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L’Europe à la carte ? Eurotémis – Journées de l’Union Européenne 3° Edition – Sciences Po Bordeaux 28-29/11/2013

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L’Europe à la carte ? Eurotémis – Journées de l’Union Européenne

3° Edition – Sciences Po Bordeaux

28-29/11/2013

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 1

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 2

Sommaire

Les Auteurs ....................................................................................................................... 3

L’Europe à la carte : au cœur du processus européen .................................................... 4

L’Europe politique : problèmes d’hier et de demain......................................................................... 4 Une coopération mise à mal : la « crise de la chaise vide » ............................................................. 4 Un problème d’avenir: le référendum de David Cameron ............................................................... 4 L’Europe économique : self-service ? ................................................................................................ 5 Europe à la carte, Europe à géométrie variable, Europe à plusieurs vitesses ............................... 5 L’Europe politique à la carte ............................................................................................. 7

Opting-out et coopérations renforcées: plus d’intégration ou abandon de la logique

communautaire? ................................................................................................................................ 7 La méthode communautaire contre la méthode intergouvernementale ....................................... 7 Une démocratie à la carte ? .............................................................................................................. 8 L'Union européenne à la carte : quelles conséquences à l'international ? .................................... 9 L’Europe «à la carte» … en 2020 ..................................................................................................... 10 Les enjeux économiques de l’Europe « à la carte » ........................................................ 11

Une Europe ou plusieurs ? Des unions économiques ................................................................... 11 Quelques domaines dans lesquels l’UE est bien intégrée ............................................................ 12 L'Europe en quête d'une convergence des politiques économiques ............................................ 13 L’Europe à la carte dans la crise économique ................................................................................ 13 L’Europe à la carte : perspectives et enjeux ................................................................................... 15 L’Europe juridique : le droit à la carte ? ......................................................................... 18

Les géométries variables prévues au niveau conventionnel ......................................................... 18 La multiplication des protocoles ...................................................................................................... 19 Les dérogations ponctuelles ............................................................................................................ 19 Les géométries variables prévues au niveau législatif .................................................................. 20 La différenciation dans la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) ........................ 21 L’Union Economique et Monétaire du point de vue juridique ........................................................ 22 Les questions liées à l’Espace de liberté, de sécurité et de justice ............................... 23

L’ELSJ : la construction d’une « Europe à géométrie variable » ..................................................... 23 L’ELSJ : une intégration menacée par la différenciation de l’Europe à la carte .......................... 24 L’ELSJ : une intégration dissimulée par la différenciation de l’Europe à la carte ....................... 25

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 3

Les Auteurs

Ce dossier a été réalisé conjointement par les étudiants de l’IEP de Bordeaux, de l’Université de Bordeaux

IV et de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour dans le cadre de la préparation d’Eurotémis.

Il a été supervisé par Jean-Charles Leygues, Olivier Dubos, Henri Labayle, David Szymczak, Amélie Da

Fonseca et Hugo Canihac.

Etudiants de Sciences Po Bordeaux (Masters 2 « Carrières Européennes » et « Action

Publique et Représentation des Intérêts »)

Questions politiques

Basinski Marie

Birot Pierre

Bléron Claire

Blondel Maxime

De Lacoste Thomas

Degonde Pierre

Fabre Valentin

Lavit Marie

Le Duc Marie

Viguier Raphael

Troussier François

Questions économiques

Brunot Camille

Colsaet Alice

Courtoux Lauriane

Lagarde Clara-Lou

Lambert Thibaut

Laurent Sarrazin

Le Guillou Hélène

Lucie Lechardoy

Maud Schneider

Milliez Tiphaine

Olsina Etienne

Etudiants de Bordeaux IV (Master 2 recherche "Droit Communautaire Européen" et

Master 2 professionnel "Ingénierie des Politiques Européennes")

Drugas Iualia

Marie Louise Pauline

Latxague Danielle

Liskova Beata

Clément Feulie

Kendir Sevag

Mercier Audric

Terrade Benjamin

Guischet Arthur

Castaignet Maylis

Lacarce Vincent

Delcheva Gergana

Zhang Sijing

Etudiants de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (master 2 « Affaires Européennes

et Internationales »)

Gaspard Lopez

Julie Schwab

Mélanie Guyot Olivier Brevet

Robin Bouvier

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 4

L’Europe à la carte : au cœur du processus européen

Pour comprendre la notion d’ «Europe à la carte» il est nécessaire de la replacer au préalable dans le

contexte historique de la construction européenne. Ce phénomène s’est manifesté tout au long du

processus d’intégration entre les États membres et ce, à travers différents épisodes.

L’Europe politique : problèmes d’hier et de demain

L'Europe en construction dès l'après-guerre se voulait une Europe de la coopération. Les pères fondateurs

espéraient voir ce projet aboutir au rassemblement des États et à l'instauration de la paix.

La première avancée concrète est marquée par la création du Conseil de l'Europe en 1949. La coopération

se poursuit et, en 1951, se référant au plan Schuman, six États signent le traité créant la communauté

européenne du charbon et de l'acier. Fort de ce succès, une nouvelle étape vers une coopération plus

approfondie a été franchie avec le traité de Rome en 1957, établissant la Communauté économique

européenne. Ce « marché commun » permettait la libre-circulation des personnes, marchandises et

services.

Une coopération mise à mal : la « crise de la chaise vide »

Les divergences entre Etats membres se manifestent rapidement. En 1965, la France de Charles de

Gaulle bloque le processus de décision en refusant de siéger au sein des institutions européennes. Cette «

crise de la chaise vide » est motivée par l'évolution des modes de votation de l'unanimité vers la majorité

par laquelle la France craint de perdre en souveraineté. La solution à ce blocage intervient avec le

Compromis de Luxembourg (1966) qui permet à un État de réclamer le recours à l'unanimité si l’un de ses

intérêts « vitaux » est menacé.

L’Europe à reculons

Dès son entrée dans l'UE, le Royaume-Uni n’a eu de cesse de minimiser les règles communautaires.

Margaret Thatcher multiplie ainsi les coups d'éclat lors des séances des conseils européens dans les

années 1980, en atteste son célèbre "I want my money back" du 30 novembre 1979, à la suite d’un

sommet entre les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la CEE, à Dublin. En 1982, elle

refuse de fixer les prix agricoles et obtient alors le "rabais" ou "chèque" britannique.

Initialement, la contribution des Etats membres au budget européen est calculée en fonction de leur RNB.

Avec ce rabais, le RU bénéficie d’une diminution de sa contribution au budget européen, justifié par le fait

que le Royaume-Uni profitait peu des politiques européennes, notamment de la Politique Agricole

Commune.

Sur la période 2007-2013, il représente environ 26 milliards de livres sterling. Cet événement crée un réel

effet boule de neiges et des revendications similaires sont apparues dans d’autres Etats membres comme

l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche et la Suède qui ne veulent plus y contribuer pleinement et

revendiquent une diminution de leur contribution.

De la même façon et en vertu des traités, tous les Etats membres sont concernés par les dépenses ayant

une implication militaire ou de défense dans le cadre de la PESC. En pratique pourtant, tous n’y contribuent

pas de manière égale, certains pays bénéficiant d’une clause d’opting out : c’est ce qu’on appelle le

«paiement diversifié».

Un problème d’avenir: le référendum de David Cameron

David Cameron a proposé un référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l'UE à l'horizon

2015-2017 (permis par l'article 50 du TFUE depuis le traité de Lisbonne). Il a réaffirmé sa volonté de rester

dans l'UE, mais il voudrait pouvoir renégocier les conditions de cette appartenance.

La France s'est nettement exprimée contre cette initiative, à l'instar de François Hollande: "L'Europe doit se

prendre telle qu'elle est, on peut la faire évoluer demain, mais on ne peut pas proposer de l'abaisser ou de

la diminuer au prétexte d'y rester". Même s'il souhaite que le Royaume-Uni reste membre de l'UE, il a

rappelé que ce statut présentait aussi des obligations, et notamment la solidarité, rudement mise à

l'épreuve depuis quelques temps.

L'Allemagne rejoint la position de la France: l'Europe ne peut en aucun cas se négocier. L'homologue

allemand de Laurent Fabius, Guido Westerwelle, a rappelé que l'Europe n'était pas "la somme des intérêts

nationaux" mais une "communauté de destin

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L’Europe économique : self-service ?

En matière économique, on peut parler d’une intégration différenciée de l’Union européenne. Certaines

politiques de l’UE sont déjà bien intégrées et appliquées de manière supranationale telles que l’Union

Douanière, le Marché Unique et le droit de la concurrence.

La politique budgétaire, fiscale, et les orientations économiques des Etats membres en général sont en

revanche loin d’être aussi bien intégrées, d’où la persistance d’une Europe économique « à la carte »

malgré les efforts d’intégration. Ainsi, la création de l'UEM dès 1992 devait reposer sur deux volets : la

création d'une monnaie unique et la coordination des politiques économiques et budgétaires des Etats

membres. Dans la pratique, il y a eu en Europe une harmonisation de facto de la politique monétaire mais

elle n'a assurément pas été assez suivie d’une politique économique unifiée.

D'emblée, certains pays ont déclaré leur souhait de ne pas appartenir à ce que l'on appellerait plus tard la «

zone euro ». C'est le cas de la Suède, du Danemark et du Royaume-uni. L’Union économique et monétaire

(UEM) est sans doute le premier exemple qui vient à l’esprit quand on parle d’Europe « à la carte » en

matière économique. Etape majeure dans l’intégration des économies européennes, elle passe par la

coordination des politiques économiques et fiscales, par une politique monétaire commune et par une

monnaie unique, l’euro. Mais au-delà de cette uniformité, il y a des disparités d’intégration entre les

différents pays. Il faut donc distinguer quatre catégories de pays :

- Les pays de l’Eurozone qui ont poussé l’intégration plus loin pour adopter l’euro ;

- Les pays en voie d’adhésion à la zone euro (Lettonie) ;

- Les pays hors Zone Euro qui ont fait le choix de ne pas y rentrer : lors des négociations du traité de

Maastricht, le Royaume Uni a utilisé une clause d’opting out pour s’exclure de l’euro, suivi par le Danemark

et l’Irlande. La Suède est dans une situation spéciale car elle bénéficie d’un opting-out de facto.

- Les pays ne remplissant pas encore les critères d’adhésion à l’euro et devant rejoindre la zone à terme

(Pologne, Hongrie etc.)

Mais c'est surtout le deuxième pan de l'UEM qui a eu du mal à convaincre. Depuis de début de la « crise de

l’euro », le débat sur l'harmonisation des politiques budgétaires resurgit, avec l'adoption du Traité sur la

stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) qui se place dans une dynamique plus

intergouvernementale que le précédent pacte et ses mesures contraignantes. Le Royaume-Uni et la

République Tchèque – qui n'a toujours pas adopté l'euro – ont refusé de le signer. En outre, le pacte

budgétaire européen a consacré la règle d'or comme norme européenne, et son respect semble

aujourd'hui, aux yeux de l'Allemagne notamment, être une condition sine qua non à la poursuite des aides

financières aux pays en grande difficulté.

Ainsi, malgré un traité originellement contraignant et uniformisant, les situations économiques et

monétaires des pays de l’Union diffèrent , les pays gardant une relative liberté pour l’adoption ou non de la

monnaie unique.

Ainsi, les enjeux économiques pour le futur de l'UEM sont doubles : son approfondissement, qui passe

notamment par la définition d'un véritable gouvernement économique européen, et l'élargissement de la

zone euro aux Etats qui sont appelés à terme à y entrer.

L’Union économique est donc, historiquement, une Europe hétérogène, aux degrés d’intégration

différenciés selon les groupes de pays, et qui peine à instaurer des orientations et des politiques

économiques communes.

Europe à la carte, Europe à géométrie variable, Europe à plusieurs vitesses

Ces différents épisodes historiques nous permettent de définir ce qu’est l’Europe «à la carte», Europe à

différencier de l’ « Europe à géométrie variable» ou de l’« Europe à plusieurs vitesses». Ces dernières

désignent un mode d’intégration reconnaissant l'existence de différences structurelles entre les États

membres. Elles visent donc via des politiques différenciées la possibilité d’un rattrapage et une

harmonisation à terme des situations politiques et économiques.

Quelle Europe évoque-t-on donc exactement lorsqu’on parle d’ « Europe à la carte » ? Il s’agirait d’ « un

mode d'intégration différenciée selon lequel les différents Etats membres sont à même de sélectionner,

comme devant un menu, le domaine politique dans lequel ils aimeraient apporter leur participation, tout en

ne conservant qu'un nombre minimal d'objectifs communs » (site internet Europa).

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Le continent européen est d’ailleurs subdivisé en de nombreux cercles concentriques juxtaposés ou

superposés, produits de l’évolution des accords multilatéraux et de l’élargissement des différentes

organisations internationales, semblant justifier l’hypothèse d’une Europe résolument « à la carte ». A cet

égard, l’Union douanière et l’Espace Economique Européen comprennent tous les Etats membres de l’UE,

mais aussi plusieurs pays extérieurs à l’UE qui bénéficient ainsi à leur façon d’une « Europe à la carte »

puisqu’ils sont intégrés à certains ensembles économiques sans pour autant faire partie des institutions de

l’UE. De la même façon, la zone Euro ne regroupe que 17 des 28 Etats membres, mais certains Etats

comme Monaco ou Andorre ont opté pour l’euroïsation.

Comment se traduit dès lors cette « Europe à la carte » dans la structure communautaire actuelle? Quels

sont les mécanismes mis en place par les États membres permettant de parler d’Europe «à la carte»?

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L’Europe politique à la carte

Opting-out et coopérations renforcées: plus d’intégration ou abandon de la logique

communautaire?

Un opting-out est une dérogation accordée à un pays ne souhaitant pas se rallier aux autres Etats membres

dans un domaine particulier de la coopération communautaire, afin d'empêcher un blocage général.

Les cas d'opting-out sont toujours le fruit de négociations intergouvernementales dans des domaines

sensibles où l'unanimité est nécessaire. L'opting-out a la vertu de permettre le dépassement d'un blocage

général voire d'un conflit entre plusieurs Etats membres. Dans les années 2000, les Etats bénéficiaires des

clauses d'opting-out ont connu une tendance favorisant le retour sur ces dérogations. Cependant, depuis la

crise de 2008, le repli des Etats membres sur eux mêmes légitime et favorise ces clauses d'opting-out.

L'opting-out, est-ce permettre à l'union européenne des 28 d'aller vers plus d'intégration sans heurter les

égos nationaux ? Ou bien est ce l'abandon de la logique communautaire, d'une Union européenne unie ?

La coopération renforcée est souvent présentée comme l’opposée de l’opting-out : elle désigne un acte

juridique européen qui ne s’applique pas aux 28 Etats membres mais seulement aux Etats qui le désirent.

Il s’agit d’abord d’un outil juridique, consacré par le traité d’Amsterdam en 1997, destiné à approfondir la

construction européenne en permettant à un groupe de pays prêts à s’engager de poursuivre des

politiques dans des domaines qui sont dans le cadre des compétences non exclusives de l’UE et qui ne

sont pas susceptibles de faire l’unanimité.

Pourquoi créer ces « avant-gardes » européennes ? Pour Jacques Delors, il s’agit d’un moyen essentiel pour

poursuivre la construction européenne : « on ne peut concilier élargissement et approfondissement que par

la différenciation » écrit-il dans ses mémoires. Une Europe à 28 ne se gouverne pas comme une Europe à

6, et à partir du moment où le choix de l’élargissement est fait, il est de plus en plus difficile de concilier

des intérêts de plus en plus diversifiés. La coopération renforcée permet donc de contourner les possibles

vétos du Conseil et d’éviter un coup d’arrêt dans la construction européenne. Pour encourager le recours à

la différenciation, les conditions de sa mise en place ont été assouplies par le traité de Lisbonne : 9 Etats

au minimum doivent se mettre d’accord, la coopération est ensuite accordée par le Conseil à la majorité

qualifiée sur accord de la Commission et du Parlement.

Bien que la coopération renforcée soit un acte juridique qui vise à réaliser les objectifs de l’Union et

renforcer son intégration, elle peut également être utilisée comme un instrument politique brisant

l’uniformité de l’Union. Tout dépend des critères sur lesquels les Etats fondent leur adhésion à une

coopération renforcée.

La première coopération renforcée a abouti en 2010 et concerne les divorces. Les prochaines coopérations

renforcées susceptibles d’aboutir concernent les sujets plus sensibles du brevet européen et de la taxe sur

les transactions financières. La coopération renforcée, outil initialement destiné à approfondir la

construction européenne, peut-elle alors se transformer en outil de différenciation irréversible si les Etats

décident de gripper l’effet d’entraînement sous-entendu ?

La méthode communautaire contre la méthode intergouvernementale

L’utilisation de ces deux instruments est sujet de débats autour du sens politique de l’Europe «à la carte».

Favorisent-ils la progression de la construction européenne ou l’affaiblissent-ils? Si une réponse claire et

définitive ne peut être donnée à cette question, cette dernière a le mérite de mettre en lumière deux voies

différentes empruntées par les États membres. En effet, deux méthodes de gouvernance coexistent

actuellement. Depuis le traité de Lisbonne de 2009, le débat a été relancé sur l’utilisation de la méthode

intergouvernementale, au détriment de la méthode communautaire dans la poursuite du processus

d’intégration européenne.

La querelle entre ces deux méthodes a également été ravivée le 2 novembre 2010 par Angela Merkel et

son désormais célèbre « Discours de la méthode » dans lequel elle préconisait le dépassement de ces deux

méthodes, pour aboutir à une nouvelle méthode, la « méthode de l’Union », qui serait pour elle : « une

position coordonnée de l’Europe, ou pas de position du tout ». Cette position commune peut être le fruit de

la méthode intergouvernementale. « Peut-être pourrions-nous nous mettre d’accord sur la description

suivante de cette approche : une action coordonnée dans un esprit de solidarité, chacun de nous dans la

sphère qui relève de sa responsabilité, mais tous en nous fixant le même but. Telle est pour moi la nouvelle

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« méthode de l’Union » dont nous avons tellement besoin (…) ». Le traité de Lisbonne prévoit l’application de

la procédure législative ordinaire (à savoir la méthode communautaire) à tous les domaines relevant des

compétences de l’Union. La méthode intergouvernementale elle, est réservée à la politique étrangère de

sécurité et de défense, pour l’essentiel. A quels domaines s’appliquerait alors cette nouvelle méthode ?

Jusqu’au Traité de Maastricht (qui introduit la distinction entre communautaire et intergouvernemental),

seule la méthode communautaire était consacrée par les traités. La Commission détient le monopole de

l’initiative législative, tandis que le Conseil et le Parlement européen adoptent en codécision les actes

européens. Cela signifie que les Etats seuls ne peuvent décider. Jean Monnet : « Mettre les gouvernements

en présence, faire coopérer les administrations nationales part d’une bonne intention, mais échoue sur la

première opposition d’intérêts s’il n’existe pas d’organe politique indépendant capable de prendre une vue

commune et d’aboutir à une décision commune ».

Mais petit à petit, avec l’élargissement de l’Union et une influence britannique mais aussi française, une

nouvelle méthode a vu le jour et s’est considérablement développée: la méthode intergouvernementale.

Les Etats s’estiment ainsi capables de décider entre eux (par consensus unanime) des priorités pour

l’Union européenne, pour la construction, même si cette action doit se situer en dehors du champ des

traités.

Un affrontement a donc lieu entre la méthode communautaire qui repose sur des règles strictes de droit et

la méthode intergouvernementale. Ces deux méthodes ont ainsi été amenées à cohabiter. Le Conseil

européen est institutionnalisé seulement depuis 2009. Dans certains domaines, les deux méthodes

peuvent être complémentaires. Dans le cadre du budget par exemple, la méthode intergouvernementale

peut être utilisée pour initier une décision qui passera par la méthode communautaire ensuite.

Mais parfois, certaines actions sont décidées par les Etats en dehors du cadre communautaire et en

dehors des traités: c’est le cas de la stratégie de Lisbonne. Les Etats ont pris leur responsabilité au niveau

national d’élaborer cette stratégie. Il n’existe pas de règles ou de contraintes juridiques, pas de contrôle

démocratique: chaque Etat prend ses responsabilités en application de la règle de subsidiarité. Cet

exemple est significatif de l’Europe à la carte : certains ont respecté l’engagement (scandinaves), d’autres

n’ont pas suivi le contrat voire ont régressé.

Cependant, pour de nombreux analystes et politiques, la cohabitation voire la complémentarité de ces deux

méthodes arrive à son terme et ne permet plus à l’intégration européenne d’avancer. La méthode

communautaire est de moins en moins utilisée pour les décisions importantes, et l’Union est souvent

critiquée pour son manque de légitimité démocratique. Ainsi, la méthode intergouvernementale est de plus

en plus sollicitée, (notamment via les coopérations renforcées) permettant aux Etats souhaitant aller plus

vite dans l’intégration de se regrouper, tout en laissant la possibilité aux Etats qui n’en ont pas encore la

capacité de les rejoindre ensuite. Mais certains parlent alors d’une Europe à deux vitesses. On peut se

demander si l’utilisation privilégiée de la méthode intergouvernementale (ou d’une troisième voie comme

préconisée par Angela Merkel) pourrait mener à plus d’intégration, tout en gardant les objectifs originels de

la méthode Monnet. En effet, nombres de décisions prises via la méthode intergouvernementale durant la

crise ont donné naissance à un renforcement des compétences ou attributions des institutions de l’Union

(plus grand pouvoir de contrôle et de sanction de la Commission et rôle-clé de la BCE dans l’Union bancaire

ou la régulation du système financier européen). On peut donc formuler l’hypothèse d’un spill over

technique qui continuerait en parallèle d’un spill back politique dont l’incarnation serait l’Europe à la carte.

La méthode intergouvernementale peut-elle être compatible avec les objectifs originels d’union sans cesse

plus étroite entre les peuples ?

On peut en effet se demander si cette méthode intergouvernementale entrave l’intégration européenne par

des intérêts nationaux et des considérations électorales, ou si elle est au contraire source d’une plus

grande avancée vers plus de cohésion.

Une démocratie à la carte ?

Pourquoi les États sont-ils tentés par un retour à la méthode intergouvernementale, présentée ci-dessus?

Une des principales légitimation du recours à l’ «Europe à la carte» pourrait venir du fameux «déficit

démocratique» de l’Union européenne.

Le déficit démocratique de l’UE est une notion controversée. Alors que certains spécialistes de l’Europe

contestent ce phénomène, d’autres regroupent sous ce terme de nombreux défauts dont souffre l’Europe

aujourd’hui. Depuis plusieurs décennies, en effet, les institutions européennes pâtissent d’un manque de

légitimité auprès des citoyens des 28 Etats membres.

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Classiquement, c’est le caractère lointain et inaccessible de ses instances qui est critiqué. Ces dernières,

communément désignées sous les appellations «Bruxelles» ou «Strasbourg», représentent un ensemble

complexe d’acteurs souvent difficile à cerner. Si la grande majorité des citoyens européens connaissent le

président de leur pays, les visages et les noms du président du conseil européen, du président de la

commission ou du parlement européen leur seront bien moins familiers. Et pour cause! L’UE souffre,

historiquement, d’un déficit d’image et de désintérêt médiatique.

Mais est-ce la seule raison? Depuis la crise de la zone euro, qui a entraîné une hausse du chômage et de la

précarité en Europe, une nouvelle forme de déficit semble grandir. En effet, les citoyens reprochent à l’UE

un manque d’efficacité et de résultats. Celle-ci serait incapable de gérer et de résoudre la dégradation des

économies et des sociétés. Aux quatre coins du vieux continent, la tentation d’un repli national face aux

carences et à la faiblesse de l’UE fait donc son chemin. L’indifférence médiatique et le désaveu civique

croissants semblent avoir créé un cercle vicieux, nourrissant l’euroscepticisme.

Dans une Europe où les citoyens sont de plus en plus impliqués dans la prise de décision communautaire,

à travers le développement des prérogatives du parlement européen par exemple, ceux-ci se montrent

paradoxalement plus critiques envers l’UE. Jusqu’aux années 1990 et le traité de Maastricht, les

institutions européennes comptaient sur un soutien plus distant et dépolitisé de la part des citoyens.

Désormais, les dirigeants ne peuvent plus compter sur ce « consensus permissif ». La démocratisation de

l’UE a favorisé l’expression critique des politiques européennes, sans former une arène de compétition

partisane où les citoyens pourraient s’identifier plus clairement, comme ils peuvent le faire au niveau

national.

Déjà ignorée par les représentants politiques au cours des dernières années, l’UE est de plus en plus

pointée du doigt, faisant office de bouc-émissaire, dans une Europe où les gouvernements nationaux

auraient les solutions aux maux d’aujourd’hui. Dans ce cas, «l’Europe à la carte» ne pourrait-elle pas

remédier à ce déficit, sachant que les institutions nationales semblent plus légitimes auprès des citoyens

européens?

L'Union européenne à la carte : quelles conséquences à l'international ?

Jusqu’ici, ce sont les implications internes à l’Union européenne d’une Europe «à la carte» qui ont été

présentées. Mais quelles en seraient les conséquences au niveau international? Deux principalement,

concernant d'abord la politique de voisinage et l'élargissement futur de l'Union, et ensuite la diplomatie

européenne et sa visibilité.

L'Europe, qu'elle devienne à la carte, à géométrie variable ou « des cercles concentriques», pose deux

enjeux à sa future politique de voisinage. Premièrement, celui de l'acquis communautaire pour les états

souhaitant la rejoindre. Quel sera-t-il à l'avenir ? Si les structures, les traités, les conditions, les cercles se

multiplient, quels devront être ceux que les nouveaux entrants devront respecter ? Devront-ils ratifier

l'ensemble des coopérations renforcées ou les laissera-t-on entrer dans le cercle le plus laxiste sans espoir

de les voir jamais renoncer à leurs privilèges au profit d'une intégration plus poussée ?

D'un autre côté, cette même multiplication des structures et de cercles plus ou moins dilués représente

aussi une opportunité dans la mesure où la Politique de Voisinage de l'Union (Europe de l'Est, Balkans,

Caucase, Maghreb et Proche Orient) ainsi que l'intégration de nouveaux membres pourra s'assouplir,

prenant notamment en compte la culture des pays concernés, leur structure institutionnelle, leurs

capacités économiques ou encore leurs ambitions commerciales. A l'inverse ces cercles concentriques

pourraient accueillir les déçus de l'intégration européenne qui quitteraient les cercles les plus intégrés (ex :

Royaume-Uni).

En termes de diplomatie, on reproche souvent à l'UE de ne pas parvenir à parler d'une seule voix sur la

scène internationale. Le Traité de Lisbonne de 2009 a tenté de résoudre en partie cette problématique en

créant un poste de Haut Représentant de l'Union aux affaires étrangères, confié depuis lors à la

britannique Catherine Ashton. On est bien loin du projet avorté de Ministre européen des affaires

étrangères proposé dans le Traité établissant une Constitution pour l'Europe de 2005, mais c'est mieux

que rien. Le Haut Représentant est donc censé représenter l'intérêt des états et de l'UE dans les

négociations que peut tenir celle-ci avec ses voisins, que ce soit dans le cadre de la politique de voisinage,

dans l'intégration des nouveaux membres, dans sa représentation au G20 ou à l'ONU, ou encore dans la

signature de traités internationaux. Mais comment le Haut Représentant peut-il représenter l'Union si celle-

ci ne forme plus un tout uni ? L'avènement d'une Europe à la carte augurerait une ère des plus complexes

pour la représentation des intérêts de l'UE à l'étranger : la multiplication des structures diversifiées,

englobant tour à tour des états différents aux intérêts allant divergeant, mais représentés par une structure

unique pose à nouveau le problème de la légitimité de parole de l'UE en tant qu'organe supranational. Le

risque d'une accélération de cette dynamique de différenciation est de voir le Haut Représentant critiqué

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dans son rôle en interne par des états qui ne se sentiront plus liés à la parole d'une partie de l'Union dont

ils s'émancipent petit à petit. Au nom de qui le HR pourra-t-il bientôt parler ? Or, on ne peut envisager de

donner à chaque cercle de coopération renforcée une voix à l'international sans réduire à néant les efforts

qui ont été faits pour donner corps et poids à l'Europe à l'échelle internationale.

Un bilan global de l’Europe «à la carte» a donc été dressé dans ce dossier «politique». Opting-out et

coopérations renforcées modèlent le paysage institutionnel, fortement influencé également par la double

méthode intergouvernementale et communautaire. Ces phénomènes s’inscrivent dans un contexte de

déficit démocratique où l’UE est de moins en moins populaire auprès de ses citoyens. Selon ce constat

actuel, peut-on imaginer une Europe «à la carte» de 2030?

L’Europe «à la carte» … en 2020

Brèves (presque) lues dans la presse européenne en 2020:

Coopération renforcée/ opting out : Face aux revendications de leurs sociétés civiles, la France, la Lituanie

et la Grèce ont décidé de mettre en commun leurs politiques de lutte contre les émissions de gaz à effet de

serre. Dans une décision publiée ce matin au journal officiel, ces pays ont décidé de taxer plus fortement

les pollueurs. Les conséquences économiques de ces mesures n’ont pas été commentées.

Dans le même temps, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Pologne ont décidé d’un opting out sur les règlements

environnementaux existants. La crise économique a été invoquée pour permettre aux entreprises

d’accroitre leurs émissions, sous-réserve de présentation d’un objectif économique valable. Les

conséquences environnementales de la mesure n’ont pas été commentées.

D’autres états européens se sont déclarés intéressés par ces mesures qui suivent une nouvelle logique

d’intégration européenne : l’expérimentation par les états de nouvelles politiques dites « non-coopératives

», réputées plus efficaces.

Coopérations régionales : Deux anciennes régions minières sinistrées de l’est polonais et allemand ont

lancé hier une coopération renforcée. L’abandon complet du FEDER ayant tari la solidarité entre les

régions, c’est entre régions pauvres que l’on cherche à s’entre-aider. Un colloque doit notamment réunir les

meilleurs experts en destruction de galeries minières. Aucune annonce n’a été faite sur les intérêts pour les

populations locales de cette coopération.

Diplomatie / Sécurité : La sortie de l’Allemagne des programmes de coopération militaires avec la France

et le Royaume-Uni, jugés trop dispendieux et pas assez efficaces, sème le doute dans l’Etat-major français.

On évoque un hypothétique rapprochement de Berlin avec Moscou. De nouvelles unités franco-

britanniques devraient être positionnées le long de la frontière.

Finances : Le Royaume-Uni a enfin trouvé un partenaire pour établir une coopération renforcée dans le

secteur de la finance. Malte s’est déclarée prête à accueillir sur son sol une extension de la city

londonienne et ses capitaux. Cette nouvelle fait suite au retour, en Europe, à des systèmes financiers

nationaux, jugés plus stables et plus démocratiques.

Création d’une zone de libre circulation : La France, l’Allemagne et la Belgique se réuniront demain pour

parler de la création d’une zone de libre-circulation. Cette rencontre fait suite à l’apparition de difficultés

aux postes-frontières de ces états. L’abandon de la zone Schengen, décidé pour mieux faire face à

l’immigration clandestine, a provoqué un afflux massif de travailleurs transfrontaliers, de touristes et

d’entreprises désemparée par l’apparition de nouveaux contrôles. Les problèmes ne se résorbant pas avec

le temps et devant la fronde populaire, les trois Etats ont décidé d’ouvrir des négociations sur l’ouverture

de leurs frontières.

L’Estonie a déclaré que le « menu européen » devenait indigeste. Lourdeurs bureaucratiques, mesures

dépassées… la suppression de cette structure permettrait d’économiser des fonds vitaux pour l’économie.

Des rencontres biannuelles entre chefs d’états, destinées à échanger de bonnes pratiques, ont été

proposées.

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Les enjeux économiques de l’Europe « à la carte »

Dès les débuts de la construction européenne, l’un des buts principaux de cette coopération politique était

la prospérité économique au sein de ses Etats membres. L’Europe « à la carte » fait partie intégrante de ce

pan économique de la construction européenne. On peut d’abord en faire une analyse historique, qui

montre que l’Europe à la carte s’est progressivement développée au sein de la construction économique

européenne. Une attention particulière sera ensuite accordée à l’Europe à la carte lors de la dernière crise

économique, qui a profondément bouleversé l’économie européenne. Enfin des perspectives sur l’avenir

de l’Europe à la carte seront développées.

Une Europe ou plusieurs ? Des unions économiques

Quelle Europe évoque-t-on exactement lorsqu’on parle d’ « Europe à la carte » ? Justement : le continent

européen est subdivisé en de nombreux cercles concentriques juxtaposés ou superposés, produits de

l’évolution des accords multilatéraux et de l’élargissement des différentes organisations internationales,

semblant justifier l’hypothèse d’une Europe résolument « à la carte ». On peut notamment distinguer de

l’Union Européenne :

L’Union Douanière de l’Union Européenne : tous les Etats membres de l’UE font partie de l’Union

Douanière depuis 1958, ainsi que quelques Etats voisins comme Saint-Marin, Andorre, Monaco et la

Turquie.

L’Eurozone ou Union Economique et Monétaire: 17 Etats utilisant l’euro comme monnaie officielle à

partir de 1999 : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce,

Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovaquie, Slovénie. Quelques micro-Etats non

membres de l’UE bénéficient d’un accord pour utiliser l’euro comme monnaie officielle : le Vatican,

Saint-Marin, Monaco, Andorre. D’autres l’utilisent de facto sans accord légal : Monténégro, Kosovo.

L’Association Européenne de Libre Echange (AELE), composée de la Norvège, l’Islande, la Suisse et le

Liechtenstein a été fondée en 1960 pour les Etats non membres de l’Union Européenne en vue en vue

de créer une simple zone de libre échange sans devoir se soumettre aux règles de marché commun,

politique douanières et aux politiques communes de l’UE.

L’Espace Economique Européen (EEE), créé en 1994, comprend les 28 Etats membres de l’Union

Européenne ainsi que 3 Etats membres de l’AELE, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. La Suisse

n’en fait pas partie mais a signé des accords bilatéraux avec l’Union Européenne. Il s’agit d’une union

économique sans union douanière, qui garantit la liberté de circulation des biens, services, capitaux et

des personnes, et inclue également des accords sur le droit de la concurrence ou des

consommateurs. Ces garanties sont obtenues en étendant notamment l’acquis communautaire aux 3

Etats non membres de l’UE, en échange d’un droit de consultation sur les directives européennes.

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Quelques domaines dans lesquels l’UE est bien intégrée

En matière économique, on peut parler d’une intégration différenciée de l’Union européenne. Certaines

politiques de l’UE sont déjà bien intégrées et appliquées de manière supranationale :

L’Union Douanière a aboli les droits de douane entre les Etats membres et établi des droits de douane

au tarif unique aux frontières extérieures de l’UE, qui représentent 14% des ressources propres de l’UE.

Le Marché unique, approfondi avec l’Acte Unique Européen de 1986, a permis de garantir les quatre

libertés de circulation (biens, services, capitaux, personnes) et de mettre en place des politiques

communes intégrées telles que la Politique Agricole Commune, la politique régionale ou la politique de

la pêche.

Le droit de la concurrence est appliqué par la Commission Européenne qui peut mener des

investigations et recourir à des sanctions. Le recours peut être porté devant le Tribunal de l’UE ou la

Cour de Justice de l’Union Européenne. Les articles 101 à 109 du Traité de Fonctionnement de l’UE

interdisent notamment les ententes, abus de position dominante, les aides d’Etat et les

concentrations.

La politique commerciale commune, négociée par la Commission Européenne sur la base d’un mandat

des Etats membres.

Cependant, la politique budgétaire, fiscale, et les orientations économiques des Etats membres en général

sont loin d’être aussi bien intégrées, d’où la persistance d’une Europe économique « à la carte » malgré les

efforts d’intégration.

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Le budget de l’Union Européenne

Le budget de l’UE est établi annuellement, il retrace les recettes et les dépenses de la Communauté

européenne. L'Union européenne ne prélève pas d’impôt elle-même, le budget est financé par trois types

de ressources propres mises à disposition par les Etats membres : les ressources propres traditionnelles

(droits de douane), la ressource TVA et la ressource RNB (fortement majoritaire) qui représente la

contribution de chaque Etat membre calculée en fonction de sa part dans le Revenu national brut européen

et d'éventuelles corrections.

Mais en réalité, divers mécanismes existent pour contourner cette règle et la contribution des Etats au

budget de L’UE se fait en réalité à la carte :

- « Le chèque britannique » ou « rabais britannique » est une diminution de la contribution du Royaume

Uni au budget européen. Ce rabais, mis en place en 1984, avait été justifié par le fait que le Royaume-

Uni profitait peu des politiques européennes, notamment de la Politique Agricole Commune. Sur la

période 2007-2013, il représente environ 26 milliards de livres sterling (plus de 31 milliards d’euros).

Ce rabais est financé par les autres États membres, au prorata de leur part du PNB communautaire. Il

est désormais de plus en plus remis en question.

- Le « paiement diversifié » pour la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) : les Etats

membres sont concernés par les dépenses ayant une implication militaire ou de défense, mais tous ne

contribuent pas de manière égale car certains pays possèdent un opting out.

- Les « frais de perception des ressources propres traditionnelles des Etats » sont également différents

en fonction des pays.

L'Europe en quête d'une convergence des politiques économiques

Dans une perspective plus intergouvernementaliste, et pour mener à bien la convergence des économies

européennes, avec des objectifs définis, l'Europe s’est dotée en 2000 d'une stratégie dite « de Lisbonne ».

Elle entendait faire émerger sur le continent « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus

dynamique du monde d'ici à 2010 ». Le pari ne sera pas tenu. Le processus décennal tablait sur des

réformes à l'intérieur des Etats, mais aussi sur la méthode ouverte de coordination entre Etats, sur l'emploi

par exemple. Les potentielles réformes auraient été d'autant plus efficaces si les Etats avaient agi à

l'unisson en se concertant sur leurs bonnes pratiques.

Suite à l'échec de la stratégie de Lisbonne, l'Union européenne à élaboré pour la période 2010 - 2020 une

stratégie « Europe 2020 ». Les défis et les interrogations restent nombreux pour l'UE. Parmi les politiques

économiques les plus souvent évoquées, la fiscalité, le salaire minimum et la politique de l'emploi et du

chômage sont omniprésentes dans le débat européen. Mais seules des coopérations entre Etats peuvent

être menées, car l'UE ne possède pas les compétences requises pour s'en charger. Enfin, la création d'un

poste de ministre européen de l'économie et des finances a souvent été évoquée, mais demeure pour

l'instant un vœu pieux.

Ainsi, les enjeux économiques pour le futur de l'UEM sont doubles : son approfondissement, qui passe

notamment par la définition d'un véritable gouvernement économique européen, et l'élargissement de la

zone euro aux Etats qui sont appelés à terme à y entrer.

L’Union économique est donc, historiquement, une Europe hétérogène, aux degrés d’intégration

différenciés selon les groupes de pays, et qui peine à instaurer des orientations et des politiques

économiques communes. Comment cette Europe a-t-elle réagi à la crise économique survenue en 2008,

puis à la crise des dettes souveraines dans la zone euro ?

L’Europe à la carte dans la crise économique

La crise économique a poussé l’Union européenne à mettre en place de nouvelles politiques communes,

souvent dans l’urgence. Mais dans la pratique, ces politiques ont été décidées par voie

intergouvernementale, marginalisant le dispositif communautaire et ouvrant ainsi la voie à une Europe « à

la carte ».

La volonté d’une Europe davantage supranationale

La crise financière de 2008 et la crise des dettes souveraines de 2010 amènent à repenser les

mécanismes de solidarité européens. En 2010, la dette grecque atteint 120% de son PIB. La question de

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l’aide à apporter aux pays en difficulté se pose rapidement. L’article 125.1 du TFUE connu sous le nom de

« clause du no bail out » insiste sur le fait que les contribuables d’un pays n’ont pas à payer les erreurs d’un

gouvernement sur lequel ils ne peuvent exercer de contrôle démocratique. Si cette disposition empêche de

garantir les dettes d’un Etat membre elle y pose l’exception « de la réalisation en commun d’un projet

spécifique». En effet, la prise de conscience qu’un défaut de la Grèce aurait des conséquences néfastes

pour les autres pays va amener les Etats Membres à développer de nouveaux outils ancrant une solidarité

européenne.

Cette solidarité s’exerce par le biais de deux systèmes : le système préventif et le système curatif.

Face aux effets de la crise, les Etats vont affirmer leur volonté de coordonner les politiques économiques et

budgétaires par une meilleure gouvernance en la matière. Le semestre européen, introduit en janvier 2011,

instaure un examen annuel des budgets nationaux par la Commission, avant qu’ils ne soient votés. Sur la

base des orientations proposées par la Commission, les Etats pourront ainsi mieux coordonner leurs

politiques budgétaires et économiques.

Plus développé, le système curatif est lancé sous l’impulsion de l’Allemagne. Un pare-feu est mis en place

afin de calmer la frénésie des marchés : fonds de secours permanent avec le Mécanisme européen de

stabilité (MES), adoption du Pacte budgétaire, et question de l’Union bancaire.

Face à une dette de 3700 milliards pour l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce en 2012, la question

d’une solidarité renforcée a été mise à l’ordre du jour. Le MES, créé en octobre 2012, permet de renflouer

les pays de la zone euro par des prêts en le conditionnant à des politiques d’austérité.

Le Six Pack de novembre 2011 regroupe des mesures législatives renforçant le pacte de stabilité par la

possibilité d’intervenir avant qu’un pays ne dépasse les 3%. Comme avec le Two-pack il s’agit de

règlements et directives prises par la Commission pour encadrer fortement les politiques budgétaires des

Etats en fixant des objectifs à moyen terme.

Le TSCG, adopté en mars 2012, entre en vigueur en 2013. Il durcit l’encadrement des politiques

budgétaires. Son article 3 prévoit le principe d’équilibre ou d’excédent des budgets des administrations

publiques et celui de déficit structurel de 0,5%

L’Union bancaire de juin 2012 marque quant à elle la volonté d’une pratique de type supranational pour

répondre à l’incapacité de certains Etats de restaurer eux-mêmes la confiance dans leur système bancaire.

Elle implique notamment la surveillance des établissements bancaires par la BCE. Entrée en vigueur

prévue en 2014 pour prévenir de nouvelles crises en évitant les faillites et les comportements à risque.

Dans la pratique, une Europe « à la carte » se dessine par la marginalisation du dispositif communautaire

La gestion de la crise ne s’est toutefois pas véritablement matérialisée par un renforcement du principe de

solidarité, qui se veut un des principes fondateurs et structurants de la construction européenne. Au

contraire, les pays les plus solides économiquement ont tenté de protéger leurs intérêts nationaux au

détriment du bien-être économique de l’Union, ou du moins de la zone euro dans son ensemble.

En effet, si des mécanismes ont bel et bien été créés pour venir en aide aux pays de la zone euro les plus

durement touchés par la crise, ceux ci ont été décidés en dehors du cadre des institutions européennes.

D’autre part, l’attribution de l’aide a systématiquement été conditionnée à la mise en place de mesures

d’austérité drastiques qui ont largement contribué à la spirale récéssioniste à laquelle sont confrontés

depuis 2008 certains Etats comme la Grèce, Chypre, ou encore l’Espagne. La Commission européenne,

incarnation de la légitimité supranationale de l’Union Européenne, a été marginalisée au sein du processus

de prise de décision et dans la mise en œuvre de ces mécanismes, au profit de l’Ecofin ou de l’Eurogroupe,

ou encore de sommets informels réunissant chefs d’Etats et de gouvernements, sommets au sein desquels

les rapports de forces sont plutôt inégalitaires étant donnée la forte hétérogénéité des situations

économiques des Etats membres.

Ce rapport de force inégalitaire se retrouve d’ailleurs de façon concrète dans le fonctionnement de ces

mécanismes : ainsi, par exemple, les Etats membres n’ont pas tous le même poids dans le processus de

vote au sein du MES : le poids du vote de chaque Etat membre est conditionné par sa participation au

capital de la BCE : ainsi, l’Allemagne et la France détiennent à elles deux un vote équivalent à 45%, et

bénéficient presque d’un droit de veto pour l’attribution de l’aide. Par ailleurs, le TSCG, qui impose aux

Etats signataires de respecter la règle stricte d’un déficit budgétaire structurel inférieur à 0,5%, n'a pas été

ratifié par le Royaume-Uni et la République Tchèque, alors même que la Grèce a été contrainte de le ratifier,

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sous peine de se voir refuser l'aide financière fournie par le MES, aide qui lui est pourtant nécessaire pour

pouvoir envisager une sortie de crise.

Il en va de même pour la taxe sur les transactions financières, qui s'est faite dans le cadre d'une

coopération renforcée : 11 Etats membres sur 27 sont membres de cette coopération, ce qui pose

véritablement la question d'une Europe à deux vitesses, question qui se recoupe directement avec celle de

l’Europe à la carte.

Ce retour à la méthode intergouvernementale porte en lui le risque de voir une conception étroite des

intérêts nationaux s’imposer, allant à l’encontre de ce que les pères fondateurs de l'UE souhaitaient créer,

à savoir un intérêt européen qui transcende ces intérêts nationaux. Cet intérêt européen reste toutefois

difficile à définir dans le contexte économique actuel : en effet, la forte hétérogénéité des situations

économiques des Etats membres et l’absence de véritable politique économique commune rendent

souvent contre-productive la mise en place de règles communes. Il semble en effet absurde de considérer

aujourd’hui que la Grèce et l’Allemagne ont les mêmes priorités économiques.

Dans ce contexte, la mise en place d’une Europe à la carte peut apparaître souhaitable, afin que chaque

pays suive une politique économique adéquate avec les nécessités et les priorités qui lui sont imposées par

la spécificité de sa situation. Toutefois, il ne faut pas pour autant perdre de vue l’objectif d’une politique

commune. A terme, un renforcement poussé de l’intégration économique, dans ses volets budgétaire et

fiscal, est probablement ce qui permettrait au mieux à l’UE dans son ensemble de se relever

économiquement et de limiter les traitements différenciés entre Etats membres.

L’Europe à la carte : perspectives et enjeux

Quelles sont à présent les perspectives futures de l'Union européenne d'un point de vue économique ?

Quelles solutions sont envisageables ? Trois grandes perspectives se dessinent : un ancrage et un

affermissement du modèle d'Europe à la carte : l'Europe à « géométrie variable » (A), ou bien à l'extrême

inverse l'intégration totale de l'Union, le fédéralisme européen (B). Une solution intermédiaire, peut-être

politiquement plus acceptable, serait une « Europe à plusieurs vitesses », sur le modèle des coopérations

renforcées (C). Il s'agira dans cette partie de présenter les enjeux de chacune de ces perspectives : Est-elle

souhaitable et supportable à long terme ?

Vers une Europe à géométrie variable ?

L'hétérogénéité est forte au sein de l'Union. Alors que le nord de la zone euro est spécialisé dans l'industrie

et l'exportation, l'économie du sud de la zone se base essentiellement sur les services. Mais la création

d'une zone monétaire, par la disparition du taux de change, pousse à la spécialisation de ces pays, une

partie de cette hétérogénéité est donc naturelle. Pourquoi alors ne pas pousser la logique jusqu'au bout et

accepter que des rapprochements se créent entre les pays économiquement similaires? Les pays les plus

vertueux, par cette union, pourraient alors avancer et profiter d'avantages économiques beaucoup plus

importants que dans la situation actuelle.

Une « zone euro à la carte » ?

Une sortie de la zone euro de certains pays actuellement en difficulté pourrait leur permettre de bénéficier

d'une baisse du taux de change pour relancer leur exportations. A contrario, la dette de ces pays (leur

monnaie se dépréciant par rapport à l'euro) deviendrait insupportable et leurs taux d'intérêt sur les

marchés exploseraient. Leur situation n'en serait alors que plus aggravée.

La création d'une double zone euro (Nord/Sud) n'est pas plus convaincante, car tout le monde y perdrait.

Les pays du sud pour les raisons évoquées plus haut, l'euro du sud devenant plus faible que l'euro du nord.

Les pays du nord subiraient pour leur part un choc de compétitivité par l'appréciation du change, d'où une

perte de croissance durable. Il ne faut donc pas négliger la forte volonté politique d'éviter tout ce qui

menace l'euro.

Le cas particulier de la Grande-Bretagne mérite lui aussi d'être mentionné. Ni dans l’euro, ni dans

Schengen, le pays profite pourtant largement du marché unique et de son accès simplifié au marché

européen. Sortir de l'Union (référendum proposé par David Cameron) allègerait le pays de ses contributions

financières à la PAC ou encore au budget de l'Union. Pourtant, le pays exporte la moitié de ses biens et

services vers l’Union européenne (à peine 13% vers les Etats-Unis) .. pour lesquels il devrait alors payer des

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taxes d'exportation. Sans compter les avantages de la libre circulation dont de nombreux travailleurs et

visiteurs britanniques profitent largement.

Quelle cohérence à long terme ?

Distinguer les vertueux des mauvais élèves renvoie également à la question de la solidarité au cœur de la

construction européenne. Les « plus forts » d'aujourd'hui le resteront-ils durablement ? Rappelons qu'avant

la crise, l'Espagne était présentée comme un modèle européen de tenue des finances publiques et l'Irlande

était surnommée Le Tigre. Les situations économiques évoluant, les rapprochements économiques se

déferont pour se refaire entre d'autres pays. Quelle cohérence dans une Europe à géométrie variable en

transformation continuelle ? Ne serait-il pas alors plus cohérent de gérer cette hétérogénéité européenne

de manière plus solidaire au sein même de l'Union ?

La nécessité d'un fédéralisme européen ?

Une autre façon de gérer cette hétérogénéité serait au contraire de mettre en commun les différentes

ressources en allant ainsi vers un fédéralisme économique et budgétaire.

Un fédéralisme assumé pour sauver les pays en faillite : le cas de la Grèce

Malgré les plans d'aides successifs et les politiques d'austérité, la situation économique est toujours au

bord de la faillite. Il semblerait que ces transferts permanents d'aides qui lui sont attribués ne peuvent être

une politique viable sans une logique fédéraliste. Le risque de contagion serait alors évité grâce à un

engagement total de la Banque Centrale Européenne, et la reprise de la croissance pourrait être facilité par

les eurobonds : un système de mutualisation de la dette qui permet de réduire les taux d'intérêt sur les

marchés, notamment pour les pays les plus en difficultés.

Cela supposerait par la suite de mettre fin aux divergences économiques entre les Etats membres en

mettant en place une autorité budgétaire permanente. Cette dernière devrait disposer d’outils d’analyses et

d’une surveillance des politiques budgétaires nationales pour influencer l’élaboration des budgets

nationaux.

Certains économistes soulignent pourtant le risque d'aléa moral d'une telle mesure. Comment inciter les

pays en difficultés à tenir leurs engagements sans abuser des mécanismes de solidarité ?

Une fédération pour faire face à la mondialisation

Ce fédéralisme paraît d'autant plus opportun qu’un pays de l’Union Européenne ne saurait pas faire face

isolément aux enjeux de la mondialisation. Si les pays ont chacun un représentant à l’OMC, l’Union

Européenne dispose également d’un représentant pour conclure des accords au nom du Vieux Continent.

En effet l’Union Européenne reste la première puissance agricole au niveau mondial : avec le succès de la

PAC ; ce qu' aucun pays, pris isolément, n'aurait réussi à réaliser tout seul. Pourtant l'Union Européenne ne

dispose toujours de représentation à de grandes institutions internationales économiques telles que le FMI

et la Banque Mondiale, au risque de créer une certaine incohérence dans les prises de décisions des Etats

membres. Mais un seul représentant pourrait-il négocier et défendre des intérêts économiques très divers

?

Par ailleurs la part de l’Union Européenne dans le PIB mondial tend à diminuer du fait de l’émergence des

pays tiers tels que le Brésil, l’Inde. Face à ces pays en pleine croissance économique, un pays européen

même fort industrialisé ne pourrait faire face à la montée de ces pays émergents. Le fédéralisme semble

alors le seul moyen pour rester compétitif en cumulant et coordonnant leur système de production tel qu'on

le voit avec des entreprises opérant dans plusieurs Etats membres comme le cas du groupe aéronautique

européen EADS qui est le leader mondial en ce qui concerne les hélicoptères civils ou encore pour les

missiles militaires.

Un impôt européen ?

Pour la première fois depuis la construction européenne, la contribution des Etats membres au budget

européen est revue à la baisse (1 % du PIB national). Face à ce déclin, l'idée d'un impôt européen refait

surface. Ce budget européen permettrait également d'aller au bout du projet de l'Union Economique

Monétaire en instituant des ressources propres à l'Union Européenne afin d'établir une véritable union

économique avec des ressources prélevées indépendamment des Etats membres. Cette idée serait un bon

moyen pour mettre fin aux situations complexes qui divisent l'Union Européenne. Cependant il ne faut pas

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sous estimer les problèmes techniques lié à l'introduction d'un tel impôt : comment harmoniser les

différents systèmes fiscaux des Etats ? Comment organiser la collecte de l'impôt (serait-ce un organisme

indépendant ?) Par ailleurs cet impôt concernerait-il tous les pays de l'Union Européenne même ceux qui ne

possèdent pas l'euro ?

Le scénario fédéraliste apporte donc d'un point de vue économique de nombreux avantages. Toutefois sa

mise en pratique pose des difficultés notamment techniques, sans compter que cette option semble bien

loin d'être acceptée politiquement.

Dès lors peut-on envisager un troisième scénario intermédiaire : celui d'une Europe à plusieurs vitesses?

Une solution intermédiaire : l'Europe à plusieurs vitesses

L'idée d'une « Europe à deux vitesses » évoque à première vue une course à la réussite où les forts

décideraient d'aller plus vite, laissant au passage les faibles sur le bord de la route car ils n’ont pas les

capacités de suivre et ralentissent par conséquent l’ensemble du groupe.

Pourtant, seraient-ils au final toujours aussi forts ? Face à des ensembles économiques plus puissants et

plus intégrés, rien n'est moins sûr.

Partant du constat d’une hétérogénéité de fait des Etats membres sur le plan économique, le troisième

scénario consisterait en un mode d’intégration différenciée, mais dans lequel la différenciation ne serait ni

l’objectif ultime ni le principe fondateur.

Il s’agirait certes d’une étape nécessaire mais uniquement intermédiaire et donc provisoire. L’intégration

resterait alors l’objectif commun, repoussé par pragmatisme à un horizon de temps plus lointain. Ce

scénario d’Europe à « plusieurs vitesses » s’appuierait sur un groupe d’Etat précurseurs, le « noyau dur »,

qui aurait à la fois la volonté et la capacité d’avancer vers une intégration plus poussée – c’est la

proposition de Jacques Delors d’une « fédération européenne des Etats-nations » pour la zone Euro,

entourée de l’Union Européenne permettant aux autres Etats membres d’y accéder progressivement.

Il implique également l’idée selon laquelle les autres suivront ultérieurement, grâce notamment à un

transfert de compétence et d’expérience, mais aussi par influence mutuelle. Ce mode d’intégration a ainsi

l’avantage de laisser une porte ouverte aux plus sceptiques. Face aux résultats des initiateurs, les plus

récalcitrants pourront se laisser convaincre.

Une solidarité par le partage de l'expérience et de l'expertise

Toutefois, contrairement au classement fréquemment effectué entre « des bons élèves » et des « mauvais »,

qui oppose le plus souvent une « Europe du Nord » à une « Europe du Sud » ou « de l’Est », ce scénario

n’implique pas nécessairement que le noyau dur soit systématiquement le même.

Dans ce sens, cette configuration est également source de solidarité puisque l’expertise et l’expérience

sont partagées pour aboutir une amélioration commune.

Ce scénario « des petits pas », pour reprendre l’expression de Willy Brandt, aurait donc l’avantage d’éviter

les blocages et de permettre l’expérimentation. On peut penser par exemple à la taxe sur les transactions

financières – promise 11 pays européens - ou au brevet européen, qui représente une avancée en terme

d'intégration, et qui devrait entrer en vigueur en janvier 2014 sous la forme d'un accord international. Pour

l'instant, l'Espagne et l'Italie n'ont pas souhaité y participer, mais l'accord qui a été passé entre les 25

autres États membres leur laisse à tout moment la possibilité de participer à cette coopération.

Une solution avant tout temporaire

Néanmoins, cette structure à plusieurs vitesses complexifie fortement le fonctionnement de l’Union

Européenne. Cela peut par exemple pénaliser ses relations économiques avec des pays tiers puisque que

les éventuels partenaires risquent à force de ne plus s’y retrouver.

Enfin, on peut se demander si cette intégration à plusieurs vitesses ne risque pas au contraire de renforcer

irrémédiablement les écarts entre les Etats membres, rendant le rattrapage illusoire.

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 18

L’Europe juridique : le droit à la carte ?

« La Communauté est un ensemble de règles librement consenties. Ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent

pas souscrire à ces règles s’excluront eux-mêmes1 ». Emprunte de pragmatisme, cette vision de l’Europe

retrouve un écho particulier aujourd’hui.

La Commission a exprimé des craintes concernant un affaiblissement généralisé de l’esprit

communautaire. Ainsi, les institutions les plus intégrées perdraient leur raison d’être car l’intérêt commun

n’est pas la somme des intérêts nationaux. Dès lors, le principal enjeu de l’Europe à la carte sera de réussir

à concilier différentiation dans l’intégration et cohérence de l’Union ou encore accommoder

approfondissement et élargissement de l’Union.

Cependant, la condition principale pour la mise en œuvre des différentes politiques reste le respect de

garde-fous comme la solidarité fondamentale entre Etats membres. En effet, l’Europe à la carte peut

paraître comme une négation de ce principe car les Etats participent uniquement aux politiques présentant

un avantage pour eux.

Des dérogations temporaires et des périodes de transition font partie depuis toujours du patrimoine

communautaire2. Dans le passé des régimes dérogatoires ont été accordés à certains Etats pour leur

permettre de résoudre certaines difficultés qu’ils rencontraient : certains Etats venant d’adhérer à la

Communauté, des mesures de sauvegarde économique pour faire face à une crise sectorielle ou

compensatoire. L’idée étant de recréer l’unité dans les meilleurs délais et de poursuivre un objectif

commun.

De nos jours, on peut dessiner l’Europe de multiples manières. Elle compte plusieurs cercles de différentes

tailles entrecroisés les uns aux autres. Surtout dans une entité aussi intégrée que l’Union Européenne, tous

les Etats membres ne partagent pas exactement les mêmes objectifs quant à la signification, à l’intensité

et au devenir du processus d’intégration. Certains avaient évoqué l’idée d’un « noyau dur » préconstitué

d’Etats qui formeraient une sorte d’avant-garde européenne qui donnerait l’impulsion aux « Etats

retardataires ». Dès lors, une approche pragmatique est apparue nécessaire afin d’assurer le bon

fonctionnement des institutions et la réalisation de l’objectif communautaire.

Les Etats ont la possibilité de mener des politiques différenciées en amont ou en aval des traités. En amont

cela passe par la négociation et la mise en place d’opt in-opt out sur l’application des accords. Le concept

d'opting-out correspond à une dérogation, accordée à un pays ne souhaitant pas se rallier aux autres États

membres dans un domaine particulier de la coopération communautaire, afin d'empêcher un blocage

général, l’opt-in laisse à l’Etat la possibilité de se rattacher à cette politique dans le futur. En aval, «les États

membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences

non exclusives de l'Union peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en

appliquant les dispositions appropriées des traités, dans les limites et selon les modalités prévues au

présent article, ainsi qu'aux articles 326 à 334 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne»

d’après l’article 20 TUE.

Les géométries variables prévues au niveau conventionnel

L’Acte Unique Européen apparait comme l’une des premières différentiations au sein de l’UE. L’AUE donne

lieu à une différenciation dans les obligations des Etats dans le cas des directives d’harmonisation. Un

Etats membre peut se sauvegarder d’une directive d’harmonisation en raison d’un intérêt légitime, par

notification à la Commission, le silence de la Commission valant acceptation, sa parole refus. Il est

également permis à un Etat membre d’appliquer des normes nationales (pas de transposition) si celles-ci

sont plus exigeantes (ex : conditions de travail, protection de l’environnement …). L’interdiction d’un

protectionnisme déguisé est rappelée.

En 1989 une différenciation est mise en place par la Charte Communautaire des droits fondamentaux des

travailleurs. L’opposition de Thatcher et le système d’unanimité empêchent son entrée en vigueur

immédiate. Les 11 membres de l’époque (Europe des 12) décident de passer un protocole social entre eux

lors du traité de Maastricht pour contourner le veto. Le Royaume Uni de son côté accepte un protocole

social exclusif.

1 J. Monnet 1 janvier 1988 « Mémoires ». 2 L’article 49 TUE prévoit des régimes particuliers ou périodes transitoires concédées aux nouveaux adhérents.

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 19

Concernant le traité de Maastricht on peut voir deux dérogations majeures celle du Royaume Uni

concernant la non-participation à la 3éme phase de l’UEM (l’euro) ainsi que sa non-participation à la

politique social de l’UE. La deuxième dérogation concerne le Danemark qui négocie lors du conseil

européen d’Edimbourg le 11-12 décembre 1992 sa ratification du traité par la mise en place de

dispositions spéciales inscrites dans un protocole spécifique.

Cette anomalie anglaise sur la politique sociale a été corrigée à Amsterdam, en juin 1997, le gouvernement

travailliste britannique s’engage à respecter l’ensemble des dispositions sociales du traité (Droit primaire

et droit dérivé originaire du protocole des 11).

Malgré cela le traité d’Amsterdam voit apparaître d’autres dérogations, une première concerne le nouveau

titre IV de la 3éme partie du traité CE remanié par Amsterdam concernant les Visas l’Asile, l’Immigration et

la libre circulation des personnes. Le Royaume Uni et l’Irlande ne souhaitent pas participer à ces politiques,

un protocole adapté est donc ajouté pour ces deux pays. Le Danemark lui complète son protocole en

ajoutant le refus de l’application du titre IV.

L’intégration de l’acquis de Schengen dans le droit L’UE par le traité d’Amsterdam en donne naissance à

un protocole dédié. Ce protocole autorise une coopération plus étroite des Etats membres de l’UE sauf

Irlande et Royaume Uni en matière de liberté de circulation des personnes.

La multiplication des protocoles

Une dérogation apparait avec l’incorporation dans le droit primaire de l’UE de la charte des droits

fondamentaux rédigée à Nice.

Les dérogations concernant l’application de la charte des droits fondamentaux de L’UE sont comprises

dans le protocole n°30 des traités TUE et TFUE réformés par Lisbonne. Dans ce protocole la Pologne et le

Royaume Uni clarifient leur position sur l’application de la charte. L’article 1er du protocole précise

l’impossibilité d’un « contrôle de conformité avec la charte des lois, règlements ou dispositions pratique ou

action administrative de la Pologne ou du Royaume Uni par la CJUE ou toute juridiction de la Pologne ou du

Royaume Uni ». Le 2éme paragraphe de l’article 1 précise lui que la charte ne crée pas de droits

justiciables applicables à ces deux pays.

La situation de la République Tchèque est différente le président Tchèque lors du conseil européen

d’octobre 2009 a accepté de ratifier le traité de Lisbonne à condition que le protocole 30 soit aussi

appliqué à la République Tchèque. Le conseil a accepté cet ajout, le protocole sera valable pour ce pays au

moment de la conclusion du traité d’adhésion d’un nouvel Etat membre de l’UE.

La CJUE donne son interprétation du protocole 30 dans deux affaires jointes jugées le 21 décembre 2011

(CJUE 2001 N.S et ME)

Dans cette affaire la Cour se prononce sur le protocole 30 elle considère que le protocole ne remet pas en

cause l'applicabilité de la Charte au Royaume-Uni et en Pologne et n'a pas pour objet d'exonérer la

République de Pologne et le Royaume-Uni de l'obligation de respecter les dispositions de la Charte, ni

d'empêcher une juridiction de l'un de ces Etats membres de veiller au respect de ces dispositions. Ce

protocole n’est pas une clause d'opting out. Il ne fait qu'expliciter le champ d'application de la Charte déjà

précisé dans son article 51.

Les dérogations ponctuelles

Les dérogations générales à certaines politiques, instruments, ou programmes de L’Union européenne

s’accompagnent de dérogations plus ponctuelles – à l’aide de protocoles joints aux traités- sur des

thématiques précises; elles répondent principalement à trois logiques poursuivies par les Etats-membres

de l’Union.

Tout d’abord, certaines d’entre elles consistent à faire obstacle à la mise en œuvre des règles du Traité

face à l’application de certaines dispositions législatives ou constitutionnelles nationales considérées

comme essentielles. Le protocole n°35 au Traité sur l’Union Européenne (introduit dès le traité de

Maastricht) dispose dans ce sens, qu’aucune disposition des traités européens « n'affecte l'application en

Irlande de l'article 40.3.3. de la Constitution de l'Irlande ». Il s’agit de l’interdiction constitutionnelle de

l’avortement, considérée par cet Etat comme primordiale et indérogeable. De même, le Protocole n°32

permet le maintien par le Danemark d’une législation interdisant l’acquisition de résidences secondaires

par les ressortissants des autres Etats membres, bien que cette dérogation soit en flagrante contradiction

avec le principe fondamental de non-discrimination à raison de la nationalité, cher à l’Union européenne.

Certains protocoles, -souvent joints aux traités d’adhésion- permettent à des Etats d’instaurer des régimes

de différenciation sur des motifs géographiques. En guise d’exemple, le protocole n°2 au Traité

d’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède relatif aux îles d’Åland permet à la Finlande de

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 20

maintenir des conditions de « citoyenneté régionale » pour la prestation de service et la liberté

d’établissement afin de maintenir une économie locale viable, dérogeant ainsi aux libertés garanties par le

marché unique.

Enfin, plusieurs dizaines de protocoles, souvent provisoires, concernent des dérogations extrêmement

précises et techniques aux tarifs douaniers communs et à la politique commerciale commune. Le protocole

n°4 au Traité d’adhésion de la Grèce concernant le coton, ou le protocole n°23 joint au Traité d’adhésion

de l’Espagne et du Portugal relatif au régime des importations au Portugal de voitures automobiles en

provenance des pays tiers, en sont des exemples.

Les géométries variables prévues au niveau législatif

La coopération renforcée est une modalité de procédure législative en droit de l’Union européenne.

Elle désigne la procédure d’adoption d’un acte juridique européen (directive ou règlement) qui ne

s’applique pas aux 28 Etats membres mais seulement à ceux d’entre eux qui le désirent.

L’instauration de la procédure de coopération renforcée permet d’élaborer des règles dans le cadre des

institutions de l’U.E. et de les intégrer dans le droit de l’Union. La mise en œuvre d’une coopération

renforcée conduit non seulement à une différenciation matérielle des obligations des Etats mais aussi à

une différenciation institutionnelle. Elle met en place une avant-garde ouverte et fonctionnelle qui n’a pas

vocation à rester fermée sur elle –même.

Le traité de Lisbonne a élargi les possibilités de coopérations renforcées : elles peuvent porter sur tous les

domaines de l’action européenne, doivent réunir au moins neuf Etats membres ; le conseil des ministres

accorde l’autorisation, il statue à la majorité qualifiée sur proposition de la commission avec approbation

du Parlement européen.

Mise en œuvre des coopérations renforcées

L’article 20 T.U.E. stipule en particulier dans son §1 al .2 : les coopérations renforcées visent à favoriser

les objectifs de l’Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d’intégration.

La coopération renforcée obéit aux procédures institutionnelles de l’Union. La procédure diffère selon que

l’on se trouve dans le régime général ou dans les régimes spéciaux. Les articles 326 à 334 T.F.U.E. règlent

les procédures applicables, fixent le régime général et les régimes particuliers.

Régime général :

L’art.20 §2 stipule que au moins neuf Etats participent à cette coopération renforcée ; l’article 329 §1al.2

dispose » l’autorisation de procéder à une coopération renforcée visée au 1er alinéa est accordée par le

conseil, sur proposition de la commission et après approbation du P.E.Le traité de Lisbonne dit : On fait de

la coopération renforcée lorsque l’objectif recherché ne peut être obtenu dans un délai raisonnable et il

faut au moins 9 Etats pour une telle coopération. Les Etats intéressés doivent adresser une demande à la

commission ; cette demande doit indiquer le champ d’application et les objectifs de la coopération. Toute

instauration d’une coopération renforcée doit être considérée comme ayant une incidence constitutionnelle

d’où exige l’accord du P.E.

Si la demande passe les deux filtres Commission et Parlement, (qui sont a priori indépendants des Etats),

le Conseil statue à la majorité qualifiée, le Conseil limité décide de l’adoption du texte ; les Etats qui ne

sont pas parties à la coopération renforcée peuvent discuter, ils ne prennent pas part au vote.

Régimes spéciaux :

Ces coopérations concernent les domaines régaliens :justice pénale, droit pénal ,police défense .

En matière de droit pénal et de police : articles 82,83, 86,87 du T.F.U.E.

L’article 329T.F.U.E. §2 en fixe les modalités : demande adressée au Conseil, transmise au H.R.A.F.,à la

commission qui donnent leur avis , simple information au P.E.

L’article 329 §2al.2 stipule : L’autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par une

décision du Conseil statuant à l’unanimité.

Les actes législatifs sont adoptés selon les règles et procédures propres aux domaines dans lesquels la

coopération renforcée va se déployer .Ces actes ne lient que les membres participants (Art.20 §4T.U.E.)

Les coopérations renforcées mises en place

Pour la première fois en 2010, on harmonise la procédure applicable en cas de conflits de normes

concernant les divorces internationaux ; le 4 juin 2010, 14 Etats décident d’adopter le projet de

règlement ;.Les autres E.M. peuvent à tout moment décider de les rejoindre ; Règlement U.E. n°12592010

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 21

du Conseil du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine

applicable au divorce et à la séparation de corps.

En matière de brevets, une coopération renforcée sera mise en œuvre par 25 Etats soit toute l’U.E sauf

Espagne et Italie qui invoquent des raisons linguistiques à partir de 2014.Dans le domaine de la taxe sur

les transactions financières, une coopération renforcée réunit 11 Etats ; cette taxe doit entrer en vigueur le

1er janvier 2014.

Les droits des Etats non participants

L’article 334T.F.U.E. dispose :

« Le Conseil et la Commission assurent la cohésion des actions entreprises dans le cadre d’une

coopération renforcée ainsi que la cohérence de ces actions avec les politiques de l’Union et coopèrent à

cet effet ».

On a institution de deux cercles concentriques, l’un régi par la coopération renforcée, l’autre par le droit

commun des traités. Les non-participants ne peuvent se considérer comme totalement étrangers ; l’art.327

T.F.U.E. fait peser sur eux une obligation négative de ne pas entraver la mise en œuvre de la coopération

renforcée ; il stipule : » les coopérations renforcées respectent les compétences, droits et obligations des

E.M. qui n’y participent pas. Ceux-ci n’entravent pas leur mise en œuvre par les E.M. qui y participent. »

Une question se pose concernant l’opposabilité des arrêts de la Cour aux Etats non participants.

A priori rien n’interdit à ces derniers de mettre en cause par les voies légales ordinaires des mesures qu’ils

jugeraient illégales ou contraires à leurs intérêts.

La différenciation dans la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC)

"On ne peut pas envoyer des jeunes gens mourir sur une terre étrangère par un vote à la majorité

qualifiée". Cette idée, exprimée par Jean MONNET, est ancré à la base de la construction européenne et

demeure d'actualité s'agissant de la PESC.

Les réformes successives, et notamment celle du Traité de Lisbonne éliminant la structure en piliers, vont

dans le sens d'un renforcement des compétences de l'Union européennes s'agissant de la PESC. Mais en

dépit de ces avancées, il n'a jamais été question pour la PESC d'un dessaisissement complet des Etats

membres.

Les politiques étrangère, de sécurité et de défense couvertes par la PESC sont des domaines dans lesquels

les Etats membres conservent leurs compétences souveraines, eu égard à l'importance de leurs

divergences en matière de la politique extérieure : la différenciation est consubstantielle à la PESC. L'idée

de politique commune implique pourtant un transfert de compétences à l'Union européenne, mais la

nature même de la PESC reste profondément intergouvernementale. Le maintien de la compétence de

principe des Etats membres fonde la flexibilité juridique en matière de PESC, les compétences de l'Union

européenne n'ayant pas vocation à se substituer à celle des Etats membres. Le vote à l'unanimité demeure

donc la règle.

Cependant, un Etat membre s'abstenant peut ne pas faire obstacle au vote en assortissant son abstention

d'une déclaration formelle : on parle alors d'abstention constructive. L'Etat membre s'abstenant ainsi ne

sera pas tenu d'appliquer la décision. Il acceptera néanmoins que la décision engage l'Union européenne

et devra dès lors éviter toute action susceptible d'entrer en conflit avec les actions en résultant.

Les Etats membres peuvent, en cas de besoin, adopter à l'unanimité une décision permettant d'étendre le

domaine du vote à la majorité : on parle de clause passerelle.

Le vote à la majorité qualifiée reste pour autant l'exception.

Il comporte néanmoins également des garanties pour les Etats membres minoritaires. Ces dernier peuvent,

pour des raisons de politique nationale vitales qu'ils sont tenus d'exposer, s'opposer à l'adoption de toute

décision. Les actes en matière de PESC n'engagent quant à eux les États membres que dans leurs prises

de position et la conduite de leur action. La Cour de justice de l'Union européenne n'est pas compétente

pour les dispositions relatives à la PESC

La sanction du non-respect de ces actes reste donc essentiellement politique.

Ces actes ne sont par conséquent pas susceptibles de priver les Etats de leur autonomie dans la conduite

de leur politique étrangère et de sécurité nationale.

Les Etats membres peuvent, sur la base d'une décision adoptée à l'unanimité, participer à des

coopérations renforcées dans le cadre de la PESC.

Ces dernières doivent se faire dans le respect des compétences, droits et obligations des États membres

n'y participant pas. Ces derniers ne devant non plus pas entraver la mise en œuvre de ladite coopération

renforcée.

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 22

Les orientations nationales en matière de politique de défense sont préservées puisque cette dernière

n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense des Etats membres.

Des États membres peuvent pourtant, sur la base d'une décision adoptée à la majorité qualifiée, assurer

des missions visant à préserver les valeurs et servir les intérêts de l'Union européenne.

Des Etats membres peuvent enfin, sur la base d'une décision adoptée à la majorité qualifiée, participer à

des coopérations structurées permanente en matière de défense.

L’Union Economique et Monétaire du point de vue juridique

Une union économique et monétaire est un marché commun marqué par la coordination des politiques

économiques des états membres et la création d’une monnaie commune. La zone euro est la zone

monétaire de l’UE qui regroupe les pays de l’UE qui ont adopté l’euro comme monnaie unique, et son

antichambre : le mécanisme de taux de change européen.

L'union économique et monétaire est une étape essentielle dans l'intégration des économies européennes.

Elle tend à l'unification d'une politique économique et monétaire pour tous les pays de l'union.

Sa formation est décidée en décembre 1991 et est consacrée par le traité de Maastricht, la mise en

circulation de l’Euro intervient le 1 janvier 2002.

La création de l'union économique et Monétaire est divisée en 3 phases, or l'on sait que seul 17 des 28

Etats membres utilisent l'Euro comme monnaie officielle, dès lors certaines dérogations ont donc été

accordées à certains d'entre eux.

En effet, pour le Royaume-Uni premièrement, le protocole N°25 annexé au traité instituant la Communauté

européenne prévoit une exclusion de l'UEM. Ces derniers ne rentrent pas dans la troisième phase

d'intégration de l'UEM et n'introduit pas l'euro en 2002.

Dès la signature du traité de Maastricht, cette clause d'exemption fut une condition essentielle pour que le

RU donne son accord sur l'ensemble du Traité.

Dès lors, le RU conserve sa "souveraineté" dans le domaine de la politique monétaire, n'est pas soumis aux

dispositions sur les déficits et sur les systèmes des banques centrales et de la BCE.

Pour autant, il est exclu des décisions sur la fixation des taux de change ou encore la nomination des

membres du directoire de la BCE.

Pour éventuellement que le gouvernement Britannique ne demande son adhésion à la 3ème phase de

l'UEM, ce dernier affirme que le pays devra remplir des conditions supplémentaires aux différents critères

de convergences prévus par le traité.

Ces critères initiaux sont : la stabilité des prix, la viabilité des finances publiques, le taux de change et le

taux d'intérêt à long terme.

Dès lors le RU devra en plus réussir 5 autres tests économiques pour envisager son adhésion ; la

convergence des cycles économiques (compatibles avec ceux de la zone euro), la flexibilité,

l'investissement, les services financiers et la croissance économique avec la stabilité de l'emploi.

Dès lors, son entrée semble en ces temps de crise largement compromise.

Dans un second temps, on retrouve pour le Danemark une clause d'exemption dans le "protocole sur

certaines dispositions relative aux Danemark" annexé au traité instituant la Communauté Européenne. Ce

dernier assure au pays qu'il ne sera pas intégré à l'UEM automatiquement même si ce dernier remplis

l'ensemble des critères de convergence ; un référendum devra valider cet entrée.

Un premier référendum en 92 rejette le traité de Maastricht qui est accepté en 1993.

Concernant la question de l'adhésion à la troisième phase de l'UEM, le gouvernement Danois propose un

référendum en 2000, le peuple Danois refuse l'adoption de l'Euro.

Pourtant, l'actualité récente laisserait envisager un référendum futur et une possible adhésion de cet Etat.

Il en est de même pour la Suède qui en 2003 rejette l'Euro. La Suède n'a pas négocié officiellement

d'opting-out sur l'adoption de l'euro. Cependant, à la suite d'un référendum, la Suède a choisi de ne pas

rejoindre le MCE II, et ne satisfait donc pas un des cinq critères pour rejoindre la zone euro. La Commission

européenne et la Banque centrale européenne ont déclaré qu'ils accepteraient, pour le moment, cette

option de retrait de facto. Le gouvernement suédois a toujours affirmé que le pays n'adopterait pas l'euro

tant qu'un référendum irait dans ce sens.

Cet opt-out de facto inspire des autres gouvernements eurosceptiques comme celui de la Hongrie et de la

République Tchèque. En Hongrie, lors de la nouvelle constitution hongroise de 2011, il était prévu que le

forint soit l’unique monnaie légale en Hongrie, et la politique économique menée par l’Etat favorise l’excès

de déficit économique qui empêche le pays d’accomplir le premier critère pour entrer dans la zone euro,

c’est-à-dire l’entrée dans le mécanisme de taux de change européen. Il semblerait que la Hongrie est en

train de suivre le modèle d’opt-out de facto suédois.

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 23

La République Tchèque souhaiterait ouvertement un opt-out de la zone euro. En 2010, une discussion fut

initiée par le président Vaclav Klaus au sein du gouvernement Tchèque sur cet opt-out. Plus tard, le premier

ministre Petr Necas a déclaré qu’un opt out n’est pas nécessaire car la République Tchèque n’est pas

obligée de joindre le MCE II et par conséquent la décision d’accomplir un des critères pour entrer la zone

euro lui appartient. L’approche de la République Tchèque est similaire à celle suédoise.

Les questions liées à l’Espace de liberté, de sécurité et de justice

Prévu par le traité d’Amsterdam, le développement d’un Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice (ELSJ)

s’est poursuivi avec le traité de Lisbonne. Cet espace vise à assurer la libre circulation des personnes et à

offrir un niveau élevé de protection à tous les citoyens. Pour ce faire, il englobe plusieurs domaines

politiques, notamment la gestion des frontières extérieures de l’Union ou encore la coopération judiciaire

en matière civile et pénale, les politiques d’asile et d’immigration, la coopération politique et enfin la lutte

contre la criminalité. L’Union européenne affiche une volonté d’intégration poussée dans ces domaines. Ce

faisant, l’ELSJ constitue un des objectifs majeurs de l’Union.

Pourtant, l’ELSJ est loin de constituer un ensemble homogène. A l’inverse, celui-ci est représentatif d’une

Union européenne à géométrie variable. Cette géométrie variable n’est pas seulement la conséquence

d’une « Europe à plusieurs vitesses », elle s’explique également par le développement d’une « Europe à la

carte ».

L’ « Europe à la carte » constitue un cadre de fragmentation dans lequel s’inscrit l’ELSJ, qui permet à des

Etats membres de rester à l’écart de certaines politiques européennes en matière de sécurité intérieure,

soit en réclamant une dérogation (clauses d’opting out, opting in) soit en laissant les autres Etats avancer

en groupe réduit (coopération renforcée).

Pour autant, la problématique de l’Europe à la carte ne saurait se décliner de manière manichéenne en un

processus purement négatif ou positif. Si au premier regard ce processus apparaît comme une menace à

l’égard de l’objectif d’intégration de l’Union, ce processus peut a contrario être considéré comme une

méthode d’intégration subsidiaire répondant aux limites des méthodes de construction européenne

classiques. En ce sens « l’Europe à la carte » apparaît comme une force qui illustre parfaitement le

proverbe « reculer pour mieux sauter ». Ainsi, après avoir décrit de manière objective l’existence de la

géométrie variable de l’ELSJ (1), il convient d’étudier l’Europe à la carte sous l’angle d’une menace pour

l’intégration européenne (2) et sous celui d’une méthode d’intégration subsidiaire (3).

L’ELSJ : la construction d’une « Europe à géométrie variable »

La construction de « l’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice » commence avec la signature des

accords Schengen en 1985, par lesquels cinq Etats membres de la Communauté européenne décident de

supprimer progressivement les contrôles à leurs frontières communes tout en compensant cette

suppression par une surveillance plus efficace de leurs frontières extérieures. La convention d’application

de l’accord Schengen, entrée en vigueur en 1995, promulgue l’ouverture des frontières entre les pays

signataires et permet de développer des coopérations en matière d’asile, d’immigration et d’entraide

répressive.

Peu à peu, cet « espace Schengen » va s’étendre à la majorité des Etats membres de l’Union. Certains Etats

en restent toutefois exclus, soit car ils ne remplissent pas les critères permettant d’y entrer, soit car ils ne

souhaitent tout simplement pas y entrer. En 1990, la convention de Dublin entre en vigueur. Elle

détermine les compétences en matière d’asile et se substitue aux dispositions pertinentes de la convention

d’application de l’accord Schengen. Cette convention internationale a été adoptée en dehors de la

Communauté européenne (utilisation de la méthode intergouvernementale), entre certains Etats membres

seulement. Il en est de même concernant la convention de Bruxelles sur la compétence judiciaire à

l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée en 1968 entre certains Etats membres

de la Communauté seulement. On observe alors dès cette époque la formation d’une « Europe à géométrie

variable », dans laquelle selon des aires géographiques s’appliquent différents régimes juridiques.

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 24

En 1997, le Traité d’Amsterdam consacre l’existence de l’ELSJ et permet une communautarisation partielle

d’une partie du troisième pilier (visas, asile, immigration pour l’essentiel). Dans ce cadre, le Traité de

l’Union européenne confiait le soin de développer l’ELSJ à la Communauté européenne d’une part

(politiques liées à la libre circulation des personnes) et aux Etats membres d’autre part, par le biais du

troisième pilier dédié à la coopération policière et judiciaire en matière pénale. De cette manière, la

méthode communautaire et la méthode intergouvernementale s’appliquent toutes deux à l’ELSJ.

Durant la révision de 1997, l’acquis de Schengen est également intégré via un Protocole général,

instaurant une coopération renforcée entre treize Etats membres. En 1999, le Conseil a identifié cet acquis

et opéré son transfert vers le pilier communautaire. Tout ceci est cependant tempéré puisque le Royaume-

Uni, le Danemark et l’Irlande sont soumis à des dispositions dérogatoires contenues dans plusieurs

protocoles.

En 2000 et 2003, les règlements « Bruxelles I » et « Dublin II » sont tour à tour adoptés et intègrent dans le

droit de l’Union européenne les conventions extracommunautaires auxquelles ils correspondent. Ils

demeurent applicables à certains Etats membres seulement.

Avec le Traité de Lisbonne, l’ELSJ est désormais un domaine de compétence partagé entre l’Union et ses

Etats membres conformément à l’article 4-2 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne

(TFUE). Bien que la révision de 2007 rassemble dans un seul texte des dispositions auparavant réparties

entre les deux traités, les méthodes qui s’appliquent à l’ELSJ restent fragmentées. En effet, si l’asile et

l’immigration relèvent d’une politique commune de l’Union, les matières pénales et judiciaires sont

gouvernées par la « coopération », la « coordination », la « reconnaissance mutuelle » et le « rapprochement

des législations ».

Le véritable problème de l’ELSJ se traduit donc par ce simple constat : cet espace ne constitue pas un

ensemble homogène en raison de la fragmentation des droits et des méthodes qui le régissent. Cependant,

quand bien même les droits des Etats membres différeraient, leur base reste sensiblement identique.

Cela étant, le problème est avant tout d’ordre sémantique. En effet, lorsque l’on parle d’un espace

commun de liberté, de sécurité et de justice, les Etats ne sont pas unanimes quant au sens à donner au

mot « commun ». Certains l’entendent comme un espace global où chaque Etat cultiverait malgré tout sa

différence, alors que d’autres font rimer « commun » avec « uniforme ». Dès lors, il est indéniable que l’ELSJ

se trouve affecté par la méthode de l’Europe à la carte.

L’ELSJ : une intégration menacée par la différenciation de l’Europe à la carte

A première vue, l’existence d’une Europe à la carte au sein de l’ELSJ apparaît comme un constat d’échec

de l’intégration européenne. L’utilisation abusive de cette méthode permet aux États membres de déroger

à la création et au développement de l’ELSJ.

Cette limitation est d’abord explicite avec les clauses d’opt out (c’est à dire la possibilité de se retirer d’un

engagement précédemment souscrit) ou opt in (choisir cette fois les engagements auxquels on souscrit)

dont peuvent faire usage les États. A titre d’exemple, tout récemment, le Royaume-Uni a annoncé sa

volonté de se retirer de tous les projets concernant la coopération judiciaire et policière, en faisant jouer la

clause d’opt out, aussi appelée block opt-out dans la mesure où elle remet en cause pas moins de 146

accords en la matière. Cette limitation peut également s’avérer plus implicite, concrétisée par la mise en

œuvre de coopérations renforcées. Ces différentes méthodes d’évolution du projet de création d’un ELSJ

semblent souligner l’échec d’une uniformisation générale de l’espace.

Le risque encouru est en effet la cristallisation d’une géographie variable résultant d’une Union

hétérogène, de sorte qu’il ne soit plus possible de parler réellement d’Union européenne, mais bien d’une

multitude d’Europe au sein même de cette Union. Sous cet angle, les objectifs de l’Union, et donc ceux de

l’ELSJ, sont voués à un échec relatif puisqu’il est impossible d’espérer voir émerger un espace commun.

Ce constat n’appartient pas à la théorie, comme en témoignent les accords de Schengen, lesquels ne

s’appliquent ni au Royaume-Uni ni au Danemark, qui sont pourtant membres de l’Union Européenne, ou

encore l’actualité de la Zone Euro.

De même, les instruments pensés dans un premier temps pour palier les blocages causés par la

différenciation apparaissent au final comme étant au service d’une Union plus désunie que véritablement

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Eurotémis – 28 et 29 Novembre 2013, Sciences Po Bordeaux 25

unie. A ce titre, les coopérations renforcées dont le but était avant tout de permettre aux Etats membres le

souhaitant d’aller plus loin dans l’intégration, sont prévues par l’article 20 du Traité sur l’Union

Européenne. Cela sous-entend donc que « l’Europe à la carte » est institutionnalisée puisque le Traité lui-

même prend acte de l’existence de cette différenciation. Cette idée doit toutefois être nuancée dans la

mesure de nombreux garde-fous ont été élaborés par les Etats membres, freinant le processus. De plus,

certains domaines ne sont pas touchés par ce type de mécanismes.

Au final, le risque demeure une implosion de l’ensemble, comme l’illustre le block opt out du Royaume-Uni,

qui par la suite souhaite pouvoir choisir librement quelles dispositions qu’il appliquera ou non – et ce alors

même que toutes ces dispositions avaient eu l’aval de Londres lors de leur élaboration – , ou encore le fait

qu’aujourd’hui est discutée l’émergence d’un statut d’Etat observateur, idée à laquelle les britanniques

sont favorables. De même, les récentes déclarations de David Cameron vantant les mérites de l’Europe à

la carte ne laissent pas présager d’améliorations pour l’avenir. Pour autant, il faut là encore nuancer le

propos. Le droit de l’Union européenne a déjà largement pénétré les droits nationaux. De ce fait, le droit de

l’Union continuera de s’appliquer de manière large, quels que soient les opt out mis en œuvre.

Au-delà des conséquences néfastes que peut engendrer l’Europe à la carte, elle peut, envisagée sous un

autre angle, constituer un véritable moteur d’intégration.

L’ELSJ : une intégration dissimulée par la différenciation de l’Europe à la carte

L’Europe à la carte peut être perçue comme une méthode d’intégration subsidiaire qui s’inscrit dans la

durée, et qui à ce titre peut être perçue non plus de manière totalement négative, mais positive.

Si l’on en revient à la finalité de l’ELSJ, c’est à dire la création d’un espace unique, cela signifie vouloir une

harmonisation au sein de l’Union européenne en la matière. Cependant, l’harmonisation ne peut se faire

en un seul coup, c’est au contraire un processus qui prend du temps. La politique de l’Union en la matière

a toujours été celle des « petits pas ». A ce titre, les coopérations renforcées sont une partie de la solution

qui a été apportée, bien que le risque d’un statu quo soit latent. Le risque est en effet qu’à une volonté

d’intégration plus en profondeur de la part de quelques États membres, succède une cristallisation de la

situation, empêchant d’atteindre le résultat d’une intégration complète de tous les États. Si ce risque est

surmonté, la coopération renforcée peut être considérée comme un outil permettant une méthode

alternative mettant les Etats sur la voie de l’intégration.

L’Europe à la carte peut toutefois être une véritable méthode d’intégration subsidiaire. Force est de

constater que le processus d’intégration n’en serait pas là où il est aujourd’hui si, dans son inscription dans

la durée, il ne s’était réalisé de manière progressive. A ce titre, les clauses d’opt out et d’opt in, tout comme

les coopérations renforcées, offrent des atouts non négligeables. Il s’agit tout d’abord de concentrer les

processus de coopération au sein même de l’Union et d’éviter les alliances parallèles. Ensuite, il s’agit de

consacrer une intégration minimale. A ce titre, l’exemple des accords de Schengen, ou encore l’Union de

l’Europe Occidentale – rassemblant les questions de défense et de sécurité –, qui ont été progressivement

intégrés dans le processus communautaire, sont emblématiques. Plus spécifiquement encore, des

domaines qui rapidement ont fait apparition dans les débats entre les États membres, comme la Politique

Étrangère de Sécurité Commune, ont initialement été traités de manière intergouvernementale, pour

ensuite être communautarisés. Concernant la PESC, la communautarisation a été réalisée par le traité de

Nice en 2001.

La fragmentation peut donc servir les objectifs de l’Union européenne et le libéralisme qui la caractérise.

Un traitement différencié, du fait du pluralisme des méthodes, est un gage d’une meilleure prise en compte

d’un espace par nature hétérogène tant sur le plan géographique que des traditions juridiques ou

culturelles. Un traitement différencié favorise également l’unification juridique de l’Union de manière

attractive : les résultats obtenus par une minorité d’Etats dans un domaine suscitent l’envie d’autres Etats

de rejoindre le modèle proposé. Finalement, à l’image de la pensée de Schuman affirmant que le

processus d’intégration se mettrait en place pas à pas, et n’atteindrait la maturité juridique qu’avec le

temps, il apparaît que l’Europe à la carte ne soit pas un enjeu de la construction européenne, mais un

atout.

Ainsi, l’avenir de l’ELSJ à travers le prisme de l’Europe à la carte soulève plusieurs questions. Le défi de la

méthode, autant que celui du nombre, est un défi permanent de l’Union, duquel dépend le sens de la

construction européenne.

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