l’Abbé Augustin Lémann - Satan contre Jésus

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  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Satan contre Jsus

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    Satan Contre Jsuspar labb augustin lmann

    Chanoine honoraire de la Primatiale Professeur aux Facults catholiques de Lyon.luniversit catholique revue publie sous la direction dun comit de professeurs des facults

    catholiques de lyon - imp. vitte, rue de la quarantaine, 18.

    Lhumanit, dans la personne dAdam, ayant t vaincue par Satan au paradis terrestre, taitdevenue, en vertu dune loi dont lcriture reconnat la justice, lesclave du dmon; avec dautant

    plus de droit que lAnge des tnbres navait point vaincu lhomme par violence et par oppression,mais par une ruse dont Adam pouvait et devait facilement se dfendre.

    Mais lhomme, bien que coupable, avait t sduit, la diffrence de lange qui avait pch par lui-mme. Aussi, tandis que la chute de lange avait t sans esprance, son chtiment instantan, sacondamnation ternelle, lhomme obtiendra misricorde.

    Un Rdempteur fut donc promis aux pauvres exils de lden et leur race, un Rdempteur qui nesera autre que le Fils mme de Dieu, son Fils consubstantiel et ternel.

    Satan sait que ce sera Lui, quil sincarnera, quil prendra place dans la famille humaine, pour lasauver, pour la lui ravir. Mais il ne sait que a. Sa connaissance est limite, incomplte, inacheve.Ce quil voudrait savoir, cest de quelle manire le Fils de Dieu pourra tre la fois Dieu ethomme, de quelle manire sa divinit se manifestera. Mais tout cela demeure cach ses

    regards, ses investigations. Absolument ignorant de lunion personnelle et secrte qui existeraentre le Verbe de Dieu et la nature humaine quil prendra, ce qui constitue le mystre de lunion

    hypostatique, impntrable toute intelligence cre, soit anglique soit humaine, sans une lumiresurnaturelle de la grce ; exclus aussi de la connaissance des circonstances spciales dans lesquellessaccompliront lIncarnation et la Rdemption, Satan ne sait avec certitude quune seule chose,cest que le Christ, qui doit le vaincre, sera le Fils consubstantiel de Dieu.

    Cette annonce surnaturelle, il la entendue, une premire fois, dans les rgions clestes, alorsquinvit par Dieu avec tous les anges adorer davance le Verbe incarn dans la nature humainecomme Mdiateur de Religion pour toute la cration, il rpondit par cette parole dorgueil : Nonserviam, Je ne servirai pas . Cette annonce surnaturelle, il la entendue une seconde fois, sous les

    berceaux mus de lden, quand, aprs la chute dAdam quil avait provoque, Dieu annona queson Verbe ternel sincarnerait non seulement comme Mdiateur de Religion, mais encore comme

    Mdiateur de Rdemption, et qu ce titre il craserait par le pied dune Femme, sa Mre, la tte duSerpent. Satan sait tout cela, mais rien de plus, par rapport aux mystres de lIncarnation et de laRdemption.

    I

    Quarante sicles ont pass depuis cette grande annonce, sicles durant lesquels le dmon est

    devenu le prince du monde, le dieu du sicle .

    Mais voici que lheure marque dans les dcrets divins pour la venue du Rdempteur va sonner. La

    plnitude des temps est accomplie ! Satan le devine. Car les oracles des prophtes relatifs au tempsde la venue du Christ, oracles consigns entre les mains de la Synagogue et devenus publics, Satanles connat, il les a entendus, il les a lus.

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    Mieux que les plus doctes rabbins, il constate que le sceptre est sorti de la tribu de Juda, que lessoixante-dix semaines dannes rvles Daniel touchent leur terme, que le second temple attendle Christ. Il se tient donc sur ses gardes ; il est aux aguets !

    Que cherche-t-il surprendre ?

    Ce quil cherche surprendre, cest lentre du Fils de Dieu en ce monde. Parmi les oraclesquil connat, il en est un, en effet, sur lequel il compte pour tre fix cet gard, le fameux oracleIsae relatif la Vierge. Isae avait ainsi prophtis : Voici que la Vierge concevra et elle enfanteraun Fils, et son nom sera Emmanuel, Dieu avec nous . Or la conception et lenfantement tant desfaits de lordre naturel, sont du domaine de la connaissance de Satan. Le dmon connat par sa

    perspicacit naturelle ce qui se fait corporellement. cette heure de lhistoire du monde, le regardde Satan plane donc sur tous les foyers de la Palestine, il pie, il veut saisir lentre du Fils de Dieuen ce monde ! Il sera du. Cest, en effet, lenseignement de la thologie que la conception duVerbe de Dieu dans le sein immacul de la Vierge Marie a t drobe, cache au regard inquiet delange dchu. La prsence de saint Joseph la tromp, en mme temps quune vertu divine

    limitait son regard. Il croit que la grossesse de Marie nest quun fait purement naturel. Lesrameaux du palmier protecteur, du juste Joseph, ombrageant la plus pure des vierges, ont servi devoile luvre cratrice de lEsprit saint : le Verbe sest fait chair, et Satan lignore.

    Mais voici que neuf mois aprs lIncarnation, par une nuit toile, au-dessus dune petite bourgadede Jude, retentit ce chant cleste : Gloire Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre auxhommes de bonne volont ! Cest la naissance temporelle du Fils de Dieu qui est annonce etchante par les anges. Satan prte loreille, il regarde, il aperoit de pauvres bergers se redisant lun lautre lannonce anglique : Aujourdhui, dans la ville de David, il vous est n un Sauveur, qui estle Christ, le Seigneur . Anxieux, il les suit : Serait-ce le Fils de Dieu qui vient dapparatre ? Levoici devant ltable de Bethlem. Quaperoit-il ? Dans une crche, entre deux animaux, un enfant

    petit de taille, ayant besoin du secours des autres, ne pouvant ni parler ni agir, un enfant qui nest enrien diffrent de ce qui caractrise en gnral les autres enfants . Satan se dit : Cest bien Bethlem que, daprs la prophtie de Miche, le Christ doit natre ; cest aussi sous la forme dun

    petit enfant que, daprs Isae, il doit apparatre. Mais si petit soit-il, sa divinit ne saurait manquerde resplendir de quelque manire. Et le voil qui examine. Or, dans la pauvre crche, pas lemoindre vestige de divinit. Au contraire, rien que des signes de faiblesse, rien que des infirmitscorporelles : Jsus pleure, il grelotte, il est emmaillot. Impossible, se dit Satan, que sous desdehors si humiliants le vrai et unique Fils de Dieu puisse se trouver !

    Lpiphanie succde bientt Nol. Tout Jrusalem est dans lmoi. Des rois venus de lOrient y

    ont apparu tout coup demandant adorer le roi des Juifs et annonant que son toile, une toilemiraculeuse, les avait guids. On nadore quun Dieu, se dit Satan, si ctait lui ! Et le voici denouveau anxieux, plus troubl que Jrusalem , invisiblement ml au cortge des mages qui serendent Bethlem. Ceux-ci se prosternent et adorent, et cette adoration ajoute encore au trouble deSatan. Mais le voil rassur. son instigation, Hrode a ordonn le massacre des Innocents . travers les ombres de la nuit, Jsus a pris la fuite, emport secrtement par Joseph. Est-ce que leTout-Puissant prendrait ainsi la fuite ? Jsus ne lest donc pas ! Le dpart mystrieux des mages,avertis en songe par un ange de ne pas rentrer Jrusalem, confirme Satan dans cette ide. Uneretraite aussi clandestine ne saurait son sens, tre attribue qu la honte de stre tromp sur ladivinit de Jsus.

    Les trente annes de vie obscure Nazareth contribuent encore davantage calmer les inquitudesdu dmon . Il se disait : Si Jsus tait le Fils de Dieu, ce Rdempteur qui doit bouleverser monempire, il ne se tiendrait pas si longtemps cach dans lobscure boutique dun artisan de Nazareth .

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    Et ce qui achevait dendormir totalement sa mfiance, cest que, durant cette longue priodede trente annes, aucun miracle ne signala Jsus la curiosit ou ladmiration. Tout ce queles vangiles apocryphes rapportent de contraire cet gard, doit tre relgu dans le domaine de lalgende, saint Jean affirmant positivement que le miracle de Cana fut le premier des miracles deJsus.

    Un jour pourtant, durant ces trente annes, les soupons de Satan se rveillrent avec effroi, cestquand Jsus, lge de douze ans, parut dans le temple de Jrusalem et quau milieu des docteursravis et tonns, il laissa parler son cur, ce cur, trsor de toute vrit, de toute science, de toutesagesse, en mme temps que de tout amour. Penche vers lui dans la stupfaction et ladmiration,cette assemble de Pharisiens et de Scribes se demande : Quel est donc cet enfant merveilleux ? Quelques-uns sont pensifs : les rponses et les interrogations de lenfant ont rappel que les tempsmarqus pour la venue du Christ sont accomplis. Mais une erreur, celle dun Christ politique etconqurant, qui doit mettre Isral en possession de lempire du monde, domine cette assemble. Lesrayons de lumire partis des lvres de lenfant, viennent sy briser et steindre. Les docteurs nontrien compris. Mais il en est un qui a compris pour eux, et cest Satan. Lui, il sait que cet enfant dedouze ans est le mme que celui dont les anges ont clbr la naissance et que les mages ont ador.

    Ses rponses et ses questions quil vient dentendre, lont encore plus surpris que les docteurs ! ilsouponne la Sagesse ternelle et il tremble. Mais voici quune circonstance inattendue vient calmerses apprhensions : Cest une humble femme qui sest approche de Jsus, en lui adressant cereproche ou plutt cette douce plainte : Mon Fils, pourquoi en avez-vous us ainsi avec nous ? Voilque votre pre et moi nous vous cherchions, tant tout affligs Lenfant sest humili. Il a reprissilencieux et obissant le chemin de Nazareth. Le voile dobscurit, un instant soulev, retombedurant dix-huit ans sur sa vie. Lenfer est rassur.

    II

    Jourdain, quest-ce qui tmeut et pourquoi tressaillez-vous, sables du dsert ? Cest quune voixsoudaine et puissante a retenti, criant tous : Faites pnitence, le royaume de Dieu approche ! Jean-Baptiste, le Prcurseur, est apparu. sa prdication, la Jude, la Samarie, la Galile se sont leves.Les foules se prcipitent. Jrusalem elle-mme est branle. Le sanhdrin envoie une dlgationavec cette question : Qui tes-vous ? tes-vous le Christ? et Jean-Baptiste a rpondu : Je ne le suis

    pas. Mais il en vient un aprs moi, qui est plus grand que moi, car il tait avant moi. Et je ne suispas digne de dlier les courroies de sa chaussure .

    Invisiblement ml la dlgation, Satan a entendu la rponse, et le trouble sest de nouveauempar de lui. Mais ce trouble se change bientt en terreur, lorsquil entend cette autre parole :Voici lAgneau de Dieu, voici Celui qui enlve les pchs du monde, car, en parlant de la sorte,Jean-Baptiste a dsign Jsus.

    Qui peut enlever les pchs, si ce nest Dieu seul ? Il est donc le Fils de Dieu ! Ce raisonnement,que lange dchu placera plus dune fois sur les lvres des Juifs et quil se fait lui-mme en cemoment, tait juste, et lange dchu a raison de trembler. Mais quel contraste sest produit soudain.Ce Jsus dont on vient de dire quil enlve les pchs du monde, voici quil est descendu dans leseaux du Jourdain, se mlant la foule des pcheurs et demandant humblement Jean-Baptistedtre admis, lui aussi, au baptme de la pnitence. Sil a besoin du baptme de la pnitence, sehte de penser Satan avec soulagement, cest quil nest pas le Saint des saints, il nest pas le Fils deDieu. Est-ce que le Fils de Dieu aurait besoin du baptme de la pnitence ? Il ne se doute pas,

    ange de lorgueil, que le Fils de Dieu stant incarn pour expier les pchs du monde, il fallait,avant cette expiation qui aura lieu au Calvaire, quil acceptt dabord ouvertement la charge de tousces pchs, quil en prit publiquement la responsabilit devant Dieu. Or, cest dans les eaux du

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    Jourdain, au jour de son baptme, que Jsus se prsente publiquement comme pcheur,comme pnitent au nom du genre humain. Satan a bien aperu lattitude du pcheur, et elle adissipa ses apprhensions; il ne croit plus que Jsus soit le Saint des saints, le Fils de Dieu. Mais cequil na pas vu, ce qui lui a chapp, cest lacte intrieur de Jsus acceptant dans le secret de savolont, devant son Pre, la charge de tous nos pchs. La substitution, figure par Jacob couvertdes habits dEsa, sest accomplie sans que Satan sen doute. Cest bien la voix de Jacob, avait

    murmur le vieil Isaac palpant son fils, cest bien la voix de Jacob, mais ce sont les mains, les mainsdEsa . Et une lumire divine dcouvrant alors Isaac lacte de Jsus dans le lointain des ges, sasubstitution la personne de tous les pcheurs, le patriarche mu avait entonn sur sa couche cechant prophtique dallgresse et de reconnaissance: Lodeur qui sexhale de mon fils est semblable celle dun champ fertile et bni du Seigneur ! Que les peuples vous soient assujettis, mon fils, etque les tribus vous adorent ! Mais aujourdhui, sur les rives du Jourdain, la scne sest agrandie.

    peine Jsus est-il sorti des eaux, que les votes du firmament souvrent, lEsprit saint en descendsous la forme dune colombe et, dans les hauteurs des cieux, retentit la grande voix qui disait :Celui-ci est mon Fils bien-aim en qui jai mis toutes mes complaisances !

    Pour le coup, Satan, peine rassur depuis un instant, est redevenu perplexe. La substitution de

    Jsus accomplie dans le secret de sa volont, lui a chapp. Mais il a vu le ciel souvrir, la colombeen descendre, il a entendu la voix qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aim. Cest donc le Fils! plus de doute possible. Mais bientt il se reprend, se disant lui-mme : Cependant quel fils ?Est-ce le Fils naturel, consubstantiel du Pre ? ou bien ne serait-ce quun fils adoptif, un de cesmortels privilgis comme jen ai tant vus dans lhistoire du peuple de Dieu ? Les princes dIsralne sont-ils pas appels dans la Bible des fils de Dieu ? David tait un fils de Dieu ; Ezchias, Josiasltaient aussi. Serait-ce de la sorte que Jsus est le fils de Dieu ? Il semble que oui. Car le vrai Filsde Dieu, son Fils naturel, consubstantiel, ne se serait pas plac comme pcheur, ainsi que Jsusvient de le faire, aux pieds du Baptiste. Entre le pch et Dieu, je le sais par moi-mme, il y a unabme. Cet homme qui vient de recevoir le baptme des pcheurs, nest donc pas le Fils de Dieu ! Ainsi raisonnait Satan pour se rassurer. Mais un instant aprs, voici quil se disait : Cependant leciel sest ouvert sur sa tte. La voix que jai entendue a dit : Celui-ci est mon Fils, non pas un filsadoptif, mais mon Fils bien-aim. La voix a mme ajout : en qui jai mis toutes mescomplaisances. Mais les complaisances de Dieu, en qui peuvent-elles se concentrer tout entires, sice nest dans son Fils naturel, consubstantiel. Il est donc le-Fils de Dieu !

    Tiraill de la sorte en sens contraire, parce quil ignore le mystre accompli de lIncarnation, cest--dire du Verbe de Dieu subsistant en deux natures, dont lune, la nature humaine, porteactuellement le fardeau de nos pchs , Satan ny tient plus. Son intelligence est bouleverse,dautant qu cette heure il rapproche de ce quil vient de voir et dentendre, tous les contrastes,toutes les oppositions qui, depuis trente ans, staient produites dans la vie de Jsus. Il a vu sa

    naissance annonce par les anges, suivie du miracle de ltoile et de ladoration des mages. Il a ttmoin que Simon, dans le temple, la appel le Salut de Dieu et que les Docteurs de la Loi sontrestes muets dadmiration devant sa sagesse. Il a entendu Jean-Baptiste lappeler Celui qui enlveles pchs du monde, et, maintenant, voici quune voix majestueuse, celle de Dieu mme, la

    proclam son Fils bien-aim. Tout cela incline Satan croire que Jsus est le Fils naturel de Dieu.Mais, dun autre ct, il la vu natre dans la pauvret, prsent au Temple comme pcheur, fuir engypte, obir une femme ; il la vu, il ny a quun instant, solliciter et recevoir le baptme de la

    pnitence ; demain il lapercevra dans un dsert sujet la faim, la soif, toutes les misres delhumanit. Or Satan, dans son orgueil, ne peut se rsoudre regarder comme Dieu celui qui,

    portant une nature tire dune masse soumise au pch, a t vu si souvent rduit au misrable tatdu dernier des hommes. Le voil donc incertain, indcis, inquiet, concernant lide quil doit se

    former de Jsus. Incapable de concilier des contradictions manifestes que la seule science de Dieuavait su concevoir et que sa seule puissance avait pu excuter, il faut cependant quil se tiredembarras, quil fasse cesser ses angoisses. Jusqu ce jour il na t quobservateur, sembusquant

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    depuis trente ans, pour surprendre, pour saisir, pour deviner. Dsormais cest dune manire plusdirecte, plus efficace, quil va sassurer si Jsus ne serait pas le Fils naturel de Dieu .

    III

    Quel moyen Satan emploiera-t-il ?

    Un seul, mais redoutable, et dont il usera successivement comme Serpent et comme Lion, doublednomination qui lui est affecte par lcriture, conformment sa manire dagir, Satan emploierala question.

    Quest-ce donc que la question ?

    Questionner quelquun, cest dabord linterroger laide de la parole, pour apprendre de lui ce quelon a intrt ou ce quon est curieux de savoir. De tous les voiles dici-bas, aucun ntait plus apteque la parole, avec ses inflexions, ses grces, ses contours, dissimuler les artifices du serpent, son

    adresse insinuer, son venin cach et dun si terrible effet. Cest par la parole, en lui posant desquestions, que le Serpent, dans lden, avait prvalu contre Adam. Ce moyen lui ayant russi, il vale reprendre contre Jsus-Christ :

    - Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent pains.

    Jsus est au dsert, affaibli par un jene de quarante jours. Le moment est donc bien choisi : unhomme qui a faim nest-il pas demi vaincu ?

    Si tu es le Fils de Dieu ! Pourquoi cette manire de sexprimer dans la bouche du Serpent, sinonparce quil sait que le Fils de Dieu doit venir ? Mais il ne pense pas quil soit venu, quil soit l,

    devant lui, cause des signes de faiblesse, de dfaillance, dinfirmit corporelle que prsente Jsus cette heure.

    Et cependant le Serpent nest pas rassur, car aprs avoir dit : Si tu es le Fils de Dieu, il ajoute : Disque ces pierres deviennent pains . perfide habilet du Serpent ! Il na pas dit Jsus : Change ces

    pierres en pains, mais dis que ces pierres deviennent pains. Ah ! Cest quil sait que le Fils de Dieuna pas besoin de faire, mais simplement de dire pour oprer des prodiges. Il sait que la crationentire est luvre non de laction, mais dun simple commandement de Dieu. Et cest pourquoi siJsus, cdant cette perfide tentation, avait dun seul mot, dun seul fiat, chang les pierres en

    pains, le Serpent et pris la fuite, certain quil et t de se trouver en prsence du Fils de Dieu, deCelui qui, dune parole, avait cr le monde .

    Mais Jsus a rpondu : Il est crit que lhomme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parolequi sort de la bouche de Dieu .

    Rponse simple, tire de lcriture, elle vient percer le Serpent comme dune flche . En mmetemps quelle rappelait la dignit de la personne humaine, elle restait muette sur la divinit de Jsus.

    Le Serpent na rien dcouvert. Mais il ne se tient pas pour battu, et, dans des circonstancesparticulirement dramatiques, il va poser Jsus une seconde question.

    Alors, dit lvangile, le dmon saisissant Jsus entre ses bras le transporta la ville sainte et ledposa sur le pinacle du Temple .

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    Grand Dieu, est-ce possible ? Jsus, lui que les anges adorent, lui qui est la saintet par essence etque la plus pure des vierges nest pas mme digne de toucher, Jsus serr entre les bras immondesde Satan, port sur les ailes de lange dchu, est-ce possible ? Oui, oui, tout est possible son amour

    pour nous. Mais quelle tait donc, en ce moment la pense de Satan ? Il se disait : Si cet homme estle Saint des saints, le Fils de Dieu, il repoussera mon attouchement avec horreur et se dcouvrira .

    Une fois de plus lhumilit et la patience de Jsus le rendirent impntrable. Le souffleempest de Satan passa sur son visage : dune manire rapide, invisible, il se trouva

    transport, travers les airs, sur lepoint le plus lev du Temple. Satan ly dposait pour leprovoquer, Jsus se laissait faire pour le vaincre .

    Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, lui dit alors le Serpent, car il est crit que Dieu a confiaux anges la garde de tes voies .

    Mais, Serpent, puisque tu te fatigues dcouvrir si cet homme est le Fils de Dieu, pourquoi nelinvites-tu pas plutt monter au ciel ? Monter, nest-ce pas le propre de Dieu ? Si tu es le Fils deDieu, monte au ciel ! Ah ! il sen garderait bien, rpond un Pre de lglise. Devenu lennemi du

    ciel depuis quil en a t prcipit, il nose pas, mme en tentant les hommes, leur insinuer demonter au ciel. Son uvre lui est de les entraner en bas, de les prcipiter, de les faire tombercomme il est tomb lui-mme le premier de tous : Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas !

    Cest encore par un texte de lcriture que Jsus rpondit : Il est aussi crit : Tu ne tenteras pas leSeigneur ton Dieu . Ctait Satan : Oui, Dieu a ordonn ses anges de conduire le juste dans sesvoies, mais non vers les abmes o il sexposerait volontairement tomber. Si tu appelles voie le

    prcipice, cest le chemin que tu as suivi ; ce nest point celui que je dois prendre .

    Pour la seconde fois, le Serpent na rien dcouvert.

    Non seulement il na rien dcouvert, mais parce que Jsus avait refus de faire les deux miraclesquil lui avait demands et quil stait laiss transporter sans opposer la moindre rsistante, ilattribue la faiblesse de lhomme et limpuissance dun infrieur ce qui ntait toujours quunmiracle de la patience et de lhumilit de lHomme-Dieu. Il se persuade donc que Jsus nest rienquun simple homme , et le prenant de nouveau entre ses bras, il le transporte sur la cime dunehaute montagne, do lui indiquant tous les royaumes de la terre avec leur gloire , il lui dit : Eh

    bien ! Je te donnerai cette immense varit de royaumes si, te prosternant devant moi, tumadores . Par cette proposition qui fait frmir, son dessein tait de pousser le Sauveur une telleextrmit quil ne lui fut plus possible de se cacher. Sil est le Fils de Dieu, se disait-il, il entendrama proposition avec une telle horreur quil se dcouvrira, exigeant que je ladore lui-mme comme

    mon Crateur et mon Seigneur .Vade Satana, Retire-toi Satan, car il est crit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras quelui seul. La voix du Sauveur a chang de ton. Lorsque le diable lui avait dit : Si tu es le Fils de Dieu,dis que ces pierres deviennent pains! Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, cest avec unemajest pleine de calme que Jsus avait support linjure de cette double tentation, sabstenant degourmander le tentateur ; mais lorsque celui-ci ose revendiquer les honneurs divins, Jsus sindigneet cest avec un ton de mpris et dhorreur quil le repousse : Vade Satana, Retire-toi Satan !enseignant, cette fois, que lorsquil sagit des injures faites Dieu, il ne faut pas mme vouloir lesentendre.

    Et le Serpent a disparu : Ctait pour questionner Jsus par la parole, afin de dcouvrir sil tait leFils naturel de Dieu quil tait venu ; mais Jsus a rpondu avec une telle prudence et une tellesagesse que le Serpent na rien dcouvert. Le voil aussi embarrass, plus embarrass

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    quauparavant .

    IV

    Ce fut aprs cette dfaite de Satan, au dsert de la Tentation, que Jsus commena son ministre

    public. Il dura trois ans.

    Toutes les bourgades, toutes les villes de la Palestine le virent alors transformer les choses, enchanger la nature par sa seule volont, marcher sur les eaux, apaiser la mer, arrter les vents, gurirles maladies, commander la vie et la mort. En mme temps que de tels prodiges publiaient sadivinit, la saintet de sa doctrine frappait dadmiration, car il parlait des choses du ciel commequelquun qui y habite. Le Serpent suivait, observant et coutant. Or un jour vint o il fut contraintde se dire : Cest bien le Messie, le Christ promis dans la Loi. Sur ce point, plus de doute possible,car tous les signes, tous les caractres annoncs par les prophtes, il les accomplit. Il est n Bethlem, il a t glorifi par une toile , il a habit Nazareth , il a eu un prcurseur et maintenantvoici que, selon lannonce dIsae, il rend la vue aux aveugles, loue aux sourds, lusage de leurs

    membres aux paralytiques, la vie mme aux morts. Il est donc le Christ! Au reste ne la-t-il pasdclar lui-mme ? Prs du puits de Jacob, une Samaritaine, qui en appelait au Christ, ne lai-je

    pas entendu lui rpondre : Je le suis, moi qui te parle. Mais sil est le Christ, est-il aussi le Fils deDieu? Assurment, toutes les prophties annoncent que le Christ ne sera autre que le Fils de Dieu.Mais ce Jsus, qui prsente videmment tous les signes messianiques, est-il vraiment le Fils de Dieu? Je souponne, jai le pressentiment quil pourrait bien ltre. Cependant je ne vois rien resplendiren lui de la nature divine. Sans doute lclat de ses miracles, leur nombre toujours croissantsembleraient tablir quil est Dieu. Mais ces miracles, qui les produit ? Est-ce un homme privilgiauquel Dieu aurait communiqu quelque chose de sa puissance, ou bien serait-ce le Fils de Dieu lui-mme, en personne ? Et la perplexit du Serpent tait grande, et, en soi, elle tait pleinement

    justifie. Car tous ces miracles que Jsus accomplissait, ntaient que des effets extrieurs,

    temporels, de sa puissance divine ; ils ne montraient en rien dcouvert ni la nature divine, ni laPersonne divine. Les effets extrieurs de cette puissance divine rsidant en Jsus, tels que lagurison dun paralytique, la vue rendue un aveugle, la rsurrection dun mort, le Serpent lesapercevait, les contemplait, les discutait ; mais la Personne divine elle-mme de Jsus, il ne ladcouvrait pas, voile quelle tait par sa nature humaine, mieux que lavait t lArche dalliance

    par le voile du Saint des Saints. Assurment pour les mes humbles et croyantes, pour Pierre, pourles aptres, pour Marie-Madeleine, pour tous ceux qui cherchaient avec sincrit le royaume deDieu, ces miracles de Jsus, surpassant les forces humaines, uvres de sa vertu propre et sems parlui tout venant comme le laboureur sme le bl, ces miracles de Jsus pour les mes humbles etcroyantes constituaient une preuve parfaite de sa divinit bien quelles aussi ne vissent pas dcouvert la Personne divine ; mais leur foi allait au del du voile, de mme quentours de refletslumineux, et pntrs dune douce chaleur, nous croyons la prsence du soleil sur lhorizon, bienquil sy trouve voil par des nuages. Pour le Serpent, au contraire, monstre dorgueil, outre que laPersonne divine de Jsus lui demeurait soustraite, la vue des infirmits inhrentes sa naturehumaine achevait de le drouter. Au spectacle de ses miracles toujours croissants et dune siextraordinaire puissance, il conjecturait, il souponnait bien quil se trouve peut-tre en prsence duFils de Dieu ; mais, dautre part, en considrant les souffrances sans nombre qui marqurent leministre public de Jsus, il se disait : Impossible que ce soit l le Fils de Dieu ! Oui il fait marcherles boiteux, mais je le vois lui-mme harass de fatigue ; il rend la vue aux aveugles, mais que defois nai-je pas vu couler ses larmes ? Il rassasie les multitudes par une nourriture miraculeuse,mais, lui-mme, nendure-t-il pas la faim et la soif ? Il ressuscite les morts, mais voici que lui-mme

    il craint la mort, car il vient de fuir pour chapper aux Juifs. Tous ces miracles quil accomplit nesont donc que ceux dun homme plus favoris de Dieu, comme lont t, avant lui et autant que lui,les patriarches et les prophtes. Est-ce que Mose na pas fait pleuvoir la manne ? Est-ce que Josu

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    na pas arrt ? Le soleil ? .

    Tromp ainsi sur le compte du Fils de Dieu par le spectacle de ses infirmits ; incapable,

    dautre part, de pntrer le mystre de ses deux natures, lune divine, qui brillait parlesmiracles, lautre humaine, qui succombera sous les injures, le Serpent se fatiguait se

    persuader quil ne se trouvait quen prsence dun homme. Mais ses perplexits ne tardaient pas

    se rveiller avec plus dacuit cause de cet ocan indicible de miracles, sans cesse grossissant,toujours plus blouissant. Et cest pourquoi sans discontinuer, lil au guet, le jour, la nuit, il piaitles paroles, les actes, les gestes, la dmarche de cet homme extraordinaire, jusqu son sommeil,

    jusqu sa respiration, sefforant de percer le mystre qui lentourait ; mais ctait le mystre delUnion hypostatique : toujours la Personne divine lui chappait !

    Il fallait cependant sortir dembarras. Cest encore la question par la parole que le Serpent eutrecours durant les trois annes du ministre public de Jsus, toutefois avec une modification.Profondment humili par la dfaite subie au dsert, et rendu plus dfiant, ce nest plus par lui-mme quil ose dsormais questionner Jsus, mais par des intermdiaires, ses porte-parole, par la

    bouche des possds .

    Par une permission divine, il y avait alors en Jude beaucoup plus de possds qu aucune autrepoque. Il importait quon comprt par ces signes extrieurs de lenfer combien ignominieux etcruel est le joug de Satan.

    Cest donc par lintermdiaire des possds que le Serpent revient la charge.

    Lvangile rapporte, en effet, ceci :

    Tantt cest un seul dmon mais un dmon immonde qui crie par la bouche dun possd : Quy a-t-il entre nous et toi, Jsus de Nazareth ? Je sais qui tu es : le saint de Dieu !

    Tantt ce sont plusieurs dmons qui dominent ensemble le bruit de la foule, et qui poussent cettemme clameur : Tu es le Fils de Dieu !

    Parfois, cest mme toute une lgion satanique en garnison dans le corps et lme dun malheureuxGrasnen, et qui vocifre : Quy a-t-il entre nous et toi, Jsus, Fils de Dieu ? Es-tu venu ici noustourmenter avant le temps? .

    Toutes ces clameurs sont des questions. Mais elles ne sont plus poses par le Serpent sous la formeadopte au dsert de la Tentation. Alors il disait Jsus : Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres

    deviennent pains ! Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ! Si tu es ? Maintenant ce sont desaffirmations catgoriques : Je sais qui tu es : le Saint de Dieu ! Tu es le Fils de Dieu ! Quy a-t-ilentre nous et toi, Jsus, Fils de Dieu ! Affirmations catgoriques. Est-ce donc que Satan aurait cessde douter ? Nullement. Mais en dclarant ainsi par la bouche des possds que Jsus est le Fils deDieu, il parle plutt daprs des soupons quavec certitude ; il affirme sans croire ce quil dit, afindamener Jsus se dcouvrir.

    Il y a plus. Pour arriver plus srement ses fins, Satan va jusqu simuler ladoration : Les espritsimmondes, dit saint Marc, lorsquils voyaient Jsus, se prosternaient devant lui . Et encore : Unhomme possd dun esprit immonde, voyant Jsus de loin, accourut et ladora . Quel changementdattitude ! Quelle diffrence avec les prtentions au sommet de la montagne ! Alors le Serpent

    disait Jsus, en lui indiquant tous les royaumes de la terre : Adore-moi, et je te donnerai tout cela.Maintenant, cest lui qui se prosterne et qui adore. Mensonge ! Dans les deux cas, ce sont toujoursles artifices du Serpent. Hier il se dressait avec orgueil, aujourdhui il rampe avec astuce, hypocrite

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    toujours, afin de sinsinuer dans les secrets de Jsus.

    Mais le Christ demeurait inaccessible. Aux questions insidieuses poses par la bouche et lattitudedes possds, il rpondait Satan, ou bien en lui imposant silence : Obtuses, Tais-toi ; ou bien en luiadressant des menaces svres, vehementer comminabatur ; souvent aussi par un ddain qui ne

    permettait aucune rplique, non sinebat ea loqui. Et le Serpent confondu, refoul, revenait encore

    la charge, roulant autour de lhomme mystrieux des anneaux impuissants, sifflant de dpit et derage, dardant sur lui des regards de feu.

    Et ce qui achevait de lexasprer, cest que tous ces possds, ses malheureuses victimes, dont

    il se servait pour amener Jsus se dcouvrir, Jsus les gurissait, lobligeant lui-mme seretirer de lme et du corps des possds : Sors de cet homme ! Esprit immonde, quitte cethomme ! Esprit sourd et muet, je te lordonne, sors de cet enfant et ny rentre plus ! Et le dmoncontraint dobir, sortait avec rage du corps et de lme des possds, les mordant, les dchirant unedernire fois, les laissant comme morts aux pieds de leur librateur. Mais tandis quil fuyait perdu,Jsus tendait la main, les possds se relevaient guris, et, du milieu des foules, schappaient cescris dadmiration : Quelle est donc cette doctrine nouvelle atteste par de pareils prodiges ? Jamais

    rien de semblable na t vu en Isral !

    Cest ainsi quau bout des trois annes du ministre public de Jsus, le Serpent ne se trouvait pasplus avanc quauparavant. La question par la parole ne lui avait pas mieux russi par la bouche despossds, quelle ne lui avait russi lui-mme au dsert de la Tentation. Tout ce que le langagerenferme de finesse, de subtilit et de ruse, interrogations, exclamations, affirmations, il avait toutemploy pour dcouvrir si celui quil savait tre le Christ tait aussi Fils de Dieu ; mais le Christtait rest impntrable.

    V

    Il existe ici-bas une autre manire de questionner. Si on questionne par la parole, on questionneaussi par la souffrance. Que de fois la torture na-t-elle pas arrach des aveux ! Les artifices dulangage nayant pas russi, cest la violence que Satan va dsormais avoir recours. la ruse duSerpent va succder la frocit du Lion, tamquam leo rugiens .

    En prtant au dmon ce changement de tactique, quon se garde de penser que nous procdons parsupposition. Il y a un livre inspir, celui de la Sagesse, crit prs de deux sicles avant Jsus-Christ,o se trouve annonc dune manire prophtique ce quallaient tre les dernires tentatives de Satanet des Juifs, ses suppts, pour forcer Jsus dclarer dune manire catgorique si, oui ou non, iltait le Fils de Dieu.

    Voici cette page extraordinaire :

    Faisons tomber le Juste dans nos piges, parce quil nous est incommode ; quil est contraire notre manire de vivre ; quil nous reproche les infractions de la Loi; et quil nous dshonore endcriant les fautes de notre conduite.

    Il assure quil a la science de Dieu, et il sappelle le Fils de Dieu.

    Il sest fait le censeur de nos penses mmes.

    Sa seule vue nous est insupportable; parce que sa vie nest pas semblable celle des autres, et quilsuit une conduite toute diffrente.

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    Il nous considre comme des hommes de futilits; il sabstient de notre genre de vie comme dunechose impure; il proclame bienheureuse la fin des justes, et il se glorifie davoir Dieu pour Pre.

    Voyons donc si ses paroles sont vritables ; prouvons ce qui lui arrivera, et nous verrons quellesera sa fin.

    Car sil est vritablement le Fils de Dieu, Dieu prendra sa dfense, et le dlivrera des mains de sesennemis.

    Interrogeons-le par les outrages et par les tourments, afin que nous reconnaissions quelle est sadouceur, et que nous fassions lpreuve de sa patience.

    Condamnons-le la mort la plus infme : car si ses paroles sont vritables, Dieu prendra soin de lui.

    Quelle page ou plutt quel spectacle ! Interrogeons-le par les outrages et par les tourments, nest-ce

    pas la question dcrte contre Jsus-Christ ! Il semble que lon aperoive Satan bout de tous lesmoyens possibles pour pntrer un secret qui le remplit dinquitude, Satan soufflant aux Juifs larsolution dattenter la vie de Jsus.

    Cest donc alors que se droule cette scne lamentable de la Passion, commence au jardin delagonie, continue devant le Sanhdrin et le tribunal de Pilate, consomme au Calvaire.

    Aucune agonie nest comparable celle que souffrit Jsus au jardin des Oliviers : tous ses poreslaissrent chapper le sang. Charg de liens et tran ensuite devant le Sanhdrin, o il est accuscomme sducteur, comme malfaiteur, comme blasphmateur, il courbe la tte et il se tait : cestlAgneau muet qui porte les pchs de la terre.

    la vue de ce silence, de cette douceur surpassant les forces humaines, Satan, qui rde autour de laVictime, se sent troubl. Jusqu cette heure les faiblesses, les infirmits corporelles quil avaitmaintes fois constates dans la vie de Jsus, avaient toujours fini par calmer ses apprhensions ;maintenant cest la peur qui commence semparer de lui. Une telle vertu ne cache-t-elle pasquelque profond mystre, dont il y a lieu de redouter les suites ? Mais Lion rugissant, il sent enmme temps la colre et la rage samonceler dans son cur ; car nonobstant toutes les accusations,tous les outrages, tous les blasphmes quil mettait dans la bouche de ceux dont il tait le matre,Jsus demeurait invincible dans son silence : Les efforts de ceux qui sont leurs chefs, avait

    prophtis David, sont rendus vains par la rsistance du rocher. Et cest pourquoi chez le Lion

    rugissant ctait le combat de la peur et de la rage. Il voudrait se jeter sur lhommeincomprhensible, mais il nose pas. Qui est-il donc celui qui me parat au-dessus de lhomme parses tonnantes dispositions, et cependant un simple homme par ses humiliations et par sessouffrances ?

    Satan, cesse de tagiter : le moment est venu de lentendre !

    Caphe, en effet, sest lev, Caphe non moins perplexe que Satan. Sadressant Jsus : Je tadjure,lui dit-il, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, Fils de Dieu .

    cette adjuration faite au nom du Dieu vivant, Jsus a relev la tte : Je le suis, rpond-il, Ego

    sum !

    Satan a-t-il cess de douter, a-t-il pass des soupons la certitude ? Est-il convaincu maintenant

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    que Jsus, quil sait tre le Christ, est aussi le Fils de Dieu ? Non. Car peine Jsus a-t-il dclar quiil est, que tous les sanhdrites, Anciens, Scribes, Princes des prtres, se prcipitant de leurs siges,se sont jets sur Jsus. Les uns lui crachent au visage, les autres lui donnent des soufflets, tousscrient : Il est digne de mort ! La vue de pareils outrages, de nouveau supports dune maniremuette, le doute chez Satan a repris le dessus. Dun bond, ainsi que lavait prophtis le livre de laSagesse, il a rapproch ce silence du Fils de Dieu sur la terre du silence de son Pre dans les cieux :

    Sil tait vritablement le Fils de Dieu, Dieu ne prendrait-il pas sa dfense et ne le dlivrerait-il pasde la main de ses ennemis ? Et le livre de la Sagesse qui avait ainsi annonc davance ce qutaientactuellement les penses secrtes de Satan et des Juifs, le livre de la Sagesse termine la prophtie

    par ces paroles : Ils ont eu ces penses, et ils se sont gars, parce que leur malice les aveuglait. Ilsont ignor les secrets de Dieu .

    Et cest pourquoi la frocit du Lion ira jusquau bout. Ce nest pas quil soit tranquille sur lecompte de lHomme quil vient de faire condamner . Sa personne lui demeure une nigme. Mais ilse dit que mieux vaut la faire disparatre que de voir se continuer un ministre qui menace dedissoudre son empire.

    Il arriva donc quun peuple aveugle et en dmence, obissant aux inspirations de lenfer, rempli deses fureurs, porta la main sur son Dieu, en fit lobjet de ses railleries, accumula sur lui tous lesoutrages, mit sur ses paules saintes un poids dinfamie ; lleva de terre, et lui fit boire jusqu lalie, sur la croix, le calice de la douleur, aprs lui avoir fait puiser, dans le prtoire, le calice delignominie. Or, tandis que la foule en dlire remplissait les airs daffreuses vocifrations, voici que,tout coup, dominant le tumulte, ce cri retentit : Si tu es le Fils de Dieu descends de cette croix, etnous croirons en toi .

    Que signifiait cette clameur, et qui donc lavait suggre aux prtres ? Ah ! ctait la mme bouchequi, trois ans plus tt, avait port cet autre dfi : Si tu es le Fils de Dieu jette-toi en bas .

    Tromp par les abaissements de Jsus-Christ, Satan avait os porter la main au fruit dfendu ; ilavait os clouer dans la mort un homme dont le nom ne figurait pas sur sa liste, et, dans sa mprise,croyant tomber sur Adam, il tait tomb sur Dieu. Et maintenant que lHomme-Dieu crucifi allaitrendre le dernier soupir, Satan, troubl par les vertus surhumaines qui rayonnaient aux deux bras dela croix ; troubl par les dfaillances extrieures de la nature qui commenaient se produire ;troubl par le souvenir de ces paroles quil avait entendues : Lorsque jaurai t lev de terre,

    jattirerai tout moi ; troubl et dj nerv par la vertu secrte qui schappait de la croix; troublet touch, non de repentir, mais de regret davoir fait livrer la mort un homme plus que jamaissuspect, Satan, ivre de terreur et de rage, voulait toute force arrter le sacrifice, et faisant uneffort dsespr, livrant Jsus-Christ une suprme et dernire tentation, il lui criait par la

    bouche des prtres : Si tu es le Fils de Dieu, descends et nous croirons en toi .

    Non, mon Dieu, non, ne descendez pas ! Restez, ah! restez, pour que le sang divin puisse effacernos fautes, pour quil puisse nous signer au front et blanchir la robe de nos vierges. Restez, pouraccomplir les prophties, notamment celle qui annonce que le Christ rgnera par le bois. Restez, carce serait abandonner lautel, interrompre le sacrifice commenc avec tant damour ! Restez pourtre la mort de la mort, la ruine de lenfer. Restez ! La nature entire est genoux, les vieillescendres dAdam tressaillent au pied de la croix, les justes attendent dans les limbes. Restez, Jsus-Christ, restez !

    Et le Christ ne descendit pas, mais inclinant la tte pour rendre le dernier soupir, il jeta un grand cri,

    Clamans voce magna, emisit spiritum. Ctait le cri de la victoire ! pour avoir immol lInnocent, lenouvel Adam sur lequel il navait aucun droit, Satan perdait son droit sur tous les coupables, surtous les descendants du premier Adam ; lhumanit tait rachete, le joug du dmon tait bris.

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    Et la revanche tait complte, calque sur le plan mme de la chute, mais en opposition avec toutesles ruses, avec tous les artifices du Serpent :

    Celui qui avait tromp stait laiss tromper lui-mme. Le Fils de Dieu, lui aussi, avait cach

    sa divinit, maisil lavait cache sous les voiles de la nature mme que Satan avait vaincu.

    Il y avait un arbre de vie, la Croix, en face de larbre dont le Serpent stait servi pour donner

    la mort.

    Il y avait un fruit de vie, qui rendra immortels et comme des dieux tous ceux qui se lincorporerontpar la foi et par la communion.

    laspect de la Croix les dmons fuyaient perdus, et Satan lui-mme, renvers au milieu desruines de son empire, avait la tte crase sous le pied dune Femme.

    Ah ! maintes fois, durant les trente-trois ans de la vie de Jsus, il lui tait arriv de souponner, de

    conjecturer, quil se trouvait en prsence du Fils de Dieu, sans pouvoir jamais en acqurir lacertitude ; et cest pourquoi saint Paul a pu dire de lui et de tous ses suppts : Sils eussent connu leSeigneur de la gloire, ils ne leussent jamais crucifi.