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Histoire des arts - Géraldine CREUSOT Page 1 L’art naïf suscite, dans un premier temps, le mépris. Il n’est ni conforme aux préceptes de l’Académie, ni adepte des recherches abstraites du début du vingtième siècle. En 1870 , la France entre sous la 3ème République . Exposition universelle en 1889. Progrès industriels permettent à une élite financière de s’enrichir et de vivre dans la luxure des salons parisiens. Les ouvriers vivent dans la misère Les Parisiens ne se confondent pas avec les Français. Le mouvement traverse la 1ère puis 2de guerre mondiale (14-18 puis 39-45) DATES 1850 à 1890. DÉFINITION L’école de Pont Aven (Pont Aven est une ville du sud Finistère) regroupe des peintres et doit son nom aux séjours qu’ils ont passés dans cette ville, attirés par un paysage pittoresque, la mer, les rochers, l’Aven mais aussi la forêt et le bocage. Fuyant les salons parisiens, l’art bourgeois du XIXe siècle, les artistes vont particulièrement apprécier la qualité de vie en Bretagne. C’est en 1886 que Paul Gauguin y vient pour la première fois. Encore impressionniste à son arrivée, il propose rapidement une peinture libérée des contraintes d’imitation du réel et totalement novatrice. En effet, après les impressionnistes, peintres de la perception immédiate, de la sensation visuelle, les artistes de Pont Aven vont faire de la toile un lieu de réflexion.Tout en gardant le motif, peignant les hommes, les paysages, les peintres de Pont Aven abolissent la perspective. Les formes sont simplifiées. Marqués par les estampes japonaises, ils affirment le plan de la toile par un cerne noir autour des masses colorées. Les couleurs sont franches, exacerbées et posées en aplat. On parle alors de synthétisme. CONTEXTE HISTORIQUE Ronde des petites bretonnes - Huile sur toile L’école de Pont Aven

L’école de Pont Aven - professeur.creusot.fr · Les couleurs sont posées en aplats, sans nuance. Ce sont des blocs de couleur uniformes (couleur pure et vive) qui se juxtaposent,

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Histoire des arts - Géraldine CREUSOT Page 1

L’art naïf suscite, dans un premier temps, le mépris. Il n’est ni conforme aux préceptes de l’Académie, ni adepte des recherches abstraites du début du vingtième siècle.• En 1870 , la France entre sous la 3ème République .• Exposition universelle en 1889.

• Progrèsindustrielspermettentàuneélitefinancièredes’enrichiretdevivredanslaluxuredessalonsparisiens.• Les ouvriers vivent dans la misère • Les Parisiens ne se confondent pas avec les Français.

• Le mouvement traverse la 1ère puis 2de guerre mondiale (14-18 puis 39-45)

DATES1850 à 1890.

DéFInITIOnL’école de Pont Aven (Pont Aven est une ville du sud Finistère) regroupe des peintres et doit son nom aux séjours qu’ils ont passés dans cette ville, attirés par un paysage pittoresque, la mer, les rochers, l’Aven mais aussi la forêt et le bocage. Fuyant les salons parisiens, l’art bourgeois du XIXe siècle, les artistes vont particulièrement apprécier la qualité de vie en Bretagne. C’est en 1886 que Paul Gauguin y vient pour la première fois. Encore impressionniste à son arrivée, il propose rapidement une peinture libérée des contraintes d’imitation du réel et totalement novatrice.En effet, après les impressionnistes, peintres de la perception immédiate, de la sensation visuelle, les artistes de Pont Aven vontfairedelatoileunlieuderéflexion.Toutengardantlemotif,peignantleshommes,lespaysages,lespeintresdePontAvenabolissentlaperspective.Lesformessontsimplifiées.Marquésparlesestampesjaponaises,ilsaffirmentleplandelatoilepar un cerne noir autour des masses colorées. Les couleurs sont franches, exacerbées et posées en aplat. On parle alors de synthétisme.

COnTEXTE HISTORIqUE

Ronde des petites bretonnes - Huile sur toile

L’école de Pont Aven

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Comme pour l’impressionnisme, on trouve les mêmes innovations technologiques, musiciens et écrivains :

Des innovations techniques importantes•La photographie, vers 1839, qui permet de rendre la réalité dans ses moindres détails va libérer les artistes et les amener à explorer d’autres sujets et d’autres façons de peindre.•Les tubes de peinture en métal et le chevalet, faciles à transporter, offrent aux artistes la possibilité de quitter plus facilement les ateliers pour aller peindre en plein air.•Le développement du chemin de fer rendlesdéplacementsplusaisésetconduitlesartistessurlesbordsdelaSeine,delaMarneetenNormandie.

MusiqueBizet,Brahms,Liszt,Mendelssohn,Offenbach,Rossini,Saint-Saëns,Schumann,Tchaïkovski,Verdi,Wagner

LittératureGuydeMaupassant,GustaveFlaubert,VictorHugo,StéphaneMallarmé,ÉmileZola,ArthurRimbaud,JulesVerne,ÉmileZola,HermannMelville,AntonTchekhov,LéonTolstoï, nietzsche.

Jules VERNE• VoyageaucentredelaTerre

(1864)• Vingtmillelieuessouslesmers

(1870), publié en deux parties (1869 et 1870)

• Le Tour du monde en quatre-vingts jours (1873)

Guy de Maupassant• Bel-Ami (1885)• Contes de la bécasse (1883)• Le Horla (1887)

Si on regarde bien cette image, on remarque son éclairage particulier. En effet, la pose a duré de nombreuses heures (on estime la pose entre 14 et 18 heures) ; le soleil a donc éclairé le mur de droite puis celui de gauche plus tard dans la journée.

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LES CARACTéRISTIqUES PLASTIqUES

Les artistes puisent leurs sujets dans les traditions, tels la lutte bretonne et les costumes traditionnels. La campagne bretonne et la vie de tous les jours les inspirent. L’espacedutableaus’échelonnedubasverslehautpardesplanssimplifiés.LeCLOISONNISMErenforcel’effetdesurfaceetconsisteàcernerchaquemotifd’untrait.Ces«cloisons»,inspiréesdel’estampejaponaise,évoquentlesplombsqui sertissent les pièces de verre dans la technique du vitrail. La ligne synthétise les formes, réduit les détails et ondule de manière décorative.L’absencedesourcelumineusedéfinitunmodelérudimentaire.Lescouleurspuresetviolentesappliquéesenaplatetéloignéesdutonréel,ressortentparmilestons sourds et manifestent le souci de synthèse.La matière picturale lisse s’anime de quelques frottis.

PaulGaugin-LaVisionaprèslesermonouLaLuttedeJacobavecl’ange(1888)

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Oser la couleur :Les couleurs ne sont pas celles du paysage. quand l’artiste voit quelque chose d’un peu rouge (comme un arbre en automne), il le peint du plus beau rouge de sa palette. L’artiste exagère la couleur, il ose la couleurL’artiste ne peint ce qu’il voit avec ses yeux, il peint ce qu’il voit avec son cœur, avec son imagination.

Aplats de couleurs :Les couleurs sont posées en aplats, sans nuance. Ce sont des blocs de couleur uniformes (couleur pure et vive) qui se juxtaposent, comme les pièces d’un puzzle. Il n’y a plus l’effet des ombres et de la lumière si cher aux impressionnistes.

Cloisonnisme :Chacun des blocs de couleur est cerné d’un trait plus foncé. C’est le cloisonnisme. Ce cerne permet de délimiter les aplats de couleur les uns par rapport aux autres. Il permet aussi de mettre en valeur les éléments peints. Paul Gauguin utilisait le bleu de Prusse, un bleu très foncé

Synthétisme :Lebutdecesartistesest«alleràl’essentiel».Eliminerlesdétailsquin’ajoutentrienàl’idéeàfairepasser.Neconserverquelesélémentsprincipaux.Commeunrésumé,ongardecequiestimportantetonsupprimetouslesdétailssuperflus.Il n’y a ni porte ni fenêtre aux maisons ; ce qui n’empêche pas de les voir. Personnage sans détail anatomique et pourtant pas de doute possible, c’est une femme

Symbolisme :A l’inverse du point précédent, l’artiste peut aussi exagérer un élément du paysage ou un détail anatomique pour attirer notre attention sur un aspect, sur un message à faire passer.Pour«lesenfantsluttant»,c’estlatailledespiedsquitraduitlebesoind’appuisolideausolpourgagnerlecombat.Introduction aussi d’objets, animaux à forte valeur suggestive d’une idée pour faire passer un message, à priori, parfois caché.

Géométrisation :Le squelette du tableau est composé de lignes et formes géométriques.L’utilisation des formes contribue aussi à l’impression de douceur ou dureté transmise par le tableau.

Perspective et proportions :Contrairementàcequeperçoitl’œiletàcequepeignentlesartistesréalistesetimpressionnistes,laperspectivehumaineestmodifiée.Letableaunepartpasenprofondeur. La 3ème dimension est supprimée. Un tableau, c’est une toile, une surface plane avec une hauteur et une largeur.Ce qui est plus loin dans le regard est peint plus haut sur le tableau. Les sujets se superposent en étages. La perspective est en hauteur. Plus fort, c’est même souvent une vue plongeant sur la scène suivie d’une perspective en hauteur. Souvent, il n’y a pas de ciel, pas de ligne d’horizon. De même, l’artiste ne respecte les proportions liées à l’éloignement. Ce qui est plus loin est plus haut dans le tableau mais pas forcément plus petit.

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Paul Gauguin - Enfants luttant (juillet 1888)

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ARTISTES PEInTRESPaul Gauguin (1848 - 1903)confère l’unité au style et associe les artistes de l’école de Pont-Aven. La recherche du primitif l’entraîne vers le petit village du Pouldu en 1889, puis vers Tahiti en 1891.

Autoportrait,(1893)Muséed’Orsay,Paris

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Autoportrait au Christ jaune 1889, Paris, musée d’Orsay

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VuesurPont-AvenprisedeLezaven

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-«LesRamasseusesdevarech»-Huilesurtoile87cmx112,5cm-Peinten1889

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Paysannes bretonnes

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Ronde des petites bretonnes - Huile sur toile

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Paul Sérusier ( 1 863- 1 927)adopte des tons sourds et transmet les conceptions esthétiques de Gauguin aux nabis.

Portrait de Paul Sérusier

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Intérieur à Pont Aven - Huile sur Toile - 94 x 73 cm

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PaulSérusier,combatdeluttebretonne,1894,huilesurtoile,92x73cm,Muséed’Orsay,Paris

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Histoire des arts - Géraldine CREUSOT Page 15FermeàLePouldu,1890,huilesurtoile,72,1x60cm,NationalGalleryofArt,Washington

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Histoire des arts - Géraldine CREUSOT Page 16Ramasseur de varech, 1890, huile sur toile, 46 x 54,9 cm

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L’averse,1893,huilesurtoile73x59,6cm,Muséed’Orsay,Paris

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Émile Bernard (1868-1941 )se rend à Pont-Aven en 1888.Lecloisonnementdesplanscoloréssimplifiésleséduit.Ils’écartedustyledanslesannées1890pourunefigurationmystique.

Autoportraitauvasedefleurs(1897)

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MadeleineauBoisd’Amour(1888),Paris,muséed’Orsay.

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LaMoissond’unchampdeblé(1888),muséed’Orsay,Paris.

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Le Pardon. Les Bretonnes dans la prairie (1888), collection particulière.

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Les Baigneuses à la vache rouge (1889, daté 1887 par l’artiste), musée d’Orsay, Paris.

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Bretonnes aux ombrelles (1892), musée d’Orsay, Paris.

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ANALYSED’ŒUVRE

Paul Sérusier - Le talisman - Le bois d’amour à Pont-Aven - Huile sur Bois - 27 x 21.5 cm. - Paris, musée d’Orsay

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Abandon d’une conception mimétique

Le Talisman de Paul Sérusier, ce tableau peint d’après une leçon de peinture, donnée à distance (aujourd’hui Sérusier l’aurait peint en chattant avec Gauguin), est la plus belle histoire de mémoire émotionnelle dans l’art : l’émotion naît de l’imagination et de la transposition.

«Commentvoyez-vouscetarbre?Ilestvert.Mettezduvert,leplusbeauvertdevotrepalette;etcetteombre,plutôtbleue?Necraignezpasdelapeindreaussibleuequepossible»,c’estcequePaulGauguinproposaàPaulSérusier.

Sujet

Il s’agit d’un lieu réel, Le Bois d’Amour, le long de la rivière l’Aven à Pont-Aven en Bretagne où se trouvaient Sérusier et Gauguin durant l’été 1888.

Paul Sérusier avait 24 ans à l’époque du talisman, cette œuvre originellement simple petit paysage est le fruit d’une leçon de peinture que le jeune homme avait demandé à Gauguin par l’intermédiaire d’Emile Bernard. Le leçon fut sans doute bouleversante pour le jeune peintre car il revint de son équipée Bretonne avec ce petittableaupeintsurbois,etlemontracommeun«talisman»àsescamaradesdel’écolequidevaientdevenirlesNabis.

Gauguin l’avait en fait poussé à insister sur le travail de couleur, jusqu’à rejoindre la couleur pure à partir des indications de lumière. Sérusier avait été formé à l’académieJuliandoncaumétiertraditionneldelapeinture,cetteœuvreestd’ailleursfaitesurboisdoncdelamanièrelaplusclassiquequisoit.Maisl’interventiontrès désirée de Gauguin fait évoluer Sérusier en une seule séance de travail.

Il s’agit donc d’un banal bord de rivière, avec quelques arbres, des peupliers d’Italie ou des trembles, une petite ferme semble-t-ilcarletravaildepeinturetendlàadissimulerlesformesauprofitdestachesdecouleurspures.

Composition

-Cetableauest intéressantparrapportauxcompositions impressionnistesdont ilgarde legoûtdesrefletsdans l’eau,thèmequiferapratiquementtouteladernièrepartiedel’œuvredeClaudeMonet.-Unegrandediagonalecoupeletableauendeuxpartiesdonnantlapartlaplusimportanteaurefletdupaysagedansl’eauétale et semble-t-il très calme de cette rivière Bretonne.-Lesformesperdentdeleurlisibilitécariln’yapasdevaleursaffirmée,toutletravailestuntravaildedispositiondanslacomposition des taches de couleurs.- Pourtant les lignes de force apparaissent néanmoins ; la ligne du bord de l’eau se distingue ainsi que la ligne courbe de la rive opposée, dans l’ombre celle-la.- Les deux grandes masses verticales des arbres qui traversent le tableau produisent un sentiment de glissement qui indique auregardlaprésencedelarivière;celle-cioccupantunesurfacetrèsimportantepouvaiteneffetannulercequ’ellereflétait.

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Couleur, lumière

La couleur était le but de cette expérience de peinture, elle apparaît dès le premier regard comme essentielle dans ce petit tableau, il faut d’ailleurs quelques secondes pour lire le sujet du tableau tellement la couleur occupe les formes et les éloigne de la lisibilité.Sérusiernechercheplusicil’exactitudedelacouleurlocalemaisunesortedemécaniquevisuelle,ilveutatteindre«l’ossature»delaperceptionvisuellepourrenouveler sa peinture en déplaçant les éléments composant une lumière, dans des zones de couleurs pures. Ainsi la lumière qui inonde la rive opposée est traitée en rouge vermillon, les troncs des arbres sont bleus ciel, les feuillages, tout au moins la partie centrale, ocre jaune. De même pour la zone d’ombre

De l’autre rive, à droite du tableau, le feuillage est travaillé en grande partie à la terre d’ombre brûlée.

Aucentreunetacheblanchequisereflètedanslarivièreetquiestlamesureoriginelledelalumière,ils’agitsansdoutedelafaçaded’unefermequisecontinueparunegrangeenpierregrisecommeonenvoitbeaucoupenBretagne,onretrouvesongrisbleudanslerefletaussi,maisatténué

Etrejoignantunpeulapartdecielreflétéqu’onvoitenbasàdroitedutableau.Lesdeuxgrandesmassesdesfeuillages,jauneetvertclairetcesdeuxzonesdecouleursverteetgrisbleueentreellessereflètentdanscetteeaud’uncalmequ’onnevoitqu’àlatombéedujour.Ellessontreflétéesd’unemanièreinégalelapartiecentraleestmélangéeaveclefeuillagevertclair,cedétaildonnelesentimentd’undéplacementdesformesquerenforcelafixitédespetites«îles»deterreet les deux cailloux au milieu de l’eau.

«Commentvoyez-vouscetarbreavaitditGauguindevantuncoinduBoisd’Amour;ilestvert.Mettezduvert,leplusbeauvertdevotrepalette;etcetteombre,plutôtbleue?Necraignezpasdelapeindreaussibleuequepossible».

Matière, forme

MaiscequiasurtoutintéresséSérusierdanscettevuec’estbiensurlerefletdansl’eauoùtouts’organiseenmassesdecouleurspresqueinformellesquiconfondentlesformesenunevibrationdepuretransparenceetreflet.

Les formes de ce tableau sont fort bien agencées car elle permettent une lecture du tableau même si quelques détails prêtent à confusion.

Ce petit tableau peint sur bois est presque abstrait par son synthétisme. Les formes sont très distanciées par rapport à La réalité observée. Le message de Gauguin estceluid’unelibérationdel’artisteparrapportaumotif.CepetitpanneauquidevaitdevenirletableaufétichedesNabispréfigurebiendesaudacesultérieurescommelefauvismeetl’abstractionmaisildevaitresterconfidentieljusqu’àsonacquisitionparlemuséed’Orsayen1985.

Mais Sérusier n’est pas allé au bout de l’expérience, ce seront par la suite les fauves et certains expressionnistes, particulièrement Rotluf et Kandinsky quireprendront cette leçon de Gauguin car Sérusier ira sur un tout autre chemin avec les nabis, celui d’une peinture ésotérique peut être trop profondément marquée de l’empreinte de Gauguin.