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Dialogue http://journals.cambridge.org/DIA Additional services for Dialogue: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here L'alliance de l'ancien et du nouveau Yvon Gauthier Dialogue / Volume 20 / Issue 01 / March 1981, pp 132 - 144 DOI: 10.1017/S0012217300023155, Published online: 05 May 2010 Link to this article: http://journals.cambridge.org/abstract_S0012217300023155 How to cite this article: Yvon Gauthier (1981). L'alliance de l'ancien et du nouveau. Dialogue, 20, pp 132-144 doi:10.1017/S0012217300023155 Request Permissions : Click here Downloaded from http://journals.cambridge.org/DIA, IP address: 195.19.233.81 on 07 Dec 2013

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L'alliance de l'ancien et du nouveau

Yvon Gauthier

Dialogue / Volume 20 / Issue 01 / March 1981, pp 132 - 144DOI: 10.1017/S0012217300023155, Published online: 05 May 2010

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132 YvonGauthier

L'ALLIANCE DE L'ANCIEN ET DU NOU-VEAU

Le realisme se porte mal: des philosophes comme Putnam ou van Fraassen quinaguere encore defendaient des points de vue a tout le moins apparentes au realismeproposent des theses anti-realistes1 ou qui sont aux antipodes du realismemetaphysique. Et ceux qui tiennent encore au realisme le voilent prudemment2.Quant au realisme critique de Popper et des popperiens, il est relegue aujourd' hui aurole d'une these historique sur le developpement rationnel de la science quecontredit la doctrine kuhnienne. Reste le realisme naif.

i. On connait la fortune du realisme naif en mathematiques, platonisme inconscientqui croit ou feint de croire a l'existence ideale des objets mathematiques. « Naif » aun autre sens aussi, il est oppose a « axiomatique » comme dans « theorie naive desensembles » par contraste avec «theorie axiomatique des ensembles ». Le realismenaif en science peut aussi vouloir dire « pre-critique » ou « acritique ». C'est cetteacception que semble autoriserl'ouvrage de I. Prigogine et I. Stengers La NouvelleAlliance*. L'ouvrage se veut, en realite, un proces de la science classique etl'annonce d'une science nouvelle, la promesse d'un savoir rafraichi qui mariescience et metaphysique dans l'aventure spirituelle d'une renaissance culturelle.Cette innocence retrouvee par-dela le triomphe « deshumanisant» de la scienceclassique annonce-t-elle un nouvel age de la science ou promet-elle un nouvel Edenqui ne serait que la face cachee de la science classique, le renversement espere de laperspective euclidienne du savoir ?

Disons-le tout de suite : le proces que Prigogine et Stengers veulent intenter a lascience classique n'aura pas lieu. II ne suffit pas de reprendre a de nouveaux frais

1 Nous renvoyons a l'article de Putnam « Models and Reality » a paraitre ; Putnam utilise leparadoxe de Skolem (cf. Methodes et concepts de la logique formelle, P.U.M., 1978,appendice I) pour montrer qu'une theorie scientiflque, a la maniere des theoriesmathematiques, ne peut avoir pour seul modele le modele vise (intended interpretation);en d'autres mots, une theorie physique (du premier ordre), par exemple, ne peut deter-miner categoriquement ses objets, de sorte que toute interpretation realiste qui sup-poserait une description litterale du monde physique ou le reel serait isomorphe a unestructure theorique est vouee a l'absurdite (voir aussi de Putnam « Realism and Reason », aparaitre). Bas van Fraassen expose ses vues anti-realistes dans The Scientific Image aparaitre chez The Oxford University Press. Notre constat differe de celui de Pierre JacobL'empirisme logique, Editions de Minuit, Paris, 1980, dont 1' « Epilogue » decrit unehistoire deja ancienne.

2 Cf. B. d'Espagnat A la recherche du reel, Gauthier-Villars, Paris, 1979 oil l'auteur parled'un reel voile, inaccessible a nos manipulations et a nos theories.

3 Gallimard, Paris, 1979.

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l'accusation de mecanicisme contre la science moderne pour reinventer la science:il y a une longue tradition de protestation poetico-humaniste ou romantique qui esttoujours vivante.4 Mais l'image que nous en presente les auteurs est-elle bienfidele ? On nous dit« Bien sur, un certain mecanicisme naif est mort - comme il etaitmort deja avec le remplacement des concepts geometriques par les conceptsinfinitesimaux ... »5 II n'en est rien puisque Newton donne presque toujours uneinterpretation geometrique a son calcul des fluxions et recourt constamment a despreuves geometriques dans ses Principia. Et si Ton suit S. Drake, le modele deGalilee n'aurait pas ete la machine, mais bien plutot la musique et les instruments demusique. Les auteurs decrivent ensuite l'hamiltonien (pp. 79-84) ou les equationsde la dynamique classique et insistent avec justesse sur le role des variablescanoniques ou des coordonnees generalisees p, q du systeme H(p, q), mais ondramatise le probleme des trois corps (p. 85 et pp. 242-249) comme s'il s'agissaitd'un moment critique insurpassable de la science moderne; alors qu'on sait com-ment obtenir de bonnes approximations en l'absence de solutions exactes (le cas dela terre, de la lune et du soleil est un exemple du probleme des trois corps, le proton,l'electron et le neutron en est un autre). Arnold en 1962 a demontre, par exemple,qu'il existe des solutions quasi-periodiques pour le probleme des n corps.5 C'est icicependant que se trouve le point d'ancrage du livre (et des travaux de Prigogine): leprobleme de la stabilite. Nous verrons (appendice) comment se pose le probleme enthermodynamique des systemes instables ; en fait, il ne se pose pas differemmentaujourd'hui que du temps de Poincare et c'est toujours un systeme d'equationsdifferentielles partielles (pour 1'evolution temporelle du systeme) et non lineaires (acause de l'interaction non additive) qui sert de point de depart (avec le theoreme deLiapounov) a l'analyse des structures dissipatives, i.e. structures de diffusion ou dedispersion qui creent de l'ordre a partir d'un desordre apparent.6 La ther-modynamique du non-equilibre est l'axe recteur du livre et il faut maintenant enevaluer la pertinence.

2. La thermodynamique classique est la thermodynamique de l'equilibre : conser-vation de l'energie et accroissement de 1'entropie jusqu'a l'etat d'equilibre ther-mique sont ses deux lois J Le modele mecanique - celui du moteur - regne toujours,

4 Voir H.J. Muller Science & Criticism. The Humanistic Tradition in ContemporaryThought, Yale University Press, New Haven and London, 1964, pourunemiseajourdel'humanisme scientifique.

5 Voir la-dessus J. Moser, Stable and Random Motions in Dynamical Systems, Annalsof Mathematics Studies, no. 77, Princeton University Press, Princeton, N.J., 1973.

6 Cf. La Nouvelle Alliance, ouvr. cit., p. 797 Un troisieme loi de la thermodynamique peut etre ajoutee ici: le principe de Nernst sti-

pule que 1'entropie s'approche asymptotiquement de zero a la temperature du zero absolu.

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mais vient s'y ajouter l'irreversibilite, phenomene nouveau, inconnu de ladynamique newtonnienne. Le temps anisotropique fait son entree en physique:cette histoire de la thermodynamique est admirablement evoquee dans 1'ouvrage dePrigogine et Stengers: on y decrit la theorie boltzmannienne de la probabilite descomplexions - une complexion est la donnee d'une energie, d'une direction etd'une localisation spatiale pour toutes les molecules d'un gaz, par exemple - pourlaquelle l'entropie s'ecrit

S = klnW

pour W la probabilite thermodynamique, k la constante de Boltzmann (en termesd'ergs) en In le logarithme naturel; les trois stades de la thermodynamique vont del'equilibre au domaine proche de l'equilibre et au domaine non lineaire. On passeainsi de la vitesse de changement des concentrations, a l'autocatalyse8 ou retroac-tion chimique par laquelle une reaction chimique devient son propre cataly seur, auxrelations de commutation d'Onsager pour l'orientation aleatoire du spin d'un alliagebinaire en l'absence d'un champ magnetique exterieur jusqu'a l'instabilite deBenard. La presentation est encore « dramatisee » ici et nous allons nous arreter unpeu sur cette instabilite de Benard qui joue un role archetypal dans la ther-modynamique de non-equilibre.

3. L'instabilite de Benard est un phenomene de convection, i.e. mouvement d'unfluide (gaz ou liquide) sous l'action de la chaleur. Par exemple, chauffee par en bas,le couche inferieure du fluide va prendre de l'expansion et tendre a monter alors queles couches superieures vont s'affaisser. Plusieurs forces sont en jeu: la forceascensionnelle, la viscosite, la densite, la tension superficielle ou de surface, etc ...Lord Rayleigh, Landau, Guinsburg, Hopf ont contribue a la theorie de la convec-tion et si Ton n'a pas ici non plus de solutions exactes (en particulier, la theorie deRayleigh comportait une sorte de catastrophe de 1'ultra-violet)9, on a de tres bonnesapproximations qui utilisent des methodes de la dynamique classique (surface depotentiel, energie potentielle, etc ... )10. Du point de vue physico-mathematique,

8 L'autocatalyse est un phenomene important en chimie et en biologie moleculaire, maisc'est un usage metaphorique qu'en fait un Wilson dans son On Human Nature, BantamBooks, New York, 1978.

9 Dans le sens ou fa vitesse d'un flux convectionnel devait crottre exponentiellement souscertaines conditions. On trouvera des details sur la theorie de la convection dans l'articlede C. Normand, Y. Pomeau et M.G. Velarde « Convective Instability », in Reviews ofModern Physics, vol. 49, no. 3, pp. 581-624 (July, 1977).

10 L'energie potentielle est donnee, parexemple, par une serie infinie, dont le premier termeest

U = 1/2 A RV2

ou V2 est la vitesse et AR exprime la difference entre le nombre de Rayleigh effectif dufluide, i.e. la force ascensionnelle divisee parle produit du coefficient de viscosite et le taux

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cette nouveaute n'est pas incompressible ou irreductible. C'est sur cette hypothesede l'irreductibilite de l'instable, du fluctuant, du bifurquant (la bifurcation est lepoint critique ou singulier oil commence l'instable), du dissipatif que se fonde lathermodynamique du non equilibre. II ne faut pas le cacher: l'hypothese est un defi(ou un pari) autant qu'un programme de recherche. On a beau insister sur lecaractere qualitatif de l'entreprise (la chimie serait-elle une physique qualitative ?),on ne peut masquer la minceur des resultats mathematiques11. La mecanique statis-tique des Boltzmann, Maxwell, Gibbs12, la theorie cinetique des gaz, bien qu'elle nes'occupent que de cas ideaux, ont fourni des modeles probabilitaires qu'on ne peutecarter au profit d'une theorie riche de promesses mais avare de resultats.

La theorie de l'ordre par fluctuation, c'est-a-dire l'ordre macroscopique cree pardes ecarts infinitesimaux a l'equilibre qui s'amplifient, peut cependant jouer un roleextremement important en biologie (biologie moleculaire, genetique des popula-tions), en sciences sociales et humaines ou la dialectique de l'equilibre et del'instabilite peut fournir une methode et des concepts analogiques transdisci-plinaires (les abus de langage metaphorique sont toutefois a craindre ici). Ce n'estpas le moindre merite de l'ouvrage de vouloir montrer contre Monod la continuitedu monde vivant avec l'univers physique, de vouloir paradoxalement « desin-gulariser» la vie en generalisant les singularites, les points critiques, desphenomenes physico-chimiques aux phenomenes biochimiques.

4. C'est dans sa dimension critique que l'oeuvre de Prigogine et Stengers semble leplus vulnerable, comme nous l'avons deja souligne. Donnons-en d'autres exem-ples: pour critiquer 1'interpretation informationnelle de l'entropie qui la fait corres-pondre a une « dissipation » de 1'information, on la qualifie de subjectiviste ; l'ob-

de diffusion thermique, et le nombre de Rayleigh critique - qui se situe aux environs de1,700 et au-dela duquel commence l'instabilite convectionnelle. La theorie de Landauincorpore des termes successifs, e.g. 1/4V, qui donnent une meilleure approximation.Cette theorie avait d'abord ete utilisee dans la theorie de la super-conductivite des metaux.On peut rapprocher le nombre de Rayleigh du nombre de Reynolds donne par

Re = Vpa/v

ou V est la vitesse, p la densite du liquide et v son coefficient de viscosite ; au-dela de la valeurcritique, qui se situe aux environs de 1,200, le flux devient tourbillonnaire. On consultera1'article de C. Normand, Y. Pomeau et G. Velarde cite plus haut et oil Ton donne lasignification de dix de ces nombres sans dimension ou proportionnels.

11 On pourrait resumer le contenu quantitatif de la chimie dans les deux lois de la periodiciteet de stoichiometrie (lois des proportions multiples, reciproques, relations de poids, etc.).

12 Nous avons vu la loi de Boltzmann. La loi de Maxwell porte sur la vitesse la plus probableet la vitesse moyenne des molecules d'un gaz ideal (que le « demon de Maxwell» peutdistinguer), tandis que Gibbs a contribue sa theorie des « ensembles » ou collections desystemes ayant une population identique de molecules - un ensemble « microcanonique »,par exemple, est un ensemble dans lequel la variation de l'energie est infinitesimale.

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jection que les auteurs soulevent est que l'irreversibilite n'est pas une proprieteuniverselle (p. 213) et qu'il faut separer dynamique et thermodynamique ; mais unetheorie cosmologique coherente va devoir introduire l'irreversibilite, du « bigbang » a ce que nous pouvons appeler le « black out», c'est-a-dire l'etat d'entropiemaximale ou tout est « eteint». La theorie (standard) des particules elementairespostule d'ailleurs, en vertu du principe de liberte asymptotique, que les « quarks »sont confines et done inobservables parce que l'univers a refroidi tandis qu'ilsdevaient etre libres dans l'univers chaud qui a suivi immediatement le « big bang ».Un realisme « objectiviste » devrait done voir dans l'irreversibilite la marche univer-selle du temps anisotropique plutot que le sillage de la conscience dans l'universspatial, comme le pensait Hermann Weyl. Une theorie « subjective » de l'irrever-sibilite du proces thermodynamique est certainement possible si Ton tient comptede la construction du temps par l'agent linguistique constructeur ou observateur. IIest d'autant plus surprenant que les auteurs ne retiennent pas cette possibility alorsqu'ils presentent une interpretation de la mecanique quantique qui integre l'obser-vateur, (e'est 1'interpretation de Bohr, Rosenfeld, etc. dite de Copenhague) faisantainsi de la mecanique quantique une physique humaine, selon leur propre expres-sion, mais encore ici la theorie macroscopique de la mesure qui suppose l'irrever-sibilite, selon les auteurs, interdit une interpretation « subjectiviste ». Nous n'in-sisterons pas sur cette partie de l'ouvrage assez sommaire oil la mecanique quan-tique (ou encore la relativite) n'est pas discutee en profondeur; les auteurs balaientles paradoxes de la mecanique quantique du revers de la main et veulent ignorertoute la litterature concernant le paradoxe d'Einstein-Podolsky-Rosen, par exem-ple ; la presentation de la mecanique matricielle de Heisenberg avec la mise en reliefde la notion d'operateur - dont on dit qu'il l'invente ! (p. 227) - comporte desimprecisions qu'il est inutile de relever ici: soulignons cependant qu'on n'indiquepas que e'est l'axiomatisation de l'espace de Hilbert par von Neumann qui a donneleur statut definitif aux operateurs en mecanique quantique. Que 1'introduction de lanotion d'operateur mene a l'abandon de la trajectoire, comme le disent les auteurs(p. 229), une telle these n'apparait pas fondee. II ne semble nullement que la theoriedes particules elementaires (que ce soit pour les diagrammes ou integrates dechemin de Feynman, la theorie perturbative de la matrice S ou les trajectoires deRegge) ou la relativite generale (e.g. les geodesiques) aient abandonne le concept detrajectoire. C'est d'ailleurs dans le contexte des equations differentielles, entreautres, qu'est apparue la notion d'operateur qui est une generalisation de la notionde transformation, e.g. la differentiation ; l'analyse fonctionnelle tout entiere - unefonctionnelle est une fonction de fonction(s) - ne contient rien d'hostile a la notionde trajectoire. II s'agit plutot ici d'un point de vue particulier des auteurs qu'il seraitdifficile de defendre dans un cadre plus general.

Ce point de vue particulier, celui de la thermodynamique du non equilibre

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entraine les auteurs, surtout Prigogine sans doute, dans des speculations originalessur l'operateur temps et une complementarite « elargie ».

Partant de l'equation de Liouville qui est une generalisation de 1'equation decontinuite (due a Euler) en hydrodynamique13, les auteurs imaginent un operateur T(temps) qui aurait des fonctions propres et des valeurs propres tout comme lesoperateurs de la mecanique quantique et qui donnerait l'age « interne » d'un sys-teme thermodynamique (ou son entropie microscopique); cette entropie micros-copique a aussi un operateur representatif M qui ne commute pas avec l'operateur Lqui represente l'equation de continuite de Liouville

M L - L M ^ o ;

on obtient ainsi une fonction de Boltzmann modifiee

qui n'est pas canonique, mais multiple. Ce temps « foisonnant», statistique n'apasencore de statut scientifique, mais il represente un exemple interessant de specula-

13 L'equation a la forme

5p/3t+ V(p-v) = o

oil p est la densite et v la vitesse d'un flux compressible (on sait que c'est l'hydrodynamiquequi est a I'origine des equations differentielles partielles - V est l'operateur de differentia-tion partielle). L'equation de Liouville generalise la densite a l'espace des phases a sixdimensions PN (rN, pN) des moments et des positions, densite qui correspond a la probabilityps (r!^ p ^ gp.N 5rN j ' u n sy steme a N particules dans la theorie des « ensembles » de Gibbs -les 5p et les 8r sont des « variations ».

14 La fonction de Boltzmann

3if = /dvflogf

exprime le fait que l'entropie tend vers un maximum, c'est-a-dire un etat asymptotique-ment stable ou un etat « attracteur ». Elle devient

si Ton opere la transformation Ap = p pour A = iM; les auteurs font ici etat de travaux deMisra qui utilisent la «transformation du boulanger », sorte de petrissage (automorphisme)d'une surface qui la fragmente de telle sorte que sa description ne peut etre que statistique;il s'agit alors de systemes ergodiques oil Ton remplace la moyenne des etats dans le tempsd'un systeme par la moyenne des etats du systeme a un instant donne. C'est une situationqui a donne naissance a plusieurs theoremes dans la theorie des probabilites (e.g. theoremeergodique). Aujourd'hui, theorie ergodique signine simplement etude probabiliste dessystemes dynamiques complexes (cf. V.I. Arnold et A. Avez Problemes ergodiques de lamecanique classique, Gauthier-Villars, Paris, 1967). Remarquons qu'on a aussi unetransformation « multiplication des pains », ibid., pp. 121-1220U encore du « mixing » oudu mixeur, ibid., p. 19.

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tion scientifique, (les trous noirs ne sont eux aussi que des objets de speculation,apres tout). Les auteurs voudraient qu'un gain important soit obtenu sur ladynamique classique des trajectoires, puisque le systeme melange ou « mixe »exhibe en plus des trajectoires une marche aleatoire, un proces stochastique. IIn'est pas facile ici de trier l'acquis du nouveau, les resultats annonces n'ayant pasde caractere definitif. Mais la thermodynamique nouvelle est une science ouverte....

Ce que l'ouvrage de Prigogine et Stengers ne dit pas, c'est tout ce qui est passe dela science classique, dans notre cas de la mecanique classique, dans la sciencecontemporaine; malgre les revolutions relativiste et quantique, les methodesmathematiques du domaine classique sont demeurees valides, meme lorsqu'il afallu les generaliser considerablement. Le lagrangien et l'hamiltonien des equationsdu mouvement fondes sur le principe de moindre action sont demeures un axeprincipal dans la theorie quantique des champs et aussi bien dans la theorie er-godique des systemes dynamiques, puisqu'on y trouve la notion de « flot hamilto-nien », de flot geodesique, etc ... ; les equations differentielles non lineaires sont aucoeur de la relativite generale et la theorie des varietes differentielles avec le fibreprincipal n'a pas invalide la geometrie differentielle classique. Si c'est le paradigmemecaniciste de la science classique qu'on veut depasser, il y a longtemps que soncontenu intellectuel est epuise: on n'imagine plus l'horloger de Voltaire ni le demonde Laplace dans son observatoire sur Sirius. Mais lorsqu'on s'en prend a lareversibilite comme reste mecaniciste, on oublie de dire que la reversibilite signifiesymetrie, invariance, interaction et que la physique contemporaine ne serait paspossible sans l'operation de renversement du temps (a l'interieur du theoreme CPT,conjugaison de la charge, conservation de la parite et renversement du temps) etqu'en particulier l'electrodynamique quantique de Schwinger et Feynman, latheorie scientifique la plus « precise » que Ton ait aujourd'hui, n'est pas concevablesans elle ; les brisures spontanees de symetrie elles-memes ne sont qu'une autremanifestation du principe de symetrie.

5. L'homogeneisation de l'espace qu'a operee la geometrie euclidienne dans lamecanique contemporaine apres que les philosophes (Nicolas de Cuse, GiordanoBruno) l'eurent« infinitise »ls arendu possible le desenchantement du monde. Maispour reenchanter le monde, faudra-t-il reveiller la nature ? La nouvelle allianceva-t-elle ressusciter les vieilles idoles ? Le modele philosophique ici est Bergson ouWhitehead. L'elan vital ou l'organicisme de Process and Reality seront-ils remis al'ordre du jour? La science des philosophes et la philosophic des savants, c'estconnu, n'ont pas fait bon menage dans le passe et on ne peut supposer qu'il en sera

15 Voir la-dessus A. Koyre Du monde clos a I'univers infini, Gallimard, Paris, 1973 et M.Jammer Concepts of Space, Dover, New York, i960.

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autrement dans l'avenir immediat. C'est pourtant ce type d'alliance que proposePrigogine et Stengers, alliance oil science et metaphysique auraient de nouveau undestin conjoint. Mais la metaphysique est morte et la science n'est plus une. Le revecependant est toujours vivace d'une theorie physique unificatrice et d'une sagessequi rendrait de nouveau le monde habitable. Faut-il pour cela reprendre laphilosophic de la nature, de ce concept inassignable de la metaphysique qui appar-tient a une epoque revolue de l'histoire du savoir. D'Aristote a Thomas d'Aquin,avant que la physique ne naisse, n'en deplaise a Lucrece16, la «philosophianaturalis» (ou «cosmologia») n'etait qu'un domaine d'application de lametaphysique; elle devint physique en devenant science. La philosophic de lanature n'a pu ensuite subsister que comme rappel romantique, nostalgie de l'an-cienne alliance des dieux et des hommes, du ciel et de la terre - Holderlin, Novalis,Schelling, ont tous voulu recouvrer ce « Geviert», ce « Quadrant» ou « Qua-druple » qu'a decrit Heidegger.17 La philosophic romantique etait essentiellementanti-mecaniste et organiciste, ce qui nous rapproche d'un Whitehead (et d'un autreromantique naturaliste, S. Moscovici). On n'evaluera pas ici l'entreprise deWhitehead qui etait essentiellement une cosmologie philosophique au sens scolas-tique et qui n'avait pas plus de contact avec la science contemporaine qu'unemeta-physique.18

6. La philosophic des sciences ou ce qu'on appelle encore l'epistemologie et quenous appellerions plutot l'epistemologique est la grande oubliee dans l'ouvrage dePrigogine et Stengers. L'examen critique et ['analyse fondationnelle du discoursscientifique interviennent dans la construction du savoir lui-meme par la mise en

16 Nous referons evidemment au Lucrece de Michel Serres Le naissance de la physique dansle texte de Lucrece, Minuit, Paris, 1977. L'histoire des sciences « devoyee » ou « de-viationniste », « clinaminale », si Ton veut, que mene Michel Serres en admirablemetaphoricien a une vigueur, une originalite, une ondulation qui change de l'histoire« plate » des penseurs lineaires; ses «transports » derangent de vieilles habitudes et memesi Ton ne se rend pas a ses destinations ou a ses raisons on ne peut rester insensible aux•< voyages » conceptuels de ce philosophe marin.

17 Le cas de Hegel est, comme toujours, exceptionnel. S'il a ete prudent dans son approchedes mathematiques, - voir notre article « L'epistemologie francaise des mathematiques »in Critique, no 368, Janvier 1978p. 21 et ss. - il a voulu integre la science de son temps dansune dialectique qui l'a etouffee. (cf. G.W.F. Hegel Enzyklopadie derphilosophischenWissenschaften im Grundrisse de 1830, 2e partie « Naturphilosophie » en particulier la« physique organique », « Organische Physik », F. Meiner, Hamburg, 1959.

18 Nous renvoyons ici a Process and Reality. An Essay in Cosmology (1929) The Free Press,New York, 1969. Science and the Modern World (1925), the Free Press, New York, 1967contient des considerations generates sur la relativite et la theorie des quanta; on sait queWhitehead a ete influence par l'evolutionnisme holiste et« processif » de Morgan etAlexander.

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ceuvre de methodes logiques et de jauges epistemologiques qui sont « internes » a lascience. La logique mathematique et l'epistemologie scientiflque ne sont pas plus« positivistes » ou autre chose que les mathematiques et la physique d'aujourd'huiet c'est encore de courte vue que de condamner ces disciplines en les renvoyant ajene sais quelle paternite anti-philosophique. Si l'ceuvre litteraire peut servir d'anti-dote aux exces de la science dans l'harmonie des deux cultures, ce n'est pas elle quinous dira les limites d'un savoir dont elle est trop souvent le simple envers. Unescience ouverte est une science qui est capable de depasser ses propres limites,d'inventer de nouveaux paradigmes, de produire des questions originales et d'ouvrirde larges avenues a la recherche. La thermodynamique nouvelle est a ce compteune science ouverte, mais il lui manque encore une logique et une epistemologique.En depit de son ouverture genereuse au dialogue entre science et philosophic et deson audace conceptuelle, la thermodynamique nouvelle ne peut pretendre embras-ser tout l'horizon du savoir et eclipser, par exemple, la theorie des particuleselementaires, la cosmologie qui ont des motivations et des ambitions toutes diffe-rentes. La reconciliation des domaines respectifs du reversible et de l'irreversible, dusymetrique et de l'asymetrique, de la conservation et de la dissipation, de l'in-variant et de l'ecart a l'equilibre reste a accomplir. Ce n'est pas le realisme ou lanaivete metaphysique qui pourra s'acquitter de cette tache, s'il est vrai que nous nesommes pas seulement spectateurs ou auditeurs dans le proces createur du devenir,mais aussi acteurs, agents ou constructeurs.

L'illusion premiere est celle d'un monde, d'un univers (ou d'un dieu), d'unenature qui se serait faite sans nous pour nous faire ensuite dans une reduplicationspontanee ; le mythe ancien du microcosme ou de la creature a la vie dure et il renaita intervalles reguliers. Nous supposons plutot que l'histoire cosmique est unehistoire que nous construisons dans et par la science (nee elle aussi du mythe et quiparfois s'en souvient). La science est langage et cet univers linguistique est celui denos theories qui a leur tour rendent possibles nos pratiques. Le constructivisme n'apas besoin de support metaphysique d'un monde objectif, d'une realite indepen-dante pour comprendre le savoir et expliquer son objet.19 La oil la philosophicouverte du constructivisme rejoint les ambitions de la thermodynamique nouvelle,c'est dans sa predilection des constructions locales. En realite, tout est construc-tion locale (le «tout» lui-meme est une construction locale par iteration). Nousavons indique ailleurs les sens divers de «local», que ce soit en logique, enmathematiques ou en physique.20 Une fonction continue est definie localement et

19 Les implications proprement philosophiques et metaphysiques (ou anti-metaphysiques)de ce constructivisme feront l'objet d'un futur ouvrage portant sur la « metatheoretique ».

20 Les constructions globales ne sont souvent qu'une premiere approximation. Pour nedonner qu'un exemple, rappelons qu'une transformation de symetrie globale n'affectequ'une caracteristique commune des points d'une sphere comme Tangle dans une rota-

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c'est pourtant une notion tres generate .... La theorie de la negation locale que nousavons elaboree couvre un ensemble de domaines, allant de la logique a la physiquepar la mediation des mathematiques; il se peut bien que la construction la pluscoherente du monde physique exclue la negation globale du complement booleen.2'

Ce qui est pour nous construction locale correspond chez Prigogine aux pointscritiques ou singuliers ou s'amorce une fluctuation, ou s'insinue une turbulence, oils'inquiete un equilibre. Mais une telle conception du hasard le limite a unphenomene isole, ilot deliquescent dans la mer de la necessite jusqu'a ce que lesfluctuations s'amplifiant engendrent un ordre nouveau. Cette dialectique du hasardet de la necessite ne vaut pas mieux que les metaphysiques organicistes (oumecanicistes) qui ne sont que des images «globales», des fictions ideales. Leconstructivisme n'imagine pas la structure du reel - « hypotheses non fingo » - , ilsait que ces images sont construites, qu'elles sont mal construites dans bien des caset qu'on peut en construire de meilleures. Et la necessite ne saurait etre que dansnotre langage. II faut done penser une genese de nos constructions plus abstraiteque celle qu'une intuition trop proche de l'immediat permet de retracer. Les processtochastiques ou aleatoires, par exemple, ne sont pas l'effet d'un reel instable quidevierait de sa course, mais plutot la resultante d'actes de determination construc-tive qu'un agent linguistique deploie dans la construction d'un donne primitifindetermine - qui, par la, n'est donne que dans sa determination et dont l'indeter-mination ne signifie que la limite de ses determinations. II serait facile de montrer,par exemple, comment les concepts fondamentaux de la theorie des probabilites, acommencer par celui de suite aleatoire (ou suite irreguliere pour l'intuitionnisme)sont fondes sur l'elaboration ou la precipitation conceptuelle de procedures quidecomposent le flou d'une image, synthetisent le diffus et « deglobalisent» une«Gestalt». Ces indications appellent une analyse epistemologique etrangere aurealisme naif qui ne s'appuie plus sur les noms inassignables de la metaphysiquequ'elle soit materialiste (matiere, ou nature) ou idealiste (esprit ou conscience ouDieu), mais sur une activite, celle d'un agent linguistique constructeur - il s'agitbien sur ici d'un collectif.

On peut bien trouver dans l'etre, le reel, l'univers, le temps, le devenirce que Tonveut y mettre (la metaphysique dans ce sens est une emotion qui est canalisee dansun certain nombre de noms), il importe sans doute d'explorer et d'analyser lesmodes de fonctionnement de ces concepts, l'histoire de leur construction (et de leurdeconstruction); il importe aussi d'eclairer mieux le discours scientifique qui, pour

tion, alors qu'une symetrie locale exige que chaque point de la sphere subisse unetransformation independamment (individuellement, pourrait-on dire). Les forces interac-tives (internes) s'expriment done par cette symetrie locale, alors que la symetrie globale nedecrit que le comportement « collectif» des points.

21 Cf. « Realism and Reason » art. cit., note 9.

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142 YvonGauthier

ne pas etre indepassable, ne demeure pas moins le discours « verificateur » le mieuxconstruit que nous ayons. Les sciences, les savoirs ne disent pas tout; d'autresdiscours, le discours poetique par exemple, fabriquent autre chose que du vrai ouune autre sorte de vrai aussi necessaire a la diction integrate. Et si, comme le ditHolderlin, le discours poetique, celui de Sophocle en l'occurrence, objective lamarche de l'esprit humain sous l'inconcevable « als unter Undenkbarem wan-delnd »22, la fonction de la philosophic est peut-etre d'objectiver la marche del'esprit dans le concevable, c'est-a-dire les concepts, les theories, les savoirs quenous construisons pour apprivoiser l'inconcevable. Kant avait defini aussi la tachede la philosophic comme analyse des concepts, que seules les mathematiquespouvaient construire23. Nous savons maintenant que tous les concepts sont cons-truits et les mathematiques ne sont plus qu'un exemple, privilegie parce que plustransparent, de la constructibilite de notre experience. Cela signifie que laphilosophie, comme on l'a pensee de Platon a Husserl, n'a pas de fin ....

A P P E N D I C E

Non-equilibre et auto-organisationSi la thermodynamique classique s'interessait a l'equilibre (i.e. la stabilite et la

permanence) des systemes thermodynamiques, la thermodynamique nouvelle dePrigogine et ses coUaborateurs se preoccupe du non-equilibre (ou equilibre instable)des systemes thermodynamiques, leurs fluctations ou leurs « structures dissipa-tives. »24 Structures dissipatives ou non-equilibre sont dans cette perspective dessources d'ordre. Puisque entropie signifiait equilibre, etat le plus probable,desordre maximal, le non-equilibre implique ordre et creation d'ordre. L'entropiemaximale d'un systeme correspond a ce que Prigogine appelle la branche ther-modynamique. C'est au-dela de cette branche thermodynamique d'un pointcritique X qu'apparaissent les structures dissipatives et c'est la theorie de la bifur-cation ou de la ramification qui doit pouvoir fourntr les solutions du non-equilibre oude 1'auto-organisation.

22 Cf. F. Holderlin Sdmtliche Werke, Insel-Verlag Frankfurt a/M, 1961, p. 1242.23 Cf. I. Kant Kritikder reinen Vernunft, F. Meiner, Hamburg, 1956, (B 741 et ss.).24 Nous suivons ici G. Nicolis and L, Prigogine Self-Organization in Nonequilibrium Sys-

tems, ouvr. cit. On pourra consulter aussi P. Glansdorf et I. Prigogine Structure, stabiliteet fluctuations, Masson, Paris, 1971, Indiquons qu'un certain nombre de chercheurs ontdepuis longtemps voulu introduire des modeles mathematiques dans l'etude des systemesvivants. Cf. N. Rashevsky Mathematical Biophysics, Chicago University Press, Chicago,1935 et plus recemment « Representation of biological phenomena in terms of topologicaland set-theoretical structures » in La Symetrie, Office International de Librairie, Bruxel-les, 1970, pp. 119-130. Pour des exposes enthousiastes et populaires, qui comportentcependant un certain nombre d'abus, de la thermodynamique nouvelle, on lira les ou-vrages de vulgarisation de Prigogine.

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Remarquons que le programme est ambitieux et qu'il s'inscrit dans uneepistemologie globale du savoir physique, biologique et meme sociologique.L'irreversibilite du temps, la fleche du temps qui est une des consequences dusecond principe de la thermodynamique a fait l'objet de travaux de Reichenbach,d'O. Costa de Beauregard et d'autres, mais la thermodynamique nouvelle repre-sente un effort incomparable de concertation pour bander Tare de la vie.25

On peut commencer le traitement du non-equilibre par l'equation suivante:

8 p j / 9 t = - V - j ] + 2 VjpWp.p

C'est une equation differentielle partielle non-lineaire. lci comme ailleurs la non-linearite est une consequence de l'interaction (intermoleculaire ici); les pj sont lesconstituants chimiques, les j des flux de diffusion, le V les coefficientsstoichiometriques (de determination ou de combinaison des proportions) et les wles taux de reaction. On ajoute ici des conditions a la limite sur les fluxjj (conditionsde Neumann) et sur les concentrations pj (conditions de Dirichlet). L'equation estl'expression de l'equilibre des masses dans une reaction chimique. Notons quel'entropie est formulee par

3iS/dt>o

Des fluctuations minimes ou locales n'affecteront pas cet equilibre ; il faut supposerune distance suffisamment grande de l'etat d'equilibre pour trouver une solution quiengendre de l'ordre suffisamment eloignee des solutions stables. Par consequent, laproduction d'entropie varie selon que le systeme est situe sur la branche ther-modynamique ou s'en eloigne considerablement - la brisure de symetrie qui enresulte entraine une production d'ordre. Les fluctuations importantes du systemene peuvent plus etre traitees par des equations differentielles, on doit faire inter-venir des methodes stochastiques comme la distribution de Gauss et la loi desgrands nombres

lim Prob (|f - p | > e) = 0 VeN-,00

ou N est le nombre d'evenements, f la frequence ou le rapport du nombre de casfavorables a N et p la probability du cas le plus probable.

Les processus de Markov sont une autre methode stochastique qui pour leresultat d'un essai tient compte des essais precedents en employant une seuleprobability conditionnelle anterieure (ou quelques-unes)

Prob (At,| B,2) = Prob (A,, n Bt2)/Prob (Bt2)

pour ti < t2. Le mouvement brownien, e'est-a-dire le mouvement d'une particulelourde dans un fluide de particules legeres, peut etre decrit a l'aide d'un processus

25 On sait que le mot grec « 6 picx;» signifie a la fois arc et vie.

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de Markov ; la probabilite de la transition d'un etat i du systeme a un autre i + 1 estdonnee par

wi>i+I = i - i/N26

ou N est l'ensemble des etats discrets possibles du systeme (cette probabilite detransition est appelee chaine de Markov). Les probabilites de transition sontdecrites par une equation-maitresse de la forme

d Prob (k, t)/dt = £ w,k Prob(/, t)/

= 2 w(k Prob(/, t) - wk/ Prob (k, t)

oil Prob est la distribution de probabilite et les ww la probabilite de transition parunite de temps. On generalise cette equation-maitresse a divers systemes, e.g. lesprocessus de « naissance et mort», c'est-a-dire la transition du debut d'un proces-sus a sa fin, systemes a plusieurs dimensions (ou variables aleatoires), systemesnon-lineaires.

Si Ton applique ces methodes aux processus microbiologiques, par exemplel'operon lactose dans la synthese de la B-galactosidose de la bacterie Escherichiacoli21, on obtient un modele mathematique de 1'auto-organisation cellulaire. Mais ilne faut pas croire que Ton a alors resolu tous les problemes. En fait, on peut penserque les resultats sont minces. Que Ton applique ces memes methodes a revolution,a la dynamique des populations ou encore aux ecosystemes pour conclure qu'unsysteme suffisamment complexe est metastable - que Ton se serve ou non dutheoreme de Liapunov qui enonce, en substance, que la somme d'un tres grandnombre de variables de valeur tres petite et independantes les unes des autresequivaut a une distribution normale - , cela n'est guere une surprise. Quoi qu'il ensoit, l'entreprise est ambitieuse et on ne peut qu'esperer qu'elle continue.

YVON GAUTHIER,

Universite de Montreal

26 Pour la transition i —* i —1, nous avons evidemment

Wi,M = i/N

27 Cf. G. Nicolis and I. Prigogine Self-Organization in Nonequilibrium Systems, ouvr. cit.chap. 15 et A. Lwoff L'ordre biologique, ouvr. cit., chap. 6. Pour des extrapolationsmetascientifiques et metaphysiques, on lira E. Jantsch Design for Evolution, Brasiller,New York, 1975.