Lettre de Jacques Lacan Sur Marie de la Trinit

Une lettre de Jacques Lacan lune de ses analysantesCette lettre est date du 19 septembre 1950 et elle est adresse sur Marie de la Trinit, lune de ses analysantes. On ne peut que constater le ton libre que Lacan utilisait son gard pour solliciter sa venue aux sances et son engagement dans lanalyse. Mais aussi la faon dont il la prvientquant aux rapports de lcriture et de la parole : Et ne comptez pas sur une plus longue correspondance car vous nen retireriez rien quun temps de perdu.

Pourtant de ce temps perdu nous en retrouvons trace sous la forme dun ouvrage adress Lacan. Il a pour titre De l'angoisse la paix - Relation crite pour Jacques Lacan

Voici le texte de cette lettre: Ma chre Sur, Vous trouverez ci-joint le petit billet que je vous destinais hier soir avant davoir reu votre lettre de ce matin. Jai mme pris soin de vous le porter moi-mme avant un dner que javais pour le Congrs. Malheureusement, pour une raison que je nai pas encore lucide, cest 178 rue de la Pompe que portait la note que javais prise de votre adresse, et cest pourquoi jai renonc une fois parvenu cet endroit, poursuivre plus loin ce soir-l ma tentative de vous atteindre. Je vous joins nanmoins avec cette lettre pour que vous sachiez dans quel sentiment je faisais appel vous: celui de ne pas vous laisser seule dans une dtresse o je vous ai sentie un moment toute perdue. Comprenez-moi maintenant. Cette dmarche que vous avez entreprise pour rsoudre la difficult morale o vous tes, cest cela qui devrait faire lobjet de nos sances. Je veux dire que la faon dont vous aller la mener, y ragir, les souvenirs et les sentiments, voire les rves qui apparatront corrlativement pendant les sances (et selon toute vraisemblance sans rapport apparemment direct). Cest cela qui nous permettrait daller aux sous-jacences archaques qui sont entrs enjeu autour et par lexercice de votre vu dobissance. Cest cela qu lire votre lettre je vois que vous navez pas compris: mon but nest pas de vous apprendre vous affranchir de ce lien Mais en dcouvrant ce qui la rendu pour vous manifestement si pathogne, de vous permettre dy satisfaire dsormais en toute libert. Car si cest autour de lexercice de ce devoir que se sont dclenches les phases les plus drangeantes de votre drame, cest que cest l quont t mises enjeu des images de vous inconnues et dont vous ntes pas matresse: cest cela que jai appel vaguement: thmes de dpendance. Et leur recherche ne constitue pas une initiation la rvolte, mais une perspicacit indispensable la mise en pratique dune vertu. Il faut donc que vous poursuiviez les sances, pendant que vous essayez de vous mettre en accord avec votre conscience. Car cest l le moment fcond dont je cherche tirer un pas dcisif pour lanalyse. Et il faut me faire confiance pour lissue de ce moment. Je vous y enferme maintenant, prcisment pour en tirer leffet dont il est gros. La faon contraire de prendre les choses votre faon actuelle est une faon formaliste de les envisager, qui mconnat le caractre irrmdiablement intriqu de vos meilleurs mouvements, avec ce nud secret qui les a rendus pour vous si ruineux. Et que nous sommes l pour rsoudre ensemble. Venez donc me voir au plus tt. Et ne comptez pas sur une plus longue correspondance car vous nen retireriez rien quun temps de perdu. Je vous fais confiance moi-mme en vous disant bientt Tlphonez-moi demain 9 heures par exemple. Car je partirai tt pour le Congrs.Sur Marie de la Trinit laiss tmoignage de son exprience mystique dans des Carnets mais aussi dans un ouvrage qui a pour titre Le petit livre des grces. On ne peut songer qu la faon dont Lacan, bien des annes aprs reprendra labord de la sexualit fminine et de la jouissance fminine par le biais de lcriture des mystiques et de ses propres crits, dans le sminaire Encore. Cette lettre, du 19 septembre 1950, est extraite de la correspondance indite entre Marie de la Trinit et Jacques Lacan. La publication, autorise par J.-A. Miller, est prvue pour 2020. Publie dans Le Nouvel ne N 9, sept. 2008, Navarin diteur.