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Colloque à l’Assemblée Nationale Paris, 29 novembre 2013 L’EMPOWERMENT DES FEMMES COMME CLÉ DU DÉVELOPPEMENT ACTES

L’PN C C L LPPN - CARE France · 2015-10-26 · Les femmes, davantage représentées dans les sphères publique et politique Récemment, les femmes ont joué un rôle de premier

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Colloque à l’Assemblée NationaleParis, 29 novembre 2013

L’empowerment des femmescomme cLé du déveLoppement

ACTES

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ouverture

eve ruggieriJournaliste et productrice à Radio Classique

Animation du colloque

Intimement convaincue que ce sont les femmes qui font avancer les choses, par leur sens pratique et leur courage, je travaille avec CARE France depuis une vingtaine d’années. Je lui apporte mon savoir-faire en tant que musicienne et journaliste, notamment en organisant des soirées dont les bénéfices lui sont reversés.

CARE France est une formidable organisation dont les innovations sont souvent reprises par d’autres ONG. A travers CARE, j’ai découvert les AVEC (Associations Villageoises d’Épargne et de Crédit) qui rassemblent des femmes et leur proposent de générer de l’épargne grâce à laquelle elles obtiennent des crédits. Ce dispositif permet de leur donner un pouvoir économique dont elles ont bien besoin.

Je suis heureuse de voir le succès de cette matinée : nous sommes plus de 300 participants pour échanger autour de trois grands moments.

La première table ronde examinera le rôle des femmes comme agents économiques dans les pays en voie de développement.

La deuxième table ronde analysera l’évolution récente des droits des femmes.

Enfin, Madame Françoise Héritier nous fait l’honneur et l’amitié de partager avec nous son analyse des causes et représentations qui ont forgé la place de la femme dans les sociétés humaines.

J’aurai pour ma part le plaisir d’introduire les intervenants de cette matinée.

elisabeth GuigouAncien ministre, Députée de Seine-Saint-Denis,

Présidente de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale

Je suis particulièrement heureuse de vous accueillir à l’Assemblée Nationale, non seulement car vous défendez une cause qui me tient à cœur de longue date, mais aussi parce que je sais à quel point votre action est importante partout dans le monde. Je remercie donc Arielle de Rothschild, Présidente de CARE France, d’avoir organisé cette rencontre.

La place des femmes dans une société constitue l’un des principaux marqueurs de la démocratie, mais aussi du développement économique, social et sociétal. Certes, il reste beaucoup à faire – dans le monde comme en France.

Les violences à l’égard des femmes comme arme de guerre

Les femmes sont souvent les plus durement touchées en cas de conflits : la violence à l’égard des femmes reste trop souvent un enjeu de pouvoir. Marginalisées en temps de paix, les femmes sont les premières victimes en période de crise, tant les viols et les agressions sexuelles constituent une arme de guerre et de domination des peuples vaincus. En République démocratique du Congo, les associations de défense des droits humains dénombrent 14 viols par jour en moyenne, dont un tiers sont commis dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.

En outre, les femmes sont victimes d’une double peine : après avoir été violées (et bien souvent, après avoir contracté le sida), elles sont rejetées par leur famille. Les séquelles physiques et psychologiques d’un viol ne peuvent être effacées, et nombreuses sont les victimes qui préfèrent le silence à l’humiliation. C’est d’autant plus grave que les femmes sont garantes de la culture, des traditions, de la stabilité du statut social et de la continuité de la famille.

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Les femmes, davantage représentées dans les sphères publique et politique

Récemment, les femmes ont joué un rôle de premier plan dans les révolutions arabes, dans le débat politique mais aussi au sein de l’action sociale et de l’activité économique. Elles ont soulevé un espoir extraordinaire. J’ai pu en rencontrer plusieurs au cours de mes déplacements et constater qu’elles font un travail formidable à bas bruit. Les femmes ont également manifesté au Bahreïn, au Yémen ou encore en Jordanie, avec un slogan : « pas de démocratie sans égalité ».Certes, force est de constater que les espoirs qu’elles ont soulevés restent très fragiles. En Tunisie, le parti Ennahda a tenté – en vain – de faire inscrire dans la constitution que la femme est le complément de l’homme. En Egypte, la charia a été réaffirmée comme source principale de la loi et la constitution ne contient aucun article sur l’égalité hommes/femmes. Autant d’exemples qui témoignent à quel point le combat pour l’égalité est toujours d’actualité.

Pour autant, les femmes évitent des retours en arrière trop marqués et gagnent des batailles qui ne sont pas seulement symboliques. Ainsi, en Tunisie, je crois pouvoir dire que le pire a été évité grâce aux femmes. En Arabie Saoudite, le Roi met en place des réformes – certes timides – en faveur des femmes, comme le droit de vote des femmes aux élections municipales à compter de 2015, élections auxquelles elles pourront également se présenter. En Afghanistan, de timides progrès ont également été constatés ces dernières années : de plus en plus de jeunes filles vont à l’école, un quota impose un minimum de 68 femmes au sein du Parlement (30 %) et il existe des femmes avocats ou médecins. En Algérie, les femmes représentent près de 30 % du Parlement, contre 8 % dans la précédente législature.

Les femmes, actrices du dynamisme entrepreneurial

Enfin, les femmes sont des entrepreneurs. Le taux d’entreprenariat féminin est plus élevé en Afrique que dans n’importe quelle autre région du monde. C’est un acquis extraordinaire, qui irrigue tout le tissu social. Partout dans le monde, même s’il demeure des disparités, l’écart entre les sexes dans l’accès à l’éducation tend à se réduire. Les femmes sont également de plus en plus représentées parmi les employés, notamment qualifiés.

Au final, une certaine lucidité reste de mise. S’il ne faut jamais cesser de dénoncer les atrocités dont sont victimes les femmes dans le monde, il convient également de souligner les avancées – dues aux femmes et aux hommes qui les soutiennent – et de valoriser les exemples de réussite, même si le combat ne sera jamais terminé. C’est la responsabilité partagée de l’ensemble des parties prenantes : gouvernements, parlementaires, associations, femmes et hommes. Les lois ne suffisent pas. Merci donc pour ce que vous faites, et bons travaux !

Arielle de rothschildPrésidente de CARE France, Vice-Présidente de CARE International

Ma mère, née à Paris en 1919, n’avait pas le droit de voter jusqu’en 1944, ni de travailler ou d’avoir un compte en banque sans l’autorisation de son mari jusqu’en 1965. Ce n’est pas si loin ! Le chemin parcouru en France en 50 ans a été long. Dans les pays en développement, celui qui reste à parcourir est encore immense.

Je remercie Elisabeth Guigou, dont nous pouvons saluer le brillant parcours, de nous accueillir à l’Assemblée nationale. Ce lieu est hautement symbolique, puisque l’ensemble des lois qui ont permis l’empowerment des femmes françaises y a été discuté et voté. La progression des femmes dans le domaine du genre (gender) se poursuit, mais les résistances sont encore nombreuses, en France ou en Europe.

À travers le monde, 1,3 milliard d’êtres humains vivent avec moins d’1,25 dollar par jour, dont 70 % de femmes. Chez celles-ci, les effets de la pauvreté et l’injustice sociale sont accentués par l’infériorité de leur statut à tous les niveaux. La répartition traditionnelle du rôle des femmes et des hommes conduit à un partage déséquilibré du pouvoir, qui empêche les femmes de faire partie du développement et d’en profiter de façon équitable. Les femmes des pays pauvres disposent de peu de moyens financiers et manquent de revenus stables pour se prendre en charge et soutenir leurs familles. Elles ont souvent un accès très limité à l’éducation et à l’information. Parfois, l’accès au crédit est synonyme d’accès au pouvoir, qui ne saurait être partagé avec les femmes. Ces préjugés sur les capacités des femmes à gérer des fonds et des entreprises minent leur confiance en elles et leur capacité à se prendre en charge.

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CARE, à travers ses programmes, s’attache à promouvoir l’empowerment des femmes. Notre objectif est de contribuer à un renforcement de la confiance en soi des femmes, par le développement des connaissances et des compétences, mais aussi l’accès accru aux ressources économiques. CARE favorise aussi l’émancipation et l’autonomisation des femmes, en les rendant actrices du changement. Les bénéfices de cet empowerment s’étendent à toute la communauté qui les entoure. D’une part, dans les pays les plus pauvres, les femmes consacrent 90 % de l’argent qu’elles perçoivent à leur famille. D’autre part, les indicateurs mondiaux montrent que la population des sociétés plus équitables est en moyenne plus riche, en meilleure santé et mieux éduquée que celle des pays où les femmes sont marginalisées.

Les hommes constituent des acteurs incontournables de l’effort d’amélioration de la position sociale des femmes. C’est pourquoi CARE implique dans ses programmes les hommes et les garçons en tant que partenaires égaux des femmes et des filles.

CARE International a été fondé en 1945. C’est l’un des plus grands réseaux humanitaires, apolitique et non confessionnel. En 2012, CARE a aidé 83 millions de personnes dans 84 pays. C’est une confédération de 14 membres, dont CARE France qui célèbre ses 30 ans cette année. CARE France, ce sont 30 salariés, un budget de 25 millions d’euros pour 2014, 80 000 donateurs individuels et des partenaires publics et privés. 82 % de ses ressources sont affectées aux actions de terrain. CARE France est membre du Comité de la charte et reconnue d’utilité publique.

L’objectif ultime de CARE est de vaincre l’extrême pauvreté, de réduire les inégalités et d’établir une justice sociale, par un accès universel aux droits élémentaires.

Dans les situations de réponse à l’urgence comme dans les contextes à long terme, nous mettons en œuvre une approche globale fondée sur l’accès aux besoins primaires que sont la sécurité économique et alimentaire, la santé, l’éducation, l’habitat, l’accès à l’eau et à l’assainissement — tout en tenant compte de l’environnement politique, social, économique, et naturel. Nos projets partent systématiquement des besoins du terrain. Pour réaliser cette ambition, les femmes sont essentielles. Elles sont un levier clé dans la lutte contre la pauvreté.

Je remercie chacune et chacun d’entre vous d’être présent ce matin, pour soutenir la cause que nous défendons. Je remercie nos intervenants, Eve Ruggieri, les partenaires médias et tous ceux qui ont permis l’organisation de ce colloque. Et si le cœur vous en dit, je vous invite à soutenir nos actions, car nous avons besoin de vous !

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Eve Ruggieri, Elisabeth Guigou, Arielle de Rothschild © Maude Morin / CARE

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Femmes et pouvoir économique :un pari gagnant pour le développement ?

Participaient à la table ronde :

- Catherine Boiteux Pelletier, Senior Advisor, Responsabilité d’entreprise Groupe AXA ;- Catherine Garreta, Directrice exécutive en charge des relations extérieures et des partenariats, Agence Française de Développement ;- Claudine Mensah Awute, Directrice-pays, CARE International au Mali ;- Lionel Zinsou, Président de PAI Partners, membre du Conseil d’Administration de CARE France.

La table ronde était animée par Virginie Robert, chef du service international aux Echos.

virginie robert

Aider les femmes à s’organiser et créer des réseaux entraîne des effets multiplicateurs. Depuis quelques années, des outils sont mis à disposition des femmes pour qu’elles puissent créer de la richesse et améliorer le bien-être de leur famille et leur communauté. Au Mali, par exemple, une expérience de micro-épargne a été conduite avec succès.

claudine mensah Awute

CARE intervient au Mali depuis 35 ans, et a développé voilà 15 ans une approche dite AVEC (Associations Villageoises d’Épargne et de Crédit) visant à réunir des femmes pour qu’elles échangent entre elles et augmentent leur capacité à investir dans des activités génératrices de revenus.

Contrairement aux dispositifs de micro-crédit, les AVEC sont gérées par les femmes. Elles leur appartiennent. C’est sur la base de leur propre épargne que les femmes s’octroient des crédits dont elles fixent elles-mêmes les taux d’intérêt (5 % en moyenne, avec un taux de remboursement de quasi 100 %), qui sont ajoutés à leur capital de départ. Les AVEC ont été initiées pour les femmes non éligibles au micro-crédit en l’absence de terres, de bétail ou même de maison. Les membres parviennent à épargner un sixième d’euro par semaine. Le montant épargné par semaine varie d’une AVEC à l’autre et est fixé par les membres de chaque association en fonction de leurs capacités respectives, mais aussi des activités dans lesquelles elles veulent investir plus tard. L’objectif premier est de créer un cadre d’échanges, de partage et de solidarité entre les femmes. Une fois que l’AVEC produit des ressources, les femmes peuvent utiliser l’épargne constituée pour investir dans des activités, générer des bénéfices et faire croître les fonds mis en commun – en général, après 12 mois de fonctionnement. Nous obtenons des résultats formidables : des femmes parties de rien sont désormais propriétaires d’un moulin ou d’un lopin de terre.

Les femmes constituent désormais une véritable force économique, qui attire les banques et les institutions de micro-finance. Lorsqu’un groupe AVEC veut aller plus loin et emprunter auprès d’une institution de microfinance, ses membres, grâce aux connaissances et à la confiance en elles qu’elles ont acquises au sein des AVEC, parviennent à négocier des taux d’intérêt moindres, de l’ordre de 13 ou 14 % contre les 17 % qu’appliquent traditionnellement ces institutions.

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Association Villageoise d’Épargne et de Crédit au Mali © Valenda Campbell / CARE

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Lionel Zinsou, vous soulignez souvent l’importance des passeurs ou intermédiaires pour déchiffrer et expliquer le langage et les codes pas toujours compréhensibles pour l’ensemble des populations.

Lionel Zinsou

Pour accéder au micro-crédit, il faut être alphabétisé et l’être dans la langue de rédaction des formulaires. En l’occurrence, se rassembler et favoriser la proximité immédiate permet de porter l’expression. Le besoin de passeurs est réel. Le collectif peut jouer ce rôle.

Dans le micro-crédit ou la micro-épargne, « micro » n’est en rien un défaut. L’épargne est un élément fondamental, que toutes les sociétés connaissent. Quand on rassemble des sixièmes d’euros (dans des pays où le revenu moyen est de 2 dollars par personne et par jour), c’est de l’épargne. Le taux d’épargne du continent africain est d’ailleurs aussi élevé que dans les pays européens qui épargnent le plus, sans doute car les habitants des régions agricoles vivent en autosuffisance. Les taux d’intérêt servent à prendre en charge les frais d’administration, mais aussi à faire croître le capital que l’on se prêtera à nouveau. Les investissements dans du matériel renforcent la productivité donc les ressources, avec des conséquences sociales immédiates. Un euro de plus par jour, par exemple, permet à tous les enfants d’aller à l’école.

En Afrique, le micro-crédit est très liquide. À la fin du processus, l’épargne collective constituée évite de faire appel à l’argent des banques, ou même à des compétences extérieures. Le dispositif est auto-porteur. Et lorsque le projet se retire, la vie continue – ce qui n’est pas le cas de tous les projets de développement.

De façon générale, en Afrique subsaharienne, le micro-crédit repose sur les femmes, le revenu monétaire et le marché étant l’apanage des femmes.

virginie robert

L’Agence Française de Développement (AFD) tente-t-elle de nouer des relations particulières avec les femmes qui épargnent ou font du micro-crédit ?

catherine Garreta

L’AFD finance le développement des pays du sud, dont une grande partie est située en Afrique subsaharienne. Se faisant, elle s’intéresse à la place des femmes dans la vie économique, à travers différents canaux : l’éducation, la formation, la santé, etc. Pour qu’une femme soit en meilleure capacité d’indépendance économique, il est indispensable qu’un certain nombre de contraintes soient levées en amont.

Pendant longtemps, les agences de développement ont considéré qu’en s’occupant de développement, elles s’occupaient de fait des femmes. Puis il est apparu nécessaire de rendre pleinement opérationnel le concept de «  femme et développement », pour véritablement prendre en compte la place des femmes. Ainsi, la prise en compte en amont de la notion de genre permet de renforcer l’efficacité des projets de développement, qui sont alors pleinement porteurs de l’autonomisation des femmes, donc d’une meilleure équité dans l’accès au développement économique.

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Projet de renforcement de l’accès des ménages pauvres aux marchés financiers et de produits au Bénin © CARE

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virginie robert

Comment abordez-vous les sociétés très traditionnelles ?

claudine mensah Awute

Ce n’est pas facile, mais ce n’est pas impossible non plus ! Cela impose notamment d’impliquer les hommes, compte tenu des contraintes culturelles africaines. C’est d’ailleurs ce que fait CARE, qui a aussi pour rôle d’expliquer les retombées de l’empowerment des femmes pour l’ensemble de la famille et de la communauté (accès aux soins, à l’éducation, etc.). Comme cela a été précisé en introduction, une femme investit 90 % de ses revenus dans son ménage – tandis que les hommes investissent plutôt dans une moto ou une deuxième épouse. Ce travail sur le tissu social et le mode de vie est essentiel. Aujourd’hui, les AVEC maliennes comptent 10 % d’hommes.

Lionel Zinsou

Il n’y a plus grand-chose d’ancestral dans l’Afrique d’aujourd’hui. Les pays africains sont pénétrés d’énormément d’influences, par les réseaux sociaux, la mobilité géographique mais aussi les femmes, qui sont d’importants agents du changement. Ils constituent des sociétés complexes avec de la tradition, mais ne sont en rien des sociétés traditionnelles au sens de sociétés immobiles comme on l’entend trop souvent.

Même au Mali, penser que les femmes épargnent et que les hommes prennent des épouses bute sur une loi d’airain : il y a 50 % de femmes et 50 % d’hommes. Même si la polygamie représente le succès dans certaines sociétés, c’est une pratique nécessairement minoritaire au regard de ces statistiques. L’Afrique est très diverse et ne doit pas être regardée à travers les clichés. Dans certaines zones de l’Afrique côtière de l’ouest, il existe des sociétés matriarcales. Au Bénin ou au Togo, les grands intérêts capitalistes sont dans les mains des femmes.

Enfin, partout où la démocratie s’est répandue, personne n’a eu l’idée d’instaurer initialement un vote exclusivement masculin. Certains niveaux de parité ont été acquis dans plusieurs anciennes colonies françaises bien avant de l’être en France. Le Président du Bénin vient d’être réélu notamment grâce à trois mesures : l’école gratuite, la césarienne gratuite et 50 euros de droit à micro-crédit pour toute femme qui le demande. Et le Libéria est le troisième pays au monde à avoir élu une femme à sa tête. La démocratie africaine inclut donc pleinement les femmes.

virginie robert

Qu’en est-il du développement de la micro-assurance ?

catherine Boiteux pelletier

La micro-assurance reste encore très peu développée dans le monde. Ce système constitue pourtant un véritable levier de développement économique et social, puisqu’il permet de transférer le risque sur la société d’assurance. L’assurance est proportionnelle au montant du crédit emprunté. Elle est proposée soit directement auprès des communautés, soit par l’intermédiaire d’institutions de micro-finance, ce qui permet de réduire les frais en mutualisant le risque, donc les taux d’intérêt.

Aujourd’hui, nos projets sont pour l’instant plus développés en Inde, où nous proposons aussi des garanties complémentaires sous la forme d’une rente d’éducation pour les garçons ou une dot pour les filles.

Les deux principaux freins au développement rapide des projets de micro-assurance sont la nécessité de réunir des volumes significatifs et celle de bien connaître au préalable les populations concernées, pour bien évaluer le calcul du risque. Quoi qu’il en soit, nous continuons à porter ces projets auxquels nous croyons beaucoup

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Les AVEC maliennes comptent 10 % d’hommes © Valenda Campbell / CARE

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pour accompagner l’émergence et le développement d’une classe moyenne mondiale. Aujourd’hui, la plupart des assureurs considèrent que la tranche de population mondiale avec des revenus juste au-dessus de l’extrême seuil de pauvreté (entre 1,25 et 4 dollars par jour) – soit 2,6 milliards d’hommes et de femmes – constituera la future classe moyenne.

virginie robert

Nous sommes au tout début d’une nouvelle ère.

Echanges avec la salle

Pao-Leng DamyLe micro-crédit et la micro-épargne peuvent aussi être développés en France, en particulier dans les banlieues et plus globalement pour les populations exclues du système. Je suis née au Cambodge et, à la fin des années 1970, ma famille est arrivée en France dans une communauté de sino-laotiens et sino-cambodgiens. Nous n’avions rien et nous étions exclus du crédit. Nous avons développé un système de tontine, c’est-à-dire de micro-crédit, reposant sur la confiance et la responsabilité des membres de la communauté. Cela nous a permis d’accéder à l’économie et de créer des entreprises.

Koïssé SaidEn Afrique sahélienne, il est vrai que les hommes n’investissent pas prioritairement dans leur ménage quand ils perçoivent des revenus, si faibles soient-ils. Ils achètent bel et bien une moto et une deuxième, une troisième ou une quatrième épouse – même quand ils sont très pauvres. Et pour contourner les contraintes démographiques, ils choisissent des femmes beaucoup plus jeunes, qui constituent la partie la plus large de la pyramide des âges.Par ailleurs, au nord Cameroun qui est majoritairement musulman, les hommes analysent la montée en puissance des femmes comme une véritable menace.

Ijab KhouryJe suis adjointe au maire du 16ème arrondissement à Paris et présidente fondatrice du Camed (Cercle amical pour la Méditerranée). Plutôt que de se contenter de regretter que les hommes soient polygames, il faudrait que l’éducation des femmes leur donne les moyens de refuser de devenir la deuxième ou la troisième épouse d’un homme.

Une participanteJe tiens à signaler l’action de la fondation Millennia2025 Femmes et Innovation, qui aide à renforcer les capacités des femmes en les familiarisant avec les technologies digitales. Les outils de traduction en ligne, par exemple, permettent aux femmes d’entrer dans le système économique en parlant leur seul dialecte et pas nécessairement la langue des formulaires.

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Virginie Robert, Catherine Boiteux Pellerier, Claudine Mensah, Catherine Garreta et Lionel Zinsou © Maude Morin / CARE

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FAire évoLuer Les Lois,Les normes et Les prAtiques

pour un avenir au féminin plurielParticipaient à la table ronde :

- Nicole Ameline, ancien Ministre, Députée du Calvados, Présidente du Comité des Nations Unies pour l’élimination des discriminations faites à l’égard des femmes (CEDAW) ;- Hakima Fassi Fihri, Directrice des Ressources humaines et des Affaires juridiques, Université internationale de Rabat au Maroc, membre de CARE Maroc ;- Emmanuelle Roure, Coordinatrice Communication et Partenariats au sein de la Représentation en France de la Commission européenne.

La table ronde était animée par Yves Bourdillon, journaliste au service international des Echos.

Yves Bourdillon

L’homme le plus puissant d’Europe est une femme, les élections présidentielles chiliennes opposent deux femmes : en dépit de retours en arrière, une véritable dynamique est observée. Quelles perspectives identifiez-vous, notamment dans la suite des « printemps arabes » ?

Hakima Fassi Fihri

Le monde arabe n’est pas homogène, bien au contraire. Il est à la fois très divers et complexe. Et chaque société arabe est elle-même complexe, avec des problématiques à la fois universelles (plafond de verre, etc.) et très spécifiques.

Le Maroc a échappé aux « printemps arabes » dans le sens où il n’a pas connu de véritable révolution, même s’il y a eu de nombreux remous, des prises de position – de la part des jeunes et des associations féminines notamment – et des décisions.

Par ailleurs, des réformes en faveur des droits des femmes ont été engagées très en amont des «  printemps arabes », comme celle du code de la famille en 2004 qui a permis de renforcer l’empowerment des femmes grâce au transfert de certaines prérogatives des hommes et des maris vers les juges.

Ainsi, même si cette réforme n’a pas bouleversé toutes les traditions – le code de la famille autorise toujours la polygamie, par exemple – elle rend leur mise en œuvre plus compliquée du fait des démarches administratives longues et complexes.

Autre avancée, la responsabilité familiale relève « des deux époux » et non plus « du mari » et l’obéissance de la femme au mari a été supprimée. En outre, la réforme du code du commerce de 2003 avait déjà supprimé la nécessité pour une femme d’obtenir l’autorisation de son mari pour faire du commerce. Les avancées sont réelles, même si d’importants défis restent posés.

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Femmes portant des pancartes avec des slogans tels que « Ne me dites pas que c’est sans importance, ne marginalisez pas les femmes »

devant le syndicat de journalistes en Egypte, lors de la Journée Internationale des Femmes en 2012.

© Sally Zohney / CARE

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Yves Bourdillon

Qu’en est-il à l’échelle internationale ?

nicole Ameline

La Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) constitue le seul instrument universel relatif aux droits des femmes. Il vise à procurer aux femmes un pouvoir de décision à la fois sur elles-mêmes et sur l’avenir de l’humanité. Partout dans le monde, les femmes sont toujours les premières victimes des violences. Dans le même temps, elles sont la première force du développement durable, de la paix et de la démocratie. Si elles ne sont pas impliquées dans la reconstruction des Etats, le développement ne saurait être durable, démocratique, ou juste. À cet égard, les femmes ne doivent pas prendre le pouvoir, mais le partager avec les hommes.

En dépit des nombreuses lois promulguées en faveur des femmes, ces dernières restent encore durablement éloignées de l’exercice de la véritable responsabilité. Il est urgent désormais d’associer les droits et les projets de développement. Proposer du micro-crédit pour l’agriculture aux femmes est inutile si les femmes n’ont pas accès à la terre. Sans lien politique entre droit et développement, aucun véritable développement n’est possible. Malheureusement, force est de constater la montée en puissance de certains reculs, comme le retour à la lapidation en Afghanistan. Dans ce contexte, je considère que les aides au développement accordées par la communauté internationale doivent être conditionnées au respect des droits humains, et tout particulièrement aux droits des femmes.

Je souhaite d’ailleurs saluer l’action de CARE pour inscrire l’égalité et les droits des femmes comme un objectif à part entière dans l’agenda post-2015 et son intégration de manière transversale dans l’ensemble des autres objectifs. La promesse de l’égalité ne suffit plus, il faut des résultats. Nous avons tous à démontrer par la preuve que l’égalité n’est pas une promesse.

Yves Bourdillon

Conditionner les aides au développement au respect des droits humains ne risque-t-il pas de faire basculer certains pays dans un sous-développement encore plus marqué ?

nicole Ameline

Il faut aller a minima vers la redevabilité, en précisant que l’aide au développement est ciblée et en faisant du droit des femmes un segment prioritaire. L’objectif serait d’intégrer l’application de la convention CEDAW à ces politiques de développement. En général, les Etats sont proactifs en créant au préalable une architecture juridique, législative et constitutionnelle. Au-delà, un pont doit être construit entre les organes institutionnels et les politiques de développement.

Yves Bourdillon

Quelle est l’action de la Commission européenne en matière d’égalité hommes/femmes et de promotion de l’émancipation des femmes ?

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Au Burundi, Goretti vivait sous l’emprise de son mari et ne pouvait pas quitter la maison sans sa permission. Elle a pu participer au projet

Umwizero (Espoir pour l’avenir) mené par CARE. Aujourd’hui, elle apprend à lire et à écrire, se rend régulièrement dans un centre de santé et a acquis

les connaissances et la confiance nécessaires pour défendre ses droits.

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emmanuelle roure

L’objectif central de la coopération de la Commission européenne au développement est l’élimination de la pauvreté, y compris au sens de l’inégalité dans l’accès aux ressources et dans le contrôle de cet accès. La notion de genre s’inscrit pleinement dans cet objectif, qui n’est pas seulement économique mais aussi un objectif de justice sociale. Ce défi est largement partagé par l’ensemble des États-membres, puisque 9 répondants sur 10 à l’Eurobaromètre de 2013 sur les femmes et le développement considèrent que la promotion de l’égalité et de l’émancipation des femmes est un facteur de développement.

La Commission européenne s’est ainsi fermement engagée en faveur des Objectifs du Millénaire pour le Développement. En outre, le Consensus européen pour le développement fait de l’égalité hommes/femmes un objectif à part entière et l’Union européenne a élaboré une stratégie à deux niveaux : un mainstreaming et le financement direct de mesures favorisant l’émancipation des femmes. Les instruments de financement sont très divers, et tous actionnent pleinement la notion de genre – pour la santé, l’accès aux connaissances, les jeunes, la culture, l’emploi, la cohésion sociale, la sécurité alimentaire, l’environnement, etc. C’est par exemple le cas du programme « Investir dans les ressources humaines », de l’Instrument Européen pour la Démocratie et les Droits de l’Homme (IEDDH), de l’instrument de préadhésion pour les Etats candidats ou les candidats potentiels à l’entrée dans l’Union européenne ou encore de l’instrument européen de voisinage et de partenariat pour les pays méditerranéens et orientaux. La Commission européenne finance ainsi un programme d’appui budgétaire à hauteur de 45 millions d’euros au Maroc pour la mise en œuvre de l’égalité de traitement et des droits inscrite dans la constitution en juillet 2011.

Yves Bourdillon

Quelles sont les perspectives après 2015 ?

emmanuelle roure

Le bilan des réalisations dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement met en lumière des progrès non négligeables, mais aussi des pistes d’amélioration. La Commission européenne s’étant engagée à poursuivre cette démarche, une réflexion est en cours pour élaborer un agenda post-2015. Le mainstreaming et les actions directes en faveur de l’émancipation des femmes sont d’ores et déjà confirmés comme des voies privilégiées.

Echanges avec la salle

Marie Bertrand, ministère des Affaires étrangèresLe comité CEDAW a-t-il déjà été directement saisi par des particuliers, comme le prévoit son protocole additionnel ?

Nicole AmelineSi toutes les recommandations sont publiées et créent une forme de rating (classement), la convention CEDAW n’est pas juridiquement contraignante. Cela étant, elle peut prendre la forme d’une juridiction lorsque toutes les voies de recours en matière de droits des femmes sont épuisées dans les 104 pays qui ont ratifié ce protocole. Elle peut être saisie, exprimer des avis sur les communications (les plaintes) et se saisir d’enquêtes.

Une participanteJ’ai été moi-même victime de violences. Au Congo démocratique, 500 000 femmes et leurs enfants sont victimes de violences. Il est essentiel de briser la loi du silence. Parlons-en autour de nous. Les campagnes de sensibilisation sont essentielles. Parlez de nous ! Merci.

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Au Bénin, la Commission Européenne soutient un programme mis en place par CARE pour aider les femmes à accéder à des propriétés agricoles en

renforçant l’influence des acteurs non-étatiques (ONG, entreprises privées, etc.) spécialisés sur la problématique des droits fonciers des femmes.

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Brigitte Labbé, écrivain pour les enfantsAinsi que cela a été dit tout à l’heure, il y a beaucoup à faire pour les femmes en France également. Dans un lycée de la région parisienne où j’intervenais récemment, des ateliers ont été mis en place pour des classes de 3ème. Toutes les filles sont en atelier repassage et tous les garçons en atelier menuiserie. Les filles en parlent avec des yeux tristes (sans compter qu’elles repassent le linge du proviseur et des professeurs du collège, contre rémunération) tandis que les garçons ont des étoiles dans les yeux quand ils racontent leur apprentissage. Quels sont les recours, face à ce type de situation, crée par l’Éducation nationale ?

Nicole AmelineNous avons le devoir absolu de casser les codes sociaux et les stéréotypes – qui viennent de l’école, mais aussi et avant tout de la famille. Ainsi que l’a indiqué une participante tout à l’heure, les femmes doivent changer elles aussi. Les mères de famille doivent cesser de reproduire certains schémas sociaux. Nous avons déjà commencé à casser l’orientation professionnelle prédéterminée, mais il reste beaucoup à faire. Les choix de liberté des filles ne doivent plus être considérés comme une transgression sociale.Malheureusement, sur fonds de crise économique, les stéréotypes tendent à se radicaliser.

Ijab KhouryPour revenir sur les débats de ce matin, les « printemps arabes » ont montré leurs limites. Le fait qu’il n’y ait pas eu de révolution au Maroc s’explique sans doute par le fait qu’il s’agit d’une monarchie et que le peuple ne peut pas s’opposer au roi, qui est le descendant du Prophète. Quoi qu’il en soit, tous les pays arabes et musulmans doivent avoir la volonté de faire en sorte de faciliter la condition féminine.

Nicole AmelineLes droits des femmes et des hommes sont compatibles avec toutes les religions, avec un socle universel non négociable. En revanche, ils ne sont pas compatibles avec les interprétations erronées des textes religieux qui visent à instrumentaliser les femmes – souvent à des fins politiques.

Hakima Fassi FihriTous les maux n’émanent pas systématiquement du Coran ou, plus largement, de la religion. Les obstacles auxquels se heurtent les femmes dans le monde arabe et musulman, en l’occurrence, n’émanent pas du Coran. Dans ce dernier, par exemple, rien n’empêche les femmes de travailler. L’auto-censure de la part des femmes elles-mêmes constitue également un obstacle de taille.

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Yves Bourdillon, Hakima Fassi Fihri, Emmanuelle Roure, Nicole Ameline © Maude Morin / CARE

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Femmes, Hommes :la construction de la différence

Françoise HéritierAnthropologue africaniste, professeure honoraire au Collège de France

La valence1 différentielle des sexes – et sa traduction concrète qu’est la domination masculine – est une question qui m’intéresse au plus haut point. Mes travaux ont porté en particulier sur les raisons cognitives de l’apparition, à un moment précis de l’histoire de l’Humanité, de ce modèle dominant, pour ne pas dire universel. Ce modèle connaît des variantes culturelles importantes, mais il existe bel et bien. Il importe donc de comprendre les raisons qui l’ont fait naître et qui lui ont permis de se transmettre avec la facilité que l’on sait, génération après génération, au sein des familles et des différents systèmes sociaux. L’objectif étant d’une part de les combattre et, d’autre part, de réfléchir aux conditions globales de la transformation de ce modèle archaïque.

Le métier d’anthropologue consiste à aller voir au-delà des apparences, de ce qui paraît naturel, évident et de l’ordre de la routine, pour déceler les ressorts cachés des pratiques et des représentations mentales.

Rien, dans nos représentations, n’est jamais naturel

Tout découle nécessairement de la pensée humaine et de la façon dont elle s’est emparée de ce qu’elle voyait. On ne peut donc jamais arguer de l’évidence biologique ou naturelle pour expliquer la valence différentielle des sexes.Quelle que soit notre origine, nous pensons spontanément que nous vivons dans un entourage fondé sur la consanguinité et la parentalité par alliance. Nous sommes également spontanément persuadés que notre système de filiation et les formes d’appellation pour désigner nos parents et nos apparentés sont fondés biologiquement et qu’il ne peut pas y en avoir d’autres. Ainsi, en France, nous pensons que « père », « mère », « fils », « fille », « sœur », « frère », « cousin », « cousine », « oncle » ou « nièce » sont fondées sur des lois biologiques. Tout cela est implicite et fonctionne par prétérition. Nous n’avons ni à y penser, ni à le formuler. Or rien n’est plus faux ! En effet, l’anthropologie référence six grands modes de filiation. Chez les Samo, au Burkina Faso, par exemple, le système de parenté est le suivant : à la génération zéro (où nous avons des frères/sœurs et des cousins) la catégorie de frère et de sœur est étendue aux cousins issus de deux frères (le père et son frère) et à ceux issus de deux sœurs (la mère et sa sœur), tandis que les cousins croisés (issus de la sœur du père) sont rabattus à la génération d’en dessous. Si vous êtes un homme, vous appelez les enfants de la sœur de votre père « mes neveux/nièces » (et ils vous appellent oncle) et si vous êtes une femme vous les appelez « mes enfants » (et ils vous appellent mère). Quant aux cousins croisés issus du frère de la mère, vous appelez les graçons « mon oncle » (et ils vous appellent mon neuveu utérin) et vous appelez les filles « ma mère « (et elles vous appellent mon enfant). Au total, ce sont trois niveaux générationnels là où nous n’en avons qu’un seul : en dessous (neveux et enfants), de même génération (cousins parrallèles comme frères et soeurs), et au-dessus (oncles et mères). Pourtant, le matériau biologique de départ est le même. Cela démontre la force de l’esprit !

Il est en outre très intéressant de constater que les occurrences combinatoires qui n’existent pas sont souvent celles qui auraient donné la prééminence aux femmes ou qui auraient conduit à une inégalité cognitive ou allant des femmes vers les hommes.

1 Valence différentielle des sexes : place différente occupée par les deux sexes sur une échelle des valeurs, et qui trouve son origine selon Françoise Héritier dans la volonté qu’ont les hommes de reprendre aux femmes la capacité de contrôle sur la reproduction.

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La force des butoirs pour la pensée

À l’origine, que je date de Neandertal (entre 250 et 100 000 ans avant Jésus-Christ), la réflexion s’est formée et consolidée à partir d’observations de faits contraignants, en ce sens qu’ils ne peuvent pas être esquivés, contournés ou modifiés par la volonté humaine, ni découpés en unités plus fines. Autant de faits que je qualifie de « butoirs pour la pensée ». Or force est de constater que ces butoirs pour la pensée existent toujours et qu’ils sont de nature si ordinaire et évidente qu’on ne s’interroge pas sur leur existence – passé le temps des fulgurances enfantines.

Dans le domaine du rapport des sexes, les butoirs pour la pensée nés de l’observation des humains comme espèce particulière chez qui la pensée est apparue sont les suivants :

• La néoténie2 de l’espèce humaine.Nous sommes l’espèce animale au sein de laquelle la progéniture met le plus de temps à s’autonomiser. Il en résulte, d’une part, que nous avons tous, en tant qu’êtres humains, vécu l’expérience de dépendre de quelqu’un et d’être soumis à quelqu’un. D’autre part, en tant que parents, nous connaissons la position inverse d’avoir à nous occuper d’enfants dépendants et d’avoir autorité sur eux. Ce double aspect fait que nous considérons comme légitime la notion même de hiérarchie. Ce premier butoir pour la pensée est toujours présent et peut-être même accru dans son importance.

• Il n’existe que deux sexes et seules les femelles enfantent de leur propre corps.Dans tout le monde animal, au sens des mammifères observables à l’oeil nu, il n’existe que deux sexes et il en existe toujours deux. Et ce, dans toutes les espèces. Ce deuxième butoir pour la pensée s’accompagne d’un troisième : seules les femelles enfantent de leur propre corps, et elles ont la capacité de faire à la fois des filles et des fils. C’est une question bouleversante pour les sociétés traditionnelles, et même la nôtre : d’où les femmes tirent-elles cette possibilité de faire des enfants des deux sexes et pourquoi ?

• Sans coït préalable, pas d’enfantement.Les femmes et les femelles sont celles qui produisent à la fois du mâle et du femelle, mais uniquement à condition qu’il y ait un coït.

• Les parents naissent toujours avant leurs enfants.Les parents naissent toujours avant leurs enfants, et ce sens ne peut pas être renversé – sauf dans la pensée grecque qui imaginait un Âge d’or dans lequel les enfants naîtraient avec tous les attributs de la vieillesse et chemineraient vers la jeunesse pour mourir au moment où ils auraient dû sortir de l’utérus.

• L’espèce humaine est unipare.Des enfants nés à des moments distincts donnent naissance à des lignes collatérales de filiation rattachées aux mêmes ancêtres, avec des relations d’aînesse calquées sur le modèle parents/enfants : l’aîné est supérieur au cadet, comme le parent est supérieur à l’enfant.

À partir de l’observation de ces contraintes imposées par les butoirs par la pensée, l’esprit humain a envisagé toutes les combinatoires possibles, validées dans des sociétés humaines avec un plus ou moins grand bonheur. Mais on ne sait toujours pas expliquer pourquoi telle combinatoire et non une des autres a émergé pour tel groupe humain avec la force de l’évidence. C’est un immense champ à déchiffrer, dans le domaine de la parenté comme dans tous ceux de la vie sociale.

Quoi qu’il en soit, rien dans ces organisations transmises de génération en génération n’est totalement immuable. Ces créations de l’esprit humain, dont nous héritons par transmission infondée et inquestionnée, peuvent être remplacées par d’autres. Des évolutions et des innovations ont ainsi été observées dans le temps, impulsées sous l’influence d’actions collectives. C’est l’action qui permet d’avancer.

Nombre d’agencements par combinatoire de ces données brutes que sont les butoirs pour la pensée sont possibles, mathématiquement et logiquement parlant. Ils existent « dans le ciel des idées », sans que jamais personne n’y ait encore jamais pensé : pendant longtemps, par exemple, l’idée de la reconnaissance de la possibilité d’une union

2 Caractéristique des groupes d’êtres vivants présentant à l’état adulte des caractères qui, dans les groupes voisins, sont purement infantiles, larvaires ou même foetaux.

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légitime entre partenaires de même sexe n’était pensable pour personne. C’était une interdiction tacite. Pour devenir réalisable, il faut que le caractère pensable d’une idée soit partagé par plus d’une personne, et même par un nombre croissant d’individus – grâce à des démonstrations et des actions. Quand une idée devient pensable pour une majorité, il faut encore un degré supplémentaire pour que l’idée pensable devienne émotionnellement admissible et concevable. C’est seulement alors qu’elle devient réalisable par la loi.

Une connaissance de l’anthropologie, même sommaire, dispensée dans les écoles servirait beaucoup la cause de la compréhension mutuelle et faciliterait bien des échanges à tous les niveaux. Il ne s’agit pas de prôner le relativisme culturel, mais l’universalité du modèle. En effet, le modèle n’est pas culturel, mais universel – même s’il prend des formes variées culturelles ici ou là. C’est cette universalité qu’il nous faut reconnaître. Nous prônons la reconnaissance et la tolérance entre elles de formes sociales bigarrées en tant qu’entité globale. J’appelle aussi à une connaissance plus profonde des principes sous-jacents qui ont fait naître ces formes sociales, pour permettre une réelle intercompréhension donnant un cours nouveau à l’expression de Térence : « rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Il ne s’agit plus simplement de tolérer des usages considérés comme bizarres, mais de retracer et analyser les cheminements rationnels de la pensée qui ont fait que ces bizarreries existent et soient pour d’autres pleinement porteuses de sens.

L’universalité du modèle dominant

Il n’existe pas d’exemple de société où les femmes occuperaient la position dominante en tout domaine. Même dans les sociétés matrilinéaires3, matrilocales4, qui sont très rares, les femmes élisent tout de même un homme comme chef. Claude Lévi-Strauss a écrit qu’il existait un seul trait universel : la prohibition de l’inceste. Je pense pour ma part que la valence différentielle des sexes est un autre trait universel. Dans toutes les sociétés, en effet, le masculin est dominant.

C’est là qu’interviennent les butoirs pour la pensée. Tout d’abord, le rapport des sexes s’est greffé sur la valence différentielle des générations liée à la néoténie de l’espèce humaine et selon laquelle l’antériorité de la naissance procure une supériorité. Ensuite, certaines sociétés qui ont précédé la nôtre croyaient que les femmes pouvaient faire des filles indépendamment de tout rapport sexuel et que les hommes naissaient donc de rapports imposés par eux. En outre, face à la croyance que les femmes pourraient aussi ne faire que des filles, est également née l’idée que le bon vouloir féminin devait être forcé pour faire des garçons, c’est-à-dire que les hommes devaient posséder les corps des femmes. Trois moyens ont permis d’y parvenir : l’absence de liberté pour les femmes dans l’usage de leur propre corps, l’absence d’accès au savoir et l’absence d’accès au pouvoir – le tout lié par le langage même de la domination, qui est un langage de déni, de mépris, de condescendance, de dénigrement. C’est cela, le stéréotype. Nous avons complètement intériorisé ce langage, que nous continuons donc à transmettre. Ainsi, en disant que papa met une petite graine dans le ventre de maman, on signifie que c’est de lui que vient tout ce qui fait l’humanité et on perpétue le modèle archaïque dominant.

Echanges avec la salle

Une participanteQue dire aux enfants, s’il ne faut plus dire que papa met une graine dans le ventre de maman ? Faut-il dire que maman reçoit la petite graine de papa ?

Françoise HéritierSurtout pas ! Si vous dites que maman reçoit une petite graine, maman devient une marmite. Longtemps, les hommes ne savaient pas que la femme avait des ovules, mais ils voyaient la matérialité du sperme – sans savoir qu’il contenait des spermatozoïdes. Ils pensaient que la chaleur du ventre maternel permettait de faire cuire cette matière fécondante. Dans certaines pensées africaines, un enfant albinos est d’ailleurs un enfant qui a cuit trop longtemps dans le ventre maternel. Aujourd’hui, nous savons que maman a aussi une petite graine. Il faut donc dire que papa et maman ont des graines qui se sont rencontrées pour faire un bébé.

Une participanteAvec l’arrivée des nouvelles technologies que les jeunes savent mieux utiliser que leurs parents, comment envisagez-vous la relation de pouvoir naturelle entre les parents et les enfants ?

3 Où la filiation passe par les femmes.4 Où le mari se déplace pour aller vivre auprès de sa conjointe.

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Françoise HéritierC’est l’une des questions que je me pose aujourd’hui, sous le prisme de la néoténie. Aucun adulte ne peut avoir échappé à l’emprise du fait qu’il a été dans la dépendance d’adultes dans son enfance. C’est l’un des moteurs fondateurs de la hiérarchie. Or j’ai tendance à penser qu’il ne peut exister de société sans hiérarchie. Même dans une société où il n’y aurait plus que des femmes, la société serait à coup sûr hiérarchisée. Le tout est de savoir quelles sont les bases de la hiérarchie et si elles sont acceptables.L’amour implicite que les enfants ont pour leurs parents et la reconnaissance de leur statut existeront toujours. Mais les nouvelles technologies entraîneront certainement des évolutions – qui n’iront pas pour autant nécessairement dans le sens de l’égalité entre les sexes.L’heure n’est pas venue de baisser les bras, même s’il existe des temps de répit. Il y a toujours des possibilités de retour en arrière, comme le retour de la lapidation en Afghanistan ou la perpétuation d’exactions en République démocratique du Congo.Les femmes se doivent d’agir toutes ensemble.

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AvAncer, ensemBLe

philippe LévêqueDirecteur Général de CARE France

« A la maison, c’est moi le patron. Ma femme, c’est seulement celle qui prend les décisions », a dit Woody Allen.Le pouvoir ou les apparences du pouvoir peuvent ainsi se partager.

Le monde évolue petit à petit, mais rien n’est jamais définitivement gagné. Vos témoignages ont montré qu’on peut changer un destin et construire une économie avec un sixième d’euro. C’est une belle chose. Mais il ne faut pas non plus grand-chose pour basculer dans la douleur et l’horreur, ou pour régresser.

Complexité est sûrement le maître mot de ce matin. Nous avons parlé économie et politique. Nous avons aussi évoqué la question de la polygamie et celle de la religion. Je suis heureux que nous ayons parcouru ce chemin ensemble. Je remercie l’Assemblée nationale de nous avoir accueillis. Je remercie aussi Elisabeth Guigou et Nicole Ameline de nous avoir consacré de leur temps.

Retenons qu’aucune de nos représentations n’est naturelle et que même si les butoirs de la pensée nous empêchent d’aller plus loin, il existe aussi un « ciel des idées » où celles-ci attendent le moment qui leur permettra de devenir réalités. Chère Françoise Héritier, nous serons à vos côtés pour apprendre de nos limites et pour continuer à changer le monde.

Ensemble, nous pouvons y arriver ! Merci pour votre engagement.

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