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1 L’agence Nomdedieu Comédie en 4 actes 9 personnages : 5 hommes, 4 femmes Ph.Laperrouse Le 19 mars 2013

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L’agence Nomdedieu

Comédie en 4 actes

9 personnages : 5 hommes, 4 femmes

Ph.Laperrouse

Le 19 mars 2013

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Acte I

Scène 1. (Nomdedieu, Grolard, la Secrétaire)

(Le rideau se lève sur une pièce qui sert à la fois de bureau et de salon. Le style

général est plutôt ancien. Le désordre est bohème. La pièce comporte deux portes :

une principale et une porte dérobée. Un homme examine des dossiers un par un. De

l’autre coté, sa secrétaire lui transmets les dossiers un par un)

L’homme : Voyons, voyons ! Les époux Dumas toujours mariés ? Ils

n’avancent pas ces deux là !

La secrétaire : L’homme a des remords et la femme a des scrupules, Monsieur !

L’homme : Après tout, tant qu’ils sont à jour de leur cotisation, je ne vais pas

les décourager. S’ils ne veulent plus rompre correctement, c’est

leur affaire ! Dossier suivant, Josiane !

(la secrétaire transmet un dossier)

L’homme : Ah, les Maligaud ! Très belle affaire. Un divorce somptueux. Ils

auraient tout de même pu m’inviter !

(une sonnerie se fait entendre)

La secrétaire : Je crois que votre rendez-vous est arrivé, Monsieur. Je l’introduis ?

L’homme : Introduisez, introduisez, Josiane ! Nous finirons tout ça plus tard (il

rend les dossiers à la secrétaire qui revient un instant plus tard

suivie d’un nouveau venu)

Le nouvel arrivant (il tend la main)

Euh ! Grolard …. Jacques Grolard du magazine A nous deux, le

bonheur, le spécialiste de la félicité en tout temps, en tous lieux…

L’homme : Nomdedieu !

Le nouvel arrivant (inquiet) :

Qu’est-ce qui vous arrive ?

Nomdedieu :

Rien… Nomdedieu, c’est mon nom… Arnold Nomdedieu ! (Il lui

désigne un siège). Entrez et prenez place mon cher….

(Le journaliste s’installe, sort un petit magnétophone et un bloc-notes.)

Grolard :

C’est donc vous le responsable de la première agence de la rupture

conjugale heureuse. Celui dont parle toute la capitale. Quelle drôle

d’initiative ! Comment cette idée vous est-elle venue ? Je suppose

que vous avez-vous-même une très grande expérience de la

rupture ?

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Nomdedieu : Dix-sept ruptures et demie au compteur, Monsieur Grolard.

Pour la dix-huitième, je ne suis pas très sûr. J’étais bourré, je ne

sais plus qui a jeté l’autre, je ne me souviens même plus si on était

ensemble. Enfin bref… j’en ai connu des fins de couples ! Des

brutales, des cyniques, des dramatiques et même des comiques…

Des grandes, des petites, de toutes sortes : « avec drames et

pleurs », « avec menaces de mort », « sans un mot »…, Par tous

moyens : courrier, SMS, téléphone, à travers une porte, dans le

métro… Vous avez un vrai spécialiste devant vous, Monsieur

Grolard !

J’ai décidé de mettre cette expérience à la portée de tous.

Grolard : Tout de même, aider des amoureux à rompre, il faut être pervers

quand même…

Nomdedieu :

Vous ne comprenez pas Monsieur Grolard ! Aujourd’hui, il est un

fait scientifiquement établi : l’amour et le bonheur qui va avec ne durent qu’un temps. Mais après, Monsieur Grolard ? Personne ne

pense à l’après. C’est là qu’intervient l’agence Nomdedieu.

Assistance, conseil, formation. L’agence Nomdedieu n’a qu’un

seul mot d’ordre : Rompons heureux ! Sinon, c’est l’enfer ! On

se déchire. Et puis c’est la solitude, la rancœur, l’amertume…

(Le journaliste s’affaire fébrilement sur son bloc-notes)

Grolard : Mais comment pouvez-vous parler de bonheur ? Vous passez votre

temps à briser les unions que les agences de rencontre ont tant de

mal à mettre sur pied !

Nomdedieu : Justement, notre activité est parfaitement complémentaire !

Complémentaires et identiques d’une certaine façon. Les agences

de rencontre vendent du bonheur par l’union et moi je propose ce

que les intéressés n’osent jamais : le bonheur de la désunion ! Il

n’y aucune fatalité à se séparer tragiquement.

Grolard : Si je comprends bien, vous proposez un service après-vente de

bonheur à long terme. Une sorte d’extension de garantie !

Nomdedieu : Euh… si vous voulez. Je vous le répète : être heureux dans un

couple sur la durée est aujourd’hui un produit de luxe. Il y a

forcément un moment où tout s’effondre. Le couple se dissout,

les ennuis financiers surviennent, on doit changer de logement,

de ville parfois ou d’amis, il faut survivre comme on peut. Non

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seulement mes méthodes évitent ce moment, mais encore j’ai mis

ce miracle à portée des petites gens… Je m’adapte à toutes les

bourses ! Je fais aussi du bonheur low-coast , Monsieur Grolard !

Grolard : Prodigieux ! Quelles sont donc vos solutions, Monsieur

Nomdedieu ?

Nomdedieu :

C’est très simple. Votre vie comme des millions d’autres est une

succession de ruptures. Et pourquoi avez-vous souffert de vos

ruptures, Monsieur Grolard ? Eh bien, vous avez souffert parce

qu’on vous a mis dans la tête que vous êtes arrivé sur Terre pour

subir et souffrir ! C’est la tradition judéo-chrétienne, Monsieur

Grolard. Vous devez subir et souffrir pour accéder au Paradis.

Grolard : Si je comprends bien, vous voulez aller à l’encontre des principes

de la religion, Monsieur Nomdedieu. Avec votre nom, admettez

que c’est un peu particulier. Certains pourraient même parler

d’une secte dont vous seriez le gourou !

Nomdedieu : Euh… restons modestes…je dirais plutôt une nouvelle méthode

de pris en mains de sa propre vie, Monsieur Grolard: « La

rupture choisie et maîtrisée ». Je romps mais c’est moi qui décide.

C’est moi qui choisis quand, comment et pourquoi ? Prenons un

exemple. Vous avez une marque de bière préférée. Vous avez

l’habitude de son goût, vous aimez son amertume discrète, son

léger parfum de framboise. Un jour, vous entrez dans un bar qui

ne sert pas votre bière de prédilection. Par contre, on vous en

propose une nouvelle que tous les spécialistes vous décrivent

comme un véritable nectar. Eh bien, mon cher, vous regretterez

votre petit demi traditionnel, même si c’est de la roupie de

sansonnet à côté de celui qu’on vous impose! Et pourquoi,

Monsieur Grolard ? Eh bien simplement parce que vous ne

l’aurez pas choisi, parce que dans ce changement, vous

n’aurez rien maîtrisé !

Grolard : Je ne bois pas bière… Mais enfin comment pouvez-vous

appliquer ce genre de diagnostic à un mariage ? Un couple n’est

pas un bock de bière…

Nomdedieu : Bin, si… enfin presque. Je vous explique. Partons de l’a priori

traditionnel selon lequel le bonheur, c’est le couple. Mais

attention ! Le couple du début, celui des premiers temps ! Celui

pendant lequel on se regarde bêtement comme la poule devant le

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couteau ! Vous comprenez Monsieur Grolard ? Le malheur, c’est

la prolongation du couple. Lorsque l’un et l’autre se sont

ressaisis. Au-delà de quelques mois ou années de passion, les gens

n’osent plus se séparer. C’est scientifiquement prouvé ! Les

mauvaises habitudes se prennent, il y a la pression de la

famille et des enfants. On a peur de ne pas se recaser : on se

juge trop vieux ou trop laid…

C’est là que mon agence intervient efficacement, Monsieur

Grolard. Nous avons un catalogue très fourni qui va de la simple

chamaillerie temporaire entre époux, jusqu’à la séparation

définitive. Le seul point commun indispensable pour surmonter les

derniers soubresauts d’une vie maritale agitée, donc de redevenir

normal, c’est la maîtrise des évènements ! C’est le secret,

Monsieur Grolard ! Je m’engueule avec mon conjoint, mais c’est

moi qui mène les opérations !

Grolard : La séparation d’un couple c’est l’affaire de la justice. Il y a des

procédures, des avocats, un juge… Ne craignez-vous pas

que….

Nomdedieu : Holà, je vous arrête, Monsieur Grolard. Il n’est nulle question de

substituer à la justice. Il est question de vivre heureux. J’interviens

pour que mon client provoque la séparation dont il rêve, la vive

bien avant, pendant, après ! Efficacité et bonne humeur! Vous

comprenez ?

(Une secrétaire stylée, lunettes à montures noires, talons hauts entre dans le bureau)

La secrétaire : Maitre, votre rendez-vous est arrivé. Je fais patienter ?

Nomdedieu : Pas du tout, Josiane, faites entrer.

(Nomdedieu se tourne vers le journaliste)

Nomdedieu : Ecoutez Monsieur Grolard, le mieux pour votre article, c’est que

vous assistiez à l’une de mes consultations. Entrez donc

dans ce placard et n’en sortez pas avant que je vous ouvre !

(Il fait entrer Grolard dans un petit placard)

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Scène 2. (Nomdedieu, Parpaillon)

(Un homme, bien habillé de type «cadre supérieur », s’avance vers Nomdedieu.

Celui-ci l’accueille bras ouverts)

Nomdedieu : Comment allez-vous mon cher Parpaillon ? Heureux de vous voir !

Avons-nous bien avancé depuis notre dernière leçon ? Vous

prendrez bien un verre de scotch ?

Parpaillon : Volontiers !

(Nomdedieu se retourne vers son bar et sert deux verres)

Nomdedieu : Un glaçon, Parpaillon ? ….(il n’attend pas la réponse de

Parpaillon) … Nous disons un glaçon… Asseyez-vous Parpaillon,

asseyez-vous !

(Nomdedieu sort un dossier de son bureau et se met à le consulter. Il s’assied à côté

du nouveau venu)

Nomdedieu :

Mon cher, j’ai beaucoup réfléchi à votre situation depuis que vous

m’avez appelé. Je vous rassure tout de suite, c’est du classique !

Rien que du classique ! L’agence Nomdedieu va pouvoir vous

aider !

Parpaillon : J’y compte bien ! Après tout un mariage est une association

comme une autre. Dans les affaires, les fusions et les séparations se

passent sans drame, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les

unions matrimoniales ? Ne perdons pas notre temps avec des

regrets ! Ce sont des enfantillages ! Je suis avant tout un manager,

Monsieur Nomdedieu, habitué aux méthodes modernes de

gestion.

Nomdedieu (sceptique) :

Euh… oui… Bon. C’est peut-être un peu plus compliqué que ça !

Enfin, bref… Récapitulons, Parpaillon. ! (Il sort une feuille et se

met à réciter d’une voix doctorale). Voyons, voyons… Parpaillon, Georges 45 ans, gérant d’entreprise… Le prototype du manager

moderne : la performance, les résultats, du chiffre, avant tout du

chiffre !.. Marié depuis cinq ans à Simone… (sourire en coin)…

Enfin, si on peut appeler ça marié… (il poursuit sa lecture).

Simone lui empoisonne la vie. Toujours à critiquer ses choix, ses

relations, à surveiller ce qu’il mange, et même à l’empêcher de

boire ! Il voudrait recouvrer sa liberté de jeune homme, mais sans

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séparation ni en droit ni en fait, vu que c’est Simone et sa famille

qui ont l’oseille et notamment la société de Papa dont Parpaillon

est le Président-Directeur- Général !

(il se retourne vers son voisin)

Vous savez que vous avez de la chance, Parpaillon, j’ai un produit

exclusif, directement importé des États-Unis, peut-être un peu cher,

mais je suis le seul à le faire, Parpaillon ! La séparation sans la

séparation ! Les avantages de la séparation sans les inconvénients.

C’est simple, mais il fallait y penser !

Parpaillon (intéressé) :

Qu’est-ce à dire ? Souvenez-vous que je ne veux pas de scandale !

Tout, mais pas de scandale !

Nomdedieu :

Laissez-moi vous expliquer, Parpaillon. Vous ne supportez plus

votre femme. Pas vrai ? Vous avez constamment l’impression de

ne plus être libre de vos mouvements, vous ne pouvez aller nulle

part sans qu’elle vous accompagne, vous avez délaissé tous vos

amis de jeunesse qu’elle jugeait trop vulgaires, en week-end vous

ne pouvez plus traîner en jean comme vous adoriez le faire avant…

Hein, Parpaillon ?... (Parpaillon acquiesce avec empressement).

Votre problème, c’est que vous ne pouvez plus vous en séparer de

peur de vous retrouver à la rue, puisque c’est vous qui dirigez les

usines de son père…

Parpaillon (fataliste) :

Voilà qui est admirablement résumé ! Et je fais comment ?

Nomdedieu : Il n’y a rien de plus simple que d’achever un couple qui n’a que

trop duré. Voyez-vous Parpaillon, entre conjoints, lorsque

l’aveuglement des premiers mois est passé, tout se joue dans les

détails de la vie quotidienne. Pour vous, le problème de fond est

résolu depuis longtemps. Vous n’aimez plus votre femme, elle ne

vous aime plus… C’est normal et réglé une bonne fois pour

toutes… Maintenant, il s’agit de sauver votre mariage pour des

raisons bassement matérielles, sans subir les servitudes du divorce.

C’est très ennuyeux un divorce. Dans votre famille et votre belle-

famille, ça va faire tache. Certains oseront même parler d’échec

personnel.

Parpaillon : Oui, et même plus que ça. Il n’y a que mon beau-père qui

trouverait ça marrant parce qu’il ne croit plus au mariage depuis le

jour du sien. Mais voilà cinquante ans qu’il n’a plus la parole !

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Nomdedieu : Donc suivez-moi bien. Pour accéder à l’état idéal où vous pourrez

bénéficier de votre liberté sans vous encombrer de procédure

judiciaire, il faut amener Madame à un objectif et un seul : la

séparation sans la séparation !

Parpaillon :

C’est simple, mais comment s’y prend-on ?

Nomdedieu : Écoutez ! Tout ça ne marche qu’à une seule condition : c’est vous

qui dirigez la manœuvre Parpaillon ! Mettez-vous ça dans la tête !

C’est vous qui choisissez le quand et le comment ! Sinon, vous

serez malheureux ! C’est démontré !

Parpaillon : C’est bien beau, mais moi, il me faut des propositions concrètes,

opérationnelles. Je ne suis pas du genre à me contenter de belles

paroles ! Vous avez une idée ?

Nomdedieu (commercial)

J’ai ce qu’il vous faut ! Il faut procéder en deux étapes. D’abord le

harcèlement qui conduira votre femme à l’écœurement. Nous

avons actuellement une promotion d’un kit de harcèlement

conjugal. Mais attention rien que du harcèlement légal. C’est-à-

dire indémontrable devant les tribunaux, Parpaillon ! C’est du

sérieux ! Nous avons une garantie de trois ans, pièces et main

d’œuvre ! Je vous explique : vous harcelez et dans six mois, elle

demande la chambre à part et vous êtes tranquille… Dans neuf

mois, elle retourne chez sa mère ! Garanti !

Parpaillon (entousiaste) :

Et si elle demande le divorce ?

Nomdedieu : Mais c’est là où intervient la deuxième étape, Parpaillon : l’étape

de la culpabilisation ! Le problème dans une rupture conjugale,

c’est qu’il y en a toujours un qui sent coupable de quelque chose.

Pour réussir une rupture, Parpaillon, il n’y a qu’une méthode :

laisser ce sentiment à l’autre ! Vous voulez bien rompre, mais vous

ne voulez surtout pas vous en sentir coupable de quoi que ce soit !

C’est vous qui avez dirigé l’opération, de main de maître, vous

n’allez pas en plus éprouver du remords. Le remords, c’est bon

pour elle, pas pour vous ! Si vous suivez mes conseils, elle va

éprouver un énorme sentiment d’autoculpabilisation et vous, vous

en porterez d’autant mieux! C’est infaillible ! En plus comme vous

ne demandez pas le divorce, elle sera soulagée. Pour un peu, elle

vous remerciera.

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Parpaillon (narquois) :

Bon. C’est peut-être un peu cynique, mais je n’ai pas le choix.

Allez, je prends votre kit de harcèlement légal, ça commence

quand, Maître ?

Nomdedieu : A la visite chez la belle-mère ! Ah ! Parpaillon ! La visite chez la

belle-mère ! Un grand classique aussi.

Parpaillon (fataliste) :

Ah… ça !

Nomdedieu : Disons qu’il y a visite obligatoire chez belle-maman au

moins un dimanche par mois. Justement celui où vous seriez

rester bien tranquille à la maison pour finir de ranger vos

bouquins ou bien alors c’est le dimanche où votre équipe de foot

favorite dispute le match décisif qui va décider de son avenir en

championnat.

(Parpaillon l’interrompt)

Parpaillon : Oui, ajoutons aussi le week-end où tous les copains vont rigoler en

bande en descendant l’Ardèche en canoë. La visite chez la mère de

Simone tombe aussi fréquemment ce jour-là. Comment s’en

débarrasser ?

Nomdedieu : Premier point, mon cher Gérard, vous vous doutez bien que ça va

être un sujet de discorde avec Madame. Alors, que faisons-nous

lorsque Madame attaque une dispute matrimoniale ?

(Parpaillon récite scolairement)

Parpaillon : On an-ti-cipe….On recense les dérapages les plus récents dont elle

s’est rendue responsable pour répondre du tac au tac en lui

envoyant ses propres bévues dans la gueule…

(Nomdedieu applaudit des deux mains et encourage)

Nomdedieu : C’est bien Parpaillon, c’est bien… Mais nous pouvons faire

encore mieux… En l’occurrence, Madame va lancer la première

attaque dans la voiture, sur le chemin du retour, en revenant de

chez belle-maman. Pourquoi mon cher Parpaillon ?

(Parpaillon hésite)

Parpaillon : Parce qu’elles attaquent toujours en position de supériorité…

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Nomdedieu : Parfait. Vous êtes au volant mon cher Gérard donc obligé de prêter

attention à la route. Elle va profiter de votre légitime préoccupation

de sécurité routière. Ça va commencer par une remarque froide du

style : Non, mais, tu as vu ton comportement chez ma mère ? …

Alors qu’elle doit être votre attitude, mon cher ?

Parpaillon : Euh… Par exemple : et toi le tien, chez mon père la semaine

dernière !…

Nomdedieu : Pas du tout ! Pas du tout ! N’oubliez pas qu’à ce moment-là vous

tenez votre vie entre vos mains. Non, mon cher Gérard…

Surprenons-la. Gagnons du temps. Vous affichez un rictus un peu

agacé dans le genre « ça m’aurait étonné » et vous répondez : nous

en parlerons à la maison si ça ne te fait rien. Double avantage

Gérard : vous sauvez votre vie d’un accident routier et vous

commencez les opérations de harcèlement doux. Elle s’attendait à

une contre-attaque immédiate et voici que vous vous repliez ! Elle

se sent déjà minée par votre calme olympien ! Vous

comprenez ?

Parpaillon : Et au retour à la maison ?

Nomdedieu : Eh bien, vous lâchez la grosse artillerie, Parpaillon ! La

grosse artillerie ! Elle a mariné pendant deux heures, elle est à

point ! Il faut attaquer ! Dites-lui carrément le fond de votre

pensée. Oui, ces week-ends chez sa mère sont mortels. Oui,

vous ne trouvez aucun intérêt à la conversation de votre beau-frère

qui divague complètement. Oui, le mieux serait d’arrêter ces

visites avant que ça ne tourne au drame familial. Et là, vous

glissez le premier moment de culpabilisation : votre femme bride

votre créativité, vous ne vous retrouvez plus dans ce mariage,

vous sentez un manque dans votre vie !

Parpaillon : Euh… vous ne trouvez pas l’attaque un peu violente ? Dans notre

milieu, on se déchire, mais avec distinction !

Nomdedieu : Mon cher Parpaillon… Comprenez-moi bien. Quel est le

premier reproche d’une femme normal à son époux ? (Il feint de

donner le début de sa réponse). Son manque… son manque de…

Parpaillon (content parce qu’il croit avoir la solution):

… D’attention pour ses efforts de coquetterie !

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Nomdedieu : Non, ça, c’est le second… Le premier reproche qu’une épouse fait

à son conjoint, c’est son manque de fermeté virile ! Il est temps de

lâcher les chevaux, mon petit Parpaillon. Montrez-lui qui vous êtes.

Vous verrez le regard qu’elle porte sur vous changer. Vous sentirez

peu à peu sa volonté fléchir contre la muraille de la vôtre ! Elle

vous fichera la paix tout en vous admirant. Elle commencera a à se

sentir coupable de vous mener la vie si dure.

Parpaillon : Euh… ce serait peut-être beaucoup attendre de Simone. Ecoutez,

Nomdedieu : moi, je suis homme d’action. Je crois aux solutions

qui marchent. Je vais essayer la vôtre ! Ceci dit, ce ne sera

sans doute pas suffisant, je suppose qu’il y a d’autres idées de

harcèlement dans votre kit.

Nomdedieu : Bien entendu, mon cher Parpaillon. La visite chez la belle-mère

n’est qu’un échantillon. Nous avons aussi la réception de la note de

téléphone qui peut donner lieu à une très belle prise de bec. Je

conseille également l’annexion de la salle de bains pendant trois

heures tous les matins par votre femme. C’est également d’une

grande efficacité pour accabler Madame de reproches

particulièrement irritants. Vous avez tout ça dans ce petit manuel

d’utilisation… (il lui tend un petit livret)….

Parpaillon : Permettez-moi de prendre congé, j’ai hâte de réviser et

d’appliquer vos préceptes…

Nomdedieu : Allez, allez, mon petit Parpaillon…. N’oubliez pas de régler ma

consultation à ma secrétaire !

(Parpaillon sort)

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Scène 3 (Nomdedieu, Grolard, la secrétaire)

(Nomdedieu fait sortir Grolard de sa cachette)

Grolard : Un régal, un vrai régal… Mais sans vouloir mettre en cause vos

méthodes… va pour le harcèlement, mais ne craignez vous pas

d’avoir instiller un poison qui ne laissera aucune chance à ce

couple de se reconstruire ?

Nomdedieu : Mais mon cher Grolard, ce couple est déjà détruit. Et c’est normal !

Comme tous les couples, celui-ci est une illusion. Je dirai même un

non sens. Vous connaissez le dicton : le couple, c’est se mettre sur

les bras à deux, les problèmes qu’on n’aurait pas tout seul !

L’homme n’est pas un animal apte à vivre en couple. Enfin pas de

manière durable. Ce n’est pas de la misogynie, c’est une donnée

naturelle. Aussi vraie que la Terre tourne autour du soleil ! Je

vous concède qu’il faut tenir compte des nécessités biologiques de

la reproduction de l’espèce. Pour bien faire, il faudrait inventer le

contrat de couple à durée limitée. Au bout du terme convenu, on

se séparerait. Il n’y aurait plus de surprise. Personne ne se

sentirait trahi. Personne ne serait malheureux. Ce serait normal,

tout simplement normal.

(La secrétaire entre de nouveau)

La secrétaire : Monsieur, une jeune femme qui n’a pas rendez-vous demande à

être reçue. Le cas a l’air grave et urgent. Je l’introduis ?

(Grolard prend congé)

Grolard : Monsieur Nomdedieu, je vous laisse à vos patients. Je suis

enchanté. Je ne manquerai pas de vous informer de la parution de

mon article…

Nomdedieu : Allez mon petit Grolard, allez…

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Scène 4 (Nomdedieu, Simone, la secrétaire)

(Une jeune femme élégante pénètre dans le bureau de Nomdedieu. Style rigide,

« bon chic, bon genre ». Avec des manières issues d’un milieu aisé. Elle fait un tour

de la pièce d’un regard suspicieux)

(Nomdedieu interpelle la jeune femme)

Nomdedieu : Madame…

La jeune femme :

Appelez-moi … (elle hésite)… Madame Jeanne. Je ne vous

donnerai pas mon nom. Votre encart publicitaire annonçait

« consultation anonyme », n’est-ce pas ?

Nomdedieu : Très bien dans ce cas, prenez place, chère Jeanne ! Qu’est-ce qui

vous amène dans mon modeste cabinet ?

(La jeune femme s’assied. Gênée, elle se tortille un peu sur son siège)

La jeune femme :

Nous sommes sous le sceau de la discrétion, n’est-ce pas ?...

(Nomdedieu opine discrètement. La jeune femme hésite encore puis se lance d’un

seul coup)

La jeune femme:

Voilà. Je suis marié depuis dix ans. Nous avons fait un très beau

mariage. Le gratin de nos amis était présent. Le haut de gamme, si

vous voyez ce que je veux dire. Ma mère tient beaucoup au respect

des traditions.

Nomdedieu :

Je vois, je vois ! Les traditions bourgeoises ! Au début, tout va

bien ! On dort ensemble, on dine ensemble, on reçoit ensemble, on

rend des visites ensemble, on fait des affaires ensemble, on

passe les vacances ensemble, bref … on s’emmerde et on finit par

se demander ce qu’on fait ensemble.

La jeune femme :

Tout ça ne vous regarde pas vraiment. Je ne veux plus de ce

mariage. Je veux rompre mais sans drame, ma mère ne le

supporterait pas. Je ne veux pas en souffrir non plus. J’ai autre

chose à faire. On m’a dit le plus grand bien de votre… office.

(Nomdedieu prend un air faussement contrit)

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Nomdedieu : C’est tout ?

La jeune femme :

Comment ça, c’est tout ?

(Nomdedieu soupire d’exaspération)

Nomdedieu :

Mais tout ça est parfaitement classique, chère petite Madame. Ce

serait le contraire qui m’inquièterait ! Vous ne vous rendez pas

compte : amoureux fou après dix ans de mariage. Une vraie

pathologie !

(La jeune femme est surprise)

La jeune femme :

Comment pouvez-vous dire une telle horreur ? Mon amie

Rose-Marie est toujours avec son Gaston depuis quinze ans !

Nomdedieu : Oui, oui, évidemment, vous pouvez toujours me citer des cas de

femmes qui s’accrochent désespérément ou qui ne sont pas

recasables… Elles n’iront pas très loin, croyez-moi ! Mais

revenons à votre souci, chère petite Madame… Donc vous ne

l’aimez plus? (la jeune femme fait une moue

ambigüe)… Vous y tenez ? (nouvelle moue ambigüe de la

jeune femme)… Parce qu’il y a une différence entre aimer son

conjoint et y tenir. Vous pouvez vous attacher à une vieille horloge

qui ne fonctionne plus simplement parce que sa présence vous

rassure ou qu’elle vous rappelle un bon vieux souvenir.

La jeune femme :

Ecoutez, ce n’est un problème de mobilier ! Dans mon milieu,

Monsieur, on ne se sépare pas ! Papa et Maman ne le veulent pas.

Surtout Maman. Papa s’en fout. Il faut séparer mariage et

sentiment sinon, on ne s’en sort pas !

Nomdedieu (sirupeux) :

Vous n’ignorez pas, chère petite Madame, que mon « office » -

comme vous dites- est la première agence de séparation de la

capitale et qu’elle n’a pas encore ouvert de département spécial

« rabibochage de vieux couples usés » ?... (Il se fait rassurant). Ne

vous inquiétez pas … l’agence Nomdedieu a ce qu’il vous faut : la

séparation sans la séparation ! Garantie trois ans, pièces et

main d’œuvre ! Tarif promotionnel jusqu’à la fin du mois !

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La jeune femme :

Et ça consiste en quoi, la séparation sans la séparation ?

Nomdedieu : C’est simple. Il suffit de culpabiliser votre conjoint pour l’amener

en douceur ou pas, à accepter vos conditions : ne plus vivre

ensemble tout en évitant les désagréments d’une procédure de

divorce ! Mais il y a une condition incontournable : c’est vous qui

dirigez la manœuvre. C’est la seule manière de ne pas se laisser

envahir par ce lent et angoissant sentiment qui étouffe l’ex-

conjoint qui n’a pas recours à ma méthode : le sentiment de

culpabilité ! Laissez-lui le monopole de ce poison, petite Madame,

c’est assez bon pour lui !

La jeune femme :

Très bien, mais je fais comment pour le culpabiliser? En dix ans, je

ne l’ai jamais entendu faire la moindre autocritique. C’est

toujours de la faute du gouvernement, de ma mère ou de la

concierge… quand ce n’est pas de la mienne !

Nomdedieu (il réfléchit un instant) :

Dans votre cas, je ne vois qu’une solution : trouvez-lui une

maîtresse ! S’il n’y pas encore pensé – ce qui m’étonnerait-

présentez lui une copine… n’importe quoi… mais il lui

faut une maîtresse rapidement !

(La jeune femme pousse un cri horrifié)

La jeune femme :

Comment ??? Je suis en train de vous dire que je ne veux pas de

divorce à scandale qui entacherait le nom de ma famille et tout ce

que vous trouvez à me proposer, c’est de lui fournir une

maîtresse !!! Et s’il venait à renâcler un peu, il faudrait peut-être

que je l’aide, sans doute ?

(Nomdedieu se veut rassurant)

Nomdedieu :

Écoutez-moi bien, petite madame. Il prend une maîtresse,

éventuellement avec votre aide (elle a un mouvement de recul). Tôt

ou tard vous découvrez le pot aux roses. Ou alors vous feignez de

le découvrir si vous êtes à l’origine de la manœuvre. Vous faites

une scène terrible à votre époux. Quel traitre ! Quelle ordure !

Vous faire ça à vous qui lui avez voué votre vie entière devant

Dieu et devant les hommes ! Vous vous énervez et vous êtes

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décidée à demander le divorce. À ses torts bien entendu. Et voilà,

c’est gagné !

La jeune femme :

Comment ça gagné ? Je vous ai dit que je ne voulais pas de

divorce. Maman va se trouver mal ! Nous allons être la risée des

salons de la capitale !

Nomdedieu :

C’est juste pour le menacer. Comme il est en tort, il va se sentir

affreusement coupable. Il va vous supplier à genoux. Et là vous

pouvez y aller…

La jeune femme : Aller où ?

Nomdedieu : Je veux dire que vous pouvez lui imposer votre solution sans

difficulté. Pas tout se suite, vous laissez mariner un peu, puis vous

porter le coup : maintien du mariage pour l’entourage, mais pas

dans l’intimité. Vous voyez ce que je veux dire ? La séparation

sans la séparation. (Il soupire) Je ne peux pas faire mieux.

C’est le top de mon catalogue

La jeune femme :

C’est atterrant !

Nomdedieu :

Oui, et c’est 150 euros. J’accepte la carte bleue. Et je propose aussi

des formules d’abonnement très intéressantes... Une dernière

question, chère Jeanne : n’avez pas une raison plus… intime pour

souhaiter vous séparer de votre époux ?

La jeune femme :

Comment ? Mais soupçonnez-moi d’avoir un amant pendant que

vous y êtes ! Je suis une femme respectable, Monsieur et je ne

permets pas…

Nomdedieu (benoîtement) :

Ne vous impatientez pas, chère petite Madame, je dois tout savoir

de mes clients pour une meilleure efficacité de nos produits ! Vous

venez de donner la réponse à ma question… Quand une femme

commence à se dire respectable… c’est qu’elle n’en est plus

vraiment sûre !

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(La secrétaire entre de nouveau et l’interrompt)

La secrétaire :

Monsieur votre rendez-vous de onze heures est là .

(Nomdedieu raccompagne sa visiteuse par une porte dérobée ):

Nomdedieu :

Passez par là, chère petite madame. Je suppose que vous n’avez

pas envie qu’un importun vous aperçoive en ces lieux ! Vous

pouvez me régler sur mon site Internet.

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Scène 5. (Nomdedieu, Molichet)

(Un homme entre et salue Nomdedieu avec déférence)

Nomdedieu : Mon petit Molichet ! Comment va-t-il mon petit Molichet ! Ça fait

très longtemps que je n’ai pas eu sa visite ! Qu’est-ce qu’il lui

arrive ? La nouvelle femme de votre vie dont vous êtes déjà lassé,

je suppose…

(Molichet et Nomdedieu prennent place sur le divan de la pièce. Molichet est un peu

embarrassé)

Molichet : Monsieur le directeur, je me trouve aujourd’hui dans une situation

un peu spéciale. J’ai pensé que vos conseils pourraient m’être d’un

grand secours…

Nomdedieu (rassurant) :

Allons, allons, mon petit Molichet. Vous savez bien que je suis là

pour vous. Et puis votre abonnement est toujours en cours de

validité !

(Molichet se lâche )

Molichet : Et bien voilà : je sais que votre agence est spécialisée dans la

désunion tranquille. Mais ce n’est pas de moi dont il s’agit

aujourd’hui. Enfin… pas directement. C’est très simple. Et très

compliqué : j’aime une femme et elle est mariée !

(Nomdedieu ricane)

Nomdedieu : … Et vous vous demandez comment la faire vôtre… Hein, mon

petit Molichet ? Et bien, je vais vous le dire. Il n’y a pas trente-six

solutions. N’attendez pas qu’elle se décide. Prenez votre destin et

le sien en mains !

Molichet : Certes, mais cette une femme loyale, très attachée à

l’institution du mariage en dépit de l’inclination qu’elle a bien

voulu manifester pour ma modeste personne.

Nomdedieu (péremptoire) :

Il ya bien une méthode …Je l’ai beaucoup pratiqué dans le passé…

Dites du bien de son mari, Molichet ! Beaucoup de bien !

Molichet : Mais vous n’y pensez pas. Je ne ferai que renforcer la difficulté

qu’elle a à le quitter !

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Nomdedieu : Pas du tout, Molichet ! Réfléchissez ! Vous couvrez votre rival de

louanges : sa culture, son intelligence, ses hautes relations… Vous

dites implicitement à cette femme qu’elle a su faire le choix de

l’excellence ! Vous la rassurez sur elle-même ! En plus en

couvrant d’autant de compliments son mari, vous allez passer

aux yeux de la belle pour quelqu’un d’honnête, de loyal et de

valeureux. Vous serez peut-être même une sorte de héros qui

aime prendre des risques en donnant des armes à son adversaire.

Elle s’entichera encore un peu plus de vous grâce à votre

hardiesse. Vous pourriez aussi vous reconnaître une infériorité par

rapport à son époux. Son sens si particulier de l’humour, par

exemple. La belle y verra une grande modestie de votre part !

(Molichet a un petit mouvement d’indignation)

Molichet : Ah non ! Pas son sens de l’humour ! Son mari est d’un ennui

mortel ! A part ses affaires, il n’y a pas grand-chose qui l’intéresse !

Nomdedieu : Bon d’accord, pas son sens de l’humour ! Mais dites-lui au moins

que son mari a devant lui un avenir professionnel grandiose, tel

que vous n’oseriez jamais en rêver. Vous n’en savez rien, mais

vous auriez l’air de vous incliner avec grâce devant ce futur

grand manager !

(Molichet se frotte les mains)

Molichet : J’avoue que je n’y aurais jamais pensé ! Je ne pense d’ailleurs

jamais à jouer du quant-à-soi des gens ! C’est peut-être un peu

tordu, mais après tout, si ça marche… Vous êtes le maître dans

votre domaine !

(Nomdedieu feint la modestie)

Nomdedieu : N’exagérons rien, mon petit Molichet ! C’est un métier !

Maintenant, il va falloir me laisser. J’ai besoin de me reposer.

Vous ne pouvez pas savoir ce que ça peut être épuisant de se

mêler de ce qui ne vous regarde pas… Et n’oubliez pas de

renouveler votre abonnement !

(Molichet se retire en faisant maintes courbettes)

Molichet :

Je comprends maître, je comprends !

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Acte II

Scène 1 (Parpaillon, Simone)

Le rideau se lève sur un salon bourgeois. Monsieur Parpaillon et sa femme rentrent

de voyage. Ils retirent leur manteau. Monsieur jette ses clés de voiture dans un

cendrier et soupire lourdement. Sa femme Simone commence à arpenter

nerveusement la scène.

Simone (acariâtre) :

Eh bien, on peut dire que nous avons passé un bon week-end ! Ma

mère a multiplié les amabilités à ton égard et toi, tout ce que tu

trouves à faire, c’est la gueule ! Tu as vu ton comportement ? Non,

mais est-ce que tu as vu ton comportement ? En plus tu ne m’as

pas décroché un mot pendant tout le trajet ! C’est agréable !

(Parpaillon sent arriver la scène de ménage, il tente de prendre un ton détaché tout en

préparant ses arguments)

Parpaillon : Quoi ? Tu peux me dire ce que tu lui trouves exactement à mon

comportement ?

Simone (excédée) :

Mais tu as été odieux, mon pauvre ami ! Tu n’as pas ouvert la

bouche de tout le week-end ! Tu n’as participé à aucune

conversation. Tu t’es contenté d’un … oui, belle-maman… non

belle-maman… En sachant très bien d’ailleurs qu’elle a horreur

d’être appelée belle-maman ! Bref, non seulement tu avais l’air de

t’emmerder, mais tu as tout fait pour que tout le monde s’en

aperçoive… Tu n’as fait marrer que ton beau-père qui se fout

complètement de tout !

(Parpaillon se sert un grand verre d’alcool, voire deux. On sent qu’il cherche à se

donner du courage pour appliquer les conseils de Nomdedieu. Le ton qui se voudrait

agressif de son discours sonne un peu faux)

Parpaillon : Mais ma chère, tu as entièrement raison. Je m’emmerde

chez ta mère ! Furieusement ! Énormément ! Dans les grandes

largeurs ! (Il se force à s’énerver) ! Que dis-je dans les grandes

largeurs ? Je me suis emmerdé dans toutes les dimensions : en

hauteur, en longueur, en oblique, en diagonale, en cercle… Une

vraie géométrie de l’emmerdement !

Simone (outragée) :

Comment oses-tu ?… Une femme qui t’a accueilli comme son

propre fils…

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(La colère de Parpaillon monte en régime)

Parpaillon : Eh bien dis-lui une bonne fois pour toutes que son fils en a marre

du poulet basquaise de sa bonniche tous les week-ends, son fils ne

supporte plus ses commentaires sur les petits parvenus qui

fréquentent les cours du Racing-Club, son fils exècre son analyse

dominicale du sermon de son curé favori, son fils a horreur des

séances obligées de chant classique que nous impose ta sœur après

les vêpres… Il n’y a que ton père avec lequel on puisse encore

rigoler de la vie en famille !

(Simone se dresse, l’air mystérieux, un sourire ironique et cruel aux lèvres)

Simone : Mon petit Parpaillon… Il va falloir t’y faire… Figure-toi que j’ai

invité Papa et Maman à passer le week-end prochain dans

notre maison de campagne, en Normandie.

(Parpaillon s’étrangle de fureur)

Parpaillon : Comment ? Comment ? Sans m’en parler… Mais figure-toi que je

ne suis pas d’accord. Figure-toi que j’ai d’autres projets pour le

week-end, moi ! Je ne suis pas à la disposition de ta famille ! Ni de

la tienne !

Simone (ironique) :

Des projets ? Comme quoi, par exemple ? Ta collection de soldats

de plomb ? Aller courir avec tes adjoints, ces imbéciles de

Duranton et de Mattefin, tes bras droits, sous prétexte

d’améliorer les relations de travail et la cohésion de ton équipe ?

Parpaillon (gêné) :

Euh… euh… Duranton et Mattefin sont des collaborateurs que

j’apprécie, je t’interdis de les insulter ! Et puis, moi, je

m’entretiens, Simone ! (air moqueur de sa femme)… Oh, je sais,

mes centres d’intérêt te sont complètement indifférents…

Simone (coupant son époux, se lève et prend un ton énigmatique) :

J’ai aussi invité quelqu’un d’autre que ma mère, mon petit

Parpaillon…(un temps de silence)…. Tu ne vois pas ? … Ma

copine Annabelle… elle en rêvait depuis longtemps. Tu la

connais je crois ? Alors, mon petit Parpaillon, cette collection de

soldats de plomb… tu y tiens vraiment ? Duranton et Mattefin qui,

entre nous, ont horreur de tes joggings dominicaux pourraient

respirer un peu … non ?

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Parpaillon : Tu as invité Annabelle !... Quelle idée ! …

Simone : Ça te dérange ?

Parpaillon (bafouillant) :

Non … oui… Enfin je la connais à peine !

Simone : Ce sera l’occasion, Parpaillon… Tu verras, je suis sûr qu’elle te

plaira

Parpaillon : Oui… euh bon… d’accord… Mais c’est la dernière fois, tu

m’entends la dernière fois. J’espère que tu apprécieras au moins

l’effort que je fais pour tes parents ! (Parpaillon s’est beaucoup

agité tout au long de la scène, il parait à bout de nerfs). Et puis,

j’ai besoin de prendre l’air, tu m’étouffes, Simone ! Tu

comprends ! Tu m’étouffes ! Notre mariage, tu l’as transformé en

prison ! Tu m’entends : en prison ! Mais laisse-moi vivre Simone,

laisse-moi vivre !

(Tout en parlant, il dépouille son courrier):

QUOI ? Simone, je viens de recevoir ta facture de téléphone.

C’est quoi ça ? Trois heures de conversation avec ta copine

Roxane qui est partie en stage de remise en forme en Polynésie ?

Cinquante minutes pour prendre rendez-vous chez le coiffeur ?

Mais qu’est-ce que tu peux leur raconter ?

(Il lui jette la facture à la figure)

Ah ! Et puis pendant qu’on y est tu pourrais commencer à occuper

la salle de bains maintenant, j’en ai besoin pour demain matin, huit

heures !

(Il sort ivre de fureur)

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Scène 2.(Simone, Molichet)

(Simone Parpaillon reste seule en scène. Elle pousse un soupir de soulagement. Puis

elle a un sourire de contentement)

Simone (se frottant les mains) :

À nous deux, mon petit Parpaillon…Il faut que j’appelle

Annabelle !

(Elle se saisit de son portable et compose un numéro)

Simone (prenant un ton mondain, elle marque des pauses dans son entretien

téléphonique) :

Annabelle, ma chérie !!! Comment vas-tu ? … Voilà longtemps

que nous n’avons pas eu le plaisir de te voir. Figure-toi que j’en

parlais avec Parpaillon pas plus tard qu’hier ! … Oui, lui-même…

Il a eu la merveilleuse idée d’organiser un petit week-end dans

notre villa de Normandie… Il a pensé t’inviter, il tient beaucoup à

ta présence… Comment ça : si je suis sûre ? … Mais bien sûr que

je suis sûre, ma chérie… Il ya si longtemps que nous n’avons pas

papoté. Eh bien, c’est entendu ! Excuse-moi, j’entends

l’interphone ! À samedi !

(L’interphone de l’appartement résonne. Simone s’approche de l’appareil mural.

Elle pense que son époux n’a pas clé et veut rentrer)

Simone (pour elle-même, d’un ton acide) :

Décidemment, les bouderies et les colères de Parpaillon sont

comme ses idées : plutôt courtes !

(Elle décroche le combiné mural et pousse un cri de surprise)

Simone : Molichet ? Mais qu’est-ce que tu fais ici… à cette heure ? (un

dialogue rapide et inaudible s’engage)... Bon … Bon… je

t’ouvre…

(En attendant l’arrivée du nouveau venu, Simone remet de l’ordre dans sa chevelure,

se refait une beauté à toute allure)

Simone (pour elle-même, très agitée):

Molichet, Molichet ici ! Quelle folie !

(On sonne à la porte. On reconnait Molichet. Il cherche à l’enlacer, elle se défend

plus ou moins mollement).

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Simone (très agitée):

Tu m’avais promis de ne jamais mettre les pieds ici ! Tu as donc

perdu la raison ? Parpaillon peut revenir à tout instant !

Molichet (suppliant) :

Simone, je n’en peux plus ! Je vis sous tes fenêtres nuit et jour. Je

viens de voir partir Parpaillon en voiture. Nous avons donc un peu

de temps devant nous. Écoute-moi Simone ! Juste cinq minutes !

Simone : Cinq minutes pas plus, Jean !

Molichet : Simone, finissons-en : voilà six mois que nous sommes heureux

ensemble. Tu me l’as dit ! Alors, il est temps de savoir ce que tu

veux : quitte-le !

Simone : Qui ?

Molichet : Qui … qui… ton époux bien sûr, pas le concierge. Écoute, je sais

que tu as épousé un type remarquable ! On parle de lui pour les

plus hautes responsabilités. Son intelligence, ses capacités de

synthèse, sa façon de se sortir brillamment des situations les

plus alambiquées sont respectées de tous les spécialistes. On a

remarqué ses talents de négociateurs au niveau international.

Même les Qataris sont au courant !

Simone (surprise) :

Ah bon ? Les Qataris ?

Molichet : Oui, Simone, je te surprends peut-être, mais je te dois la vérité. Sur

le plan humain, Parpaillon est un homme pour lequel j’ai la plus

profonde estime. Chaque fois que nous sommes ensemble, toi et

moi, non seulement j’ai quasiment honte de lui prendre sa femme

mais j’ai peur de l’idée que tu puisses comparer ma modeste

situation et mes éventuelles qualités aux siennes !

Simone : Tu plaisantes Georges ! Molichet est un homme pleutre, lâche

comme tous les hommes, imbu de sa personne, probablement

inculte, certainement sans humour. Il est protégé par mon père qui

lui trouve je-ne-sais-quoi d’amusant. Mais à part ça, je n’ai jamais

entendu dire qu’il ait une carrière professionnelle digne de ce nom !

Molichet : Simone : ton mari est un type parfait ! Je te le dis parce que je ne

suis qu’un honnête homme qui a horreur de l’hypocrisie. Je sais

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que je ne sers pas mon intérêt, mais j’ai le courage de te le

répéter : tu as épousé un grand monsieur !

Simone : Non…

Molichet : Comment ça, non. Tu crois que ça me fait plaisir de le couvrir de

louanges ? Tu ne me trouves pas hardi et intrépide ? Même un

petit peu ? (en aparté) Il y en a un qui va m’entendre !

Simone : Ce n’est pas courageux, c’est parfaitement idiot.

(Parpaillon fait son entrée à la volée)

Parpaillon : Molichet ! Quelle bonne surprise ! Comment vas-tu ?

Molichet (gêné) :

Quand on parle du loup…

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Scène 3. (Molichet, Parpaillon, Simone)

(Simone, Molichet et Parpaillon sont sur scène. Molichet fait mine de se retirer.

Parpaillon va insister pour qu’il reste)

Molichet : Euh… Figure-toi que je passais dans le quartier. J’ai eu l’idée de

monter vous voir, en espérant de vos bonnes nouvelles…

Parpaillon (cordial) :

Quelle bonne idée, Molichet ! (Il le pousse à s’asseoir). Mais

reste donc encore un moment. Comment, Simone ? Tu n’as pas

encore propose un verre à notre ami ?.... Sais-tu que nous

parlions de toi pas plus tard qu’hier… N’est-ce pas, Simone ?

(Moue indéchiffrable de Simone. Parpaillon sert un verre d’alcool à Molichet, de

plus en plus gêné. Il s’assied près de lui dans une attitude amicale)

Parpaillon : Alors Molichet, toujours dans la maroquinerie, hein ? Comment

ça marche par ces temps de crise ? Il parait que les industries de

luxe s’en sortent toujours…

(Simone arpente la scène, nerveuse, sans savoir quelle pose adoptée)

Molichet : Euh… dans la pâte alimentaire… je suis dans la pâte alimentaire,

Parpaillon !

Parpaillon : Mais c’est bien aussi la pâte alimentaire ! Quoiqu’il arrive, on aura

tous besoin de se nourrir ! Crise ou pas crise ! N’est-ce pas

Simone ? (Nouvelle moue de Simone)… Écoute Molichet , j’ai

une merveilleuse idée. Pourquoi ne viendrais-tu pas passer le

prochain week-end avec nous dans notre maison de Normandie ?

Nous aurions tout le temps de parler coquillettes et spaghettis…

D’ailleurs Simone adore les pâtes à la carbonara.

Simone (stupéfaite) :

Euh… Parpaillon, notre ami Molichet est très occupé par ses

affaires et il n’aura sûrement pas le temps de….

Parpaillon : Ah ! ah ! Le boulot, toujours le boulot, je connais ça ! Allez, c’est

dit Molichet, tu es des nôtres…

(Molichet est sur le point de protester, puis voit dans l’invitation un moyen de se

rapprocher de Simone qu’il observe du coin de l’œil).

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Molichet : Eh bien, ma foi, pourquoi pas ? J’ai eu un boulot phénoménal

depuis un mois. Je prépare le salon de la pâte alimentaire,

comprenez-vous ? Ce week-end me permettra de souffler un

peu ! C’est entendu. (Il regarde sa montre). Permettez-moi,

maintenant de prendre congé. Un rendez-vous d’affaires. Vous

savez ce que c’est !

(Parpaillon raccompagne Molichet à la porte de son appartement)

Parpaillon (à haute voix en le raccompagnant)

Je suis ravi de ta visite, Molichet. Et n’oublie pas… À samedi !

(Simone reste seule sur scène. Elle fait les cent pas, exaspérée par l’initiative

imprévue de son époux. Puis Parpaillon rentre de nouveau)

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Scène 4 (Simone, Parpaillon)

Simone : Qu’est-ce qui t’a pris d’inviter Molichet en week-end ?

Parpaillon : Alors là, permet-moi de saluer ton culot ! Tu as bien invité ta copine

Annabelle en te passant de mon avis !

Simone : Ce n’est pas pareil…

Parpaillon : Bien sûr que si, c’est pareil. Et puis il va falloir te faire à l’idée que,

désormais, je vois qui je veux, quand je veux, ou je veux !

Simone : Enfin, Parpaillon, tu n’as jamais pu supporter Molichet et ses airs

distingués ! Tu m’as même parlé un jour de ce « prétentieux de

Molichet » ou alors de « cet imbécile de Molichet ». Je ne me

souviens plus, mais ce n’était pas particulièrement flatteur ! Et voici

que tu le convies deux jours dans notre maison de campagne ! C’est

quoi ça ? C’est pour me casser les pieds ?

Parpaillon (gêné):

Je ne vois pas pourquoi tu te mets dans des états pareils. Molichet est

un type charmant. D’ailleurs, depuis quelque temps, il s’est beaucoup

amélioré… Il est plus simple, plus convivial…. Enfin plus …quoi. Je

suis certain que nous passerons du bon temps ensemble.

Simone : Tu comptes inviter beaucoup d’autres personnes ? Duranton et

Mattefin, pendant que tu y es ! Vous pourrez courir ensemble dans la

campagne…

Parpaillon : Ce n’est pas la peine de persifler, Simone. Tu as voulu ce week-end,

tu l’as. Mais il te faudra tenir compte de mes conditions !

Simone : C’est nouveau ! Tu n’as jamais voulu t’occuper de nos

relations sociales et maintenant tu organises nos week-ends !

Parpaillon : Mais ta famille a continuellement surveillé toutes mes relations

Simone ! Je n’ai même plus le droit de voir mon copain Marcel au

motif qu’il est simple secrétaire de Mairie ! Ta mère admet la

présence de Molichet pour la seule raison qu’il peut être utile en tant

qu’inspecteur des impôts. D’ailleurs, elle ne l’a pas invité à Noël

après avoir appris son échec au concours d’inspecteur principal !

Simone : Je t’interdis de juger Maman ! De quel droit…

Parpaillon : Mais du droit que c’est moi qui commande dans cette famille,

Simone !

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(On sonne à l’interphone de l’appartement)

Simone : Justement, je crois que c’est elle. Je lui avais demandé de passer et …

Parpaillon (sort vivement de la scène ) :

Bon, ça tombe mal, je ne suis pas là. J’ai une réunion urgente !

(Simone sort également)

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cte III

(La scène représente le grand salon d’une demeure spacieuse de Normandie. Par la

porte-fenêtre, on aperçoit un décor de pelouse et de buissons soigneusement

entretenus. Annabelle et Parpaillon sont enlacés. Parpaillon se débat faiblement).

Scène 1 (Parpaillon, Annabelle)

Parpaillon : Tu es folle, ils peuvent revenir d’un instant à l’autre !

Annabelle (insistante) :

Ne t’inquiète pas : ta femme a tenu à emmener ce pauvre Molichet

au marché ! Ils en ont pour un moment ! Elle avait l’air

enchantée !

Parpaillon (il se détache de l’étreinte de sa maîtresse) :

Écoute, Annabelle, il faut que nous parlions !

Annabelle : Ce que tu peux être ennuyeux quand tu parles ! Tu ferais mieux de

parler à ta femme ! Ne me dis pas que tu ne lui as encore rien dit !

Voilà six mois que ça dure !

Parpaillon (bafouillant) :

Euh… oui… Enfin… non !

Annabelle : Et tu comptes lui parler quand ?

Parpaillon : Je vais lui parler. Mais il faut que tu comprennes que je ne

divorcerai pas. Je ne peux pas ! Tu entends : je ne peux pas ! Je

me suicide professionnellement si je divorce avec elle ! Je te

rappelle que je dirige les affaires de son père et…

Annabelle : Autrement dit, tu restes parce que c’est lui et elle qui ont le fric…

Parpaillon : C’est un résumé un peu vulgaire de la situation, mais en gros,

OUI !... Je ne voudrais pas être indélicat, mais je te rappelle que tu

en profites largement. Qui est-ce qui a passé huit jours à

Marrakech avec moi dans un hôtel de luxe, tous frais payés

alors que j’étais sensé être en séminaire à Stockholm, hein ?

Annabelle (amère) :

Si je comprends bien ta solution Parpaillon, on reste comme on est

et je dois me contenter d’un week-end volé par-ci, par-là…

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Parpaillon : Si tu pouvais éviter de m’appeler Parpaillon comme ma femme, ça

me stresse ! Mais tu as raison. Finalement, on est très bien comme

ça. Nos rencontres ont d’autant plus de sel qu’elles sont

épisodiques et entourées par du mystère et de l’imprévu ! Tu

nous imagines collés l’un à l’autre toute la journée ? Ce

serait d’un commun ! … Non, je vais organiser sereinement ma

séparation de fait avec Simone, ce qui nous laissera beaucoup

plus de temps pour nous deux…

Annabelle : Bref, je suis et je reste dans le rôle de la maîtresse du grand

industriel. Et je suppose que tu ne trouves pas ça « commun » ?

Parpaillon : Écoute, Annabelle, si je devais perdre le contrôle des entreprises

du père de Simone, cela pourrait avoir des conséquences

considérables sur l’économie du pays ! Tu te rends compte ? La

branche agro-alimentaire en serait complètement déstabilisée. La

concurrence internationale guette un faux pas…

Annabelle : Tu vas peut-être me faire croire que les Russes attendent que notre

relation éclate au grand jour et fasse un beau scandale médiatique

pour nous vendre leur confiture d’oignons ou leurs beignets de

poireaux !

(On entend un brouhaha de conversation dans les coulisses. )

Parpaillon : Les russes n’ont rien à voir là-dedans, par contre les Qataris…

Annabelle : Ah bon, après le foot ils se sont lancés dans la crème-dessert ? Et

c’est pour me dire ça que tu m’as fait venir en week-end ?

Parpaillon : Pour l’invitation, je n’y suis pour rien ! C’est une initiative de

Simone

Annabelle : Ravie de l’apprendre ! Ça fait toujours plaisir !

(on entend encore un brouhaha persistant)

Parpaillon : Vite ! Vite ! Les voilà qui reviennent du marché, reprenons une

pose normale !

(En guise de pose « normale », il surjoue une attitude décontractée sensée lui

donner l’air de converser tranquillement avec Annabelle. Il s’exclame lorsque

Simone Parpaillon et Molichet apparaissent en riant sur le pas de la porte-fenêtre.)

Parpaillon : Ah, vous voilà ! Nous nous impatientions !

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Scène 2. (Simone, Molichet, Parpaillon)

Simone (riante) :

Ah ! Ah ! Savez-vous qui nous avons croisé en revenant du

marché ? Notre voisin, le paysan Garbuche, celui que tu n’aimes

pas ! Il est très drôle pourtant. Il nous a donné deux kilos de

pommes de terre de sa dernière récolte.

Parpaillon (sarcastique) :

Eh bien comme ça, on pourra toujours manger des frites ! Ça me

rappellera mes déjeuners d’étudiant. Tu devrais proposer à

Garbuche d’ouvrir un Mac’Do !

Simone (mi-figue, mi-raisin, s’adresse à Parpillon et Annabelle) :

Et vous, de quoi parliez-vous ? Vous avez l’air de bien vous

entendre.

Parpaillon (bafouille un peu) :

Euh… Annabelle est un analyste financier réputée. Elle me donnait

quelques conseils de placement avisés pour les revenus de

papa…Grâce à elle, je suis la conjoncture de très près. D’ailleurs, il

faudra que je parle à ton père de la surévaluation du yuan qui met

nos exportations en péril. Les Chinois nous bouffent la laine sur le

dos !

Simone : Les Chinois ? Vous n’avez pas d’autres centres d’intérêt ? Nous

sommes en week-end, laissons de côté toutes ces questions

assommantes ! Amusons- nous !

Molichet (mondain) :

A propos de jeu, Annabelle m’a promis une revanche au croquet.

Savez-vous qu’elle est redoutable au croquet ?

Parpaillon (surpris d’apprendre quelque chose sur sa maîtresse):

Ah bon ?

Molichet : Oui, elle m’a battu à plat de coutures hier. Peut-être m’accorderez-

vous une nouvelle partie avant le déjeuner, Annabelle ?

Annabelle : J’en serais ravie ! (Molichet et Annabelle sortent de scène)

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Scène 3. (Simone, Parpaillon, Annabelle)

Simone (minaudant) :

Annabelle est ravissante, elle me parait en pleine forme. Comment

la trouves-tu, Parpaillon ? C’est une femme charmante n’est-ce

pas ? Intelligente et pleine d’esprit, ce qui ne gâte rien. Je crois

qu’elle vient de larguer son dernier prétendant !

Parpaillon (gêné) :

Comment ça… « elle vient juste »… elle avait un prétendant ?

Simone : Je n’en sais rien, c’est ce qu’on dit. Mais ça ne m’étonnerait pas de

sa part, elle a un certain talent pour s’acoquiner avec n’importe

qui !

Parpaillon : N’importe qui, n’importe qui… c’est vite dit ! Ce sont sûrement

des racontars de femmes jalouses. Annabelle est charmante… mais

de là à s’amouracher du premier venu… Je le verrais plutôt avec

un homme sérieux…. Comme… comme Molichet, par exemple !

Simone : Alors là sûrement pas! Allons, Parpaillon, je te connais trop bien.

Tu ne vas tout de même pas dire qu’elle t’est indifférente. Tu as

les yeux qui te sortent de la tête quand elle te regarde. Tu

l’observe comme un chien une saucisse chaude !

Parpaillon : Mais pas du tout, Simone ! Qu’est-ce que tu vas imaginer là !

Annabelle est une femme… une femme (il bafouille

lamentablement)… enfin, une femme… Je te rappelle que c’est toi

qui a tenu à ce qu’elle vienne ! Et puis tu as des comparaisons

d’une délicatesse…

Simone (l’interrompant) :

Oui, enfin bref, elle te plait !... Écoute Parpaillon, il va falloir

cesser de se raconter des salades. Notre mariage est un échec. Tu

ne supporte plus mes parents, sauf quand tu peux rigoler avec

Papa à propos de la vie en couple. Tu ne penses qu’à son

entreprise. Il faut te trainer pour te faire venir en week- end…J’ai

même du renoncer à inviter mes parents ici en racontant une

histoire invraisemblable de grippe H1 dont le virus aurait été

repéré dans un village de Normandie. Ça ne peut plus durer ! Je te

propose de faire un break. En rentrant de week-end, j’irai

m’installer chez papa et maman et nous réfléchirons chacun de

notre côté à l’avenir de notre union. Ne crains rien pour ton

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fauteuil de PDG, Papa comprendra très bien la situation. Il est

d’ailleurs tellement misogyne que les problèmes de couple de sa

fille le feront probablement marrer.

Parpaillon : Euh… Simone… Simone … (il tape du pied et hurle ) SIMONE !

C’est moi qui te propose un break. J’en ai assez. Tu n’as jamais

compris mon besoin de liberté. J’ai tout abandonné pour toi ! Mes

amis, mes livres, mes passions ! Je suis allé de compromis en

compromissions. J’ai tout fait pour que notre union soit

exemplaire ! Je ne me sens pas concerné par l’échec de notre

mariage. C’est toi seule qui en es coupable !

Simone (outrée): C’est un peu fort ! Tu voudrais peut-être des excuses ? De quoi ?

Mais mon petit Parpaillon, tu es un monstre d’égoïsme. Tu ne

penses qu’à toi ! Et puis, on ne va tout de même pas se battre pour

savoir qui largue l’autre ! Quand je pense que Molichet te prend

pour quelqu’un de merveilleux… (elle a un geste de gêne,

craignant de s’être piégée en révélant sa conversation avec

Molichet)

Parpaillon : Ah bon, Molichet dit du bien de moi ?

Simone : J’ajoute que je comprendrais très bien que tu aies une aventure

sentimentale avec une autre, pourvu que ça reste discret, ça ne

m’intéresse plus. Si tu veux draguer Annabelle …par exemple…

Parpaillon (de mauvaise foi) :

Mais fiche-moi la paix avec Annabelle ! Est-ce que j’ai une tête à

flirter avec Annabelle ?

Simone : Euh… oui !...Chut ! Je l’entends qui arrive…

(Annabelle apparait, elle hésite sur le pas de la porte de la pièce)

Annabelle : Euh… pardon, je vous dérange…

Simone (affable)

Pas du tout ! Pas du tout ! Ma chérie ! Je dois justement aller voir

la cuisinière pour surveiller la préparation du repas. Tiens donc

compagnie à Parpaillon ! (Elle a une moue malicieuse) Il a

sûrement plein de choses à te raconter. (elle sort).

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Parpaillon (aparté pour le public) :

Il va falloir que je reprenne la main. C’est moi qui dois rompre ! Il

faut que je me sente innocent …. (il ferme les yeux pour mieux se

concentrer sur lui-même)… tu es fort et innocent, mon petit

Papillon… fort et innocent…

(Annabelle s’approche)

Annabelle : Ça ne va pas, Parpaillon ? … Tu parles tout seul !

(Parpaillon se secoue comme pour sortir d’un mauvais rêve et se retourne vers

Annabelle)

Parpaillon : Annabelle, assieds-toi ! Il faut que je te parle !

Annabelle : Encore !