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L’emprise L’emprise, en deçà du consentement Familles, quesAons cruciales, la chronique d’Hélène Bonnaud Du livre à la leBre et retour (In)actualité brûlante, la chronique de Nathalie Georges-Lambrichs Les chatouilles ou la danse de la colère par Élisabeth Leclerc-Razavet Le maître de demain, c’est dès aujourd’hui qu’il commande — Jacques Lacan N° 867 – Vendredi 7 février 2020 – 09 h 39 [GMT + 1] lacanquotidien.fr L’emprise L’emprise, en deçà du consentement Familles, quesAons cruciales, la chronique d’Hélène Bonnaud Du livre à la leBre et retour (In)actualité brûlante, la chronique de Nathalie Georges-Lambrichs Les chatouilles ou la danse de la colère par Élisabeth Leclerc-Razavet Le maître de demain, c’est dès aujourd’hui qu’il commande — Jacques Lacan N° 867 – Vendredi 7 février 2020 – 09 h 39 [GMT + 1] lacanquotidien.fr

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Page 1: L’emprise - Lacan Quotidien

L’emprise

L’emprise, en deçà du consentementFamilles, quesAons cruciales, la chronique d’Hélène Bonnaud

Du livre à la leBre et retour(In)actualité brûlante, la chronique de Nathalie Georges-Lambrichs

Les chatouilles ou la danse de la colère par Élisabeth Leclerc-Razavet

Le maître de demain, c’est dès aujourd’hui qu’il commande — Jacques Lacan

N° 867 – Vendredi 7 février 2020 – 09 h 39 [GMT + 1] – lacanquotidien.fr

L’emprise

L’emprise, en deçà du consentementFamilles, quesAons cruciales, la chronique d’Hélène Bonnaud

Du livre à la leBre et retour(In)actualité brûlante, la chronique de Nathalie Georges-Lambrichs

Les chatouilles ou la danse de la colère par Élisabeth Leclerc-Razavet

Le maître de demain, c’est dès aujourd’hui qu’il commande — Jacques Lacan

N° 867 – Vendredi 7 février 2020 – 09 h 39 [GMT + 1] – lacanquotidien.fr

Page 2: L’emprise - Lacan Quotidien

L’emprise, en deçà du consentement

Familles, questions cruciales, la chronique d’Hélène Bonnaud

Deux événements ont mis en lumière les dégâts psychiques causés par les comportementspédophiles de deux hommes, tous deux personnages médiatiques bénéficiant d’une certaineaura pour leur travail de réalisateur, pour l’un, et d’écrivain, pour l’autre.

Le témoignage d’Adèle Haenel sur Médiapart (1), accusant le réalisateur ChristopheRuggia de harcèlements sexuels durant quatre ans, de ses 12 ans à ses 15 ans, précise-t-elle,nous a bouleversé par son authenticité et le bien-dire qu’elle y fait entendre. Elle a su fairevibrer le moment de vérité de sa parole. Ni haine ni vengeance dans son exposé des faits.Seulement une prise de conscience, un changement de perspective quant à la façon depenser ce qui s’était joué pour elle dans ces rencontres du samedi après-midi. Il lui parlait deleur amour. Et elle y a cru. L’amour sert à magnifier la relation sexuelle et à la sublimer. Onne peut pas ne pas évoquer la phrase de Lacan dans Encore : « Ce qui supplée au rapportsexuel, c’est précisément l’amour. » (2), phrase qui donne toute sa portée à l’enjeu qu’est larencontre entre un homme et une femme. Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que le désirsexuel ?

Une autre femme, Vanessa Springora, vient de percer le mur du silence concernant lelien qui peut se nouer entre une adolescente et un homme d’âge mûr, avec son livre Leconsentement (3), dans lequel elle raconte comment un écrivain célèbre, Gabriel Mazneff, l’aséduite et l’a ravie à elle-même. Le tollé général autour de cette affaire de pédophilie aouvert un débat houleux autour de la façon dont G. Mazneff a joui d’une toléranceincroyable auprès de l’intelligentsia parisienne alors qu’il était un pédophile avéré.

L’emprise, en deçà du consentement

Familles, questions cruciales, la chronique d’Hélène Bonnaud

Deux événements ont mis en lumière les dégâts psychiques causés par les comportementspédophiles de deux hommes, tous deux personnages médiatiques bénéficiant d’une certaineaura pour leur travail de réalisateur, pour l’un, et d’écrivain, pour l’autre.

Le témoignage d’Adèle Haenel sur Médiapart (1), accusant le réalisateur ChristopheRuggia de harcèlements sexuels durant quatre ans, de ses 12 ans à ses 15 ans, précise-t-elle,nous a bouleversé par son authenticité et le bien-dire qu’elle y fait entendre. Elle a su fairevibrer le moment de vérité de sa parole. Ni haine ni vengeance dans son exposé des faits.Seulement une prise de conscience, un changement de perspective quant à la façon depenser ce qui s’était joué pour elle dans ces rencontres du samedi après-midi. Il lui parlait deleur amour. Et elle y a cru. L’amour sert à magnifier la relation sexuelle et à la sublimer. Onne peut pas ne pas évoquer la phrase de Lacan dans Encore : « Ce qui supplée au rapportsexuel, c’est précisément l’amour. » (2), phrase qui donne toute sa portée à l’enjeu qu’est larencontre entre un homme et une femme. Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que le désirsexuel ?

Une autre femme, Vanessa Springora, vient de percer le mur du silence concernant lelien qui peut se nouer entre une adolescente et un homme d’âge mûr, avec son livre Leconsentement (3), dans lequel elle raconte comment un écrivain célèbre, Gabriel Mazneff, l’aséduite et l’a ravie à elle-même. Le tollé général autour de cette affaire de pédophilie aouvert un débat houleux autour de la façon dont G. Mazneff a joui d’une toléranceincroyable auprès de l’intelligentsia parisienne alors qu’il était un pédophile avéré.

Page 3: L’emprise - Lacan Quotidien

Mais ce que montrent ces témoignages, aussi bien celui d’Adèle H. que celui deVanessa Springora, c’est la puissance des mots, la puissance de l’amour aussi, ce « premieramour » qui fait passer du statut d’adolescente à celui de femme. L’abus se situe à ceniveau-là.

Les mots voilent l’abus

La parole désirante d’un homme d’âge mûr adressée à une adolescente a un pouvoir d’uneforce variable, mais, dans ces deux témoignages, elle a eu un effet d’énamoration évident,touchant à la croyance en l’amour fou, celui qui foudroie, aveugle et donne à la jeune fille lesentiment d’être désirée et aimée dans le regard d’un homme. L’abus se situe dans cettedissymétrie entre l’expérience et la naïveté, entre la domination sexuelle et l’ignorance, entresavoir versus pouvoir et croire. Savoir trouver les mots qui la feront devenir docile à son désir,docile à sa volonté de jouissance, docile à adopter un mode de vie qui l’écarte de tout autrelien social, l’enfermant dans une bulle à deux, bulle d’amour là où il ne s’agit que de jouir deson corps comme objet élevé à la dignité d’un don de soi total. Il s’agit d’une relationexclusive et trompeuse, donnant l’illusion d’être aimée, là où la tyrannie de la pulsion calculeet manipule.

Névrose et perversion

S’intéresser à de très jeunes filles, à peine sorties de l’enfance, est un crime puni par la loi. Lapédophilie est une perversion au sens freudien du terme dont la définition se lit en regard dela névrose en tant que, comme l’a située Freud, elle est « le négatif de la perversion » (4).

Il y a en effet un impossible entre le fantasme pervers du névrosé et sa réalisation tellequ’elle apparaît possible chez le pervers. Celui-ci réalise le fantasme là où tout névrosé s’enécarte. Le névrosé met en jeu sa jouissance dans un scénario où il reste imaginairement etsecrètement, voire honteusement, celui qui jouit d’une situation dont le caractère perversreste son théâtre intime. Les psychanalystes ont bien indiqué combien le névrosé a du mal àparler de son fantasme tant il se sent coupable d’avoir des pensées sexuelles incongrues etressenties comme vicieuses. Le pervers, lui, n’a pas cet écran du fantasme. Il libère lajouissance comme événement à réaliser. Pour lui, ni écran ni honte, la réponse à l’injonctionde la jouissance accomplit son travail de prédation. Se voulant maître de sa jouissance, lepervers est soumis à la pulsion qui n’a qu’un but, atteindre son objet, réaliser son plan.

Mais ce que montrent ces témoignages, aussi bien celui d’Adèle H. que celui deVanessa Springora, c’est la puissance des mots, la puissance de l’amour aussi, ce « premieramour » qui fait passer du statut d’adolescente à celui de femme. L’abus se situe à ceniveau-là.

Les mots voilent l’abus

La parole désirante d’un homme d’âge mûr adressée à une adolescente a un pouvoir d’uneforce variable, mais, dans ces deux témoignages, elle a eu un effet d’énamoration évident,touchant à la croyance en l’amour fou, celui qui foudroie, aveugle et donne à la jeune fille lesentiment d’être désirée et aimée dans le regard d’un homme. L’abus se situe dans cettedissymétrie entre l’expérience et la naïveté, entre la domination sexuelle et l’ignorance, entresavoir versus pouvoir et croire. Savoir trouver les mots qui la feront devenir docile à son désir,docile à sa volonté de jouissance, docile à adopter un mode de vie qui l’écarte de tout autrelien social, l’enfermant dans une bulle à deux, bulle d’amour là où il ne s’agit que de jouir deson corps comme objet élevé à la dignité d’un don de soi total. Il s’agit d’une relationexclusive et trompeuse, donnant l’illusion d’être aimée, là où la tyrannie de la pulsion calculeet manipule.

Névrose et perversion

S’intéresser à de très jeunes filles, à peine sorties de l’enfance, est un crime puni par la loi. Lapédophilie est une perversion au sens freudien du terme dont la définition se lit en regard dela névrose en tant que, comme l’a située Freud, elle est « le négatif de la perversion » (4).

Il y a en effet un impossible entre le fantasme pervers du névrosé et sa réalisation tellequ’elle apparaît possible chez le pervers. Celui-ci réalise le fantasme là où tout névrosé s’enécarte. Le névrosé met en jeu sa jouissance dans un scénario où il reste imaginairement etsecrètement, voire honteusement, celui qui jouit d’une situation dont le caractère perversreste son théâtre intime. Les psychanalystes ont bien indiqué combien le névrosé a du mal àparler de son fantasme tant il se sent coupable d’avoir des pensées sexuelles incongrues etressenties comme vicieuses. Le pervers, lui, n’a pas cet écran du fantasme. Il libère lajouissance comme événement à réaliser. Pour lui, ni écran ni honte, la réponse à l’injonctionde la jouissance accomplit son travail de prédation. Se voulant maître de sa jouissance, lepervers est soumis à la pulsion qui n’a qu’un but, atteindre son objet, réaliser son plan.

Page 4: L’emprise - Lacan Quotidien

Choix d’objet d’amour

Si Freud a élaboré une première théorie du partenaire montrant qu’on choisit son partenaireselon des modalités qui mettent en jeu des identifications à la mère, au père ou à d’autrespersonnes de la famille, il a aussi pointé que la condition de jouissance était singulière d’unsujet à l’autre et pouvait impliquer un détail du corps – un simple trait singulier prélevé surle corps suffit à l’inscrire comme objet de désir. Lorsque le choix d’objet d’amour de certainshommes se pose sur des adolescents, il s’agit d’un trait de perversion qu’on qualifie depédophilie. Quand un homme choisit une adolescente comme objet d’amour, on peut déjàdire qu’il n’aime pas les femmes. Peut-être parce qu’elles lui font peur, ou encore parcequ’elles lui font penser à sa mère. Freud pensait d’ailleurs que le choix d’objet, pour unhomme, se réfère toujours à la mère et à son phallus. Ces hommes choisissent d’abord detrès jeunes filles pour jouir sexuellement de leur corps tout juste pubère, corps fétichisé qui sedonne comme une offrande. C’est là leur condition de jouissance.

Mais, pour arriver à leurs fins, les manœuvres de séduction sont plus angéliques queperverses, et Adèle Haenel comme Vanessa Springora en ont été victimes. Elles ont étéséduites par ces hommes qui les regardent, les désirent et leur promettent d’être leur seulobjet d’amour, contre l’ordre moral, contre une société malveillante, autoritaire etinterdictrice.

Quand tout bascule, elles passent du statutd’objet d’amour et de désir à celui d’objet sexuel.Une fois levé le voile de la pudeur, seule reste lajouissance sexuelle comme expérience réelle, nonsymbolisable, toujours traumatique et laissant le sujetdans le désarroi et la solitude de sa valeur perdue.Les conséquences en sont dramatiques. La honte etle sentiment d’avoir été traitées comme un objet

réduit à servir sexuellement les envahissent, dès lors qu’elles se réveillent et découvrent àquoi elles ont satisfait ; le réel du sexe fait alors retour sous la forme d’un rejet de cethomme-là, et parfois, de tous les hommes. Le dégoût vire à la répulsion et l’amour, à lahaine.

Qu’est-ce que l’emprise ?

L’emprise renvoie à une domination intellectuelle, affective ou physique. L’étymologieindique deux verbes qui soulignent qu’il y a à la fois prendre et entreprendre dans sadéfinition. Il y a donc dans l’emprise, l’idée de la réalisation d’un projet, une entreprise deséduction, puis de maîtrise de l’objet. L’emprise a été décrite dans les relations de la mèreavec son enfant, puis entre deux personnes, aussi bien dans les liens amoureux que dansceux de sujétion hiérarchique dans les entreprises. Ce concept est utile pour nommer larelation d’exclusivité et d’exclusion qui naît entre un pervers et son objet.

Choix d’objet d’amour

Si Freud a élaboré une première théorie du partenaire montrant qu’on choisit son partenaireselon des modalités qui mettent en jeu des identifications à la mère, au père ou à d’autrespersonnes de la famille, il a aussi pointé que la condition de jouissance était singulière d’unsujet à l’autre et pouvait impliquer un détail du corps – un simple trait singulier prélevé surle corps suffit à l’inscrire comme objet de désir. Lorsque le choix d’objet d’amour de certainshommes se pose sur des adolescents, il s’agit d’un trait de perversion qu’on qualifie depédophilie. Quand un homme choisit une adolescente comme objet d’amour, on peut déjàdire qu’il n’aime pas les femmes. Peut-être parce qu’elles lui font peur, ou encore parcequ’elles lui font penser à sa mère. Freud pensait d’ailleurs que le choix d’objet, pour unhomme, se réfère toujours à la mère et à son phallus. Ces hommes choisissent d’abord detrès jeunes filles pour jouir sexuellement de leur corps tout juste pubère, corps fétichisé qui sedonne comme une offrande. C’est là leur condition de jouissance.

Mais, pour arriver à leurs fins, les manœuvres de séduction sont plus angéliques queperverses, et Adèle Haenel comme Vanessa Springora en ont été victimes. Elles ont étéséduites par ces hommes qui les regardent, les désirent et leur promettent d’être leur seulobjet d’amour, contre l’ordre moral, contre une société malveillante, autoritaire etinterdictrice.

Quand tout bascule, elles passent du statutd’objet d’amour et de désir à celui d’objet sexuel.Une fois levé le voile de la pudeur, seule reste lajouissance sexuelle comme expérience réelle, nonsymbolisable, toujours traumatique et laissant le sujetdans le désarroi et la solitude de sa valeur perdue.Les conséquences en sont dramatiques. La honte etle sentiment d’avoir été traitées comme un objet

réduit à servir sexuellement les envahissent, dès lors qu’elles se réveillent et découvrent àquoi elles ont satisfait ; le réel du sexe fait alors retour sous la forme d’un rejet de cethomme-là, et parfois, de tous les hommes. Le dégoût vire à la répulsion et l’amour, à lahaine.

Qu’est-ce que l’emprise ?

L’emprise renvoie à une domination intellectuelle, affective ou physique. L’étymologieindique deux verbes qui soulignent qu’il y a à la fois prendre et entreprendre dans sadéfinition. Il y a donc dans l’emprise, l’idée de la réalisation d’un projet, une entreprise deséduction, puis de maîtrise de l’objet. L’emprise a été décrite dans les relations de la mèreavec son enfant, puis entre deux personnes, aussi bien dans les liens amoureux que dansceux de sujétion hiérarchique dans les entreprises. Ce concept est utile pour nommer larelation d’exclusivité et d’exclusion qui naît entre un pervers et son objet.

Page 5: L’emprise - Lacan Quotidien

Freud a d’abord décrit la pulsion d’emprise (Der Bemächtigunstrieb) comme une pulsionde maîtrise et d’agression sur autrui ou sur le monde. Plus tard, il la réfère au jeu du fort-dadu petit enfant qui, dans ce mouvement de disparition de la mère, manifeste la perte del’objet d’amour en voulant le détruire. L’emprise, dans cette expérience d’impuissance, semanifesterait par une violence contre l’objet perdu. Mais Freud abandonnera ce conceptpour lui donner une portée plus réelle en l’inscrivant dans le dualisme des pulsions de vie etdes pulsions de mort. Dès lors, la pulsion d’emprise devient l’héritière de la perversionfreudienne, qui se caractérise par la fixation du sujet à son objet par soudure (Verlötung) et parla méconnaissance « du fait de l’inadéquation fondamentale de la pulsion à l’objet qui esttoujours substituable à un autre. C’est ce qui est insupportable au pervers » (5).

Libre à l’endroit du semblant

L’emprise veut dire qu’on n’a pas le choix. On est sous emprise, sous domination de l’autre,logé sous son regard, touché par son discours, possédé par sa volonté de jouissance.Subjuguées par le savoir, par l’expérience, par la notoriété de ces hommes, Adèle H. commeVanessa Springora expliquent le mécanisme de l’emprise d’approche séductrice et pourtantsans violence de leur être. Certes, elles ont pu identifier leur fragilité liée à ce qu’on appelle« l’absence du père » dans leur histoire, mais là n’est pas la question. Elles pensaient trouverauprès de leur partenaire, un père séducteur ou rassurant – mais n’est-ce pas ce querecherchent de nombreuses hystériques ? D’où l’idée que le choix d’objet d’amour pour unefemme est plus aléatoire car pour tout homme, une femme cherchera à se faire l’objet causede son désir. Voyons cela avec Lacan : « pour avoir la vérité d’un homme, on ferait bien desavoir quelle est sa femme. J’entends, son épouse à l’occasion […]. Pour peser une personne,rien de tel que de peser sa femme. Quand il s’agit d’une femme, ce n’est pas la même chose,parce que la femme a une très grande liberté à l’endroit du semblant. Elle arrivera à donnerdu poids même à un homme qui n’en a aucun » (6).

Si cette formule tient d’une boussole, elle montre que la question du consentementn’est pas simple côté féminin. La dissymétrie tient à la façon dont un homme, aussi perverssoit-il, peut venir, pour une femme, s’inscrire dans son fantasme dès lors qu’il lui ouvre lavoie de l’amour.

Freud a d’abord décrit la pulsion d’emprise (Der Bemächtigunstrieb) comme une pulsionde maîtrise et d’agression sur autrui ou sur le monde. Plus tard, il la réfère au jeu du fort-dadu petit enfant qui, dans ce mouvement de disparition de la mère, manifeste la perte del’objet d’amour en voulant le détruire. L’emprise, dans cette expérience d’impuissance, semanifesterait par une violence contre l’objet perdu. Mais Freud abandonnera ce conceptpour lui donner une portée plus réelle en l’inscrivant dans le dualisme des pulsions de vie etdes pulsions de mort. Dès lors, la pulsion d’emprise devient l’héritière de la perversionfreudienne, qui se caractérise par la fixation du sujet à son objet par soudure (Verlötung) et parla méconnaissance « du fait de l’inadéquation fondamentale de la pulsion à l’objet qui esttoujours substituable à un autre. C’est ce qui est insupportable au pervers » (5).

Libre à l’endroit du semblant

L’emprise veut dire qu’on n’a pas le choix. On est sous emprise, sous domination de l’autre,logé sous son regard, touché par son discours, possédé par sa volonté de jouissance.Subjuguées par le savoir, par l’expérience, par la notoriété de ces hommes, Adèle H. commeVanessa Springora expliquent le mécanisme de l’emprise d’approche séductrice et pourtantsans violence de leur être. Certes, elles ont pu identifier leur fragilité liée à ce qu’on appelle« l’absence du père » dans leur histoire, mais là n’est pas la question. Elles pensaient trouverauprès de leur partenaire, un père séducteur ou rassurant – mais n’est-ce pas ce querecherchent de nombreuses hystériques ? D’où l’idée que le choix d’objet d’amour pour unefemme est plus aléatoire car pour tout homme, une femme cherchera à se faire l’objet causede son désir. Voyons cela avec Lacan : « pour avoir la vérité d’un homme, on ferait bien desavoir quelle est sa femme. J’entends, son épouse à l’occasion […]. Pour peser une personne,rien de tel que de peser sa femme. Quand il s’agit d’une femme, ce n’est pas la même chose,parce que la femme a une très grande liberté à l’endroit du semblant. Elle arrivera à donnerdu poids même à un homme qui n’en a aucun » (6).

Si cette formule tient d’une boussole, elle montre que la question du consentementn’est pas simple côté féminin. La dissymétrie tient à la façon dont un homme, aussi perverssoit-il, peut venir, pour une femme, s’inscrire dans son fantasme dès lors qu’il lui ouvre lavoie de l’amour.

Page 6: L’emprise - Lacan Quotidien

Qu’une femme tombe sous le charme d’un vrai pervers ne fait symptôme qu’au regardde cette vérité qui indique l’absolue dysharmonie entre les hommes et les femmes dans larelation amoureuse. Certes, Lacan l’a répété, il n’y a pas de rapport sexuel, car la jouissance,d’être Une, y objecte. Cela n’en délivre pas moins la sanction de la perversion puisque, dansson programme de jouissance, le pervers se sert d’un objet particulier, ici le corps à peinepubère de l’adolescence pour satisfaire sa pulsion, acéphale (7), dit Lacan, pour en souligner lecaractère « sans queue ni tête », son côté débranché. Les conséquences pour une femmen’en sont que plus complexes – elle qui croit à la parole d’amour, prête à tout pour s’enparer.

Le réel dont il s’agit dans l’emprise consiste à se faire l’objet sexuel de celui quimanipule la parole à des fins de réduire le corps de l’autre à sa main, soit à son bon vouloir,mais aussi à ce qu’il est, objet a de pur semblant, d’où l’angoisse. Comme le dit Lacan :« L’angoisse […] est le sentiment qui surgit de ce soupçon qui nous vient de nous réduire ànotre corps. » (8) Pour Adèle H. comme pour Vanessa Springora, nul doute que leur paroleen porte la marque.

1 : Turchi M., « #MeToo dans le cinéma : l’actrice Adèle Haenel brise un nouveau tabou », Médiapart,3 novembre 2019, disponible ici & « #MeToo Adèle Haenel explique pourquoi elle sort du silence » Médiapart,4 novembre 2019, disponible ici.2 : Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore (1972-73), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 44.3 : Vanessa Springora, Le Consentement, Grasset, 2020. 4 : Freud S., « Trois essais sur la théorie sexuelle », Gallimard, 1987, p.189.5 : Sédat J., « Pulsion d’emprise », Che Vuoi ?, n° 32, 2009/2, p. 11-25. 6 : Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 35.7 : Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris,Seuil, 1973, p. 165.8 : Lacan J., « La troisième », La Cause freudienne, n° 79, octobre 2011, p. 29.

Qu’une femme tombe sous le charme d’un vrai pervers ne fait symptôme qu’au regardde cette vérité qui indique l’absolue dysharmonie entre les hommes et les femmes dans larelation amoureuse. Certes, Lacan l’a répété, il n’y a pas de rapport sexuel, car la jouissance,d’être Une, y objecte. Cela n’en délivre pas moins la sanction de la perversion puisque, dansson programme de jouissance, le pervers se sert d’un objet particulier, ici le corps à peinepubère de l’adolescence pour satisfaire sa pulsion, acéphale (7), dit Lacan, pour en souligner lecaractère « sans queue ni tête », son côté débranché. Les conséquences pour une femmen’en sont que plus complexes – elle qui croit à la parole d’amour, prête à tout pour s’enparer.

Le réel dont il s’agit dans l’emprise consiste à se faire l’objet sexuel de celui quimanipule la parole à des fins de réduire le corps de l’autre à sa main, soit à son bon vouloir,mais aussi à ce qu’il est, objet a de pur semblant, d’où l’angoisse. Comme le dit Lacan :« L’angoisse […] est le sentiment qui surgit de ce soupçon qui nous vient de nous réduire ànotre corps. » (8) Pour Adèle H. comme pour Vanessa Springora, nul doute que leur paroleen porte la marque.

1 : Turchi M., « #MeToo dans le cinéma : l’actrice Adèle Haenel brise un nouveau tabou », Médiapart,3 novembre 2019, disponible ici & « #MeToo Adèle Haenel explique pourquoi elle sort du silence » Médiapart,4 novembre 2019, disponible ici.2 : Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore (1972-73), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 44.3 : Vanessa Springora, Le Consentement, Grasset, 2020. 4 : Freud S., « Trois essais sur la théorie sexuelle », Gallimard, 1987, p.189.5 : Sédat J., « Pulsion d’emprise », Che Vuoi ?, n° 32, 2009/2, p. 11-25. 6 : Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 35.7 : Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris,Seuil, 1973, p. 165.8 : Lacan J., « La troisième », La Cause freudienne, n° 79, octobre 2011, p. 29.

Page 7: L’emprise - Lacan Quotidien

Du livre à la lettre et retour

(In)actualité brûlante, la chronique de Nathalie Georges-Lambrichs

Il y a eu Zone frère (1), puis Hors zone (2). Patricia Janodyrécidive aujourd’hui, avec Chers collègues inconnus, sous-titréZone 3 (3). La démarche intrigue. Psychiatre engagée, P.Janody, lectrice de Jacques Lacan et psychanalyste, a aussicréé et dirigé les Cahiers pour la folie, puis les NouveauxCahiers.

Arrêtons-nous un instant sur ces titres.

De la première zone à la troisième, si l’on comptepour deuxième la zone dite « hors », donc impaire, quelfranchissement ? Le fait que l’on passe de deux livres,offerts au lecteur tout-venant, à une lettre, adressée, n’estpas indifférent : P. Janody nous interpelle aujourd’hui unpar un.

Sensible à ce désir de faire lien au-delà des limiteshabituelles, je voudrais relayer ce désir d’une toute seule etapprocher la trajectoire logique que ces trois livresdessinent.

Le premier livre explorait une « clinique du déplacement ». « La clinique a toujours étéprésente en psychiatrie sur un mode à la fois instable et contraint », écrivait-elle, […] c’estun fait qui tient « aux productions psychiques dans lesquelles elle s’immisce », et au « cadreinstitué dans lequel elle s’inscrit », « deux registres qui continuent à s’intriquer et secombattre » (p. 134). « Instable » égare ; le déplacement pousse donc à un repérage, à desnominations.

L’auteur énonçait aussi que « la zone qui chez le praticien s’éveille du fait de larencontre clinique, doit être précisée », indiquant qu’elle n’est autre que « ce lieu d’extimitéoù l’illusion d’être soi vole en éclats. ». Ainsi, concluait-elle, le « clinicien ne peut que faireservir ces restes à ce pourquoi, dès lors, il occupe la place de l’objet cause, pour un autre ».

Tout avait commencé par une lettre où une situation clinique dramatique lui étaitexposée. Un homme, malade, était maintenu à l’isolement par sa famille ; sa sœur faisaitappel à elle – l’auteur-narratrice. Bien qu’il fallût, pour répondre « oui », voyager loin etdemeurer sur place, P. Janody n’avait pas reculé. Le livre faisait le récit de cette cure si

Du livre à la lettre et retour

(In)actualité brûlante, la chronique de Nathalie Georges-Lambrichs

Il y a eu Zone frère (1), puis Hors zone (2). Patricia Janodyrécidive aujourd’hui, avec Chers collègues inconnus, sous-titréZone 3 (3). La démarche intrigue. Psychiatre engagée, P.Janody, lectrice de Jacques Lacan et psychanalyste, a aussicréé et dirigé les Cahiers pour la folie, puis les NouveauxCahiers.

Arrêtons-nous un instant sur ces titres.

De la première zone à la troisième, si l’on comptepour deuxième la zone dite « hors », donc impaire, quelfranchissement ? Le fait que l’on passe de deux livres,offerts au lecteur tout-venant, à une lettre, adressée, n’estpas indifférent : P. Janody nous interpelle aujourd’hui unpar un.

Sensible à ce désir de faire lien au-delà des limiteshabituelles, je voudrais relayer ce désir d’une toute seule etapprocher la trajectoire logique que ces trois livresdessinent.

Le premier livre explorait une « clinique du déplacement ». « La clinique a toujours étéprésente en psychiatrie sur un mode à la fois instable et contraint », écrivait-elle, […] c’estun fait qui tient « aux productions psychiques dans lesquelles elle s’immisce », et au « cadreinstitué dans lequel elle s’inscrit », « deux registres qui continuent à s’intriquer et secombattre » (p. 134). « Instable » égare ; le déplacement pousse donc à un repérage, à desnominations.

L’auteur énonçait aussi que « la zone qui chez le praticien s’éveille du fait de larencontre clinique, doit être précisée », indiquant qu’elle n’est autre que « ce lieu d’extimitéoù l’illusion d’être soi vole en éclats. ». Ainsi, concluait-elle, le « clinicien ne peut que faireservir ces restes à ce pourquoi, dès lors, il occupe la place de l’objet cause, pour un autre ».

Tout avait commencé par une lettre où une situation clinique dramatique lui étaitexposée. Un homme, malade, était maintenu à l’isolement par sa famille ; sa sœur faisaitappel à elle – l’auteur-narratrice. Bien qu’il fallût, pour répondre « oui », voyager loin etdemeurer sur place, P. Janody n’avait pas reculé. Le livre faisait le récit de cette cure si

Page 8: L’emprise - Lacan Quotidien

singulière et nouait ce qui, chez l’intervenante, est depuis la première minute mobilisé en sonfor intérieur, avec son parcours personnel et de formation, qu’elle exhumait au fur et àmesure qu’elle voyageait, sur le chemin du retour, une fois sa mission accomplie.

Le deuxième ouvrage tenait de l’inventaire, du bilan et du testament. Sur le seuil del’hôpital psychiatrique, où elle avait travaillé plus qu’à plein temps au cours de deuxdécennies et qu’elle s’apprêtait à quitter, P. Janody se retournait, prenait ses marques et sesrepères, pour faire tenir ensemble son expérience, son deuil et une forme d’enseignement.

L’exigence de donner aux détails leur expression juste qui caractérisait déjà son styles’est affirmée et renforcée dans ces deux ouvrages, pour rapprocher ce qui est le plus loin etle faire résonner avec le plus proche sur lequel elle a accommodé son regard et son écoute,presque au présent.

Trouer le livre par la lettreLe troisième ouvrage est en forme de lettre. Il est adressé, à « nous », « collègues », élémentsd’un ensemble que je suppose être poreux et possiblement inclure tous les analysants, invitéspar ce moyen à faire connaissance avec notre correspondante, dans un futur immédiat, quise révèle urgent, voire pressant, mine de rien.

La matière de cette lettre ne peut nous laisser indifférents, étant faite de tous lesmalentendus qui jalonnent le parcours d’une invitation lancée par un groupe de collègues àun auteur, qu’il s’agit de faire connaître et d’intéresser au programme d’un congrès.

Autour d’une « zone réfractaire à la traduction » (p. 71), P. Janody effectue undécryptage minutieux des dangereuses chausse-trappes semées par les bonnes intentions sousles pas d’un hôte, invité pour que l’on honore ses livres et son travail. Le fil de l’écriture, depetit saut en petit pas, « creuse » (p. 28) et prend dans ses rets les allers et retours incessantsqui, de visites en repas dans les entours du congrès, aux exposés en salle, passent par desaccords solennels, des promesses échangées et des démentis ordinaires, mais néanmoinscinglants, finissant par former ladite zone, soit le territoire de tous les malentendus quiauront abouti à cette lettre façonnée comme un livre, ou à ce livre en forme de lettre.

Sur la langue, mille choses de finesse auront été avancées, de l’intonation à la « sensationde langue » (p. 29) en passant par le rêve-cauchemar d’une « langue thérapeutique » dont ils’agit de se réveiller – et sur bien d’autres choses encore.

On dirait qu’un léger voile d’ironie flotte au-dessus de ces moments de rencontres,quand ils sont marqués du déploiement de la franche imposture et d’une ignorance férocepour combler l’écart entre des modes d’accueil de la souffrance incompatibles(cf. chapitre V) ; et qu’il se déchire quand s’impose l’authenticité d’un compte-rendu de cas(p. 74-80) où la parole qu’on n’attendait plus soudain se réveille et trouve son régime, pourborder l’indicible trauma décuplé par les violences et les supplices.

Hybride, kaléidoscopique même, la lettre, faite de petits riens, qui, à la manière desjenesaisquoi de Jankélévitch se succèdent, nous embobinerait, si nous ne nous tenions pasferme la corde de cette expédition : explorer sous tous ses angles la solitude radicale duclinicien, démontrer qu’elle seule nourrit le ressort de l’acte, et qu’elle est à son tour trouéepar l’adresse que comporte la forme de la lettre.

singulière et nouait ce qui, chez l’intervenante, est depuis la première minute mobilisé en sonfor intérieur, avec son parcours personnel et de formation, qu’elle exhumait au fur et àmesure qu’elle voyageait, sur le chemin du retour, une fois sa mission accomplie.

Le deuxième ouvrage tenait de l’inventaire, du bilan et du testament. Sur le seuil del’hôpital psychiatrique, où elle avait travaillé plus qu’à plein temps au cours de deuxdécennies et qu’elle s’apprêtait à quitter, P. Janody se retournait, prenait ses marques et sesrepères, pour faire tenir ensemble son expérience, son deuil et une forme d’enseignement.

L’exigence de donner aux détails leur expression juste qui caractérisait déjà son styles’est affirmée et renforcée dans ces deux ouvrages, pour rapprocher ce qui est le plus loin etle faire résonner avec le plus proche sur lequel elle a accommodé son regard et son écoute,presque au présent.

Trouer le livre par la lettreLe troisième ouvrage est en forme de lettre. Il est adressé, à « nous », « collègues », élémentsd’un ensemble que je suppose être poreux et possiblement inclure tous les analysants, invitéspar ce moyen à faire connaissance avec notre correspondante, dans un futur immédiat, quise révèle urgent, voire pressant, mine de rien.

La matière de cette lettre ne peut nous laisser indifférents, étant faite de tous lesmalentendus qui jalonnent le parcours d’une invitation lancée par un groupe de collègues àun auteur, qu’il s’agit de faire connaître et d’intéresser au programme d’un congrès.

Autour d’une « zone réfractaire à la traduction » (p. 71), P. Janody effectue undécryptage minutieux des dangereuses chausse-trappes semées par les bonnes intentions sousles pas d’un hôte, invité pour que l’on honore ses livres et son travail. Le fil de l’écriture, depetit saut en petit pas, « creuse » (p. 28) et prend dans ses rets les allers et retours incessantsqui, de visites en repas dans les entours du congrès, aux exposés en salle, passent par desaccords solennels, des promesses échangées et des démentis ordinaires, mais néanmoinscinglants, finissant par former ladite zone, soit le territoire de tous les malentendus quiauront abouti à cette lettre façonnée comme un livre, ou à ce livre en forme de lettre.

Sur la langue, mille choses de finesse auront été avancées, de l’intonation à la « sensationde langue » (p. 29) en passant par le rêve-cauchemar d’une « langue thérapeutique » dont ils’agit de se réveiller – et sur bien d’autres choses encore.

On dirait qu’un léger voile d’ironie flotte au-dessus de ces moments de rencontres,quand ils sont marqués du déploiement de la franche imposture et d’une ignorance férocepour combler l’écart entre des modes d’accueil de la souffrance incompatibles(cf. chapitre V) ; et qu’il se déchire quand s’impose l’authenticité d’un compte-rendu de cas(p. 74-80) où la parole qu’on n’attendait plus soudain se réveille et trouve son régime, pourborder l’indicible trauma décuplé par les violences et les supplices.

Hybride, kaléidoscopique même, la lettre, faite de petits riens, qui, à la manière desjenesaisquoi de Jankélévitch se succèdent, nous embobinerait, si nous ne nous tenions pasferme la corde de cette expédition : explorer sous tous ses angles la solitude radicale duclinicien, démontrer qu’elle seule nourrit le ressort de l’acte, et qu’elle est à son tour trouéepar l’adresse que comporte la forme de la lettre.

Page 9: L’emprise - Lacan Quotidien

P. Janody nous donne ainsi à penser une « Zone livre » où la passion de frapper laformule se subvertit du souci d’éclairer la cause du désir qui l’anime et le point de savoir,toujours en question, s’il y a lieu pour la psychanalyse. Elle permet aussi de questionner cequ’est l’auteur : une voix, en même temps qu’une polyphonie de voix qu’elle orchestre ensilence, une écriture mise au service d’un bien dire par écrit. Quelle gageure que cette écriturequi pour Lacan « se loge au cœur même de la parole », puisque « dans le même temps quel’on parle, se mobilise l’instance de la lettre, l’effet de l’écrit » (4) ! Or, n’est-ce pas ce lienentre la jouissance et l’écriture que l’auteur double ici d’une interpellation ?

Alors ? Et plus que « qu’en dites-vous ? » – question à laquelle je réponds trèsinsuffisamment ici –, que dites-vous, vous ? Et à qui le dites-vous ?

Le lecteur est au pied du mur de sa propre responsabilité ; il est attendu dans lesinterstices du livre tissés de conversations et de colloques, dans le cours desquels cette Zone 3a le mérite de laisser à désirer un usage autrement réglé de la lecture et de la parole. Il mesemble que c’est à ce réglage pour sa gouverne que l’auteur s’est attelée, seule avec sonapostrophe à ses lecteurs potentiels, ses « chers collègues inconnus » – qui invite à desrencontres collégiales, mais aussi interdisciplinaires pour traiter le malentendu originel et lefaire travailler dans une langue que chacun s’approprie à sa manière.

Alors, lorsque P. Janody écrit dans Hors zone « que [les personnages] soient romanesquesou cliniques n’y change pas tellement » (p. 151), veut-elle réunir la fiction et la vie, ou situerun littoral entre littérature et psychanalyse ?

Telle est la question avec laquelle nous espérons ouvrir une zone d’échanges, plutôt quede nous précipiter à « conclure ».

1 : Janody P., Zone frère, Paris, Epel, 2014 ; cf. compte-rendu dans Lacan Quotidien, n° 439, 13 novembre 2014.2 : Janody P., Hors zone, Paris, Epel, 2016 ; cf. compte-rendu dans Lacan Quotidien, n° 602, 9 octobre 2016.3 : Janody P., Chers collègues inconnus. Zone 3, Paris, Epel, 2019.4 : Cf. Simonet Pascale, « Des choses qui ne se font pas », L’Hebdo-blog, n° 89, 27 novembre 2016.

P. Janody nous donne ainsi à penser une « Zone livre » où la passion de frapper laformule se subvertit du souci d’éclairer la cause du désir qui l’anime et le point de savoir,toujours en question, s’il y a lieu pour la psychanalyse. Elle permet aussi de questionner cequ’est l’auteur : une voix, en même temps qu’une polyphonie de voix qu’elle orchestre ensilence, une écriture mise au service d’un bien dire par écrit. Quelle gageure que cette écriturequi pour Lacan « se loge au cœur même de la parole », puisque « dans le même temps quel’on parle, se mobilise l’instance de la lettre, l’effet de l’écrit » (4) ! Or, n’est-ce pas ce lienentre la jouissance et l’écriture que l’auteur double ici d’une interpellation ?

Alors ? Et plus que « qu’en dites-vous ? » – question à laquelle je réponds trèsinsuffisamment ici –, que dites-vous, vous ? Et à qui le dites-vous ?

Le lecteur est au pied du mur de sa propre responsabilité ; il est attendu dans lesinterstices du livre tissés de conversations et de colloques, dans le cours desquels cette Zone 3a le mérite de laisser à désirer un usage autrement réglé de la lecture et de la parole. Il mesemble que c’est à ce réglage pour sa gouverne que l’auteur s’est attelée, seule avec sonapostrophe à ses lecteurs potentiels, ses « chers collègues inconnus » – qui invite à desrencontres collégiales, mais aussi interdisciplinaires pour traiter le malentendu originel et lefaire travailler dans une langue que chacun s’approprie à sa manière.

Alors, lorsque P. Janody écrit dans Hors zone « que [les personnages] soient romanesquesou cliniques n’y change pas tellement » (p. 151), veut-elle réunir la fiction et la vie, ou situerun littoral entre littérature et psychanalyse ?

Telle est la question avec laquelle nous espérons ouvrir une zone d’échanges, plutôt quede nous précipiter à « conclure ».

1 : Janody P., Zone frère, Paris, Epel, 2014 ; cf. compte-rendu dans Lacan Quotidien, n° 439, 13 novembre 2014.2 : Janody P., Hors zone, Paris, Epel, 2016 ; cf. compte-rendu dans Lacan Quotidien, n° 602, 9 octobre 2016.3 : Janody P., Chers collègues inconnus. Zone 3, Paris, Epel, 2019.4 : Cf. Simonet Pascale, « Des choses qui ne se font pas », L’Hebdo-blog, n° 89, 27 novembre 2016.

Page 10: L’emprise - Lacan Quotidien

Les chatouilles ou la danse de la colère

par Élisabeth Leclerc-Razavet

Qui n’a pas succombé aux chatouilles que lui afaites son papa, son tonton, son cousin ? C’estun petit mot du langage d’enfance, tout comme« papouilles », plus proche encore de lalangue, sicourant et si suggestif.

Vous êtes-vous aventuré dans le filmd’Andréa Bescond (1) ? Sinon, allez-y ! On ne lesait pas forcément d’entrée, mais il faut ducourage. Ce qui a été caché vous saute à lafigure. Un enfant sur cinq a été violé. Beaucoupse sont tus.

Retour du traumatisme

Odette, âgée d’une trentaine d’année – AndréaBescond elle-même – se met à parler,publiquement, des « chatouilles » subies alorsqu’elle avait huit ans. Elle embarque une « psy »dans sa démarche. Celle-ci a tellementla « trouille » qu’elle veut l’envoyer ailleurs.« Pas question ! », répond Odette. « Vous êtes lapremière personne à qui je dis ce qui m’estarrivé. Vous m’écouterez ! » Elle a raison :l'écoute engage.

Durant vingt ans, elle a vécu sans vraiment y penser, dit-elle, et un jour, ça a resurgi,violemment.

On peut faire l’hypothèse que l’omerta levée sur la violence faite aux femmes – #metoo –a ouvert la porte à la parole sur la violence faite aux enfants. Il s’agit bien ici de viol, reconnucomme tel par la loi en 1980.

Les chatouilles ou la danse de la colère

par Élisabeth Leclerc-Razavet

Qui n’a pas succombé aux chatouilles que lui afaites son papa, son tonton, son cousin ? C’estun petit mot du langage d’enfance, tout comme« papouilles », plus proche encore de lalangue, sicourant et si suggestif.

Vous êtes-vous aventuré dans le filmd’Andréa Bescond (1) ? Sinon, allez-y ! On ne lesait pas forcément d’entrée, mais il faut ducourage. Ce qui a été caché vous saute à lafigure. Un enfant sur cinq a été violé. Beaucoupse sont tus.

Retour du traumatisme

Odette, âgée d’une trentaine d’année – AndréaBescond elle-même – se met à parler,publiquement, des « chatouilles » subies alorsqu’elle avait huit ans. Elle embarque une « psy »dans sa démarche. Celle-ci a tellementla « trouille » qu’elle veut l’envoyer ailleurs.« Pas question ! », répond Odette. « Vous êtes lapremière personne à qui je dis ce qui m’estarrivé. Vous m’écouterez ! » Elle a raison :l'écoute engage.

Durant vingt ans, elle a vécu sans vraiment y penser, dit-elle, et un jour, ça a resurgi,violemment.

On peut faire l’hypothèse que l’omerta levée sur la violence faite aux femmes – #metoo –a ouvert la porte à la parole sur la violence faite aux enfants. Il s’agit bien ici de viol, reconnucomme tel par la loi en 1980.

Page 11: L’emprise - Lacan Quotidien

Témoignage

Odette, entre huit et douze ans, a été violée par « l’ami de la famille », régulièrement, sous lenez de ses parents, « en toute confiance ».

Confortablement installés dans nos fauteuils, nous embarquons pour un parcours àfortes turbulences, jalonné de sidération, de douleur, d’une colère insubmersible, dehurlements, d’excitation « hors-bord », de défonce. La « psy » sort manifestement de ce quifait son cadre habituel, accompagne comme elle peut cette jeune femme qui se met endanger. Elle se met en colère à l’occasion, afin de faire limite. Il lui arrive d’être débordée,mais elle ne lâche pas. Elle tient, par sa présence, quand le sujet ne peut affronter seule leréel qui l'envahit. Dans le film, des flash-backs renvoient à la violence du traumatisme et deses effets.

Un appui

La danse, déjà là au cœur de l’enfance, est pour Odette une force, un appui pour fairecoupure à ce qui la mine en silence. Elle se voit étoile sur la scène de l’Opéra de Paris, faceau public. Déjà elle cherche à sortir du privé. Reçue brillamment au concours d’une école dedanse, la jeune adolescente part pour Paris. Quand « l’ami de la famille », avec labénédiction des parents, vient lui rendre visite, un fantasme du père entrant dans la pièce et« cassant la gueule » à cet homme lui permet de dire « Non ». Cet appel, silencieux, au pèrereprésente néanmoins un point de capiton majeur – ce que l’avenir confirmera.

Malgré une vie chaotique, la danse emporte la jeune femme dans des tournéesbrillantes où elle ne recule pas à mettre tout son être… pour le meilleur et pour le pire. Unechute, dans ce contexte professionnel, lui fait rencontrer un ostéopathe. L’homme est touchépar l’énergie du rapport de ce sujet à la vie. L’amour se faufile – quelques scènes apportentenfin un peu de repos dans ce tumulte ; une pause est faite dans les séances « psy ». Mais ànouveau, pour Odette, la violence surgit ; cette fois, entre elle et cet homme qui l’aime.Désarçonné, il évoque dans le mi-dire un éloignement possible. L’ombre d’un abandon ladéchire.

La « psy » intervient : « Alors, vous devez parler à vos parents. » Épreuve desépreuves !

L’« aveu » d’Odette provoque un face à face mère/fille et Karine Viard, dans le rôle dela mère, est terrifiante. Le père, cette fois, est là pour la protéger. Dans un cri de colère et dedouleur, il affirme qu’il croit sa fille. Une plainte est déposée. En sortant du commissariat, lamère, toujours d’un bloc, reste inatteignable. Rien de la féminité et de ce que sa fille a subine doit l’émouvoir. Mais nous assistons à une scène très touchante, celle du « pardon » dupère. Sa fille pleure dans ses bras – enfin !

À nouveau seule, Odette, en sanglots, appelle alors au secours cet homme qui l’a aiméepour sa vitalité. Il vient. Il va entendre.

Témoignage

Odette, entre huit et douze ans, a été violée par « l’ami de la famille », régulièrement, sous lenez de ses parents, « en toute confiance ».

Confortablement installés dans nos fauteuils, nous embarquons pour un parcours àfortes turbulences, jalonné de sidération, de douleur, d’une colère insubmersible, dehurlements, d’excitation « hors-bord », de défonce. La « psy » sort manifestement de ce quifait son cadre habituel, accompagne comme elle peut cette jeune femme qui se met endanger. Elle se met en colère à l’occasion, afin de faire limite. Il lui arrive d’être débordée,mais elle ne lâche pas. Elle tient, par sa présence, quand le sujet ne peut affronter seule leréel qui l'envahit. Dans le film, des flash-backs renvoient à la violence du traumatisme et deses effets.

Un appui

La danse, déjà là au cœur de l’enfance, est pour Odette une force, un appui pour fairecoupure à ce qui la mine en silence. Elle se voit étoile sur la scène de l’Opéra de Paris, faceau public. Déjà elle cherche à sortir du privé. Reçue brillamment au concours d’une école dedanse, la jeune adolescente part pour Paris. Quand « l’ami de la famille », avec labénédiction des parents, vient lui rendre visite, un fantasme du père entrant dans la pièce et« cassant la gueule » à cet homme lui permet de dire « Non ». Cet appel, silencieux, au pèrereprésente néanmoins un point de capiton majeur – ce que l’avenir confirmera.

Malgré une vie chaotique, la danse emporte la jeune femme dans des tournéesbrillantes où elle ne recule pas à mettre tout son être… pour le meilleur et pour le pire. Unechute, dans ce contexte professionnel, lui fait rencontrer un ostéopathe. L’homme est touchépar l’énergie du rapport de ce sujet à la vie. L’amour se faufile – quelques scènes apportentenfin un peu de repos dans ce tumulte ; une pause est faite dans les séances « psy ». Mais ànouveau, pour Odette, la violence surgit ; cette fois, entre elle et cet homme qui l’aime.Désarçonné, il évoque dans le mi-dire un éloignement possible. L’ombre d’un abandon ladéchire.

La « psy » intervient : « Alors, vous devez parler à vos parents. » Épreuve desépreuves !

L’« aveu » d’Odette provoque un face à face mère/fille et Karine Viard, dans le rôle dela mère, est terrifiante. Le père, cette fois, est là pour la protéger. Dans un cri de colère et dedouleur, il affirme qu’il croit sa fille. Une plainte est déposée. En sortant du commissariat, lamère, toujours d’un bloc, reste inatteignable. Rien de la féminité et de ce que sa fille a subine doit l’émouvoir. Mais nous assistons à une scène très touchante, celle du « pardon » dupère. Sa fille pleure dans ses bras – enfin !

À nouveau seule, Odette, en sanglots, appelle alors au secours cet homme qui l’a aiméepour sa vitalité. Il vient. Il va entendre.

Page 12: L’emprise - Lacan Quotidien

Passage au public

La cheville du film est là : porter plainte. Un procès d’Assises s’ensuivra, au grand dam de lamère qui craint pour sa réputation. Elle ne bougera pas d’un pouce.

Le procès est sans concession de la part de la cinéaste. Ce n’est plus Odette qui est surle devant de la scène, mais une parmi d’autres – me too ! Le passage au public se fait sur unescène réelle, avec des mots crus, devant un public réel, qui condamne. Il le fallait !

Que nous dit ce témoignage ?

Que ce traumatisme d’enfance peut rester silencieux, puis soudain resurgir violemment.

Il nous amène à réfléchir sur la question de porter plainte, sans prescription de temps,mais aussi sur l’importance du « passage au public » : sortir de l’omerta, de la honte, d’uneposition de victime, avec la nécessité d’élaborer sa propre réponse face à ce réel qui peuttoujours resurgir.

Il est à souligner que la « psy », en ne reculant pas, a accepté d’abandonner tout savoirpréalable, au risque d’être elle-même débordée. Elle a soutenu la création, l’invention dusujet. Courageux. Nous n’en savons pas plus. Sa présence, avec son corps, a été le pilier dutransfert pour traverser la tempête, afin que ce sujet, Andréa Bescond, trouve sa solution. Cefilm en témoigne.

Concernant les enfants, il importe de ne jamais oublier que la dimension traumatiqueest donnée, dit Freud, par l’effraction d’une « volupté pré-sexuelle » (2), en un temps où ça nedevrait pas arriver. L’enfant l’éprouve sans pouvoir la traduire. Il en reste une marqueineffaçable, comme un « écho dans la vie d’une première fois » (3).

Cette marque traumatique de jouissance est à « porter » par le sujet, une fois reconnuesa position de victime – temps logique incontournable. Que va-t-il en faire ? C’est ce qui luiappartient, afin de se départir de cette position de victime, et de retrouver ainsi son désir etsa fierté.

Ce trajet est extrêmement complexe. Un parcours analytique peut y mener. Àcondition selon moi, pour l’analyste, de rester humble et de se rappeler, face à chaque casnouveau, ce que Lacan nous a enseigné : « Du savoir, faisons table rase ». Cette omerta férocesur les traumatismes sexuels a traversé notre malaise dans la civilisation.

1 : Bescond A., coréalisatrice et actrice du film Les chatouilles (2018), qui a reçu deux César, adaptation de sa pièceLes chatouilles ou la danse de la colère (2015-2016), Molière du meilleur spectacle.2 : Freud S., « Lettre à Fliess » n° 30, La naissance de la psychanalyse, PUF, 1979, p. 113 : « T’ai-je déjà révélé,oralement ou par écrit, le grand secret clinique ? L’hystérie résulte d’un effroi sexuel présexuel, la névroseobsessionnelle, d’une volupté sexuelle présexuelle transformée ultérieurement en sentiment de culpabilité. »3 : Cottet S., « Freud et l’actualité du trauma », La Cause du désir, n° 86, 2014, p. 33.

Passage au public

La cheville du film est là : porter plainte. Un procès d’Assises s’ensuivra, au grand dam de lamère qui craint pour sa réputation. Elle ne bougera pas d’un pouce.

Le procès est sans concession de la part de la cinéaste. Ce n’est plus Odette qui est surle devant de la scène, mais une parmi d’autres – me too ! Le passage au public se fait sur unescène réelle, avec des mots crus, devant un public réel, qui condamne. Il le fallait !

Que nous dit ce témoignage ?

Que ce traumatisme d’enfance peut rester silencieux, puis soudain resurgir violemment.

Il nous amène à réfléchir sur la question de porter plainte, sans prescription de temps,mais aussi sur l’importance du « passage au public » : sortir de l’omerta, de la honte, d’uneposition de victime, avec la nécessité d’élaborer sa propre réponse face à ce réel qui peuttoujours resurgir.

Il est à souligner que la « psy », en ne reculant pas, a accepté d’abandonner tout savoirpréalable, au risque d’être elle-même débordée. Elle a soutenu la création, l’invention dusujet. Courageux. Nous n’en savons pas plus. Sa présence, avec son corps, a été le pilier dutransfert pour traverser la tempête, afin que ce sujet, Andréa Bescond, trouve sa solution. Cefilm en témoigne.

Concernant les enfants, il importe de ne jamais oublier que la dimension traumatiqueest donnée, dit Freud, par l’effraction d’une « volupté pré-sexuelle » (2), en un temps où ça nedevrait pas arriver. L’enfant l’éprouve sans pouvoir la traduire. Il en reste une marqueineffaçable, comme un « écho dans la vie d’une première fois » (3).

Cette marque traumatique de jouissance est à « porter » par le sujet, une fois reconnuesa position de victime – temps logique incontournable. Que va-t-il en faire ? C’est ce qui luiappartient, afin de se départir de cette position de victime, et de retrouver ainsi son désir etsa fierté.

Ce trajet est extrêmement complexe. Un parcours analytique peut y mener. Àcondition selon moi, pour l’analyste, de rester humble et de se rappeler, face à chaque casnouveau, ce que Lacan nous a enseigné : « Du savoir, faisons table rase ». Cette omerta férocesur les traumatismes sexuels a traversé notre malaise dans la civilisation.

1 : Bescond A., coréalisatrice et actrice du film Les chatouilles (2018), qui a reçu deux César, adaptation de sa pièceLes chatouilles ou la danse de la colère (2015-2016), Molière du meilleur spectacle.2 : Freud S., « Lettre à Fliess » n° 30, La naissance de la psychanalyse, PUF, 1979, p. 113 : « T’ai-je déjà révélé,oralement ou par écrit, le grand secret clinique ? L’hystérie résulte d’un effroi sexuel présexuel, la névroseobsessionnelle, d’une volupté sexuelle présexuelle transformée ultérieurement en sentiment de culpabilité. »3 : Cottet S., « Freud et l’actualité du trauma », La Cause du désir, n° 86, 2014, p. 33.

Page 13: L’emprise - Lacan Quotidien

Lacan Quotidien, « La parrhesia en acte », est une production de Navarin éditeur1, avenue de l’Observatoire, Paris 6e – Siège : 1, rue Huysmans, Paris 6e – [email protected]

Directrice, éditrice responsable : Eve Miller-Rose ([email protected]).Éditorialistes : Christiane Alberti, Pierre-Gilles Guéguen, Anaëlle Lebovits-Quenehen.Maquettiste : Luc Garcia.Relectures : Sylvie Goumet, Michèle Rivoire, Pascale Simonet, Anne Weinstein.Électronicien : Nicolas Rose.Secrétariat : Nathalie Marchaison.Secrétaire générale : Carole Dewambrechies-La Sagna.Comité exécutif : Jacques-Alain Miller, président ; Eve Miller-Rose.

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Lacan Quotidien, « La parrhesia en acte », est une production de Navarin éditeur1, avenue de l’Observatoire, Paris 6e – Siège : 1, rue Huysmans, Paris 6e – [email protected]

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