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L’INFLUENCE CONTRASTÉE DES PRATIQUES DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES SUR L’ENGAGEMENT ORGANISATIONNEL ET LA PERFORMANCE AU TRAVAIL Revue internationale sur le travail et la société Jean-Maurice Trudel1, Tania Saba2 et Gilles Guérin3
Année : 2005 Volume : 3 Numéro : 2 Pages : 1-25 ISSN : 1705-6616 Sujets : Pratiques, ressources humaines, engagement, performance
Résumé
Dans cette étude réalisée auprès de 980 cadres du domaine de la santé et des services sociaux du
Québec, nous examinons l'influence perçue de deux modes de gestion (stratégie de valeur ajoutée
et stratégie de réduction des coûts) sur l'engagement organisationnel et la performance au travail.
Les résultats de l'analyse multivariée révèlent que les pratiques de GRH issues d’une stratégie de
valeur ajoutée influencent de façon plus significative les trois composantes de l'engagement
organisationnel et la performance au travail. À l'opposé, les pratiques de GRH issues d’une
stratégie de réduction des coûts sont peu significatives sur les mêmes variables. Cette recherche
met en évidence le rôle important que jouent les pratiques à « valeur ajoutée » sur l'engagement
organisationnel et la performance au travail des cadres.
1 Jean-Maurice Trudel est professeur agrégé à l’Université de Sherbrooke [email protected] 2 Tania Saba est professeure titulaire à l’Université de Montréal [email protected] 3 Gilles Guérin est professeur titulaire à l’Université de Montré[email protected]
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Il devient de plus en plus banal de soutenir que l’organisation du travail fait face à une mutation
profonde et qu’elle ne représente pas qu’une crise passagère ou une mode. Les gestionnaires
reconnaissent que, pour affronter la mondialisation et l’intensification de la concurrence des
marchés ainsi que maintenir un certain niveau d'efficacité et de rentabilité, les entreprises se
doivent d'insister sur un renouveau en matière de gestion des ressources humaines. Les
investissements au plan du capital et de la technologie ne seraient plus suffisants, il faudrait leur
associer des transformations dans la façon dont les organisations sont structurées ainsi que dans
la manière dont les employés sont gérés (Tremblay et coll., 2000). C'est ainsi que l'on a vu
poindre les approches de « lean production » (Womack et coll.,1992) développées au Japon et
reprises dans le contexte américain comme des « systèmes hautement performants » (Appelbaum
et Batt, 1994), des modèles à gains mutuels (Kochan et Osterman, 1984) ou encore le modèle
participatif (Lawler III, 1993), considérés comme mieux adaptés au contexte nord-américain.
Ces travaux ont propagé l'idée que des pratiques de gestion des ressources humaines appropriées
(universelles pour la plupart), seraient suffisantes pour assurer à l'organisation, l'avantage
concurrentiel recherché. Pfeffer et Veiga (1999) pensent que « de bonnes pratiques de GRH »
sont suffisantes pour entraîner des effets positifs pour les organisations. Sibaud (2001) fait
d'ailleurs le constat que pour la réussite des firmes, les ressources humaines constituent l'enjeu
premier avec la gestion des compétences et des savoirs, l'adéquation des profils avec les postes,
la révision des systèmes de mesure et d'évaluation. Il appuie sur le fait que le renouveau de la
GRH doit aussi porter sur les conditions d'exercice des activités et qu’elles soient moins perçues
comme des coûts mais comme participant à la création de valeur.
Même s'il existe une relative évidence que des pratiques appropriées de GRH peuvent influencer
des indicateurs comme l'engagement organisationnel et la performance de l'individu au sein de
l'organisation, nul n'est vraiment certain de l'ampleur du phénomène. Le gestionnaire est encore
souvent partagé entre d'une part, sa compréhension et acceptation des propos scientifiques sur la
GRH et d'autre part, sa connaissance de la réalité même du terrain (Sibaud, 2001). C'est pourquoi
nous tentons dans cet article de justifier comment les pratiques de GRH à « valeur ajoutée » se
départagent des pratiques de « réduction des coûts » sur l’engagement organisationnel et la
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performance au travail des cadres hiérarchiques. L’engagement organisationnel est considéré
comme un élément important de la gestion contemporaine des ressources humaines.
Les organisations devront dorénavant opérer avec un personnel réduit au minimum, les employés
restants seront appelés à faire plus et à prendre plus de responsabilités. Les organisations devront
compter sur ce personnel réduit pour demeurer compétitif dans des marchés de plus en plus
encombrés, ce qui les poussera à s’assurer que les cadres restants soient engagés envers
l’organisation (Meyer et Allen, 1997) et qu'ils soient prêts à fournir des performances
supérieures.
Les cadres hiérarchiques comme population de référence
Les travaux de Henry Mintzberg au Canada et de J.P. Kotter sur les hauts dirigeants américains
ont ravivé l’intérêt pour l’étude des comportements des managers (Adday, 1998). Une
documentation abondante présente généralement les cadres hiérarchiques comme des individus
rationnels et réfléchis dans leurs décisions poursuivant des buts et objectifs précis tout en étant
impliqués dans la formulation de stratégies et de plans d’action. Les cadres se comporteraient
ainsi selon un modèle rationnel classique. Mais en est-il encore ainsi ou assiste-t-on plutôt à une
transformation des cadres de l’organisation, transformation rendue nécessaire par l’incertitude et
l’instabilité des marchés du travail ?
Les modifications aux structures du travail ont généralement un impact sur l’organisation et
entraînent des changements importants au rôle des cadres, changements qui les affectent dans
leur travail mais aussi sur le plan personnel. Le nouveau noyau de cadres ne comprend pas
toujours l’objectif poursuivi par la direction, éprouve de la difficulté à assumer son nouveau rôle,
et arrive difficilement à se doter d’une identité propre. Les nouvelles structures hiérarchiques
épurées réduisent l’utilité du rôle traditionnel dévolu au cadre servant jusque-là de relais aux
divers niveaux de la hiérarchie d’entreprise en recueillant, analysant et faisant circuler
l’information (Cappelli, 1992 ; Armstrong-Stassen, 1997 ; Kets de Vries et Balazs, 1997).
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Les cadres survivants dans les organisations ayant procédé à des rationalisations d’effectifs
comme moyens de réduire les coûts, font face à certaines difficultés dont l’une des principales
est d’aider les employés restants à gérer leurs réactions face à la situation et à s’engager à être
productifs et motivés. Selon Raber et coll. (1995), le cadre joue un rôle clé durant la période
d’incertitude entourant les rationalisations. Les employés se fient aux cadres supérieurs pour
obtenir de l’information sur l’avenir de l’organisation ; des définitions claires quant à leurs rôles,
les implications sur la performance d’une nouvelle structure hiérarchique, et la division des
responsabilités entre les parties. Gratton (1997) reconnaît que les cadres survivants ont des
attributions élargies et un plus grand nombre de personnes sous leurs ordres qu’auparavant. Sauf
que le temps imparti pour les activités d’encadrement a diminué de sorte que les cadres ont de
moins en moins de temps à investir dans l’aide aux personnes de leurs équipes, préférant souvent
se consacrer à des activités mieux valorisées et récompensées par l’organisation. Pour Gratton
(1997), « quand les organisations sont rationalisées, les premières activités à être évincées de la
fonction managériale, sont les valeurs les plus « subjectives » et les plus « humaines » ». La
« mise à plat » des entreprises ferait ressortir le fait que la fonction managériale répond plus à
des considérations économiques qu’à des valeurs humaines.
Les activités de GRH liées à des mesures de réduction des coûts répondent généralement à des
considérations d’objectifs d’efficacité et d’efficience des organisations. L’évaluation de
l’efficacité et de l’efficience des changements organisationnels rend nécessaire la connaissance
de ses conséquences humaines et organisationnelles. La réussite d’une rationalisation dépend en
grande partie des réactions comportementales et attitudinales des employés restants ceux que la
littérature qualifie de « survivants » : baisse du rendement au travail et de l’engagement des
survivants envers l’organisation, crainte constante de perdre son emploi, diminution de la
confiance envers l’organisation sont des éléments susceptibles de jouer sur la performance
organisationnelle. Les cadres sont, à ce niveau, particulièrement vulnérables et demeurent un
groupe sur lequel l’organisation compte pour la mise en œuvre et le suivi des plans de
réorganisation.
Le rôle du manager dans l'organisation demeure irremplaçable puisque c’est lui qui peut arrêter
les grandes orientations et les politiques, et fixer les objectifs à court, moyen et long termes.
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Même dans les situations de groupes de travail autonomes, Goffee et Hunt (1997) soutiennent
que les organisations ne peuvent se passer de cadres hiérarchiques pour « gérer le travail » car
d’une façon ou de l’autre, une hiérarchie se dessinera dans laquelle les membres du groupe s’en
remettront à un ou plusieurs de leurs pairs pour des questions de gestion du travail.
Les pratiques de gestion des ressources humaines
Pour appuyer l’effort d’engagement organisationnel des cadres, les organisations cherchent à se
doter de pratiques de gestion des ressources humaines mobilisantes pemettant de créer un climat
cohérent avec les objectifs organisationnels de même qu’avec les attentes des individus qui
composent l’organisation. Plusieurs auteurs auraient proposé des grappes de pratiques de GRH
susceptibles d’introduire des comportements discrétionnaires ou mobilisateurs (Wils et coll.,
1998) ; Dessler, 1999 ; Pfeffer et Veiga, 1999 ; Tremblay et coll. (2000).
Dans ce contexte, d’autres ont mis en évidence le développement et la coexistence de pratiques
de GRH contrastées (Léonard, 1997). D’un côté, implication, polyvalence, développement des
compétences, participation, mobilisation des individus ; de l’autre, rationalisation des effectifs,
précarisation de l’emploi, menaces sur l’emploi. Ces deux modes de gestion se distinguent en ce
sens que le premier se fonde sur une stratégie de valeur ajoutée et que le deuxième se fonde sur
une stratégie de réduction des coûts.
Selon Léonard (1997), le premier type de stratégie est axé sur la formation, le développement des
capacités d’apprentissage des individus et des groupes, la mobilité interne et la polyvalence des
travailleurs, et l’autonomie accrue des salariés ou des équipes de travail. Les stratégies fondées
sur les coûts visent à comprimer au maximum les coûts de production, en particulier les coûts du
travail, de façon à permettre à l’organisation de se démarquer par les prix de ses produits et
services. Ce second type se traduit par des réductions d’effectifs, mais aussi par une flexibilité
accrue des conditions de travail en termes de salaires, d’horaires de travail, de contrats de travail
et de statuts.
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Léonard reconnaît une tendance générale favorisant une flexibilité accrue chez les organisations
de même qu’un besoin de développement des qualifications des employés. Les pratiques de
flexibilité semblent présenter deux formes : souplesse accrue des conditions d’emploi utilisant
les licenciements, les compressions de personnel, les réaffectations de la main-d’œuvre, les
mises à pied comme moyens d’accroître la liberté des employeurs d’une part, et mobilisation et
participation des travailleurs qui correspondent à des efforts d’autonomie, de partage de pouvoir
décisionnel, de travail en équipes, le décloisonnement des fonctions, d’autre part. En ce qui
concerne le développement des qualifications, il rejoint la problématique des pratiques de
mobilisation et de participation.
Le modèle conceptuel de gestion participative de Lawler et coll. (1993) se révèle un bon point
d’ancrage (Tremblay et coll., 2000) et aurait pavé la voie à l’évolution contemporaine de la
gestion stratégique des ressources humaines. Ce modèle conceptuel suggère quatre grappes ou
pratiques pouvant accroître la participation et l’engagement organisationnel : le partage de
l’information, le développement des compétences, le partage du pouvoir et les systèmes de
reconnaissance. L’examen des écrits sur ces divers thèmes révèle que les quatre processus cités
peuvent influencer à la fois l’engagement organisationnel ainsi que de favoriser des gains au
niveau de l’efficience, de la productivité et de la qualité du travail.
Le partage de l’information qui regroupe l’ensemble des pratiques mises en place par les
organisations pour diffuser et recevoir de l’information. Selon Tremblay et coll. (2000), les
pratiques de partage d’information s’assurent d’une part que l’employé va mobiliser ses
compétences et s’impliquer dans son travail s’il comprend bien ce qu’on attend de lui, ce qu’il a
à faire, comment le faire, quand il doit le faire et pourquoi il doit le faire. D’autre part, il sera
d’autant plus engagé envers son organisation, s’il a l’impression que celle-ci écoute ses
préoccupations, ses opinions, ses recommandations. Malgré un préjugé positif sur les effets du
partage de l'information, on constate une certaine incohérence dans les résultats des travaux de
recherche. Certaines études observent que l'information serait positivement liée au rendement
financier et à la productivité, d'autres n'ont pu trouver de relations significatives. Il semblerait
toutefois exister une relation relativement constante entre la communication et l’engagement
organisationnel (Caldwell et coll., 1990 ; Dillon et Flood, 1992 ; Rodwell et coll., 1998).
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Le partage du pouvoir réfère à la prise de décision dans l’organisation. Il concerne l’ensemble
des pratiques visant à un aménagement du travail satisfaisant et utile pour l’individu. Ces
pratiques accordent aux individus la possibilité de participer au processus de décision par la mise
en œuvre d’unités de travail favorisant l’autonomie d’action (Tremblay et coll., 2000).
L’argument de base est que la participation des employés est en soi intrinsèquement valorisante
et recherchée. Des études ont d’ailleurs permis de prouver l’existence d’une relation positive
entre la participation aux décisions (Fiorito et coll., 1997 ; Rodwell et coll., 1998), l’autonomie
au travail (Dillon et Flood, 1992 ; Cohen et coll., 1996) et l’engagement organisationnel.
Pour ce qui est du développement des compétences, les efforts déployés à ce niveau signalent aux
employés que l’organisation considère son capital humain comme une source d’avantage
compétitif (Tremblay et coll., 2000). Cet investissement dans les compétences lance également le
message que l’employeur est désireux d’établir un contrat de type relationnel à long terme avec
les employés. Pour ces derniers, des actions de formation et de développement peuvent signifier
de meilleures opportunités de carrière, une meilleure sécurité d’emploi et une plus grande
employabilité. Pour que ces pratiques aient une influence sur l’engagement organisationnel, il
faut aussi qu’elles puissent être utilisées dans le cadre des fonctions du gestionnaire. On rapporte
que Smith (1995) aurait trouvé une forte relation positive entre les possibilités de formation et de
développement individuel en milieu de travail et l’engagement affectif.
Les systèmes de reconnaissance visent à signifier de façon tangible l'appréciation de
l'organisation à l'égard des individus de l'organisation. Ces appréciations peuvent être de nature
monétaire ou encore de nature intangible comme des félicitations du supérieur immédiat ou des
récompenses symboliques (Tremblay et coll., 2000). Des études suggèrent une relation positive
entre la satisfaction à l’égard des avantages sociaux et l’engagement raisonné d’une part (Smith,
1995 ; Fiorito et coll., 1997), et l’engagement affectif, d’autre part (Smith, 1995). D’autres
études soutiennent que les pratiques de rémunération peuvent agir positivement sur l’engagement
organisationnel. Steers (1977) prétend qu’un salaire individuel élevé montre que l’organisation
apprécie l’individu, ce qui peut se traduire par un niveau d’engagement plus élevé. Pour d'autres,
des facteurs extrinsèques comme les salaires et autres pratiques à incidence monétaire, sont des
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déterminants moins importants de l’engagement organisationnel. Des facteurs intrinsèques
comme les possibilités d’avancement et les pratiques de réorganisation du travail ont des effets
plus positifs (Mottaz, 1988 ; Rondeau et Lemelin, 1991).
D’autres recherches ont porté sur la mise en œuvre de pratiques novatrices de gestion des
ressources humaines dans le but de favoriser la mobilisation des individus. Tremblay et coll.
(1998) ont recensé une diversité de pratiques issues des écrits sur le sujet dans le cadre de la
mobilisation de cols bleus. Les auteurs suggèrent une typologie s’articulant autour de quatre
leviers d’engagement qui s’apparente au modèle participatif de Lawler : des pratiques
d’information, soit des activités centrées sur la communication ouverte et le respect des
personnes ; des pratiques d’appropriation où le partage du pouvoir et la participation des
employés à l’entreprise se matérialisent dans des réaménagements du travail de telle sorte que le
travailleur participe au processus de décision ; des pratiques d’intéressement, soit un alignement
de la rémunération aux objectifs d’engagement ; des pratiques d’identification prônant la
stimulation du sentiment d’appartenance.
Laflamme (1997) insiste sur le besoin de partager avec l’employé le succès d’un programme
d’engagement par un appui aux actions entreprises par les individus et par une certaine forme de
reconnaissance des effets positifs de leurs actions. Entre autres, il suggère de reconnaître et de
permettre aux partenaires d’exercer leur pouvoir ainsi qu’à négocier des modalités acceptables à
tous quant à la prise d’initiative, d’assurer une communication ouverte afin que chacun possède
l’information nécessaire pour l’atteinte de ses objectifs, de fixer des attentes réalistes et de créer
des conditions de travail favorables. Saba et coll. (1998) proposent une typologie s’articulant
autour de trois leviers. Les éléments du premier groupe sont liés aux pratiques de développement
des carrières, les éléments du second groupe concernent les pratiques d’aménagement des
conditions de travail, alors que les éléments du troisième groupe se réfèrent aux politiques de
relations avec les employés pour traiter des questions de harcèlement et de résolution de
problèmes rencontrés par les employés vieillissants.
Ces études privilégient toutes une certaine forme de gestion participative à la manière de Lawler
III (1993). Ce modèle soutient la thèse selon laquelle les organisations favorisant la participation
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des employés à la vie de l’organisation devraient bénéficier d’une flexibilité accrue pour la
production de biens et services. Une approche participative va aussi dans le sens de recruter et de
former des employés acquis à la cause et aux objectifs de l’organisation tout en valorisant et
récompensant l’autonomie et l’efficacité au travail.
Méthodologie
Notre recherche utilise comme population les cadres (N = 3 492) oeuvrant au sein de la Régie
Régionale de la Santé et des Services Sociaux de Montréal-Centre. L’ensemble de la population
cadre fut appelé à participer à l’enquête durant la période mars-avril 2001 au moyen d’un
questionnaire structuré. L’enquête correspond à une démarche explicative destinée à baliser un
champ de recherche encore mal connu. Il s’agit de mesurer des perceptions et des réactions
individuelles sur des questions touchant l’engagement organisationnel, la performance au travail
et les pratiques de gestion comme un des principaux déterminants.
Rappelons que depuis une dizaine d’années, le système québécois de la santé et des services
sociaux a fait l’objet de profondes transformations qui touchent à la fois l’organisation du réseau,
la gestion des services et la prestation des soins (Lemire, 2000). Dès l’automne 1993, le
gouvernement lançait l’opération Défi « Qualité-Performance » par laquelle il annonçait un plan
de compressions budgétaires de trois ans dans le but de freiner les dépenses dans le réseau de la
santé et des services sociaux. Une des priorités du Défi « Qualité-Performance » était d’identifier
les rationalisations et économies potentielles au niveau des effectifs et une redéfinition des
structures organisationnelles.
Le gouvernement du Québec mit sur pied, entre 1996 et 1998, de généreux programmes
d’incitation à la retraite qui ont connu un succès « inattendu ». L’un des programmes de retraite
anticipée instaurés par le gouvernement québécois dans le cadre de son plan du déficit zéro - le
Programme de départs volontaires -, mena à lui seul à l’élimination de 11 200 postes à temps
complet entre 1997 et 1999. Jumelées aux gels de salaires imposés et aux problèmes chroniques
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de disponibilité d’effectifs pour certaines catégories d’emplois, ces mesures de rationalisation ont
fortement ébranlé la cohésion déjà fragile du milieu.
En lançant sa réforme au début des années 1990, le gouvernement avait comme objectif de
freiner la croissance des dépenses publiques (Lemire, 2000). Environ 30% des dépenses de l’État
étaient ainsi consacrées au secteur de la santé. Les mesures introduites ont notamment porté sur
l’adoption d’une gestion par « résultats » et par « objectifs ». Elles constituent des mesures de
gestion reposant sur des critères de rendement et de performance directement empruntés aux
modes d’opération de l’entreprise en situation de concurrence. À défaut de résultats positifs,
quantifiables et comparables, la sanction du marché s’applique : baisse des budgets alloués
pouvant aller jusqu’à la mise en tutelle selon les règles édictées dans la nouvelle loi contre le
déficit. Cette nouvelle gestion performante de type entrepreneuriale ne saurait convenir à toute
une génération de cadres n’ayant jamais eu auparavant à rendre des comptes de cette façon. Les
cadres restants, outre les problèmes associés au départ de collègues de travail, pourraient aussi
avoir été affectés par l’imposition d’un nouveau style de gestion avec lequel ils sont peu
familiers et pour lequel ils n’auraient pas été consultés suffisamment.
Le nombre de répondants s’est élevé à 980 ce qui équivaut à un taux de réponse de 26%. Compte
tenu de l’envergure et de la lourdeur du questionnaire proposé, nous trouvons ce taux acceptable.
De plus, il se compare à ceux d’autres études du même type, dont celles de Saba et coll. (1997) :
30% ; Tremblay et coll. (1998) : 34% ; Saba et coll. (1998) : 32% ; Turnley et Feldman (2000) :
33%, et Vandenberghe et coll.( 2003) : 30%.
Le profil des répondants révèle que la moyenne d’âge se situe à 47 ans. Les répondants sont de
sexe féminin à 64%. La très grande majorité possède un diplôme de niveau universitaire, soit
dans l’ordre de 79%, même que tout près de 38% affirment posséder un diplôme de deuxième ou
troisième cycle. Ce sont des cadres qui revendiquent en très grande partie un statut d’emploi
permanent à temps plein. Quant à leurs responsabilités pour la supervision de personnes, 52%
des répondants estiment superviser entre 1 et 25 personnes. Ces cadres sont dans la très grande
majorité des cas (81%), des cadres de niveau intermédiaire. Enfin, les cadres confirment avoir en
11
moyenne vingt-six années sur le marché du travail dont quatorze en tant que cadre. Ils sont à
l’emploi de leur employeur actuel depuis quatorze années dont six dans le présent poste.
Mesure des pratiques de gestion des ressources humaines : Pour mesurer les pratiques, les
répondants ont été invités à fournir une indication quant à l’existence au sein de leur
établissement de diverses pratiques de gestion pouvant favoriser l’engagement organisationnel
des cadres et leur performance au travail. Le questionnaire comporte quarante-quatre pratiques
de gestion répertoriées parmi les écrits sur le sujet ou encore suggérées par les participants lors
de groupes de discussion. Pour chacune de ces pratiques de gestion, les répondants devaient
indiquer de façon dichotomique par oui ou par non si cette pratique de gestion existe dans leur
établissement de travail.
Nous avons choisi de présenter les résultats à partir de regroupements, onze en tout,
correspondant à des découpages naturels généralement reconnus dans les ouvrages scientifiques
touchant les pratiques de GRH ainsi que dans les enquêtes du même type, plutôt que de
conserver pour analyse une multitude d’indicateurs ce qui aurait eu pour effet d’alourdir
l’analyse des résultats et de rendre leur interprétation plus complexe et diffuse. Nous nous
sommes inspirés de la méthode d’analyse factorielle confirmatoire pour établir les
regroupements car les variable dichotomiques se prêtent mal à l’analyse en composantes
principales classiques (Hair et coll.,1998).
Nous avons opté pour le calcul d’indices à partir des moyennes calculées de réponses positives
aux sous-ensembles de questions de chaque individu, c’est-à-dire les réponses confirmant la
présence de telles pratiques dans les établissements. L’avantage de ce procédé est qu’il
fonctionne même avec des données qu’on ne peut additionner (Trudel et Antonius, 1991). C’est
un indice non pondéré qui a ainsi été calculé, c’est-à-dire que la même importance a été accordée
aux diverses pratiques regroupées dans les indices synthétiques. Les items visant à cerner les
pratiques à valeur ajoutée, nous ont permis d’extraire sept grands facteurs. Le premier facteur,
que nous avons nommé pratiques d’information, comprend deux items concernant la diffusion
d’informations opérationnelles ou stratégiques. L’indice synthétique de présence de ces pratiques
est particulièrement élevé avec un taux de présence annoncé de 83,5%. Le deuxième facteur
12
relatif à la possibilité de jouer de nouveaux rôles est composé de six items (participation à des
comités stratégiques, affectation à des projets spéciaux, rôle de formateur, mandats de
consultation interne). L’indice synthétique de présence de ces pratiques est élevé avec un taux de
présence annoncé de 64,7%. Le troisième facteur porte sur les pratiques de formation et
développement et est composé de sept items (activités de maintien des compétences, évaluation
périodique des besoins de formation, programmes de développement en gestion). L’indice
synthétique de présence de ces pratiques est élevé avec un taux de présence annoncé de 63,4%.
Le quatrième facteur touche aux aspects de mobilité dans l’organisation (pratiques de
recrutement interne et externe, promotion à des postes supérieurs). Il est composé de six items et
affiche un indice synthétique de présence de ces pratiques de 53,9%. Le cinquième facteur
touche au style de gestion de l’organisation et il est composé de deux items (procédure de
règlement des conflits, code d’éthique). Il affiche un indice synthétique de présence inférieur à
50%, soit un taux de présence annoncé de 49,1%. Le sixième facteur de ce groupe touche aux
pratiques d’évaluation du rendement et est composé de trois items ayant trait à l’évaluation du
rendement, du potentiel et du feed-back sur le rendement. Il affiche aussi un indice synthétique
de présence inférieur à 50%, soit un taux de présence annoncé de 41,3%. Enfin, le septième
facteur touche aux activités de gestion de carrière et comporte deux items (plan formel de
carrière, entretien périodique de carrière). Il affiche un indice synthétique relativement faible de
16,7%.
Les items visant à cerner les pratiques de réduction des coûts, nous ont permis d’extraire quatre
grands facteurs. Le premier facteur de ce groupe, que nous avons nommé pratiques liées à la
retraite est composé de quatre items allant de programmes de préparation à la retraite à
l’indexation des rentes. L’indice synthétique de présence de ces pratiques est élevé avec un taux
de présence annoncé de 57,2%. Le deuxième facteur porte sur les avantages sociaux (possibilité
de congés sans soldes, droits à des congés pour raisons personnelles) et est composé de trois
items. Il affiche un indice synthétique de présence similaire au précédent avec un taux de
présence annoncé de 53,4%. Le troisième facteur porte sur l’aménagement du temps de travail et
est composé de six items (horaire flexible, travail à domicile, temps partiel, partage du travail).
L’indice synthétique de présence de ces pratiques est peu élevé avec un taux de présence
annoncé de 28,5%. Enfin, le dernier facteur touche à la rémunération (rendement, résultats,
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gratifications hors classe) et est composé de trois items. L’indice synthétique de présence de ces
pratiques est le plus bas de tous les facteurs étudiés avec un taux de présence annoncé de 10.0%.
La liste complète des pratiques de gestion apparaît en annexe.
Mesure des changements organisationnels : Pour mesurer cette variable que nous associons
aux pratiques de gestion, nous avons posé une question directe qui demandait aux répondants
d’identifier l’intensité des changements organisationnels survenus dans leur établissement au
cours des cinq dernières années. La mesure de cette variable se fait à partir d’une seule question
qui demande aux répondants d’indiquer s’il y a eu des changements très importants, importants,
peu de changement ou encore aucun changement organisationnel. Les répondants donnent une
réponse en cochant la case correspondant à leur perception de la situation
Mesure des variables dépendantes : L’engagement organisationnel a été appréhendé à l’aide
de l’instrument tridimensionnel développé par Meyer et Allen (1997). Les dix-neuf énoncés
permettent d'en arriver à trois facteurs qui correspondent successivement à l’engagement affectif,
à l’engagement raisonné et à l’engagement moral. L’engagement affectif est constitué de six
énoncés avec un coefficient de consistance interne de ,7744. L’engagement raisonné a été
mesuré à l’aide de sept items avec un coefficient de consistance interne de ,7625. L’engagement
moral a été mesuré à l’aide de six items avec un coefficient de consistance interne de ,7995. En
ce qui a trait à la mesure de la performance au travail, celle-ci a été appréhendée par une
question directe qui demandait aux répondants de spécifier ce que le supérieur immédiat pensait
de leur performance au travail au cours des douze derniers mois. Pour mesurer cette variable,
nous avons utilisé une échelle de type Likert à sept modalités variant de assez mauvaise à
exceptionnelle.
Les études sur l’engagement organisationnel et la performance au travail ont montré que
certaines variables individuelles et organisationnelles pouvaient avoir une influence sur ces
résultats. Dans cet article, nous nous limitons aux associations que peuvent avoir les pratiques de
GRH sur les trois composantes de l’engagement organisationnel et la performance au travail des
cadres.
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Résultats
De nombreux auteurs ont proposé ces dernières années une liste de pratiques de GRH
susceptibles d'avoir des impacts sur l'engagement organisationnel, la performance des individus
et la performance des organisations. Bien que les mêmes pratiques se répètent d'un article ou
d'une étude à l'autre, on retrouve peu d'explications théoriques pour justifier les choix (Tremblay
et coll., 2000). Nous rappelons avoir choisi de présenter les pratiques de gestion en fonction de
deux stratégies poursuivant la même logique de course à la rentabilité de l'organisation :
politiques de mobilisation et mesures de réduction des coûts (Léonard, 1997). La figure 1
présente donc les regroupements de pratiques de GRH étudiées dans notre recherche :
Figure 1 Regroupements des pratiques de GRH
Ce sont les pratiques d’information, de possibilité de jouer de nouveaux rôles et de formation et
de développement qui sont les plus présentes au sein des établissements. À l’opposé, ce sont les
pratiques de rémunération, de gestion de la carrière et d’aménagement du travail qui offrent les
taux de présence les moins élevés. De façon générale, les pratiques issues de la stratégie à valeur
ajoutée montrent des taux de présence supérieurs à ceux des pratiques issues de la stratégie de
réduction des coûts. La variable portant sur les changements organisationnels que nous
assimilons aux pratiques de gestion, montre un taux très élevé de changements ayant survenus
durant les cinq dernières années. En effet, 90,3% des répondants disent avoir subi un changement
important ou très important durant cette période.
Stratégie fondée sur Stratégie fondée sur la valeur ajoutée la réduction des coûts Information Pratiques de retraite Nouveaux rôles Avantages sociaux Formation/Développement Aménagement du travail Mobilité Rémunération Style de gestion Changements organisationnels Évaluation du rendement Gestion de la carrière
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Dans le cadre de cette étude, nous proposons de limiter l'analyse à l'influence des pratiques de
GRH sur les composantes de l'engagement organisationnel d'une part, et sur la performance au
travail des cadres hiérarchiques, d'autre part. La figure 2 présente donc le modèle d'analyse.
Selon le modèle proposé, les cadres réagiraient différemment quant à leur type d'engagement
envers l'organisation et leur performance au travail dépendamment de la stratégie visée par les
pratiques de GRH. Dans ce contexte, on s'attendrait à ce que les pratiques dites à « valeur
ajoutée » aient une influence positive sur les composantes affective et morale de l'engagement
organisationnel de même que sur la performance au travail. Les pratiques dites de « réduction
des coûts » pourraient avoir une influence négative sur l’engagement raisonné et la performance
au travail.
Figure 2 Modèle d'analyse
Le tableau 1 présente les résultats des estimations des différents modèles à l'aide des analyses
linéaires. Le modèle 1 estime l'influence des douze facteurs liés aux pratiques de gestion des
ressources humaines sur l'engagement affectif, le modèle 2 sur l'engagement raisonné et le
modèle 3 sur l'engagement moral. Le modèle 4, quant à lui, estime l'influence des pratiques de
GRH sur la performance au travail des cadres. Bien que nous soyons à la recherche d’un seuil
critique d’élimination idéal de t = >1,960 lié à un risque d’erreur de 1re espèce de 0,05, nous
allons tout de même présenter les résultats qui respectent le seuil de t de Student = >1,645 lié à
un risque d’erreur de 1re espèce de 0,10 afin de pouvoir conserver les interrelations qualifiées de
« tendances ».
Pratiques de GRH
Performance au travail
Engagement affectif
Engagement raisonné
Engagement moral
16
Le premier modèle, qui vise à prédire l'engagement affectif chez les cadres, permet d'expliquer
46,5 % de la variance (F = 12,6, p = ,000). Cinq regroupements de pratiques exercent une
influencent significative. Les pratiques associées à l'évaluation du rendement (t = 5,016,
p = ,000), à la possibilité de jouer de nouveaux rôles (t = 4,443, p = ,000), au partage
d'information (t = 3,056, p = ,002), au style de gestion pratiqué dans les établissements
(t = 2,048, p = ,041), et à la rémunération (t = -1,694, p = ,091) se révèlent les plus
déterminantes de l'engagement affectif. Les pratiques liées aux changements organisationnels
(t = -1,622, p = ,105) et celles portant sur la retraite (t = -1,530, p = ,127), bien que relativement
en retrait par rapport aux pratiques les plus déterminantes, offrent tout de même des niveaux
suffisamment élevés pour mériter d'être mentionnées. Les autres ne sont pas significatives eu
égard à la composante affective.
Le modèle 2 permet d'expliquer 20,4% de la variance en ce qui concerne l'engagement raisonné
(F = 2,0, p = ,023). Au seuil de 0,10, deux regroupements de pratiques sont significatifs. Le
coefficient de régression est négatif dans les deux cas, ce qui suggère que les programmes
d'évaluation du rendement appropriés (t = -2,204, p = ,028), ainsi qu'une forte perception de
mobilité dans l'organisation (t = -1,881, p = ,060), ont pour effet de réduire le sentiment
d'engagement raisonné chez les cadres.
Le modèle 3, qui vise cette fois à prédire l'engagement moral, permet d'expliquer 36,4 % de la
variance (F = 7,0, p = ,000). Au seuil de 0,10, six regroupements de pratiques GRH sont
significatifs. Sauf pour ce qui est des pratiques liées à la retraite et les changements
organisationnels, tous les coefficients de régression se révèlent positifs. Les pratiques associées à
l'évaluation du rendement (t = 3,163, p = ,002), au style de gestion pratiqué dans les
établissements (t = 2,480, p = ,013), à la possibilité de jouer de nouveaux rôles (t = 2,245,
p = ,025), aux mesures liées à la retraite (t = -2,226, p = ,026), aux mesures d'aménagement du
travail (t = 1,905, p = ,057) et à l'intensité des changements organisationnels (t = -1,764,
p = ,078) se révèlent être les plus significatives. Les pratiques liées à la gestion de la carrière (t =
1,510, p = ,132), offrent un niveau suffisamment élevé pour mériter d'être mentionnées. Les
autres pratiques ne sont pas significatives.
17
Enfin, le modèle 4 cherche à estimer l'influence des regroupements de pratiques de GRH sur la
performance au travail des cadres. Il permet d'expliquer 35,4% de la variance (F = 6,4, p =
,000). Au seuil de 0,10, quatre regroupements de pratiques GRH sont significatifs. Dans tous les
cas, sauf pour les pratiques liées à la retraite, les coefficients de régression se révèlent positifs.
Les pratiques associées à la possibilité de jouer de nouveaux rôles (t = 3,904, p = ,000), à
l'évaluation du rendement (t = 2,400, p = ,017), aux mesures liées à la retraite (t = -2,317,
p = ,021) et à la gestion de la carrière (t = 2,267, p = ,024), sont les plus déterminantes sur la
performance au travail des cadres. Les pratiques de partage de l’information (t = 1,595,
p = ,111) et les pratiques de changements organisationnels (t = -1,426, p = ,154) bien que
quelque peu en retrait par rapport aux pratiques les plus déterminantes, offrent tout de même des
niveaux suffisamment élevés pour mériter d'être mentionnées.
Tableau 1 Indices de régression des pratiques de gestion sur les composantes de l’engagement organisationnel et sur la performance au travail
Pratiques de GRH Modèle 1 Affectif
Modèle 2 Raisonné
Modèle 3 Moral
Modèle 4 Performance
Valeur Valeur de t de P
Valeur Valeur de t de P
Valeur Valeur de t de P
Valeur Valeur de t de P
Information 3,056 ,002 -1,257 ,209 -,500 ,618 1,595 ,111 Nouveaux rôles 4,443 ,000 -,802 ,423 2,245 ,025 3,904 ,000 Formation/Développement 1,116 ,265 ,427 ,670 1,136 ,256 -659 ,510 Mobilité -,085 ,932 -1,881 ,060 ,717 ,474 ,872 ,384 Style de gestion 2,048 ,041 1,309 ,191 2,480 ,013 ,620 ,536 Évaluation du rendement 5,016 ,000 -2,204 ,028 3,163 ,002 2,400 ,017 Gestion de la carrière ,289 ,773 ,639 ,523 1,510 ,132 2,267 ,024 Retraite -1,530 ,127 1,033 ,302 -2,226 ,026 -2,317 ,021 Avantages sociaux ,176 ,860 -,422 ,673 1,061 ,289 ,342 ,733 Aménagement du travail -,074 ,941 -,991 ,322 1,905 ,057 -1,287 ,199 Rémunération -1,694 ,091 -,749 ,454 -,830 ,407 ,418 ,676 Changements organisationnels -1,622 ,105 ,951 ,342 -1,764 ,078 -1,426 ,154
18
Discussion
Cette recherche voulait examiner l'influence d'un certain nombre de pratiques de GRH sur les
trois composantes de l'engagement organisationnel et sur la performance au travail de cadres
hiérarchiques. D'une part, elle se base sur le point de vue des cadres à l'égard d'un certain nombre
de pratiques – on évalue donc des perceptions. D'autre part, notre étude vise à élargir la
compréhension de l'influence des pratiques de GRH par une approche novatrice les présentant
comme ayant des influences contrastées en fonction d'une stratégie à « valeur ajoutée » ou
stratégie de « réduction des coûts ».
À la suite des travaux de Meyer et Allen (1997), nous avons testé un certain nombre de pratiques
en fonction des composantes affective, raisonnée et morale de l'engagement organisationnel.
Nous avons fait la même chose, mais en utilisant la performance au travail comme variable
pouvant aussi être influencée par les pratiques de GRH. Tout comme l'avait montré l'étude de
Tremblay et coll. (2000), nos résultats avancent qu'un investissement approprié dans certains
types de pratiques de GRH a pour effet d'influencer significativement les composantes affective
et morale. Soulignons que les études antérieures nous apprennent que ces deux variables sont
souvent assez fortement corrélés. En conformité avec les résultats d'études antérieures, un seul
regroupement de pratiques exerce une influence significative au seuil de 0,05 sur l'engagement
raisonné alors qu'un autre le serait mais à un seuil de « tendances ». Tremblay et coll. (2000)
nous rappellent que cette forme d'engagement serait plutôt influencée par des caractéristiques
sociodémographiques telles que l'âge et l'ancienneté. Enfin, nos résultats montrent qu'un certain
nombre de pratiques de GRH a pour effet d'influencer significativement la performance au
travail des cadres (tableau 2 à la page suivante).
Même si la littérature scientifique nous apprend peu sur l'influence des pratiques de GRH sur
l'engagement organisationnel, il apparaît que toutes les pratiques n’ont pas les mêmes effets.
Certaines seraient supérieures lorsqu’il s’agit d’augmenter la productivité ou la performance au
travail (Ichniowski et coll., 1993 ; MacDuffie, 1995) ou encore de favoriser l’engagement
organisationnel (Meyer et Allen, 1997). Notre étude permet de mettre en évidence le fait que les
pratiques les plus efficaces pour assurer une certaine forme de flexibilité à l’entreprise seraient
celles issues de la stratégie à valeur ajoutée. En se basant sur le contenu des regroupements des
19
pratiques, nous constatons que trois groupes expliquent un haut niveau d’engagement
organisationnel et de performance au travail :
- la gestion de la carrière, la possibilités de jouer de nouveaux rôles et l’évaluation du
rendement ;
- l’information et la communication (communications d’informations opérationnelles et
diffusion d’informations stratégiques ;
- le style de gestion de l’organisation (code d’éthique, gestion des conflits).
20
Tableau 2 Pratiques de GRH les plus significatives sur les quatre modèles proposés, et sens de la direction des relations
Pratiques de GRH Modèle 1 Affectif
Modèle 2 Raisonné
Modèle 3 Moral
Modèle 4 Perfor-mance
« Valeur ajoutée » Information + Nouveaux rôles + + + Formation/Développement + Mobilité (-) Style de gestion + + Évaluation du rendement + - + + Gestion de la carrière + +
« Coûts » Retraite - - - Avantages sociaux + Aménagement du travail (+) Rémunération (-) Changements organisationnels
(-)
Depuis le début des années ’80, on assiste à de nouvelles manières de gérer l’entreprise, qui
influencent grandement la gestion de la carrière des cadres. Les mesures de rationalisation
d’effectifs accompagnées d’aplatissements des structures hiérarchiques amènent la cadre a
valoriser les possibilités de pouvoir jouer de nouveaux rôles dans l’organisation, alors que les
entretiens d’évaluation du rendement permettent des informations précieuses pour la gestion de
la carrière. Les pratiques permettant aux cadres de jouer de nouveaux rôles dans l'organisation et
les pratiques d'évaluation du rendement ont la prétention d'influencer positivement les
composantes affective et morale de l'engagement organisationnel de même que la performance
au travail. En accord avec le modèle de Lawler (1993), les pratiques visant à accroître la
participation des cadres à la gestion de l'organisation apparaissent efficaces pour influencer
l'engagement affectif et moral ainsi que la performance au travail. Ces pratiques encourageraient
les cadres à jouer des rôles de formateurs et de mobilisateurs, à participer à des projets spéciaux,
à accepter des mandats internes, à participer à des comités stratégiques, ce qui les valoriserait
davantage. Les pratiques de gestion de la carrière ont, quant à elles, une influence sur
21
l'engagement moral et la performance au travail, une indication que les cadres perçoivent des
opportunités d'exploiter leurs compétences et connaissances au sein de l'organisation avec des
plans de carrière qui les amènent à progresser constamment. Même à un âge plus avancé, les
cadres nous ont signalé ce besoin lors des discussions de groupes ayant eu lieu avant la
finalisation et l'envoi des questionnaires.
Certaines pratiques liées à l’information et à la communication font partie des pratiques centrales
à l’engagement affectif des cadres et à un degré moindre, de leur performance au travail. Les
entreprises à haut rendement font une large place à l’information et à la communication dans le
modèle participatif de Lawler (1993). Les pratiques liées à la transmission de l’information sur
les résultats opérationnelles de l’entreprise de même que d’informations stratégiques viennent
combler un besoin ressenti chez les cadres d’être impliqués activement dans les décisions de
l’organisation. Enfin, les pratiques de partage d'information et de formation et développement
ont une influence positive sur l'engagement affectif. Tremblay et coll. (2000) en étaient arrivés
aux mêmes résultats et avançaient que le partage de l'information était sans doute perçu par les
individus comme une marque de confiance et un acte de transparence qui favoriseraient
l'attachement à l'organisation.
Enfin, les résultats de notre étude prouvent l’importance des pratiques de gestion liées au
maintien d’une culture organisationnelle mobilisante. Dans ce cas-ci, les cadres sont très
sensibles à la présence au sein de l’organisation, d’un code d’éthique connu de tous ainsi que
d’un processus de règlement des conflits. Ainsi, un cadre se sentira davantage engagé
affectivement et moralement envers une organisation qui possède des valeurs éthiques de haut
niveau et un ensemble de mesures pour pouvoir traiter adéquatement les conflits de travail. Les
pratiques portant sur le style de gestion influencent les composantes affective et morale de
l'engagement organisationnel. Les liens positifs avec les composantes affective et morale de
l'engagement organisationnel de même qu'avec la performance au travail seraient des signes que
les cadres sont très sensibles à la façon dont ils sont traités dans l'organisation.
Quant aux pratiques issues de la stratégie de « réduction des coûts », seules les pratiques liées à
la retraite semblent avoir une influence notable sur l'engagement organisationnel et la
22
performance au travail. Les liens sont dans tous les cas négatifs, ce qui revient à dire que la
perception d'un manque de possibilité de retraite anticipée, d'indexation des rentes de retraite, de
préparation à la retraite ou encore de rappel de cadres retraités aurait une incidence néfaste sur
l'engagement affectif et moral de même que sur la performance au travail des cadres. Les
pratiques portant sur l'aménagement du travail, les changements organisationnels
(rationalisations d'effectifs) et la rémunération n'ont eu que des effets qualifiés de « tendances »
sur l'engagement moral pour ce qui des deux premier cas, et sur l'engagement affectif pour les
pratiques de rémunération. Pourtant, Lawler (1993) et Irving et Meyer (1994) suggèrent que la
reconnaissance monétaire devrait être un élément d'engagement chez les employés. En ce sens,
les pratiques liées aux avantages sociaux montrent tout de même une influence significative sur
l'engagement moral. Meyer et Allen (1997) disent que les rationalisations d'effectifs possèdent le
potentiel pour influencer l'engagement organisationnel. Les pratiques d'aménagement du temps
de travail devraient aussi avoir une influence sur l'engagement organisationnel, selon Irving et
Meyer (1994). Toutefois, il ne faut pas se surprendre de noter que les pratiques de rémunération
n’apparaissent pas parmi les pratiques d’influence, ce résultat étant conforme à des études
antérieures montrant que la liaison rémunération-engagement n’est pas solidement établie.
(Igalens et Barraud, 1997).
Conclusion
Cette étude réalisée auprès de 980 cadres hiérarchiques du domaine parapublic, a montré que
l’engagement organisationnel et la performance au travail pouvaient être appuyées par des
pratiques de GRH. Elle met également en évidence le fait que les pratiques à valeur ajoutée ont
plus d’influence sur ces deux variables que les pratiques dites de réduction des coûts.
Bien qu’un certain nombre de résultats intéressants ait pu être tiré de notre étude, certaines
limitations se doivent aussi d’être soulignées. D’une part, la mesure des pratiques de GRH et les
variables dépendantes sont issues du même questionnaire, ce qui à l’occasion, peut amener un
problème de variance commune. Une deuxième limite concerne la population à l’étude. Cette
dernière est exclusivement une population cadre venant d’un contexte parapublic comme déjà
23
mentionné. Une analyse d’un différent groupe d’employés ou de secteur d’activités pourrait
éventuellement donner des résultats contrastés. Enfin, la dernière limite concerne les pratiques
mises à l’étude. Notre étude a permis d’analyser un nombre important de pratiques, mais on ne
sait trop s’il ne pourrait pas y avoir d’autres pratiques ou regroupements tout aussi cohérentes
pouvant aussi expliquer l’engagement organisationnel et la performance au travail.
Les résultats obtenus ouvrent plusieurs voies pour des recherches futures. Il serait intéressant de
mener une étude identique auprès de cadres de secteurs d’activités différents comme du domaine
privé par exemple, afin de voir si les mêmes résultats s’appliquent. Il serait tout aussi intéressant
de mettre au test, d’autres regroupements de pratiques de GRH afin d’examiner leur influence
sur l’engagement et la performance des cadres. Enfin, il apparaîtrait judicieux d’étudier les
effets convergents ou croisés que peuvent avoir les deux types de stratégies étudiées (à valeur
ajoutée ou réduction des coûts) au lieu de les présenter en termes de contradictions, comme le
fait généralement la littérature.
24
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