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L’Amazighité dans le discours de l’Islam politique Un débat sur la problématique des valeurs religieuses, Laïques et la question linguistique. Par Ahmed Aassid Traduit de l’arabe par Ali Amaniss, Ph.D. 7501 Rousselot, app.18 Montréal, H2E 1Z2 Canada, Québec Tel : 1 (514) 278-0259 e-mail: [email protected] Ce texte est composé en L A T E X: www.miktex.org Copyright. Ali Amaniss, 2008. All rights reserved.

L'amazighité dans le discours de l'islam politique Ahmed Aassid. Tamazight, berbere

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L'amazighité dans le discours de l'islam politique Ahmed AassidMaroc, Islam, Tamazight, berbere, berberesTraduction Ali Amaniss

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L’Amazighité dans le discours de l’Islam politiqueUn débat sur la problématique des valeurs religieuses,

Laïques et la question linguistique.

Par Ahmed Aassid

Traduit de l’arabe par Ali Amaniss, Ph.D.

7501 Rousselot, app.18Montréal, H2E 1Z2Canada, Québec

Tel : 1 (514) 278-0259e-mail: [email protected]

Ce texte est composé en LATEX: www.miktex.orgCopyright. Ali Amaniss, 2008. All rights reserved.

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Présentation de la seconde édition

La première édition de cet ouvrage parut en automne 1998, une période qui avait connu lamontée du débat sur la question amazighe entre les différentes personnalités attentives auxquestions culturelles et politiques dans le pays, et qui avait notamment connu la recrudescencede la controverse entre le Mouvement Amazigh et le Mouvement Islamiste lors de la parutionde l’ouvrage "Un dialogue avec un ami amazigh" d’Abdeslam Yassine, le guide de l’AssociationJustice et Bienfaisance, dans lequel il avait inclu sa correspondance avec le professeur MohamedChafik et où il avait précisé sa conception générale sur le sujet.

Malgré le fait que le contenu du livre du cheikh n’avait pas plu globalement au MouvementAmazigh et qu’il parut à tout le monde comme une attaque manifeste et un outrage à l’égard desactivistes de l’amazighité plus qu’un débat sérieux sur la question avec la profondeur nécessaire quiexige la compréhension de ses différentes dimensions, l’Association Marocaine pour la Rechercheet l’Échange Culturel (A.M.R.E.C.) - l’une des plus grandes associations culturelles amazighes auMaroc - avait organisé de nombreuses rencontres spéciales dans plusieurs villes pour la lectureet la discussion du livre du cheikh Yassine en invitant des activistes de l’Association Justice etBienfaisance afin qu’ils éclaircissent le point de vue de leur Association. La presse amazighe avaitlargement couvert ce débat. La première édition de l’ouvrage "L’amazighité dans le discours del’Islam politique" a été le fruit de la présence de l’auteur aux différentes rencontres, débats etpolémiques avec les islamistes. L’ensemble de ces rencontres avait permis de mettre la main surla majorité des problèmes sensibles concernant la problématique linguistique dans le discoursislamiste et nous les avons délimités en trois points principaux :

1. Le problème du système de référence ;2. Le problème du pluralisme linguistique dans la société islamique et la situation de la langue arabe ;3. Le problème de l’histoire préislamique ou ce qui est appelé le "Maroc de la Jahiliya"1.

1trd. La Jahiliya est le terme qui désigne l’époque préislamique dans la péninsule arabique. C’est un terme quicomporte une connotation péjorative parce qu’il renvoie au paganisme et à "l’ignorance" dans lesquelles se trouvaientles Arabes avant "les lumières" de l’Islam. Nous gardons ce terme arabe dans sa transcription française parce quel’auteur le différencie du terme "préislamique."

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La seconde édition L’amazighité dans le discours de l’Islam politique

Mon objectif n’a pas été, comme le croient de nombreux islamistes, de "répondre" au cheikhYassine ou à toute autre personne, ce fut au contraire d’aborder avec plus de clarté les problèmesmentionnés en partant de textes "modèles" de théoriciens des mouvements islamistes.

J’en ai retenu deux : Le guide de l’Association Justice et Bienfaisance qui a publié un livre detrois cent pages sur le sujet et le Dr Mohamed ’Az d-Din Tawfiq du courant Unification et Réformequi avait fait des discours dans les mosquées et avait publié dans les journaux des articles portantsur le sujet.

La première édition de ce livre avait suscité des réactions diverses qui vont de l’intérêt portéau débat par la presse nationale et internationale jusqu’au silence des organisations politiques etculturelles à l’intérieur du pays puis l’indignation et le mécontentement des courants islamistesdont la majorité avait considéré le livre comme une "offense faite à l’Islam".

Par contre, ce qu’il y a lieu de noter, à propos des réactions des islamistes, c’est leur fixationsur la première partie du livre qui traite de la référence à un système absolu ou relatif puis leurcomplète négligence du débat essentiel sur la question linguistique, la "noblesse de la langue arabe"et les droits du tamazight au Maroc. Ce qui traduit leur incapacité à dépasser le débat classiquequi les préoccupe avec le courant laïc, et démontre les limites de leur connaissance du sujet dupluralisme linguistique et culturel au Maroc et dans le monde musulman. C’est sans doute ce quiexplique leur boycott complet, toutes tendances et courants inclus, de la rencontre organisée dansla salle du Ministère de la culture pour une lecture publique du livre juste après sa parution. Enoutre, le professeur Mohamed Yatim s’était excusé de ne pas pouvoir participer à la lecture dulivre, aux côtés de professeurs de différentes orientations et spécialités, après nous avoir promis d’yêtre présent un mois et demi auparavant, en justifiant son désistement par le fait qu’il avait donnédes appréciations négatives par téléphone.

Les groupes des étudiants islamistes avait également attaqué le livre en considérant son auteurcomme un laïc athée dont l’objectif est de nuire à l’Islam et de le mettre à nu. L’auteur avait reçuune lettre anonyme qui comporte une menace explicite de mort. Il a été ainsi constaté que lesislamistes avaient évité tout débat sur le sujet, que ce soit sur le plan de la publication écrite ousur le plan de la discussion publique dans les rencontres culturelles.

Au moment où le courant Unification et Réforme, avait fondé son propre parti, il était devenuà l’image du reste des partis politiques : Il est de plus en plus pris par les contingences électoralestemporelles et ne se préoccupe plus de la culture. De plus, le comité formé par le parti dans sondernier Congrès dans l’objectif de s’occuper de la question de l’amazighité ne s’est pas réuni uneseule fois. Ce qui veut dire qu’il ne s’agit là que d’une formalité.

Cette seconde édition n’est pas une simple réédition du premier ouvrage pour reprendre un débat

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L’amazighité dans le discours de l’Islam politique La seconde édition

antérieur ou afin de rendre disponible un livre dont la première édition a été très rapidement épuisée.Son objectif est de compléter un débat intellectuel, politique et culturel qui semble avoir été avortépar la force des a priori idéologiques ancrés, des postulats mensongers et des méthodes qui consistentà détruire l’ennemi et fuir les problèmes difficiles et les différer.

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La seconde édition L’amazighité dans le discours de l’Islam politique

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Introduction

Le dialogue amazigho-islamiste revêt une importance spéciale pour les raisons suivantes :

1. Parce qu’il est un dialogue entre deux composantes indépendantes de la société civile et politiqueau Maroc. Deux composantes représentées par le Mouvement Culturel Amazigh (M.C.A.) avecl’ensemble de toutes ses organisations et le Mouvement Islamiste avec les siennes. Ces composantes,en dépit du fait qu’elles expriment de nombreux discours internes que les divers facteurs etévénements récents imposent, finissent par se retrouver avec le même objectif commun à chaquemouvement. Cet objectif exprime des buts uniques, des principes et des valeurs communes malgréque les cheminements qui y conduisent diffèrent.

Ainsi, le Mouvement Amazigh, avec l’ensemble de ses composantes générales, malgré les différencesorganisationnelles, personnelles et méthodologiques, a exprimé des objectifs communs, un pointde vue global sur les questions d’identité, de la langue et de la culture au Maroc, ce qui avait faitl’objet de la charte d’Agadir en 1991 et qui constitue jusqu’à présent un terrain commun d’ententesur le plan national.

De son côté, le Mouvement Islamiste avec ses différentes organisations a formulé son projet généralet alternatif de l’Etat et de la société islamique dans sa charte, sa presse, ses documents et sesdéclarations. Ce qui représente des données permettant à l’analyste d’avoir plus de précision surles traits d’un discours politique et islamiste commun malgré les différences organisationnelles,personnelles et méthodologiques.

Du fait de l’indépendante de ces deux composantes de l’autorité de l’État d’un côté et des organisa-tions classiques, politiques et partisanes de l’autre, elles inspirent la méfiance et l’insatisfaction desforces de la communauté politique et des membres responsables de ses orientations idéologiques.Cela montre que les deux mouvements amazigh et islamiste sont deux modèles de discours"non intégrés" au complexe de la pensée officielle. Ils représentent par conséquent deux mouve-ments marginaux et réfractaires à l’axe de la pensée que le système tient à consolider et à généraliser.

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Introcution L’amazighité dans le discouds de l’Islam politique

2. Parce que chacun des deux discours amazigh et islamiste représente un mouvement bien établipossédant des spécificités qui le différencient de n’importe quel autre discours. L’un est arméd’un arsenal cognitif conceptuel qui plonge ses racines dans les domaines des sciences humaines(notamment la linguistique, l’histoire, la sociologie et la politique), c’est-à-dire le modernismeintellectuel et politique, et motivé par les changements que le Maroc a connu sur tous les niveaux.Ces changements ont conduit à retracer la carte linguistique et culturelle à la lumière des nouveauxchoix stratégiques que le Maroc n’a pas connu au cours de son histoire. Le second mouvementpuise ses principes et ses concepts majeurs dans un héritage énorme d’une pensée religieuse quis’est accumulée tout au long des siècles. Ses thèses politiques s’inspirent d’une réalité bourrée decontradictions qui reflète un profond antagonisme entre une modernité lente et superficielle et unetradition dont les fondements sont extirpés.

3. Parce que les deux mouvements sont les plus dangereux des éléments qui constituent l’arrière-plande la lutte socio-politique sur le plan national et international, à savoir, la question religieuse etethnique (le lien culturel et linguistique) qui au Maroc font parti des tabous qu’il est défendud’investiguer, que ce soit au niveau du discours officiel de l’État ou dans la prise de position auniveau des partis politiques de sorte qu’ils sont exploités avec tout ce qu’ils peuvent contenir desensibilité sans qu’il soit permis d’en discuter ou d’y réfléchir.

Souhaitons que ce débat, à la marge du mode de pensée et du comportement répandu, puissepermettre de stimuler la discussion sur le non-dit et de réfléchir sur ce qui est défendu d’investiguersurtout que de nombreux postulats bien consommés et triviaux se démasquent par le simple faitd’y regarder de près, des images qui sont loin de toute subtilité et de toute harmonie notammentcelles qui sont liées à la relation entre la religion et la langue, entre l’histoire et la politique puisentre l’ethnicité et la culture.

Notons, tout de suite, que l’investigation des ces questions complexes s’ouvre sur de vastes do-maines intellectuels dont cet ouvrage ne constitue pas le cadre opportun pour les approfondir.Cependant, nous devons prendre en compte deux choses :

1. Il n’est pas possible de traiter l’amazighité du point de vue des islamistes en dehors de leurconception globale de la vie et de l’être humain, et en dehors de leur projet socio-politique.

2. Il n’est pas suffisant d’exposer leur point de vue dans ses fondements et ses postulats conceptuelset idéologiques (sa logique interne) sans mettre en évidence ses limites et sans montrer ses contra-dictions. Ce qui explique que nous avons besoin de deux références :– La référence à la "pensée islamique" qui nous permet d’analyser les conceptions et les déclarations

des islamistes à la lumière des textes religieux qui sont totalement absents dans leurs écrits surla question linguistique.

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L’amazighité dans le discouds de l’Islam politique Introcution

– La référence aux sciences humaines et aux écrits modernes qui nous permettent d’expliquer lesmécanismes idéologiques non-religieux sous-jacents et qui animent leur discours sélectif, et demettre la main sur ses conceptions organisatrices et la forme de sa construction comme discourspurement politique (il part et finit par la politique).

Cependant, ne croyons pas que mettre en relation ces deux références conduit à une contradictioninextricable. En effet, si nous ne perdons pas de vue l’objectif attendu, cette relation revêt uneimportance spéciale parce que cela conduit du même coup à mettre en évidence l’abîme qui séparela tradition religieuse et la prise de position politique des islamistes contemporains, et permetégalement d’expliquer les véritables causes qui les poussent, et plus précisément sur la questionlinguistique, à être incohérent avec leur référence qu’ils prétendent être leur seul point de départ.Ensuite, cette relation permettra de dévoiler la véritable référence qui n’est pas, en ce qui concerneplus spécialement la question de l’amazighité, une référence religieuse et islamique, mais plutôtune référence nationaliste arabiste. Ainsi, dans le but d’aborder leur point de vue sur tamazightdans le contexte de leur complexe idéologique global, il est nécessaire d’exposer, dès le départ, lesujet de la référence au relatif et à l’absolu. C’est dans ce contexte que nous abordons les questionsque suscite l’antagonisme entre les concepts de démocratie et de la "shura", la raison et la foi,la modernité et la tradition, la liberté et l’obéissance, la divergence de point de vue et l’état desoumission aux idées d’autrui, etc. C’est la partie qui nous ouvrira la grande porte des questionsessentielles relatives, plus précisément, au problème linguistique qui est l’objet de la deuxièmepartie du livre où nous discuterons de la question de la "sacralité" de la langue arabe et de sa"noblesse", puis nous mettrons en évidence les fondements intellectuels, dogmatiques et politiquesqui soutiennent ce point de vue en les mettant à l’épreuve de la critique scientifique moderne afinde dévoiler les objectifs idéologiques sous-jacents ainsi que ses inconvénients que ce soit pour lalangue arabe ou pour la diversité linguistique nationale.

Cette critique de la question linguistique, telle que la pensée religieuse moderne la conçoit, nouspermettra d’aborder dans la troisième partie de l’ouvrage la problématique du passé historiquepréislamique afin de mettre en évidence l’écart entre la conception idéaliste et mythologique del’histoire et l’examen scientifique des événements historiques ; et que de cela résulte la disparitioncomplète d’épisodes de l’histoire, ce qui représente une entrave à tous les efforts objectifs qui sedonne pour mission d’avoir une conception globale de l’identité culturelle et nationale.

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Introcution L’amazighité dans le discouds de l’Islam politique

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L’Absolu et le Relatif

«Les conceptions dissimuléespar le comportement humain,

sont beaucoup plus importantesque les écrits des théoriciens

politiques.»Montgomery Watt

Le projet islamiste

Le problème du raisonnement en faisant appel à un système absolu ou relatif, a pratiquementabrégé tous les détails du conflit entre les islamistes et les autres. Ainsi, dans leur appel auchangement global et radical du mode de la vie moderne, ils ne font pas de propositions maisformulent plutôt des accusations dans l’objectif de secouer les bases sur lesquelles repose l’étatactuel des choses. Il s’agit d’un projet de société de "rechange" qu’il n’est pas possible de réaliserque sur les ruines d’une réalité qu’ils considèrent comme ayant perdu toute légitimité religieuse, endépit du fait que cette réalité se donne des bases modernes légitimes résultant dans leur majoritédu progrès de la maturité et du rayonnement de la civilisation humaine dans les domaines de lapolitique, de l’économie, de l’organisation sociale, de la culture et dans les secteurs intellectuelset des valeurs esthétiques. Néanmoins, ce projet bouleversant se confronte toujours à un obstacleprincipal que l’on peut résumer dans la question suivante : Comment est-il possible de convaincreles gens de renoncer aux acquis de la modernité (qui sont d’origine occidentale) dont ils jouissentdans les sociétés post-coloniales et les considérer comme de simples perversions scandaleuses ?

C’est là la question qui anime le travail islamiste - qu’il soit individuel ou collectif - le long desdécennies passées et à laquelle les islamistes, en Orient comme en Occident musulmans, avaientdonné des réponses différentes dans leurs formes et dans le style de leurs argumentations, et quiconvergent vers une seule direction : La nécessité du "retour" à l’Islam en tant que système qui

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englobe tous les aspects de la vie, qu’ils soient matériels ou spirituels, théoriques ou pratiques,c’est-à-dire en tant que "système de rechange". Cette insistance des islamistes sur le "retour"vient de leur sentiment que leurs sociétés sont en train de construire progressivement - lentement- le modèle occidental qu’elles ont connu aux cours des attaques impérialistes puis colonialistesauxquelles ils se sont confrontées au cours du siècle dernier.

Ils ne proposent pas ainsi une solution sous forme d’un projet prospectif, mais au contraire,ils exposent une solution déjà prête depuis de nombreux siècles et dont les principes, le contenuet les bases dogmatiques et scientifiques étaient fixés d’avance dans un texte révélé d’une sourcesacrée et transcendante qui est le Coran, décrit comme étant le "Livre de Dieu", et dans uneexpérience historique que les musulmans avaient vécue dans tous les domaines depuis les pre-mières générations musulmanes jusqu’au déclin du système du califat ottoman au début de ce siècle.

C’est ainsi que la pensée islamiste contemporaine se focalise sur une problématique centrale quiest la question de savoir comment rétablir une "gloire perdue" à la place de chercher à se joindreà la gloire du présent représentée par l’Occident. Ce désir ardent de rétablir la gloire islamiques’exprime dans les textes des islamistes qui appellent à s’inspirer de la période prophétique, l’âged’or de toute l’Histoire. Cet appel repose sur deux convictions fermes dans le subconscient desislamistes, c’est :

– Que l’histoire va en régressant, c’est-à-dire qu’elle part du haut (l’âge d’or du Prophète) etse dirige vers le bas (les réalités rétrogrades actuelles des musulmans). Cela veut dire que leschangements ne font qu’empirer les choses.

– Que les nouveautés de la civilisation occidentale ne peuvent pas être supérieures tant quel’Occident ne s’inspirera pas des principes islamiques primaires qui furent et restent dirigés àl’ensemble de l’humanité.

Si la première conviction pousse la conscience islamiste à toujours juger le présent en s’appuyantsur une image abstraite du passé, la seconde conviction la pousse à proposer de nouveau l’Islam àl’Occident lui-même afin de le "délivrer" de sa civilisation perverse. Ce qui explique l’orientationactuelle de la pensée chez les islamistes dans les points suivants :

– Le dédain des apparences du progrès social, économique, politique et technologique de lacivilisation occidentale en lui accordant peu d’importance et en la considérant, dans le meilleurdes cas, comme un emprunt à l’Islam qui avait "devancé" l’Occident dans ce domaine.

– La focalisation sur la critique du penchant matérialiste de la civilisation occidentale et la miseen évidence de sa "pauvreté spirituelle".

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– L’insistance sur le dénigrement du libertinage et de la décadence des mœurs en Occident et laprésentation de celui-ci comme une civilisation sans morale.

A l’opposé du comportement qui consiste à enlaidir le modèle occidental et à diminuer deson aspect séducteur, cette conscience islamiste se lance dans une autocritique en critiquantles conditions des musulmans et en sollicitant leur détermination, non pas dans l’objectif de"rattraper l’Occident", mais au contraire pour innover l’époque grâce à l’héritage qui s’étendjusqu’à l’époque prophétique qui reste "l’avenir renaissant".2 Ainsi se caractérisent les deux sys-tèmes de référence, islamique et occidental, dont les islamistes simplifient la lutte civilisationnellecontemporaine sans s’intéresser à d’autres systèmes de référence, ni à la situation marginaleque les musulmans, en général, occupent encore dans les rapports de force au niveau interna-tional dans lequel aucune importance n’est accordée aux croyances religieuses et qui, jour aprèsjour, confirme le renforcement de la supériorité de la force technologique qui est en rapide évolution.

Cela veut dire que l’idée du système de substitution ne résulte pas de l’acquis de l’histoireislamique ou de la prise de conscience de l’existence d’un passé glorieux, c’est plutôt une idée quia des bases dogmatiques dans les textes religieux eux-mêmes qui considèrent que le Coran annuletout ce qui le précède, que l’Islam est la dernière, la vraie et la meilleure religion. Mieux encore, lesislamistes le considèrent comme étant une religion qui renferme les meilleures lois et les meilleursprincipes généraux pour œuvrer dans tous les domaines théoriques et pratiques. Ce qui expliquetous les combats qu’ils ont menés et mènent encore contre toute autre alternative, religieuse oupas, et qu’ils considèrent comme étant "incomplète", "perverse" ou "inconsistante" en comparaisonavec la conception islamique qui donne une représentation harmonieuse des choses. Cela expliqueégalement le mépris de plusieurs domaines scientifiques et artistiques en culture islamique ainsique le blocus, résultant de tout cela, imposé à "l’Ijtihad" 3 au cours de la plupart des époquesde l’histoire de l’Islam. Cela nous permettra, à la fin de cette partie, de mettre la main sur lesvéritables raisons du sous-développement des pays musulmans et leur régression de l’une des formesles plus illustres de l’histoire, à laquelle ils ont contribué, vers une forme de moindre importance.

Il est trivial que la référence à la religion (en général le problème est dans les textes du Coran,du Hadith et dans les dires et les actes des premiers compagnons du Prophète) est une référenceabsolue. En effet, ce sont là des certitudes dogmatiques et des principes moraux qui sont à admettre

2Par exemple l’association Justice et Bienfaisance, à la base de son discours politique, s’appuie sur un hadithattribué au Prophète et dont le contenu dit que le califat sera rétabli pendant trente ans puis viendra un règneprofane, corrompu et tyrannique, ensuite le califat se rétablira une deuxième fois sur la base du modèle prophétique.Ce hadith montre d’une part que le califat est projeté dans le futur et n’est pas un simple passé et d’autre part, lesislamistes se présentent dans cette perspective comme étant les gouverneurs inévitables du futur califat et donnentainsi plus de confiance à leur partisans.

3trad. L’Ijtihad est la jurisprudence en Islam. Cependant, c’est un terme ne se limite pas uniquement au domainejuridique mais s’étend aussi aux aspects religieux et moraux.

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et à croire et qui ne se prêtent pas à la discussion et au débat. À cause de ce caractère absolu,c’est un système uniforme qui ne peut pas s’harmoniser avec d’autre chose et qui ne supporte pasde se mélanger avec lui. L’effort intellectuel des islamistes contemporains se résume pratiquementà l’entreprise de convaincre les gens de cette conclusion avec tout ce qui en résulte, à savoir, larépulsion de la culture d’autrui et de ses expériences, l’amplification de soi et la fabrication de lalégende de son passé et de ses acquis symboliques.

Puisque les musulmans avaient connu autrefois une gloire de laquelle nous sépare un temps nonnégligeable, la renaissance ou le "réveil" désiré ne peut être qu’à l’image de cette gloire du passé.C’est pour cette raison que le projet islamiste ne se restreint pas au "développement de la société"et au "progrès de la Communauté" mais dépasse cela et vise à la "renaissance de la Communautéislamique", à "l’unité des musulmans" et au "rétablissement du califat", puis la poursuite del’annonce du message islamique à l’humanité entière.4 Tout cela doit s’accomplir sur la base desfondations maîtresses que l’on croit avoir été le pivot de la renaissance au début de l’Islam et quel’on pense être conformes avec les textes religieux.

Ainsi, le combat des islamistes est la restitution de la considération au système disparu - lesystème dont le repère est la religion - qui a été écarté par un "règne corrompu" pendant les sièclespassés5, et marginalisé par l’assaut colonialiste avec son modèle moderniste pendant l’époquecontemporaine.

Si ce système a pu fonder à lui seul et en toute autonomie des "systèmes d’autrui" unecivilisation de grande valeur, alors pour faire renaître cette civilisation de nouveau, il est nécessaireque ce système englobe tous ses éléments sans exception. Il est donc un système "uniforme"et "global" en ce qui a trait à ses principes fondateurs qui mettent en évidence, dans leurensemble et par leur harmonie interne, le "génie islamique", lequel génie peut se passer descadres, des systèmes, et des armes qui ne font pas partie de l’Islam afin d’affronter les défisactuels et futurs et réaliser "l’harmonie" absolue et requise au sein des sociétés islamiques qui sontdivisées par le mélange des systèmes et l’interférence des plates-formes de travail résultant de ladépendance des puissances "arrogantes" occidentales et de l’imitation de leur modèle de civilisation.

C’est de cette manière que s’est développé, dans la conscience islamique, un sentiment violentde nostalgie envers un passé idéalisé dont les traits ont été recomposés avec beaucoup de soins enutilisant une vaste opération de triage des textes historiques et religieux. C’est l’opération grâce àlaquelle de nombreux faits - réels et marquants - ont été mis en évidence tandis que d’autres ontété dissimulés et écartés afin qu’ils tombent dans l’oubli et évitent ainsi de perturber le point de

4«Les musulmans ont une affaire majeure, c’est un message à délivrer au monde.» Abdeslam Yassine, Hiwaruhm’a Sadiqih Amâzighî, 1995, p.46.

5«Les atrocités des rois corrompus ne défigurent que le visage de l’Islam officiel, en flagrant délit. Un Islam pervers,mis à nu, dont le système de gouvernement est la première chose détraquée.» Abdeslam Yassine, Ibid. p.43.

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vue souhaité ou de provoquer des questionnements sur certains de ses éléments.

Cependant, cet appel à un système uniforme et prédominant avec tout ce qu’il propose - ou ce quiest proposé à travers lui - comme solutions magiques à tous les problèmes ardus contemporains desmusulmans, cet appel ne réussit pas souvent à affronter les questionnements et les critiques qui luisont adressés. D’une part, la conception de l’expérience historique de l’Islam continue d’être baséesur des prises de position vagues chez les islamistes. En effet, cette conception n’explique pas la fa-çon dont la civilisation musulmane s’était édifiée sur un référentiel unique ayant une base religieusepure - elle qui porte en elle des éléments nombreux et contradictoires. D’autre part, la majorité desthéoriciens islamistes - même les plus calmes et ceux dont les œuvres écrites se prêtent à la lectureet à la réflexion - n’ont pas pu comprendre les véritables causes qui avaient conduit à l’effondrementd’une civilisation entière qu’ils croient avoir eu à son apogée une base purement religieuse. Ilsn’ont trouvé d’autres moyens pour éviter d’affronter le problème et d’y réfléchir que la fuite, unmécanisme classique chez les oulémas en général, c’est-à-dire que la décadence est une conséquenceinévitable du fait de s’écarter de la religion ou plus clairement de la "non-application de la religion".

Les islamistes traitent dans le cadre de cette conception générale tous les problèmes qui leur sontsoumis. Et c’est ainsi des prises de position sur l’amazighité, qu’elle soit considérée comme langue,culture et identité ou qu’elle soit vue comme un discours idéologique et un mouvement culturel.Toutes ces prises de position ont été élaborées dans le cadre de cette conception.

Puisque l’unité de la Communauté ne peut être réalisée que sur la base d’une référence religieuseunique et qu’à l’origine ce système fut fondé sur le texte coranique, qui est un texte écrit dansune langue arabe claire, il devient indispensable que tous les musulmans aient une seule langueafin d’assurer leur unité spirituelle puis politique. Ce qui nécessite la suprématie de la langue duCoran chez tous les peuples musulmans et cela peut se réaliser par l’arabisation progressive de cespeuples (qui ne se sont pas arabisés le long des quatorze siècles derniers.) Toutefois, ce vaste projetd’arabisation va être difficile si l’on commence à donner de l’importance aux langues originelles deces peuples pour qui l’arabe n’est pas la langue maternelle. A partir de là, tamazight qui est unede ces langues d’origine, devient une "coépouse" rivale de la langue arabe qui pourrait devenir,dans le cas où on lui donnerait le moindre intérêt au niveau institutionnel, un obstacle certain pourla renaissance de la langue coranique et pour le projet islamiste en entier. Ce qui rend tout travailen faveur du tamazight une exécution naïve de plans colonialistes pour qui faire échouer le projetislamiste est une préoccupation de premier ordre. Ceci est la conception générale de l’amazighitéchez les islamistes marocains et ils la partagent malgré leurs divergences politiques. Elle se basesur de nombreux préjugés qui ont besoin d’une analyse critique réfléchie.

Avant de traiter la problématique qui constitue l’objet principal de cet ouvrage, à savoir laquestion linguistique amazighe, nous voudrions vérifier le degré de validité des arguments desislamistes en ce qui concerne le système unique et l’unité de la Communauté, et mettre en lumière

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L’Absolu et le Relatif L’amazighité dans le discours de l’Islam politique

la véritable lutte entre la religion et la laïcité ainsi que les causes du sous-développement despays musulmans : Y avait-il eu véritablement un système de référence unique et uniforme chez lesmusulmans, au tout début, sur lequel s’était fondée leur civilisation et qui leur avait permis defaire leur entrée dans l’histoire ?

Cette prétendue unicité du système de référence avait-elle vraiment conduit à l’unité de la com-munauté musulmane ? Puis, peut-on considérer l’unité du système de référence, quel qu’il soit,comme un facteur de renaissance et de progrès ou comme un facteur de décadence et du sous-développement ?

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La religion et l’unité de la Communauté

L’expression "civilisation musulmane" ou "pensée musulmane" n’a pas une signification reli-gieuse pure. Comme la civilisation musulmane comporte des éléments contradictoires, la penséemusulmane se compose également d’un vaste complexe de domaines intellectuels et de spéculationqui diffèrent par leurs méthodes et leurs origines (des sciences religieuses jusqu’au soufisme, puisla littérature et les divers arts exprimés dans diverses langues des peuples musulmans.) L’existenced’un "esprit religieux" généralisé dans le domaine culturel musulman ne signifie pas que la religionavait constitué dans le passé un repère unique dans les lignes de conduite, dans la pensée etdans l’action. Si les islamistes écartent de leurs champs d’intérêts tous les éléments qu’ils jugentincompatibles avec la référence religieuse pure, la nécessité politique et tactique, elle, les obligent,la plupart du temps, à reconnaître la diversité de la civilisation musulmane.6 Ce qui redonne del’intérêt aux systèmes nombreux avec lesquels ils se sont durement battus dès le début.

Ce qui est hors de doute est le fait que l’histoire musulmane n’avait pas débuté sous la formed’une harmonie absolue. Au contraire, elle avait démarré, et même après l’expansion de la religion,avec des guerres fratricides et des discordes graves entre les musulmans à cause des différends dusaux bouleversements survenus dans la vie ancienne des Arabes, à cause de la nouvelle religion,notamment le problème des privilèges de certaines couches sociales et de certaines tribus ainsi queles problèmes du pouvoir et du gouvernement, ce qui s’appelle dans les livres d’histoire musulmanela "Grande Discorde".

Le Prophète avait eu une autorité spirituelle dont l’origine est la Révélation et une autoritétemporelle qui est la conséquence de ses succès militaires qui n’ont pas été accomplis en dehorsdes calculs de l’esprit de clan tribal.7 Néanmoins, après la phrase d’Abou Bekr : «Gens, ceuxqui rendent un culte à Muhammad savent que Muhammad est mort», les Arabes musulmans sesont aperçus qu’ils devaient choisir un "successeur" du Prophète. Cependant, où ce "successeur"

6Cela s’est passé par exemple pendant le premier Congrès national islamique qui s’est déroulé à Beyrouth (Octobre1994) au moment où les islamistes avaient présenté, par considération à l’existence des nationalistes laïcs et deschrétiens [dans le monde arabe], un document de travail dont lequel il a été dit : «Cette acception de la rencontre arabo-musulmane aide à éclaircir une chose importante qui est qu’un arabe quel que soit son appartenance intellectuelleou sa croyance religieuse ne peut pas se défaire de sa fierté d’appartenir à la civilisation musulmane.» in Revue deAl-Mustaqbal Al-’Arabî, No 189, 1995.

7Il est bien établi dans la Sîra d’Ibn Hishâm [une biographie du Prophète] que le Prophète se proposa à plusieurstribus contre ses contribules de Quraysh et ils refusèrent sachant qu’à la fin, le pouvoir reviendrait à la tribu duProphète et «le Prophète et Abou Bekr dans leur négociations avec les tribus posaient des questions du genre.«Combien comptez-vous dans vos rangs ?», «Quel est le degré de votre force ?», «Comment la guerre se déroule-t-elleentre vous et vos ennemis ?» in ’An Al-’Aql Al-’Arabî, Muhaddadâtuhu wa Tajaliyyâtuhu , Mohamed Âbid Al-Jâbirî,Le Centre Culturel Arabe, 1990. p.93. Une citation de Rawd Al-Anf li s-Sahîlî dans l’interprétation de la Sîrâ d’IbnHishâm.

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épuiserait-il la même autorité spirituelle que celle du Prophète ? Par conséquent, il était devenuindispensable de désigner l’un des compagnons les plus proches du Prophète, et qui soit respectépar tout le monde, pour la prise en charge des affaires. Toutefois, les compagnons du Prophètefaisaient parti de tribus et de clans divers. Ils étaient parmi les migrants et les médinois, parmi lesqurayshites et les non-qurayshites. Et après une altercation verbale qui a failli tourner à la bagarreau hangar des Banou Sa’îda, les migrants avaient décidé qu’il soit choisi parmi eux "umarâ" (lesprinces) et parmi les médinois les "wuzarâ" (les ministres). Ceci veut dire la continuité du pouvoircalifal dans les mains de Quraysh, la tribu du Prophète, et c’est ainsi qu’une base tribale a été à lasource de la discorde future.

Si la plupart des personnes présentes, à l’époque, dans la réunion du hangar, se sont tues àcontrecœur lorsque Omar Ibn Al-Khattab posa sa main sur son épée pour trancher le débat etqu’il avait élu Abou Bekr -dont on disait que le Prophète l’avait choisi avant sa mort pour dirigerla prière collective, ce que Quraysh avait considéré comme une désignation à sa succession etque d’autres avaient nié-, si ces personnes se sont tues, la lutte n’avait pas tardé à s’éclater sousdifférentes formes, à divers niveaux et après quelques années seulement.8

La discorde avait débuté au moment où de nombreuses tribus avaient refusé de payer le zakat(l’import religieux) à Abou Bekr parce qu’elles avaient considéré cela comme du raquette deQuraysh au nom de la religion et du califat et elles avaient considéré que le zakat était pourla personne même du Prophète. Par contre, le calife avait pris cela pour une apostasie parceque ces tribus avaient manqué un des cinq piliers de l’Islam, à savoir le zakat, en dépit du faitqu’ils sont musulmans et qu’ils accomplissent le reste des piliers. Il y avait d’autres qui se sontattaqué à l’autorité religieuse de Quraysh -qui avait profité de l’affiliation du Prophète à sa tribu9-en s’inventant une autorité religieuse. En effet, il était apparu de "nouveaux prophètes" quiavaient tenté d’enlever certains privilèges aux qurayshites.10 Cependant, ils n’avaient pas réussil’affrontement avec l’armée musulmane dirigée par un commandant chevronné, à savoir Khaled IbnAl-Walid, qui en avait fini avec la rébellion avec beaucoup de sévérité.

Le premier calife Abou Bekr n’avait pas omis de désigner quelqu’un à sa succession en laissant

8Pour plus de détails voir le deuxième tome de l’Histoire de Tabari (Mohamed Ibn Jarîr).9Tabari cite que pendant la réunion qui a eu lieu dans le Hangar de Saqîfa au moment où les médinois avaient

plaidé pour la nomination de Sa’id Ibn ’Ubâda [comme successeur du Prophète], Omar Ibn Al-Khattab avait dit :«Qui pourrait nous disputer le pouvoir et l’autorité [hérités] de Mohammad alors que nous sommes sa famille et sesproches parents.» Ibid. p.220

10Il est dit dans la Sîrâ d’Ibn Hishâm que Musaylima Ibn Habib connu sous le nom du "grand menteur" avait adresséune lettre au Prophète dans laquelle il écrivit : «De Maslama, messager d’Allah, à Mohammad messager d’Allah, quela paix soit sur toi. Après ce préambule, je te signale que nous partageons cette affaire [de prophétie] avec toi. Nousprenons la moitié du globe et Quraysh prend la moitié, mais les qurayshites sont des gens qui empiètent.», Tome 4,p.600, édition de Dâr Al-Fikr. Khaled Ibn Al-Walîd avait écrasé Musaylima et ses partisans pendant le califat d’AbouBekr.

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un testament écrit dans lequel il avait choisi Omar Ibn Al-Khattab, qui l’avait nommé à son tourauparavant. Il avait ainsi perpétué le califat dans la tribu de Quraysh et avait coupé toute issue àquiconque, parmi les Arabes, aurait pu mettre de nouveau le pouvoir en question. Il est peut-êtrecontrastant que le deuxième calife soit assassiné à son insu par un coup de poignard, lui qui estconnu pour sa justice. Son meurtrier était un non-Arabe qui s’était plaint à lui de l’injusticed’Al-Mughîra Ibn Shu’ba (un Arabe) et «après enquête, il ne l’avait pas blâmé [le coupable]»et «il ne lui avait pas rendu justice [à la victime].»11 Alors il l’avait poignardé pendant qu’ils’apprêtait à la prière. Les historiens musulmans n’avaient pas donné une grande importance àl’assassinat d’Omar ni aux causes de son meurtre ; ils avaient sans doute pris le problème pour uncas individuel. L’image de "l’époque omarienne", exemplaire pour sa justice l’avait emporté surtous les défauts et les contradictions qui la gâtaient. Cependant la vérité historique telle que lestextes transmis la reflètent est que cet incident est la preuve que la colère individuelle et collectives’était de plus en plus accrue à cause de la concentration progressive du pouvoir et du prestigeentre les mains des qurayshites contre le reste des Arabes et entre les mains des Arabes contre lereste des musulmans.

Les données ci-dessus, qui ont été rapportées par les livres majeures de l’histoire musulmane,permettent de se rendre compte que l’établissement du pouvoir politique en Islam n’a pas été faitsur la base de la seule religion. Le facteur religieux était sans doute présent, cependant il n’étaitpas le seul et peut-être il n’était pas non plus le plus important. Les médinois avaient présentéun argument religieux en apparence qui justifiaient qu’ils étaient les successeurs légitimes duProphètes, à savoir, qu’ils l’avaient soutenu au moment où ses propres contribules l’avaient rejetéet que c’était grâce à eux que les "Arabes sont devenus musulmans". Mais les migrants de Qurayshavaient présenté un autre argument qui est qu’ils étaient la "famille et les proches" du Prophète.Les qurayshites avaient imposé leur volonté pour asseoir le califat sur des bases sectaires avantla base religieuse. Ceci s’apparente à la formule qui consiste à utiliser la religion comme cadrespirituel au service de l’esprit de clan et non contre lui, comme porte à croire ceux qui partent destextes religieux sans analyser les faits qui les contredisent.

Cela allait apparaître de plus en plus clairement après la période des deux premiers califes AbouBekr et Omar. Ces deux derniers avaient fait des efforts afin d’éviter de faire sentir aux autrestribus arabes que le pouvoir temporel était aux mains de Quraysh. Omar était le plus conscientdu danger que cela représentait pour l’État califal et pour cela il avait interdit aux notablesqurayshites et aux compagnons riches du Prophète de quitter Médine sans son autorisation puisil disait : «Voyons ! Les qurayshites veulent prendre les biens de Dieu [l’argent public] pour lesleurs à l’exclusion des autres. Voyons ! Tant qu’Ibn Al-Khattab est en vie, non !»12 Il voulait direpar-là le refus de l’esprit de clan qui conduit les gens au pouvoir à profiter de l’argent public, ce

11Taha Husayn, Al-Fitnatu Al-Kubrâ, p.665, Dâr Al-’Ilm Al-Malayin, Beyrouth.12Taha Husayn, Ibid. p.10.

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qui allait se produire dans les faits pendant que le troisième calife Othman Ibn ’Affan était en place.

Othman s’était empressé, après moins d’un an de sa nomination au califat, de destituer lesgouverneurs qui avaient été nommés par Omar et de désigner certains jeunes qurayshites de lafamille des Banou Omayya [Omayyades], ses proches parents. En dépit du fait que ces jeuneinexpérimentés sont parmi la jeunesse pour laquelle les préceptes de la nouvelle religion n’avaientaucune influence sur leur conduite, ils avaient ainsi donné une image claire de la "réalité politique"de l’État califal naissant. Ils avaient également poussé les événements très rapidement vers unerévolution violente.13 Le document suivant montre avec profondeur le degré de la colère des gens :

«Al-Ashtar avait écrit à Othman en disant : De Mâlik Ibn Al-Hârith, au calife réprouvé, fautif,qui est écarté de l’Exemple du Prophète, qui s’oppose à l’application des verdicts de la loi divine.Après ce préambule, nous avons bien lu ton courrier, nous te conseillons toi et tes gouverneursde cesser l’oppression, l’injustice et le profit des gens de bien et nous te promettons obéissance etsoumission. Tu prétends que nous avons tort mais ce n’est là que ton avis et ta déroute qui t’a faitvoir l’iniquité comme une justice et le faux comme la vérité. Ce que nous aimerions que tu fasseest de te repentir auprès de Dieu de ce que tu fait profiter tes amis et de profiter des gens du bien.Mettre à la tête de notre Égypte Abd Allah Ibn Qays Al-Asha’ari nous l’avons accepté. Par contre,arrête ton Walîd et ton Sa’id et ceux que tu aimes de tes proches, si Dieu le veut et aurevoir.»14

«Ton Walid» et «ton Sa’id» ce sont Al-Walîd Ibn ’Uqba que Othman avait mis à la tête deKûfa et qui dirigeait la prière collective alors qu’il était en état d’ivresse et Sa’id Ibn Al-’Âs quidisait aux gens de l’Iraq alors qu’il était son gouverneur : «s-Sâwad est un champ de Quraysh» et«s-Sawad» voulait dire les palmiers de l’Iraq et son agriculture.

En outre, le troisième calife ne trouvait aucune difficulté à offrir de l’argent public aux notablesde Quraysh et «la rumeur s’est répandue» puis la discorde s’était éclatée. Ce qui retient l’attentionà cette étape est la manière dont Othman avait répondu à ses adversaires. D’une part, «moi, jedonne à mes proches pour la face de Dieu» et d’autre part, il avait répondu aux insurgés qui luiréclamaient sa démission : «Par Dieu, j’aurais aimé me présenter pour me faire tuer à la place de

13Dans le livre Al-Imâma wa s-Siyâsa de Ibn Qutayba il est dit en ce qui concerne la révolte des gens contre Othman,que ces gens accusaient celui-ci de sept choses : «Offrir le cinquième [du butin] de l’Afrique du Nord à Marwân alorsque Dieu, son Prophète et les musulmans avaient leur part là-dedans, et parmi eux les proches parents, les orphelins etles pauvres (. . .) L’exagération dans les constructions et ils comptèrent sept maisons qu’il avait construite à Médine.Attribuer les postes et les fonctions gouvernementales à ses proches parents, les Banou Omayya (. . .) Manquer àl’application des lois coraniques à l’encontre de son gouverneur Al-Walid Ibn Uqba de Kûfa qui dirigeait la prièrecollective alors qu’il était ivre. Ne pas consulter les Mekkois et les Médinois ni faire appel à leur service et se contenterde son propre avis même s’ils donnaient le leur. Offrir en abondance terres, fonctions, cadeaux à des gens de Médinequi n’avaient connu le Prophète que de loin et qui n’avaient pas participé aux expéditions ni à la défense. Puis il estle premier à avoir fouetté les gens au dos.»

14Taha Husayn, Ibid. p.758. Une citation de "Ansâb Al-Ashrâf" d’Al-Baladhiri.

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renoncer à un pouvoir que Dieu a mis entre mes mains.»15

Le lecteur peut constater aisément que le mot "Dieu" se retrouve dans les deux phrases.Le premier terme fut utilisé pour justifier la mauvaise gestion des fonds publics (l’argent desmusulmans) et le second mot est utilisé pour justifier l’attachement au pouvoir et le refus de sedésister de l’autorité temporelle. Ce qui signifie que la ligne de conduite politique basée sur lescoutumes tribales (préislamiques) s’accomplissait grâce à l’appui de la croyance religieuse.

Il y a avait donc là une conduite et un discours idéologique incompatibles. Une conduite quel’histoire démêle et un discours idéologique que les textes de l’Islam officiel reflètent et c’estparce que les islamistes se contentent des textes et du discours, et mettent de côté -en touteconscience- l’histoire que l’harmonie totale et l’unité du système leur apparaissent.16 Cela sejustifie facilement par la comparaison entre la conduite du calife et sa correspondance avec sesgouverneurs. Au moment où ses instructions suscitent la colère des tribus arabes, sa correspon-dance regorge des appels à la "crainte de Dieu" et "à suivre et s’inspirer" de la conduite du Prophète.

Ce double comportement continuera dans la vie politique des musulmans jusqu’à aujourd’hui.Un comportement et une pratique commandés par les intérêts et dirigés par la sagacité dupouvoir temporel. Et un discours religieux qui néglige les actes et permet de les légitimer enleur donnant un caractère spirituel et sacré pour la consommation populaire. C’était ainsi aussipendant l’époque où gouvernait le quatrième calife Ali Ibn Abi Taleb qui n’avait pas acceptéde bon cœur, dès le début, l’autorité aristocratique de Quraysh du côté des Banou Omayya. Ilcroyait que le pouvoir après le décès du Prophète devrait revenir aux "proches du Prophète" :les Banou Hashim et lorsqu’il refusa de reconnaître Abou Bekr comme calife il argumenta ainsi :«Ô vous les migrants, n’allez pas mettre le pouvoir et l’autorité de Muhammad entre les mainsdes non-Arabes, hors de sa maisonnée et n’écartez pas sa famille de ses droits et de son rangd’entre les gens. Par Allah, ô les migrants, nous sommes les plus ayant droits parmi tous les gensparce que nous sommes sa famille. Nous sommes plus dignes de cette affaire [le pouvoir] que vous.»17

C’est parce que l’autorité des Banou Omayya s’était consolidée dans de nombreuses régions danslesquelles ils avaient occupé des postes sensibles, surtout en Égypte et en Mésopotamie, qu’Ali nepouvait pas régner sur tout le monde après avoir été nommé par une partie seulement. Il avaitégalement à affronter la vengeance de l’une des épouses du Prophète, ’Aïcha, la mère des croyants,alliée à deux des grands compagnons du Prophète, à savoir, Talha et Zubayr (qui étaient très

15Tabari, p.371.16Les islamistes n’aiment pas l’histoire et s’en débarrassent souvent en la considérant comme des inventions des

Orientalistes. Je me souviens d’un islamiste qui n’aimait pas discuter des événements de cette époque, alors il avaitnié complètement et lorsque je lui ai demandé une raison, il avait répondu : «Il est inconcevable que Othman qui estl’une des "deux lumières" et à qui le "Paradis est promis" fasse de telles choses.»

17Ibn Qutayba, Al-Imâma wa s-Siyâsa. p. 12.

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riches.) Les deux batailles "Saffin" et "Al-Jamal" avaient déplacé le combat d’une "guerre froide"à une discorde éclatante entre les différents clans et tribus où chacun se ralliait au côté qui luiassurait ses intérêts politiques et économiques, et une position sensible dans l’État qui devenaitclairement, de jour en jour, un "État qurayshite".

Les Banou Omayya avaient réussi à finir le combat à leur profit après le meurtre d’Ali - quiavait été assassiné par l’un des séparatistes de son clan - et ils avaient fondé un État sur lesectarisme tribal explicite et déclaré. Malgré cela, ils n’avaient pas oublié la religion dont ils usaientcomme mécanisme idéologique pour la sauvegarde du pouvoir spirituel après avoir bien établi lepouvoir temporel. C’est ainsi que la répression d’une rare atrocité commandée par des militairesimpitoyables et opportunistes (Zyad Ibn Abîh et ’Amrû Ibn Al-’âs) pour lesquels le sentimentcoercitif religieux n’est absolument pas présent dans leurs actes.18 La répression de toutes lesrévoltes n’avait pas suffi aux Omayyades et ils avaient utilisé dans leurs discours et leurs écrits-comme pendant l’époque califale- quelques références à la religion. Mu’âwiya Ibn Abi Sufyan avaitdonné un discours en public après avoir entendu des gens dire : «Il y aura un roi sec.», c’est-à-direque le pouvoir sera à un parti de droite : «Après ce préambule, il m’est parvenu que certains d’entrevous disent des choses qui ne sont pas dans le Coran ni dans les actes et les dires du Prophète,que la prière et le salut soient sur lui. Ceux qui ont dit cela sont les ignorants parmi vous. Je vousmets en garde contre des aspirations qui sont susceptibles de vous égarer. J’ai entendu le Prophètedire : "Cette affaire [le pouvoir] restera entre les mains des qurayshites et quiconque les conteste,tant qu’ils accomplissent les préceptes religieux, Dieu le jettera en Enfer la tête la première".»19

C’est de cette manière, dès cette époque, que les bases dogmatiques du pouvoir politique ontété établies. Des siècles plus tard, des théologiens, qui avaient contribué à l’étape de fixation parécrit et à l’éclosion de la théorie du "califat" et de "l’imamat", les avaient théorisées. L’époquedes quatre premiers califes, et l’époque juste après, constitue l’étape fondatrice à de nombreuxconcepts et principes. Le concept du sectarisme tribal qurayshite quant à lui avait une influencesur les productions des oulémas dans tous les domaines pendant les époques ultérieures : dansle domaine des hadiths où un nombre considérable d’informations apocryphes qui chantent leslouanges de Quraysh, sa prééminence et sa prise du pouvoir, était inséré ;20 dans les chroniques,les généalogies et la littérature où s’étaient formé les traits d’une personnalité arabe "illustre" et"excellente" dont le pivot était Quraysh. Tout cela nous permettra de comprendre de nombreux

18Une preuve est par exemple la manière dont a été réprimée la révolte d’Ibn z-Zubayr et qui avait conduit à ladévastation de la Kaaba qui avait été frappée par une catapulte lors du blocus de la Mecque.

19Sahih Al-Boukhari, volume 4, p.701, Dar Al-Qalam, Beyrouth, 1987.20Dans Sahih Al-Bukhâri il est dit : «Cette affaire [le pouvoir politique] restera aux mains des qurayshites tant

qu’il y en aura au moins deux.» En outre, l’expression «les imams sont de Quraysh» se retrouve de nombreuse foisdans les livres des oulémas. Dans Sahîh Muslim on trouve :«Les gens doivent suivre Quraysh dans le bien commedans le mal.» Et dans Musnad Al-Imâm Ahmed : «L’homme de Quraysh a la force de deux hommes qui ne sont pasqurayshites.»

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événements qui eurent lieu un siècle après l’hégire, ainsi que ce qui se déroule dans les milieuxislamistes notamment en ce qui concerne "l’origine ethnique noble", la "sacralité de la languearabe" et l’infériorité des autres langues.

Alors que le premier siècle de l’hégire -des débuts de l’Islam jusqu’à la moitié de la dynastieOmeyyade- avait connu une lutte arabo-arabe, entre Quraysh et le reste des Arabes, l’expansionde l’empire omayyade avait rallié différents peuples et différentes races dans le cadre de la"communauté musulmane" et les avait soumis, à cette époque, à l’autorité de l’État qurayshite. Cechangement avait donné naissance à une nouvelle lutte sans précédent, une lutte qui se rattacheétroitement aux problèmes contemporains, en particulier le tamazight. Cette lutte est la lutteentre les "Arabes et les non-Arabes" ou la lutte "arabophobe" qui revêtit de nombreux aspects,politiques, culturelles et intellectuels.

Le point de départ politique des conquêtes musulmanes était la "supériorité des Arabes sur lesnon-Arabes" par lequel les Arabes se donnaient une "paternité" spirituelle sur les autres peuples.Ce qu’ils avaient traduit de point de vue politique en monopolisant le pouvoir.21 De point de vueéconomique, en accaparant le "butin", les impôts et les esclaves de tous les pays qu’ils avaientconquis.22 De point de vue social en considérant la "filiation" arabe à la base des différences socialeset de la noblesse, et la "race arabe" en tant que le mâle "étalon" qui fécond les jeunes esclavesperses, turques, berbères, nègres et byzantines et crée une situation d’infériorité aux métisses.23

De point de vue culturel, en considérant la langue et la culture arabes comme étant la base del’excellence et de l’ascension sociale. En effet, la langue arabe était devenue la langue officielle del’État califal et la langue de l’administration dans les différentes provinces et contrées. Ce qui aconduit les Arabes à considérer leur langue comme un modèle de rhétorique, de l’éloquence etde l’esthétique en comparaison avec les langues "non-Arabes", c’est-à-dire le vague et le manqued’éloquence qui caractérisent les langues des autres peuples (par rapport aux Arabes.)

Cette supériorité militaire et politique arabe sur les autres peuples avait joué un rôle majeurdans le recul des luttes intestines entre Quraysh et le reste des Arabes lorsque les revenusconsidérables, obtenus par les razzias, les avaient détourné afin d’assurer leur gestion. C’était

21«Lorsqu’ils [les Omeyyades] choisissaient un gouverneur, ils tenaient à ce qu’il soit arabe, lorsqu’ils choisissaientun juge ou un imam pour diriger la prière collective, ils faisaient de même.»

22«Abou Shu’ayb s-Sadafî a dit : "Le nombre de jeunes femmes captives de Musa Ibn Nusayr est sans précédent enIslam."» Et le chroniqueur Abou Ishâq Ibrahîm Ibn Al-Qâsim Al-Qarawi connu sous le nom d’Ibn r-Raqîq rapporteque lorsque Musa Ibn Nusayr avait conquis Suquma, il avait écrit à Al-Walîd Ibn Abd Al-Malik que cent têtes dejeunes femmes captives lui revenaient ; et Al-Walîd lui répondit : «Malheur à toi ! A ce que je vois, c’est un de tespetits mensonges, et si tu dis vrai, ce sera le point centripète de la communauté.» Ahmad Ibn Khaled Al-Nasiri,Al-Istiqsâ, p.96, Dar Al-Kitâb, 1954.

23Les Arabes méprisent la communauté des métisses et nommaient le fils de l’esclave dont le père est un Arabe,"hijjin". Dans le dictionnaire "Lisân Al-’Arab" : «"Hajnatu" ce qui est vicieux dans le langage et "hijjin" : personnearabe, fils d’une esclave parce qu’il est dénigré.» Ahmed Amin, Duhâ Al-Islam, p.25, Maktabat n-Nahda Al-Misriyya.

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une idée qui les avait séduit dès l’époque de Omar, le deuxième calife, qui avait dit après avoirconstaté la réussite des conquêtes : «Il est vélin qu’un Arabe prend pour esclave un autre Arabemaintenant que Dieu nous a ouvert les pays non-Arabes.»24 Autrement dit, il est préférable queles Arabes gouvernent les non-Arabes au lieu de se quereller entre eux pour le pouvoir et lesprérogatives matériels. C’est pour cela que tous ceux qui se révoltèrent contre Abou Bekr etavaient refusé de payer le zakat à Quraysh furent dirigés sur le front de la guerre, ce qui leuravait permis l’acquisition des avantages qu’ils voyaient comme étant la seule propriété de Quraysh.Évidemment, cet arrangement s’était réalisé au détriment des "non-Arabes". Les livres d’histoireet de littérature regorgent de textes copieux sur la lutte arabophobe qui traduit le refus et larésistance des non-Arabes à l’autorité arabe.25 Cette lutte avait pris, d’un côté comme de l’autre-en plus de l’affrontement militaire direct- des aspects culturels, intellectuels et littéraires. Ainsi,après avoir inventé, au début de l’Islam, des hadiths attribués au Prophète, pour mettre enévidence la supériorité de Quraysh et de sa noblesse, les Arabes s’étaient mis à en ajouter d’autrespour souligner la "supériorité des Arabes" et le devoir de les aimer. Par exemple, on attributau Prophète : «Quiconque fraude les Arabes, ne sera pas touché par mon intersession ni par magrâce» et «Aimez les Arabes pour trois raisons : parce que je suis Arabe, parce le Coran est enlangue arabe et parce que l’arabe sera la langue parlée par les élus au Paradis.» Les musulmansnon-Arabes rétorquèrent à ces "hadiths" en en inventant d’autres qui soulignaient la "supérioritédes Perses" et ils avaient écrits une multitude de vers de poésie pour se moquer des Arabes et dela vie nomade, et se flatter des rois perses, d’avant l’Islam, de leur civilisation et de leurs généalogies.

Cette lutte n’avait pas tardé à ébranler l’Etat qurayshite omeyyade qui s’était effondré sousles coups des clients perses après avoir été affaibli par les diverses dissensions et guerres dans denombreuses régions du vaste empire. Nous invoquons ici uniquement la lutte entre les Arabes etles "Berbères" dans l’Occident musulman, ou ce qui se nommait à l’époque le "pays berbère",et c’est le combat qui permet de voir une fois de plus que la dernière chose qu’on évoque dansla conduite et la pratique c’est la religion, même si elle est le premier appui du discours et des slogans.

Les Arabes se sont dirigés vers l’Afrique du Nord pour la conquérir et le slogan était religieux :«Rendre la parole de Dieu la plus haute», cependant les événements montreront que l’objectifne dépassait pas la conquête de nouvelles terres, la réduction à l’esclavage de leurs habitantset le pillage de leurs richesses, c’est-à-dire «rendre la parole des Arabes la plus haute.» Leshistoriens justifiaient l’énormité de la fortune accaparée par Abd Allah Ibn Abi-Sarh, du faitque la part du fantassin dans le butin était de mille dirhams et celle du cavalier de trois milles,

24Muhammad Âbid Al-Jâbiri, Al-’Aql s-Siyyassi Al-’Arabi, p.164.25Le terme «arabophobie» comporte le sens de ce refus : il est dit dans Al-Uqad Al-Farîd d’Ibn Abd Rabbih :

«L’arabophobie est un groupe de gens qui ne font pas de différence entre les Arabes et les non-Arabes.» Et dansle dictionnaire "Lisân Al-’Arab" il est dit : «l’arabophobe est celui qui réduit l’importance des Arabes et ne leurattribue aucune préférence par rapport aux non-Arabes.» et Ahmed Amin dit : «Elle [l’Arabophobie] est en réalitéune sorte de démocratie qui combat l’aristocratie arabe.», Duhâ Al-Islâm, p.58.

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par le fait qu’«il avait fait perde sa virginité à l’Afrique du Nord» d’après l’expression de Ibn’Udharî Al-Murrâkushî.26 Et il était devenu indispensable aux gouverneurs arabes d’amasser le plusd’esclaves et d’argent possible afin de «conserver leur postes et ne pas paraître négligeants enversles califes. Ce qui les avait conduit à beaucoup de répression et d’injustice afin d’y parvenir.»27

Cette situation totalement contradictoire avec le discours religieux des Arabes musulmans avaitconduit à la persistance de la résistance amazighe même après leur islamisation. "Prélever lecinquième des biens des Berbères" avait continué sans absolument tenir compte d’aucun préceptereligieux de sorte que les commandants arabes considéraient «les Berbères dans leur totalité, qu’ilsaient combattu ou qu’ils n’aient pas résisté, comme un butin. On prélevait le cinquième des terres,du bétail et de l’argent pour le trésor public. Ce qui a conduit à l’énormité de la contribution del’Afrique [du Nord] au trésor public, chose qui avait alimenté chez les Orientaux [musulmans] larumeur que ce pays est le plus riche du monde.»28

La protestation des Imazighen contre les gouverneurs s’était rapidement transformée en unerévolution violente qui s’étendit à l’ensemble du règne omayyade. Ils refusèrent leur obéissance aucalife et nommèrent calife leur chef Maysara Al-Matgharî. Ce qui montre qu’Imazighen acceptèrentl’Islam en tant que religion et le refusèrent en tant qu’idéologie politique des Arabes de Quraysh.Lorsque Hishâm Ibn Abd Al-Malik avait appris la défaite des Arabes contre les "Berbères", il avaitdit : «Par Allah, je vais entrer dans une colère arabe et je vais leur envoyer une armée dont l’undes bouts sera chez eux et l’autre chez moi.»29

Le calife des musulmans (le successeur du Prophète ou le représentant de Dieu sur terre) nes’était pas mis dans une colère musulmane parce que les combattants de cette guerre étaient tousmusulmans, mais il s’était mis dans une colère au profit des Arabes et de leur hégémonie qui leura été arrachée.

Toutefois, cette fonction de la religion islamique au service du racisme manifeste s’était totale-ment accomplie dans la lutte en Andalousie : il est bien connu que la conquête de l’Andalousies’était accomplie sous le commandement de Tarik Ibn Zyad, un amazigh, accompagné de douzemilles amazighs de la région de Ghummara Jebala, les Arabes n’étant pas venus en grandnombre en Andalousie qu’après la conquête. Les armées de Tarik Ibn Zyad se sont infiltrées trèsloin dans le pays espagnol. Les Arabes étaient venu avec Musâ Ibn Nusayr qui attendit avecbeaucoup de patience le résultat de la conquête afin de se jeter sur ses avantages. C’est ce qu’avaitmontré un chercheur lorsqu’il a dit : «La bataille a été gagnée par les Berbères résidants dansla péninsule et Musâ et les Arabes n’avaient fait que cueillir les fruits de la victoire. . . Et les

26Ibn ’Udharî Al-Murrâkushi, Al-Bayân Al-Maghrib fi Akhbâr Al-Andalus wa Al-Maghrib, Revu par Lévy-Provençalet Collins, 5ime édition, Dâr th-Thaqâfa, Beyrouth, p.12.

27Dr. Ahmed Badr, Dirâsât fi Târikh Al-Andalus wa Hadâratihâ, p.45.28Dr. Ahmed Badr, Dirâsât fi Târikh Al-Andalus wa Hadâratihâ, p.44.29Ibn ’Udharî, Ibid. p.54.

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Arabes s’approprièrent la belle et fertile Andalousie et éloignèrent les Berbères vers le Nord dansles régions arides.»30 Les Arabes ne voyaient donc pas les conquêtes comme un acte "islamique"et une guerre sainte, mais comme une invasion arabe, qui ne se contente pas de la diffusionde la religion, mais qui s’approprie les biens et les esclaves en plus du pouvoir politique. Celaavait conduit à des guerres entre eux et Imazighen d’Andalousie qui avaient exposé ces derniers àde grandes épreuves par suite de quoi la plupart d’entre eux rentrèrent au Maroc, leur pays d’origine.

Le texte suivant, un texte de l’un des anciens historiens espagnols que Dozy rapporta, exprimebien cela : «Le prince d’Andalousie infligea un châtiment exemplaire aux Marocains qui vinrenten nombre en Espagne et les châtia sévèrement, parce qu’ils cachèrent des trésors d’argent, en lesjetant, liés par des chaînes en acier, dans des prisons cruelles au milieu des vers et des poux. Puisil les torturait au fouet en aggravant de plus en plus la punition et les mauvais traitements. Laréaction à ces mauvais traitements se manifesta au Nord par une petite insurrection locale, connuesous le nom de Munusah.»31

D’innombrables événements relatés par les historiens montrent que le mobile des Arabes dansles "conquêtes" ne fut pas religieux. Les conquêtes se faisaient avec une mentalité préislamiqueet les préceptes de l’Islam n’étaient point à la source de l’inspiration en Afrique du Nord, oùde nombreuses atrocités ont été commises sous l’impulsion de la fureur et du sectarisme tribal,ni en Andalousie, puisque les Arabes ne prenaient même pas en considération la loi coraniquedans la distribution du butin et Ibn Hazm, comme tant d’autres, a expliqué qu’«en Andalousiela distribution du butin en cinq parts, comme le faisait le Prophète dans ses conquêtes, n’a pasété adoptée. En outre, la paix et la tranquillité n’étaient pas assurées parmi tous les musulmansconvertis comme le faisaient Omar, que Dieu le bénisse, dans ses expéditions. La loi qui régna futque chacun prenait ce qui lui tombait sous la main.» De cette façon illicite, les Arabes se sontaccaparé les terres et les biens en refoulant les "Berbères" vers le Nord et vers le Maroc au Sud.L’histoire qui suit montre que les Arabes venus en Andalousie, après avoir été conquise, ne faisaientpas cela par simple avidité de richesse et de propriétés mais par racisme ; l’histoire a été rapportéepar le Ibn Al-Qutya qui l’avait lui-même rapportée de s-Sumayl Ibn Hatim le commandant destribus arabes Al-Qusya en Andalousie qui décrivait qu’«il prenait la religion à la légère et buvaitdu vin. Néanmoins, il était fier de son arabité. Une fois, il avait entendu un instructeur, qui faisaitapprendre le Coran aux enfants, dire : «Ainsi faisons-Nous alterner les jours (bons et mauvais)parmi les gens.»32 Il interpella l’instructeur pour lui dire que ce n’était pas ainsi, mais plutôt :«Ainsi faisons-Nous alterner les jours (bons et mauvais) parmi les Arabes.» Lorsque l’instructeuravait répondu que le verset coranique a été ainsi révélé, il rétorqua : «Par Allah, à ce que je vois,nous allons devoir nous associer dans cette affaire à des esclaves, des ignobles et des viles.»33

30Dozy, Târikh Ispâniyâ Al-Islâmiyya, Traduction arabe, p.156.31Dozy, Ibid. P.157, rapporté d’Iziburr Al-Bâji.32trd. Cette phrase est un verset coranique : (III, 140)33Abou Bakr Ibn Al-Qûtiyya, Târikh Iftitâh Al-Andalus, Revu par Abd Allah Anîs t-Tabâ’, Beyrouth, 1957, p.63.

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Le livre "Recueil des chroniques" exprime la même idée dans un passage quand il dit que : «HafsIbn Maymun (qui est un berbère) s’était flatté de l’avantage de Masmuda [sa tribu] sur les Arabes,devant Ghalib Ibn Tamâm (de la tribu de Thaqif) et celui-ci l’avait mortellement blessé avec sonépée et le prince n’avait émis aucun désaveux.»34 Il voulait dire par le "prince", Abd r-Rahmand-Dakhil qui avait assisté à cet incident dans sa cours et il n’avait ni protesté ni usé de représaillescontre l’oppresseur et avait ainsi suspendu l’application de l’une des lois divines pour des raisonsqui n’ont pas besoin de commentaires.

Abd r-Rahmân d-Dâkhil après avoir consolidé les bases de la principauté omayyade en Andalousiesur la base du sectarisme tribal, avait rapproché de lui ses proches parents et les gens de sa tribu-a l’instar du calife Ottoman et des Omayyades en Orient- parce qu’«il avait fait d’eux un groupespécial autour de lui. . . et il leur avait assigné des terres à titre de fief, les avait privilégiés par desdistinctions et des postes importants (. . .) et ils n’avaient pas tardé à constituer dans la sociétéandalouse une classe spéciale de nobles de sang, connue sous le nom de la classe des qurayshites,qui entourait le prince dans sa cours et avait le droit de devancer les autres dans les cérémoniesofficielles. En outre, elle bénéficiait de privilèges dont l’exemption d’impôt. Ajoutez à cela que sesmembres recevaient de gros salaires et il semble qu’il [le prince] avait formé à cette fin un cabinetconnu sous le nom du cabinet de Quraysh.»35

La situation ne se stabilisa pas pour les Arabes en Andalousie après avoir liquidé les "Berbères"puisque, très rapidement, «la lutte avait basculé, de nouveau, après un certain temps, entre lesArabes sur des bases tribales ou un conflit entre Al-Yamanya et Al-Qusya [deux tribus arabes].»Ce conflit avait déterminé, après quelques siècles de déchirement des clans et des principautés, lesort et la fin de l’Andalousie.

Ce qui précède36 montre que l’histoire, telle qu’elle se déroula en Afrique du Nord et enAndalousie, ne s’était pas basée sur un système religieux pur mais plutôt sur le sectarisme tribal,ethnique et racial. Les rapports entre les groupes en lutte étaient des rapports de sang et d’intérêtsmatériels et politiques. La religion n’avait pas un rôle de premier plan et c’était ce qui avait conduitcertains Arabes, lors de la conquête de l’Andalousie et le début de la lutte tribale, à recourir àl’aide des chrétiens du Nord, de Usturish et de la Gaule, contre leurs confrères musulmans dans le

34Ahmad Badr, Ibid. p.131. Une citation de "Akhbâr Maj’û’a fi Fath Al-Andalus wa Dhikr Umarâihâ wa Al-HurûbAl-Waqi’a Baynahum" d’un auteur anonyme, p.113.

35Ahmad Badr, Ibid. p.108.36Nous avons été concis et précis, par manque de place, en ce qui concerne les informations que nous avons

rapportées sur les guerres entre les Arabes et Imazighen. Pour ceux qui désirent avoir plus de détails, se rapporteraux recueils historiques sur le Maghreb et l’Andalousie, notamment : "Al-Mughrib fi Târikh Al-Andalus wa Al-Maghrib" d’Ibn ’Udharî, "Futûh Ifriqiya wa Al-Andalus" d’Ibn ’Abd Al-Hakam, "Târikh Ifriqiya wa Al-Maghrib"d’Ibn r-Raqîq Al-Qayrawânî.

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but de reconquérir le pouvoir et les avantages matériels.

L’histoire officielle/scolaire a fait disparaître toutes ces réalités et a présenté aux élèves et auxétudiants les personnages de Uqba Ibn Nafi’ et des commandants et gouverneurs arabes qui luisuccédèrent, non comme des personnages historiques, mais comme des figures abstraites écopéesdans lesquelles ils apparaissent en tant que conquérants, des sauveurs des Berbères de l’oppressionbyzantine. La réalité, qui ne peut-être contestée que par un obstiné, est que les Arabes musulmansavaient remplacé une oppression par une autre et une injustice par une autre. Ce qui a pousséImazighen à leur résister comme ils avaient déjà résisté aux Byzantins, aux Vandales et auxRomains. C’est ainsi que l’acceptation de l’Islam par Imazighen n’impliquait pas une acceptationde la soumission aux Arabes. En effet, leur résistance avait persisté, dans le cadre de l’Islammême, parce qu’ils se sont aperçus que celui-ci comporte des principes et des éléments prêts àl’exploitation révolutionnaire et c’est ce qui explique leur adoption de la doctrine des Kharidjitesdont l’un des principes était : «Le pouvoir est à Dieu seul», c’est-à-dire le refus de la dominationpolitique et économique de Quraysh et un attachement à ce que l’Imam soit le musulman le plusprobant et le plus pieux, fut-il un nègre d’Abyssinie "dont la tête ressemblerait à une olive."Sur cette base et à cause de la politique raciste adoptée par l’Etat arabe pendant le Ier siècleet les trois premières décennies du IIe siècle de l’hégire, des États amazighs se constituèrent auMaroc en arrachant le masque religieux du pouvoir politique aux Arabes. Ainsi, se sont fondésles principautés de Salihiya, Madrariya, Darghatiya et Rastimiya. La tribu Awraba a pu utiliser,avec intelligence, un personnage venu d’Orient, afin d’échapper aux abattoirs des Abbassides, pourexercer, à travers sa parenté alaouite (persécutée en Orient), sa domination politique sur d’autrestribus et déclarer son indépendance aux califes d’Orient. Cet État s’était étendu sur un vasteterritoire jusqu’à l’avènement des empires marocains amazighs de grande envergure, les Almoravideet les Almohades, qui avaient réussi à reprendre l’Andalousie afin de sauver les principautés arabesvaincues par les chrétiens à cause d’un train de vie faste et débauché.

Il est inutile de rappeler que cet État amazigh lui-même n’a pas été lui non plus fondé sur une basereligieuse pure. L’ethnicité était son fondement. En effet, l’appel religieux à partir duquel partaientcertains oulémas ne pouvait pas mobiliser des gens sans qu’il y ait une solidarité ethnique préalable.

Résumé

L’État califal ne s’était pas fondé sur une base religieuse pure, c’était une royauté arabequrayshite héréditaire pendant le premier siècle de l’hégire, puis une royauté non-arabe héréditairependant et après le deuxième siècle de l’hégire. Son fondement réel était l’ethnicité, et non pas une

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allégeance à la religion, et une réglementation administrative empruntée aux cultures antérieures.37

Il est vrai que l’idéologie politique adoptée par les gouverneurs était religieuse, parce qu’ils se sontconsidérés comme des "califes" et des défenseurs de la religion, et il est vrai également que lesmusulmans exerçaient leur pratiques religieuses sous leur règne, comme ils le faisaient avant l’Islamdans le cadre d’autres religions. Mais cela ne signifie pas que la religion était la "seule référence"de l’Etat et de la société, ni que les musulmans étaient "unifiés" grâce à cette référence. Les gens,gouvernés ou gouvernants, s’étaient comportés selon des mobiles opposés, la religion était présented’une manière "adaptée" à des motivations non religieuses tel que l’esprit de clan et de caste quiétait resté inchangé après l’Islam.38 Ce qui a conduit, dès le début, à l’émergence de discoursreligieux protestataires qui utilisèrent des textes religieux contre les conduites jugées non conformeaux préceptes divins.39

La réalité des gens n’avait pas changé en dépit du changement de leur discours, les seigneurs del’époque préislamique étaient ceux de l’époque islamique et la situation des pauvres d’avant l’Islamétaient restés inchangée. De nombreuses formes d’injustice que la vie tribale imposait avaient trouvéun prolongement dans l’époque islamique. La seule différence que l’on peut concrètement observerentre les deux étapes est, sans doute, que l’ensemble de ces défauts était justifié par un appuipolitique des textes religieux du Coran et des hadiths, alors que pendant l’époque préislamique lesmêmes défauts n’avaient pas été couverts par la religion.

Quant à "l’unité de la communauté" si elle signifie le départ des Arabes -qui était un ensembledésuni de tribus- de la péninsule arabique afin de razzier de vastes pays, de diffuser leur religionet ranger sous leur bannière d’autres peuples musulmans, un discours comme celui-ci fait toujourssemblant d’oublier que les Arabes, en même temps qu’ils faisaient tout cela, se déchiraient dans uneguerre semblable aux guerres préislamiques40 sans que la religion puisse régler leurs différends eth-

37«L’empire Omeyyade était un État arabo-qurayshite mais il était un royaume d’un style oriental ancien.», HishâmJa’îd, Uruppâ wa Al-Islâm, p.139, Dar Al-Haqiqa, Beyrouth, 1980.

38Ce qui retient l’attention est que les musulmans se comportaient envers les préceptes religieux dans le cadredu système social antérieur, ils les appliquaient d’une manière cohérente avec les exigences des coutumes tribalespréislamiques. L’Islam stipule par exemple que le butin soit divisé en cinq parts, ce qui se faisait effectivement, maiscela se passait dans le cadre de la hiérarchie des classes de la tribu comme cela se faisait auparavant ; le cinquième quiallait au trésor public [en Islam] était la part des chefs et de leurs proches parents ; et les quatre autres parts étaientcédées aux chefs des clans qui les distribuaient selon des critères tribaux en s’appropriant une grosse part. Ce qui aconduit, avec le nombre croissant des expéditions, à l’émergence d’une richesse excessive et en même temps d’unepauvreté noire. Théoriquement, on s’inspire de la religion mais dans la réalité et dans les actes ce sont les traditionspréislamiques qui dominent.

39Les califes ne se permettaient pas de critiques de leur conduite et de leur propos dans le cadre de la religion.Ils torturaient sévèrement toute protestation s’appuyant sur des textes qui allaient à l’encontre de leurs propresorientations, comme ce qu’a fait le calife Othman avec les compagnons du Prophète Abou Dhar Al-Ghafâri etAmmar Ibn Yasser, et comme les Omeyyades avec l’ensemble de leur opposants.

40Ali Ibn Abi Taleb avait donné un discours alors qu’il était calife : «Je jure que votre adversité est revenue aumême état que lorsque Dieu avait envoyé votre Prophète.»

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niques et économiques. Pire encore, ils utilisaient la religion elle-même pour s’affronter les uns contreles autres. L’Islam était sans doute devenu un vaste empire mais il s’était aussi, très rapidement,transformé en petits États et principautés qui s’entre-tuaient, en d’innombrables courants officielsou clandestins qui s’accusaient mutuellement d’apostasie et chacun s’attachait activement à éliminerl’autre. Ce résultat n’a pas de rapport avec le degré de religiosité des parties prenantes parce que,du vivant même des grands compagnons du Prophète, les musulmans croyants s’étaient entre-tuéset s’étaient scindés en schismes. Ce qui montre sans équivoque que se référer à un seul système -sicela existe- ne signifie pas aboutir à "l’unité de la communauté." Tout ceci nous permet de conclure :

1. L’État califal ne se référait pas uniquement à la religion, ni aux débuts de l’Islam et le premier sièclede l’hégire ni après. L’ethnicisme et les intérêts faisaient que le système de gouvernement était unrègne temporel et des arrangements bien terrestres qui avaient besoin de sagacité et d’expérience.La religion était une croyance intime et une pratique cultuelle chez les gens qui avaient la foi maisaussi des textes utilisés afin de conserver les avantages et le pouvoir en justifiant les actes, les lignesde conduite et les décisions prises.

2. Cette double pratique avait crée un discours religieux, parallèle à la pratique quotidienne, quitransforme la réalité en idéal, efface les contradictions, fait disparaître les défauts et donne auxévénements un aspect harmonieux absolu. C’est ce discours religieux qui esquisse les traits d’uneunité idéale du système, de la pratique et de la pensée. Une unité qui n’existait pas dans la réalitéhistorique et c’est ce discours qui a été transmis par les oulémas qui l’avait généralisé à la prise deconscience islamique pendant des générations puis il a été récupéré par les islamistes contemporains.

3. Le système de gouvernement de l’époque de l’Etat califal permettait que la référence à la religionapparaisse non seulement au niveau du discours politique officiel des gouverneurs mais aussi auniveau du discours populaire opposant. En effet, des formes de protestation opposées aux dérapagesdu pouvoir s’étaient formées dans le cadre d’une référence littérale à la religion. C’était ainsi de-puis l’époque des quartes premiers califes jusqu’à aujourd’hui. Le pouvoir se considère comme lereprésentant et le protecteur de la religion et les islamistes considèrent que le pouvoir n’a pas delégitimité religieuse, tandis que la réalité plonge dans des contradictions diverses.

4. L’esprit de clan de "l’époque préislamique", qui était un modèle de pensée sociale et morale pour lesArabes d’avant l’Islam, demeurait vivant et fort après l’apparition de l’Islam et il était à la base descomportements et des actes pendant la période de diffusion de l’Islam, pendant le règne des quatrepremiers califes et après. Quraysh avait pris la communauté musulmane pour une tribu qui luipermettait d’acquérir des avantages de la religion elle-même et il est calomnieux d’affirmer que lesmusulmans se référaient, à l’époque, à la religion uniquement. Les guerres, les décisions prises et lesdispositions adoptées partaient d’un ensemble de considérations non religieuses, la religion n’étaitqu’un artifice qui permettait de camoufler les contradictions visibles et elle était utilisée comme unmoyen de pression moral pour imposer l’exécution des décisions prises et éviter l’émergence d’uneopposition significative.

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5. La religion était un cadre d’unification spirituelle et religieuse de tous les croyants musulmans quiavaient, quel que soit l’endroit où ils se trouvaient, un sentiment de fidélité à l’Islam et un sentimentd’appartenance à la "communauté". Par contre, elle n’était pas un cadre d’unification socio-politico-économique car les dissensions et les guerres déchiraient la communauté musulmane, dès le début,en petits États et principautés qui s’entre-tuaient comme aujourd’hui. Certains se sentaient plusnobles et plus importants que d’autres, par leurs généalogies et leurs parentés, à l’image de ce quenous voyons aujourd’hui.

6. Les Arabes avaient l’ambition de fonder un État sur une base ethnique, culturelle et religieuseuniques. Ethnique : les Arabes gouvernent cet État de manière héréditaire. Culturelle : la dominationde la culture arabe, de sa langue, de ses chroniques et de sa poésie. Religieuse : l’adoption des textesreligieux de l’Islam (écrit en langue arabe) qui doivent couvrir le pouvoir arabe. Cependant lesdimensions géographiques de l’empire et l’adoption de l’Islam par d’autres ethnies avaient brouillé lescartes aux Arabes et l’histoire avait pris une autre direction, celle de la diversité et de la différence :ethnique/culturelle/intellectuelle/linguistique et même religieuse.

7. Le "glissement" du califat de la "consultation publique"41 vers un pouvoir héréditaire "corrompu"à l’époque des Omayyades, est une allégation consolidée par la pensée religieuse le long de l’histoireislamique jusqu’à aujourd’hui. Cette idée manque de précision et de profondeur nécessaires commele montrent les livres d’histoire. En effet, il apparaît clairement que le sectarisme et le caractèredespotique personnel s’étaient progressivement ancrés dans le système du gouvernement de l’Étatcalifal depuis les quatre premiers califes. L’auréole de sainteté qui entourait, dans la pensée religieuse,les personnages de cette époque n’a pas empêché les anciens historiens musulmans d’esquisser avecobjectivité les traits de leur personnalités réelles ni de mentionner certaines erreurs qu’ils avaientcommises. Ils sont ainsi plus intègres et plus raisonnables que les courants islamistes contemporainsqui voient dans toute discussion sur l’histoire de cette époque une atteinte à la religion et un outrageaux compagnons du Prophète.

8. La mention de quelques personnalités isolées des débuts de l’histoire musulmane (Omar Ibn Al-Khattab et Omar Ibn Abd Al-’Aziz), connues pour leur intégrité et leur justice n’est pas une bonnemesure pour juger un système de quatorze siècles d’histoire musulmane effective qui fait de cespersonnalités des exceptions qui inspirent le discours religieux mais ne cadre pas avec la conduitesocio-politico-morale.

9. L’État musulman lors de sa constitution avait adopté de nombreuses formes organisationnelles et desstyles de gestion qui étaient répondus dans les modèles perses et byzantins et c’est ainsi des Étatsmusulmans contemporains qui empruntent aux autres cultures ce dont ils ont besoin au niveaulégislatif et organisationnel, contrairement à l’idée répandue -et que les islamistes contribuent àpropager- que le califat est un système dont tous les principes d’organisation sont tirés du Coran.

10. Vu que la référence à la religion n’avait pas constitué tout au long de l’histoire un cadre socio-politico-économique d’une unité absolue, comme portent à croire les islamistes et avec eux les

41trd. Le mot traduit ici est le mot "shurâ" une forme de consultation préconisée dans le texte du Coran afin quele Prophète consulte ses compagnons.

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masses populaires, vu cela, cette référence ne peut pas être aujourd’hui non plus un cadre pourl’unité. Une preuve éclatante en est la lutte acharnée -publique ou non- entre les islamistes eux-mêmes qui se réfèrent à la religion et qui se sont scindés en courants et contre-courants dans tous lespays musulmans. Cette lutte les a conduit à la haine mutuelle et à l’affrontement. N’oublions pas laleçon afghane qui présentait une image idéale de la guerre sainte contre le despotisme de "l’athéismematérialiste communiste" et qui est devenue aujourd’hui une copie conforme des luttes du premiersiècle de l’hégire entre les musulmans. Les communistes athées sont partis afin que commence lestueries entre les musulmans et la "commémoration de la Sunna" en expulsant les filles des écoles,en interdisant la presse audiovisuelle et en proscrivant la création artistique.

Si la religion n’avait pas unifié les musulmans politiquement et socialement -même si elle les avaitunifiés spirituellement et se rendent ensemble à la Mecque malgré la différence des systèmes, despolitiques, des cultures et des langues de leurs pays respectifs-, est-ce que la religion avait réussià unifier les musulmans sur le plan intellectuel dans le passé ? Est-ce que l’activité intellectuelledes musulmans s’était-elle exercée exclusivement à partir de la religion ? Quel était le rapport desmusulmans avec les autres domaines d’activités humaines ?

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La pensée islamique et la religionUn débat sur l’unanimité et la divergence de vue

Les chercheurs et les auteurs, anciens et contemporains, sont unanimes que le Coran est un"texte central" de la pensée islamique.42 Cependant, ceci ne contredit pas le fait que le Coran a étélu et interprété de plusieurs façons différentes. Ce qui nous permet de distinguer facilement entreles lectures et les interprétations qui ont des outils coraniques (c’est-à-dire interpréter le Coran parle Coran) dans un but déterminé : juridique, moral et politique ; et d’autres interprétations quiexaminent le texte sacré d’un point de vue extérieur (c’est-à-dire interpréter le Coran avec unelogique différente de sa logique interne) dans un objectif différent.

La première manière d’interpréter fut déterminée par les méthodes des "sciences théologiques"qui se sont fondées au cours du IIe siècle de l’hégire : les lectures du Coran, son exégèse, leHadith, la jurisprudence, la théologie dogmatique. Ce sont des sciences qui se sont centrées surla compréhension du texte religieux, non pas parce qu’il est censé contenir les bases de la foi,de la croyance et de la pratique cultuelle seulement, mais parce qu’il est considéré comme unesource pour déduire les lois divines, puis plus tard pour fonder l’institution religieuse qui allaitpermettre de donner ses orientations à la société et de l’organiser suivant des formes et desprincipes achevés. La seconde manière d’interpréter le Coran fut déterminée par diverses formesde sciences et parmi lesquelles il y a les «sciences rationnelles» qui ne s’appuient absolument suraucun texte religieux, qu’il soit islamique ou non, telle que les Mathématiques, la Logique, lessciences naturelles, l’astronomie, la médecine, la géométrie et la métaphysique. Ce sont des sciencesqui existaient douze siècles avant l’Islam et c’est la période qui sépare l’apogée de la civilisationgrecque et l’émergence de la civilisation musulmane.

Nous n’oublions pas deux autres domaines qui ne font pas partie des deux formes ci-dessus,à savoir, la «littérature» et le «soufisme» qui s’inspirent de sources différentes qui ne sont nitextuelles ni rationnelles. Ce qui est certain aussi est que ce genre de domaines n’était pas apparuqu’à partir du IIe siècle de l’hégire, à partir de l’année 150 de l’hégire environ, et c’est la périodequi s’appelle l’époque de Rédaction43 et ceci ne contredit pas que ce qui a été réalisé à cetteépoque pour ce qui a trait aux sciences religieuses fut précédé par des tentatives et qu’il avait des

42«Malgré que le texte coranique a toujours été pris dans son principe et ses intentions pour consacrer les principesreligieux tels qu’ils étaient révélés, cependant il a en réalité inspiré trois niveaux principaux qui sont : un niveaumétaphysique, un niveau scientifique et un niveau moral juridique. L’avantage de cette distribution des contenusde la Révélation consiste à mettre en évidence la présence totale de l’esprit religieux dans les principales sciencesmusulmanes.», Études sur la pensée islamique. Mohamed Arkoun, Imprimerie Lazor, 1993, p.17.

43Voir les détails de la constitution de ces sciences au cours du IIe et IIIe siècles de l’hégire dans "Dohr Al-Islam"d’Ahmed Amîn, deuxième partie, Maktabat n-Nahda Al-Misriyya, 8e édition.

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racines qui s’étendent jusqu’à l’époque prophétique et la première période califale, c’est-à-dire autemps des quatre premiers califes et l’époque omeyyade. Tout le monde sait aujourd’hui que si lessciences religieuses sont le fruit d’une éducation islamique pure, parce qu’elles expriment le désirdes premiers musulmans à comprendre leur religion à partir de ses textes primaires, les sciencesrationnelles quant à elles se sont intégrées au domaine culturel islamique par l’intermédiairede la traduction qui s’était activé à partir du premier tiers du IIe siècle de l’hégire et avait at-teint son apogée à l’époque d’Al-Mamoun abbasside avec "Bayt Al-Hikma" [la Maison de la Sagesse].

Ces traductions n’étaient pas une simple expression du désir des musulmans de compléter leursconnaissances "profanes" après avoir bien assimilé les connaissances religieuses comme veulent lefaire croire les islamistes contemporains, mais c’était plutôt le signe de l’apparition d’un systèmeparallèle ayant des origines étrangères : essentiellement grecques, puis hindoues et perses. Unsystème intellectuel qui avait joué un rôle majeur dans l’édifice de la civilisation islamique enlui donnant un cachet humanitaire universel pendant de nombreux siècles. C’est un systèmeindépendant avec une essence propre qui n’était pas contenu dans le système religieux originel.Au contraire, il était utilisé pour aborder le texte religieux lui-même sous un angle différent. Cequi a conduit à un conflit intellectuel et culturel entre les deux systèmes, lequel conflit a eu desrépercutions politiques et sociales évidentes.

Ce sur quoi il faut insister est que la querelle qui avait pris naissance entre les deux systèmes deréférences avait pour origine la "non-reconnaissance" que les partisans du système originel avaitopposé au système "intrus" et ce fut un refus qui peut être justifié par deux choses :

1. Parce que c’est un système "différent" qui rejette l’imitation de la pensée religieuse du Ier siècle (lerenvoi aux textes, la production du récit et de ses chaînes de garants. . .)

2. Parce que son interprétation du contenu des textes sacrés était sortie du cadre des interprétationsunanimement admises, l’unanimité des compagnons du prophète et des oulémas, leurs successeurs.Ce qui fait rentrer cette interprétation dans le domaine de l’interdit et du réprouvé sans que celasignifie qu’elle n’avait pas existé.

Il est possible à l’analyste de suivre les traces de ce conflit depuis ses premiers germes quiapparurent à partir du premier siècle avant même la fondation de ces domaines scientifiques avecleurs principes et leurs théories et que leurs méthodes et leurs systèmes établissent les normesde la moralité et de la croyance à partir du Coran et des hadiths, et ils exprimèrent leur refusde tout ce qui ne rentre pas dans le cadre de l’adoption du modèle du prophète et découle desversets coraniques suivants : «Prenez ce que le Messager vous donne ; et ce qu’il vous interdit,abstenez-vous en» (59, v.7), «et obéissez à Allah et au Messager» (III, v.132), «en effet, vous avezdans le Messager d’Allah un excellent modèle» (33, v.21). Pour cela Ibn Kathir avait considéré quela raison pour laquelle les "sciences rationnelles" n’étaient pas répandues dans les pays musulmansau cours du premier siècle de l’hégire : «Parce que les anciens ne permettaient pas de les aborder.»

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Cette résistance ne concerne pas simplement un contenu étranger, au contraire, ce fut un refuscatégorique du nouveau style de pensée qu’apportaient les "sciences des non-Arabes" qui était unstyle qui ne s’opposait pas uniquement à la mentalité arabe simpliste et spontanée44 mais il étaitaussi complètement différent du style d’imitation totale avec lequel les compagnons du prophèteavaient traité, d’une façon générale, les sujets de la foi et de la connaissance. Pour eux, la foiprécède la connaissance du fait qu’ils acceptent par principe, et la connaissance venait ensuiteafin d’appréhender ce qu’il faut savoir en écartant tout le reste tandis que le système étranger,à cette époque, portait en lui les germes d’une pensée qui mettaient la connaissance au premierplan et la raison étant le moyen d’accéder à la sagesse et à la vérité qui n’a aucun appui préalable,avant l’effort rationnel. Ce qui explique les traitements sévères qu’avaient dû subir les gens detendance rationaliste extrémiste parmi les musulmans au cours du Ier siècle après que «les discordess’étaient produites, les avis s’étaient multipliés et que les décrets religieux (fatwa) étaient devenuesnombreuses.» Nous citons uniquement parmi eux, ceux qui s’enhardirent en mettant, très tôt,les problèmes de la croyance métaphysique à l’épreuve de l’investigation rationnelle et logique,et qu’avait décrit l’un des auteurs anciens lorsqu’il dit : «Et parmi les derniers compagnons duProphète était apparu le conflit du "libre arbitre" et ils abordaient les problèmes du destin et de lafaculté du pouvoir et parmi lesquels on comptait Ma’bad Al-Jihnî, Ghîlân d-Dimashqî et Al-Ja’dIbn Dirham. Le reste des compagnons [du Prophète] les blâmaient : Abd Allah Ibn ’Abbâs, Jâbir,Anas, Abou Hurayra, ’Uqba Ibn ’Amrû et leur semblables qui recommandaient à leur successeursd’éviter de leur dire bonjour, de ne pas leur rendre visite en cas de maladie et de ne pas participerà la prière qui se déroule après leur décès.»45 Ce texte montre que la prise de position de cesintellectuels est qualifiée de "conflit" afin de mettre en évidence qu’il s’agissait d’un avis quisortait du cadre des idées admises - les idées admises surtout par les compagnons du Prophète-et il portait sur les questions du destin et de la liberté humaine. Le châtiment de ces gens fut deboycotter toute relation avec eux et d’inciter les autres à faire de même, laquelle incitation avaitporté ses fruits à l’époque omeyyade pendant laquelle ils étaient assassinés, avec les plus atroces desméthodes, par les gouverneurs omeyyades qui ne pouvaient pas admettre l’audace d’une discussionrationnelle dans un temps de répression politique camouflée par une idéologie religieuse déterministe.

Ce qui retient l’attention dans l’histoire de ces gens, et de bien d’autres dont les livres quiabordent les sujets des schismes sont pleins d’information, est que le style avec lequel ils avaientréfléchi sur les questions religieuses n’était pas un style religieux parce que l’interdiction d’ap-préhender les problèmes de la croyance avec la raison est attestée par des textes du Coran et

44Pour illustrer cela, Al-Jahid dit : «Tout propos des Persans et tout propos des non-Arabes est déduit d’uneréflexion mure, avec effort et au ours d’une retraite, avec discussion et entraide au cours d’une longue réflexion etune étude des livres et d’apprentissage de la science d’un premier savant à son successeur et l’apport d’un troisièmesavant à la science du second, jusqu’à ce que tous les fruits de cette pensée soient en possession des derniers. Toutechose chez les Arabes est une trivialité, une improvisation et semble être une inspiration sans effort, sans prétention,sans réflexion et sans assistance. . . » Al-Jahid, Al-Bayan wa t-Tabyin. P.13

45Abou Al-Madhfar s-Safrawi, t-Tabsir bi d-Din, p.166

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du Hadith.46 Cela devient évident avec l’évolution de la pensée de ces partisans du libre arbitrequi a permis la construction de la première doctrine rationnelle aux cotés des mutazilites quimettaient la "raison avant les sens" et ils considérèrent que leur références sont la raison et lalogique qui précèdent toutes les lois coraniques du fait que c’est grâce à la raison que nous pouvonscomprendre la religion elle-même et non pas l’inverse. Puis, ils montrèrent la nécessité d’interpréterautrement le texte religieux dans le cas où sa première interprétation est en conflit avec la résultatdu raisonnement logique. Ce qui les a conduit à adopter un style de pensée totalement différentdu style consacré par la suite au nom de "l’orthodoxie et de l’unanimité de la communauté."De l’évolution ultérieure des choses, surtout celle du problème de la "création du Coran"47 quimontre l’audace de la rationalité des mutazilites quoique c’est un groupe de musulmans qui ne seconsidérait pas en dehors de la foi en la religion et en ses préceptes, ils n’abordèrent pas la religionavec une mentalité religieuse conformiste mais avec une méthode indépendante d’elle qui est larationalité humaine ayant la priorité de principe et de connaissance sur le texte.

Par contre, ce qui retient l’attention dans ce changement progressif de la pensée islamique aucours du Ie et du IIe siècle de l’hégire, est que l’accomplissement des principaux axes de cetteévolution n’avait pas conduit uniquement à la standardisation de la pensée religieuse suivant lesobjectifs du système politique48 -la consolidation de l’Islam sunnite- mais il avait conduit aussi etsous une forme sans précédent, à l’encouragement de la pensée rationnelle et cognitive qui puisaità partir de ressources étrangères nombreuses pour se retrouver, avec une pensée islamique -aucours du IIe et IVe siècle de l’hégire- formée d’un vaste ensemble de domaines intellectuels dont lesméthodes et les origines sont nombreux.

Toutefois, qu’est-ce qui pousse les islamistes à croire dans la suprématie d’une référence religieuseunique ? Il est nécessaire à ce niveau de distinguer la pensée qui constitue la base du systèmesocio-politique, qui commande les relations politiques et encadre surtout les orientations pratiques,et la pensée théorique qui était apparu dès le début comme étant la pensée d’une élite et dontl’influence était restée restreinte au domaine de la connaissance pure. Le système juridique

46Ibn Taymiyya dit : «Ils [les musulmans] pensaient que le débat, la polémique, sur la croyance conduit progres-sivement à l’incroyance. Pour cette raison, lors du décès du Prophète, les musulmans avaient tous le même credo,à l’exception de ceux qui cachaient ce qu’ils pensaient. La recherche et la polémique sur la croyance n’apparurentqu’aux temps des compagnons [du Prophète] au moment où apparurent des hérésies, des doutes qui avaient contraintles musulmans à les combattre. A partir de là, apparurent les schismes et la théologie dogmatique...» Ibn Taymiyya,Al’aqida Al-Wasatiya, p.24.

47Nous abordons cette théorie dans une partie spéciale. C’est une théorie qui montre l’incohérence de ceux quisoutiennent la "noblesse" de la langue arabe et la "préférence que Dieu lui a accordée" par rapport aux autreslangues.

48Les orthodoxes considèrent généralement que le bouleversement sunnite qui s’était produit au cours de l’époquedu calife abbasside Al-Mutawakkil fut une victoire de la vérité et un recul de l’hérésie qui représentait selon eux lesMutazilites. Cependant, il est évident après une analyse des faits de cette période que les califes abbassides aprèsAl-Mamun s’étaient aperçu que la chose qui répondait le mieux au système se retrouvait dans le courant sunnite etnon dans la rationalité mutazilite dont les principes s’opposaient au déterminisme et à la morale de la soumission.

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musulman s’était formé après plus d’un siècle et demi d’imitation orale, l’exercice et la gestion desaffaires de l’État et de la société puis la réflexion à la satisfaction de ses besoins étaient le point dedépart pour la compréhension, l’interprétation et l’exégèse des textes religieux à partir desquels ontirait les lois. L’État califal, vue ses bases et la manière dont il s’était fondé, permettait d’avoir desliens organiques entre la pensée religieuse et la vie des gens de sorte que cette pensée apparaissaitcomme étant un réservoir de lois et de réglementations inspirées -ou supposées comme telles-de lapratique. Aussi bien que «les centres des services administratifs abondent d’hommes descendantsde la couche sociale des oulémas.»49 Cette position socio-politique fut la position qui allait créerplus tard chez les oulémas un sentiment de tutelle sur la société et sur l’État comme il allait créerchez les gouverneurs le besoin des oulémas en vue de justifier leur politique tant qu’ils considéraient-en apparence du moins -le système du gouvernement fondé sur une légitimité religieuse. Il estinutile de rappeler que cette légitimité religieuse a pour base la "conformité à la tradition." -dansl’apparence du discours du moins -laquelle tradition est ce que les anciens considérèrent commeétant la vérité, ce qui avait conduit à la formation de l’autorité de la tradition sur l’autorité desanciens qui ne se limitaient pas uniquement aux compagnons du Prophète mais à l’ensemble deleurs successeurs de toutes les époques étant donné que pour la conscience religieuse musulmane,l’Islam de chaque époque est meilleur que celui de l’époque suivante.

L’institution religieuse s’implanta et la pensée religieuse se canonisa en prenant une forme offi-cielle pour la continuité de la vie de la société politique, de l’État et du système de gouvernement.Cela se réalisa sur la base de "l’unanimité des prédécesseurs" qui devint le "meilleur des principesreligieux" suivant l’expression d’Al-Ghazâli.50 Cela rendait tout avis différent de cette unanimité,blâmable parce qu’il est considéré comme "sortant du cadre admis unanimement" et sa véraciténe se reportait pas à sa conformité avec la réalité et son caractère logique et cohérent mais au faitqu’il a été l’objet d’une unanimité "préalable".

Cependant, ce refus du désaccord ne signifie pas qu’il n’avait pas concrètement existé. Lesislamiste avaient toujours insisté sur les conflits internes, c’est-à-dire les désaccords des musulmansdans le cadre de la religion elle-même en considérant le "désaccord des oulémas comme étantune clémence". Pare contre, ils avaient perdu de vue les conflits dans le sens de la diversité quiimplique explicitement le pluralisme des systèmes de pensées pendant l’époque mentionnée. Cepluralisme que la suprématie de l’idéologie religieuse officielle n’a pas pu étouffer du fait que l’accèsdes musulmans à de nouveaux styles de connaissances par l’intermédiaire de la traduction a créeen eux la perplexité entre trois modes de pensées dont le conflit était tendu :

– La position du refus catégorique de tout ce qui provient de l’extérieur du domaine culturelmusulman et l’obstination dans l’enfermement dans un système religieux suffisant.

49Montgomery Watt, La pensée politique de l’Islam, les concepts fondamentaux, Paris, PUF, 1995, p.140.50Mohamed Âbid Al-Jâbirî, Bunyat Al-’Aql Al-’Arabî, le centre culturel arabe, 2ieme édition, 1991, p.127.

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– La position d’adhésion complète au domaine de la connaissance étranger et la défense dusystème différent qui allait jusqu’à la critique du système religieux.

– La position de conciliation entre les valeurs et les principes du système religieux originelet ceux d’autres systèmes en vue de justifier l’intérêt de ce dernier. Puisque le conflitn’était pas à arme égale entre un système officiel soutenu par l’État et des systèmesqui retenaient l’attention d’une élite savante de la société, cette dernière était contrainted’accepter une situation marginale, la situation d’autodéfense et de la proclamation de la vérité.

Si les partisans de la première position, représentés par les oulémas, les représentants desdoctrines religieuses et les instructeurs religieux, si ces partisans avaient imposé leur dominationsur le plan du discours idéologique -sans tenir compte de la réalité qui avait pris une orientationdifférente-, les partisans du second mode de pensée, représentés par les militants enthousiastes durationalisme, se confrontèrent à la torture et au blocus qui avait effacé la plupart de leurs traces. Ilexiste même, parmi eux, ceux dont toute trace a été effacée, malgré l’abondance de leurs œuvres,jusqu’au point où ils devinrent des personnages méconnus, tel que le cas de Ibn Ruwandi qui a étésurnommé "l’athée" par ses contemporains. On compte parmi eux aussi Averroès, Ibn Al-Muqfa’et Ibn Hayyan. De nombreux savants préoccupés par les sciences rationnelles (la logique, lesmathématiques, les sciences naturelles, la chimie. . .) furent contraints d’aduler les masses ou d’êtreprudent dans le traitement des sujets de leurs sciences qui n’inspiraient pas confiance aux oulémas.

Dans le cadre du second mode de pensée, on retrouve les soufistes qui vécurent une expérienceintime ayant atteint, dans les cas extrêmes, la limite de la contradiction avec les préceptes dusystème religieux. Ce qui explique la fin atroce pour certains d’entre eux.

Quant aux partisans du troisième mode de pensée parmi les philosophes, ils étaient sous lapression de l’attaque violente lancée par les oulémas qui mobilisaient les masses contre eux. Cesphilosophes s’étaient contenté de classer leurs sciences dans le genre "ce que l’on pense sansêtre sûr" créant ainsi un grand obstacle entre elles (les masses) et les autres dont les oulémas etle public. Ils préféraient utiliser leurs propres méthodes prétendant qu’elles finiraient au mêmerésultat que les lois coraniques, dans l’objectif de se débarrasser des tracasseries et des poursuites.Malgré que les philosophes musulmans délimitaient à la philosophie son cadre de réflexion quipermettait d’accéder à la vérité, ils n’avaient pas réussi à se débarrasser définitivement du besoinde légitimation de la tendance réconciliant la raison et la religion.

Ce conflit apparaît entre les systèmes différents au sein de la société musulmane. Les musulmansn’avaient pas fait ici et là de simples emprunts aux autres cultures, mais ils rapportèrent desmodes culturels qui marquèrent les conceptions qu’ils se faisaient du monde et de l’homme. Cequi a conduit l’institution religieuse sunnite à un contrôle sévère de toute production intellectuelle

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qui risquerait d’introduire une quelconque réforme à l’essence du point de vue qu’on se faisaitde la religion. «Si un point de vue opposé ou n’importe quel autre fragment de connaissance serépandit parmi les musulmans, à ce moment là il fallait le réfuter avant de l’écarter. Un effortimportant a été déployé dans le domaine de la réfutation afin d’éviter que se répande l’avisopposé.»51 De nombreuses données ont été consignées dans les livres de Réfutation produits parles oulémas sunnites. Ces données confirment que la mesure de la vérité et de l’erreur -quel quefut le sujet débattu- furent tirées entièrement des fondements de la pensée religieuse qui achevases instruments rigides qui ne dépassaient pas, d’un point de vue méthodologique, l’analogie, lanarration du récit puis la production de ses chaînes de garants jusqu’à une origine sûre et absolue.Plus l’imitation et l’orthodoxie furent consacrées par une génération, plus le combat contre lesidées formées à partir d’un point de vue différent, devenaient intense. Ce fut au cours de cetteétape que se formèrent les versions finales des notions de la raison, de la science, de la connaissanceet de leurs méthodes. A l’opposé de la raison que défendaient les philosophes musulmans à partirde la rationalité grecque, une raison indépendante, capable d’accéder à la connaissance et de labâtir grâce à ses forces naturelles, à l’opposé de cette définition du concept de la raison se formaau sein du système religieux comme étant une simple faculté offerte et restreinte par nature, ce quila contraint à suivre les lois coraniques étant donné que toute la vérité fut préalablement fixée etd’une manière définitive. Cela avait réduit la fonction de la raison, suivant la conception religieuse,à comprendre les textes, à les expliquer et s’attacher de les appliquer. Cette conception de la raisona eu des conséquences désastreuses sur la vie culturelle musulmane en général parce qu’elle avaitconduit à la réduction puis à l’élimination, au sein de la société musulmane, du rayonnement dessciences rationnelles (les sciences naturelles et les mathématiques), considérées comme n’ayant pasde fondements religieux.

Le concept de la Science s’était formé à partir du concept même de la Raison. Ainsi, uneraison circonscrite par les lois coraniques ne peut produire que des lois du même genre. Et c’estpour cette raison qu’Ibn Taymiyya avait écrit que «la science est ce qui est prouvé et sa partieutile est ce qui est apporté par le Prophète.»52 Même lorsqu’il reconnaissait les preuves ration-nelles, il considérait que «les meilleures preuves logiques est ce qui est élucidé et conseillé par leCoran»,53 à cause du fait que la preuve et la production d’un récit à l’appui se confondaient chez-lui.

Ainsi, il ne voyait aucune nécessité dans la discussion et l’étude de choses tranchées par un récitet expliquées à sa lumière par les prédécesseurs. Il dit, à propos de la consécration nécessaire del’imitation des anciens sur des sujets très discutés : «Quiconque ayant pour objectif la recherchede la vérité doit se contenter de ce que nous avons présenté et quiconque cherche la polémique, lespropos futiles et l’opiniâtreté, le bavardage ne fera que l’éloigner du droit chemin.»54

51Montgomery Watt, Ibid. P.101.52Ibn Taymiyya, Majmû’at r-Rasâil Al-Kubrâ, p.131, Égypte, 1966.53Ibn Taymiyya, Ibid.54Ibn Taymiyya, Naqd Al-Mantiq, p.6, édition de Beyrouth.

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Quant à la Méthode, elle est fournie par la pensée religieuse et consiste à produire les chaînesde garants des récits (hadiths) et citer les versets coraniques en présentant les chaînes de garantsqui attribuent leurs interprétations au Prophète ou à ses compagnons. C’est la méthode qui aeu une influence sur de nombreux domaines intellectuels musulmans à tel point qu’un savoir nonattribué aux anciens est vain et ne mérite pas le respect. Cela a conduit, à son tour, à l’orientationde la sensibilité culturelle musulmane vers certains domaines et au boycottage et à la négligencedes autres. La méthode de l’analogie - comme méthode de la pensée religieuse - est liée au retouraux sources et à ce sur quoi les anciens se mirent d’accord. L’effort rationnel ne doit pas êtreinconditionnel mais plutôt un travail de raisonnement dans les limites des textes et des résultatsprécédemment obtenus par les anciens oulémas.

Au moment où ces conceptions s’enracinèrent dans le cadre de la vision sunnite officielle,les musulmans préoccupés par d’autres systèmes avaient fondé leurs conceptions sur des basesdifférentes. Les partisans du rationalisme étaient loin dans l’exaltation de l’indépendance de laraison des textes et les soufistes se moquèrent de la science des oulémas basée sur des textes etconsidéraient l’intuition intime comme étant l’unique méthode pour atteindre le véritable savoir et"se consacrer à lui" et le "joindre".

Pendant que le discours religieux s’efforçait d’influencer et d’envahir toute la réalité sociale, sesforces avaient entraîné le réel - selon la logique historique - dans le sens de son évolution naturellequi avait ouvert les portes à l’interaction des civilisations au niveau de la culture, de la créationartistique, des traditions et de la vie quotidienne. La littérature, avec ses productions en poésieet en prose, donne une image qui est loin d’être une soumission absolue à un système unique,qu’il soit religieux ou pas. La poésie bachique, la poésie érotique obscène, l’entretien de jeunesesclaves, garçons et filles, et la littérature érotique, ont tous connu une grande prospérité et unelarge diffusion suivant les transformations de la vie sociale et matérielle depuis le premier siècle del’hégire. Cette littérature dans tous ses genres présente l’image d’une culture réfractaire au systèmereligieux et ouverte sur des références humaines universelles centrée sur l’éternelle idée de beauté.

Depuis le IIe siècle de l’hégire, les auteurs avaient joué un rôle important dans la diffusion dusystème originel ainsi que du passé de référence qui ne se réduisait plus au passé islamique ni aupassé court des Arabes, mais leurs intérêts s’étendirent au passé perse, hindou et grec et ils avaientpropagé une littérature politique inspirée de toutes ces cultures, ce qui a fait la concurrence aumodèle de la "politique légale" qui intéressait les oulémas.55

La diversité fut donc la réalité de la pensée de la vie politique et sociale islamique. La religion -malgré sa domination - ne constituait pas le seul repère des musulmans même si le discours officiel

55Voir les détails dans "s-Sulta t-Taqafia wa s-Sulta s-Siyasiya", Ali Oumlil, deuxième partie.

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écartait et feignait d’ignorer le reste des repères. Le discours marginalisé exprime mieux, le plussouvent, la réalité humaine plus que le discours répandu et propagé.

Résumé

Les paragraphes précédents permettent de comprendre les causes précises qui portent les islamistescontemporains à fuir la diversité et à haïr le pluralisme. C’est une idée enracinée dans la culturemusulmane traditionnelle. Puisque leur point de vue est généralement marqué par la tendanceorthodoxe, ils sont incapables de renouveau à un niveau permettant de transformer un système depensée fermé en un système ouvert à une discussion emprunte de tolérance. Ce qui nous permet deconclure :

1. Que l’idée répandue chez les islamistes qui prétendent à l’unité du système de pensée et de la moraledans le passé est le résultat de l’adoption de la pensée religieuse sunnite qui représentait le discoursidéologique officiel de l’État califal le long des siècles. Étant donné que ce discours considérait commeillégitimes toutes les doctrines, tous les courants et toutes les prises de position différentes de lui,les islamistes contemporains à leur tour les vouent à l’inexistence. Quiconque observe la civilisationmusulmane du point de vue religieux, ne verra de cette civilisation que ce qui est purement religieux.

2. Que l’énormité de l’héritage religieux accumulé constitue un problème ardu pour les islamistes qui lesempêche de comprendre les données de l’époque contemporaine et ses valeurs culturelles universellesqui ne rentrent pas en contradiction avec l’esprit religieux et avec les objectifs des religions, etauxquelles il n’est plus possible de renoncer en les remplaçant par les valeurs traditionnelles. Ils ontainsi échoué à assimiler l’idée de pluralisme culturel et linguistique dans ses véritables dimensionset l’idée de la diversité des systèmes de référence intellectuels et pratiques qui reflètent la réalitéhumaine.

3. Que la violence symbolique résultant de l’autorité du récit avait réprimé l’esprit musulman etl’avait empêché d’atteindre le niveau souhaité dans des domaines vitaux de la connaissance. Ce quia eu une influence néfaste sur l’avenir de la civilisation musulmane après le IVe siècle de l’hégire.La dangereuse dissociation de la religion et les préoccupations de la pensée religieuse d’une part,et les sciences rationnelles d’autre part, a donné naissance à l’impossibilité du renouveau dansl’efficacité des systèmes symboliques et spirituels qui se sont transformés progressivement, dansl’esprit des musulmans, en limites hostiles à la connaissance et à la science dans leur sens rationalisteindépendant. C’est ainsi que la pensée religieuse n’a pas pu orienter le musulman, dans sa viequotidienne et dans ses préoccupations globales, vers la recherche de la connaissance scientifiqueen dehors de la production du récit, des notes marginales et des explications religieuses accumuléespar les oulémas orthodoxes.

4. Que l’idée de l’unicité du système de référence, puisqu’elle s’attache au refus catégorique de ladifférence, s’efforce de consolider que l’harmonie absolue des principes est l’unique cadre légitime

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dans lequel il est possible d’avoir des différends sur les questions secondaires. Ceci fut fondé sur l’idéedu consensus qui a orienté plus tard tout le travail des oulémas en ce qui concerne la jurisprudence.Ainsi, toute différence en conflit avec cette harmonie absolue est indésirable et elle est considéréecomme une perversion et un égarement qui est un ennemi qu’il s’agit de combattre.

5. Que ce qui s’appelle la "fermeture des issues de la jurisprudence", alors que la civilisation musulmaneétait au sommet de ses productions culturelles, a conduit à l’anéantissement de l’élan vital contenudans le Coran et à l’anéantissement de l’Islam en tant que force civilisationnelle qui avait crée unnouveau domaine vital à de nombreux peuples et qui fut un trait d’union entre de vastes espaceshumains allant de la chine à travers l’Inde, la Perse, la Turquie, le pays des Arabes, le pays desBerbères puis l’Europe. Cette civilisation a ainsi constitué le moteur de l’activité de tout le moyenâge. Tout cela a subi un recul à cause de la tentative de l’autorité religieuse de décider à elle seulel’avenir du monde.

L’initiative du ministre Nidhâm Al-Malik, au cours du Ve siècle de l’hégire, de constituer desécoles dont le nom, les écoles Nidhâmia, est inspiré de son propre nom, dans une vingtaine de villesprincipales des pays musulmans, est une exécution sur le plan pédagogique de l’idée de l’orthodoxieet du rejet de l’Ijtihad. Al-Ghazâli fut le plus grand témoin de ces contradictions entre les principesprimaires qui font parti des grandes valeurs religieuses d’ouverture et les résultats qui ont contribuéà les ruiner. En raison de cette contradiction, Al-Ghazâli a vécu une perplexité mortelle dont ilvoulait se débarrasser à la fin par le soufisme et les acrobaties spirituelles.

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Des illusions et des contradictions

Le discours politique islamiste ne présente de point de vue théorique aucune cohérence logique.Il est probable qu’à l’origine, ses nombreux points d’ombre constituent, à travers la force del’art oratoire et des décharges émotionnelles, sa force et son influence sur ses adhérents. Ilest possible de déterminer trois niveaux de contradiction et de confusion. (1) Le premier esthistorique et il se reflète dans la contradiction de ce discours avec l’histoire et ses données. (2) Ledeuxième concerne la réalité et apparaît en contradiction avec ce qui est dit et la réalité humainetelle qu’elle se présente dans les actes et le comportement quotidien des êtres humains. (3) Letroisième est cognitif et devient évident dans le conflit du point de vue soutenu avec les objectifset l’esprit islamique et il est le résultat de l’invocation de certains textes et le camouflage des autres.

Il est possible de dévoiler des exemples d’ambiguïté en discutant les points de vues des islamistessur des questions précises telles que la "shura" (la consultation), la démocratie, la laïcité, la liberté,la science, la foi et le concept de l’Ijtihad (la jurisprudence).

La shura et la démocratie

Le point de vue des islamistes sur la démocratie est en rapport avec leur point de vue sur lepluralisme, sur la liberté et sur la divergence des opinions. Ainsi, ils ne se posent pas de questionlà-dessus à part celle de savoir si la démocratie a une base laïque ou si elle s’harmonise avec leursystème religieux56 et ils s’écartent ainsi du concept même de démocratie. Tandis que la démocratietolère tous les systèmes de pensée du fait qu’il ne peut y avoir de démocratie sans ce pluralisme quise caractérise par la tolérance et la reconnaissance mutuelle des différentes parties, les islamistesproposent leur système religieux -qu’ils considèrent comme étant l’unique vérité- en tant quesystème global qui révise le concept de démocratie en le rebâtissant sur des valeurs différentes eten le transformant en "shura". Pour eux, la "shura" est la "démocratie islamique", un système depensée à sens unique au sein duquel on peut être en désaccord, avoir des avis nombreux et réfléchiraux problèmes posés mais dans les "limites de la charia" et dans le cadre des règles fixées depuisde nombreux siècles par les oulémas. Transformer la démocratie en shura voudrait dire emprunterses techniques organisationnelles à la première et la dépouiller de ses fondements philosophiques,

56«J’attends encore quiconque pourrait me convaincre théoriquement et avec un seul exemple vivant que la démo-cratie et la laïcité pourraient être dissociées et qu’il restera à la démocratie un sens complet.» Hiwaruh ma’a SadiqihAmâzighî, p.49 ; et dans le document présenté par les islamistes au congrès national musulman, Beyrouth, 1994, nouspouvons lire : «L’essentiel ici est que tout le monde soit de l’avis que la laïcité n’est pas synonyme de démocratieet n’est pas non plus un de ses mécanismes.» Al-Masihiyah wa Al-’Ilmaniyya, Al-Matran Grégoire Haddad, RevueAlmawaqif, No 39, 1980, p.144.

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c’est-à-dire ses bases rationnelles qui tournent toutes autour de la notion de liberté.

Les islamistes acceptent la démocratie mais refusent la "laïcité". Cependant qu’est-ce que lalaïcité ? Chez les islamistes elle est synonyme d’athéisme et du rejet de la religion, ce qui traduitleur manque d’information sur l’histoire de ce concept et de ses transformations. La laïcité a deuxsens : un sens universel général et un sens occidental particulier. En occident, c’est le terme quidérive au cours du XVIe et du XVIIe siècles de la lutte entre les forces conservatrices féodaleset les forces révolutionnaires qui avait appelé au renouveau et qui étaient représentées par lecourant idéologico-intellectuel qui réclamait la libération de l’esprit de toute tutelle et l’édificationd’un État de droit dans lequel l’Église et son clergé seraient écartés de l’exercice de tout pouvoirpolitique, administratif ou éducatif. Tout le monde sait maintenant que cette revendication de laséparation de la religion et de la politique était accompagnée à l’époque d’un courant athée etmatérialiste qui traduisait l’irritation des gens de cette Église qui avait joué un rôle non négligeabledans l’entrave du processus des réformes politiques et des mouvements de renouveau scientifique etintellectuel. C’est ce qu’exprime un homme d’Église contemporain : «Cette laïcité débuta d’abordpar une offensive (. . .) Cette offensive était due au sentiment que l’être humain en Occident n’étaitpas libéré de beaucoup de choses, il avait le sentiment d’aliénation ou d’insuffisance et aspiraità devenir adulte. Ce qui l’avait conduit à la révolte contre l’asservissement, c’est-à-dire contre leféodalisme et l’aristocratie, contre le clergé qui sympathisait avec eux et contre la religion.»57

Toutefois, les occidentaux reconnaissent aujourd’hui les résultats positifs -même s’il y avaitrésultats négatifs- de la laïcité. C’est grâce à elle que «l’Église a été contrainte, par elle, de révisersa constitution interne, de se débarrasser de ses propres défauts internes, de redéfinir la distinctionentre le relatif et l’absolu, et entre l’essence du christianisme et ses incarnations historiques.»58

Grâce à cette transformation positive, la laïcité en Occident n’est plus à notre époque en oppositionavec la religion, «au contraire, elle est devenue une laïcité intellectuelle qui a découvert que lemonde, ses institutions et ses composantes ont une valeur en soi. Une valeur qui ne résulte pas deleur relation avec la religion chrétienne ou toute autre religion. Par exemple, la liberté, la justice,la solidarité, l’égalité et la fraternité ont toutes des bases diverses dans d’autres religions et dansde nombreuses philosophies, que ce soit chez les croyants ou chez les athées. A partir de là, cesvaleurs sont intrinsèques à l’être humain en tant d’être humain puis celui-ci a une valeur en soiqu’il soit croyant ou non et ce n’est pas la religion qui donne leur valeur aux institutions humainesqu’elles soient culturelles, sociales ou économiques.»59

La laïcité a ainsi fini par reconnaître le droit à la foi et à la profession de la religion sur leplan individuel mais elle continue de refuser qu’il y ait une religion pour les institutions et les

57Al-Matrân Grégoire Haddad, Al-Masihiyah wa Al-’Ilmaniyya, Revue Mawâqif, No 39, 1980, p.144.58Al-Matran Grégoire Haddad, Ibid.59Al-Matran Grégoire Haddad, ibid.

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organismes d’État qui doivent demeurer neutre. C’est pour cette raison que les islamistes sonthostiles à la laïcité parce qu’elle refuse l’autorité de la religion et de son clergé. Les islamistesauraient objecté que le contexte historique des événements en Occident est différent de celui del’Islam et que celui-ci n’a pas connu une institution semblable à l’Église. Ceci est vrai d’une partmais d’autre part c’est un propos qui manque de précision et il paraît même n’avoir aucun senslorsque l’on sait que ce qui s’appelle la "fermeture des issues à la jurisprudence" au cours du IVe

siècle de l’hégire ne fut qu’une promulgation de la constitution d’un organisme autoritaire formé depoliticiens et d’oulémas qui imposaient à la société leurs institutions absolues et leur compréhensionhermétique de la religion. Ainsi, de la même manière qu’il y a des différences entre l’histoire del’Église et celle de l’institution religieuse musulmane, nous trouvons également des éléments deressemblance et de similitude. Ceux qui tiennent à mettre en évidence les différences et camouflerles ressemblances se contentent de citer les textes religieux originels -antécédents à l’expérience ducalifat et à l’histoire islamique- et de faire disparaître les faits et les événements compromettants.Nous voyons clairement à partir de tout cela que les islamistes ne sont pas hostiles à la laïcité dufait qu’elle est associée à l’athéisme, parce qu’ils ne peuvent pas prouver que toute personne laïqueest athée du moment qu’ils se côtoient quotidiennement au sein des mosquées avec des citoyenslaïques croyants, mais ils s’attaquent à la laïcité pour sa conception politique de l’État qui refuseque quiconque exerce un pouvoir politique sur les gens au nom de la religion du fait que la politiqueet le sacré lorsqu’ils se rejoignent proclament d’un seul coup l’abolition de la liberté, de la justiceet de l’égalité. L’abolition de la liberté parce qu’il n’est pas permis de critiquer la politique suiviequi est prétendue être une loi divine. L’abolition de la justice du fait que les critères du vrai et dufaux proviennent des expériences de gens desquels nous séparent de nombreux siècles. L’abolitionde l’égalité parce que l’autorité religieuse n’accepte pas une égalité entre les citoyens croyants etles citoyens incroyants.

N’oublions pas que la laïcité -avant l’apparition et la diffusion du terme- a un sens ancien danscertaines cultures d’avant l’Islam. Le courant rationaliste qui exalte la raison et lui accorde unpouvoir supérieur et indépendant, qui pense que la morale, la politique et le savoir doivent êtreexclusivement basés sur la raison, qui met de côté les considérations spirituelles et mythologiques,est connu depuis la civilisation grecque et fut un courant fort qui a eu une influence sur descivilisations entières dont l’une des plus importantes est la civilisation musulmane. De nombreuxauteurs, philosophes et intellectuels musulmans étaient des laïques dans leurs œuvres et dans leurmanière de vivre parce qu’ils avaient considéré que la raison devance la loi coranique dans laconnaissance de la vérité même s’ils reconnaissaient que cette loi soit vraie, que la gymnastiqueintellectuelle est le comble de la vertu et de la perfection humaine, que la "politique" civileest le cadre pour fonder la "cité idéale", laquelle politique civile -contrairement à la "politiquelégale" dont se préoccupaient les oulémas- se fonde sur le pouvoir de la raison et la volonté humaines.

Dans ce sens, la laïcité dans sa conception universelle est toute tendance basée sur la convictionde la liberté et de l’indépendance de la raison, de sa capacité à gérer l’État et la société, à acquérir

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le savoir et faire des découvertes [scientifiques] sans faire appel à aucune force surnaturelle. Lesislamistes se trompent lorsqu’ils croient que la laïcité ne se retrouve qu’en Occident industrielcontemporain alors que les différentes civilisations l’avaient connu même si c’était avec descolorations différentes.

Parce que la laïcité se base sur la liberté, la raison et la science, elle devient le fondement dela démocratie sans laquelle il n’y aurait pas de démocratie. La démocratie est un système laïqueet qui demeurera ainsi ou elle n’existera pas. Sa force et son mérite sont dans son caractèrelaïque. Un système qui assure à tout le monde le droit à la croyance religieuse et reconnaît laprofondeur et la richesse de la vie spirituelle humaine, mais refuse que certains imposent leurthéosophie à d’autres car dans ce cas il n’est plus possible de parler de liberté, de justice et d’égalité.

Les islamistes objecteraient : Quelle est cette démocratie laïque qui ne permet pas à la religion,à son clergé et à ses partis politiques de gouverner. Nous répondons que la démocratie ne refusepas que les islamistes gouvernent s’ils obtiennent la majorité des suffrages exprimés mais n’acceptepas que les islamistes une fois au pouvoir changent les lois d’une manière telle qu’il n’est pluspossible aux autres de leur succéder au pouvoir s’ils obtiennent à leur tour la majorité desvoix exprimées ou d’une manière qui confisque les droits et les libertés publiques des citoyenstels que la démocratie les définit. Une faiblesse du discours politique des islamistes est qu’ilsvoudraient utiliser la démocratie comme un moyen pour arriver à leurs fins sans respecter lamoindre de ses règles du fait que leur conception totalitaire du pouvoir et leur idée suprêmedu système unique et absolu est une entrave à tous leurs efforts ayant pour objectif la parti-cipation des autres en vue de servir la société et de proposer des solutions pratiques à ses problèmes.

Les islamistes veulent la démocratie mais refusent la laïcité parce qu’ils ne peuvent absolumentpas contester les mérites du système démocratique lorsqu’ils voient de leurs propres yeux sesrésultats dans les pays occidentaux. Cependant, ils ne se rendent pas compte que les avantagesqu’ils voient ne sont pas le résultat d’une simple application technique de certaines formalitéspendant l’organisation des élections des représentants du peuple et de ses gouverneurs. Ce n’estpas non plus une simple réforme des lois et des constitutions, une organisation de l’administrationselon des critères rationnels et une meilleure gestion. C’est plutôt le fruit de valeurs, de principeset d’une philosophie de l’éducation qui a conduit à la création de nouvelles sociétés et de nouvellesconceptions de l’être humain et de la vie qui a coupé définitivement toute issue à l’oppression duterrorisme ecclésiastique. De plus, le système démocratique, en sa qualité de cadre institutionnel,permet la diffusion de ces valeurs et de ces principes afin qu’ils soient renfoncés dans les esprits etdans les relations publiques.

Puisque les islamises considèrent que ces valeurs sont en opposition complètes avec notre cultureislamique parce qu’elles sont "nées en Occident", le modèle de rechange qu’ils proposent n’estautre que celui qui a déjà existé dans le passé et qui a fini par la tragédie que l’on connaît avec

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l’effondrement du califat en 1924, et "c’est à partir du résultat que l’on conclut".

Nous considérons que cette solution de rechange est impossible pour deux raisons :

1. Parce qu’il n’est pas possible de perdre de vue les acquis de notre époque, ses valeurs et ses principesqui sont devenus universels par la force de leur large diffusion et qu’ils sont devenus indispensablesà diverses sociétés.

2. Parce que le système de la "shura" que prêchent les islamistes n’est en réalité qu’un appel au retourde l’ancien État de tyrannie que certains systèmes islamiques contemporains tentent d’imiter avecsuccès et qui n’aboutit qu’au pire des résultats.

En ce qui concerne le premier point, il est très clair que la pénétration des valeurs laïques dans latotalité des pays du monde ne fait que suivre les transformations rapides de l’organisation socialede ces pays. Ce qui est certain c’est que le mode de la vie des sociétés industrielles est devenule modèle prépondérant et le plus répandu. Ceci a conduit à l’intégration de contextes culturelsentiers dans la structure de sociétés qui avaientt leurs propres cultures auparavant et c’est ce queles islamistes appellent une aliénation et que nous appelons une acculturation selon une loi descivilisations qui ne se soumet pas à la volonté ni à l’humeur des individus. Nos sociétés ont choisi cequi leur semblait vital et répondre à leurs besoins immédiats en vue d’évoluer et de se développer.Nous avons choisi l’État moderne dont les appareils sont occidentaux d’origine, nous avons choisi lesystème éducatif moderne qui n’est plus dirigé par la mosquée, nous avons choisi l’habit occidentalet il n’existe plus parmi nous des nostalgiques du burnous et du pantalon en laine. Il n’existeplus parmi nous personne qui revendique la privation de la femme de l’instruction scolaire ou dutravail, ni personne qui appelle au retour du système éducatif purement classique et l’abandondes sciences et des cultures modernes. C’est une transformation radicale que l’Occident a crée ennous mais elle n’aurait pas été possible sans une nouvelle conception de la vie. Les islamistes setrompent lorsqu’ils pensent que tous les acquis du monde moderne sont prêts à s’intégrer dansune perspective traditionnelle. Ils veulent les acquis techniques et administratifs modernes maisen les vivant avec une mentalité des anciens. Ils veulent des sciences et des technologies mais quedes fatwa (décrets) soient décrétées à partir des mosquées. Ils veulent un laboratoire de rechercheexpérimentale mais encadré par des conceptions surnaturelles. Ils veulent une femme instruite,fonctionnaire et ayant un salaire mensuel mais une femme qui n’a pas sa propre destinée et cellede ses enfants en main et qui n’a pas le droit de refuser l’humiliation d’un second mariage de sonépoux. Une femme moderne soumise aux lois du harem !

Quant au second point, les islamistes pensent qu’en instaurant un État basé sur la "shura" -unÉtat des "oulémas"- ils seront capables, grâce à leur administration des appareils de gouvernement,d’unifier la société sous la bannière d’un seul système, à savoir, le système religieux tel qu’ils lecomprennent. Cependant, ce qui se passe est ce qui s’était déjà passé pendant les siècles antérieurset dans les expériences politiques islamiques contemporaines, à savoir, qu’une fois les islamistes

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au pouvoir, leurs cadres occupent les postes les plus importants et ils créent une alternance entreeux sous forme d’élection non démocratique de laquelle sont écartés les autres partis laïcs. Ce quiconduit à une "shura entre eux", c’est-à-dire entre les islamistes dont la référence est la religion.Dans le système de la shura, les autres parties n’ont pas accès aux élections avec les mêmes droits etc’est ainsi que s’éternise, sans possibilité de retour en arrière, ce gouvernement en tant que systèmedespotique. Nous le montrons de despotique parce qu’il ne permet pas aux autres systèmes d’idées, àl’exception du système religieux, de s’exprimer en toute liberté et les fait rentrer dans le domaine del’interdit. Nous le montrons aussi de despotique parce que dans son échec d’unification de la sociétédans le cadre d’un système d’idée unique -du fait que les gens sont enclins à la controverse depuis ledébut de la civilisation et ils resteront ainsi jusqu’à la fin- il dirige ses efforts vers la création d’uneharmonie artificielle qui demeure une image mentale de ses rêves. Ce qui le conduit dans ses heurtsavec la réalité à recourir à une main de fer qui annonce sa fin.

La liberté avant tout

Dans le cadre du système de la shura, les islamistes se préoccupent du transfert de la religiondu domaine de la croyance individuelle au domaine public global dans le but de "l’application dela loi divine". Étant donné qu’il n’est pas possible que Dieu se charge directement des affaires desêtres humains, parce qu’ils savent mieux s’en occuper, certaines personnes "dévouées à la religion"auxquelles il faut faire tous les efforts pour la défendre, s’en chargent sous les instructions de Dieu.Dans tous les cas où il existe un conflit entre les droits des gens et ce qu’ils considèrent commeétant la "défense de la religion", la priorité absolue est donnée à la défense de la religion et ainsila protestation devient une incrédulité, un égarement et une machination contre la communautéet c’est comme cela que des gens ont été jugés pour accusations religieuses alors qu’ils ne sontque des opposants politiques et c’est cela le gouvernement islamique tel qu’il a toujours été aucours de la longue histoire du califat et tel qu’il se réalise dans les systèmes islamiques contemporains.

Ces systèmes islamiques nous donnent d’importants éléments qui nous permettent de comprendrela crise de ce discours islamiste et la réalité de son projet de la "shura". Au niveau administratif etéconomique, ils empruntent toutes les réglementations avec lesquelles sont gérés les États modernesdu monde entier en apportant quelques retouches formelles. Au niveau politico-organisationnel, ilscréent des appareils tous empruntés au système démocratique occidental même si leurs fonctionsdemeurent formelles du fait que l’orientation générale du système ne permet pas un fonctionnementnormal de ces appareils. En quoi consiste donc son caractère musulman ? Le "renouveau islamique"ne consiste en réalité qu’à investir les domaines de l’éducation, de la presse et certaines apparencesde la vie publique, c’est-à-dire les domaines qui permettent de faire passer un discours idéologiqueglobal qui se substitue à la réalité. De cette façon, les programmes scolaires sont restructurés selonla conception religieuse officielle qui nourrit en fin de compte tous les sentiments de méfiance et de

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haine envers tout ce qui est différent et contribue à renforcer l’instinct guerrier dans les esprits desélèves et des étudiants qui deviennent des soldats de l’État poussés à la guerre sainte -qui ne dépassepas l’assassinat de leurs frères musulmans. En outre, les mass médias ne permettent de faire passerque les images et les productions qui sont en harmonie avec la conception officielle de l’État ayantune prédominance de la vision religieuse sur tous les programmes et les productions présentés. Surle plan de la vie publique, on insiste sur le contrôle de la tenue vestimentaire des femmes et la confis-cation des boissons alcoolisées, des différents jeux de hasard et des arts qui ne sont pas acceptablespour les "savants". Néanmoins, toutes ces réalisations ne sont, en aucune façon, une solution auxbesoins immédiats des citoyens.60 Leurs revenus, leur niveau de vie et leur privation de leurs droitsfondamentaux tels que le droit d’expression et de croyance montrent que le système islamiste aréhabilité la religion et non pas l’être humain et ceci est la différence entre la shura et la démocratieparce que cette dernière a comme base philosophique que "l’être humain est une fin en soi" etc’est la clé de voûte de la renaissance en Occident tout entier : la dignité de l’être humain avant tout.

L’échec des systèmes islamiques à ce niveau est du à l’emprunt des styles d’organisation moderneset, dans le même temps, la conservation de l’idéologie globale traditionnelle. Ce qui conduit àl’usure de l’ensemble des parties dans une lutte féroce pour la liberté. La séduction qu’exerce lesmodèles étrangers par l’intermédiaire des médias et des systèmes de télécommunication joue lerôle principal dans cette situation et mène les systèmes islamiques à l’échec dans leur tentative deconvaincre leurs peuples que leur système ont plus d’avantages que la liberté.61

La thèse des islamistes révèle une contradiction flagrante lorsqu’ils affirment ne pas être contrela liberté en citant généreusement les versets qui donnent le libre choix de croire ou ne pascroire : «Nulle contrainte en religion !»62, «Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veutqu’il mécroie.»63, etc. Dans le même temps, ils considèrent qu’ils sont absolument sur le droitchemin et que les autres sont manifestement dans l’erreur. Ce qui permet dans tous les cas dejuger autrui, non pas sur la base du respect de ses droits, mais selon le principe de la "défensede la religion" qui est utilisé comme un moyen pour refuser l’autre parce qu’il est différent. Tousles dénigrements, les procès en justice et les tortures corporelles dans certains cas, qui menacentles intellectuels, les créateurs et les hommes de culture dans de nombreux pays musulmans sont

60Le gouvernement soudanais avait déclaré, il y a quelques années, que son pays allait réaliser une autonomie dansla production des céréales et qu’il allait exporter du blé vers d’autres pays. Cependant, tout le monde fut surprisd’une augmentation de cent pour cent du prix du pain, ce qui avait conduit à de grandes manifestations.

61Nous constatons cela dans les efforts du pouvoir et de la police révolutionnaire en Iran dans le contrôle de latenue vestimentaire officielle (le tchador) des femmes et dans le contrôle de la presse et la confiscation scandaleuse etabsurde des antennes paraboliques ; ainsi que dans le contrôle sévère que fait le ministère des affaires religieuses surles livres et les publications dont la plupart sont censurés dans le cas où ils ne sont pas totalement interdites ; ainsique dans l’assassinat manifeste des universitaires et des hommes de culture.

62trd. Cette phrase est un verset du Coran : «Nulle contrainte en religion !» (II, 256)63trd. Cette phrase est un verset du Coran : «Et dit : «La vérité émane de votre Seigneur.» Quiconque le veut,

qu’il croit, et quiconque le veut qu’il mécroit.», (XVII, 29)

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toujours justifiés par le fait qu’ils ont commis des crimes envers la religion avec leurs idées et sesdéfenseurs parmi les islamistes se fondent pour elle. Lorsqu’on leur dit que chaque citoyen a ledroit d’exprimer ses idées et ses opinions en toute liberté, ils répondent qu’il n’a pas le droit deles rendre publiques si elles sont en conflit avec le "consensus de la communauté". Ainsi, seulsles "prédicateurs" ont le droit de vociférer, jour et nuit, du haut de la chaire des mosquées, parl’intermédiaire des moyens de communication audiovisuels et sur les pages des journaux et desrevues. L’homme de culture et laïque, quant à lui, doit se réfugier dans le silence pour sauver sa peau.

Cependant, quelle est cette shura que prêchent les islamistes ? Est-elle un système complet degouvernement apporté par l’Islam ? A-t-elle un modèle quelconque dans l’histoire ?

La shura, à son origine, est un système coutumier de la tribu arabe préislamique. Les notableset les nobles de la tribu échangeaient leurs opinions sur les décisions à prendre et cet échangen’était pas toujours obligatoire pour le chef de la tribu qui pouvait, après cet échange, imposerson avis personnel à tout le monde. Quand le Coran, en s’adressant au Prophète de l’islam, dit :«Et consulte-les à propos des affaires»,64 il n’apportait pas du nouveau par rapport à la cultureet à la mentalité des Arabes. La shura s’est réalisée au sens ci-dessus pendant l’époque islamiqueet les quatre premiers califes ainsi que leur successeurs parmi les monarques et les sultans neconsidéraient pas la shura comme une obligation. C’était plutôt juste pour s’informer des opinionsdes autres. Les quatre premiers califes consultaient les autres mais ne prenaient pas toujours encompte leurs avis et la façon dont ils ont été nommés califes ne fait pas preuve de l’existence d’unsystème bien établi de la shura. Abou Bekr avait été nommé calife d’une manière dont Omar avaitdit plus tard : «La nomination d’Abou Bekr fut une bévue dont Dieu nous a épargné les méfaits.Quiconque d’entre vous réitère la même chose, tuez-le.»65 Omar fut nommé calife par testamentécrit d’Abou Bekr qui désigna six personnes pour que l’un d’entre eux lui succéda s’il est nommépar les restants. Puis Ali devint calife après avoir été nommé par une partie contre l’avis d’uneautre. L’idée de la shura ne se réalisa donc pas au sens théorique façonné par les islamistes etles oulémas traditionalistes et qui concerne l’époque des quatre premiers califes qu’ils considèrentcomme étant l’âge d’or de la shura. Ceci a été noté par les anciens historiens et les chercheurscontemporains : «Les musulmans nommèrent Abou Bekr et l’abandonnèrent à lui-même et s’il luiarrivait de les consulter sur une affaire et qu’il a un avis différent, il faisait ce qu’il voulait et c’étaitainsi d’Omar, d’Ali et d’Othman.»66

Quant à la shura des "des responsables compétents" ce n’était pas une invention du "règnecorrompu", mais plutôt la continuité des coutumes arabes en ce qui concerne la délibération qui

64trd. Ceci est le verset coranique : «Et consulte-les à propos des affaires ; puis une fois que tu t’es décidé, confie-toià Allah, Allah aime, en vérité, ceux qui Lui font confiance.» (III, 159) Ici le mot "consulte-les" est la traduction dumot arabe "Shâwirhum" qui est de la même racine que la Shura.

65t-Tabarî, Târikh Al-Umam wa Al-Mulûk, p.250.66Dhafir Al-Qasimi, Nidham Al-Hukm fi Shari’a Al-Islamya, Dar n-Nafis, 1977, p.79.

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était restreinte à un groupe limité de chefs de tribus et elle devint plus tard la continuité descoutumes despotiques du royaume perse irritées par les Kuttab qui les diffusèrent en les traduisantdu Persan.

Résumé

1. Le système démocratique n’est pas un ennemi de la religion, il est plutôt le système qui garantiela liberté de la croyance. Cependant, ce n’est pas un système religieux qui fait la différence entreles gens de part leur foi ou qui prend la religion comme une base dans l’exercice d’un pouvoirpolitique absolu ou qui considère les textes religieux comme un cadre clos qui ne permet qu’uneseule interprétation qui a été fixée depuis des siècles par les devanciers. Au contraire, elle est lecadre qui permet des possibilités de renouveau effectif dans la religion même.

2. Il n’est pas possible que la démocratie dans la société musulmane refuse la participation de la religionet des hommes de la religion dans le développement de la société et pour la création de son avenir.Toutefois, elle ne leur permet pas d’annuler la démocratie et de priver les citoyens de leurs droitsfondamentaux dont le premier est la liberté de pensée et de croyance. La démocratie accepte que lareligion soit un facteur de réforme mais elle la refuse comme étant une idée totalitaire du pouvoirabsolu qui finit par tomber dans l’antinomie des objectifs de la religion elle-même : la persécutionet l’humiliation de l’être humain.

3. Faire intervenir la religion sur le terrain politique, sans l’acceptation des fondements de la dé-mocratie : la liberté et l’égalité, est un acte qui finit par perpétuer le despotisme contre lequelles musulmans ont milité pendant des siècles et ils continuent de souffrir de ses résidus et de sesconséquences chroniques.

4. La laïcité -pour les raisons mentionnées dans les point ci-dessus- ne se dissocie pas de la démocratiemais elle est plutôt son fondement philosophique. Aujourd’hui la laïcité n’est pas un courant antire-ligieux mais elle refuse sa mauvaise utilisation qui a des conséquences négatives pour l’être humainet qui porte atteinte à ses droits fondamentaux.

5. Ce que les islamistes appellent le système de la shura, présenté comme étant un système ayant uneexistence propre, n’est qu’un ensemble de conduites personnelles éparses d’individus isolés qui secontredisent avec d’autres conduites des mêmes personnes. Il ne sert à rien de sélectionner quelquesfaits et quelques événements pour les présenter comme preuves contre la réalité historique. En outre,la shura n’était pas isolée des coutumes despotiques de la tribu arabe ni, plus tard, des traditionstyranniques des perses et des turques.

6. Le concept de la shura est en relation avec les concepts de la "bai’a" (l’allégence) et de "l’imamat"(qualité de chef) qui sont des concepts religieux qui prouvent le caractère théocratique du systèmede la shura. La différence entre la démocratie et la shura s’éclaircit lorsque l’on sait que l’hommedémocratique au pouvoir est tenu par la loi qui se prête au changement selon les besoins des gens

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et leurs conditions de vie, tandis que le gouverneur dans un système de la shura est tenu par uneloi coranique figée et absolue. Laquelle loi si elle s’avère en conflit avec l’intérêt général, celui-ci estsacrifié pour s’attacher au texte qui a été interprété comme jadis et ceci est le sujet de la partie quitraite de l’impasse de la jurisprudence.

La science et la foi

Les islamistes ont une idée ambiguë sur la science dans la civilisation musulmane. Ils imaginent lessciences comme étant un ensemble de techniques prêt à l’emploi dans n’importe quel environnementidéologique et philosophique. C’est ainsi qu’ils croient que les musulmans anciens "excellaient"dans les sciences rationnelles en partant de la religion. Cependant, un aperçu des textes et desthèses d’Averroès, de Jabir Ibn Hayyan, d’Ibn Al-Haytam, de r-Razi et d’Avicenne démontre queces personnages affirment sans crainte leurs emprunts aux systèmes de pensées préislamiques.La connaissance du Coran et du Hadith par Averroès ne lui a rien apporté en médecine. Maissa connaissance d’Hypocrate et de Jalinious était ce qui a fait de lui un médecin et l’a conduità l’innovation en médecine. Il reste à savoir si ces grands savants avaient pris connaissance dessciences grecques dans leurs fondements philosophiques ou les avaient-ils empruntées sous forme detechniques aveugles, dépourvues de leur base rationnelle. Les écrits de ces savants, leur personnalitéset même leur biographies, montrent clairement que s’intéresser aux sciences rationnelles, chez lesmusulmans, signifiait l’adhésion à une structure culturelle distincte.

Les musulmans avaient pris les sciences rationnelles des grecques dans le cadre d’un contexte depensée intellectuel, philosophique et ontologique général et il n’était pas facile de comprendre cessciences en dehors de ces fondements. Ceci peut être motivé par deux choses essentielles :

1. De nombreux oulémas s’intéressèrent à ces sciences et ne réussirent pas parce qu’ils n’avaient rienproduit de notable dans ce domaine. La raison de l’échec de ces tentatives est qu’ils ne se sont pasimprégnés du domaine de la connaissance de ces sciences qui n’obéit pas aux principes de la penséereligieuse puisqu’il n’est pas possible d’innover dans la science rationnelle avec un esprit religieux.

2. Tous ceux qui avaient travaillé dans le domaine des sciences rationnelles étaient suspects. Leur foiétait mise en cause et ils étaient vus comme des promoteurs de l’athéisme puisqu’ils se préoccupaientde ces sciences sans se soucier des postulats et des idées figées de la religion du fait qu’ils les avaientabordées du point de vue d’un système différent.

Les musulmans n’avaient donc pas pu préserver leur génie dans les sciences rationnelles ense mettant à l’extérieur de son cadre philosophique grec et c’est ce qui explique le recul de cessciences et leur transformation progressive vers des "sciences secrètes" après la disparition desfondements philosophiques dans le climat du blocus imposé par la pensée religieuse. Les oulémasbannirent ces sciences après avoir dépensé beaucoup d’énergie pour se convaincre et convaincre les

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autres qu’il ne s’agit là que de simples sciences "d’ici-bas" qui ne servent pas dans l’au-delà et celaarriva au moment où ils voyaient qu’ils ne pouvaient les dissocier de leur système cognitif généralau sein duquel elles se trouvaient. Pour montrer cela, nous citons comme preuve cette polémiquehouleuse que connut la pensée islamique ancienne entre les philosophes et les oulémas ash’aritessur le principe de la causalité que les philosophes considéraient comme étant la base de la sciencenaturelle. Pour les philosophes, la causalité est un principe logique rationnel sur lequel s’appuiela raison pour exclure le hasard dans le déroulement des événements dans la nature et montrerleur obéissance à des lois nécessaires et stables. Étant donné que la science a pour objectif ladécouverte de ces lois, leur formulation mathématique et leur traduction en lois abstraites, ce quiaurait été impossible si nous ne comprenons pas que tous les phénomènes se produisent une fois quel’ensemble des conditions correspondantes soit réuni et c’est ce qui permet de donner une prévisionscientifique de ces phénomènes, laquelle prévision est fondée sur des calculs précis qui montrentla justesse du système universel et nous permet de faire une correspondance entre le systèmenaturel et le système abstrait. C’est ce qu’exprime Averroès lorsqu’il critique les théologiens, lesAsh’arites et les oulémas qui récusent catégoriquement la causalité : «Il faut que nous sachionsque celui qui nie que les causes agissent, grâce à Dieu, sur leurs objets, il abolit la science et laconnaissance parce que la science est la connaissance des choses à partir de leurs causes (. . .) Niercomplètement la causalité est une idée très étrangère à l’esprit des gens.»67 Al-Ghazâli, commeles oulémas savants, refusa le principe de causalité et le considérait en conflit avec l’idée religieusede la volonté divine absolue puisqu’une croyance en des causes nécessaires abolit, chez lui, la foique Dieu accomplit tous les événements par Sa volonté quand ils se produisent. Il dit : «Mettreen relation ce qui est considéré communément comme une cause et ce qui est considéré commel’effet, n’est pas pour nous nécessaire. Les deux choses sont différentes et en exhiber une n’est pasnécessairement exhiber l’autre. L’absence de l’une ne signifie pas l’absence de l’autre. L’inexistencede l’une ne signifie pas l’inexistence de l’autre comme par exemple boire et l’apaisement de la soif,manger et la satiété, allumer le feu et la combustion (. . .) Leur mise en rapport est quelque chosede prédéterminé par Dieu, gloire à Lui. Il les crée pour qu’ils se produisent les uns après les autreset non pas parce qu’ils sont nécessaires par eux-mêmes.»68

D’après Al-Ghazali, le feu ne brûle pas le bois parce qu’il existe entre eux une relation de cause àeffet mais parce que Dieu crée l’acte de combustion, ce qui veut dire que la combustion peut ou nepas se produire suivant la volonté de Dieu et c’est de cette façon que la permission et l’habitude sesubstitua à la causalité. Il est évident à partir de cet exemple que la pensée religieuse est incapabled’assimiler les principes scientifiques parce que comment pouvait-on fonder une connaissancescientifique de la nature en partant de concepts théologiques ?

67Abou Al-Walid Ibn Rushd, Al-Kashfu ’an Manâhij Al-Adilâti fi ’Aqaidi Al-Milâti, p.128, Dar Al-Afaq Al-Jadidah,Beyrouth.

68Abou Hamîd Al-Ghazali, Tahafut Al-Falasifah, un texte cité dans Tarikh Al-Falsafa Al-’Arabiya de Jamil Saliba,Dar Al-Kitâb l-Lubnâni, Beyrouth, p.376.

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Les oulémas et les partisans de l’orthodoxie applaudirent et remercièrent Dieu parce quela philosophie rationnelle "n’a pas réussi à se faire une place dans les pays musulmans aprèsAl-Ghazali" qui a fait vaincre la causalité par la permission et la justesse du système universelpar les miracles et le merveilleux. Cependant, à cause de leur naïveté et leur manque d’une vued’ensemble sur le sens de la science et de son rôle dans le développement de l’esprit et de lasociété, ils ne s’aperçurent pas que l’irradiation de la philosophie n’était pas la défaite de Platon,d’Aristote et de la métaphysique grecque en tant que système étranger, mais c’était aussi répudiersans espoir de retour un système scientifique qui fut dans peu de siècle à la base de la renaissanceen Occident tandis que dans les pays musulmans, il n’a pas pu se faire aucune place après Al-Ghazali.

Les islamistes et les partisans de la laïcité savent aujourd’hui que les adeptes de l’orthodoxiedans le passé se trompèrent lorsqu’ils avaient considéré cette perte comme un acquis et une victoiresur les "hérétiques". Cependant, comment se comportent les islamistes du XXe siècle qui voientde leurs propres yeux les révolutions de l’esprit rationnel se succéder dans les "pays de l’incroyance."

On s’attendrait à ce que le mouvement orthodoxe réformiste d’il y a cent ans et les mouvementsislamistes des années vingt jusqu’à aujourd’hui cassent cette force ancienne et présentent une nou-velle conception de la science en partant du complexe de la pensée religieuse et qui se base surun renouvellement de la place donnée à la raison humaine et participe à son incitation à la re-cherche et à la découverte. Néanmoins, ces gens-là aussi -malgré qu’ils comptent dans leurs rangsdes médecins, des ingénieurs et des professeurs des sciences- aboutirent aux plus mauvais des résul-tats qui ne changèrent rien à la situation du caractère rétrograde de la pensée répandue dans lespays musulmans. Ils avaient exalté la science au moment où ils virent ses résultats, qui ne peuventêtre démentis, sur la vie moderne et la prise de conscience contemporaine. Cependant, cela s’étaitproduit dans un cadre conciliatoire creux qui se contente d’envelopper les inventions scientifiquesoccidentales et ses découvertes par des interprétations religieuses caricaturales qui renvoie toutenouvelle innovation occidentale à l’âge d’or du passé, l’époque prophétique. C’est ainsi que toutesles théories scientifiques construites par l’esprit scientifique grâce à ses efforts théoriques et expéri-mentaux, sont des théories coraniques et "nous sommes les premiers à les avoir découvertes" mais"nous les avons omises".69 Où étaient les savants de la communauté au moment où Ibn Rushd, ily a huit siècles exhortaient aux musulmans de "déduire ce qui inconnu de ce qui est connu" et deconnaître le Créateur par la raison en s’appuyant sur les sciences rationnelles ?

69Les islamistes exposent dans leurs activités culturelles des enregistrements "scientifiques" de z-Zandâni et lesspectateurs en sortent convaincus de la sagesse du Coran en répétant ses versets. Cependant, ils ignorent la façondont s’était constituée la connaissance scientifique par ses fondateurs occidentaux, ni ce qu’ils leur faut faire pourcontribuer à la recherche scientifique. Ainsi, les islamistes gagnent des partisans politiques en utilisant la science sansrien lui présenter en retour.

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Résumé

1. Les islamistes ne font pas une différence claire entre la science et la religion, entre ce qui estuniversel et particulier. La science avec ses fondements -qui sont les principes de la raison humainepartout au monde- ne peut pas être dirigée à partir d’une plate-forme particulière comme celle del’Islam qui concerne certains peuples uniquement. Toute orientation de la science par des principesqui ne sont pas les siens conduit inévitablement à la "non-science", c’est-à-dire à l’utilisationidéologique de la science.

2. Les sciences ne sont pas des systèmes dépourvus de toutes plate-forme philosophique. La disso-ciation entre la philosophie et les sciences qui sont devenues des spécialités pointues ne signifiepas que ces dernières sont de simples techniques prêtes à être modelées dans n’importe quelmoule idéologique, religieux ou politique. Les sciences ont à leur base un système d’idées rationnelsans lequel elles ne peuvent pas être fondées et il est possible à l’esprit religieux d’apprendre parcœur certaines inventions scientifiques et de les expliquer comme il veut mais il ne peut pas in-venter de nouvelles théories. Ces innovations ne peuvent être faites que grâce à un esprit scientifique.

3. La foi religieuse n’a aucun effet sur la connaissance scientifique, elle ne la gâte pas mais ellene participe pas non plus à sa construction et à son développement. Ils existe de nombreuxsavants croyants de part le monde et ils travaillent avec leurs confrères athées dans le mêmeprojet scientifique. Ils travaillent ensemble dans le cadre de l’identité scientifique et non pasreligieuse parce qu’ils savent que le travail de laboratoire a besoin de règles scientifiques communesà leur esprits et non pas de leurs sentiments et leurs tendances spirituelles qui sont un facteurd’éloignement entre eux.

4. La véritable différence entre l’esprit religieux et l’esprit scientifique est la différence entre le relatifet l’absolu, ce qui fait d’eux deux domaines séparés. Ce que l’esprit scientifique considère commeétant en dehors de son domaine de travail, l’esprit religieux le prend pour une règle et une basede toute explication. L’impasse dans laquelle tombent ceux qui confondent la science et la religionest leur incapacité à toujours concilier entre une vérité relative, prête à être dépassée car la sciencese développe grâce à ses erreurs, et la vérité religieuse figée. Comment attribuer une légitimitéreligieuse à un résultat scientifique susceptible de changer, étant donné qu’il n’existe pas de résultatdéfinitif en science ?

5. Dans l’histoire de la science, il est établi d’une manière qui ne laisse pas de place au doute queles sciences ont réalisé leurs grandes révolutions après avoir été libérées de toute tutelle. Il est bienétabli également que les sciences ont vu leurs drapeaux berner et leurs sources se tarir dans unclimat de terrorisme intellectuel que l’institution religieuse a diffusé et il ne sert à rien de nier lesvérités historiques bien attestées.

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L’impasse de la jurisprudence

Les chercheurs et les critiques contemporains qui se préoccupent de la pensée islamique sontquasiment unanimes que la crise de cette pensée à l’époque actuelle vient de son incapacité àreformuler le concept de l’Ijtihad (la jurisprudence) en se fondant sur les nouvelles nécessitésmatérielles et morales du monde contemporain. Pour montrer cela, il faut commencer par savoir lesens que donnent les musulmans à "l’Ijtihad".

sh-Shahrastâni dit : «Nous savons pertinemment aussi qu’il n’existe pas de texte pour chaquefait. Cela ne peut pas être imaginé aussi parce que le nombre de texte est fini alors que celui desfaits ne l’est pas et ce qui est infini ne peut pas être saisi par ce qui est fini. Il est bien connu quel’Ijtihad et l’analogie doivent être pris en compte afin que chaque fait trouve sa solution.»70

Chez les savants de la communauté, l’Ijtihad consiste à déduire de nouvelles lois à partir dessources antérieures (Coran, Hadith et le consensus des devanciers) à cause des faits qui se présententet pour lesquels il n’y a pas de texte clair ou de jugement connu. Toutefois, cet Ijtihad n’étaitpas «flottant et en dehors des limites de la loi divine» parce que «l’analogie flottante est une loidifférente et l’établissement d’un jugement sans document est une situation différente» tandis quele «législateur est la personne qui promulgue les lois et celui qui fait de l’Ijtihad doit se conformerdans ses efforts à ces éléments.»71

Les juristes mirent aussi des conditions pour l’Ijtihad et ils les avaient précisées dans ce quisuit : (1) la connaissance de la langue arabe, (2) la connaissance de l’exégèse coranique, (3) laconnaissance des hadiths et des chroniques avec leurs chaînes de garants, (4) la connaissance despoints du consenus, (5) la connaissance des méthodes analogiques et de leurs règles.

Puisque l’Ijtihad est l’expression des pressions de l’histoire qui avaient contraint les musulmansà chercher à adapter le texte statique à la réalité en mouvement, il n’apparaît pas comme undomaine d’étude dans le cadre des sciences classiques qu’après tous les autres domaines et c’estainsi qu’Ibn Khaldoun le considéra parmi les «arts récemment apparus dans la religion.»72

Les musulmans aujourd’hui reconnaissent l’utilité et la nécessité de l’Ijtihad lorsqu’ils disent :«L’Islam est valable partout et pour toutes les époques», du fait que c’est l’Ijtihad qui permetau texte de s’ouvrir sur les possibilités et les surprises du monde réel. Cependant, des siècles destagnation, d’imitation et d’ignorance se sont accumulés et forment une couche épaisse qui sépare

70Abou Al-Fath sh-Shahrastâni, Al-Milal wa n-Nihal, p.199, Dar Al-Ma’rifa, Beyrouth, 1982.71Abou Al-Fath sh-Shahrastâni, Ibid.72Ibn Khaldoun, Prolégomènes, p.454.

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les musulmans du XXe siècle des premiers siècles où un effort d’interprétation a été fait. Lorsquele choc de la rencontre avec l’Occident, qui était au sommet de sa force et dans sa splendeurcivilisationnelle, se produisit, le système du pouvoir religieux islamique avait déjà subi unedégradation effective résultant de la longue exploitation de la mosquée par l’institution religieuseau service du pouvoir politique qui n’était pas équitable de tout point de vue. Au moment où lemodèle de la modernité occidentale arriva parmi nous, il était naturel que certains y voient unmoyen de délivrance et que d’autres y voient une occasion pour réviser le capital de l’histoiremusulmane et tenter de le comprendre à nouveau à la lumière des nouveaux défis. Toutefois, cedernier projet, le "renouveau de l’Islam", c’était rapidement transformé à son tour en courants ettendances, en doctrines et partis politiques, qui s’entre-tuaient entre eux, et en systèmes politiquesen vigueur qui ont remis l’autorité religieuse à son état antérieur : exploiter la religion pour couvrirla tyrannie politique.

Le califat fut pour les oulémas un symbole de la suprématie de la charia (la loi islamique)du fait qu’elle fut le système qui garantissait l’assujettissement de la vie pratique aux principesreligieux. C’est ainsi que le rétrécissement de l’espace qu’occupait la charia est en rapportavec l’effondrement du califat. Le mouvement des «Frères musulmans» apparut juste après cetévénement et ils furent les premiers à revendiquer le retour de la charia dans le cadre d’uneorganisation socio-politique moderne. Cette protestation était la réaction des anciens élèves del’enseignement classique de l’école Al-Azhar73 qui avaient le sentiment de se retrouver à la marge dela société parce que l’État moderne recrutait ses cadres parmi les gens formés dans l’enseignementmoderne.74 Les gens de formation théologique se retrouvaient dans des difficultés pour leur gagne-pain alors qu’ils appartenaient à la classe dirigeante dans l’administration de l’État califal classique.

L’Ijtihad devint une impasse réelle à la pensée islamique lorsqu’il s’est transformé en une opérationformelle qui finit toujours à ce qu’avaient établi les prédécesseurs sans aucun renouveau effectif. Cetéchec est dû au fait :

1. Que la règle juridique qui dit qu’«il n’y a pas d’Ijtihad dans le cas où un texte existe» oublie quele texte lui-même a besoin de nouvelles interprétations aussi longtemps que les nécessités de notretemps sont différentes de celles de la société des premiers compagnons du Prophète.

2. Que l’acception du concept de "l’intérêt" sur lequel s’appuie encore l’Ijtihad ne va pas dans le mêmesens que celui du courant social et la forme de l’évolution de la société.

Les oulémas classiques considéraient que l’intérêt doit être "discerné" au sein de la charia,c’est-à-dire que c’est cette dernière qui détermine les intérêts et les dommages et que ce ne sontpas les gens qui savent leurs intérêts. Al-Amadi dit dans son livre "Al-Ihkâm fi Usûl Al-Ahkam" :les «choses de la charia sont fondées sur l’intérêt, lequel intérêt est inaccessible à l’endentement

73trd. Al-Azhar est une école d’enseignement islamique classique en Egypte.74Ali Oumlil, Al-Islahiya Al-’Arabiya wa d-Dawla Al-Watania, pp. 156-157, Centre culturel arabe, 1985.

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humain.» sh-Shatibi ajoute dans son ouvrage "Al-Muwafaqat fi Usûl Al-Ahkâm" : «La charia estfondée sur la prise en considération des intérêts et les intérêts sont considérés comme tels du faitque le législateur les a ainsi définis et non pas par nécessité du fait que les intérêts sont différentsde cela par les affinités et les rajouts.»

Ceci veut dire que les oulémas ne sont pas habiletés à faire jurisprudence que dans le cadrede la définition de l’intérêt préalablement fixée. C’est une définition absolue de l’intérêt tandisque l’histoire atteste que ceux-ci sont relatifs et changent d’une manière effective d’une époqueà l’autre. Il a résulté de cette idée qu’avaient les oulémas du concept de l’intérêt, associé à lasagesse divine cachée, qu’il n’est plus possible de le mettre en rapport avec les intérêts contingentset renouvelés des êtres humains. Ce qui explique l’indifférence répandue actuellement chez lesmusulmans en ce qui concerne "l’application de la charia" tant ils trouvent dans les lois en vigueurce qui protègent leurs droits dans les nouvelles conditions de vie que leurs ancêtres n’avaient pasconnues. Le citoyen qui emprunte de l’argent à crédit ne se représente absolument pas le conceptde l’intérêt tel que les oulémas l’avaient défini. Au contraire, dans ses efforts pour répondre àses besoins sans penser au degré de leur légitimité au sens orthodoxe, il exprime son adoptiond’une signification distincte du concept de l’intérêt dans un cadre social différent au sein du quelle réseau des relations institutionnelles -et non pas les relations individuelles- dirige la réalité sociale.

Les oulémas se sont aperçus de cet tension entre les intérêts relatifs et la signification absoluede l’intérêt telle que la pensée religieuse l’avait conçue et ils se sont montrés intransigeants dansl’interdiction de penser aux intérêts en dehors des normes juridiques, Al-Ghazali dit : «Quiconquepense que c’est un cinquième, se trompe, parce que nous avons ramené l’intérêt à la protection desdesseins de la charia et ceci sont connus à partir du Coran, du Hadith et du consensus des anciens.Tout intérêt qui n’a pas pour objectif de protéger un dessein lu dans le Coran, dans le Hadith oudans l’orthodoxie et qui est un intérêt étrange qui ne convient pas à la charia, est considéré commenon avenue et doit être rejeté.»75 Les desseins de la charia dont il est question ci-dessus ne sont pasce que les gens comprennent de la charia à la lumière de leurs besoins matériels et moraux, maisce qu’avaient compris les oulémas et qui fut l’objet du consensus des anciens. Ainsi, le présent estjugé avec des critères du passé.

Les propos ci-dessus d’Al-Ghazali, signifient que les intérêts actuels doivent être jugés par leconsensus des oulémas des époques antérieures. Il est ainsi naturel que de nombreux intérêtsapparaissent "étranges" pour les sociétés du passé, ce qui les rend caduques. Puisque les gens nepeuvent pas abandonner leurs intérêts tel que leur époque les leur reflète, ils seront contraintsde les traiter avec les lois en vigueur en ignorant tout débat religieux. La pensée islamique aconnu des moments exceptionnels qui ont vu apparaître des savants rares tel que Najm d-Din t-Tûfi qui a prévalu l’intérêt sur toutes les "preuves" de la charia. Cependant, cette époque reste isolée.

75Khâlid Zyad, Hal Al-Ijtihâd Amrun Mumkin, Revue Al-Ijtihad, No 10-11, 1991.

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Pourquoi les pays musulmans sont-ils sous-développés ?

Que manque-t-il à l’acception que donnent les islamistes à l’Ijtihad "circoncis" ? Il manque laréalité humaine qu’avait exprimé l’expérience de toutes les civilisations et les cultures antérieures :C’est que si les textes ont leur logique, l’histoire a une logique différente du fait qu’il n’existe pas untexte valable pour l’éternité mais il peut être valable dans la mesure que les gens le comprennentà la lumière de leur vécu et de leurs besoins actuels. Ceci explique la lutte des islamistes contretous les aspects de modernisation que subissent leur sociétés à tous les niveaux et leur intolérancede toute théorie innovatrice qui se fixe pour objectif la compréhension du texte conformément auxexigences de la réalité des gens. Les Islamistes ne prêchent pas l’Islam tel qu’ils le comprennent àla lumière des besoins de notre époque comme la plupart d’entre eux prétendent, mais ils finissenttoujours par prêcher le retour aux anciennes solutions elles-mêmes, aux anciennes conceptionselles-mêmes,76 qu’ils arrachent à leur contexte historique, aux nécessités d’une époque révoluequi ne reviendra jamais. Dans le même temps, les solutions proposées par la laïcité occidentaleapparaissent à l’individu, qui vit des changements rapides, plus sûres, plus cohérentes, plusconvaincantes et plus harmonieuses avec les ambitions de la société moderne (ou modernisé, maiscela revient au même.)

Les Islamistes ont toujours tenté de montrer les lois en vigueur dans les sociétés musulmanesd’aliénation en vogue en Occident mais ils ne s’aperçoivent pas beaucoup que ce qui s’était passéest que ces sociétés ont aussi choisi ce qui leur paraissait "meilleur" et plus harmonieux avecleur situation actuelle. Je dis "meilleur" du fait qu’après le départ du colonialisme, nous n’avonspas restauré le système de la charia dans la société ni dans l’organisation de l’État étant donnéque l’État et la société ne sont plus ce qu’ils étaient, et il est devenu indispensable à quiconquevoudrait appliquer le système complet de la charia de restituer la société traditionnelle -celled’avant 1912- ce qui est de l’ordre de l’impossible. L’adoption de la loi moderne, considéré commenon-contradictoire dans ses objectifs avec l’esprit de la loi islamique, s’était effectué à cause de la

76La presse islamiste avait reçu, dans notre pays, l’appel des organisations féminines pour changer les lois duStatut Personnel grâce à des textes religieux dont on avait dit qu’ils sont "stables" et ne nécessitent aucun effortd’interprétation. Cependant, cette presse ne s’aperçoit pas des faits et des cas présentés par ces organisations enguise de preuve et dont il n’est pas possible de dire que c’est une justice ou un bien, au contraire, ce sont des casd’oppression manifeste. Cela veut dire que ce qui est important pour ces islamistes c’est le texte lui-même, tel qu’ilsle comprennent aujourd’hui et tel qu’il a été compris par les orthodoxes avant eux, et non pas les intérêts des êtreshumains. C’est une vision qui contredit et la charia et la loi en même temps. Ils insistent sur une nouvelle lecturedes textes, une lecture qui efface les écarts qui existent à toutes les époques entre le texte et la réalité des gens,une lecture devenue dans l’intérêt de l’islam lui-même en dépit du fait qu’elle n’est pas dans l’intérêt des gens quioccultent le passé et qui se voient comme des gardiens de l’héritage de sociétés ayant le droit de l’intégrer grâce à uneffort d’interprétation dans leur vie contemporaine.

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stérilité de la capacité de la jurisprudence religieuse du fait que le système de la pensée religieusene permet pas de produire des lois relevant de la charia et qui soient convenables aux changementsen cours que les décrets religieux des oulémas de ce siècle sont incapables de suivre. Au contraire,ils ont fait preuve d’une étrange maturité d’esprit qui avait interdit toutes les choses qui étaientet restent encore la base de la renaissance des civilisations et la grandeur de l’être humain. Nosoulémas n’ont-ils pas interdit, jusqu’aux années trente de ce siècle, la scolarité de la femme, lethéâtre, le dessin, la musique, l’enseignement des sciences modernes et des systèmes bancaires, enplus d’inventions techniques nombreuses ? Toutes ces choses n’ont-elles pas continué d’exister endépit des décrets religieux dont les auteurs n’ont aucun sens de l’histoire de ce qui se passe autourd’eux ? C’est de cette façon que ces décrets se sont transformés rapidement en symboles qui nousrappellent aujourd’hui une époque révolue et ceux qui les soutenaient ressemblent à des étrangersmême dans leur propres demeures.

Le véritable responsable du sous-développement des pays musulmans depuis huit siècles estla mentalité qui fait le savant, qui se contente de rapporter ce qui s’était déjà passé et qui faitsienne le caractère sacré du texte religieux parce ses partisans considèrent que cela est la basede leur tutelle sur la société et celle de la sauvegarde des intérêts d’une classe politique quine cherche dans la religion qu’une couverture pour l’exercice du pouvoir. Les musulmans enarrivent ainsi à ce qui contredit les objectifs même du texte, c’est-à-dire la réalité défectueuse desmusulmans sur tous les plans : une oppression politique avec un masque religieux, une pauvreté,un analphabétisme, une ignorance bien enracinée dans les âmes et dans les esprits, une penséerigide et une stérilité des facultés dans l’invention et dans la création, le démantèlement desfondements sur lesquels il est possible de diffuser la connaissance scientifique et les principeshumanitaires. Ce qui avait précipité les musulmans dans leurs défaites successives depuis l’aubedes temps modernes face à un appareil occidental rapide dans son évolution, ayant à sa baseune société dont les structures se renouvellent, un État équitable et un esprit scientifique indé-pendant qui ne trouve chez les adeptes de l’orthodoxie en pays musulmans que le dédain et le mépris.

De cela découle un résultat choquant pour l’esprit et les sentiments dans de nombreux documents,nouveaux ou anciens, à savoir que les musulmans ne sont pas sous-développés parce qu’ils ont négligéla religion ou failli aux exigences de la foi, car ils ont toujours mis la religion au premier plan mêmelorsqu’ils étaient dans les ténèbres du sous-développement, mais au contraire leur régression dansl’échelle des civilisations est due à leur croyance -en imitant ainsi leurs "savants"- que rendre letexte central signifie aussi marginaliser la raison et la science, que les exigences de la foi nécessitentla primauté de la pemission et du merveilleux sur la causalité et que la "chasse aux hérésies" est unevertu même lorsqu’il ce qu’ils combattent est la chose même dont ils ont besoin. Avons-nous besoinde rappeler les bûchers organisés sous le contrôle de ces savants -qui étaient aussi des prêcheurs del’ignorance- et dont étaient victimes des milliers d’ouvrages et de manuscrits de valeur que nous nepouvons plus retrouver aujourd’hui que par l’intermédiaire de rares copies dans les bibliothèquesde Londres, de Paris, de Madrid et de Berlin, chez ceux-là même qui ont découvert leur véritable

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valeur ?

Résumé

1. L’Ijtihad, tel qu’il apparaît aujourd’hui dans les prises de position des islamistes et dans leurs visions,ne dépasse pas ces règles fixées dans les livres classiques et dont l’application ne peut produire quedes conditions identiques à celles qui ont conduit dans le passé à vider l’Ijtihad de sons sens profond.

2. L’on peut dire des Islamistes qu’ils sont "des gens qui font de l’Ijtihad mais qui ne font pas del’innovation", c’est-à-dire qu’ils font de l’Ijtihad mais dans les limites des règles établies par lesjuristes qui les ont devancés. C’est une sorte de jurisprudence qui finit par la non-jurisprudence,c’est-à-dire la conservation des mêmes opinions antérieures sur toutes les choses.

3. Les bases sur lesquelles sont fondés les critères de la distinction entre ce qui est acceptable pourl’Islam et ce qui ne l’est pas ne proviennent pas uniquement des textes religieux. Au contraire, ellesétaient aussi en rapport avec un système social, avec la culture d’une époque déterminée et avec lesformes des conceptions et des cultures qu’ils ont inspirées.

4. Les islamistes considèrent qu’ils ont une conception révolutionnaire et novatrice qui surpasse celledes juristes traditionnels. Cependant, ils n’ont pas réussi à casser le cercle d’imitation au mêmedegré qu’ils s’y sont imprégnés. Ce qui fait qu’ils sont une force qui cherche en réalité à rétablirl’autorité perdue des juristes que l’État moderne a fait disparaître.

5. La religion en elle-même n’est ni une cause de décadence ni un facteur de développement. Cependant,les facteurs de sous-développement dans une société donnée se cachent dans la tendance du courantgénéral dominant à imposer des systèmes de valeurs et des méthodes de pensée qui tendent àconserver avec force la situation existante et à étouffer toute nouveauté.

Conclusion

Il n’y a aucun doute que l’Islam porte en lui des valeurs et des principes grands et nobles.Néanmoins, les musulmans au cours de leur longue histoire ont donné les plus mauvaises desinterprétations à cette religion dont les textes demeurent une source abondante et inspirante àdes esprits appliqués qui restent à ce jour d’une rareté inquiétante et contraints au silence et à laréclusion à cause du terrorisme intellectuel qui règne sur toute discussion abordant les questionsreligieuses et la jurisprudence musulmane.

Le désir de fidélité au passé ne signifie pas toujours tenir à la religion parce qu’il est possible quele plus grand service que l’on peut rendre à la religion est de se libérer d’un passé qui ne porte plusaucun des éléments de notre réalité. Afin que l’Islam demeure un exemple aux musulmans et un

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repère pour l’avenir, il faut qu’il ne soit plus un symbole du passé et qu’il ne puise pas son modèledans le passé mais dans un Ijtihad qui profite aux gens, qui défend leur dignité, qui rend serviceà l’être humain dans ses nobles objectifs et qui ouvre le texte devant une réalité renaissante et enmouvement.

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La problématique linguistique

«La langue est la mémoire de l’humanité,elle est le passé-présent, un passé de tousles êtres qui ont matérialisé en elle leurs

grandes et les plus maîtresses de leurs idées. »Laville

La langue de Révélation, la langue du peuple

En général, il est très difficile de traiter le problème de la langue dans la pensée islamiqueen dehors de la problématique de la "langue de Révélation". En effet, l’esprit religieux répandupar le texte sacré dans différents domaines de la connaissance, de la pensée et du comportementdans la société islamique a rendu impératif le fait de considérer ce texte comme un grand modèlede rhétorique qui n’est pas prêt à être imité ou reproduit et c’est ce que les oulémas appellent"l’Ijâz"77 qui dote le texte d’un aspect extraordinaire mais ne donne pas une grande importanceau contenu de la Révélation et à son interprétation. Toute l’attention est focalisée sur la langue,sur les formes d’expression et sur la structure de la phrase.78 Que cet Ijâz soit authentique ouune simple exagération dont l’objectif des oulémas est d’exalter le texte divin et d’écarter l’idéequ’il soit une création fictive de l’être humain,79 ce qui est sûr c’est qu’à partir de là, il a rendu lalangue du texte une partie du sacré lui-même. De là, les Arabes se mirent à détruire les barrièresentre la "langue de Dieu" et la "langue des Arabes" - la langue surtout des qurayshites - car dansleur lutte politique avec les clients et les non-Arabes en général - qui font partie désormais de

77trd. L’I’jaz est vu comme la preuve que le Coran est une Révélation divine et non pas une invention humaine (lemiracle coranique.)

78Al-Balqânî dit :«il est [le Coran] merveilleux dans ses constructions, admirable dans sa composition, un chef-d’œuvre de rhétorique à tel point que le créer par une créature est impossible.», I’jaz Al-Quran, p.49.

79Voir à ce propos "Mafhûm n-Nas, Dirâsatuh fi ’Ulûm Al-Qurân", Nasr Hâmid Abou Zayd, 2e partie sur l’I’jaz,pp. 137-153.

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la "communauté" au sens global que lui donne le Coran - ils avaient plus que jamais besoin ducaractère sacré de la langue du texte dont il n’était pas de leur intérêt de le dissocier de la languede Quraysh.

La lutte arabo-arabe pour le pouvoir et le califat au cours de la première moitié du Ier siècle del’hégire était une lutte politique qui utilisait l’éloquence du Coran afin de trancher de nombreusesprises de parti. Les versets coraniques étaient le style de protestation le plus répandu en dépit dufait que les mobiles de la lutte n’étaient pas religieux comme nous l’avons souligné dans la premièrepartie.

Dès le début, Quraysh put transformer la lutte parce que le Prophète est issu de cette tribud’une part et du fait de l’impact de la rhétorique du Coran qui était formulé dans son dialected’autre part, en une lutte entre les notables et les nobles qurayshites dont une partie avait adoptéla camaraderie avec le Prophète, une autre la filiation ethnique et l’esprit de clan et une troisièmele côté matériel. Nous pouvons sentir qu’à cette étape, de nombreux résultats que dévoile la luttepolitique se formulèrent comme principes fermes dans la langue même de Quraysh en plus du faitque le Coran était devenu, après sa rédaction en un exemplaire officiel dès l’époque d’Othman, uncorpus linguistique représentant un appui politique dans l’État califal.

Au cours de l’évolution du conflit arabo-arabe, les Arabes non qurayshites se sont aperçus, àcause du sectarisme omayyade, que la monopolisation du pouvoir politique par Quraysh seule estune chose inacceptable. La théorie des Kharijites, le "pouvoir appartient à Dieu seul", exprimaitclairement cela et des versets coraniques dans leur langue d’origine furent utilisés à cette époqueafin de défendre ce principe "démocratique". Ainsi, il est évident que les Arabes n’ont jamaisconsidéré la langue du Coran comme la "langue de Quraysh" mais plutôt comme la "parole de Dieu".

Cette étape fondatrice - floue malgré ce qui a été écrit et s’écrit encore sur elle - fut une basecentrale à toute activité culturelle (intellectuelle, littéraire, artistique) connue dans le domaine dela civilisation musulmane au cours des siècles suivants. Si ce conflit s’était transformé en une luttearabe/non-arabe qui annonça l’effondrement de l’État arabe dès ses débuts (l’État omayyade)et l’apparition des États des clients perses puis turques, amazighs et d’autres encore,80 les basesculturelles idéologiques (religieuses et linguistiques) quant à elles étaient restées officiellement tellesquelles. En effet, les Perses malgré le fait que les Arabes étaient leurs ennemis, considéraient quela langue arabe était une langue de religion et du pouvoir politique et ils l’utilisèrent. Plus encore,les gens de tendance arabophobe et athée gnostique parmi eux, n’avaient pas de prise de positionnégative dirigée contre la langue arabe81 mais ils l’utilisèrent plutôt contre les Arabes eux-mêmes

80«L’État des abbassides est un État non-arabe Kharasani et l’État des Banou Marwan est un État arabe bédouin.»Al-Jâhidh, Al-Bayân wa t-Tabyîn, p.306.

81«L’effort de quelques-uns uns pour remplacer la langue persane par l’arabe n’avait pas eu d’écho pendant lapériode que nous étudions.», Ahmed Amin, Duhr Al-Islam, p.48.

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et contre leurs coutumes et leurs traditions culturelles bédouines (en poésie avec Bashar, AbouNuwas et Muti’ Ibn Iyas ; en littérature avec les traductions à partir du persan d’Ibn Nafi’.) Puis ilsavaient participé activement à l’opération qui allait être à la base de la renaissance de la civilisationen langue arabe et en même temps une cause de son éloignement progressif de la vie quotidiennepour qu’elle devienne la langue d’une élite savante. Nous voulons dire par-là, l’opération de fixationpar écrit et de codification auxquelles les persans avaient beaucoup contribué (Sibawayh et Abou’Ubayda par exemple.) Ceci ne veut absolument pas dire que les persans excellaient dans lalangue arabe parce qu’ils la considéraient comme étant leur première langue. Elle demeurait poureux la langue des Arabes. Néanmoins, du fait de sa portée politico-religieuse en tant que langueofficielle de l’État califal pour plus de deux siècles, ils n’étaient pas prêts à l’abandonner à causedes puissants et influents mécanismes de travail idéologique qu’elle leur procurait. Cependant, ilsavaient leur "langue originelle" qu’ils s’appliquaient à diffuser dans le discours quotidien82 ainsiqu’en littérature. Ils composaient avec elle dans différents domaines de connaissance et ce furentdes œuvres écartées du cadre culturel arabo-musulman qui ne conserva de l’apport littéraire etintellectuel des non-Arabes que ce qui fut écrit en langue arabe. Quant à la culture persane,elle avait une grande diffusion dans les régions citadines de l’est musulman comme le rapportentles historiens. L’auteur de "Doha Al-Islam" dit : «Les traditions perses se sont infiltrées dansla population à cette époque-là et leurs manifestations étaient très évidentes.»83 Ce qui retientl’attention est que si les non-Arabes parmi les Persans ou les autres utilisaient l’Arabe à côté deleur langue et trouvaient cela naturel, les Arabes voyaient cela avec un mélange de méfiance et dehaine parce que l’Arabe constituait pour eux l’unique domaine où ils exerçaient une certaine formed’autorité dans l’espace islamique après avoir perdu le pouvoir politique et militaire.

Si la lutte culturelle (parallèle à la lutte politique) était à son point culminant, les Arabes furentcontraints d’utiliser la religion comme une arme afin d’imposer leur langue qui était récente dansle domaine civilisationnelle et rédactionnel. Puis, ils inventèrent de nombreux hadiths célébrant"l’honneur" de l’Arabe et la grandeur de la race arabe qui étaient totalement en contradiction netteavec les préceptes de la religion (charia). Les non-Arabes retorquèrent à ces hadiths par d’autreset il était devenu évident que le pouvoir califal ne donnait plus trop d’importance aux Arabes et àla langue arabe à cause du pouvoir des persans dans la cour clifale. Ahmed Amin dit : «. . . Ce quia aidé à cela (c’est-à-dire à la diffusion de l’arabophobie) est que les califes abbassides avaient prisparti pour l’Islam et ne l’avaient pas fait beaucoup pour l’Arabe. Ils combattirent l’incrédulité mais

82Ce texte montre l’influence et la diffusion du Persan dans les villes de l’est : «Ne vois-tu pas que les médinoislorsqu’ils eurent parmi eux des gens de la Perse, ils accrochèrent certains de leurs termes, ainsi ils appellent le melon,"Al-Kharbaz". Ainsi que les gens de Kûfa, ils appellent la pelle, "Bâlah" et Bâlah c’est du persan. Et les gens deBasra, lorsque quatre chemins se croisent, ils les appellent un carré et à Kûfa, on l’appelle "Al-Jahârsû" et Al-Jahârsûc’est du persan et ils appellent le souk, "wâzâr", et wâzâr c’est du persan. Ils appellent le concombre khiyâr et khiyârc’est du persan, etc.» Al-Jâhidh, Al-Bayân wa t-Tabyîn, p.107.

83Ahmed Amin, Ibid. P.182

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ne combattaient pas beaucoup l’excès dans le penchant non-arabe.»84 Les Persans persistaient dansla distinction entre l’Islam et l’arabité qu’ils refusaient comme le prouvent de nombreux poèmesrésultant de la littérature de la lutte arabophobe.

Le domaine religieux lui-même fut parmi les domaines les plus importants de la lutte entreles Arabes et les non-Arabes. Les Arabes tentaient d’imposer leur culture et leur langue parl’intermédiaire de la religion et les non-Arabes s’efforçaient de dissocier l’Islam de l’arabité enconsidérant la religion comme étant un message universel. Ils avaient ainsi mis les Arabes devantdeux choix : ou bien considérer l’Islam comme une "religion arabe" et dans ce cas ils n’avaientqu’à la conserver pour eux-mêmes et ils n’avaient pas le droit de conquérir les autres peuples etd’imposer un impôt à ceux qui ne se convertissent pas. Ou bien considérer l’Islam comme unereligion qui s’adresse à "toute l’humanité" et dans ce cas tout le monde à sa culture et sa languequi plongent ses racines dans l’histoire. Cette lutte ancienne montre l’invalidité des résultats d’unchercheur contemporain qui croit faussement que la négation du caractère arabe de l’Islam et«sonpassage à l’universalisme est un concept relativement récent.»85

Ahmed Amin a très bien exprimé cela lorsqu’il dit en faisant parler un Persan :«si vous vousglorifiez de l’Islam, l’Islam n’est pas la religion des Arabes à eux seuls mais la religion de tousles gens.»86 Ce courant qui défend l’universalité de l’Islam fut accompagné du sentiment quiattachait peu d’importance à la rhétorique arabe et s’attardait sur le génie des autres languesnon-arabes :«de quoi peut-on se glorifier ? De la poésie ? Les Arabes ne sont pas les seuls à enavoir. Les Grecs ont une poésie avec des vers réguliers et rimés, les Romains en ont également.Quant aux discours et à l’éloquence, les Persans et les Romains ont des discours ingénieux et uneéloquence ensorcelante. De quoi se glorifient-ils alors ?»87

Cependant, la situation de la langue arabe fut complètement bouleversée après l’établissementdu système du pouvoir politique religieux. Elle était devenue la langue de l’exercice du pouvoir, lalangue de l’administration, ensuite la langue de l’ascension sociale pour les juristes, les hommesde lettres qui constituaient une élite savante. Ainsi l’arabe confirme l’idée d’un linguiste contem-porain :«toute langue est un dialecte soutenu par une armée.» Toutefois, l’armée de l’État califaln’était pas seule derrière la diffusion de la langue arabe parce que si la force peut imposer etcontraindre à une chose, elle ne peut pas toujours la transformer en réalité. Ce qui a conservél’arabe en tant que langue du pouvoir est son lien au niveau intellectuel et cognitif au systèmedes sciences de la charia (la loi islamique) pour lesquelles les "sciences linguistiques" tel que IbnKhaldoun les appelle (grammaire, rhétorique, éloquence, littérature) sont considérées comme leurbase et leur prélude. Cela ne s’était pas fait sans un énorme effort lexicographique qui a établi

84Ahmed Amin, Ibid. P.163.85Nasr Hâmid Abou Zayd, Mafhûm n-Nas, Ibid. p.28.86Ahmed Amin, Ibid. P.54.87Ahmed Amin, Ibid.

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au cours des deux premiers siècles de l’hégire, le lexique du dialecte de Quraysh et la suppressionprogressive du lexique des autres arabes en plus du travail de base que les oulémas avaient effectué,à savoir, la transformation d’un vaste lexique de concepts en leur donnant des acceptions nouvellespuisées dans le texte coranique. De là, la langue religieuse réalisa une sorte de domination sur lesystème linguistique global de sorte que «cette domination et cette hégémonie s’effectuaient parl’intermédiaire de la reconstruction de la sémantique sémiologique au sein du système linguistiquedominant (. . .) Cette opération de transformation a fait que cette langue religieuse (. . .) a envahiet s’est emparé de la langue principale. S’emparer de la langue principale veut dire s’emparer du"monde" que la langue organise par l’intermédiaire de son système séméiologique. Ceci conduità son tour à s’emparer de "l’homme" en s’appropriant sa conscience grâce aux mécanismes detransformation cités. Ainsi se révèle la fonction de la langue religieuse dans l’envahissement etl’appropriation de l’homme afin qu’il s’intègre dans le cercle du système de la "foi" et du "groupe"que la langue s’attache à réaliser.»88

Ainsi, après que la langue du Coran fut étrangère et distinguante pour les habitants des régionséloignées du Hijaz et des tribus de Madr, elle devint la langue officielle et dominante sur leplan de l’écrit. D’autre part, la science de l’exégèse du Coran aida à cela parce qu’elle a eupour fonction d’éclaircir et d’expliquer tout ce qui semblait vague.89 Ce qui a rendu le systèmelinguistique coranique familier et adopté par les auteurs dans leurs œuvres et leurs correspondances.

Dans ce contexte, le Coran est un texte linguistique, c’est-à-dire un message au sens que les lin-guistes attribuent à ce terme. Les musulmans considèrent que c’est la "parole de Dieu", mais mêmedans ce cas, il est adressé à des êtres humains dans leur langue (ou dans la langue de certains d’entreeux) et c’est ainsi que les différents critères culturels, rhétoriques et esthétiques courants dans unmilieu culturel déterminé furent utilisés dans le but de faire parvenir le message. Pour cela, Averroès,le philosophe, a remarqué que le Coran a utilisé parmi ses outils les sentiments et l’imaginaireselon les règles de l’éloquence arabe qui aident par conséquent à son exégèse et à sa compréhension.90

Ce qui montre aussi que l’idée de "l’Ijâz" n’est pas justifiée et n’a plus lieu d’être dans un milieuculturel non-arabe du fait que les critères de la rhétorique, de l’esthétique et de l’ensorcellement de

88Nasr Hamid Abou Zayd, n-Nas, s-Sultatu, Al-Haqîqatu, p.7, Centre culturel arabe, 1995.89«L’exégèse [du Coran] est l’étude qui consiste à donner à un terme son vrai sens ou une métaphore comme le

fait d’expliquer "Sirât" par le chemin, "Al-ghayt" par la pluie (. . .) L’interprétation est utilisée pour expliquer desmots étranges tels que "Al-Buhayrah", "s-Sâïbatu", "Al-Wasîlatu" ou wajizu tabayyana bicharhihi.», Tâsh KubrâZâdat, Miftâhu s-Sa’adati, p.531, Dar Al-Kutub Al-’Ilmiyya, Beyrouth, 1985.

Ahmed Amin dit :«les linguistes écrivèrent des livres pour expliquer ce qui est incompréhensible dans le Coran telqu’Abou ’Ubayda avait fait. Ce qui a eu des répercutions sur l’éclaircissement de certains versets.», Duhr Al-Islam,p.146.

90Abou Al-Walid Ibn Roshd, Fasl Al-Maqâl wa Taqrîr mâ Bayna Al-Hikma wa sh-Sharî’a min Al-Ittisâl, pp.19-20,Publications de Dâr Al-Âfâq Al-Jadîda, Beyrouth.

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l’éloquence deviennent différents. Tout ce qui résiste dans ce cas est le sens des versets coraniquesqui se répandent et s’approfondissent dans les esprits avec les langues des gens, à savoir leslangues non-arabes. C’est là un résultat que les Arabes combattent violemment et qu’ils voientcomme une perte de leur autorité culturelle qu’ils font passer par l’intermédiaire de la "langue deRévélation". Pour cette raison ils avaient condamné la traduction du Coran.91 Ils avaient attachépeu d’importance aux langues non-arabes dans le système islamique et avaient associé la religionà la langue du texte. La connaissance de cette langue et l’intégration complète à la structureculturelle sur laquelle elle s’ouvre (poésie, chroniques, généalogies, traditions, coutumes, valeursesthétiques. . .), en bref, l’intégration à l’idéologie arabe, semble être une condition de la foi.

Ainsi s’est constitué la langue arabe unifiée (la langue arabe classique), la langue de la religion,que les Arabes considéraient comme étant la plus noble et la plus éloquente des langues. Les autresmusulmans la respectaient sans la substituer à leur langues d’origine.

La langue arabe s’était unifiée et était devenue forte par son pouvoir politique et son capitalspirituel. Cependant, elle était devenue aussi la langue d’une élite sans jamais réussir à envahir ledomaine du discours quotidien de sorte que l’univers linguistique après la diffusion de l’Islam secomposait de trois éléments principaux :

1. La langue des colonisés, c’est-à-dire les langues originelles des peuples musulmans (le persan, l’ara-méen, la langue turque, la langue kurde, la langue hindoue, le copte, tamazight. . .) répandues deslimites de l’Inde et de la Perse, en passant par l’Irak et la Mésopotamie jusqu’en Égypte et l’Afriquedu nord.

2. La langue arabe classique, la langue de la religion et la langue officielle.

3. Les dialectes arabes, antérieures à la constitution de l’arabe classique, qui demeuraient chez lestribus arabes en dehors de Quraysh la langue du discours quotidien dans les régions où ils étaientrépandus.

Il avait résulté de la rencontre de ces trois éléments linguistiques et de leur interaction continuelle,à cause des besoins sociaux, l’apparition de langues nouvelles sous forme de dialectes courantsemprunts des propriétés des trois éléments dans le vocabulaire, la phonétique, la morphologie et lasyntaxe. Les langues originelles, les langues des colonisés, ont eu le rôle central dans la formationde ces nouveaux dialectes qui même s’ils ont un vocabulaire arabe à côté de mélanges de mots, ontété fortement influencées par les langues d’origine au niveau de la phonétique, de la combinatoireet de la syntaxe (le modèle du dialectal marocain.)

91Allâl Alfâsî dit : «Les musulmans sont unanimes que ce qui est désigné par Coran est ce que les pages du Corancontiennent de mots et de sens. La composition et l’acception rentrent tel qu’indiqué dans le sens de son I’jaz etle défi s’est accompli par deux ensembles. Si quelques-unes de ses significations sont traduites et écrites dans unelangue non-arabe, il n’est plus possible d’appeler ces traductions un Coran.», Maqâsid Sh-Shari’a Al-Islâmiyya waMakârimuhâ, p.107, 4e édition, 1991.

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Il existait donc là, depuis le début de l’époque islamique, chez les peuples qui ont embrassél’islam, une réalité linguistique variée. D’un côté, il existait ce que l’on peut appeler la "langue dupeuple", la langue courante, la langue du discours et de communication quotidienne et de l’autrecôté, la langue arabe classique, la langue de la religion utilisée dans les communications subtilesentre les gens des couches supérieures des élites politiques et cultivées.

Ce qui est digne d’intérêt est qu’il n’a pas été établi qu’un peuple parmi les peuples musulmansavait considéré que l’Islam est une religion qui exige le remplacement de la "langue du peuple" parla "langue de Révélation". Cela est dû principalement à une chose qui est que la langue n’est pasun simple outil extérieur d’expression et de communication mais un système de pensée cultureldans lequel s’organisent les conceptions et les comportements du groupe et qui porte ses valeurs.92

C’était pour cette raison que les langues des peuples restaient vivantes tant que ces peupleseux-mêmes l’étaient et il était devenu possible d’interagir avec les différentes langues sans que cesdernières puissent se substituer à la langue originelle dans l’expression de l’affectivité profonde etdes sentiments intimes.

A partir de ces données, nous pouvons conclure :

1. Que la langue arabe classique est associée dans sa constitution au texte sacré du Coran. Ce qui apermis de la réglementer et de diffuser son vocabulaire sur la base qu’elle est la langue du textereligieux et a conduit la plupart des musulmans à la croyance en son caractère "sacré" et "noble".

2. Que cette langue était depuis les débuts de l’époque islamique la langue officielle de l’État califal,ce qui a fait d’elle la langue du pouvoir politique et du prestige social parce qu’elle était associéeaux postes administratifs malgré l’existence de certaines exceptions telle que l’époque Seljoukidependant laquelle le persan était devenu la langue officielle à la place de l’arabe.

3. Que les peuples musulmans non-arabes, s’ils traitaient la langue arabe avec respect du fait qu’elleétait associée à la religion, ils ne l’avaient jamais considéré comme un substituant à leur langued’origine et n’avaient pas compris non plus que parmi les conditions de la foi il y avait l’arabisationet l’extermination de [leur] langues. De ce fait, les peuples musulmans ne s’étaient pas arabisés etavaient conservé leur langue jusqu’à aujourd’hui.

4. Que le pouvoir politique de l’État califal à partir des Abbassides ne s’était jamais mis à planifierl’élimination des langues des différents peuples mais au contraire, ils les utilisaient. "L’origine eth-nique" - et non la langue - était à la base de la lutte pour le pouvoir et pour les distinctions. Le

92Il est possible, à ce propos, de revenir à "Leçons de linguistique générale" de Ferdinand de Saussure qui expliquel’origine du système linguistique par les structures culturelles et les coutumes de la société.

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non-Arabe maîtrisant la langue arabe était considéré malgré cela un non-Arabe et de même unArabe était un Arabe même s’il connaissait une langue non-arabe.

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Imazighen et la langue de Révélation

Il est frappant que le terme "Berbère" a eu une signification linguistique chez les Arabes. Eneffet, ignorant l’origine gréco-romaine du mot barbarus, ils avaient donné au mot Berbère dontils avaient entendu parler des explications mythologiques en rapport avec le fait de ne pas parlerl’arabe. Al-Hasan Al-Wazzan (Lion Africain) évoque au cours de son discours sur le mot "berbère"que «c’est un mot dérivé, selon certains, du verbe arabe "barbara" ce qui veut dire marmotterparce que le dialecte africain était pour les Arabes comme les cris des animaux sauvages.»93 IbnMandhur dit que le sens du verbe "barbara" est «mélanger les mots avec colère et aversion.»94 Ilsavaient considéré aussi la barbarie tantôt comme étant le "cri des chèvres" et tantôt comme étantle "rugissement des lions". D’autre part, ils avaient considéré que "BarBar" est la répétition dumot "Bar" qui veut dire la terre ferme et le Sahara, et avait donné l’exemple de la légende d’Ifriqchqui, n’ayant pas pu résister à l’ennemi, avait consulté son peuple pour lui indiquer une issue desecours ; ils lui répondirent par "Barbar", c’est-à-dire rejoins la terre ferme qui est le continentafricain qu’il avait rejoint et où sa descendance se multiplia et ils s’appelèrent "Berbères". Dansle livre Al-Istiqsa il est dit que cet Ifriqch est celui qui «a nommé ainsi les Berbères parce qu’aumoment de sa conquête du Maghreb, il entendit leur jargon et avait dit «quelle berbera est lavotre !» ; et on les nomma Berbères.»95

Cette perplexité dans l’explication de la signification du mot "berbère" traduit le désir desArabes de donner à ce mot toutes les acceptions qui prouvent leur supériorité linguistique en tantque maîtres de l’éloquence et de la rhétorique. A l’image des Grecs et des Romains qui voyaient lesautres peuples différents comme des peuples sauvages et "barbares", les Arabes voyaient les autrescomme des non-arabes dont l’idiome ne dépassait pas le bruit incompréhensible tel que le cri desanimaux. Ainsi, le mot "berbère" qu’on a donné plus précisément aux Imazighen comporte uneacception d’infériorité linguistique et civilisationnelle. Ce qui explique l’attachement de certainespersonnes à ce terme jusqu’à aujourd’hui et leur refus d’utiliser le terme amazigh qui a uneacception positive.

Les Arabes avaient fait connaissance avec Imazighen au cours du violent choc militaire qui eutlieu entre eux pendant les conquêtes qui se déclenchèrent à l’époque du calife Othman et quis’étaient poursuivies avec les rois omeyyades. Quant aux récits qui parlent de rencontres pacifiquesantérieures, ils apparaissent plus proches de légendes dans le fond et la dans la forme. Cependantet malgré tout, ils reflètent aux autres l’étrangeté de la mentalité arabe.96

93Al-Hasan Al-Wazzan, Wasf Ifriqia, p.39, Traduction de Mohamed Hajji et Mohamed Al-Akhdar.94Ibn Mandhur, Lisân Al-’Arab, matière "bar".95n-Nasiri, Al-Istiqsâ li Akhbâr Al-Maghrib Al-Aqsâ, Ibid. p.61.96Certains documents de l’histoire parlent de l’accueil réservé par le Prophète à un groupe de berbères qui se

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Imazighen avaient affronté les armées arabes musulmanes par une résistance féroce avec laquelleils affrontèrent toutes les armées étrangères antérieures. Cela a eu un impact dans la formationde l’image contradictoire des Imazighen dans la littérature arabe. Une image qui va de l’élogeet la glorification jusqu’à l’invective et le dénigrement. Quand Imazighen se sont aperçus quel’Islam dans ses principes ne donnait aux Arabes aucun privilège politique, racial ou culturel, ilsse convertirent et l’adoptèrent dans leur lutte politique qui s’était poursuivie contre le pouvoirarabe. Leur choix de la doctrine kharijite a eu lieu pour ces raisons. Les Kharidjites refusaient le"caractère qurayshite" du califat et ne le considéraient pas comme un principe religieux. Imazighenavaient compris aussi que la langue arabe n’était pas une condition de la foi ni un principe del’Imamat. n-Nasiri dit : «L’hérésie kharidjite s’était introduite parmi eux au cours du IIe siècle del’hégire. Elle fut introduite par certains hypocrites kharidjites de l’Irak et fut diffusée parmi euxet ils l’avaientt accueilli avec bienveillance, ils lui avaient donné beaucoup d’importance à causede la lourdeur de la pression de l’État qurayshite et de l’injustice, de certains de ses gouverneurs,dont ils souffraient. Les partisans des hérésies leur avaient appris que le califat n’exige pas d’êtrequrayshite ni connaître la langue arabe pour y accéder et que quiconque est pieux envers Dieu estéligible.»97 Il est évident à partir de ce texte, écrit par un historien sunnite orthodoxe appartenantà l’élite makhzenienne98 de son temps, que ce qu’il a qualifié "d’hérésie" ne sont en réalité que lesprincipes originels de l’Islam avant l’établissement de l’institution religieuse sunnite et le fondementde certaines idées racistes pour lesquelles les Arabes avaient fourni le maximum d’effort afin deleur donner un caractère religieux.

La réalité que révèlent99 de nombreux textes de l’histoire concernant les premiers siècles del’arrivée de l’Islam en "pays berbère", est qu’Imazighen ne se préoccupaient absolument pas duproblème linguistique parce qu’il n’y avait rien qui les obligeait à abandonner leur langue pourune autre. Ils se contentèrent, à l’instar de l’ensemble des autres peuples musulmans non-arabes,de former une élite savante informée des sciences religieuses et des sciences de la langue arabe, etcapable de poursuivre la diffusion de la religion avec la "langue du peuple" (langue vernaculaire)grâce à la traduction, au commentaire des textes et à l’explication. En effet, il est bien établi

convertirent et parlaient tous leur langue. L’auteur de l’Istisqa relate également l’histoire de l’accueil réservé parOmar Ibn Al-Khattab à certains berbères et il y eut entre eux une conversation. Il paraît que ces informations ontété inventées plus tard à cause de l’anachronisme qu’elle contiennent et étaient introduites exprès.

97Ahmed Ibn Khaled n-Nasiri, Al-Istiqsa, p.136. Le principe de l’égalité entre les gens, la non-distinction entre euxque par la piété et le refus de faire la différence entre les musulmans par l’appartenance à une tribu, par le sexe,par l’esprit de caste ou par la langue, est un principe intrinsèque de l’Islam qui est devenu pour n-Nasiri une simplehérésie kharidjite. Les raisons qui l’ont porté, à l’image de beaucoup d’autres avant lui et après lui, à adopter cetteposition idéologique sont triviales.

98trd. Le Makhzen est le gouvernemenr central marocain.99L’histoire arabe de l’Afrique du Nord se tait sur les détails précis concernant la vie quotidienne des gens et sur les

manières de mobilisation et la langue utilisée pour cela. Cependant, certaines omissions ont une signification profondequi révèlent ce qui est omis dans ce domaine.

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que de nombreux missionnaires et oulémas amazighs connaissaient parfaitement les sciencesjuridiques musulmanes, maîtrisaient la langue arabe qui était le moyen avec lequel ils pouvaientavoir accès au monde cognitif fondé par la pensée religieuse en Orient. Toutefois, il n’est pasétabli que l’un de ces oulémas amazighs était revenu de l’Orient vers son peuple en lui demandantde s’arabiser afin que leur Islam soit valable. Au contraire, ils utilisaient leur langue d’originedans la communication et dans la diffusion du message coranique. Il n’y avait personne quiressentait de l’hostilité ni pour la langue de Révélation ni pour la langue vernaculaire parceque les objectifs politiques et religieux étaient clairs et sans aucune ambiguïté. L’histoire nousinforme que Mohamed Ibn Tumert lors de son retour d’Orient vers le Maroc au cours du VIe

siècle de l’hégire trouvait que les gens de son peuple Masmuda «éprouvaient des difficultés àapprendre la première sourate du Coran parce qu’ils avaient des difficultés avec la langue arabe.Il avait alors compté les mots de la sourate et avait donné à chaque homme comme surnomun de ces mots puis il les a mis en rang et avait dit au premier d’entre eux : toi tu t’appellesLouange à Dieu ; au second : Seigneur des univers ; et ainsi de suite jusqu’au dernier mot de lasourate. Puis il a dit : Dieu n’acceptera pas votre prière tant que vous n’avez pas réuni ces motsdans cet ordre pour chacune des unités100 de la prière. Et ils n’eurent pas beaucoup de difficulté.»101

Il a été contraint par ces difficultés, dans le cadre de la mobilisation politique, à «leur apprendreles préceptes du monothéisme en langue berbère et il leur a fait des sections [du Coran] et dessourates.»102

Si nous savons que cela a eu lieu au cours du VIe de l’hégire, cela veut dire que cinq cents ansde présence de l’Islam au Maroc n’a pas eu pour effet l’arabisation du peuple et le changementde sa langue. Ces faits qui ne sont pas différents de ce qui s’était passé à l’époque des Almohadesavant eux, montrent que les théologiens ne se préoccupaient pas de la langue du Coran autantqu’ils le faisaient pour le Coran lui-même -c’est-à-dire le contenu de la Révélation-, de la manièrede l’expliquer et de le transmettre. N’oublions pas que les Marocains avaient connu des expériencespolitico-religieuses réfractaires à la ligne sunnite répandue en Orient musulman et ce sont desexpériences dans lesquelles tamazight fut la langue officielle et la langue de la religion comme cefut le cas de l’État de Barghwata que l’histoire officielle a fait disparaître après que les historienssunnites l’avaient amplement insulté et dénigré.103

100trd. Le mot traduit ici est le mot raka’at qui est le cycle de lectures coraniques et de génuflexions accompliespendant la prière rituelle.101’Abbas Ibn Ibrahim Al-Murrakuchi, A’lâm Biman Halla bi Murrâkush wa Aghmât min Al-A’lâm, p.376.102’Abbas Ibn Ibrahim Al-Murrakuchi, Ibid. p.373. Une citation d’Ibn Abi Zar’.103Ibn Abi Zar’ parle des Barghwata en disant : «Les Barghwata les sorciers, invoquer leur doctrine vicieuse et leur

religion ignoble à laquelle ils se sont attachés.» Al-Anis Al-Mutrib bi Rawd Al-Qirtâs fi Akhbâr Mulûk Al-Maghribwa Tarikh Madînat Fâs, Dar Al-Mansur li t-Tibâ’a, p.103.

Quant à Ibn Al-Khatîb, il s’excuse à ses lecteurs s’ils est contraint de les évoquer en disant : «Si nous refu-sons de les compter parmi les rois de l’Islam, nous disons que nous les évoquons dans le mouvement de ce que nous

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Les Barghwata n’avaient pas seulement exprimé leur refus de la domination des Arabes d’Orientet la dépendance du califat et de ses gouverneurs, mais ils avaient également refusé l’idéologiearabe avec laquelle les Arabes voilaient leur culture religieuse. Il est évident, grâce à plusieurspreuves, que leurs rois et leurs notables n’ignoraient pas la langue arabe. Le leader de leur doctrineSalih Ibn Tarif avait visité la Mésopotamie et l’Irak, et avait reçu un enseignement théoriqueapprofondi sous l’autorité d’Ubayd l-Lah le mutazilite. Plus encore, un historien mentionne qu’«ilavait étudié un peu d’astronomie et il avait atteint dans cette science un niveau tel qu’il faisait desrelevés astronomiques et des prévisions de naissances et la plupart de ses jugements se révélaientexacts.»104 Ceci en plus des sciences et des bienfaits dont sont décrits les rois des Barghwata. Cequi nous conduit à douter des informations grotesques que leurs ennemis leur attribuaient afinde les ridiculiser et nous permet d’affirmer que leur conception du choix d’une religion et d’unelangue différentes de ce que les Arabes avaient apporté est dû, d’une part, à la prise de positionpolitico-idéologique opposante et d’autre part, au sentiment d’une identité spécifique et d’unparticularisme culturel. Leur ambassadeur Zammur Ibn Wardizen auprès de l’État d’Al-Mustansiren Andalousie fut accueilli chez son hôte et «il était son traducteur de tout ce que le messager, quiétait avec lui et qui était Abou Musa Ibn Dawud, apporta comme information.»105

Ce sont des preuves qui montrent clairement que si la masse des Imazighen des Barghwata neconnaissaient pas la langue arabe et sa culture, ses notables -malgré leur connaissance et leurinstruction- s’attachaient à leur langue et leur culture d’origine. Si l’expérience distinguée desBarghwata avait duré plus de quatre siècles au sein d’un cadre géographique limité, les Étatsamazighs qui s’étendirent à l’échelle d’un empire, tels que les Almohades et les Almoravides,n’avaient pas pris officiellement aucune prise de position hostile contre la langue arabe. Imazighenrespectaient la langue du Coran même s’ils la considéraient comme la langue de l’élite savante. Etc’est un sentiment qui demeure chez la plupart des Imazighen jusqu’à ce jour et qui exprime uneconsidération spéciale chez les masses des gens qui n’a aucun rapport avec le désir de substituerune langue à une autre. La relation des Imazighen avec leur langue au cours de l’histoire est unerelation de spontanéité et d’originalité de sorte que connaître d’autres langues ne signifie pas poureux aucun sacrifice de la langue maternelle. Au contraire, cet attachement spontané à la langued’origine a également une grande influence sur le niveau de la connaissance de la langue arabepar Imazighen et sur la façon de la prononcer106 et c’est ce qu’Ibn Khaldoun avait remarqué àson époque en Afrique du Nord et surtout au Maroc lorsqu’il fait allusion à la "disparition" de lalangue arabe classique à cause de l’existence de la langue non-arabe. Il dit : «Sache que l’aptitude

évoquons.» A’lâm fi man Bûyi’a Qabla Al-Ihtirâm min Mulûk Al-Islâm, Casablanca, 1972, p.108.104Abou Al-Qâsim Ibn Hawqal, Kitâb Suwar Al-Ard, p.82.105Abou ’Ubayda Allah Al-Kakri, Al-Mughrib fi Dhikr Bilâd Ifriqia wa Al-Maghrib, p.132.106Malgré certaines ressemblance entre la religion des Barghwata et les préceptes de l’Islam, ils s’attachaient à

prononcer toutes les expressions pendant leurs prières et dans leurs rituels en tamazight et ils disaient : «ImqqurYakush» et «Ism n Yakush», voir Al-Bakri.

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à la langue de Madr (la lamgue arabe classique) pendant l’époque contemporaine a disparu et s’estaltérée. La langue de tous les gens de cette génération est différente de la langue de Madr aveclaquelle le Coran fut révélé. C’est [maintenant] une autre langue qui s’est mélangée avec la languenon-arabe.»107

Ce que voulait dire Ibn Khaldoun est qu’une troisième langue est apparue à cause de l’adjacencede la langue arabe qui est une langue de culture et de théorie et tamazight qui est une languedu discours quotidien et la langue parlée. Cette troisième langue n’est autre que la dialectal quel’on croit être aujourd’hui un dialectal arabe sans s’apercevoir de l’apport de tamazight dans saformation de son système.

Ibn Khaldoun va plus loin dans l’analyse de ce phénomène en mettant en évidence le rôle del’imitation orale sur la maîtrise de la faculté du discours et son influence sur la connaissance deslangues étrangères : «Les non-Arabes qui se sont joints à la langue arabe, qui lui sont étrangers,et qui sont contraints de la prononcer dans leur fréquentation de ses gens [les Arabes] tels que lesPersans, les Romains, les Turques en Orient et les Berbères au Maghreb, ne parviennent pas àacquérir ce goût par leur manque de chance pour cette aptitude que nous avons mentionné parcequ’ils sont incapables, après un certain âge et du fait de l’acquisition d’une autre aptitude quiest leur langue, d’arriver à ce qui est courant chez les gens de l’Egypte en ce qui concerne leurconversation du singulier et du pluriel parce qu’ils sont contraints et cette aptitude est perdue pourles colonisés et sont loins d’elle comme cela a été mentionné. Cependant, ils ont une autre aptitudemais elle n’est pas celle qui est requise.»108

Ibn Khaldoun avait ainsi remarqué l’incapacité complète des Imazighen à acquérir l’éloquencerequise en arabe classique «étant donné qu’ils sont ancrés dans leur langue et loin de la premièrelangue [l’Arabe], les habitants de l’Ifriquia109 et du Maroc sont incapables d’acquérir cette aptitudepar l’apprentissage.»110 Pour cela Imazighen ne produisirent rien de notable en poésie et enlittérature arabes. Ils créèrent dans leur langue d’origine. Quant aux poètes et aux hommes delettres arabes, ils étaient généralement des étrangers à la région : «Ainsi que leur poésie, elle étaitloin de cette aptitude, au-dessous de la hiérarchie et était ainsi restée jusqu’à aujourd’hui. Ainsil’Ifriquia n’a pas de poète célèbre à l’exception d’Ibn Rashiq et Ibn Sharaf et la plupart des poèteslui sont étrangers.»111 En outre, le sort des Arabes éloquents, jetés de l’Andalousie vers le continentafricain, fut catastrophique parce qu’ils perdirent progressivement leurs capacités d’éloquenceen langue arabe à cause de leur fréquentation des "Berbères", «l’Andalousie jeta les trésors deson cœur, parmi les gens ayant cette aptitude [l’éloquence arabe] claire au bord de Séville, vers

107Ibn Khaldoun, Prolégomènes, p. 559, Dar Ihya t-Turath Al-ŚArabi, Beyrouth.108Ibn Khaldoun, Ibid. p.563.109trd. Ifriquia est la Tunisie actuelle110Ibn Khaldoun, Ibid. p.565.111Ibn Khaldoun, Ibid. p.565.

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Ceuta et de l’Est de l’Andalousie vers Ifriquia et ne tardèrent pas à disparaître. L’impact de leurenseignement dans ce domaine avait disparu à cause de la difficulté du continent à l’accepter etdu fait de leur peine parce que leurs langues sont distordues par l’enracinement dans leur langueBerbère.»112

Le lecteur voit bien qu’Ibn Khaldoun dans son écriture de ces textes parle dans le cadre d’uneidéologie arabe que lui impose sa formation religieuse et littéraire. La conception qui considère quela rhétorique et l’éloquence sont des caractéristiques de la langue arabe -à l’exclusion des autreslangues-, qui considère que la fréquentation de l’arabe classique avec une langue non-arabe est une"altération" de la première et qui voit dans la prononciation des non-Arabes une "distorsion", cetteconception demeure jusqu’à aujourd’hui et est alimentée par le courant du centralisme culturelque les Arabes considèrent comme étant la base de leur suprématie dans le domaine culturel aucours de l’histoire musulmane en dépit du fait que ce sentiment s’est réduit actuellement pour serestreindre à certains pays comptés dans le "monde arabe". Cependant, il n’y a plus personne dansles autres pays musulmans -où l’arabe est une langue secondaire- qui reconnaît aux Arabes leur"paternité" culturelle.

Si nous savons qu’Ibn Khaldoun avait vécu pendant l’époque marinide que les adeptes de l’arabitépure considèrent comme étant l’âge d’or du "génie marocain" dans le domaine de la langue arabe,de sa littérature et de ses sciences, nous découvrons la contradiction entre la langue de l’idéologieet la langue de l’histoire.

112Ibn Khaldoun, Ibid. p.565.

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Les savants amazighs

Ce qui frappe au sujet du rapport des Imazighen avec la langue arabe est le comportementde l’élite savante qui s’approprie, à l’exclusion des masses, le privilège de connaître une languede marque qui est la langue des sciences religieuses, d’écriture et de correspondance. L’oulémaamazigh s’était toujours senti distingué et en haut lieu, choses que lui confère la connaissanced’une langue "secrète" que les masses ignorent. C’est un sentiment qui ne peut pas se dissocierde la fonction sociale que le groupe attribue à l’ouléma dans la société traditionnelle : la fonctiond’orientation et de commandement, qui, si elle n’est pas un pouvoir temporel comme chez lesmissionnaires, elle est une autorité spirituelle et culturelle qui fait de lui le pôle des assemblées etla référence dans la résolution de certains problèmes pratiques que les gens ne solutionnent paspar leur droit coutumier. Nous retrouvons tout cela dans l’image de l’ouléma tel que Al-MokhtarSoussi l’esquisse au sein d’un milieu amazigh Soussi113 : «Lorsqu’il [l’ouléma] se rend au souk ouqu’il est présent dans l’un de leurs festivals, ils l’appellent, s’annoncent la nouvelle [de sa présence]entre eux et tu les vois venir de tous les côtés auprès de lui sous l’ombre des arbres ou des maisonsavoisinants le festival ou le souk parce qu’il ne se mêle pas à la masse des gens dans leur co-hue en vue de la préservation de sa dignité et de l’éloignement de leur vacarme et de leur futilités.»114

Nous sommes là devant deux mondes séparés l’un de l’autre. Le monde des masses avec "leurvacarme et leurs futilités" -dans leur langue bien évidemment- et le monde de l’ouléma avec sonair grave, son calme et son élocution éloquente dans la langue de Révélation. Quelle chose alorspousse l’ouléma à se rendre dans un festival auquel il n’assistera pas avec les gens puisqu’il n’a pasbesoin ni de vendre ni d’acheter ? Rien de plus que de se sentir important et distingué, choses quelui procurent une langue et une culture savante au milieu d’un public de non-Arabes. Nous sommesen mesure de distinguer deux situations différentes pour le cas de l’ouléma amazigh :

1. L’ouléma se préoccupant des sciences religieuses à l’exception de la littérature.2. L’ouléma homme de lettres.

Il est possible de voir la différence entre eux dans le fait que le second est complètement intégréau système culturel arabe au moment où le premier se limite à une utilisation fonctionnellede la langue arabe qui se manifeste dans son utilisation pour consulter les textes, l’exégèse etla documentation. Il utilise tamazight dans l’enseignement, l’explication et la diffusion des pré-ceptes religieux dans son milieu social ainsi que pour écrire et composer des œuvres dans certains cas.

Si les deux oulémas se rejoignent dans l’utilisation de tamazight dans l’enseignement et pourl’annonce du message religieux même si c’est sous des formes différentes, ils diffèrent dans leur113trd. Le Souss est la région du méridionale du Maroc. Être Soussi c’est être originaire de cette région.114Mohamed Al-Mokhtar Soussi, Al-Ma’sûl, p.246, Casablanca, 1963.

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estimation de la valeur de tamazight elle-même, laquelle estimation varie entre une prise de positionexprimant un respect tacite qui se manifeste par la composition d’œuvre dans cette langue et entreune prise de position qui affiche explicitement le fait qu’il considère clairement que cette langue estinférieure et se refuse à écrire avec elle parce que cela apparaît comme un travail qui conduit à lafrivolité des masses et à leur "futilité".

Cette division pourrait s’éclaircir si nous faisons appel au modèle d’une personnalité orthodoxecélèbre du Maroc contemporain qui est le personnage d’Al-Mokhtar Soussi, un ouléma et unhomme de lettres. Il est souvent cité par ceux-là mêmes qui ne supportent pas d’entendre le mot"tamazight" pour le présenter comme un modèle d’un "amazigh" amoureux de la langue arabe,intégré à sa culture et afin qu’ils fassent de lui -vainement- un exemple pour les gens agançants quirevendiquent les droits linguistiques et culturels.

Mohamed Al-Mokhtar Soussi représente le modèle de l’ouléma et l’homme de lettres quise vante de son arabe éloquent et qui s’en glorifie, non pas devant ses concitoyens du Soussuniquement mais (aussi) devant l’élite savante des bourgeois citadins de Fez et de Tétouanpour qui il s’attachait à présenter ses abondantes informations sur le "génie du Souss" en litté-rature arabe que les "savants de Fez" paraissaient prétendre monopoliser à l’exclusion des autres.115

Le Soussi entreprend de prouver cette affaire, avant toute autre, surtout auprès des gens de sarégion, Ilgh : «La langue arabe est pour nous - ô gens d’Ilgh ! - notre véritable langue dont noussommes fiers. Avec elle, nous rédigeons notre correspondance et avec elle nous discutons si nousdésirons nous élever à un niveau plus haut que nos voisins et nos congénères de Harbala, de Wifaqa,de Mejjata et de Sumuga.»116

La langue arabe a une valeur importante chez les gens d’Ilgh. L’origine de cette exaltation estqu’elle est la langue de conversation entre eux (les oulémas et les hommes de lettres) lorsqu’ilsdésirent se distinguer et se sentir supérieurs à leurs collègues oulémas, qui ne sont pas dans lalittérature, des tribus voisines et aux masses de leurs concitoyens du Souss qui ne connaissent queleur langue quotidienne pour converser. Cette supériorité a pratiquement failli faire des gens d’Ilghdes "arabes" de souche s’il n’y avait pas leur origine ethnique qui les rattachait à leurs congénères,«louange à Dieu qui nous a guidé jusqu’à ce que nous soyons - nous les gens d’Ilgh, des non-arabes- capables de goutter à ses délices [de la langue arabe], de s’apercevoir de son charme, d’explorersa littérature et de s’aventurer dans ses rimes à tel point que nous nous sentons des Arabes mêmes

115«Et Sidi Mohamed Al-Kansoussi qui avait étudié lui aussi là-bas et qui est aujourd’hui dans une noblesse complèteet familiarisé avec les gens de Fez, je l’ai vu converser beaucoup avec les gens de Fez et il leur répondait à propos deleur refus de reconnaître l’existence de littérature à Souss parce qu’ils disent : la Jurisprudence et la grammaire estchez-vous quant au reste telle que la littérature, votre région en est nulle.» Ma’sul, p.286, une citation d’un manuscritde Taroudant de l’époque de Mulay Ismail.116Ma’sûl, Ibid. p.13.

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si nous ne sommes que des Imazighen.»117

La fin de ce texte révèle un sentiment profond d’appartenance à une race et à une ethnieinférieure. Ce qui conduit l’auteur à la recherche d’une compensation en se glorifiant de sa maîtrisede la langue des Arabes et la connaissance de ses lettres afin de parvenir à convaincre le lecteur dela valeur des réalisations des gens d’Ilgh en littérature arabe, grâce à leur maîtrise de cette langue,en invoquant le fait que cela s’était effectué dans un milieu non-arabe au sein duquel la languearabe n’est pas la première langue : «Celui qui médite les obstacles que franchit un chleuh118 qui nepossède pas son premier mot arabe et ne comprend pas son sens qu’après la puberté, puis continuepatiemment et avec application pour la compréhension jusqu’au point où il s’imprègne de la languearabe et de sa littérature et contribue à son arène, celui qui médite cela peut reconnaître la valeurdes gens d’Ilgh et de leur excuser leur manque dans une langue qui n’est pas leur langue d’origine.»119

Il y a donc une langue d’origine que le Soussi n’oublie pas, bien mieux, elle constitue l’obstacledifficile qui fait du génie des gens d’Ilgh un miracle. Cela ne diffère pas de ce à quoi Ibn Khaldouna fait allusion, à savoir, que l’enracinement dans une langue non-arabe fait que maîtriser l’arabeclassique devient une chose pénible. Cependant, l’ouléma Soussi supporte toute cette peine motivéepar le sentiment de supériorité sociale, de noblesse et d’honneur dont l’origine est l’ignorance de lalangue des élites par les masses.

Nous pouvons maintenant mettre la main sur les causes qui poussent l’ouléma Soussi à méprisersa langue amazigh - implicitement ou explicitement - même s’il reconnaît son existence. D’une part,elle constitue un obstacle pour atteindre des niveaux supérieurs en littérature arabe et d’autrepart, parce qu’elle est en relation avec les futilités des masses qu’il n’est pas possible d’élever auniveau de la "science" qui est une caractéristique de l’ouléma. Pour cette raison, nous trouvonsamusant que les oulémas du Sous expliquent que le mot "’Ammi" (laïc ou profane) - mot courantparmi les gens pour désigner un non-ouléma - signifie "A’mâ" (aveugle)120 parce que la laïc nepoursuit que son appétit et ne connaît pas de la science grand chose. Ainsi, les oulémas seraient lesseuls voyants.

Il n’y a pas de doute que de nombreux textes d’Al-Mokhtar Soussi abondent de chauvinismerégional évident «et un chauvinisme jazoulite s’est éveillé en moi à l’image de tout autre envers sarégion natale.»121 Cependant, nous ne trouvons pratiquement pas de texte où il exprime une fiertépour sa langue amazighe ou qui parle de près ou de loin de ses caractéristiques ou de ses bienfaits.

117Ma’sûl, Ibid. p.13.118trd. Un chleuh est quelqu’un qui parle le Tachlhiyt, un dialecte de la langue amazighe répandu dans la région du

Souss et ses environs.119Ma’sûl, Ibid. p.250.120trd. En arabe les deux mots partagent la même racine.121Ma’sûl, Ibid. p.23.

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Mais au contraire, il y a de nombreuses preuves qui montrent qu’il regardait cette langue commeétant un dialecte inférieur. Nous pouvons résumer tout cela en trois remarques principales :

1. Sa persistance dans certains cas à ne pas écrire tamazight même quand cela est nécessaire. Il ditpar exemple en décrivant certaines coutumes dans sa région : «Pendant la nuit de ’Ashura,122 lesjeunes gens partaient à la queue leu leu loin de leur village puis appellent - comme ils prétendent -le loup afin qu’il s’éloigne de leurs troupeaux et ils mettent un tas de pierres à différents endroitsen chantant des chansons connues, apprises par cœur et transmises jusqu’au village.»123

Dans ce texte il ne fait absolument pas mention de la langue de la communauté après avoir men-tionné ses coutumes. Puis, quelles sont ces chansons "connues, apprises par cœurs et transmises."L’ouléma érudit ne s’était pas donné la peine de les enregistrer parce qu’elles n’étaient pas unepoésie arabe éloquente. Cela paraît clairement dans le texte suivant où il parle de l’un des pieuxjazoulites : «On raconte sur lui qu’il disait une fois l’assemblée de commémoration fut achevée : ilcitait deux vers en Berbère.»124 Le lecteur s’attend après "il disait" de lire les deux vers mais iltrouve à leur place "il citait deux vers en Berbère". D’un autre côté, il a cité dans un autre endroitcertains poètes d’Ahwash125 célèbres dans son temps tel que Jami’ Ibn Ighil puis il a parlé de sescapacités en poésie et de son excellence par rapport à ses collègues "Imarirn" mais il n’a pas écritun seul vers de sa poésie : «J’ai entendu un jour Ibn Ighil le poète berbère de la région d’Aqqaprononcer un poème berbère éloquent parlant de la bataille qui se déroula en 1291 entre Al-Jariraet Sidi Al-Hussaïn Ibn Hâshm.»

2. Sa persistance à enregistrer tout ce qui lui tombe sous la main concernant la poésie des oulémascomposée en arabe dont certains poèmes dépassent les deux cent vers malgré leur style défectueuxet leur faiblesse qui ne leur donnent pas le niveau de la composition orale et de justesse qui lesrendent dignes d’être enregistrés.

3. La réduction de la région du Souss aux théologiens et aux hommes de lettres arabes à tel point quele lecteur de ses travaux s’imagine que le Souss est un pays arabe au même titre que le reste despays arabes d’Orient. Cependant, il s’agit en réalité d’une sorte de "club fermé" à l’intérieur de lasociété du Souss et représenté par les oulémas pendant que la vie prend un cours différent en cequi concerne les écrits et les lectures. Ce désir de montrer les traits "arabes" du Souss apparaît audébut de chaque livre écrit par le Soussi. Dans le livre "Ilgh ancien et contemporain", nous lisonsles dix premières pages sur "le génie des enfants des familles arabes du Souss" et il veut dire parles familles arabes, ces familles qui se sont inventées une origine ethnique "noble" à une époque ou122trd. ’Ashura est le commémoration de l’aniversaire du Prophète.123Ma’sûl, Ibid. p.30.124Ma’sûl, Ibid. p.216.125Ahwash ou ahidous est la danse amazighe traditionnelle

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une autre.

La croyance dans le caractère "noble" de la langue arabe ne se dissocie pas chez le Soussi desa croyance dans le caractère "noble" et "supérieur" de l’origine ethnique arabe et c’est uneconception qu’il n’est pas seul à partager comme nous l’avons déjà mentionné. Au contraire, ila des analogues et des semblables nombreux chez les oulémas complètement assimilés dans lastructure culturelle de l’élite savante qui met entre elle et les masses un abîme profond qui lessépare. Cela va se dévoiler dans le texte suivant qui date de plusieurs siècles et dans lequel l’und’entre eux raconte l’histoire d’un ouléma qui récita un poème devant le sultan de la principautéd’Ilgh de l’époque, Sidi Ali Boudmi’a : «Mon père, que Dieu lui accorde sa miséricorde, racontaitqu’il avait entendu parler de cette récitation par les oulémas encore vivants et qui étaient parmi lesprésents, que cela s’était passé près du tombeau de Sidi Ahmed Ibn Mussa, que Dieu soit satisfaitde lui, en présence des grands oulémas, des pieux, des cheikhs et des chefs des tribus. Mon pèresouriait et disait : quelques-uns des présents m’ont informé que l’un des compositeurs, animateursdes mariages, s’était mis à chanter pour flatter Sidi Ali Boudmi’a et certains oulémas voulaient lefaire taire mais Sidi Ali avait dit : laissez-le. Puis, il avait continué [son poème] jusqu’à la fin. Puis,mon père ajoutait là-dessus : je ne vois pas de différence entre les deux hommes à part si nousdonnons seulement plus d’importance à la langue arabe.»126

Dans ce texte nous remarquons trois choses : la première est que l’un des compositeurs (Imarirn)qui composait la poésie par improvisation et instinctivement à "Assays" a voulu - après avoirentendu l’autre réciter un poème élogieux en arabe - lui faire opposition avec un poème amazighdans lequel il avait voulu montrer ses dons et ses capacités créatrices. La seconde chose est quecelui qui s’était opposé à lui et qui tentait de lui interdire de réciter son poème amazigh sont"certains oulémas" qui considéraient sans doute comme un outrage et une atteinte à "l’honneur"de la langue arabe le fait que quelqu’un prononce, après le poème arabe, une poésie "commune"dans un dialecte inférieur ; et voyaient dans cela comme une perturbation d’une assemblée delittérature de "qualité". La troisième chose est que le narrateur dans son évaluation des poèmes desdeux hommes ne trouvait pas de différence entre eux dans leur latent poétique à moins que si nousvoulons - à l’aide de critères qui sont hors de la poésie et de l’art - "magnifier" la langue arabe. Cescritères non-esthétiques ne sont que le penchant idéologique engendré par une formation théoriqueau sein d’un cadre culturel exclusiviste qui se considère comme étant le centre de la vérité et lepôle des valeurs esthétiques.

Toutefois, nous trouvons dans de nombreux autres endroits des écrits d’Al-Mokhtar Soussi desconcessions à la règle du refus d’écrire tamazight. Au moment où il parle de son père, "le cheikhd’Ilgh", et dans l’exposé mettant en relief ses prodiges mystiques, il lui attribue ce récit : «Etj’entendis un appel en langue non-arabe me dire : «Zayd ! Han irdn ran ad tzayadn.» Et ce fut un126Ma’sûl, Ibid. pp. 309-310.

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appel de Dieu parce que j’étais absorbé en sa présence.»127

Ce fut une énorme concession du grand ouléma Soussi que de reconnaître que "l’appel de Dieu"à son père fut en "langue non-arabe", ce qui montre que l’expérience intime des mystiques de lapetite mosquée se faisait dans la langue de la communauté et cela diminue un peu de l’intensité, dela confusion entre la langue des Arabes et la croyance religieuse tel que l’idéologie arabe tente dele montrer. Est-ce cela veut dire que le Soussi dans son anoblissement de la langue arabe, dans sonintégration intégrale dans son héritage littéraire et dans son mépris de tamazight, il n’a rien faitpour celle-ci ? Nous pensons que c’est exactement le contraire qui est vrai. Le Soussi a fait des chosespositives sur de nombreux points, qu’il ne faut pas nier, et concernant tamazight. Parmi les longueslistes du "Souss savant", nous retrouvons des mentions à un grand nombre d’œuvres écrites enTamazight par des savants du Souss. En outre, nous trouvons dans ses œuvres diverses informationssur les traditions et les coutumes amazighes, des indications sur les méthodes d’enseignement dansle Souss et l’utilisation de Tamazight, à côté de l’arabe, par les oulémas dans leur enseignement. Enoutre, la Radio marocaine conserve des enregistrements audio contenant une émission religieuse qu’ildonnait en Tamazight. Un chercheur128 cite qu’il avait enregistré par écrit des proverbes amazighset qu’il avait traduit des textes religieux dans cette langue mais nous n’avons pas pris connaissancede tout cela.

Feu Mohamed Al-Mokhtar Soussi fut déchiré entre son sentiment d’appartenance à une identitéenracinée dans son environnement particulier et le désir de prouver sa supériorité en acquérant,à l’image des autres savants, une langue de valeur ayant une autorité. S’il a pu vivre jusqu’àaujourd’hui, je ne sais pas trop quelle serait sa position lorsqu’il aurait vu les plans et les complotsse tramer pour détruire les traits de cette identité qu’il n’avait absolument pas reniée.

Résumé

Il est possible de résumer la relation entre tamazight et l’arabe au cours de l’histoire dans leslignes suivantes :

Imazighen, à l’échelle du "pays berbère", avait une langue dont avait parlé les anciens historienset qui est la langue amazighe ayant de nombreux dialectes,129 cependant, cela ne s’était pas127Ma’sûl, Ibid. p.225.128Mohamed Khalil, Mohamed Al-Mokhtâr Soussi wa Al-Amâzighiya, Revue Afâq, No 38, 1997.129«Personne ne contexte l’existence d’une langue naturelle propre à l’Afrique du Nord et différente de la langue

arabe.» Marmol, L’Afrique, p.33, Traduction de Mohamed Hajji et Mohamed Al-Akhdar, 1984.

«Ces peuples (amazighs) font usage d’une seule langue que l’on nomme Awal Amazigh, c’est-à-dire le parlernoble, alors que les Arabes l’appellent le Berbère et c’est la langue africaine authentique et excellente, et différentedes autres langues.», Al-Hasan Al-Wazzan, Wasf Ifriqia, Publications de l’Association Marocaine de Publication et

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passé sans leur ouverture sur d’autres langues qu’ils connaissaient dans leur fréquentation desdivers peuples et civilisations tel que les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Byzantins puisles Arabes. Ils avaient utilisé la langue de ces étrangers aux côtés de leur langue d’origine. Aumoment où Imazighen avaient pris connaissance de la langue arabe, qui leur est venue avec lesArabes musulmans au VIIe siècle et qui n’avait aucune présence dans ces régions avant cettedate, ils l’avaient considéré comme la langue de religion parce qu’elle était associée au textecoranique et l’avaient utilisée dans l’administration à l’image du Grec et du Latin qu’ils avaientutilisés auparavant et leurs notables parmi les savants, les hommes de lettres et les gens cultivés lamaîtrisaient. Toutefois, elle fut pour la grande majorité des Imazighen, tout au long de l’histoiremusulmane, une langue des sciences et de culture théorique spécifique aux savants. Pour cetteraison, ils la respectaient sans la connaître et ils utilisaient dans leurs affaires quotidiennes, dansleurs guerres et dans leur littérature tamazight, leur langue d’origine qui était seule capable d’unemobilisation complète des masses afin de répondre d’une manière unifiée aux diverses situationsauxquelles ils étaient amenés à être confrontés.

Ce qui est digne d’intérêt est qu’Imazighen ont complètement oublié toutes les langues antérieuresqu’ils avaient connues ainsi que les langues anciennes contemporaines de tamazight, des milliers desiècles auparavant, mais ils n’ont jamais oublié leur langue qui coexistait avec ces langues disparuesou avec celles qui sont encore vivantes. Ceci ne peut être expliqué que par l’étude de la relationsolide entre la langue et l’histoire de la société, l’histoire du peuple à qui la langue appartient parceque c’est lui son inventeur et son créateur. Tamazight était le pilier de la vie sociale car c’est avecelle que s’accomplissait l’acte quotidien dans les domaines politique, économique et sociale. Étantdonné que l’histoire n’est autre chose que les événements qui se déroulent par les actes des êtreshumains et leurs comportements, alors tamazight est l’artisan de l’histoire marocaine et l’arabe estla langue qui avait enregistré par écrit cet acte, ou certains de ses aspects, et pas d’autres car lamentalité qui a utilisé l’arabe est celle des élites politico-religieuses qui furent la plupart du tempssous l’égide de l’idéologie culturelle orientale dont le centre est la société arabe.

Les Marocains avaient vécu dans cette situation le long des siècles de l’époque musulmane, lasituation du pluralisme linguistique qui se matérialise dans l’existence de la langue de la minoritéde l’élite savante et la langue de la majorité populaire. Il n’y avait pas là de guerre entre lesdeux langues, car il n’y avait personne qui planifiait la diffusion et la généralisation de l’une audétriment de l’autre. En outre, l’enseignement classique de l’école Qarawiyyin130 et des écolescoraniques n’a pas arabisé les Marocains ; les étudiants de ces écoles connaissaient et maîtrisaientla langue arabe mais ils ne se sont pas arabisés, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas perdu leur langued’origine car elle constituait le lien entre eux et l’ensemble de la société et ses besoins quotidiensqui ne s’exprimaient que dans la langue du peuple. De plus, la plus dangereuse des fonctions

de traduction.130trd. Qarawiyyin est une école d’enseignement traditionnel située à Fez.

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politiques de la langue représentée par la mobilisation des forces du peuple que ce soit contre lesconvoitises étrangères ou pour la participation à la réforme et au changement, se faisaient avecla langue vernaculaire quotidienne qui fut et demeure d’une vivacité qui manque à la langue scolaire.

Dans les milieux citadins au Maroc naquit - comme résultat de la cohabitation pacifique entreles langues amazighe et arabe - une langue intermédiaire qui est le dialectal marocain moderne quireprésente une solution intermédiaire entre la majorité des Imazighen et la minorité des Arabes quihabitaient au Maroc définitivement sans qu’ils soient amazighisés. Cependant, ce dialectal fut unelangue quotidienne parlée dans les villes et pas en compagne. Ainsi, il reste inconnu chez les tribus"amazighes" jusqu’à l’époque actuelle qui a provoqué des changements nouveaux.

Néanmoins, le premier "choc" dont on peut parler entre les deux langues, tamazight et arabe, etdont les marocains eux-mêmes prennent la responsabilité que personne d’autre ne pourra prendre,s’était produit au cours des dernières décennies de l’indépendance au moment où nous lisons auxenfants du Maroc qui sont en train d’écrire : «Il faut tuer les dialectes», «la diffusion de l’arabemettra pratiquement fin aux dialectes berbères dans quelques décennies.», «il faut donner toutel’attention à l’arabe, quant aux dialectes, ce sont des restes de l’histoire», «ils veulent munirle dialecte berbère de règles dans le discours et la culture afin de déloger la langue du Corandu sommet qu’elle occupe» et le cheikh soufiste couronne tout cela en disant : «Si un papillonlinguistique turcophone ou amazighophone vient se mesurer à l’arabe avec ses cornes flasqueset prend son envol avec ses chants poétiques et ses proverbes populaires de la plaine et de lamontagne, nous lui dirons : tu n’est pas là. . . »131

Ce sont des voix qui s’expriment finalement sans honte après quelques décennies de l’établis-sement de l’arabisation comme l’un des quatre principes fondamentaux. L’arabisation qui est enapparence, l’amour de la langue officielle et dans le fond le désir d’unifier les Marocains dans uneseule langue après avoir parlé leurs nombreux dialectes pendant des milliers d’années.

L’arabe est devenu, pour la première fois de son histoire, généralisé à tous les enfants dupeuple sous forme d’un enseignement unifié, organisé et moderne et tamazight est devenu pour lapremière fois de son histoire exposé à la disparition.132 L’arabisation a envahi toutes les forteressesde tamazight, y compris la famille, les compagnes et les villages les plus reculés. Deux groupesde marocains contemplent la scène ; un groupe qui se frotte les mains en voyant la langue desnon-Arabes se transformer en éloquence de l’arabe de Madr et un groupe qui sent la douleur

131Ces témoignages appartiennent successivement à : Mohamed Abid Al-Jabiri, Ibrahim Harakat, Ahmed t-TaribaqAhmed, Qaddur Al-Wartasi et Abdeslam Yassine. Nous les mettrons ensemble avec d’autres dans un livre séparé :L’Amazighité et le nationalisme arabe.132«Maintenant des générations de berbères de plus en plus nombreuses parlent l’arabe grâce à l’unification de

l’enseignement au Maroc.» Abdelaziz Ben Abdallah, Al-Mawsu’a Al-’Arabiya, Al-A’lâm Al-Basharia wa Al-Hadariya,p.261, 1981.

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de la perte d’un héritage historique qui a défié les péripéties du temps pendant des milliers d’années.

Les quatre dernières décennies ont prouvé que l’arabisation n’a pas pour objectif de contrer lalangue française qui domine l’administration et les domaines de l’économie et de l’enseignementtechnique car l’arabisation des noms des lieux et des places publiques qui portaient à l’origine desnoms amazighs, l’interdiction des noms de naissance amazighs dans les bureaux de l’État Civil, lerefus d’accepter les témoignages des citoyens en tamazight dans les tribunaux et l’empêchement depublier des écrits en tamazight dans les journaux arabisés et francisés, tout cela ne peut toucher enrien le prestige de la langue de Voltaire ou de diminuer de son estime chez les Marocains y comprisles adeptes les plus extrémistes de l’arabisation. L’élite du mouvement patriotique était parmi lesgens qui tenaient le plus à ce que leurs enfants aient un enseignement francisé qui ouvrait les portesde commandement, de domination et de l’ascension sociale et elle lançait ses orateurs éloquentsdans sa presse arabisée afin de réclamer plus d’arabisation pour les enfants du peuple "en vue dela préservation de la langue du Coran".

Puisque l’arabisation ne touche pas uniquement la langue, mais concerne également l’intégrationde la société dans une structure culturelle unifiée, les adeptes de l’arabisation ont tenu à modelerdes programmes scolaires qui font de la personnalité arabe le pôle de l’humanité, et de l’Orientla source de toutes les valeurs nobles et des génies rarissimes. Ils ont ainsi réduit la personnalitémarocaine qui fait jaillir, au cours de l’histoire, de ses compétences dans sa propre langue. LesMarocains sont tombés à cause de cela dans le piège de l’imitation, celle de l’Orient arabe quilui-même et depuis longtemps ne fait plus confiance à son propre génie.

La diffusion de l’arabe par les moyens de la vie moderne et ses nouveaux canaux ne représentepar lui-même aucun danger et ne peut être l’objet d’aucune protestation ou condamnation parceque les Marocains l’ont accepté comme leur langue depuis des siècles, cependant que cela sefasse aujourd’hui au détriment de tamazight qui, contrairement au français, ne bénéficie d’aucuneprotection institutionnelle, c’est dans cela précisément que doivent chercher les islamistes et lesautres les causes de l’émergence des revendications amazighes et non pas dans "le dahir berbère"133.

L’étude de la langue arabe dans le cadre du système de l’enseignement classique fut, pourImazighen, en rapport avec les objectifs religieux du fait que l’arabe est le point d’entrée auxsciences de la religion et à la compréhension des textes et c’est un travail dont s’occupent lesnotables parmi les savants. Aujourd’hui, la langue arabe, dans le cadre du système de l’enseignementmoderne, n’a aucune fonction religieuse précise, au contraire, elle touche désormais aux différentsaspects de la vie et aux domaines de la connaissance, c’est-à-dire qu’elle est devenue la langue aveclaquelle on présente au public général des étudiants - qui ne sont plus une classe bien déterminée

133trd. Le dahir berbère est le décret de loi institué par les autorités coloniales françaises au Maroc à la date du 30mai 1930 afin de régir la justice coutumière amazighe.

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- une conception "arabe" du monde, ce qui conduit à un polissage de leur personnalités selon legabarit de la mentalité orientale. Puisque l’arabe est privilégié dans cette opération d’éducationà l’exclusion de son ancienne sœur "tamazight", cela veut dire qu’elle s’alimente de son sang etdévore sa part de la vie.

Tout cela nous conduit à affirmer ce qui suit :

1. Que le pluralisme linguistique est une réalité historique ayant des racines profondes dans la viedes Marocains et dans le passé de l’Afrique du Nord en général, du fait qu’Imazighen ont toujoursconnu aux côtés de leur langue originelle pratiquée, d’autres langues écrites qui proviennent descivilisations avec lesquelles ils avaient interagi et que la cohabitation de leur langue avec celled’autrui n’avait jamais fait l’objet d’une lutte culturelle ou politique car chacune des langues avaitdes fonctions bien déterminées qui ne lui permettaient pas de dépasser les limites de l’autre langue.

2. Que la langue arabe fut pour Imazighen la langue d’une élite savante renfermée sur elle-même etdont les membres communiquaient entre eux sur la base d’un symbolisme culturel commun dontl’arabe était la langue, et qui ne trouvait pas de prolongement dans les milieux majoritairementillettrés et qui plongeait dans un "non-arabisme".

3. Que les savants amazighs à cause de l’abîme qui les séparait de la masse de leur congénèreseurent un sentiment d’une sorte de supériorité que leur procurait la monopolisation d’une langueexcellente qui restait - du fait qu’elle ne fut pas connue - un des secrets de la science divine queseuls les savants connaissaient.

4. Que du fait de cette situation, ces savants étaient contraints d’utiliser la langue originelle de leurcommunauté pour accomplir l’ensemble des tâches que leur conférait leur formation religieuse : lesmissions religieuses, la prédication, la juridiction, l’explication de la charia ou son application sibesoin était.

5. Que l’histoire, qui est écrite avec une idéologie arabe, a fait disparaître des faits significatifs enrelation avec Imazighen, leur culture, leur langue et leur mode de vie quotidien et s’est contentéed’évoquer les événements permettant d’écrire l’histoire de la présence arabe - humaine et culturelle- au Maroc. Cette même idéologie a fait disparaître la personnalité amazighe d’une manière com-plète dans les programmes scolaires, ce qui l’a progressivement transformée en élément "étranger"dans sa propre patrie et a conduit Imazighen à réagir par le simple fait d’entendre le mot "amazigh".

6. Que la cause amazighe est la conséquence des transformations que la société et l’État marocainsont connu au cours de ce siècle dans le sens de la modernisation selon le modèle occidental. Ces

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transformations ont mis l’arabe et tamazight dans une nouvelle situation qu’ils n’avaient pas connuauparavant. Une situation qui donne à l’une l’occasion d’une diffusion à une grande échelle etexpose l’autre à un effacement progressif. Ceci est une réalité qui ne peut être niée que par unopiniâtre car les adeptes de l’arabisation absolue la reconnaissent eux-mêmes. C’est à celui quiaffirme que cette question est une invention de prouver le contraire des faits.

7. Les islamistes et les nationalistes insistent ensemble sur les productions des gens "amazighs" engrammaire, en littérature arabe et en théologie et ce sont des choses véridiques. Le MouvementAmazigh fut le premier à les avoir rappelées (après que les célébrités amazighes étaient présentéesen tant qu’Arabes.) Cependant, ces gens au moment où ils présentent ces productions, oublienttoujours d’invoquer en même temps que ces Imazighen ont produit dans leur langue - oralementet par écrit - pour la religion et pour la patrie. Insister sur les services rendus par Imazighen à lalangue arabe et passer sous silence le rôle des Imazighen dans l’histoire est une attitude qui cachedes objectifs politiques évidents.

8. Que les intellectuels marocains n’ont pas considéré la réalité linguistique diversifiée au Maroc commeun fait acceptable, alors ils la traitèrent le plus souvent en l’ignorant complètement mais bien plus,ils ont exprimé à de nombreuses reprises leur désir de la changer en substituant la langue arabeseule au pluralisme linguistique intérieur. Les exemples là-dessus sont innombrables.

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Y a-t-il une langue noble ?

"L’honneur" et la "noblesse" sont parmi les choses les plus importantes qui préoccupaient larace arabe à partir du moment où les Arabes disposaient d’une armée puissante pour conquérir lespays des non-Arabes et captiver leurs femmes ; et il était inévitable que ce sentiment134 ne soit pasgénéralisé à tout ce qui est en rapport avec les Arabes, y compris la langue, la culture, les coutumeset les mêmes les animaux. Ils croyaient que le cheval arabe est le plus et beau et le plus nobledes chevaux. "L’avantage des Arabes sur les non-Arabes" n’était plus restreint à la diffusion de lareligion, il dépassait pour ceux cela pour se transformer en une noblesse de l’idiome et à une racenoble, il faut une langue noble.

Ce propos peut ne pas susciter -même à notre époque- l’étonnement lorsqu’il vient des partisansdu nationalisme arabe, qui croient encore pouvoir ressusciter la gloire de jadis. Cependant, quecela vienne des islamistes135 qui considèrent que l’Islam est un Message destiné au monde entieret une alternative civilisationnelle et universelle, qui croient à l’égalité entre les musulmans etécartent les inégalités basées sur la race, les couches sociales et la langue, nous contraint de poserla question : y a-t-il dans la référence religieuse islamiste quelque chose qui prouve la "noblesse"de la langue arabe ? Comment l’Islam voyait-il le pluralisme linguistique ? Y a-t-il dans la religion- le Coran, la Sunna et la conduite des compagnons du Prophète - quelque chose qui soutientla préférence d’une langue par rapport à une autre ? Existe-t-il une preuve, une seule, dans lacharia (la loi islamique) qui établit la nécessité de la suprématie absolue de la langue arabedans les pays musulmans ? Y a-t-il des versets du Coran qui affirment que Dieu avait choisil’arabe et l’avait "préféré" à d’autres langues tel que les islamistes le rabâchent ? Puis, le fait deconsidérer l’arabe comme une langue sacrée et noble parce qu’elle est la langue de la religionjustifie-t-il d’une manière ou d’une autre le verdict de l’extermination des autres langues ver-naculaires en les privant de la protection juridique et institutionnelle ? La religion affirme-t-elle cela ?

Le verset qui montre le plus la conception coranique de la question linguistique est le verset(XXX, 22) : «Parmi Ses signes [Dieu], [il y a] la création des cieux et de la terre, la variété devos idiomes et de vos couleurs. Il y a en cela des preuves pour les savants.» Ce verset permet dedéduire les points suivants :

134«Ils eurent l’impression que le sang qui coulaient dans leurs veines était un sang excellent qui n’est pas de la mêmeespèce que le sang des Persans, des Byzantins et de leurs semblables. Ce sentiment leur procuraient une impressionde supériorité et de suprématie et ils eurent sur autrui le regard du maître à esclave», Dohr Al-Islâm, p.22.135«Il reste encore aux Arabes musulmans [comme devoir] de s’anoblir en se mettant au service de la langue noble

et en lui procurant la beauté de l’expression éloquente des connaissances universelles.», Abdeslam Yassine, Hiwâruhma’a Al-Fudala d-Dimuqrâtiyîn, p.130. et dans la Revue r-Raya il est dit : «La langue arabe est sacrée, non pas parceque c’est la langue des Arabes mais parce que c’est la langue du Coran et de la Sunna.», Revue r-Raya, no 128, 10Janvier 1995.

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1. La considération de la pluralité des langes et des coutumes comme une sagesse divine que Dieu avoulue et a choisie comme un fait pour les êtres humains, ses créatures, et une réalité éternelle despeuples du monde.

2. Cette réalité éternelle est une leçon qui incite à la méditation et à la réflexion conduisant à desarguments sur la puissance et la volonté de Dieu.

3. Ce verset ne dit pas que cette diversité est une décision temporaire qui sera suivie de l’uniformisationdes idiomes ou de la diffusion d’une langue particulière. A l’image des cieux et de la terre quiexisteront jusqu’à la fin du monde, cela sera de même pour le pluralisme des langues et des races.

4. De cela résulte que les êtres humains sont incapables de changer la créature de Dieu et s’ils tententde le faire c’est qu’ils expriment leur opposition à la volonté divine.

Le verset (XLIX, 13) montre la sagesse de ce pluralisme : «Ô hommes ! Nous vous avons créesd’un mâle et d’une femelle ; et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vousentre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah est le plus pieux.» Les nations etles tribus sont les formes dans lesquelles les êtres humains s’organisent et se regroupent selonleurs races, leurs cultures, leurs langues, leurs coutumes et leurs traditions. Si les peuples et lestribus sont différents dans tout cela, cette différence ne doit pas les conduire à s’opprimer les unsles autres ou à s’élever les uns aux dépend des autres. Au contraire, cela doit les amener à seconnaître, à s’entraider, à échanger les connaissances, l’expertise et les expériences. C’est l’objectifhumain supérieur que tout le monde doit s’atteler à atteindre. Étant donné que la nature humainepenche vers le mal, la possession et la domination, le verset a ajouté que le meilleur et le plus nobled’entre tous est le plus pieux et non pas le plus noble par son origine ethnique, par ses possessionsmatérielles, par sa langue ou par sa couleur. Puis, la piété dont parle le Coran, comme critère decomparaison entre les gens, est expliquée par le Hadith suivant : «Dieu ne tient pas compte devos ascendances, de vos parentés, de vos corps, de vos richesses matérielles. Cependant, il tientcompte de vos cœurs. Celui qui a un bon cœur, Dieu sera compatissant avec lui. Vous êtes tousdes descendants d’Adam et celui qu’Il aimera sera celui qui sera le plus pieux.» La piété concernela foi et la droiture par crainte de Dieu et c’est une croyance intime et morale qui ne se matérialisepas dans une richesse matérielle, dans une origine ethnique, dans une langue en particulier ou dansune couleur de la peau particulière. Au contraire, il est possible à toutes les races, à tous les corps,de l’acquérir comme il est possible de l’exprimer avec toutes les langues et c’est pour cette raisonque Dieu l’a considérée comme étant le critère de comparaison entre les êtres humains. Le discourscélèbre du Prophète montre également cela : «Ô gens ! Votre Seigneur est unique et votre ancêtreest également unique. Un Arabe n’a pas de supériorité sur un non-Arabe, un non-Arabe n’en passur un Arabe, un Noir n’en pas sur un Blanc et un Blanc n’en pas sur un Noir. . . » et dans un autrehadith : «Les croyants sont des égaux» et dans un autre verset : «Les croyants sont des frères.» Labase de la fraternité et de l’égalité est la foi - qui est une croyance intime - et non pas la langue outout autre chose.

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Le fait que la langue soit écartée de la définition de l’essence de la foi et de la valeur du croyantprouve sans aucun doute possible que l’Islam ne considère pas la langue arabe comme l’un deses objectifs mais au contraire, il l’avait utilisée dans des conditions précises qui sont celles dela Prophétie, selon l’appartenance du Prophète. Le verset suivant le dit clairement : «Et Nousn’avons envoyé de Messager qu’avec la langue de son peuple, afin de les éclairer.» (XIV, 4) Et c’estun verset très important parce qu’il prouve d’une manière catégorique deux choses :

1. Que l’Islam n’a pas considéré la langue de Révélation comme un objectif en soi. Au contraire, elledépend du choix du Prophète et elle change donc selon les prophètes.

2. Que la Révélation a fait usage de la langue d’une manière fonctionnelle et dans un objectif quidépasse la langue elle-même. Ce qui montre que cela ne porte aucune signification de noblesse oude supériorité.

Dieu avait choisi le Prophète (Mustaphâ : choisi) et n’avait pas choisi la langue qui fut uneconséquence inévitable du choix du Prophète et qui avait pour objectif de convaincre son peuple«afin de les éclairer.»136 Quant à la façon dont les autres peuples, autres que celui du Prophète,pourront comprendre le message révélé, cela se fera à l’aide de leurs langues en le leur traduisant,laquelle traduction sera prise en charge par les spécialistes qui connaissent les langues et le contenude la Révélation. Ainsi, la langue arabe a eu pour tâche fonctionnelle de permettre aux savantsd’accéder au contenu de la Révélation, de le comprendre et d’en extraire les lois. La connaissancede la langue arabe par les non-Arabes ne s’était faite que dans ce but religieux et n’avait paspour objectif "l’arabisation", c’est-à-dire la transformation des non-Arabes en "Arabes" dans leurmentalité, leur caractère et leur culture.

Parce que certains adeptes de l’arabisation absolue sont confus à ce sujet, ils ont recours à lareligion pour imposer une langue et ne trouvent pas d’autres arguments que le fait de dire queDieu a montré le Coran "d’arabe" clair. Ils ont ainsi recours à une preuve qui ne les aide autantqu’elle se retourne contre eux. Examinons les versets dans lesquels l’expression "Coran arabe" seretrouve et regardons les interprétations que leur donnent les exégètes. Le verset dit :

1. «Un livre dont les versets sont détaillés (et clairement exposés), un Coran [lecture] arabe pour desgens qui savent.» (XLI, 3)

2. «Nous avons, dans ce Coran, cité pour les gens des exemples de toutes sortes afin qu’ils se sou-viennent. Un Coran [en langue] arabe, dénué de tortuosité, afin qu’ils soient pieux !», (XXXIX,27-28)

3. «Si nous en avions fait un Coran en une langue autre que l’arabe, ils auraient dit : «Pourquoi sesversets n’ont-ils pas été exposé clairement ? quoi ? Un [Coran] non arabe et [un Messager] arabe ?»Dis : «Pour ceux qui croient, il est une guidée et une guérison.»» (XLI, 44)136trd. C’est un verset du Coran : (XIV, 4)

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4. «[Un Coran] en langue arabe très claire.», (XLI,44)5. ««Ce n’est qu’un être humain qui lui enseigne (le Coran)», or la langue de celui auquel ils font

allusion est étrangère [non arabe], et celle-ci est une langue arabe bien claire.» (XVI, 103)6. «Et ceci est [un livre] confirmateur, en langue arabe, pour avertir ceux qui font du tort et pour faire

la bonne annonce aux bienfaisants.» (XLVI, 12)7. «Et c’est ainsi que Nous t’avons révélé un Coran arabe.» (XLII, 7)

Quelle signification a cette insistance sur l’arabité du Coran ? A-t-elle un rapport avec lapréférence et la noblesse de l’arabe par rapport à d’autres langues ?

L’interprétation de ces versets par Ibn Kathir dit ce qui suit :1. «Son propos [de Dieu], qu’Il soit béni et exalté, "un livre dont les versets sont détaillés (et claire-

ment exposés)" veut dire que leur [les versets] signification est évidente et que ses jugements sontconsolidés. "Un Coran [en langue] arabe" veut dire que par le fait qu’il est un Coran arabe évidentet clair, ses significations sont détaillées et ses termes sont clairs et non compliqués (. . .) et Sonpropos "pour des gens qui savent" veut dire que ce sont les savants réputés qui connaissent cetteéloquence et cette clarté.»137

2. «Son propos [de Dieu], qu’Il soit haut et puissant, "un Coran [en langue] arabe, dénué de tortuosité"veut dire un Coran en idiome arabe clair, sans tortuosité, sans déviation et sans ambiguïté. Mais ilest une évidence, une clarté et une démonstration. Dieu l’a fait ainsi et l’a révélé par cela [la langue]afin "qu’ils soient pieux."»138

3. «Au moment où Dieu a invoqué le Coran, l’éloquence, la rhétorique et la justesse de ses termes etde sa signification, et malgré cela les idolâtres n’ont pas eu la foi. Il [Dieu] a attiré l’attention surle fait que leur incrédulité est due à l’obstination et à l’entêtement tel que Dieu, qu’Il soit puissantet haut, le dit «si Nous l’avions fait descendre sur quelqu’un des non-Arabes, et que celui-ci leleur eut récité, ils n’y auraient pas cru.»139 De même, si le Coran fut révélé tout entier en unelangue non-arabe, ils auraient dit par obstination et opiniâtreté : "pourquoi ses versets n’ont-ils pasété exposés clairement ? quoi ? Un Coran non arabe et [un Messager] arabe ?", c’est-à-dire qu’ilsauraient dit qu’il n’est pas révélé en détail en langue arabe et ils auraient désavoué cela et auraientdit :" quoi ? Un Coran non arabe et [un Messager] arabe ?", c’est-à-dire comment se fait-il qu’unpropos non-arabe soit révélé à un homme arabe qui ne le comprend pas ?»140

4. «C’est-à-dire que ce Coran que Nous avons révélé à toi, Nous l’avons révélé en langue arabe élo-quente, entière, compréhensive, afin qu’il soit clair, évident, annulant tout prétexte, établissant despreuves et montrant le droit chemin.»141

137Ibn Kathîr, Dar Al-Qalam, Beyrouth, Liban, 1er édition, p.84.138Ibn Kathîr, Ibid. p.48.139trd. Cette phrase est un verset du Coran : (XXVI, 198-199)140Ibn Kathîr, Ibid. p.93.141Ibn Kathîr, Ibid. p.298.

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5. «Dieu dit, en nous informant des propos mensongers, des inventions et des calomnies qui prêtentà Mohamed le fait qu’il connaît ce qu’il nous dicte du Coran d’un être humain et ils font allusionà un homme non-arabe. Il était parmi eux un esclave appartenant à un clan de Quraysh et il étaitvendeur et se tenait près de Safa et peut-être que le Prophète, que la prière et le salut soient surlui, se tenaient à ses côtés et discutait un peu avec lui et ce garçon parlait une langue non-arabeet ne connaissait de l’arabe que peu de chose et le nécessaire qui lui permettrait de répondre à sesinterlocuteurs. Pour cela Dieu a dit pour répondre à leur calomnie : "or, la langue de celui auquelils font allusion est étrangère [non arabe], et celle-ci est une langue arabe bien claire." »142

6. «"En langue arabe" veut dire éloquente, évidente et claire. . . »143

7. «"Et c’est ainsi que Nous t’avons révélé. . . ", Dieu dit que tel que Nous avons révélé aux Prophètesavant toi "Nous t’avons révélé un Coran arabe", c’est-à-dire, clair, manifeste, palpable, "afin quetu avertisses [les gens] de la Mecque."» ( ?)

De ces commentaires découlent plusieurs choses :

1. Que les versets furent adressés aux idolâtres qurayshites de la communauté du Prophète qui refu-sèrent de le suivre et qui le démentirent.

2. Que pour que s’accomplisse l’avertissement (il n’incombe au Messager que de transmettre [le mes-sage] ),144 le Coran fut transmis dans la langue de ces Arabes afin que ses mots et son sens soientclairs et non compliqués pour eux.

3. Que la Révélation a considéré le fait que le Coran est en arabe comme une preuve contre les Arabesde la communauté du Prophète s’ils refusent de croire. Ils n’auront plus d’excuse après la clarté etl’éloquence avec lesquelles Dieu s’adresse à eux.

4. Que si le Coran ne fut pas révélé en une langue non-arabe c’est uniquement parce que le peupledu Prophète dirait : comment se fait-il que Dieu s’adresse à nous dans des propos que nous necomprenons pas ? Il fut ainsi révélé en langue arabe afin qu’il soit clair pour les Arabes qui furentconcernés par le message divin, pendant cette époque, étant donné que le Prophète fut choisi parmieux.

5. Que si le Coran fut révélé aux non-Arabes en langue arabe, ils ne l’auraient pas compris etn’auraient pas cru, «si Nous l’avions fait descendre sur quelqu’un des non-Arabes, et que celui-cile leur eut récité, ils n’y auraient pas cru.»145

Il n’y a donc pas dans ces versets rien qui soutient la noblesse et la supériorité de la langue arabepar Dieu si nous les mettons dans leur vrai contexte dans le cadre duquel les exégètes l’avaient142Ibn Kathîr, Ibid. p.507.143Ibn Kathîr, Ibid. p.139.144trd. C’est un verset du Coran : (V, 99)145trd. Verset (XXVI, 198-199)

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compris. La noblesse et la supériorité, ce sont les êtres humains qui les ont inventées plus tard etnous en trouvons les racines dans la culture arabe qui a fait de l’éloquence, de la rhétorique et dudiscours comme des valeurs suprêmes. Les Arabes avaient considéré progressivement leur languecomme la plus noble des langues en recourant à la religion après avoir cru qu’elle était la plus belleet la plus éloquente par sa poésie. Les non-Arabes versés dans la religion les avaient imité là-dessusde même que les hommes de lettres qui adhérèrent mentalement et émotionnellement à la structureculturelle arabe.

Les islamistes se trompent aujourd’hui lorsqu’ils ne distinguent pas entre la langue du Coranrestreinte aux pages du livre sacré, c’est-à-dire la formulation arabe des versets, et la languearabe courante et utilisée par les gens dans leur activité sociale, leurs lectures, leurs écrits, leursœuvres et leurs poésies. Ce qui est sacré, c’est cette formulation arabe des versets qu’il n’est paspossible de changer ni d’y ajouter quelque chose. Quant à la langues des Arabes, elle concernel’activité humaine qui est en dehors du domaine du sacré - y compris la pensée religieuse elle-mêmequi est un travail humain. Ainsi toute sorte de discours sont produits en arabe, que ce soitceux qui témoignent de la foi ou ceux qui parlent de l’athéisme et de la débauche. Toutefois,les islamistes pour des raisons "non-islamiques" tirent la sacralité hors du texte sacré pour encouvrir l’ensemble de la langue arabe et ils qualifient du noble et de supérieur la langue arabeelle-même et non pas la structure linguistique (étymologique) du Coran et du Hadith. C’est unacte qui est fait pour des objectifs qui ne sont ni recherchés par le Coran ni déterminés parl’Islam : mettre un blocus autour des langues des non-Arabes et les asphyxier jusqu’à ce que laculture des Arabes et leurs valeurs seules soient répandues sans concurrence et c’est une concep-tion qui, en plus du fait qu’elle n’est pas réaliste, n’est pas exempte d’un penchant fasciste chronique.

Parmi les choses les plus importantes qui montrent la rupture entre cette prise de positiondes islamistes et la conception musulmane primordiale contenue dans le Coran et expliquée parla Sunna, il y a sans doute le concept de l’I’jâz146 lui-même que les savants avaient utilisé pourdécrire les versets coraniques. Il est bien connu que ce qui est décrit au premier chef par l’I’jâzest la formulation étymologique dans laquelle les versets sont exprimés, c’est-à-dire le proposcoranique limité aux page du livre sacré. Pour cette raison , ils avaient considéré parmi les preuvesde son I’jâz qu’il est «hors du système habituel de l’ensemble de leur langue [des Arabes] etdifférent des dispositions accoutumées de leur discours, et il a un style qui lui est propre et qui lecaractérise par sa liberté en comparaison avec les styles du discours habituel.»147 Cela prouve quela noblesse et la sacralité ne caractérisent que la langue du texte qui ne dépasse pas les soixantechapitres du Coran. Quant à la langue arabe courante en tant qu’institution sociale qui exprimeles expériences des gens et qui organise les éléments de leur culture et de leur connaissance surle monde, elle appartient au domaine d’ici-bas qui est relatif et pour cela elle change et évolue

146trd. L’I’jâz est le caractère miraculeux du Coran.147Al-Balqânî, I’jaz Al-Qurân. Ibid. p.48.

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suivant les époques et les étapes de l’histoire. Ainsi, l’arabe d’aujourd’hui n’est pas le même quecelui d’hier alors que l’arabe du texte coranique et celui du Hadith, elle reste telle quelle et elle nechange pas dans sa structure ni dans ses formulations rhétoriques. Ainsi, les musulmans n’ont pastoujours tenu à parler la langue de ce texte, au contraire, ils avaient innové les styles de l’expressionarabes et ils avaient permis à leur langue de s’ouvrir d’une part sur les préoccupations de la vieréelle et d’autre part sur les autres systèmes linguistiques. Chose qui a produit une transfor-mation radicale dans la langue, plus spécifiquement pendant les cent dernières années de son histoire.

Les islamistes s’aperçoivent des contradictions de leurs idées sur la noblesse et la sacralité de lalangue arabe, alors leurs expressions s’embrouillent et ils s’engouffrent dans une absurdité verbalequi n’a aucun intérêt. L’un d’entre eux dit : «L’arabe est une partie inséparable de la Révélation,je veux dire les versets divins révélés avec lui [l’arabe] et non l’ensemble de la langue arabe»148, unautre précise : «La langue arabe est sacrée non pas parce que c’est la langue des Arabes, mais parceque c’est la langue du Coran et du Hadith.»149 La première expression crée une confusion entrel’arabe et la révélation divine et se rattrape en précisant que ce qui est visé n’est pas l’ensemble destermes arabes mais les termes des versets coraniques et c’est une bonne idée qui est en harmonieavec ce que nous avons mentionné à propos du caractère sacré du texte dans le fond et dans laforme. Cependant, l’auteur sur la même page et juste à quelques lignes plus loin, précise que«la diffusion de la langue du Coran et son enseignement aux peuples non-arabes est un devoirque doivent accomplir les musulmans arabes.»150 Que faudra-t-il alors diffuser, "les versets divinsrévélés" ou "l’ensemble des mots arabes" ? L’auteur était parti de l’anoblissement des mots duCoran à l’anoblissement de l’ensemble de la langue arabe et à l’appel à sa diffusion dans les paysnon-arabes sans mentionner le sort et le rôle des langues non-arabes et c’est une contradictiondévoilée. Quant à la seconde expression, son auteur considère que les langue arabe est "sacrée"et se rattrape à son tour en disant que la "cause" de cette sacralité n’est pas due à des facteursnationalistes (la langue des Arabes) mais à des facteurs religieux (la langue du Coran et de laSunna) et la question qui se pose est : quelle est la différence entre les deux affaires si la sacralitéimplique le fait de servir la seule langue arabe, de la diffuser et de la généraliser dans tous les casétant donné qu’elle n’est pas uniquement la langue du Coran mais également la langue des Arabes ?Ainsi, les islamistes et les nationalités arabes (laïques) convergent vers les mêmes objectifs (diffuserl’arabe en arabisant les non-Arabes, c’est-à-dire au détriment des langues des non-Arabes.) La finjustifie les moyens chez les deux camps. Le projet d’arabisation chez les islamistes a pour objectifd’«enseigner la langue arabe de sorte que le croyant ait ce qui ressemble, se rapproche et se rattacheau tempérament des Arabes dont la langue fut utilisée pour révéler le Coran.»151 Les nationalistescherchent-ils quelque chose de plus que de doter les non-Arabes d’un "tempérament arabe" ? Sil’arabe permet de "joindre la jeunesse à la source" religieuse, elle les transforment aussi en "arabe"148Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Al-Fudala d-Dimuqrâtiyîn, p.131.149Mohamed Azz d-Din Tawfiq, Revue r-Raya, no 128.150Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Al-Fudala d-Dimuqrâtiyîn. Section : la Langue du Coran.151Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Al-Fudala d-Dimuqrâtiyîn. Section la Langue du Coran.

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dans leur personnalité, dans leurs souvenirs et dans leur culture et c’est l’objectif des nationalistesqui, au cours de ces dernières années, masquent aussi leurs discours avec un voile d’expressionsreligieuses telle que «l’islam a arabisé les Berbères.» Puisque la langue arabe est la seule langue quinous permet de rejoindre la source, alors de sa fonction d’outil - tel que l’Islam, les compagnons duProphète et les anciens savants la considérait - elle se transforme en objectif en elle-même : «Aprèsque nous ayons réfléchi, nous nous sommes rendu compte que la langue est la source des desiderataet des réclamations.»152 C’est ainsi que s’exprime un islamiste dont l’amour pour l’arabe l’emportechez lui sur l’enthousiasme pour la religion elle-même. Ce qui l’a conduit tout droit au sacrilègesuivant : «Quiconque est incrédule envers la langue arabe, est incrédule envers Dieu. Quiconqueest en désaccord avec elle, il est en désaccord avec Dieu.» 153 Puis il se rattrape inutilement parcequ’il n’arrive absolument pas à sortir du labyrinthe des contradictions : «Si j’ai écrit que celuiqui nie l’idiome arabe, il nie Dieu, ce que je veux dire c’est la langue du Coran et des versetscoraniques.»154 Comment peut-on considérer la négation de l’idiome arabe, qui est l’ensemble dela langue arabe, comme une négation de Dieu ? Comment peut-on considérer que l’idiome arabec’est les versets du Coran ? Au contraire, il y a d’une part la formulation des versets en arabe etd’autre part, la langue courante des Arabes qui est utilisée en dehors du Livre. Ici l’ambiguïté del’expression est volontaire afin de cacher la contradiction étant donné que la généralisation n’est pasà sa place parce que le fait que l’arabe soit la langue des sciences religieuses ne signifie pas que lesautres langues n’ont pas rendu de service au Coran. En outre, tout le monde sait que l’incroyancen’a absolument rien à faire avec la langue, qu’elle soit celles des Arabes ou une autre. Au contraire,l’incroyance est l’abjuration de la signification et du contenu du Coran, c’est-à-dire de ses principestels que le monothéisme, la prophétie, le jour du jugement dernier et le reste des piliers de la foi.Quant à la langue qui a permis de les exprimer, c’est un moyen de transmission qui a fait que lemessage divin arrive aux Arabes, le peule du Prophète, au début, puis aux autres peuples en uti-lisant la traduction, l’exégèse, et l’explication faites par les savants des langues des différents peuples.

Nous avons un argument dans ce sens et auquel les islamistes ne font pas attention qui estqu’il existe-là des gens qui maîtrisent l’arabe, l’aiment et ne la nie pas mais ils ne croient pas auxprincipes religieux. Cependant, il existe des non-Arabes qui ignorent complètement l’arabe maisils sont croyants et il n’y a pas de rapport entre leur foi et la langue. Au contraire, la répétitionpendant la prière des quelques versets, peu nombreux, qu’ils connaissent par cœur, ne permetpresque pas de les distinguer à cause des nombreuses erreurs de prononciation car celle-ci n’estaccompagnée d’aucune représentation simultanée de leur sens, lequel sens est compris dans leurlangue originelle.

Les islamistes ne s’en tiennent pas là. Au contraire, la revendication de prendre soin de la langue

152Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî, p. 115.153Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî, p. 96.154Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî, p. 97.

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non-arabe, tamazight, est considérée à leurs yeux comme un "abandon du Coran" parce qu’elle est«une provocation et un abandon de l’arabe» et «puisqu’un abandon et une provocation de l’arabepar des coépouses, et par par la plume est un abandon direct et une provocation du Coran, lesdeux abandons sont synonymes.» 155 Cependant, le cheik ne nous renseigne pas sur la minière danslaquelle cet abandon se fait par le simple fait de prendre soin de la langue d’un peuple et de larespecter en l’introduisant dans les établissements scolaires. Comment se peut-il que le simple faitd’enseigner tamazight aux enfants du Maroc peut provoquer l’effondrement et la disparition del’arabe ? Sa position et sa valeur sont-elles aussi fragiles dans les esprits des Marocains ?

Nous trouvons peut-être quelques explications à ces énigmes dans le concept de "coépouse" qui seretrouve dans ce texte : «Parmi les abus de la langue étrangère intruse chez nous, qui est puissante,riche, belle par la beauté de son contenu scientifique et technologique, est qu’elle lacère la languearabe et se fait assister pour la lacérer, l’affaiblir et la paralyser par des coépouses ; et lorsque lalangue arabe est asphyxiée, que les coépouses servantes ont rempli leur fonction et qu’il est devenuévident que l’arabe n’est plus capable d’accomplir les fonctions d’ici-bas ni de mettre sur pied unecivilisation arabe musulmane d’ici-bas, [alors] les musulmans arabes, non-arabes, turques, persans,feront appellent à la langue seigneur, la langue de l’avenir.»156 Le fait d’enseigner tamazight, d’enprendre soin et d’inciter à cela est donc un plan «étranger» dirigé contre l’arabe pour qu’elle ne soitpas à la base de la grande renaissance musulmane (les musulmans dont les Arabes ne constituentmême pas un cinquième.) Ainsi tamazight devient une "langue collaboratrice" ! ! qui participe àl’exécution des desseins du colonialisme ; l’arabe devient une noble victime et «les revendicationsamazighes viennent enfoncer leurs griffes dans la victime.»157 Ici se rejoignent encore une fois lesislamistes et les nationalistes avec un des mécanismes idéologiques qu’ils utilisent dans la bataillede l’arabisation absolue des peuples non-arabes. Ils l’utilisent beaucoup avec aigreur et fluidité dela plume parce que dans son aisance, elle ne demandent pas plus que la maîtrise du verbe et l’espritsatirique arabe ancien.

Les islamistes ne refusent pas que les Marocains parlent leur langue amazighe quotidiennementen tant que dialecte parlé - jusqu’à ce que Dieu fasse qu’elle disparaisse - mais elle refusentqu’elle ait sa part du budget de l’État, qu’elle soit financée dans l’enseignement et la presse,que la Constitution garantisse cette opération et que les gouvernants s’y tiennent. Ils refusentcela pour qu’elle ne soit pas une "coépouse" concurrente à l’arabe et une exécutrice de planssuspects. Ainsi tamazight n’a plus aucune part dans la Patrie - parce que les adeptes de l’ara-bisation s’attribuent exclusivement le patriotisme -, elle est ainsi devenue pour les islamistesqui ne trouvent aucune gêne pour prendre en ennemi ouvertement la langue du peuple dontils apparaissent avoir complètement oublié l’histoire glorieuse pendant la Résistance. La résis-

155Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî, p. 97.156Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî, p. 84157Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî, p. 100.

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tance contre toute sorte d’occupation étrangère, y compris la dernière occupation française ;comme ils apparaissent avoir oublié que les nombreux collaborateurs du colonialisme, parmi lariche bourgeoisie citadine, avec de longs poème arabes et des discours pour chanter la France etinsulter la Résistance "terroriste" des gens amazighs dans les montagnes, les compagnes et les villes.

Cependant, dans quelle position les islamistes mettent-ils tamazight s’ils lui refusent son droit auxsoins et à la protection en la considérant comme "des préoccupations marginales" en comparaisonavec le "grand projet de la communauté" dont nous sommes sûrs et certains qu’il ne dépassera pasdes conquêtes dans la langue et le discours ? : «Si je dispose d’une existence sûre, [bien] établie,calme et qui parle, si l’affaire de ma vie et de ma mort est ma foi en Dieu, en son Prophète et aujour du jugement dernier, [alors] il ne nuira pas à mon affaire et n’égratignera pas ma foi le faitque ma mémoire soit suspendue à la langue de l’enfance et des chantonnements de la grand-mère,ni à la saveur d’un dialecte et la structure d’une sagesse formulée par le génie des chleuhs, de mesancêtres amazighs, de mes ancêtres rifains et de tout le reste.»158 C’est là la position que méritetamazight chez les islamistes. Après que leurs esprits soient rassurés par la foi, que leurs languessoient éloquentes avec la langue noble, qu’ils s’imprègnent du "tempérament arabe" et qu’ilsatteignent de grandes étapes dans l’arabisation des peuples grâce à Dieu, alors à ce moment là, iln’y a aucun problème si leur mémoires "s’attachent" à des restes de leur état non-arabe ancien,il n’y a pas de méfait s’ils se souviennent des chantonnements des grand-mères, et des proverbesdes ancêtres. Ce qui "s’accroche", ce sont les restes et les détritus, ils "s’accrochent" dans l’attenteque l’histoire leur règle leur compte en les jetant dans les ténèbres de l’oubli ; et pourquoi pas alorsque c’est la "langue de l’enfance" et des rêves de l’enfance alors que les islamistes, une fois rendusà l’âge mûr, s’attèlent à la renaissance en arabisant le monde, c’est-à-dire en utilisant la languedes "choses sérieuses" à propos de laquelle ses adeptes ont donné, avec leur style bien connu, uneimage "prometteuse" et très positive.

Ainsi, les islamistes voient l’arabe comme une langue "noble" et "belle" et tamazight comme desdialectes porteurs des illusions de l’enfance et des légendes des grand-mères, c’est-à-dire le folkloregrâce auquel ils se divertissent après s’être rassasiés dans la salle à manger du sérieux arabisé.

158Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî, p. 95.

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Pour la défense de la langue arabe

L’arabe n’est donc qu’une langue comme le reste des langues humaines. Elle avait existé avantl’Islam et après. Elle est porteuse du contenu de la Révélation lorsque Dieu avait choisi sonProphète parmi les Arabes et elle est porteuse des expériences positives et négatives de l’êtrehumain, comme toutes les langues. Les gens ont écrit avec elle des livres de religion et des livresd’athéisme, la poésie de la piété et la poésie de la débauche. Cependant, elle fut associée par dessustout à un système de pouvoir et à une autorité religieuse qui l’avaient entraînée dans la luttehistorique qui eut lieu entre les différentes forces en compétition dans le domaine de la civilisationmusulmane. Lorsque les Arabes avaient perdu leur pouvoir politique et militaire, ils avaient tentéde conserver une autorité culturelle en utilisant la religion puis le mythe de la langue noble, queles islamistes propagent aujourd’hui, apparut ; lesquels islamistes apparaissent avec leur discours,dans le fond, comme des nationalistes arabes vêtus d’une idéologie politico-religieuse.

Ce que nous ne devons pas manquer de mentionner est qu’une prise de position comme celle-cin’entraîne pas uniquement la négation des droits des langues et l’infériorisation des cultures despeuples, mais elle cause des préjudices à l’arabe lui-même parce qu’elle conduit à une conceptionstatique de la langue qui voit dans cette dernière un système stable, absolu, transcendant l’histoireet hors de l’expérience humaine. C’est une conception métaphysique qui ne distingue pas lalangue du texte de la langue des gens. Si la langue du texte est stable et qu’elle n’est pas prêteau changement ni à la transformation parce qu’elle est sacrée depuis qu’un exemplaire unique etofficiel du Coran, très tôt, unanimement admis, existe, alors le fait de considérer la langue desgens aussi comme une langue sacrée a conduit à des conséquences catastrophiques dont les plusévidentes est l’incapacité de l’arabe à appréhender l’explosion des connaissances qui se déroule dansle monde moderne et la stérilité de son lexique qui contient encore des mots qui expriment la viedes bédouins et des nomades anciens parmi les Arabes de la péninsule arabique. Elle manque deconcepts modernes et de styles d’expression convenables à des sociétés qui aspirent au changementet à l’évolution. Il n’y a pas de doute que le grand renouveau qui eut lieu pour la langue arabe aucours de ce siècle grâce à l’effort que l’élite libanaise chrétienne a fait dès le début, a permis derésorber de nombreuses difficultés. Cependant, la lourdeur de l’héritage théologique produit par lapensée religieuse et les siècles de décadence et d’ignorance auxquels les musulmans ont ajouté unepersistance dans l’imitation et un refus de tout renouveau, ont rendu les problèmes de l’arabe plusgrands que ses potentialités et ses capacités d’évoluer.

Néanmoins, ce qui est désastreux dans cette situation est que les islamistes par soucis de voilerle discours politique de la sacralité - en tant que "nouveaux prophètes" dans le champs idéologique- ils persévèrent dans leur confusion avec la langue originale du texte religieux. Cela s’est produitaussi à cause de l’attachement à l’héritage écrit des juristes imitateurs. Ce qui a rendu leur relation

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avec la langue arabe très arriérée et démontre le degré de leur ignorance de la réalité de la langueet de sa nature. Le texte suivant montre à quel point le discours islamiste est nuisible à la languearabe elle-même - qu’on calomnie- :

«Nous voilà avec une langue arabe moderne et laïque dans les journaux de presse, dans lesrevues imprimées, dans les radios et dans les postes de télévisions. Une langue dont les structuressont défectueuses, dont les sens sont traduits [d’autres langues], dont la syntaxe est altérée et lamorphologie boiteuse. Il n’existe entre elle et la langue coranique claire comme rapprochement queles termes et les lettres. Une langue moderne ! Un corps habité par esprit intrus qui remue sa laïcitéet tourmente le possédé. Tu n’entends du murmure de l’arabe qu’un gémissement et une nostalgieà son passé glorieux, le jour où elle fut la langue de la religion et [des affaires] de ce monde, où lareligion et [les affaires] de ce monde ne se dissociaient ni en deux parties, ni en deux expressions.»159

Ce texte est une éloge funèbre de l’arabe à cause de son évolution, du changement subi par sonsystème et d’une nostalgie à l’arabe ancien qui fut dans son passé glorieux proche de l’arabe dela Révélation. Nous ne dirons pas qu’une telle conception est en opposition totale avec la réalitélinguistique des êtres humains telle qu’elle est exprimée quotidiennement et telle que les étudeset les recherches linguistiques modernes le montrent, mais nous dirons avant cela que c’est unepreuve d’une non-assimilation par les islamistes des leçons de l’histoire musulmane elle-même et decelle de la langue arabe. De nombreux textes des historiens et des hommes de lettres musulmansanciens montrent que la langue arabe s’était beaucoup transformée pendant quelques siècles parrapport à ce qu’elle était avant sa fréquentation des différentes langues et cultures non-arabes.Voici Ibn Khaldoun, comme nous l’avions mentionné, qui analyse la situation dans laquelle setrouvait l’arabe de son temps et il n’y avait à cette époque ni presse laïque ni colonialisme culturel ;et il montre la détérioration de la langue des Arabes à cause de sa fréquentation des autres languesnon-arabes. Ce que ce texte oublie essentiellement est que la langue ne dépend pas d’un textereligieux stable autant qu’elle dépend d’une société en mouvement et que la langue ne traduit pasles idées et l’imaginaire uniquement mais au contraire elle est porteuse de complexes culturels desrelations sociales.

L’évolution à laquelle une langue vivante est soumise a pour origine les transformations socialeset il faut à celui qui voudrait conserver un système linguistique stable d’arrêter la mobilité socialeavant et il en sera incapable parce que le pire des résultats auxquels il peut parvenir est qu’il semomifiera au sein de formes d’expression artificielles.

La dissociation non-scientifique entre la langue et la société, entre l’expression et la vie, permetde découvrir les illusions dont la provenance est la seule ignorance à l’image de l’illusion quiimagine la possibilité de maintenir à une langue donnée les mêmes propriétés combinatoires

159Abdeslam Yassine, Ibid. p.87.

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et structurelles, qu’elle avait à un moment donné comme si elle était un système renfermé surlui-même, et la possibilité de la circulation des mêmes expressions et des mêmes formes derhétoriques à tout jamais, lesquelles sont porteuses de valeurs culturelles et esthétiques d’unesociété dont toute trace a disparu et est éteinte et qui n’a plus de souvenir que dans les livres anciens.

Il est nécessaire à une société qui aspire à la modernisation, celle de ses établissements et sesstructures, de consacrer de nouvelles valeurs, autres que les valeurs traditionnelles, dans la penséeet dans le comportement ; et puisque la langue ne peut être un système fermé, il devient impératifqu’elle subisse des transformations diverses dont certaines proviennent de ses relations avec leslangues étrangères, certaines de l’évolution des relations sociales et d’autres de l’évolution desstyles de pensée et des méthodes de travail et de ses concepts sous l’influence des transformationsrapides qui envahissent le monde et les moyens de communication et de liaison.

Ainsi, il n’est pas possible d’imaginer une langue arabe conservant les constructions de la languede Révélation, sa syntaxe et sa morphologie, ses styles rhétoriques et ses concepts. Cela serasans doute réduit à la langue de la pensée religieuse mais dans les domaines de la presse, de lalittérature, des sciences, de la philosophie, de l’art et du discours quotidien, cela relève de l’ordrede l’impossible. Il n’est pas possible d’imaginer une langue arable stable qu’au sein d’une sociétéfermée qui se considère comme un standard de la plénitude et s’illusionne dans la conservation desrichesses pures et absolument authentiques.

Ce refus de l’arabe moderne n’est cependant pas dans sa réalité une simple prise de positionenvers des formes d’expression, ni l’envie de conserver les règles de grammaires et de conjugaisontel que l’auteur tente de tromper le lecteur. Il se trouve derrière ce refus un rejet total dece qu’exprime l’évolution de la langue dans le sens de la modernisation et de la pensée, ducomportement et de la mentalité. L’expression "Sayyidati, Sâdati !" (mesdames et messieurs !)qui met les femmes avant les hommes n’est pas une simple traduction littérale de l’expressionfrançaise, c’est une phrase qui n’est pas formulée qu’à partir d’une réalité sociale qui a connu unetransformation bouleversante de la situation de la femme et de son rôle dans la société marocaineactuelle. Il n’est pas de doute que d’un point de vue juridique elle n’a pas encore de supportsolide mais sur le plan de l’expérience et de la réalité sociale, elle a fait de grands pas qui ontcrée un grand écart entre la femme et sa situation ancienne. Lorsque les islamistes considèrentcette expression comme une aliénation, une dépendance de l’Occident et une trahison de lalangue de Révélation, c’est qu’ils rejettent en réalité la teneur culturelle et sociale de l’expressionparce qu’elle leur rappelle une situation qui n’a plus aucun rapport avec le monde honteux du harem.

Ceci est notre défense de l’arabe que nous voulons vivant parce que nous respectons notrepluralisme linguistique et nous le considérons comme une dépôt qui nous a été confié par des sièclesde cohabitation commune.

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Il est possible de déduire de la discussion ci-dessus ce qui suit :

1. Soutenir la noblesse de l’arabe est une prise de position qui exprime un mélange de ferveur religieuseet de sentiment nationaliste qui relève de l’appartenance à l’arabité et c’est une prise de positionqui n’a pas de base dans les textes religieux ni dans la conduite des compagnons du Prophète etcelle des savants anciens.

2. Que la conception islamiste du pluralisme linguistique est née des dernières années de l’histoiredu Maroc, c’est-à-dire la période pendant laquelle l’idéologie de l’arabité et de l’arabisation étaitrépandue avec le soutien de l’État.

3. Que la noblesse de l’arabe est une "hérésie" arabiste qui n’est dissimulée que pour ceux qui s’attri-buent une origine ethnique avec l’arabité pure et mettent par dessus un masque religieux.

Nous, ô Imazighen, nous ne détestons par l’arabe et nous ne le prenons pas pour ennemi, aucontraire, il est pour nous à la même position que tamazight notre langue d’origine. Notre problèmeavec les autres parmi les gens de religions et des sectes politiques est que nous ne pensons pasconserver l’une et sacrifier l’autre.

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Un Islam "arabe" !

Le concept de "dédoublement" est invoqué chaque fois qu’Imazighen revendiquent les droits deleur langue d’origine. Les adeptes de l’arabisation ne supportent pas de reconnaître la place à uneautre langue à côté de l’arabe parce que le dédoublement est un état de déchirure pathologique quiconduit une personne à être partagée entre diverses allégeances et elle n’aboutit au bout du compteà rien ; puis « l’harmonie de mon existence dépend de la force de la langue que je parle. Si je suispartagé entre plusieurs langues, les unes appellent mes souvenirs pour pleurer sur les vestiges del’enfance, les unes me communiquent les aspirations de l’adolescence, les unes me répètent auxoreilles ma sensibilité sociale, politique, rationaliste et révolutionnaire ou des slogans anxieux,alors mon existence est déchirée. Des fois je suis celui qui pleure sur les vestiges, des fois celui-làdont l’état d’âme est inspiré et d’autres fois cet opposant, protestataire, contre celui qui méprise lalangue de mes ancêtres. »160

Il faut "prêter allégeance" à une langue unique parce qu’elle est la seule à ouvrir les portes surun monde intellectuel et spirituel harmonieux. Ainsi l’être humain "se met en conserve" au seind’une idéologie confiante, absolue et exclusiviste. Cette conception oublie que la langue uniqueelle-même ne peut pas être porteuse d’un contenu intellectuel et spirituel harmonieux car la langueest un processus de pensée et une activité mentale. Cette dernière comporte des orientations, desdoctrines, des religions et des sectes qui s’expriment dans une même langue. Ainsi, des gens quiparlent la même langue, qui adhèrent à la même religion, se sont guerroyés et se sont entretués.

Ce qui retient l’attention dans ce concept de dédoublement est que l’appartenance à l’Islam et àl’amazighité est considérée comme un dédoublement et l’appartenance à l’Islam et à l’arabité estvue comme une unité, une cohésion et une harmonie. La réalité est que ce concept montre dans sacontradiction une fois de plus que les islamistes puisent dans la source du nationalisme et non del’Islam.

Ce à quoi la plupart des gens ne font pas attention est que l’expression "arabité et Islam", bienbanalisée dans notre pays pour argumenter en faveur d’une identité harmonieuse, n’est utiliséequ’au sein de l’espace culturel arabe dominé par la culture arabe en tant que culture officielle etqui est souvent compté dans ce qui s’appelle le "monde arabe", tandis que ce concept n’a aucunetrace en Turquie, en Indonésie, en Afghanistan, au Pakistan, en Malaisie ou en Iran dans lesquelsl’arabe est respecté en tant que langue de religion sans que personne ne considère que l’arabité estun constituant de l’identité dans ces pays. Il y a des musulmans persans, des musulmans afghans,des musulmans indonésiens et ainsi de suite et cette réalité dans les faits, qu’il n’est pas possible

160Abdeslam Yassine, Hiwaruh ma’a Sadiqu Amazighi, p.93.

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de contester, nous conduit à déduire ce qui suit :

Associer la religion à la "suprématie de l’arabe" est un acte commandé par la croyance dansl’appartenance dédoublée arabo-musulmane et non pas par l’appartenance à l’Islam seul. Lesislamistes qui se battent pour la suprématie de l’arabe et pour sa noblesse absolue, ne font pas celaen s’inspirant de la religion qui ne les incite pas à le faire, mais en partant d’un mobile nationalistearabiste et c’est un mobile inconscient que les islamistes arabisés ou adeptes de l’arabisationcontestent et refusent de reconnaître en le camouflant sous un voile d’expressions religieuses.Cependant, il se manifeste en comparant un islamiste marocain et un islamiste malaisien, indoné-sien ou turc, parce qu’il paraît clairement que le respect de l’arabe ne va pas jusqu’à vouloir sonanoblissement au détriment des autres langues d’origine des peuples musulmans. Pour cette raison,l’arabe dans ces pays ne se situe qu’au deuxième rang en tant que langue de religion et non pas entant que langue du peuple et même les Iraniens qui ont fait la "révolution islamique", considèrentle persan comme leur première langue et l’arabe une seconde langue.

La vraie conception musulmane de la question du pluralisme linguistique a été clairement ethonnêtement exprimée par deux savants musulmans non-arabes. L’un d’entre eux est l’Afghan’Inayat Allah Iqbal qui a déclaré à l’émission "La charia et la vie" sur le Canal Al-Jazira enjuillet 1998, que «la diffusion totale de l’arabe est une situation qui impose la disparition deslangues dominantes chez les peuples [musulmans] et c’est impossible ; les peuples [musulmans]n’accepteront pas la prédominance de l’arabe sur leurs langues. Cependant, il y a une chose trèsimportante qui est que l’Islam n’a pas [à imposer] l’arabisation mais [il peut] inciter à la languearabe. L’arabisation est [une imposition d’] une charge et il [l’Islam] n’a pas chargé les pays conquisà apprendre la langue arabe parce qu’en Islam, Allah n’impose à aucune âme une charge supérieureà sa capacité.»

Quant au docteur Hamdi Arsalan qui est un turc, il dit au cours de la même émission : «Lessavants de l’État ottoman ne voyaient pas comme une nécessité obligatoire de faire disparaîtreles autres langues et rendre l’arabe une langue prédominante. On a même rapporté que le SultanSalim Ier tenta de rendre la langue arabe comme première langue dans le pays [l’empire ottoman]mais l’un des grands savants de son époque Fikr Al-Islam Ali Afandi s’opposa à cela en invoquantdes versets du saint Coran parmi lesquels : «Parmi Ses signes la création des cieux et de la terre, lavariété de vos idiomes et de vos couleurs. . . » La variété des idiomes et des couleurs sont égalementdes Signes de Dieu et il faut les respecter.»

A côté de ces témoignages décisifs, nous rapportons un autre exemple qui concerne cette foisl’organisation islamique l’ESCESO était parti avec des objectifs dont "la diffusion de l’arabe" (unobjectif nationaliste) au sein des peuples musulmans non arabisés, fut à la tête de ses objectifsles plus prioritaires. Cependant, elle s’était rapidement confrontée à un obstacle représenté par larésistance des savants de ces peuples à ce projet qu’ils avaient considéré comme un "colonialisme

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culturel" que planifie l’Arabie Saoudite en concertation avec les autres pays arabes. Ce qui a obligéplus tard cette organisation à réviser sa position en introduisant un nouveau concept dans sesprogrammes et qui est les "langues islamiques" qui veut dire les langues des peuples musulmansavec lesquelles l’Islam est diffusé.

Les tentatives d’arabisation des peuples musulmans montrent la façon dont les pays pétroliersdu Golf exploitent des Africains et des Asiatiques en attribuant des crédits et des dons financiersaux enseignants de la langue arabe. Était-il possible que les musulmans non-arabes de l’AfriqueNoir et de l’Asie s’intéressent de plus en plus à l’Arabe parce qu’il est la langue de la religion sansles milliards de dollars que dépensent les pays du Golfe pour exporter leur culture et leur languevers ces pays et pour étendre également leur autorité politique sur eux ? La Malaisie a par exemplearrêté d’exporter ses produits depuis les années quatre-vingt vers l’Angleterre après avoir signé desaccords économiques avec les pays du Golf et cela s’était accompagné de l’organisation d’un festivalpour psalmodier le Coran à la Golf en Malaisie. Celle-ci a également signé un accord avec l’ArabieSaoudite qui préconise que cette dernière diffuse ses émissions arabisées à la Radio malaisienne etau Sénégal : «Il ne se passe pas une semaine sans que la presse annonce l’ouverture d’une écolepour l’apprentissage de l’arabe.»161 Les Associations islamiques sponsorisées par l’Arabie Saouditesont également fortement orientées vers l’arabisation au Niger, au Sénégal, au Mali, en Guinée et àBissau et vers la constitution de Centres culturels dont l’objectif est l’arabisation sous le couvert del’Islam et qui sont supervisés par des organisations telles que le Congrès islamique et l’ESCESCO.Malgré que le régime libyen adopte ouvertement une idéologie nationaliste et extrémiste arabe, ilutilise dans sa politique africaine des méthodes qui mélangent la diffusion de la religion avec uncentralisme sur la langue arabe.

L’expression "arabité et l’Islam" comporte donc une contradiction cachée et qui n’apparaît pasdans les pays dits arabes à cause de la banalisation subie par l’expression et qui est le résultatde son utilisation courante dans l’espace dominé par la culture arabe. Si le concept de l’Islam estporteur des acceptions d’appartenance religieuse et spirituelle à une religion donnée, à une culturereligieuse ayant des prolongements dans les modes des prises de conscience et dans le comportementquotidien et à une civilisation ayant un cachet particulier, le terme "arabité" quant à lui n’est pasexempt d’ambiguïté dont l’origine est que ce mot s’ouvre sur plusieurs sens ; c’est un attribut quisignifie :

– L’appartenance à une race humaine que sont les Arabes.– Parler l’arabe et l’utiliser dans la lecture et l’écriture.– L’appartenance à un espace culturel dont lequel l’arabe est prédominant.– L’adhésion à une option stratégique et la croyance en un sort national commun qui unifie

un ensemble de peuples et de sociétés pour affronter les défis des peuples et des civilisationsnon-arabes (l’Occident par exemple.)

161Georges de Boutih, Harakat Ta’rîb Al-Islâm fî Al-’Âlam, Revue Al-Fikr Al-’Arabî Al-Mu’âsir, No 22, 1985.

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L’appartenance à l’arbitré et à l’Islam est donc une double appartenance qui, contrairement àce que les islamistes croient et contrairement aux sentiments qu’ils expriment en ce qui concernela noblesse de l’arabe et l’appel à l’arabisation, n’est pas commune à l’ensemble des musulmansparce qu’elle ne provient pas de la religion mais du penchant nationaliste. Si l’Islam ne rencontrepas d’opposition de la part des musulmans en général (plus d’un milliard d’individus) en tantqu’identité et appartenance, l’arabité quant à elle ne rencontre pas d’enthousiasme et l’accueil saufchez ceux qui se considèrent comme arabes soit par "l’origine ethnique" soit par la langue.

Résumé

Le slogan "arabité et Islam" est donc un slogan nationaliste émis par les Arabes musulmans etrepris à Chakib Arsalan et ses semblables parmi les nationalises, par l’élite du Mouvement Nationalqui l’avait utilisé dans le combat et la réflexion puis la planification de l’État indépendant. Ilsavaient fait cela parce que ses membres, qui appartiennent dans leur grande majorité aux famillesde Rabat, de Salé, de Fez et de Tétouan, se considèrent comme des Arabes de souche d’origineandalouse. Ils avaient transformé ce slogan en politique quotidienne de l’État dans l’enseignement,dans la culture et dans d’autres services et ils ne cachent pas aujourd’hui leur réjouissance que les"Berbères" s’arabisent jour après jour dans le cadre de l’enseignement unifié.

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Une tamazight musulmane !

Il est établi dans les données précédentes que les islamistes ne déduisent pas leur prise de positionsur tamazight en partant des principes de la religion musulmane mais ils le font en partant dusentiment de leur appartenance à l’arabité. Il est établi que pour les peuples musulmans, le respectde l’arabe ne signifie pas la suprématie de l’arabe ou l’arabisation coercitive des musulmans.Quels sont donc les objectifs recherchés par les islamistes avec une prise de position basée surun raisonnement aussi fragile ? C’est la politique et il n’y a rien d’autre qui puisse pousser unepersonne à prendre la vérité pour un mensonge et le mensonge pour une vérité.

Il est possible qu’une lecture critique du texte suivant dévoile les objectifs cachés des islamistes etqui sont camouflés derrière leur prise de position contradictoire sur le pluralisme linguistique : «Sila langue amazighe participait à désavouer les méfaits dans la presse, à redresser ce qui est tordu[dans la société], à blâmer avec colère la fornication et la débauche audio-visuelles et à enseigner lareligion et la vertu, [alors] ses bonnes intentions lui auraient intercédé. »162

Comme si tamazight n’avait pas fait cela au cours de sa langue histoire et jusqu’à aujourd’hui.Cependant, puisque l’objectif n’est pas la religion, il faut donc à tamazight d’exercer l’appel à lareligion et de porter le discours politique islamiste en encourageant les bienfaits et en désavouantles méfaits selon les critères des bienfaits et des méfaits fixés par les cheikhs islamistes et elle auraainsi déclaré son "repentir" et démontré sa bonne foi à leurs égards. Cependant, quelle sera sarécompense de la part des islamistes pour ces services ? En la déclarant dans la constitution commelangue pour les Marocains à côté de l’arabe ou en l’enseignant à ses enfants dans les écoles ? Non, iln’y aura rien de tout cela. Il n’ y a pas jusqu’ici de livres ni de déclarations islamistes soutenant lesdroits de tamazight.163 Leur attitude avec elle est une attitude opportuniste évidente parce qu’ils

162Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî, p.83.163Il y a même parmi eux ceux qui ont écrit exactement le contraire comme dans le texte suivant : «J’aimerais

supposer le pire et imaginer que ces dialectes amazighs diminuent d’une manière importante à cause de l’éducation,de l’élargissement des villes, de l’exode et des moyens de communication. Que se passera-t-il alors ? Les gensarrêteront de communiquer ou communiqueront-il avec d’autres [langues] ? » ( ! ! !)

Puis il ajoute sans hésitation : «Cependant, je ne tiens pas à la disparition de ces dialectes ni à leur conser-vation, ma position là-dessus est une position neutre ; je ne donne pas une grande importance au maintien decoutumes et de traditions et j’ai une jauge fixe pour les juger, c’est l’Islam. », Mohamed Azz d-Din Tawfiq, RevueAfâq, No 38, 1997.

Comme les gens découvriront le degré d’arriération de ces idées lorsqu’ils les compareront avec un paragraphe parmiles principes de l’UNESCO et de l’ONU qui dit : «La perte d’une langue ou d’une culture et leur disparition est uneperte pour l’humanité entière. » Voici une logique qui respecte l’être humain et son héritage culturel et voilà unelogique de chauvinisme nationaliste et d’aveuglement idéologique.

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ont pour objectif d’utiliser une langue populaire officiellement marginalisée afin de gagner grâce àelle des partisans politiques et la laisseront ensuite à son sort inévitable car leur grand projet nesera achevé sans "arabiser les peuples non-arabes". Comment nous permettons-nous d’utiliser unelangue sans lui reconnaître le moindre droit ?

Tout ceci montre que la prise de position des islamistes envers tamazight est une prise deposition politique pure qui prouve l’importance qu’occupe la question linguistique dans leur projetpolitique. La réussite de leur appel et l’unification des musulmans sous la direction éclairée desleaders religieux dépend du degré de l’infiltration du discours de ces leaders dans les esprits descroyants, chose qui ne peut s’accomplir qu’en utilisant la langue quotidienne avec laquelle ilspourront s’adresser à la majorité d’une part, et en utilisant "la langue de Révélation" d’autre partparce qu’elle leur permet surtout la confusion avec le texte religieux puisqu’ils imitent l’arabe dupremier siècle de l’hégire qui est "proche de la souche des arabes" anciens.

Lorsque tamazight aura fait parvenir le message par l’intermédiaire de l’écoute de la voix desenregistrements des cheikhs - ceux-là même qui parlent tamazight mais refusent de l’écrire -, à cemoment là la langue "coépouse" s’éclipsera pour laisser la langue "supérieure" achever le projet etrecevoir sa récompense auprès de Dieu et auprès des êtres humains.

La réalité cachée dans le discours islamiste sont les bienfaits de tamazight envers la religion, enversla patrie et son rôle dans la libération et l’indépendance car la reconnaissance des bienfaits exige la"récompense" et c’est ce que ne peuvent pas faire les islamistes, les serviteurs du nationalisme arabe.

Les islamistes n’hésitent pas à combler d’éloge Imazighen et à rappeler leurs attitudes héroïques,leur zèle et leur sens de l’honneur, cependant ils ne supportent pas de reconnaître que tout cela aeu lieu dans leur langue et qu’elle a eu sa part dans les bienfaits parce que toute activité humainene se dissocie pas de l’activité linguistique.

Reconnaître un être humain et refuser dans le même temps de reconnaître sa langue et sa cultureest une contradiction dévoilée qui a pour objectif l’exploitation de l’être humain.

Ainsi, les islamistes s’ambitionnent à utiliser la langue du peuple pour atteindre leurs desseinspolitiques et adopter ensuite la langue de Révélation, la langue "sacrée" et "noble", pour maintenirles conditions qui leur paraissent en harmonie avec leur conception du monde. L’idiome non-arabepermet de faire parvenir le message mais ne donne aucun caractère sacré à son auteur en plus dufait que le pluralisme linguistique pourrait créer entre les gens des allégeances et d’autres liensdont il n’est pas de l’intérêt des islamistes qu’ils se renforcent. C’est ce que permet de dévoiler unefouille dans l’inconscient collectif, moteur du discours islamiste puisqu’une idéologie est une simpleprise de conscience collective, mais elle est également « l’inconscient psychologique qui n’est pas en

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relation avec le contenu autant qu’il l’est avec les formes et les fonctions. »164

Si les islamistes sont totalement conscients de leurs objectifs et des éléments de leur discourspolitique, la majorité des mécanismes idéologiques dont ils usent s’intègrent à l’inconscient collectifde sorte qu’ils ne sont pas totalement conscients des arrières pensées implicites, moteur de leurdiscours politique, dont la plupart sont refoulées et ils refusent de les reconnaître lorsque quel-qu’un les observent ou les fait remarquer et ceci est parmi les fonctions psychologiques de l’idéologie.

Il est possible d’intercepter un ensemble important de ces mécanismes idéologiques qu’adoptentles islamistes dans leur traitement de la question amazighe et dont la grande majorité n’avoue pasles objectifs réels recherchés.

1. Le mécanisme d’ajournement. Il consiste à considérer tamazight comme une préoccupationmarginale en comparaison avec le "grand projet islamique" qui a pour objectif d’unifier lacommunauté et de ressusciter ses gloires et c’est un mécanisme qui cache une vision insultante etméprisante envers le sujet au complet et qui est à l’origine en relation avec la conscience populairequi dédaigne le quotidien et voit dans ses symboles des choses viles n’ayant pas la noblesse et ladignité des préoccupations impérieuses de l’élite "savante".

D’autre part, il cache la réalité que les revendications de tamazight sont de l’ordre du possibleparce qu’elle peuvent passer à l’exécution à tout moment alors que le projet islamique est de l’ordrede l’abstraction et de l’utopie car il restera à tout jamais, tel qu’il a toujours été, un rêve irréalisable.

2. Le mécanisme de diffamation. Il a pour objectif de dénigrer l’ennemi et de le montrer commeune menace des intérêts de la communauté en tant que source du mal - la seule bien évidemment.Cela se reflète par exemple dans la relation faite entre les revendications amazighes et les intérêtsdu colonialisme qui fait des acteurs de l’amazighité des agents et des traîtres. C’est un mécanismequi cache le désir d’une publicité pour soi en se considérant comme une source du bien suprême etun symbole du patriotisme loyal et il cache également le fait que l’objectif est de se débarrasserde l’ennemi étant donné qu’aucune preuve ne peut être produite pour démontrer qu’il est dansl’erreur. Ce qui se réalise grâce à le propagande et à la publicité.

3. Le mécanisme d’unitarisme. Il exprime tragiquement la crainte de la perte de l’unité nationale àcause de la discorde et de la discrimination que l’ennemi pourrait causer en invoquant le pluralismeet la dissemblance. Les islamistes se présentent ainsi comme étant les partisans de l’unité mais surleur terrain idéologique. Afin que la communauté soit unifiée et forte, il est nécessaire d’avoir uneplate-forme unifiée et unificatrice et elle ne peut être évidemment que leur plate-forme religieuse,ou la religion telle qu’il la comprennent. Ce mécanisme dissimule deux réalités :164Mohamed Salîba, Al-Idiyulûgia Nahwa Nadharia Takâmuliya, Centre culturel arabe, 1992.

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– Que la référence à un système unique n’a jamais été à la base d’une unité politique au coursde l’histoire de l’islam qui est l’histoire d’une chaîne de discordes depuis Abou Bekr, le premiercalife, jusqu’à aujourd’hui (comme le prouve les tueries entre musulmans et la haine des islamistesles uns envers les autres.)

– Que les sociétés démocratiques fondées sur le respect du droit à la différence et sur le pluralismesont plus stables que celles dans lesquelles circulent des slogans d’unité et d’unification.

4. Le mécanisme de classification. Il se préoccupe des formes de différenciation des ennemisentre "bons et mauvais" et fait semblant de ne pas généraliser les jugements sur les ennemis, leurcondamnation et leur jugement. Les islamistes, toutes tendances et courants confondus, divisentpar exemple le mouvement amazigh en deux courants, un courant culturel et courant politique. Lepremier se préoccupe de tamazight en tant que langue, culture et héritage. Il fait des recherchesdans les proverbes populaires, dans les contes et en poésie et n’est pas concerné par leur attaque,prétendent-ils. Cependant, le second met l’accent sur l’éveil du racisme et pousse le pays vers lesdangers de la discorde et de la discrimination165 en ressuscitant un passé idolâtre et en considérantles conquêtes musulmanes comme des invasions. Ce que dissimule ce mécanisme est que cesdeux courants, s’ils existent tels qu’ils sont présentés, ont signé ensemble une charte communequi présente les revendications principales qui concernent les droits de tamazight au sein de laConstitution, au sein du système éducatif et au sein de la presse. Si ces revendications exprimentpour les islamistes un penchant raciste, c’est le courant considéré culturaliste et modéré qui lesavait déclarées le premier.

Une fois leur classification achevée, les islamistes tombent dans la contradiction en refusant lesmêmes revendications auxquelles tiennent ceux qu’ils considèrent comme étant des "modérés"."L’incrédulité, c’est une religion indivisible", c’est ainsi qu’ils s’expriment lorsque leur jeu declassification ne leur paraît pas être ce qu’ils souhaitent et il devient évident que derrière lesclassifications il y a un rejet absolu des droits de tamazight eux-mêmes quel que soit celui qui lesproclame,166 et que la propagande contre un groupe extrémiste ne dépasse pas le fait que c’est une

165« Nous voici avec deux sortes de militants amazighs. L’un d’eux est mûr et son discours, ses œuvres sont uneréférence pour tous ceux qui s’intéressent à tamazight ; et l’autre sa revendication est politique et toute prête. »,Abdeslam Yassine, Hiwâruh m’a Sadîqih Amâzîghî, p.75.

« Ces étudiants se sont divisés en deux groupes. Un groupe qui ne prend pas pour ennemi ni l’Islam ni la languearabe et ne voit pas ces inimités comme une condition pour la conservation de l’héritage amazigh ; et un groupe quicroit que la fierté de sa berbérité ne passe que par l’attaque des conquêtes musulmanes, par la séparation entre lesBerbères et l’islam et par la fouille de ce qu’il croit être une civilisation berbère préislamique. », Mohamed Azz d-DinTawfiq, Revue r-Râya, no 128.166«Cependant, qu’a-t-il tamazight pour qu’on veuille l’inscrire dans la Constitution [comme] une deuxième langue

nationale ? Qu’a-t-elle la culture amazighe pour qu’elle soit jalouse de l’arabe et pour lui disputer les heures desmasses média officiels ?», Abdeslam Yassine, Hiwâruh m’a Sadîqih Amâzîghî, p.83.

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fuite afin d’éviter d’affronter le problème du pluralisme culturel et linguistique qui se dégage dudiscours du Mouvement en entier.

5. Le mécanisme de sacralisation. Il consiste en une amplification de soi et une vénération de sesacquis symboliques qui ont pour objectif de les mettre au dessus de tout ce qui pouvait appartenirà l’ennemi. Les expressions suivantes : «Voyons ! Un musulman et une musulmane qui savent queleur prière n’est valable qu’en récitant des versets du livre divin, que la récitation du Coran estune dévotion, que le méditer et le comprendre est une piété, que chaque lettre qu’ils récitent avecrecueillement, méditation et compréhension est [récompensée par] dix bienfaits [auprès de Dieu]et qu’un seul bienfait dont la gratification et l’illumination sont éternelles dans l’au-delà, est bienmieux que ce monde avec tout ce qu’il contient, [alors] est-ce qu’il existe, chez elle et chez lui,quelque chose de ce monde qui soit prioritaire à l’apprentissage de la langue du Coran ? »167 Cesexpressions, à travers une confusion absolue entre la piété et la langue des Arabes, a pour objectifréel non avoué ouvertement, l’appel à l’apprentissage de l’Arabe (arabisation) et l’éloignement detamazight de cette apprentissage en la nanisant par l’exagération dans la sacralisation de l’Arabe.A mesure que le lecteur perçoit la grandeur de la langue du Coran avec ce qu’elle garantie commerécompense divine et illumination éternelle, il perçoit la nécessité de se hâter pour l’apprendreet il perçoit également la mesquinerie de l’apprentissage d’autres langues telle que tamazight quine donnent pas lieu aux "récompenses divines". Dans ce contexte, un raisonnement trompeur etsophistique a été utilisé et il s’est appuyé sur deux arguments que l’on peut appeler "l’argument dela prière" et "l’argument de la technologie".

« Le temps du musulman est-il assez long (. . .) pour apprendre la langue du Coran (Ě) si nous ajoutions une langueconcurrente à la langue du Coran dans les salles de classe et d’éducation, si nous réduisons le temps du maître etde l’élève et si nous bousculons la langue du Coran avec une langue coépouse ?», Abdeslam Yassine, Hiwâruh m’aSadîqih Amâzîghî, p.80.167Abdeslam Yassine, Hiwâruh m’a Sadîqih Amâzîghî, p.79.

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La langue et la prière rituelle

Il existe une idée qui est répandue dans les milieux islamistes et qu’ils croient être l’argumenttranchant pour décider de la marginalisation du tamazight. C’est l’idée qui consiste à dire quele musulman n’accomplit sa prière rituelle qu’avec l’arabe classique dans lequel sont formulés lesversets coraniques. C’est un argument qui, à mesure qu’il paraît puissant aux islamistes, paraîtfaible aux autres et ne touche pas le fond du problème.

Dans toutes les cultures depuis les civilisations anciennes, la langue de la prière est en corrélationavec le sacré religieux et avec la langue du prêtre, et elle est considérée comme faisant partie dessecrets occultes et une source des pouvoirs mystérieux qu’elle possède. Ainsi, les incantations sontconsidérées comme un sacré, dans leur fond et dans leur forme et ceci a eu lieu pour toutes leslangues et il a eu une tonalité particulière pour l’arabe du Coran que les Arabes considèrent nonprêt à la traduction "afin qu’il ne perde pas son I’zaj".168 L’accent a été mis chez les oulémas,comme nous l’avons mentionné, sur l’I’zaj de la langue plus que sur le contenu, du fait de lacroyance des Arabes que l’I’jaz n’est possible qu’avec la rhétorique arabe qui est la rhétoriquela plus éloquente. Parce qu’ils désignent par I’jaz la formulation transcendante résultant del’utilisation de la langue par le divin, cela comprend le fait que l’on est convaincu que toute autreformulation du Coran par traduction ne sera qu’une formulation humaine qui fait le transfertdu contenu mais non pas des moules rhétoriques qui restent des critères spécifiques à un milieuculturel donné.

Ainsi, la majorité des oulémas, des Arabes notamment, pensent qu’ils n’est pas permis detraduire le Coran mais ils ont été contredits par de nombreux savants non-arabes et nous trouvonsdans le texte suivant une différence évidente à ce sujet entre Abou Hanîfa (un non-arabe) etMâlik (un arabe) : «les oulémas musulmans modernes et anciens sont en désaccord à proposde l’acceptabilité de traduire le Coran en des langues non-arabes. Les uns l’avaient interdit etpensaient que cela est impossible, [mais] invoquent qu’Abou Hanîfa l’avait permis et autorisé etqu’il avait argumenté là-dessus, d’après ce qu’en dit s-Sarkhasi, par le récit qui dit que les Persansavaient écrit à Salmân afin qu’il leur écrive Al-Fâtiha [la première sourate du Coran] et il l’avaitfait ; et ils [les Persans] récitaient Al-Fâtiha traduite en Persan pendant leur prière rituelles.» Puisl’auteur ajoute : «Et Mâlik l’avait catégoriquement interdit.»169 Il serait injuste de prétendre quece désaccord entre les deux oulémas est un simple désaccord personnel entre deux individus parcequ’il est en réalité un désaccord déterminé par des facteurs culturels triviaux. Mâlik, pour quile Coran fut formulé dans sa langue arabe, qui vit parmi les Arabes du Hijâz, les siens, et quine connaît que cette langue, ne voit pas qu’il soit possible de faire la prière qu’avec elle. Tandis168trd. L’I’zaj est l’aspect miraculeux du Coran.169Allâl Al-Fâsî, Maqâsid sh-Shari’a wa Makârimahâ, Ibid. p. 107.

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qu’Abou Hanîfa pense autrement, non pas parce que Salmân avait traduit Al-Fâtiha aux siens,mais parce qu’Abou Hanîfa lui-même connaît à côté de l’arabe sa langue persane et vit parmi lesPersans, les siens, et il est influencé par une structure culturelle différente.

Cependant, ce à quoi les islamistes ne font pas attention, à cause de la faiblesse de leur analysesdes phénomènes humains, dont celui de la langue, dans leurs relations et leurs prolongements, estque la langue de la prière et la langue du quotidien sont dissociées même si la prière est un actequotidien dans la vie du croyant. Les rites cultuels au sein desquels le musulman est, au cours dela prière, s’accomplissent, que ce soit dans leurs symboles linguistiques ou dans leurs symbolesmatériels ou corporels, dans une atmosphère très particulière. C’est-à-dire qu’il est coupé duquotidien habituel et pourquoi pas [d’ailleurs] alors que c’est un excellent moment, le moment durecueillement devant le dieu adoré. A partir de là, les musulmans en général ne s’intéressent pas àla clarté de la signification et au sens [des termes utilisés] dans leur esprits. Ceci est surtout valablepour des centaines de millions de musulmans non-arabes et non-arabisés qui vouent à l’arabe uneestime qui ne vient pas uniquement du fait que c’est la langue de la prière mais également du faitqu’il est [des symboles] mystérieux dont on ignore le sens. Son caractère mystérieux a une magiqueet un sens sacré qui font qu’il est la langue qui permet de se hisser vers l’absolu. Pour cette raison,ces musulmans non-arabes, dans les différents pays du monde, accomplissent leurs prières rituellessans se préoccuper beaucoup de se poser la question sur le sens des termes sacrés qu’ils prononcentpendant la prière car la force du sacré lui-même dépend du degré de l’aspect mystérieux des mots.

La langue de la prière rituelle est donc caractérisée par :

– Elle n’est pas la langue du quotidien (parce qu’elle ne prend que quelques minutes du pro-gramme quotidien du croyant et qu’elle est différente dans sa profondeur de la langue duquotidien.)

– Elle n’est pas toujours sujet à la compréhension et à l’assimilation de la part du musulmannon-arabe et même du musulman arabe dans certains cas. Ce qui prouve qu’elle est, en résumé,une mémorisation et un agencement de vocables vagues.

– Elle est un moment où l’on se retire de l’ordinaire et de l’accoutumé et est en relation avecune dévotion adressée à Dieu qui coupe le croyant de ses préoccupations d’ici-bas, de la viepratique et des relations quotidiennes.

A partir de tous ces facteurs, nous comprenons les raisons qui poussent les islamistes à l’appelà "l’arabisation des peuples non-arabes". La noblesse de l’arabe ne peut pas donner de résultaspolitiques qu’en portant l’arabe d’une langue de prière, c’est-à-dire la langue des moments depiété, vers une langue du quotidien, c’est-à-dire une langue qui organise la vie du musulman et sesdifférentes préoccupations intellectuelles et vitales.

Donc, le fait que l’arabe soit une langue de prière rituelle ne signifie pas "qu’elle est plus proche"

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de Dieu que les langues des musulmans parce que le travail, la production quotidienne et le fait defaire le Bien et les bienfaits s’accomplissent tous dans la vie du croyant dans le cadre de sa languequotidienne qui n’est pas, dans tous les cas, l’arabe classique et elle ne pourra jamais être l’arabeclassique dans le moyen ou le long terme.

La vie dans ses détails ne peut pas être réduite à quelques minutes pendant lesquelles le croyantaccomplit sa prière rituelle à Dieu car une fois la prière accomplie, "les gens se dispersent sur laterre"170 pour leurs affaires et leurs besoins avec des langues qui ne sont pas la langue de la prièrerituelle.

La conception de Dieu chez l’islamiste arabisé comporte beaucoup de naïveté car il croit que Dieune comprend que l’arabe et il craint ne pas communiquer avec l’Absolu pendant ses actes de dévotion.

Ainsi, l’Être divin lui-même n’a pas échappé à sa part d’arabisation.171

L’arabe tel que les islamistes le conçoivent, en tant que langue de prière rituelle, ressemblebeaucoup au Latin à l’époque où il était l’unique langue de religion et la langue des sciences etde la culture théorique. La "noblesse" du Latin n’a eu que des conséquences néfastes pour lui àcause de l’enfermement et de son air hautain sur les dialectes vulgaires qui a amené ces derniersà envahir tous les domaines scientifiques grâce à l’autorité de leur présence quotidienne. Puis le"noble" Latin s’est éteint sans laisser de trace et les humbles dialectes devinrent les langues de lascience, des techniques et de la religion également.

Les islamistes ne cherchent pas uniquement à ce que tamazight soit éteint mais il contribuentinconsciemment et sans le vouloir à l’affaiblissement de l’arabe lui-même en imaginant qu’ils sonten train de le sauver.

A partir de tout ce qui précède, il ne semble pas que les islamistes aient tiré quoi que ce soitdes leçons de la linguistique moderne. Leurs idées sur la langue et ses fonctions apparaissent trèssuperficielles lorsqu’ils la dissocient d’une manière quasi-intégrale de la société et de l’esprit humainet la personnifient en l’insultant et en lui demandant de se repentir.

170trd. Cet phrase est un morceau d’un verset coranique171Cela nous rappelle certains "hadiths" que les Arabes inventèrent et dont le contenu dit que l’arabe est "la langue

du Paradis". Ainsi, la foi et l’accomplissement des obligations religieuses ne suffisent pas au musulman parce qu’unobstacle difficile le sépare du Paradis, à savoir, la maîtrise de la langue arabe car les dialectes n’ont aucune valeurlà-bas. Ainsi, la majorité des habitants de la terre seront muets dans l’au-delà (à part en Enfer évidemment.)

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La langue et la technologie

La relation de la langue avec la technologie est une relation ancienne. Cependant, à chaqueépoque elle revêtit un aspect particulier influencé par la situation de l’être humain et par le progrèsatteint aussi bien dans son existence naturelle que socioculturelle. En effet, l’être humain n’a paspu faire évoluer ses outils que par l’intermédiaire d’une langue avec laquelle il nomme et désigneles choses puis les fait abstraire en concepts intellectuels.

A notre époque, le progrès technique a atteint un niveau tel que les langues du monde sont àbout de souffle derrière le convoi accéléré afin qu’elles ne se transforment pas en langue muettedans un monde inconnu.

Néanmoins, le mot moderne "technologie" n’est pas exempt d’une certaine imprécision dontl’origine est le caractère insolite de la dénomination elle-même dans notre réalité sociale et dansnotre culture traditionnelle. Le mot est souvent utilisé - comme chez les islamistes - pour désignerles produits de la technologie tels que les instruments et les appareils tandis que la technologiesignifie avant tout la pensée, la connaissance et la méthode qui a conduit à la naissance de cesinnovations techniques.

Lorsque nous parlons de la pensée, de la connaissance et de la méthode, nous voulons dire plusprécisément la langue car sans elle rien de tout cela ne peut voir le jour. Toute l’affaire revientfinalement à un système de symboles et de signes linguistiques.

Les islamistes s’imaginent - parce qu’ils dissocient la langue de la pensée et de la société, commenous l’avons mentionné - que l’arabe n’a pas pu assimiler les données technologiques à cause d’unmanque de soins qui aurait lieu par la foi et un retour au Coran qui nous inspirera un juste avisconcernant la renaissance d’une langue dont l’évolution est lente.

La réalité est que notre problème avec la technologie est une question de pensée et de mentalitétraditionnelles qui aspirent aveuglément à l’acquisition de la langue des sciences tandis que celle-cine peut exister que là où il y a un esprit scientifique et une société de la science dans laquelle sontdiffusées les données préliminaires et les principes scientifiques par l’éducation.

Tandis que les islamistes s’inquiètent de la situation de l’arabe et de son impuissance, sans encomprendre les causes profondes, ils profitent de l’occasion pour s’abattre une fois de plus surtamazight en le mettant au défi technologique. Si tel est l’état de la pauvre langue arabe, commentla langue des chants et des chantonnements des grand-mères pourrait-elle assimiler la dure leçonde la technologie ?

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C’est un argument trompeur mais il est fondé sur une ignorance réelle de ce que veut dire unelangue des sciences et de l’histoire des langues que nous désignons aujourd’hui par les langues dessciences.

Une langue devient une langue des sciences - d’après l’histoire - lorsque la société connaît unemobilité persévérante qui crée des transformations radicales dans ses structures et un bouleverse-ment dans la pensée qui les accompagne et leur succède. C’est ainsi que les langues européennescassèrent les chaînes du sens commun et se transformèrent en langues de la science, de l’art et dela littérature de qualité en réponse au climat bouleversant général que l’époque du régime féodalet du terrorisme de l’Église avait réfréné et réprimé. C’est ainsi que l’arabe cassa les chaînes dela simulation et de la tradition orale au cours du IIe et IIIe siècles de l’hégire au moment oùla traduction s’était activée, où des structures culturelles se sont enrichies les unes des autres,où des systèmes diverses en pays d’Islam et à travers les musulmans dialoguaient, se sont livrésdes batailles et où l’arabe était large au lexique de la science grecque car le climat intellectueldynamique et l’ambition le permettaient. Cependant, après IVe siècle de l’hégire (le siècle de lafermeture des issues à la jurisprudence, la fermeture des portes et des fenêtres et l’asphyxie desesprits) l’arabe s’était progressivement transformé en une langue qui a perdu sa vivacité jusqu’à cequ’il devienne au cours du VIIe siècle de l’hégire telle que l’avait décrit un auteur aventurier IbnMansûr en disant : «Mon soucis se réduit à la conservation des bases de cette langue prophétique.Je constate que l’utilisation de la langue arabe est aujourd’hui presque un défaut et les gens serivalisent par l’écriture en langues étrangères.»172 Ceci est un témoignage d’il y a plus de septsiècles qui mérite d’être lu par ceux qui s’imaginent que l’arabe s’est affaibli avec l’arrivée ducolonialisme et que les langues étrangères ne dominent qu’avec son arrivée.

Il a été constaté aujourd’hui d’une manière totalement évidente que le fait technologique àune influence profonde sur la langue et les modes de pensée et les langues qui n’ont pas connude transformation radicale -qui a lieu en réponse à la transformation de la pensée, bien sûr- nepourront pas avec leur structure ancienne assimiler les leçons de la technologie.

La langue arabe avait connu une transformation relative depuis ce qui s’appelle dans la penséearabe contemporaine «l’âge de la renaissance» car il n’était plus dans son pouvoir de conservermon moule littéraire ancien et il fut contraint de se rénover en créant de nouveaux termes quipermettent d’exprimer tout ce que les Arabes n’avaient pas connu dans leur vie antérieure etl’arabe s’était trouvé avec de nouveaux lexiques entiers, devant lui, dans les sciences, la philosophieet les sciences humaines et fut contraint d’en digérer la plupart pour éviter de se sentir totalementisolé du monde. Cependant, tout cela s’effectua avec une mentalité nouvelle qui n’a pas une relationsolide avec la mentalité imitatrice des oulémas. Le Caire, Damas et Beyrouth ont eu le rôle de

172Texte traduit du livre de Mohamed Arkoun, La pensée arabe, PUF, Que sais-je ? p.87.

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pionnier dans cette évolution depuis le début du siècle en passant par les années vingt et les annéesquarante. Puis voilà les islamistes qui souffrent des transformations que l’arabe a subi et rêvent quesa structure soit celle du Coran, que sa morphologie soit celle du Coran, que sa syntaxe soit celledu Coran et que sa sémantique soit celle du Coran. Puis ils réservent à celui qui a fait cet effortconsidérable au service de sa langue la récompense suivante : «La langue arabe chrétienne a dérobéles Arabes à la langue du Coran, et le nationalisme, et la laïcité et la langue arabe, non-arabe,incrédule de la presse.»173

Parce que les Arabes chrétiens n’étaient pas musulmans, tout qu’ils fournissent pour leur langueest vain tant qu’il n’est pas en harmonie avec ce que les islamistes veulent de l’arabe, comme sil’arabe n’existe que pour être porteur d’un contenu intellectuel unique. C’est une conception de lalangue qui la met en dehors de l’histoire et en dehors de la réalité humaine.

Quant à tamazight et la technologie, il nous suffit que les linguistes dans le monde entieraffirment qu’il n’existe pas de langue au monde qui refuse de n’exprimer qu’un seul contenu uniqueet que, si elle existe, c’est à cause du fait qu’elle est associée à la structure d’un esprit stationnaireet à une mentalité rigide. Le Mouvement Amazigh a fait, depuis quelques décennies, un pasimportant dans la transformation des structures de la culture amazighe vers la modernisationpar l’écriture massive en tamazight et cela a conduit à la traduction d’un important dictionnairejuridique/littéraire/philosophique en tamazight.

Cela a été réalisé de la même manière que ce qui a été fait pour l’arabe. Dériver les verbesà partir de leur radicaux, créer les termes et forger des concepts plus abstraits dont certainsont été extraits de l’héritage oral lui-même et d’autres sont une pure création à cause de laperte d’une grande partie du lexique qui était resté oral pendant très longtemps, ce qui a fait queles langues plus puissantes ont pris avec leur lexique puissant et courant la place de la langue parlée.

La première chose que nous devons faire pour savoir si tamazight est capable de s’adapter ou nonà notre époque, comme d’autres langues, c’est de libérer nos esprits des idées métaphysiques sur lalangue afin de savoir que la langue n’est pas un décret divin mais au contraire une terminologie, unecomposition et une invention humaine ; qu’elle n’est pas un simple vase vide que l’on remplit avecce que l’on veut, mais au contraire une attitude psychologique et intellectuelle, et un comportementsocial ; qu’elle n’est pas un simple canal pour faire passer des moules tout faits dans la pensée etdans l’action, et consolider les statues momifiées, mais au contraire une innovation, une ouvertureet une vitalité. Après cet étape, nous découvrirons que la différenciation normative entre les languesen anoblissant certaines et en méprisant les autres, n’a aucune base scientifique mais elle est aucontraire due à la spécificité culturelle, à l’attitude sentimentale, aux liens affectifs et aux objectifspolitiques. Après que nos langues nationales seront égales pour nous, par principe, nous saurons

173Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Al-Fudala d-Dimuqrâtiyin, p.132.

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que le fait que l’une a été la première à avoir un capital écrit lui donne la prédominance politiquesans que cela nous dispense d’intégrer l’autre dans les établissements scolaires, dans la presse etdans l’administration. Nous ne devons pas attendre jusqu’à à ce qu’elle démontre sa " bonne foi"et déclarer son "repentir" pour faire cela parce que la langue ne peut pas être jugée à partir desprises de positions, que l’on suppose différentes, des individus ou des groupes. Si je n’aime pas lesprises de position d’un islamiste ou d’un marxiste cela ne veut pas dire que la langue arabe aveclaquelle ils ont exprimé leurs idées est responsable de ces prises de position. Au contraire, l’arabe aune place qui ne dépend pas des prises de position idéologiques.

La responsabilité de l’État marocain, des responsables et des appareils officiels envers tamazightqui est un héritage culturel commun, est une responsabilité établie par principe, fondée et dont onne peut pas douter en invoquant des prétextes faibles d’aucune sorte.

Lorsque cette intégration sera faite, que tamazight disposera de sa part dans le budget de l’État,qu’elle sera une langue écrite, qu’elle aura l’occasion d’être utilisée dans les différents domaines àl’image de toutes les langues scolaires au Maroc, à ce moment là, on se posera la question de savoirsi elle pourra répondre aux exigences de notre époque.

Résumé

1. Les islamistes veulent que la technologie vienne rejoindre leur langue religieuse figée dans le fond etdans la forme tandis que c’est la langue qui doit aller vers la technologie en changeant ses mécanismesde pensée parce qu’il n’est pas possible que la technologie - dans la puissance et la rapidité de sonélan vers l’avenir - attellera sa voiture aux chevaux d’une langue fatiguée.

2. Tamazight est avant tout un système linguistique, c’est-à-dire un ensemble de signes et de symboleslinguistiques soumis à des règles et des lois (morphologiques, grammatico-combinatoire) dont l’ori-gine et la logique de la pensée sous-jacentes à cette composition organisée des mots. C’est à l’aide dece système ordonné que tamazight peut accomplir la fonction de communication entre ses locuteurscomme le reste des langues. La multiplicité de ses dialectes est due à des différences phonétiques etlexicales dont l’origine est le résultat de facteurs historiques et géographiques sans que cela signifieque ces dialectes sont dissociés de leur systèmes commun.

3. Toutes ces descriptions font de tamazight une langue prête à se transformer par l’intermédiaire del’institution scolaire en une langue unifiée et capable d’accomplir toutes les fonctions d’une languevivante. Les obstacles techniques que rencontre cela ne signifie pas qu’il est impossible ni qu’il inviteà abandonner une langue nationale.

4. Les islamistes, à cause de leur utilisation imprécise du concept de la langue, confondent le systèmelinguistique dans sa structure interne et l’héritage culturel que la langue exprime. Lorsqu’ils parlent

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de tamazight comme langue des chantonnements et des chants, les spécificités et les ressources de lalangue, c’est-à-dire son génie (car chaque langue a son génie propre), n’attirent pas leur attention.

5. La revendication des droits de tamazight n’a pas pour objectif la réalisation immédiate d’une ré-volution technologique parce que les composantes de l’identité et de la personnalité nationale ne semesurent pas avec la technologie et l’informatique. Notre amour pour l’arabe ne signifie pas quenous produirons des fusées nucléaires avec elle.

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Note marginale : de l’origine ethnique "noble"

Nous n’avons pas pour objectif de calomnier les origines ethniques car nous considérons celacomme des croyances disparues à une époque où la Déclaration Universelle des Droits de l’Hommea déclaré l’égalité fondamentale et absolue entre les êtres humains sans distinction de race, decouleur et de religion. Cependant, nous avons trouvé dans le concept de "l’ascendance noble" unautre concept qui aide à comprendre l’attitude négative de certains islamistes envers tamazight etleur attitude "très positive" envers l’arabe. Nous avons montré que la cause n’est pas religieuseétant donné que la religion n’incite pas à cela dans ses textes et nous avons mis en relief les mobilesnationalistes de leur appel à l’arabisation totale. Ici nous ajoutons un paragraphe nécessaire pourmontrer l’aboutissement de la thèse de certains islamistes à un penchant raciste invétéré.

L’ascendance noble ne peut se définir que par rapport l’ascendance "non-noble", c’est-à-dire"ordinaire" ou "mesquine" ou toute autre qualification qui manque de respect. L’ascendance"noble" signifie que l’origine ethnique de la personne se rattache à la famille du Prophète (l’arbregénéalogique prophétique) à travers sa parenté, c’est-à-dire la descendance du Prophète en partantde sa fille Fatima z-Zahra et ses deux fils Al-Husaïn et Al-Hasan, les enfants qu’elle a eu avec AliIbn Tâlib, en passant par un long arbre généalogique d’ancêtres. Étant donné que le Prophète etsa famille sont des Arabes de Quraysh, il devient naturel que l’ascendance noble se rattache à"l’arabité", non comme une appartenance linguistique et culturel cette fois, mais indiscutablementcomme une appartenance raciale.

Pour cela, le Charif, le noble, doit démontrer son ascendance arabe au travers de son père enproduisant une "généalogie" qui met en évidence les noms de ses ancêtres mâles l’un à la suite del’autre en remontant jusqu’à Ali et Fatima.

Toute personne ayant une connaissance des textes religieux du Coran et de la Sunna sait quel’idée de l’ascendance noble n’a aucune base légale dans la religion. Elle est au contraire une idéequi apparut plus tard et qui fut inventée par les Arabes musulmans pour des raisons que nousavons mentionnées dans la première partie et il est apparu que c’est une idée qui se rattache àl’origine au conflit politique pour le pouvoir et le contrôle des ressources économiques vitales. Pourcela, le chérif, le noble, ne se distingue pas du non-charif qu’après l’établissement de la royautéhéréditaire basée sur l’esprit de clan, l’influence de la famille et de l’ascendance (les Omeyyades) etaprès l’apparition de gens estimant qu’ils étaient "plus dignes" du califat que d’autres parce qu’ilsétaient la descendance du Prophète.

L’ascendance noble a une grande histoire dans l’histoire du Maroc car elle a constitué une desbases pour la course au pouvoir et à l’édification de l’État. Des idées telles que le Mahdisme et

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l’Imamisme se sont introduites au Maroc en compagnie des idées et des mouvements chiites fondéssur la sacralisation de la famille du Prophète parmi la descendance d’Ali. Ainsi, la majorité de ceuxqui s’ambitionnaient pour les postes de commandement et d’influence, ceux qui réussirent et ceuxdont les êtes ont été suspendues sur les murs, prétendirent avoir une ascendance noble qui leurpermettait de regrouper les gens autour d’eux. La probité, la dévotion et la piété n’étaient plus desqualités suffisantes, tel que les Kharidjites le stipulaient, pour quiconque aspirait au pouvoir. Ainsi,on peut dire que le Maroc se caractérise par «l’imitation de la "réforme religieuse" qui finit par lepouvoir politique.»174 Les chroniques sur Abd-Allah Ibn Yasin et Mohamed Ibn Tumrt mettent enévidence que les plus puissants et les plus grands États marocains ont eu parmi leurs mécanismesidéologiques la revendication de la noblesse. De même, les chroniques sur Lamkhalli, Al-Malyani,Ibn Abi Mahalli et en terminant avec Buhmara, Tuzunini et un ensemble innombrable de noms,ont exprimé l’existence de mouvements politiques qui ont ébranlé la stabilité du pays en se basantsur cette même idée. Nous trouvons ainsi sur le plan de l’écrit que «les livres de généalogies semultiplièrent au Maroc à partir du XVIe siècle comme l’une des formes de production idéologiquemarocaine qui ont toutes pour but la consécration de la pensée la «selection pour le pouvoir».»175

Quant à l’Orient, les Arabes y mirent sur pied toute une science qu’ils ont appelé la "sciencedes généalogies" qui exprime jusqu’à quel point la mentalité arabe se préoccupait du sujet de laparenté, du lien de sang et de l’ascendance.

Nous avons trouvé dans les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun une explication importante et profondeà cette préoccupation des Arabes par les généalogies, quand il dit : «Ce qui est clair à proposdes généalogies est qu’elles se retrouvent [importantes] chez les Arabes [habitants] des endroitsdésertiques (. . .) à cause des difficultés de leur existence, de l’austérité de leurs conditions [de vie]et des mauvaises conditions de leurs habitats (. . .) puisque leur survie est basée sur les chameaux,ses produits et leur garde ; et les chameaux exigeaient d’eux d’être dans des endroits de l’austéritéet de la faim ; et il devint une habitude chez eux et des générations y grandirent jusqu’à ce qu’ildevienne une disposition et une nature. Si quelqu’un d’une autre nation vienne vers eux pourpartager leur condition et si un autre peuple voulait se familiariser avec eux (. . .) pour cela il doitlui assurer de ne pas se mélanger avec leur parenté et de ne pas la pervertir ; et elle [la parenté] estencore conservée et pure entre eux.»176

Si la cause de la conservation de la parenté et le fait de s’y intéresser est l’isolement géo-graphique (habiter dans le désert), Ibn Khaldoun soutient son analyse avec la remarque queles habitants qui se retrouvent dans des conditions naturelles différentes ne donnent pas devaleur aux généalogies et l’origine ethnique : «Quant aux Arabes qui habitaient dans les collineset dans les endroits fertiles pour le pâturage et la subsistance (. . .) leurs généalogies se sont174Abd-Allah Hammudi, Al-Mahdawiyya ka Idiyulugiyya Siyyasia fî Al-Maghrib, Revue ’Ilm Al-Ijtima’ s-Siyyasi,

No 3, 1987.175Mohamed Darif, Musâhama fî Rasd th-Thawâbit Al-Idiyulygiyya Al-Maghribiyya, Ibid. p.70.176Ibn Khaldoun, Ibid. p.129.

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interférées et leurs peuples se sont mêlés (. . .) cela leur est venu de la part des non-Arabeset de leur fréquentation, et ils ne donnaient pas beaucoup d’importance à la conservation de laparenté de leur maisonnées et de leurs peuples mais [ce sont] les Arabes [qui font cela] seulement.»177

L’Islam a introduit une conception opposée à la morale des Arabes qui donnait de l’importanceaux généalogies pour se rivaliser de gloire et pour se distinguer entre eux en s’appuyant surelles comme un critère socio-biologique et la piété devint un critère spirituel plus élevé que laparenté, la race ou la richesse matérielle. Cependant, l’évolution des événements sur le terrainavait entraîné les choses dans une direction qui s’éloignait de plus en plus du texte et de sesprincipes. La noblesse de la parenté se basait chez Quraysh sur la richesse matérielle et leprestige (les Omeyyades) et se basait dans la famille du Prophète sur la parenté et les liensdu sang. Par suite, les conduites politiques déviées des principes religieux devinrent très rapide-ment la règle et celui qui rappelle ces principes originels devient tel quelqu’un qui crie dans le désert.

Ainsi, la revendication de la parenté noble devint aussi bien en Occident musulman qu’en Orient,une monnaie effective sur le marché de la politique et pour réclamer les postes de commandement.Les non-Arabes ayant l’ambition furent contraints de s’inventer une parenté noble et des généalogiesembaumées qu’ils créaient de toute pièce car tous les moyens justifiés par une fin excellente sontfaciles.

Voilà que le jeu revient de nouveau aujourd’hui, malgré que l’époque n’est plus la même, queles valeurs se sont changé et se sont inversées et que le marché de la politique fonctionne avec denouvelles règles. L’homme de culture et l’homme politique laïque sont partis avec d’autres moyenspour militer et obtenir des changements tandis que les islamistes serrent encore sous les bras leslivres des "ascendances" et des généalogies imaginaires. Voilà le leader politique "chalhi"178 quipart de Haha - comme l’avait fait "l’étudiant vertueux" il y a deux siècles - pour recommanderles bienfaits et détourner des méfaits sans oublier de rappeler aux gens sa parenté Idrisside"importante" afin qu’ils ne lui attribuent pas sa parenté "médiocre" de Haha.

Le leader islamiste rappelle avec Al-Hasan Al-Yusi les hadiths qui mettent en évidence l’avantagede la parenté "importante" par rapport à la parenté "médiocre" ; il fait cela dans l’exposé de son"admonestation" des adeptes du racisme abominable parmi les Imazighen. C’est un vrai racismeque l’Amazigh parle de ses "origines" mais au contraire, c’est une gloire et une grandeur d’âmeque le "noble" parle de son origine ethnique, énumère les parents et présente des généalogies pourprouver "l’authenticité de sa parenté", c’est-à-dire que le sang qui circule dans ses veines estexcellent et est d’une espèce spéciale. Malgré que c’est affaire d’héritage de quelques caractèreset propriétés biologiques des générations antérieures, personne n’appelle la parenté du "noble" un

1774 Ibn Khaldoun, Ibid. p.130.178trd. Chalhi signifie originaire du Souss ou Tachelhit est parlée

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ethnicisme et le fait d’en parler un racisme.

Le leader islamiste se rattrape et nie l’accusation179 comme si la vérité en matière d’idéologieest une question de termes ; et la question qui nous vient à l’esprit est : est-il possible qu’un leaderpolitique et le guide d’une organisation politique ayant un projet d’État rappelle sa parenté noblegratuitement et en pure perte ?

Dans le monde du leadership politique, les mots prononcés ont une sensibilité spéciale car ils nesont pas dissociés de l’orientation du projet général et objectifs ciblés.

Résumé

1. Nous comprenons maintenant pourquoi on insiste sur l’arabisation. La personne est jalouse de salangue à partir de sa parenté arabe tandis que la langue non-arabe, elle lui est étrangère et nerente pas dans la composition de son identité et elle ne voudrait pas qu’elle perturbe la clarté de saparenté.

2. Parmi les derniers hommes politiques qui tentèrent au cours de ce siècle de fonder un État sur la basede la parenté noble, il y a Ahmed Al-Hiba, un sahraoui, et Mbark Tuzunini, un amazigh du Soussdu Village de Tuzunin dans la région de Tata. Ils échouèrent tous les deux dans leurs entreprisespour une raison qui n’était pas dans leur ligne de compte alors qu’ils avaient des modèles historiquestrès anciens parce qu’il y avait là des choses qui avaient changé qui font que faire et défaire un Étatest une chose relative, que la structure d’un État et d’une société ont changé et qui ont orienté lesévénements dans une direction inconnue jusque là.

179«Je ne discutais point de mon microbe Idrisside et je ne suis pas aujourd’hui, alors que j’ai vieilli, un hommeayant un projet politique qui s’invente une parenté et qui souhaite avoir un titre.», Abdeslam Yassine, Hiwaruh m’aSadiqih Amâzighî, p.31.

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Le passé historiqueou les symboles du Maroc préislamique

«Quel que soit l’opinion de l’historienmusulman, son ouvrage, c’est-à-dire

sa narration des événements,justifie finalement leur conséquence. »

A. Laroui

L’Islam : Le début et la fin

Il est possible de considérer le concept de la "jahiliya"180 comme une introduction principale audébat sur la conception islamiste concernant le passé historique. Le Coran avait présenté une visionde l’histoire qui est basée sur les éléments qui suivent : que tout le passé (préislamique) fut unelutte entre le parti de Dieu et le parti de Satan, que ce qui s’était passé entre les Prophètes et leurpeuples nous informe sur les détails de cette lutte dont le surnaturel, et non pas la réalité, tirait lesficelles. Ainsi, l’histoire ne se dissocie pas du surnaturel et elle est un ensemble d’événements quise déroulent sur le terrain du réel, mais avec une causalité métaphysique suivant un mouvementqui se dirige vers le haut, c’est-à-dire vers un sommet plus élevé qui est l’avènement du messagemahométan considéré comme étant la quintessence de toutes ces évolutions antérieures. Dans lesversets coraniques mékkois, la Révélation s’adresse aux idolâtres pour leur rappeler les leçons dupassé et dans les versets médinois, la religion s’achève et le Coran se présente comme étant le sceaude toutes les religions et de tous les Messages, c’est-à-dire une sorte de fin.

Toutefois, l’Islam était devenu également et très rapidement un début. Le début d’une nouvelleétape bouleversante en comparaison avec les étapes précédentes. Si les fondements de la nouvelle180trd. La jahiliya est la période préislamique

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religion n’ajoutaient rien aux religions monothéistes antérieures, elle était pourtant considéréecomme une révolution comparativement à la vie spirituelle des Arabes d’avant l’Islam que le Coranrésume dans le terme "idolâtrie".

Lorsque l’Islam était devenu un État, une société et une nouvelle pensée, les musulmans eurentsur le passé préislamique - suivant la conception coranique - une vision normative. La période dela Révélation fut une ligne de démarcation entre la lumière et les ténèbres, la lumière de la foiet les ténèbres du paganisme et de l’idolâtrie. Ils regardaient aussi la réalité (le présent) à partirdes textes religieux qui présentaient des principes directeurs pour le travail et le comportement.Le futur n’a pas échappé à son tour au cadre de cette conception normative dont les bases seretrouvent dans les préceptes de la religion.

L’islam était donc devenu une norme pour le passé, le présent et le futur ; un début et une fin enmême temps. Une fin parce qu’il est comme un sommet de l’orientation de l’histoire vers le hautet un début parce qu’il ouvre une nouvelle époque pour laquelle il propose une coupure avec lepassé humain, «l’Islam est la base avec laquelle, et à sa lumière, l’on peut tout savoir, tout ce quis’était passé avant lui et tout ce qui se passera après lui.»181 Il est ainsi devenu un autre débutde l’histoire. Cette conception religieuse de l’histoire s’était fixée d’une manière profonde dans laconscience islamique de sorte que la période de la Révélation était devenue l’âge d’or de toutel’histoire. Lorsqu’on désire faire des recherches sur quelque chose, l’Islam doit être son point dedépart. Quant à la période préislamique, que ce soit chez les Arabes ou chez les autres peuples, ellefut une époque "d’égarement" pendant laquelle les êtres humains ne trouvaient pas leur cheminjusqu’à l’avènement de l’Islam.

C’est ainsi que l’historien, l’homme de lettres et le juriste voyaient l’histoire. Tout commenceavec l’Islam et avant, rien n’existait. Étant donné que la mentalité arabe ne trouvait de sens à lavie sans la poésie dont la religion n’a rien changé à son prestige, ils trouvèrent un argument pourconserver la poésie de la "Jahiliya" en utilisant le Coran lui-même et ils disaient : «Si quelquechose dans le Coran vous paraît obscur, je vous recommande la poésie parce qu’elle est le divandes Arabes.» C’est un principe proposée par Ibn Abbâs et qui montre que la poésie préislamiquea trouvé confirmation, non comme un début en elle-même mais comme un simple moyen pourcomprendre le commencement effectif qui est le texte religieux.

Il se dégage des livres des anciens historiens un embrouillement dont l’origine est la difficulté,chez eux, de dissocier l’histoire des sociétés et des civilisations humaines d’une part, de l’histoiredu surnaturel et des livres sacrés. L’histoire commence avec la création du monde, l’histoired’Adam et celle des prophètes et ce sont des événements commandés par une finalité qui est lapériode islamique. Lorsqu’un historien écrit sur l’histoire de l’Islam, sa venue et sa diffusion, il

181Adunis, th-Thâbit wa Al-Mutahawwil, Dar Al-’Awda, Beyrouth, 3ième édition, 1980.

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commence une nouvelle histoire de l’Islam mais, cette fois, il ne va pas en montant mais en des-cendant car plus on est éloigné de la période de Révélation, plus les choses se détériorent de nouveau.

Seuls les courants rationalistes gnostiques ne considéraient pas l’Islam comme étant un com-mencement absolu. Leurs références s’enracinaient dans les profondeurs de l’histoire et ce furentdes références utilisées comme un point de départ pour lire le texte religieux lui-même et nonl’inverse car la pensée religieuse n’a pas pu combattre la magie des débuts, après la traduction dela philosophie grecque, et représentée par l’image du premier maître (Aristote), en la transformanten une simple période attachée à la Révélation. Les oulémas ne purent pas non plus empêcherles mystiques de se contenter de l’expérience d’ascétisme qu’inspirait les textes religieux. Leursaventure spirituelle les avaient conduits aux sources de l’expérience intime des anciennes religionsorientales préislamiques.

L’on est surpris aujourd’hui de trouver chez les musulmans des idées et des conceptionsdépourvues d’un minimum d’intelligibilité et d’objectivité. Plusieurs croient que le concept d’atomeest un concept coranique (du poids d’un atome !)182

Le hasard m’a conduit une fois à être présent au cours d’un exposé présenté par un islamisteet qui portait sur "l’histoire de la médecine". J’ai été surpris lorsqu’il avait commencé son exposéen partant du Coran après avoir mentionné "quelques tentatives" pour fonder la science médicale.Quant à la science occidentale qui a éliminé la variole, la peste et le choléra, il ne l’avait absolumentpas mentionnée ni de près ni de loin. Ce qui était triste, c’était que cet exposé s’adressait à des élèves.

Cette conception qui fait la lecture de l’histoire en partant de la religion permet à l’analyste dedécouvrir également l’une des causes principales qui a conduit au blocus qui a été érigé contre tousles domaines de la connaissance et de la création qui ne paraissaient pas être prêtes à s’intégrerdans le cadre de cette conception.

182trd. Cette phrase est un verset coranique : (99, 7)

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La conquête (ou l’invasion) comme acte fondateur de l’histoire

Les islamistes n’aiment pas le terme "ghazw" (invasion) et lui préfèrent le concept de "fath"(conquête). L’invasion est un terme "neutre", scientifique et objectif qui fait allusion à un actemilitaire qui finit par la pénétration et l’occupation des terres d’autrui. Quant à la conquête, c’estun concept coranique utilisé par les musulmans, chargé de sentimentalité. Puisque la conquête danssa réalité historique est une invasion, les islamistes trouvent une différence fondamentale entre ellesdans les objectifs. L’invasion a pour objectif d’occuper et d’exploiter les terres et la conquête a pourobjectif de "transmettre un message divin" en sachant qu’elle transmet ce message en occupant eten exploitant les terres ; c’est-à-dire par l’invasion. C’est une différence entre une "guerre sainte"et une "guerre sale" ou "immonde".

Cependant, les Arabes ont toujours utilisé le terme invasion que ce soit avant l’Islam, pendantla diffusion de la religion183 ou après l’établissement de l’État califal. Il l’avaient utilisé sans qu’ilait pour eux aucune signification péjorative mais ils le considéraient comme un acte militaire ayantpour objectif de "rendre la parole de Dieu la plus haute". Dans la majorité des textes anciens noustrouvons le vocable ghazw (invasion) ou jihâd (guerre sainte) et il est rare de trouver le mot fath(conquête).

Les armées arabes se sont dirigées, depuis l’aube de l’Islam, vers l’Est en direction de la Perse,vers l’Ouest en direction de l’Égypte et de l’Afrique du Nord ou ce qu’ils nommaient "le pays desBerbères". Les islamistes musulmans considéraient cela comme un acte fondateur ayant inauguréune nouvelle étape dans la vie des Arabes qui abandonnèrent leur péninsule désertique vers de vastesrégions. Ils n’avaient absolument pas expliqué cela comme étant un acte humain et historique maisils le voyaient comme une manifestation du surnaturel et une incarnation de la volonté divine surterre. Ainsi, l’histoire arabe a pu justifier tous les actes terrestres même les plus sauvages d’entre eux.

De cette diffusion de la présence arabe dans des régions éloignées résulte l’établissement d’uneentité politique qui combinait l’autorité des Arabes et leur pouvoir temporel avec un respect mêléde crainte pour l’Islam. Cette autorité qui n’a pas pu profiter longtemps du couvert spiritueloffert par la religion et le projet de l’empire se transforma en petits États et principautés qui ontmontré clairement la prise de conscience des peuples non-arabes de la différence fondamentale entrel’autorité de la religion et l’autorité des Arabes.

Cependant, si le pouvoir arabe avait pris fin politiquement et militairement depuis la fin duIe siècle de l’hégire dans de nombreuses régions, les Arabes grâce à une langue écrite et unifiée,183Dans Sahih Muslim il est dit : «Quiconque est mort sans avoir participé à une invasion et sans y avoir pensé,

était quelque part un hypocrite avant sa mort. »

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conformément au texte religieux, et intégrée aux institutions de l’État califal, purent conserverune autorité culturelle qui a finalement imposé sur le plan de la pensée religieuse une conceptionarabe de l’histoire. L’historiographie arabe a pu relever l’importance de certains symboles etfaire disparaître quasi-intégralement d’autres. Les textes arabes ont réservé un bon accueil à despersonnages tels que Ibn Abi Sarh, Amru Ibn Al-Ass, Ibn Alhabhab et Oqba Ibn Nafi et ont crée desimages ternes et vagues, et dans certains cas avec des traits qui ne sont pas exempts de grossièreté,pour Kusayla, la Kahina, Salih Ibn Tarif et Maysara Al-Matghari. En outre, l’historiographie arabea suivi l’histoire de Musa Ibn Nusayr, elle a souffert pour ses épreuves en Orient, elle a assistéà sa mort et elle l’a enterré mais elle n’a absolument rien dit sur le sort de Tarik Ibn Ziyad (unamazigh) et sur sa fin qui est jusqu’à aujourd’hui inconnue et sa tombe demeure également inconnue.

Au moment où les récits arabes décrivent les Arabes, tués dans une bataille avec les Berbères,de "nobles", ils parlent du commandant des "Berbères", Maysara, comme d’un "abject" et il futainsi appelé plus tard parce qu’il a pu fonder un des plus grands États amazighs au Maroc contrela volonté du pouvoir arabe.

Dans l’histoire arabe, les héros n’acquièrent pas leur valeur par leur actes mais par leurs originesethniques. Ce halo de sacralisation et de glorification qui a entouré Idris considéré dans l’idéologiearabe comme étant le fondateur officiel de la présence politique arabe au Maroc (même s’il étaitseul parmi les Berbères) ne correspond absolument pas à l’image modeste réservée à un roi telque Yusuf Ibn Tachafîn, le fondateur effectif de l’État marocain. Le premier était un leader d’uneprincipauté limitée alors que le second a pu étendre l’influence des Marocains sur l’échelle d’unempire. La sépulture du premier devient un lieu de pèlerinage pour demander la baraka alors quepersonne ne connaît où se trouve celle du second.

Ainsi s’était renforcé une idée qui était très loin de la réalité historique, à savoir, que l’histoiredu Maroc avait commencé avec la présence des Arabes sur cette partie du monde et une époque aucomplet de près de deux milles ans est rentrée dans les ténèbres de l’oubli.

Ce qui avait comme résultat une rupture (psychologique) entre les Marocains et leur passéhistorique préislamique. Cette conception normative religieuse, nationaliste arabe, a crée chezeux ce qui ressemble à un "complexe de culpabilité" qui a fait qu’ils cherchent des moyens pourexpier les péchés de leurs ancêtres qui leur sont présentés sous forme d’une image très sauvage etcontraire à la civilisation de sorte que plus l’image du passé de la "Jahiliya" est laide et noire, plusl’image de l’époque islamique est radieuse et attrayante et présente l’homme arabe dans la peaudu personnage "sauveur".

C’est ce que l’on constate dans la majorité des livres rédigés avec une idéologie arabe surl’histoire du Maroc, surtout ceux écrits par les membres des familles bourgeoises citadines qui ontadopté le discours de l’arabité et de l’Islam d’une manière qui n’est pas exempte d’extrémisme

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de sorte que tous ces livres se rejoignent dans leur réduction du passé historique préislamiquedans le formule suivante : il y avait au début les Phéniciens, qui avaient parcouru les côtes duMaroc et avaient fondé Carthage au Nord de l’Afrique. Puis les Romains étaient arrivés, lesVandales et les Byzantins ensuite et enfin les Arabes pour diffuser l’Islam et la langue arabe.184

Cette disparition intentionnelle des Imazighen, de leurs royaumes, de leurs chroniques et de leursguerres avec les étrangers a été faite pour une raison principale, à savoir, considérer l’arrivée desArabes comme un commencement effectif d’une civilisation locale tandis que dans le passé, descivilisations étrangères s’étaient succédées dans la région. Nous n’avons pas besoin de montrer quecette conception purement idéologique est à sa base en opposition avec la vérité historique et faitdisparaître l’élément principal qui permet de comprendre la civilisation marocaine et la façon dontelle s’était édifiée en tant que civilisation ayant de nombreuses sources. Le but ultime de cettemanipulation de l’histoire est l’insistance sur l’arabité et l’Islam comme étant deux constituantsuniques de l’identité marocaine.

Les islamistes trouvèrent tous ces "paramètres" au moment où ils découvrirent la carte idéologiquedu Maroc et qu’ils y cherchaient une place. Les concepts de "fath" (conquête), "jihad" (guerresainte), et "wathania" (idolâtrie), devaient déterminer leur conception anti-historique de l’histoireet dont on peut délimiter les lignes directrices dans les éléments suivants :

1. Considérer l’époque islamique dans l’histoire du Maroc comme une époque fondatrice qui est enrupture totale avec l’époque du Maroc de la "jahiliya". C’est une rupture qui ne concerne pasuniquement le domaine de la religion et de la croyance (mettre fin au christianisme et au paganisme)mais touche également la langue et l’identité de sorte que la "langue des Marocains est l’arabe".

2. S’efforcer de dissimuler - afin de consolider cette rupture - tous les aspects qui ne sont pas enharmonie avec la conception arabo-islamique de l’histoire du Maroc ; ce qui explique le reniementdu rôle de la langue amazighe pendant l’époque islamique.

3. Rattacher le Maroc à la vassalité de l’Orient arabe ; politiquement en insistant sur les personnagesarabes venus d’Orient ; culturellement en considérant l’Orient comme étant la source de la scienceet des lumières, de la connaissance et de la littérature de qualité. Cela a eu des conséquencesdangereuses qui ont fait de la personnalité marocaine dans le domaine de la culture est une copiefade de l’Orient ; cela apparaît clairement dans des livres tel que "le génie marocain en littératurearabe" qui prouve dans son contenu le contraire de ce que son auteur voulait démontrer.

4. Juger le passé préislamique en partant de l’époque islamique et c’est un jugement qui ne permet pasd’avoir aucune explication objective des événements puisque les faits et les personnages sont misdans la balance de la croyance religieuse qui est incompatible avec le contexte historique ; et nousnous retrouvons avec une lecture corrompue d’événements qui demandent une sensibilité historiqueet analytique et non pas des sentiments et des jugements de valeurs tout faits.

184Parmi les modèles les plus importants dans ce domaine : "Kitâb Al-Maghrib" écrit par s-Saddiqi Bal’arbi en 1952et "Al-’Arab wa Al-Barbar" écrit par Al-Fizazi, etc.

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5. Considérer le fait de s’intéresser scientifiquement et culturellement aux symboles amazighs du passépréislamique comme étant un travail douteux et en opposition avec l’esprit islamique et patriotiquecar le chercheur se glorifie de symboles "non-permis" en Islam. Ce qui rend tabou des époques aucomplet.

Résumé

1. La conception islamiste de l’histoire ne donne aucune possibilité pour la connaissance objectivedu passé historique du Maroc. En effet, l’histoire en tant que science est en opposition avec laconception normative qui juge toutes les choses sans se mettre elle-même en question.

2. L’histoire est un domaine qui fait l’objet de fouille des périodes humaines passées afin de comprendreles fils de leurs prolongements dans le présent. Si une majorité de ces fils est détruite en les coupantou en les dissimulant, nous nous trouverons en face de phénomènes difficiles à expliquer et nous lesinterpréterons comme on voudra et c’est ce que nous appelons la falsification et la déformation del’histoire.

3. L’histoire n’est pas la propriété d’une personne, d’une famille, d’une couche sociale, d’un groupereligieux ou d’un parti politique. Au contraire, c’est une création qui porte l’emprunte d’un peupleen entier et qui œuvre derrière les symboles et les événements tels des soldats altruistes de l’ombre.Toute tentative d’appropriation et d’usurpation de l’histoire mène son auteur en dehors de l’histoireet il se découvre dans la nudité de ses propres fantasmes.

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Réponses brèves

1. «Qui finance et organise ? Une question à laquelle si tu avais cherché une réponse, mon frèreamazigh qui fait ses prières et qui croit en Dieu et au jour du jugement dernier, tu trouveras que latentative avortée du colonialisme français appelée le "dahir Berbère" n’était qu’un jeu d’amateuren comparaison avec le cordage solide de la politique d’amazighisation et de lacération du Marocaux mains des garçons et des filles du Maroc.», Abdeslam Yassine, Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzighî,p. 240.

Quels sont les documents disponibles chez l’auteur des lignes ci-dessus et qui soutiennent sesaccusations ? L’affaire ne rentre-t-elle pas dans le cadre de «si un pervers vous rapporte unenouvelle. . . » ?185

Qui pourrait me prouver parmi les islamistes concrètement et avec des arguments tangibles quel’arabisation ne nuit pas à tamazight et que celui-ci est à l’abri de la disparition et de l’anéantisse-ment, et à ce moment là seulement il sera possible de considérer les revendications du MouvementAmazigh factices et ses partisans de simples agents du colonialisme.

2. «Ô Imazighen ! La prière rituelle premièrement, puis [après seulement] nous discuterons avec vousà propos de votre combat institutionnel.», Abdeslam Yassine, Ibid. p.173.

La prière rituelle est-elle à Dieu ou à l’être humain ? Si elle est à Dieu, de quoi vous mêlez-vous ?Si elle est à l’être humain, alors la divinité ne se laisse pas interpeller.

L’histoire et la réalité prouvent que les gens qui font la prière rituelle ne sont pas les plus vertueuxparmi les êtres humains et que les autres ne sont pas les plus corrompus. Combien sont-ils nombreuxles péchés majeurs commis par ceux qui se prosternent et s’inclinent ; des péchés qui provoquentdes sueurs froides et combien les autres peuvent faire preuve d’honnêteté et de vertus morales.N’y a-t-il pas parmi les priants des gens bons et des gens mauvais, des gens honnêtes et des gensmalhonnêtes, et parmi les autres également ? Puis, la prière est-elle un critère de la vérité ? Est-elleun critère de la concitoyenneté ?

La prière rituelle est une piété réservée à Dieu et non pas aux êtres humains. Il n’appartient pas àl’être humain de réclamer des comptes aux autres là-dessus, ni de les juger par elle, à moins qu’ilcroit avoir une tutelle sur eux. . . et non pas qu’il doit lui-même faire ses prières.185trd. Cette phrase est une phrase du verset coranique (LXIX, 6) : «Ô vous qui avez vu ! Si un pervers vous rapporte

une nouvelle, voyez bien clair [de crainte] que par inadvertance vous ne portiez atteinte à des gens et que vous neregrettiez par la suite ce que vous avez fait.»

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3. «Qui pourrait nous dire que la révolution culturelle amazighe, que la politique culturelle amazighe,ne vont pas permettre à certains de lâcher la morale et la religion et que la révolution culturelleamazighe ne mènera pas les musulmans marocains vers un conflit et une discorde et que le conflitlinguistique (. . .) une guerre civile dont les politiques et la culture amazighe veulent armer, pourses batailles, les générations [futures] en généralisant la langue amazighe et en l’officialisant dansles écoles.», Abdeslam Yassine, Ibid. p.98.

Qui pourrait nous dire que la révolution islamiste, que le réveil islamiste, que l’euphorie islamiste,ne vont pas projeter ce peuple pacifiste dans la fournaise d’une grande et nouvelle discorde oùles gens s’accuseront mutuellement d’incrédulité, se diviseront en milices armées dirigées par desÉmirs fous qui violeront les femmes et prétendront être le "groupe sauvé" [auprès de Dieu] ?

A-t-il jamais existé, dans le passé, une discorde, qui eut lieu entre les Marocains et entre lesmusulmans en général, qui n’a pas eu comme point de départ la "da’wa"(l’appel au retour à lareligion) et le "Jihad"(la guerre sainte) ?

4. «C’est avec tamazight que nous aurons des Sciences indépendantes, que nous fonderons desindustries, que nous révolutionnerons des technologies ?», Abdeslam Yassine, Ibid. p.102.

L’arabe a-t-il pu faire cela ? Les nationalistes et les islamistes n’ont-il pas écrits des milliers dediscours et de poèmes enflammés pour invectiver l’Occident, ont-ils changé quelque chose à l’étatde sous-développement, l’état qui consiste à acheter des armes à l’Occident pour mener une guerresainte contre les voisins musulmans ?

L’amazighité ne s’était-elle pas dressée contre l’arrogance colonialiste française et n’avait-elle pasprésenté les meilleurs de ses enfants à l’abattoir de la liberté ? Ou alors ne lisons-nous pas l’histoireque dans les journaux et les documents de la "bourgeoisie patriote" ?

5. «Sans l’avilissement de la religion, la belle langue arabe ne se serait pas avilie (. . .) Voici les Juifset ils sont une poignée de personnes, leur langue hébraïque a été persécutée par les langues desautres nations pendant de longs siècles et lorsque la foi sioniste avait ressuscité en eux, il y a unsiècle, l’espoir d’une vie nouvelle accompagnée d’une langue nationaliste et innovée. Les Juifs ontservi leur langue et l’ont révolutionnée et ils l’ont jointe aux langues vivantes.», Abdeslam Yassine,Ibid. p.86.

Quand le sionisme était-il une doctrine religieuse ? Ou alors te voilà en train de faire de lapropagande en faveur d’un penchant raciste ? Puis, après tout, cela n’est-il pas une preuve que lavolonté de ressusciter une langue et lui fournir tous les moyens nécessaires est ce qui fait d’elleune langue vivante et non pas le fait qu’elle ait une origine noble ? L’hébreu avait de nombreux

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dialectes et le voilà aujourd’hui une langue officielle, une langue des sciences et de la Recherche.Cela s’était-il fait en revenant à l’hébreu biblique ou y a-t-il un esprit scientifique, éveillé et appliquéen dessous ? La connaissance de quelques faits détaillés sur la manière dont s’était fondé l’Étatd’Israël est suffisant comme réponse.

6. «Si un papillon linguistique turcophone ou amazighophone vient se mesurer à l’arabe avec sescornes flasques et prend son envol avec ses ailes en chants poétiques et en proverbes populaires dela plaine et de la montagne, nous lui dirons : uu n’est pas là. . . », Abdeslam Yassine, Ibid. p.115.

Humour lourd et expressions antipathiques !

Que l’auteur médite les expressions suivantes, qu’elles sont semblables dans leur style défectueuxavec les précédentes : «Si un papillon linguistique arabe vient se mesurer à l’anglais avec ses cornesflasques et prend son envol avec ses ailes en cantations poétiques et en chants mystiques, ils luidiront : tu n’est pas là. . . »

7. «L’amazigh musulman appelle son fils Kusayla et sa fille Kahina.», Abdeslam Yassine, Ibid. p.78.

Les Imazighen marocains savent que ces noms ne sont pas amazighs, au contraire, ce sont desformulations de noms, que nous ignorons, exprimées par les Arabes à leur manière. Nous avonscherché au Maroc d’un bout à l’autre quiconque a appelé son fils Kusayla et sa fille Kahina etnous n’avons trouvé personne. Ce n’est là qu’une propagande mensongère, un style islamiste parexcellence.

8. «L’esclavage fut un système autorisé par la charia186 comme moyen de traiter les prisonniers deguerre, les joindre à une famille musulmane qui [les] éduque, qui [les] instruit et qui gagne les cœurs[les leur] avec de bonnes manières.», Abdeslam Yassine, Ibid. p.44.

Est-ce là une nostalgie du passé des jeunes esclaves et de vos esclaves en toute propriété ?187

L’esclavage fut un système hérité des temps barbares anciens. L’humanité n’a pas connu une seuleloi religieuse ou civile qui interdisait et prohibait l’esclavage jusqu’à l’avènement de la DéclarationUniverselle des Droits de l’Homme dont les principes et les clauses sont inspirés de la philosophiedes lumières et des philosophes des lumières européens. En voilà les textes écrits et publiés. Où sontles textes de nos oulémas ? Qu’avaient écrit ces gens quand les Français avaient interdit la ventedes esclaves dans les souks marocains ?

186trd. La charia est la loi islamique187trd. Cette dernière phrase fait parti d’un verset coranique : «Et parmi les femmes, les dames (qui ont un mari),

sauf si elles sont vos esclaves en toute propriété.», (IV, 24)

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Pourquoi n’avions-nous pas trouvé dans notre religion, avant les autres, ce qui permet de libérerl’être humain, non pas pour expier nos péchés qui n’en finissent pas, mais simplement parce qu’ilest un être qui mérite la liberté.

9. «Une épistémologie ne peut pas naître et se fonder à partir de systèmes relatifs qui posent sur latable du débat, comme préalable, d’écarter l’Absolu du terrain [de la discussion] et d’octroyer àchacun la liberté de croire ce qui lui plait, ce qui rassure son esprit et ce qui est agréable à sa vie.»,Abdeslam Yassine, Ibid. p.173.

Je perds ma liberté pour dialoguer, quelle sorte de dialogue est-ce et pour quels objectifs ? Je n’aipas d’objectif plus important que la liberté.

Personne ne dit à la personne ayant un système absolu, laisse ton système. Mais c’est scandaleuxque cette personne dise : "venez préalablement à une parole commune entre nous et vous ?" 188

10. «L’amazighité, sa politique culturelle et sa culture politique pourront-elles un jour concilier lesdiscordes aggravées et non résolues des gens et de leurs couches sociales ?», Abdeslam Yassine,Ibid. p.133.

Et l’arabe a-t-il pu concilier les Arabes musulmans le jour de la Grande Discorde, les a-t-il conciliéle jour de la Guerre du Golf ? etc.

Voyons ! L’unité [d’un peuple] ne se fonde pas sur la langue mais sur une politique appropriée etjuste où l’être humain sent que sa dignité est protégée et que ses droits sont garantis.

Croire que la langue peut magiquement unifier [un peuple] est un mythe nationaliste arabe dont lesnationalistes eux-mêmes reconnaissent le caractère irréel.

11. «Malheur aux Arabes musulmans à cause de ce qu’ils font à leur langue ! Malheur aux Imazighenmusulmans à cause de ce qu’ils font à la langue du Coran !», Abdeslam Yassine, Ibid. p.88.

Puis, malheur aux Arabes musulmans à cause de ce qu’ils ont fait et font encore de la langue desImazighen musulmans !

188trd. Cette phrase est une paraphrase d’un verset coranique : «Dis : «Ô gens du Livre[Juifs et Chrétiens], venezà une parole commune entre nous et vous : Que nous n’adorions qu’Allah, sans rien Lui associer, et que nous neprenions point les uns les autres pour des Seigneurs en dehors d’Allah.», (III,64)

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12. «Depuis l’apparition de l’Islam, des peuples musulmans se sont arabisés et d’autres sont restés avecleur barbarisme et leurs langues, soit parce ces peuples sont nombreux et que leur existence dansl’histoire est profonde, soit parce que la concentration du pouvoir et de l’autorité militaire étaitaux mains des non-Arabes tels que les Turcs non-arabes de jadis et les Persans de la révolutionislamique khomeyniste d’aujourd’hui.», Abdeslam Yassine, Ibid. p.110.

Belle reconnaissance que ce qui arabise les non-Arabes, ce n’est pas la religion mais au contraire lepouvoir militaire arabe ou le fait que l’élite arabe gouverne.

13. «La tribu Awraba, les gens de Kusayla, se convertirent et leur illustre chef Ishâq Ibn Abd Alhamîdporta Idris à leur tête. Y-a-il parmi vous des Kusayla qui renieraient la religion [c’est-à-dire lesrevendications amazighes] de cette époque ?», Abdeslam Yassine, Ibid. p.110.

Et qui porteraient le petit fils d’Idris à leur tête ! [c’est-à-dire l’auteur du texte ci-dessus.]

14. «Où sommes-nous par rapport à ces pervers perplexes dans leur folie et dans leur futilité morale (. . .)Que ferons-nous, à notre époque, de pervers organisés dans des Associations, rassemblés et attroupésdans des Congrès, accouchant et engendrant, revendiquant que la Constitution reconnaisse que leMaroc est [composé] de deux communautés et qu’il a deux langues.», Abdeslam Yassine, Ibid. p.241.

Propos qui ne mérite pas de réponse parce qu’il exprime une impolitesse évidente. Nous avons trouvédans l’expression de l’un des oulémas ce qui exhorte et dissuade une personne grossière, il dit :«Répondre par de simples insultes et des intimidations est à la porté de tout le monde. La personne,si elle est amenée à polémiquer avec les idolâtres et les gens du Livre [Juifs et Chrétiens], elledevrait produire des arguments soutenant la vérité qu’elle détient et réfutant le mensonge qu’ilssoutiennent.», Taqiy d-Din Ibn Taymiyya.

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Conclusion

Au moment où nous débattons d’un sujet politique, culturel et religieux, n’oublions pas que nousdiscutons d’une langue menacée d’extinction. Le simple fait d’écarter cette vérité fait de notredébat un simple et vain noircissement de pages blanches et une discussion sans aucun intérêt.

Les "grands" projets se transforment en grands écueils et en grandes rechutes lorsque l’on ne tientpas compte des "petites" choses en les repoussant vers la fin de la file. Le poète amazigh anonymea raison dans ce sens lorsqu’il dit :

Tilli ghezan igherdayen ay rezzan ayyisCe sont les tanières que creusent les rats qui brisent les jambes du cheval.

N’est-il pas plus utile de refondre la conscience islamique sur des bases critiques et un esprit derenouveau ? Enflammer l’enthousiasme et susciter la haine ne peut donner qu’un plaisir passagermais il ne construit pas un avenir et ne donne pas de l’espoir.

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Bibliographie

Sources traditionnelles

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Muhammad Qatma, Dar Al-Kutub Al-’Ilmiyya, Beyrouth, non daté.9. Ibn ’Adhârî Al-Murrâkushî, Al-Mughrib fi Akhbâr Al-Andalus wa Al-Maghrib, Réalisation de Lévi

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Al-Âfâq Al-Jadîda, Beyrouth.17. Fasl Al-Maqâl wa Taqrîr mâ bayna Al-Hikma wa sh-Sharî’a min Al-Ittisâl, Dâr Al-Âfâq Al-Jadîda,

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Le passé historique L’amazighité dans le discours de l’Islam politique

19. ’Abbas Ibn Ibrâhim Al-Murrakushi, Al-I’lâm Biman Halla bi Murrakush wa Aghmât min Al-A’lâm,ancienne édition à la faculté des lettres de Rabat.

Sources contemporaines

1. Ahmed Amin, Dohâ Al-Islâm, Maktabat n-Nahda Al Misriyya.2. Ahmed Amin, Dhuhr Al-Islâm, Dâr Al-Kitâb Al-’Arabi, Beyrouth.3. Taha Husayn, Al-Fitna Al-Kubrâ, Dâr Al-’Ilm Li Al-Malâyîn, Beyrouth. Tome des Islâmiyât.4. Mohamed Al-Mukhtar Soussi, Al-Ma’sûl, Casablanca, 1963.5. Dr. Ahmed Badr, Dirâsât fi Târikh Al-Andalus wa Hadâratihâ.6. P. Dozy, Histoire des Musulmans d’Espagne, Leyden 1932.7. Dhâfir Al-Qâsimî, Nidhâm Al-Hukm fî sh-Shari’a wa t-Tarîkh, Dâr n-Nafâis, Beyrouth, 1977.8. Montgomery Watt, La pensée politique de l’Islam. Les concepts fondamentaux, PUF, 1995.9. Abou Hâmid Al-Ghazâli, Dirâsât fî Fikrihi wa ’Asrihi wa Ta’thîrihi, Publications de la Faculté des

Lettres, Rabat, 1988.10. Adunis, t-Tâbit wa Al-Mutahawwil, Dar d-Da’wa, Beyrouth, 3e édition, 1980.11. Allah Al-Fâsi, Maqâsid sh-Sharî’a Al-Islâmiyya wa Makârimaha, 4e édition, 1994.12. Ali Oumlil, Al-Islâhiyya Al-’Arabiyya wa d-Dawla Al-Wataniyya, Centre Culturel Arabe, 1985.13. Ali Oumlil, Shar’iyyat Al-Ikhtilâf, Publications de Majlis Al-Qawmî Li t-Taqâfa Al-’Arabiyya, 1991.14. Ali Oumlil, s-Sulta th-Thaqâfiyya wa s-Sulta s-Siyyâsiya, Markaz Dirâsat Al-Wahda Al-’Arabiyya,

1996.15. Mohamed Âbid Al-Jâbirî, Bunyat Al-’Aql Al-’Arabî, Centre Culturel Arabe, 1991.16. Mohamed Âbid Al-Jâbirî, Al-’Aql s-Siyyasi Al-’Arabî, Muhaddadâtuhu wa Tajallayâtuhu, Centre

Culturel Arabe, 1993.17. Hishâm Ja’it, Uruppâ wa Al-Islâm, Dâr Al-Haqiqa, Beyrouth, 1980.18. Mohamed Al-’Arbawi, Al-Barbar ’Arabu Qudâmâ, Publications de Majlis Al-Qawmî Li t-Taqâfa

Al-’Arabiyya, 1993.19. Abd-Allah Alaroui, Thaqâfatunâ fî Daw’ th-Thârikh, Centre Culturel Arabe, 1er édition, 1983.20. Jamîl Salîbâ, Al-Falsafa Al-’Arabiyya, Dâr Al-Kitâb l-Lubnânî.21. Nasr Hâmid Abou Zayd, Mafhûm n-Nas, Centre Culture Arabe, 1987.22. Nasr Hâmid Abou Zayd, n-Nas/s-Sulta/Al-Haqîqa, Centre Culturel Arabe, 1995.23. Mohamed Sabillâ, Al-Idiologiyya Nahwa Nadhariyyatih Takâmuliyya Centre Culturel Arabe, 1992.24. Mohamed Ahmed Khalf Allah, ’Urubat Al-Islâm Publications de Majlis Al-Qawmî Li t-Taqâfa Al-

’Arabiyya, 1990.25. Abdeslam Yassine, Hiwâru m’a Al-Fudalâh d-Dimuqrâtiyyin, 1995.26. Abdeslam Yassine, Hiwâru m’a Sadîqih Amâzighi 1997.

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Le passé historique

Sources en Français

1. Ahmed Boukous. Langages et cultures au Maroc.

2. Ahmed Boukous. Société, langues et cultures au Maroc, enjeux symboliques.

3. Noam Chomsky. Le langage et la pensée, Payot, 1968.

4. Mohamed Arkoun. La pensée arabe PUF, Paris, 1979.

5. Bernard d’Espagnat. Penser la science, les enjeux du savoir, Gauthier-Villars, Paris, 1990.

Revues

1. Revue Mawâqif, No 39, 1980.

2. Revue Al-Ijtihâd, No 10-11, 1991.

3. Revue Al-Furqân, No 38, 1907.

4. Revue Al-Mustaqbal Al-’Arabî, No 189, 1995.

5. Revue Al-Maghribiya Li-’Ilm Al-Ijtimâ’, No 3, 1987.

6. Revue Al-Fikr Al-’Arabi Al-Mu’âsir, No 22, 1985.

Journaux

1. Journal r-Raya, No 128.

2. Journal s-Sahwa, No 47, 1995.

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Le passé historique

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Table des matières

Présentation de la seconde édition 1

Introduction 5

L’Absolu et le Relatif 9Le projet Islamiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9La religion et l’unité de la Communauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15La pensée islamique et la religion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31Des illusions et des contradictions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

La shura et la démocratie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41La liberté avant tout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46La science et la foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50L’impasse de la jurisprudence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54Pourquoi les pays musulmans sont-ils sous-développés ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

La problématique linguistique 61La langue de Révélation, la langue du peuple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61Imazighen et la langue de Révélation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69Les savants amazighs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75Y a-t-il une langue noble ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86Pour la défense de la langue arabe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96Un Islam "arabe" ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100Une tamazight musulmane ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104La langue et la prière rituelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109La langue et la technologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112Note marginale : de l’origine ethnique "noble" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

Le passé historique ou les symboles du Maroc préislamique 121L’Islam : le début et la fin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121La conquête (ou l’invasion) comme acte fondateur de l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . 124

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TABLE DES MATIÈRES

Réponses brèves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128

Conclusion 133

Bibliographie 135

Table des matières 139

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