenefaitalorspasd’effortssousÉdouardIerpourlesarcsetquedanscertainsinventaires,ilssontloind’êtremajoritaires.25VoirK.deVries,«Catapultsarenotatomicbombs:towardsaredefinitionof“effectiveness”inpremodernmilitary technology»,War inHistory, 4, 1997,p. 454-470et la réponsedeC.Rogers, «Theefficacityof theEnglishlongbow:areplytoKellyDeVries»,WarinHistory,5,1998,p.233-242,ainsiqueRogers2011.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 8

    efficacecontrelestroupesenarmuresquel’arccourtoul’arcmoyen.Bienqu’iln’aitpasétéunecausedéterminantede l’élémentanglaisde larévolutionde l’infanterie, ilacontribuésignificativementàcephénomène.Lessuccèsmilitairesanglaisdesannées1330-1350etdesannées 1410-1420 ne peuvent être expliqués de manière satisfaisante sans référence audéveloppementdel’arclong»26.Ilestcertain,entoutcas,quesonefficacitéfrappal’espritdescontemporains.

    Dernièrecatégoriedegensàpieds, lespiquiers, lanciersouautreshallebardiers.Ce

    typed’infanterieestcaractéristiquedescombattantsd’originemodeste,gensdemétiersdesvilles ou populations rurales. Bien qu’ils n’apparaissaient pas comme des combattantsprofessionnels, ilspouvaientse transformer,comme lesoulignePh.Contamine,«endépitde la rusticité de leur armement, en combattants redoutables, utilisant avec succès leurconnaissancedu terrain, leur solidaritéd’habitat,de clan,de tribu,degenredevieoudelanguecontredesarmées“régulières”techniquementmieuxéquipés»27.Ce fut lecasdesmilices flamandes,etde leurcélèbregoedendag,«unbâtonenboistrèssolide,surmontéd’uneplaquedemétaldanslaquelleestinséréeunepointedefertrèsacérée»28,unarmeassezrustiqued’1,30menviron,érigéeensymboledelavictoiresurleschevaliersfrançaisàCourtrai (cf. coffre de Courtrai). Il enestdemêmedes schiltromsécossais: ce termequiapparaît pour la première fois à propos de la bataille de Stirling en 1297, désigne uneformationdensedepiquiers,grâceà laquelle lesÉcossaisontbattu lesAnglaisàplusieursreprises.ÀStirling, lesschiltromsétaientdenaturedéfensiveetontpermisdecontenirlesvagues successives de cavalerie anglaise. Ils ont ensuite été utilisés demanière offensive,notammentparRobertBruce,de façonvictorieuseàBannockburnen1314.Enfin, l’arméesuisse, étudiée par John McCormack, était intégralement composée d’hommes à pieds,victorieuse, on l’a dit, d’arméesmontées (Morgarten en 1315). Durant le XIVe siècle, elleusaitprincipalementdehallebardes,unearmed’hastavecunferasymétriquecomposéd’unestoc et d’un tranchant. Au début du XVe siècle, furent introduites de longues piques de18pieds de long, comportant une hampe en frêne terminée par une pointe de fer, plusefficacepourladéfensecontrelachevalerie29.Lespiquierssemettaientenformationserréedite duhérisson. La compositiondes armées suisses suggèred’ailleurs, au XVe siècle, unetendanceà laspécialisationdescorpsd’infanterieavecdescorpsdepiquiers,qui formentune élites (environ 25%), des hallebardiers (environ les 2/3) et une petite protectiond’arbalétriers,puisd’arquebusiers(environ10%).Notons,pourfinirquelesarquebusiersneconcernentquel’extrêmefindelapériode,l’arquebusen’apparaissantquevers1470.

    En comparaisondes gens d’arme à cheval, l’infanterie resta durant toute la périodemoins bien protégée. Pour certains, l’absence de protection était d’ailleurs un choix, enparticulierlorsqu’ils’agitdeprivilégierlamobilité(c’estlecas,notamment,desarchersdesîlesbritanniques).Celaétant,beaucoupdegensàpied,généralementéquipésparlesvillesou les communautés dont ils dépendaient, portaient des chapeaux de fer (chapel ou

    26RogersC.J.,«ThedevelopmentofthelongbowinlatemedievalEnglandand“technologicaldeterminism”»,JournalofMedievalHistory,37(2011),p.341.27Contamine,Laguerre,p.169.28ChroniqueurgantoiscitéparXavierHélary,Courtrai….,p.85.29McCormackJ.,Onemillionmercenaries:Swisssoldiersinthearmiesoftheworld,Londres,1993,p.14.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 9

    cervelières),desgorgières,desboucliersetdeshaubergeons30.Certainesarméespiétonnes,commelesmilicesdesgrandesvillesflamandes,étaientsouventtrèsbienéquipées.

    C. LeseffectifsIl s’agit d’une des plus grandes difficultés pour les historiens, tributaires de la

    documentation: estimer les effectifs des armées. Nombre de petits rassemblements dequelques dizaines d’hommes, parfois moins, en dehors des armées constituées, sontrarement évaluables. Même pour les armées constituées, la tâche n’est pas simple: leschroniqueurs avancent souvent des chiffres fantaisistes, destinés à frapper le lecteur plusqu’àdonnerunnombreréaliste31.Lessourcescomptables,plusprécises,neconcernentquequelquesarmées,etsontsouventtardives.Notonstoutefoisquelquestendancesconcernantles «grandes» armées: d’effectifs assez élevés à la fin du XIIIesiècle et dans premièremoitiéduXIVe,onnoteunebaisseentrelami-XIVeetlami-XVesiècle(cequiestenpartieliéau creusement démographique, mais aussi à des préoccupations de transport etd’efficacité),avantderemonterdanslasecondemoitiéduXVesiècle–lesarméesdeLouisXIetdeCharlesleTémérairesontparticulièrementimposantes32.

    EnAngleterre,leseffectifsdesarméesd’ÉdouardIersonttrèsélevésdurantlesguerresgalloisesetécossaises:ilspeuventatteindre30000hommes.Enrevanche,ilssontmoindresdurant les campagnes françaises de la première phase de la guerre de Cent Ans,essentiellementàcausedestransports:ilsdépassentrarement10000hommesettournentplutôt autour de 5-6000 en général. Même les effectifs du siège de Calais, jusqu’iciconsidérés comme exceptionnellement élevés (plus de 30000 hommes), ont été nuancésrécemment33.Entoutétatdecause,iln’yapaseu30000hommesenmêmetempsdevantCalais en 1346-1347. Néanmoins, il s’agissait déjà d’une prouesse logistique que de fairetraverserautantd’hommesetd’équipementsparlavoiemaritime.AuXVesiècle,leseffectifsdesarméesencampagnessont rarementplus importants, saufpendant laconquêtede laNormandieparHenriV,oùilsdépassentles10000hommes.Enfait,aprèslaconquête,lescorpsexpéditionnairesdépassentrarementles2-3000hommes.Maislesgarnisonsanglaisesen Normandie jouent alors un rôle beaucoup plus important et fournissent nombred’hommespourlechampdebataillesibesoin.

    En France, les effectifs sont, pour le règne de Philippe le Bel, difficiles à estimer.Élisabeth Lalou suggère cependant qu’ils comptent probablement entre 5 et 10000hommes34;XavierHélaryarécemmentrevuleschiffresàlabaissedel’arméedeCourtrai:2à3000hommesd’armesetquelquesmilliersd’hommesàpieds.AumilieuduXIVesiècleenrevanche,lesarméesfrançaisessontplusimportantesquelesarméesanglaises–cequiest

    30Pégeot P., «L’armement des ruraux et des bourgeois à la fin duMoyen Âge. L’exemple de la région deMontbéliard», dans Guerre et société en France, en Angleterre et en Bourgogne, XIVe-XVe siècle, éd.Ph.Contamine,Ch.Giry-Deloison&M.H.Keen,Lille,1991,p.237-260.31VoirladiscussionpourCourtrai:HélaryX.,Courtrai….,p.73-74.32Notonsqueleseffectifsdesarméesdel’Occidentmédiévalrestenttoujoursmodiquesparrapportàd’autresespaces et d’autres périodes (les 350000 soldats que pouvait aligner l’Empire romain à son apogée parexemple),cequiestliéaumorcellementpolitique:ContaminePh.,LaguerreauMoyenÂge…,p.482-484.33LambertC.L.,«Edward III’ssiegeofCalais:areappraisal»,JournalofMedievalHistory,37(2011),p.245-256.34LalouÉ.,«Lesquestionsmilitaires sous le règnedePhilippe leBel»,dansGuerreet sociétéenFrance,enAngleterreet enBourgogne,XIVe-XVe siècle, éd.Ph.Contamine,Ch.Giry-DeloisonetM.H.Keen, Lille,1991,p.37-62.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 10

    logique,lesFrançaisétantenpositiondedéfenseursetpouvantmobilisersurleurspropresterritoires.SelonPhilippeContamine,unpicestatteintàlafindesannées1340avecpeut-être 60000 hommes sur l’ensemble du territoire du royaume enmême temps35.Mais labaisseestensuitenettedanslasecondemoitiéduXIVesiècle,pourtroisraisonsprincipales:labaissedémographiquesuiteàlaPesteNoire;lesproblèmesfinanciersdugouvernementroyal; l’évolution de la stratégie militaire. Ainsi, les armées permanentes de CharlesVcomptent environ 5000 hommes, auxquels il convient d’ajouter les effectifs issus dessemonces des nobles certaines années. Les effectifs ne deviennent impressionnants quesous le règne de LouisXI, même s’ils restent encore très variables. Certaines années,cependant, en particulier à la fin du règne, ils atteignent les 45000 hommes, chiffreconsidérablequipréfigurelesarméesduXVIesiècle36.

    En Bourgogne, à partir de la fin du XIVesiècle (moment où se développevéritablement la puissance des ducs Valois de Bourgogne), les effectifs peuventoccasionnellementêtreélevés,surtoutquandilestfaitappelauxmilicesurbaines–lachoseest cependant rare. Lors du siège de Calais de 1436, par exemple, l’armée a peut-êtrecompté 3000 hommes d’armes et 10000citadins37.Mais c’est sous Charles le Téméraireque les effectifs sont sans conteste les plus élevés avec plusieurs dizaines de milliersd’hommespourcertainescampagnes.

    Dans les autres entités politiques, plus petites, les effectifs sont beaucoup moinsimportants. Pour laBretagne de la premièremoitié du XIVesiècle, par exemple, FrédéricMorvan estime que les effectifs maximaux pourraient théoriquement atteindre2000hommes, mais qu’en réalité, ils dépassent rarement les quelques centaines38. LamêmeobservationvautpourleBrabantduXIVesiècle,étudiéparSergioBoffa:lesarméesdu duc, qui n’emploient que très peu lesmilices urbaines, ne dépassent pas non plus lesquelquescentainesdepersonnes39.

    Enfin,ilfautterminerenrappelantquecesestimationsneprennentpasencompteun certain nombre de non-combattants qui peuplent les armées: des serviteurs deschevaliers, aux techniciens, spécialistes et autres accompagnants de nature extrêmementvariée – sans même évoquer ici les constructeurs de fortifications ou les artilleurs, surlesquelsnousreviendrontplustard.Leurnombreatendanceàaugmenteravecledegrédesophistication des armées: dans les armées d’ÉdouardIer, par exemple, on compte denombreux ouvriers destinés à ouvrir des routes ou à construire des ponts (plus de1000recrutéspourlacampagnede1282)ainsiquedescharpentiers(350).Ilfautaussidessapeursetautresspécialistesdu travaildemiseendéfenseou inversementdesapede ladéfense,ainsiquedescharretiers,descuisiniers,desforgerons,desmonteursdetentes,desprostituées…sanscompterlesclercsquis’occupentdel’administrationetdelalogistiqueoudeleursdevoirsreligieux.

    35ContaminePh.dir.,HistoiremilitairedelaFrance,t.1:Desoriginesà1715,Paris,Puf,1992(2eéd.,1997),p.136etsuivantes.36Ibid.,p.232.37SomméM., «L’armée bourguignonne au siège de Calais de 1436», dansGuerre et société en France, enAngleterreetenBourgogne…,p.197-219.38MorvanF.,LaChevaleriebretonneetlaformationdel’arméeducale,1260à1341,Rennes,PUR,2009.39BoffaS.,WarfareinmedievalBrabant,1356-1406,Woodbridge,BoydellPress,2004.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 11

    II. LERECRUTEMENT

    Laquestiondurecrutementdesarméesestunthèmequiasuscitéune importantelittérature historiographique et qui apparaît d’une assez grande complexité, car différentsmodesderecrutementsviennentsouventsejuxtaposer,voiresesuperposer,sansquel’onpuisse véritablement parler de disparition de l’un au profit d’un l’autre. Il y a certes degrandes tendances, la plus notable étant l’importance croissantede la contractualisation;maiscelles-cisontsouvent lentesetadoptentdeschronologiesvariablesselonlesarmées,etnesontfinalementjamaisdéfinitivementétablies.Cesévolutionssontàreplacerdanslecontexteplus largede l’évolutionde la féodalitéà la finduMoyenÂge,marquéeparuneprésence plus forte des relations contractuelles (etmonétaires), aboutissant à ce que leshistoriensdésignentsouslenomdebastardfeudalismoudeféodalismed’État40:lesystèmeféodal ne disparaît pas, il se transformeen un système d’obligations, à la fois féodo-vassaliqueetcontractuel.

    A. Ledéclindel’ostféodaletlerecoursauservicesoldéTraditionnellement,laprincipaleobligationféodaleenmatièremilitaireétaitleservice

    d’ost.S’ancrantdanslesplusanciennestraditionsgermaniques,ils’agissaitd’unservicedûparlevassalàsonseigneur,unservicearmégratuitàlaseulechargeduvassal.Sapratiques’étaittoutefoisvueréglementéeaucoursduXIIIesiècle:enAngleterre,enÉcosse,commeenFrance(ÉtablissementsdeSaintLouis,vers1270),lesvassauxfurentastreintsauserviced’ostdurantseulement40joursparan, laprolongationduservicen’étantrenduepossiblequepar levolontariatduvassalouunerémunérationduseigneuràpartirdu41e jour.Unrachatétaittoutefoispossible:c’estcequ’onappellel’écuage,unecontributionfinancièrevenant se substituer àun service actif, déjà fréquent auXIIIesiècle. Lorsque les vassaux–notammentlesvassauxroyaux–étaientdesévêquesoudesvilles,ilsdevaientcontribuerenfinançantdeshommesd’armes.

    DèslasecondemoitiéduXIIIesiècle,leserviced’ostsemontretoutefoisdemoinsenmoinsadaptéauxguerresduroi: lourdàactiver–ilexistaitunemultitudedevariationduserviceféodal,certainsvassauxnedevant½ou¼duservicenormal–etpeuefficace–lescontingentséteintsouventpetits,peuexpérimentés–,troplimitédansletempsetparfoismême limitégéographiquement– lesvassauxétantdemoinsenmoins tenusdeservirendehorsdeleurrégiond’origine41.Defait,audébutdenotrepériode,leroiyrecourtdéjàdemoins en moins ou en l’assortissant, au moins en partie, d’une solde. Lors des guerresgalloises,parexemple, lesarméesd’Édouard Iersontmixtes,unepartie issuede l’ost,uneautrepartiesoldée:encoreàcettepériode, laplupart lesgrandsnoblesmettentunpointd’honneurà refuser lessoldesetcombattentà leursdépens42.Parexemple,audébutdesguerres écossaises et notamment pour l’expédition de 1300, 23 bannerets sur 87 sontsoldés. Ainsi la dernière levée d’ost en Angleterre a lieu en 1327: à cette date, la haute

    40LabibliographiesurcettequestionestimmenseetlesdébatsenAngleterreparticulièrementvigoureux.Pourunemiseaupointen français,voir J.-Ph.Genet,Lagenèsede l’Étatmoderne.Cultureet sociétépolitiqueenAngleterre,Paris,Puf,2003.41Ainsi,àpartirde1272,lesToulousainsrevendiquentdeneservirqu’àl’intérieurducomtédeToulouse;en1315,c’estautourdeChampenoisd’avoirlemêmetypederéclamation:ContaminePh.dir.,HistoiremilitairedelaFrance…,p.181.42Cequin’apasempêchélesguerresgalloisesdecoûtertrèscheràÉdouardIer.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 12

    noblesses’estelleaussiconvertieàlasolde.EnFrance,l’évolutionestsimilaire.En1272,laconvocationdel’ostparPhilippeIII–pourmeneruneexpéditioncontrelecomtedeFoix–estconnuparl’existencedelistesétudiéesparPh.Contamine:surles2750chevalierqueleroipouvaitespérer43, seuls672sesontprésentés,etauseindecesderniersprêtde40%étaientdeschevaliersremplaçantlevassalconvoqué44.LeroideFranceessaya,en1274,demettreenplaceunsystèmed’amendes,maissonefficacitéfutdemoindremesure:aveclescampagnesdePhilippeleBelenFlandre,lerecrutementstrictementféodalestdéjàdevenuminoritaire.Ilfauttoutefoissegarderdeparlerdedisparitiondeceprincipeféodal:ilresteemployétoutelapériode,enBrabantnotamment.

    Latransformationduserviceféodalenservicesoldéaboutiàlamiseenplace,danslesannées1280-1290,enAngleterrecommeenFrance(sousPhilippeleBel),ausystèmedelasemoncedesnobles. Il s’agit toujoursd’unserviceobligatoire,quiconcernetoutnobleetpossesseurdefief,âgéentre15et60ans,qu’ilsoitounonvassaldirectduroi.Justifiéparlanécessitéd’allégeanceauroi(enAngleterre,onlenommewritquantopotentiuspoteritis)etdedéfenseduroyaume(enFrance),sonnon-respectpouvaitconduireà laconfiscationdufiefetàlasaisieducorps.Maisencontrepartie–etc’estcequifaitdifférercesystèmeduservice féodal classique –, les nobles recevaient une solde dès leur premier jourd’engagement. En Angleterre, les statuts de Winchester (1285) imposèrent ainsi que lesnobles ayant des revenus supérieurs à 40£ à servir comme chevalier, et ceux ayant unrevenusupérieurà20£commehommesd’arme.Pourenrenforcer l’efficacité,Édouard IIétablit, en1324,quedans chaque comté, les sheriffs dressentdes listesdes chevaliers ethommesd’armedisponibles.Maiscesystèmeconnaîtrapidementlesmêmestraversqueleservice féodal: en 1342, Philippe VI autorisa ceux qui étaient convoqués à racheter leservice.Lesroisanglaisabandonnefinalementrapidementcesystème:ladernièresemonceanglaisedatede138545.En revanche,elleperdureenFrance jusqu’à la finde lapériode:Charles VII et Louis XI, alors même qu’ils mettent en place une armée permanente,recourentencoreàlasemoncedesnobles.

    Enfin, il convient d’évoquer la persistance du volontariat, qui apparaît en partiecommeuntraitdelaclassechevaleresque:commeleditPh.Contamine,cesontfinalementtoujours les mêmes milieux qui fournissent l’essentiel de la cavalerie lourde, et si lesmodalitésdeserviceschangentcertainstraitsdelamentalitéféodalerestent46.

    B. Leslevéesenmasse

    Lesobligations féodalesnepèsentpasuniquementsur lesvassaux:enthéorie,ellespeuventportersurtousleshommesde15(enAngleterred’aprèsleStatutdeWinchesterde1285) ou 18 (en France) à 60 ans, ou obliger ceux qui ne peuvent pas combattre (clercs,veuves)àverserdescompensationsfinancières,dèslorsqu’ilyamenacepourleroyaume. 43ContaminePh.,«PointsdevuesurlachevalerieenFranceàlafinduMoyenÂge»,Francia,4(1976),p.255-285:l’auteurestimeentre5et10000lenombredechevaliersdansleroyaumedeFranceen1300.44ContaminePh.dir.,HistoiremilitairedelaFrance…,p.179-181.45LewisN.B.,«Thefeudalsummonsof1385»,EnglishHistoricalReview,100(1985),p.729-746.46Cf. Ph.Contamine: «C’estpourquoionne saurait conclurede la seuledésagrégationde l’auxilium féodaltraditionnel, de plus en plusmarginalmême quand il s’agit d’une petite opération, à la faillite de la classechevaleresque au sens large: en France et en Angleterre, vers 1300, ce sont toujours les mêmes milieux,imprégnés des mêmes réflexes et de la mêmementalité, qui fournissent l’essentiel de la cavalerie lourde,même si lesmodalités de leur service et les bases juridiques etmorales des obligations auxquelles ils sonttenussesontassezlargementmodifiés»(LaguerreauMoyenÂge…,p.204).

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 13

    Ainsi,laconvocationdel’arrière-bans’apparenteàuneformedemobilisationgénérale.Sescaractéristiques changent cependant de nature durant notre période, et c’est un pointfondamental: on passe – pour schématiser – d’une mobilisation de type féodal à unemobilisationde typeétatique, cequi aévidemmentdes conséquencesessentielles sur lesplanssociauxetpolitiques.Maislàencore,lepassageestprogressif,nonlinéaireetvariableselonlesespaces.

    EnFrance, PhilippeIV convoque l’arrière-banaprès ladéfaitedeCourtrai, réactivantunenotiondéjàrencontréeauXIIIesiècle,maisdemanièreéparse.Après1302,l’arrière-banest régulièrement convoqué jusqu’à la défaite de Poitiers en 1356. Il est temporairementréactivéaudébutduXVesiècle,entre1410et1418,maisdanslecontextetrèsparticulierdelaguerrecivileArmagnacs-Bourguignons.Laplupartdesindicessuggèrentquel’arrièrebanasurtoutétéutilisépouramasserdel’argent.Unecompensationfinancièredesubstitutionau service militaire était fixée pour tout le royaume: en 1304, par exemple, 100feuxdevaientpayerl’équipementetlessoldesde4à6sergentsàpieds,pendant4mois,autauxjournalier de 2s. 6d.t. Il y avait donc «sinon mobilisation générale, techniquement etmilitairement impensable, du moins envoi par une foule de communautés, rurales ouurbaines,decontingentsauxdimensionsnaturellementvariables»47.Toutefois,cesystèmederecrutementn’estpassansdéfauts,etc’estcequiexpliquequ’iln’estplusutiliséaprès1356:ilnepeutêtreutiliséquedansdescasd’urgence–cequiempêchetouteprévisionàmoyen terme – et son revenu reste assez médiocre par rapport à d’autres formesd’imposition.Quantàsonefficacitémilitaire,ellen’estpastoujoursdémontrée.

    EnAngleterre,lesmobilisationsgénéralessontimportantesdèsleXIIesiècle.Ellessontdéfinitivement organisées avec la mise en place des commissions d’array (arroi) sous lerègne d’ÉdouardIer, à partir de 1282: des professionnels, généralement des aristocrateslocaux, sont nommés pour lever des troupes dans les comtés. Notons toutefois que lesrecrutés sont payés dès lors qu’ils quittent leur comté. Le problème du système estcependant,commedans lecasde l’arrière-ban,quelesrecrutésnesontpasforcément,nijoyeux de s’en aller à la guerre, ni compétents. En témoignent le nombre important dedésertions – et certaines défaites – pendant les guerres galloises et écossaises. Lescommissions d’array ne disparaissent pas sous ÉdouardIII,mais sont utilisées demanièreplus ciblée: on recherche, par exemple, les meilleurs archers que l’on recrutera par lesystèmedelaretenue(onyrevient).

    Àcôtédel’arrière-ban,ilfautégalementévoquerleslevéesdemilicesurbaines.Elles

    ontglobalementétéencouragéesdepuis leXIIIesiècle–notammentdansuneperspectivedéfensive–ettrèsutilisées,enparticulierparleroideFrance(contingentsdeses«bonnesvilles»48). Leurefficacitéest fonctionde laplusoumoinsbonnestructurationpolitiqueetsocialedelaville:ainsi,silesmilicesurbainesfrançaisessesontparfoisrévéléesinefficaces,commeàCrécyoùellesontfuilechampdebataille,àl’exceptiondesmilicesd’Orléans.Celaad’ailleursconduitCharlesVàrevoirsapolitiquedecompositiondesarméesenprocédant,à des recrutements plus ciblés, ainsi qu’à une promotion de la formation. Mais d’autresmilicesurbainesoururalessesontmontréesterriblementefficaces,commecellesdesvillesflamandes(trèspeupléesetsocialementstructurées)oudescommunautésruralessuisses.ÀlabatailledeCourtrai, l’arméeflamandeparvientàréunirenviron9000hommes,recrutés

    47ContaminePh.,LaguerreauMoyenÂge…,p.187-188.48ChevalierB.,LesbonnesvillesdeFranceduXIVeauXVIesiècle,Paris,1992.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 14

    principalement dans les milices de Bruges, Ypres et Gand. Le cas brugeois est le mieuxdocumenté (d’après des comptesmunicipaux assez précis)49. Il se composait: d’un corpsd’élitecomposéde320arbalétrierset160pavesiers–lesporteursdepavoisprotégeantlesarbalétriers–bienpayésetdivisésensectionsdirigéesparunconnétable;descontingentsdesmétiers,enproportiondeleurimportance,2à3000hommesdontl’efficacitéreposaitsur leur cohésion(à Bruges, les plus nombreux sont les tisserands); des patriciens, ilspeuventcombattreàcheval,maisleplussouvent,contribuentsurtoutfinancièrement.

    EnSuisse,lescommunautésmontagnardesquiformentlespremierscantonssuissesàlafinduXIIIesiècle,tousleshommesenâgedeporterdesarmessontcenséslefaire.Deslistes(rôles)sontd’ailleursdresséesaudébutduXVesièclepourrecensertousleshommesdevantleservice.Lamobilisationgénéraleestalorspossibledanslescasdeguerredéfensiveou de guerre offensive d’envergure. Pour les petites expéditions, il est fait appel auvolontariat,relativementbienpayé.Souvent,ontrouvedesgroupesd’hommesnonengagésmaisaccompagnantquandmêmelesexpéditions–cesontessentiellementdesjeunes50.

    C. Letriomphedurecrutementcontractuel:retenuesetendentures

    Latendancemajeuredelapériodeestcelledelacontractualisationdesrecrutements:des combattants, volontaires ouobligés, sont retenus à gages, selonunprincipe d’accordentre eux et le seigneur recruteur. Ces accords sont généralement formalisés par undocument, que l’onnomme lettre de retenue en Franceetendenture enAngleterre. Lescontratsderetenuesontemployéspar leroiautantquepar lesseigneurs,pourconstituertantdesarméesprivéesquepouralimenterlescampagnesroyales.

    Les lettres de retenue apparaissent dans les années 1340 et se généralisent dans ladeuxièmemoitiéduXIVesiècle.Plustardivequelesendenturesanglaises–onentrouvedèsles années 1270 –elles sont aussi un peudifférentes: comme le souligne Ph. Contamine,«leslettresderetenuefrançaises[…]n’ontpasl’apparenced’uncontrat,leursclausessontmoinsprécises,etsurtoutellesnefixentpasladuréedel’engagement:celui-ciselimiteàlaseuleduréeduprêt,c’est-à-dire,danslameilleuredeshypothèses,àunmois»51.

    Letermed’endenturevientdel’aspectdiplomatiquedudocument:rédigéendoublesurunemêmefeuilledeparchemin,chacundescontractantssevoitremettreunexemplaireaprèsquel’onacoupéledocumentendeux,defaçonirrégulièreetenformantdesdentsdescie(cf.lesystèmeduchirographe,permettant,encasdelitige,devérifierl’authenticitédel’acte).Lespremierscontratsd’endenturessontattestésdèslesannées1270etutiliséeslorsde campagnes galloises d’ÉdouardIer, mais le principe est peu utilisé lors des campagnesd’Édouard III, avantdedevenir lanormeauXIVe siècle: lesarmées royalesd’HenriV sontentièrement organisées par le système d’endenture. Il s’agit de contrats généralementtemporaires–laduréeàvieexistecependant–denatureréciproque(ousynallagmatique)engageant chacunedespartiesàdesdroitsetdesobligations l’unevis-à-visde l’autre. Leretainer voit ses obligations de service fixées préalablement, la durée et la nature descampagnesauxquellesildoitparticiper,lenombreetl’équipementdeshommesquidoiventconstituer sa «retenue». En contrepartie, le lord s’engage à lui verser une solde dont lemontantestfixé–etvariableselonquel’onsoitentempsdeguerreouentempsdepaix–,

    49HélaryX,Courtrai…,p.80-81,d’aprèsVerbruggen.50McCormackJ.,Onemillionmercenaries…,p.11-13.51ContaminePh.,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge…,p.64.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 15

    des avantages en nature (nourriture), et fixe aussi le dédommagement pour les chevauxperdus(restor)etlapartdubutinetdesrançonsquireviennentàsonretainer.Cepaiementestqualifiédefee,c’est-à-direunfief,mêmesicelan’aplusgrandchoseàvoiravecunfief:c’est en général une rente perçue sur un domaine du lord, mais qui n’est versée quependantladuréeducontrat.L’argentestdoncdevenulabasedecesystèmecontractuel,lamatérialisation des liens de «féodalité bâtarde». Pour autant, certains réflexes de laféodalitén’ontpasdisparus:ainsi,legoodlordship(«bonneseigneurie»)–quiprévoitquele seigneur apporte aussi protection face à la justice, facilite l’accès aux offices ou à uneterre –, est un aspect essentiel de cette «féodalité bâtarde», au point que certainesendenturesneprévoientmêmepasderétributionenargentauretainer,maisseulementcegoodlordship(etlesendenturessansfeesemultiplientauXVesiècle)52.

    Les lettres de retenue ou endentures impliquent une obligation tacite (parfoisexpriméemaispastoujours),fondamentalepourceluiquientreauserviced’unseigneur,deposséder sa propre retenue, c’est-à-dire des hommes à son service. Le principe de laretenue est donc un recrutement à plusieurs niveaux, où l’on cherche à retenir descapitainesquionteuxmêmeuneretenue.Cesretenuesontdestaillestrèsvariables:leplussouvent, les grandmagnats ont des retenues importantes, pouvant aller jusqu’à plusieurscentaines de personnes. Mais la plupart du temps il s’agit de quelques dizaines depersonnes, voir moins pour les seigneurs de moindre importance53. Cette diversité seretrouvedanslesstructuresdesarméesencampagne:en1359,parexemple,dansl’arméeanglaise,laretenueduprincedeGallescomptaitenviron1500personnes–unearméedansl’armée–côtoyantdenombreusesretenuesd’unedizainedepersonnesentout54.

    Le systèmede la retenue s’avère enfin un recrutement particulièrement efficace entempsdeguerre:latailledesarméesetladuréeduservicepeuventêtreprédéterminéesetajustéesselonlesbesoins;unbudgetpeutêtreconstruitetdesprovisionsadministrativessont possibles; le personnel et l’équipement peuvent faire plus aisément l’objet d’uncontrôle (système des rassemblements et des revues, voir ci-dessous); il est possible decoordonner des stratégies, par exemple en cas d’attaques multiples; enfin, le systèmepermetdemobilisertrèsrapidementunearmée.

    D. Lemercenariat

    Seposed’abordunproblèmededéfinition,danslamesureoùlagrandemajoritédessoldatsdelafinduMoyenÂgeestpayéepourfairelaguerre,nousl’avonsvu.Qu’est-cequidifférencie, dès lors, un soldat gagé, surtout lorsqu’il est volontaire, d’unmercenaire desderniers siècles du Moyen Âge? Philippe Contamine en a proposé une définition ens’inspirantdel’antiquisantYvesGarland:«“Lemercenaireestunsoldatprofessionneldontla conduite est avant tout dictée nonpar son appartenance à une communauté politiquemaispar l’appâtdugain”;bref, lemercenairedevra réunir la triplequalitédespécialiste,

    52Surlanotiondegoodlordship,voirHorroxR.,RichardIII:AStudyinService,Cambridge,1989.53Ainsi,mais celle de JeandeGandest exceptionnelle: 170 retainers par endenture en tempsdepaix, 500personnes en tant de guerre – cela est considérable. Les retenues«militaires» de Thomasde Lancastre audébutduXIVesiècle,oud’HenrideGrosmont,lebeau-pèredeJeandeGand,tournentautourde50chevaliers.CelledeNeville,àvoirsesobligations,compterait5-6personnesentempsdepaix,etunevingtaineentempsde guerre (sauf pour la guerre d’Écosse, àmoins qu’il ne recrute son armée au-delà de sa retenue). Et l’ontrouvedesretenuesencorepluspetitesauserviced’importantsgentlemen(mêmesicelaestplusrare).54AytonA.,KnightsandWarhorses…,p.31.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 16

    d’apatride et de stipendié»55. La plupart des historiens qui ont depuis travaillé sur laquestion ont globalement repris cette définition,même s’ils y apportent parfois quelquesnuances. C’est le cas, par exemple, de Michael Mallett pour lequel le changementfondamental en la matière doit être situé au XIIIesiècle, bien qu’il y ait déjà eu desmercenairesavant:c’estlemomentoùlemercenairecommencejustementàsedistinguerparsoncaractèreétrangeretsaspécialisation56.

    Laproportiondesmercenairesdans lesarméesesttrèsvariableselon les lieuxet lesmoments.Dans lapremièrephasede laguerredeCentAns, leurnombreestrelativementmodeste, même si les armées anglaises ont compté une proportion non négligeable deGasconsetdeGallois,parfoisdeBretonsetdeFlamands.Mais lerecrutementenmajoritérégnicoledespremièresdécenniesdelaguerredeCentAns, laisseplace,vers1350,àuneproportion croissante d’étrangers. Dans les armées françaises, on trouve des arbalétriersgénoisennombreimportant–etquandlesarbalétriersnesontpasGénois,ilsproviennentd’autresrégionsd’Italie,maisaussideProvenceet,deplusenplus,d’Espagne.DeGênesetdeCastilleviennentaussidesmarins.OntrouveaussiquelquesGallois(oncompted’ailleursdeuxGalloiscapitainesdecompagniessousCharlesV)etdesÉcossais57.Defait,lesgrandescompagniesdesannées1360ontdesoriginesgéographiquesassezvariées.Cela conduisitd’ailleurs CharlesV (nous le verrons) à homogénéiser ses contingents, non seulement auniveau du commandement, mais aussi au niveau des soldats (les seuls étrangers étantjustement des Gallois, en tout cas en ce qui concerne les hommes d’armes). Mais c’estsurtoutdurantcertainespériodesduXVesiècleque le roideFranceemploiemassivementdesmercenairesétrangers,etenparticulierdesÉcossaisdansledeuxièmequartduXVeetdesSuissesàlafindurègnedeLouisXI.

    Maisc’estassurémentducôtédesarméesdeCharlesleTémérairesqu’ilfautregarderpourcompterlaplusforteproportiondemercenaires:ellescomprennent,àpartirde1474,des contingents massifs de mercenaires, essentiellement anglais et italiens, alorsqu’auparavant,lerecrutementdesarméesdesducsbourguignonsétaitplutôtcentrésurlesdeuxBourgogneetsurlaPicardie.SelonPhilippeContamine,celaestliéàquatreraisons:- pourrenforcersesalliances,enparticulieraveclesAnglaisetlesMilanais;- pourobtenir leconcoursdetroupesdont iln’yavaitpas l’équivalentexactchez les

    Bourguignons(réputationdesarchersanglais,voiredescondottieri);- enraisondelaméfianceduducenverssespropressujets;- dufaitdelaréticencedesessujetsàs’engagerdanssonarmée58.

    Lesmercenairesavaientgénéralementmauvaise réputationauprèsde lapopulation,ce qui n’empêchait pas les chefs de guerre de recourir à leur service, certains étant plusprisésqued’autres.CesontdoncprincipalementlesÉcossaisetlesSuissesquitendirentàsespécialiserdanscetypedeservicearmé,etquel’onretrouvesurdenombreuxchampsdebataille.LesÉcossaiscommencentàs’exporteràpartirdelapremièremoitiéduXIVesiècle,dans le contexte des guerres anglo-écossaises qui ont profondément transformé l’Écossedans son rapport à la guerre. Ce sont d’abord les galloglasses (galloclaich), ces «soldatsmercenairesdesîlesoccidentalesd’Écosse,employéspardeschefsirlandaisafindeformer 55ContaminePh.,LaguerreauMoyenÂge…,p.205.56MallettM.,«Mercenaries»,dansKeenM.,MedievalWarfare…,p.209-210.57BillotM.,«LesmercenairesétrangerspendantlaGuerredeCentAnscommemigrants»,dansLecombattantauMoyenÂge…,p.279-286.58ContaminePh.,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge…,p.73.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 17

    le cœur d’une armée professionnelle»59, présents dès la secondemoitié du XIIIesiècle etplusencoreaprèsl’expéditiondesBruce,en1315-131860.Ilsfurentassurémentlesartisansde la résistance irlandaise à la supérioritémilitaire anglaise, au point que certains furentdurablement intégrés à la société irlandaise61. Puis, à partir de la seconde moitié duXIVesiècle, après les phases les plus violentes des guerres anglo-écossaises, les Écossais,furentdeplusenplusnombreuxàvenircombattresur lecontinent. Ilssontnombreux,audébutduXVesiècledans lesarméesdeCharlesVII62.Entre1418et1424enparticulier, ilssontplusieursmilliers, formantunvéritable corpsexpéditionnaire comprenant l’ensemblede lagammedescombattantset commandépardeschefsprestigieux,enparticulier JeanStuart,comtedeBuchan,etArchibald,comtedeDouglas.Pourautant,PhilippeContaminesouligne que «leurs résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances», leur seul faitd’armesnotableayantétélavictoiredeBaugéenmars1421.Surtout,cettearméeécossaiseestpratiquementdétruitelorsdelabatailledeVerneuil,enaoût1424.Aprèscedésastre,ontrouve encore des Écossais dans les armées de Charles VII, mais en nombre plus réduit(25capitainesdecompagnies,plussagardepersonnelle).Jusqu’auxréformesde1445-1448,ilsauraientreprésentéencoreentreledixièmeetlecinquièmedesforcestotalesduroi.Etonlesretrouveaprèslesréformes,d’unepartdanslagardepersonnelle,étoffée,duroi,etd’autrepart,dansune–parfoisdeux–compagniesd’ordonnances:500personnesenvironen1475dontunegrandepartieprocheduroi.Notonsqu’après1450aumoins,laplupartdecesÉcossais(maispastous)s’installentdéfinitivementenFrance.

    QuantauxSuisses,leurréputationsembleétabliedèsledébutduXIVesiècle,mêmesicen’estqu’aprèslabatailledeSempach(1386)qu’elledevientquasiuniverselle63:àpartirdesannées1370-1380,etplusencoreaprèsleursvictoirescontreleducdeBourgognedansletroisièmequartduXVesiècle, lesSuissesdeviennent lesfantassinsà lamode. Ilyadéjàquelques troupes suisses à Crécy, mais les engagements sont, durant le XIVesiècle,davantage de nature individuelle. C’est au XVesiècle que la demande s’accélèrevéritablement, et plus encore dans la seconde moitié du siècle. Les rois de France lesemploientdéjàoccasionnellement,parexempleen1453àBordeauxouen1465pendantlaguerreduBienpublic,où ilss’illustrentparticulièrement,selonCommynes,à labatailledeMonthléry64. Il ne s’agit plus là de petites troupes isolées,mais bien de recrutements decorps importants, effectués par contrat et que les dirigeants de la confédération tentent(avecplusoumoinsdesuccès)decontrôler.Celapouvaiteneffetreprésenterunvéritabledangersitropd’hommess’enallaientbattrelescampagnesétrangères,dégarnissantainsilaconfédération. Dès 1422, par exemple, la ville de Zurich interdit à ses hommes d’aller 59LyndonJ.,«TheScottishsoldierinmedievalIreland:theBruceinvasionandtheGalloglass»,dansSimpsonG.G.dir.,TheScottishSoldierAlbroad,1247-1967,Édinbourg-Maryland,1992,p.6.60VoiraussiDuffyS.dir.,TheWorldoftheGalloglass:Kings,WarlordsandWarriors in IrelandandScotland,1200-1600,Dublin,2007.61Degrandesfamillesdegalloglasses,commelesMacSheehiesoulesMacDowells,sontintégréesàlasociétéirlandaise, à tel point que lors de sa venue en Irlande en 1394-1395, RichardII traita certains chefs de cesfamillessurlemêmepiedquelesgrandsseigneursirlandais.62Pour ce qui suit, Contamine Ph., «Scottish Soldiers in France in the second half of the fifteenth century:mercenaries, immigrants or Frenchmen in the making?», dans Simpson G. G. dir., The Scottish SoldierAlbroad…,p.16-30.VoiraussiChevalierB.,«LesÉcossaisdanslesarméesdeCharlesVIIjusqu’àlabatailledeVerneuil»,dansJeanned’Arc,uneépoque,unrayonnement,Paris,1982,p.85-94.63McCormackJ.,Onemillionmercenaries...64Mais ils sont aussi présents dans des espaces situés en dehors des limites de la question (Italie, terresd’Empire).

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 18

    guerroyer sans la permission de lamunicipalité. Théoriquement, donc, un seigneur ou unÉtatsouhaitantengagerdesSuissesdevaitenfairelademandeàlaDiète.LouisXIsigneainsiuntraitéaveclaConfédérationen1474,selonlequelcettedernières’engageàluifourniruncontingent de 6000 hommes en cas d’agression du duc de Bourgogne en France ou enLorraine.Mais,enfait,leroicontourneaussicettecontrainteenfaisantsurtoutappelàdesvolontairesàtitreprivé–ilssontplusieursmilliersaudébutdesannées1380etlechiffrenecesse de croître après l’abolition des francs-archers en 1480. Le roi les utilise d’ailleurségalement à des fins d’entraînement, pour former ses propres piquiers et hallebardierspermanents.

    E. Arméesdemétieretcompagniesd’ordonnanceSilespremiersessaisdevéritablesarméespermanentessonteffectuésparCharlesV

    danslesannées1360,cesdernièresneconnaîtrontleurpremiervéritableessorquedanslasecondemoitiéduXVesiècle,ilexistecependantdesnoyauxdesoldatsservantdemanièrepermanente durant toute la période: les garnisons permanentes d’une part (nous yreviendrontenévoquantlaguerredesiègeetlesfortifications),maisaussilesmembresdel’hôtel du roi ou des grands seigneurs, qui, s’ils ne dépassent que rarement les quelquesdizaines de personnes, peuvent parfois atteindre, à la faveur d’une tendance àl’augmentationauXVesiècle,plusieurscentainesdepersonnes–lagardepersonnelleduducdeBedfordenFrance,parexemple,comprend100hommesd’armeset300archers.

    Le phénomène des armées permanentes proprement dites concerne surtout leroyaume de France, la Bourgogne de Charles le Téméraire et la Bretagne de la secondemoitiéduXVesiècle–cesdeuxdernièresayantsuivilemodèlefrançais65–maisestignoréenAngleterre(àl’exception,peut-être,delagarnisondeCalais).

    Comme l’a noté Philippe Contamine, le développement des armées permanentesconstitueun«faitdementalité».Selonlui,quatreconditionsdoiventêtreréunies:- «l’existence […] d’unités militaires qui subsistent indépendamment du

    renouvellementdeseffectifsenleursein»;- «de lapart despouvoirs, la volonté […], une conscienceaumoinsdiffusequedes

    troupes permanentes, soldées en temps de paix comme en temps de guerre,assurentunesupérioritéindiscutable[…];

    - «la présence, au sein […] de la population, de jeunes hommes envisageant unevéritablecarrière[…]»

    - «lamiseenplacederevenusréguliersetsuffisants[…]66.

    LapremièretentativedemettreenplaceunearméeprofessionnellerevientdoncauroiCharlesV,aprèslafaillitedePoitiers,ledésastredutraitédeBrétignyetlesravagesdesGrandes Compagnies. Il procède à une rénovation complète du système militaire, avantmême la publication des grandes ordonnances de 1373 et 1374. Dès 1363, les Étatsd’Amiensaccordèrentunsubsiderenouvelablepour l’entretiende6000hommesd’armespermanents. Le nouveau système est définitivement fixé par les deux ordonnances des16décembre 1373 et 14janvier 1374. En moyenne, le roi peut compter sur3500combattants permanents dans les années 1370, auxquels il convient d’ajouter des

    65SurlaBretagne,voirJonesM.,«L’arméebretonne,1449-1491:structuresetcarrières»,dansLaFrancedelafinduXVesiècle:renouveauetapogée,éd.Ph.ContamineetB.Chevalier,Paris,1985,p.147-165.66ContaminePh.,LaguerreauMoyenÂge…,p.300.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 19

    troupesd’arbalétriers,pluspetites(unecinquantained’hommesaumaximum).Lesclésdevoute du système sont les capitaines (on y reviendra), qui, pour chaque «route» qu’ilsdirigent–ungroupede100combattants–,sontenchargedurecrutementparlesystèmede la retenue. Échaudé par le problème des mercenaires et des grandes compagnies,CharlesVprivilégiaunrecrutementgéographiquerégnicolecomprenantessentiellementdeshommes venus du Languedoc, de Normandie, de Picardie, et surtout de Bretagne, àl’exception de deux compagnies galloises. L’idée était de donner une cohérence à cestroupes, régulièrement passées en revue. Mais après la mort de CharlesV, le systèmedisparaît,notammentenraisondelaguerrecivile.

    C’est avec Charles VII qu’une armée permanente est véritablement installée, sansdoute en partie en réaction aux méfaits des «écorcheurs». Elle accompagne, voiremanifeste,l’entreprisederedressementdel’autoritéroyaleentrepriseparCharlesVII,entre1445et1448,quiassumel’idéed’unmonopolerevendiquéde la légitimitédans l’exercicede la guerre 67 . Pour l’essentiel, il reprend les innovations de son grand-père en lessophistiquant 68 . Cette réforme s’articule en deux grands éléments: la création decompagniesd’ordonnanceetlacréationdescorpsdefrancs-archers–ilyeuégalementuneréformedusystèmedesgarnisons,quenoustraiteronsplustard.

    Lescompagniesd’ordonnancestiennentleurnomdufaitqu’ellefurentcrééesparlesordonnances de mars et mai 1445: CharlesVII installait 15 compagnies de 100 «lancesfournies» (1 homme d’armes, 2 archers montés, 1 valet, 1 page et 1 coutillier69), soit9000hommes au total et autant de chevaux. Philippe Contamine estime que tous lesÉcorcheursn’ontpasétéécartésetque lamoitiéàpeuprèsd’entreeuxaétéréintégrée.Ces compagnies doivent être logées dans des villes fermées (c’est-à-dire pourvues demurailles) et sont soldées grâce à la «taille des gens d’armes» – la bonne gestion ayantconstituéunélémentclédelaréussite.Leshommesd’armessonttousdesnobles,maisontrouveaussideplusenplusdenobles chez lesarchersmontés. Lapartdesétrangers, enparticulier celle des Écossais, n’est pas négligeable (sans compter la création d’un corpsspécifique d’Écossais auprès du roi). Les capitaines sont parfois de très grands seigneurs,bienque la royautéaitdans l’ensembleprivilégié lapetiteetmoyennenoblesse.Pour lesgrandsseigneurs,eneffet,c’est«unemanièrepoureuxdedisposerd’unesortedegardeducorps aux frais de lamonarchie, deplacer leurs vassaux, lesmembresde leurmaison»70.Pour les autres, les possibilités de carrière et de promotion sont réelles. Le nombre decompagnies d’ordonnances augmente considérablement sous Louis XI pour atteindre laquarantaine.

    Contrairement aux ordonnances, les francs-archers, créés en avril 1448, constituentuneréelleinnovationdeCharlesVIIetprocèdentd’uneréorganisationcomplètedusystèmedesmilicescommunales.Unarcherentraînéetéquipédoitêtrefournipour80feux,inscritpar un agent royal. Les francs-archers jouent un rôle important dans la reconquête, enparticulier en Normandie. Ils restent néanmoins dirigés par une hiérarchie nobiliaire: en

    67CharlesVIIréduitnotammentlaPraguerie(1440).68Maisvoirl’observationdePhilippeContamine:«Laréformede1445nefitquetraduiredanslesinstitutionsune réalité sociale déjà existante: bien loin d’avoir fait surgir ex nihilo l’armée permanente, elle eut pourpremier résultat–etpourpremièreambition–dedisperser lesgensdeguerreetd’endiminuer lenombredansunetrèsforteproportion»(ContaminePh.,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge…,p.532).69Le coutillier est un homme de pieds, équipé d’une arme d’hast que l’on nomme coutille ou «langue-de-bœuf».70ContaminePh.dir.,HistoiremilitairedelaFrance…,p.220.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 20

    1465,60%descapitainesdesfrancs-archerssontdesnobles,77%en1475.Ilssonttoutefoisdissous en 1480 après s’êtremal comportés lors de la bataille de Guinegatte. À la place,LouisXIinstitueuncorpsd’infanterierecrutédemanièrepermanente,etsurtout,faitappelauxSuisses.

    Lederniercasàévoquerestceluidescompagnies d’ordonnancebourguignonnedeCharles le Téméraire: il existe une bibliographie relativement abondante, dominée parBertrandSchnerb. Ilmontreque,durant les règnesdes troispremiersducsdeBourgogne,les armées «bourguignonnes» sont restées structurées de manière relativementtraditionnelle:lesducsontcontinuéàs’appuyersurlesobligationsféodales,toutenayantrecoursauvolontariat–etl’usagedelettresderetenues–etaumercenariat.L’essentieldescombattantsprovenaitdesrégionsbourguignonnesetpicardes.Mais,audébutdesannées1470, Charles le Téméraire décida de s’inspirer des compagnies d’ordonnance du roi deFrance, notamment pour s’assurer une structuremilitaire permanente et efficace dans salutte contre Louis XI. Le trois ordonnances de 1471, 1472 et 1473 organisent la nouvellearméedeCharlesleTéméraireencompagniesde100lancesde9combattants:«1hommed’armes,1coutillier,3archersouarbalétriersàcheval,1piquenaireàpied,1couleuvrinieràpied»71, soit un total de près de 20000 combattants. Selon l’ordonnance de 1473, cescompagnies étaient divisées en 4 «escadres», elles-mêmes divisées en 5 «chambres».Outrecechangementstructurelprofond,l’ordonnancede1473introduisaitunenouveautésupplémentaire: la présence massive d’étrangers, essentiellement des Anglais et desItaliens, mais aussi des Allemands des régions du Rhin. Enfin, il essaya d’équilibrer lesdifférentscorpsdecavaleriecommed’infanterie. Il fautcependantconvenirque leducdeBourgogne a connu davantage de succèsmilitaires avant cette réorganisation qu’après etquesonsoucid’efficaciténes’avéraguèrepayant:toutefois,pourPhilippeContamine,lesannéesd’échec1474-1477sontprincipalementliéesàseserreursmilitairesetpersonnelles,etnonàdessoucisdecohésion72.

    F.Laquestiondessoldes

    Deuxremarquesàproposdessoldes(noterqu’unouvrieragricolegagnealorsde1à

    1s.d.parjour):-Ilexisteunehiérarchiedesgagesquiveutquelarémunérationvarieenfonctiondela

    catégoriedecombattantsconcerné,lechevaliersbanneretétantlemieuxpayés–noterqu’ilaaussiunedomesticitéàentretenir–, leshommesde traitsétantenbasde l’échelledesrémunérations.MaisaucoursduXVesiècle,faceàlaprofessionnalisationdesarméesetàladiminutiondelaprésencechevaleresquedanslesrangs,lessoldessevoienthomogénéisées.C’estCharlesVIIqui instaure lepremier, en1438-1440,une solde identiquepour tous leshommesd’arme,suividesarméesanglaisesetbourguignonnesdanslesannées1470.

    - On constate également une tendance nette à l’augmentation des gages dans lesarmées françaises, alors que les gages dans les armées anglaises, tout au long des XIVe-XVesiècles,etbourguignonneauXVesiècle,sontremarquablementstables.

    71SchnerbB.,L’Étatbourguignon…,p.273.72Contamine Ph., «L’armée de Charles le Téméraire: expression d’un État en devenir ou instrument d’unconquérant? », dansAux armes, Citoyens ! Conscription et armée demétier, des Grecs à nos jours, dir.M.Vaïsse,Paris,1998,p.74.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 21

    Soldejournalière

    Chevalierbanneret

    Chevalier Écuyerouhommed’arme

    Hommedepieds

    Archer

    France73 1294 20s.t. 10s.t. 5s.t. 1s.t.

    1315-1320 15s.t. 1s.t. 1340 6s.-7s.6d. 2s.t. 1351 40s.t. 20s.t. 10s.t. 2s.6d. 1369 40s.t. 20s.t. 10s.t. 5à10s.t.1410 3s.4d.

    1440-1470 2s.8d. Angleterre

    XIVe-XVes. 2s.st.(soit12s.t.)

    1s.st.(soit6s.t.)

    6d.st.(soit3s.t.)

    3d.st.(soit1s.6d.t.)

    Bourgogne XVes. 40s.t. 20s.t. 10s.t. 5s.t.

    III. ENCADREMENTETCOHÉSION

    Nous avons effleuré – ou contourné – la question jusqu’ici et pourtant elle estfondamentale: que ce soit pour recruter cette variété de combattants évoquée, oumaintenir au sein de ces troupes diverses un ordre de combat et une discipline,l’encadrement militaire est primordial. Celui-ci recouvre différents domaines d’exercice,allantdurecrutementdeshommesaucommandementaucombat,ouencoreàl’intendanceàlajusticemilitaire.

    A. Organisationmilitaireetcommandement

    Ilestimpossibledeprésenterl’ensembledesdifférentesorganisationsmilitaires,selonles armées et les périodes. À défaut, contentons-nous de distinguer les trois principalesunitésmilitaires, en soulignant qu’en dehors de ce cadre principale, il existe demultiplescombinaisonspossibles:les«batailles»,les«compagnies»,les«lances»–maislàencorelevocabulaireemployén’estpasstrictementunifié.- Les«batailles»sontlesunitéslespluslarges,comptantparfoisplusieursmilliersde

    combattants. Ainsi, à la bataille de Crécy (1336), l’armée anglaise se divisée en3«batailles»,désignées sous lenomd’avant-garde, centreet arrièregarde: ellesétaientcomposéesde48retenues inégalesmenéesparautantdechevaliersbannerets, les9plusgrandesretenues,menéespardescomtes(earl)représentantàellesseulsplusde50%del’effectif74.Auexemple,àlabatailledePoitiers(1356),leseffectifsdela«bataille»ditedeNormandie, sous le commandement du dauphin Charles, duc de Normandie, était de1800hommes.MaisàpartirdumilieuduXIVesiècle,tantenFrancequ’enAngleterre,cette

    73Àtitredecomparaison,lesalairejournalierd’unouvrierqualifiéestde1s.6d.t.en1320,3s.6d.t.en1350etautourde4s.t.entre1380et1470.74AytonA.etPrestonPh.dir.,TheBattleofCrécy,1346,Woodbridge,BoydellPress,2005.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 22

    vaste unité de commandement tendit à disparaître au profit des d’unités plus réduitesnommées«compagnies»ou«routes».- L’ordonnancedeJeanleBondu30avril1350instituaitdoncdesregroupementsde

    taille inférieure nommés «grosses routes». Les termes «routes» ou «compagnies»étaient, stratégiquement parlant, globalement synonyme 75 . Ces «compagnies»constituaientleniveausecondaireetprincipal,celuiquiétaitdirigéparlescapitaines.Leurdimensionétait,jusqu’àlafindelapériode–etnotammentenFranceetenBourgogne–detaille très variable. Elles correspondaient le plus souvent aux hommes amenés par unseigneur, au moins jusqu’au développement des armées permanentes. Dans les arméesanglaises de la première phase de la guerre de Cent Ans, la taille des compagnies, quicorrespondait le plus souvent aux retenues des seigneurs, pouvait varier de plusieurscentainesd’hommesàunedizaine.LesarméespermanentesdeCharlesVétaientorganisésen«routes» (le termede«Compagnies»ayantacquis laconnotationpéjorativeque l’onsait dans les années 1360). Ces «routes» comptaient théoriquement 100hommes(rarement en pratique) et furent divisées, à partir de 1368, en 10 «chambres» (termeremplaçantles«montres»).DanslasecondemoitiéduXIVesiècle,lescompagniesanglaisesse montrent de taille beaucoup plus réduites que les compagnies françaises, etcorrespondent d’avantage à ce que l’on nomme des «montres» dans des arméesfrançaises.- Les compagnies d’une taille raisonnable, notamment dans les armées françaises,

    comprenaientdoncdessubdivisionsquel’onnommait la«montre»,dirigéeparun«chefde montre». À partir de 1368, et la première tentative de mise en place d’une arméepermanente par Charles V, on les désigne aussi sous le terme de «chambre»: c’estégalement le terme qui sera retenu ensuite dans les compagnies d’ordonnance deCharlesVII.- Enfin, la «lance» constitue l’unité la plus petite, constituée autour d’un homme

    d’arme,autrementditd’uncavalierenarmure–quiporteengénéralunelance.Soneffectif,làencore,estvariable:unelancepeutcomprendresimplementl’hommed’arme,sonpageet son valet; ellepeut comprendredavantagede valets,mais aussi, àpartir dumilieuduXIVesiècle,un,deux,voiretroisarchersouarbalétriersmontés.AuXVesiècle,enparticulier,les lances comprennent rarement moins de six personnes. On a notamment vu quel’organisation des armées permanentes de Charles VII ou Charles le Téméraires, auXVesiècle,reposaientsurcettestructuredebasedelalance:en1445,CharlesVIIinstallait15 compagnies de 100 «lances fournies» comprenant chacune 6 hommes (1 hommed’armes, 2 archersmontés, 1 valet, 1 page et 1 coutillier); tandis qu’en 1473, Charles leTéméraire établissait de compagnies de 100 lances de 9 combattants(1homme d’armes,1coutillier,3archersouarbalétriersàcheval,1piquenaireàpied,1couleuvrinieràpied)76.Évidemment,onnetrouvepasdelancesdanslescorpscomposésuniquementd’infanterie.

    En ce qui concerne le commandement, il va de soi que, dans les armées royales ou

    princières,c’est le roi ou leprincequiest lechef«naturel»de l’armée,qu’il soitounonprésentà la têtede l’expédition. Le roine sedéplacequepour lesexpéditionsayantuneimportance cruciale, y compris sur le plan politique. C’est le cas par exemple de l’arméeconduite par PhilippeVI, premier roi Valois, contre les Flamands révoltés en 1328, juste 75ContaminePh.,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge…,p.80-85.76SchnerbB.,L’Étatbourguignon…,p.273.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 23

    aprèssoncouronnement.Philippesouhaitaitparlàrenforcersalégitimitéenmontrantsonsoutien à l’un de ses grands vassaux. Cependant, tous les rois n’ont pas été enclins àcommanderdesexpéditionsmilitaires.Surtout,enFranceaprès ladéfaitedePoitierset lacapturedeJeanleBon–dontlarançonest,rappelons-le,fixéeà4puisà3millionsd’écus–lapertinencedelaprésenceduroisurlechampdebatailleestlargementremiseencause.EtCharlesVyrépondparlanégative,préférantorganisersonarméeàdistance.SiCharlesVIeffectuequelquescampagnesdanssajeunesse,larègleestbien,auXVesiècle,l’absenceduroisurlechampdebataille.MaisleroyaumedeFranceresteàcetégarduneexception:lesroisanglais–HenriVIdeLancastreexcepté– sontdeschefsdeguerre,demêmeque lesducsdeBourgogne–JeansansPeurestàlatêtedesestroupeàOthéeen1408,PhilippeleBonàMons-en-Vimeuen1421etGavreen1453,CharlesleTémérairemeurtsurlechampdebatailledeNancyen1477–et,demanièregénérale,lesgrandsprinces.

    Lorsque le roi n’est pas lui-même présent à la tête de l’armée, il peut déléguer lecommandement à des membres de son entourage proche, de sa famille: ainsi, PhilippeleBelconfia lecommandementdesarméesdescampagnesd’Aquitaine (1294-1295)àsonfrèreCharlesdeValois et cellede FlandreàRobertd’Artois77– cousindu roi etneveudeSaint-Louis–,quitrouvelamortàCourtrai(1302).Autreexemplecélèbre,lescampagnesetchevauchéesmenéespar«princenoir»,entrelesannées1355et1371,quin’estautrequelefilsainéd’ÉdouardIII,leprinceÉdouard,parailleursducdeGalles78.

    Le reste du commandement est entièrement aristocratique durant toute la période,

    mêmesi l’onconstate, làencore,certainesévolutionsauseinmêmede l’aristocratie.À lasuitedePhilippeContamine,onpeutcependantdistinguertroisprincipauxtypesdechefsdeguerre, qui existent durant toute la période mais dans des proportions extrêmementvariables–cesdernièressontengrandepartieaffectéesparlesmodalitésderecrutement:- «ceux qui, comme les capitaines des places ou des lieutenants généraux, sont

    librementchoisisparleroi;- ceuxquel’onqualifieparfois–nonsansquelqueanachronisme–d’«entrepreneurs

    militaires»etqui,telslescapitainesoulesseigneursayantconcluunaccordaveclui[…]ontétéenquelquesortereconnusouacceptésparlui;

    - ceuxenfin,telslesseigneursféodauxouleschefsdescontingentsurbainsarrivantàl’ostsuivisdeleurshommes,quis’imposentauroiouàsesreprésentants».

    On trouve ces principaux types tant au niveau du haut commandement qu’au niveau descapitaines.

    Hormisleroi, lesmembresdelafamilleroyaleetdelahautenoblessemonopolisentengénérallescommandementsimportants,parmilesquels:- les lieutenants du roi79: ils sont nommés dans un territoire spécifique – le plus

    célèbreestévidemment leducJeandeBedfordpour laFrance80. Ilsycommandentcertesles armées,mais ont aussi des pouvoirs juridiques très étendus qui en font les véritables

    77ToureilleV.dir.,Guerreetsociété(1270-1480),Neilly-sur-Seine,Atlande,2013,p.409.78Ibid.,p.348-349.79Sur les lieutenants,voirFowlerK.,«Les lieutenantsduroid’AngleterreenFranceà lafinduMoyenÂge»,dansLesserviteursduroiauMoyenÂge,Actesdu29econgrèsdelaSHMESP,Pau,1998,p.193-205.80ToureilleV.dir.,Guerreetsociété…,p.375.

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 24

    représentantsduroi.Danslamajoritédescas,cesontdesmembresdelafamilleroyale:lesfrèresdeCharlesV,parexemple,ontétélieutenantsàdiversesreprises,tel leducJeandeBerryquifutlieutenantduLanguedoc.Ilexistenéanmoinsderaresexceptions,notammentanglaises, à l’image de Robert Knolles, issu d’un milieu paysan aisé et ayant fait uneremarquablecarrièremilitaire,etquifutlieutenantduroiÉdouardIIIenFrance81.- le connétable: à l’origine (durant la période carolingienne), le connétable est le

    maîtredesécuriesetsonimportancegranditproportionnellementàcelledelacavalerie.EnFrance,ildevientréellementimportantàpartirdurègnedePhilippeAuguste.AuXIVesiècle,ilestleplusprocheconseillermilitaireduroietcoordonnel’armée:ildirigelesopérations,veilleauxaspectsmatérieletlogistiques.L’officecroîtenprestigedèslorsqueleroinepartpluslui-mêmeencampagne.Àl’exceptiondelasecondemoitiéduXIVesiècle(cf.BertrandduGuesclin,issudelapetitenoblessebretonne82),ilesttoujourstenuparlahautenoblesse.EnAngleterre,l’officedeconstableesthéréditaire(ilesttenuparlafamilleBohunjusqu’en1372parexemple)etsonimportancepolitiqueestmoinsgrande.- lemaréchal: ilestresponsabledel’organisation–etnotammentdurecrutement–

    de l’armée et du maintien de la discipline. C’est un office de commandement militairelégèrementmoinsprestigieuxqueleconnétable,maisquirestetrèsimportant.IlyenadeuxenFrance(s’y illustrèrentnotamment lesBoucicaut83)etunenAngleterre(EarlMarschal),qui est une charge héréditaire (famille des Mowbray après 1385). Les grands fiefs(Bourgogne,Normandie,etc.)disposentégalementd’unmaréchalpermanent,tandisqu’enAngleterreilexistedesmaréchauxtemporairesnomméespourveillerauxarméesrecrutéesparcontrat.Eneffet, le rôleprimordialdesmaréchauxest la responsabilitédes«montresd’armes», ces passages en revue des troupes recrutées, consignées dans des «rôles demontres», effectuées par les capitaines. Les maréchaux ont donc la responsabilité dunombreetde l’équipementdeseffectifs. Ilsontégalementunrôlede justicemilitaire,surlaquellenousallonsrevenir.- Lemaillon intermédiaireentre leurshommeset lehautcommandementestassuré

    par les capitaines de compagnies (au sens général du terme). Ils ont des responsabilitésessentielles,quecesoitdanslecadreduserviceduroioudeceluid’unseigneur,quivontaller croissantes au cours de la période, surtout avec le développement des contrats deretenues–carcesonteuxquipassentcontrat.Cesresponsabilitésconcernentaussibienlerecrutementetl’équipementdesgages,ladisciplineauseindeleurcompagnie,lemaintiende la cohésion que leur rôle dans les opérations militaires. Ce sont pour la plupart desnobles,dontbeaucoupsontrecrutésdanslamoyenneetpetitenoblesse.Commel’amontréPhilippeContamine,quiproposeuneprosopographiedescapitainesdeCharlesV,ilssontaucœurdelasociétémilitaire84.

    Ce premier inventaire ne fait pas le tour de toute la hiérarchie militaire et de lachaîne de commandement: il existait ainsi des officiers intermédiaires, ponctuellementdésignéspourdirigeruncontingentspécifique,commeleschefsdesarbalétriers.

    81Ibid.,p.411-412.82ToureilleV.dir.,Guerreetsociété…,p.346-348.83Ibid.,p.333-335:surJeanIILeMeingre,maréchaldeBoucicaut(1366-1421).84ContaminePh.,Guerre,Étatet sociétéà la finduMoyenÂge…, t.2,p.590-591; voirdemême,F.Bériac-Lainé et E. Ruault, « Guillaume-Sanche, Élie de Pommiers et leurs frères vers 1340-1360 », Cahiers deRecherchesMédiévalesetHumanistes,1,1996,p.207-227[http://crm.revues.org/2534].

  • AntoineDestemberg–Agrégationinterne(2014-2016)–Coursn°2 25

    B. Laquestiondelacohésionetdel’«espritdecorps»

    La question de la variété des recrutements militaires et de la chaine decommandementinviteàconsidérerlaquestiondelacohésiondesarmées.Sonimportanceestparticulièrementrévéléequandellefaitdéfaut:c’estparexemple longtemps lecasenFrance et probablement une des causes des défaites du milieu du XIVe et du début duXVesiècle. C’est sansdoute aussi undes facteurs desdéfaites anglaises des années 1440-1450.

    Danssathèsede1972,PhilippeContamineavaitdéjàinsistésurlaproblématiquedela«sociétémilitaire»,essentiellepourlacohésiond’unearmée.Ilvoyaitplusieursconditionsessentielles à son existence: une durée de service long, un taux de renouvellement destroupes limité, une activité soutenue dans des tâches exigeantes et l’existence d’une«consciencedegroupe»danslesmentalités85.Àpartirdecescritères,ildisting