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1 L’APPLICATION DU DROIT NATIONAL, INTERNATIONAL ET EUROPÉEN Jean-Sylvestre Bergé Dalloz collection « Méthodes du droit » A paraître (mars/avril 2013) Exraits…

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L’APPLICATION DU DROIT NATIONAL, INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

Jean-Sylvestre Bergé

Dalloz – collection « Méthodes du droit »

A paraître (mars/avril 2013)

Exraits…

2

4ème de couverture

L’APPLICATION DU DROIT NATIONAL, INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

L’application du droit développe, dans la variété des situations juridiques mondiales, un

dynamisme qui lui est propre. Elle ne peut résulter de la seule mise en œuvre d’une méthode

ou d’une solution juridique à un instant donné, dans un espace et à un niveau prédéterminés,

par un acteur dûment identifié. Il faut l’appréhender dans un mouvement. Pour une même

situation, plusieurs droits doivent être parfois mobilisés, alternativement, cumulativement,

dans un même temps ou à des moments différents, dans un seul ou une pluralité d’espaces ou

niveaux, par un acteur unique ou des acteurs multiples.

Cette dynamique particulière, dont le juriste doit s’imprégner en passant d’un contexte -

national, international ou européen - à l’autre, exerce une influence sur le droit, ses

utilisations et, parfois, son contenu.

Cet ouvrage propose d’expliciter, autour de nombreuses situations et par des exemples

concrets (250 environ), l’analyse du juriste chaque fois qu’il est confronté à un cas de

pluralisme juridique mondial où plusieurs droits, élaborés dans un contexte national (français,

étranger), international (ONU, OMC, OMPI, OIT, OMS, UNIDROIT, CCI, HRW, CIJ, CPA,

CIRDI, etc.) ou européen (UE, CEDH), ont vocation à s’appliquer ensemble.

De nombreux outils d’une application plurielle du droit sont ainsi maniés. Ils sont ordonnés

autour d’une démarche élémentaire en trois temps, consistant pour le juriste à comparer

(Partie 1), combiner (Partie 2) et hiérarchiser (Partie 3) les méthodes et solutions du droit

national, international et européen qu’il lui revient de mettre en œuvre pour résoudre son cas.

Jean-Sylvestre Bergé est ancien avocat, professeur à la Faculté de Droit de l’Université Jean

Moulin – Lyon 3 depuis 2011 où il anime différents projets de recherche au sein de l’Equipe

de Droit international, européen et comparé (EDIEC, EA n° 4185). Il a précédemment

exercé dans les Universités de Nanterre, Nouvelle-Calédonie, Rouen et Panthéon-Sorbonne.

Il est membre-fondateur du Réseau universitaire européen « Droit de l’espace de liberté

sécurité et justice » (GDR CNRS ELSJ, n° 3452).

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Page intérieure

L’APPLICATION DU DROIT NATIONAL, INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

Approche contextualisée des cas de pluralisme juridique mondial

Jean-Sylvestre Bergé

Professeur à l’Université Jean Moulin - Lyon 3 (EDIEC - GDR CNRS ELSJ)

Dalloz – collection « Méthodes du droit »

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Avant-propos

Cet ouvrage est le résultat d’une recherche menée sur quatre années (2009-2012).

Des temps précieux d’échanges ont ponctué sa réalisation. Le questionnement qui l’anime a

ainsi été présenté et débattu dans différents espaces publics, essentiellement universitaires, en

France comme à l’étranger1. Un blog lui a été en partie consacré, présentant des travaux

provisoires au fur et à mesure de l’état d’avancement de la réflexion2.

Une première écriture de ce travail a bénéficié de la relecture bienveillante et critique de mes

collègues et amis Marie-Noëlle Jobard-Bachellier et Patrick Daillier.

Le professeur Philippe Jestaz, directeur de la collection « Méthodes du droit », a soutenu et

accompagné ce travail, du projet à sa publication.

Un semestre sabbatique m’a été aimablement accordé (Université de Paris Ouest - Nanterre

La Défense, année 2010/2011, 2nd

sem.).

Je remercie chaleureusement celles et ceux qui ont prêté une attention à la fabrication de ce

travail.

Lyon, novembre 2012.

1 Le thème de l’application plurielle du droit national, international et européen a été présenté de manière

générale ou sous des aspects particuliers lors de séminaires, conférences ou à l’occasion de contributions à des

colloques organisés à Aix-en-Provence, Bayonne, Bologne, Bruxelles, Buenos-Aires, Colchester (Essex),

Florence (Fiesole), Hanoï, Limoges, Louvain, Luxembourg, Lyon, Madrid, Montpellier, Nanterre, Nantes, Nice,

Paris, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Tunis et Washington DC. 2 http://www.universitates.eu/jsberge/

5

Sommaire

Glossaire _________________________________________________________________ 10

Introduction ______________________________________________________________ 16

La question de l’application du droit dans le contexte national, international et européen ou les cas de

pluralisme juridique mondial appliqué _____________________________________________________ 17

Le traitement de la question en amont : définition du droit, identification des systèmes juridiques et de

leurs rapports, résolution des conflits de droits et quête d’un droit global ________________________ 19

Le traitement de la question en aval : explicitation du travail du juriste confronté à l’application du droit

dans différents contextes national, international et européen __________________________________ 31

Le choix d’une méthode élémentaire en trois étapes : comparer, combiner, hiérarchiser l’application du

droit dans le contexte national, international et européen _____________________________________ 34

Le choix d’un mode de démonstration : des situations, des exemples ____________________________ 36

Première partie - La comparaison du droit national, international et européen ________ 38

Chapitre 1 – La démarche comparative _____________________________________________ 39

Section 1 – Les présupposés _____________________________________________________________ 40

§ 1 – Le présupposé de l’incomplétude _______________________________________________ 40

§ 2 – Le présupposé de la localisation _________________________________________________ 45

A - Les différents lieux d’application du droit ___________________________________________ 45

B - Les différents acteurs de l’application du droit _______________________________________ 50

Section 2 – Les préjugés ________________________________________________________________ 54

§ 1 – Les préjugés intellectuels ______________________________________________________ 54

A – Les limites de la comparaison ____________________________________________________ 54

1/ À propos de deux métaphores (« qui embrasse trop mal étreint » et « le mariage de la carpe

et du lapin ») __________________________________________________________________ 54

2/ Les verrous à faire sauter ______________________________________________________ 58

3/ La comparaison multiniveau : un autre principe de réalité ___________________________ 64

4/ Une distinction utile mais difficile entre les droits « sources » et les droits « objets » ______ 67

B - La spécialisation du juriste et le décloisonnement des spécialités ________________________ 72

§ 2 – Les préjugés culturels _________________________________________________________ 75

A - L’histoire _____________________________________________________________________ 75

B - La langue _____________________________________________________________________ 77

Section 3 – Les finalités _________________________________________________________________ 81

§ 1 – La connaissance des contextes juridiques pertinents ________________________________ 81

6

A – La recension des contextes juridiques pertinents ____________________________________ 81

B – La comparaison des contextes juridiques pertinents __________________________________ 83

§ 2 – La définition d’une stratégie juridique ____________________________________________ 85

Chapitre 2 – La comparaison proprement dite _______________________________________ 90

Section 1 – La comparaison des domaines d’application _______________________________________ 91

§ 1 – Le domaine matériel __________________________________________________________ 91

A- Le recours à des qualifications juridiques ____________________________________________ 91

B- Les différents types de qualifications juridiques ______________________________________ 93

§ 2 – Le domaine spatial ___________________________________________________________ 96

A – La question de l’applicabilité dans l’espace du droit national, international et européen _____ 96

B – La diversité des solutions ________________________________________________________ 98

§ 3 – Le domaine temporel ________________________________________________________ 104

Section 2 – La comparaison des conditions d’invocabilité _____________________________________ 107

§ 1 – Les cas d’invocabilité dans le triple contexte national, international ou européen ________ 107

A – L’invocabilité et la relation droit international - droit national _________________________ 107

B – L’invocabilité et la relation droit européen - droit national ____________________________ 110

C – L’invocabilité et la relation droit international - droit européen ________________________ 112

§ 2 – Les différentes significations de l’invocabilité dans le triple contexte national, international ou

européen ______________________________________________________________________ 116

A – La variable « sujet » : qui invoque ? ______________________________________________ 116

B – La variable « objet » : qu’est-ce qui est invoqué ? ___________________________________ 119

Section 3 – La comparaison des méthodes et solutions _______________________________________ 125

§ 1 – De l’interprétation ___________________________________________________________ 125

§ 2 – De la contextualisation _______________________________________________________ 134

Deuxième partie - La combinaison du droit national, international et européen _______ 141

Chapitre 1 – La complémentarité des droits ________________________________________ 142

Section 1 –Les complémentarités institutionnelles et matérielles ______________________________ 143

§ 1 – Les complémentarités institutionnelles __________________________________________ 143

§ 2 – Les complémentarités matérielles ______________________________________________ 149

Section 2 – L’existence de rapports de mise œuvre __________________________________________ 154

§ 1 – Les rapports de mise en œuvre institutionnels ____________________________________ 154

§ 2 – Les rapports de mise en œuvre matériels ________________________________________ 160

Section 3 – La recherche d’un effet _______________________________________________________ 168

§ 1 - La recherche d’un effet tantôt équivalent tantôt différent ___________________________ 168

§ 2 - La recherche d’un effet tantôt global tantôt contenu _______________________________ 172

Chapitre 2 – La circulation des situations __________________________________________ 182

7

Section 1 – Le phénomène de circulation __________________________________________________ 183

§ 1 – Premiers éléments de définition _______________________________________________ 183

§ 2 – La circulation au sein d’un même niveau _________________________________________ 184

§ 3 – La circulation interniveau des situations _________________________________________ 189

A- Intervention de juridictions à différents niveaux _____________________________________ 189

B – Application du droit à plusieurs niveaux ___________________________________________ 194

Section 2 – L’existence d’une contrainte de circulation _______________________________________ 200

§ 1 - La définition d’un cadre juridique de référence ____________________________________ 200

§ 2 - La contrainte d’un droit invocable bien que non applicable __________________________ 203

Troisième Partie – La hiérarchisation du droit national, international et européen _____ 211

Chapitre 1 – La hiérarchisation des droits dans les différents contextes __________________ 212

Section 1 – La hiérarchisation des droits dans le contexte national : l’exemple du droit français ______ 213

§ 1 - Les hypothèses de hiérarchisation ______________________________________________ 213

A - Les rapports entre le droit national et le droit international ___________________________ 213

1/ Les hypothèses envisagées par la Constitution ____________________________________ 214

2/ Les hypothèses non explicitement prévues par la Constitution _______________________ 219

B - Les rapports entre le droit national et le droit européen ______________________________ 224

1/ Alignement des solutions définies pour le droit international et le droit européen (UE) ___ 224

2/ Différenciation des solutions définies pour le droit européen (UE) et pour le droit

international _________________________________________________________________ 226

§ 2 - Les acteurs de la hiérarchisation ________________________________________________ 235

A - L’effacement du pouvoir législatif et exécutif _______________________________________ 235

B - Le renforcement du pouvoir des juges étatiques ____________________________________ 236

§ 3 - Les mots et le moment de la hiérarchisation ______________________________________ 239

A - Contrôle de constitutionnalité en amont et contrôle de conventionnalité en aval __________ 239

B - Le contrôle prioritaire de constitutionnalité et le contrôle secondaire de conventionnalité __ 246

Section 2 – La hiérarchisation des droits dans le contexte international : les réponses du droit

international_________________________________________________________________________ 249

§ 1 - Le refoulement du droit national et européen _____________________________________ 249

§ 2 - L’atrophie des procédés de hiérarchisation formelle ________________________________ 253

§ 3 - Le développement des procédés de hiérarchisation matérielle _______________________ 255

Section 3 – La hiérarchisation des droits dans le contexte européen : le cas de l’Union européenne __ 261

§ 1 - Une intégration hiérarchique __________________________________________________ 261

A- La primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national des Etats membres _______ 261

1/ la primauté par la supériorité__________________________________________________ 261

2/ La primauté par l’autonomie __________________________________________________ 266

3/ La primauté par la loyauté ____________________________________________________ 267

8

B - La primauté du droit de l’Union européenne et le droit international ____________________ 269

§ 2 - Une hiérarchie interne ________________________________________________________ 270

A - Les éléments d’une hiérarchie d’ensemble _________________________________________ 270

1/ La hiérarchie entre le droit primaire et le droit dérivé ______________________________ 270

2/ La hiérarchie entre les différentes normes de droit dérivé __________________________ 272

3/ La place des sources internationales dans le système juridique de l’Union européenne ___ 273

B - Les apports et les limites d’une approche hiérarchique en droit de l’Union européenne ____ 276

Chapitre 2 – La hiérarchisation des droits et l’application du droit à différents niveaux _____ 278

Section 1 - La hiérarchisation par application du droit à un niveau : l’appel à la hiérarchie des normes 279

§ 1 - La signification propre de la hiérarchisation des droits dans un contexte de pluralisme

juridique mondial ________________________________________________________________ 279

A - La hiérarchie des normes comme outil de repli d’un système juridique sur lui-même _______ 279

B - Les autres voies de repli des systèmes juridiques sur eux-mêmes _______________________ 285

1/ La mesure du phénomène : différenciation, autonomisation, appropriation, dédoublement,

etc. _________________________________________________________________________ 285

2/ Illustrations dans le système juridique français ___________________________________ 286

3/ Illustrations dans le système juridique de l’Union européenne _______________________ 292

§ 2- Le choix d’un niveau d’application du droit plutôt que d’un autre ______________________ 296

A - Le spectre d’un forum shopping mondial __________________________________________ 296

B - Les limites à la liberté de choix___________________________________________________ 301

1/ La présence de juridictions diversement spécialisées aux différents niveaux ____________ 301

2/ L’existence de systèmes intégrés _______________________________________________ 305

Section 2 - La hiérarchisation par application du droit à un autre niveau : l’appel à un droit hiérarchisé 308

§ 1 - Les voies de passage d’une hiérarchie définie à un niveau à une hiérarchie définie à un autre

niveau _________________________________________________________________________ 308

A - Les voies de passage entre le niveau national et international _________________________ 308

B - Les voies de passage entre le niveau national et européen ____________________________ 310

C - Les voies de passage entre le niveau international et européen ________________________ 316

§ 2 - La référence à un droit hiérarchisé ______________________________________________ 320

A - Les hypothèses où la référence à un droit hiérarchisé est utile et nécessaire ______________ 320

B - La détermination du contenu et de la nature du droit hiérarchisé ______________________ 322

Conclusion _______________________________________________________________ 334

Bibliographie sélective _____________________________________________________ 336

Table des abréviations _____________________________________________________ 339

Table des textes et des jurisprudences cités ____________________________________ 342

I./ Textes ____________________________________________________________________________ 342

9

A - Textes nationaux ______________________________________________________________ 342

B - Textes internationaux __________________________________________________________ 343

C - Textes européens _____________________________________________________________ 345

II./ Jurisprudences ____________________________________________________________________ 347

A - Jurisprudences nationales ______________________________________________________ 347

B - Jurisprudences internationales __________________________________________________ 351

C - Jurisprudences européennes ____________________________________________________ 352

Index général ____________________________________________________________ 358

Table analytique (matières, situations et exemples) _____________________________ 375

10

GLOSSAIRE

Les termes ou expressions ci-après présentés sont de deux types. Les premiers décrivent de

manière générale l’objet de cette étude. Les seconds désignent, de façon plus précise, les

différents résultats auxquels elle a abouti1.

I./ Termes ou expressions décrivant l’objet d’étude

Pluralisme juridique mondial

L’expression « pluralisme juridique mondial » désigne une forme particulière de

pluralisme juridique induit par les phénomènes de mondialisation du droit et ses

différentes déclinaisons (globalisation, transnationalisation, fragmentation,

régionalisation, etc.). Même si ce pluralisme n’échappe pas à des formes de

standardisation/domination, il décrit la multiplication des lieux de fabrication et

d’application du droit qui apparaissent en dehors ou au-delà du modèle strictement

étatique. Le droit ne se construit pas seulement à l’intérieur des seules sphères

nationales. Il est, en effet, le résultat de l’activité propre d’organisations

internationales et régionales, notamment européennes, que ces organisations aient

une origine étatique (Organisation des Nations Unies, Organisation mondiale du

commerce, Organisation internationale du travail, Organisation mondiale de la santé

ou de la propriété intellectuelle, Union européenne, Cour internationale de justice,

Cour permanente d’arbitrage, Centre international de règlement des différends liés à

l'investissement, Cour européenne des droits de l’homme, etc.) ou privée

(organisations non gouvernementales, multinationales, syndicats professionnels,

etc.). Le contexte national, qui connaît également des formes de pluralisme juridique,

ne disparaît pas. Mais il coexiste avec les méthodes et solutions juridiques définies

dans le contexte international et européen.

Cas de pluralisme juridique mondial appliqué

L’extension « pluralisme juridique mondial appliqué » est attachée aux cas, de plus

en plus fréquents, où plusieurs droits élaborés dans un environnement national,

1 Pour ces derniers, un renvoi est opéré aux développements pertinents de l’ouvrage.

11

international ou européen sont susceptibles d’être appliqués ensemble à une situation

juridique donnée.

Le processus d’application du droit est particulier dans un contexte de pluralisme

juridique mondial. Le droit appliqué développe, dans la variété des situations

juridiques mondiales, un dynamisme qui lui est propre. Il ne peut résulter de la seule

mise en œuvre d’une méthode ou d’une solution juridique à un instant donné, dans

un espace et à un niveau prédéterminés, par un acteur dûment identifié. Il faut

l’appréhender dans un mouvement. Pour une même situation, plusieurs droits doivent

être parfois mobilisés, alternativement, cumulativement, dans un même temps ou à

des moments différents, dans un seul ou plusieurs espaces ou niveaux, par un acteur

unique ou des acteurs multiples.

Cas ou situation juridique

Un cas ou une situation juridique désigne la question théorique ou pratique que le

juriste doit résoudre en mettant en œuvre les méthodes et solutions juridiques

susceptibles d’être appliqués dans les différents contextes. La situation peut être

illustrée par un ou plusieurs exemples. Ces exemples sont tirés d’une pratique du

droit qui a existé à l’occasion d’un cas donné ou ils résultent de scénarios inventés

pour les besoins de la démonstration. Pour traiter ce cas ou cette situation, le juriste

est invité à décliner, dans un contexte de pluralisme juridique mondial, l’ensemble

des méthodes et solutions juridiques susceptibles d’être appliquées au niveau

national, international ou européen.

Juriste

On peut avoir toutes sortes de représentations du juriste. On peut vouloir se limiter

principalement à la figure du juge, maître de l’interprétation du droit, ou réfléchir à

l’existence de la doctrine, chantre d’un droit savant, ou, encore, distinguer, par

exemple, la famille des juristes de France, la communauté des juristes travaillant au

sein d’une institution européenne ou, encore, les juristes qui évoluent dans des

structures à vocation mondiale. Toutes ces acceptions sont recevables. Ce qui

compte, c’est la pratique du droit par le juriste, c’est-à-dire, sa recherche d’un

résultat. Que le juriste travaille de manière indépendante (un avocat, un consultant,

un magistrat, un notaire, un universitaire) ou sous l’autorité d’une institution

publique (administration) et la subordination d’un organisme privé (organisation non

12

gouvernementale, entreprise, syndicat, association), il est le plus souvent guidé, en

effet, par la recherche d’une finalité : la formulation d’une règle, d’une décision,

d’une argumentation, d’une analyse et même d’une théorie.

Contexte ou niveau national, international et européen d’application du droit

L’expression « Contexte national, international et européen » désigne

l’environnement juridique dans lequel le juriste s’efforce de traiter d’un cas ou d’une

situation. Cet environnement peut être essentiellement imprégné de droit national, de

droit international ou de droit européen. Pour distinguer ces contextes, il est parfois

utile de parler de « niveau d’application du droit ». Cette seconde expression n’a, pas

plus que la précédente, de valeur théorique forte. Elle n’a pas vocation notamment à

désigner un ordonnancement juridique global où un niveau d’application du droit

serait placé de manière immuable et définitive sous l’autorité d’un autre. Mais elle

est parfois éclairante. Elle permet, en effet, de représenter les hypothèses où un cas

est susceptible d’être appréhendé successivement à des étages - national,

international ou européen - différents du droit. Cette superposition des niveaux rend

compte des différences qui peuvent caractériser la manière dont le droit s’applique

dans des contextes nationaux, internationaux ou européens distincts.

Méthodes et solutions juridiques ou droit national, international et européen

Dans cet ouvrage, les expressions « Méthodes et solutions juridiques » ou « Droit »

national, international et européen visent le droit appliqué dans un contexte national,

international ou européen. Peu importe que ces méthodes et solutions juridiques

soient de source étatique, interétatique ou a-étatique, qu’elles résultent d’un

processus de formation révélé, délibéré ou spontané. Ce qui compte c’est

l’application qui peut en être faite par le juriste dans les différents contextes.

Comparaison

La comparaison est la première étape que le juriste peut être amené à franchir pour

tenter d’appliquer le droit dans le contexte national, international et européen.

Cantonné généralement à la seule étude des droits nationaux et à un exercice de pure

connaissance, le « droit comparé » mérite de recevoir une signification plus large

dans la perspective d’un pluralisme juridique mondial appliqué. La comparaison du

droit national, international et européen implique, en effet, une potentielle mise à plat

13

de l’ensemble des méthodes et solutions susceptibles d’être sollicitées au stade du

traitement d’un cas ou d’une situation juridique. Elle commande une recherche sur la

manière dont le droit peut être appliqué dans un environnement national,

international ou européen. Cette recherche est un préalable. Elle permet, en effet, au

juriste de prendre la mesure des ressemblances et différences caractérisant

l’application du droit dans des contextes aussi bien nationaux, internationaux

qu’européens.

Combinaison

L’étape de combinaison du droit national, international et européen est celle où le

juriste s’efforce d’assembler les méthodes et solutions identifiées au terme d’un

travail de comparaison, en vue de construire son raisonnement juridique. Elle peut

être pratiquée dans deux grandes hypothèses : celle où les droits en présence sont

complémentaires et entretiennent un rapport de mise œuvre ; celle où une circulation

des situations d’un niveau du droit à l’autre peut être observée.

Hiérarchisation

L’étape de hiérarchisation des droits permet au juriste d’identifier les règles qui

occupent une place dans un système juridique donné. Ce processus peut être

considéré de manière cloisonnée, système par système, dans un contexte national,

international et européen. Mais il a également une dimension dynamique où

l’application des constructions hiérarchiques à différents niveaux conduit à des

phénomènes d’interaction. A ce titre, deux scénarios doivent être soigneusement

distingués. Le premier met en scène un juriste qui en appelle à une application du

droit à un niveau, ce qui revient, pour lui, à faire potentiellement jouer une hiérarchie

des normes. Le second désigne la situation du juriste aspirant à l’application du droit

à un autre niveau, ce qui le conduit à rechercher les manifestations d’une

concrétisation d’un droit hiérarchisé appliqué.

II./ Termes ou expressions désignant les résultats de l’étude

Comparaison multiniveau

La comparaison des droits définis dans un contexte national, international et

européen est devenue une nécessité chaque fois que la question de droit posée

appelle une pluralité de réponses selon le niveau national, international ou européen

14

considéré. Dans la mesure où, bien souvent, ces niveaux coexistent, en ce sens qu’ils

n’ont pas vocation à se substituer dans leur application les uns aux autres, le juriste a

le devoir de dégager par la comparaison, les ressemblances et différences entre les

méthodes et solutions offertes. Il est rare, en effet, que le droit européen ou

international ait vocation à faire disparaître toute applicabilité du droit national. Il en

va de même dans les rapports entre le droit international et le droit européen, lesquels

alimentent de nombreuses interactions. Chaque fois que la situation en cause est

susceptible d’être présentée dans ces différents contextes, une comparaison

multiniveau conduit le juriste à comparer, au plus fort de son analyse, l’application

qui peut être faite du droit national, international et européen dans les trois contextes

à la fois. Voir sur ce thème, les développements proposés aux n° xxx et s.

Cadre juridique (de référence)

L’expression « cadre juridique de référence » et ses dérivés (« cadre de référence »

ou, plus modestement, « cadre juridique ») sont assez fréquemment utilisés en droit

européen. La Cour de justice de l’Union européenne et, dans une moindre mesure, la

Cour européenne des droits de l’homme l’emploient pour désigner le contexte

juridique – européen mais aussi national ou international – dans lequel s’insère la

question de droit qui leur est posée. Cette pratique des deux grandes juridictions

européennes trouve un certain écho dans le contexte international et national. On sait

que la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités a inscrit, au titre des

directives d’interprétation, un principe « d’interprétation systémique » selon lequel il

doit être tenu compte du contexte des traités, et en particulier de « toute règle

pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ».

Quant au droit national, il peut, par différents moyens, inviter le juriste à mobiliser

l’ensemble des fondements juridiques de droit national, international et européen

susceptibles d’asseoir son raisonnement. Voir sur ce thème, les développements

proposés aux n° xxx et s.

Rapport de mise en œuvre

L’expression « rapports de mise en œuvre » désigne un processus particulier de

combinaison du droit national, international et européen. Chaque fois qu’une

institution ou une règle de droit d’un système juridique national, international ou

européen permet à une institution ou une règle de droit définie à un autre niveau

15

national, international ou européen de fonctionner ou d’être appliquée, il s’établit

entre elles un rapport de mise œuvre. Les institutions et règles juridiques en présence

ne se substituent pas les unes aux autres. Elles interagissent en raison de leur aptitude

à produire ensemble un effet juridique propre, qu’aucune d’entre elles ne permettrait

d’atteindre seule. Voir sur ce thème, les développements proposés aux n° xxx et s.

Circulation

La circulation désigne l’ensemble des phénomènes qui permettent au juriste

d’appréhender une situation dans un espace juridique autre que celui où elle a pris

naissance. L’effet produit par ces mouvements d’un espace normatif à un autre peut

être parfaitement identique, la circulation propageant trait pour trait un effet juridique

- entendu au sens le plus large : effet obligatoire, effet d’opposabilité ou même effet

de fait - donné dans deux environnements distincts. Mais cet effet comporte souvent

des différences, la circulation étant alors partielle, portant sur tel ou tel aspect de la

situation amenée à circuler. Le phénomène intéresse la circulation chaque fois qu’un

effet de la situation née dans un environnement juridique donné se manifeste à

nouveau dans un autre environnement juridique en raison de son origine. Si les effets

produits sont totalement étrangers l’un à l’autre ou sont purement fortuits, il n’est

plus utile de parler de circulation. Voir sur ce thème, les développements proposés

aux n° xxx et s.

Droit appliqué et droit hiérarchisé

La référence à un « droit appliqué » désigne l’opération par laquelle le traitement

d’un cas, dans un contexte (national, international ou européen) donné, requiert un

examen du droit mis en œuvre dans un autre contexte. Cette référence est nécessaire

dans les situations où une contrainte de circulation existe. Elle doit être notamment

envisagée par le juriste, chaque fois que la mise en œuvre du droit dans un contexte

est évaluée, en termes de compatibilité, dans un autre contexte. La recherche du

contenu du droit appliqué procède parfois d’une démarche concrète. Ce n’est pas tant

l’énoncé du droit dans un autre contexte qui compte que la manière dont il a été, il

est ou il sera mis en œuvre. Cette concrétisation du droit appliqué peut alors prendre

la forme d’un « droit hiérarchisé » dont la teneur est tributaire de la manière dont une

hiérarchie des normes définies dans un autre contexte a été, peut être ou sera mise en

œuvre. Voir sur ce thème, les développements proposés aux n° xxx et s.

16

INTRODUCTION

1. Un juriste s’interroge. Dans une situation interne à un Etat (par exemple, un différend

entre deux Français, résidant en France, à propos d’un accident survenu sur le territoire

national), soumise à l’application ordinaire du droit défini dans le contexte national (en

l’occurrence, le droit français), il ne sait pas s’il doit ou non reconsidérer son analyse à l’aune

de méthodes et solutions juridiques appliquées dans d’autres contextes : international ou

européen. Dans une situation présentée devant une instance internationale, publique (une

administration ou une juridiction internationale) ou privée (un arbitre international), il se

demande si les effets produits par un droit appliqué au niveau national ou européen peuvent y

être considérés ou doivent, au contraire, être nécessairement refoulés. Dans un contexte

européen (Union européenne ou Conseil de l’Europe), il aimerait pouvoir déterminer avec

précision si les méthodes et solutions qui s’y sont développées depuis soixante ans se

substituent ou, à l’opposé, s’ajoutent aux constructions juridiques définies à d’autres niveaux

qui l’ont précédé : national ou international.

2. Le degré d’interrogation du juriste s’accroît un peu plus quand il observe que son cas

est susceptible, dans certaines circonstances, d’être examiné successivement dans des

environnements juridiques différents.

Ainsi, par exemple, un litige présenté devant un juge national peut parfois donner lieu à une

procédure devant une juridiction européenne (par exemple, une question préjudicielle en

interprétation ou validité portée devant la Cour de justice de l’Union européenne ou une

requête présentée à la Cour européenne des droits de l’homme après épuisement des voies de

recours internes) ou, plus rarement, internationale (par exemple, un conflit national élevé en

conflit interétatique soumis à la Cour internationale de justice). De la même manière, une

situation traitée par une instance publique ou privée internationale peut conduire à des

prolongements devant des instances européennes et/ou nationales (par exemple, une sanction

prononcée par les Nations Unies et exécutée à un échelon européen et national ou encore, une

sentence arbitrale internationale présentée devant un juge étatique qui décide de faire

application du droit de l’Union européenne et d’interroger, à ce titre, la Cour de justice de

l’Union européenne).

3. En définitive, notre juriste en arrive à la conclusion - provisoire - qu’en dépit de tous

ses efforts pour mettre en œuvre les méthodes et solutions juridiques appliquées dans un

17

contexte national, international ou européen donné, son analyse peut être malmenée à

l’occasion du réexamen de son cas dans un autre contexte national, international ou européen

d’application du droit.

Pour éviter que ce nouvel examen n’échappe totalement à son expertise et ne la fragilise, il

s’interroge sur la démarche qui doit être la sienne. Doit-il s’ouvrir à d’autres environnements

juridiques que celui dans lequel il a l’habitude de travailler ? Doit-il, au contraire, demeurer

dans l’environnement national, international ou européen qu’il maîtrise le mieux et qui lui

semble offrir la plus grande prévisibilité des solutions ?

La question de l’application du droit dans le contexte national, international et

européen ou les cas de pluralisme juridique mondial appliqué

4. Conçu par Santi Romano1 comme un instrument de définition des ordres juridiques, le

pluralisme juridique a été largement travaillé en théorie, sociologie ou anthropologie du

droit2. Il permet de décrire « l’existence, au sein d’une société déterminée, de mécanismes

juridiques différents s’appliquant à des situations identiques »3. Les juristes s’y réfèrent

volontiers quand ils étudient, d’une part, les différentes manières dont le droit est susceptible

de se développer en dehors des processus étatiques de délibération ou de décision et, d’autre

part, les divers modes d’interaction qui résultent de la coexistence d’une pluralité de systèmes

ou d’ordres juridiques. Le thème suscite un intérêt continu, dans des domaines extrêmement

diversifiés4.

5. Dans un environnement mondial, le pluralisme juridique a une signification plus

étroite, qui lui est propre5. L’expression « pluralisme juridique mondial »

1 désigne, en effet,

1 S. Romano, L’ordre juridique, trad. P. Gothot et L. François, éd. Sirey 1975, rééd. Dalloz, 2002, préface P.

Mayer. 2 Pour une approche d’ensemble, voir avec les nombreuses références bibliographiques citées, A.-J. Arnaud

(dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et sociologie du droit, LGDJ, 2e éd. 1993, Verbis « Pluralisme

juridique » par J.-G. Belley et N. Rouland. Comparer, D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture

juridique, éd. PUF, 2003, V° Pluralisme juridique par H. Moutouh. Voir également, plus récemment, Cahiers

d’Anthropologie du droit, Les pluralismes juridiques, éd. Karthala, 2003 ; J.-L Bergel (dir.), Le plurijuridisme -

Actes du 8ème congrès de l’Association internationale de méthodologie juridique, éd. PUAM, 2005 ; Collectif,

Le pluralisme, Archives de philosophie du droit, éd. Dalloz, 2006. 3 J. Vanderlinden, Le pluralisme juridique - Essai de synthèse, in J. Gilissen (dir.), Le pluralisme juridique, éd.

de l’Université de Bruxelles, 1972, spéc., p. 19. 4 Voir, par exemple, récemment : L. Boy, J.-B. Racine et J.-J. Sueur (dir.), Pluralisme juridique et effectivité du

droit économique, Larcier 2011. 5 Sur cette signification propre : M. Delmas-Marty, Les Forces imaginantes du droit – 1. Le relatif et l’universel,

éd. Seuil 2004, spéc. p. 228. Voir également du même auteur, distinguant le pluralisme de fusion, du pluralisme

de séparation et le pluralisme de juxtaposition du pluralisme ordonné, Les Forces imaginantes du droit – 2. Le

18

une forme tout à fait particulière de pluralisme juridique, immédiatement induit par les

phénomènes de mondialisation2 du droit et ses différentes déclinaisons (globalisation

3,

transnationalisation4, fragmentation

5, régionalisation

6, etc.). Même si ce pluralisme juridique

mondial n’échappe pas à des formes de standardisation/domination, il décrit la multiplication

des lieux de fabrication et d’application du droit qui apparaissent en dehors ou au-delà du

modèle strictement étatique. Le droit ne se construit pas seulement à l’intérieur des seules

sphères nationales. Il est le résultat de l’activité propre d’organisations internationales et

régionales, notamment européennes, que ces organisations aient, pour l’essentiel, une origine

étatique (Organisation des Nations Unies, Organisation mondiale du commerce, Organisation

pluralisme ordonné, éd. Seuil 2005, spéc. pp. 7 à 32. Pour une réflexion sur le pluralisme au départ des outils de

la théorie analytique du droit, voir J.-J. Sueur, Analyser le pluralisme pour comprendre la mondialisation ?, in J.-

Y. Chérot et B. Frydman (dir.), La science du droit dans la globalisation, Bruylant, 2012, p. 89. 1 L’expression « pluralisme juridique mondial » ou « Global Legal Pluralism » est régulièrement utilisée depuis

la fin des années 1990 par un auteur : F. Snyder, Governning Economic Globalisation Global Legal Pluralism

and European Law, Eur. Law Rev. 1999, p. 334 (pour une version en français : Droit et Société 2003/2, p. 435).

Elle connaît un beau succès, spécialement dans la littérature juridique en anglais. Voir, par exemple, : O. Perez,

Ecological Sensivity and Global Legal Pluralism : Rethinking the Trade and Environment Conflict, Hart, 2004 ;

P. S. Berman, Global Legal Pluralism, South. Calif. Law Rev. 2007, p. 1155 ; R. Michaels, Global Legal

Pluralism, Annual Review of Law & Social Science, 2009, p. 45. 2 Sur lequel, voir en particulier : C. Kessedjian et E. Loquin (dir.), La mondialisation du droit : Litec 2000 ;

Collectif, La mondialisation entre illusion et utopie, Archives de Philosophie du Droit : Dalloz, t. 47, 2003 ; J.-L.

Halpérin, Profils des mondialisations du droit : Dalloz, 2009 ; H. Ruiz Fabri et L. Gradoni (dir.), La circulation

des concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation : SLC,

2009. 3 La littérature est devenue considérable sur le sujet. Pour différentes approches du phénomène dans différentes

disciplines juridiques : G. Teubner (ed.), Global Law without a State, Dartmouth, Aldershot, 1997 ; J. Basedow

et T. Kono (ed.), Legal aspects of Glogalization : Kluwer Law International, 2000 ; J.-B. Auby, La globalisation,

le droit et l’État : Montchrestien, 2me éd., 2010 ; M. Faure et A. van de Walt, A Globalization and private law:

Edward Elgar, 2010 ; J.-Y. Chérot et B. Frydman (dir.), La science du droit dans la globalisation : Bruylant,

2012. 4 Les travaux sur l’émergence d’un droit transnational sont anciens (sur les discussions à propos du

développement de la lex mercatoria, voir infra, n° xxx). On mentionnera ici deux publications contemporaines

marquantes qui s’attachent à reconsidérer le phénomène en droit constitutionnel et en droit privé : Ch. Joerges,

I.-J. Sand, and G. Teubner (ed.), Transnational Governance and Constitutionalism : Hart, 2004 ; G.-P. Callies et

P. Zumbansen, Rough Consensus and Running Code - A theory of Transnational Private Law : Hart, 2012. 5 Le thème connaît un bel essor. Voir, en particulier : J.-M. Thouvenin et Ch. Tomuschat (dir.), Droit

international et diversité des cultures juridiques : Pedone, 2008 ; M. Forteau, J.-S. Bergé, M.-L. Niboyet, J.-M.

Thouvenin (dir.), La fragmentation du droit applicable aux relations internationales – Regards croisés des

internationalistes privatistes et publicistes : Pedone, 2011 ; M. Young (ed.), Regime Interaction in International

Law - Facing Fragmentation: Cambridge University Press, 2012 6 Sur le phénomène de régionalisation du droit induit par le développement du droit européen, voir notamment :

S. Poillot-Peruzzetto et L. Idot (dir.), Internormativité et réseaux d’autorités : l’ordre communautaire et les

nouvelles formes de relations entre les ordres juridiques : Petites Affiches 2004, n° 199 & 200 (numéros

spéciaux) ; V. W. Graf Vitzthum, C. Prieto et R. Mehdi (dir.) Europe et Mondialisation – Europa und die

Globalisierung : PUAM, 2006 ; S. Robin-Olivier et D. Fasquelle (dir.), Les échanges entre les droits,

l’expérience communautaire : une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation du droit :

Bruylant, 2008 ; M. Le Barbier-Le Bris (dir.), L’Union européenne et la gouvernance mondiale - Quel apport

avec quels acteurs ?, Bruylant, 2012. Sur les autres formes de régionalisation et leur impact sur le droit

international public, voir S. Doumbé-Billé (coord.), La régionalisation du droit international public, Bruylant,

2012.

19

internationale du travail, Organisation mondiale de la santé ou de la propriété intellectuelle,

Institut international pour l'unification du droit privé, Union européenne, Cour internationale

de justice, Cour permanente d’arbitrage, Centre international de règlement des différends liés

à l'investissement, Cour européenne des droits de l’homme, etc.) ou, plus exceptionnellement,

privée (organisations non gouvernementales comme la Chambre de commerce international

ou l’Human Rights Watch par exemple, multinationales, syndicats professionnels, etc.)1. Le

contexte national, qui connaît également des formes de pluralisme juridique, ne disparaît pas.

Mais il coexiste avec les méthodes et solutions juridiques définies dans le contexte

international et européen.

6. L’extension « pluralisme juridique mondial appliqué » est attachée, quant à elle, aux

cas, de plus en plus fréquents, où plusieurs droits élaborés dans un environnement national,

international ou européen sont susceptibles d’être appliqués ensemble à une situation

juridique donnée.

Le processus d’application du droit est particulier dans un contexte de pluralisme juridique

mondial. Le droit appliqué développe, dans la variété des situations juridiques mondiales, un

dynamisme qui lui est propre. Il ne peut résulter de la seule mise en œuvre d’une méthode ou

d’une solution juridique à un instant donné, dans un espace et à un niveau prédéterminés, par

un acteur dûment identifié. Il faut l’appréhender dans un mouvement. Pour une même

situation, plusieurs droits doivent être parfois mobilisés, alternativement, cumulativement,

dans un même temps ou à des moments différents, dans un seul ou plusieurs espaces ou

niveaux, par un acteur unique ou des acteurs multiples.

Le traitement de la question en amont : définition du droit, identification des systèmes

juridiques et de leurs rapports, résolution des conflits de droits et quête d’un droit

global

7. Pour appréhender la question de la mise œuvre du droit dans le contexte national,

international et européen, le juriste peut vouloir se placer en amont de cette application pour

essayer d’élaborer des constructions juridiques susceptibles de l’aider à faire face aux

1 Il n’est pas facile de quantifier de manière précise la part du pluralisme juridique mondial induit par le

comportement respectif des acteurs publics et des acteurs privés. L’entreprise n’est à vrai dire possible qu’à

travers l’étude de champs d’activité relativement bien délimités, autorisant ainsi une analyse de terrain. Dans cet

ouvrage, c’est moins le phénomène pluraliste qui sera étudié en tant que tel que sa perception par le juriste au

stade de l’application du droit (voir, sur ce traitement aval du pluralisme juridique mondial, nos explications,

infra, n° xxx). Or cette application est inséparable du jeu, à un moment donné ou à un autre, d’instruments de

source publique (étatique, interétatique, régionale), lesquels seront donc largement privilégiés dans cette étude.

20

difficultés soulevées par le pluralisme juridique mondial.

8. Disons-le d’emblée : pour légitime et recevable qu’elle soit, cette démarche n’est pas

celle qui préside à la réalisation de cet ouvrage1. Deux raisons principales ont guidé ce choix.

La première est propre au phénomène étudié. Le pluralisme juridique mondial appliqué, c’est-

à-dire, rappelons-le, le traitement par le juriste de situations, de plus en plus fréquentes, où

plusieurs droits élaborés dans un environnement national (français, étranger), international

(ONU, OMC, OMPI, OIT, OMS, CIJ, CPA, CIRDI, CCI, HRW, etc.) ou européen (UE,

CEDH) sont susceptibles d’être appliqués ensemble à un cas donné, s’est fortement développé

ces trente dernières années. Pour prendre la mesure de cette évolution, il suffit, par exemple,

de se représenter ce qu’était le travail d’un juriste français au lendemain des célèbres arrêts de

la Cour de cassation et du Conseil d’Etat « Jacques Vabre » et « Nicolo »2 et ce qu’il est

aujourd’hui devenu avec la prolifération des sources internationales et européennes du droit

susceptibles de s’appliquer et d’être invoquées sur le sol national.

Sans être radicalement nouveau3, le phénomène atteint incontestablement une ampleur

jusqu’alors inégalée. Avons-nous pris, nous juristes, la mesure de cette évolution ?

Connaissons-nous, si ce n’est l’ensemble, du moins les principales situations concrètes que

fait naître ce pluralisme juridique mondial appliqué ? Le sentiment qui était le nôtre, il y a

quatre ans (en 2009), en posant ce projet d’étude, était qu’en dehors de quelques spécialistes,

fins connaisseurs et précurseurs de ces sujets4, la communauté des juristes demeurait dans son

ensemble largement ignorante du phénomène. Les esprits évoluent. Mais il n’est pas certain

qu’une attention suffisamment grande ait été portée jusqu’à présent à la très forte variété des

situations de droit étatique ou a-étatique, de droit public ou de droit privé, de droit national,

international ou européen prenant part au phénomène de pluralisme juridique mondial

appliqué.

1 Pour un exposé de notre démarche « en aval », voir, dans cette Introduction, n° xxx et s.

2 Sur ces jurisprudences restées célèbres, voir infra nos développements, n° xxx. Sur l’extension (à géométrie

variable) du domaine d’applicabilité et d’invocabilité du droit national, international et européen, voir infra, n°

xxx. 3 Les historiens du droit ont beaucoup à nous apprendre sur les pratiques antérieures susceptibles d’alimenter une

réflexion contemporaine sur le pluralisme juridique mondial appliqué. Voir, à titre d’illustration, M. Bottin in Le

droit par-dessus les frontières- Il diritto sopra le frontiere, "Atti" delle Journées internationales d’Histoire du

droit de Turin, mai 2001, Napoli, Jovene, 2003. Sur la relation jus commune et le développement contemporain

du droit européen, voir R. Schulze, Un nouveau domaine de recherche en Allemagne : l’histoire du droit

européen, RHDFE, 1992, 29 ; J.-L. Halpérin, L’approche historique et la problématique du jus commune, RIDC,

2000, n°4, 717 ; R. C. Van Caenegem, Le droit européen entre passé et futur, Dalloz 2010 (présentation E.

Jeuland). 4 Voir en particulier, les travaux les plus anciens signalés en bibliographie sélective, en fin d’ouvrage, p. xxx.

21

Un travail d’explication s’impose comme un préalable indispensable à tout traitement en

amont du phénomène. C’est en tout cas l’hypothèse que nous formulons.

9. La seconde raison qui nous pousse à privilégier un « traitement aval » plutôt qu’un

« traitement amont » du pluralisme juridique mondial appliqué, tient au constat, qu’en dépit

des efforts considérables déployés par la pensée juridique pour faire face aux transformations

du monde dans lequel elle évolue, le pluralisme juridique mondial appliqué demeure, à ce

jour, rétif à toute explication de portée générale et abstraite. Même si les choses peuvent

changer à l’avenir, nous ne voyons pas et, pour tout dire, nous ne croyons pas à l’émergence

d’une analyse - une théorie par exemple - qui s’imposerait à l’ensemble des acteurs juridiques

mondiaux en leur permettant d’appréhender, par des méthodes et solutions préalablement

posées, en nombre sans doute limité, la variété des situations de pluralisme juridique mondial

appliqué.

Avant d’expliquer ce constat par la démarche que nous avons choisi de retenir1, il faut essayer

de l’asseoir, en rendant compte, même de manière succincte, des principales voies de

traitement « en amont » qui ont pu ou peuvent être envisagées. Quatre voies doivent, à ce

titre, être distinguées : la définition du droit, l’identification des systèmes juridiques et de

leurs rapports, la résolution des conflits de droits et, enfin, la quête d’un droit global. Nous

présenterons brièvement ces différentes voies en expliquant les raisons pour lesquelles nous

avons fait le choix de ne pas les emprunter comme point de départ à notre analyse.

10. La première voie - la définition le droit - n’est pas la plus à même de décrire un

processus d’application du droit. Si l’on s’en tient au positivisme normativiste, qui se propose,

en disant les choses simplement (et avec une pointe d’ironie), de définir le droit par le droit,

on peut même dire que c’est la plus mauvaise des voies à envisager. La définition du droit par

référence à des « normes » conduit, en effet, le juriste à renoncer, sauf cas particuliers, à faire

du processus d’application du droit un objet d’étude à part entière. Elle revient, en effet, à dire

que l’application du droit est inséparable de la définition du droit lui-même. Comme l’a écrit

le père de cette doctrine, « l’application du droit est en même temps création du droit (…) ces

deux notions ne représentent pas une antithèse absolue ; il n’est pas juste de distinguer et

opposer des actes créateurs de droit et des actes applicateurs de droit. Car, si l’on fait

abstraction des cas-limites entre lesquels se déroule le processus de création du droit - ces cas-

limites étant la supposition de la norme fondamentale, et l’exécution des actes de contrainte -,

1 Voir infra, cette Introduction, n° xxx.

22

tout acte juridique est à la fois application d’une norme supérieure et création, réglée par cette

norme, d’une norme inférieure »1.

D’autres approches théoriques du droit existent2, spécialement des conceptions pragmatiques

du droit sur lesquelles nous reviendrons3. Mais aucune ne s’est semble-t-il véritablement

imposée à ce jour comme faisant du temps et de l’espace dédiés spécifiquement à

l’application du droit, un champ d’étude distinct de l’opération de définition du droit. En

effet, l’application du droit est le plus souvent comprise comme un élément de la définition du

droit. La référence à « l’application du droit » est d’ailleurs généralement inexistante dans les

ouvrages (manuels, précis ou même traités) qui s’efforcent de définir le droit4. Si les auteurs

ne sont pas indifférents aux questions de mise œuvre, c’est pour aborder les outils

processuels, sanctionnateurs et, éventuellement, contractuels qui accompagnent le maniement

de la plupart des règles de droit. Quant à l’étude de la jurisprudence qui « applique » le droit,

cela fait bien longtemps qu’elle est considérée, à mots couverts ou à mots ouverts, comme une

source primordiale d’interprétation, inséparable de la définition du droit lui-même5.

11. Ramenée à l’hypothèse qui est la nôtre de l’étude d’un pluralisme juridique mondial

appliqué, la voie de la définition du droit conduit au mieux le juriste à faire la part entre les

phénomènes qui s’inscrivent dans une démarche juridique et ceux qui, au contraire, lui

seraient étrangers. Par exemple, l’emprunt par un juriste d’une méthode ou solution juridique

ayant cours dans un autre système juridique, parfois à un autre niveau d’application du droit

(national, international ou européen), peut nourrir des discussions sur la juridicité de cet

emprunt. Mais ces discussions sont souvent décevantes : que le juriste conclue, de manière

1 H. Kelsen, Théorie pure du droit (1934-1960), trad. française de la 2me éd. de la « Reine Rechtslehre » par Ch.

Eisenmann, éd. Dalloz, 1962, p. 315. 2 On renverra volontiers le lecteur aux ouvrages de présentation générale des grandes théories du droit. Voir,

notamment, en France : B. Oppetit, Philosophie du droit, Dalloz, 1999 ; M. Troper, La philosophie du droit,

PUF, 3me éd., 2003 ; E. Millard, Théorie générale du droit, Dalloz, 2006. 3 Voir, par exemple, en Europe, les travaux de la fameuse « Ecole de Bruxelles », sur laquelle (en liaison avec

d’autres courants de pensée juridique comme la libre recherche scientifique de François Geny ou, encore, le

mouvement réaliste américain) : B. Frydman, Perelman et les juristes de l’Ecole de Bruxelles, in B. Frydman et

M. Meyer (dir.), Chaïm Perelman - De la nouvelle rhétorique à la logique juridique, PUF 2012, p. 13. Sur la

perception du droit global par ceux qui portent aujourd’hui cette école, voir infra, n° xxx. 4 Il y a des exceptions. On signalera en particulier, l’ouvrage de J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Dalloz,

5ème éd., 2012, spéc. Titre 2 (« L’application du droit ») de la seconde partie (« La mise en œuvre du droit ») où

l’auteur dévoloppe quatre thèmes : l’interprétation, le raisonnement juridique, le mouvement dialectique

fait/droit et le juge et le procès. 5 Pour une présentation synthétique de l’évolution qu’a connue le statut de la jurisprudence dans différents

environnements juridiques et à différentes époques, voir, avec les références citées : Ph. Jestaz, Les sources du

droit, Dalloz, 2005, p. 47 et s. Sur les rapports dialectiques entre la loi et la jurisprudence, voir F. Zenati, La

jurisprudence, Dalloz, 1991.

23

plus ou moins assurée, au caractère juridique ou non juridique de cet emprunt, il n’est pas plus

renseigné, nous le verrons, sur la place occupée par cet emprunt dans une approche

dynamique d’application du droit par le juriste à une échelle potentiellement mondiale1.

12. Une deuxième voie s’attache à identifier les systèmes juridiques et les rapports qui se

nouent entre eux. Cette voie a été ouverte par Santi Romano2 dans un travail reçu, nous

l’avons déjà signalé, comme le berceau du pluralisme juridique. Rappelons brièvement que

l’auteur s’est donné pour ambition « de faire entrer dans le monde juridique ce fait de l’ordre

social que l’on tenait généralement pour antécédent au droit »3. Il propose une définition de

l’ordre juridique capable de dépasser le seul modèle étatique. Il définit un critère de

« relevance » permettant de conduire les rapports entre deux ordres juridiques distincts.

Un travail sur le pluralisme juridique mondial appliqué ne pourrait certainement pas être

mené aujourd’hui sans l’œuvre léguée par Santi Romano. L’existence d’une pluralité de

systèmes juridiques et les difficultés nées de la définition des rapports qui se nouent entre eux

sont, en effet, omniprésentes dans une recherche de ce type.

Pour autant, il n’est pas certain que cette réflexion menée autour de la définition de « l’ordre

juridique » nous permette aujourd’hui d’affronter l’ensemble des difficultés inhérentes à

l’application du droit dans le contexte national, international et européen. Qu’il soit possible

çà et là de reconsidérer les rapports entre des systèmes juridiques différents au départ de la

notion « d’ordre juridique » est une chose4. De là à en tirer un enseignement de portée

générale sur les rapports entre les systèmes dans le triple contexte national, international et

européen, en est une autre. Le « fait de l’ordre social » considéré par Santi Romano dans la

première moitié du 20ème siècle à travers le prisme de « l’institution » que l’auteur a

emprunté à Maurice Hauriou, ne correspond plus à notre environnement contemporain. La

multiplication des « institutions » publiques et privées de dimension nationale, internationale

et européenne, les manières extraordinairement diversifiées dont ces institutions interagissent

les unes sur les autres, dont les situations se déplacent des unes vers les autres, etc., justifient

1 Sur des discussions de ce type, à propos notamment de la place du droit national en droit international et

européen et sur l’emprunt extensif de solutions de droit international et européen dans le contexte national, voir

infra, n° xxx. 2 S. Romano, L’ordre juridique (1918-1945), trad. P. Gothot et L. François de la 2ème édition, éd. Sirey 1975,

rééd. Dalloz, 2002, préface P. Mayer. 3 Note à la deuxième édition, préc., p. 30.

4 Voir à propos des rapports entre les ordres juridiques étatiques et les systèmes de droit international uniforme

(exclusion étant faite du droit européen) et de leur incidence sur le jeu des conflits de lois, la thèse de D. Sindres,

La distinction des ordres et des systèmes juridiques dans les conflits de lois, LGDJ, 2008.

24

que le point de départ d’une étude qui se donne pour objectif d’expliciter le pluralisme

juridique mondial appliqué soit différent de celui considéré il y a près de cent ans. Or ce point

de départ ne saurait être la théorie d’une théorie, ni même une théorie tout court et encore

moins son application mécanique. Le seul point d’ancrage qui vaille pour ce travail, c’est

l’explicitation d’un phénomène, préalable à toute approche en amont.

13. La même justification peut être donnée au refus qui est le nôtre d’inscrire cette

recherche sous le sceau d’un monisme, dualisme ou pluralisme affiché. On a parfaitement

montré qu’une analyse des rapports entre les systèmes, obnubilée par des lectures dualistes et

monistes1, fortement relativisées aujourd’hui

2, est proprement incapable de rendre compte

d’une approche pluraliste des systèmes juridiques3. La variété des situations fait, qu’aucune

lecture - moniste, dualiste (ou même pluraliste) - des rapports de systèmes ne s’impose

définitivement sur les autres. Le fait est, nous l’observerons tout au long de ce travail, que les

situations que l’on rencontre aujourd’hui (c’était sans doute déjà vrai hier) ne peuvent être

immuablement réduites à l’une ou l’autre de ces figures algébriques. Selon le contexte dans

lequel elles évoluent, selon le résultat recherché par le juriste, l’approche peut basculer d’un

état à un autre. Plutôt que de partir de l’une ou l’autre de ces théories, il faut considérer ces

situations et rechercher dans quelle mesure ces dernières sont animées par des mécanismes

sous-jacents dont nous n’aurions pas encore pleinement pris conscience.

14. La troisième voie est celle de la résolution des conflits de droits. L’expression

« conflits de droits » désigne, dans le champ de cette étude, les hypothèses de conflit entre les

droits de dimension nationale, internationale et européenne. Il peut s’agir de droits objectifs

(le droit français qui entre en conflit avec le droit international et le droit européen, etc.) ou

même parfois de droits subjectifs définis dans ces différents contextes (par exemple, la

confrontation d’un droit de grève défini notamment par un droit national et d’une liberté

économique de circulation ou de concurrence posée par le droit européen ou international).

1 Pour une présentation synthétique des différentes thèses dualistes et monistes, voir par exemple, A.

Berramdane, La hiérarchie des droits – Droits internes et droits européen et international, L’Harmattan, 2002,

spéc. p. 17 et s. 2 M. Virally, "Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes", Mélanges Rolin,

Pedone 1964, 488 ; voir plus récemment, à titre d’exemple, militant en faveur une lecture irréductiblement

dualiste du système juridique français présenté généralement comme moniste : A. Pellet, Vous avez dit

« monisme » ? Quelques banalités de bon sens sur l’impossibilité du prétendu monisme constitutionnel à la

française, publié in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Economica, 2006, 827 ;

M. Troper, Le pouvoir constituant et le droit international, Recueil des cours de l’Académie de droit

constitutionnel, 2007, vol. XVI, 357. 3 Voir sur ce point, la démonstration de D. Boden, Le pluralisme juridique en droit international privé, Arch. de

Philo du droit 2006, t. 49, Le pluralisme, préc., p. 275.

25

Dans un environnement de pluralisme juridique mondial appliqué, la figure du conflit peut

sembler omniprésente. L’application du droit dans un triple contexte national, international et

européen fait naître toutes sortes de contradictions formelles ou matérielles entre les normes

que le juriste peut souhaiter catégoriser (par exemple, en distinguant, comme on l’a fait à

l’origine outre-Atlantique, les vrais des faux conflits1) pour essayer de dégager des solutions à

chacun des conflits. Nous savons également que la figure du conflit sert véritablement de

matrice à certaines matières ou grandes questions juridiques (le droit des « conflits de

conventions », le droit des « conflits de lois » ou de « juridictions » et, au-delà, le droit des

« conflits de normes »2).

Sans même chercher d’emblée à minimiser les phénomènes de conflit que le juriste a souvent

tendance à exagérer3, le fait est qu’il n’existe pas au jour d’aujourd’hui « un droit » des

conflits de normes organisé, qui peut être déployé en toutes matières comme il existe, par

exemple, pour les situations privées internationales, un droit des conflits de lois (droit

international privé) ou, pour les situations de droit international public, un droit des conflits de

conventions. Dans un environnement de pluralisme juridique mondial, le juriste ne dispose

pas d’une seule boîte à outils pour résoudre des conflits entre le droit national, international et

européen. Il est obligé de décliner les différents conflits en distinguant les situations selon

qu’elles relèvent d’un environnement national, international ou même européen d’application

du droit. Chacun de ces contextes livre, en effet, des méthodes et solutions juridiques

permettant d’arbitrer l’application éventuellement concurrente de ces différents droits4.

1 Le premier auteur à avoir, semble-t-il, rendu compte de cette distinction d’origine américaine en France est B.

Audit dans sa thèse (La fraude à la loi, Dalloz, 1974). De nombreux travaux sont aujourd’hui consacrés à cette

doctrine américaine. Voir en particulier, avec les nombreuses références étrangères citées : D. Bureau et H. Muir

Watt, Droit international privé, 2me éd., PUF, T. 1, n° 358. 2 Pour une présentation systématique des différentes hypothèses de conflits autour de la figure générale « du

droit des conflits de normes », voir P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, 2011, pp. 265-335. 3 Voir en prolongement sur ce thème, nos développements infra, n° xxx. Observons, tout de même, que certaines

hypothèses de conflit appellent des constructions inversement proportionnelles aux occurrences de conflit que le

juriste est pratiquement amené à résoudre. Par exemple, la figure du conflit entre la norme constitutionnelle

nationale et le droit international ou européen ou entre le droit international et le droit européen est à l’origine

d’une littérature fleuve alors que nombreuses sont les voies qui permettent de poser la relation entre ces

différents droits autrement qu’en ces termes. Parfois le juriste va plus loin. Il fantasme des situations de conflit.

Par exemple, l’idée aussi répandue que fausse est régulièrement avancée (au départ de trois ou quatre décisions

de justice, toujours les mêmes) que le droit européen se serait construit sur les bases d’une mise en concurrence

ouverte des droits nationaux des Etats membres. Pour une réfutation de cette idée en considération des théories

économiques de la « regulatory competition », d’une part, et des ressorts de la construction européenne, d’autre

part, voir notre étude avec S. Harnay (économiste), Les analyses économiques de la concurrence juridique : un

outil pour la modélisation du droit européen ?, RIDE 2011, 165). 4 Pour le traitement cloisonné des différentes situations dans le contexte national, international ou européen, voir

infra, Partie 3, Chapitre 1.

26

15. Face à cette situation, la tentation peut être grande de décloisonner « par le haut » les

spécialités juridiques. Si l’on s’en tient à la démarche suivie par des juristes privatistes1, on

observe ainsi une tendance déjà ancienne consistant à utiliser et enrichir le prisme du conflit

de conventions internationales comme outil de résolution des conflits de traités et accords

internationaux susceptibles de naître à l’occasion de situations de droit privé international2.

Aux critères classiques de résolution de ces conflits (lex posterior, lex specialis, res inter alios

pacta), ont été ajoutés, par exemple, la théorie de l'efficacité maximale3, le respect des valeurs

ou, plus exactement, de certaines valeurs supposées avoir l'ascendant sur d'autres4, le recours à

la volonté des parties au litige5 ou encore, le jeu d’un principe général du droit d'harmonie

matérielle des solutions6.

16. Des travaux plus récents s’inscrivent dans cette dynamique au départ des outils du

droit international privé. Des expressions et mécanismes du droit des conflits de lois (lato

sensu) sont employés pour décrire des processus d’application du droit, non pas seulement de

source étatique et de niveau national, mais également a-étatique, international et,

éventuellement, européen7. Ces différentes initiatives ambitionnent, à des degrés divers, de

résoudre des conflits de droits qui se développent dans un contexte national, international et

européen par l’énoncé, en amont, de règles de conflit d’un genre renouvelé en s’appuyant sur

les innombrables ressources du droit international privé. Des règles de ce type seraient

notamment amenées à se développer dans toutes les situations qui impliquent un

1 Des juristes publicistes se tournent également vers des techniques de droit privé si ce n’est de résolution des

conflits de normes, du moins d’appréhension de ces conflits. Par exemple, les expressions forum shopping ou

law shopping occupent une place grandissante dans les travaux de droit international public alors

qu’historiquement, c’est chez les privatistes internationalistes qu’elles ont fait florès. Voir, à ce titre, les

réflexions croisées proposées in M. Forteau, J.-S. Bergé, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin (dir.), La

fragmentation du droit applicable aux relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes

et publicistes : Pedone, 2011. 2 Sur les rapports de conflit entre les sources conventionnelles, voir le travail accompli par F. Majoros, Le droit

des conflits de conventions, Pedone, 1980. Voir, plus récemment : C. Brière, Les conflits de conventions

internationales en droit privé, LGDJ 2001 ; D. Bureau, Les conflits de conventions, Travaux du Comité français

de droit international privé, Pedone 2001, p. 201 ; L. Gannagé, La hiérarchie des normes et les méthodes du droit

international privé (Étude de droit international privé de la famille)", LGDJ 2001.

3 F. Majoros, préc.

4 D. Bureau, préc. et C. Brière, préc.

5 C. Brière, préc.

6 L. Gannagé, préc. 7 On peut, à ce titre, signaler deux initiatives marquantes : un cours à l’Académie de droit international de La

Haye (W. van Gerven, Plaidoirie pour une nouvelle branche du droit : le « droit des conflits d’ordres juridiques »

dans le prolongement du « droit des conflits de règles », RCADI 2011, T. 350, p. 11) et un programme de travail

collectif (dir. H. Muir Watt et D. F. Arroyo, Private International Law as Global Governance, Sciences Po,

Paris : http://blogs.sciences-po.fr/pilagg/).

27

chevauchement des constructions de droit international public, de droit international privé et

de droit européen. Ce type de chevauchement tient au fait que les trois matières juridiques

n’ont pas de périmètres véritablement propres. En effet, le droit international public et le droit

européen se définissent principalement par l’origine de leurs règles alors que le droit

international privé se construit par référence aux situations de droit privé international

auxquelles il s’applique. Il est donc parfaitement envisageable qu’une règle de droit

international public (un traité international) ou de droit européen (un texte de droit dérivé)

s’applique dans une situation de droit privé international, concurremment à un ou plusieurs

droits nationaux. Des règles de conflit de droits sont également envisagées à propos du droit

transnational qui se développe dans certains domaines où les sujets privés de droit s’efforcent

d’organiser leurs relations sans recourir à des mécanismes d’origine étatique.

Ce type de travaux poursuit, nous semble-t-il, divers objectifs. Un premier objectif consiste,

pour des spécialistes d’une discipline juridique, à reconsidérer les fondamentaux de leur

matière compte tenu, disons-le rapidement, des évolutions du monde. C’est l’effort déployé,

par exemple, par une doctrine de droit international privé qui considère que les solutions

construites sur le postulat d’une équivalence des lois et juridictions nationales, c’est-à-dire

d’une totale substituabilité des ordres juridiques nationaux censés appréhender de manière

complète et cohérente l’ensemble des situations de droit privé, ne tient plus aujourd’hui du

fait du développement du droit international, régional et transnational1. Un autre objectif,

autrement plus ambitieux, consiste à imaginer que les concepts développés au départ d’une

discipline, en l’occurrence le droit international privé, sont de nature à appréhender les

questions de gouvernance mondiale ou globale2.

17. Aucun de ces deux objectifs ne sera repris dans notre travail. Outre le fait, déjà

signalé, que nous ne croyons guère à l’émergence d’une science juridique globale, capable de

s’imposer, à l’image de l’économie, aux acteurs du monde entier3, une analyse en termes de

« pluralisme juridique » ne peut, sauf à détruire les bases sur lesquelles elle repose, se traduire

1 Sur la présentation des postulats classiques du droit international privé, voir, par exemple, M.-L. Niboyet et G.

de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, 3ème éd. 2001, n° 7. 2 Pour un plaidoyer en faveur d’une reconsidération du droit international privé comme outil de gouvernance

globale, H. Muir Watt, Private International Law Beyond the Schism, Transnational Legal Theory (2011) 2(3),

347. 3 Si l’on adhère, au moins partiellement, à l’idée selon laquelle les juristes construisent « leur propre monde »

(voir sur ce thème la préface de M.-A. Hermitte et P. Napoli au premier ouvrage d’anthologie des écrits du

romaniste Yan Thomas, Les opérations du droit, éd. EHESS, Gallimard, Seuil, 2011), on se gardera de penser

que les juristes sont plus légitimes que d’autres à « faire le monde ».

28

par la domination d’une discipline juridique sur les autres.

Or c’est bien de cela qu’il s’agit. L’appréhension d’une situation à un niveau national - ce qui

est le propre, historiquement, du droit international privé : des lois nationales et des juges

nationaux - n’a rien de commun avec l’appréhension d’une situation dans un contexte de droit

véritablement international, de droit européen ou a fortiori de droit transnational. Les juristes

qui travaillent dans ces différents contextes n’ont pas été formés aux mêmes écoles. Ils

n’utilisent pas les mêmes outils institutionnels et matériels. Ils ne répondent tout simplement

pas aux mêmes questions juridiques. Le constat vaut pour toute une série de sujets qui seront

abordés dans l’ouvrage (par exemple : l’attribution d’une nationalité à un individu, la

reconnaissance d’une immunité de juridiction ou d’exécution à un Etat, la réalisation d’un

droit subjectif, le jeu d’une règle d’ordre public, etc.). Il est également pertinent sur le terrain

de la recherche du droit applicable dans l’espace1.

C’est pourquoi, nous ne pouvons adopter comme postulat, le cadre méthodologique d’une

spécialité - aussi noble et aussi riche qu’elle soit - au détriment de toutes les autres. Dans un

environnement pluraliste, le juriste doit essayer d’apprendre à penser les questions de manière

plurielle en rendant compte, autant que possible, des différentes rationalités en présence.

18. Quoi qu’il advienne du développement futur « d’un droit des conflits de Droits », une

dernière observation devrait achever de nous convaincre que la résolution de ces conflits n’est

pas de nature à régler, en amont, toutes les difficultés inhérentes au pluralisme juridique

mondial appliqué.

1 Voir, par exemple, le traitement comparé en droit international public et en droit international privé de la

question du droit applicable proposé par l’internationaliste publiciste M. Forteau qui montre que les

questionnements ne peuvent être placés à un même niveau (Forum shopping et fragmentation du droit applicable

aux relations internationales - Le regard de l’internationaliste publiciste, in La fragmentation du droit applicable

aux relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes, préc., spéc. p. 148

et s). On peut développer le même type d’analyse en droit européen. Combien de fois des arrêts de la Cour de

justice de l’Union européenne, ne statuant pas sur une question de droit international privé, ont été lus comme

emportant un enseignement de droit international privé (voir, par exemple, l’arrêt « Centros » (CJCE 9 mars

1999, aff. C-212/97) compris, à de multiples reprises, comme interdisant aux Etats membres de recourir

dorénavant en droit des sociétés au critère du siège réel, lecture qui a été contredite par la jurisprudence

ultérieure : CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, aff. C-210/06) alors que si le droit international privé permet de

manier avec une grande dextérité la distinction « national » / « étranger », il a les plus grandes difficultés à

intégrer une dimension « européenne » à ses constructions (voir sur ce thème, notre échange avec E. Pataut : La

distinction national, étranger et européen, Chronique du CEJEC, LPA 2008, n° 221, 5 et s.) ? On assiste ainsi

parfois à une véritable « extrapolation » du droit européen, qui, si elle trouve une résonance en droit international

privé, n’en n’a aucune en droit européen. C’est donc qu’il faut dissocier les raisonnements, selon que l’on se

place sur un terrain ou sur un autre, en évitant de confondre un droit et le discours qu’on peut tenir sur lui au

départ d’un autre droit. Sur cette figure rhétorique de l’extrapolation, voir infra, n° xxx).

29

Nous l’avons déjà indiqué à plusieurs reprises dans cette introduction : le propre de ce

pluralisme est de désigner les hypothèses où plusieurs Droits de dimension nationale,

internationale et européenne s’appliquent à une situation donnée. Ces hypothèses excluent

nécessairement les cas où une règle de conflit (conflits de lois, conflits de conventions, etc.)

est intervenue en amont pour désigner un seul et unique Droit applicable. Ces cas existent fort

heureusement. Le juriste ne baigne pas dans un état de pluralisme permanent. Mais ces cas

sortent de notre champ d’étude. Par définition, nous nous intéressons aux seules hypothèses

où plusieurs Droits, évoluant dans des contextes différents - national, international et

européen -, s’appliquent à une situation donnée.

Or la diversité des situations et des exemples qui seront envisagés dans cet ouvrage montre

que la résolution en amont des soi-disant « conflits de Droits » ne peut pas être la seule, ni

même la principale préoccupation du juriste. Ce qui pêche, ce n’est pas l’absence de « règle

de conflit », mais l’absence de « véritable conflit » entre des Droits de dimension nationale,

internationale et européenne qui, le plus souvent, n’entretiennent pas entre eux des rapports de

stricte substituabilité1. Ils s’appliquent ensemble à un cas donné car bien souvent ils ne

portent pas exactement sur le même objet2. Le juriste doit apprendre à maîtriser ces situations

en abandonnant l’illusion qu’il peut les traiter en amont par l’élection d’un seul Droit

applicable. Il doit abandonner le prisme du conflit à résoudre, compris comme le préalable

indispensable à toute analyse.

19. La quatrième voie que le juriste peut être tenté d’emprunter pour appréhender la

question de l’application du droit dans le contexte national, international ou européen par une

construction en amont est la quête d’un droit global ou d’une gouvernance globale. Elle n’est

pas très différente des trois premières voies qui ont été envisagées. Mais elle s’inscrit dans un

courant dominant : celui emprunté notamment par une myriade de programmes de recherche

nationaux, internationaux et européens qui dépassent le petit monde des juristes mais

auxquels ces derniers ont pris part, à juste titre3.

La quête d’un droit global est devenue progressivement, ces dernières années, le nouveau

graal d’une expertise juridique mondiale qui souffre, incontestablement, du même phénomène

1 Sur cet état d’incomplétude des systèmes juridiques dans leur aptitude à s’appliquer à des situations juridiques,

voir infra, n° xxx. 2 Sur cette altérité des droits en présence, voir infra, n° xxx.

3 A titre d’illustrations, on consultera, par exemple, les programmes français ANR (http://www.agence-

nationale-recherche.fr/) et européens ERC (http://erc.europa.eu/) proposés sur ces thématiques.

30

de massification et de standardisation que celui que l’on peut observer dans d’autres domaines

de l’activité humaine. L’essentiel de la réflexion est aujourd’hui mené principalement en une

langue1 et pour permettre aux analystes de se distinguer les uns des autres, le vocabulaire

prolifère dans un état d’abstraction toujours plus grand2.

20. Par manque de visibilité, il nous est proprement impossible de rendre compte de ce qui

ressemble fort au développement d’une pensée « post-moderne » (ou « post-post-moderne »,

selon l’idée que l’on se fait de son état d’évolution). On se contentera donc de dire très

simplement, au départ de trois travaux précurseurs, quoique relativement récents, que notre

étude n’a aucunement l’ambition de prendre part à la définition d’un droit global.

La quête d’un droit global peut être, tout d’abord, tournée vers la figure d’un « droit construit

sans l’Etat » et qui ambitionne de répondre à des problématiques planétaires (environnement,

finance, énergie, responsabilité sociale, etc.)3. Elle peut également emprunter la voie d’une

approche dialectique du droit, celle d’un « droit en réseau », mettant en relation une multitude

de cercles de production du droit, approche qui entend dépasser, sans l’exclure véritablement,

la figure d’un droit monolithique, construit sur mode pyramidal4. Elle peut, enfin, se donner

pour objectif de rassembler sous un même label, celui d’un « pluralisme ordonné »,

l’ensemble des tensions qui caractérisent une dynamique contemporaine de fabrication du

droit par tous les acteurs : organisations internationales, régionales, Etats, entités privées5.

Aucune de ces démarches ne sera suivie dans ce travail parce que notre but, encore une fois,

1 Le recours systématique à l’anglais conduit les auteurs, y compris ceux de langue maternelle autre, à ne plus se

référer qu’aux écrits rédigés dans cette langue. Les mêmes références alimentent ainsi en boucle une doctrine

juridique qui s’appauvrit au fur et à mesure qu’elle s’élève dans des cercles de plus en plus étroits. Même avec la

meilleure volonté du monde, il est très difficile de lutter contre ce phénomène, d’autant qu’il ne faudrait

privilégier théoriquement aucune langue, ni l’anglais, ni sa langue maternelle, objectif difficile à réaliser en

« toutes langues » chaque fois que le sujet traité est de dimension vaste. 2 Pour une dénonciation du phénomène de prolifération du vocabulaire à propos des interactions « droit

international et droit européen », voir notre chronique : Les mots de l’interaction : compétence, applicabilité et

invocabilité (à propos de CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10 - CJUE, 15 mars 2012, SCF, aff. C-135/10 -

CE, 11 avril 2012, GISTI, req. n° 322326), in « Interactions du droit international et européen », JDI 2012, 1005.

Ce phénomène est particulièrement visible dans les études qui se donnent pour ambition de redécouvrir une

réalité au départ d’un mot « nouveau ». Il faut, en effet, se méfier de ces réflexions en forme de « sur-couches »,

portées par un vocabulaire toujours plus sophistiqué et qui éloignent progressivement les analystes de l’objet

initialement étudié. 3 Voir, toujours cité, G. Teubner, The Two Faces of Janus: Rethinking Legal Pluralism, 1992 (13), Cardozo Law

Review, 1443 ; comp. du même auteur, Global Bukowina : Legal Pluralism in the World Society, in Global Law

without a State, Dartmouth, Aldershot, 1997, p. 3. 4 F. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit : Bruxelles,

2002. 5 M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit, T2. Le pluralisme ordonné, éd. Seuil, 2006 (traduit en

anglais par N. Norberg : Ordering Pluralism : A Conceptual Framework for Understanding the Transnational

Legal World, Hart, 2009).

31

n’est pas de proposer une explication globale du droit. Ce qui est à notre portée, c’est le

travail du juriste compris, au premier niveau, comme l’appréhension concrète des situations

juridiques.

Le traitement de la question en aval : explicitation du travail du juriste confronté à

l’application du droit dans différents contextes national, international et européen

21. Plutôt que de considérer en amont de la mise en œuvre du droit dans différents

contextes national, international ou européen, la construction de méthodes et solutions à

même d’appréhender le pluralisme juridique mondial, il est possible de changer de

perspective. Pour ce faire, il faut s’atteler, en aval de ces méthodes et solutions, à la résolution

des nombreuses difficultés auxquelles le juriste est confronté quand il lui revient d’en faire

application.

Ce changement de perspective présente des points communs avec le travail actuellement

réalisé par un centre de recherches1 et qui préconise une approche pragmatique du droit

global2. En partant, notamment, de l’observation de nouveaux objets du droit (des « objets

juridiques non identifiés » (OJNI), comme par exemple, le contentieux transnational des

droits de l’homme, la corégulation de l’Internet ou encore la responsabilité sociale des

entreprises), ses artisans cherchent à échapper aux définitions préalables du type de celles qui

commandent une approche « en amont », pour mieux redessiner les contours d’un droit qui se

forme hors des cadres théoriques existants.

22. Mais notre démarche n’en est pas moins différente et spécifique. Elle traduit un

déplacement de l’objet d’étude. Nous nous proposons, en effet, d’examiner, non de nouvelles

façons de définir le droit mais bien les manières dont le juriste travaille quand il fait

application du droit dans des contextes national, international et européen potentiellement

différents. Comment cette pluralité de contextes agit-elle sur le maniement des méthodes et

solutions juridiques ?

1 Centre Perelman de Philosophie du droit (Universtité Libre de Bruxelles). Sur « l’Ecole de Bruxelles » dont se

recommande ce centre, voir supra, n° xxx. 2 Pour une présentation et une justification de cette démarche, voir B. Frydman, Comment penser le droit

global ?, in J.-Y. Chérot et B. Frydman (dir.), La science du droit dans la globalisation : Bruylant, 2012, p. 17.

Voir également, du même auteur, Les théories pragmatiques du droit global, in Les théories du droit global, à

paraître.

32

Ce juriste, on peut en avoir toutes sortes de représentations. On peut se limiter à la figure du

juge, maître de l’interprétation du droit1, ou réfléchir à l’existence de la doctrine, chantre d’un

droit savant2, ou, encore, distinguer, par exemple, la famille des juristes de France

3, la

communauté des juristes travaillant au sein d’une institution européenne4 ou, encore, ces

juristes qui évoluent dans des structures à vocation mondiale5.

Toutes ces acceptions sont recevables. Ce qui compte, c’est la pratique du droit par le juriste,

c’est-à-dire, sa recherche d’un résultat. Que le juriste travaille de manière indépendante (un

avocat, un consultant, un magistrat, un notaire, un universitaire) ou sous l’autorité d’une

institution publique (administration) et la subordination d’un organisme privé (organisation

non gouvernementale, entreprise, syndicat, association), il est le plus souvent (pour ne pas

dire toujours) guidé, en effet, par la recherche d’une finalité : la formulation d’une règle,

d’une décision, d’une argumentation, d’une analyse et même d’une théorie (fût-elle la plus

« pure » ou la plus objective), etc.

23. Cette recherche permanente de résultat par le juriste est largement conditionnée par le

contexte - national, international ou européen - dans lequel il est conduit à appliquer le droit.

L’expression « contexte national, international et européen » désigne l’environnement

juridique dans lequel le juriste s’efforce de traiter d’un cas.

Cet environnement peut être essentiellement imprégné de droit national. C’est le lot de la

grande majorité des juristes qui travaillent dans un cadre purement interne. Mais c’est

également le sort du juriste internationaliste privatiste quand il applique une loi nationale ou

saisit un juge étatique désigné par une règle de rattachement. Ce droit interne qui est appliqué

par le juriste n’est pas seulement fait de droit dur (hard law), délibéré, bref de « lois » au sens

légaliste du terme. On peut y trouver également la trace d’un droit révélé, d’un droit spontané

ou d’un droit mou (soft law), par exemple6.

1 Sur la valorisation du rôle du juge par les théories de l’interprétation, spécialement (souvent exclusivement, ce

qui limite considérablement le champ d’investigation) quand ce juge occupe les fonctions d’un juge suprême ou

supérieur : voir, notamment, La théorie de l’interprétation, Revue française de droit constitutionnel, 2002, n° 50. 2 Ph. Jestaz, Ch. Jamin, La doctrine, Dalloz, 2004.

3 J. Moret-Bailly et D. Truchet, Déontologie des juristes, PUF, 2010.

4 J.-P. Jacqué, Les juristes de l’Union -Aperçu sociologique, JCP G 2011, I 1297.

5 Ch. Jamin (prés.), « Table-ronde sur les cabinets d’avocats à vocation mondiale : quelles stratégies pour demain

? », CDEnt. 2011, n° 5, 9. 6 Pour une présentation systèmatique et synthétique des différents sens du mot droit : Ph. Jestaz, Le droit, Dalloz,

7ème éd. 2012.

33

Le contexte international vise l’application par le juriste de méthodes et solutions juridiques

de dimension internationale. C’est le lot des juristes internationalistes, publicistes ou

privatistes, quand ils mettent en œuvre des mécanismes juridiques adaptés à des situations

internationales1. Ces mécanismes peuvent avoir une dimension formelle internationale (un

traité international, une coutume internationale, une procédure devant une juridiction

internationale). Ils peuvent être également de dimension matérielle internationale (par

exemple, une règle nationale destinée à s’appliquer spécifiquement à des situations

internationales : règle de conflits de lois ou de juridictions, règle matérielle substantiellement

internationale comme, par exemple, une règle française d’ordre public international, etc.). Ce

droit international appliqué a parfois une dimension transnationale. Il n’est pas le fruit du

travail des Etats mais résulte de la pratique des opérateurs non étatiques pour régir des

situations spécifiques.

Le contexte européen désigne l’application par le juriste d’un droit qui est élaboré dans un

environnement juridique de dimension européenne. Deux grandes organisations européennes

entendent ainsi fabriquer du droit : l’Union européenne et le Conseil de l’Europe (avec, au

sein de cette deuxième organisation, une place tout à fait particulière occupée par la

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et

son juge, la CEDH). Le juriste européaniste qui fait une application quotidienne du droit

européen (lequel peut revêtir également toutes les formes du droit signalées plus haut) est

ainsi amené à s’immerger dans les ressorts d’un droit qui s’est souvent affirmé par son

originalité (relative) par rapport aux constructions définies dans le contexte national et

international2.

24. Ces trois contextes ne sont évidemment pas cloisonnés et le juriste peut, par une

simple manipulation de l’esprit, passer d’un contexte à un autre, certains acteurs occupant

d’ailleurs des positions parfaitement ambivalentes3. Mais ils existent en propre. Ils ont chacun

1 Sur ce thème, voir notamment, S. Poillot-Peruzzetto et J.-P. Marty (dir.), L’internationalité, bilan et

perspectives, Revue Lamy, Supplément n° 46, fév. 2002. Comp. la notion voisine, mais différente, d’extranéité :

E. Wyler et A. Papaux (dir.), L’extranéité ou le dépassement de l’ordre juridique étatique, Pedone, 1999. 2 Pour de plus amples développements sur ce thème, voir, avec les références citées, notre étude : La part

d’originalité du droit communautaire, in Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire (dir. S.

Robin-Olivier et D. Fasquelle), éd. Bruylant, 2008, p. 159. 3 C’est le cas du juriste national, chaque fois qu’il doit appréhender une situation privée dans sa dimension

internationale. C’est le cas également, par exemple, du juge national quand il se présente comme le juge

européen de droit commun (pour une présentation de la question et les enjeux de ce dédoublement, voir J.-S.

Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen - Union européenne et Conseil de l’Europe, PUF, 2me éd., 2011, n°

526 et s.). C’est le cas du juge européen (CJUE) chargé d’appliquer au terme d’une clause compromissoire un

34

leur langage juridique, leur rationalité, leurs outils institutionnels et matériels.

Or le pluralisme juridique mondial appliqué permet justement de poser la question de la

manière dont le juriste peut être amené à penser l’application du droit, non pas seulement dans

le contexte qui forme son cadre habituel de travail, mais dans les autres contextes. Quels sont

les outils de travail du juriste quand il s’interroge sur l’application du droit dans un autre

environnement juridique que le sien ?

25. Pour distinguer ces trois contextes national, international et européen, il est utile

parfois de parler de « niveau d’application du droit ». Cette expression n’a pas de valeur

théorique forte. Elle n’a pas vocation, notamment, à désigner un ordonnancement juridique

global où un niveau d’application du droit serait placé de manière immuable et définitive sous

l’autorité d’un autre. Mais elle est parfois éclairante. Elle permet, en effet, de représenter les

hypothèses où un cas est susceptible d’être appréhendé successivement à des étages - national,

international ou européen - différents du droit.

Cette superposition des niveaux (auxquels on peut en ajouter d’autres : local, régional, fédéré,

fédéral, inter-régional, inter-planétaire1, etc.) rend compte des différences qui peuvent

caractériser la manière dont le droit est appliqué dans des contextes distincts. Les méthodes et

solutions juridiques mises en œuvre à un niveau national pour appréhender les situations

juridiques ne sont pas les mêmes que celles mises en œuvre au niveau international ou

européen. Peu importe qu’une même règle juridique tirée du droit national (une loi interne),

international (un traité international) ou européen (un texte de droit européen dérivé) trouve

parfois à s’appliquer à ces différents niveaux. Ce qui importe c’est l’environnement juridique

dans lequel cette application est considérée par le juriste. S’il y en a plusieurs, le juriste doit

se montrer capable de renouveler son analyse chaque fois qu’il évolue dans un nouvel

environnement.

Le choix d’une méthode élémentaire en trois étapes : comparer, combiner, hiérarchiser

l’application du droit dans le contexte national, international et européen

26. Notre juriste, celui que nous avons présenté au début de cette introduction2, est décidé

droit national à un contrat conclu par l’UE (art. 272 TFUE ; sur l’ambivalence du juge CIRDI à la fois juge

interne et juge international : M. Forteau, Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne,

juge international, ou l’un et l’autre à la fois ?, Mélanges J.-P. Cot, Bruylant 2009, spéc. p. 101). 1 Sur lequel, par exemple : Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (ONU

- 1979). 2 Voir supra, n° 1.

35

à inscrire sa démarche d’application du droit en considération d’une pluralité de contextes :

national, international et européen. Par où doit-il commencer ? Quelle(s) étapes(s) doit-il

franchir pour aboutir au point ultime de son analyse ?

Pour répondre de manière générale à cette question, et avant de s’attacher au traitement de cas

particuliers, il n’est pas nécessaire de construire un cheminement tortueux. Au contraire, notre

juriste aura suffisamment à faire, nous le verrons, avec la complexité des situations qu’il aura

à résoudre, sans qu’il soit besoin d’en ajouter sur le terrain de la méthode.

Aussi, notre juriste est-il décidé à adopter la méthode la plus élémentaire. Pour cela, il se

représente l’image d’un enfant de 4 ans qui contemple, devant lui, les cubes disposés sur le

sol (comparaison), qui s’efforce de les empiler par deux, par trois, etc., au gré notamment de

leurs couleurs et de leurs tailles (combinaison) et qui, à tout moment, peut décider de se saisir

d’un seul cube en écartant tous les autres (hiérarchisation).

Notre juriste se propose alors de comparer l’application du droit dans les différents contextes

(comparaison), de combiner éventuellement (ce n’est pas systématique) ces applications,

notamment si elles lui permettent d’atteindre un résultat différent de celui obtenu dans chacun

des contextes (combinaison), sachant qu’il a potentiellement la possibilité de se replier, à un

moment ou un autre, sur une application du droit dans un contexte donné, plutôt qu’un autre

(hiérarchisation).

27. Considérée de manière générale, la comparaison est ainsi la première étape que le

juriste doit parvenir à franchir pour tenter d’appliquer le droit dans le contexte national,

international et européen. Cantonné généralement à la seule étude des droits nationaux et à un

exercice de pure connaissance, le « droit comparé » mérite de recevoir une signification plus

large dans la perspective d’un pluralisme juridique mondial appliqué. La comparaison du

droit national, international et européen implique, en effet, une potentielle mise à plat de

l’ensemble des méthodes et solutions susceptibles d’être sollicitées au stade du traitement

d’un cas ou d’une situation juridique. Elle commande une recherche sur la manière dont le

droit peut être appliqué dans un environnement national, international ou européen. Cette

recherche est un préalable. Elle permet, en effet, au juriste de prendre la mesure des

ressemblances et différences caractérisant l’application du droit dans des contextes aussi bien

nationaux, internationaux qu’européens.

L’étape de combinaison du droit national, international et européen est, quant à elle, celle où

le juriste s’efforce d’assembler les méthodes et solutions identifiées au terme d’un travail de

36

comparaison, en vue de construire son raisonnement juridique. Elle peut être pratiquée dans

deux grandes hypothèses : celle où les droits en présence sont complémentaires et

entretiennent un rapport de mise œuvre ; celle où une circulation des situations d’un niveau du

droit à l’autre peut être observée.

Le processus de hiérarchisation des droits permet, enfin, à chaque système juridique, présent

au niveau national, international ou européen, de définir les règles qui occupent une place

dans son ordonnancement juridique. Ce processus peut être considéré de manière cloisonnée

dans un contexte national, international et européen. Mais il a également une dimension

dynamique où l’application des constructions hiérarchiques à différents niveaux conduit à des

phénomènes d’interaction. A ce titre, deux scénarios doivent être soigneusement distingués.

Le premier met en scène un juriste qui en appelle à une application du droit à un niveau, ce

qui revient, pour lui, à faire potentiellement jouer une hiérarchie des normes. Le second

désigne la situation du juriste aspirant à l’application du droit à un autre niveau, ce qui le

conduit à rechercher les manifestations d’une concrétisation d’un droit hiérarchisé appliqué.

28. Les trois temps de la démarche - comparaison, combinaison et hiérarchisation - ne

répondent pas un ordre immuable. Bien des juristes hiérarchisent les applications du droit,

sans même procéder à leur comparaison et, a fortiori, leur combinaison. Mais pour les besoins

de la démonstration et de manière à expliciter l’ensemble des potentialités offertes par le

pluralisme juridique mondial appliqué, nous suivrons cet ordre logique : la comparaison avant

toute chose, puis l’éventuelle combinaison et/ou hiérarchisation.

Le choix d’un mode de démonstration : des situations, des exemples

29. Un travail sur le pluralisme juridique mondial appliqué doit être articulé autour de cas.

Même si notre recherche ne prétend pas avoir, pour l’heure, de dimension véritablement

empirique, elle n’a de sens que si elle met en scène des situations et des exemples.

Le terme situation désigne la question théorique ou pratique que le juriste doit résoudre en

mettant en œuvre les méthodes et solutions juridiques susceptibles d’être appliquées dans les

différents contextes. La situation peut être illustrée par un ou plusieurs exemples. Ces

exemples sont tirés d’une pratique du droit qui a existé à l’occasion d’un cas donné ou ils

résultent de scénarios inventés pour les besoins de la démonstration.

Ainsi, total, ce sont près de 250 situations et exemples qui sont passés en revue dans cet

ouvrage.

37

30. Ce mode de présentation autour de situations et d’exemples poursuit trois objectifs. En

déclinant différents cas de figure, nous formons l’espoir que le lecteur, intéressé par un cas en

particulier, puisse identifier dans l’ouvrage, notamment grâce au sommaire, aux différentes

tables et à l’index, les occurrences de comparaison, de combinaison et/ou de hiérarchisation

qui sont envisagées. Ainsi le lecteur sera conduit à observer que son cas peut être traité de

différentes manières selon la démarche retenue par le juriste. Certains cas se prêtent plus

facilement que d’autres à un traitement multiple. Mais dans toute la mesure du possible, nous

avons essayé de faire en sorte que les mêmes situations et les mêmes exemples soient

présentés sous le triple éclairage de la comparaison, combinaison et hiérarchisation.

En articulant notre démonstration autour de situations et d’exemples, notre deuxième objectif

est de limiter l’immensité du champ d’étude ainsi ouvert par le pluralisme juridique mondial

appliqué. Renonçant, d’emblée, à tout objectif d’exhaustivité, le choix a été fait de

l’exemplarité pour essayer de peindre par petites touches les multiples facettes de ce

pluralisme. Le choix des situations et des exemples a été, d’abord, guidé par nos centres

d’intérêt, même s’il nous a fallu souvent sortir de notre domaine de spécialité1 pour embrasser

les différents contextes. Ces situations et ces exemples ne sont pas développés en tant que

tels. Leur traitement et les démonstrations qu’ils appellent sont entièrement focalisés sur ce

projet d’étude même si parfois nous nous sommes autorisé quelques petites digressions.

Enfin, le travail mené autour de situations et d’exemples répond à une exigence scientifique

qui est d’essayer de déterminer comment le droit se concrétise. Pour répondre à cette

interrogation absolument redoutable, de multiples voies peuvent être envisagées2. Dans le

champ de cette étude sur le pluralisme juridique mondial appliqué, il nous est apparu

clairement que les réponses devaient être trouvées autrement qu’au terme d’une explication

générale et abstraite. C’est pourquoi notre propos et les quelques éléments de démonstration

qu’il s’efforce de formuler et d’ordonner sont systématiquement logés au cœur de situations et

d’exemples, lesquels sont présentés sous la forme d’encadrés.

1 Droit international privé (notre formation), droit de la construction européenne (notre spécialité) et droit

international et européen de la propriété intellectuelle (notre domaine de prédilection). 2 Deux modes, étrangers à cette recherche, nous viennent immédiatement à l’esprit : la réalisation des droits

subjectifs (sur laquelle, en particulier : H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé - La

théorie des éléments générateurs des droits subjectifs, 1948, rééd. Dalloz, 1991) et le raisonnement judiciaire (sur

lequel, entre autres travaux, on signalera : P. Hurt, Les hypothèses juridiques - Une étude du raisonnement

judiciaire, Thèse Paris I (Panthéon-Sorbonne), 2006 ; M. Troper (dir.), Comment décident les juges, Economica,

2008).

38

PREMIERE PARTIE - LA COMPARAISON DU DROIT NATIONAL,

INTERNATIONAL ET EUROPEEN

31. Rappelons que la comparaison est la première étape que le juriste peut être amené à

franchir pour tenter d’appliquer le droit dans le contexte national, international et européen.

Cantonné généralement à la seule étude des droits nationaux et à un exercice de pure

connaissance, le « droit comparé » mérite de recevoir une signification plus large dans la

perspective d’un pluralisme juridique mondial appliqué. La comparaison du droit national,

international et européen implique, en effet, une mise à plat potentielle de l’ensemble des

méthodes et solutions susceptibles d’être sollicitées au stade du traitement d’un cas. Elle

commande une recherche sur la manière dont le droit peut être appliqué dans un

environnement national, international ou européen. Cette recherche est un préalable. Elle

permet au juriste de prendre la mesure des ressemblances et différences caractérisant

l’appréhension de son cas dans des contextes aussi bien nationaux, internationaux

qu’européens.

Chapitre 1 – La démarche comparative

Chapitre 2 – La comparaison proprement dite

39

CHAPITRE 1 – LA DEMARCHE COMPARATIVE

32. La comparaison du droit national, international et européen s’appuie sur des

présupposés (Section 1). Elle suppose que soit vaincu un certain nombre de préjugés

(Section 2). Elle poursuit différentes finalités (Section 3).

40

Section 1 – Les présupposés

33. La comparaison du droit national, international et européen repose sur deux

présupposés : l’incomplétude des systèmes juridiques dans leur aptitude à appréhender les

situations juridiques (§ 1) et la nécessité de localiser les situations juridiques (§ 2).

§ 1 – Le présupposé de l’incomplétude

34. Le critère de « complétude » alimente des discussions d’ordre théorique sur la nature

et la définition des systèmes juridiques, du droit, des lois, des règles, etc.1. On enseigne

traditionnellement qu’un ensemble de méthodes et solutions juridiques ne peut constituer un

« système juridique » que s’il présente un caractère suffisamment complet. C’est à ce titre

qu’a été âprement discutée, par exemple, l’existence d’un ordre juridique marchand (« lex

mercatoria »)2

Dans un contexte international ou européen, ces discussions sont également susceptibles

d’affecter les organisations interétatiques. Le principe d’attribution des compétences à ces

organisations, la préexistence des États et des droits nationaux font que le droit

« supranational » est généralement présenté comme un droit lacunaire ou subsidiaire3.

L’existence, dans le contexte européen, de droits qui reposent sur un principe d’intégration

juridique ne modifie en rien la donne. Le droit de l’Union européenne (UE) ou de la

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

1 Pour approche d’ensemble, voir avec les nombreuses références bibliographiques, A.-J. Arnaud (dir.),

Dictionnaire encyclopédique de théorie et sociologie du droit, LGDJ, 2e éd. 1993, Verbis « Incomplétude » et

« Système juridique ». 2 La définition d’une « loi des marchands » a soulevé un débat, notamment en France, sur l’existence d’une

société marchande capable de produire ses propres règles juridiques, en marge de celles construites dans les

enceintes étatiques ou interétatiques. Elle a connu un développement particulièrement significatif en droit du

commerce international où les acteurs utilisent abondamment des outils de source privée ou à caractère spontané

(les contrats internationaux, l’arbitrage international, les usages du commerce international, la jurisprudence

arbitrale, etc.). Un des éléments fort de discussion a porté sur le caractère complet de ce droit. C’est, en effet, la

principale critique (voir notamment en ce sens, P. Lagarde, Approche critique de la lex mercatoria, Mélanges

Goldman, Ed. Litec, 1982, p. 125) qui a été adressée aux thèses développées en France au début des années 1960

(Voir notamment : Ph. Kahn, La vente commerciale internationale, thèse Dijon, Ed. Sirey, 1961 ; B. Goldman,

Frontières du droit et Lex mercatoria, Arch. de Philo du droit, 1964, p. 177) autour de ce droit non étatique. Pour

une analyse renouvelée de ces débats français autour du développement du droit spontané, Voir P. Deumier, Le

droit spontané, Ed. Economica, 2002, notamment § 352 s. et 376 s. Pour une analyse renouvelée de ces

discussions outre-Atlantique autour notamment de l’existence d’un droit privé transnational, G.-P. Callies et P.

Zumbansen, Rough Consensus and Running Code - A theory of Transnational Private Law, Hart, 2012. 3 Voir par exemple, P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8

e éd. LGDJ 2009, n° 389 et s.

41

(CESDHLF) a beau être parvenu à s’émanciper des cadres nationaux et internationaux

existants, il n’en conserve pas moins une nature incomplète1.

Cette analyse n’épargne plus cependant les systèmes juridiques nationaux. Que l’on approuve

ou que l’on regrette cette évolution, le fait est, en particulier, que le développement du droit

international et européen a contraint les États à rogner progressivement sur leur sphère de

compétence. Dans le domaine du droit économique ou des droits fondamentaux, par exemple,

les États subissent des pressions extérieures extrêmement fortes de sorte qu’ils ne disposent

plus d’une totale marge de manœuvre dans la conduite de leur politique juridique. C’est

également le cas dans situations particulièrement exposées au développement d’un droit

transnational défini par des acteurs privés, que ces derniers agissent dans un contexte local,

national, international ou européen.

35. La montée en puissance du droit international et européen et le recul corrélatif du droit

national conduisent à une sorte d’égalisation des droits dans leur aptitude à appréhender les

situations juridiques. Cette évolution exerce nécessairement une influence sur le travail de

comparaison mené au stade de l’application du droit. Sans contester l’utilité théorique de ces

discussions sur le caractère a priori complet des systèmes juridiques, il faut donc bien

admettre qu’elles n’ont aucune incidence sur l’analyse du comparatiste qui s’efforce

d’amorcer un processus de mise en oeuvre du droit.

L’examen des ressemblances et différences entre les différents droits applicables dans le

contexte national, international et européen ne remet pas en cause, en effet, le caractère

complet des différents systèmes en présence. Elle se place sur un autre terrain que celui de la

définition du système juridique, du droit, de la loi ou de la règle. La comparaison a un objectif

essentiellement empirique dans le processus d’application du droit. Elle permet de poser la

question de la propension des systèmes juridiques nationaux internationaux et régionaux à

régir l’ensemble des situations qui se présentent à eux2.

1 Voir sur ce thème : J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen (Union européenne – Conseil de l’Europe),

PUF, 2ème

éd. 2011, spéc. n° 59 et s. 2 Ce questionnement n’est pas sans rappeler le théorème de l'incomplétude de Kurt Gödel (E. Nagel, J. R.

Newman, K. Gödel et J.-Y. Girard, Le théorème de Gödel, Éd. du Seuil 1989). On sait que Gödel a démontré en

1931 la nécessaire incomplétude de tout système axiomatique contenant la théorie des nombres. Autrement dit,

selon Gödel, un système ne peut s'auto-justifier, il n'est cohérent que parce qu'il est incomplet. Ramenée à la

science juridique, la théorie arithmétique de Gödel trouve à s'appliquer (voir, par exemple, H. Thevenaz "Le

théorème de Gödel et la norme fondamentale de Kelsen", Droit et Société, n° 4, 1986, 435 et s.). Il est, en effet,

permis de s'inspirer de cette philosophie mathématique pour essayer d'approcher la question des rapports entre

les différents droits sous l'angle de leur incomplétude d’application. Dans cette optique, l'incomplétude ne doit

pas être comprise comme une tare que le juriste aurait pour mission de combattre. Il s'agirait plutôt de considérer

qu'elle constitue une réalité incontournable qui appelle la recherche d'une méthode de travail susceptible d'en

42

36. Prise sous l’angle de l’application, la question de l’incomplétude appelle, en définitive,

le constat suivant : aucun système juridique ne peut prétendre réglementer seul une situation

donnée. Le domaine d’application de tout système juridique est potentiellement concurrencé

par la présence d’autres systèmes juridiques. En ce sens, on peut dire que tout système

juridique est inapte à régir complètement les situations juridiques. Le système juridique n’est

pas en lui-même incomplet. Il s’efforce de définir le plus complètement possible des

solutions. Mais au stade de son application, il doit bien souvent renoncer à appréhender seul

la situation qui se présente à lui. La loi française, par exemple, n’est pas apte à s’appliquer

universellement à toute situation, quelles que soient la matière à laquelle elle se rapporte, sa

localisation dans l’espace et sa fixation dans le temps. Elle est doublement concurrencée. A

son niveau, la loi française coexiste, dans son application, avec d’autres lois nationales. A

d’autres niveaux, notamment international et européen, l’application de la loi française est

concurrencée par des sources internationales et européennes.

C’est cette forme d’incomplétude que s’efforce de prendre en compte l’exercice de

comparaison du droit national, international et européen.

Situation – L’incomplétude des systèmes juridiques dans leur aptitude à régir l’ensemble

des cas juridiques

L’exemple du droit de la propriété littéraire et artistique

La protection internationale et européenne du droit d’auteur et des droits voisins est régie par

des sources informelles (sur le développement d’une lex mediatica, Voir néanmoins A.

Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique, 4ème

éd. LexisNexis 2012, spécialement n° 1392 s.) et formelles. Ces dernières sont, pour

l’essentiel, tirées du droit conventionnel classique (sources internationales), du droit de

l’Union européenne (sources européennes) et du droit étatique (sources nationales). Outre les

sources nationales, on relève que cinq entités participent à l'effort global de définition d'un

régime transnational de protection du droit de propriété littéraire et artistique.

Historiquement, il est revenu à l'OMPI et, dans une moindre mesure, à l'UNESCO et,

accessoirement, au Conseil de l’Europe de forger les règles applicables. Le rôle traditionnel

dévolu à ces trois institutions a été concurrencé par le développement d’organisations

économiques, telles que l’UE et l’OMC. La multiplication des organisations internationales

faciliter la compréhension et de réduire les incohérences ou paradoxes auxquels elle peut conduire. Cette

méthode n’est autre que la comparaison (pour une mise à l’épreuve de cette forme de comparaison entre les

différentes catégories juridiques du droit européen, voir notre étude : Paradoxes et droit communautaire :

observations sur l'interaction des catégories juridiques à partir de données récentes tirées des droits intellectuels

et du droit de la concurrence, JDI 1999, 85).

43

ayant reçu des États une compétence spéciale pour régir le droit de la propriété littéraire et

artistique s'est traduite par l'adoption prolifique de textes nouveaux. Procédant selon la

méthode de l'empilage, ces différents organismes se sont appuyés sur les conventions les

plus anciennes pour élaborer des règles nouvelles. C’est notamment le cas de l’Union

européenne qui a tiré profit de l’acquis conventionnel pour définir un niveau de protection

plus élevé. Le droit national conserve son importance. Il joue un rôle nécessaire de

complément du dispositif international et européen existant.

Ce pluralisme juridique mondial implique qu’aucun système juridique ne peut avoir la

prétention d’appréhender seul l’ensemble des situations juridiques dans ce domaine. Les

droits nationaux entrent potentiellement en conflits, de même que l’application du droit

national est inséparable, bien souvent, des normes de droit international ou européen qui

régissent la matière, y compris dans les situations présentées devant une instance nationale.

L’exemple du droit de la famille

Le droit de la famille relève traditionnellement du droit national. En France, par exemple, les

règles relatives au mariage, au divorce ou à la filiation sont principalement énoncées dans le

Code civil ou, pour des populations autochtones vivant dans certaines régions éloignées (par

exemple, en Nouvelle-Calédonie) par du droit coutumier. Ce droit d’inspiration nationale ou

locale n’échappe pas aux phénomènes d’internationalisation ou de régionalisation du droit.

Ainsi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales (COE, 1950) ou, encore, la Convention de New York relative aux droits de

l’enfant (ONU, 1989) sont à l’origine de profonds bouleversements sur des questions aussi

importantes que la représentation dans les procès sur l’autorité parentale des intérêts des

enfants mineurs ou que l’égalité de statut entre les enfants naturels et les enfants légitimes

(Voir sur ce thème : F. Dekeuwer-Défossez (avant-propos), Internationalisation des droits de

l’homme et évolutions du droit de la famille, Actes de journées d’études du LERADP

(Université de Lille II), éd. LGDJ, 1996 ; pour une présentation synthétique des sources du

droit de la famille : Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, éd. Defrénois – Lextenso, 4ème

éd. 2011, § 55 et s.).

Ce pluralisme des sources rejaillit nécessairement sur la question du droit applicable. Aucun

droit – national, international ou européen – ne peut prétendre appréhender seul les situations

relevant traditionnellement du droit de la famille, là où pendant longtemps, le juriste pouvait

se contenter d’avoir recours aux ressources de son seul droit national.

L’exemple du droit pénal

Le droit pénal n’échappe pas non plus au développement du pluralisme juridique mondial.

Un exemple peut être donné en matière de lutte contre le trafic de drogue (P. Pourzand,

44

L’internationalisation pénale en matière de trafic de drogue – Etude critique de

l’enchevêtrement des espaces normatifs, éd. LGDJ – Fondation Varenne, 2008). Les

solutions mises en œuvre pour tenter de lutter contre un commerce mondial ont pendant

longtemps été le fait des seuls rapports d’États à États. Un droit de dimension globale

(Nations Unies, par exemple) ou régionale (Union européenne, par exemple) s’est

progressivement développé de manière autonome.

Il en résulte une imbrication très forte des différentes sources en présence qui, le plus

souvent, se combinent pour appréhender les situations juridiques. Les règles internationales

(convention d’entraide judiciaire) et européennes (mandat d’arrêt européen) s’ajoutent aux

règles nationales (règles de fond et de procédure) pour appréhender le plus complètement

possible une situation qu’aucun système juridique ne peut prétendre régir seul.

L’exemple des droits de l’homme

Un autre exemple concerne l’affirmation des droits de l’homme. Proclamés dans le contexte

national par différents textes fondateurs (en Angleterre : Bill of rights de 1689 ; en Virginie :

la Déclaration de 1776 ; en France : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de

1789, Préambules des Constitutions de 1946 et 1958), ils ont peu à peu pris place dans

l’environnement international (notamment : Déclaration universelle des droits de l’homme

de 1948, Pactes internationaux relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels et aux

droits civils et politiques de 1966, ONU) et européen (notamment : Convention européenne

de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, COE ; Charte

des droits fondamentaux de 2000, UE). Pour une présentation d’ensemble, voir F. Sudre,

Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 10ème éd., 2011.

Ce pluralisme des sources pose question sur l’aptitude de ces différents instruments à faire

vivre une vision réellement pluraliste des droits de l’homme (M. Delmas-Marty, Les Forces

imaginantes du droit – 1. Le relatif et l’universel, éd. Seuil 2004, spéc. p. 55 et s.). La

discussion a une importante portée pratique, dès lors que les sources en la matière s’ajoutent

volontiers les unes aux autres pour appréhender les situations juridiques. Aucune source en

la matière ne peut prétendre régir, à titre exclusif, l’ensemble des situations juridiques. Or la

référence par le juriste à une source plutôt qu’une autre, à toutes les sources potentiellement

applicables plutôt qu’à une seule (etc.), peut avoir une incidence sur le traitement des

situations. Elle n’est jamais anodine.

Voir en comparaison, pour le continent africain, F. Viljoen, International Human Rights Law

in Africa, Oxford University Press, 2012 : qui structure la protection des droits de l’homme

par une juxtaposition des systèmes de protection au niveau global, régional, sous-régional et

national susceptibles d’être mobilisés pour appréhender des situations sur ce continent.

45

L’exemple du droit du sport

Le pluralisme juridique mondial frappe également des domaines d’activité très spécialisés.

Le droit du sport en est un exemple parmi d’autres. Les rapports du footballeur français avec

son club italien intéressent les droits construits à l’intérieur de ces deux pays, qu’ils soient

d’origine étatique ou privée (fédérations sportives nationales), celui de l’Union Européenne

(notamment les libertés de circulation, voir le célèbre arrêt Bosman : CJCE, 15 décembre

1995, Bosman, aff. C-415/93) et, bien entendu, le droit transnational des institutions

internationales de ce sport (par exemple, la Charte du football élaborée par la FIFA ; sur ce

thème, voir F. Latty, La lex sportiva – Recherche sur le droit transnational, éd. Martinus

Nijhoff Publishers, 2007).

L’activité sportive et le statut des joueurs ne peuvent être enfermés à l’intérieur d’un seul

système. Les différents droits coexistent et ont vocation à interagir les uns avec les autres

devant des instances nationales, internationales ou européennes. Par exemple, la question de

la nationalité sportive d’un joueur, qui est parfois débattue au moment de la formation des

équipes nationales, se règle par référence à des solutions juridiques définies, non pas

seulement au niveau national, mais également au niveau international et éventuellement

européen (sur ce thème, voir J. Guillaumé, L’affaiblissement de l’État-Nation et le droit

international privé, LGDJ, 2011).

§ 2 – Le présupposé de la localisation

37. Pour que le juriste puisse se reconnaître dans le dédale des droits potentiellement

applicables dans le contexte national, international et européen, il est pour lui nécessaire de

faire un travail d’identification des différents lieux d’application du droit (A) et des acteurs

potentiels de cette application (B).

A - Les différents lieux d’application du droit

38. Une approche délibérément ouverte de la comparaison rend compte de la situation où

un droit national, international ou européen peut être appliqué hors du contexte qui lui a

permis de voir le jour. Les méthodes et solutions juridiques nationales, internationales et

européennes sont dès lors inséparables de l’espace dans lequel elles sont mises en œuvre. Il

est impossible d’affirmer avec certitude qu’un principe, une règle ou une décision produisent

exactement le même effet, quel que soit le lieu de leur mise en œuvre. Cette dernière est

contingente. Elle peut fortement varier selon le contexte d’application du droit considéré.

39. L’observation n’est pas nouvelle dans le contexte national, pour l’application du droit

étranger, du droit international uniforme et du droit dérivé de l’Union européenne.

46

Situation – L’application du droit étranger en droit national

L’exemple de l’application de la loi étrangère par le juge national

Quand un juge national est amené à appliquer une loi étrangère en vertu d’une règle de droit

international privé ou, plus exceptionnellement, de droit administratif international, il se peut

que le statut de la loi étrangère diffère de celui reconnu à la loi nationale. Par exemple, en

France, on sait que la Cour de cassation refuse d’exercer son contrôle quant à l’interprétation

du droit étranger. Seul est sanctionné le cas de dénaturation du droit étranger, c’est-à-dire

une altération du texte de la loi étrangère (M.-N. Jobard-Bachellier et X. Bachellier, La

technique de cassation, 7ème éd. Dalloz, 2010, spéc. p. 78). Ce traitement du droit étranger

est potentiellement différent de celui réservé au droit national dans les matières où la Cour de

cassation exerce un contrôle très étroit de l’interprétation de la loi donnée par les juges du

fond (par exemple, sur la définition de la faute au sens de l’article 1382 du Code civil). Cette

attitude de la Cour de cassation, qui s’explique par le fait qu’elle n’entend pas donner une

interprétation uniforme du droit étranger, là où c’est son rôle pour le droit français, montre

qu’un droit national peut subir un traitement juridique différent selon le lieu où il est

effectivement appliqué.

Pour établir la teneur du droit étranger, on utilise volontiers en France ce que l’on appelle un

« certificat de coutume ». Cet acte est une attestation écrite d’origine publique (un consulat,

par exemple) ou privée (un juriste, avocat ou professeur de droit) sur la teneur d’un droit

étranger, produite en vue d’une occasion déterminée. Sa teneur peut être reconsidérée à

l’aune de tout élément de nature à favoriser la preuve du droit étranger. Parmi ces éléments,

les interprétations données par la jurisprudence étrangère du droit étranger constituent des

éléments de premier ordre. Ce sont ces éléments qui sont ainsi amenés à circuler d’un ordre

juridique à un autre. Des instruments de coopération judiciaire permettent parfois cette

circulation (Convention européenne relative à l’information sur les droits étrangers (COE –

1968) ; Réseau judiciaire européen (UE – 1997)). Sur la question de manière générale, voir

Répertoire de Droit international – Dalloz, V° Loi étrangère par H. Muir Watt, 2009. Pour

des éléments de comparaison, voir, B. Fauvarque-Cosson, Foreign Law before the French

Courts: the Conflicts of Law Perspective, in Comparative Law Before The Courts, G.

Canivet, M. Andenas, D. Fairgrieve (ed.), BIICL 2004, 3.

Situation – L’application du droit international uniforme dans deux États différents

L’exemple des interprétations nationales divergentes d’une loi internationale uniforme : le

cas célèbre de la jurisprudence « Hocke »

Une jurisprudence ancienne, qui est demeurée célèbre (arrêt Hocke : Cour de cassation,

Com., 4 mars 1963, JDI 1964, p. 806 note B. Goldman ; P. Lagarde « Les interprétations

47

différentes d’une loi uniforme donnent-elles lieu à un conflit de lois ? » : RCDIP 1964,

p. 235) a mis en lumière une possible interprétation divergente d’une convention

internationale portant unification des droits nationaux en vigueur dans les États signataires.

Dans cette affaire, ont été confrontées deux interprétations opposées, en Allemagne et en

France, d’une règle de preuve tirée de la Convention de Genève du 7 juin 1930 relative à la

lettre de change. Le juge français a décidé de traiter cette divergence de solutions comme un

véritable conflit de lois opposant deux ordres juridiques étatiques distincts. Cet exemple

montre ainsi qu’un même texte international peut ne pas recevoir la même application, sans

que cette différence d’approches soit considérée nécessairement comme une anomalie qu’il

s’agirait d’enrayer par une interprétation uniforme.

Voir cependant, en contre-exemple, la Convention de Vienne sur la vente internationale de

marchandises (ONU – CNUDCI, 1980) qui préconise en son article 7.1 une interprétation

uniforme : « Pour l’interprétation de la présente convention, il sera tenu compte de (…) la

nécessité de promouvoir l’uniformité de son application ». La formule est devenue rituelle

dans bon nombre d’instruments d’unification du droit à l’échelle internationale (voir, par

exemple, l’article 1.6.1 des Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce

international (2010). Elle est tautologique (l’interprétation (uniforme) s’impose par une

uniformité d’application, ce qui revient à dire strictement la même chose) et manifeste un

souhait qui ne se réalise pas toujours, compte tenu de l’absence d’interprète authentique (une

juridiction internationale) et de la multiplicité des acteurs. Elle peut néanmoins être de nature

à guider les analyses dans les hypothèses où l’interprétation d’une disposition par les acteurs

du commerce international se veut globalement convergente.

Voir sur ce thème : Cl. Witz, « La quête de l’universalisme dans l’interprétation », in La

CNUDCI : à propos de 35 ans d’activité, LPA 2003, n° 252, p. 54. Sur les limites de cette

interprétation uniforme et les solutions qu’elles appellent sur le jeu traditionnel des règles de

conflit de lois, voir V. Espinassous, L’uniformisation du droit substantiel et le conflit de lois,

éd. LGDJ, 2010.

Situation – La mise en œuvre du droit européen dans les différents États membres

L’exemple de la marge d’appréciation nationale dans la transposition des directives

d’harmonisation minimale

Le droit de l’Union européenne fait de l’uniformité de ses solutions un objectif essentiel à la

construction européenne. Nombreux sont les arrêts de la Cour de justice qui le rappellent

(voir pour les arrêts de principe, toujours cités :CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff.

29/69 ; CJCE, 16 janv. 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, aff. 166/73). Pour autant,

l’interprétation uniforme du droit européen n’est pas toujours exigée. Le droit européen fait

48

jouer un rôle propre aux droits nationaux en leur concédant une marge d’appréciation.

L’exemple le plus significatif est celui de la transposition des directives emportant

harmonisation minimale des lois nationales (voir, par exemple, à propos de la Directive

85/577/CEE concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en

dehors des établissements commerciaux : CJUE, 17 déc. 2009, Eva Martin, aff. C-227/08).

Dans ces domaines, le droit européen laisse subsister des différences de mise en œuvre du

texte européen par les différents États membres. Voir également sur ce thème : J. Porta, La

réalisation du droit communautaire – Essai sur le gouvernement juridique de la diversité, éd.

Fondation Varenne : LGDJ (2 t.), 2007.

40. Le paysage juridique international et européen offre des perspectives nouvelles de

recherche. Les méthodes et solutions du droit élaborées dans un contexte – national,

international ou européen – peuvent être appréhendées dans un autre contexte. Les analyses

en présence ne sont pas nécessairement contradictoires. Mais elles empruntent des voies

potentiellement différentes selon l’interprète compétent et le système juridique auquel il

appartient.

Situation – La mise œuvre du droit des Nations Unies par l’Union européenne et un Etat

partie à la CESDHLF

L’exemple des mesures de lutte contre le terrorisme prises par le Conseil de sécurité des

Nations Unies devant la CJUE et la CEDH

Le Conseil de sécurité des Nations Unies dispose d’un pouvoir de sanction qu’il exerce par

voie de résolutions. En matière de lutte contre le terrorisme, des actes de ce type sont

intervenus pour geler les avoirs d’entités ou personnes physiques suspectées d’entretenir des

liens avec des mouvements terroristes. Ces résolutions ont été mises œuvre par différents

États ainsi que par l’Union européenne. La valeur juridique des mesures prises par le Conseil

de sécurité a été discutée à l’occasion de leur application par l’Union européenne (voir

notamment : CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05) ou un

Etat partie à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales (voir par exemple : CEDH, 31 mai 2007, Behrami et Behrami c/ France, Req.

71412/01 et Saramati c/. France, Allemagne et Norvège, Req. 78166/01 ; comparer : CEDH,

12 sept. 2012, Nada c/. Suisse, Req. 10593/08). Dans ces deux hypothèses, les actes pris par

une autorité internationale sont examinés dans le contexte de deux autres espaces juridiques :

celui de l’UE et de la CESDHLF (Voir, notamment, à propos de ces affaires : M. Forteau

« La CJCE et la CEDH face à la question de l’articulation du droit européen et du droit des

Nations Unies : quelques remarques iconoclastes », in J.-M. Thouvenin (dir.), A la rencontre

49

des droits (international, communautaire et interne) – Les rapports de systèmes après

l’affaire Kadi, Journée d’études du CEDIN, RMCUE 2009, 397).

Situation – Une liberté fondamentale de source nationale, internationale ou européenne

devant les juges européens

L’exemple de la liberté syndicale invoquée devant la CJUE et la CEDH

La liberté syndicale est traditionnellement analysée comme un droit fondamental. En France,

elle a une valeur constitutionnelle (al. 6 du préambule de 1946). Elle est consacrée par des

textes internationaux (par exemple : Convention OIT n° 87 sur la liberté syndicale et la

protection du droit syndical - 1948) et européens (CESHHLF, art. 11 ; CDFUE, art. 12). Son

exercice a été discuté devant les juridictions européennes à l’occasion de la mise en œuvre

des objectifs de libre circulation définie par l’Union européenne (voir par exemple, CJCE, 11

déc. 2007, Viking, aff. C-438/05 et 18 déc. 2007, Laval, aff. C-341/05) ou de protection des

droits fondamentaux par le Conseil de l’Europe (voir par exemple, CEDH, 12 nov. 2008,

Demir et Baykara c/ Turquie, Req. 34503/97). Pour une comparaison de ces jurisprudences,

voir S. Robin-Olivier, Normative interactions and the Development of Labour Law, A

European Perspective, Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 2009, Hart, 377.

Pour une mise en perspective théorique de la confrontation devant le juge de l’UE entre les

droits fondamentaux et les libertés européennes de circulation, voir A. Bailleux, Les

interactions entre libre circulation et droits fondamentaux dans la jurisprudence

communautaire : Essai sur la figure du juge traducteur, Publications des facultés

universitaires Saint-Louis, Bruylant, 2009.

Situation – La protection des droits de l’homme par les deux organisations européennes et

les Etats membres

Le cas du « triangle » Conseil de l’Europe - Union européenne - Etats membres

En Europe, la protection des droits de l’homme conduit à des interactions de plus en plus

fréquentes entre les sources et les acteurs du Conseil de l’Europe (Convention européenne de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et Cour européenne des

droits de l’homme), de l’Union européenne (Charte des droits fondamentaux de l’Union

européenne et Cour de justice de l’Union européenne) et des différents Etats membres (textes

et juges nationaux). Il en résulte un rapport que l’on peut qualifier de « triangulaire » (COE -

UE - National) qui conduit le juriste à devoir distinguer l’application du droit dans des

enceintes de trois types différents. Ces lieux de protection des droits de l’homme ont chacun

leurs spécificités. L’accès au juge n’est pas le même, l’énoncé des droits diffère parfois, la

traduction des droits dans les situations concrètes peut prendre des formes variées. Même si

50

le juriste peut avoir le sentiment d’appliquer la même matière du droit européen des droits de

l’homme, il est amené à distinguer les différents lieux de protection des droits. Il lui faut

localiser son travail. Pour une étude des interactions triangulaires entre la jurisprudence de la

Cour de Strasbourg (CEDH), Luxembourg (CJUE) et des juridictions nationales, voir

notamment P. Popelier, C. Van de Heyning, Piet Van Nuffel (ed), Human rights protection in

the European legal order : The interaction between the European and national courts,

Intersentia, 2011.

B - Les différents acteurs de l’application du droit

41. Pour situer l’application du droit dans un contexte national, international ou européen,

il est nécessaire de procéder à une identification du ou des acteurs susceptibles de réaliser ce

travail. Le premier acteur auquel on songe est le juge - institution publique ou institution

privée (arbitrage) - qui est potentiellement présent à tous les niveaux d’application du droit.

La figure du juge étatique travaillant principalement dans un contexte national peut être

facilement distinguée de celles du juge international et du juge européen dans leur aptitude à

trancher une question de droit dans un contexte fortement mondialisé1.

Situation – Le juge étatique, international ou européen

La comparaison des justices nationales, internationales et européennes : l’exemple du

recours direct intenté par un requérant ordinaire

La question de l’accès au juge par les requérants ordinaires, c’est-à-dire les particuliers,

personnes physiques ou morales, ne se présente pas de la même manière selon la juridiction

considérée. Consacré le plus souvent comme un droit fondamental devant les juridictions

ordinaires des États, le recours direct est tantôt un principe, tantôt une exception devant les

juridictions européennes et internationales. Il est un principe devant la Cour européenne des

droits de l’homme de Strasbourg où tout requérant peut saisir, quels que soient sa nationalité

ou son lieu d’établissement, la juridiction européenne, dès lors qu’il estime qu’un Etat

signataire de la CESDHLF n’a pas respecté ses obligations. Le recours direct a un caractère

plus exceptionnel devant la CJUE où seules les décisions de portée individuelle peuvent être

contestées par les particuliers (pour une lecture étroite de cet accès au juge : voir en

particulier, CJCE, 25 juill. 2002, UPA c/ Conseil, aff. C-50/00 ; pour une modification des

traités en vigueur en vue d’un élargissement des voies d’accès, voir le nouvel art. 263 al. 4

TFUE). Il est généralement impossible devant les juridictions internationales en vertu d’un

1 Voir sur ce thème, l’ouvrage éclairant de J. Allard et A. Garapon, Les juges dans la mondialisation – La

nouvelle révolution du droit, éd. La République des Idées - Seuil, 2005.

51

principe d’exclusivisme étatique même si des solutions ont été aménagées parfois pour

tempérer la vigueur de cette solution (c’est le cas, par exemple de la Cour pénale

internationale de La Haye qui peut s’auto-saisir d’une affaire hors la présence d’un Etat

requérant).

Pour une analyse comparée du procès dans sa triple dimension nationale, internationale et

européenne, voir S. Guinchard et alii, Droit processuel – Droits fondamentaux du procès,

Dalloz, 6ème

éd. 2011).

42. Le recours à l’arbitrage offre également des perspectives intéressantes en termes

d’identification des acteurs chargés d’appliquer le droit dans différents contextes. On a

l’habitude de considérer que son origine privée rend plus difficile son rattachement à un

système juridique plutôt qu’un autre. L’arbitre n’a pas de for et même s’il est parfois

institutionnalisé, il demeure distinct de la justice étatique ou interétatique. Mais cette

autonomie de l’arbitrage ne doit pas être exagérée. Des règles étatiques ou interétatiques

existent, en effet, pour distinguer trois grands types d’arbitre : interne, international et même

européen.

Situation – L’arbitre interne, international et européen

La comparaison des justices arbitrales nationales, internationales et européennes :

exemples de règles définies dans différents contextes

Le Code de procédure civile français aménage pour l’arbitrage international des règles

distinctes de celles normalement applicables à l’arbitrage interne (voir, Livre quatrième de

CPC). Au regard de la réglementation française, il existe donc deux types d’arbitrage :

l’arbitrage interne et l’arbitrage international, des règles souvent plus souples ayant été

aménagées pour ce dernier de manière à satisfaire aux exigences propres du commerce

international.

En droit international public ou en droit international économique, l’arbitrage occupe une

place très importante dans le règlement des différends impliquant notamment des Etats. On

songe, par exemple, la Cour permanente d’arbitrage (CPA), ou encore aux arbitrages

d’investissement prévus par le CIRDI (Centre international de règlement des différends liés à

l'investissement) ou selon le modèle CNUDCI (Commission des Nations Unies sur le droit

du commerce international). En droit du commerce international, des instances arbitrales ont

également été institutionnalisées (voir, par exemple, les arbitrages rendus sous les auspices

de la Chambre du commerce international : CCI).

Un troisième type d’arbitrage, beaucoup plus modeste, existe dans le contexte du droit

européen. Dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 272 TFUE), une

52

règle est aménagée pour permettre la désignation de la juridiction européenne (Cour de

justice ou Tribunal de première instance) par une clause compromissoire insérée dans un

contrat de droit public ou privé passé par l’Union our pour son compte (sur ce texte et son

application, voir J.-S. Bergé, La Cour de justice, juge du contrat soumis à la loi étatique

choisie par les parties, RDC 2005, 463).

D’autres formes d’arbitrage existent également en marge de cette triple distinction

« arbitrage national, international et européen ». Voir ainsi, l’exemple envisagé par F.-X.

Licari, L’arbitrage rabbinique, entre droit talmudique et droit des nations, RA 2013, à

paraître.

Cette référence au juge est pertinente. Elle alimente une approche du droit qui se donne pour

principal objet, l’étude de la jurisprudence1. Les moyens d’y accéder sont connus et le travail

des juges est largement étudié et commenté.

43. La figure du juge n’est cependant pas la seule qu’il faille envisager. Même s’il est un

acteur privilégié, le juge ne représente qu’une partie du travail des juristes amenés à faire

application du droit. Autour de lui ou en dehors de lui, nombreux sont ceux qui participent à

ce processus.

Pour identifier ces juristes dans la perspective qui est la nôtre de l’application du droit dans le

contexte national, international et européen, il est indifférent de savoir quelles fonctions ils

occupent. Peu importe qu’ils travaillent de manière indépendante (un avocat, un consultant,

un magistrat) ou sous la subordination d’une institution publique (administration) ou d’un

organisme privé (organisation non gouvernementale, entreprise, syndicat, association). Ce qui

compte, c’est la dimension nationale, internationale ou européenne de l’environnement

juridique dans lequel il travaille. Cet environnement est de nature, en effet, à influer

considérablement sur son travail.

Situation – Le juriste de droit interne, international et européen

Trois juristes pour une même question : l’exemple d’une mesure nationale d’interdiction

de commercialisation d’un produit en raison d’un impératif de santé publique

Soit un Etat qui décide d’interdire la commercialisation sur son territoire d’un produit

d’origine animale considéré comme dangereux pour la santé humaine. Cette mesure affecte

1 Sur ce phénomène, son évolution et ses errements, voir, par exemple, les écrits de A. Esmein « La

jurisprudence et la doctrine », RTDCiv. 1902, 5 ; J.-D. Bredin, « Remarques sur la doctrine », Mélanges

Hébraud, Toulouse, 1981, 111 ; Ph. Jestaz, « La jurisprudence, ombre portée du contentieux, D. 1989, Chron.,

149.

53

les intérêts de diverses entreprises (producteurs, importateurs, exportateurs, revendeurs)

situées dans l’État concerné ou dans des pays tiers. Chaque entreprise saisit son service

juridique pour savoir s’il existe un moyen pour faire échec à cette mesure de police nationale

ou, à tout le moins, pour compenser les pertes subies. Selon que le juriste saisi de la question

travaille dans un environnement national, international ou européen, on peut imaginer trois

développements très différents.

Dans un contexte national, la question se pose de la légalité en droit interne de la décision

prise de l’État et de la possibilité d’obtenir des mesures provisoires ou définitives de

compensation.

Dans un contexte européen, la conformité de la décision à la réglementation agroalimentaire

de l’Union européenne peut être discutée.

Dans un contexte international, on peut imaginer que la décision de l’État soit contestée par

un autre Etat partie à l’Organisation mondiale du commerce.

Aucun de ces fronts n’a vocation à se substituer à l’autre. On peut imaginer, en effet, que les

entreprises décident d’agir dans tous les contextes à la fois : national, international ou

européen. Dans ces trois scénarios, trois familles de juristes seront amenées à se prononcer :

les juristes de droit interne, européen et international.

Voir sur ce thème, le programme de recherches « ERC » dirigé par F. Collart-Dutilleul :

http://www.droit-aliments-terre.eu/. À titre d’illustration, voir le fameux « conflit du bœuf

aux hormones » opposant, notamment, les Etats-Unis, le Canada et l’Europe et qui est

l’occasion, depuis 1988, de plusieurs batailles et négociations juridiques. Voir notamment

sur cette affaire : A. Hervé, Le mécanisme de règlement des différends de

l'OMC. L'interminable contentieux transatlantique sur le bœuf aux hormones : RMCUE

2009, 246.

54

Section 2 – Les préjugés

44. La comparaison du droit national, international et européen butte généralement sur

différents préjugés qu’il faut savoir vaincre si l’on veut essayer de la mener jusqu’à son terme.

Ces préjugés sont de deux ordres : intellectuels (§1) et culturels (§2).

§ 1 – Les préjugés intellectuels

45. Les obstacles d’ordre intellectuel à la comparaison des droits dans le contexte national,

international et européen tiennent à l’existence de limites (A) et à la spécialisation des juristes

(B).

A – Les limites de la comparaison

1/ À propos de deux métaphores (« qui embrasse trop mal étreint » et « le mariage de la

carpe et du lapin »)

46. La comparaison des droits dans le contexte national, international et européen – que

l’on peut désigner également par l’expression « comparaison multiniveau » - ouvre des

perspectives d’analyse extrêmement vastes. Dans l’absolu, tous les contextes du droit y sont

considérés sur un pied d’égalité. Le juriste ne se donne aucune limite dans sa recherche. Il

tente d’identifier l’ensemble des méthodes et solutions utiles à la résolution de la question

qu’il se pose, que ces méthodes et solutions soient définies dans un environnement national,

international ou européen.

Cette démarche comparative soulève immédiatement deux objections qui peuvent être

présentées sous la forme de deux métaphores : « qui embrasse trop mal étreint » et « le

mariage de la carpe et du lapin ».

47. La première expression (« qui embrasse trop mal étreint ») peut être reçue au premier

degré comme une leçon élémentaire de modestie. Les capacités d’analyse du juriste sont

nécessairement limitées. À vouloir tout considérer, tout voir et tout comprendre, il risque fort

de se perdre dans l’immensité du droit. Il lui faut donc ramener ses perspectives d’analyse à

l’échelle humaine. Celle qui correspond à son périmètre géographique et matériel de

compétence. Mais elle a également une signification plus profonde. Le droit n’est pas porté

par un langage universel. Même s’il existe des domaines tels que la philosophie du droit où

des questionnements de portée générale trouvent à se déployer, le fait est que le droit se pense

généralement à un seul niveau (national, international ou européen) et qu’il y est enfermé à

l’intérieur de frontières géographiques. La très grande majorité des juristes est ainsi formée

55

dans un contexte essentiellement national et n’aspire pas spécialement à en sortir. Si d’autres

ont fait du droit international ou du droit européen une spécialité, ils n’en maîtrisent bien

souvent qu’un aspect sans pouvoir prétendre, mieux que les autres, embrasser le droit dans

toutes ses dimensions. Cette série de constats nourrit d’ailleurs une certaine méfiance à

l’égard d’utilisations non contextuelles (dites « fonctionnelles ») du droit étranger1. Elle a

également servi de creuset à un nationalisme juridique, clairement hostile aux processus

contemporain d’européanisation et d’internationalisation du droit2.

48. La seconde expression « le mariage de la carpe et du lapin » est généralement

présentée sous la forme d’un syndrome. En comparant les méthodes et solutions définies dans

différents contextes, à des niveaux variables, le juriste prend le risque de rapprocher des droits

qui ne se ressemblent pas. Son analyse peut le conduire à de curieux mélanges de genres qui

sont de nature à fausser ses jugements. Il est donc invité à demeurer sagement cloisonné à

l’intérieur de chaque genre, en s’attachant du mieux qu’il peut à rendre son domaine d’étude

le plus cohérent possible. La comparaison multiniveau est ainsi condamnée. Au mieux des

possibilités qui lui sont offertes, le juriste doit se cantonner à une comparaison par niveau :

national, international ou européen.

49. Ces deux métaphores sont utiles. Elles signalent les dangers que fait courir

potentiellement une démarche comparative totalement ouverte, du type de celle qui est

envisagée ici.

Le premier de ces dangers concerne le juge quand il donne l’impression de faire son marché

dans un droit mondial, sans considération du droit applicable et invocable.

Situation - La comparaison tous azimuts : quand le juge fait son marché

Des exemples américains et européens

La jurisprudence offre des illustrations d’une comparaison « sans limite » où le juge se plaît

à rechercher dans la jurisprudence nationale étrangère, régionale ou internationale ou, plus

largement entendu, dans l’ensemble des systèmes juridiques qu’il estime être en mesure de

connaître, les réponses qui peuvent y être données. Les droits de l’homme ou, plus largement

entendu, les droits fondamentaux sont propices à ce type de comparaison.

1 Voir, selon une tonalité très différente : J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, éd.

Flammarion, 1996, spéc., chap. III : « Ces droits venus d’ailleurs », p. 44 et s. ; P. Legrand, Le droit comparé, éd.

PUF, coll. Que sais-je, 1999, spéc. la conclusion du chap. I : p. 62. 2 Sur, par exemple, la thèse du non-droit européen : J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen (Union

européenne – Conseil de l’Europe), PUF , 2ème

éd. 2011, spéc. n° 4 et s.

56

Dans l’affaire Lawrence v. Texas (539 U.S. 558 (2003)) par exemple, la question était posée

à la Cour suprême des Etats-Unis de la conformité à la Constitution américaine de la

réglementation d’Etats fédérés réprimant une pratique sexuelle. Différentes références ont

été faites dans cette affaire à une jurisprudence « étrangère », notamment à des décisions de

la Cour européenne des droits de l’homme. Cette comparaison a soulevé une très vive

polémique outre-Atlantique (pour une approche d’ensemble, voir, avec les nombreuses

références citées, Ch. Baron, La théorie de l’intention originelle, la sincérité dans la

rédaction des opinions des juges et les références à des sources juridiques étrangères dans le

processus d’interprétation de la Constitution aux Etats-Unis, in Mélanges en l’honneur de

Michel Troper, Economica, 2006, p. 109 ; R. Bismuth, L’utilisation de sources de droit

étrangères dans la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis, RIDC 2010, 105).

Les juges nationaux en Europe pratiquent également ce type de comparaison non contrainte

(voir sur ce thème, l’analyse de S. Robin-Olivier, La référence (non imposée) par les juges

des Etats membres de l’Union européenne, in Les échanges entre les droits, éd. Bruylant

2008, p. 141). Elle est également fréquente dans la jurisprudence de la Cour européenne des

droits de l’homme (voir, à titre d’illustration : CEDH 7 juillet 2011, Req. 27021/08, Al-Jedda

c. R.-U., qui, dans une affaire mettant en cause les conditions de détention du plaignant en

Irak par les soldats britanniques, se réfère, au titre des « Eléments pertinents de droit

international », à différentes sources du droit international humanitaire, à la charte de

Nations Unies de 1945, aux dispositions de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des

traités, à la jurisprudence de la Cour internationale de justice, de la Cour de justice de

l’Union européenne, de la Cour suprême des Etats-Unis et à des textes de la Commission de

droit international). Nous verrons que la Cour internationale de justice a été récemment

tentée de recourir à ce type de comparaison, en se référant notamment aux jurisprudences de

juridictions régionales, ce qui était impensable il y a quelques années encore (voir, sur ce

point, nos développements, infra n° xxx).

L’allégorie du « dialogue des juges »

La comparaison menée sans contrainte, affichée par le juge, celle qui le conduit à éprouver

parfois les raisonnements utilisés par d’autres juges dans des contextes juridiques différents

du sien pour s’en inspirer ou, au contraire, s’en écarter, a pris une forme allégorique avec

l’expression « dialogue des juges » qui a connu un certain succès en France, notamment dans

la doctrine administrativiste (sur cette expression, ses origines, ses significations et son

utilisation notamment par les juridictions supérieures ou suprêmes, voir, avec les auteurs

cités, A. Le Quinio, Recherche sur la circulation des solutions juridiques : le recours au droit

comparé par les juridictions constitutionnelles, Fondation Varenne, 2011, spéc. p. 151 et s).

Bien souvent ce dialogue est plus imaginé que pratiqué, plus volontaire que contraint.

57

Critiqué violemment parfois pour son absence de valeur juridique, ce « dialogue » est

l’expression d’une démarche ouverte de comparaison.

50. Le second danger vise ce que l’on peut appeler la figure de l’extrapolation où le juriste

compare, sans ménagement, des situations appréhendées dans des contextes radicalement

différents.

Situation – Comparaison n’est pas raison : quand le juriste extrapole des méthodes et

solutions juridiques (sans même s’en rendre compte parfois)

L’exemple du droit européen lu au travers des catégories du droit national ou du droit

international

Le droit européen (UE - CESDHLF) est un droit jeune, hautement spécialisé. Il a ses

rationalités, ses justifications, ses méthodes de raisonnement. Les arrêts rendus par les deux

grandes juridictions européennes (CEDH et CJUE) font l’objet de multiples analyses. Les

analyses menées par les juristes spécialisés en droit européen s’attachent à expliciter le sens

et la portée de ces jurisprudences dans cette matière. Mais les juristes de droit national et de

droit international ne peuvent ignorer leur existence. Le passage d’une perspective de droit

européen à une perspective de droit national ou international n’est cependant pas neutre. Elle

peut même être de nature à transformer radicalement la perception des raisonnements et

constructions de droit européen. C’est une extrapolation. Ce mode de raisonnement est utile.

Il permet de déplacer le contexte dans lequel une question a été traitée pour mesurer l’impact

de la réponse dans d’autres contextes. Mais souvent ce passage est mal assuré. Combien de

juristes (confirmés) s’autorisent ainsi à extrapoler des solutions européennes dans un

contexte de droit national ou international - de droit public, comme de droit privé - sans

prendre préalablement la précaution de préciser qu’une chose est d’apprécier la valeur de la

réponse donnée dans son contexte et qu’une autre est d’en mesure l’impact dans un tout autre

contexte. Nos revues regorgent ainsi de commentaires d’arrêts de la CEDH ou CJUE lus

comme impliquant une transformation radicale et immédiate de branches du droit national ou

international, alors pourtant que ces arrêts ont été rendus en droit européen, par référence à

des méthodes et solutions juridiques qui n’ont pas leur équivalent en droit national ou

international. Ce type de démarche doctrinale s’explique par la difficulté toujours très grande

à penser qu’une méthode ou solution de droit peut avoir des significations très différentes

selon le contexte dans lequel elle est envisagée. Elle est souvent inconsciente. Parfois, elle

est utilisée à dessein, comme un outil de caricature.

Pour un dialogue confrontant des logiques nationales et européennes en droit des contrats,

voir « Quadrilogue : Le titre III livre III du Code civil a-t-il un avenir européen ? » (débat

organisé par J.-P. Marguénaud, avec la participation de J.-P. Marguénaud, F. Marchadier, D.

58

Mazeaud, J. Rochfeld et J.-S. Bergé, RDC 2011, 229) ; pour des exemples d’analyse de ce

type s’agissant des rapports entre le droit européen du marché intérieur et le droit

international privé, voir notre étude : Le droit du marché intérieur et le droit international

privé communautaire : de l’incomplétude à la cohérence in « Le droit, les institutions et les

politiques de l’Union européenne face à l’impératif de cohérence », V. Michel (dir.), Presses

universitaires de Strasbourg, 2009, 339. Pour une analyse critique de cette démarche,

notamment en droit de la mobilité des sociétés, au départ d’une lecture fausse des rapports

concurrentiels entre les lois nationales des Etats membres, voir notre étude avec S. Harnay

(économiste), Les analyses économiques de la concurrence juridique : un outil pour la

modélisation du droit européen ?, RIDE 2011, 165.

Même si elles dénoncent à juste titre certains excès, ces métaphores peuvent être surmontées.

Elles ne font pas obstacle à une comparaison, spécialement quand cette dernière s’inscrit dans

une démarche d’application du droit dans différents contextes.

2/ Les verrous à faire sauter

51. L’étude des ressemblances et différences entre les méthodes et solutions définies dans

un contexte mondial devrait s’inscrire dans le vaste processus de comparaison des droits que

la science juridique désigne par l’expression « Droit comparé ». Or il n’en est rien. Le droit

comparé est enfermé le plus souvent dans différents carcans qui rendent difficile, voire

impossible, une prise en considération de la dimension internationale et européenne du droit1.

Un premier carcan cantonne la comparaison aux sphères nationales. Il n’y aurait de

comparaison possible qu’entre les droits nationaux, une comparaison « horizontale » entre des

données juridiques de nature équivalente, situées dans un même contexte à un même niveau

juridique. Au nom du « comparer le comparable », le droit international et européen est le

1 L’ensemble des traités, manuels et cours de droit comparé peuvent être cités en exemple, qu’ils portent sur les

grands systèmes juridiques contemporains ou sur telle ou telle branche du droit comparé : Voir pour les ouvrages

les plus récents parus en France, R. Legeais, Grands systèmes de droit contemporains, 2ème

éd. Litec, 2008 ; Y.-

M. Laithier, Droit comparé, éd. Dalloz 2009 ; G. Cuniberti, Grands systèmes de droit contemporains, éd. LGDJ,

2ème éd. 2011 ; A. Gambaro, R. Sacco et L. Vogel, Traité de droit comparé : le droit de l’occident et d’ailleurs,

éd. LGDJ, 2011. Seuls font exceptions, certains ouvrages de réflexion sur le droit comparé, spécialement les

travaux collectifs qui consacrent une partie de leurs développements au phénomène d’internationalisation et

d’européanisation du droit : Voir par exemple, deux ouvrages collectifs qui permettent de prendre la mesure

d’une ouverture du droit comparé au double contexte international et européen : M. Reimann et R. Zimmermann

(dir.), Comparative Law, Oxford University Press, 2006, spéc. la partie II ; E. Örücü et D. Nelken, Comparative

Law, Hart, 2007, spéc. la partie II. Comparer également : M. Delmas-Marty et S. Breyer (dir.), Regards croisés

sur l’internationalisation du droit : France – Etats-Unis, éd. SLC, 2009. On peut également citer les ouvrages

spécialisés qui, s’efforçant d’appréhender telle ou telle matière juridique précise, sont obligés de s’ouvrir à une

perspective pluridimensionnelle. Les ouvrages de ce type sont de plus en plus nombreux. Voir, par exemple,

dernièrement : R. Cabrillac, Droit européen comparé des contrats, LGDJ, 2012. Voir également, les références

cités dans ce chapitre.

59

plus souvent exclu de la comparaison, dès lors qu’il entretient avec les droits nationaux une

relation « verticale ». Il est au mieux appréhendé au travers des mesures nationales qui le

transposent ou le réceptionnent le cas échéant.

Le second carcan repose sur une idée largement répandue selon laquelle le droit comparé se

caractériserait par son absence de positivité1. La comparaison des droits nationaux est

généralement présentée comme un outil de pure connaissance. Sauf dans des cas tout à fait

exceptionnels comme, par exemple, l’énoncé d’un principe général commun aux droits de

plusieurs États ou à la confrontation de solutions nationales incompatibles, la méthode

comparative n’est pas perçue comme un outil capable de résoudre des questions juridiques

concrètes. Son utilité est le plus souvent lointaine, notamment quand elle s’inscrit dans les

processus nécessairement longs et aléatoires de rapprochement des droits nationaux. Cette

absence de positivité du droit comparé serait un obstacle supplémentaire à l’intégration du

droit international et européen dans le champ de la comparaison. Dans l’environnement

international et européen, la comparaison des méthodes et solutions offre, en effet, des

perspectives très différentes. Contrairement aux droits nationaux, les rapports entre le droit

international et européen ne s’inscrivent pas dans un contexte de forte interchangeabilité. Les

sources du droit international et européen s’appliquent le plus souvent de manière cumulative

de sorte que leur comparaison est nécessairement synonyme de confrontation. Qu’elle

conduise à une combinaison ou une hiérarchisation des droits en présence (voir infra, Parties

2 et 3 de cet ouvrage), la comparaison est indissociable de l’énoncé de solutions de droit

positif. Elle s’éloigne donc de la conception largement répandue selon laquelle le droit

comparé n’est pas apte à résoudre des cas concrets.

52. Ce double verrou, qui isole le droit comparé dans une réalité nationale de plus en plus

étriquée, doit sauter. Le droit comparé ou la comparaison dans le droit ne peut délaisser pour

des motifs parfaitement secondaires, le processus d’internationalisation et d’européanisation

du droit. Les pratiques et réflexions sur la comparaison en sciences sociales et humaines ont

montré, depuis longtemps, les vertus du « comparer l’incomparable »2. De même, la soi-

disant opposition entre le droit comparé et le droit positif fait figure d’artifice quand on la

confronte à la réalité du travail des juristes. La comparaison des droits a, comme tout objet

1 Pour une approche vigoureusement critique de cette manière de recevoir le droit comparé, voir E. Picard, Le

droit comparé est-il du droit ?, Annuaire 2009 de l’Institut Michel Villey, Dalloz 2010, p. 173. 2 M. Detienne, Comparer l’incomparable, éd. Seuil, 2000 ; C. Vigour, La comparaison dans les sciences sociales

– Pratiques et méthodes, éd. La Découverte, 2005.

60

d’étude juridique, une dimension potentiellement positive. Elle permet de dégager des

solutions juridiques de manière plus ou moins immédiate selon le contexte dans lequel elle est

utilisée. Le découpage entre la comparaison du droit national – d’essence essentiellement

neutre – et la comparaison du droit international ou européen – à vocation plus instrumentale

– ne répond à aucune exigence théorique ou pratique. Tantôt la comparaison est un outil de

pure connaissance du droit, tantôt elle permet de définir des solutions de droit positif. Qu’elle

soit envisagée dans un contexte interne ou international et européen n’y change rien.

53. Les réflexions sur une approche multidimensionnelle du droit comparé sont d’ailleurs

de plus en plus nombreuses1. Deux grands phénomènes y contribuent. Le premier –

international – intéresse le thème de la globalisation du droit. Face à des interrogations

communes à l’humanité tout entière (droits de l’homme, environnement, sécurité, accès aux

ressources naturelles et intellectuelles, définition de standards internationaux, etc.), la

comparaison juridique implique une mise à plat de l’ensemble des méthodes et solutions

existant dans tous les contextes du droit : local, national, international, régional2. On imagine

ainsi difficilement qu’une étude comparée de la réglementation en matière de sécurité des

produits ou sur les pratiques de blanchiment d’argent, par exemple, puisse faire abstraction

des différents contextes d’application du droit. Ces questions ont bien souvent une dimension

globale de sorte que la comparaison des droits implique, outre les sources nationales, celles

internationales, régionales et, éventuellement, locales.

Situation – La comparaison du droit national, international et européen

L’exemple de la réglementation des OGM dans le contexte mondial, européen, national et

local

La circulation des organismes génétiquement modifiés, notamment leur dissémination

volontaire dans l’environnement, leur mise sur le marché, leur importation ou exportation

font l’objet d’une réglementation multiple à différents niveaux du droit. Ce pluralisme

juridique mondial contraint les acteurs privés et publics intervenants dans ce secteur très

controversé à procéder à une comparaison multiniveau qui s’efforce de dégager les

1 Depuis le début de ce travail (2009), l’évolution a d’ailleurs été perceptible. De plus en plus nombreux étant les

travaux de droit comparé, ouverts non seulement à l’étude des droits nationaux mais également des droits

internationaux et européens. 2 Voir, le travail précurseur de : M. Reimann, Beyond National Systems: a Comparative Law for the

International Age, Tulane Law Rev. 2001, p. 1103. Voir, plus récemment, J.-B. Auby, La globalisation, le droit

et l’État, LGDJ, 2ème

édition, 2010 ; M. Reimann et R. Zimmermann (dir.), Comparative Law, Oxford University

Press, 2006, spéc. H. Muir Watt « Globalization and Comparative Law », p. 579 ; E. Örücü et D. Nelken,

Comparative Law, Hart, 2007, spéc. W. Twining « Globalisation and Comparative Law », p. 69.

61

ressemblances et différences existant entre toutes les réglementations potentiellement

applicables. Doivent ainsi être comparés notamment : le Protocole de biosécurité de

Carthagène (ONU, 2000), la Directive 2001/18/CEE relative à la dissémination volontaire

d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement (modifiée à de multiples

reprises), la réglementation nationale française, notamment celle transposant le texte

européen (articles L 531-1 et suivants du Code de l’environnement), la délibération d’une

collectivité territoriale exprimant un vœu pour ou contre une telle dissémination sur son

territoire (Voir Conseil d’État, 30 déc. 2009, Req. n° 308514 : approuvant la validité de

délibérations de ce type prises par un Conseil général). Voir sur ces questions : Dictionnaire

Permanent Bioéthique et Biotechnologies, Verbo « Organismes génétiquement modifiés ».

Voir pour une étude comparée internationale et européenne : A. Touche « Le principe de

précaution entre unité et diversité : étude comparative des systèmes communautaire et

OMC », CDE 2008, 281. Pour une jurisprudence nationale tirant les conséquences d’une

jurisprudence européenne dans les célèbres affaires Monsanto, voir Conseil d’Etat, 28 nov.

2011, Req. n° 313546 (ea), visant expressément : CJUE, 8 sept. 2011, aff. jointes C-58/10 à

C-68/10.

L’exemple des principes en droit national, international et européen

Un travail collectif sur les « principes » en droit illustre bien la manière dont les juristes sont

de plus en plus souvent conduits aujourd’hui à comparer systématiquement les solutions

dans un triple environnement national, international et européen : S. Besson et P. Pichonnaz

(dir.), Les principes en droit européen - Principles in European Law, LGDJ - Schulthess,

2011. En dépit de son intitulé un peu réducteur, cette recherche couvre tout aussi bien le

droit européen, international et national, dans sa dimension de droit public comme de droit

privé. Ainsi, par exemple, les principes généraux du droit international et les principes

généraux du droit européen sont systématiquement confrontés et une place importante est

faite aux principes de droit public (identité nationale, par exemple) ou de droit privé

(principes contractuels, par exemple), définis pour l’essentiel dans un environnement

national et qui occupent une place grandissante dans le contexte européen et international.

54. Le second phénomène – régional – est celui de l’européanisation du droit. Le contexte

européen offre un cadre d’étude particulièrement propice à la comparaison multiniveau des

droits1. Nul besoin d’être un expert des questions européennes pour se rendre compte que la

1 De très nombreuses études ont été consacrées à la place du droit comparé en droit européen. Pour les plus

récentes, voir notamment : W. van Gerven, Comparative Law in a Regionally Integrated Europe, Comparative

Law in the 21st Century, 2002, p. 155 ; F. van der Mensbrugghe (dir.), L’utilisation de la méthode comparative

en droit européen ; Presses universitaires de Namur, 2003 ; K. Lenaerts, Interlocking Legal Order or the

European Union Variant of E Pluribus Unum, in Comparative Law before the Courts, G. Canivet, M. Andenas et

62

confrontation des méthodes et solutions définies dans le contexte de différents droits

nationaux implique, de plus en plus souvent, le contexte européen qui leur est commun. Il est,

par exemple, impossible aujourd’hui d’envisager une comparaison du droit des contrats en

Europe sans s’appuyer sur le droit de l’Union européenne ou le droit du Conseil de l’Europe.

La comparaison du droit de deux pays membres de ces organisations a une dimension

nécessairement européenne, dès lors que ces deux pays ont pour dénominateur commun,

différentes « Europe » juridiques, notamment l’Europe des libertés économiques, des droits de

l’homme, de l’espace de liberté sécurité justice, du rapprochement des droits nationaux qui,

directement ou indirectement, influencent ou modifient les traits caractéristiques de chaque

droit national. La comparaison horizontale de deux systèmes juridiques se métamorphose en

une comparaison triangulaire mettant en scène, d’un côté, les droits nationaux et, de l’autre, le

droit européen. La comparaison des droits devient inséparable du processus d’européanisation

du droit. On ne peut en faire durablement abstraction au motif que le droit comparé s’est

historiquement construit autour de la comparaison des seuls droits nationaux. Pour chaque

comparaison, l’analyse des ressemblances et dissemblances passe par un test

« d’européanité » du droit, c’est-à-dire par la recherche – en droit positif – d’éléments

communs aux systèmes juridiques en présence. Parfois c’est le droit européen qui forme

l’élément commun à deux droits nationaux. Parfois c’est le droit national qui forme l’élément

commun à deux droits européens.

Situation – La comparaison triangulaire (un droit commun et deux droits distincts)

L’exemple de la comparaison de deux droits nationaux transposant une directive

européenne (UE)

Le développement du droit européen dérivé (UE), notamment des directives, modifie

profondément la comparaison des droits en Europe. Chaque fois que sur une question

donnée, une directive est intervenue, la comparaison horizontale classique entre les droits de

deux États membres se mue en une comparaison triangulaire, mobilisant les deux

réglementations nationales de transposition et leur source commune : le texte européen. Par

D. Fairgrieve (dir.), The British Institute of International and Comparative Law, 2004 ; W. van Gerven, Bringing

(Private) Laws Closer to each Other at the European Level, in The Institutional Framework of European Private

Law, F. Cafaggi (ed.), Oxford, 2006, p. 37 ; Ph. Singer et J.-Ch. Engel « L’importance de la recherche

comparative pour la justice communautaire », JDI 2007, p. 497 ; H. Koziol, "Comparative Law – A Must in the

European Union: Demonstrated by Tort Law as an Example," Journal of Tort Law, 2007, vol. 1, n° 3, art. 5 ; B.

Fauvarque-Cosson, “The Rise of Comparative Law: a Challenge for Legal Education in Europe”, The seventh

van Gerven Lecture, Europa Law, 2007 ; S. Robin-Olivier et D. Fasquelle (dir.), Les échanges entre les droits,

l’expérience communautaire : une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation du droit, éd.

Bruylant, 2008. R. Titriga, La comparaison, technique essentielle du juge européen, L’harmattan, 2011.

63

exemple, la comparaison des droits français et allemand en matière de responsabilité du fait

des produits défectueux peut difficilement faire l’économie d’une prise en considération de

la Directive 85/374/CEE du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives,

réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des

produits défectueux (plusieurs fois modifiées) qui leur sert de base commune (sur cet

exemple, Voir notamment : J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des produits : Etude

comparée, Ed. LGDJ, 2004). La comparaison devient alors triangulaire. Elle intègre dans un

même mouvement deux dimensions : l’une horizontale (droits nationaux) et l’autre verticale

(droits nationaux/droit européen). Voir également, à propos de la Directive 97/7/CE sur la

protection des consommateurs en matière de contrats à distance, E. Poillot, Le droit comparé

au service de la compréhension de l’acquis communautaire en droit privé, RIDC 2005, 1017.

L’exemple de la comparaison des droits nationaux devant la Cour européenne des droits

de l’homme (CEDH)

Il est très fréquent que la CEDH se livre à une analyse de droit comparé à l’occasion de

l’examen d’une législation nationale dont la teneur ou l’application sont dénoncées par le

requérant comme étant incompatibles avec les exigences de la Convention européenne de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Voir à titre d’illustration :

CEDH, 17 déc. 2009, Req. n° 19359/04, M. c. Allemagne, rendu à propos de la

réglementation sur l’internement de sûreté. Dans cette affaire, la CEDH compare, non

seulement les dispositifs nationaux en la matière, mais également la manière dont ils sont

reçus dans les systèmes juridiques nationaux. A ce titre, le juge de Strasbourg cite une

jurisprudence du Conseil constitutionnel français ayant invalidé l’application rétroactive de

la rétention de sûreté instituée par une loi de 2008 (§ 75 de l’arrêt). Sur cette décision, voir

X. Pin, « L’internement de sûreté en Allemagne : une mesure de défense sociale à la

dérive », Déviance et société, 2010, 527.

L’exemple de la comparaison de deux droits européens (UE - COE) appliqués dans un

contexte national

Soit un juriste travaillant dans un contexte national d’un Etat partie à la fois à l’Union

européenne et au Conseil de l’Europe (tous les Etats membres de l’UE sont membres du

COE). Ce juriste cherche à mettre en œuvre un raisonnement de type protection des droits

fondamentaux. Son travail d’analyse passe nécessairement par une approche comparée de

deux dispositifs européens : celui défini par la Convention européenne de sauvegarde des

droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDHLF) et celui posé, au sein de

l’Union européenne, par les principes généraux du droit européen et la Charte des droits

fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE). Cette comparaison doit notamment

conduire le juriste à vérifier les domaines d’application des droits en présence, leur contenu,

64

l’interprétation qui en a été donnée par les juridictions européennes (CEDH et CJUE), etc.

Une fois cette comparaison européenne menée, le juriste doit alors procéder à une deuxième

comparaison entre les dispositifs européens et le droit national normalement applicable ou

qui a été appliqué au cas donné dans le contexte national (il peut s’agir d’une loi étrangère

comme d’une loi nationale). Cette ultime comparaison permet au juriste de déterminer

notamment s’il est en présence d’une contradiction ou, éventuellement, d’une

complémentarité entre les différents droits européens et nationaux en présence.

Pour une analyse synthétique comparée de l’Europe de droits de l’homme, voir, avec les

nombreuses références citées, J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen (Union

européenne - Conseil de l’Europe), PUF, 2me éd. 2011, n° 260 et s.

3/ La comparaison multiniveau : un autre principe de réalité

55. La comparaison des droits définis dans un contexte national, international et européen

n’est pas une facétie ou une mode que le juriste emprunt d’exotisme et de modernité se

plairait à pratiquer. Elle est devenue une nécessité chaque fois que la question de droit posée

appelle une pluralité de réponses selon le contexte national, international ou européen

considéré. Dans la mesure où, bien souvent, ces contextes coexistent, en ce sens qu’ils n’ont

pas vocation à se substituer dans leur application les uns aux autres, le juriste a le devoir de

dégager par la comparaison, les ressemblances et différences entre les méthodes et solutions

offertes. Il est rare, en effet, que le droit européen ou international ait vocation à faire

disparaître toute applicabilité du droit national. Il en va de même dans les rapports entre le

droit international et le droit européen, lesquels alimentent de nombreuses interactions.

Chaque fois que la situation en cause est susceptible d’être présentée dans ces différents

contextes, une comparaison multiniveau s’impose. Sauf instructions contraires, le juriste qui

ne considère la question qui lui est posée qu’au regard d’un seul contexte, engage

potentiellement sa responsabilité.

56. Cette nécessité abstraite et générale de procéder à une comparaison multiniveau ne

doit pas pour autant être exagérée. Elle doit, en effet, être considérée à l’aune d’une double

réalité. Il existe de nombreux domaines où l’essentiel des réponses juridiques dépend d’un

seul contexte juridique. Le juriste spécialisé dans un domaine de pur droit interne, européen

ou international sait qu’il sera conduit à sortir de son domaine de compétence pour explorer

les constructions juridiques élaborées à un autre étage du droit pour une part somme toute

limitée de son activité. Par ailleurs, la comparaison multiniveau demeure généralement un

exercice très ponctuel. Dans la pratique juridique, elle se limite bien souvent à la recherche

65

d’un résultat concret que commande l’application du droit national, international ou européen

à une situation bien précise.

Situation – Le juriste de droit interne et le réflexe européen

Deux exemples d’utilisation courante du droit européen par le juriste de droit interne

Le juriste de droit national qui n’a généralement à connaître que de situations purement

internes à son pays est conduit, malgré tout, à adopter un réflexe européen dans un certain

nombre de cas de figure. On en donnera deux exemples. Le premier porte sur l’hypothèse où

le juriste fait application d’un texte national qui est lui-même une transposition d’une

directive européenne. S’il veut appliquer son droit national en connaissance de cause, il lui

faut avoir le réflexe de s’alimenter à la source européenne du texte français pour en donner

une interprétation conforme, éclairée au besoin par des arrêts de la Cour de justice intervenus

depuis la transposition. Ce réflexe n’est pas conditionné. La lecture du Code de la

consommation ou du Code civil français par exemple ne fait pas apparaître bien souvent

l’origine européenne des textes qu’ils contiennent. C’est donc au juriste qu’il revient de

procéder à une recherche pour déterminer si la disposition qui l’intéresse est susceptible de

recevoir un éclairage de droit européen compte tenu, par exemple, de l’existence d’une

directive européenne. Des outils de plus en plus performants existent qui permettent de

retrouver en droit national, le texte de transposition du texte européen (voir, par exemple,

http://www.legifrance.gouv.fr/initRechExpTransposition.do)

Un deuxième cas de figure, bien connu des praticiens, concerne la Convention européenne

de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par exemple, un avocat

spécialisé en droit des affaires est amené à consulter le texte de la convention tel

qu’interprété par la CEDH sur des questions aussi variées que le droit d’accès à un tribunal,

le principe de légalité des infractions et peines en matière pénale, le droit au respect de la vie

privée ou du domicile, le droit à la liberté d’expression, le droit de propriété, etc. (voir, par

exemple, le développement à cet effet de guides pratiques : R. Dumas et E. Garaud, CEDH

et droit des affaires, éd. Francis Lefebvre, 2008).

Situation – Peut-on comparer le droit international et le droit européen ?

Présupposés théoriques et exemples pratiques

La question se pose de savoir si l’on doit comparer en tant que tel le droit international et le

droit européen. Cette perspective se heurte à une difficulté théorique que les

internationalistes ne sont pas toujours disposés à surmonter : admettre que le droit européen

existe de manière autonome et distincte par rapport aux constructions du droit international

(sur ce beau sujet, voir l’échange de vues proposés par deux auteurs publicistes : A. Pellet

66

(« Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », Collected Courses of

the Academy of European Law, 1997, Vol. V, Book 2, p. 193) et D. Simon (« Les

fondements de l’autonomie du droit communautaire », in Droit international et droit

communautaire : perspectives actuelles, Pedone, 2000, p. 207), le premier étant partisan

d’une banalisation du droit européen et le second défendant au contraire son autonomie ; sur

l’existence, en droit international privé, d’un troisième contexte européen s’ajoutant à la

distinction classique entre le national et l’étranger, voir également, pour un échange de vues :

E. Pataut et J.-S. Bergé, Approche critique du vocabulaire juridique européen - 4ème partie :

La distinction « national, étranger et européen », Chronique du CEJEC de droit européen &

comparé n° 20; LPA 2008, n° 221, p. 5).

Une fois cet obstacle théorique franchi, la comparaison entre le droit international et

européen ne connaît plus aucune limite. Toute question susceptible d’appeler des

développements dans les deux environnements juridiques peut servir de point de départ à la

comparaison. De nombreux exemples peuvent être donnés. A ce stade de l’analyse on en

retiendra trois.

Le premier exemple est tiré d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui,

pour faire entrer l’esclavage domestique dans le champ de l’art. 4 de la Convention

européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et faire peser

sur les Etats une obligation positive, se livre à une interprétation de celle-ci à la lumière de

différentes conventions internationales : Convention sur le travail forcé, adopté par OIT en

1930 (n° 29), la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite

d’esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage de 1956, la Convention

relative aux droits de l’enfant de 1989 (CEDH, 26 juillet 2005 Siliadin c/ France, Req. n°

73316/01 ; voir le commentaire de cet arrêt proposé par C. Da Costa Dias sur le blog :

http://m2bde.u-paris10.fr/).

Le deuxième exemple intéresse une affaire impliquant l’application d’une réglementation

internationale et européenne en matière de responsabilité des transporteurs aériens résultant

de la perte de bagages, la Cour de justice de l’Union européenne a eu à définir la notion de

« préjudice » ; constatant que cette définition n’est pas donnée par les textes internationaux

et européens applicables (1ère

comparaison), la CJUE décide de se référer aux « règles

d’interprétation du droit international général » selon lesquelles « un traité doit être interprété

de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes (…) » ; faisant application de

ce principe, la Cour de justice estime « qu’il existe bien une notion de dommage, d’origine

non conventionnelle, commune à tous les sous-systèmes de droit international » (2ème

comparaison) en vertu de laquelle « le préjudice comprend tout dommage, tant matériel que

moral » (CJUE, 6 mai 2010, aff. C-63/09, Walz).

67

Le troisième exemple prend appui sur la jurisprudence relativement récente de la Cour

internationale de justice. La CIJ a fait référence en 2010, pour la première fois de son

histoire, au droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des

libertés fondamentales (CIJ, 30 novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c.

République démocratique du Congo). Ce droit n’a pas été à proprement parler appliqué par

la CIJ. Il s’est agi pour la Cour de comparer les solutions en présence. Mais cet exercice de

pure comparaison du droit international et du droit régional a pris depuis de l’ampleur (voir,

plus récemment, CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne

c. Italie ; Grèce (intervenant) qui analyse la jurisprudence de la CEDH, au même titre que

des jurisprudences nationales, dans le but d’y déceler l’existence de règles coutumières

internationales relatives à l’étendue des immunités juridictionnelles dont bénéficient les

Etats ; voir depuis : CIJ, 19 juin 2012, qui a statué sur le volet indemnisation de l’affaire

Ahmadou Sadio Diallo, préc., en se référant abondamment aux pratiques d’indemnisation de

la CEDH et de la CIADH).

4/ Une distinction utile mais difficile entre les droits « sources » et les droits « objets »

57. La comparaison du droit national, international et européen, conçue comme le premier

stade d’un processus d’application du droit national, international et européen, permet

d’éclairer le juriste sur les ressemblances et, surtout, les différences qui existent entre les

différents contextes juridiques. Or l’exercice est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît au

premier abord.

Le juriste est habitué à penser le droit autour de grandes notions : les personnes, les biens, les

contrats, les responsabilités, etc. Le fait qu’il ait été formé pour l’essentiel à l’intérieur d’un

seul et même contexte, le conduit à considérer que ces notions existent de manière équivalente

à tous les niveaux du droit. Or ça n’est pas toujours le cas. Il arrive, en effet, qu’une

institution construite dans un contexte n’obéisse pas aux mêmes fondamentaux que ceux que

l’on peut observer dans un autre contexte du droit. En toutes matières, il faut donc pouvoir

déterminer si les notions en présence sont plutôt identiques ou si elles souffrent d’une altérité.

C’est un des objets de la comparaison multiniveau.

58. À cet égard, une distinction difficile mais utile entre les droits « sources » et les droits

« objets » peut aider le juriste à mener son travail de comparaison. L’expression « droits

sources » désigne l’hypothèse la plus communément admise selon laquelle les droits élaborés

dans différents contextes sont aptes à alimenter, telles des sources, une seule et même

institution juridique. Par exemple, on peut être amené à considérer qu’il existe un seul modèle

68

juridique de contrat, lequel est alimenté par des sources nationales, internationales et

européennes. Il existe autant d’illustrations de ce type qu’il y a d’institutions juridiques

alimentées par une pluralité de sources.

Situation – Plusieurs sources pour un même objet

L’exemple du droit des marques alimenté par les sources nationales, internationales et

européennes

Un exemple de « droits sources » peut être donné en droit des marques. La marque est un

signe distinctif protégé par un droit exclusif. Le droit des marques fait notamment l’objet de

trois niveaux de réglementation : nationale (par exemple, en France, le code de la propriété

intellectuelle), internationale (par exemple, la Convention d’Union de Paris de 1883 pour la

protection de la propriété industrielle) et européenne (par exemple, la Directive (CE) n°

89/104 du Conseil, 21 déc. 1988, dite "Première directive", rapprochant les législations des

États membres sur les marques, remplacée par la Directive 2008/95/CE). Ces différentes

sources alimentent un seul et même objet juridique : la marque conçue comme un titre

national de propriété industrielle. Il n’y a pas de différence de nature

L’exemple des sources nationales, internationales et européennes du droit de la

nationalité

Le droit de la nationalité est d’inspiration nationale. Chaque État est libre de définir comme

il l’entend les conditions d’attribution, d’acquisition ou de perte de sa nationalité aux

personnes physiques. Aucune autre source n’a vocation à définir l’existence d’un droit à la

nationalité dans tel ou tel Etat. Le droit national coexiste néanmoins avec des sources

internationales et européennes. L’obligation pour les États de respecter leurs engagements

internationaux et européens peut les contraindre parfois, dans des situations souvent très

précises (pluralité de nationalités ou risque d’apatridie par exemple) à respecter des principes

(par exemple : le principe d’effectivité formulé par la Cour internationale de justice dans son

célèbre arrêt Nottebohm : CIJ, 6 avril 1955) ou solutions définis en commun. Ces différentes

sources internationales et européennes coexistent ainsi avec le droit de la nationalité

réglementé par chaque État. Dans ce cas de figure, on peut dire qu’une même institution

d’origine nationale (la nationalité) s’alimente à d’autres niveaux du droit (international et

européen) sans pour autant changer de nature juridique. Sur les sources du droit de la

nationalité, voir P. Lagarde, La nationalité française, Dalloz, 4ème

éd., 2011 : Introduction,

p. 11 s. ; sur la question de leur articulation, voir F. Marchadier in Droit international et

nationalité, Pedone, 2012, p. 59 et s.).

Comparer, sur la question discutée de la nationalité des sociétés où la Cour internationale de

justice a considéré qu’il revient aux Etats de définir les critères permettant de désigner les

69

personnes morales susceptibles de bénéficier de leur protection diplomatique, CIJ, 5 fév.

1970, Barcelona Traction.

59. Dans une tout autre perspective, les institutions ou notions juridiques en présence ne

sont pas tenues pour strictement équivalentes. On considère qu’elles portent sur des « objets »

différents. Dès lors qu’elles obéissent à des fondamentaux propres, elles ne sont pas

concurrentes ou parfaitement substituables. Au contraire, elles sont amenées à coexister

durablement à l’image des différents contextes dans lesquels ils ont vu le jour. Les exemples

de ce type sont moins nombreux que les premiers. Le droit atteint ici un degré de construction

qui n’est pas toujours viable.

Situation – Autant d’objets que de sources

L’exemple de la distinction entre la marque nationale, communautaire (européenne) et,

éventuellement, internationale

Dans la perspective qui est la nôtre d’une comparaison multiniveau, la marque n’est pas

seulement un droit unique alimenté par plusieurs sources. C’est également un droit

« objets » : il y a potentiellement autant d’objets du droit qu’il y a de sources. Par exemple,

le droit de l’Union européenne a créé une marque communautaire (européenne), unique (un

seul titre) et unitaire (un seul régime juridique), protégée dans l’ensemble de l’Union

européenne (Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, 20 déc. 1993, sur la marque

communautaire, remplacé par le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009

sur la marque communautaire). Ce droit de la marque communautaire ne fait pas disparaître

le droit national, international et européen des marques nationales. Il s’ajoute à lui. Les

acteurs économiques conservent le choix de recourir à l’un des instruments plutôt que l’autre

et la Cour de justice de l’Union européenne veille à la coexistence des deux objets de

propriété intellectuelle en interdisant, par exemple, l’enregistrement d’une marque de l’UE

quand elle aurait pour conséquence la disparition d’une marque nationale antérieure (CJUE,

24 mai 2012, Global Sports Media, aff. C-196/11, spéc. pts 44 et 45). Dans des domaines

étroits de l’activité humaine, on peut également considérer qu’il existe en germe des marques

de dimension véritablement internationale. Par exemple, la protection de l’emblème

olympique par le Traité de Nairobi de 1981, lequel fait interdiction aux États parties

d’accorder une marque nationale pour le signe olympique, accorde une forme de protection

internationale au signe en question.

70

L’exemple de la citoyenneté européenne saisie dans ses rapports à la nationalité définie

par les États membres de l’UE

Le Traité sur l’Union européenne a institué une citoyenneté européenne qui s’ajoute à la

nationalité des ressortissants des États membres et ne la remplace pas (article 9 TUE). Cette

citoyenneté comporte des droits de dimension spécifiquement européenne : droit de circuler

et de séjourner librement sur le territoire des États membres, droit de vote et d’éligibilité au

Parlement européen et aux élections municipales, droit d’adresser des pétitions au Parlement

européen, droit de recourir au médiateur européen, etc. (articles 20 et s. du TFUE). Même si

elle y puise sa source, elle forme un objet juridique distinct de la nationalité et a vocation à

interagir avec elle (pour une illustration remarquable de cette interaction, voir CJUE, 2 mars

2010, aff. C-135/08, Rottmann). Voir en ce sens, l’analyse de C. Schönberger, La

citoyenneté européenne en tant que citoyenneté fédérale – Quelques leçons sur la citoyenneté

à tirer du fédéralisme comparatif, Annuaire 2009 de l’Institut Michel Villey, éd. Dalloz

2010, p. 255.

D’autres illustrations de ce type existent, y compris dans des domaines que l’on croyait à

l’abri d’un pluralisme juridique mondial présent tant au niveau national, qu’international et

européen. Voir ainsi, pour l’exemple du développement d’un droit européen des migrations,

en sus des constructions nationales et internationales : J.-Y. Carlier et F. Crépeau, Le droit

européen des migrations : exemple d’un droit en mouvement ?, AFDI 2011, 641.

60. Encore faut-il que les juristes assument pleinement le contexte dans lequel ils se

trouvent quand ils s’efforcent de construire à leur niveau à nouvel objet juridique. Si tel est

souvent le cas, il n’en va pas toujours ainsi.

Situation – A chaque contexte juridique, son objet

L’exemple de l’articulation des sources étatiques et non étatiques : le cas des normes

sociales appréhendées dans un contexte national ou dans un contexte international et

européen

Les relations du travail sont propices aux analyses des phénomènes d’articulation des

sources étatiques et non étatiques du droit. Il serait néanmoins faux de croire que ces

analyses sont équivalentes dans tous les contextes. Les perspectives ne sont, en effet, pas les

mêmes selon que l’on se place dans un contexte international, européen ou national.

Voir pour une illustration particulièrement intéressante, les approches respectivement

proposées par M.-A. Moreau dans le contexte essentiellement international et européen

(Normes sociales, droit du travail et mondialisation - Confrontations et mutations, Dalloz,

2006) et par F. Laronze dans le contexte principalement national (Les conflits de normes

71

dans les relations du travail - Contribution à l’étude des organisations, Thèse Université de

Montpellier 1, 2010).

L’exemple d’une position mal assumée de la Commission de l’UE à propos d’un droit

commun européen de la vente

La Commission de l’UE a présenté en octobre 2011 une Proposition de règlement du

Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente

(Com(2011) 635 final). Cette proposition est l’une des voies retenues à l’heure actuelle par

les institutions européennes pour la construction d’un droit européen des contrats. D’autres

initiatives sont parallèlement développées, notamment en matière de rapprochement des

législations nationales relatives aux droits de consommateurs (voir en dernier lieu : Directive

2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des

consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du

Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la

directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil ; sur ces différentes initiatives, voir

l’analyse de C. Aubert de Vincelles, Chronique de droit européen des obligations, RTDE

2011, spéc. p . 621 et suivantes).

En tant que telle, la proposition ne s’inscrit pas dans une conception radicale des rapports

entre le droit national et le droit européen. En effet, le droit commun européen de la vente

n’a pas vocation à faire disparaître le droit national. Notre droit français de la vente, par

exemple, n’est pas affecté dans son énoncé par cette proposition d’instrument européen. Le

droit européen vient, au contraire, s’ajouter à lui, comme un régime optionnel que les parties

à un contrat transfrontière ont la possibilité, si elles le peuvent et le veulent, de choisir.

La Commission a pourtant fait le choix de présenter ce droit européen comme un droit de

nature « nationale ». C’est ainsi qu’on peut lire dans l’exposé des motifs qui précède la

proposition de règlement que « le droit commun de la vente sera un second régime de droit

contractuel au sein du droit national de chaque Etat membre. Lorsque les parties seront

convenues de faire usage du droit commun européen de la vente, ses dispositions seront les

seules règles nationales applicables pour les matières relevant de son champ d’application,

auquel cas, aucune autre règle nationale ne pourra s’appliquer » (p. 6 in fine et 7 in limine,

Com(2011) 635 final, préc.). Ces formules rappellent la théorie du « dédoublement

fonctionnel » telle qu’elle a été développée à propos du juge national chargé d’appliquer le

droit international (G. Scelle, Précis de droit des gens. Principes et systématique, Sirey (2 t.),

1932, spéc. vol. 2, p. 317 et s.) ou européen. Nous aurions ici affaire à un dédoublement

fonctionnel de la loi européenne, ayant vocation à emprunter la nature juridique de normes

nationales.

72

Même si la portée juridique de cette assertion est nulle (cet exposé des motifs n’a pas

vocation à figurer dans le texte du règlement), elle est intéressante dans la mesure où elle

donne une indication sur l’état d’esprit dans lequel les auteurs de ce projet ont entendu le

présenter. En affirmant par différents biais la nature « nationale » du droit commun européen

de la vente, la Commission emprunte une curieuse posture de droit national. Dire, en effet,

que le droit commun européen de la vente est un droit de nature nationale est tout

simplement faux. D’un point de vue formel, le règlement est un instrument de droit européen

dérivé ayant les traités de l’Union européenne comme base juridique. Sa validité et son

interprétation relèvent du contexte juridique européen. Au regard de son contenu, le droit

commun européen de la vente a également une dimension européenne. Il a vocation, en effet,

à s’appliquer à des contrats transfrontières européens (article 4 de la proposition : le contrat

doit présenter des points de localisation dans des Etats différents et une des parties au moins

doit être établie dans un Etat membre), chaque fois qu’il est choisi par les parties comme

droit applicable. Il ne saurait donc être analysé comme un droit national applicable, pour

l’essentiel, à des situations internes.

Cet exemple montre que la Commission confond ici deux étapes distinctes dans le

raisonnement juridique. En pensant le contenu du droit commun européen de la vente en

termes de « droit national », la Commission croit sans doute pouvoir garantir sa meilleure

application au niveau national. Or il s’agit là de deux questions différentes. Le contenu d’un

texte de droit européen ne peut être pensé autrement qu’au niveau européen. Il ne sert à rien

de travestir un règlement de l’Union européenne en lui faisant endosser les attributs d’un

droit national qu’il n’est pas. En revanche, il est très important de résoudre, le plus en amont

possible, les difficultés évidentes d’articulation que soulève l’application d’un texte européen

de ce type dans le contexte national (le code civil français, par exemple) ou même

international (notamment, la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de

marchandises). Plutôt que de chercher à minimiser ces questions d’articulation, la

proposition de règlement gagnerait grandement en qualité à les expliciter. Cette perspective

n’est évidemment envisageable que si l’on accepte de considérer que, dans le contexte

notamment européen, le droit se décline au pluriel (ici que le droit européen de la vente vient

s’ajouter et non se substituer à un droit national et international de la vente) et que son

application doit être considérée dans différents contextes (national, international et

européen). Voir, en prolongement sur ce thème, Le droit national des contrats, nouveau

complexe du droit européen des contrats ?, RDC, n° 2012/2, 569.

B - La spécialisation du juriste et le décloisonnement des spécialités

61. La spécialisation du juriste est généralement comprise comme un mal nécessaire. La

73

complexité du droit, plus ancienne qu’on ne veut bien l’admettre souvent1, conduit la plupart

des juristes à devoir délimiter leur périmètre de compétence. Il est rare qu’un universitaire ou

un praticien du droit puisse prétendre dominer plus de deux ou trois spécialités. Cette

spécialisation a une forte dimension de droit substantiel. En France, nous savons qu’elle

débute très tôt avec une véritable partition des esprits selon qu’ils s’orientent vers les matières

de droit privé ou de droit public. Elle s’est incontestablement aggravée avec l’éclatement des

grandes matières juridiques. Par le jeu d’une opposition entre les règles générales et les règles

spéciales, des pans entiers du droit se sont séparés du tronc commun que formaient le droit

constitutionnel, le droit civil, le droit administratif, le droit pénal et le droit international. Pour

chacune de ces grandes disciplines, des subdivisions se sont peu à peu imposées pour donner

naissance à des grandes matières spécialisées : les droits fondamentaux, le droit commercial,

le droit social, le droit des finances publiques, la criminologie, le droit international

économique, etc.

Ce mouvement de spécialisation a également une portée spatiale. Les juristes se distinguent

selon qu’ils évoluent dans le contexte du droit national, international ou européen. Pour

chacun de ces contextes, de nouvelles distinctions interviennent pour délimiter les espaces :

tel droit national plutôt que tel autre ; telle branche du droit international ou du droit européen

plutôt que telle autre.

62. La comparaison multiniveau ne remet pas en cause la nécessaire spécialisation des

juristes ni même l’éclatement des disciplines. Elle en tire, au contraire, toutes les

conséquences en livrant aux spécialistes un outil capable de faire dialoguer, par la

comparaison, sa matière avec les autres. C’est bien de comparaison qu’il s’agit. Le spécialiste

d’une question dans un contexte donné est conduit à rechercher les ressemblances et

différences qui existent avec les méthodes et solutions juridiques définies dans d’autres

contextes à d’autres niveaux. Le décloisonnement des spécialités est limité, dès lors que cette

recherche porte trait pour trait sur un même objet juridique. Par exemple, si le spécialiste

compare la protection des droits de l’homme en France et dans le système de la Convention

européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il n’a pas à

faire l’effort de s’extraire de son domaine habituel d’étude.

1 Pour une démonstration en ce sens à partir des travaux préparatoires du Code civil des Français : X. Lagarde,

Pourquoi le droit est-il complexe ?, Le Débat, 2003, no127, p. 146.

74

Très souvent, cependant, la comparaison de deux ou trois contextes différents ouvre des

perspectives plus vastes. Elle est l’occasion, en effet, de mettre en exergue une différence de

nature entre les constructions juridiques élaborées à chaque étage du droit.

Situation – Le décloisonnement du droit européen et du droit national

Un exemple de comparaison du droit européen de la concurrence avec une règle nationale

relative au contentieux contractuel

Une affaire « Courage » (CJCE 20 septembre 2001, aff. C-453 / 99) a été l’occasion de

mettre en comparaison le droit européen de la concurrence (droit des ententes) et une règle

nationale (anglaise) limitant la faculté pour une partie à un contrat illicite de dénoncer la

nullité du contrat (exception d’indignité). Au terme d’une analyse comparée des finalités

respectives du droit européen et du droit national, la Cour de justice a considéré que le droit

européen « ne s'oppose pas à une règle de droit national qui refuse à une partie à un contrat

susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de se fonder sur ses propres

actions illicites aux fins d'obtenir des dommages et intérêts, dès lors qu'il est établi que cette

partie a une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence » (pt. 36 de

l’arrêt). Cette comparaison entre les deux niveaux de droit n’avait rien d’évidente. Le droit

européen se contente de poser un interdit : la nullité des ententes contraires à la libre

concurrence. Le droit national pose quant à lui une règle de procédure qui limite les

possibilités d’agir en justice pour une partie à un contrat. En dépit de cette altérité, la Cour de

justice est parvenue à concilier les objectifs en présence (voir sur cette démarche

comparative du juge européen, notre analyse proposée in « Principe communautaire

d’autonomie procédurale et droit national des contrats », RDC 2003, 71).

Situation – Le décloisonnement du droit international et du droit européen

Comparer, par exemple, une règle de droit international privé et une règle européenne de

libre circulation

La jurisprudence rendue par la Cour de justice en matière de nom patronymique a été

l’occasion de confronter les solutions tirées du droit international privé et du droit européen

de la libre circulation. Alors que le droit international privé s’efforce de définir notamment

des règles de rattachement conduisant à l’application de tel droit national plutôt que tel autre,

la mise en œuvre du droit européen a amené la Cour de justice à énoncer des solutions

différentes, justifiées, selon elle, par un impératif de libre circulation (pour l’exemple le plus

connu : CJCE, 2 oct. 2003, Garcia Avello, aff. C-148/02). Dans un cas comme celui-ci, la

confrontation des droits peut déboucher sur une préférence délibérée donnée par la Cour de

justice au droit européen au détriment de solutions du droit international privé. Le citoyen

75

européen se voit ainsi reconnaître le droit de faire échec à l’application de la loi nationale

d’un Etat membre de manière à conserver la situation juridique acquise dans un autre Etat

membre au nom de son droit à la citoyenneté européenne. Les constructions du droit

international privé sont ainsi mises à mal. Pour comprendre cette perturbation, il est

impératif de comparer les finalités de cette discipline avec celles d’un droit européen qui

s’efforce manifestement de construire le statut du citoyen européen (voir sur ce thème :

E. Pataut, L’invention du citoyen européen, juin 2009, in http://www.laviedesidees.fr ; du

même auteur : « Citoyenneté communautaire et libre circulation des personnes – de la

construction d’un marché à l’élaboration d’un statut » in : S. Bollée, Y.-M. Laithier et C.

Pérès (dir.), L’efficacité économique en droit, Economica, 2010, p. 147).

§ 2 – Les préjugés culturels

63. La comparaison des droits dans le contexte national, international et européen peut se

heurter à des préjugés de nature culturelle, les deux principaux étant l’histoire (A) et la langue

(B).

A - L’histoire

64. La comparaison multiniveau se heurte à une donnée historique que l’on ne saurait

occulter : les trois grands contextes juridiques que nous avons identifiés ne partagent pas une

histoire véritablement commune. Le plus ancien des niveaux, le niveau national, s’est

construit en Europe à partir de la fin du Moyen âge. La figure contemporaine du droit

international, notamment l’organisation qu’elle propose d’une société internationale, remonte

au XIXe siècle. Enfin le niveau régional européen, c’est-à-dire la construction européenne

contemporaine, a pris corps au lendemain de la seconde guerre mondiale1.

Ce triple décalage entre le niveau national, international et européen peut être perçu comme

un obstacle à la comparaison. La préexistence du droit national sur le droit international et

européen, sa capacité à livrer des méthodes et solutions juridiques dans des domaines plus

étendus et plus variés que ceux, nécessairement spécialisés, du droit international et européen

seraient de nature à fausser la recherche des ressemblances et différences.

65. Ce préjugé « historique » dressé contre la comparaison multiniveau mérite d’être

combattu pour trois grandes raisons.

1 Pour une présentation macro-historique du développement des différents droits au titre de l’étude des

phénomènes de mondialisation du droit, voir J.-L. Halpérin, Profils des mondialisations du droit, Dalloz, coll.

Méthodes du droit, 2009.

76

Une première raison tient au fait que le contexte national, même s’il est plus ancien que les

contextes international et européen tel que nous les considérons ici, est lui-même le résultat

d’un processus de construction qui s’est largement appuyé sur une histoire antérieure à son

avènement1. Or cet héritage historique n’est pas devenu la propriété exclusive du contexte

national. Il irradie potentiellement tous les contextes, y compris les méthodes et solutions

élaborées en droit international et européen.

Une deuxième raison considère que l’argument utilisé pour affirmer une primauté historique

du droit national sur le droit international et européen est largement réversible. Il est loin le

temps où l’on pouvait considérer que seul le droit national était porteur d’une histoire devant

laquelle devaient nécessairement s’incliner les jeunes droits de source internationale et

européenne. Ces deux derniers contextes ont également leur histoire propre. Les méthodes et

solutions qui sont les leurs aujourd’hui sont rarement le fruit du hasard. Elles s’expliquent,

bien souvent, par des données anciennes qui ont une valeur historique comparable à celle qui

anime le droit national. Autrement dit, les différents contextes ont tous une histoire. La

comparaison peut donc parfaitement s’inscrire dans une perspective historique, d’autant plus

intéressante qu’elle permet parfois d’expliquer les ressemblances et différences observées à

différents âges de leur construction respective2.

La troisième raison est propre au travail d’application du droit national, international et

européen. La comparaison de ces différents contextes s’inscrit dans une démarche de

recherche immédiate de solutions, préfigurée par les deux autres étapes que sont la

combinaison et la hiérarchisation des droits en présence3. Elle n’entend pas révéler une vérité

historique difficilement conciliable avec des décalages dans le temps aussi importants. Peu

importe que les données historiques en présence ne correspondent pas aux mêmes périodes.

Seuls comptent les éléments de droit positif actuel appartenant à chaque contexte et qu’il

convient, le cas échéant, de comparer.

1 Pour différentes démonstrations en ce sens en droit privé, v. R. Zimmermann, Roman Law, Contemporary

Law, European Law : the Civilian Tradition Today, Oxford University Press, 2001 ; R.-M. Rampelberg, Repères

romains pour le droit européen des contrats, LGDJ, 2005. G. Hamza, Le développement du doit privé européen.

Le rôle de la tradition romaniste dans la formation du droit privé moderne, Bouchal – Budapest, 2005. 2 On saluera à ce titre, la publication d’une revue très riche consacrée à l’histoire de la construction européenne

contemporaine « Contemporary European History », Cambridge Journals, accessible en ligne :

http://journals.cambridge.org/action/displayJournal?jid=CEH . 3 Voir infra, Parties 2 et 3.

77

Situation – Comparer deux droits construits à des âges différents

L’exemple de l’interprétation du Code civil de 1804 à l’aune du droit de l’Union

européenne

Peut-on revisiter une disposition du Code civil français rédigé en 1804 à la lumière de la

construction du droit européen contemporain ? (voir, par exemple, se posant ouvertement la

question : Ph. Brun et Ch. Quézel-Ambrunaz, Vaccination contre l’hépathite B et sclérose en

plaques : ombres et lumières sur une jurisprudence instable, Revue Lamy Droit civil, 2008,

n° 52, 15). Si l’on accepte de mener une comparaison multiniveau, la réponse à cette

question doit pouvoir être positive. Prenons deux exemples. L’article 1107 du code civil fait

la distinction entre les contrats nommés et innommés en opposant les règles générales du

code civil aux règles spéciales contenues dans le code ou en matière commerciale. Si l’on se

pose, par exemple, la question de l’articulation du code civil et du droit européen régissant

un contrat spécial (par exemple, le contrat d’agence commerciale réglementé par la Directive

86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États

membres concernant les agents commerciaux indépendants), l’article 1107 du Code civil,

relu à la lumière de la construction européenne, offre un élément de réponse : les règles

générales du Code civil s’appliquent sous réserve du jeu de règles spéciales aménagées

notamment par la directive européenne et la loi nationale de transposition.

Un autre exemple peut être tiré de l’interprétation donnée par la Cour de cassation française

en matière d’indétermination du prix. La lecture proposée par une jurisprudence célèbre sur

l’indétermination du prix (Ass. plén. 1er déc. 1995 - 4 arrêts - pourvois n° 91-15.578, 91-

15.999, 91-19.653, 93-13.688) de l’article 1129 du Code civil s’accommode, en effet,

parfaitement du développement du droit européen de la concurrence. La solution française

prévoit qu’en principe une partie à un contrat peut fixer unilatéralement le prix sous réserve

qu’il n’y ait pas abus. Cette interprétation peut être rapprochée du développement du droit

européen des pratiques anticoncurrentielles qui interdit l’abus dans la fixation unilatérale du

prix par une entreprise en situation de position dominante sur son marché (art. 102 TFUE). Il

n’y a pas de difficulté ici à rapprocher deux dispositions, l’une écrite en 1804 (art. 1129

Cciv) et l’autre en 1957 (art. 86 du Traité CEE devenu art. 82 CE puis art. 102 TFUE).

B - La langue

66. Le comparatiste entendu au sens classique du terme, celui qui se livre à une

comparaison des droits nationaux, butte fréquemment sur la question du plurilinguisme.

Chaque fois qu’il manie des droits construits autour de langues différentes, il est confronté à

une multitude de difficultés. Il lui faut, pour commencer, accéder à une langue qui n’est pas la

sienne. Il doit ensuite trouver le moyen de passer d’une langue du droit à une autre, sans trop

78

de dommages, c’est-à-dire sans déformer ou travestir les notions qu’il emprunte à un système

et qu’il tente de transporter dans un autre système pétri dans une autre langue. Des réflexions

approfondies existent sur ce sujet difficile. On observe notamment que les juristes et

linguistes s’intéressent de plus en plus à la question des rapports entre la langue et le droit1.

Le thème philosophico-juridique de la traduction connaît, par ailleurs, un certain essor2. Mais

la langue étrangère n’en demeure pas moins une forme de préjugé hostile à la comparaison,

préjugé qu’il faut savoir vaincre pour ne pas commettre d’erreur d’analyse.

Les perspectives offertes par une comparaison multiniveau du droit national, international et

européen ne modifient pas fondamentalement cet état des choses. La langue étrangère soulève

des difficultés comparables qu’elle soit pratiquée dans un contexte national, international ou

européen. En effet, aucun de ces deux derniers contextes n’a fait disparaître le plurilinguisme.

On peut estimer, au contraire, qu’ils le cultivent d’une certaine manière. L’Union européenne

a fait le choix de préserver une diversité linguistique qu’elle a inscrite dans sa loi

fondamentale et qui implique des efforts considérables de traduction3. Au niveau international

où la présence de l’anglais domine les discussions et travaux, le multilinguisme n’a pas non

plus disparu. La plupart des grands textes internationaux sont rédigés en plusieurs langues

officielles. Par ailleurs, il n’est pas rare qu’un traité soit négocié dans une langue, rédigé dans

une autre et interprété dans une troisième4.

67. Dans la perspective qui est la nôtre d’une comparaison multiniveau, le multilinguisme

demeure et il peut être source de difficultés d’interprétation. Mais des solutions existent,

notamment dans l’hypothèse fréquente où un même texte juridique est rédigé en plusieurs

1 Voir notamment : D. Laméthie et O. Moréteau, L’interprétation des textes juridiques rédigés dans plus d’une

langue, RIDC 2006, 327 ; O. Moréteau, Les frontières de la langue et du droit : vers une méthodologie de la

traduction juridique, RIDC 2009/4, p. 695 ; M. Cornu et M. Moreau (dir.), La traduction du droit et le droit de la

traduction, Dalloz, 2011 ; S. Decaudin, Approche juridique de la traduction du droit, Cejec-wp 2010/1

(http://www.cejec.eu) ; R. Sacco (dir.), Les frontières avancées du savoir du juriste : l’anthropologie juridique et

la traductologie juridique / The Advanced Frontiers of Legal Science : Legal Anthropology and Translation

Studies in Law, Bruylant 2011. 2 F. Ost, Traduire – Défense et illustration du multilinguisme, éd. Fayard, 2009.

3 Article 55 du Traité sur l’UE. Voir sur ce thème : E. Grasso, La question de la terminologie dans l’Union

européenne : le multilinguisme entre le droit à la différence et l’uniformisation, direction A. Simoni et S. Robin-

Olivier, thèse de doctorat des Universités de Florence et de Paris Ouest – Nanterre La Défense (cotutelle), mars

2010. 4 Sur l’appréhension de la diversité linguistique en droit international, voir notamment : P. Kovacs, Les langues

et le droit international, in J.-M. Thouvenin et Ch. Tomuschat (dir.), Droit international et diversité des cultures

juridiques, éd. Pedone, 2008, spéc. p. 123.

79

langues. Dans cette circonstance, une idée de « neutralité linguistique »1 semble gouverner le

travail d’interprétation. La circulation, dans différentes langues, d’un même matériau

juridique - principe, règle ou décision – est, en principe, considérée comme équivalente. Il n’y

a pas de raison a priori de faire prévaloir une langue sur une autre et donc de préférer

délibérément telle version linguistique à telle autre. Cette approche prima facie cède le pas en

cas de réelle distorsion entre les différentes langues du texte à appliquer. Dans ce cas,

l’interprète n’a d’autre choix que de prendre une nécessaire distance avec les différentes

lettres du texte pour tenter de trouver dans son esprit, sa raison d’être et ses finalités, le

creuset d’une interprétation commune à toutes les versions linguistiques. Cette dernière est

grandement facilitée en présence d’un interprète unique capable de donner du texte une

lecture authentique.

Situation – La question du plurilinguisme devant les juges

Deux cas de multilinguisme devant la Cour de justice de l’Union européenne

Il est fréquent que la Cour de justice soit saisie de la question du multilinguisme. Elle peut

revêtir deux grands aspects. Le premier vise l’hypothèse rare d’une lacune, c’est-à-dire le cas

où un texte n’a pas été traduit dans l’une des langues officielles de l’Union européenne. La

solution retenue par la Cour de justice est radicale : le texte non publié au JO dans l’une des

langues de l’UE est inopposable aux particuliers du ou des États concerné(s) alors même

qu’il est établi que le texte pourrait être compris dans une autre langue de l’Union (CJCE, 11

déc. 2007, Skoma, aff. C-161/06). Le second, beaucoup plus fréquent, conduit la Cour de

justice à s’interroger sur la diversité des interprétations que laisse entrevoir un texte européen

(traité, règlement ou directive par exemple) rédigé en vingt-trois langues officielles

différentes. Selon une jurisprudence abondante et constante, « la formulation utilisée dans

une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base

unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par

rapport aux autres versions linguistiques. Une telle approche serait incompatible avec

l’exigence d’uniformité d’application du droit de l’Union. En cas de divergence entre les

versions linguistiques, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie

générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément » (CJUE,

1 Il ne semble pas que la « neutralité linguistique » ait été érigée à ce jour « en principe » par les auteurs qui se

sont intéressés à la question de la circulation d’un texte juridique rédigé en plusieurs langues. Mais c’est une idée

que l’on trouve souvent exprimée dans les travaux consacrés au sujet. Voir notamment sur ce thème : R. Sacco et

L. Castellani (dir.), Les multiples langues du droit européen uniforme, éd. L’Harmattan Italia, 1999 ; R. Sacco

(dir.), l’interprétation des textes juridiques rédigés dans plus d’une langue, éd. L’Harmattan Italia, 2002.

80

25 mars 2010, Helmut Müller, aff. C-451/08, point 38 ; comparer, pour le premier arrêt

rendu en ce sens, CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff. 29/69).

81

Section 3 – Les finalités

68. La comparaison du droit national, international et européen poursuit deux grandes

finalités : la connaissance des contextes juridiques pertinents (§ 1) et la définition d’une

stratégie juridique (§ 2).

§ 1 – La connaissance des contextes juridiques pertinents

69. Comparer, c’est connaître l’ensemble des contextes juridiques avec lesquels un cas est

susceptible d’entretenir des liens. Deux approches peuvent être successivement menées : une

recension des contextes juridiques pertinents (A) et leur comparaison (B).

A – La recension des contextes juridiques pertinents

70. La comparaison multiniveau a pour objectif la recension de l’ensemble des données

utiles à la résolution d’un cas, que ces données appartiennent au contexte national,

international ou européen. Il s’agit pour le juriste de repérer le ou les niveaux de droit

pertinents, c’est-à-dire ceux qui sont susceptibles de livrer les méthodes et solutions utiles à la

résolution du cas. Pour ce faire, il est nécessaire de procéder à une première approche

quantitative des droits potentiellement applicables. Combien de droits, présents dans

différents contextes, va-t-il falloir interroger pour déterminer s’ils ont effectivement vocation

à s’appliquer à la situation en cause ? Pour répondre à cette interrogation, une démarche en

deux temps peut se révéler utile.

Premier temps : il importe de déterminer le contexte avec lequel le cas présente des liens.

S’agit-il d’un cas purement interne à un Etat, relevant a priori du contexte national ? S’agit-il,

au contraire, d’un cas international, mobilisant les ressources du droit international privé ou

public ? S’agit-il, enfin, d’un cas de dimension régionale, soumis par exemple au droit

européen (Union européenne ou Conseil de l’Europe) ? Les réponses à ces questions livrent

une première indication sur ce que l’on pourrait appeler le contexte de référence, celui auquel

est principalement rattaché le cas en cause.

Situation – Identifier le contexte de référence

Un exemple de cas purement interne à un Etat

L’hypothèse la plus simple est celle d’une situation de fait purement interne à un Etat.

Imaginons un cas. Paul et Marie sont de nationalité française. Ils se sont mariés en France,

pays de leur résidence habituelle. Leurs trois enfants sont nés en France. Leur patrimoine

immobilier et mobilier est localisé sur le seul territoire français. Ils souhaitent divorcer,

82

liquider leur régime matrimonial, définir les modalités d’exercice de l’autorité parentale sur

leurs enfants et contester, le cas échéant, le lien de filiation établi par mariage pour le

troisième enfant. La situation est franco-française. A priori, elle relève principalement du

contexte national.

Un exemple de cas intra-européen

Parfois la situation de fait présente des éléments de localisation dans plusieurs États

européens, membres de l’Union européenne par exemple. Adaptons le cas précédent. Paul

est de nationalité allemande et Marie est de nationalité française. Ils se sont mariés en France

et ont leur résidence habituelle en Allemagne. Leur premier enfant est né en France et les

deux autres en Allemagne. Ils possèdent des comptes en banque dans les deux pays et ont

acheté une résidence de vacances en Espagne. Ils souhaitent divorcer, liquider leur régime

matrimonial, définir les modalités d’exercice de l’autorité parentale sur leurs enfants et

contester, le cas échéant, le lien de filiation établi par mariage pour le troisième enfant. La

situation est intra-européenne. A priori, elle relève principalement du contexte européen.

Un exemple de cas international

La situation de fait peut également présenter des éléments de localisation dans un pays tiers à

l’Union européenne. Si dans l’exemple précédent on substitue la Suisse à l’Allemagne, on

est en présence d’une situation internationale.

71. Second temps : il importe de s’interroger sur l’aptitude du cas en cause à être projeté

dans d’autres contextes que celui qui lui sert a priori de référence. Il se peut, en effet, qu’un

cas purement interne à un Etat soit malgré tout soumis au jeu de règles élaborées à un niveau

international ou européen. Dans un ordre d’idée comparable, on peut concevoir qu’un cas

proprement international ou européen mette en scène l’application d’un droit national. Enfin,

on peut imaginer qu’un cas localisé principalement au niveau international soit transportable

au niveau européen ou inversement. Certains liens entre les contextes peuvent être apparents.

D’autres, au contraire, sont plus difficiles à identifier. Pour pouvoir les déceler, il faut donc

avoir le réflexe de projeter le cas hors de son contexte de référence.

Situation – Projeter un cas hors de son contexte de référence

L’exemple d’un cas interne et le contexte international et européen

Dans l’exemple précédent du couple français qui entend divorcer en France, la projection du

cas hors du contexte national de référence conduit le juriste à s’interroger sur l’impact exercé

sur son cas par des instruments internationaux et européens potentiellement applicables, y

compris à des situations purement internes. On songe, par exemple, à la Convention

83

européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (COE, 1950)

ou, encore, à la Convention de New York relative aux droits de l’enfant (ONU, 1989).

L’exemple d’un cas européen et le contexte interne et international

Dans l’hypothèse ci-dessus décrite du divorce d’un couple franco-allemand, le cas relève

notamment d’instruments de type européen (par exemple : Règlement (CE) n° 2201/2003 du

Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des

décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ; Règlement

(CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la

reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations

alimentaires ; Règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en

œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la

séparation de corps). Mais il est soumis également à des droits nationaux (règles de conflits

de lois de sources nationales applicables en matière de divorce en l’absence d’harmonisation

européenne et, naturellement, loi nationale applicable au divorce proprement dit) et

internationaux (application, le cas échéant, de la Convention de La Haye de 1980 sur les

aspects civils de l'enlèvement international d'enfants). Le contexte européen définit ainsi un

certain nombre de solutions juridiques qui est complété par le contexte national et

international.

L’exemple d’un cas international et le contexte interne et européen

Dans le cas de figure précédemment exposé du divorce d’un couple franco-suisse, la

situation relève potentiellement, au niveau international, de textes internationaux (par

exemple : Convention de La Haye de 1973 concernant la reconnaissance et l'exécution de

décisions relatives aux obligations alimentaires). Elle demeure soumise néanmoins dans

l’espace intra-européen (Union européenne) à des instruments applicables en ce domaine

(Règlement (CE) n° 2201/2003, Règlement (CE) n° 4/2009 et Règlement (UE)

n° 1259/2010, préc., applicables dans l’hypothèse où un juge français est saisi de la demande

en divorce ou d’un différend relatif à la définition d’une obligation alimentaire). Enfin,

comme dans le cas précédent, elle laisse une place à l’application du droit national.

B – La comparaison des contextes juridiques pertinents

72. Une fois repérés les contextes susceptibles de livrer des réponses au traitement d’un

cas donné, le juriste peut être conduit à les comparer.

Au premier degré, la comparaison consiste à mettre en relation des méthodes et solutions

empruntées aux différents contextes, dans une perspective totalement horizontale. L’ensemble

des données sont extraites de leur environnement d’origine pour être traitées en considération

84

du seul résultat qu’elles produisent. C’est une approche sans doute rudimentaire de la

comparaison. Elle peut être critiquée pour son manque de profondeur et, surtout, son caractère

instrumental1. Mais elle demeure utile au juriste car elle offre un premier enseignement sur les

ressemblances et différences entre les différentes méthodes et solutions applicables.

73. Cette comparaison au premier degré ne permet pas toujours d’obtenir une information

suffisante sur les potentialités offertes par les différents contextes. Il est alors nécessaire de la

compléter par une comparaison de second degré capable de prendre en compte

l’environnement juridique dans lequel s’intègrent les méthodes et solutions mises en

comparaison. Chaque donnée, qu’elle soit tirée du contexte national, international ou

européen, est susceptible d’appartenir à un ensemble juridique, un système juridique.

Comparer les méthodes et solutions juridiques en présence peut nécessiter parfois de

comparer les systèmes auxquels elles appartiennent. L’application du droit national,

international et européen ne répond pas aux mêmes logiques selon qu’elle est située dans un

ordre juridique étatique, dans l’ordre international ou au sein d’une organisation européenne

reposant sur un principe d’intégration juridique.

Situation – De la comparaison des méthodes et solutions à la comparaison des systèmes

juridiques en présence

L’exemple d’un cas national, international ou européen

Si l’on s’appuie sur les trois cas précédemment décrits du divorce d’un couple français,

franco-allemand ou franco-suisse (voir supra, xxx), l’approche qualitative de la comparaison

va permettre de mettre en évidence les points de ressemblance et de différence suivants :

- dans le cas du couple français : vont s’appliquer les règles du Code civil français applicable

en matière de divorce et d’obligations alimentaires et les droits fondamentaux de source

internationale ou européenne qui sont de nature à infléchir le cours de la procédure (par

exemple, sur la question de l’audition des enfants mineurs devant le juge français aux

affaires familiales) ou la solution (par exemple, sur le traitement égalitaire des époux dans

l’octroi du droit d’hébergement et de visite des enfants) ; ces règles sont essentiellement

mises en œuvre par le juge français ; mais la question peut se poser à un stade ultime de la

procédure nationale d’un recours devant la CEDH en cas de manquement à la CESDHLF ;

1 Sur cette critique, formulée essentiellement dans le contexte traditionnel de la comparaison des droits

nationaux, voir, en particulier, P. Legrand (dir.), Comparer les droits, résolument, éd. PUF, 2009. Voir

également, critiquant cette approche en termes de clivage entre les privatistes et les publicistes, M.-C.

Ponthoreau, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Ed. Economica, 2010, spéc. p. 43 et s.

85

dans cette hypothèse, deux systèmes juridictionnels seront successivement mobilisés :

interne puis européen, chacun ayant une architecture juridique propre ;

- dans le cas du couple franco-allemand : peuvent s’appliquer potentiellement plusieurs

droits nationaux (allemand, espagnol et français) ; différents juges étatiques sont

potentiellement compétents ; des règles européennes existent pour arbitrer les compétences

juridictionnelles et législatives concurrentes et permettre une circulation des décisions de

justice intervenues dans l’espace européen ; en cas de difficulté, le juge national peut poser

une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne ; la Cour de justice,

qu’elle soit interrogée sur l’interprétation d’un texte de droit dérivé ou sur sa validité, rendra

sa décision eu égard aux principes et règles de fonctionnement de l’ordre juridique de l’UE ;

dans sa décision, la Cour de justice peut être amenée également à faire une place à une

convention de La Haye ou des Nations Unies liant la France et l’Allemagne pour compléter

le dispositif européen ;

- dans le cas du couple franco-suisse : la situation internationale est à cheval sur trois

environnements : le contexte international représenté ici, notamment, par des instruments

juridiques définis par les États au sein de la conférence de La Haye sur le droit international

privé ou sein des Nations Unies ; le contexte de l’Union européenne et du Conseil de

l’Europe qui ont vocation à déployer pleinement leurs effets, dès lors, par exemple, que c’est

le juge d’un Etat partie qui est saisi de la demande en divorce ; le contexte national qu’il soit

français, espagnol ou suisse qui disposent de leur propre système juridictionnel ou hiérarchie

des normes ; tous ces contextes sont dotés de caractéristiques juridiques que le juriste peut

être amené à comparer à ce stade premier de l’application du droit national, international et

européen.

§ 2 – La définition d’une stratégie juridique

74. Le point ultime de la comparaison multiniveau doit permettre au juriste de définir une

stratégie juridique. Schématiquement, il lui faut déterminer si la résolution de son cas

nécessite l’ouverture d’un ou plusieurs fronts de discussion dans différents contextes

juridiques. Parfois, la question ne se pose pas en termes de choix. Le juriste, selon sa position

(juriste d’une entité privée ou publique, avocat, juge, etc.), peut être amené à subir le choix

imposé par un autre acteur ou une règle de droit. Mais quand ce choix est possible, le juriste

est alors invité à répondre à deux questions successives. La situation de fait est-elle

susceptible de relever d’un ou plusieurs contextes à la fois ? Quel est ou quels sont le ou les

contexte(s) qui doivent ou peuvent être retenus ?

86

Dans les affaires complexes où les enjeux politico-socio-économiques sont importants, il est

fréquent que plusieurs fronts soient ouverts en même temps dans différents contextes

juridiques. Chaque contexte présente bien souvent une particularité, de sorte que la

sollicitation de plusieurs contextes traduit une pluralité d’objectifs. Les moyens d’action

présents dans les différents contextes ne sont pas nécessairement les mêmes. Le temps pour

les mettre en œuvre ne s’égrène pas de la même manière. L’ouverture de plusieurs fronts peut

ainsi procéder d’une logique de mise en concurrence des contextes en présence dans l’espoir

qu’ils interagissent les uns sur les autres.

Situation – Les stratégies à fronts multiples

Un exemple en droit d’auteur national, international et européen

Supposons qu’un législateur national (le législateur Français, par exemple) projette

d’introduire dans sa réglementation sur le droit d’auteur une exception générale au droit

exclusif d’exploitation justifiée par un impératif pédagogique. Le projet de disposition

nationale est libellé de la manière suivante : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne

peut interdire les utilisations publiques de son œuvre intervenant à l’initiative des organismes

d’enseignement public ou privé ». Le juriste est saisi de la question de savoir s’il est possible

de remettre en cause cette solution qui, si elle est adoptée par le législateur national,

constitue une véritable menace pour les intérêts pécuniaires des auteurs et leurs ayants droit.

Trois fronts s’offrent au juriste :

- un front national où la question peut être posée devant les instances étatiques (Parlement,

puis, le cas échéant, Conseil constitutionnel, puis juge ordinaire de la compatibilité de la

disposition en cause avec les standards internationaux (Convention de Berne de 1886 pour la

protection des œuvres littéraires et artistiques - OMPI ; Traité de l'OMPI de 1996 sur le droit

d'auteur ; Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au

commerce de 1994 - OMC) et européens (Directive (CE) n° 2001/29 du Parlement européen

et du Conseil, 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des

droits voisins dans la société de l'information) applicables en ce domaine ;

- un front européen où la même question peut à terme être posée mais devant la Commission

(procédure en constatation de manquement) ou Cour de justice de l’Union européenne

(renvoi préjudiciel en interprétation de la directive européenne) ;

- un front international qui pourrait être mobilisé à l’initiative d’un autre Etat dans le cadre

du règlement des différends de l’OMC.

Rien n’interdit d’imaginer que ces trois fronts puissent être ouverts à un moment ou à un

autre, de manière parallèle et qu’ils soient de nature à interagir les uns sur les autres. Ainsi,

87

le front national peut être utilisé pour inviter les parlementaires français à renoncer à

l’adoption du projet en cause. Si la loi est votée, elle pourra être invalidée par le Conseil

constitutionnel, s’il est saisi, pour non-respect de la Directive (CE) n° 2001/29 (préc.) qui

enferme l’exception de pédagogie dans des conditions beaucoup plus strictes de mise en

œuvre. À défaut de contrôle a priori, c’est au juge ordinaire (judiciaire et/ou administratif)

qu’il reviendra d’apprécier la conformité de la loi nationale aux standards internationaux ou

européens existants, quitte à ce qu’il interroge le Conseil constitutionnel à un moment ou à

un autre de la procédure par le jeu de la question prioritaire de constitutionnalité. Le front

national peut interférer avec le front européen. Le juge ordinaire français peut être amené à

interroger la Cour de justice à titre préjudiciel pour obtenir une interprétation de la directive

européenne ou contester sa validité, de sorte que la réponse des juges de Luxembourg ait un

impact sur sa solution. Il peut en aller de même si un arrêt est rendu par la Cour de justice

dans le cadre d’une procédure en constatation de manquement. Le front européen peut

interférer à son tour avec le front international. La perspective d’une saisine de l’ORD de

l’OMC pour violation par l’accord ADPIC (préc.) est tout à fait envisageable. Elle peut être

l’occasion de sanctions économiques prises contre l’Etat qui ne respecte pas ses

engagements internationaux. Elle peut également servir d’impulsion à de nouvelles

négociations internationales.

Compte tenu de ces différentes possibilités, le juriste doit choisir d’ouvrir un seul ou

plusieurs fronts, sachant que même s’il n’ouvre qu’un seul front, l’existence des différents

contextes juridiques sera potentiellement présente dans l’esprit des acteurs s’ils décident de

les évoquer (sur l’hypothèse inverse, voir ci-après, le développement de stratégies à front

unique). Voir, à titre d’exemple : Conseil constitutionnel français : décision n° 2006-540 DC,

27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de

l'information ; CJCE, 16 juillet 2009, Infopaq, aff. C-8/08 ; ORD, Rapport du groupe spécial,

26 janv. 2009, Etats-Unis c. Chine, WT/DS362.

Pour une étude des stratégies juridiques à l’œuvre dans différentes branches de la propriété

intellectuelle, voir : M. E. Pinto Marinho, L’idée de « droit commun pluraliste » à l’épreuve

des processus d’internationalisation du droit des brevets », Thèse de l’Université de Paris I -

Panthéon Sorbonne, 2009 ; C. Le Goffic, La protection des indications géographiques –

France Union européenne Etats-Unis, Litec, 2010.

75. Les stratégies à fronts multiples ne sont pas toujours possibles ou souhaitables. Le

juriste peut être conduit à privilégier un contexte plutôt qu’un autre, soit une stratégie à front

unique.

88

Situation – Les stratégies à front unique

Un exemple (à nouveau) en droit d’auteur national, international et européen

L’hypothèse est connue : soit un litige présenté devant un juge national (français par

exemple) afférant à la protection d’un droit d’auteur. Supposons que le titulaire du droit,

demandeur à l’action, s’interroge sur le point de savoir s’il doit développer ou non une

argumentation de droit national, international ou européen. La décision de se placer sur un

terrain plutôt qu’un autre est loin d’être anodine. Par exemple, le demandeur peut décider de

s’appuyer sur les seules dispositions de droit national alors pourtant que ces dispositions

transposent une directive européenne ou traduisent dans l’ordre juridique français le respect

d’une stipulation conventionnelle internationale. Cette stratégie peut avoir pour objectif

d’éviter qu’un débat ne s’ouvre sur la conformité du droit français à des normes

internationales ou européennes, débat qui pourrait notamment inciter les parties ou le juge à

solliciter, par voie préjudicielle, une interprétation de la Cour de justice de l’Union

européenne. Cette perspective de renvoi préjudiciel peut, en effet, avoir des conséquences

que les acteurs du procès peuvent juger contraires à leurs intérêts. Par exemple, les parties et

parfois même le juge peuvent redouter les effets d’une suspension de procédure pendant

l’année et demie généralement nécessaire au traitement de la question préjudicielle. De

même, ils peuvent vouloir privilégier, consciemment ou inconsciemment, une discussion

juridique franco-française, sans risque de la voir influencée par des considérations de droit

international ou européen. Si l’on pousse un peu plus loin ces considérations stratégiques,

c’est la nature même de la question juridique en débat qui peut dépendre de la volonté des

acteurs de se placer ou non sur le seul terrain du droit national. On ne le fait sans doute pas

assez souvent remarquer : poser une question préjudicielle à la Cour de justice, ce n’est pas

pour le juge national poser la même question de droit à un autre acteur institutionnel, c’est

poser une autre question de droit. Le juge européen y répondra avec ses référents, ses outils,

son appareil jurisprudentiel qui ne sont pas strictement identiques à ceux que manipule le

juge national. Le juriste doit donc mesurer les enjeux qu’implique, dans un procès national,

l’évocation de questions de dimension européenne ou internationale. Voir à titre

d’illustration, en droit des marques : CJCE, 23 avril 2009, Dior II, aff. C-59/08 où la

question de l’incidence de l’inexécution d’une obligation contractuelle soulevée devant le

juge national a conduit à une réflexion, devant la Cour de justice, sur la raison d’être de la

protection de la propriété intellectuelle comprise comme une potentielle entrave à la libre

circulation (pour une explication du phénomène, voir notre commentaire : À propos du petit

droit européen des contrats : de quelques exemples récents en droit de la propriété

intellectuelle, RDC 2010, 725).

89

Ce type de visée stratégique a fait l’objet d’un échange public lors de la première séance des

« Rendez-vous de 5h » organisés en mai 2012 par l'association IP Assas (Master 2 de droit

de la propriété intellectuelle de l’Université de Panthéon-Assas, dirigé par P.-Y. Gautier) sur

le thème : « La CJUE est-elle en train de refondre la propriété intellectuelle et le commerce

électronique ? ».

90

CHAPITRE 2 – LA COMPARAISON PROPREMENT DITE

76. La comparaison des droits dans le triple contexte national, international et européen

porte potentiellement sur différents objets : le domaine d’application des droits en présence

(Section 1), les conditions dans lesquelles ils peuvent être invoqués (Section 2), les méthodes

et solutions qu’ils retiennent (Section 3).

91

Section 1 – La comparaison des domaines d’application

77. Les méthodes et solutions juridiques élaborées dans différents contextes – national,

international et européen – du droit, n’ont pas toutes nécessairement le même domaine

d’application. Il est donc important de comparer le domaine matériel (§ 1), spatial (§ 2) et

temporel (§ 3) des différents droits en présence.

§ 1 – Le domaine matériel

78. Le domaine matériel du droit national, international et européen potentiellement

applicable est défini à l’aide de qualifications juridiques (A) dont il est possible de dresser une

typologie (B).

A- Le recours à des qualifications juridiques

79. Pour déterminer les situations auxquelles s’applique une règle de droit, le juriste a

recours à des qualifications juridiques. Considérée de manière générale, l’opération de

qualification permet, en effet, de déterminer si un cas concret entre dans le domaine matériel

d’application de telle ou telle règle de droit. Ce domaine est défini à l’aide de notions et

catégories juridiques. Généralement, on distingue, deux étapes dans le processus, selon qu’il

s’agit nommer juridiquement une situation (un acte, un fait, un bien ou une personne) ou de

déterminer la place qu’il occupe au regard de plusieurs catégories juridiques exclusives l’une

de l’autre (acte ou fait juridique ; chose ou personne)1. Dans les deux cas, l’opération permet

de déterminer quel type de règle de droit est apte à appréhender une situation donnée.

80. Dans un contexte de pluralisme juridique mondial, la source et le contenu des notions

et qualifications juridiques peuvent varier selon qu’elles sont puisées au niveau national,

international ou européen. Il est donc utile de les comparer.

Situation – Les qualifications nationales, internationales ou européennes

Un exemple à propos des marchandises : le cas du médicament

Les médicaments sont soumis à un régime juridique particulier. Ils forment une catégorie

juridique à part entière. La qualification juridique de « médicament » peut être fonction du

droit qui lui sera appliqué à un niveau national, international ou européen. Par exemple, on

trouve une définition du médicament à l’article L 5111-1 du code français de la santé

publique. En droit de l’Union européenne, la Cour de justice a été amenée à livrer de très

1 Sur cette distinction, spécialement dans le contexte international, voir notamment, avec les références

proposées : B. Ancel, Repertoire de droit international, éd. Dalloz, V° Qualification.

92

nombreuses interprétations des textes de droit dérivé aujourd’hui codifiés par la Directive

2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code

communautaire relatif aux médicaments à usage humain (voir, par exemple, pour l’un des

premiers arrêts : CJCE, 30 novembre 1983, aff. 227/82, Van Bennekom). Même la Cour

européenne des droits de l'homme s’est prononcée sur le sujet dans le triple contexte du droit

français, du droit de l’Union européenne et du droit du Conseil de l’Europe (CEDH, 15 nov.

1996, Req. n° 17862/91, Cantoni c/ France). L’Organisation mondiale de la santé (OMS)

participe également à ce travail de définition en proposant une classification des différents

types de médicaments.

Pour une étude d’ensemble, voir Dictionnaire permanent Bioéthique et Biotechnologies, V°

Médicaments.

Un exemple à propos des actes juridiques : la distinction entre la vente et la prestation de

services

La distinction entre la vente et la prestation de services pose un problème connu de

qualification juridique. Le régime du contrat de vente et du contrat de louage d’ouvrage

n’obéissant pas nécessairement aux mêmes règles juridiques (par exemple, en matière de

détermination du prix ou du tribunal normalement compétent), il importe d’identifier pour

chaque situation, la figure contractuelle qui lui correspond. La clé de distinction entre les

deux contrats peut varier d’un contexte à l’autre selon la source juridique considérée. En

droit national français, par exemple, la distinction résulte de l’interprétation jurisprudentielle

donnée par la Cour de cassation des articles 1582 et 1792 du Code civil. En droit européen,

la distinction est utilisée dans des instruments de droit dérivé (par exemple, Règlement (CE)

n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la

reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, art. 5.1.b). En

droit international, un instrument spécifiquement dédié à la vente internationale de

marchandises s’efforce de faire la distinction entre la vente et les contrats complexes, mêlant

fourniture de biens et de services (par exemple : Convention de Vienne de 1980 sur la vente

internationale de marchandises – ONU - CNUDCI, art. 3).

Un exemple à propos des personnes : la définition de l’enfant

Différents instruments nationaux, internationaux et européens s’appliquent spécifiquement

aux enfants. Pour déterminer si une personne entre dans cette catégorie juridique, il faut

interroger les textes en présence pour savoir s’ils sont matériellement applicables. Parfois, ils

livrent des éléments de qualification. Ainsi, par exemple, la loi française crée une

responsabilité des parents du fait de leurs « enfants mineurs » (article 1384 alinéas 4 et 7 du

Code civil), ce qui exclut les enfants ayant atteint l’âge de la majorité de 18 ans et les

mineurs émancipés. Quant à la Convention de New York sur les droits de l’enfant (ONU -

93

1989), elle définit l’enfant comme « tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la

majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » (art. 1er). Enfin,

la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre un article aux « Droits de

l’enfant », mais ne propose pas de définition de la notion (art. 24).

Un exemple à propos des situations juridiques : la distinction entre les situations internes

et les situations internationales ou européennes

Dans les différents contextes d’application du droit, une distinction importante est parfois

faite entre les situations internes et les situations internationales. Quand cette distinction est

mise en œuvre, elle commande potentiellement le jeu de règles juridiques spécifiques selon

que l’on est dans l’une ou l’autre catégorie. L’exemple le plus caractéristique est celui de

l’arbitrage en droit français qui distingue clairement entre les solutions juridiques applicables

à l’arbitrage en général (art. 1442 et s. CPC) et l’arbitrage international en particulier (art.

1492 et s. CPC). On la retrouve également dans des instruments internationaux destinés à

appréhender spécifiquement des situations internationales, comme en matière de transport

international (par exemple : Convention de Montréal de 1999 pour l’unification de certaines

règles relatives au transport aérien international) ou d’intermédiation ou représentation (par

exemple : Convention de La Haye de 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires

et à la représentation, Conférence de La Haye).

Elle est également présente dans des dispositions de droit de l’Union européenne qui visent à

appréhender spécifiquement les flux de circulation à l’intérieur de l’espace européen et qui

ne se veulent pas applicables à des situations purement internes à un Etat membre ou à des

situations impliquant des Etats tiers (par exemple : Directive 93/7/CEE du Conseil du 15

mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un

État membre).

Mais ça n’est pas la règle générale. Il est fréquent, en effet, que le droit élaboré dans le

contexte national s’applique indifféremment à des situations internes à un Etat ou à des

situations internationales ou européennes (par exemple, un contrat de vente internationale de

marchandises soumis à la loi française choisie par les parties). Le même phénomène peut

être observé aux niveaux international ou européen (par exemple, un instrument européen ou

international portant droit uniforme qui s’applique indifféremment aux situations internes,

internationales et européennes ; autre exemple : une règle européenne relative à une liberté

de circulation appliquée à une situation purement interne à un Etat membre).

B- Les différents types de qualifications juridiques

81. La comparaison des différentes qualifications juridiques élaborées dans un contexte

national, international ou européen est source de plusieurs enseignements. Le juriste peut, tout

94

d’abord, se trouver en présence d’une qualification universellement admise à tous les niveaux

du droit ou, au contraire, de qualifications qui varient selon le contexte considéré.

Situation – Les qualifications universelles et les qualifications particularistes

Un exemple à propos des personnes : retour sur la définition de l’enfant

La définition de l’enfant présente un caractère universel. C’est ainsi qu’il faut lire, par

exemple, la Charte de l’Union européenne qui, bien que ne définissant pas le terme, renvoie

implicitement à la définition donnée par la Convention de New York (voir en ce sens, les

explications relatives à la Charte établies par le Praesidium de la Convention européenne,

JOUE C303 du 14 déc. 2007). Mais à y regarder de plus près, on observe que cette définition

souffre également de particularisme. La Convention de New York réserve, en effet,

l’hypothèse où la majorité est atteinte avant 18 ans en vertu de la législation qui lui est

applicable. Cette solution laisse place à deux variables. La première vise le cas où une

réglementation fixe le seuil d’une majorité civile, pénale ou sexuelle, par exemple, à un

niveau inférieur à l’âge de 18 ans. La seconde concerne les causes d’émancipation des

mineurs. Il en résulte une hétérogénéité des solutions qui n’est pas visible au premier abord.

82. Le juriste peut, par ailleurs, observer que la qualification qu’il utilise existe à son

niveau de manière autonome ou, à l’opposé, qu’elle est empruntée à un autre niveau que le

sien.

Situation – Les qualifications autonomes et les qualifications dépendantes

Un exemple à propos des actes : retour sur la distinction entre le contrat de vente et le

contrat de services

La distinction entre le contrat de vente et le contrat de services est un bon exemple de

qualification tantôt autonome, tantôt dépendante. Par qualification autonome, il faut

considérer l’hypothèse où le juriste travaillant dans un contexte (national, international ou

européen) est en mesure de trouver la qualification qu’il recherche à son niveau. Par

exemple, s’il s’agit d’appliquer les règles de droit interne pour déterminer si l’on est en

présence d’un contrat de vente ou d’un contrat de louage d’ouvrage, c’est très certainement

dans ce contexte interne - national ou étranger peu importe à ce stade de la comparaison -

que doit être recherchée la qualification en cause. De la même manière, s’il s’agit de

caractériser en droit de l’Union européenne, une activité de services suceptible de relever de

la libre prestation de services, le traité européen donne une définition autonome (article 57

TFUE).

Par qualification dépendante, il faut envisager le cas différent où le juriste est contraint de

rechercher la qualification en cause dans un autre contexte que celui dans lequel il travaille

95

habituellement. Par exemple, si le juriste de droit européen veut mettre en œuvre la

distinction entre le contrat de vente et de louage d’ouvrage utilisée par le Règlement (CE) n°

44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la

reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (préc.), il est

contraint, en l’état de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, d’avoir

recours à des qualifications nationales, dès lors que la distinction entre le contrat de vente et

le contrat de services n’a pas été à ce jour définie positivement au niveau européen dans le

contexte spécifique de cet instrument de droit international privé (voir, néanmoins, pour une

définition négative de ce qui n’est, ni un service ni une vente (à propos d’un contrat de

licence d’exploitation d’un objet de propriété intellectuelle) : CJCE, 23 avril 2009, Falco, aff.

C-533/07). Pour une réflexion approfondie sur le jeu des qualifications en ce domaine et la

proposition d’un modèle réaliste de qualification, voir J.-S. Quéguiner, Le juge du contrat

dans l’espace judiciaire européen - Qualification et détermination d’une compétence

spéciale, Thèse de l’Université Jean Moulin - Lyon 3, 2012.

Les solutions peuvent varier d’un domaine à l’autre du droit européen. Pour un effort de

qualification autonome en matière fiscale (TVA), voir CJUE, 10 mars 2011, aff. jtes Bog ea,

C-497/09, C-499/09, C-501/09, C-502/09 ; pour une mise en perspective de la question, voir

l’analyse proposée par A. Tenenbaum, Qualification de la prestation de services, RDC 2012,

179.

83. Le juriste peut, enfin, constater que certaines qualifications sont supplétives, en ce

sens que les sujets de droit peuvent, dans une certaine mesure, en disposer alors que d’autres

sont manifestement d’ordre public.

Situation – Les qualifications supplétives et les qualifications d’ordre public

Deux exemples à propos de l’arbitrage et du contrat de vente

Les qualifications retenues dans tel ou tel droit pour distinguer, par exemple, l’arbitrage

interne de l’arbitrage international ou le contrat de vente du contrat d’entreprise sont-elles

intangibles ou peuvent-elles être aménagées par une volonté contraire ? Autrement dit, peut-

on déroger à une règle qui prévoit de ne s’appliquer qu’à des situations données alors que les

parties se trouvent dans une autre situation ? La réponse à cette question varie selon la nature

de la règle qui définit le domaine matériel du droit en cause. Si l’on considère que la

qualification est impérative, il ne sera pas possible d’y déroger. Dans le cas contraire, si elle

est supplétive, on peut envisager que les destinataires de la règle en disposent autrement. Par

exemple, les règles de droit français sur l’arbitrage (préc.) sont d’ordre public en ce sens que

les parties à un arbitrage interne ne peuvent volontairement se soumettre aux dispositions

moins contraignantes relatives à l’arbitrage international. En revanche, il est admis, à

96

certaines conditions, que des parties à un contrat d’entreprise choisissent de se voir appliquer

la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises (préc.) alors

qu’elle exclut normalement ce type de contrat (sur le régime alors applicable, voir A. Malan,

L’extension du champ d’application d’une convention d’unification matérielle par la volonté

des parties, JDI 2004, 443, spéc. n° 28 et s.).

Selon le cas de figure, la question de l’application du droit national, international et européen

ne se présente donc pas sous le même jour. La confrontation des contextes, leur combinaison

et éventuelle hiérarchisation1 sont d’autant plus pertinentes que les qualifications juridiques

en présence diffèrent d’un espace à l’autre. Il est donc nécessaire de procéder, au premier

stade de l’analyse juridique, à leur comparaison.

§ 2 – Le domaine spatial

84. La définition du domaine d’application dans l’espace du droit national, international et

européen fait l’objet d’un questionnement particulier (A) qui met en scène une grande

diversité de solutions (B).

A – La question de l’applicabilité dans l’espace du droit national, international et européen

85. Les méthodes et solutions juridiques élaborées dans le contexte national, international

ou européen n’ont pas seulement un domaine matériel d’application. Elles disposent

également d’un domaine d’applicabilité dans l’espace. Ce domaine permet de localiser d’un

point de vue strictement géographique, les situations concrètes soumises aux droits

matériellement applicables. Il est utile de pouvoir s’y référer dans un contexte de pluralisme

juridique mondial où le juriste peut être quelque peu désorienté face à la profusion des droits

qui s’offrent à lui.

86. Ce domaine spatial est parfois défini explicitement à l’aide de critères de localisation.

Ces critères s’appliquent potentiellement à tous les éléments d’une situation donnée :

localisation des personnes, des biens, des actes et des faits juridiques.

Situation – La localisation des cas dans l’espace

Exemples de critères utilisés pour localiser un cas dans l’espace

Les critères de localisation susceptibles d’être utilisés pour déterminer le domaine

d’applicabilité spatiale des méthodes et solutions juridiques élaborées dans le contexte

national, international ou européen peuvent potentiellement porter sur : les personnes

1 Sur ces deux processus de combinaison et hiérarchisation, voir infra, Parties 2 et 3.

97

physiques : la nationalité, le domicile ou la résidence ; les personnes morales (de droit privé

ou de droit public) : le lieu d’établissement ou le droit en conformité duquel elles ont été

constituées ; les biens : le lieu de leur situation ou de leur éventuelle immatriculation ; les

actes : le lieu de leur adoption ou conclusion ou de leur exécution ; les faits : le lieu où ils se

sont originairement produits et/ou le lieu où ils produisent leurs effets, etc.

Selon la nature juridique de la situation en cause et le contexte d’application du droit

considéré, le juriste peut être invité à utiliser l’un ou l’autre de ces critères.

87. Ces critères de localisation sont généralement incorporés à des règles. Dans leur

acception la plus large, on les appelle des « règles d’applicabilité spatiale »1. Elles sont

potentiellement présentes à tous les niveaux du droit : national, international ou européen.

Situation – L’existence de règles d’applicabilité spatiale

De quelques exemples en droit national, international et européen

Les règles d’applicabilité spatiale peuvent concerner le droit national, international ou

européen. Voici quelques exemples :

- applicabilité du droit national : les dispositions du droit national qui définissent le champ

d’application dans l’espace de la loi nationale (par exemple, les articles 113-1 et s. du Code

pénal français qui distinguent les règles d’applicabilité de la loi pénale française selon

différents critères, notamment le lieu des infractions commises sur ou en dehors du territoire

national, la nationalité française ou étrangère de l’auteur de l’infraction et celle de sa

victime) ;

- applicabilité du droit international : les dispositions contenues dans un instrument de droit

international qui entendent localiser dans l’espace les situations auxquelles il s’applique (par

exemple, la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises

(préc.) qui prévoit de s’appliquer notamment aux contrats conclus entre des parties établies

dans des Etats signataires différents, art. 1.1.a) ;

- applicabilité du droit européen : les dispositions de droit primaire ou dérivé qui désignent

les situations dans l’espace que le droit européen entend régir (par exemple, art. 20 TFUE

qui réserve le bénéfice de la citoyenneté européenne et des droits y afférents aux personnes

ayant la nationalité au moins d’un Etat membre ; art. 2.1 du Règlement (CE) n° 44/2001 du

Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et

l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dont les règles de compétence

1 Voir l’étude majeure de M. Fallon, Les règles d’applicabilité en droit international privé, in Mélanges offerts à

Raymond Vander Elst, éd. Nemesis, Bruxelles 1986, p. 285.

98

directe ne s’appliquent, en principe (il y a de nombreuses exceptions), que si le défendeur est

domicilié dans un Etat membre).

B – La diversité des solutions

88. Une comparaison des critères et règles d’applicabilité spatiale définis dans le contexte

national, international ou européen peut révéler une grande diversité de solutions selon la

question de droit posée et le ou les contextes concernés. Pour tenter de s’y retrouver, le juriste

est amené à faire un effort de systématisation.

L’hypothèse que nous avons déjà rencontrée est celle où une règle de source nationale,

internationale ou européenne est assortie explicitement d’une règle d’applicabilité spatiale

(voir ci-dessus, au paragraphe précédent, les différents exemples proposés). Ces solutions

d’applicabilité peuvent concerner dans l’absolu des règles de droit public ou de droit privé,

des règles de fond ou des règles de procédure.

Pour certaines d’entre elles, leur analyse appelle un examen plus approfondi. Les règles

d’applicabilité spatiale n’ont pas toutes la même signification juridique ou ne produisent pas

toutes le même effet. Il faut pouvoir distinguer certaines singularités. Entre autres possibilités,

trois singularités sont ici évoquées.

89. Une première singularité concerne les règles à forte dimension institutionnelle. Le

domaine spatial des règles nationales, internationales ou européennes définies pour le

fonctionnement d’institutions administratives ou juridictionnelles est normalement fonction

du système juridique qui les porte. Une autorité nationale est naturellement soumise aux

règles de fonctionnement de l’Etat qui l’a instituée. Il en va de même pour les institutions

créées par un traité international ou européen. Leurs activités sont régies par les règles de

droit primaire et dérivé qui forment le système juridique qui les a fait naître. Dans ces

différentes hypothèses, c’est le droit du siège de l’institution qui s’applique sans qu’il soit

d’ailleurs nécessaire de le préciser toujours explicitement. Si ce fonctionnement interne venait

à être altéré par une source externe, nous serions alors en présence d’une hypothèse de

combinaison des droits1. Mais cette applicabilité de règles institutionnelles « étrangères » qui

appartiennent à un autre système juridique que celui auquel est rattachée l’institution

1 Voir infra, Partie 2.

99

concernée demeure une exception au principe d’applicabilité du droit du for de l’institution1.

Situation – Le domaine d’applicabilité des règles à caractère institutionnel

Exemples à propos des juridictions nationales, internationales ou européennes

La Cour de cassation, le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel français sont

naturellement régis dans leur mode de fonctionnement par le droit français (Constitution de

1958, lois organiques, etc.). Pour une juridiction internationale, telle que la Cour

internationale de justice ou la Cour pénale internationale par exemple, c’est le traité qui l’a

instituée qui définit les règles de fonctionnement applicable (Charte des Nations Unies

(1945) et Statut de Rome (1998). Pour une juridiction européenne, telle que la Cour de

justice de l’UE ou la Cour européenne des droits de l’homme, il faut également se référer

aux textes en vigueur dans le système juridique européen considéré : UE (ex. CEE de 1957,

devenue CE en 1992) ou CESDHLF (1950).

90. Une deuxième singularité distingue les règles d’applicabilité spatiale selon qu’elles

portent sur des règles matérielles, sur des règles de conflits de lois ou sur des règles de conflit

de juridictions. Les solutions juridiques qui permettent de définir le champ d’application dans

l’espace du droit national, international ou européen peuvent, en effet, porter soit sur des

règles matérielles qui ont vocation à livrer une solution à une question de fond donnée, soit

sur des règles de conflit de lois qui permettent de désigner le droit normalement applicable,

soit sur des règles de conflit de juridictions qui règlent les questions de compétence

internationale des juridictions nationales et les modalités de circulation des décisions de

justice. Cette distinction entre les trois familles de règles nous vient du droit international

privé. Mais elle est partiellement opérationnelle en droit public qui, s’il n’utilise pas à

proprement parler de règles de conflit de lois ou de juridictions, est fréquemment amené à

délimiter l’application dans l’espace de ses règles matérielles.

Situation – L’applicabilité dans l’espace des règles matérielles et des règles de conflit de

lois et de juridictions

Exemples de solutions en droit national, international et européen

La plupart des règles d’applicabilité porte sur des règles matérielles. En droit international

privé, on associe ainsi ces règles au jeu des « lois d’application immédiate » qui, comme leur

1 Précisons que cette exception est parfois de grande ampleur. C’est le cas du dédoublement fonctionnnel des

institutions nationales quand elles sont amenées à agir selon les principes et règles qui président aux ordres ou

systèmes juridiques de dimension internationale ou régionale. Pour une appréhension de ce phénomène, voir

infra, n° xxx.

100

nom l’indique, s’appliquent immédiatement selon leurs propres critères d’applicabilité, sans

qu’il soit nécessaire de recourir à un facteur de rattachement (par exemple, en droit français,

il est admis que l’art. 215 al. 3 Cciv. qui protège le logement familial, s’applique de manière

immédiate, quelle que soit la loi normalement applicable au régime matrimonial des époux,

dès lors que l’immeuble est situé en France (voir sur ce point, avec les différentes références

citées : M. Revillard, Les régimes matrimoniaux - Droit international privé, Juris-classeur

Droit international, fasc. 556, n° 129) ; comp., de manière plus explicite encore : l’art. 311-

15 Cciv. qui régit les effets de la possession d’état en matière de filiation quand l’enfant et

l’un au moins de ces deux parents résident en France, indépendamment de la loi qui leur est

normalement applicable). Ces lois d’application immédiate peuvent parfois être des « lois de

police », en ce sens qu’elles traduisent l’exercice d’une police administrative de l’Etat (pour

différents exemples tirés de la jurisprudence nationale récente, Voir M.-N. Jobard-Bachellier

et F.-X. Train, Juris-classeur Droit international, fasc. 534-1 : Ordre public international).

L’expression est parfois étendue au droit de l’Union européenne, sans que ce soit d’ailleurs

toujours justifié. En effet, on a montré que les règles d’applicabilité définies dans le contexte

de l’UE s’inscrivaient dans un mouvement plus ample de définition unilatérale du champ

d’application des règles matérielles européenne : voir, à propos du droit dérivé, S. Francq,

L’applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international

privé, Bruylant-LGDJ, 2005).

Parfois, c’est la règle de conflit de lois elle-même qui fait l’objet d’une règle d’applicabilité.

La règle qui permet de déterminer la loi applicable dans une hypothèse de conflit de lois est

ainsi soumise à une règle d’applicabilité dans l’espace. L’exemple le plus connu en droit

international est ancien : la Convention de La Haye de 1956 sur la loi applicable aux

obligations alimentaires dont l’article 6 limite la portée de la convention à la désignation de

la loi d’un Etat signataire. Ce type de clause n’a pas été retenu dans les instruments plus

récents élaborés sous l’égide de la Conférence de La Haye de droit international privé. En

droit de l’Union européenne, la règle d’applicabilité peut affecter des règles de conflit de lois

à forte coloration matérielle (voir, par exemple, à propos de la loi applicable aux contrats

d’assurance, l’article 7 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil

du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit « Rome I » qui

délimite le champ d’application spatiale de la règle de conflit par une localisation du risque

dans l’espace juridique européen ; comparer (entre autres exemples) : le champ d’application

spatiale de la Directive 96/71 du 16 décembre 1996 concernant le détachement de

travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ou du Règlement (CE) n°

2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société européenne (SE) qui

posent tous deux des règles de conflits de lois lato sensu).

101

Enfin, s’agissant des règles de conflit de juridictions, il faut faire plusieurs distinctions. Les

règles de source nationale ont, en principe, une assise strictement nationale. La compétence

internationale des juridictions françaises ou l’exequatur des décisions étrangères sur le sol

national sont naturellement soumis aux règles nationales de procédure. Si la solution au

conflit de juridictions trouve sa source dans une disposition de droit international ou

européen, il faut alors distinguer selon qu’elles portent sur la compétence directe des

juridictions ou sur l’exequatur des décisions. Sur le premier point, toutes les solutions sont

envisageables : certains instruments s’appliquent aux juridictions des Etats parties, sans autre

critère d’applicabilité (par exemple, Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du

27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en

matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale) ; d’autres au contraire

ajoutent des critères supplémentaires prenant en compte par exemple le domicile du

défendeur (par exemple, Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000

concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en

matière civile et commerciale). Sur le second point, il va de soi que les règles internationales

ou européennes en matière d’efficacité des décisions étrangères s’appliquent aux seules

décisions rendues par les juridictions des Etats signataires (voir, en droit européen, les deux

exemples ci-dessus).

91. Une troisième singularité porte sur le vocabulaire qui peut être utilisé pour graduer

l’applicabilité spatiale du droit national, international ou européen. Une distinction peut être

faite entre les droits qui sont aptes à s’appliquer sans limitation spatiale et ceux dont

l’applicabilité est géographiquement limitée. Parfois on désigne les premières par l’expression

« applicabilité universelle », alors que les secondes présentent un caractère « d’applicabilité

autolimitée ». Ces deux expressions sont néanmoins trompeuses. Il est rare, en effet, qu’une

règle soit véritablement d’applicabilité universelle et il existe des procédés indirects de

définition du champ d’applicabilité dans l’espace qui ne procèdent pas par autolimitation de la

règle.

Situation – A propos de l’applicabilité dite universelle et autolimitée

Exemples de solutions en droit national, international et européen

Les hypothèses d’applicabilité dite « universelle » du droit, c’est-à-dire sans limitation a

priori de la portée géographique des règles en présence, existent dans tous les contextes du

droit. En droit national, le terme est souvent utilisé en matière pénale, chaque fois que le juge

détient une compétence pour appréhender des comportements criminels qui ne présentent pas

un lien étroit avec le territoire national. Ceci dit, il faut distinguer deux hypothèses. Les

102

hypothèses où la compétence universelle est absolue comme cela a été ou est le cas dans

certains pays (par exemple, hier en Belgique et aujourd’hui en Espagne) et les hypothèses où

elle est plus raisonnée comme c’est le cas en France (articles 689-1 s. du CPP). Dans le

premier cas, le juge national peut avoir à connaître de crimes qui ne présentent aucun

rattachement avec le territoire national. Dans le second cas, la présence sur le sol français de

la personne suspectée du crime à l’étranger peut être l’une des conditions minimales

d’applicabilité du texte. Ces compétences dites « universelles » en matière pénale sont

également consacrées dans leur version non absolue par de nombreux instruments

internationaux spécifiques (par exemple, la Convention de New York de 1984 contre la

torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants - ONU).

La question de l’applicabilité universelle se pose également fréquemment à propos des droits

de l’homme (voir en particulier sur ce thème : D. Lochak, Le droit et les paradoxes de

l’universalité, PUF, 2010). Le développement de ces droits, notamment dans le contexte

régional du Conseil de l’Europe, avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales (1950), soulève de vifs débats sur le caractère

réellement universel des valeurs occidentales portées par cet instrument. Le débat n’est pas

seulement de nature philosophique ou sociologique. Il a également une dimension juridique

sur la portée géographique de l’instrument. La question se pose notamment de savoir s’il faut

appliquer la CESDHLF à des situations localisées dans des pays étrangers au Conseil de

l’Europe aux seuls motifs qu’elles ont été présentées à un juge d’un Etat membre et que ce

dernier a rendu une décision susceptible d’être critiquée par la Cour européenne des droits de

l’homme (pour une discussion sur ce thème, voir, avec les nombreuses références citées, L.

Gannagé, L’ordre public international à l’épreuve du relativisme des valeurs, Travaux du

CFDIP, année 2006-2008, Pedone 2009, 205).

A l’opposé de ces questionnements, le point relativement technique se pose de savoir s’il

existe un ou plusieurs procédés juridiques pour limiter la portée géographique d’une règle.

La réponse a été donnée par un auteur qui a proposé de systématiser les règles d’applicabilité

(M. Fallon, Les règles d’applicabilité en droit international privé, in Mélanges offerts à

Raymond Vander Elst, éd. Némésis, Bruxelles 1986, p. 285). C’est ainsi qu’il distingue les

règles directes d’applicabilité des règles indirectes. Les premières sont des dispositions

d’autolimitation du type de celles que nous avons présentées précédemment (voir supra, n°

xxx). Les secondes sont des règles de conflit de lois bilatérales ou unilatérales qui permettent

de désigner la loi normalement applicable dans l’espace pour régir un rapport de droit (loi de

la résidence d’une personne, de situation d’un bien, du lieu de réalisation d’un fait ou de

conclusion d’un acte, etc.). Ces dernières existent à tous les niveaux, national (par exemple,

l’article 310 du Code civil qui pose une règle de conflit de lois unilatérale en matière de

103

divorce), international (par exemple, les nombreuses conventions de La Haye qui

uniformisent les conflits de lois : http://www.hcch.net) ou européen (par exemple, les

Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la

loi applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II », Règlement (CE)

n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux

obligations contractuelles dit « Rome I » ; Règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du

20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi

applicable au divorce et à la séparation de corps, dit « Rome III »). Voir du même auteur :

Les frontières spatiales du droit privé européen selon le droit de l’Union européenne, in E.

Poillot et I. Rueda (dir.), Les frontières du droit privé européen / The Boundaries of

European Private Law, Bruylant 2012, p. 65)

92. Enfin une quatrième et dernière singularité vise l’hypothèse où l’applicabilité

géographique est tributaire d’un choix de la part de ceux qui entendent se soumettre

volontairement à la règle. Le cas de figure est ici semblable à celui rencontré à propos des

règles d’applicabilité matérielle1. En effet, ce choix est parfois possible alors que dans

d’autres cas, l’applicabilité spatiale est imposée de manière impérative.

Situation – L’applicabilité choisie ou l’applicabilité imposée

Exemples de solutions en matière contractuelle

En matière contractuelle, les parties disposent d’une certaine autonomie de la volonté qui

peut les conduire à choisir comme droit applicable un droit national, international ou

européen qui, en l’absence de choix, ne serait pas normalement applicable. Le choix des

parties peut ainsi avoir pour effet d’étendre ou de réduire le domaine d’applicabilité spatial

du droit national, international ou européen en cause. Par exemple, les parties à un contrat

purement interne, conclu et exécuté dans un pays, décident de se soumettre à la loi d’un autre

pays (par exemple, le choix de la loi japonaise pour un contrat localisé en France) ou à une

convention internationale portant loi uniforme pour les contrats internationaux (par exemple,

la Convention « CMR » de Genève de 1956 sur le transport par route qui s’applique

normalement aux seuls transports internationaux) ou même à des principes européens qui

n’ont pas de valeur juridique contraignante (par exemple, les principes européens des

contrats de la Commission Lando). Ces choix sont-ils valables ? La réponse générale, qui

varie potentiellement d’un système juridique à l’autre, tient dans le contexte de notre droit

français en deux grandes propositions. Le choix ne peut avoir pour effet d’affranchir les

parties du respect de tout droit (c’est l’hypothèse condamnée du contrat sans loi, voir

1 Voir supra, n° xxx.

104

toujours cité : Cour de cassation, Civ., 21 juin 1950, Messageries maritimes, B. Ancel et Y.

Lequette, Grands arrêts de la jurisprudence de droit international privé, 5ème

éd. Dalloz, 2006,

n° 22). Ce choix est contraint par les dispositions impératives normalement applicables au

contrat en l’absence de choix (voir, par exemple, à propos de la Convention CMR, préc. :

Cour de cassation, Com., 1er juillet 1997, pourvoi n° 95-12221). Sous ces deux réserves et

sauf règles particulières à tel ou tel domaine, les parties au contrat ont une certaine prise sur

le domaine d’applicabilité spatiale des règles contractuelles. Dans certaines matières

particulières (en l’occurrence en matière de transport), cette pratique est désignée par

l’expression « clause paramount », chaque fois que les parties au contrat décident de se

soumettre au jeu d’une convention internationale alors que cette dernière n’est pas

normalement applicable, compte tenu de son domaine d’applicabilité dans l’espace. Pour une

analyse de la question dans le contexte du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement

européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit

« Rome I », spéc. son article 3, voir notamment les commentaires de : P. Deumier et J.-B.

Racine, Règlement Rome I : le mariage entre la logique communautaire et la logique

conflictuelle, RDC 2008, 1309 , P. Lagarde et A. Tenenbaum, De la convention de Rome au

règlement Rome I, RCDIP 2008, 727 ; S. Francq, Le règlement « Rome I » sur la loi

applicable aux obligations contractuelles. De quelques changements…, JDI 2009, 41.

§ 3 – Le domaine temporel

93. La question des effets du droit dans le temps se pose dans le triple environnement

national, international et européen. Tous les systèmes juridiques présents à ces différents

niveaux définissent des solutions en la matière. Ces dernières peuvent porter sur l’affirmation

d’un principe général relatif à la question importante de la rétroactivité des textes juridiques.

Situation – La question de la non-rétroactivité des lois

Exemples de solutions en droit national, international et européen

L’affirmation d’un principe général de non-rétroactivité de la loi nouvelle ou d’un traité ou

texte dérivé nouveau est présente potentiellement à tous les niveaux du droit. On la trouve

formulée de manière générale en droit français (art. 2 Cciv.) ou dans la Convention de

Vienne sur le droit des traités (art. 28) par exemple. Elle est également inscrite, s’agissant de

la loi pénale plus stricte, dans les textes nationaux (en France : art. 8 DDHC), internationaux

(art. 15 PIDCP) et européens (art. 7 CESDHLF et art. 49 de la CDFUE). La valeur juridique

du principe est précisée par chaque système juridique. En droit français, le principe de non-

rétroactivité n’est pas considéré d’ordre public en ce sens qu’une autre loi peut y déroger, à

condition toutefois de respecter différentes règles ou principes. Il en va de même pour le

105

droit international général qui autorise les Etats à aménager des solutions rétroactives pour ce

qui les concerne. En revanche, s’agissant des dispositions spécifiques à l’application de la loi

pénale en vigueur au jour de l’infraction, une valeur intangible leur est reconnue tant par des

textes internes à valeur constitutionnelle que par les textes internationaux et européens

(préc.). Certains systèmes vont plus loin en préconisant l’application rétroactive de la loi

pénale plus douce. L’Union européenne, par exemple, a ainsi considéré par la voix de la

Cour de justice que « le principe de l’application rétroactive de la peine la plus légère fait

partie des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres » (CJCE, 3 mai 2005,

Berlusconi, aff. C-387/02 ; comp. CEDH, 17 sept. 2009, Scoppolla c. Italie (N° 2), Req. n°

10249/03).

94. Les règles d’application dans le temps peuvent également intéresser la date d’entrée en

vigueur d’un nouveau texte et l’aménagement de dispositions de droit transitoire.

Situation – L’application dans le temps des textes nationaux, internationaux et européens

Exemples de dispositions sur l’entrée en vigueur et le droit transitoire

A chaque fois qu’il est fait référence à un texte de droit interne, international ou européen, il

est nécessaire de prendre connaissance des règles générales d’entrée en vigueur aménagées

par chaque système juridique et de vérifier que le texte en cause n’y déroge pas, par le jeu de

solutions spécifiques de droit transitoire. Au titre des premières, on trouve en droit interne

(par exemple, en France, l’Ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004), en droit

international (Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 24) et en droit européen

(s’agissant du droit UE dérivé : art. 297 § 1 al. 3 TFUE) une réglementation à caractère

général sur les modalités d’entrée en vigueur des textes nouvellement adoptés. Au titre des

secondes, il faut procéder au cas par cas et vérifier pour chaque texte, s’il précise la date et,

éventuellement, les modalités de son application dans le temps. Cette pratique est

particulièrement fréquente en droit de l’Union européenne. Qu’il s’agisse des traités, des

règlements ou des directives notamment, très fréquentes sont les règles de droit transitoire

qui s’étalent parfois sur des périodes très longues (par ex. la construction du marché commun

a obéi à un calendrier étalé sur une quinzaine d’années ; plus récemment, l’adhésion de

nouveaux Etats de l’Europe centrale et orientale ou le développement de nouvelles politiques

européennes ont fait l’objet de règles transitoires destinées à retarder sensiblement les effets

des nouveaux instruments en vigueur).

95. Elles sont susceptibles, enfin, d’appréhender la question épineuse de la limitation dans

le temps des effets des revirements de justice.

106

Situation – L’effet dans le temps des revirements de jurisprudence nationale, internationale

ou européenne

Un exemple d’analyse comparée en droit national et européen

Un rapport a été publié en France sur la question des effets dans le temps des revirements de

jurisprudence (N. Molfessis (dir.), Les revirements de jurisprudence – Rapport remis à

Monsieur le Premier Président G. Canivet, éd. Litec, 2005). Les données du problème sont

connues. Un changement opéré par la jurisprudence dans l’interprétation d’un texte produit

un effet rétroactif. On considère, en effet, que l’interprétation nouvelle du texte fait corps

avec le texte interprété, de sorte qu’elle est censée avoir toujours existé. Sous réserve des

décisions de justice définitives qui ne sauraient être remises en cause, elle s’applique à toutes

les situations, qu’elles soient antérieures ou postérieures à la décision rendue. Pour éviter que

cette application rétroactive du revirement de jurisprudence ne remette brutalement en cause

un nombre parfois très important de situations existantes, la question se pose de savoir si le

juge peut limiter les effets dans le temps de sa propre jurisprudence. A l’initiative d’un haut

magistrat français, un groupe de travail composé d’universitaires, de magistrats et d’avocats

a livré un travail de recherche. Sur un sujet aussi délicat que celui de l’effet dans le temps

des décisions de justice, il est apparu nécessaire d’en appeler, non seulement, aux

expériences des juridictions nationales françaises et étrangères, mais également, d’accorder

une place de choix à la jurisprudence européenne. Les juridictions européennes ont, en effet,

eu recours très tôt (voir, la première décision rendue en ce sens : CJCE, 8 avril 1976,

Defrenne, aff. 43/75) à la limitation des effets dans le temps de leur décision, hors contexte

des revirements de jurisprudence au demeurant (contrôle de la légalité des actes de l’UE ou

interprétation préjudicielle du droit de l’UE). Cette pratique européenne ne pouvait être

passée sous silence dans le contexte d’une étude à l’objet plus précis.

107

Section 2 – La comparaison des conditions d’invocabilité

96. L’aptitude pour un sujet à invoquer le droit national, international et européen est

fréquemment discutée dans un contexte de pluralisme juridique mondial. Différents cas de

figure peuvent être envisagés (§1) qui n’ont pas tous la même signification juridique (§2).

§ 1 – Les cas d’invocabilité dans le triple contexte national, international ou européen

97. Pour les besoins de l’analyse, trois hypothèses peuvent être distinguées selon que

l’invocabilité est appréhendée dans une situation mettant en scène une relation « droit

international - droit national » (A), « droit européen - droit national » (B) et « droit

international - droit européen » (C).

A – L’invocabilité et la relation droit international - droit national

98. Si l’on considère, pour commencer, la relation entre le contexte international et

national, on observe que la question de l’invocabilité a été pour l’essentiel appréhendée sous

l’angle de la réception en droit interne des instruments du droit international, en particulier

des traités internationaux. Le cas de figure le plus fréquemment envisagé est celui de

l’invocabilité d’une convention internationale par un sujet de droit privé devant une autorité

administrative ou judiciaire nationale. Le requérant excipe du bénéfice du texte international

pour tenter d’infléchir un processus de décision habituellement gouverné par les données du

droit interne applicable. De nombreux exemples existent, le plus étudié dans le contexte

français étant probablement celui tiré de l’invocabilité de la Convention de New York relative

aux droits de l’enfant (ONU, 1989).

Situation – L’invocabilité du droit international devant une instance nationale

L’exemple de l’invocabilité en France de la Convention de New York relative aux droits de

l’enfant

La possibilité pour un justiciable d’invoquer à son profit le bénéfice de la Convention de

New York relative aux droits de l’enfant (préc.) a fait l’objet en France d’une jurisprudence

abondante de la part, notamment, des deux juridictions supérieures de l’ordre administratif et

judiciaire. Si la position actuellement retenue par le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat 10 mars

1995, Req. n° 141083) puis la Cour de cassation (Civ. 1re, 14 juin 2005, pourvoi n° 04-

16942) convergent dans le sens d’une applicabilité directe de certaines dispositions de

l’instrument, il n’en a pas toujours été ainsi. Des hésitations subsistent, au demeurant, pour

certains articles. Pour chaque disposition de la Convention, la part doit être faite entre les

formulations purement proclamatoires qui ne permettent pas d’atteindre un résultat précis et

108

celles qui au contraire peuvent être mises en œuvre dans un contexte national. Par exemple,

l’article 3-1 de la Convention (« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants,

qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des

tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de

l’enfant doit être une considération primordiale ») a été reconnu d’effet direct à la différence

de l’article 14.1 (« Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur

état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent

de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services »). Voir

notamment sur la question avec les nombreuses notes de jurisprudence citées : D. Alland,

l’applicabilité directe du droit international considérée du point de vue de l’office du juge,

RGDIP 1998, pp. 203 ; P. Courbe, L’application directe de la Convention des Nations unies

sur les droits de l’enfant, D. 2006, 1487 ; B. Bonnet, Le Conseil d’Etat et la Convention

internationale des droits de l’enfant à l’heure du bilan, D. 2010, 1031.

99. Cette première hypothèse d’invocabilité du droit international devant une instance

nationale peut-elle être inversée ? Le droit national peut-il être invoqué devant une instance

internationale ? Bien que plus rarement considérée, la question appelle une réponse

affirmative. La prise en compte, par une instance internationale, de l’existence de mesures

nationales d’exécution d’une obligation internationale en offre l’illustration. Le cas le plus

courant est celui de l’Etat qui invoque des dispositions de son droit national pour démontrer

qu’il satisfait à ses engagements internationaux. Un autre cas, très particulier, existe quand le

droit national est invoqué devant une juridiction internationale pour caractériser l’existence

d’une règle coutumière internationale.

Situation – L’invocabilité du droit national devant une instance internationale

L’exemple du droit national considéré comme une mesure d’exécution d’une obligation

internationale

En droit international, il est admis qu’un Etat engage sa responsabilité s’il n’adopte pas dans

son droit national les mesures d’exécution qui s’imposent pour respecter et mettre en œuvre

ses engagements internationaux (CPIJ, avis du 21 fév. 1925 sur l’Echange des populations

turques et grecques, série B, n° 10, p. 20). Pour échapper à cette responsabilité

internationale, l’Etat mis en cause peut être conduit à invoquer à son profit des dispositions

de son droit national de nature à conforter la thèse que lesdits engagements sont bien

respectés. Cette invocabilité du droit national dans un cercle international peut faire l’objet

de discussions juridiques sur l’aptitude du droit national à satisfaire les exigences

internationales.

109

La teneur de ces discussions peut fortement varier au sein d’une même instance

internationale. C’est le cas, en particulier, de l’appréciation de la conformité du droit national

au droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) mené devant les groupes spéciaux

et l’organe d’appel qui préparent les décisions prises par l’Organe de règlement des

différends (ORD). Selon la nature des affaires, les instances de l’OMC mènent, tantôt, un

contrôle général et abstrait de la réglementation nationale, se contentant de vérifier son

existence, tantôt, un contrôle des effets concrets produits par l’application de la

réglementation nationale. Voir, notamment, sur ce thème, les explications et illustrations

proposées par : Y. Nouvel, Aspects généraux de la conformité du droit interne au droit de

l’OMC, AFDI 2002, 657, spéc., 670.

L’exemple du droit national invoqué devant une juridiction internationale pour

caractériser l’existence d’une règle coutumière internationale

Dans l’analyse de l’existence de règles coutumières internationales, le juriste de droit

international scrute la pratique de l’ensemble des acteurs, y compris des Etats quand ils

définissent des solutions à leur niveau, dès lors qu’elles sont susceptibles d’avoir un impact

sur les situations internationales. Cette méthode d’analyse a été maintes fois énoncée par la

Cour internationale de justice (voir fréquemment cité : «[i]l est bien évident que la substance

du droit international coutumier doit être recherchée en premier lieu dans la pratique

effective et l’opinio juris des Etats, même si les conventions multilatérales peuvent avoir un

rôle important à jouer en enregistrant et définissant les règles dérivées de la coutume ou

même en les développant » (CIJ, 3 juin 1985, Plateau continental (Jamahiriya arabe

libyenne/Malte), § 27).

Un arrêt récent illustre cette pratique (CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles

de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)). S’agissant du point de savoir si les

Etats bénéficient, en vertu d’une règle coutumière internationale, d’une immunité de

juridiction et d’exécution pour les actions en réparation intentées contre eux à la suite de

dommages causés en temps de guerre par leurs forces armées hors du territoire national, y

compris en cas d’atteintes graves (massacres de population), la CIJ s’est livrée à une analyse

de droit comparé. Diverses solutions législatives et jurisprudentielles nationales ont été ainsi

passées en revue, la juridiction internationale concluant son examen comparé en considérant,

notamment, « que le droit international coutumier impose toujours de reconnaître l’immunité

à l’Etat dont les forces armées ou d’autres organes sont accusés d’avoir commis sur le

territoire d’un autre Etat des actes dommageables au cours d’un conflit armé » (§. 78) et que

« en l’état actuel du droit international coutumier, un Etat n’est pas privé de l’immunité pour

la seule raison qu’il est accusé de violations graves du droit international des droits de

l’homme ou du droit international des conflits armés. En formulant cette conclusion, la Cour

110

tient à souligner qu’elle ne se prononce que sur l’immunité de juridiction de l’Etat lui-même

devant les tribunaux d’un autre Etat ; la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle

mesure l’immunité peut s’appliquer dans le cadre de procédures pénales engagées contre un

représentant de l’Etat n’est pas posée en l’espèce » (§. 91).

B – L’invocabilité et la relation droit européen - droit national

100. La question de l’invocabilité des droits peut également se poser dans les rapports entre

le droit européen et le droit national. Le cas le plus fréquemment étudié est celui de

l’invocabilité des différentes sources du droit européen devant les instances nationales. Qu’il

s’agisse des traités européens (par exemple, les TUE et TFUE ou encore la CESDHLF) ou du

droit dérivé (notamment les règlements et directives de l’UE), une attention très grande est

portée à l’aptitude des sujets de droit interne à invoquer à leur profit des dispositions du droit

européen dans les litiges qui les opposent, par exemple, à leurs autorités nationales ou,

également, dans des différends entre particuliers. L’hypothèse la plus emblématique de cette

invocabilité est celle des directives non ou mal transposées.

Situation – L’invocabilité du droit européen devant les instances nationales

L’exemple des directives UE non ou mal transposées invoquées devant un juge national

Les directives occupent une place singulière dans l’ordonnancement juridique de l’Union

européenne. Normes européennes à part entière, elles produisent un effet obligatoire. Les

États destinataires ont l’obligation de les transposer dans leur droit interne et bon nombre de

leurs dispositions formulent des règles juridiques claires, précises et inconditionnelles.

Cependant, à la différence des règlements, des décisions et des Traités, les directives n’ont

jamais un effet immédiat. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne l’exprime

très clairement : « La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre,

tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens »

(art. 288 TFUE). Quand la directive a été correctement insérée dans le droit national, ce

dernier est amené à être seul invoqué, sous la double réserve 1° que la directive n’a pas été

entre temps modifiée et 2° que l’interprétation qui en a été éventuellement donnée par le

Cour de justice depuis le moment de sa transposition en droit national, n’est pas de nature à

influer sur l’interprétation (conforme) du droit national (sur ce mécanisme d’interprétation

conforme, voir ci-après). En cas de transposition défaillante, la conciliation d’une directive et

d’un droit national incompatible (lacunaire ou contraire) soulève une question d’invocabilité

du droit européen dans le contexte national. Le caractère contraignant des directives veut

qu’une certaine efficacité leur soit reconnue. Cependant, l’absence d’effet immédiat milite en

faveur d’une certaine limitation de cette efficacité, spécialement dans l’hypothèse d’un

111

conflit avec le droit national. La jurisprudence s’est attachée, dans le respect scrupuleux de la

lettre et l’esprit du traité, à rendre compte de cette singularité des directives, en particulier

par rapport aux règlements. Contrairement à ces derniers, elles n’ont pas, par principe, un

effet direct. Elles ne sont susceptibles d’être directement invoquées que si elles satisfont trois

conditions : être claires et précises et non conditionnelles (V. notamment, toujours cité,

CJCE, 4 déc. 1974, Van Duyn, aff. 41/74). En outre, leur effet direct a été, jusqu’ici, contenu

dans des limites importantes qui traduisent la distinction voulue par les traités entre les

règlements et les directives. Tout individu peut invoquer la directive qui satisfait les

conditions de l’applicabilité directe dans ses rapports avec l’État (ou une entité démembrée),

soit pour écarter une solution nationale contraire, soit, le cas échéant, pour s’y substituer. En

revanche, la directive ne saurait, dans des litiges entre de simples particuliers, recevoir une

application pleine et entière en lieu et place du droit national incompatible (voir pour une

réaffirmation particulièrement explicite de cette solution : CJCE, 14 juill. 1994, Faccini Dori,

aff. C-91/92). Cela ne veut pas dire que les directives ne sont pas susceptibles d’être

invoquées dans les litiges entre personnes privées. L’obligation, pour le juge national,

d’appliquer le droit national « à la lumière » (principe d’interprétation conforme) du droit de

l’Union permet de faire produire d’importants effets aux dispositions des directives dans le

cadre du contentieux privé (voir par exemple, CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing, aff. C-

331/98). De même, il n’est pas rare que la directive soit sous-tendue par un principe général

du droit européen (V. en particulier, à propos du principe de non-discrimination : CJCE,

22 nov. 2005, Mangold, aff. C-144/04 ; comp. CJUE, 19 janv. 2010, Kücükdeveci, aff. C-

555/07).

101. Le schéma inverse d’une invocabilité du droit national devant une instance européenne

existe également. Outre l’hypothèse voisine de celle envisagée précédemment à propos des

rapports entre le droit international et le droit national, qui vise le cas où le droit national est

invoqué par un Etat soucieux de démontrer qu’il respecte ses engagements européens, on peut

imaginer la figure moins courante où le droit national est invoqué car il occupe une place à

part entière dans un raisonnement de droit européen.

Situation – L’invocabilité du droit national devant une instance européenne

L’exemple des traditions juridiques nationales invoquées devant la CJUE et la CEDH

Le droit issu des traditions juridiques nationales occupe une place importante en droit

européen. Devant la Cour de justice de l’Union européenne ou devant la Cour européenne

des droits de l’homme, il est fréquent que les solutions de droit national soient invoquées

pour influencer les constructions du droit européen. L’exemple le plus significatif en droit de

l’Union européenne porte sur la définition des principes généraux du droit européen. La

112

Cour de justice est amenée, bien souvent, à confronter les traditions juridiques des différents

États membres pour construire ses propres principes généraux du droit (pour une première

application : CJCE, 12 juill. 1957, Algera, aff. jtes 7/56, 3/57 à 7/57). Ainsi, par exemple, la

«confiance légitime », la «sécurité juridique », la «proportionnalité », le «principe du respect

des droits acquis », les «principes généraux de la procédure », le «principe d’égalité », le

«principe de bonne administration », ont tous une origine étatique. Le droit européen s’est

incontestablement construit grâce à l’aptitude des plaideurs et des juges à se référer à

l’application de principes généraux de source nationale. V. notamment sur ce thème :

J. Molinier (dir.), Les principes fondateurs de l’Union européenne, PUF, 2005.

Devant la Cour européenne des droits de l’homme, c’est la même démarche qui anime la

comparaison des droits nationaux quand elle se mue en un véritable principe d’interprétation

« consensuelle », destiné à confirmer ou infirmer l’existence d’un consensus en Europe sur

telle ou telle question juridique (par ex., le statut des enfants adultérins, l’euthanasie, la

réglementation applicable aux couples homosexuels, l’accouchement « sous X », etc.). Ici

encore, on observe que le droit national comparé est invoqué au soutien de la construction

d’une solution de droit européen, même si l’exercice n’est pas toujours bien maîtrisé par les

juges (pour une analyse critique de la manière dont la Cour européenne des droits de

l’homme manie l’argument de la comparaison, F. Sudre, À propos du dynamisme

interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme, JCP G, 2001, I, 335).

C – L’invocabilité et la relation droit international - droit européen

102. Une troisième forme d’invocabilité est celle qui met en relation le droit international et

le droit européen. Le droit international est fréquemment invoqué dans le contexte du droit

européen. Cette invocabilité est potentiellement le fait de tous les acteurs : sujets de droit

interne, sujets de droit international ou sujets de droit européen. Elle concerne potentiellement

toutes les sources du droit international : droit coutumier, traités, droit dérivé. Elle est

fréquente dans le domaine des droits fondamentaux où les instruments internationaux de

protection des droits de l’homme sont invoqués régulièrement au soutien de l’élaboration des

solutions de droit européen (Union européenne ou Conseil de l’Europe) : Déclaration

universelle des droits de l’homme des Nations Unies de 1948, Pacte international relatif aux

droits économiques, sociaux et culturels et Pacte international des droits civils et politiques

adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1966, etc. Mais cette invocabilité est

parfois plus problématique. C’est le cas emblématique de l’invocabilité devant les autorités de

l’Union européenne des accords ou décisions intervenus dans le cadre de l’Organisation

mondiale du commerce (OMC) et de l’organe de règlement des différends (ORD). Mais

113

d’autres situations peuvent se présenter, notamment dans le domaine du droit des transports et

du droit de l’environnement.

Situation – L’invocabilité du droit international devant une instance européenne

L’exemple de l’invocabilité des accords OMC et des décisions de l’ORD devant les

instances de l’UE

Les règles en matière d’invocabilité des conventions internationales au sein du système

juridique de l’Union européenne ont été pour l’essentiel dégagées par la jurisprudence de la

Cour de justice. Voir, toujours cité : CJCE, 12 déc. 1972, International Fruit Company,

aff. 21 à 24/72. Voir également, recourant à un principe d’interprétation conforme chaque

fois que l’instrument international n’est pas d’effet direct : CJCE, 16 juin 2003, Cipra, aff. C-

439/01. La Cour de justice refuse parfois de reconnaître un effet direct à des conventions ou

décisions internationales liant l’Union européenne. L’exemple le plus connu est celui des

accords conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des

décisions de l’Organe de règlement des différends (ORD). La Cour de justice ne souhaite pas

que les règles du commerce mondial interfèrent sur la légalité des textes de droit européen

dérivé ou interviennent au soutien d’actions en responsabilité engagées contre l’Union

européenne (Voir notamment : CJCE, 10 déc. 2002, BAT ea, aff. C-491/01 ; à propos du

célèbre contentieux de la banane : CJCE, 1er mars 2005, Van Parys, aff. C-377/02 ; CJCE, 9

sept. 2008, FIAMM, C-120 et 121/06). Cette attitude peut se comprendre et elle est, à vrai

dire, de bonne guerre, dans la mesure où elle est pratiquée par de nombreux partenaires

commerciaux de l’Europe. Le traitement différencié de la norme internationale n’en est pas

moins patent : l’Union européenne entend favoriser la résolution des litiges avec les États

tiers par l’organe de règlement des différends de l’OMC mais elle protège son système

juridique interne de l’influence que pourraient exercer les règles du commerce mondial en

restreignant considérablement la possibilité de les invoquer devant les instances

européennes. Voir en particulier sur ces questions, F. Schmied, Les effets des accords de

l’OMC dans l’ordre juridique de l’Union européenne et ses Etats membres, Fondation

Varenne, 2012.

L’exemple de l’invocabilité de la coutume internationale et des accords internationaux en

matière de transport aérien et de protection de l’environnement devant la CJUE

Un arrêt spectaculaire a été rendu par la Cour de justice qui touche à la matière du droit

international général et du droit international des transports et de l’environnement : CJUE,

21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10. Cet arrêt met en scène un renvoi préjudiciel en validité

auquel a procédé la High Court of Justice (England & Wales) dans un différend opposant Air

Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc. et

114

United Airlines Inc. (ci-après, ensemble, «ATA e.a. ») au Secretary of State for Energy and

Climate Change, au sujet de la validité des mesures de mise en œuvre d’une directive

européenne adoptées par le Royaume-Uni. Le thème des interactions entre le droit

international et le droit européen (en l’occurrence, le droit de l’Union européenne) est central

dans cette affaire. Il s’est agi pour la Cour de justice d’identifier, avec une grande précision,

« parmi les principes et les dispositions du droit mentionnés par la juridiction de renvoi »

(…) ceux, qui « peuvent être invoqués, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au

principal et aux fins de l’appréciation de la validité » d’une directive européenne (Directive

2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant la

directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire

d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, arrêt, point 45). Répondant à

l’interrogation, la Cour de justice a estimé que seuls pouvaient être appliqués, au titre de

différents contrôles (contrôle restreint pour les principes de droit coutumier et contrôle plein

pour les obligations conventionnelles) : « le principe selon lequel chaque État dispose d’une

souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien ; le principe selon lequel

aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à

sa souveraineté, et le principe qui garantit la liberté de survol de la haute mer » ainsi que les

articles 7 et 11, paragraphes 1 et 2, sous c), de l’accord «ciel ouvert » (…) conclu entre la

Communauté européenne et les Etats-Unis (2007, modifié en 2010) et l’article 15,

paragraphe 3, dudit accord, lu en combinaison avec les articles 2 et 3, paragraphe 4, de celui-

ci » (arrêt, point 111). N’ont, en revanche, pas été retenu dans ce cadre juridique de

référence, la Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale (1944), le

Protocole de Kyoto (1997) à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements

climatiques et l’existence d’un principe du droit international coutumier selon lequel un

navire qui se trouve en haute mer est en principe soumis exclusivement à la loi de son

pavillon s’appliquerait par analogie aux aéronefs survolant la haute mer.

La question de l’invocabilité a ainsi été notamment discutée dans cette affaire à propos de

l’accord « ciel ouvert » (préc.). La Cour de justice procède classiquement en deux étapes.

Elle jauge, dans un premier temps, l’économie générale de l’instrument international : « Dès

lors que l’accord «ciel ouvert » met en place certaines règles destinées à s’appliquer

directement et immédiatement aux transporteurs aériens et à leur conférer ainsi des droits ou

des libertés, susceptibles d’être invoqués à l’encontre des parties à cet accord, et que la

nature et l’économie de cet accord ne s’y opposent pas, il peut en être conclu que la Cour

peut apprécier la validité d’un acte du droit de l’Union, tel que la directive 2008/101, au

regard des dispositions d’un tel accord » (arrêt, motif 84). Elle s’attache, dans un second

temps, à « examiner si les dispositions de cet accord mentionnées par la juridiction de renvoi

115

apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises,

afin de permettre à la Cour de procéder à un examen de la validité de la directive 2008/101

au regard de ces dispositions spécifiques » (arrêt, motif 85). Cet examen la conduit,

notamment, à considérer que « l’article 11, paragraphes 1 et 2, sous c), de l’accord «ciel

ouvert », en ce qui concerne l’obligation d’exonération de droits, de taxes et de redevances, à

l’exception des redevances calculées en fonction des prestations fournies, pour le carburant

embarqué des aéronefs assurant des services aériens internationaux entre l’Union et les

États-Unis, peut être invoqué dans le cadre du présent renvoi préjudiciel aux fins de

l’appréciation de la validité de la directive 2008/101 au regard de cette disposition » (arrêt,

motif, 94).

103. Le cas opposé où le droit européen est invoqué dans un contexte de droit international

est envisageable. Certes, le droit européen n’a qu’une dimension régionale. Il ne saurait faire

jeu égal avec le droit international général, notamment devant les juridictions internationales

telles que la Cour internationale de justice. Mais son invocabilité sur la scène internationale

n’est pas une hypothèse d’école. Elle peut être constatée de manière parfaitement banale

chaque fois que le droit européen est confronté aux exigences du droit international. C’est le

cas, par exemple, d’une confrontation de la réglementation européenne avec les exigences

mondiales du libre-échange devant une instance de l’Organisation mondiale du commerce

(OMC). On trouve également des exemples dans la jurisprudence récente de la Cour

internationale de justice.

Situation – L’invocabilité du droit européen devant une instance internationale

L’exemple de l’invocabilité du droit européen devant une instance de l’OMC

Dans le fameux contentieux dit du « bœuf aux hormones » (préc., voir supra, n° xxx), la

réglementation européenne a été plusieurs fois invoquée devant les instances de l’Organe de

règlement des différends. On sait notamment que l’Union européenne a adopté une Directive

2003/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 modifiant la

directive 96/22/CE du Conseil concernant l'interdiction d'utilisation de certaines substances à

effet hormonal ou thyréostatique et des substances β-agonistes dans les spéculations

animales, de manière à se conformer à des recommandations et décisions de l’ORD

intervenues dans le litige qui l’oppose aux Etats-Unis et au Canada. L’invocabilité du droit

européen permet ici à l’ORD de vérifier que la mesure européenne de droit dérivé est

conforme aux exigences de l’OMC et donc de nature à mettre un terme aux contre-mesures

mises en œuvre par les opposants à l’Union européenne. Ce dernier vient d’ailleurs

récemment de rappeler que, s’agissant des dernières mesures européennes intervenues, une

procédure spécifique de vérification devait être mise en œuvre devant elle par les parties au

116

conflit (procédure dite de l’article 21.5 du Mémorandum d’accord sur les règles et

procédures régissant le règlement des différends figurant en annexe 2 de l’accord OMC).

Voir sur ce sujet et dans cette affaire, les explications de H. Ruiz Fabri et P. Monnier,

Chronique de règlement des différends, JDI 2009, spéc., 924 et s.

L’exemple du droit européen invoqué devant la Cour internationale de justice

Nous avons déjà eu l’occasion de signaler (voir supra, n° xxx) une jurisprudence récente de

la CIJ, accueillant favorablement une argumentation fondée sur des solutions de droit

régional, notamment européen : CIJ, 30 novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo -

Guinée c. République démocratique du Congo ; CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités

juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant) ; CIJ, 19 juin 2012, qui

a statué sur le volet indemnisation de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, préc.

§ 2 – Les différentes significations de l’invocabilité dans le triple contexte national,

international ou européen

104. Dans tout système juridique, l’aptitude à invoquer l’application de méthodes ou

solutions juridiques est susceptible de varier fortement selon l’auteur (A) et l’objet (B) de la

demande.

A – La variable « sujet » : qui invoque ?

105. Les différents cas d’invocabilité envisagés dans le triple contexte national,

international et européen laissent à penser que le terme est susceptible de désigner des réalités

extrêmement disparates selon la qualité du ou des sujets en présence.

On peut distinguer, en effet, différentes catégories de sujets juridiques : les sujets de droit

public et les sujets de droit privé ; les sujets de droit interne et les sujets de droit international

et, le cas échéant, de droit européen. Ces deux ensembles sont susceptibles de se confondre.

Les sujets de droit interne peuvent être de droit public (un Etat ou un établissement public) ou

de droit privé (une personne physique ou une personne morale de droit privé). Pour les sujets

de droit international et, éventuellement, de droit européen, longtemps on a considéré qu’ils

ne pouvaient être que de droit public (Etat, organisation internationale ou européenne ou

établissement public international ou européen, détenteur d’une personnalité juridique) mais

une place leur est de plus en plus souvent reconnue aux acteurs de droit privé (organisation

non gouvernementale, société privée internationale ou européenne et personne physique).

106. La qualité du sujet permet de distinguer deux grands types d’invocabilité :

l’invocabilité verticale (entre une personne publique et une personne privée) et l’invocabilité

117

horizontale (entre personnes privées). Cette distinction n’est pas propre au thème du

pluralisme juridique mondial1. Mais elle présente des particularités dans le triple contexte

national, international et européen.

Voyons, pour commencer, les questions relatives à l’invocabilité verticale.

Situation – L’invocabilité verticale

L’exemple de l’institution publique nationale confrontée aux exigences du droit

international ou européen

Le terme « vertical » est couramment utilisé en matière d’invocabilité pour désigner la

relation entre une institution publique nationale et un ou plusieurs sujets de droit privé. Cette

relation intéresse le thème du pluralisme juridique mondial et de l’invocabilité, dès lors que

le sujet entend tirer profit du développement du droit international ou européen pour tenter

d’influencer et parfois d’infléchir sur un terrain juridique la position de l’institution publique.

La question de l’aptitude du droit allégué à être invoqué devant elle peut se révéler cruciale.

Elle fait partie des outils stratégiques que peuvent utiliser les différents acteurs en présence

pour contrer ou, au contraire, maintenir une action publique. En effet, si une règle de droit,

dont l’existence n’est pas contestée, ne peut être invoquée par un justiciable à l’encontre

d’un Etat ou d’un établissement public, elle est inapte à produire l’effet juridique escompté.

Les exemples sont légion. On en signalera deux, tirés de l’invocabilité du droit international

et européen devant le juge administratif français. Le premier a trait à la question déjà

évoquée (voir supra, n° xxx) de l’invocabilité de la Convention de New York relative aux

droits de l’enfant. Le deuxième est relatif à l’aptitude des directives de l’Union européenne à

se substituer à des règles de droit interne quand un acte administratif individuel est contesté

(voir, la fameuse jurisprudence « Cohn-Bendit » (Conseil d’Etat Ass., 22 déc. 1978, Rec.

Lebon, 524) hostile à cette invocabilité qui a été abandonnée après plus de 30 ans de

résistance du juge administratif français (Conseil d’Etat Ass., 30 oct. 2009, Perreux, Req.n°

298348).

107. Il faut également envisager les situations d’invocabilité horizontale.

1 En droit français, on songe, par exemple, pour les rapports verticaux, à la question débattue de l’invocabilité de

la Charte de l’environnement adoptée en 2004 et adossée à la Constitution (voir notamment sur le sujet : CE,

ass., 3 oct. 2008, n° 297931, Cne Annecy ; Cons. const., 19 juin 2008, déc. n° 2008-564 DC ; B. Mathieu, «

Incertitudes quant à la portée de certains principes inscrits dans la Charte constitutionnelle de l'environnement »,

La Semaine Juridique éd. G 2009, II 10028). Pour les rapports horizontaux, la question est régulièrement posée

devant la Cour de cassation de la validité des contrats de droit privé conclus en violation des règles relatives à

l’exercice d’activités réglementées (banque, bourse, assurance, par exemple ; voir notamment : Cour de

cassation, Ass. Plén. 4 mars 2005, D. 2005, pp. 785 et 836 avec les analyses respectives de B. Sousi-Roubi et X.

Delpech).

118

Situation – L’invocabilité horizontale

L’exemple de l’horizontalité des droits de l’homme et des libertés économiques de

circulation

Dans le contexte international et européen, le terme « horizontal » désigne l’applicabilité du

droit international ou européen à une relation entre deux sujets de droit privé. Par exemple, la

question peut être posée de savoir si un instrument de droit international ou européen est apte

à s’appliquer à un couple marié qui souhaite divorcer, aux parties à un contrat commercial

qui en contestent la validité ou, plus généralement, à un différend de droit privé. Cette

applicabilité est notamment fonction de l’aptitude reconnue aux personnes privées à

invoquer dans le contexte de leur relation respective, une méthode ou solution du droit

international ou européen.

La question soulève relativement peu de difficultés quand le droit international ou européen

en question s’est donné pour ambition de régir directement des rapports de droit privé (par

exemple, un règlement européen ou une convention internationale réglant les questions de loi

applicable aux divorces internationaux ou régissant un type particulier de contrat).

Les choses sont, en revanche, plus complexes quand on est présence d’une réglementation de

droit international ou européen invoqué qui porte sur autre chose que le traitement d’une

relation horizontale de droit privé. Deux illustrations peuvent être données. La première

porte sur ce que l’on appelle généralement « l’horizontalité des droits de l’homme ». Cette

expression désigne une aptitude de ces droits à être invoqués et, au besoin, sanctionnés dans

le contexte de rapports de droit privé. Un juge national peut être ainsi amené à considérer

que des droits fondamentaux de source internationale ou européenne sont violés du fait

d’agissements de personnes privées et qu’à ce titre, ils doivent être sanctionnés au niveau

national, sans quoi il pourrait donner lieu à une condamnation à un autre niveau, notamment

européen, devant la CEDH (pour différents exemples connus à propos d’une disposition

testamentaire : CEDH, 13 juillet 2004, Pla et Puncernau c/ Andorre, Req. no 69498/01, d’un

contrat de bail : CEDH, 19 juin 2006, Hutten-Crapska c/ Pologne, Req. no 35014/97 ou d’un

contrat de travail :CEDH, 29 février 2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, Req. no 39293/98). Les

juges nationaux contribuent significativement à l’interprétation des droits fondamentaux

reconnus au plan européen et cette interprétation est parfois créative et extensive (voir,

souvent cités en droit privé : Cour de cassation, Soc., 12 janvier 1999, Spileers, pourvoi

no 96-40.755 : sur le droit au respect du domicile ; Cour de cassation, civ. 3e, 6 mars 1996,

Office public d’habitations de la Ville de Paris c/ Mme Mel Yedei, pourvoi no 93-11113 :

sur le droit au respect de la vie familiale). Sur l’impact de ces jurisprudences en droit privé,

voir le travail précurseur de J.-P. Marguénaud (dir.), CEDH et droit privé, La documentation

Française, 2001.

119

Une seconde illustration porte sur l’invocabilité des libertés économiques de circulation

définies par l’UE dans les rapports entre personnes privées. Cette intrusion des libertés

économiques dans les relations horizontales est incontestablement le fait d’une jurisprudence

extensive de la Cour de justice qui est amenée régulièrement à se prononcer sur l’impact

exercé par le droit européen dans des litiges horizontaux portés devant les juridictions

nationales (pour quelques exemples restés célèbres : CJCE, 12 déc. 1974, Walrave,

aff. 36/74 en matière de discrimination ; CJCE, 22 janv. 1981, Dansk Supermarked,

aff. 58/80 en matière de propriété intellectuelle ; CJCE 15 déc. 1995, Bosman, aff. C-415/93

en matière d’activité sportive ; CJCE, 6 juin 2000, Angonese, aff. C-281/98 à propos d’un

concours privé de recrutement de salariés ; CJCE, 11 déc. 2007, Viking, aff. C-438/05 et

18 déc. 2007, Laval, aff. C-341/05 en droit social). Dans toutes ces hypothèses, il est revenu

au juge interne de s’interroger sur le point de savoir si le droit européen de la libre

circulation pouvait être invoqué devant eux pour infléchir le cours d’un différend entre

personnes privées. Au cœur de la discussion, on retrouve le thème de l’invocabilité du droit

de l’Union européenne dans les rapports privés. Pour une analyse de cette jurisprudence et

ses implications d’ordre théorique, voir L. Azoulai, Sur un sens de la distinction public/privé

dans le droit de l’Union européenne, RTDE 2010, 823. Voir de manière plus générale sur

l’impact exercé par le droit européen sur les situations de droit privé : A. Hartkamp,

European Law and National Private Law, Kluwer, 2012.

108. Ces deux types d’invocabilité ne rendent pas compte néanmoins de l’ensemble des cas

présentés précédemment (voir supra, cette section, § 1). L’invocabilité verticale n’envisage

pas l’hypothèse où le droit national est invoqué dans le contexte international ou européen.

Quant à l’invocabilité horizontale, elle exclut généralement les rapports entre acteurs publics.

Pour tenter de prendre en compte ces phénomènes, il importe de dépasser cette

systématisation fondée sur le « sujet » de l’invocabilité et de se tourner vers son objet.

B – La variable « objet » : qu’est-ce qui est invoqué ?

109. L’invocabilité recouvre des significations multiples qui varient en fonction de ce qui

est invoqué, c’est-à-dire du résultat escompté par le sujet de droit. Cette variabilité n’est pas

propre aux relations entre le droit national, international et européen. Dans tout système

juridique, la question se pose de la gradation des effets potentiellement produits par une règle

de droit. Le pluralisme juridique mondial éclaire néanmoins la question d’un jour qui lui est

propre. Dans le triple contexte national, international ou européen, l’objet de l’invocabilité

est, en effet, soumis à deux grandes variables.

120

La première intéresse le choix du vocabulaire pour aborder les questions d’invocabilité du

droit international ou européen dans le contexte national notamment. Les expressions « effet

direct », « self-executing » ou « immédiateté » sont couramment employées pour décrire

l’aptitude du droit international ou européen à investir les individus de droits et obligations.

Les sources supranationales sont d’effet direct, self-executing ou d’effet immédiat, dès lors

qu’elles ne s’imposent pas seulement aux Etats qui les ont élaborées mais également à leurs

sujets qui peuvent les invoquer. Si l’effet direct, le caractère self-executing ou l’immédiateté

demeurent des notions utiles, ne serait-ce qu’en raison de leurs soubassements théoriques

(quel est le destinataire de la règle de droit ?), on observe qu’ils sont concurrencés par le

terme « invocabilité » qui, décliné de différentes manières, permet de rendre compte de

l’hétérogénéité des solutions.

Situation – L’effet direct, le caractère self-executing ou l’immédiateté et les différentes

formes d’invocabilité

Exemples tirés de l’invocabilité du droit international ou européen

L’effet direct ou le caractère self-executing ou l’effet l’immédiat ont été envisagés dès 1928

par la Cour permanente internationale de justice (CPJI, 3 mars 1928, Compétence des

tribunaux de Dantzig, série B, n° 15). Ils ont été proclamés très tôt comme l’une des qualités

cardinales du droit européen, inscrite comme telle dans les traités (par exemple, art. 1er de la

CESDHLF et art. 288 TFUE) ou affirmée par la jurisprudence (CJCE, 5 févr. 1963, Van

Gend & Loos, aff. 26/62).

L’intensité de l’effet direct varie néanmoins fortement d’un système juridique à l’autre et,

parfois même, à l’intérieur de chaque système, d’une norme juridique à l’autre. En droit

international, on considère que c’est l’intention des parties au traité international qui compte.

Un instrument international est potentiellement d’effet direct si les Etats ont souhaité adopter

des dispositions claires et précises, inconditionnelles et créatrices de droits et obligations

pour les individus. Les Etats conservent le plus souvent la maîtrise de la définition de cet

effet direct. C’est aux juges nationaux qu’il revient, en effet, le plus souvent d’apprécier la

situation au cas par cas (voir, à titre d’exemple, l’interprétation jurisprudentielle donnée en

France de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant, supra, n° xxx ;

comparer s’agissant des conventions de l’OIT : Conseil d’Etat, ass., 11 avr. 2012, Req.

n° 322326, GISTI).

En droit de l’Union européenne et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales, les solutions sont mieux encadrées. La présence des

deux juridictions européennes (CEDH et CJUE) et le niveau d’intégration atteint par l’UE et

121

la CESDHLF l’expliquent aisément. Une jurisprudence abondante a été rendue sur la

question et elle est relayée par les juridictions nationales (pour une approche synthétique de

l’effet direct au sein de l’UE et du COE, voir J.-S Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen

(Union européenne – Conseil de l’Europe), PUF, 2ème éd. 2011, n° 432 et 462 et s.). Mais

les solutions ne sont pas toujours uniformes. Des divergences d’interprétation subsistent

entre le contexte européen et le contexte national (pour une illustration célèbre en droit

français, voir supra, n° xxx).

A supposer que ces divergences puissent être surmontées, les termes « effet direct », « self-

executing » ou « immédiateté » présentent un autre inconvénient. Ils n’ont pas toujours de

contenu précis. Très souvent, le juriste qui les utilise est obligé de préciser s’il vise un effet

vertical ou horizontal (sur cette distinction, voir supra, n° xxx) ou un effet partiel ou total.

Pour y remédier, la doctrine de droit européen s’est appuyée sur la jurisprudence de la Cour

de justice pour graduer l’effet direct en distinguant différentes formes d’invocabilité (voir en

particulier le travail de D. Simon, Le système juridique communautaire, PUF, 3e éd., 2001,

spéc. n° 342 et s.). Sont ainsi distinguées : 1° l’invocabilité d’exclusion qui permet d’écarter,

de laisser inappliquée, la norme nationale qui serait contraire à une norme européenne, quelle

qu’elle soit : droit primaire / droit dérivé, norme d’effet direct ou non (pour l’un des premiers

arrêts : CJCE, 13 juillet 1972, Commission c/ Italie, aff. 48/71) ; 2° l’invocabilité de

réparation qui lui permet d’engager la responsabilité de l’État pour manquement à une

quelconque de ses obligations européennes (CJCE, 19 novembre 1991, Francovich, aff. C-

6/90 et C-9/90 ; CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame III, aff. C-46/93

et C-48/93) ; 3° l’invocabilité de substitution qui conduit une application directe de norme

européenne par substitution pure et simple de la norme nationale contraire (pour la décision

de référence : CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77) ; 4° l’invocabilité

d’interprétation conforme qui commande, dans toute la mesure du possible, une

interprétation de la norme non européenne (nationale ou internationale) dans un sens qui soit

aussi conforme que possible au droit européen (voir en particulier : CJCE, 13 nov. 1990,

Marleasing, aff. C-106/89 ; CJCE, 16 juin 2003, Cipra, aff. C-439/01). Toutes ces

distinctions tirées du droit européen peuvent être projetées sans inconvénient sur le droit

international quand il est à même d’offrir un niveau équivalent d’uniformité des solutions.

Mais bien souvent, ce sont les particularismes nationaux qui l’emportent.

110. La seconde variable porte sur la nature de l’effet recherché par l’invocabilité. En

schématisant les choses, on peut considérer que dans une approche multiniveau du droit, le

fait d’invoquer une méthode ou solution juridique élaborée dans un autre contexte (national,

international ou européen) peut s’inscrire dans trois démarches différentes.

122

L’invocabilité peut, tout d’abord, procéder d’une attitude purement facultative en ce sens

qu’aucun acteur juridique n’est obligé d’en tenir compte. Le droit invoqué produit, au plus

fort de ses conséquences, un simple « effet de fait ». A l’opposé, le droit peut être invoqué

parce qu’il présente dans la situation en cause, un caractère véritablement obligatoire. Enfin,

troisième hypothèse, plus proche de la deuxième que de la première, le droit peut être invoqué

parce qu’il modifie la situation juridique de celui à qui on l’oppose qui, sans en être le

destinataire immédiat, va devoir en tenir compte. On peut alors parler d’un effet

d’opposabilité.

Situation – L’effet de fait, l’effet obligatoire et l’effet d’opposabilité

Exemples autour de « l’effet de fait » en droit national, international et européen

L’invocation d’une méthode ou solution juridique dans un autre contexte que celui où il a été

élaboré est susceptible de produire un « effet de fait » chaque fois qu’elle ne résulte pas

d’une contrainte juridique. On peut envisager trois exemples, très différents les uns des

autres.

Le fait d’invoquer devant une juridiction étrangère à l’Europe ? une jurisprudence de la

CEDH, de manière à influencer le cours de la décision nationale est de nature à produire, le

cas échéant, un effet de fait. La jurisprudence européenne ne s’impose pas juridiquement au

for étranger. Mais ce dernier peut être amené à en tenir compte, tel un fait juridique (voir

pour une illustration remarquée, la décision de la Cour suprême des États-Unis rendue dans

l’affaire Lawrence c/ Texas (02-102) 539 US 558 (2003) relative à la répression pénale de

certaines pratiques sexuelles ; pour une analyse du contexte et des controverses suscitées par

cet emprunt de la cour suprême américaine au droit européen : G. Canivet, Les influences

croisées entre juridictions nationales et internationales – Eloge de la « bénévolance » des

juges, RSCDP 2005, 799 ; voir également l’étude approfondie de R. Bismuth, L’utilisation

de sources de droit étrangères dans la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis,

RIDC 2010, 105).

La deuxième illustration porte sur l’invocabilité en droit national d’un droit international

dépourvu d’effet direct. Dans cette circonstance, le droit international ne peut être invoqué

par un particulier pour produire un effet contraignant. Mais il peut, malgré tout, être invoqué

pour produire un effet de fait (pour une illustration remarquée en jurisprudence française à

propos d’une résolution des Nations Unies : Cour de cassation, Civ. 1ère

, 25 avril 2006,

pourvoi n° 02-17344 : « Attendu que si les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations

Unies s'imposent aux Etats membres, elles n'ont, en France, pas d'effet direct tant que les

prescriptions qu'elles édictent n'ont pas, en droit interne, été rendues obligatoires ou

123

transposées ; qu'à défaut, elles peuvent être prises en considération par le juge en tant que

fait juridique »).

Une dernière série d’illustrations vise la circonstance que nous avons déjà envisagée (voir

supra, n° xxx) où un droit national est invoqué dans une enceinte internationale ou

européenne dans le cadre d’une discussion sur la compatibilité des droits en présence. Bien

souvent, le droit national ne produit pas en tant que tel un effet contraignant, ni même un

effet d’opposabilité. Mais il existe tel un fait dont on doit tenir compte, au stade de

l’application du droit international et européen, pour en tirer des conséquences juridiques

(pour une analyse du phénomène dans le contexte de l’OMC, S. Bhuiyan, National Law in

WTO Law - Effectiveness and Good Governance in the World Trading System, Cambridge

University Press, 2007, spéc. p. 41).

Sur la question voisine de la « prise en compte » du droit étranger de source étatique, voir le

travail de E. Fohrer-Dedeurwaerder, La prise en considération des normes étrangères, LGDJ,

2008. Sur la notion « d’effet de fait » appliquée aux jugements étrangers, voir G. Cuniberti,

C. Normand et F. Cornette, Droit international de l’exécution, éd. LGDJ 2011, spéc. p. 36.

Exemples autour de la distinction « effet obligatoire » et « effet d’opposabilité » en droit

international et européen

La distinction entre l’effet obligatoire et l’effet d’opposabilité est bien connue en droit des

contrats. Elle traduit le principe de l’effet relatif du contrat. Le contrat est obligatoire pour

les parties et il peut, à certaines conditions, être opposé aux tiers ou par ces derniers. Elle est

d’usage courant en droit des traités internationaux ou européens où l’on distingue les effets

des conventions internationales pour les parties qui les ont adoptées et les effets pour les

tiers, qu’il s’agisse d’Etats, d’organisations internationales ou européennes ou même de

personnes privées. Dans un contexte de fort pluralisme juridique mondial, elle présente un

grand intérêt. Il est fréquent, en effet, qu’un instrument de droit international ou européen

soit invoqué par des personnes qui ne sont pas directement liées. C’est le cas, chaque fois

que l’instrument est invoqué par un particulier (voir ci-dessus, les développements relatifs à

l’effet direct, n° xxx). Mais cette situation d’opposabilité peut également concerner des Etats

ou organisations internationales tierces. Le droit de l’Union européenne est propice au

développement de ce type de situations.

On peut en donner un exemple avec une affaire Bogiatzi (CJCE, 22 oct. 2009, aff. C-301/08)

où la Cour de justice a été saisie de questions préjudicielles soulevées à propos d’un

différend national relatif à une action en responsabilité civile dirigée par un passager contre

un transporteur aérien luxembourgeois en raison d'un accident survenu à l'embarquement

d'un vol intra-européen. Deux de ces questions portaient sur le point de savoir,

premièrement, si la Convention de Varsovie de 1929 (version modifiée à La Haye en 1955)

124

fait partie des normes de l'ordre juridique de l'Union européenne que la Cour de justice est

amenée à interpréter et, deuxièmement, si, en tout état de cause, cet instrument international

a vocation à s'appliquer pour compléter le régime de responsabilité aménagé par un

règlement européen (Règlement (CE) n° 2027/97/CE, dans sa version applicable aux faits de

l'espèce). À la première question, la Cour de justice a répondu par la négative, en considérant

que la Communauté européenne n'avait pas succédé aux États membres, signataires de cet

instrument. À propos de la seconde question, elle a estimé qu'un délai pour agir de deux ans,

posé par la Convention de Varsovie, avait vocation à être invoqué pour compléter le régime

de responsabilité défini par le texte de droit dérivé européen, resté silencieux sur ce point.

Ces deux réponses sont intéressantes. La première est l'illustration d'une jurisprudence

connue sur l’effet obligatoire des conventions internationales conclues par les Etats membres

dans le système juridique européen (CJCE, 12 déc. 1972, aff. 21/72 à 24/72, International

Fruit Company). La seconde réponse s'inscrit dans une tendance forte du droit européen à

interagir avec les sources de droit international qui l'environnent par le truchement de

l’opposabilité. La convention internationale est opposable à l’ordre juridique européen dès

que ce dernier a fait le choix d’inscrire ses solutions juridiques propres dans la continuité de

l’instrument international : « (...) il ressort (...) du règlement (CE) n° 2027/97/CE (...) que,

lorsque ledit règlement n'écarte pas l'application de la Convention de Varsovie dans le but

d'augmenter le niveau de protection des passagers, cette protection implique la

complémentarité et l'équivalence dudit règlement avec le système conventionnel ». (arrêt, pt

43, non souligné dans le texte). Pour une analyse approfondie de ce phénomène dans le

domaine de la propriété industrielle, V. K. Ben Dahmen, Interactions du droit international et

du droit de l’Union européenne : expression d’un pluralisme juridique rénové en matière de

protection de la propriété industrielle, Ed. L’Harmattan, 2012.

125

Section 3 – La comparaison des méthodes et solutions

111. Phase ultime de la comparaison, le juriste doit s’efforcer de comprendre les

ressemblances et dissemblances entre les méthodes et solutions juridiques retenues dans les

différents contextes national, international et européen d’application du droit. Deux

questionnements récurrents sont susceptibles de se présenter à lui. Le premier porte sur le

thème essentiel de l’interprétation : pour comparer des droits, il faut tenir compte de

l’interprétation dont ils peuvent être l’objet dans les différents contextes (§ 1). Le second

intéresse la contextualisation : à un stade ou un autre du raisonnement, la comparaison

requiert une prise en compte du contexte national, international ou européen dans lequel

baignent les méthodes et solutions juridiques comparées (§ 2).

§ 1 – De l’interprétation

112. La comparaison des méthodes et solutions juridiques élaborées en droit national,

international ou européen bute nécessairement sur la question cruciale de l’interprétation1. Un

acte juridique, un principe juridique ou même une jurisprudence peut faire l’objet

d’interprétations divergentes selon les niveaux et les systèmes juridiques qui les composent,

sans que ces divergences soient d’ailleurs toujours considérées comme une anomalie (pour

quelques illustrations, voir supra, n° xxx).

Pour appréhender cette question de l’interprétation dans le triple contexte national,

international ou européen, le juriste peut prendre appui sur les principes d’interprétation

définis dans le contexte national, international et européen.

113. Ces principes peuvent être recueillis dans des textes.

Situation – Principes de base régissant l’interprétation dans les textes

Exemple de l’interprétation des contrats en droit français, international et européen

Le droit français, international et européen ont élaboré chacun, dans leur domaine propre,

des principes de base régissant l’interprétation des contrats.

Le Code civil français propose un véritable petit « guide-âne » de l’interprétation des

contrats (art. 1156 à 1164 C. civ.) :

1 Voir, entre autres travaux sur ce thème abondamment étudié, les analyses comparées proposées in P. Amselek

(dir.), Interprétation et droit, Bruylant, PUAM, 1995. Pour une analyse comparée du processus juridictionnel de

décision à l’œuvre aux Etats-Unis (Cour suprême), dans l’Union européenne (Cour de justice) et en France (Cour

de cassation), M. de S.-O.-L’E. Lasser, Judicial Deliberations: A Comparative Analysis of Transparency and

Legitimacy, Oxford University Press, 2004.

126

Article 1156 : On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des

parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.

Article 1157 : Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans

celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait

produire aucun.

Article 1158 : Les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui

convient le plus à la matière du contrat.

Article 1159 : Ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est d'usage dans le pays où le contrat

est passé.

Article 1160 : On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d'usage, quoiqu'elles n'y

soient pas exprimées.

Article 1161 : Toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en

donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.

Article 1162 : Dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur

de celui qui a contracté l'obligation.

Article 1163 Quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est

conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont

proposé de contracter.

Article 1164 : Lorsque dans un contrat on a exprimé un cas pour l'explication de l'obligation,

on n'est pas censé avoir voulu par là restreindre l'étendue que l'engagement reçoit de droit

aux cas non exprimés.

Ces dispositions, dont l’application n’est pas contrôlée par la Cour de cassation française,

sauf cas de dénaturation, expriment tout à la fois des règles de bon sens (par exemple, art.

1158 Cciv.) et de véritables choix de politique juridique (par exemple, art. 1162 Cciv.).

En droit international, on peut citer l’exemple des Principes d’UNIDROIT relatifs aux

contrats du commerce international (version 2010) :

Article 4.1 (Intention des parties)

1) Le contrat s’interprète selon la commune intention des parties.

2) Faute de pouvoir déceler la commune intention des parties, le contrat s’inter- prète selon

le sens que lui donnerait une personne raisonnable de même qualité placée dans la même

situation.

Article 4.2 (Interprétation des déclarations et des comportements)

127

1) Les déclarations et le comportement d’une partie s’interprètent selon l’intention de leur

auteur lorsque l’autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention.

2) A défaut d’application du paragraphe précédent, ils s’interprètent selon le sens que lui

donnerait une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation.

Article 4.3 (Circonstances pertinentes)

Pour l’application des articles 4.1 et 4.2, on prend en considération toutes les

circonstances, notamment:

a) les négociations préliminaires entre les parties;

b) les pratiques établies entre les parties;

c) le comportement des parties postérieur à la conclusion du contrat;

d) la nature et le but du contrat;

e) le sens généralement attribué aux clauses et aux expressions dans la branche

commerciale concernée;

f) les usages.

Article 4.4 (Cohérence du contrat)

Les clauses et les expressions s’interprètent en fonction de l’ensemble du contrat ou de la

déclaration où elles figurent.

Article 4.5 (Interprétation utile)

Les clauses d’un contrat s’interprètent dans le sens avec lequel elles peuvent toutes avoir

quelque effet, plutôt que dans le sens avec lequel certaines n’en auraient aucun.

Article 4.6 (Règle contra proferentem)

En cas d’ambiguïté, les clauses d’un contrat s’interprètent de préférence contre celui qui

les a proposées.

Article 4.7 (Divergences linguistiques)

En cas de divergence entre deux ou plusieurs versions linguistiques faisant également foi,

préférence est accordée à l’interprétation fondée sur une version d’origine.

Article 4.8 (Omissions)

1) A défaut d’accord entre les parties quant à une clause qui est importante pour la

détermination de leurs droits et obligations, on y supplée par une clause appropriée.

2) Pour déterminer ce qui constitue une clause appropriée, on prend en

considération, notamment:

a) l’intention des parties;

128

b) la nature et le but du contrat;

c) la bonne foi;

d) ce qui est raisonnable.

En droit européen, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif

à un droit commun européen de la vente (Com (2011) 635 final) a été l’occasion, pour

l’Union européenne, de proposer son propre guide d’interprétation pour ce type de contrat :

Chapitre 6 Interprétation

Article 58 Règles générales d'interprétation des contrats

1. Le contrat s'interprète selon la commune intention des parties, même si cette interprétation

s'écarte du sens normal des expressions qui y sont employées.

2. Lorsqu'une partie a entendu conférer un sens particulier à une expression employée dans

le contrat et que, lors de la conclusion de ce dernier, l'autre partie connaissait ou était censée

connaître cette intention, l'expression doit être interprétée dans le sens voulu par la première

partie.

3. Sauf mention contraire des paragraphes 1 et 2, le contrat s'interprète conformément au

sens qu'une personne raisonnable lui donnerait.

Article 59 Éléments pertinents

Dans l'interprétation d'un contrat, il est tenu compte en particulier:

a) des circonstances de sa conclusion, y compris les négociations préliminaires;

b) du comportement des parties, même postérieur à la conclusion du contrat;

c) de l'interprétation que les parties ont déjà donnée à des expressions identiques ou

semblables à celles utilisées dans le contrat;

d) des usages que des parties placées dans la même situation considéreraient comme

généralement applicables.

e) des pratiques que les parties ont établies entre elles;

f) du sens qui est communément attribué à des expressions dans le secteur d'activité

concerné;

g) de la nature et de l'objet du contrat; et

h) du principe de bonne foi et de loyauté.

Des dispositions de ce type existent également dans des codifications doctrinales, du type,

par exemple, des Principes de droit européen des contrats (PDEC) :

Article 5:101: Règles générales d'interprétation

129

(1) Le contrat s'interprète selon la commune intention des parties , même si cette

interprétation s'écarte de sa lettre

(2) S'il est prouvé qu'une partie entendait le contrat en un sens particulier et que lors de la

conclusion du contrat l'autre ne pouvait ignorer son intention, on doit interpréter le contrat tel

que la première l'entendait.

(3) Faute de pouvoir déceler l'intention conformément aux alinéas (1) et (2), on donne au

contrat le sens que des personnes raisonnables de même qualité que les parties lui

donneraient dans les mêmes circonstances.

Article 5:102: Circonstances pertinentes

Pour interpréter le contrat on a égard en particulier

(a) aux circonstances de sa conclusion, y compris les négociations préliminaires,

(b) au comportement des parties, même postérieur à la conclusion du contrat,

(c) à la nature et au but du contrat,

(d) à l'interprétation que les parties ont déjà donnée à des clauses semblables et aux pratiques

qu'elles ont établies entre elles,

(e) au sens qui est communément attribué aux termes et expressions dans le secteur d'activité

concerné et à l'interprétation que des clauses semblables peuvent avoir déjà reçue,

(f) aux usages

(g) et aux exigences de la bonne foi.

Article 5:103: Règle contra proferentem

Dans le doute, les clauses du contrat qui n'ont pas été l'objet d'une négociation individuelle

s'interprètent de préférence contre celui qui les a proposées.

Article 5:104: Préférence aux clauses négociées

Les clauses qui ont été l'objet d'une négociation individuelle sont préférées à celles qui ne

l'ont pas été.

Art. 5.105: Référence au contrat dans son entier

Les clauses du contrat s'interprètent en donnant à chacune le sens qui résulte du contrat

entier.

Art. 5.106: Interprétation utile

On doit préférer l'interprétation qui rendrait les clauses du contrat licites et de quelque effet,

plutôt que celle qui les rendrait illicites ou de nul effet.

Art. 5.107: Divergences linguistiques

130

En cas de divergences entre les différentes versions linguistiques d'un contrat dont aucune

n'est déclarée faire foi, préférence est donnée à l'interprétation fondée sur la version qui a été

rédigée en premier.

Exemple de l’interprétation des traités en droit international

Des principes d’interprétation des conventions internationales ont été codifiés dans

Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) qui consacre une section entière à la

question. On peut y lire notamment :

Art. 31 Règle générale d’interprétation

1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes

du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et

annexes inclus :

a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion

de la conclusion du traité;

b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et

accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.

3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :

a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou

de l’application de ses dispositions;

b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi

l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité;

c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les

parties.

4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des

parties.

Art. 32 Moyens complémentaires d’interprétation

Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux

travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit

de confirmer le sens résultant de l’application de l’art. 31, soit de déterminer le sens lorsque

l’interprétation donnée conformément à l’art. 31 :

a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou

b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.

131

Ces dispositions sont assez souvent utilisées par les juges qui n’hésitent à utiliser plusieurs

principes d’interprétation en s’efforçant de les concilier les uns les autres (pour une

présentation synthétique et illustrée, voir O. Corten, Méthodologie du droit international

public, Editions de l’Université de Bruxelles, 2009, spéc. p. 210 et s.

114. Les juges oeuvrent très largement à l’élaboration des méthodes d’interprétation. C’est

ainsi, par exemple, que les juridictions européennes ont cherché très tôt à promouvoir leurs

propres principes d’interprétation.

Situation – Principes d’interprétation dégagés par la jurisprudence

Exemple de la théorie de « l’effet utile » en droit européen

La théorie dite de « l’effet utile » est un principe d’interprétation qui s’appuie sur l’idée

qu’un acte juridique est nécessairement le fruit de la volonté de son auteur, de sorte qu’il n’a

pas vocation à demeurer inutile ou sans effet. On lui prête une origine romaine (Ulpien) et

elle figure en toutes lettres dans certaines législations nationales (v. par ex., l’art. 1157 du

C. civ. Français, signalé ci-dessus). Elle n’est donc pas l’apanage du seul droit européen,

d’autant qu’elle occupe une place importante dans la doctrine de droit international

(Rousseau). Elle a cependant joué un rôle qui lui est propre dans la construction européenne.

La Cour de justice de l’Union européenne en a fait une véritable doctrine juridique sur

laquelle elle s’est systématiquement appuyée pour formuler un certain nombre de solutions

de nature à concrétiser la construction juridique européenne. Ainsi, par exemple, l’aptitude

du droit européen à se substituer à une norme nationale a été justifiée par la théorie de l’effet

utile (CJCE, 8 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77). Il en va de même, par exemple, pour la

définition large et autonome donnée par la Cour de justice à la notion de « travailleur »

bénéficiant de la liberté de circulation (CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81). Le juge a eu

également recours à la théorie de l’effet utile pour reconnaître, au nom de la citoyenneté

européenne (art. 20 TFUE), le droit au parent ressortissant d’un État tiers de séjourner dans

l’Union européenne aux côtés de son enfant mineur, citoyen européen (CJCE, 19 oct. 2004,

Kunqian Catherine Zhu, aff. C-200/02).

La Cour européenne des droits de l’homme a également manifesté dès ses premières

décisions une volonté forte de donner une effectivité à la protection des droits fondamentaux,

ce qui n’est pas sans rappeler la « théorie de l’effet utile ». La démarche est donc

délibérément finaliste ou téléologique (voir, notamment, souvent cité, s’appuyant notamment

sur les articles 31 à 33 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités :

CEDH (Plén.), 21 févr. 1975, Golder c/ RU, Req. no 4451/70) même si cette recherche est

contrebalancée par ce que l’on a appelé des « concepts modérateurs » (voir J.-P.

132

Marguénaud, La Cour européenne des droits de l’homme, Dalloz, 4ème éd., 2008, spéc. p.

38).

Pour une approche d’ensemble du travail d’interprétation mené dans le contexte du droit

européen, voir : S. Besson, N. Levrat, E. Clerc (dir), Interprétation en droit européen -

Interpretation in European Law, Bruylant - LGDJ - Schulthess, 2011.

115. L’existence de principes ou de règles d’interprétation ne permet pas néanmoins de

préjuger de l’interprétation qui peut être donnée par tel ou tel acteur juridique, situé à tel ou

tel niveau du droit. La comparaison des méthodes et solutions juridiques retenues en droit

national, international et européen requiert une recherche minutieuse et souvent délicate de

décryptage de l’ensemble des lectures du droit proposées à ces différents niveaux par les

acteurs compétents.

Pour éviter que le juriste ne se perde dans ce dédale d’interprétations, il lui faut distinguer

celles qui sont susceptibles d’avoir un rayonnement particulier. Des outils existent pour ce

faire, tels que les instruments à valeur interprétative et la présence d’interprètes privilégiés.

Ces outils existent à différents niveaux d’application du droit. Mais leur importance

respective et les réalités qu’ils recouvrent peuvent varier fortement d’un niveau à l’autre. Il est

donc intéressant de les comparer.

Qu’en est-t-il des instruments à valeur interprétative ?

Situation – Instruments à valeur interprétative

Exemples en droit national, international et européen

A tous les niveaux du droit, la possibilité est offerte aux acteurs juridiques d’adopter des

instruments à valeur interprétative. En droit national, on connaît, la pratique des lois

interprétatives qui demeure cependant exceptionnelle (par exemple, Loi n°47-898 du 23 mai

1947 interprétant l’article 16 de la loi du 16 avril 1946 portant amnistie) et strictement

encadrée (interdiction des lois de validation ayant pour effet de contrer pour les situations en

cours une interprétation de la loi donnée par les tribunaux sans motif impérieux d’intérêt

général : par exemple, Cour de cassation, Ass. plén., 23 janv. 2004, pourvoi n° 03-13.617)).

En droit international, cette pratique est plus répandue. Les parties à un traité international

peuvent adopter un acte à valeur interprétative du traité qu’elles ont conclu. Il peut s’agir

d’un acte collectif (par exemple, Protocole interprétatif, en date du 30 juillet 1936, de

l’article 10 de la Convention de La Haye du 20 janvier 1930 relatifs aux immunités de la

Banque des Règlements Internationaux) ou, plus fréquemment, d’un acte unilatéral (par

exemple, déclaration unilatérale d’un Etat qui, au moment de la signature de traité, entend

133

signifier aux autres parties en présence la manière dont il entend l’interpréter). En droit

européen, notamment en droit de l’Union européenne, le phénomène a pris une ampleur

jusqu’alors inégalée avec l’adoption des derniers traités constitutifs (par exemple, le Traité

de Lisbonne (2009) compte pas moins de 37 protocoles et 65 déclarations dont certains ont

clairement une valeur interprétative). Elle est également présente en droit dérivé de l’UE (par

exemple, les nombreuses lignes directrices adoptées par la Commission en droit de la

concurrence).

116. La question de l’interprétation est également fortement marquée par la présence

d’interprètes privilégiés.

Situation – Présence d’interprètes privilégiés

Exemples en droit national, international et européen

A tous les niveaux, des acteurs ont une position d’interprète privilégié. En droit international,

plus précisément en droit des traités, les Etats conservent une position « d’interprètes

authentiques » en ce sens que c’est à eux seuls que revient le pouvoir d’éclairer le sens de

leur volonté exprimée par le traité. Mais rien ne les empêche de déléguer ce pouvoir, de

manière ponctuelle ou permanente, à un tiers, notamment à un juge (par exemple, la Cour

internationale de justice, l’Organe de règlement des différends statuant au sein de l’OMC, le

Tribunal international de la mer, la Cour pénale internationale, etc.). Pour une analyse

approfondie du travail d’interprétation livré par les juridictions internationales et

européennes, voir V. Boré Eveno, L’interprétation des traités par les juridictions

internationales – Etude comparative, Thèse Paris I (Panthéon-Sorbonne), nov. 2004, 636 p.).

En droit européen et national, ce sont manifestement les juges qui occupent cette position

d’interprète privilégié. Mais des distinctions s’imposent. Dans le contexte européen, la

faveur est incontestablement donnée aux deux grandes juridictions européennes : la CJUE

pour l’interprétation du droit de l’Union européenne et la CEDH pour l’interprétation de la

CESDHLF. Des ouvrages sont entièrement dédiés à l’étude de leur jurisprudence (voir

notamment : F. Sudre, J.-P. Marguénaud, J. Andriantsimbazovina, A. Gouttenoire, M.

Levinet, G. Gonzales, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, PUF,

6e éd., 2011 ; M. Karpenschif et C. Nourissat (dir.) ; Les grands arrêts de la jurisprudence de

l’Union européenne, PUF, 2010). Dans le contexte national, par exemple français, le primat

est reconnu à trois institutions : le Conseil constitutionnel dont l’importance ne cesse croître

avec l’exercice de la fonction préjudicielle qui lui est reconnue depuis 2009 (art. 61-1 de la

Constitution relatif à la question prioritaire de constitutionnalité) et les deux juridictions

supérieures de l’ordre administratif et judiciaire : le Conseil d’Etat et la Cour de cassation

(dans la tradition universitaire française de commentaire des « grands arrêts », on trouvera

134

notamment : H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile,

2 t., 12ème éd. Dalloz, 2006 et 2008 ; L. Favoreu, L. Philip (dir.), Les grandes décisions du

Conseil constitutionnel, 15ème éd. Dalloz, 2009 ; M. Long, P. Weil, G. Braibant, P.

Delvolvé et B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 17ème éd.

Dalloz, 2009).

Les questionnements soulevés, en France, par le pluralisme juridique mondial mettent

durement à l’épreuve le rapport des forces en présence. On peut ainsi donner l’exemple de la

polémique suscitée par la position de la Cour de cassation qui, en présence d’une potentielle

incompatibilité entre, d’une part, la loi pénale française, et, d’autre part, la Constitution

française et le droit de l’Union européenne, a cherché à répondre à la question qui lui était

posée, après renvoi préjudiciel devant la Cour de justice (CJUE, 22 juin 2010, Aziz Melki et

Sélim Abdeli, aff. C-188/10 et C-189/10), sans interroger le Conseil constitutionnel sur la

constitutionnalité de la loi nationale (notamment : Cour de cassation, QPC, 16 avr. 2010 et

ass. plén., 29 juin 2010, pourvoi n° 10-40002). Le Conseil constitutionnel (Cons. const., 12

mai 2010, n° 2010-605 DC, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du

secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne) et le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 14 mai

2010, Req. n° 312305) ont clairement désapprouvé cette attitude de défiance de la Cour de

cassation, préférant appliquer à la lettre la loi française qui a entendu, à tort ou à raison,

donner un caractère prioritaire à la question préjudicielle de constitutionnalité (voir

également sur cette affaire, nos développements en Partie 3, n° xxx).

§ 2 – De la contextualisation

117. Selon le contexte, un droit ne se construit pas ou n’est pas nécessairement appliqué de

la même manière. Au stade de la comparaison multiniveau, il faut donc essayer de déterminer

l’influence qu’exerce l’environnement juridique national, international ou européen sur les

méthodes ou solutions en présence. Cette recherche peut déboucher sur tout type

d’enseignements : mise en évidence de différences fortes ou, à l’opposé, présence de grandes

similitudes, sachant que parfois les situations sont évolutives.

Pour illustrer le propos, il peut être intéressant de s’interroger sur la signification d’un mot

dans le triple contexte national, international ou européen. Il peut arriver, en effet, qu’une

expression d’usage parfaitement banalisé à un niveau d’application du droit n’ait pas

nécessairement la même signification à un autre niveau.

135

Situation – Utilisation d’un même terme juridique dans le contexte national, international

et européen

L’exemple du terme « constitution »

Utilisé en droit interne pour désigner la loi fondamentale, celle qui fonde l’autorité de l’Etat

(par exemple, la Constitution Française du 4 octobre 1958 fondatrice de la Vème

République), le terme « constitution » et ses dérivés a peu à peu gagné les terres du droit

international et européen au nom d’un « pluralisme constitutionnel » (sur les origines de

cette doctrine et les réflexions qu’elle inspire en droit contemporain, voir M. Avbelj, J.

Komárek (ed.), Constitutional Pluralism in the European Union and Beyond, Hart, 2012).

L’emprunt opéré par ces deux niveaux d’un vocabulaire spécifique au contexte national ne se

fait néanmoins pas sans heurt. En droit international comme en droit européen, il soulève

deux grands types de discussion sur l’aptitude de l’expression à transiter d’un niveau à

l’autre et sur les transformations qu’induisent pareil mouvement sur le sens premier de la

notion. En droit international, voir pour une approche historique et critique du phénomène,

H. Ruiz-Fabri, Les « contaminations » disciplinaires, in J. Bois de Gaudusson et F. Ferrand,

La concurrence des systèmes juridiques, PUAM 2008, p. 123 ; voir également les différentes

analyses approfondies proposées in L. Klabbers, A. Peters, G. Ulfstein, The

Constitutionalization of International Law, Oxford University Press, 2009 ; H. Ruiz Fabri et

M. Rosenfeld (dir.), Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la

privatisation, Ed. Société de Législation Comparée, Paris, 2011 ; S. Hennette-Vauchez et J.-

M. Sorel (dir.), Les droits de l’homme ont-ils constitutionnalisé le monde ?, éd. Bruylant,

2011. En droit européen, voir en jurisprudence, toujours cité : CJCE, 14 déc. 1991, Avis

1/91 : « Le Traité CEE, bien que conclu sous la forme d’un accord international, n’en

constitue pas moins la charte constitutionnelle d’une communauté de droit ». Comp. CJCE, 3

sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05 : « il y a lieu de rappeler que

la Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses

institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte

constitutionnelle de base qu’est le traité CE » (pt. 280). Pour une approche critique du

phénomène de constitutionnalisation du droit européen, spécialement à propos du Traité de

Rome (2004) établissant une Constitution pour l’Europe (non entré en vigueur), voir

notamment, O. Beaud, A. Lechevalier, I. Pernice et S. Trudel (dir.), L’Europe en voie de

constitution. Pour un bilan critique des travaux de la Convention, Bruylant, 2004 ; Institution

de l’Europe ?, Droits (revue), PUF, 2007.

L’exemple du terme « codification »

Un autre terme juridique se prête également assez bien à la comparaison multiniveau :

l’expression « codification » et ses dérivés. Forgée dans le contexte d’unification du droit

136

national, notamment en matière civile et pénale, l’idée de codification s’est propagée à

l’échelon international ou européen (on parle, par exemple, de codification internationale ou

européenne du droit international privé ou du droit des contrats). Ce passage d’un niveau à

l’autre modifie potentiellement le sens du terme utilisé (voir, entre autres réflexions

abondantes sur le sujet, voir B. Beignier (dir.), La codification, Dalloz, 1996 avec

notamment les contributions de D. Bureau et S. Poillot Peruzzetto en droit international et

européen ; voir plus récemment : P. Lagarde, M. Fallon et S. Poillot Peruzzetto (dir.), Quelle

architecture pour un code européen de droit international privé ?, éd. Peter Lang, 2012).

Parfois les discussions sont vives, spécialement quand un terme de pur droit interne est

utilisé sans précaution au niveau européen. Voir en particulier, en France, à propos de

l’élaboration d’un « Code civil européen » ou, plus largement entendu, d’une codification

européenne du droit privé, les positions respectivement exprimées par Y. Lequette, Vers un

code civil européen ?, in Le Code civil, Pouvoirs n° 107, 2003, p. 97 et B. Fauvarque-

Cosson, Codification et droit privé européen, in Mélanges B. Oppetit, Litec 2009, p. 179.

118. Cette migration parfois difficile du vocabulaire et des notions juridiques entre les

niveaux différents montre qu’il faut toujours être très prudent dans l’opération qui consiste à

appliquer une méthode ou une solution juridique hors du contexte dans lequel elles ont été

définies. Un droit construit dans un contexte national, international ou européen peut, dans

une perspective d’application dans un autre contexte, se trouver, en effet, confronté à un

environnement juridique différent. Cette différence de contextes doit être prise en compte dès

le stade de la comparaison1. Appliquer un droit à un autre niveau, c’est s’obliger à comparer

des contextes potentiellement différents.

Le droit européen est particulièrement propice à ce type d’analyse. On peut ainsi envisager

deux cas qui mettent en scène une approche du droit européen hors de son contexte.

Situation – Le droit européen hors de son contexte

L’exemple du droit européen de l’alimentation projeté sur les constructions du droit privé

national

Un programme de recherches « ERC », dirigé par F. Collart-Dutilleul (http://www.droit-

aliments-terre.eu/), a été l’occasion d’un séminaire de travail en janvier 2009 sur la manière

dont une réglementation européenne (Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen

et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant notamment les principes généraux et les

1 Nous la retrouverons également dans les étapes ultérieures de combinaison et hiérarchisation. Voir infra,

Parties 2 et 3.

137

prescriptions générales de la législation alimentaire) peut être projetée sur les constructions

du droit privé de source essentiellement nationale (« Le droit spécial de l’alimentation à

l’épreuve du droit privé », Nantes – 29 janv. 2009). Ce séminaire a permis, entre autres

réflexions, de mettre en relief la nécessité de maîtriser le contexte juridique du texte

européen avant toute extrapolation à un autre niveau, en l’occurrence le droit privé interne.

En effet, tout texte de droit dérivé européen doit être conforme aux Traités (TUE et TFUE)

qui constituent leur base juridique. S’il porte atteinte, par exemple, à la libre circulation des

marchandises à l’intérieur de l’espace européen, il doit être justifié par la poursuite d’un

objectif d’intérêt général admis par le traité (par ex. art. 36 TFUE) tel qu’interprété par la

jurisprudence de la Cour de justice (par ex. CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral, aff.

120/78). Le règlement n’échappe pas à la règle et c’est pourquoi il doit d’abord être

appréhendé comme ayant pour objet, la conciliation d’un principe de libre circulation et d’un

impératif de protection, notamment de la santé publique. Situer le texte dans son contexte du

marché intérieur européen permet également de comprendre la raison pour laquelle le

consommateur y est considéré dans un processus de régulation d’un marché. Si le règlement

ne distingue pas, par exemple, entre le consommateur contractant et le consommateur non

contractant, s’il semble dire qu’une fois informé, le consommateur devient responsable, c’est

que le droit européen s’efforce de définir un statut du consommateur européen appréhendé

comme un agent économique à part entière, au même titre qu’un opérateur professionnel.

Mais il faut aller plus loin dans l’analyse. Deux observations importantes méritent à ce titre

d’être faites. En premier lieu, le champ d’application matériel et spatial du texte est

extrêmement vaste. Le règlement apparaît comme un texte-cadre, il définit des principes

généraux et se présente comme un « texte de base » sur lequel s’appuient des constructions

plus abouties. Par ailleurs, s’il n’est pas d’application proprement universelle, on observe

qu’il ne se concentre pas sur le seul marché intérieur et qu’il libère ses effets à la fois à

l’intérieur et à l’extérieur de l’Union. Or l’étendue de son domaine d’application n’est pas

sans incidence sur son intensité normative. On observe généralement que plus le domaine

d’un texte est vaste, moins le texte est contraignant et, inversement, plus il est contraignant,

plus son domaine d’application est susceptible d’être circonscrit (voir pour un exemple

souvent mal compris : CJCE, 4 juin 2009, Leroy Somer, aff. C-285/08). En second lieu, il

semble clair que le règlement n’a pas vocation à construire en tant que tel un droit privé de

l’alimentation. Il est trop général pour cela. Il ne faut donc pas commettre l’erreur de prendre

le droit européen pour ce qu’il n’est pas et de l’appliquer, dans les ordres juridiques

nationaux, comme s’il portait sur le même objet que les institutions juridiques nationales.

Comme droit d’un marché européen, le règlement est différent du droit national. Il coexiste

avec lui. Sa relation aux droits privés des États membres se mesure moins en termes

138

d’influence du droit européen sur le droit national qu’en termes d’articulation du droit

européen et du droit national. Ce n’est pas la même chose.

L’exemple du droit européen du marché intérieur comparé aux règles internationales sur

le libre-échange

Le droit régional de l’Union européenne s’est en parti construit sur le modèle de règles

internationales préexistantes. Par exemple, il est fréquent que des textes européens de droit

primaire ou dérivé s’inspirent de textes antérieurs de droit international, ne serait-ce que pour

prévenir tout risque d’incompatibilité. Le cas le plus remarquable, sans doute, porte sur les

dispositions du Traité CEE de 1957 relatives aux libertés de circulation, comparées à celles,

parfois très proches, énoncées par l’accord du GATT de 1947 en matière de libre-échange

mondial (voir, en particulier, l’actuel article 36 TFUE et l’article XX du GATT qui, par une

formulation voisine, définissent tous deux des justifications aux entraves). Ces similitudes

textuelles ne doivent pas néanmoins gommer les spécificités de chacun des systèmes

juridiques en présence. Par exemple, il existe incontestablement une différence de nature

juridique entre la jurisprudence de la CJUE faisant application de l’article 36 TFUE et les

décisions de l’ORD faisant application de l’article XX du GATT. La première s’inscrit dans

un processus d’intégration juridique destinée à créer une communauté de droit. Elle a donc

une forte valeur normative (pour une présentation synthétique du processus d’intégration à

l’œuvre dans l’UE sur le fondement des libertés de circulation, voir J.-S Bergé et S. Robin-

Olivier, Droit européen (Union européenne – Conseil de l’Europe), PUF, 2ème

éd. 2011, n°

129 et s.). La seconde s’attache plus modestement à régler des différends commerciaux.

L’objectif n’est pas tant de rapprocher le droit des Etats membres que de favoriser le cours

des échanges entre les Etats parties (pour une comparaison systématique, voir L. Bartels et F.

Ortino (dir.), Regional Trade Agreements and the WTO Legal System, Oxford University

Press, 2006).

119. Mais le droit national n’est pas en reste qui peut recevoir une acception différente

quand il est mis en œuvre dans un autre contexte.

Situation – Le droit national hors de son contexte

L’exemple de l’interprétation du droit national dans le contexte de la protection

européenne des droits fondamentaux

Le droit civil fait l’objet d’une réglementation à différents niveaux : national, international et

européen notamment. Pour l’essentiel, il demeure, aujourd’hui encore, d’inspiration

nationale. Son interprétation peut être néanmoins tributaire d’autres contextes. Un auteur en

a donné une illustration à travers l’étude d’un arrêt de la Cour européenne des droits de

l’homme (J.-P. Marguénaud : « La stigmatisation européenne de l'application mécanique des

139

principes d'interprétation d'un Code civil » (à propos de CEDH, 1er déc. 2009, Velcea et

Mazare, Req. no 64301/01), RDC 2010, 981). Selon la lecture proposée de cet arrêt, « En

commandant d'éviter les applications mécaniques des principes d'interprétation d'un Code

civil, la CEDH ouvre la chasse non seulement aux interprétations qui ne seraient pas

conformes au but de la disposition légale appliquée à un contrat mais également à celles qui

ne tiendraient pas compte des bouleversements économiques et sociaux. Le refus de la

théorie de l'imprévision semble directement menacé par cette nouvelle audace interprétative

européenne ». Le droit européen livre ainsi une technique d’interprétation que le juriste de

droit interne peut être amené à connaître pour appliquer son propre droit national de manière

à lui donner une lecture conforme aux exigences du droit européen des droits de l’homme. Il

s’agit donc pour le juriste de droit interne de prendre en compte le contexte européen dans

lequel baigne son droit national.

120. Il en va de même pour le droit international.

Situation – Le droit international hors de son contexte

L’exemple de l’ordre public international

Les internationalistes manient avec une grande dextérité la distinction entre l’ordre public

interne et l’ordre public international. Même si l’on observe un développement de l’ordre

public de source réellement internationale ou régionale (sur le phénomène, voir, avec les

références citées, M. Forteau, L’ordre public « transnational » ou « réellement

international », JDI 2011,3), celui-ci est souvent l’émanation de celui-là : une règle d’ordre

public interne (par exemple, en droit français, le principe de nullité des conventions portant

procréation ou gestation pour le compte d’autrui : art. 16-7 du Code civil) est, en raison de

son caractère essentiel, appliquée à des situations internationales et se transforme ainsi en

règle de droit international. Cet ordre public international peut être mis en œuvre dans un

contexte national donné (par exemple, à des situations étrangères de gestation pour autrui

présentées au juge français : Cour de cassation, 1ère ch. civile, 6 avril 2011, 09-66.486 « 'est

justifié le refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision

étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de cette décision,

lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit

français ; qu'en l'état du droit positif, il est contraire au principe de l'indisponibilité de l'état

des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la

filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-elle licite

à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code

civil ») ou européen (par exemple, la même règle d’ordre public international français peut

tenir en échec un mécanisme européen de reconnaissance et d’exécution d’une décision de

140

justice rendue par un autre Etat membre de l’UE). Cette double projection nationale ou

européenne d’une règle internationale met en perspective une pluralité de contextes

d’application qui rejaillit sur la définition même de l’ordre public. Ce dernier peut, en effet,

se décliner différemment selon qu’il est envisagé dans un cadre national, international ou

européen. Ainsi, la référence au jeu d’une règle d’ordre public du for (ce que les

internationalistes privatistes appellent une « exception d’ordre public ») peut, selon le

contexte d’application du droit envisagé, impliquer une référence à une règle définie par la

loi du juge national saisi (lex fori), par une règle européenne ou par une règle de dimension

réellement internationale.

Pour une analyse approfondie et illustrée du phénomène de dé-triplement de l’ordre public

de source nationale, internationale et européenne, voir, avec les références citées : M.-N.

Jobard-Bachellier et F.-X. Train, Juris-classeur Droit international, fasc. 534-1 et 534-2).

Pour un examen des possibilités offertes ou non au juriste de choisir tel contexte

d’application du droit plutôt que tel autre, voir ci-après, nos développements en parties 2 et

3. S’agissant, spécifiquement des questions d’ordre public international, voir infra, n° xxx et

xxx.

141

DEUXIEME PARTIE - LA COMBINAISON DU DROIT NATIONAL,

INTERNATIONAL ET EUROPEEN

121. L’étape première de comparaison a permis de recenser les principaux outils

méthodologiques utiles à l’analyse des ressemblances et différences entre les méthodes et

solutions offertes dans différents contextes – national, international ou européen –

d’application du droit. L’une des étapes suivantes1 peut être celle de la combinaison par

laquelle le juriste s’efforce d’assembler ces méthodes et solutions en vue de construire son

raisonnement juridique.

La combinaison du droit national, international et européen peut être sérieusement envisagée

dans deux grandes hypothèses de travail : celle où les droits en présence sont

complémentaires et celle où un phénomène de circulation des situations est à l’œuvre.

Chapitre 1 – La complémentarité des droits

Chapitre 2 – La circulation des situations

1 L’autre étape envisagée dans ce travail est celle de la hiérarchisation, voir infra, Partie 3.

142

CHAPITRE 1 – LA COMPLEMENTARITE DES DROITS

122. La combinaison n’a de sens que si les droits sont complémentaires, c’est-à-dire si les

méthodes et solutions définies par un droit sont susceptibles d’être agrégées à celles d’un

autre droit en vue de produire un effet juridique propre. Cette complémentarité n’existe pas

toujours. Mais elle demeure relativement fréquente, dès lors qu’au stade de l’application du

droit, les systèmes juridiques nationaux, internationaux et européens ont rarement vocation à

appréhender seuls les situations.

Cette complémentarité peut être institutionnelle ou matérielle (Section 1). On peut essayer de

l’expliquer par l’existence de rapports de mise en œuvre (Section 2). Elle est fréquemment

guidée par la recherche d’un effet (Section 3).

143

Section 1 –Les complémentarités institutionnelles et matérielles

123. Il est fréquent que la solution juridique retenue par le juriste résulte d’une combinaison

de droits définis dans différents contextes : national, international ou européen. Ces

combinaisons peuvent faire intervenir des institutions (§1) ou des droits matériels (§2) issus

de contextes différents.

§ 1 – Les complémentarités institutionnelles

124. Il est fréquent (et somme toute banal) qu’un droit élaboré dans un contexte soit

appliqué devant une institution appartenant à un autre niveau. Le phénomène peut être

observé pour les institutions nationales, internationales ou européennes à propos de

l’application d’un droit élaboré dans un autre contexte que le leur.

Situation – L’application devant les institutions nationales, internationales ou européennes

d’un droit élaboré dans un autre contexte

L’exemple de l’application du droit international et/ou européen devant les institutions

nationales

L’ensemble des institutions nationales sont potentiellement concernées par l’application du

droit international ou européen.

Il peut s’agir du législateur (en France, le Parlement) ou de l’exécutif (en France, le Président

de la République et le gouvernement) chargé d’autoriser la conclusion d’un accord

international ou européen (par exemple, loi de ratification, décret d’approbation) ou de

prendre des mesures de transposition d’un texte international ou européen dérivé (par

exemple, loi d’adaptation du droit national à un traité international ou texte national législatif

ou réglementaire de transposition d’une directive européenne).

Les administrations nationales (en France, les services placés sous la responsabilité du

premier ministre (SGAE : secrétariat général des affaires européennes), des ministères

(notamment le ministère des affaires étrangères et le ministère de la justice) et les autorités

administratives indépendantes) et territoriales (en France, les régions, les départements ou les

communes) contribuent également à cette application sur le sol français du droit international

et européen (pour une présentation détaillée du rôle des administrations nationales et

territoriales dans le contexte européen, voir J.-L. Sauron, V. Lanceron, L’administration

nationale et l’Europe, La Documentation Française, 2008 ; P.-Y. Monjal, Droit européen des

collectivités locales, LGDJ, 2010).

Par ailleurs, les institutions juridictionnelles nationales, publiques (juge étatique) ou privées

(arbitre), sont amenées à mettre en œuvre également les méthodes et solutions du droit

144

international et européen. En France, qu’il s’agisse du juge constitutionnel, du juge ordinaire

ou du tribunal des conflits, des juridictions de l’ordre administratif ou des juridictions de

l’ordre judiciaire, des juridictions supérieures ou des juridictions du fond, des formations

collégiales ou des juridictions à juge unique, du juge étatique ou du juge arbitral soumis aux

règles françaises de l’arbitrage, tous sont amenés à faire application du droit international et

européen (pour une analyse annuelle de la jurisprudence étatique française rendue en droit

international et européen, voir la publication régulière de l’Annuaire français de droit

international (éd. CNRS) et de l’Annuaire de droit européen (éd. Bruylant) ; pour un

exemple d’analyse de la pratique des juridictions nationales appliquant les instruments

internationaux, voir C. Laurent-Boutot, La Cour de cassation face aux traités internationaux

protecteurs des droits de l’homme, Thèse Limoges, 2006).

Pour un cas de mise en œuvre d’une convention internationale liant l’UE par une directive

européenne et des dispositions nationales d’exécution auxquelles elle renvoie : voir, CJUE,

8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK, aff. C-240/09 (Convention d’Aarhus sur

l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la

justice en matière d’environnement - 1998) qui considère que « lorsqu’est en cause une

espèce protégée par le droit de l’Union, et notamment par la directive «habitats », il

appartient au juge national, afin d’assurer une protection juridictionnelle effective dans les

domaines couverts par le droit de l’Union de l’environnement, de donner de son droit

national une interprétation qui, dans toute la mesure du possible, soit conforme aux objectifs

fixés à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus » (pt. 50).

L’exemple de l’application du droit national devant une institution internationale ou

européenne

Les hypothèses d’application du droit national devant une institution internationale ou

européenne sont moins fréquentes que les précédentes. Mais des cas existent malgré tout où

le droit national est mis en œuvre devant une instance internationale ou européenne chargée

d’examiner les modalités de son application.

Trois séries de cas peuvent être envisagées. La première vise la circonstance où le caractère

compatible de l’application d’un droit national est apprécié devant une instance

internationale (Cour internationale de justice, Organe de règlement des différends de l’OMC)

ou européenne (Cour de justice de l’Union européenne ou Cour européenne des droits de

l’homme). Cette compatibilité est parfois appréciée de manière concrète. Ce qui est alors en

cause, c’est la mise en œuvre d’un droit national eu égard aux exigences du droit

international et européen (réglementation nationale produisant un effet contraire aux

exigences du droit international ou européen). Dans cette hypothèse, l’application du droit

national est discutée devant une institution internationale ou européenne. Pour une

145

illustration devant la CIJ à propos de la légalité d’une mesure nationale d’expulsion : CIJ, 30

novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du

Congo. Pour une illustration en droit de l’OMC à propos d’un cas de discrimination, voir,

ORD, Organe d’appel, 13 déc. 1999, Chili – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS87 et

DS110/AB/R. Pour une illustration devant la CJUE et la CEDH, à propos de la compatibilité

des effets de la réglementation française avec les exigences du droit européen, voir sur la

question prioritaire de constitutionnalité : CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. Jtes C-

188/10 et C-189/10 et sur le fonctionnement du ministère public français : CEDH, 23 nov.

2010, Req. no 37104/06, Moulin c. France.

La deuxième série de cas a en commun de concerner des instances publiques ou privées qui

agissent dans un cadre arbitral ou qui s’apparentent à ce dernier. Deux hypothèses peuvent

être signalées : 1° celle de la CJUE chargée d’appliquer un droit national déclaré applicable à

un contrat conclu par l’Union européenne (voir à propos de l’application jurisprudentielle de

cette possibilité offerte par l’article 272 TFUE ; l’analyse proposée in La Cour de justice,

juge du contrat soumis à la loi étatique choisie par les parties, RDC 2005, p. 463) ; 2° celle

de l’arbitre CIRDI, amené à faire application d’un droit national à un contrat conclu par un

Etat avec un investisseur étranger (voir sur ce phénomène, l’analyse de M. Forteau, Le juge

CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou l’un et

l’autre à la fois ?, Mélanges J.-P. Cot, Bruylant 2009, p. 95).

La troisième série de cas concerne l’hypothèse particulière où une instance internationale

consent à apprécier la validité de la conclusion d’un traité eu égard au respect, par l’Etat

signataire, de ses dispositions constitutionnelles nationales (pour l’énoncé de cette règle, voir

l’article 46 de la Convention de Vienne sur le droit des traités – 1969 ; pour un examen de la

pratique des instances internationale à l’occasion de l’adoption de la Résolution 1757 (2007)

par Conseil de sécurité des Nations Unies créant le Tribunal spécial pour le Liban, voir M.

Ghantous, La valeur internationale de la constitution, JDI 2010, 35).

L’exemple de l’application du droit international devant une institution européenne

Le droit international occupe une place grandissante dans le droit de l’Union européenne. En

se limitant aux seuls accords internationaux liant l’UE, les données statistiques révèlent que :

si de 1950 à 1974, 18 accords seulement ont été conclus, 450 ont été adoptés entre 1975

et 1999 et plus de 700 ont trouvé une place dans l’ordre juridique européen entre 2000

et 2010 (source : http://europa.eu.int ; rubrique « Relations extérieures »). On assiste à une

véritable explosion du nombre des instruments internationaux liant l’UE ce qui conduit à une

application de plus en plus fréquente de ces instruments par les différentes institutions

européennes (notamment : commission, conseil des ministres, conseil européen, parlement

européen et cour de justice), chacune selon leurs attributions respectives. Voir à titre

146

d’illustration, la référence faite par la Cour de justice aux règles du droit international

général en matière de nationalité : CJUE, 2 mars 2010, aff. C-135/08, Rottmann. Ce

phénomène n’est d’ailleurs pas sans conséquences sur l’évolution du droit international dans

le contexte européen. La question est, en effet, de plus en plus souvent posée de l’existence

d’une approche européenne du droit international. Voir notamment sur ce thème : L. Gautron

et L. Grard (dir.), Droit international et droit communautaire : perspectives actuelles :

Pedone, 2000 ; J. Wouters, A. Nollkaemper, E. de Wet (ed.), The Europeanisation of

International Law, TMC Asser Press, 2008 ; J.-M. Thouvenin et Ch. Tomuschat (dir.), Droit

international et diversité des cultures juridiques, éd. Pedone, 2008 (spéc. la Partie 3) ; - M.

Delmas-Marty et S. Breyer (dir.), Regards croisés sur l’internationalisation du droit : France

– Etats-Unis, SLC 2009 (qui contient de nombreuses analyses intéressant le droit européen) ;

E. Dubout et S. Touzé S. (dir.), Les droits fondamentaux : charnières entre ordres et

systèmes juridiques, Pedone 2010 ; La fragmentation du droit applicable aux relations

internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes (dir.

scientifique M. Forteau ; coord. J.-S. Bergé, M. Forteau, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin),

Ed. Pedone, 2011. – L. Burgorgue-Larsen, E. Dubout, A. Maitrot de la Motte et S. Touzé

(dir.), Les interactions normatives : droit de l’UE et droit international, éd. Pedone, 2012 ; M.

Benlolo-Carabot, E. Cujo et U. Candas (dir.), Union européenne et droit international, éd.

Pedone, 2012). V. également, la chronique annuelle publiée au JDI sur les interactions du

droit international et européen (depuis 2009).

Le Conseil de l’Europe participe à ce phénomène de manière plus modeste (sur l’implication

du Conseil de l’Europe dans le développement du droit international, voir E. Decaux et M.

Eudes, Juris-Classeur Europe – Traité, fasc. n° 6110, janv. 2010, n° 8 et s.). Dans le domaine

des droits fondamentaux où l’organisation peut se targuer de l’existence d’une juridiction

européenne – la Cour européenne des droits de l’homme – il est arrivé que des traités

internationaux soient appliqués par la CEDH. Voir pour une illustration : CEDH, Grande

Chambre, 12 nov. 2008, Demir & Baykara c./ Turquie, Req. n° 34503/97 (à propos de

conventions de l’OIT sur la liberté syndicale et le droit de grève). Sur le phénomène dans

une perspective propre aux droits fondamentaux : E. Dubout et S. Touzé (dir.), Les droits

fondamentaux : charnières entre ordres et systèmes juridiques, éd. Pedone 2010.

L’exemple de l’application du droit européen devant une institution internationale

Les cas d’application du droit européen devant une institution internationale demeurent

exceptionnels. Il y a deux grandes raisons à cela. La première tient au caractère régional du

droit européen qui est souvent jugé incompatible avec la conduite d’une justice de droit

international. La seconde est liée à la manière dont la Cour de justice de l’Union européenne

interprète de manière absolue le caractère exclusif de sa compétence s’agissant, notamment,

147

de régler des différends entre Etats membres, refusant ainsi de reconnaître toute compétence

concurrente à une autre juridiction internationale (voir, l’exemple particulièrement

remarquable de l’affaire « Mox » : CJCE, 30 mai 2006, Commission c/ Irlande, aff. C-

459/03, à propos de la saisine du Tribunal international du droit de la mer et de différentes

instances arbitrales internationales ; voir plus récemment, dans une configuration différente,

CJUE, 8 mars 2011, avis 1/09, à propos de la création d’un système unifié de règlement des

litiges en matière de brevets européens et de l’UE ; comparer, également, les modalités du

désistement allégué par la Belgique dans le conflit l’opposant à la Suisse à propos de la

Convention de Lugano sur la compétence et l’exécution des décisions en matière civile et

commerciale, désistement intervenu « en concertation avec la Commission de l’Union

européenne » (CIJ, 5 avril 2011, ordonnance, p. 2).

Mais les choses sont amenées à évoluer. La Cour internationale de justice a récemment

accepté de faire référence pour la première fois au droit de la Convention européenne de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CIJ, 30 novembre 2010,

Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo). Ce droit n’a

pas été à proprement parler « appliqué » par la CIJ. Il y a simplement été fait référence. Mais

c’est un début intéressant qui explique, sans doute, qu’un autre arrêt rendu, plus récemment,

par la juridiction internationale ait conforté la place du droit régional devant la juridiction

internationale (CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c.

Italie ; Grèce (intervenant)). En effet, la CIJ s’emploie, dans cette affaire, à analyser la

jurisprudence de la CEDH, au même titre que des jurisprudences nationales, dans le but d’y

déceler l’existence de règles coutumières internationales relatives à l’étendue des immunités

juridictionnelles dont bénéficient les Etats Cette pratique de comparaison, développée par la

haute juridiction internationale à l’endroit du droit régional, a pris un peu plus d’ampleur

avec un autre arrêt (CIJ, 19 juin 2012, qui statue sur le volet indemnisation de l’affaire

Ahmadou Sadio Diallo, préc.) qui se réfère abondamment aux pratiques d’indemnisation de

la CEDH (et, au demeurant, de la CIADH).

Par ailleurs, il arrive que l’application du droit de l’Union européenne soit discutée devant

des juridictions internationales dans le cadre d’arbitrages mettant en scène un ou plusieurs

Etats. On songe à une affaire opposant la Belgique aux Pays-Bas, où la Cour permanente

d’arbitrage s’est interrogée sur l’applicabilité du droit de l’Union européenne pour décider de

sa propre compétence (CPA, 24 mai 2005, affaire de la « Ligne du Rhin de fer »). On pense

également à un arbitrage CIRDI où les juges ont fait application d’une directive de l’UE

(CIRDI, Giovanna a Beccara and others c. Argentine, ARB/07/5, 27 janvier 2010). Sur

l’étude de ces deux derniers exemples, voir M. Forteau, « L’influence du choix de la

juridiction sur le droit applicable aux relations internationales », in La fragmentation du droit

148

applicable aux relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et

publicistes, Ed. Pedone, préc., p. 143.

125. Ce type de complémentarité institutionnelle est parfois érigé en « principe ». C’est le

cas pour la question difficile et sensible des rapports entre la Cour pénale internationale et les

justices des Etats parties.

Situation – La complémentarité institutionnelle érigée en principe

L’exemple des rapports entre la Cour pénale internationale et les justices des Etats

membres

Le statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale (1998) définit des cas

d’irrecevabilité d’une affaire lorsque : a) L'affaire fait l'objet d'une enquête ou de poursuites

de la part d'un État ayant compétence en l'espèce, à moins que cet État n'ait pas la volonté ou

soit dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites ; b) L'affaire

a fait l'objet d'une enquête de la part d'un État ayant compétence en l'espèce et que cet État a

décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l'effet

du manque de volonté ou de l'incapacité de l'État de mener véritablement à bien des

poursuites ; c) La personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet

de la plainte, et qu'elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3 ;

d) L'affaire n'est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite (article 17§1).

Cette disposition est analysée par les spécialistes de la matière comme l’expression d’un

« principe de complémentarité » qui permet ici à l’ordre juridique international d’interagir

avec les ordres publics internes. Cette interaction entend satisfaire un objectif de continuité

des poursuites de manière à éviter le risque d’impunité. Pour une analyse approfondie et

critique de l’utilisation faite de ce mécanisme, voir V. Chetail, Tous les chemins ne mènent

pas à Rome (la concurrence de procédures dans le contentieux international pénal à l’épreuve

du principe de complémentarité), in Y. Kerbrat (dir.), Forum Shopping et concurrence des

procédures contentieuses internationales, Bruylant, 2011, p. 126.

126. Cette complémentarité institutionnelle fait également l’objet de véritables règles de

coordination, comme c’est le cas en matière d’arbitrage international où des dispositions sont

prévues en droit national pour aménager les rapports entre la justice arbitrale internationale et

la justice étatique.

149

Situation – La complémentarité institutionnelle aménagée par des règles de coordination

L’exemple des rapports entre la justice arbitrale internationale et la justice étatique

Les spécialistes de droit international notamment ont développé une réflexion importante sur

la question des rapports entre la justice arbitrale et la justice étatique (voir, par exemple, avec

les références citées : Ph. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage

commercial international, Litec, 1996 , spéc. les parties IV et VI). Des équilibres sont

recherchés pour permettre aux deux justices de travailler de manière harmonieuse et

complémentaire même si l’on ne peut exclure des situations de mise en concurrence (voir,

sur les interactions entre l’arbitrage et le contentieux privé international : H. Muir Watt,

Economie de la justice et arbitrage international (réflexions sur la gouvernance privée dans la

globalisation), RA 2008, 389 ; pour une illustration particulièrement remarquable du

phénomène dans les situations où un Etat est partie prenante, voir, par exemple, B. Remy, La

concurrence des procédures Etats-investisseurs, in Kerbrat (dir.), Forum Shopping et

concurrence des procédures contentieuses internationales : Bruylant, 2011, p. 15). Cette

réflexion s’est notamment concrétisée, en France, par l’adoption de règles de procédure

civile destinées à coordonner l’action du juge étatique avec celle de l’arbitre. S’agissant

spécifiquement de l’arbitrage international et de ses rapports avec le juge français, les

articles 1505 et suivants du CPC (et les dispositions auxquelles ils renvoient) encadrent le

rôle d’appui du juge national chargé d’intervenir au soutien d’une procédure arbitrale (par

exemple, s’agissant de trancher une difficulté de constitution du tribunal arbitral) et

définissent les conditions dans lesquelles une sentence arbitrale peut être reconnue et

exécutée sur le sol français (procédure d’exequatur). Pour une analyse en droit positif

français : voir notamment, Th. Clay : « Liberté, Égalité, Efficacité » : La devise du nouveau

droit français de l'arbitrage - Commentaire article par article, JDI 2012, 443.

§ 2 – Les complémentarités matérielles

127. L’approche institutionnelle des complémentarités entre les droits issus de contextes

différents peut être complétée par une approche matérielle. Le juriste s’efforce ici de tirer

profit des ressemblances et dissemblances qui existent entre les méthodes et solutions du droit

matériel national, international ou européen pour constituer des assemblages destinés à

produire un effet de droit particulier. Les complémentarités de ce type sont d’autant plus

intéressantes qu’elles permettent d’atteindre un résultat différent de celui qui serait obtenu

séparément par chacun des droits en présence.

128. Ce type de complémentarité existe de manière sans doute exceptionnelle dans les

rapports entre les droits nationaux, généralement conçus en termes de substitution plus que de

150

combinaison.

Situation – L’hypothèse rare de combinaison de droits nationaux

Un exemple en jurisprudence française

L’application de droits nationaux à une situation de fait donnée est rarement pensée en

termes de combinaison. Sauf cas particuliers, comme, par exemple, la théorie du dépeçage

(qui permet notamment à des parties à un contrat de choisir plusieurs lois applicables en

distinguant les questions respectivement soumises aux lois ainsi désignées ou objectivement

applicables ; sur cette possibilité, voir art. 3 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement

européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles

« Rome I » et l’analyse proposée par C. Nourissat, Le dépeçage, in S. Corneloup et N.

Joubert, Le règlement communautaire « Rome I » et le choix de la loi dans les contrats

internationaux, Litec, 2011, 205) ou l’éviction « partielle » (et somme toute accidentelle)

d’un droit normalement applicable par le jeu d’une exception d’ordre public ou,

éventuellement, d’une loi de police (par exemple : art. 9 et 21 du Règlement (CE) n°

593/2008, préc.), le droit international privé s’efforce de désigner un seul droit national

applicable par catégorie de rattachement (c’est-à-dire par grande question de droit : la

capacité, le mariage, le divorce, etc.).

Un auteur (L. d’Avout, commentaire de : Cour de cassation (Ch. soc). - 24 février 2004,

République fédérative du Brésil c. Mme L. de Azevedo Werneck, pourvoi: 01-47113,

RCDIP 2005, 62) a néanmoins mis en évidence un cas dans lequel la solution au litige a

résulté de la combinaison de deux droits nationaux (prise en considération de l’un et

application de l’autre) : « Dès lors que l'État étranger [Brésil] admet que sa législation

prévoit l'application aux auxiliaires locaux de ses services consulaires de la législation de la

sécurité sociale en vigueur dans le pays d'emploi et qu'en vertu des circulaires n° 285 SS du

31 décembre 1946 et n° 101 SS du 16 août 1956, il avait la possibilité d'affilier sa salariée au

régime français de sécurité sociale, est légalement justifiée la décision qui le déclare

responsable du préjudice subi par celle-ci par suite de sa non-affiliation et le condamne au

paiement de dommages-intérêts ».

129. Les cas de complémentarité sont beaucoup plus fréquents dans les relations entre les

droits conçus dans des contextes différents. L’explication en est simple : les droits

international et européen sont soumis à un principe de spécialité de sorte qu’ils présentent par

nature un caractère incomplet (voir sur ce thème, nos développements supra, n° xxx). Il est

donc fréquent que des combinaisons associant le contenu matériel des droits en présence se

produisent. Nous approfondirons deux exemples : le premier historique, le second plus

contemporain.

151

Situation – Les cas plus fréquents de combinaison du droit national et international

L’exemple historique de la jurisprudence « Boll » de la Cour internationale de justice

La Cour de justice internationale a eu à se prononcer en 1958 sur la bonne application d’une

convention internationale de droit international privé (Convention de 1902 pour régler la

tutelle des mineurs) dans un différend l’opposant les Pays-Bas à la Suède (CIJ, 28 nov. 1958,

Rec. 1958, 66). La question se posait principalement de savoir si un Etat (la Suède) pouvait

prendre une mesure éducative destinée à protéger un mineur dont le statut relevait, en vertu

de la Convention précitée, de la loi d’un autre Etat (les Pays-Bas). Pour considérer que la

Suède n’avait pas violé ses obligations internationales, la Cour internationale de justice a

estimé que « malgré leurs points de contact et malgré les empiétements que la pratique

révèle, la Convention de 1902 sur la tutelle des mineurs laisse en dehors de son cadre la

matière de la protection de l’enfance et de la jeunesse telle que l’entend la loi suédoise du 6

juin 1924. La Convention de 1902 n’a donc pu créer des obligations à la charge des Etats

signataires dans un domaine qui est resté en dehors de ses préoccupations et, dès lors, la

Cour ne relève pas, en l’espèce, de manquement à cette Convention à la charge de la

Suède ». La solution retenue par la juridiction internationale s’appuie sur une combinaison

des deux droits, le droit national sur les mesures de protection des mineurs étant considérées

comme complémentaires des règles de droit international privé qui permettent de désigner la

loi applicable à la tutelle.

130. Cet exemple historique de complémentarité entre les dispositions d’un instrument

international et d’un droit national peut être utilement complété par d’autres exemples, plus

contemporains, que livrent notamment la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union

européenne ou les textes européens.

Situation – Autres cas de combinaison du droit national, international et européen

Un exemple de combinaison du droit national, international et européen en droit des

transports

La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne offre de nombreux exemples

de combinaison matérielle du droit national, international et européen. L'arrêt Bogiatzi

(CJCE, 22 oct. 2009, aff. C-301/08) que nous avons déjà eu l’occasion de présenter et sur

lequel nous reviendrons est de ceux-là. Rappelons que la Cour de justice a été saisie dans

cette affaire de questions préjudicielles soulevées par une juridiction nationale ayant eu à

connaître d'une action en responsabilité civile dirigée contre un transporteur aérien en raison

d'un accident survenu à l'embarquement d'un vol intra-européen. Ces questions mettaient en

scène trois droits potentiellement applicables : 1° la Convention de Varsovie pour

l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (version modifiée à

152

La Haye en 1955), 2° le Règlement (CE) nº 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997 relatif à la

responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident (dans sa version applicable aux

faits de l'espèce) et 3° les règles de procédure interne permettant à la victime d’introduire

une action en justice devant un juge national. L’application du droit national et du droit

européen n’était pas discutée devant le Cour de justice. Elle était néanmoins patente. C’est le

droit national et lui seul qui a permis à la victime de saisir une juridiction étatique et

d’introduire différentes voies de recours, en appel puis en cassation. C’est le droit de l’UE et

lui seul qui sous-tendait juridiquement l’action en responsabilité civile dirigée notamment

contre le transporteur aérien. En revanche, cette application était discutée pour la Convention

de Varsovie qui pose un délai préfix de 2 ans, l’action ayant été introduite 5 ans après

l’accident. En décidant que cette convention était « opposable » dans le contexte de cette

affaire (sur cette notion, voir supra, n° xxx), la Cour de justice a admis que l’issue du

différend résulte devant le juge national de l’application combinée de trois droits : le droit

national (qui permet de saisir un juge), le droit européen (qui donne à l’action son fondement

juridique) et le droit international (qui pose un délai préfix). Le résultat juridique ainsi

obtenu est la conséquence d’une application cumulative de trois droits, résultat qu’aucun des

droits en présence n’aurait permis d’atteindre seul. En ce sens, il est permis de parler de

complémentarité matérielle.

Un exemple de combinaison du droit national, international et européen dans le domaine

de la protection des biens culturels

La protection des biens culturels, c’est-à-dire la lutte contre les exportations illicites de biens

qui appauvrissent le patrimoine culturel d’un Etat, fait l’objet d’un dispositif important dans

le triple contexte national, international et européen. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut

signaler, notamment, l’existence, au niveau international, de la Convention d’Unidroit sur les

biens culturels volés ou illicitement exportés (Rome, 1995), au niveau européen, de la

Directive 93/7/CEE du Conseil du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels

ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre et, au niveau national, de règles

spécifiques, administratives et pénales sur la protection des trésors nationaux et de règles

générales du droit civil des biens relatives aux actions en revendication intentés par le

propriétaire victime d’un vol. Cette stratification à trois niveaux des réglementations

applicables est propice aux combinaisons matérielles. On observe, en effet, que la

Convention d’Unidroit organise une procédure de restitution des biens culturels volés à son

propriétaire qui est à la fois dépendante des règles civiles définies par la législation nationale

et absente de la directive européenne. En revanche, s’agissant de la procédure de retour des

biens culturels illicitement exportés vers leur pays d’origine, la Convention d’Unidroit n’a,

en principe, pas vocation à s’appliquer aux rapports internes à l’Union européenne, la

153

directive étant amenée à prendre seul le relais. La juxtaposition de ces deux règles montre

que dans les rapports internes à l’Europe, la lutte contre le trafic illicite des biens culturels

est gouvernée à la fois par une convention internationale, une directive européenne et des

dispositions du droit national. Pour une analyse des interactions entre ces trois niveaux

normatifs, voir J.-S. Bergé, La Convention d'Unidroit sur les biens culturels : remarques sur

la dynamique des sources en droit international, JDI 2000, p. 215.

Un exemple de combinaison du droit national, international et européen dans le domaine

de la protection des droits fondamentaux

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne contient un article 53 selon

lequel : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant

ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur

champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les

conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, ou tous les Etats membres, et

notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales, ainsi que par les constitutions des Etats membres ». Comprise de manière

générale comme une clause de non-régression (le texte de l’UE ne saurait être utilisé comme

un instrument de régression de la protection des droits fondamentaux), cette disposition peut

être lue comme l’affirmation du caractère complémentaire des différents instruments

nationaux, internationaux et européens de protection des droits fondamentaux. Comme le

précise le texte, cette complémentarité s’opère par juxtaposition des instruments dans leurs

domaines respectifs d’application. Mais l’on ne saurait exclure des phénomènes de

combinaison où le juriste cherche à appliquer de manière cumulative les textes en présence,

de manière à leur faire produire un effet particulier (sur les différents effets envisageables,

voir, dans ce chapitre, section 3).

154

Section 2 – L’existence de rapports de mise œuvre

131. L’expression « rapports de mise en œuvre » désigne un processus de combinaison

particulier. Chaque fois que des institutions ou des droits issus de systèmes juridiques

distincts présentent des différences qui rendent nécessaires leur mise en œuvre conjointe,

aucune des institutions ou aucun des droits en présence n’a vocation à s’effacer ou à

supplanter les méthodes et solutions de l’autre. Les institutions (§1) et les droits (§2)

cohabitent de manière durable dans un rapport de mise en œuvre.

§ 1 – Les rapports de mise en œuvre institutionnels

132. Les complémentarités institutionnelles s’inscrivent parfois dans une logique

d’exécution. Dans cette perspective, une institution placée dans un contexte juridique donné

reçoit la charge de définir les modalités de mise en œuvre d’un droit issu d’un autre contexte

juridique.

Le phénomène est particulièrement fréquent pour les institutions nationales qui s’efforcent

d’aménager des règles de nature à permettre l’application du droit international et européen.

La complémentarité entre les droits est ici patente. C’est le droit national qui permet aux

instances nationales de mettre à exécution les droits et obligations définis par les sources

internationales et européennes du droit.

Situation – L’exécution du droit international ou européen par les institutions nationales

L’exécution du droit international : l’exemple de l’insertion des traités internationaux

dans l’ordre juridique français

Une manière relativement évidente de décrire un processus national d’exécution du droit

international consiste à présenter la façon dont une source de droit international est insérée

dans un système juridique national. Cette insertion obéit parfois à un processus formalisé.

C’est le cas en France pour les traités et accords internationaux qui sont soumis à une

procédure de ratification ou approbation aménagée par les articles 52 et 53 de la Constitution

de 1958. Ces dispositions opèrent une double distinction : 1° une première distinction entre

les « traités » et les « accords », les premiers supposant une ratification du président de la

République et les seconds étant soumis à une simple approbation de l'autorité qui a mené les

négociations ; 2° une seconde distinction, qui ne se chevauche pas avec la première, entre les

engagements soumis à une loi d'autorisation, votée par le parlement ou approuvée par

référendum (art. 11 de la Constitution de 1958) et ceux qui ne le sont pas. Le respect de ces

règles de procédure est pendant longtemps resté hors champ du contrôle du juge. Mais les

155

choses ont évolué. Le Conseil d'État a été amené à examiner la conformité à la constitution

de la procédure d'insertion suivie (voir par exemple : Conseil d’Etat, ass. 18 déc. 1998, Req.

n° 181249, aff. Parc d'activité de Blotzheim, Conseil d’Etat, 23 fév. 2000, Req. n° 157922,

aff. Bamba Dieng). La Cour de cassation lui a emboîté le pas (Civ. 1re, 29 mai 2001, pourvoi

n° 99-16673, aff. ASECNA). Voir, pour une illustration plus récente, Conseil d’Etat 9 juill.

2010, Fédération nationale de la libre-pensée et autres, Req. n° 327663 : « (…) Considérant

qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les traités ou accords relevant de

l'article 53 de la Constitution et dont la ratification ou l'approbation est intervenue sans avoir

été autorisée par la loi ne peuvent être regardés comme régulièrement ratifiés ou approuvés

au sens de l'article 55 précité ; qu'il appartient au Conseil d'Etat, statuant au contentieux, en

cas de recours pour excès de pouvoir contre un décret publiant un traité ou un accord, de

connaître de moyens tirés, d'une part, de vices propres à ce décret, d'autre part, de ce qu'en

vertu de l'article 53 de la Constitution, la ratification ou l'approbation de l'engagement

international en cause aurait dû être autorisée par la loi ; que constitue, au sens de cet article,

un traité ou un accord modifiant des dispositions de nature législative un engagement

international dont les stipulations touchent à des matières réservées à la loi par la

Constitution ou énoncent des règles qui diffèrent de celles posées par des dispositions de

forme législative (…) »

A ces modes d’insertion formelle s’ajoutent des modes d’insertion matérielle qui peuvent

aller jusqu’à l’adoption de véritables mesures internes d’exécution. Ces mesures sont

l’expression de l’obligation que fait peser le droit international sur les Etats de devoir

exécuter leurs engagements (CPIJ, avis du 21 fév. 1925 sur l’Echange des populations

turques et grecques, série B, n° 10, p. 20 : il va de soi, qu’un Etat « qui a valablement

contracté des obligations internationales est tenu d’apporter à sa législation les modifications

nécessaires pour assurer l’exécution des engagements pris »). Elles peuvent prendre de

multiples formes. Le cas le plus fréquent est celui où la législation nationale est adaptée pour

permettre une application pleine et entière d’un instrument international conclu par la France

(voir par exemple : Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à

l'institution de la Cour pénale internationale).

L’exécution du droit européen : les exemples de l’autonomie institutionnelle ou

procédurale reconnue aux Etats membres de l’UE et de la transposition des directives

Le droit européen livre un ensemble de règles qui nécessitent le plus souvent le recours à une

procédure nationale. Dans cette hypothèse, le droit national intervient aux côtés du droit

européen. Il joue un rôle absolument nécessaire de mise en œuvre : sans les droits nationaux,

leur organisation juridictionnelle et l’ensemble des règles de procédure, le droit européen

serait un droit figé, incapable de se mettre en mouvement en dehors des procédures

156

proprement européennes. Ce rôle essentiel joué par le droit national porte, en droit de

l’Union européenne, le nom de « principe d’autonomie institutionnelle (ou procédurale) ». Il

a fait l’objet, depuis plus de trente ans, d’un encadrement par la Cour de justice (voir

notamment pour les premiers arrêts rendus en matière de répétition des charges et taxes

illégitimement perçues par les États membres : CJCE, 16 déc. 1976, Rewe, aff. 33/76 ;

CJCE, 16 déc. 1976, Cornet, aff. 45/76 ; voir plus récemment, s’appuyant sur le principe

d’une protection juridictionnelle effective découlant des traditions constitutionnelles

communes aux États membres : CJCE, 13 mars 2007, Unibet, aff. C-432/05). Le

raisonnement qui sous-tend ce principe tient en deux mouvements : 1° en l’absence de

réglementation européenne, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre

de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales permettant

d’assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit

européen ; 2° pour autant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles

appliquées aux recours similaires de nature interne (principe de l’équivalence) et, surtout,

elles ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des

droits conférés par l’ordre juridique européen (principe d’effectivité). En d’autres termes,

quand le droit européen ne livre pas tous les moyens de sa mise en œuvre, il s’en remet aux

différents droits nationaux. Il ne s’efface pas totalement. Au contraire, il continue de veiller

au respect de ses règles au nom d’un double impératif d’effectivité juridique et d’application

uniforme.

La transposition des directives constitue une deuxième illustration du rôle d’exécution joué

par le droit national en droit européen. Instrument caractéristique de la construction du droit

de l’UE dominé par les interactions entre le niveau européen et le niveau national, la

directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux

instances nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens » (art. 288

TFUE). Le droit national doit mettre en œuvre la directive. Cette mise en œuvre est une

condition nécessaire du déploiement de tous les effets du texte européen.

133. Cette logique d’exécution peut également être envisagée pour les institutions

européennes quand elles ont la charge de définir les modalités de mise en œuvre du droit

international.

Situation – L’exécution du droit international par les institutions européennes

L’exécution du droit international : l’exemple de la mise en œuvre du droit international

par les institutions de l’UE

La mise en œuvre du droit international par les institutions de l’UE suppose parfois qu’un

acte formel de réception de la norme internationale soit adopté. Le Traité sur le

157

fonctionnement de l’Union européenne aménage à ce titre des règles précises sur les

modalités de conclusion des accords avec des pays tiers et des organisations internationales

(voir notamment, article 216 et s. TFUE).

En dehors de ce premier cas de figure, il est assez fréquent qu’un texte de droit dérivé

(règlement, directive par ex.) intervienne pour faciliter la mise en œuvre d’un accord

international dans l’UE. Par exemple, un règlement européen définit les règles de procédure

interne qui permettent aux institutions de l’UE d’agir devant une instance internationale en

cas de différends entre États (Organe de règlement des différends de l’OMC, par exemple :

Règlement CE no 3286/94 (modifié) arrêtant des procédures communautaires en matière de

politique commerciale commune en vue d’assurer l’exercice par la Communauté des droits

qui lui sont conférés par les règles du commerce international). De manière comparable, une

directive européenne est adoptée en vue d’harmoniser les positions des États membres de

manière à ce qu’ils respectent les normes internationales (par exemple :

Directive 2004/36/CE (modifiée) du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004

concernant la sécurité des aéronefs des pays tiers empruntant les aéroports communautaires

s’appuyant sur les normes de sécurité internationales contenues dans une convention relative

à l’aviation civile internationale).

134. Mais des scénarios plus complexes peuvent intervenir quand l’exécution du droit

international relève à la fois du niveau européen et national. On assiste ainsi parfois à une

véritable organisation des rapports entre les trois contextes d’application du droit.

Situation – L’exécution du droit international par les institutions européennes et nationales

L’exécution du droit international : l’exemple de l’organisation des rapports entre les

institutions nationales et européennes en cas d’accord mixte

Il arrive qu’un texte de droit international envisage l’hypothèse où son exécution requiert une

organisation du rôle respectif dévolu au contexte européen et au contexte national. C’est le

cas de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus

décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (dite Convention d’Aarhus,

1998). Ce texte pose le principe d’un droit de recours pour toute personne qui estime ne pas

avoir obtenu satisfaction dans sa demande d’information auprès d’une autorité publique. Ce

droit de recours n’est effectif que si des mesures d’exécution sont adoptées par les

signataires de l’instrument international. Or une disposition de la Convention envisage

l’hypothèse où cette dernière serait approuvée à la fois par une organisation d’intégration

régionale et ses membres (on parle alors « d’accord mixte »). Dans cette circonstance, en

effet, la Convention précise que les signataires doivent organiser leurs rapports de manière à

garantir une bonne exécution de droit de recours. L’UE et ses Etats membres ayant adhéré à

158

la Convention d’Aarhus, la question s’est posée de la manière dont les rôles ont été répartis

par les différents actes de droit dérivé européen intervenus en ce domaine. La Cour de justice

y a répondu par un important arrêt préjudiciel (CJUE, 8 mars 2011, Zoskupenie, aff. C-

240/09) au terme duquel elle a estimé que si le droit dérivé européen n’avait pas directement

réglementé la question, il appartient aux juridictions nationales « d’interpréter, dans toute la

mesure du possible, le droit procédural relatif aux conditions devant être réunies pour

exercer un recours administratif ou juridictionnel conformément tant aux objectifs de

l’article 9, paragraphe 3, de cette convention qu’à celui de protection juridictionnelle

effective des droits conférés par le droit de l’Union, afin de permettre à une organisation de

défense de l’environnement (…) de contester devant une juridiction une décision prise à

l’issue d’une procédure administrative susceptible d’être contraire au droit de l’Union de

l’environnement ». L’exécution de la norme internationale résulte ainsi de la combinaison du

droit national (« le droit procédural ») et du droit européen (« la protection juridictionnelle

effective des droits conférés par le droit de l’Union »). Ce cas est un des nombreux exemples

de difficultés, parfois redoutables, soulevées sur le plan instutionnel et/ou matériel par les

accords mixtes. Pour de plus amples développements sur le sujet, voir notamment : E.

Neframi, Les accords mixtes de la Communauté européenne : aspects communautaires et

internationaux, éd. Bruylant, 2007.

135. Une troisième logique, la plus poussée incontestablement, peut être de nature à

expliquer les complémentarités institutionnelles. Elle vise la circonstance où des institutions

appartenant à des contextes juridiques différents coopèrent entre elles au terme d’un processus

plus ou moins délibéré. Les illustrations sont innombrables. On en retiendra deux : le premier

en droit des marques, le second en matière de lutte contre le terrorisme.

Situation – La coopération entre institutions nationales, internationales et européennes

Un exemple de coopération entre institutions nationales, internationales et européennes

dans le domaine du droit des marques

En matière de marque, l’Arrangement de Madrid de 1891 (plusieurs fois modifié) concernant

l'enregistrement international des marques organise une coopération étroite entre les

administrations nationales chargées d’enregistrer et de délivrer les marques et une

administration internationale située à Genève : le Bureau international de la propriété

intellectuelle hébergé par l’OMPI. Cette coopération s’opère à double sens. Les

administrations nationales transmettent au bureau international les demandes internationales

de protection visant un ou plusieurs pays étrangers. Après leur enregistrement, les demandes

considérées comme recevables sont transmises par le bureau international aux

administrations nationales du ou des pays visés. C’est aux administrations nationales qu’il

159

revient de définir les conditions de protection nationale de la marque. Cette coopération entre

les deux niveaux d’administration donne lieu à diverses transmissions ou notifications

(transmission des demandes initiales et modificatives, notification des refus de protection

nationale, etc.).

Parallèlement, l’UE a créé la marque communautaire (Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil,

20 déc. 1993, sur la marque communautaire, remplacé par le Règlement (CE) n° 207/2009

du Conseil du 26 février 2009, préc.) qui constitue un titre unique et unitaire de protection

pour l’ensemble de l’Union européenne (voir supra, n° xxx). Cette marque est administrée

par l’Office d’harmonisation du marché intérieur situé à Alicante (OHMI) qui travaille en

collaboration avec les administrations nationales chaque fois notamment qu’une demande de

protection nationale est transformée en demande de protection européenne et inversement.

Cette coopération institutionnelle entre le contexte européen et le contexte national prend

également une forme juridictionnelle. En effet, chaque Etat membre de l’UE désigne les

juridictions nationales chargées d’appliquer la réglementation sur la marque communautaire.

On les appelle les tribunaux de la marque communautaire (en France, il s’agit du Tribunal de

grande instance de Paris). Or ces tribunaux nationaux jouent un rôle extrêmement important.

Ils ont notamment le pouvoir d’annuler une marque communautaire jugée non valide, leur

décision produisant un effet pour l’ensemble de l’UE.

Le système d’enregistrement international des marques mis en place par l’Arrangement de

Madrid de 1891 (préc.) a été modifié par l’adoption d’un protocole en 1989. Ce dernier a eu

notamment pour objet de rendre interopérable ce système avec celui de la marque

communautaire. Depuis l’adhésion de l’UE au protocole (2004), une demande

d’enregistrement international peut être transmise par ou être transmise à l’OHMI (préc.).

En matière de marque, les coopérations institutionnelles peuvent ainsi concerner les relations

entre tous les contextes d’application du droit : national, international et européen.

Un exemple de coopération entre institutions nationales, internationales et européennes

en matière de lutte contre le terrorisme

A la suite des attentats de New York du 11 septembre 2001, le Conseil de sécurité des

Nations Unies a développé un système de « sanctions ciblées » destiné à lutter contre le

terrorisme. La mise en œuvre de ces sanctions est susceptible de faire notamment intervenir

trois contextes institutionnels distincts : international (Onusien), européen (UE) et national

(Etats membres). La multiplication des contextes d’intervention est justifiée par un souci

d’efficacité. Les sanctions décidées au niveau international ne sont pas d’effet direct. Elles

nécessitent donc le relais de mesures régionales et nationales d’exécution (voir en particulier,

article 48 de la Charte des Nations Unies – 1945). Quand ces mesures passent par une action

décidée au niveau européen, les institutions de l’UE s’attachent à rendre effective la mise en

160

œuvre desdites sanctions, en ajoutant parfois aux sanctions prévues par l’ONU, des sanctions

propres. Ce double rôle joué par les institutions européennes se répercute alors sur celui des

institutions nationales des Etats membres, tenues de mettre en œuvre à leur tour les

prescriptions du droit européen. Il en résulte une multitude d’interactions entre les niveaux

institutionnels en présence. Pour une étude approfondie du phénomène, voir U. Candaş et A.

Miron, Assonances et dissonances dans la mise en œuvre des sanctions ciblées onusiennes

par l’Union européenne et les ordres juridiques nationaux, Chronique sur les interactions du

droit international et européen, JDI 2011, 769.

§ 2 – Les rapports de mise en œuvre matériels

136. L’approche des rapports entre les droits en termes de mise en œuvre est fréquemment

occultée. Elle est pourtant très utile. Ce rapport de mise en œuvre permet, en effet, de

comprendre que les droits construits dans des systèmes différents, qui sont amenés à coexister

et à être appliqués les uns avec les autres, n’ont pas vocation à disparaître. Quoi qu’il

advienne de ces applications conjointes, les droits en présence continuent d’avoir une

existence propre dans leur contexte d’origine. Il est donc nécessaire d’inscrire leur application

dans un phénomène durable de coexistence des droits si l’on veut pouvoir maîtriser

l’ensemble des effets potentiellement produits par une démarche de type combinatoire. Ces

effets ne s’épuisent pas au terme d’une application d’un droit avec un autre. Ils s’inscrivent

dans la durée. C’est pourquoi il est nécessaire d’appréhender ces échanges dans un rapport

durable de mise en œuvre.

137. De nombreuses illustrations de ce type de rapport de mise en œuvre existent. Nous

développerons deux ensembles d’exemples. Les premiers ont trait à la coopération judiciaire

internationale en matière civile et pénale.

Situation – La coopération judiciaire internationale en matière civile et pénale

Exemple tiré de la mise en œuvre du droit européen au procès équitable dans le contexte

du droit de l’UE de la coopération judiciaire civile

Le droit à un procès équitable vise, dans une acception large (procès équitable, droit de

recours, principe de légalité des délits et des peines, ne bis in idem), des droits et garanties

définis aux articles 6, 7, 13 et 4 du protocole 7 de la CEDH. Les articles 47 à 50 leur sont

consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE. La matière se compose, on le

sait, de garanties institutionnelles et procédurales (notamment le droit au juge et à

l’exécution qui nous intéressent particulièrement ici). Il a également une dimension

substantielle. Dans l’Union européenne, le droit de la coopération judiciaire en matière civile

161

forme avec la coopération judiciaire en matière pénale, la politique d’immigration et la

coopération en matière policière, l’espace de liberté sécurité justice (ELSJ, articles 81 et

suivants du TFUE) qui constitue l’un des grands objectifs de l’UE (article 3.2 TUE). Quels

types de rapport le droit à un procès équitable et le droit de la coopération judiciaire en

matière civile sont-ils susceptibles d’entretenir dans l’espace européen ? Les deux droits ont-

ils vocation à coexister durablement comme deux constructions juridiques distinctes ou doit-

on, au contraire, estimer qu’ils sont amenés à être absorbés l’un par l’autre (le droit à un

procès équitable façonnant le droit de la coopération judiciaire en matière civile ou,

inversement, le droit de la coopération judiciaire en matière civile soumettant à ses propres

constructions le droit à un procès équitable) ? La question n’a pas simplement une visée

académique et son lot de discussions sans doute assez vaines sur le périmètre des spécialités

des uns et des autres. Elle a également une valeur scientifique. Le droit à un procès équitable

et le droit de la coopération judiciaire en matière civile ont chacun une rationalité propre. Ils

font appel à deux «cœurs de métiers » différents. Il n’est donc pas inintéressant de

s’interroger sur la pertinence des raisonnements qui proposent, plus ou moins consciemment,

une absorption de l’un par l’autre. Inscrivant notre analyse en faux de cette démarche

intellectuelle, qui procède exclusivement par hiérarchisation des droits (sur cette

hiérarchisation, voir infra, Partie 3), l’hypothèse que nous voudrions éprouver ici est celle

d’un « rapport de mise en œuvre » entre les deux grandes matières juridiques, c’est-à-dire

d’une coexistence durable et nécessaire entre ces deux droits aux sources, ressorts

institutionnels, méthodes de raisonnement et solutions distincts. Il y aurait quelque chose

d’irréductible entre ces deux matières et l’erreur à ne pas commettre serait de vouloir les

fusionner. Pour vérifier cette hypothèse, on retiendra un exemple en matière de coopération

civile (voir en prolongement sur ce thème, notre étude in Le droit à un procès équitable au

sens de la coopération judiciaire en matière civile et pénale : l’hypothèse d’un rapport de

mise en œuvre, in C. Picheral (dir.), Le droit a un procès équitable au sens du droit de

l’union européenne, éd. Anthémis-Némésis (collection Droit et Justice), 2012, p. 249).

L’exemple porte sur le jeu de ce que l’on appelle la réserve d’ordre public procédural dans le

cadre notamment de la convention et du règlement (CE) n° 44/2001 concernant la

compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et

commerciale (dit de « Bruxelles 1 »). Ces textes ont, en effet, soulevé une difficulté

d’interprétation (articles 27§1 de la convention et 34§2 du règlement). La question a été, en

substance, de savoir si la violation des droits de la défense pouvait être invoquée comme un

motif de non-reconnaissance ou de non-exécution d’une décision étrangère hors le cas du

défendeur défaillant, seul visé par les textes ? (pour une présentation synthétique de ces

discussions, voir avec les références bibliographiques citées, H. Gaudemet-Tallon,

Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 4ème éd., 2010, § 402 et s.). La

162

Cour de justice a répondu par l’affirmative (CJCE, 28 mars 2000, aff. C7/98, Krombach ;

comparer en jurisprudence française, rendu antérieurement : Cour de cassation, Civ. 1ère, 16

mars 1999, Pordéa, pourvoi n° 97-17598. Voir également depuis, la confirmation de cette

solution apportée par l’arrêt Gambazzi (CJCE, 2 avril 2009, aff. C-394/07). Cette solution

retenue de la Cour de justice montre que la mise en œuvre d’un instrument phare de la

coopération judiciaire en matière civile est inséparable de l’application de la CEDH : le

premier n’a pas vocation à épuiser l’application du second. Les deux textes doivent être mis

en œuvre conjointement dès lors qu’ils se complètent utilement (Pour une confirmation plus

récente de cette approche : CJCE, 14 déc. 2006, aff. C-283/05, ASML. Voir en comparaison,

à propos du Règlement (CE) n° 2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et

l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale,

la récente jurisprudence Zarraga (CJUE, 22 déc. 2010, aff. C-491/10).

Différents arguments sont susceptibles de militer en faveur de cette lecture du droit au procès

international et du droit à un procès équitable en termes de rapports de mise en œuvre. Le

premier argument qui vient à l’esprit est tiré de la nature procédurale du droit à un procès

équitable. Dès lors que ce dernier sert à la mise en œuvre des droits subjectifs, il est normal

de considérer de la sorte ses rapports au droit de la coopération judiciaire. L’argument n’est

cependant pas totalement convaincant pour deux raisons. Le droit à un procès équitable a une

dimension substantielle qu’il est difficile d’occulter. On ne peut donc le réduire à une seule

fonction procédurale. Par ailleurs, le droit de la coopération judiciaire a une imprégnation

procédurale qui, dans la plupart des hypothèses, se suffit à elle-même, en ce sens qu’elle

n’exige aucune sollicitation du droit à un procès équitable.

Le deuxième argument est plus intéressant même s’il est en voie d’être quelque peu dépassé.

Le droit à un procès équitable est inséparable de l’œuvre de la Cour européenne des droits de

l’homme. Or cette dernière à un mode opératoire qui lui est propre : elle mène un contrôle a

posteriori de l’application concrète de la CEDH. Pour cette raison d’ordre institutionnel, qui

tient au mode de saisine et d’intervention de la Cour de Strasbourg, il est tentant de présenter

le droit à un procès équitable comme un droit capable d’évaluer la mise en œuvre du droit de

la coopération judiciaire. L’argument risque cependant de mal vieillir. Avec l’application

systématique et contraignante de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et la perspective

de l’adhésion de l’UE à la CEDH, la validité et l’interprétation des instruments du droit de

l’UE peuvent, en effet, être appréciées en amont d’une éventuelle intervention de la Cour de

Strasbourg. Le contrôle du respect des exigences du droit à un procès équitable est donc

susceptible d’emprunter des voies institutionnelles autres que celles que nous leur

connaissions jusqu’alors au niveau européen. Il peut en tout cas intervenir en amont d’un

éventuel recours a posteriori devant la Cour de Strasbourg.

163

Le troisième argument a notre préférence. Si les deux droits – droit de la coopération

judiciaire et droit à un procès équitable – entretiennent un fort rapport de mise en œuvre,

c’est tout simplement parce qu’ils ne portent pas l’un et l’autre sur le même objet. Il y a une

altérité forte entre les droits en présence et donc une potentielle complémentarité, de sorte

qu’aucun de ces deux droits n’a vocation à se substituer à l’autre. Dans le procès

international, le droit de la coopération judiciaire a besoin du droit à un procès équitable et

vice versa.

Exemple tiré de la mise en œuvre du droit européen au procès équitable dans le contexte

du droit de l’UE de la coopération judiciaire pénale

Dans le prolongement de l’exemple précédent, pris en matière de coopération judiciaire

civile, il peut être intéressant de confronter le droit de la coopération judiciaire pénale défini

dans l’UE par l’espace de liberté sécurité justice (ELSJ) et le droit à un procès équitable tiré

notamment de la CESDHLF et les règles spéciales, notamment de droit dérivé de l’UE,

destinées à favoriser une coopération judiciaire en matière pénale dans l’espace européen. Le

droit de l’UE met en œuvre, en effet, des mécanismes de reconnaissance mutuelle des actes

et faits juridiques amenés à circuler d’un Etat membre à l’autre. Cette reconnaissance

mutuelle a un fondement : la confiance mutuelle. La question qui est ici la nôtre est de savoir

quel droit à un procès équitable est de nature à fonder cette confiance mutuelle ?

Un élément de réponse possible porte sur la propension du droit à un procès équitable à

guider les conditions de mise en œuvre des instruments de droit dérivé de l’UE qui animent

le processus de reconnaissance mutuelle qui est à l’œuvre en matière de coopération

judiciaire pénale. Le principe de reconnaissance mutuelle occupe une place importante dans

le droit de l’ELSJ. Il figure en bonne place dans les nouveaux traités en vigueur (voir en

particulier les articles 67, 81 et 82 TFUE) et fait l’objet de nombreuses mesures

d’accompagnement en droit dérivé. En matière pénale, l’instrument phare de la

reconnaissance mutuelle n’est autre que la fameuse décision-cadre n° 2002/584/JAI relative

au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres.

Pour l’application des instruments de droit dérivé, la question se pose de savoir si le droit à

un procès équitable est de nature à interférer avec le droit UE de la coopération judiciaire en

matière pénale. Sont en cause ici, le caractère automatique de la reconnaissance et

l’exécution ainsi que la concentration de l’exercice de voies de recours devant le seul juge du

pays d’origine de l’acte judiciaire ou extrajudiciaire amené à circuler d’un Etat membre à

l’autre. Ces facilités de circulation accroissent les possibilités d’exécution (absence de

formalités, raccourcissement des délais, coopération entre les Etats). Elles renforcent donc le

droit à l’exécution. Mais dans un même temps, elles constituent une menace potentielle pour

le droit au juge et les droits de la défense. Comment faut-il alors envisager la combinaison de

164

ces instruments de droit dérivé avec les solutions dégagées au nom du droit à un procès

équitable ?

Pour répondre à cette interrogation, deux approches différentes peuvent être développées :

une approche de type « rapport de systèmes » et une autre de type « rapport de mise en

œuvre ». On les examinera tour à tour en marquant notre préférence pour la seconde.

Les constructions de type « rapports de systèmes » visent à appréhender les relations entre le

droit à un procès équitable et le droit de la coopération judiciaire en matière pénale en termes

de relations institutionnelles. Les réponses apportées aux difficultés nées de la confrontation

de ces deux droits sont ici recherchées dans les outils ou ressorts offerts par l’architecture

institutionnelle de l’UE et/ou de la CEDH. Deux pistes s’inscrivent notamment dans cette

perspective. La première consiste à s’appuyer sur la présomption simple de conformité du

droit de l’Union européenne aux exigences de la CEDH qui a été dessinée par la célèbre

jurisprudence « Bosphorus » (CEDH, 30 juin 2005, Req. 45036/98). Il s’agirait de présumer

que l’UE respecte de manière générale les standards du droit à un procès équitable de sorte

que si l’application de l’une ou l’autre des réglementations européennes de droit dérivé

venait à être contestée devant la Cour européenne des droits de l’homme, c’est au requérant

de faire la preuve de cette violation. La seconde piste s’appuie sur un scénario à ce jour

inédit d’application de la clause de suspension des droits d’un Etat membre pour violation

grave et persistante des droits de l’homme (article 7§2, lu avec les articles 2 et 6 TUE). Un

instrument de droit dérivé en matière de coopération judiciaire pénale y fait expressément

référence (voir, Décision-cadre n° 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen (préc.),

motif n° 10).

Ces différentes approches de type de « rapport de systèmes », qui s’inscrivent volontiers

dans une approche exclusive de hiérarchisation des droits (voir infra, Partie 3), conduisent à

un certain cloisonnement des mécanismes juridiques susceptibles de sanctionner une atteinte

au droit à un procès équitable dans le contexte de la politique de l’UE de coopération

judiciaire en matière pénale. Elles traduisent une sorte de réflexe qui consiste à aller chercher

systématiquement dans les constructions institutionnelles, un outil capable d’apporter une

réponse à un cas de violation de ce droit.

Une autre démarche intellectuelle est possible qui s’inscrit dans ce que nous avons appelé un

« rapport de mise en œuvre ». Une seconde série de réponses s’attache, en effet, à considérer

que les instruments de droit dérivé en matière de coopération judiciaire pénale sont

inséparables, dans leur mise en œuvre, de l’application systématique et concrète du droit à un

procès équitable tel qu’il s’est forgé historiquement par une interprétation de la CESDHLF et

que l’on retrouve aujourd’hui formulé notamment dans la charte des droits fondamentaux de

l’UE. D’après cette thèse, chaque fois que le droit dérivé ne permet pas en tant que tel de

165

satisfaire concrètement aux exigences du droit à un procès équitable, il doit être possible

d’invoquer les différentes sources européennes (CESDHLF et charte des droits

fondamentaux de l’UE) de ce droit, que le texte de droit dérivé de l’UE y fasse ou non

expressément référence.

Cette proposition a été discutée dans le domaine de la coopération judiciaire pénale

s’agissant de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen (préc.). La question est, en

effet, discutée de la possibilité de ne pas exécuter le mandat d’arrêt européen au nom de la

violation du droit à un procès équitable.

Les termes du débat sont connus (voir notamment sur ce thème : M. Lugato, Mandat d’arrêt

européen, extradition et droit à un procès équitable, RGDIP 2008, 601 ; D. Flore, Droit pénal

européen – Les enjeux d’une justice pénale européenne, préc., spéc. p. 436 et s. ; V. Malabat,

Confiance mutuelle et mise en œuvre du mandat d’arrêt européen, in Mélanges en l’honneur

de Serge Guinchard, Dalloz 2010, 975) : la violation du droit à un procès équitable ne fait

pas partie des motifs exprès de refus prévus par la décision-cadre (articles 3 et 4 de la

Décision-cadre 2002/584/JAI, préc.), alors même, d’une part, que le respect des droits

fondamentaux figure en bonne place dans l’exposé des motifs (voir, notamment, les § 10 et

11) et, d’autre part, que la mise en œuvre des textes de transposition par les juridictions

nationales soulève de nombreuses difficultés au regard notamment de la question de la

protection des droits fondamentaux. A ce jour, la Cour de justice ne s’est pas directement

prononcée sur cette difficulté même si elle a eu notamment à statuer sur la mise en œuvre du

principe ne bis in idem (CJCE, 3 mai 2007, aff. C-303/05, Wereld ; CJUE, 16 nov. 2010, aff.

C-261/09, Mantello) et que la question subsidiaire (à laquelle elle n’a pas eu besoin

répondre) lui a été posée de savoir si « les articles 3 et 4 de la (…) décision-cadre doivent

(…) être interprétés comme s’opposant à ce que les autorités judiciaires d’un État membre

refusent l’exécution d’un mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons sérieuses de croire que

son exécution aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne

concernée?» (CJUE, 21 oct. 2010, aff. C-306/09, I.B., pt. 41). Pour nous la réponse ne

devrait pas faire de doute. De la même manière que pour la convention et le règlement de

« Bruxelles 1 » (préc., voir exemple précédent), la décision-cadre sur le mandat d’arrêt

européen ne saurait constituer, en soi, un obstacle à l’invocabilité du droit à un procès

équitable.

Les deux types d’analyses proposés ci-dessus en termes de « rapport de systèmes » et de

« rapports de mise en œuvre », doivent pouvoir coexister. Le premier ne fait en tout cas pas

disparaître le second. Le temps et la distance qui séparent le juriste des solutions obtenues en

termes de rapports de système nous invitent, en effet, à penser qu’il faut savoir raisonner de

manière plurielle. Sans remettre en cause les constructions de type « système », le juriste doit

166

enrichir la palette de ses outils en appréhendant les exigences d’un droit à un procès

équitable au stade premier de la mise en œuvre du droit de la coopération judiciaire en

matière pénale.

138. Un autre cas de rapport de mise en œuvre matériel peut être illustré dans le domaine

des libertés écononiques de circulation définies au niveau européen.

Situation – Les libertés européennes de circulation

Exemple tiré de la mise en œuvre du droit national par le droit UE des libertés de

circulation

La figure d’un rapport de mise en œuvre permet de rendre compte de la nature profonde du

processus d’intégration négative qui a caractérisé, et caractérise encore dans les domaines où

les mesures d’accompagnement ne sont pas intervenues en droit dérivé, le jeu des libertés de

circulation définies par le droit de l’Union européenne (articles 26 et suivants du TFUE)

dans leur rapport au droit national des Etats membres. Ces libertés, loin de se suffire à elles-

mêmes, s’inscrivent dans une dialectique de rapport continu au droit national. Les libertés de

circulation des personnes, marchandises, services ou capitaux agissent sur les modalités

d’application des droits subjectifs de source nationale, sans pouvoir, ni même chercher, à

définir des droits subjectifs européens de substitution. Elles se veulent respectueuses d’un

pluralisme juridique : le droit européen ne s’auto-suffit pas à lui-même, il s’appuie sur les

droits nationaux et s’articule avec eux.

Cette intervention du droit européen se fait par un jeu, bien connu, d’encadrement du droit

national (pour une présentation détaillée du processus d’intégration négative, voir avec les

références citées : J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier, Droit européen (Union européenne et

Conseil de l’Europe), 2ème éd. PUF, 2011, spéc. n° 129 et s). Mais cet encadrement porte

sur un objet précis. Il s’agit pour le droit européen d’encadrer la mise en œuvre du droit

national, d’où l’intérêt de recourir à cette expression de « rapport de mise en œuvre ». Ce

rapport de mise en œuvre est d’un genre un peu particulier. Fréquemment, c’est le droit

national qui est présenté comme étant de nature à permettre la mise en œuvre du droit

européen par ses outils institutionnels et procéduraux. Le droit européen étant par nature

incomplet, c’est au droit national (ses institutions, ses procédures) qu’il revient

d’accompagner sa mise en œuvre (sur ce point, voir les illustrations supra). Sans chercher à

définir des figures par trop symétriques, on peut dire ici que ce rapport est inversé. C’est le

droit européen qui permet, en effet, de mettre œuvre le droit national dans un contexte

européen. Ainsi, par exemple, dans les premiers arrêts rendus en matière de propriété

intellectuelle (CJCE, 29 févr. 1968, aff. 24/67, Parke Davis ; CJCE, 18 févr. 1971, aff. 40/70,

Sirena ; CJCE, 8 juin 1971, aff. 78/70, Deutsche Grammophon ; CJCE, 22 janv. 1981, aff.

167

58/80, Dansk Supermarked), jamais les libertés de circulation n’ont permis d’abroger des

prérogatives exclusives définies au niveau national. Elles se sont contentées d’aménager les

modalités d’exercice de ces droits définis au niveau national en distinguant les situations où

les titulaires de droits de propriété intellectuelle pouvaient exciper du bénéfice de leur droit

et celles au contraire où leur exercice était condamné par les principes de liberté de

circulation.

La question se pose néanmoins aujourd’hui de l’utilité de recourir à la notion de « rapport de

mise en œuvre », alors que la législation européenne dérivée n’a cessé de croître, de sorte

qu’elle est de plus en plus à même de concrétiser l’exercice de droits subjectifs de niveau

européen, sans recourir aux instruments du droit national. Contrairement à ce que l’on

pourrait croire, ce type de rapport est amené à perdurer dans ce droit européen de deuxième

et troisième générations. Même quand le droit dérivé est intervenu, il fait vivre une relation

entre l’esprit des libertés de circulation, porté par les traités européens et la concrétisation

des droits subjectifs, opéré par le droit dérivé. On en donnera une illustration.

Cette illustration est tirée d’une affaire Dior (CJCE, 23 avril 2009, aff. C-59/08) relative à

une question d’interprétation de l’ancienne directive 89/104/CEE rapprochant les législations

des États membres sur les marques (ce texte a fait l’objet d’une consolidation intégrant les

modifications apportées au texte initial : Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du

Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques).

Ce texte définit, de manière classique, les conditions d’octroi du titre de propriété industrielle

sur les signes distinctifs, les droits exclusifs d’exploitation et les limitations ou exceptions au

droit. Il n’a pas pour objet de réglementer de manière générale les contrats en la matière. Il se

contente de consacrer un article (art. 8) à la licence de marque en prévoyant notamment que

le concédant peut agir en violation de ses droits (contrefaçon) contre le licencié qui ne

respecterait pas ses engagements contractuels dans un certain nombre cas énumérés de

manière exhaustive par la directive. C’est cette disposition qui a notamment fait l’objet d’un

renvoi préjudiciel devant la Cour de justice dans le contexte d’une affaire opposant,

notamment, la Société Dior à l’un de ses licenciés ayant pratiqué une revente hors réseau en

contravention du système de distribution sélective mis en place par le fabricant. La question

était en substance la suivante : la violation d’une interdiction contractuelle de revente hors

réseau constitue-t-elle une violation des droits sur la marque de sorte que son titulaire peut

s’opposer à la circulation hors réseau des marchandises ? La réponse apportée à cette

question par la Cour de justice traduit cette capacité du droit européen des libertés de

circulation à encadrer les modalités de mise en œuvre du droit subjectif à la marque, alors

que ce droit est défini, non plus au niveau national, mais au niveau européen. En effet, pour

parvenir à la conclusion selon laquelle « le titulaire de la marque peut invoquer les droits

168

conférés par cette dernière à l’encontre d’un licencié qui enfreint une clause du contrat de

licence interdisant, pour des raisons de prestige de la marque, la vente à des soldeurs de

produits tels que ceux en cause au principal, pour autant qu’il soit établi que cette violation,

en raison des circonstances propres à l’affaire au principal, porte atteinte à l’allure et à

l’image de prestige qui confèrent auxdits produits une sensation de luxe » (pt. 37), la Cour de

justice confronte, la lettre de la directive, spécialement son article 8 § 2, à la raison d’être de

la protection des marques en droit européen du marché intérieur, ce que les spécialistes de la

matière appellent la « fonction essentielle de la marque ». Le raisonnement est le suivant :

dans l’espace européen, la marque a notamment pour fonction de garantir la qualité d’origine

du produit marqué ; cette qualité peut être tributaire de l’image de prestige ou de luxe du

produit ; en conséquence la violation d’une interdiction contractuelle de revente hors réseau

est une atteinte à la marque, dès lors que les modalités de distribution du produit hors réseau

portent atteinte à cette image de luxe ou de prestige ; dans cette circonstance, le titulaire du

droit peut agir en contrefaçon contre son licencié (voir pour le détail de la motivation, les pts

15 à 36 de la décision). La qualification « manquement au contrat de licence », au sens de la

directive « marque » est ainsi déduite des justifications données par le droit européen du

marché intérieur à la protection de droits exclusifs de propriété intellectuelle. Deux droits

cohabitent - le droit dérivé et le droit primaire qui lui survit - et ces deux droits entretiennent

« un rapport de mise en œuvre ». Voir en prolongement sur ce thème, J.-S. Bergé, Existence

et exercice des droits subjectifs et libertés de circulation : l’hypothèse (à nouveau) d’un

rapport de mise en œuvre, in E. Dubout et A. Maitrot de la Motte (dir.), L'unité des libertés

de circulation - In varietas concordia, éd. Bruylant-Larcier, à paraître.

Section 3 – La recherche d’un effet

139. La combinaison du droit national, international et européen s’inscrit, fréquemment,

dans une démarche finaliste où le juriste cherche à tirer profit du pluralisme juridique mondial

ou à s’en prémunir selon la stratégie qu’il poursuit. Elle a donc un caractère fonctionnel (la

recherche d’un résultat) et dynamique (l’interaction entre les différents résultats possibles).

Les effets peuvent être multiples : effet tantôt équivalent, effet tantôt différent (§1) et effet

tantôt global, effet tantôt contenu (§2).

§ 1 - La recherche d’un effet tantôt équivalent tantôt différent

140. La démarche qui consiste pour le juriste à rechercher un effet équivalent ou, à

l’opposé, un effet différent se rapproche de celles proposées par les doctrines modernes du

droit naturel, lesquelles n’excluent pas que la recherche de solutions universelles puisse être

169

teintée de particularismes dans le contexte d’un droit confronté à la mondialisation1.

Un cas de figure peut ainsi être envisagé qui désigne l’hypothèse fréquente où le juriste placé

dans un contexte d’application du droit recherche dans les autres contextes le moyen de

conforter son analyse juridique. Une application illustre particulièrement bien cette

démarche : l’énoncé de règles coutumières ou de principes à caractère général.

Situation – Recherche d’un effet équivalent

L’exemple de l’identification d’une coutume internationale eu égard aux solutions

appliquées au niveau national et européen

Nous avons déjà eu l’occasion d’observer la manière dont la Cour internationale de justice

s’efforçait d’identifier l’existence de règles coutumières internationales dans la pratique

législative et jurisprudentielle des Etats dans des situations intéressant l’ordre international

(voir supra, n° xxx). Dans ces hypothèses, le juge international recherche l’existence d’un

effet équivalent produit par la pratique des Etats. Cette recherche a gagné en amplitude avec

l’arrêt CIJ, 3 fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ;

Grèce (intervenant). Dans cette affaire, en effet, la Cour internationale de justice a élargi sa

recherche à la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Si le but

demeure inchangé (confirmer ou infirmer la thèse de l’existence d’une pratique juridique

équivalente de nature à révéler l’existence d’une règle coutumière internationale), la

méthode utilisée se veut de plus en plus globale. Elle intègre les différents niveaux

(nationaux, internationaux et régionaux) d’application du droit (voir, en prolongement, nos

développements infra, n° xxx, sur la recherche d’un effet global).

L’exemple de l’énoncé de principes généraux du droit européen à partir des traditions

juridiques nationales et des principes de droit international

Les principes généraux du droit existent à tous les niveaux d’application du droit : national,

international, européen. Leur énoncé, d’ordre essentiellement jurisprudentiel, s’élabore

fréquemment combinaison de différents droits dans lesquels le juriste puise une source

d’inspiration. Le phénomène est notamment observable en droit de l’Union européenne.

Il est fréquent, en effet, que la Cour de justice ait recours à une confrontation des traditions

juridiques des différents États membres pour construire ses propres principes généraux du

droit (pour une première application : CJCE, 12 juill. 1957, Algera, aff. jtes 7/56, 3/57

à 7/57). Il a ainsi été, par exemple, décidé que « « Le principe de l’application rétroactive de

1 Pour une analyse du phénomène, voir D. Lochak, Le droit et les paradoxes de l’universalité, PUF, 2010, spéc.

p. 45 et s.

170

la peine plus légère fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États

membres » de sorte qu’il « doit être considéré comme faisant partie des principes généraux

du droit communautaire que le juge national doit respecter lorsqu’il applique le droit national

adopté pour mettre en œuvre le droit communautaire » (CJCE, 3 mai 2005, Berlusconi,

aff. C-387/02).

La proximité du droit international et du droit européen est telle, au sein de l’Union

européenne, que l’on assiste également parfois à des combinaisons entre les deux matières.

Très tôt, la Cour de justice s’est appuyée sur les principes du droit international (pour le

premier arrêt rendu par référence à un principe général du droit international : CJCE,

27 févr. 1962, Commission c/ Italie, aff. 10/61 ; voir, pour une illustration récente : CJUE,

25 février 2010, Brita, aff. C-386/08). Cette référence au droit international lui a notamment

permis d’énoncer ses propres principes généraux du droit. Un arrêt particulièrement

remarqué en rend compte : « (…) le principe de bonne foi est une règle du droit international

coutumier dont l'existence a été reconnue par la Cour internationale de justice (…). Ce

principe a été codifié par l'article 18 de la convention de Vienne (…). Le principe de bonne

foi est le corollaire, dans le droit international public, du principe de protection de la

confiance légitime qui, selon la jurisprudence, fait partie de l'ordre juridique communautaire

(…) » (TPI, 27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94). Comp. CJCE, 16 juin 1998, Racke,

aff. C-162/96 et l’analyse proposée par A. Berramdane, « L’application de la coutume

internationale dans l’ordre juridique communautaire », CDE 2000, 253.

L’exemple de l’interprétation équivalente de la CESDHLF et de la CDFUE

La recherche d’un effet équivalent entre des droits définis dans des contextes différents est

parfois érigée en principe d’interprétation. C’est ainsi que l’on peut lire à l’article 52 de la

Charte des droits fondamentaux de l’UE que « Dans la mesure où la présente Charte contient

des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde

des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes

que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le

droit de l'Union accorde une protection plus étendue ». La justification de cette disposition

tient à la volonté exprimée par les Etats membres de l’UE de ne pas créer un dispositif de

protection des droits fondamentaux concurrent de celui préexistant au sein du Conseil de

l’Europe. Sauf particularité du système de l’UE, l’effet produit par les instruments en

présence doit être équivalent, dès lors que les mêmes droits y sont consacrés, ce qui est

largement le cas (si la Charte des droits fondamentaux de l’UE innove sur certains aspects,

elle a repris à son compte l’essentiel des droits consacrés par la CESDHLF). Voir pour une

illustration récente, CJUE, 15 nov. 2011, Dereci, aff. C-256/11 : « À titre liminaire, il

convient de rappeler que l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union

171

européenne (…), relative au droit au respect de la vie privée et familiale, contient des droits

correspondant à ceux garantis par l'article 8, paragraphe 1, de la CEDH et qu'il convient donc

de donner à l'article 7 de la charte le même sens et la même portée que ceux conférés à

l'article 8, paragraphe 1, de la CEDH, tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour

européenne des droits de l'homme (arrêt du 5 octobre 2010, McB., C-400/10 PPU, non

encore publié au Recueil, point 53) ».

141. Mais la démarche utilisée est parfois trompeuse. Sous couvert de la recherche de

solutions communes ou voisines dans divers contextes d’application du droit, c’est un effet

différent qui est parfois recherché par le juriste. Il faut donc se montrer vigilant sur la

signification de ces emprunts. Le phénomène a ainsi été observé à propos des principes

généraux du droit.

Situation – Recherche d’un effet différent

L’exemple (à nouveau) de l’énoncé de principes généraux du droit

L’existence d’une coopération entre les juges nationaux et la juridiction européenne et même

d’un dialogue constructif ne saurait masquer, néanmoins, la complexité des rapports qui

s’organisent entre les différents niveaux. Les rapports entre les juges nationaux et la Cour de

justice sont de nature subtile, faits de jeux d’allégeance, parfois, de résistance ou de

méconnaissance, délibérées ou non, à d’autres occasions. Les cas de ce type sont légion. En

fait de dialogue entre les juges, on assiste souvent à de véritables luttes, le juge national

cherchant, par exemple, à demeurer maître des notions qu’il utilise dans un contexte voisin

de celui du droit européen.

On a ainsi montré qu’en adoptant un concept de sécurité juridique plus extensif que celui de

la Cour de justice, le Conseil d’État s’est doté d’un concept autonome et se donne les

moyens de ne plus faire application d’un principe de confiance légitime, principe dont il

pourra toujours dire à l’avenir qu’il demeure applicable uniquement dans le champ du droit

européen (voir, à propos de Conseil d’Etat, Ass., 24 mars 2006, KPMG ea, Req. n° 288460,

P. Brunet et O. Dubos, Approche critique du vocabulaire juridique européen : la pratique des

juges, Chronique du CEJEC, LPA, 2008, n° 164-165, 7 ; voir également de manière plus

générale sur ce phénomène d’appropriation nationale : J. Sirinelli, Les transformations du

droit administratif par le droit de l’Union européenne - Une contribution à l’étude du droit

administratif européen, éd. LGDJ, 2011).

De manière comparable, le Tribunal de l’Union européenne a été tenté de donner des

principes généraux du droit international une interprétation européenne autonome (TPI,

172

27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94, préc.), cette attitude ayant été fermement

combattue par la Cour de justice (CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-162/96).

§ 2 - La recherche d’un effet tantôt global tantôt contenu

142. L’espace-temps qui sépare l’énoncé d’une question juridique de sa solution dans un

contexte d’application du droit à plusieurs niveaux – national, international ou européen – est

une invitation pour le juriste à anticiper par une approche globale les effets produits par son

intervention sur tous les autres contextes d’application du droit. Ces situations sont

particulièrement visibles dans les enceintes internationales ou européennes qui forment autant

de lieux délocalisés de traitement d’une question juridique qui trouve sa source dans un autre

contexte. Dans ces configurations, le juriste anticipe les effets produits par son intervention

juridique, en intégrant à son cadre de référence, non seulement le droit applicable à son

niveau, mais également le droit applicable à un autre niveau.

Ces pratiques concernent, notamment, le droit national quand il est invoqué devant une

enceinte internationale ou européenne.

Situation – Recherche d’un effet global

Exemples de prise en compte dans le contexte international ou européen de l’application

du droit interne

Le statut du droit national devant les juridictions internationales et européennes rend compte

de cette recherche d’un effet global. En acceptant de considérer le droit national, son

application et parfois même son interprétation, l’institution internationale ou européenne a le

souci d’anticiper la réception de sa décision dans le contexte national en cause.

C’est ainsi que l’on peut expliquer, la jurisprudence de la Cour internationale de justice qui

rappelle volontiers que si elle n’est pas maîtresse de l’application du droit national, elle peut

être amenée 1° à dénoncer des erreurs manifestes d’interprétation et 2° à considérer

l’application du droit interne chaque fois qu’elle interfère avec les constructions du droit

international. C’est ainsi, par exemple, que dans l’affaire Diallo (CIJ, 30 novembre 2010,

Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo, préc.) elle a

considéré notamment que : « même s’il serait théoriquement possible de discuter [son] bien-

fondé (…), il n’appartient certainement pas à la Cour d’adopter, pour les besoins du

jugement de la présente affaire, une interprétation différente du droit interne congolais. On

ne saurait donc conclure que le décret d’expulsion de M. Diallo n’a pas été pris

«conformément à la loi » pour la raison qu’il a été signé par le premier ministre. En

revanche, la Cour est d’avis que ce décret n’a pas respecté les prescriptions de la législation

173

congolaise pour deux autres raisons. (…). La Cour conclut donc que sur deux points

importants, relatifs à des garanties procédurales conférées aux étrangers par le droit

congolais, et qui visent à protéger les personnes concernées contre le risque d’arbitraire,

l’expulsion de M. Diallo n’a pas été prononcée «conformément à la loi ». En conséquence,

indépendamment de la question de savoir si cette expulsion était justifiée sur le fond,

question sur laquelle la Cour reviendra dans la suite du présent arrêt, la mesure litigieuse a

violé l’article 13 du Pacte et l’article 12, paragraphe 4, de la Charte africaine ».

Une attitude similaire peut être constatée dans le contexte européen. Chaque fois que la Cour

de justice de l’Union européenne ou la Cour européenne des droits de l’homme doit

apprécier la conformité de l’application d’un droit national au regard des prescriptions du

droit européen, les discussions auxquelles peut éventuellement donner lieu le droit national

entrent incidemment dans le jeu de son analyse juridique même si les juridictions

européennes rappellent volontiers qu’elle n’a pas à intervenir directement dans le débat ou la

discussion juridique de droit interne. A titre d’exemple, on peut citer le cas de l’appréciation

par la Cour de justice de la compatibilité du mécanisme français de question prioritaire de

constitutionnalité avec les exigences du droit de l’UE (CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli,

aff. Jtes C-188/10 et C-189/10). Le droit français y est littéralement discuté devant la Cour

de justice, laquelle raisonne en termes d’impact de l’application de la réglementation interne

sur le droit de l’UE. De la même manière, quand la Cour européenne des droits de l’homme

se prononce sur la compatibilité du statut du parquet Français au regard des exigences du

droit des personnes détenues à être présentées devant un juge, c’est tous les effets produits

par l’organisation juridictionnelle française qui sont passés au crible des exigences de la

CESDHLF (voir, notamment, CEDH, 23 nov. 2010, Req. no 37104/06, Moulin c. France).

143. Elles visent, également, le droit international quand il est invoqué devant une enceinte

européenne et réciproquement.

Exemples de prise en compte dans le contexte européen du droit international

Les différents exemples retenus pour présenter des cas d’invocabilité d’un droit international

non applicable dans le système juridique de l’Union européenne illustrent parfaitement cette

recherche d’un effet global (sur ces exemples, voir, infra, n° xxx, nos développements à

propos de la jurisprudence historique de la Cour de justice relative à la CESDHLF – que l’on

ne pouvait classer à l’époque dans le droit européen – et des affaires Bogiatzi (CJCE, 22 oct.

2009, aff. C-301/08), Gottardo (CJCE, 15 janv. 2002, aff. C-55/00) et SCF (CJUE, 15 mars

2012, aff. C-135/10).

Dans ces quatre hypothèses, la Cour de justice interprète le droit européen dans la

perspective de son application à des situations relevant de juridictions nationales. Or ces

174

situations nationales ont une dimension internationale dans la mesure où des normes de droit

international, qui ne lient pas l’Union européenne ou avant elle, les Communautés

européennes, y sont applicables. La prise en compte par la Cour de justice de ce droit

international applicable dans le contexte national traduit la recherche d’un effet global. La

Cour de justice anticipe l’applicabilité du droit international de manière à mieux en maîtriser

les effets. Cela permet à la Cour de justice de s’assurer de la compatibilité entre son droit et

le droit potentiellement applicable dans les différents Etats membres. La question était

cruciale s’agissant de la protection des droits fondamentaux. La Cour de justice se devait de

montrer qu’elle était en mesure en prendre en compte les exigences de la CESDHLF

applicable dans différents Etats membres, sauf à ces derniers à remettre en cause la valeur

juridique de ses décisions. Elle est également importante dans les autres domaines étudiés

(transport, protection sociale et propriété intellectuelle). Le droit européen ne serait pas

grand-chose s’il était incapable d’interagir avec son environnement juridique, national et

international.

Exemples de prise en compte dans le contexte international du droit européen

C’est un phénomène récent que le fait pour une instance telle que la Cour internationale de

justice que de prendre en compte le droit régional européen dans ses décisions. En

témoignent les affaires Ahmadou Sadio Diallo (CIJ, 30 novembre 2010 , Guinée c.

République démocratique du Congo, préc.) et Immunités juridictionnelles de l’Etat (CIJ, 3

fév. 2012,- Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant), préc.) à l’occasion desquelles la

juridiction internationale a, pour la première fois de son histoire, fait référence à la

jurisprudence de la CEDH de manière à inscrire ses décisions dans une perspective globale.

Le phénomène est particulièrement remarquable dans l’arrêt « Immunités juridictionnelles de

l’Etat » où il s’est agi pour la CIJ de caractériser l’existence d’une règle de droit coutumier

international en prenant appui, non seulement sur la pratique des Etats, mais également sur la

jurisprudence de la CEDH.

144. Elles n’épargnent pas, non plus, les institutions nationales quand elles s’efforcent

d’élargir le plus possible leur cadre juridique de référence.

Exemples de prise en compte dans le contexte national du droit international et européen

Une affaire, qui a eu un assez grand retentissement en France sur la question des immunités

de juridiction, illustre bien la capacité du juge national à prendre en compte, très largement,

l’ensemble de ressources offertes par le droit international et européen pour trancher d’un

différend. Dans une affaire « Banque Africaine de Développement » (Cour de cassation, ch.

soc., 25 janv 2005, pourvoi n° 04-41012), la question était posée d’une contradiction entre le

traité international instituant cette organisation internationale (« accord de siège ») et de la

175

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

(CESDHLF). En vertu de ce premier texte, l’organisation internationale bénéficiait d’une

totale immunité de juridiction, y compris dans le cadre ordinaire des conflits du travail

l’opposant à ses fonctionnaires internationaux. En vertu de la CESDHLF, un droit au juge a

été institué au nom du droit à un procès équitable, droit qui permet notamment, selon

l’interprétation de la CEDH, d’écarter une immunité de juridiction quand elle expose le

demandeur à une situation de total déni de justice (notamment : CEDH, 18 fév. 1999, Req.

n° 28934/95, Beer et Regan : « Pour déterminer si l’immunité de [l’organisation

internationale] devant les juridictions [nationales] est admissible au regard de la Convention,

il importe, selon la Cour, d’examiner si les requérants disposaient d’autres voies raisonnables

pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention », § 58). Le moyen du

pourvoi défendait la thèse selon laquelle la CESDHLF ne trouvait pas à s’appliquer en

l’espèce à une organisation internationale non liée par l’instrument, de sorte que le droit au

juge ne pouvait être invoqué pour faire échec à l’immunité prévue par le traité international.

La Cour de cassation contourne la difficulté en intégrant à l’ordre public international

français, une solution potentiellement dictée par application de la CESDHLF : « Mais

attendu que la Banque africaine de développement ne peut se prévaloir de l'immunité de

juridiction dans le litige l'opposant au salarié qu'elle a licencié dès lors qu'à l'époque des faits

elle n'avait pas institué en son sein un tribunal ayant compétence pour statuer sur des litiges

de cette nature, l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de se prononcer sur

sa prétention et d'exercer un droit qui relève de l'ordre public international constituant un

déni de justice fondant la compétence de la juridiction française lorsqu'il existe un

rattachement avec la France ». On assiste ici à un cas d’appropriation de la solution de droit

européen par un juge national qui entend faire produire à cette solution un effet global. Pour

une analyse de cette solution en termes de circulation des situations, voir nos

développements infra, n° xxx.

Voir également, infra, n° xxx, les analyses proposées de : Conseil d'État, 11 mars 2011, Req.

324071, qui vise successivement la convention européenne de sauvegarde des droits de

l'homme et des libertés fondamentales, l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif

à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles, la

convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier

1990 et différents textes de droit français. Comparer (notamment), Cour de cassation, ch.

soc., 16 février 2011, pourvois n° 10-60.189 et 10-60.191 qui débute par le visa suivant :

« Vu les articles 3 et 8 de la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail

(OIT), 4 de la convention n° 98 de l'OIT, 5 de la convention n° 135 de l'OIT, 11 et 14 de la

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 6

176

de la Charte sociale européenne, 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union

européenne et L. 2122-1, L. 2122-2 et L. 2143-3 du code du travail ».

145. Cette approche globale du droit applicable n’est pas toujours de mise. Elle est

contrebalancée par des approches plus contenues. Dans les enceintes internationales ou

européennes, il peut arriver, en effet, qu’un système juridique décide de s’autolimiter (« self-

restraint »), c’est-à-dire de réduire autant que possible la portée de ses solutions à un cadre

restreint de référence. Les motivations peuvent être multiples. Elles ont souvent une

dimension politique. Les juges cherchent à contenir leur pouvoir. Faute de bénéficier d’une

légitimité démocratique, ils s’exercent à la prudence de manière à ne pas rompre le pacte

social qui les lie à une société1.

146. C’est ainsi que l’on peut lire, par exemple, le principe ou, plus modestement, l’idée de

subsidiarité quand ils sont mis en œuvre par les deux grandes juridictions européennes.

Situation – Recherche d’un effet contenu

Exemples de subsidiarité judiciaire à propos notamment du principe de proportionnalité

dans la jurisprudence européenne

Une véritable doctrine a été forgée dans le but de cantonner la CESDHLF dans certaines

limites. Contrairement à une idée reçue, la protection européenne des droits de l’homme ne

se veut pas, par essence, absolument uniforme. Des particularismes nationaux (V. par ex.,

s’agissant de la réglementation de la publicité par les avocats, CEDH, 24 févr. 1994, Req.

no 15450/89, Casado c/ Espagne) ou locaux (V. par ex., s’agissant de la définition d’un corps

électoral restreint au nom d’un processus d’autodétermination d’un pays d’outre-mer, la

Nouvelle-Calédonie en l’occurrence, CEDH, 11 janv. 2005, Req. no 66289/01, Py c/ France)

sont admis de sorte que les États peuvent construire, à partir d’un modèle européen commun,

leur propre système de protection : « Ainsi que l’a noté l’arrêt du 9 février 1967 en l’affaire

“linguistique belge”, la Convention a pour but essentiel “de fixer certaines normes

internationales à respecter par les États contractants dans leurs rapports avec les personnes

placées sous leur juridiction” (...). Cela ne veut pas dire qu’une uniformité absolue

s’impose ; comme les États contractants demeurent libres de choisir les mesures qui leur

paraissent appropriées, la Cour ne peut négliger les caractéristiques de fond et de procédure

1 Voir, notamment sur ce thème : S. Brondel, N. Foulquier, L. Heuschling (dir.), Gouvernement des juges et

démocratie, Publication de la Sorbonne, 2001, spéc. : L. Pech, Le remède au gouvernement des juges : le judicial

self-restraint, p. 63 ; voir également p. 304, l’explication apportée par l’ancien juge à la Cour de justice J.-P.

Puissochet, à propos de la célèbre jurisprudence « Grant » rendue sur la question des droits reconnus aux couples

homosexuels (CJCE, 17 février 1998, aff C-249/96). Voir également, A. Torres Pérez, Conflicts of Rights in the

European Union - A theory of Supranational Adjudication, Oxford University Press, 2009, spéc. p. 168 et s.

177

de leurs droits internes respectifs (cf. mutatis mutandis, l’arrêt du 23 juillet 1968 en l’affaire

“linguistique belge”). » (CEDH (Plén.), 26 avr. 1979, Req. no 6538/74, Sunday Times

c/ Royaume-Uni). Une telle marge de manœuvre n’est pas laissée à la totale discrétion des

États. Elle peut varier considérablement d’un droit fondamental à l’autre : certains droits font

peser de véritables obligations de résultat sur les États, alors que d’autres, au contraire,

offrent plus de plasticité. L’exercice de cette marge de manœuvre, de même que le recours

aux possibilités de dérogations offertes par la convention (par ex. au nom de l’ordre public)

font l’objet d’un contrôle judiciaire. Différents tests sont mis en œuvre par le juge (tests de

nécessité et surtout de proportionnalité) qui permettent d’éviter les excès. Voir en

prolongement sur ce sujet, B. Delzangles, Activisme et autolimitation de la Cour européenne

des droits de l’homme, Fondation Varenne, LGDJ, 2009 ; A. Legg, The Margin of

Appreciation in International Human Rights Law, Oxford university press, 2012. Pour une

approche critique (de la proportionnalité vue comme un instrument de résolution des conflits

de normes), voir E. Georgitsi, La proportionnalité comme instrument de « conciliation » des

normes antagonistes, RIDC 2011, 559.

En droit de l’Union européenne, la mise en œuvre des libertés de circulation ne donne lieu à

aucune directive générale de répartition des rôles entre la Cour de Justice et les juges

nationaux. Parfois, le contrôle de proportionnalité conduit la Cour à une analyse détaillée du

bien fondé de la législation au terme duquel elle conclut au caractère proportionné ou non de

la mesure (Cf. par exemple, CJCE, 16 mai 1989, Buet, aff. 382/87, sur la proportionnalité de

l’interdiction du démarchage pour la vente de matériel pédagogique à l’objectif de protection

des consommateurs invoqué par le gouvernement français ; CJCE, 24 novembre 2005,

Schwarz, aff. C-366/04, sur l’interdiction de la vente de confiseries non emballées dans des

distributeurs automatiques). Cependant, le contrôle exercé par la Cour de Justice n'est pas

toujours aussi approfondi. La Cour se limite parfois à indiquer aux juridictions nationales les

éléments à prendre en compte pour apprécier le respect du principe de proportionnalité. En

ce qui concerne, par exemple, les restrictions relatives à l'utilisation d'additifs alimentaires, la

Cour a précisé que ces restrictions devaient se limiter à ce qui est effectivement nécessaire à

la protection de la santé publique, l'appréciation devant s'effectuer au regard des résultats de

la recherche scientifique internationale et des habitudes alimentaires dans l'État membre

d'importation (CJCE , 14 juill. 1983, Sandoz, aff. 174/82). De la même manière, pour établir

la proportionnalité d'une interdiction de vente de journaux contenant des jeux dotés de

primes à l'objectif de maintien du pluralisme de la presse, la Cour indique au juge national

qu'il convient de procéder à un examen du marché national de la presse, par lequel la

juridiction nationale doit délimiter le marché du produit en cause, prendre en considération

les parts de marché détenues par chaque éditeur et leur évolution, mesurer le degré de

178

substitution possible aux yeux du consommateur du produit concerné aux journaux qui

n'offrent pas la possibilité de gagner un prix (CJCE, 26 juin 1997, Familiapress, aff. C-

368/95). Il arrive aussi que la Cour de Justice ne donne aucune indication aux juges

nationaux et se contente de leur confier le contrôle de proportionnalité (Cf. par exemple,

CJCE, 24 mars 1994, Schindler, aff. C-275/92 sur la proportionnalité de l’interdiction des

loteries à l’objectif de protection de l’ordre social). La Cour de Justice est ainsi fréquemment

conduite à confier aux juges nationaux un contrôle de proportionnalité qui suppose une

parfaite connaissance du contexte national dans lequel s’intègre la mesure d’intérêt général

entravant les échanges (pour une illustration particulièrement éclatante, à propos de la

législation italienne définissant des seuils planchers en matière de rémunération des avocats :

CJCE, 5 déc. 2006, Cipolla, aff. C-94/04 et C-202/04). La Cour de Justice, qui n’a pas

toujours une connaissance aussi complète que le juge national du contexte matériel et

juridique de l’affaire, ne dispose pas de tous les moyens qui sont à la disposition du

législateur pour apprécier l’opportunité du choix opéré. En outre, et cela constitue une

objection plus sérieuse, la légitimité du contrôle de proportionnalité, qui autorise le juge

européen à défaire l'œuvre du législateur national, est contestée. Dans ces conditions, la

subsidiarité judiciaire permet au juge européen de contenir l’exercice de son pouvoir

d’interprétation. Au lieu de centraliser le contrôle de proportionnalité, la Cour de Justice

concède au juge national le soin de porter une appréciation propre sur la compatibilité de

l’entrave avec les exigences des traités européens.

147. On rencontre également des hypothèses d’autolimitation dans la jurisprudence

internationale à propos du principe de spécialité, autolimitation qui peut avoir ambition de

nourrir une approche globale du système de droit international.

Exemples tirés de la lecture du principe de spécialité par la Cour internationale de justice

Des auteurs (P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8e éd. LGDJ 2009,

n° 389, p. 668) ont proposé une comparaison tout à fait intéressante de deux demandes

d’avis présentées à la Cour internationale de justice par l’Assemblée générale des Nations

Unies (ONU) et par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La première demande a été jugée recevable aux motifs que « La question posée à la Cour est

pertinente au regard de maints aspects des activités et préoccupations de l'Assemblée

générale, notamment en ce qui concerne la menace ou l'emploi de la force dans les relations

internationales, le processus de désarmement et le développement progressif du droit

international. L'Assemblée générale porte de longue date un intérêt à ces matières et à leur

relation avec les armes nucléaires. Cet intérêt a trouvé son expression dans les débats annuels

de la Première Commission et les résolutions de l'Assemblée générale sur les armes

nucléaires; dans la tenue par l'Assemblée générale de trois sessions extraordinaires sur le

179

désarmement (1978, 1982 et 1988) et, depuis 1978, de réunions annuelles de la commission

du désarmement; ainsi que dans la commande d'études sur les effets de l'emploi d'armes

nucléaires. Dans ce contexte, il importe peu que des activités importantes relatives au

désarmement nucléaire, récentes ou en cours, aient été ou soient menées dans d'autres

enceintes » (CIJ, 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis

consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226, spéc. § 12).

Dans le second avis, rendu le même jour, la Cour internationale de justice a estimé que

« (…) reconnaître à l'OMS la compétence de traiter de la licéité de l'utilisation des armes

nucléaires - même compte tenu de l'effet de ces armes sur la santé et l'environnement -

équivaudrait à ignorer le principe de spécialité; (…). L'OMS est au surplus une organisation

internationale d'une nature particulière. Ainsi que l'annonce le préambule et que le confirme

l'article 69 de sa Constitution, l'«Organisation est rattachée aux Nations Unies comme une

des institutions spécialisées prévues à l'article 57 de la Charte des Nations Unies ». (…). Il

résulte de l'ensemble des textes susmentionnés que la Constitution de l'OMS ne peut être

interprétée, en ce qui concerne les compétences attribuées à cette organisation, qu'en tenant

dûment compte, non seulement du principe général de spécialité, mais encore de la logique

du système global envisagé par la Charte. Si, conformément aux règles qui sous-tendent ce

système, l'OMS est pourvue, en vertu de l'article 57 de la Charte, «d'attributions

internationales étendues », celles-ci sont nécessairement limitées au domaine « de la santé

publique » et ne sauraient empiéter sur celles d'autres composantes du système des Nations

Unies. Or il ne fait pas de doute que les questions touchant au recours à la force, à la

réglementation des armements et au désarmement sont du ressort de l'Organisation des

Nations Unies et échappent à la compétence des institutions spécialisées. (…). Pour

l'ensemble de ces motifs, la Cour estime que la question sur laquelle porte la demande d'avis

consultatif que l'OMS lui a soumise ne se pose pas « dans le cadre de [l']activité » de cette

organisation telle que défini par sa Constitution » (CIJ, 8 juillet 1996, Licéité de l'utilisation

des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif, C.I. J. Recueil 1996,

p. 66, spéc. § 25 et 26). L’effet contenu dévolu selon la CIJ aux compétences de l’OMS est

expressément justifié par la « logique du système global », laquelle milite en faveur de la

reconnaissance de compétences étendues aux Nations Unies.

Sur le principe de spécialité, considéré de manière plus générale à propos des relations entre

les différentes juridictions internationales et régionales, voir M. Forteau, Forum shopping et

fragmentation du droit applicable aux relations internationales - Le regard de

l’internationaliste publiciste, in M. Forteau, J.-S. Bergé, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin

(dir.), La fragmentation du droit applicable aux relations internationales – Regards croisés

des internationalistes privatistes et publicistes, éd. Pedone, 2011, p. 143. Voir également sur

180

ce thème : Y. Kerbrat (dir.), Forum Shopping et concurrence des procédures contentieuses

internationales, Bruylant, 2011. Voir également infra, n° xxx, nos développements sur le

forum shopping mondial.

148. Ces cas d’autolimitation peuvent être également constatés dans le contexte national.

Exemples tirés de la jurisprudence nationale intervenant dans un contexte fortement

internationalisé

En droit international de l’environnement par exemple, un auteur a étudié les pratiques

jurisprudentielles nationales (essentiellement américaines) faisant écho à la doctrine du

forum non conveniens qui permet à une juridiction de se déclarer incompétente quand elle

estime de manière discrétionnaire qu’il est dans l’intérêt des parties et d’une bonne justice

que le différend ne soit pas appréhendé par elle (O. Perez, Ecological Sensitivity and Global

Legal Pluralism, Hart, 2004, spéc. p. 194 et s.). Cette doctrine est notamment utilisée pour

lutter contre les pratiques de forum shopping qui guident parfois le choix des plaideurs vers

des juridictions qu’ils estiment (à tort ou à raison) être plus à même de leur donner raison. La

démonstration y est notamment apportée par cet auteur du caractère inadapté de cette

doctrine quand elle est déployée dans un domaine d’activité internationale gouverné par un

principe de libre-échange. Les acteurs économiques se voient, en effet, interdire l’accès de

certaines juridictions étatiques alors que sur le terrain des investissements l’accès au

territoire est totalement libre et que les atteintes à l’environnement peuvent avoir une

dimension transfrontière.

Ces stratégies contentieuses qui consistent à refréner une compétence d’une instance

judiciaire nationale en considération, notamment, de la compétence exercée dans un autre

Etat sont de plus en plus étudiées par les spécialistes de droit judiciaire privé international et

gagnent le monde de l’arbitrage international où il est de plus en plus fréquent que des

procédures à fronts multiples soient ouvertes par les parties à un différend (pour présentation

d’ensemble du phénomène en jurisprudence étatique et arbitrale, voir, notamment, avec les

références citées : F.-X. Train, Forum shopping et fragmentation du droit applicable aux

relations internationales - Le regard de l’internationaliste privatiste, in M. Forteau, J.-S.

Bergé, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin (dir.), La fragmentation du droit applicable aux

relations internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes, éd.

Pedone, 2011, p. 131). Ces pratiques se situent le plus souvent à un seul niveau (devant des

juges nationaux ou dans le cadre de l’arbitrage rendu en matière de commerce international).

Mais des interférences peuvent survenir entre le niveau national et international comme c’est

le cas, de manière fréquente, en matière d’arbitrage international où les juridictions étatiques

sont amenées à jouer un rôle d’appui (voir, par exemple, en droit français de l’arbitrage

international, les articles 1505 et suivants du CPC qui font mention du rôle du juge d’appui).

181

182

CHAPITRE 2 – LA CIRCULATION DES SITUATIONS

149. La combinaison du droit national, international ou européen ne s’explique pas

seulement par des complémentarités institutionnelles et matérielles et des rapports de mise en

œuvre. Elle est également tributaire d’un phénomène de « circulation » (section 1) que nous

tenterons d’expliciter en termes de « contraintes » (section 2).

183

Section 1 – Le phénomène de circulation

150. Le phénomène de circulation est assez largement ignoré par les juristes. Il requiert un

premier travail de définition (§1) et une distinction entre la circulation à l’intérieur d’un même

contexte d’application du droit (§2) ou dans des contextes différents (§3).

§ 1 – Premiers éléments de définition

151. Le terme « circulation » n’est pas d’un usage courant chez les juristes. Il ne figure pas

nécessairement dans les dictionnaires spécialisés1. Il reçoit ici un sens relativement précis. La

circulation désigne, en effet, l’ensemble des phénomènes qui permettent au juriste

d’appréhender une situation dans un espace juridique autre que celui où elle a pris naissance.

L’effet produit par ces mouvements d’un espace normatif à un autre peut être parfaitement

identique, la circulation propageant trait pour trait un effet juridique - entendu au sens le plus

large : effet obligatoire, effet d’opposabilité ou même effet de fait - donné dans deux

environnements distincts. Mais cet effet comporte souvent des différences, la circulation étant

alors partielle, portant sur tel ou tel aspect de la situation amenée à circuler. Le phénomène

intéresse la circulation chaque fois qu’un effet de la situation née dans un environnement

juridique donné se manifeste à nouveau dans un autre environnement juridique en raison de

son origine. Si les effets produits sont totalement étrangers l’un à l’autre ou sont purement

fortuits2, il n’est plus utile de parler de circulation.

Situation – Premières approches de la circulation des situations

Exemples de circulation de situations juridiques

Le phénomène de circulation ne répond généralement pas à un processus organisé. Il a une

dimension éminemment factuelle où une personne, un objet, un acte ou un fait circule d’un

espace normatif à un autre et où la question se pose de savoir si l’appréhension de la

situation dans l’espace d’accueil est tributaire de solutions juridiques appliquées dans un

1 L’expression est, par exemple, absente du Dictionnaire de la globalisation (dir. A.-J. Arnaud, éd. LGDJ, 2010)

et si le verbo « circulation » figure dans le Vocabulaire juridique (G. Cornu (dir.), PUF, 8ème éd. 2007), les

définitions proposées ne recoupent pas celle que nous envisageons ici. On lui préfère le terme « d’échanges »,

« d’influences croisées » ou de « cross-fertilization » (voir sur ce thème, S. Robin-Olivier et D. Fasquelle (dir.),

Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire : une lecture des phénomènes de régionalisation et de

mondialisation du droit, éd. Bruylant, 2008). 2 Pour une stigmatisation du caractère fortuit du phénomène d’imbrication des ordres juridiques dans certaines

situations : P. Brunet, « L’articulation des normes – Analyse critique du pluralisme ordonné », in J.-B. Auby,

L’influence du droit européen sur les catégories du droit public, Dalloz 2010, 195, spéc. p. 200 et s. On prendra

soin de distinguer, dans cet ouvrage, les hypothèses de circulation des situations que nous envisageons dans ce

chapitre au titre de la combinaison des droits, des hypothèses plus générales de circulation des méthodes et

solutions juridiques qui participent à un processus de comparaison des droits (sur lequel, voir supra, Partie 1).

184

autre espace normatif, notamment dans l’espace d’origine. Par exemple, un navire – bien

public ou privé – portant pavillon d’un pays donné et emportant à son bord un équipage et

des biens navigue de ports en ports, dans des eaux territoriales, dans des zones sous

compétence des Etats côtiers (zones économiques exclusives, zones de pêche et,

éventuellement, plateau continental) et en haute mer. Cette situation concrète de circulation

intéresse le droit à deux titres. Le statut juridique du navire, celui de l’équipage et des biens

qu’ils transportent circule-t-il d’un espace à l’autre, ou varie-t-il totalement au gré des

environnements juridiques successivement traversés ? Dans le premier cas, il peut être utile

de parler de circulation pour montrer que la situation conserve les mêmes effets juridiques,

pas dans le second, où la situation change au gré des passages d’un espace à l’autre. Les

deux solutions coexistent. Tout dépend de la nature de la question posée. Par exemple, le

navire devrait pouvoir conserver son pavillon et les règles qui lui sont attachées où qu’il se

trouve. En revanche, la marchandise qu’il transporte peut changer dans son traitement

juridique (licite ici et illicite là) selon l’espace considéré.

Parfois, la circulation est organisée ou encouragée par la règle de droit. Il se peut ainsi, par

exemple, que des règles internationales ou régionales (européennes notamment) se donnent

pour ambition d’organiser cette circulation proprement dite en définissant, par exemple, un

droit à la libre circulation (ou un droit à la mobilité). Par exemple, une règle peut prescrire

qu’une marchandise d’un pays A puisse circuler en pays B dès lors qu’elle est licite dans son

pays d’origine ou qu’une décision de justice rendue dans un pays A produit, sans qu’il soit

utile de recourir à une procédure préalable, à un effet juridique dans un B. Dans une tout

autre perspective, la circulation des situations est, par ailleurs, inscrite dans le processus

même d’accès aux juridictions internationales, lequel est dominé par le principe de l’exercice

préalable ou l’épuisement des voies de recours internes (la règle est néanmoins de plus en

plus souvent écartée : CJUE, « juridictions » arbitrales…). On verra ainsi qu’une même

situation peut être tour à tour appréhendée par des juges situés dans des contextes différents.

§ 2 – La circulation au sein d’un même niveau

152. Le phénomène de circulation peut d’abord être observé à l’intérieur de chaque

contexte d’application du droit : national, international ou européen. Il revêt un caractère

essentiellement concret (pour une approche plus abstraite de la circulation dans le contexte

d’application du droit à différents niveaux, voir infra, n° xxx). Au sein de chaque contexte

juridique national, international ou européen, des situations peuvent être amenées à circuler

d’un espace normatif à un autre de sorte que des phénomènes de combinaison peuvent être

observés.

153. Sous un vocabulaire spécifique, le phénomène de circulation est étudié pour décrire la

185

mobilité des situations (personnes, biens, actes ou faits juridiques) entre les systèmes

juridiques nationaux. Qu’il s’agisse du « conflit mobile », des questions relatives à

« l’efficacité internationale des actes judiciaires ou extrajudiciaires » rendus au niveau

national par une instance publique ou parapublique ou, surtout, de la question, très discutée à

l’heure actuelle, de « la reconnaissance des situations », la doctrine du droit international

privé a été et demeure fortement mobilisée sur tous ces sujets.

Situation – La circulation entre espaces nationaux

L’hypothèse du conflit mobile

L’expression « conflit mobile », dont la paternité est prêtée par les spécialistes de droit

international privé à Etienne Bartin, vise l’hypothèse où le juriste s’interroge sur

l’opportunité de prendre en compte le changement d’un élément de rattachement intervenu à

la suite d’un déplacement ou d’une modification affectant une personne, un bien ou,

éventuellement, un acte. La question se pose ainsi de savoir si un droit réel mobilier doit être

régi selon la loi de situation antérieure du bien ou selon la loi de sa situation actuelle ou si le

statut d’une personne relève de la loi d’un domicile antérieur déterminé à un instant donné

(au moment de la naissance ou d’un mariage par exemple) ou de la loi de son domicile actuel

(au moment du décès, par exemple). Les réponses à ces questions varient selon le but

recherché et la méthode de raisonnement utilisé. Parfois le juriste est guidé par la volonté de

préserver des droits acquis et donc de ne pas tenir compte du changement de situation.

Parfois, il raisonne par analogie avec les principes d’application de la loi dans le temps, qui

commandent, en principe, la mise en œuvre immédiate de la loi nouvelle (pour une analyse

approfondie de l’institution, voir avec les nombreuses références citées : M. Souleau-

Bertrand, Le conflit mobile, éd. Dalloz, 2005). Dans ces différentes hypothèses, il peut être

utile de se représenter la situation en termes de circulation, surtout quand on sait que des

instruments juridiques sont intervenus pour favoriser le déplacement des personnes et des

biens (pour une comparaison des approches du droit international privé et du droit de

l’Union européenne, voir supra, n° xxx).

L’exemple de la reconnaissance d’un acte public judiciaire ou extrajudiciaire étranger

La circulation des décisions de justice étrangères et, dans une moindre mesure, des actes

publics ou parapublics étrangers (par exemple, les actes d’Etat civil ou les actes

authentiques) est une figure parfaitement identifiée de circulation juridique en droit

international privé. Que cette circulation requiert ou non une procédure préalable

d’exequatur ou de reconnaissance, elle tend, dans tous les cas, à permettre à un acte d’une

autorité publique judiciaire ou extrajudiciaire d’un Etat A de produire un effet juridique dans

un Etat B. La circulation juridique des jugements s’est considérablement accrue dans le

186

contexte européen. Des instruments du droit de l’UE sont notamment intervenus en matière

civile pour faciliter cette circulation en encadrant strictement les hypothèses dans lesquelles

la reconnaissance des décisions étrangères peut être refusée par l’Etat requis (Règlement

(CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la

reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; Règlement

(CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la

reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de

responsabilité parentale). Elle a également cours dans le contexte international et tend

progressivement à gagner les actes extrajudiciaires (voir notamment : Répertoire de Droit

international – Dalloz, V° Acte public étranger par Ch. Pamboukis, 2009).

L’exemple de la reconnaissance d’une situation de fait constituée à l’étranger

Une autre hypothèse de circulation est envisagée dans le contexte des relations privées

internationales : celle de la reconnaissance d’une situation de fait constituée à l’étranger.

Quand cette situation n’a donné lieu à aucun acte public étranger judiciaire ou

extrajudiciaire, quand elle procède d’un acte essentiellement privé (par exemple, la création

d’une personne morale par un acte de droit privé ou la conclusion d’un acte privé affectant le

statut personnel d’une personne physique), la question, très discutée par les spécialistes de

droit international privé, est de savoir sous quelles conditions il est possible de lui faire

produire un effet juridique dans un autre Etat. Des auteurs se sont montrés, en effet,

favorables à une extension de la méthode de la reconnaissance qui fait abstraction du

contrôle et donc de la recherche de la loi nationale qui a présidé à la création de la situation

constituée à l’étranger (sur cette proposition, voir en particulier : P. Lagarde, « La

reconnaissance, mode d’emploi », in Mélanges en l’honneur de H. Gaudemet-Tallon, « Vers

de nouveaux équilibres entre ordres juridiques », Dalloz 2008, p. 481 ; également E. Pataut,

« Le renouveau de la théorie des droits acquis », TCFDIP 2006-2008, Pedone 2009, 71 ; sur

les principaux éléments de discussion, voir notamment ou également : P. Lagarde,

Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie d'unification :

quelques conjectures, RabelsZ 2004, 225 ; P. Mayer, La méthode de la reconnaissance en

droit international privé, Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005, 547 ; C.

Pamboukis, La reconnaissance-métamorphose de la méthode de reconnaissance, RCDIP

2008, 513 ; D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, Tome I, Partie Générale ;

2ème éd. 2010, n°575 s. ; M.L. Niboyet et G. de Geouffre de La Pradelle, Droit international

privé, Manuel 3ème

éd. LGDJ 2011, n° 273 et s. ; M.-N. Jobard-Bachellier, L’européanisation

du droit international privé des conflits de lois, in M. Benlolo-Carabot, E. Cujo et U. Candas

(dir.), Union européenne et droit international, éd. Pedone, coll. CEDIN, 2012). Pareille

187

extension de la technique de la reconnaissance ouvre des perspectives nouvelles à la

circulation de situations d’un Etat à un autre.

154. La circulation existe également au niveau international même si elle correspond à des

réalités différentes que celles que nous venons d’observer dans le contexte national. Le niveau

international se caractérise, sauf matières particulières (droit de la mer, droit de

l’environnement, par exemple) par une certaine unité du droit applicable : le droit

international. Si fragmentation il y a, elle résulte le plus souvent de la multiplication des

acteurs, notamment des institutions internationales, chargées dans tel ou tel domaine

particulier d’appliquer le droit international. Le phénomène de circulation s’observe alors ici à

travers les échanges entre ces institutions internationales.

Situation – La circulation dans le contexte international

Un exemple de circulation entre institutions internationales : les rapports entre les

Nations Unies et la Cour pénale internationale

Comme l’a fait observé un auteur, la fragmentation du droit international public est un

phénomène différent de celui qui peut être observé au niveau national, notamment par les

internationalistes privatistes (M. Forteau, L’influence du choix de la juridiction sur le droit

applicable aux relations internationales, in La fragmentation du droit applicable aux relations

internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes (dir.

scientifique M. Forteau ; coord. J.-S. Bergé, M. Forteau, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin),

Ed. Pedone, 2011, p. 143). Elle résulte pour l’essentiel de la multiplication des institutions,

lesquelles coopèrent entre elles et permettent à des actes ou faits juridiques de circuler au

niveau international.

Ainsi par exemple, dans le contexte de la guerre interne à Libye, on sait que le Conseil de

sécurité des Nations Unies a, en février 2011, déféré au Procureur de la Cour pénale

internationale une situation laissant à penser que des crimes contre l’humanité étaient en

train d’y être commis. Dans une résolution adoptée à l'unanimité, les membres du Conseil de

sécurité ont décidé de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation dont

la Jamahiriya arabe libyenne est le théâtre depuis le 15 février 2011 (Résolution 1970 (2011)

du 26 fév. 2011 concernant la Libye). Un acte juridique – ici une résolution du Conseil de

sécurité des NU – vaut saisine d’une autorité pénale internationale – le Procureur de la Cour

pénale internationale que ne reconnaît pas au demeurant l’Etat concerné. En ce sens, on peut

parler de circulation entre les deux institutions internationales.

155. Le contexte européen présente également ses singularités en termes de circulation. La

fragmentation institutionnelle y est particulièrement marquée compte tenu de la présence de

188

deux grandes organisations (Conseil de l’Europe et Union européenne) et de deux juridictions

européennes (Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits

de l’homme (CEDH)). Entre ces deux organisations, nombreuses sont les formes de

circulation . Les actes adoptés de part et d’autre circulent d’une organisation à l’autre. Une

coopération très étroite est à l’œuvre, y compris sur un mode informel comme c’est le cas

encore aujourd’hui pour les juridictions européennes qui peuvent être amenées à connaître de

situations comparables qui circulent ainsi d’un espace normatif à un autre.

Situation – La circulation dans le contexte européen

Exemples de circulation entre les institutions du Conseil de l’Europe et de l’Union

européenne

Le Conseil de l’Europe entretient des liens particulièrement étroits avec l’Union

européenne (UE). Ces liens sont, pour partie, de nature institutionnelle : la coopération entre

les deux plus grandes organisations européennes a été formalisée par des échanges de lettres

(1987 et 1996), des clauses dites « européennes » ont été insérées dans les conventions du

Conseil de l’Europe de façon à permettre à l’Union européenne d’y adhérer, la Commission

de Bruxelles assiste aux travaux du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, des

réunions sont régulièrement organisées entre les directions des principales institutions des

deux organisations et un système permanent d’échange d’informations a été mis sur pied.

Ces échanges ont également une dimension juridictionnelle. Il est arrivé, en effet, que la

Cour européenne des droits de l’homme soit saisie d’affaires mettant en scène une norme de

l’Union européenne ou une mesure nationale prise (on non) pour son application (voir, par

exemple, CEDH, 18 fév. 1999, Matthews, Req. n° 24833/94 , CEDH, 16 avr. 2002,

Dangeville, Req. no 36677/97 ; comparer à propos de la mise en œuvre par les Etats

membres du Règlement « Dublin II » (Règlement (CE) no343/2003 du Conseil du

18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre

responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par

un ressortissant d’un pays tiers) : CEDH, 21 janv. 2011, M.S.S., Req. n° 30696/09 qui a

directement influencé la jurisprudence la Cour de justice : CJUE, 21 déc. 2011, NS, aff. jtes

C-411/10 et C-493/10), même si, jusqu’à présent, elle s’est refusé à apprécier l’existence

d’une violation de l’Union européenne elle-même ou de la CESDHLF par l’ensemble de ses

États membres, pris collectivement.

Comparer, dans une affaire dans laquelle la CEDH et la CJUE ont eu successivement à

connaître de la compatibilité d’une même situation nationale (en Italie) sous l’angle de la

CESDHLF puis du droit de l’UE, où le service de presse de la Cour de justice, pour

expliquer l’absence de réponse donnée par la CJUE à l’une des questions qui lui était posée,

189

précise dans un communiqué que « La Cour européenne des droits de l'homme ayant

répondu entre-temps à cette question (arrêt du 7 juin 2011, Agrati e.a. c. Italie), la Cour juge

que, eu égard aux réponses données aux autres questions préjudicielles, il n'est plus besoin

d'examiner l'affaire sous l'angle des principes généraux » (Communiqué n°80/11 à propos de

CJUE, 6 sept. 2011, Ivana Scattolon, aff. C-108/10). Même si ce communiqué n’a pas de

valeur juridique, il est intéressant de remarquer que la solution est ici présentée de manière

globale comme ayant fait l’objet de deux analyses successives de la CEDH et de la CJUE,

alors pourtant que l’arrêt de Cour de justice ne s’exprime pas de manière explicite sur ce

point dans son arrêt. La circulation de la situation en cause d’une institution à l’autre est

constatée comme un phénomène de nature à expliquer la posture du juge de Luxembourg,

compte tenu de celle antérieure du juge de Strasbourg. Cela montre, à tout le moins, que les

institutions européennes ont conscience du fait qu’elles peuvent être amenées à traiter de

situations identiques ou proches et que leurs analyses juridiques peuvent, le cas échéant, se

compléter.

Cette forme de circulation de situations d’un espace normatif à un autre devrait connaître de

nouveaux développements avec la perspective de l’adhésion de l’UE à la CESDHLF (art. 6.2

TUE). Pour une analyse systématique et détaillée du phénomène de circulation entre les deux

grandes juridictions européennes dans le contexte précis des crises institutionnelles, voir L.

Sheeck, The Diplomacy of European Judicial Networks in Times of Constitutional Crisis, in

F. Snyder et I. Maher (dir.), The Evolution of the European Courts : Institutional Change and

Continuity – L’évolution des juridictions européennes : changements et continuité, éd.

Bruylant, 2009, p. 17 ; voir également la chronique annuelle de « Jurisprudence européenne

comparée » rédigée depuis 2004 par L. Burgorgue-Larsen à la RDP.

§ 3 – La circulation interniveau des situations

156. La circulation des situations entre les différents contextes d’application du droit

recouvre des scénarios extrêmement hétérogènes. Deux types d’approche peuvent utilement

se compléter : l’intervention de juridictions à différents niveaux (A) ou l’application du droit à

plusieurs niveaux (B).

A- Intervention de juridictions à différents niveaux

157. Considérée au titre d’une application du droit dans différents contextes (national,

international et européen), la circulation des situations a pour premier et principal vecteur le

mode d’intervention des juridictions internationales et régionales qui coexistent avec les

juridictions nationales. La circulation des situations est inscrite, en effet, dans le processus

même d’accès à la plupart des juridictions supranationales, lequel est dominé par le principe

190

de l’exercice préalable ou de l’épuisement des voies de recours internes. Ainsi que l’a fait

observer un auteur, dans certaines hypothèses « le juge interne et le juge international sont

réputés connaître de la même réclamation »1. La situation juridique est soumise

successivement à l’analyse de juridictions placées à des niveaux différents. Ce phénomène de

circulation peut également être observé au niveau européen. La procédure préjudicielle devant

la Cour de justice de l’Union européenne et la requête portée devant la Cour européenne des

droits de l’homme permettent, selon des modalités certes très différentes, de déplacer une

situation juridique d’un juge à un autre. En revanche, le phénomène est beaucoup plus

exceptionnel entre le niveau international et le niveau européen. La Cour de justice de l’Union

européenne défend jalousement le principe de sa compétence exclusive2, de sorte qu’un Etat

membre ne peut, quand l’application du droit de l’Union européenne est en cause, saisir, par

exemple, alternativement la Cour internationale de justice ou la Cour de justice de l’UE. Mais

des cas peuvent exceptionnellement se présenter où une situation est évoquée successivement

devant un juge national, puis à la Cour européenne des droits de l’homme et, enfin, à la Cour

internationale de justice.

Situation – La circulation des situations entre les juges internes et les juges internationaux

et européens

Exemple de circulation entre le juge national et la Cour internationale de justice

Pour illustrer le phénomène de circulation entre le juge national et la Cour internationale de

justice, on peut envisager le cas, par exemple, d’un Etat qui entend exercer la protection

diplomatique sur l’un de ses ressortissants après épuisement des voies de recours internes.

Cette protection diplomatique permet d’ériger la situation interne (par exemple, le recours du

ressortissant devant les autorités de l’Etat étranger qui a pris une mesure à son encontre) en

situation véritablement internationale (par exemple, différend interétatique porté devant la

Cour internationale de justice). Dans une hypothèse de ce type, il est utile de parler de

circulation, dès lors que la légalité de la situation est susceptible d’être discutée, notamment

par référence au droit national, successivement devant une juridiction nationale et une

juridiction internationale. Pour une illustration devant la Cour internationale de justice à

1 M. Forteau, Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou l’un et

l’autre à la fois ?, préc., spéc. p. 101. 2 Entre autres illustrations, voir CJCE, 30 mai 2006, Commission c/ Irlande ( « MOX » ), aff. C-459/03. Voir

dernièrement : CJUE, 8 mars 2011, Projet d’accord sur la juridiction du brevet européen et du brevet

communautaire, avis 1/2009.

191

propos de la légalité d’une mesure nationale d’expulsion et de spoliation : CIJ, 30 novembre

2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo.

Exemple de circulation entre le juge national et la Cour de justice de l’Union européenne

ou la Cour européenne des droits de l’homme

Ce type de circulation des situations est parfaitement banal dans le contexte européen où il

est fréquent qu’une situation de droit interne soit appréciée successivement par le juge

national puis le juge européen (Pour une présentation générale, voir notamment notre

ouvrage, coécrit avec S. Robin-Olivier, Droit européen (Union européenne - Conseil de

l’Europe), PUF, 2me édition 2011, spéc. les titres sur « le juge » et « le droit national »). Il

en va ainsi pour la grande majorité des situations portées devant la Cour européenne des

droits de l’homme après épuisement des voies de recours internes. Il en va également de

même, chaque fois qu’un juge national pose une question préjudicielle à la Cour de justice

de l’Union européenne. Dans ces différentes hypothèses, l’application du droit est

successivement considérée par la juridiction interne puis la juridiction européenne, parfois

avec un retour devant la juridiction nationale, en cas de saisine de la juridiction européenne à

titre préjudiciel ou en cas de réexamen de la situation devant le juge interne quand une

procédure est exceptionnellement aménagée au niveau national (voir, en matière pénale :

art. 626-1 et s. du Code de proc. pén. relatifs au « réexamen d'une décision pénale consécutif

au prononcé d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme »). La figure de la

circulation permet ainsi de comprendre que les situations peuvent être présentées

successivement à des juges différents, de rang national et européen.

Cette possibilité de circulation est de nature à influencer fortement le travail des juges

nationaux, désireux d’anticiper, au stade qui est le leur, une saisine potentielle du juge

européen. C’est ainsi que l’on peut essayer de lire l’arrêt « Banque Africaine de

Développement » (Cour de cassation, ch. soc., 25 janv 2005, pourvoi n° 04-41012) que nous

avons déjà présenté (voir supra, n° xxx). Dans cette affaire où l’immunité de juridiction

d’une organisation internationale était remise en cause, on se souvient que le juge français a

rejeté l’immunité en intégrant à son ordre public international un droit d’accès au juge

potentiellement consacré par une CESDHLF qui n’était pourtant pas opposable à

l’organisation internationale. Cette solution est critiquable au regard des constructions de

droit international public, notamment du règlement des conflits de conventions (voir en

particulier, l’analyse de M. Forteau, L’ordre public « transnational » ou « réellement

international », JDI 2011, spéc. p. 17, note 57 ; sur cette critique voir nos développements

infra, n° xxx). Mais elle trouve potentiellement son explication dans la figure de la

circulation des situations. Si la Cour de cassation a intégré à son ordre public international

une solution de la CESDHLF, c’est peut-être qu’elle a voulu anticiper une requête présentée

192

contre la France pour non-respect, dans cette affaire, du droit au juge, tel que consacré

notamment par la CESDHLF. Autrement dit, si, formellement, l’application du traité

instituant l’organisation internationale ne pouvait être exclue du fait de l’application de la

convention européenne, nos juges nationaux ont fait en sorte que leur décision soit, à tout le

moins, conforme aux prescriptions de la convention européenne afin d’anticiper un éventuel

grief de violation de la CESDHLF devant la Cour de Strasbourg. Cette analyse, dont on

ignore si elle reflète précisément l’état d’esprit du juge de cassation dans cette affaire,

s’appuie sur le constat que la situation présentée au juge français pouvait être amenée à

circuler devant le juge européen. Quand cette circulation n’est pas de nature à remettre en

cause sa solution, le juge national peut être indifférent au phénomène de circulation. C’est

sans doute ce qui a animé la Cour de cassation dans une affaire concernant une autre

organisation internationale, où elle a estimé que le droit d’accès au juge n’était pas remis en

cause par le traité de siège de l’organisation (i.e. qui l’institue et la régit), de sorte qu’il

n’était pas nécessaire de soulever une contrariété à l’ordre public international, le juge

français allant jusqu’à préciser que l’organisation n’avait pas adhéré à la CESDHLF (Cour

de cassation, soc. 11 fév. 2009, pourvoi n° 07-44240, UNESCO).

Exemple de circulation du niveau national vers le niveau européen : une décision

nationale annulant un titre européen de propriété intellectuelle

L’UE a créé la marque communautaire (Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, 20 déc. 1993,

sur la marque communautaire, remplacé par le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du

26 février 2009, préc.) qui constitue un titre unique et unitaire de protection pour l’ensemble

de l’Union européenne (voir supra, n° xxx). Cette marque est délivrée par une administration

européenne : l’Office d’harmonisation du marché intérieur situé à Alicante (OHMI). Un

tribunal national a notamment le pouvoir d’annuler une marque communautaire jugée non

valide (articles 95 et suivants du Règlement (CE) n° 207/2009, préc.). La décision nationale

d’annulation produit un effet pour l’ensemble de l’UE. Elle fait d’ailleurs l’objet d’une

publicité au niveau européen. Une circulation juridique européenne de la décision nationale

est organisée par le texte de manière à éviter que des décisions nationales contradictoires

soient rendues sur la validité du titre européen de propriété intellectuelle. Voir sur ce thème :

A. Heymann, Le juge de la marque communautaire, Thèse de l’Université de Paris X -

Nanterre et de l’Université de Genève, décembre 2004.

Exemple de circulation entre le juge national, européen et international

Une décision récente de la Cour internationale de justice offre l’occasion d’illustrer

l’hypothèse où une situation a été successivement évoquée devant une justice nationale puis,

sur requête, devant la Cour européenne des droits de l’homme et, enfin, devant la CIJ, dans

le cadre d’un conflit interétatique. Dans une affaire relative à l’immunité de juridiction et

193

d’exécution dont bénéficierait l’Allemagne, s’agissant d’actions en réparation et en

recouvrement intentées par les ayants droit de victimes de massacres perpétués par l’armée

allemande en territoires étrangers durant la seconde guerre mondiale, différentes procédures

ont été introduites au niveau national (actions des ayants droit devant des juridictions

italiennes, grecques et allemandes), européen (requête présentée devant la CEDH par des

ayants droit s’étant vu opposer une immunité de l’Etat allemand par les juridictions grecques

et allemandes, requête jugée irrecevable : CEDH, 12 décembre 2002, Req. n° 59021/00,

Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne) et international (conflit entre l’Italie,

requérante et l’Allemande en défense, la Grèce agissant comme partie intervenante : CIJ, 3

fév. 2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce

(intervenant). Même si la situation présentée successivement devant ces trois juges (en

l’espèce, le massacre ayant eu lieu le 10 juin 1944 dans le village de Distomo en Grèce, voir

l’arrêt § 30 à 36) est un élément parmi de nombreux autres du contentieux exposé dans le

cadre de l’affaire présentée devant la CIJ et même si, l’ensemble des procédures n’ont pas

fait l’objet d’un traitement aux trois niveaux national, international et européen, le fait

qu’elle illustre bien un phénomène de circulation entre les différents niveaux d’application

du droit et que les acteurs en présence, notamment les juges, en ont de plus en plus

conscience. C’est pourquoi la Cour internationale de justice dans cette affaire, décide pour la

deuxième fois de son histoire de faire référence à la jurisprudence de la CEDH (pour la

première affaire en ce sens : CIJ, 30 novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo -

Guinée c. République démocratique du Congo, préc.).

158. Doit être considérée à part, l’hypothèse d’une circulation entre un mode alternatif de

règlement des différends et un mode étatique. L’exemple le plus remarquable est celui des

rapports entre l’arbitrage international et la justice d’Etat(s).

Situation – La circulation des situations entre l’arbitrage international et la justice étatique

L’exemple de l’arbitrage commercial international

Dans le contexte commercial international, l’arbitrage est une justice privée qui a ses

particularités. Il a même été proposé de considérer qu’il constituait son propre monde

juridique (un « ordre juridique arbitral » pour reprendre l’expression d’un auteur : E. Gaillard

in (notamment) : Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, Académie de

droit international de La Haye, 2008, p. 60 et s.). Que l’on adhère ou non à cette thèse, le fait

est que l’arbitrage international fonctionne largement en dehors de tout ressort étatique (pour

une thèse récemment soutenue en ce sens : F. Grisel, L’arbitrage international ou le droit

contre l’ordre juridique, Fondation Varenne, coll. des thèses, 2011). Cette spécificité est

généralement justifiée par les besoins du droit du commerce international ou du droit

194

international des investissements qui requièrent que les Etats desserrent, dans ce contexte,

l’étau qu’ils peuvent être amenés à exercer traditionnellement sur les activités économiques

dans l’environnement national, que les Etats sont ou non directement parties aux opérations.

Cette justice privée internationale est régulièrement confrontée à la justice étatique. La

rencontre des deux justices est d’ailleurs aménagée par des règles définies notamment au

niveau national. Dans le contexte français, le Code de procédure civile consacre tout à un

titre à la question (Livre IV - Titre II : Chapitre Ier : La convention d'arbitrage international

(Articles 1507 à 1508) - Chapitre II : L'instance et la sentence arbitrales (Articles 1509 à

1513) - Chapitre III : La reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales rendues à

l'étranger ou en matière d'arbitrage international (Articles 1514 à 1517) - Chapitre IV : Les

voies de recours - Section 1 : Sentences rendues en France (Articles 1518 à 1524) - Section

2 : Sentences rendues à l'étranger (Article 1525) - Section 3 : Dispositions communes aux

sentences rendues en France et à l'étranger (Articles 1526 à 1527). La réception des

sentences arbitrales internationales dans l’ordre juridique français y est très précisément

encadrée. Cette réception s’opère par voie de circulation : la sentence arbitrale, extérieure à

l’ordre juridique français, y pénètre par une voie notamment institutionnelle et la question se

pose potentiellement de sa reconnaissance par un juge relevant de cet ordre juridique

national.

B – Application du droit à plusieurs niveaux

159. Le mode juridictionnel et donc institutionnalisé de circulation des situations entre les

contextes national, international et européen d’application du droit n’est pas le seul qu’il faille

envisager. D’autres modes, plus diffus, sont susceptibles d’exister. Ces modes ont une

dimension très abstraite. Ils désignent la représentation mentale que le juriste peut se faire de

la possibilité de déplacer l’examen d’un cas d’un niveau national, international ou européen à

un autre, sans qu’il existe nécessairement, comme dans les hypothèses précédentes, un

vecteur institutionnel qui permette le passage d’un niveau à l’autre.

Ce déplacement intellectuel du juriste s’opère, le plus souvent, par la question de savoir

comment une méthode ou une solution juridique conçue dans un contexte peut être appliquée

à un autre niveau. La circulation est ici synonyme d’application. Elle désigne la situation où

un droit défini dans un contexte est mis en œuvre à un autre niveau. Cette situation présente

une différence de nature avec les phénomènes d’application des droits à l’intérieur de chaque

niveau. Pour décrire l’application de la loi étrangère, les rapports d’application entre les

normes de droit international ou de droit européen, le juriste n’a pas besoin de recourir à

l’image de la circulation, sauf hypothèses concrètes de circulation que nous avons

195

précédemment identifiées (voir supra, n° xxx). Dans la mesure où il demeure enfermé dans un

seul et même niveau d’application du droit, nous avons vu, en effet, qu’il ne changeait pas

d’environnement juridique. Il s’agit toujours pour lui d’appliquer un droit défini à un seul et

même niveau : national, international ou européen. Il en va différemment dans les hypothèses

qui nous intéressent ici d’application interniveau où le juriste est conduit à passer d’un

environnement juridique à un autre, à circuler d’un environnement à l’autre.

160. Pour les besoins de la présentation, on peut distinguer deux grandes séries

d’hypothèses. Une première hypothèse recouvre la question de l’application du droit

international ou européen dans le contexte national et, inversement, la question de

l’application du droit national dans le contexte international ou européen.

Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau national et

international ou européen

L’exemple des discussions théoriques sur la réception du droit international et européen

dans les ordres juridiques nationaux (monisme, dualisme, pluralisme) et la question de

l’existence d’une circulation

La question de la réception du droit international et européen dans les ordres juridiques

nationaux est parfaitement connue et identifiée. Elle a fait l’objet d’une opposition entre

deux grandes thèses, la thèse moniste qui milite en faveur d’une réception immédiate du

droit international et européen en droit interne et la thèse dualiste qui requiert qu’un acte

formel de réception soit adopté au niveau national pour autoriser l’application du droit

international et européen. Les deux thèses coexistent dans le monde, y compris au sein de

pays parties à un même espace juridique régional du type de ceux que nous connaissons en

Europe (Union européenne ou, plus modestement, Conseil de l’Europe). L’opposition entre

ces deux approches mérite néanmoins d’être fortement relativisée (M. Virally, "Sur un pont

aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes", Mélanges Rolin, Pedone

1964, 488 ; voir plus récemment, militant en faveur une lecture irréductiblement dualiste du

système juridique français présenté généralement comme moniste : A. Pellet, Vous avez dit

« monisme » ? Quelques banalités de bon sens sur l’impossibilité du prétendu monisme

constitutionnel à la française, publié in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de

Michel Troper, Economica, 2006, 827 ; M. Troper, Le pouvoir constituant et le droit

international, Recueil des cours de l’Académie de droit constitutionnel, 2007, vol. XVI, 357)

d’autant qu’il a été montré que ni l’une ni l’autre n’étaient à même d’expliciter l’ensemble

des rapports entre les systèmes juridiques (D. Boden, Le pluralisme juridique en droit

international privé, Arch. de Philo du droit 2006, t. 49, Le pluralisme, 275).

196

Ces discussions ne sont pas inintéressantes au regard du thème de la circulation. Quel que

soit le mode de raisonnement qu’il adopte, plutôt moniste ou plutôt dualiste (avec leurs

nombreuses variantes), le juriste ne peut faire totalement abstraction du dédoublement des

systèmes juridiques en présence : l’un au niveau international ou européen, l’autre au niveau

national. Pour rendre compte de ce dédoublement, la figure intellectuelle de la circulation est

parfois utile. Le droit international et le droit européen ont vocation à être appliqués par le

système juridique dont ils sont issus. Ils demeurent des droits « étrangers » dans le contexte

national. L’hypothèse d’une circulation soulève la question de savoir si l’application du droit

international et européen dans le contexte national est ou non tributaire de l’application qui

en est faite dans le système international ou européen. Dans l’affirmative, la figure de la

circulation est utile. Dans la négative, elle ne sert à rien (pour de plus amples

développements sur ce thème, voir infra, n° xxx, Partie 3).

Exemples de circulation du niveau national vers le niveau international : l’application

d’un droit national évaluée dans un contexte de droit international ou européen

La circulation ne s’opère pas à sens unique. Même si elle est encore assez peu présentée sous

cet angle, elle peut être observée du niveau national vers le niveau international ou européen.

Ce phénomène est particulièrement marqué dans les domaines où une juridiction

internationale ou européenne est amenée à se prononcer sur la compatibilité de l’application

d’un droit interne avec les solutions du droit international et européen. Dans cette hypothèse,

est en cause la mise en œuvre d’un droit national dans un contexte de droit international ou

européen. Le juge est parfois conduit alors à examiner la manière dont le droit national

perturbe dans l’ordre international ou européen les solutions établies.

Le domaine où cette circulation est sans doute le plus visible concerne le droit des libertés

économiques. L’ordre international a créé un vaste espace de libre-échange doté de règles et

institutions propres (les accords OMC et l’organe de règlement des différends). Il en va a

fortiori de même pour l’ordre juridique de l’Union européenne et ses institutions (notamment

la Commission et la Cour de justice) qui, depuis plus de soixante ans, ont poussé la logique

d’intégration jusqu’à la construction d’un marché intérieur européen. Ces deux espaces

juridiques fonctionnent chacun à leur niveau. Il est possible de les considérer en tant que tels,

c’est-à-dire abstraction faite de la question précédemment évoquée de leur réception dans les

ordres juridiques nationaux. Cela ne veut pas dire que le droit national n’occupe aucune une

place en leur sein. Chaque fois, en effet, qu’un droit national définit des solutions juridiques

potentiellement incompatibles avec le niveau international ou européen, une institution

internationale ou européenne peut être conduite à s’interroger sur l’impact exercé à son

niveau par l’application d’un droit « étranger », en l’occurrence du droit national d’un Etat

membre. Pour décrire le processus ici à l’œuvre, la figure de la circulation juridique est

197

parfois utile. L’application du droit national est examinée à l’aune des constructions du droit

international et européen de manière à déterminer si ces derniers la tolèrent ou, au contraire,

la juge incompatible. La question peut ainsi se poser de savoir si l’application du droit

national est une entrave aux échanges mondiaux ou régionaux, incompatibles avec les règles

du commerce mondial ou du marché intérieur européen. De multiples exemples existent.

Voir pour une étude approfondie, centrée sur cette question de l’application du droit national

dans le contexte international ou européen : S. Bhuiyan, National Law in WTO Law -

Effectiveness and Good Governance in the World Trading System, Cambridge University

Press, 2007 ; L. Azoulai (dir.), L’entrave dans le droit du marché intérieur, éd. Bruylant,

2011.

Un autre exemple : la circulation mondiale de modèles contractuels inspirés par la

pratique des juristes internationaux et leur application dans des contextes nationaux

différents

Un programme de recherche international, dirigé par le Professeur G. Cordero-Moss de

l’Université d’Oslo, s’est donné pour ambition d’analyser la circulation mondiale de clauses-

types tirées de la pratique des juristes internationaux. Les processus utilisés et, surtout, les

effets produits par la circulation de ces modèles, notamment quand ils sont confrontés au

regard du juge européen ou des juges nationaux, ont ainsi été passés en revue. Ils révèlent

une grande diversité de solutions, fragilisant ainsi le mythe qu’un modèle contractuel, fût-il

dominant dans la vie des affaires internationales, puisse déployer ses effets de manière

strictement égale dans des environnements juridiques différents (systèmes de Common Law

et systèmes romano-germaniques notamment). Pour le résultat publié de cette recherche : G.

Cordero-Moss (ed), Boilerplate Clauses, International Commercial Contracts and the

Applicable Law : Common Law Contract Models and Commercial Transactions Subject to

Civilian Governing Laws, , Cambridge University Press, 2011, 403 p.

161. La seconde hypothèse est celle, plus récemment travaillée par les juristes, d’une

circulation entre le niveau international et européen. Nous l’avons déjà relevé à différentes

reprises, les méthodes et solutions du droit international pénètrent le niveau européen

d’application du droit de manière croissante. La réciproque est plus rare.

Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau international

et européen

Exemples de circulation juridique du niveau international vers le niveau européen : les

phénomènes d’imbrication et de mimétisme

Deux grands phénomènes, déjà évoqués et sur lesquels nous reviendrons, caractérisent cette

propension des méthodes et solutions du droit international à circuler dans le contexte

198

européen (Union européenne et Conseil de l’Europe). Le premier est un phénomène

d’imbrication entre les différentes sources. Le second porte sur des cas de mimétisme des

méthodes et solutions en présence.

Ces deux phénomènes nous intéressent dans la mesure où ils illustrent bien la figure de la

circulation juridique. L’imbrication suppose, nous l’avons vu (voir supra, n° xxx), qu’un

droit construit à un niveau soit associé dans sa mise en œuvre à un droit construit à un autre

niveau pour produire un effet potentiellement différent de celui préexistant à chacun des

niveaux. Quant aux mimétismes, ils révèlent une porosité très forte entre les différents droits

et, en particulier, une aptitude du droit européen à être appliqué par référence aux outils et

interprétations du droit international dont il s’inspire largement. La relation entre les deux

droits est souvent complexe, le droit européen marquant volontiers son autonomie par

rapport au droit international (sur cette autonomisation du droit européen comprise comme

une forme de hiérarchisation, voir infra, Partie 3). Mais l’influence exercée par le droit

international sur le droit européen n’en est pas moins réelle, illustrant ainsi une forme de

circulation juridique entre les espaces normatifs.

L'activité jurisprudentielle des deux grandes cours européennes regorge d'exemples. À s'en

tenir à la seule jurisprudence rendue entre 2007 et 2009 par les deux grandes juridictions

européennes (CJUE et CEDH), on observe que les cas de circulation juridique du droit

international dans le contexte du droit européen prolifèrent (liste extraite de la Chronique sur

les interactions du droit international et européen, JDI 2009, 903). Voir, par exemple, pour le

droit de l'ONU (CEDH, 31 mai 2007, n° 71412/01, Behrami et Behrami c/ France et n°

78166/01, Saramati c/ France, Allemagne et Norvège. - CJCE, 3 sept. 2008, aff. C-402/05 et

C-415/05, Kadi et Al Barakaat), le droit de l'OMC (CEDH, 2 août 2006, n° 8112/02, de Luca

c/ France. - CJCE, 9 sept. 2008, aff. C-120/06 P et C-121/06 P, FIAMM), le droit de

l’UNESCO (CEDH, 13 nov. 2007, n° 57325/00, D. H. e. a c/ République thèque. - CJCE, 5

mars 2009, aff. C-222/07, UTECA), le droit de l’OIT (CJCE, 11 déc. 2007, aff. C-438/05,

Viking et 18 déc. 2007, aff. C-341/05, Laval. - CEDH, 12 nov. 2008, n° 34503/97, Demir et

Baykara c/ Turquie, préc.) ou le droit de l’OMPI (CEDH, 11 janv. 2007, n° 73049/01,

Anheuser-Busch c/ Portugal. - CJCE, 17 avr. 2008, aff. C-456/06, Peek & Cloppenburg).

Pour une approche d’ensemble du phénomène, voir notamment : L. Burgorgue-Larsen, E.

Dubout, A. Maitrot de la Motte et S. Touzé (dir.), Les interactions normatives : droit de l’UE

et droit international, éd. Pedone, 2012 ; M. Benlolo-Carabot, E. Cujo et U. Candas (dir.),

Union européenne et droit international, éd. Pedone, coll. CEDIN, 2012 ; M. Delmas-Marty,

Les forces imaginantes du droit, T2. Le pluralisme ordonné (traduit en anglais par N.

Norberg : Ordering Pluralism : A Conceptual Framework for Understanding the

Transnational Legal World, Hart, 2009), L. Gautron et L. Grard (dir.), Droit international et

199

droit communautaire : perspectives actuelles : Pedone, 2000 ; J. Wouters, A. Nollkaemper,

E. de Wet (ed.), The Europeanisation of International Law, TMC Asser Press, 2008

162. Le cas opposé d’une application du droit européen dans le contexte international

demeure exceptionnel. Le droit international rechigne à accueillir dans l’espace général et

global qui est le sien, les applications du droit européen dont le particularisme est doublement

marqué par sa dimension régionale et occidentale. Mais le cas se présente parfois. Nous

donnerons un exemple.

Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau international

et européen

Exemple de circulation juridique du niveau européen vers le niveau international : la

participation de l’Union européenne aux travaux de l’Organisation des Nations Unies

L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 10 mai 2011 une résolution 65/276 sur

la « Participation de l’Union européenne aux travaux de l’Organisation des Nations Unies.

Ce texte prend acte des modifications apportées par le traité de Lisbonne du 13 décembre

2007 aux traités européens en vigueur quant à, notamment, la représentation extérieure de

l’Union européenne (art. 21 et suivants du Traité sur l’Union européenne). Sans que l’on

puisse parler ici de « transposition internationale d’une disposition européenne », l’idée qui a

animé l’Assemblée générale des Nations Unies a bien été de permettre une mise en œuvre

des modifications institutionnelles apportées au niveau européen dans le cadre international

des Nations Unies. La figure de la circulation peut être à nouveau mobilisée pour expliquer

ce type de démarche intellectuelle. Le droit européen est étranger au droit des Nations Unies

mais cela n’interdit pas à ce dernier de considérer la présence institutionnelle d’une Union

européenne amenée à se présenter - c’est-à-dire à circuler - dans son espace international.

200

Section 2 – L’existence d’une contrainte de circulation

163. La circulation s’inscrit dans une démarche générale consistant pour le juriste à

rechercher l’ensemble des ressources juridiques pertinentes en définissant ce que l’on peut

appeler un « cadre juridique de référence » (§1). Cette recherche traduit potentiellement

l’existence d’une contrainte de circulation, spécialement dans l’hypothèse où un droit est

invocable alors qu’il n’est pas applicable (§2).

§ 1 - La définition d’un cadre juridique de référence

164. L’expression « cadre juridique de référence » et ses dérivés (« cadre de référence » ou,

plus modestement, « cadre juridique ») sont assez fréquemment utilisés en droit européen. La

Cour de justice de l’Union européenne et, dans une moindre mesure, la Cour européenne des

droits de l’homme, l’emploient pour désigner le contexte juridique – européen mais aussi

national ou international – dans lequel s’insère la question de droit qui leur est posée.

Situation – La définition par les juges d’un cadre juridique de référence

Exemples en jurisprudence européenne

La Cour de justice de l’Union européenne se réfère de manière quasi-systématique au

« cadre juridique » et, plus exceptionnellement, « cadre de référence » (pour un exemple :

CJUE, 8 déc. 2011, Ziebell, aff. C-371/08, spéc. § 78) qui forme une sorte de préalable à son

analyse juridique. La pratique est courante dans les arrêts rendus à titre préjudiciel. Sont

ainsi signalés en tête de décision, les droits potentiellement applicables, qu’ils soient de

source nationale, internationale ou européenne. Voir, à titre d’exemple, CJCE, 9 septembre

2009, Budĕjovický Budvar, národní podnik, aff. C-478/07, qui vise, au titre du droit

international, l’arrangement de Lisbonne du 31 octobre 1958, concernant la protection des

appellations d’origine et leur enregistrement international, au titre du droit communautaire

au Règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des

indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées

alimentaires et au titre du « droit national » (sic), une convention bilatérale conclue le 11 juin

1976 entre la République d’Autriche et la République socialiste tchécoslovaque relatif à la

protection des indications de provenance, des appellations d’origine et des autres

appellations indiquant la provenance de produits agricoles et industriels.

La Cour européenne des droits de l’homme adopte une pratique similaire, ne serait-ce que

pour préciser le contexte réglementaire national, international et européen dans lequel

s’insère la violation alléguée à la Convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales. L’expression « cadre de référence » a d’ailleurs été

201

employée dans un arrêt remarqué (CEDH, Grande Chambre, 12 nov. 2008, Demir &

Baykara c./ Turquie, Req. n° 34503/97 : « la Cour n'a jamais considéré les dispositions de la

CEDH comme l'unique cadre de référence dans l'interprétation des droits et libertés qu'elle

contient. Au contraire, elle doit également prendre en considération toute règle et tout

principe de droit international applicables aux relations entre les Parties contractantes (voir

les arrêts Saadi, précité, § 62 ; Al-Adsani, précité, § 55 ; Bosphorus Hava Yolları Turizm ve

Ticaret Anonim Şirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande, no 45036/98, § 150, CEDH 2005-

VI ; voir également l'article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne) ».

165. Cette pratique des deux grandes juridictions européennes trouve un certain écho dans

le contexte international et national. On sait que la Convention de Vienne de 1969 sur le droit

des traités a inscrit, au titre des directives d’interprétation, un principe « d’interprétation

systémique » selon lequel il doit être tenu compte du contexte des traités, et en particulier de

« toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties »

(article 31 § 3 c. de la Convention1 ; comparer article 293 de la Convention des Nations unies

sur le droit de la mer de 1982). Quant au droit national, il peut, par différents moyens, inviter

le juriste à mobiliser l’ensemble des fondements juridiques susceptibles d’alimenter son

raisonnement. Par exemple, une règle nationale peut faire peser sur un avocat l’obligation

professionnelle de procéder à une telle recherche ou sur un juge de relever d’office l’ensemble

des règles juridiques applicables à un différend.

Situation – La définition par les juges d’un cadre juridique de référence (suite)

Exemples en jurisprudence internationale et nationale

Les juridictions internationales n’utilisent pas, à notre connaissance, l’expression « cadre

juridique de référence » ou ses dérivés. Mais la recherche du droit applicable y est une

préoccupation naturelle, recherche qui peut conduire l’institution internationale à se référer,

outre au droit international applicable, à un droit régional, voire à un droit national. On en

veut, pour exemple, un arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ, 30 novembre 2010,

Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo) qui, après

avoir appliqué le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre

1966, a fait référence la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin

1981 et aux dispositions constitutionnelles nationales (voir également, depuis : CIJ, 3 fév.

1 Pour une analyse approfondie et renouvelée de cette disposition, voir J. Cazala, Le rôle de l’interprétation des

traités à la lumière de toute autre « règle pertinente de droit international applicable entre les parties » en tant que

« passerelle » jetée entre systèmes juridiques différents, in H. Ruiz Fabri et L. Gradoni (dir.), La circulation des

concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation, éd. Sté de

législation comparée, 2009, p. 95.

202

2012, Affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce,

intervenant ; CIJ, 19 juin 2012, qui a statué sur le volet indemnisation de l’affaire Ahmadou

Sadio Diallo, préc..

Ces pratiques des juridictions européennes et, dans une moindre mesure, internationales ont

manifestement inspiré nos juges nationaux, notamment nos cours supérieures. En dépit du

format laconique de leur décision, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation n’hésitent pas à

multiplier les visas aux sources nationales, internationales et européennes. Voir, à titre

d’exemple, Conseil d'État, 11 mars 2011, Req. 324071, qui vise successivement la

convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour

des ressortissants algériens et de leurs familles, la convention internationale relative aux

droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 et différents textes de droit français.

La référence aux deux conventions multilatérales est intéressante dans cette affaire : la

Convention de New York permet au Conseil d’Etat d’exercer sa censure au nom de l’intérêt

de l’enfant ; la CESDHLF est l’occasion pour lui de rappeler que les atteintes à la vie privée

et familiale doivent satisfaire à une exigence de proportionnalité. Comparer, Cour de

cassation, ch. soc., 16 février 2011, pourvoi n° 10-60.189 10-60.191 qui débute par le visa

suivant : « Vu les articles 3 et 8 de la convention n° 87 de l'Organisation internationale du

travail (OIT), 4 de la convention n° 98 de l'OIT, 5 de la convention n° 135 de l'OIT, 11 et 14

de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales, 6 de la Charte sociale européenne, 11 de la Charte des droits fondamentaux

de l'Union européenne et L. 2122-1, L. 2122-2 et L. 2143-3 du code du travail ». Dans cette

affaire, la décision d’un tribunal d’instance est censurée pour avoir vu, pêle-mêle, dans

l’ensemble de ces textes internationaux et européens, une cause de non-application de la loi

nouvelle française soumettant à une condition de représentativité, les syndicats susceptibles

de participer à des élections de représentants des salariés. Il ressort, en effet, de l’arrêt et du

moyen annexé que l’un de ces instruments n’était pas applicable à cette situation et que les

autres n’étaient pas contredits par le dispositif législatif français. En visant tous ces textes, la

Cour de cassation assume pleinement son contrôle de l’absence de violation de la loi, toutes

lois nationales internationales ou européennes confondues. Pour une analyse critique de la

pratique judiciaire (en matière sociale) consistant à se référer tous azimuts aux sources

internationales et européennes, voir S. Robin-Olivier, European Legal Method from a French

Perspective. The Magic of Combination : Uses and Abuses of the Globalisation of Sources

by European Courts, in U. Neergaard, R. Nielsen and L. Roseberry (eds), European Legal

Method - Paradoxes and Revitalisation, Djøf, Conpenhagen 2011, spéc. p. 307 ; voir

203

également, B. Teyssié (dir.), L’articulation des normes en droit du travail, Ed. Economica,

2011, spéc. p. 223 et s.

§ 2 - La contrainte d’un droit invocable bien que non applicable

166. Cette recherche de l’ensemble des ressources juridiques pertinentes s’inscrit rarement

dans une démarche purement volontaire, juridiquement non contraignante1. Le juriste, qu’il

soit juge ou avocat, par exemple, n’est pas totalement libre de faire son marché comme il

l’entend dans un droit mondialisé. Il subit, en effet, de multiples contraintes2. Or, parmi ces

contraintes, il en est une qui lui impose de procéder à une recherche délibérément ouverte du

« cadre juridique de référence » : c’est la circulation des situations juridiques. Chaque fois que

le juriste placé dans un contexte d’application du droit sait que la situation qu’il doit

appréhender est susceptible d’être déplacée dans un autre contexte (soit qu’elle provienne

d’un autre contexte, soit qu’elle migre vers un autre contexte), il est amené à prendre en

compte le droit applicable dans ces différents environnements. C’est dans cette perspective

que s’inscrit, notamment, la définition d’un cadre juridique de référence.

167. Pour mettre en exergue cette relation de contrainte entre la définition du cadre

juridique de référence et la circulation des situations juridiques, il faut appréhender des

situations sans aucun doute exceptionnelles où un droit issu d’un système juridique peut être

invoqué dans un autre système juridique alors qu’il n’y est pas a priori applicable. Cette

distorsion entre l’applicabilité de la norme et son invocabilité3 montre que la circulation

juridique d’une situation d’un système à un autre peut être vécue par le juriste comme une

contrainte forte qui l’oblige à prendre en compte les effets produits par un droit national,

international ou européen étranger qui n’a pourtant pas de titre à s’appliquer dans le système

juridique d’accueil.

168. Cette forme tout à fait singulière de circulation juridique existe au niveau national.

C’est ainsi que l’on peut lire, par exemple, le mécanisme juridique de la reconnaissance ou

encore la question des effets produits par les lois de police étrangères.

1 Pour une analyse critique de ce type de démarche, voir P. Brunet, L’articulation des normes – Analyse critique

du pluralisme ordonné, in J.-B. Auby, L’influence du droit européen sur les catégories du droit public, Dalloz

2010, 194. 2 M. Troper, V. Champeil-Desplats, Ch. Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, Bruylant –

LGDJ, 2005. 3 Sur ces deux notions prises séparément, voir supra, n° xxx, les éléments de définition et d’illustration exposés

en Partie 1.

204

Situation – Circulation juridique au niveau national et distorsion entre le droit applicable

et le droit invocable

L’exemple (à nouveau) de la reconnaissance

Le mécanisme de la reconnaissance des actes judiciaires ou extrajudiciaires publics

étrangers, dont l’extension aux situations juridiques constituées à l’étranger est parfois

préconisée (voir notamment, supra, n° xxx les références notamment aux différents travaux

de P. Lagarde), procède d’une certaine manière d’une dissociation entre le droit applicable et

le droit invocable. Si l’on admet son existence, la reconnaissance permet, en effet,

d’invoquer dans un Etat B, les effets juridiques d’un acte ou d’une situation, quel que soit le

droit qui lui a été appliqué dans l’Etat A. Or il se peut que les règles appliquées dans l’Etat A

ne soient pas celles qui auraient été appliquées pour les actes ou les situations du même type

dans l’Etat B. Par exemple, un Etat B accepte de faire produire un effet juridique à une

décision de divorce prononcée dans l’Etat A selon la loi d’un pays qui n’aurait pas été

appliquée dans l’Etat B. Autre exemple, un Etat B accepte de faire produire un effet

juridique à l’acte de création du personne morale enregistré dans un Etat A, alors que les

règles de l’Etat B ne permettent pas la création d’une personne morale de ce type. C’est

l’intérêt du mécanisme de la reconnaissance que de permettre l’invocabilité dans un Etat B,

des effets produits par l’application d’un droit dans un Etat A, alors que ce droit n’est pas

applicable dans cet Etat B. Cette invocabilité n’est pas le fruit d’une démarche purement

volontaire ou fantaisiste. Elle est rendue possible et obligatoire parce que le droit pose une

règle selon laquelle une circulation juridique de certains actes et de certaines situations doit

s’opérer entre l’Etat A et l’Etat B. Cette règle de circulation, qui, elle, s’applique

incontestablement dans l’Etat B, prend ici la forme d’une règle de reconnaissance et permet

d’y invoquer le bénéfice d’un droit sans que soit vérifiée sa propension à s’appliquer dans cet

Etat B.

L’exemple de l’effet produit par les lois de police étrangères

Un arrêt remarqué de la Cour de cassation française a été l’occasion d’alimenter la

discussion doctrinale sur la possibilité d’appliquer et d’invoquer devant un juge national une

loi de police étrangère (Com., 16 mars 2010, pourvoi n° 08-21511 ; sur l’arrêt rendu après

renvoi, voir Ph. Delebecque, RTDCom 2012, 217). Dans cette affaire, la question s’est posée

de savoir si le juge français devait tenir compte d’un embargo décrété par le Ghana sur la

viande bovine d'origine française pour se prononcer sur la validité d’un contrat de transport

afférant à des marchandises de ce type. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui a

décidé « que l'embargo décrété unilatéralement par l'Etat du Ghana sur la viande bovine

d'origine française n'a pas de force obligatoire (…), qu'au regard de la loi applicable la cause

des contrats de transport ne remplit aucune des conditions énoncées par l'article 1133 du

205

code civil français et qu'en conséquence c'est à tort que le transporteur maritime soutient

qu'en raison de l'embargo, la cause de ces contrats n'est pas licite » aux motifs qu’il

appartenait à la Cour de l’appel « de déterminer (…) l'effet pouvant être donné à la loi

ghanéenne invoquée devant elle ».

Cette motivation est intéressante, dès lors qu’elle laisse ouverte la discussion sur la manière

de « donner effet » à la loi de police étrangère. Ainsi que l’a notamment rappelé un auteur

(voir, avec les nombreuses références citées, les explications de P. Deumier, La loi de police

étrangère : une possibilité que le juge a l’obligation d’envisager, RDC 2010, 1385), cette

expression vise potentiellement deux possibilités : celle de « l’application » pure et simple de

la loi de police étrangère et celle de la « prise en considération » de cette loi de police lors de

l’application de la loi française régissant le contrat de transport. Cette prise en considération

de la loi de police étrangère illustre le cas d’une norme qui peut être invoquée dans une

relation contractuelle sans pour autant avoir vocation à s’appliquer à cette relation. Cette

invocabilité sans applicabilité est notamment discutée à l’occasion de la mise en œuvre des

règles européennes de droit international privé (art. 7§1 de la Convention n° 80/934/CEE de

Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles du 19 juin 1980 et, dans une

formule plus restrictive, art. 9§3 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et

du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles « Rome I » ;

comparer art. 17 du Règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du

11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles « Rome II » ; art. 10

Règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une

coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de

corps « Rome III »).

169. Mais cette hypothèse nous intéresse surtout dans le contexte européen et international.

Une situation peut utiliser différents vecteurs pour circuler d’un système international ou

européen à l’autre. L’invocabilité fait partie de ces vecteurs qui permettent de tenir compte

d’un droit qui n’est pourtant pas applicable.

Considérons, pour commencer, le niveau européen, où le phénomène est le plus développé.

Situation – Circulation juridique au niveau européen et distorsion entre le droit applicable

et le droit invocable

Un exemple historique : l’invocabilité de la CESDHLF devant la Cour de justice des

Communautés européennes

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales, qui occupe une place de choix dans l’actuel Traité sur l’Union européenne

206

(article 6 TUE), a pendant longtemps été totalement absente des dispositions des traités

relatifs aux différentes Communautés européennes (avant l’Acte unique européen de 1986

(préambule) et surtout, avant le Traité de Maastricht de 1992 (art. 6 TUE)). Cela n’a pas

empêché les plaideurs de l’invoquer très tôt devant la Cour de justice, laquelle a considéré,

dès 1974, « que les instruments internationaux concernant la protection des droits de

l'homme auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré peuvent (…) fournir des

indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire » (CJCE,

14 mai 1974, Nold, aff. 4/73). Cette « prise en compte » de la CESDHLF alors qu’elle ne

liait en aucune manière les Communautés européennes s’est progressivement renforcée à

partir du moment où tous les États membres ont été liés par cette Convention (CJCE, 18 juin

1991, ERT, aff. C-260/89). La Convention s’est imposée, au fil des affaires soumises à la

Cour, comme une référence essentielle pour le droit des droits de l’homme de l’Union

européenne (par exemple, CJCE, 5 oct. 1994, TV10, aff. C-23/93).

Cette jurisprudence illustre une invocabilité croissante de la CESDHLF alors pourtant que

cette convention ne deviendra objectivement applicable au sein de l’Union européenne que

le jour où cette dernière aura effectivement adhéré à la Convention (cette adhésion a été

programmée par le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er déc. 2009, elle fait

actuellement l’objet d’une négociation). L’invocabilité a été utilisée comme un outil

permettant de faire circuler une situation interne à l’ordre juridique communautaire dans des

espaces normatifs nationaux (ceux des Etats membres) soumis à la convention européenne

qui demeure, pour quelque temps encore, formellement étrangère au système de l’Union

européenne. Cette circulation est très utile. Elle anticipe, on le verra, un autre processus de

circulation : l’impact exercé par les décisions de la Cour de justice sur les ordres juridiques

nationaux désireux de soumettre la construction européenne à un impératif de protection des

droits fondamentaux.

Des exemples plus récents : l’invocabilité devant les juridictions européennes

d’instruments internationaux multilatéraux ou bilatéraux étrangers aux systèmes

juridiques européens

La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne offre des illustrations plus

récentes où des instruments internationaux multilatéraux ou bilatéraux sont invoqués devant

elle alors qu’ils ne lient pas, formellement ou matériellement, l’Union européenne ou, avant

elle, les Communautés européennes. Différents exemples existent.

Un premier exemple, signalé à deux reprises dans cet ouvrage, concerne le droit des

transports. L'arrêt Bogiatzi (CJCE, 22 oct. 2009, aff. C-301/08) illustre, en effet, le cas où la

Cour de justice considère qu’un règlement communautaire doit être appliqué en tenant

compte des prescriptions d’une convention internationale qui ne fait pourtant pas partie de

207

l’ordre juridique de l’Union européenne (sur cet arrêt, voir nos développements supra, n°

xxx et n° xxx). Elle a donc accepté que la convention internationale soit invoquée devant elle

en vue de produire des conséquences juridiques alors même que ce texte n’est pas

objectivement applicable. Cette distorsion entre la non-applicabilité de la Convention et son

invocabilité témoigne de l’existence d’une contrainte que le juge a dû prendre en compte.

Cette contrainte peut-être libellée dans ce cas de la manière suivante : la convention

internationale fait partie du cadre juridique de référence du contrat de transport en cause dans

cette affaire, la réglementation européenne ayant pris appui sur ce cadre juridique pour

construire ses solutions propres, elle doit être appliquée en tenant compte de la convention

internationale.

Un deuxième exemple concerne le droit de la protection sociale. Dans un important arrêt

Gottardo (CJCE, 15 janv. 2002, aff. C-55/00), la Cour de justice a eu à connaître de la

question de savoir si le droit européen, notamment le principe d’égalité (actuel article 18

TFUE), autorisait une ressortissante française à invoquer le bénéfice d’une convention

bilatérale conclue entre la Suisse et l’Italie, permettant aux ressortissants de ces deux pays de

cumuler les cotisations versées sur ces deux territoires pour faire valoir leur droit à la

retraite. En répondant que « les autorités de sécurité sociale compétentes d'un premier État

membre [Italie] sont tenues, conformément aux obligations communautaires leur incombant

(…) de prendre en compte, aux fins de l'acquisition du droit à prestations de vieillesse, les

périodes d'assurance accomplies dans un pays tiers [Suisse] par un ressortissant d'un second

État membre [France] lorsque, en présence des mêmes conditions de cotisation, lesdites

autorités compétentes reconnaissent, à la suite d'une convention internationale bilatérale

conclue entre le premier État membre et le pays tiers, la prise en compte de telles périodes

accomplies par leurs propres ressortissants », la Cour de justice permet que soit invoquée

devant elle une convention bilatérale entre un Etat membre et un pays tiers, alors qu’il ne fait

aucun doute que cette convention n’est pas applicable dans le système juridique de l’Union

européenne. Ce tandem non-applicabilité/invocabilité permet de rendre compte ici encore du

cadre juridique de référence national et international dans lequel s’insère la question

préjudicielle posée à la Cour de justice, peu important que ce cadre déborde les frontières du

seul droit européen.

Une troisième série d’exemples vise le droit de la propriété intellectuelle qui fait l’objet d’un

nombre important de conventions internationales, nombreuses étant ces conventions qui ne

lient pas l’Union européenne, soit qu’elle ne les ait pas approuvées, soit que l’Union

européenne ne soit pas considérée comme ayant succédé à ses Etats membres dans

l’hypothèse où ces derniers auraient tous adhéré aux instruments en cause. Nombreux sont

les arrêts de la Cour de justice qui illustrent cette aptitude du droit européen à prendre en

208

compte des instruments internationaux qui font partie du cadre juridique de référence de la

matière. Pour une démonstration en ce sens en droit de la propriété industrielle, voir . V. K.

Ben Dahmen, Interactions du droit international et du droit de l’Union européenne :

expression d’un pluralisme juridique rénové en matière de protection de la propriété

industrielle, Ed. L’Harmattan, 1062 p., 2012). Pour une illustration récente dans le domaine

des droits voisins du droit d’auteur : voir CJUE, 15 mars 2012, SCF, aff. C-135/10, où une

juridiction italienne a interrogé, en effet, la Cour de justice sur des difficultés d’interprétation

soulevées à l’occasion d’une affaire opposant une société de perception des droits de

producteurs de phonogrammes et un praticien dentiste ayant refusé de s’acquitter de

redevances relatives à la diffusion d’une musique d’ambiance dans son cabinet médical. Le

différend, qui soulevait une question de principe quant à l’identification du débiteur de ces

droits voisins du droit auteur et donc quant à la nature de l’acte susceptible de déclencher

l’exigibilité du droit, mettait en scène l’application de différents textes. Comme dans les

précédents cas, il s’est agi pour la Cour de justice de fixer le « cadre juridique » de référence

au titre duquel, figurait, outre le droit européen pertinent (essentiellement : Directive

2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit

de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la

propriété intellectuelle, qui a codifié et abrogé la directive 92/100 et, plus accessoirement,

Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur

l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de

l'information) et le droit national applicable à la situation en cause, différents textes

internationaux relatifs à la protection de certains droits de propriété intellectuelle. Sur ce

dernier aspect, qui seul nous intéresse ici dans les jeux d’interaction qu’il nourrit avec le

droit européen, différentes questions ont été posées par la juridiction nationale, notamment :

« 1) La convention de Rome sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des

producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion (1961), l’accord sur les

aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), qui

constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC -

1994) et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes

(WPPT - 1996) sont-ils d’applicabilité immédiate dans l’ordre juridique communautaire?

2) Ces instruments de droit international sont-ils également immédiatement obligatoires dans

les rapports entre particuliers? 3) Les notions de ‘communication au public’ contenues

respectivement dans les instruments précités de droit international conventionnel coïncident-

elles avec celles contenues dans les directives [92/100] et [2001/29] et, en cas de réponse

négative à cette question, quel texte doit prévaloir? » (arrêt, point, 35). Répondant à cette

série d’interrogations, la Cour de justice décide que « les dispositions de l’accord ADPIC et

du WPPT sont applicables dans l’ordre juridique de l’Union », que « la convention de Rome

209

ne faisant pas partie de l’ordre juridique de l’Union elle n’est pas applicable dans celle-ci,

mais, toutefois, elle y produit des effets indirects; les particuliers ne peuvent se prévaloir

directement ni de ladite convention ni de l’accord ADPIC non plus que du WPPT » et que

« la notion de «communication au public » doit être interprétée à la lumière des notions

équivalentes contenues dans la convention de Rome, l’accord ADPIC ainsi que le WPPT et

de telle manière qu’elle demeure compatible avec lesdites conventions, en tenant compte

également du contexte dans lequel de telles notions s’inscrivent et de la finalité poursuivie

par les dispositions conventionnelles pertinentes en matière de propriété intellectuelle »

(arrêt, point 56). Pour comprendre cette motivation et le recours à la notion « d’effet

indirect », il faut se représenter le contexte réglementaire international dans lequel baigne le

droit européen dérivé en cette matière. L’Union européenne et, avant elle, les Communautés

européennes, n’ont pas adhéré à l’ensemble des instruments internationaux en matière de

propriété intellectuelle, notamment ici la Convention de Rome. Les pays membres de

l’Union européenne n’ont pas tous adhéré auxdits instruments de sorte que la théorie de la

succession des Etats, appliquée à propos du GATT de 1947 par la célèbre jurisprudence

International Fruit Company (CJCE, 12 déc. 1972, aff. 21 à 24/72), n’est pas opérationnelle

ici. Il en résulte que certains instruments internationaux de propriété intellectuelle n’ont pas

d’effet contraignant dans le système juridique de l’Union européenne. N’étant pas

applicables, ils ne devraient pas, en bonne logique, pouvoir être invoquées. Or la Cour de

justice vient ici dire qu’ils produisent malgré tout un « effet indirect ». Pour fonder la nature

de cet effet, on peut raisonner, comme on l’a proposé récemment, en termes d’opposabilité

(K. Ben Dahmen, Interactions du droit international et du droit de l’Union européenne :

expression d’un pluralisme juridique rénové en matière de protection de la propriété

industrielle, préc.). Le traité international ne liant pas formellement l’Union européenne fait

partie d’un ensemble réglementaire auquel se réfère volontiers le droit européen dérivé, de

sorte qu’il produit un effet d’opposabilité au sein de l’Union européenne, notamment quand

il s’agit d’interpréter le droit dérivé européen à la lumière des traités internationaux existants.

Mais on peut également proposer de penser la question en termes de dissociation de

l’applicabilité et de l’invocabilité. Cette dissociation se justifie par le fait que les situations

présentées à titre préjudiciel baignent dans un contexte réglementaire national qui est

potentiellement différent de celui qui existe au niveau européen. Dès lors que les deux

contextes sont compatibles l’un avec l’autre, ce qui est le cas en l’espèce, puisque le droit

européen n’a jamais entendu écarter la convention de Rome, mais au contraire, n’a eu de

cesse de s’appuyer sur elle, la Cour de justice développe cette intelligence de rendre une

interprétation du droit européen qui tienne complètement compte du contexte réglementaire

dans lequel elle sera mise en œuvre par le juge national.

210

170. Mais un phénomène voisin peut être dorénavant observé au niveau international.

Situation – Circulation juridique au niveau international et distorsion entre le droit

applicable et le droit invocable

Un exemple récent : l’invocabilité devant les juridictions internationales d’instruments à

caractère régional

Nous avons déjà eu l’occasion de signaler l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice

dans l’affaire « Diallo » (CIJ, 30 novembre 2010 : comparer également CIJ, 19 juin 2012,

qui statue sur le volet indemnisation de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, préc). On sait que,

dans cette affaire, la CIJ s’est référée à un droit régional : la Charte africaine des droits de

l’homme et des peuples de 1981 et, dans une moindre mesure, la Convention européenne de

sauvegardes des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 et la Convention

américaine relative aux droits de l’homme de 1969.

L’invocabilité de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981

s’explique sans grande difficulté par le fait qu’elle est applicable dans les deux pays parties à

la procédure (en l’occurrence, la Guinée et la République Démocratique du Congo). Plus

surprenante, en revanche, est la référence faite immédiatement après à la CESDHLF et à la

Convention américaine et à la jurisprudence des deux cours régionales : « La Cour note en

outre que l’interprétation, par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour

interaméricaine des droits de l’homme, de l’article premier du protocole no 7 et de l’article

22, paragraphe 6, respectivement, à la convention (européenne) de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales et de la convention américaine relative aux droits de

l’homme ⎯ dont les dispositions sont proches, en substance, de celles du Pacte et de la Charte

africaine que la Cour applique en la présente espèce ⎯ est en cohérence avec ce qui a été dit,

au paragraphe 65 ci-dessus, à propos de ces dernières dispositions. » (§ 68 du 1er arrêt).

Cette double référence s’analyse d’abord comme une opération de comparaison (sur ce

thème de la comparaison, voir supra, Partie 1). Mais on peut néanmoins se demander, si

derrière cette comparaison, la Cour internationale de justice ne souhaite pas encourager

l’invocabilité de normes régionales dans les différends de cette nature, dès lors qu’une forte

circulation existe entre les jurisprudences des cours régionales statuant dans le domaine des

droits de l’homme et que la CIJ ne souhaite sans doute pas laisser lui échapper totalement le

phénomène. Si tel est son souhait, on observe alors que la circulation s’opère une fois de plus

dans ces cas limites par une dissociation entre l’applicabilité et l’invocabilité.

211

TROISIEME PARTIE – LA HIERARCHISATION DU DROIT NATIONAL,

INTERNATIONAL ET EUROPEEN

171. Les deux étapes de comparaison1 et de combinaison

2 offrent une large palette d’outils

permettant de faire application du droit national, international et européen dans un contexte de

pluralisme juridique mondial.

L’étape de hiérarchisation des droits permet au juriste d’identifier les règles qui occupent une

place dans un système juridique donné. Ce processus peut être considéré de manière

cloisonnée, système par système, dans un contexte national, international et européen. Mais il

a également une dimension dynamique où l’application des constructions hiérarchiques à

différents niveaux conduit à des phénomènes d’interaction.

Chapitre 1 – La hiérarchisation des droits dans les différents contextes

Chapitre 2 – La hiérarchisation des droits et l’application du droit à différents niveaux

1 Voir supra, Partie 1.

2 Voir supra, Partie 2.

212

CHAPITRE 1 – LA HIERARCHISATION DES DROITS DANS LES

DIFFERENTS CONTEXTES

172. Selon le contexte - national, international ou européen - auquel ils appartiennent, les

systèmes juridiques ne présentent pas une égale propension à hiérarchiser les droits en

présence. Les systèmes étatiques offrent les figures hiérarchiques les plus apparentes et les

plus développées, même si elles sont loin d’être parfaites, ainsi que le montre l’exemple du

droit français (Section 1). Le phénomène de hiérarchisation est plus difficile à identifier dans

le contexte international où des éléments de réponse peuvent être recherchés dans le droit

international (Section 2). Le système juridique de l’Union européenne offre un profil

intermédiaire, entre le niveau national et le niveau international (Section 3).

213

Section 1 – La hiérarchisation des droits dans le contexte national : l’exemple du droit

français

173. La hiérarchisation du droit national, international et européen dans le contexte français

est liée au développement de constructions de type « hiérarchie des normes ». Même si ces

dernières, qui ont connu un véritable essor dans la seconde moitié du XXe siècle1, ne

permettent pas de rendre compte de l’ensemble des rapports entre les normes dans le contexte

français2, le fait est qu’elles livrent une large partie des solutions aujourd’hui énoncées à

propos des relations hiérarchiques entre la norme française et le droit international et

européen. Nous les envisagerons en distinguant les hypothèses (§1), les acteurs (§2), les mots

et le moment (§3) de la hiérarchisation.

§ 1 - Les hypothèses de hiérarchisation

174. Les hypothèses de hiérarchisation des droits étudiées dans cette section portent sur les

différentes situations où des droits construits aux niveaux international et européen font

l’objet d’un processus de hiérarchisation au stade de leur mise en œuvre dans le contexte

national. Ces hypothèses ne se présentent pas nécessairement sous le même jour selon

qu’elles intéressent les rapports entre le droit national et le droit international (A) ou entre le

droit national et le droit européen (B).

A - Les rapports entre le droit national et le droit international

175. Comme beaucoup d’autres Etats dans le monde, la France s’efforce de définir dans son

ordre juridique interne les modalités d’application du droit international. Quel que soit le nom

qu’on leur donne (monisme, dualisme et leurs différentes variantes3), ces modalités

s’inscrivent dans un processus de hiérarchisation, chaque fois qu’une place hiérarchique est

1 Voir en ce sens, Ph. Jestaz, Rapport introductif - Survol historique, in G. Teboul et L. Soubelet (dir.), La

hiérarchie des normes, L’Harmattan - collection des travaux de l’association des lauréats de la Chancellerie des

Universités de Paris (ALCUP), à paraître. 2 Pour une approche critique de la conception de la hiérarchie des normes, vue comme l’expression d’un simple

empilement de normes les unes sur les autres à l’intérieur d’un système donné, voir avec les différents travaux

cités, l’analyse synthétique de O. Pfersmann, V° « Hiérarchie des normes », in Dictionnaire de la culture

juridique (dir. D. Alland et S. Rials), éd. PUF 2003, p. 779. Pour une approche en termes de principe

hiérarchique conçu comme un simple mode de résolution des conflits de normes, P. Puig, Hiérarchie des

normes : du système au principe, RTDCiv. 2001, 749. 3 Sur la relativité et parfois la réversibilité des discussions théoriques sur les approches monistes et dualistes que

suscite notamment le développement dans l’ordre interne de dispositifs régissant de manière plus ou moins

ample, plus ou moins précise les conditions d’application du droit international, voir notamment parmi les études

de références : M. Virally, Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes,

Mélanges offerts à H. Rolin, Pedone, 1964, 488 ; D. Alland, De l’ordre juridique international, Droits 2002, 79.

214

assignée par le droit national au droit international.

En France, cette définition est présente dans la Constitution qui n’envisage cependant qu’une

partie des hypothèses.

1/ Les hypothèses envisagées par la Constitution

176. La Constitution de la Vème République (1958, révisée à de nombreuses reprises)

actuellement en vigueur consacre diverses dispositions aux normes internationales :

Préambule de la Constitution de 1946 (al. 14 et 15 auxquels renvoie la Constitution de 1958)

et Constitution proprement dite (art. 5 al. 2, 11, 16, 52, 53, 53-2, 54, 55).

177. L’une de ces dispositions s'attache à proclamer de manière générale le respect du droit

public international. Il s'agit de la première phrase du 14e alinéa du Préambule de la

Constitution de 1946 selon laquelle : « La République française, fidèle à ses traditions, se

conforme aux règles du droit public international ». En tant que sujet de ce droit, l'État

français traduit ainsi dans l'ordre interne une volonté de se soumettre à l'ordre juridique

international, c'est-à-dire à la force contraignante des règles de droit public international :

respect est dû par la France à ses engagements internationaux et aux règles coutumières

internationales.

178. Cette disposition a une portée essentiellement proclamatrice. C'est pourquoi la

pratique se tourne volontiers vers deux autres dispositions pour mettre en œuvre un

raisonnement de type « hiérarchisation » du droit national et international.

179. La première disposition porte sur la procédure de révision constitutionnelle en cas de

conclusion d’un accord international incompatible avec celle-ci.

Situation – Le processus de révision de la Constitution, préalable à l’entrée en vigueur d’un

traité international incompatible

Exemple de mise en œuvre de l’article 54 de la Constitution (1958)

Selon l’article 54 de la Constitution, « Si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de

la République, par le Premier Ministre, par le Président de l'une ou l'autre assemblée ou par

soixante députés ou soixante sénateurs , a déclaré qu'un engagement international comporte

une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement

international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ».

Cet article définit une procédure destinée à prévenir l’hypothèse d’un conflit entre la norme

constitutionnelle et la norme nationale. Il ne pose pas, à proprement parler, une règle

hiérarchique, puisqu’il ne dit pas quoi, du traité ou de la loi fondamentale nationale, doit

215

l’emporter. En revanche, il hiérarchise bien deux processus - la révision de la constitution et

l’approbation ou ratification du traité - en plaçant le premier avant le second.

Notre constituant (le parlement réuni en congrès ou le peuple invité à se prononcer par voie

référendaire) peut ainsi être amené à modifier la loi fondamentale de manière à permettre

l’application d’une disposition de droit international qui lui serait contraire. On trouve une

illustration dans la Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999 insérant, au titre VI de la

Constitution, un article 53-2 et relative à la Cour pénale internationale (CPI), permettant

ainsi la ratification du traité. Le Conseil constitutionnel avait notamment considéré que les

dispositions du traité de Rome sur la CPI qui permettent au procureur de procéder à certains

actes d'enquête, notamment de recueillir les dépositions de témoins et d'inspecter un site

public, hors la présence des autorités judiciaires françaises compétentes et sans qu'aucune

circonstance particulière ne soit exigée, étaient de nature à porter atteinte aux conditions

essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Le choix a donc été fait d’insérer dans la

Constitution une formule générale (une autre solution aurait consisté à modifier

substantiellement le contenu des dispositions existantes de la Constitution), permettant la

ratification dudit traité, et de modifier ensuite des textes internes de manière à permettre la

mise en œuvre de ce traité (voir notamment : Loi n° 2002-268 du 26 février 2002 relative à

la coopération avec la Cour pénale internationale ; Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant

adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, déclarée conforme à

la Constitution par la Conseil constitutionel, Décision 2010-612 DC, 5 août 2010). Sur le

choix de cette option, voir les explications proposées dans le Rapport de M. Alain Vidalies,

au nom de la Commission des lois, n° 1501, Assemblée Nationale, 2 avril 1999.

180. La seconde disposition constitutionnelle française est relative aux rapports entre les

traités internationaux et les lois nationales.

Situation – L’affirmation d’une supériorité des traités internationaux sur les lois nationales

Exemple de mise en œuvre de l’article 55 de la Constitution (1958)

L’article 55 de la Constitution de 1958 énonce que : « Les traités ou accords régulièrement

ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous

réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».

Cette disposition est tout à la fois riche et pauvre de sens. Riche, dès lors qu’elle prévoit

l'insertion matérielle automatique de la norme internationale dans l'ordre juridique français

alors que, dans le système antérieur à la Constitution de la Vème République, un acte de

promulgation du traité, véritable ordre d'exécution émanant du Président de la République

par voie de décret, était nécessaire (sur les modalités d’insertion formelle des traités et

accords internationaux subsistant malgré tout en droit français, voir supra les explications, n°

216

xxx). Mais surtout elle pose une règle hiérarchique entre ces traités et accords internationaux

et la loi (« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur

publication, une autorité supérieure à celle des lois ») sous réserve de réciprocité (« sous

réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie »).

Cette règle hiérarchique a alimenté une jurisprudence nationale restée célèbre sur le rapport

de supériorité que les traités internationaux entretiennent sur les lois. S’il n’a jamais été

sérieusement contesté que les traités ont une valeur supérieure aux lois nationales qui leur

sont antérieures, la question s’est posée du jeu de la théorie de la « loi-écran », selon laquelle

une loi postérieure à un traité international pourrait avoir pour effet de le contredire (faisant

en quelque sorte « écran » entre le traité antérieur et la Constitution). Après avoir été

ménagée (Cour de cassation, Civ. 4 fév. 1936, S. 1936 1.257, note Raynaud - cet arrêt étant

connu sous le nom du conseiller Matter - minimisant autant que possible le conflit loi / traité

en donnant de la loi une interprétation qui soit la plus conforme au traité), cette thèse a été

progressivement mais formellement contredite par les juridictions judiciaires puis

administratives françaises.

L’apport des jurisprudences françaises « Jacques Vabre » et « Nicolo »

C’est le juge, judiciaire (Cour de cassation, Ch. mixte, 24 mai 1975, aff. Cafés Jacques

Vabre, pourvoi n° 73-13556), puis administratif (Conseil d’Etat, Ass. 20 oct. 1989, aff.

Nicolo, Req. n° 108243) qui, par leur interprétation de l’article 55 de la Constitution, ont

donné au principe de supériorité du traité international sur la loi nationale, fût-elle

postérieure, l’importance qu’on lui connaît en droit positif actuel.

Livrons de larges extraits de ces deux décisions.

Dans l’arrêt Jaques Vabre, la Cour de cassation a décidé notamment que : « (…) sur le

deuxième moyen : attendu qu'il est de plus fait grief a l'arrêt d'avoir déclare illégale la taxe

intérieure de consommation prévue par l'article 265 du code des douanes par suite de son

incompatibilité avec les dispositions de l'article 95 du traité du 24 mars 1957, au motif que

celui-ci, en vertu de l'article 55 de la constitution, a une autorité supérieure à celle de la loi

interne, même postérieure, alors, selon le pourvoi, que s'il appartient au juge fiscal

d'apprécier la légalité des textes réglementaires instituant un impôt litigieux, il ne saurait

cependant, sans excéder ses pouvoirs, écarter l'application d'une loi interne sous prétexte

qu'elle revêtirait un caractère inconstitutionnel ; que l'ensemble des dispositions de l'article

265 du code des douanes a été édicté par la loi du 14 décembre 1966 qui leur a conféré

l'autorité absolue qui s'attache aux dispositions législatives et qui s'impose à toute juridiction

française ; mais attendu que le Traité du 25 mars 1957, qui, en vertu de l’article susvisé de la

constitution, a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique propre

intégré à celui des Etats membres : qu’en raison de cette spécificité, l’ordre juridique qu’il

217

crée est directement applicable aux ressortissants de ces Etats et s’impose à leurs

juridictions ; que, dès lors, c'est à bon droit, et sans excéder ses pouvoirs, que la cour d'appel

a décidé que l'article 95 du traité devait être appliqué en l'espèce, a l'exclusion de l'article 265

du code des douanes, bien que ce dernier texte fût postérieur ; d’où il suit que le moyen est

mal fondé ; (…) ».

Dans l’arrêt Nicolo (préc.), le Conseil d’Etat a estimé notamment que : « (…) Vu la

Constitution, notamment son article 55 ; Vu le Traité en date du 25 mars 1957, instituant la

communauté économique européenne ; Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 ; (…) Sur les

conclusions de la requête de M. Z... : Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi n° 77-

729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants à l'Assemblée des communautés

européennes "le territoire de la République forme une circonscription unique" pour l'élection

des représentants français au Parlement européen ; qu'en vertu de cette disposition

législative, combinée avec celles des articles 2 et 72 de la Constitution du 4 octobre 1958,

desquelles il résulte que les départements et territoires d'outre-mer font partie intégrante de la

République française, lesdits départements et territoires sont nécessairement inclus dans la

circonscription unique à l'intérieur de laquelle il est procédé à l'élection des représentants au

Parlement européen ; Considérant qu'aux termes de l'article 227-1 du traité en date du 25

mars 1957 instituant la Communauté Economique Européenne : "Le présent traité s'applique

... à la République française" ; que les règles ci-dessus rappelées, définies par la loi du 7

juillet 1977, ne sont pas incompatibles avec les stipulations claires de l'article 227-1 précité

du traité de Rome (…) ».

Bien que rendus à propos de l’application des traités de droit européen (sur ce point, voir les

analyses infra, n° xxx), ces deux arrêts ont été largement reçus par les juristes comme deux

revirements de jurisprudence. Avant ces décisions, le juge ordinaire français se refusait à

apprécier la conformité de la loi à un traité international quand cette loi était postérieure au

traité international. L’une des justifications de cette analyse était la suivante : c’est la loi

(lato sensu) française qui permet l’introduction d’un traité international dans le système

juridique français ; ce que la loi fait, une autre loi peut le défaire ; si une loi postérieure au

traité le contredit, elle s’applique seule. Dorénavant, avec les jurisprudences « Jacques

Vabre » et « Nicolo », le raisonnement s’affirme en termes de supériorité du traité

international sur la loi. Ce dernier prend clairement appui sur une règle hiérarchique que l’on

pourrait formuler ainsi : le traité international est, en vertu de l’article 55 de la Constitution

française, supérieur à la loi ; toute loi contraire à un traité international, qu’elle lui soit

antérieure ou postérieure, doit donc être écartée par le juge ordinaire.

181. Les applications de l’article 55 de la Constitution française n’ont pas soulevé de

grandes difficultés s’agissant des rapports de hiérarchie entre la norme internationale et les

218

actes de l'exécutif.

Situation – L’affirmation d’une supériorité des traités internationaux sur les actes

réglementaires

Un exemple en jurisprudence française

La supériorité des traités internationaux sur les actes réglementaires français est appréhendée

comme un cas de supériorité de la loi sur ces mêmes actes réglementaires, même si le traité

et la loi n’ont pas la même valeur juridique. Un texte réglementaire est donc susceptible

d’être annulé ou écarté chaque fois qu’il est contraire à un traité international invocable par

le requérant. Pour une illustration remarquée, à propos du droit au logement opposable, voir,

Conseil d’Etat, Ass., 11 avril 2012, aff. GISTI, Req. n° 322326 : « Considérant que les

stipulations d'un traité ou d'un accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne

conformément à l'article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à l'appui

d'une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l'application

d'une loi ou d'un acte administratif incompatibles avec la norme juridique qu'elles

contiennent, dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent directement se

prévaloir ; (…) ; Considérant que l'article 6-1. de la convention internationale du travail n°

97 du 1er juillet 1949 concernant les travailleurs migrants, régulièrement ratifiée, et publiée

par le décret du 4 août 1954, publié au Journal officiel de la République française du 7 août

1954 , stipule que : " Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur

s'engage à appliquer, sans discrimination de nationalité, de race, de religion ni de sexe, aux

immigrants qui se trouvent légalement dans les limites de son territoire, un traitement qui ne

soit pas moins favorable que celui qu'il applique à ses propres ressortissants en ce qui

concerne les matières suivantes : / a) dans la mesure où ces questions sont réglementées par

la législation ou dépendent des autorités administratives : (...) / iii) le logement (...) / d) les

actions en justice concernant les questions mentionnées dans la convention ; " que l'article 11

de la convention définit le travailleur migrant comme la personne qui émigre d'un pays vers

un autre en vue d'occuper un emploi autrement que pour son propre compte ; que

l'engagement d'appliquer aux travailleurs migrants un traitement qui ne soit pas moins

favorable que celui appliqué aux ressortissants nationaux en matière de droit au logement et

d'accès aux procédures juridictionnelles permettant de faire valoir ce droit ne saurait être

interprété comme se bornant à régir les relations entre Etats et, ne requérant l'intervention

d'aucun acte complémentaire pour produire des effets, se suffit à lui-même ; que, par suite,

les stipulations précitées peuvent utilement être invoquées à l'encontre du décret attaqué ;

que celui-ci n'est pas compatible avec ces stipulations en tant, d'une part, qu'il subordonne le

droit au logement opposable de certains travailleurs migrants au sens de cette convention à

219

une condition de résidence préalable de deux ans sur le territoire national qui ne s'applique

pas aux ressortissants nationaux, d'autre part, qu'il exclut de son champ d'application des

titres de séjour susceptibles d'être attribués à des personnes pouvant avoir la qualité de

travailleur migrant au sens de cette convention, tels que les travailleurs temporaires ou les

salariés en mission (…) ».

2/ Les hypothèses non explicitement prévues par la Constitution

182. La Constitution n’envisage qu’une partie des hypothèses susceptibles de nourrir une

approche des rapports entre le droit national et le droit international en termes de hiérarchie.

Des hypothèses de conflits, réels ou supposés, ont fait naître des cas que les autorités et juges

français ont dû appréhender par un travail d’interprétation.

Ces cas ont concerné, tout d’abord, l’hypothèse spectaculaire d’un conflit entre le droit

international et la norme constitutionnelle française.

Situation – La supériorité conférée aux engagements internationaux et la suprématie des

dispositions de nature constitutionnelle

Les jurisprudences françaises « Sarran », « Levacher » et « Fraisse »

L’incompatibilité entre la Constitution française et un traité international régulièrement entré

en vigueur en France n’a jamais été constatée à ce jour par une juridiction ordinaire française

(sur le traitement de cette incompatibilité par le Conseil constitutionnel à un stade antérieur à

la ratification ou approbation du traité international, voir supra, n° xxx). C’est peu dire

qu’elle fait couler beaucoup d’encre, les juristes se passionnant volontiers pour cette figure

particulièrement remarquable du conflit de normes. Les juges français ne sont pas restés

sourds à ces développements doctrinaux (qu’ils alimentent d’ailleurs largement). Par des

arrêts remarqués, les plus hautes juridictions de l’ordre administratif et judiciaire ont tenu à

affirmer la suprématie de la Constitution nationale sur les normes de droit international.

S’agissant du Conseil d’Etat, cet énoncé résulte des jurisprudences Sarran et Levacher

(Conseil d’État, Ass., 30 oct. 1998, Req. nos

200286 et 200287) : « (…) Considérant que

l'article 76 de la Constitution ayant entendu déroger aux autres normes de valeur

constitutionnelle relatives au droit de suffrage, le moyen tiré de ce que les dispositions

contestées du décret attaqué seraient contraires aux articles 1er et 6 de la Déclaration des

droits de l'homme et du citoyen, à laquelle renvoie le préambule de la Constitution ou à

l'article 3 de la Constitution ne peut qu'être écarté ; Considérant que si l'article 55 de la

Constitution dispose que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès

leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou

220

traité, de son application par l'autre partie", la suprématie ainsi conférée aux engagements

internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature

constitutionnelle ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en ce qu'il

méconnaîtrait les stipulations d'engagements internationaux régulièrement introduits dans

l'ordre interne, serait par là même contraire à l'article 55 de la Constitution, ne peut lui aussi

qu'être écarté ; Considérant que si les requérants invitent le Conseil d'Etat à faire prévaloir

les stipulations des articles 2, 25 et 26 du pacte des Nations unies sur les droits civils et

politiques, de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme

et des libertés fondamentales et de l'article 3 du protocole additionnel n° 1 à cette

convention, sur les dispositions de l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988, un tel moyen ne

peut qu'être écarté dès lors que par l'effet du renvoi opéré par l'article 76 de la Constitution

aux dispositions dudit article 2, ces dernières ont elles-mêmes valeur constitutionnelle ;

Considérant enfin que, dans la mesure où les articles 3 et 8 du décret attaqué ont fait une

exacte application des dispositions constitutionnelles qu'il incombait à l'auteur de ce décret

de mettre en oeuvre, ne sauraient être utilement invoquées à leur encontre ni une

méconnaissance des dispositions du code civil relatives aux effets de l'acquisition de la

nationalité française et de la majorité civile ni une violation des dispositions du code

électoral relatives aux conditions d'inscription d'un électeur sur une liste électorale dans une

commune déterminée ».

S’agissant de la Cour de cassation, la solution a été libellée dans le fameux arrêt Fraisse

(Cour de Cour de cassation, Ass. plén., 2 juin 2000, pourvoi nos

99-60274) : « (…) Attendu,

ensuite, que l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 a valeur constitutionnelle en ce

que, déterminant les conditions de participation à l'élection du congrès et des assemblées de

province de la Nouvelle-Calédonie et prévoyant la nécessité de justifier d'un domicile dans

ce territoire depuis dix ans à la date du scrutin, il reprend les termes du paragraphe 2.2.1 des

orientations de l'accord de Nouméa, qui a lui-même valeur constitutionnelle en vertu de

l'article 77 de la Constitution ; que la suprématie conférée aux engagements internationaux

ne s'appliquant pas dans l'ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle, le moyen

tiré de ce que les dispositions de l'article 188 de la loi organique seraient contraires au Pacte

international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention européenne de

sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté (…) ».

Que faut-il penser de ces formules choisies par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation dans

le contexte, particulier, de la constitution du corps électoral sur un territoire (Nouvelle-

Calédonie), bénéficiant d’une large autonomie de gouvernement, d’un pouvoir législatif

partielle propre et dont le devenir obéit à un processus - en cours - d’autodétermination ?

Dans les trois affaires, les actes réglementaires ou législatifs contestés étaient supportés par

221

une disposition constitutionnelle spéciale, dérogatoire des règles ordinaires (art. 76 de la

Constitution). Ils avaient donc une base constitutionnelle spécifique que le juge ordinaire

s’est refusé à remettre en cause, au motif, non examiné en l’espèce, d’une violation d’un

engagement international. Les juges français ont estimé, en effet, que la présence d’une

disposition constitutionnelle spéciale se suffisait à elle-même en quelque sorte, sans qu’il soit

besoin d’examiner si les textes internes - réglementaires ou législatifs - pris pour son

application sont ou non conformes à un engagement international. La présence d’une

disposition constitutionnelle spécifique fait purement et simplement obstacle au contrôle de

conventionnalité. Ce raisonnement ne doit pas surprendre. On peut le représenter sous la

forme d’une allégorie : nos juges rendent la justice dans des maisons (les « palais de

justice ») ; ils tirent l’existence et la légitimité de leur pouvoir de la Constitution qui vient

comme coiffer d’un toit la maison qui les abrite ; les juges ordinaires - qui ne peuvent

redéfinir les contours la toiture, contrairement à au juge constitutionnel - ont donc pour

réflexe naturel de préserver le toit qui les protège, sauf à vouloir s’aventurer hors du cadre

institutionnel dans lequel ils ont été placés, ce qui est parfois juridiquement possible, nous le

verrons : voir infra, n° xxx, l’hypothèse où le juge ordinaire a préféré saisir la Cour de

justice de l’UE d’une question préjudicielle que de transmettre une QPC au Conseil

constitutionnel). En l’occurrence, les juges se sont contentés d’appliquer une règle

constitutionnelle spéciale (article 76 de la Constitution), en écartant la mise en œuvre d’une

règle constitutionnelle générale (article 55 de la Constitution) au nom d’une « suprématie »

de la Constitution dans l’ordre interne.

183. Des cas, présentés devant nos juges français ont également porté sur la place

respective du droit national et du droit coutumier international.

Situation – La question des rapports de hiérarchie entre le droit national et le droit

coutumier international

De quelques exemples en jurisprudence française

La Constitution française se contente d’une référence générale aux règles de droit public

international (14éme alinéa du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie la

Constitution de 1958), sans distinction entre elles. Son article 55 (préc.) ne dit rien des

rapports entre le droit coutumier et le droit interne français. Dans le silence des textes, c’est à

la jurisprudence qu’il est revenu de faire une application de la coutume et de poser, parfois,

les jalons d’une approche hiérarchique quand les circonstances des espèces le permettaient.

Le Conseil constitutionnel n’a guère eu véritablement l’occasion de se prononcer sur ce

point, dès lors qu’il s’interdit d’examiner la conformité de la loi au droit international (sur

222

l’articulation des rôles entre les différents juges de l’ordre juridique français, voir infra, n°

xxx).

Le Conseil d’Etat manifeste une volonté claire de ne pas étendre à la coutume internationale,

la règle de supériorité des traités sur la loi énoncée dans la Constitution : « (…) qu'aux

termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 : "Les traités ou accords

régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle

des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie" ;

que ni cet article ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni

n'implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas

de conflit entre ces deux normes ; qu'ainsi, en écartant comme inopérant le moyen tiré par M.

X... de la contrariété entre la loi fiscale française et de telles règles coutumières, la cour

administrative d'appel, qui a également relevé que la coutume invoquée n'existait pas, n'a pas

commis d'erreur de droit (…) » (Conseil d’Etat, Ass. 6 juin 1997, Aquarone, Req. n°

148683 ; comparer : Conseil d'Etat, 28 juillet 2000, Req. n° 178834, évoquant également les

« principes généraux du droit international »). Cela ne veut pas dire que le juge administratif

ne fait aucune application de la coutume internationale (voir, notamment, pour des

applications récentes : Conseil d’Etat, Ass., 9 juill. 2010, Req. n° 317747, Mme Souad

Chériet-Benseghir ; Conseil d'État, 14 octobre 2011, Mme Om Hashem Saleh et autres, Req.

n° 329788 ea) mais seulement qu’il se refuse à raisonner par analogie avec les traités sur la

question particulière des rapports de hiérarchie entre la loi interne et la coutume

internationale.

Quant à la Cour de cassation, elle n’a jamais eu, à notre connaissance, à trancher d’un conflit

direct entre la loi interne et la coutume internationale, au sens du droit international public.

Si elle s’est référée, dans plusieurs décisions (souvent de manière maladroite), aux principes

généraux du droit international, c’est pour en faire une application ordinaire, aux côtés de la

loi (voir, par exemple, Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 6 octobre 1983, pourvoi

n° 83-93.194, aff. Barbie), sans jamais considérer que cette application pouvait être

concurrente ou, à tout le moins, équivalente (voir, par exemple, en matière pénale, refusant

de considérer que la coutume internationale peut servir de fondement à une poursuite en

l’absence de texte interne : Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 17 juin 2003, pourvoi

n° 02-80.719, aff. Aussaresses). En droit privé, la question a été également discutée à propos

de l’aptitude du droit coutumier transnational (de type lex mercatoria, sur laquelle, voir

supra n° xxx) à régir seul les contrats du commerce international par substitution d’un droit

étatique ou interétatique. Même si une valeur juridique a été reconnue à ce droit

transnational, spécialement dans le contexte de l’arbitrage international qui s’y réfère

volontiers, notre droit positif applicable en France demeure attaché à la soumission du

223

contrat à un droit de source étatique, interétatique ou européenne, soit à titre principal,

comme droit régissant normalement le contrat (Cour de cassation, ch. civ., 21 juin 1950, aff.

Messageries maritimes, RCDIP 1950, 609 note H. Batiffol ; Règlement (CE) n 593/2008 du

Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations

contractuelles (Rome I), motifs 13 à 15 et art. 3), soit comme correctif, au nom de la

conception française de l’ordre public international (voir, sur l’action en annulation intentée

devant le juge français à l’encontre d’une sentence arbitrale, art. 1520 du CPC). Il n’est donc

par permis de voir dans ce droit transnational - fût-il de nature coutumière (ce qui reste

discuté) - un droit supérieur au droit de source interne français.

184. Des solutions ont également été dégagées s’agissant des rapports entre le droit national

et le droit dérivé international.

Situation – La question des rapports de hiérarchie entre le droit national et le droit dérivé

international

De quelques exemples en jurisprudence française

L’expression « droit dérivé international » désigne le droit produit par les organisations

internationales. La valeur juridique accordée à ce droit est fonction des traités internationaux

qui régissent ces organisations. Dès lors que ces traités lient la France, les dispositions

relatives au droit dérivé international s’appliquent en France dans les mêmes conditions que

les traités eux-mêmes. Il n’y a donc pas de raison de faire de différence entre le sort du traité

aménagé par l’article 55 de notre Constitution et le sort du droit dérivé international : celui-ci

a, comme celui-là, une valeur supérieure aux lois nationales.

Aussi simple qu’elle puisse paraître dans son principe, l’analogie traité-droit dérivé soulève

incontestablement des difficultés d’application devant nos juges. Le cas du droit dérivé de

l’Union européenne mis à part (voir infra, n° xxx), il n’est pas rare, en effet, de voir nos

juridictions se montrer hésitantes ou peu rigoureuses sur les conditions dans lesquelles les

textes de droit dérivé international peuvent être appliqués et invoqués devant elles (sur le

maniement des critères d’applicabilité et d’invocabilité, voir supra, n° xxx). Une chose est,

en effet, d’appliquer une règle constitutionnelle française, posant de manière générale et

abstraite un rapport de hiérarchie entre des textes internationaux et le droit national, une

autre est d’entrer dans le dédale de chaque organisation internationale pour déterminer la

valeur donnée à son droit dérivé et, dans le silence (fréquent) des textes internationaux, de le

pallier par un travail d’interprétation. Plusieurs exemples existent, notamment à propos des

décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui montrent combien il est difficile pour

nos juges nationaux de manier ces instruments de droit dérivé international relevant d’un

système juridique totalement étranger au leur (voir, par exemple, à propos du conflit entre

224

l’Etat Irakien et la Société Dumez : Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 15 juillet 1999,

pourvoir n° 97-19.742, et, en sens contraire, Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 25

avril 2006, pourvoir n° 02-17.344). Pour une analyse de ce type de situation et l’explication

que l’on peut en donner en termes d’application du droit à différents niveaux, voir infra,

cette Partie, Chapitre 2.

B - Les rapports entre le droit national et le droit européen

185. Dans le contexte national, la question se pose de l’existence d’un traitement

différencié du droit européen, spécialement du droit de l’Union européenne, comparé au droit

international dans l’appréhension des rapports hiérarchiques qu’ils entretiennent avec le droit

interne. Sur cette question, les choses ont évolué dans l’environnement juridique français. Si,

pendant longtemps, les acteurs institutionnels ont plutôt joué la carte d’un alignement des

solutions appliquées au droit européen et au droit international, une différenciation s’opère

progressivement dans les textes et la jurisprudence.

1/ Alignement des solutions définies pour le droit international et le droit européen (UE)

186. Même si les grandes solutions dégagées par la jurisprudence française dans la seconde

moitié du XXe siècle sont reçues par la plupart des juristes comme s’appliquant

indistinctement au droit international et européen, il n’est pas inintéressant d’observer qu’elles

ont été échafaudées à partir de situations mettant en scène une confrontation du droit national

et du droit européen (droit des Communautés européennes à l’époque).

Situation – La place du droit européen dans la jurisprudence française

Retour sur les jurisprudences « Jacques Vabre », « Nicolo », « Sarran et Levacher » et

« Fraisse »

Les deux grands arrêts qui ont marqué les principales étapes de processus de hiérarchisation

du droit national et du droit international dans le contexte français ont ceci en commun

d’avoir été rendus à propos de l’application du droit communautaire de l’époque (devenu

droit de l’Union européenne aujourd’hui) : l'arrêt Jacques Vabre (préc.) et l'arrêt Nicolo

(préc.) ont été rendus à propos du Traité de Rome instituant la Communauté économie

européenne (CEE).

Nos juges français ont, semble-t-il, perçu distinctement cette occurrence. Le juge judiciaire

s’est attaché à marquer une spécificité du droit européen par rapport au droit international (il

faut relire en entier l'arrêt Jacques Vabre : « (…) mais attendu que le Traité du 25 mars 1957,

qui, en vertu de l’article susvisé de la constitution, a une autorité supérieure à celle des lois,

institue un ordre juridique propre intégré à celui des Etats membres : qu’en raison de cette

225

spécificité, l’ordre juridique qu’il crée est directement applicable aux ressortissants de ces

Etats et s’impose à leurs juridictions ; que, dès lors, c'est à bon droit, et sans excéder ses

pouvoirs, que la cour d'appel a décidé que (…) ») au point de préciser, dans son arrêt

« Fraisse » (préc.), que dans le différend en cause « (…) le droit de Mlle X... à être inscrite

sur les listes électorales pour les élections en cause n'entre pas dans le champ d'application

du droit communautaire (…) ».

Le juge administratif, quant à lui, n’a pas cherché à singulariser ou, plus modestement, à

distinguer le droit européen du droit international dans sa jurisprudence Nicolo (préc.) et

Sarran et Levacher (préc.). Mais il n’a pas joué non plus franchement, la carte de la

banalisation.

187. Les ouvrages généralistes sur le droit (introduction générale en particulier1) ne

cherchent généralement pas à exploiter ces jurisprudences en termes de singularité du droit

européen par rapport au droit international dans les rapports qu’ils entretiennent avec le droit

interne. Il en résulte une forme de banalisation de la matière qui révèle sans doute un état

d’esprit assez général comme en témoigne la rédaction de certains textes récents.

Situation – La banalisation du droit européen dans les textes

L’exemple de la Constitution de 1958 (avant ses modifications intervenues depuis 1992) et

de la loi organique de 2009 relative à la question prioritaire de constitutionnalité

La Constitution de 1958 n’a intégré des développements propres au droit européen qu’à

partir de 1992 (Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un

titre : "Des Communautés européennes et de l'Union européenne"). Avant cette date, il

n’était question que de droit international ou des traités internationaux.

Cette banalisation du droit international et du droit européen pendant plus de trente ans a

incontestablement imprégné les esprits. En témoigne, la loi organique n°2009-1523 du 10

décembre 2009, modifiant l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi

organique sur le Conseil constitutionnel. On peut y lire, en effet, dans ses articles 23-2 et 23-

5 que « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la

conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la

Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par

priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour

de cassation » et que « En tout état de cause, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation doit,

lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part,

1 Voir, pour deux exemples récents d’ouvrages de référence : F. Terré, Introduction générale au droit, Daloz,

2012, 9ème éd., n° 269 et s. ; P. Deumier, Introduction générale au droit, éd. LGDJ, 2011, n° 327 et s.

226

aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements

internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de

constitutionnalité au Conseil constitutionnel ». Ces textes, qui régissent la procédure de la

question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ne font aucune espèce de distinction selon

que les engagements internationaux de la France relève du droit international ou du droit

européen, alors pourtant, nous le verrons (voir infra, n° xxx) que les contextes sont fort

différents.

188. Ces pratiques peuvent également révéler la volonté d’un certain nombre d’acteurs,

notamment institutionnels, de ne pas s’embarrasser d’un clivage droit international/droit

européen, lequel supposerait que deux corps distincts de solutions soient dégagés en termes de

hiérarchie avec le droit national. En soi, ce choix n’est pas critiquable. Distinguer, sur tous les

sujets, le droit international et le droit européen pour proposer des solutions propres à l’un et à

l’autre, c’est ajouter de la complexité à un sujet déjà difficile. Pour autant, la distinction ne

saurait être totalement refoulée. Elle est, au demeurant, de plus en plus souvent utilisée.

2/ Différenciation des solutions définies pour le droit européen (UE) et pour le droit

international

189. Différents indices montrent qu’une différenciation est de plus en plus souvent opérée

entre le droit international et le droit européen, notamment sur la question des rapports

hiérarchiques qu’ils entretiennent avec le droit interne dans le contexte français. Ces indices

sont aussi bien d’ordre doctrinal, textuel que jurisprudentiel.

Sur un terrain doctrinal, un tournant a été pris relativement récemment.

Situation – L’usage doctrinal de la distinction « droit international - droit européen »

Un tournant en France : « Droit international et droit communautaire : perspectives

actuelle » (1999)

Les travaux de la doctrine mettant en scène, de manière systématique et récurrente, la

distinction « droit international - droit européen », remonte probablement, en France, à la fin

du XXème siècle. Le colloque organisé en 1999 à Bordeaux par la Société française pour le

droit international sur le thème « Droit international et droit communautaire : perspectives

actuelle » (J.-L. Gautron et L. Grard (dir.), éd. Pedone, 2000) l’illustre bien. Depuis, de

nombreuses monographies ont été publiées sur ce thème (outre les études spécialisées dans

tel ou tel domaine, voir notamment les publications transversales suivantes : J. Wouters, A.

Nollkaemper, E. de Wet (ed.), The Europeanisation of International Law, TMC Asser Press,

2008 ; L. Burgorgue-Larsen, E. Dubout, A. Maitrot de la Motte et S. Touzé (dir.), Les

227

interactions normatives : droit de l’UE et droit international, éd. Pedone, 2012 ; M. Benlolo-

Carabot, E. Cujo et U. Candas (dir.), Union européenne et droit international, éd. Pedone,

coll. CEDIN, 2012). Des chroniques généralistes ou spécialisées ont également vu le jour

(par ex., Les interactions du droit international et européen, chronique annuelle, JDI n° 3 de

chaque année, depuis 2009).

190. Cette évolution doctrinale reflète probablement une autre évolution que l’on peut

observer dans les textes.

Situation – La différenciation du droit européen dans les textes

L’exemple du Titre XV et de l’article 53-1 de la Constitution française (1958, telle que

notamment modifiée en 1992, 1993 et 2008)

L'évolution du droit constitutionnel français a été marquée par l’introduction, en 1992, d'un

nouveau titre dans la Constitution de 1958, spécifique au droit européen.

Dans ce titre (modifié à nouveau en 2008), il est énoncé, en effet :

Titre XV - De l'Union européenne

Article 88-1

La République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement

d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union

européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du

traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.

Article 88-2

La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les

institutions de l'Union européenne.

Article 88-3

Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union

européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales

peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent

exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs

sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par

les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article.

Article 88-4

Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au

Conseil de l'Union européenne, les projets d'actes législatifs européens et les autres projets

ou propositions d'actes de l'Union européenne.

228

Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions

européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou

propositions mentionnés au premier alinéa, ainsi que sur tout document émanant d'une

institution de l'Union européenne.

Au sein de chaque assemblée parlementaire est instituée une commission chargée des

affaires européennes.

Article 88-5

Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union

européenne est soumis au référendum par le Président de la République.

Toutefois, par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la

majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l'adoption du projet de loi selon la

procédure prévue au troisième alinéa de l'article 89.

Article 88-6

L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un

projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. L'avis est adressé par le président

de l'assemblée concernée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la

Commission européenne. Le Gouvernement en est informé.

Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne

contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est

transmis à la Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement.

À cette fin, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions,

selon des modalités d'initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée.

À la demande de soixante députés ou de soixante sénateurs, le recours est de droit.

Article 88-7

Par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat,

le Parlement peut s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union

européenne dans les cas prévus, au titre de la révision simplifiée des traités ou de la

coopération judiciaire civile, par le traité sur l'Union européenne et le traité sur le

fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13

décembre 2007.

On trouve également une autre modification apportée en 1993 à la Constitution, spécifique à

la politique européenne d’asile :

Article 53-1

229

La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements

identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés

fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des

demandes d'asile qui leur sont présentées.

Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les

autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en

raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un

autre motif.

Ces dispositions introduisent des processus dans la Constitution qui, pour certains d’entre

eux, sont dérogatoires de ceux normalement prévus. Leur mise en œuvre appelle donc de la

part des juristes des développements propres. Par exemple, la participation du Parlement

français au processus législatif européen n’a pas son équivalent dans la Constitution pour

l’adoption des actes de droit dérivé international. De même, notre loi fondamentale fait

clairement le partage entre une politique européenne d’asile, décidée à l’échelon commun de

l’Union européenne, et une politique internationale d’asile menée par la France.

191. Cette modification textuelle n’est pas étrangère à d’importantes évolutions

jurisprudentielles, spécialement sur le terrain de la hiérarchie des normes, même si pour

certaines d’entre elles, elles sont antérieures à la modification des textes français.

Situation – La différenciation du droit européen en jurisprudence

L’exemple du contrôle des actes législatifs ou réglementaires à la lumière du droit dérivé

européen

Le traitement différencié du droit européen et du droit international s’est opéré de manière

presque naturelle s’agissant du droit dérivé. L’importance considérable prise par les

règlements, directives et décisions de l’Union européenne (et avant elle des Communautés

européennes) a conduit le juge français à devoir, très tôt et de manière nécessairement

spécifique (rappelons que la portée du droit dérivé en droit national est fonction du droit

primaire, ici des traités institutifs des Communautés européennes puis de l’Union

européenne), appréhender la question de leurs rapports hiérarchiques avec le droit national.

Le juge administratif a été en première ligne, s’agissant spécialement de contrôler la légalité

des actes réglementaires au regard du droit dérivé européen. On songe, notamment, aux

jurisprudences « Boisdet » (Conseil d’Etat, 24 sept. 1990, Req. n° 58657), « Philip Morris »

et « Rothmans » (Conseil d’Etat Ass. 28 février 1992, Req. n°87753 et n° 56776 - 56777) ou

même « Perreux » (Conseil d’Etat Ass., 30 oct. 2009, Req. n° 298348), ce dernier portant

revirement complet d’une jurisprudence qui a longtemps marqué une résistance du juge

230

administratif à faire produire un plein effet aux directives européennes en présence de

mesures administratives individuelles contraires (Conseil d’Etat, Ass., 22 déc. 1978, Cohn-

Bendit, Req. n° 11604)

Le juge pénal français s’est également fortement mobilisé dans la situation de textes

réglementaires ou législatifs contraires aux exigences du droit dérivé de l’UE (voir, par

exemple, l’analyse panoramique proposée par B. Thellier de Poncheville in Chronique de

jurisprudence judiciaire française intéressant le droit de l’Union européenne (coord. EDIEC),

RTDE 2012, 519, qui a identifié, sur l’année 2011, de nombreuses décisions de la Cour de

cassation refusant d’appliquer une incrimination pénale car contraire au droit européen

dérivé notamment : Cour de cassation, crim, 22 février 2011, n°10-81.359, Publié au bulletin

et n°10-83.767, Inédit ; 20 septembre 2011, n°10-83.649 ; 22 mars 2011, n°10-81.329,

Inédit ; 6 septembre 2011, n°11-81.284, Inédit ; 15 juin 2011, n°10-87.268, Inédit ; 9 février

2011, n°09-88.125, Inédit ; 22 février 2011, n°10-80.721 et n°10-80.723, Inédits ; 7 juin

2011, n°10-84.283, Inédit ; 15 mars 2011, n°10-81.510, Inédit ; 20 juillet 2011, n°10-85.572,

Inédit ; 18 mai 2011, n°10-87.542 ; 9 mars 2011, n°10-80.853, Inédit ; 12 janvier 2011,

n°09-88.580, Inédit ; 21 septembre 2011, n°09-86.657, Inédit ; 5 avril 2011, n° 09-85.470,

Publié au bulletin ; 3 mai 2011, n°10-81.529, Inédit).

Dans une proportion différente, le juge civil français s’est lui aussi attaché à contribuer à

consolider l’édifice en admettant récemment la possibilité pour l’Etat français de voir sa

responsabilité engagée pour le maintien d’une jurisprudence nationale contraire au droit

européen, notamment dérivé (Cour cassation, 1ère

Chambre civile, 26 octobre 2011, 11 arrêts,

pourvois n° 10-24250 à 10-24261).

Ces pratiques nationales encouragent le développement de recherches sur les processus

nationaux de réception du droit européen (J.-S. Bergé et M.-L. Niboyet (dir.), La réception

du droit communautaire en droit privé des États membres, Bruylant, 2003) ou à

« l’émergence d’un droit français de l’intégration européenne » (E. Dubout et B. Nabli,

RFDA 2010, 1021).

L’exemple des principes généraux du droit européen

Un autre point de clivage entre le droit international et le droit européen peut être observé à

propos des principes généraux du droit. S’agissant du droit international coutumier et donc,

notamment, des principes généraux du droit international, nous avons observé que le juge

français était peu enclin à leur faire une place équivalente à celle reconnue par la

Constitution aux traités internationaux dans leurs rapports à la loi (voir supra, nos

explications n° xxx). Une jurisprudence administrative remarquée témoigne du phénomène

inverse à propos des principes généraux du droit européen. Dans sa décision « Syndicat

national de l’industrie pharmaceutique (Conseil d’Etat, 3 déc. 2001, Req. n° 226514), la

231

haute juridiction administrative française a considéré au détour d’un motif que « (…)

qu'ainsi, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir d'une incompatibilité de la loi

servant de support au décret attaqué, d'une part, avec les stipulations des engagements

internationaux qu'ils invoquent, qu'il s'agisse de l'article 10 du traité instituant la

Communauté européenne qui fait obligation aux Etats membres d'assurer l'exécution des

obligations découlant du traité, de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde

des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit à un procès équitable, de

l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention relatif au droit de propriété

et, d'autre part, avec des principes généraux de l'ordre juridique communautaire déduits du

traité instituant la Communauté européenne et ayant la même valeur juridique que ce dernier,

qu'il s'agisse du principe de la confiance légitime et du principe de la sécurité juridique

applicables aux situations régies par le droit communautaire, du principe de loyauté qui se

confond d'ailleurs avec le respect de l'article 10 du traité CE ou encore du principe de

primauté, lequel au demeurant ne saurait conduire, dans l'ordre interne, à remettre en cause la

suprématie de la Constitution (…) ». Les principes généraux du droit européen se voient

ainsi reconnaître la même valeur que le traité européen, c’est-à-dire une supériorité sur la loi

interne. Jamais décision équivalente n’a été rendue à notre connaissance s’agissant des

principes généraux du droit international.

L’exemple des avis donnés par le Conseil constitutionnel préalablement à la procédure de

ratification des derniers traités européens (UE)

Si le Conseil constitutionnel français s’était déjà prononcé sur la constitutionnalité de la loi

autorisant la ratification d’un traité européen (Décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992,

à propos de la constitutionnalité de la loi autorisant la ratification du traité de Maastricht sur

l'Union européenne), il a fallu attendre 2004 pour qu’il soit directement saisi d’une demande

d’avis sur la compatibilité de notre loi fondamentale avec un traité européen (Décision

no 2004-505 DC, 19 nov. 2004 : le Traité de Rome (2004) établissant une Constitution pour

l’Europe, non entré en vigueur). Le Conseil constitutionnel a également été saisi, par la suite,

d’une demande similaire pour le Traité de Lisbonne (Décision n° 2007-560 DC du 20

décembre 2007 : Traité de Lisbonne (2007) modifiant le traité sur l'Union européenne et le

traité instituant la Communauté européenne).

La première de ces décisions a été l’occasion pour le Conseil constitutionnel de considérer

que le traité de 2004 « ne modifie ni la nature de l’Union européenne, ni la portée du

principe de primauté du droit de l’Union telle qu’elle résulte (...) de l’article 88-1 de la

Constitution ». Sous ces allures banales, cette formule est riche de deux enseignements :

l’existence d’un principe « hiérarchique » de primauté du droit européen est formulée de

manière réitérée par le Conseil constitutionnel (le nouveau traité européen ne « modifie [pas]

232

la portée du principe de primauté ») ; ce principe est directement rattaché au libellé de

l’article 88-1 de la Constitution française (préc.) qui n’en fait pourtant pas explicitement

mention.

La seconde décision est également intéressante. Le juge constitutionnel français précise, en

effet, le sens et la portée de cet article 88-1 de notre constitution : « 7. Considérant que les

conditions dans lesquelles la République française participe aux Communautés européennes

et à l'Union européenne sont fixées par les dispositions en vigueur du titre XV de la

Constitution, hormis celles du second alinéa de l'article 88-1 qui est relatif au traité

établissant une Constitution pour l'Europe, lequel n'a pas été ratifié ; qu'aux termes du

premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux

Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi

librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs

compétences » ; que le constituant a ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique

communautaire intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique

international ; 8. Considérant que, tout en confirmant la place de la Constitution au sommet

de l'ordre juridique interne, ces dispositions constitutionnelles permettent à la France de

participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente,

dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts

de compétences consentis par les États membres ; 9. Considérant, toutefois, que, lorsque des

engagements souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution,

remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux

conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier

appelle une révision constitutionnelle ; 10. Considérant que c'est au regard de ces principes

qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité de Lisbonne, ainsi

que de ses protocoles et de son annexe ; que sont toutefois soustraites au contrôle de

conformité à la Constitution celles des stipulations du traité qui reprennent des engagements

antérieurement souscrits par la France (…) ». Deux points méritent d’être relevés dans la

décision : l’affirmation que le constituant a consacré l'existence d'un ordre juridique distinct

de l'ordre juridique international ; celle selon laquelle, ces mêmes dispositions confirment la

place de la Constitution au sommet de l’ordre juridique interne. Les deux propositions ne

sont pas inconciliables. Le Conseil constitutionnel en rappelle le mode d’emploi : si des

dispositions de la Constitution se révèlent contraires ou insuffisantes pour accueillir le

nouveau traité, il faut modifier la Constitution (ce qui sera fait, en l’occurrence). Dans le cas

contraire, il faut renoncer à approuver le nouveau traité.

233

L’exemple du contrôle par le Conseil constitutionnel français des lois de transposition des

directives

Le Conseil constitutionnel français se refuse, on y reviendra (voir infra, n° xxx), à contrôler

la conformité de la loi au droit international (Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 - Loi

relative à l'interruption volontaire de la grossesse (IVG) : « une loi contraire à un traité ne

serait pas pour autant contraire à la Constitution »).

Sans être remise en cause, cette absence de contrôle de la conventionnalité des lois a fait

l’objet d’une adaptation dans un contexte particulier : celui du contrôle de constitutionnalité

des lois françaises portant transposition des directives de l’Union européenne. En effet, le

Conseil constitutionnel a décidé en 2006 (notamment, Décision n° 27 juillet 2006 - Décision

n° 2006-540 DC - Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de

l'information), à la suite d’une série de décisions rendues en 2004 (notamment, Décision n°

2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance dans l'économie numérique) que :

« (…) 17. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : "

La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées

d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en

commun certaines de leurs compétences " ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une

directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ; 18. Considérant qu'il

appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article

61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive

communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il

exerce à cet effet est soumis à une double limite ; 19. Considérant, en premier lieu, que la

transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent

à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; 20.

Considérant, en second lieu, que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai

prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de

justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l'article 234 du

traité instituant la Communauté européenne ; qu'il ne saurait en conséquence déclarer non

conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement

incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il

revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice

des Communautés européennes à titre préjudiciel (…) ». Cette motivation marque ainsi la

volonté du juge constitutionnel français de rendre compte de la spécificité des obligations

constitutionnelles pesant sur le législateur national en matière de transposition d’un

instrument particulier du droit de l’Union européenne : la directive. Cette spécificité se

traduit par l’établissement d’un rapport hiérarchique entre la loi nationale de transposition et

234

la directive qui lui sert de référence dans la double limite, néanmoins, du respect de certaines

exigences constitutionnelles et de la présence d’un interprète authentique du droit européen,

la Cour de justice de l’Union européenne (sur cet aspect de l’articulation entre les deux

ordres, voir nos développements infra, n° xxx).

L’exemple de la prise en compte par le tribunal des conflits du cas particulier du droit

européen

Le tribunal des conflits s’attache, en France, à régler les conflits de compétence entre les

deux ordres de juridiction administratif et judiciaire (conflits positifs ou négatifs selon que

les deux ordres se disputent ou non la compétence). Dans une décision remarquée (Tribunal

des Conflits, 17 oct. 2011, aff. C3828), le tribunal a fait le choix de souligner la nécessité de

prendre en compte la particularité du droit de l’UE dans la mise en œuvre des règles qui

gouvernent ordinairement les rapports, notamment de saisine préjudicielle, entre les deux

ordres de juridiction. On peut y lire, en effet : « (…) Considérant qu'en vertu du principe de

séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24

août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par

nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n'appartient qu'à la

juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation

des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance

publique ; que de même, le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, le

cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles

décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre principal de l'autorité judiciaire ;

Considérant que, pour retenir néanmoins sa compétence et rejeter les déclinatoires, le

tribunal de grande instance de Rennes s'est fondé sur les dispositions de l'article 55 de la

Constitution et sur le principe de la primauté du droit communautaire ; Considérant que les

dispositions de l'article 55 de la Constitution conférant aux traités, dans les conditions

qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois ne prescrivent ni n'impliquent

aucune dérogation aux principes, rappelés ci-dessus, régissant la répartition des compétences

entre ces juridictions, lorsque est en cause la légalité d'une disposition réglementaire, alors

même que la contestation porterait sur la compatibilité d'une telle disposition avec les

engagements internationaux ; Considérant toutefois, d'une part, que ces principes doivent

être conciliés tant avec l'exigence de bonne administration de la justice qu'avec les principes

généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout

justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable ; qu'il suit de là

que si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les

tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce

que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction

235

administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence

établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; Considérant,

d'autre part, que, s'agissant du cas particulier du droit de l'Union européenne, dont le respect

constitue une obligation, tant en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le

fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article 88-1 de la Constitution,

il résulte du principe d'effectivité issu des dispositions de ces traités, telles qu'elles ont été

interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge national chargé

d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en

laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu'à cet

effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d'interprétation de ces normes, en saisir lui-même la

Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu'il s'estime en état de le faire, appliquer le droit de

l'Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d'une question

préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte

administratif au droit de l'Union européenne (…) ».

Ce dernier motif est particulièrement éclairant : l’effectivité du droit européen,

l’encadrement de l’office du juge national qu’elle induit et la nécessité d’articuler une

technique de renvoi préjudiciel interne aux juridictions françaises et un renvoi préjudiciel

porté devant la Cour de justice commandent une mise en œuvre particulière des règles qui

régissent les rapports entre les deux ordres de juridiction.

§ 2 - Les acteurs de la hiérarchisation

192. Deux tendances fortes se manifestent sur le rôle des acteurs de la hiérarchisation : on

observe un certain effacement du pouvoir exécutif et, dans une moindre mesure, du pouvoir

législatif (A) et un renforcement important du pouvoir des juges (B).

A - L’effacement du pouvoir législatif et exécutif

193. Parmi les juristes travaillant dans un contexte de droit interne, il y a ceux qui

participent de manière permanente (agents) ou occasionnelle (conseils) à l’exercice du pouvoir

législatif et exécutif. Comparés à celui des juges (voir, paragraphe suivant), ces deux pouvoirs

jouent un rôle relativement effacé dans le processus de hiérarchisation du droit de source

nationale, internationale ou européenne. Les causes de cet effacement sont au nombre de

deux.

Les pouvoirs législatifs et exécutifs jouent un rôle relativement passif dans la procédure

d’approbation des normes internationales et européennes. Cette passivité réduit

considérablement leur marge de manœuvre en termes de hiérarchisation des droits.

236

Situation – Le rôle relativement passif des pouvoirs législatifs et exécutifs

L’exemple de la procédure d’adoption des traités et accords internationaux ou européens

au regard du processus de hiérarchisation des droits

Si l’on met de côté l’hypothèse, particulière, de la transposition des directives européennes

en droit interne ou d’adaptation de la réglementation nationale consécutive à l’adoption d’un

traité ou d’un accord international, qui correspond plus à un schéma de combinaison des

droits que de hiérarchisation (voir supra, Partie 2), le législateur ou l’exécutif national

dispose d’une marge d’action limitée en termes de hiérarchisation des droits quand ils sont

saisis à l’occasion d’une procédure d’adoption (ratification pour le législateur, approbation

pour l’exécutif ; pour une présentation sommaire de ces deux procédures, voir supra, n° xxx)

d’un engagement international. En effet, le Parlement ou le Gouvernement Français se

trouvent dans la situation de devoir soit accepter soit refuser cet engagement. Ils ne peuvent,

par exemple, discuter les termes mêmes de l’instrument international ou européen pour en

réécrire le contenu. Tout au plus, peuvent-ils, si la possibilité leur en est offerte par l’accord

international, manifester des réserves ou faire, plus modestement, des déclarations. Ce

système du tout-ou-rien conduit le législateur ou l’exécutif à mener un travail relativement

sommaire de vérification des incompatibilités qui pourraient exister entre l’instrument

international ou européen et le droit interne. La hiérarchisation se limite à un choix simple :

privilégier l’instrument international ou européen, en reléguant à plus tard, le traitement des

incompatibilités entre la norme internationale ou européenne et la norme de droit interne ;

privilégier le droit interne et écarter purement et simplement l’instrument international ou

européen.

194. Cet effacement touche, plus singulièrement encore, le pouvoir exécutif. Pendant

longtemps, l’exécutif a joué un rôle important dans l’application des conventions

internationales. Puis les choses ont évolué au fur et à mesure que s’est accru le pouvoir des

juges, sous l’influence des standards européens notamment1.

B - Le renforcement du pouvoir des juges étatiques

195. Ce que le pouvoir exécutif a progressivement perdu en marge de manœuvre dans

l’application des conventions internationales, le pouvoir judiciaire l’a gagné. Cette évolution

n’est pas propre au système juridique français. Elle est globale, ainsi qu’on l’observera dans le

contexte international et européen (voir infra, n° xxx). Mais elle se manifeste différemment

1 Voir notamment dans le contexte français : CEDH, 24 nov. 1994, Req. n°15287/89, Beaumartin c. France ;

CEDH,13 février 2003, Req. n° 49636/99, Chevrol c. France, rendus au nom du droit à un procès équitable (art.

6§1 de la CESDHLF).

237

selon les contextes. Il importe donc de les étudier séparément.

Commençons par le contexte français.

Situation – Le rôle accru du juge dans l’application des conventions internationales

L’exemple de l’interprétation des traités internationaux

Le pouvoir de juges français en matière d’interprétation des traités internationaux s’est

progressivement détaché du pouvoir exécutif. Il fut un temps où les juges considéraient qu’il

leur fallait éviter de s’immiscer dans les relations diplomatiques entre Etats, notamment sur

la question de l’interprétation que les gouvernements entendaient donner des accords

internationaux auxquels ils étaient parties. C’est aujourd’hui chose révolue. Entre autres

jurisprudences, abondantes sur le sujet, on signalera notamment : la jurisprudence « Koné »

du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, Ass. 3 juillet 1996, Req. n° 169219 ; voir également

antérieurement, marquant un changement de politique jurisprudentielle de la juridiction

administrative : Conseil d’Etat, Ass., 29 juin 1990, GISTI, Req. n° 78519) par laquelle la

juridiction administrative s’est arrogé le pouvoir d’interpréter seule un accord franco-malien

à la lumière d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République : « (…)

Considérant qu'aux termes de l'article 44 de l'accord de coopération franco-malien susvisé :

"L'extradition ne sera pas exécutée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est

considérée par la partie requise comme une infraction politique ou comme une infraction

connexe à une telle infraction" ; que ces stipulations doivent être interprétées conformément

au principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l'Etat doit refuser

l'extradition d'un étranger lorsqu'elle est demandée dans un but politique ; qu'elles ne

sauraient dès lors limiter le pouvoir de l'Etat français de refuser l'extradition au seul cas des

infractions de nature politique et des infractions qui leur sont connexes ; que, par suite, M.

Y... est, contrairement à ce que soutient le Garde des Sceaux, fondé à se prévaloir de ce

principe ; qu'il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que l'extradition du requérant ait

été demandée dans un but politique (…) » ; une jurisprudence « Banque Africaine de

Développement » (Cour de cassation, 1ère ch. civ., 10 déc. 1995, pourvoi n° 93-20424) où la

juridiction judiciaire a déclaré : « (…) Attendu que la BAD reproche à l'arrêt confirmatif

attaqué (Paris, 13 janvier 1993) d'avoir rejeté sa demande de renvoi à l'interprétation

gouvernementale des textes invoqués, alors, selon le moyen, d'une part, que la discordance

entre le sens littéral et la conception restrictive donnée de ces textes par la cour d'appel

implique la nécessité d'une interprétation qui, s'agissant d'une question touchant l'ordre

public international, relève du Gouvernement ; alors, d'autre part, que touche par nature à

l'ordre public international le litige opposant une banque privée et une organisation

internationale dont la mission est de service public international et qui se prévaut de

238

l'interprétation du traité définissant sa mission et ses moyens ; Mais attendu qu'il est de

l'office du juge d'interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son

examen, sans qu'il soit nécessaire de solliciter l'avis d'une autorité non juridictionnelle ; que

la cour d'appel n'a donc fait qu'user de ses pouvoirs en interprétant elle-même les

dispositions invoquées de l'Accord de 1963 ; qu'ainsi, le moyen est dépourvu de fondement

(…) ».

Cette appropriation par les juges du pouvoir d’interpréter les conventions internationales

n’est évidemment pas indifférente au processus de hiérarchisation des droits mené dans le

contexte national. Selon l’interprétation retenue, le juge caractérisera ou, au contraire,

infirmera l’hypothèse d’un conflit entre la norme internationale et la norme interne. Selon

l’interprétation retenue, il choisira d’adopter ou non un raisonnement de type « hiérarchie

des normes ».

L’exemple de la condition de réciprocité

L’article 55 de Constitution française soumet la supériorité des traités internationaux à la loi

à une condition de réciprocité « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés

ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque

accord ou traité, de son application par l'autre partie ». La question s’est posée de la mise en

œuvre de cette condition par les juges, concurremment au pouvoir exécutif qui,

originairement, s’était octroyé le pouvoir le décider seul de son application au nom de

l’exercice du pouvoir diplomatique.

Le Conseil constitutionnel a précisé la portée de cette disposition en estimant que « (…) la

règle de réciprocité énoncée à cet article [55] n'a d'autre portée que de constituer une réserve

mise à l'application du principe selon lequel les traités ou accords régulièrement ratifiés ou

approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ; (…) elle affecte

la supériorité des traités ou accords sur les lois (…) » (Décision 80-126 DC - 30 décembre

1980 - Loi de finances pour 1981).

Quant à eux, le Conseil d'État (ass. 29 mai 1981, Req. n° 15092, aff. Rekhou et ass. 18 déc.

1998, SARL du parc d'activités de Blotzheim et SCI Haselaecker, Req. n° 181249) et la Cour

de cassation (Cour de cassation, 1ère ch. civ., 6 mars 1984, Kryla, pourvoi n° 82-14008 ; v.

également, dans le même sens, Civ. 1ère, 16 fév. 1994, Ordre des avocats à la cour de Paris

et autres, pourvois n° 92-10397, 92-10398, 92-10403, 92-10404, 92-11638) ont, pendant

longtemps, considéré que l'appréciation d'une application réciproque du traité relevait du seul

pouvoir exécutif (Ministère des affaires étrangères), même si, pour la première chambre

civile de la Cour de cassation « en l’absence d’initiative prise par le gouvernement pour

dénoncer une convention ou suspendre son application, il n’appartient pas aux juges

239

d’apprécier le respect de la condition de réciprocité prévue dans les rapports entre États par

l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 » (arrêt Kryla, préc.).

Puis la jurisprudence du Conseil d’Etat a fortement évolué. La haute juridiction

administrative a décidé, en effet, « (…) qu'il appartient au juge administratif, lorsqu'est

soulevé devant lui un moyen tiré de ce qu'une décision administrative a à tort, sur le

fondement de la réserve énoncée à l'article 55, soit écarté l'application de stipulations d'un

traité international, soit fait application de ces stipulations, de vérifier si la condition de

réciprocité est ou non remplie ; qu'à cette fin, il lui revient, dans l'exercice des pouvoirs

d'instruction qui sont les siens, après avoir recueilli les observations du ministre des affaires

étrangères et, le cas échéant, celles de l'Etat en cause, de soumettre ces observations au débat

contradictoire, afin d'apprécier si des éléments de droit et de fait suffisamment probants au

vu de l'ensemble des résultats de l'instruction sont de nature à établir que la condition tenant

à l'application du traité par l'autre partie est, ou non, remplie (…) » (Conseil d’Etat, 9 juill.

2010, Mme

Cheriet-Benseghir, Req. n° 317747). Dorénavant, le juge administratif français

considère qu’il ne saurait ainsi être lié dans son appréciation par l’administration, même si

l’avis de cette dernière peut faire partie des éléments utiles au débat entre les parties au

différend porté devant lui.

Sur le rôle accru du juge national en matière de vérification formelle des procédures de

conclusion, ratification ou approbation des traités internationaux, voir supra, n° xxx.

§ 3 - Les mots et le moment de la hiérarchisation

196. Dans le système juridique français, on peut dire que le processus de hiérarchisation du

droit national, international et européen est dominé par deux variables : les mots de cette

hiérarchisation et le moment où elle intervient. En croisant ces deux variables, on obtient les

combinaisons suivantes : contrôle de constitutionnalité en amont et contrôle de

conventionnalité en aval (A), contrôle prioritaire de constitutionnalité et contrôle secondaire

de conventionnalité (B).

A - Contrôle de constitutionnalité en amont et contrôle de conventionnalité en aval

197. Le processus de hiérarchisation des droits est largement tributaire de la place occupée

par les différents acteurs présents dans l’ordre juridique interne français. S’agissant du plus

important d’entre eux - le juge - on observe qu’une certaine répartition des rôles s’est opérée

autour des trois principales institutions juridictionnelles : le juge constitutionnel, le juge

240

administratif et le juge judiciaire1. Cette répartition est d’abord et avant tout le fait du Conseil

constitutionnel qui, en prenant acte ou en décidant de l’étendue de ses propres pouvoirs par

une interprétation plus ou moins libre de la Constitution, a dessiné, en contre-point, les

contours des prérogatives qu’il entendait laisser aux juridictions ordinaires de l’ordre

administratif et judiciaire2.

Situation - Les contrôles hiérarchiques opérés en amont par le Conseil constitutionnel

L’exemple de la constitutionnalité des conventions internationales

L’appréciation de la constitutionnalité des conventions internationales est organisée au terme

d’une procédure par l’article 54 de la Constitution : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par

le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre

assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement

international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou

d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la

Constitution ». Elle peut également être menée à travers l’examen de la constitutionnalité

d’une loi portant ratification d’un engagement international (article 61 alinéa 2 de la

Constitution). Dans les deux cas, la saisine du Conseil constitutionnel est préalable à l’entrée

en vigueur du texte international et elle n’a aucun caractère systématique. Il se peut donc

qu’un traité soit approuvé par la France alors qu’il est contraire à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a exercé à plusieurs reprises ce contrôle, contrôle qui le conduit à

faire œuvre d’interprétation de la Constitution, comme en matière d’appréciation de la

constitutionnalité des lois. Ainsi, par exemple, le Conseil constitutionnel a estimé que la

condition de réciprocité prévue à l’article 55 de la Constitution n'avait pas à s'appliquer dans

certaines hypothèses, notamment pour les conventions à but humanitaire (Décision 98-408

DC - 22 janvier 1999 - Traité portant statut de la Cour pénale internationale). Voir,

également, déjà mentionnée, la décision « Traité de Maastricht » (voir supra, n° xxx).

En dehors des hypothèses de contrôle a priori prévues par la Constitution, on ne peut

totalement exclure la possibilité que la question soit incidemment posée au Conseil

constitutionnel de la conformité d’un accord liant la France avec la Constitution à l’occasion,

par exemple, de l’examen de constitutionnalité d’une loi postérieure qui y ferait référence.

Le juge constitutionnel français s’efforce de veiller en ce cas à ce que la question incidente

de constitutionnalité de l’instrument international n’interfère pas directement avec son

1 Sur le rôle joué également par le tribunal des conflits, voir infra n° xxx.

2 Pour une analyse statistique et critique de la distinction entre les deux types de contrôle, voir O. Dutheillet de

Lamotte, Contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité, Mélanges Daniel Labetoulle, Dalloz

2007, 315.

241

contrôle de constitutionnalité de la loi. Mais les questions sont souvent très imbriquées. On

peut citer, à titre d’exemple, la Décision 93-325 DC (13 août 1993 - Loi relative à la maîtrise

de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France) où

le Conseil a eu à apprécier la constitutionnalité d’une loi nouvelle, faisant référence à un

traité européen antérieurement conclu par la France lequel avait déjà fait l’objet d’un examen

par le Conseil (Décision 91-294 DC - 25 juillet 1991 - Loi autorisant l'approbation de la

convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985). Cette imbrication entre la

source internationale, la loi nationale et les interprétations données de la Constitution par le

juge français peut conduire à des formulations complexes. En témoigne, dans la Décision 93-

325 DC (préc.), le motif suivant « (…) 86. Considérant en deuxième lieu que l'article 31 bis

de l'ordonnance précitée énumère quatre cas dans lesquels l'admission au séjour d'un

demandeur d'asile peut être refusée ; que le premier cas, visé au 1° de cet article, concerne

l'examen d'une demande d'asile qui "relève de la compétence d'un autre Etat, en application

des stipulations de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de

l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée auprès d'un Etat membre des

Communautés européennes, ou du chapitre VII du titre II de la convention signée à

Schengen le 19 juin 1990, ou d'engagements identiques à ceux prévus par la Convention de

Dublin souscrits avec d'autres Etats conformément à la déclaration annexée au procès-verbal

de la conférence de signature de la convention du 15 juin 1990, à compter de leur entrée en

vigueur" ; que cet article dispose par ailleurs que lorsque l'admission au séjour a été refusée

dans ce cas, le demandeur d'asile ne peut saisir l'office français de protection des réfugiés et

apatrides d'une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié ; qu'en privant ainsi les

étrangers concernés de faire valoir leur droit, le législateur a méconnu les principes de valeur

constitutionnelle ci-dessus rappelés ; qu'ainsi, dès lors qu'ils comportent cette restriction, les

mots "pour l'un des motifs visés aux 2° à 4° du présent article" qui figurent au dernier alinéa

de l'article 31 bis de l'ordonnance sont contraires à la Constitution (…) ». Une disposition de

la loi nouvelle française est ainsi déclarée non conforme à la Constitution alors qu’elle avait

pour objet de s’articuler avec un dispositif conventionnel existant, lequel avait déjà fait

l’objet d’un examen de conformité par le Conseil constitutionnel. Ce cas est la démonstration

que la question de la constitutionnalité des conventions peut incidemment rejaillir à

l’occasion de l’examen ultérieur de textes législatifs internes, même si le Conseil

constitutionnel veille manifestement à inscrire son analyse dans le cadre du seul contrôle de

constitutionnalité de la loi qui lui est demandé.

Le contre-exemple de la conventionnalité des lois

Au titre de sa saisine pour contrôle de la constitutionnalité des lois (art. 61 de la

Constitution), le Conseil constitutionnel s'est refusé à examiner la conventionnalité des lois,

242

c’est-à-dire la conformité des lois aux conventions internationales (alors qu’il consent à

opérer un tel contrôle quand il agit, comme juge ordinaire, en matière de contentieux

électoral) : « (…) une loi contraire à un traité ne serait pas pour autant contraire à la

Constitution (…) » (Décision 74-54 DC - 15 janvier 1975 - Loi relative à l'interruption

volontaire de la grossesse). Ce refus a été justifié par le « caractère à la fois relatif et

contingent » des traités : en principe, ces derniers ne s’appliquent qu’entre parties liées et

non de manière générale et ils demeurent suspendus au respect d’une condition de

réciprocité.

Cette absence de contrôle a été logiquement étendue à la condition de réciprocité elle-

même : « (…) que la règle de réciprocité posée à l'article 55 de la Constitution, si elle affecte

la supériorité des traités ou accords sur les lois, n'est pas une condition de la conformité des

lois à la Constitution ; que, dès lors, et quels qu'aient été les motifs qui ont guidé le

législateur, les auteurs de la saisine ne sauraient utilement invoquer l'article 55 pour contester

la conformité à la Constitution de (…) la loi (…) » (Décision 80-126 DC - 30 décembre 1980

- Loi de finances pour 1981).

L’exemple de l’européanité des lois de transposition des directives

On rappellera que sans être remise en cause, cette absence de contrôle de la conventionnalité

des lois a fait l’objet d’une adaptation dans un contexte particulier : celui du contrôle de

constitutionnalité des lois françaises portant transposition des directives de l’Union

européenne. Voir supra, n° xxx.

198. Les contrôles hiérarchiques que le Conseil constitutionnel n’exerce pas en amont,

c’est-à-dire avant l’adoption d’instruments internationaux ou, éventuellement, nationaux, sont

exercés en aval par le juge ordinaire, au stade de l’application du droit de source nationale

internationale et européenne dans le contexte national.

Situation - Les contrôles hiérarchiques opérés en aval par le juge ordinaire

L’exemple de la conventionnalité des textes législatifs et réglementaires

Les juges français de l’ordre judiciaire et administratif contrôlent de manière ordinaire la

conformité des lois et des textes réglementaires aux conventions internationales. C’est entre

leurs mains que repose ce contrôle a posteriori de conventionnalité que les juges partagent

avec les autres pouvoirs législatifs et exécutifs qui l’exercent, en amont, mais de manière non

exclusive, au moment de la délibération des textes de droit interne.

Ce contrôle de conventionnalité se déploie totalement (voir supra, n° xxx) dans la limite du

contrôle de constitutionnalité des conventions et des lois exercé par le Conseil

constitutionnel (voir paragraphe suivant, n° xxx) et sous la réserve que le juge ordinaire ne se

243

trouve pas contraint d’appliquer une convention internationale contraire à la Constitution

(voir supra, n° xxx).

Le contre-exemple de la constitutionnalité des conventions internationales et des lois

L’emprise exercée par le Conseil constitutionnel en matière de contrôle de la

constitutionnalité des conventions internationales et des lois rejaillit sur l’étendue des

pouvoirs du juge ordinaire quand il exerce un contrôle de conventionnalité des lois ou de

constitutionnalité des textes réglementaires.

C’est ainsi, par exemple, que si le juge administratif contrôle le respect des procédures

réglementaires d’introduction des traités en droit interne, il se refuse à contrôler la

constitutionnalité desdits traités. Une affaire récente a été l’occasion pour le Conseil d’Etat

de le rappeler : « Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les

traités ou accords relevant de l'article 53 de la Constitution et dont la ratification ou

l'approbation est intervenue sans avoir été autorisée par la loi ne peuvent être regardés

comme régulièrement ratifiés ou approuvés au sens de l'article 55 précité ; qu'il appartient au

Conseil d'Etat, statuant au contentieux, en cas de recours pour excès de pouvoir contre un

décret publiant un traité ou un accord, de connaître de moyens tirés, d'une part, de vices

propres à ce décret, d'autre part, de ce qu'en vertu de l'article 53 de la Constitution, la

ratification ou l'approbation de l'engagement international en cause aurait dû être autorisée

par la loi ; que constitue, au sens de cet article, un traité ou un accord modifiant des

dispositions de nature législative un engagement international dont les stipulations touchent à

des matières réservées à la loi par la Constitution ou énoncent des règles qui diffèrent de

celles posées par des dispositions de forme législative ; qu'en revanche, il n'appartient pas au

Conseil d'Etat, statuant au contentieux de se prononcer sur la conformité du traité ou de

l'accord à la Constitution ; qu'il ne lui appartient pas davantage de se prononcer sur la

conformité d'un traité ou d'un accord à d'autres engagements internationaux » (Conseil

d’Etat, 9 juill. 2010, Fédération nationale de la libre pensée et autres, Req. n° 327663).

Cette position de retrait peut placer la juridiction ordinaire dans une situation délicate quand

le différend à trancher se double d’un potentiel conflit de conventions internationales. C’est

ce qu’illustre un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Paris que la Haute

juridiction administrative (Conseil d'État, Ass., 23 déc. 2011, Req. n° 303678, Eduardo José

Kandyrine de Brito Paiva) a décidé de censurer selon les motifs suivants : « Considérant que,

lorsque le juge administratif est saisi d'un recours dirigé contre un acte portant publication

d'un traité ou d'un accord international, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la validité

de ce traité ou de cet accord au regard d'autres engagements internationaux souscrits par la

France ; qu'en revanche, sous réserve des cas où serait en cause l'ordre juridique intégré que

constitue l'Union européenne, peut être utilement invoqué, à l'appui de conclusions dirigées

244

contre une décision administrative qui fait application des stipulations inconditionnelles d'un

traité ou d'un accord international, un moyen tiré de l'incompatibilité des stipulations, dont il

a été fait application par la décision en cause, avec celles d'un autre traité ou accord

international ; qu'il incombe dans ce cas au juge administratif, après avoir vérifié que les

stipulations de cet autre traité ou accord sont entrées en vigueur dans l'ordre juridique interne

et sont invocables devant lui, de définir, conformément aux principes du droit coutumier

relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales, les modalités

d'application respectives des normes internationales en débat conformément à leurs

stipulations, de manière à assurer leur conciliation, en les interprétant, le cas échéant, au

regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d'ordre public ; que

dans l'hypothèse où, au terme de cet examen, il n'apparaît possible ni d'assurer la conciliation

de ces stipulations entre elles, ni de déterminer lesquelles doivent dans le cas d'espèce être

écartées, il appartient au juge administratif de faire application de la norme internationale

dans le champ de laquelle la décision administrative contestée a entendu se placer et pour

l'application de laquelle cette décision a été prise et d'écarter, en conséquence, le moyen tiré

de son incompatibilité avec l'autre norme internationale invoquée, sans préjudice des

conséquences qui pourraient en être tirées en matière d'engagement de la responsabilité de

l'Etat tant dans l'ordre international que dans l'ordre interne ; Considérant qu'il résulte de ce

qui précède qu'en écartant le moyen tiré de la contrariété avec la convention européenne de

sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de la condition de nationalité

prévue par le décret du 3 juillet 1998 en application de l'accord du 27 mai 1997 présenté

devant elle par M. A, au seul motif qu'il n'appartient pas au juge administratif de se

prononcer sur la validité des stipulations d'un engagement international au regard d'autres

engagements internationaux souscrits par la France, sans rechercher, après s'être assuré que

cette convention était entrée en vigueur dans l'ordre juridique interne et était invocable

devant lui, s'il était possible de regarder comme conciliables les stipulations de cette

convention et celles de l'accord susmentionné du 27 mai 1997, la cour administrative d'appel

de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt du 18 octobre 2006 doit être

annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi (…) » (pour une

analyse de cette décision, voir D. Alland, RFDA 2012, 26).

L’exemple particulier où le contrôle de constitutionnalité d’un texte réglementaire jouxte

la conformité d’une directive à un principe européen : le cas Arcelor

La décision du Conseil constitutionnel (notamment, Décision n° 27 juillet 2006 - Décision n°

2006-540 DC - Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de

l'information), rendue à la suite d’une série de décisions rendues en 2004 (notamment,

Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance dans l'économie

245

numérique) de contrôler, au nom de la Constitution, la conformité aux directives de l’UE des

lois de transposition, a eu impact sur la jurisprudence des juges ordinaires français,

spécialement du juge administratif, ainsi qu’en témoigne la célèbre affaire « Arcelor »

relative la compatibilité d’un texte réglementaire français transposant une directive avec le

principe d’égalité, consacré notamment par la Constitution française et le droit de l’Union

européenne (Conseil d’Etat, Ass. 8 févr. 2007, Req. no 287110 et Conseil d’Etat, 3 juin 2009,

Req. no 287110, rendu après une décision de la Cour de justice statuant à titre préjudiciel

(CJCE, 16 déc. 2008, aff. C-127/07, Arcelor).

Dans son arrêt de 2007, le Conseil d’Etat a considéré que « (…) si, aux termes de l'article 55

de la Constitution, les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur

publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou

traité, de son application par l'autre partie , la suprématie ainsi conférée aux engagements

internationaux ne saurait s'imposer, dans l'ordre interne, aux principes et dispositions à

valeur constitutionnelle ; qu'eu égard aux dispositions de l'article 88-1 de la Constitution,

selon lesquelles la République participe aux Communautés européennes et à l'Union

européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont

instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences , dont découle une obligation

constitutionnelle de transposition des directives, le contrôle de constitutionnalité des actes

réglementaires assurant directement cette transposition est appelé à s'exercer selon des

modalités particulières dans le cas où sont transposées des dispositions précises et

inconditionnelles ; qu'alors, si le contrôle des règles de compétence et de procédure ne se

trouve pas affecté, il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la

méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher

s'il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature

et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge

communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du

principe constitutionnel invoqué ; que, dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge

administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de rechercher si la directive

que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit

communautaire ; qu'il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen

invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes

d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 234 du Traité instituant

la Communauté européenne ; qu'en revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général

du droit communautaire garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe

constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner directement la

constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées (…) ».

246

Le Conseil d’Etat a décidé, en l’espèce, que le principe constitutionnel d’égalité trouvait un

équivalent en droit de l’Union européenne. Il a saisi la Cour de justice de l’UE d’un renvoi

préjudiciel, laquelle a estimé que la validité de la directive n’était pas contestable au regard

dudit principe européen d’égalité (CJCE, 16 déc. 2008, aff. C-127/07, préc.). Tirant les

conséquences de cette analyse, le Conseil d’Etat a considéré, en reprise d’instance, en 2009

« (…) qu'il résulte de l'arrêt cité ci-dessus de la Cour de justice des Communautés

européennes que la directive, dont le décret attaqué assure la transposition, ne méconnaît pas

le principe communautaire d'égalité ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance

par ce décret du principe constitutionnel d'égalité ne saurait qu'être écarté (…) » (préc.).

Cette décision marque une volonté du juge interne d’aligner un raisonnement de type

« constitutionnalité d’un texte réglementaire » sur un raisonnement de type « conformité

d’une directive européenne avec le droit de l’UE ». Cette volonté ne traduit pas seulement

une inter-relation entre les textes européens et les textes nationaux de transposition. Elle rend

compte de l’état d’imbrication dans lequel des contrôles de constitutionnalité et de

conventionnalité se trouvent aujourd’hui placés. Pour éviter un risque ouvert de

contradiction, le juge ordinaire est invité, quand il le peut, à faire correspondre une analyse

en termes d’européanité de la directive et une analyse en termes de constitutionnalité du

texte interne. Cette attitude conciliatrice n’exclut pas que la connexité des deux procédures

donne lieu à des jeux de rivalité, notamment entre juridictions nationales. Pour une

illustration de ce phénomène, voir infra, n° xxx, l’étude de la célèbre affaire « Melki ».

B - Le contrôle prioritaire de constitutionnalité et le contrôle secondaire de

conventionnalité

199. Le vocabulaire juridique français s’est enrichi d’une nouvelle expression avec

l’instauration en 2008 d’une procédure de consultation du Conseil constitutionnel par le juge

ordinaire : la fameuse « question prioritaire de constitutionnalité (QPC) » (art. 61-1 de la

Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est

soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution

garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil

d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé »). Aménagée par

une loi organique, cette procédure a fait naître une nouvelle forme de hiérarchisation dans le

temps, des contrôles constitutionnalité et de conventionnalité.

247

Situation - La hiérarchisation dans le temps des contrôles constitutionnalité et de

conventionnalité

L’exemple de la loi organique française et les interrogations qu’elle suscite sur la pratique

des juges

La QPC n’intéresse a priori pas directement le thème général de l’application du droit

national, international et européen, fût-ce dans le contexte français. Elle porte, en effet, sur la

seule question de la conformité de la loi française à la Constitution, examinée, non pas

préalablement à l’adoption de loi, comme cela est prévu à l’article 61 alinéa 2 de la

Constitution, mais postérieurement à cette adoption, à l’occasion d’un différend présenté

devant le juge ordinaire de l’ordre administratif ou judiciaire.

La loi organique française (Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à

l'application de l'article 61-1 de la Constitution), qui a défini les modalités procédurales de la

QPC, a cependant introduit une double référence « aux engagements internationaux » de la

France. On peut ainsi lire dans les articles 23-2 (applicables aux juridictions du fond) et 23-5

(applicable aux deux juridictions supérieures) de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre

1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, telle que modifiée par la loi

organique de 2009 (préc.) : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de

moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et

libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la

France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au

Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation » (art. 23-2) ; : « En tout état de cause, le Conseil

d'Etat ou la Cour de cassation doit, lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité

d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et,

d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le

renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel » (art. 23-5).

Cette double disposition entend traduire le caractère prioritaire du contrôle de

constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité. Qu’il s’agisse d’examiner la

conformité de la loi française en vigueur au droit international ou au droit européen, le juge

ordinaire doit « en tout état de cause (…) se prononcer par priorité sur (…) » la transmission

ou le renvoi de la question. Il résulte de cette règle procédurale interne française que le

contrôle de conventionnalité des lois a un caractère secondaire par rapport au contrôle de

constitutionnalité de la loi qui se veut prioritaire.

Cette hiérarchisation procédurale a nécessairement un impact sur l’agencement des deux

contrôles. Son but est éminemment stratégique : permettre au Conseil constitutionnel de se

prononcer, le premier, sur la constitutionnalité de la loi, avant que le juge ordinaire ne traite,

le cas échéant, la question secondaire de la conventionnalité de la loi. La priorité ainsi

248

donnée à la question de constitutionnalité est de nature à exercer une influence forte sur la

question de la conventionnalité. Dans l’hypothèse, fréquente, où un énoncé est formulé de

manière voisine, si ce n’est identique, par notre loi fondamentale française et par le droit

international ou européen liant la France, la faveur donnée dans le temps à l’interprétation

par le Conseil constitutionnel de la Constitution est de nature à influencer le travail

interprétatif du juge ordinaire à propos du droit international et européen. La raison en est

simple : il est souvent préférable pour un juge d’énoncer des solutions convergentes que de

poser les termes d’un conflit entre solutions divergentes, conflit qu’il lui faut alors résoudre.

C’est pourquoi le juge utilise fréquemment la marge d’interprétation qui est la sienne pour

faire converger les solutions en présence, plutôt que d’exacerber les conflits.

Aussi compréhensible soit-elle, cette hiérarchisation des procédures traduit une volonté

claire de hiérarchiser le travail des juges et, à travers lui, de hiérarchiser les contrôles de

constitutionnalité et de conventionnalité. La loi organique française traduit ainsi, sur le

terrain de la procédure, la suprématie conférée dans l’ordre interne à la Constitution.

Il n’est pas certain que cette forme de soumission de la justice ordinaire à la justice

constitutionnelle emporte la pleine adhésion de tous les acteurs institutionnels. En témoigne,

la polémique suscitée par la position de la Cour de cassation qui, en présence d’une

potentielle incompatibilité entre, d’une part, la loi pénale française, et, d’autre part, la

Constitution française et le droit de l’Union européenne, a cherché à répondre à la question

qui lui était posée, après renvoi préjudiciel devant la Cour de justice (CJUE, 22 juin 2010,

Aziz Melki et Sélim Abdeli, aff. C-188/10 et C-189/10), sans interroger le Conseil

constitutionnel sur la constitutionnalité de la loi nationale (notamment : Cour de cassation,

QPC, 16 avr. 2010 et ass. plén., 29 juin 2010, pourvoi n° 10-40002). Le Conseil

constitutionnel (Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, Loi relative à l'ouverture à la

concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne) et le Conseil

d’Etat (Conseil d’Etat, 14 mai 2010, Req. n° 312305) ont clairement désapprouvé cette

attitude de défiance de la Cour de cassation, préférant appliquer à la lettre la loi française qui

entend donner un caractère prioritaire à la question préjudicielle de constitutionnalité.

Il n’est pas certain, non plus, que ce type de règle procédurale interne résiste aux

potentialités offertes par le pluralisme juridique mondial en termes de recherche de la

« meilleure » hiérarchie des normes (voir, nos développements infra, n° xxx).

249

Section 2 – La hiérarchisation des droits dans le contexte international : les réponses du

droit international

200. Dans le contexte international, l’identification des procédés de hiérarchisation des

droits ne mobilise pas de la même manière les constructions du droit international privé et les

constructions de droit international public.

En dépit des tensions fortes auxquelles il est exposé en droit international et européen, le droit

international privé demeure un droit de coordination des systèmes juridiques nationaux1 qui

s’est construit historiquement à un niveau essentiellement national. Son ambition n’a jamais

été de hiérarchiser des droits dans le contexte international. Si des constructions hiérarchiques

sont susceptibles de s’immiscer dans ses méthodes de raisonnement, au risque parfois de les

malmener2, la réponse du droit international privé n’est pas de produire une échelle

hiérarchique concurrente, qui lui serait propre.

C’est donc du point de vue du droit international public que la question de la hiérarchisation

des droits dans le contexte international doit être considérée. Si le droit international, entendu

comme le droit international public, n’est pas un droit globalement hiérarchisé (droit

égalitaire, plutôt volontariste, fortement décentralisé), des manifestations d’une

hiérarchisation peuvent néanmoins y être recherchées. De manière très générale, on peut dire

que trois tendances fortes se dégagent : un refoulement du droit national et, dans une moindre

mesure, du droit européen (§1), une atrophie des procédés de hiérarchisation formelle (§2) et

un développement des procédés de hiérarchisation matérielle (§3).

§ 1 - Le refoulement du droit national et européen

201. Ce n’est pas une question facile que de déterminer la place qu’occupent le droit

national et le droit européen dans le contexte international. Là où en droit français (voir supra,

Section 1) et en droit européen (voir infra, Section 3), le droit international existe et occupe

notamment une place dans le processus de hiérarchisation des droits, la réciproque n’est pas

vraie. Dans le contexte international, spécialement celui qui est dominé par le droit produit

par les Etats, les juristes ont été tentés de refouler hors des frontières de leur discipline, le

1 P. Mayer, Le phénomène de coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé, RCADI 2007, t. 327.

2 Voir en ce sens, la démonstration de L. Gannagé dans sa thèse : La hiérarchie des normes et les méthodes du

droit international privé – Etude de droit international privé de la famille, LGDJ 2001 ; comp. du même auteur :

L’ordre public international à l’épreuve du réalisme des valeurs, Travaux de CFDIP 2006-2008, Pedone 2009, p.

205.

250

droit national et, dans une certaine mesure, le droit européen.

202. Le procédé du refoulement est invariablement le même. Dans l’ordre international, le

droit national, tout comme le droit européen, est un simple fait. Ils ne sont donc pas

juridiquement opposables aux acteurs de la société internationale.

Historiquement, l’affirmation a concerné le droit national.

Situation - Le refoulement du droit national

Un exemple historique : l’avis consultatif de la CPJI dans l’affaire « Intérêts allemands

en haute Silésie polonaise

Dans l’ordre international, l’affirmation de la primauté du droit international dans ses

rapports au droit national s’est manifestée en terme « d’inopposabilité » : un Etat ne saurait

infléchir les solutions du droit international (par exemple, les obligations que l’Etat a

contractées au terme d’un accord international avec un autre Etat ou le respect dû à une règle

coutumière internationale) en opposant son droit interne. Cette inopposabilité frappe aussi

bien une constitution ( « (…) un État ne saurait invoquer vis-à-vis d'un autre État sa propre

Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les

traités en vigueur » : CPJI, 3 mars 1928, Traitement des tribunaux nationaux polonais de

Dantzig, série A/B, n° 44), qu’une loi et un texte réglementaire (CPJI, 17 août 1923, série A,

n° 01, « Vapeur Wimbledon ») ou une jurisprudence (CPJI, 26 juillet 1929, série A, n° 09,

« Usine de Chorzow »).

Ce défaut d’opposabilité « juridique » est fréquemment ramassé dans une formule quelque

peu raccourcie, selon laquelle le droit national ne serait dans l’ordre international « qu’un

simple fait » (voir notamment, toujours cité, l’avis consultatif de la CPJI dans l’affaire

« Intérêts allemands en haute Silésie polonaise, Allemagne c. Pologne, 25 mai 1926, Série A

n° 7 : « On pourrait se demander si une difficulté ne surgit pas du fait que la Cour

devrait s'occuper de la loi polonaise du 14 juillet 1920. Tel ne semble cependant pas être

le cas. Au regard du droit international et de la Cour qui en est l'organe, les lois

nationales sont de simples faits, manifestations de la volonté et de l'activité des États, au

même titre que les décisions judiciaires ou les mesures administratives. La Cour n'est

certainement pas appelée à interpréter la loi polonaise comme telle; mais rien ne

s'oppose à ce qu'elle se prononce sur la question de savoir si, en appliquant ladite loi, la

Pologne agit ou non en conformité avec les obligations que la Convention de Genève lui

impose envers l'Allemagne », arrêt, p. 32). La formule peut surprendre. Elle semble

négliger totalement l’importance que joue le droit national dans la mise en œuvre du droit

international (sur cette combinaison du droit international et du droit national, voir supra,

251

Partie 2). En réalité, sa portée doit être contenue aux lectures hiérarchiques des rapports entre

les deux droits.

203. Même si les solutions sont souvent implicites, cette attitude de refoulement touche

également le droit européen (UE ou CEDH).

Situation - Le refoulement du droit européen

Une illustration patente : quand une sentence CIRDI assimile le droit de l’UE à un simple

fait

Dans une affaire AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie (ARB/07/22, sentence du 23 sept.

2010), un tribunal arbitral CIRDI a eu à se prononcer sur l’applicabilité au différend de

règles impératives de l’Union européenne (contrôle des aides d’Etat). Pour justifier leur non-

application, les arbitres indiquent : “Regarding the Community competition law regime, it

has a dual nature : on the one hand, it is an international law regime, on the other hand, once

introduced in the national legal orders, it is part of these legal orders. It is common ground

that in an international arbitration, national laws are to be considered as facts. Both parties

having pleading that the Community competition law regime should be considered as a fact,

it will be considered by this Tribunal as a fact, always taking into account that a state may

not invoke its domestic law as an excuse for alleged breaches of its international obligations”

(§ 7.6.6). C’est moins la solution que la motivation qui est remarquable. Qu’un tribunal

CIRDI ne se considère pas compétent pour juger du comportement d’un Etat membre de

l’UE au regard des obligations notamment procédurales qui pèsent sur lui vis-à-vis des

institutions européennes et des autres Etats membres en vertu de dispositions d’un traité

européen est une chose. Une autre est d’en inférer que le droit européen est un « fait » pour

l’arbitre international. Sur cette motivation, voir l’analyse critique de S. Manciaux,

chronique CIRDI, JDI 2011, spéc., 587. Voir également l’étude plus générale de M. Forteau,

Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou

l’un et l’autre à la fois ?, Mélanges J.-P. Cot, Bruylant 2009, p. 95. Sur la confrontation du

droit européen et du droit international en ce domaine très sensible de l’arbitrage

d’investissement, voir C. Kessedjian (dir.), Le droit européen et l’arbitrage d’investissement

– European Law and Investment Arbitration, éd. Panthéon-Assas, 2011.

Une illustration subtile : quand la CIJ se réfère à la jurisprudence de la CEDH tout en la

hiérarchisant avec d’autres pratiques décisionnaires internationales et régionales

Le premier arrêt rendu par la Cour internationale de justice dans l’affaire Diallo (CIJ, 30

novembre 2010, Affaire Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du

Congo) est un cas remarquable. Nous avons eu l’occasion de l’observer à différentes reprises

(voir supra, n° xxx), c’est la première fois, en effet, que la juridiction internationale se réfère

252

à une jurisprudence régionale. Mais que l’on ne s’y trompe pas. Un spécialiste de droit

international public nous a fait observer que la CIJ, dans cette affaire, prend un soin

particulier à, si ce n’est hiérarchiser, ordonner ses références. C’est ainsi qu’elle entend

marquer la préséance due à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme institué par le

Pacte des Nations Unies, tout en précisant malgré tout qu’elle n’est aucunement tenue par

elle, puis suit l’interprétation d’instruments régionaux directement applicables à la situation

en cause, suit enfin, seulement, la référence à d’autres juridictions régionales (CEDH et

CIDH) : « Bien que la Cour ne soit aucunement tenue, dans l’exercice de ses fonctions

judiciaires, de conformer sa propre interprétation du Pacte à celle du Comité, elle estime

devoir accorder une grande considération à l’interprétation adoptée par cet organe

indépendant, spécialement établi en vue de superviser l’application de ce traité. Il en va de

la nécessaire clarté et de l’indispensable cohérence du droit international ; il en va aussi de

la sécurité juridique, qui est un droit pour les personnes privées bénéficiaires des droits

garantis comme pour les Etats tenus au respect des obligations conventionnelles. De même,

lorsque la Cour est appelée, comme en l’espèce, à faire application d’un instrument régional

de protection des droits de l’homme, elle doit tenir dûment compte de l’interprétation dudit

instrument adopté par les organes indépendants qui ont été spécialement créés, si tel a

été le cas, en vue de contrôler la bonne application du traité en cause. (…). La Cour note en

outre que l’interprétation, par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour

interaméricaine des droits de l’homme, de l’article premier du protocole no

7 et de l’article 22,

paragraphe 6, respectivement, à la convention (européenne) de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales et de la convention américaine relative aux droits de

l’homme ⎯ dont les dispositions sont proches, en substance, de celles du Pacte et de la

Charte africaine que la Cour applique en la présente espèce ⎯ est en cohérence avec ce qui a

été dit, au paragraphe 65 ci-dessus, à propos de ces dernières dispositions » (§ 66 à 68).

Si la CIJ n’éprouve pas le besoin ici de dire que ces jurisprudences sont pour elles de

« simples faits » - pour la bonne et simple raison que personne n’a prétendu pouvoir les

opposer juridiquement à la Cour -, la réalité est qu’elle ne leur donne pas une valeur égale.

La jurisprudence internationale est préférée à la jurisprudence régionale et, au sein de cette

dernière, la jurisprudence régionale applicable à la situation en cause (africaine) est préférée

à celle qui ne l’est pas (jurisprudence européenne et américaine). Même s’il est difficile dans

ce cas de parler de hiérarchisation, au sens formel ou même matériel du terme, l’ordre de

présentation a son importance. Il permet à la juridiction internationale d’agencer, dans un

certain ordre, les constructions de niveau international et régional.

204. Il est intéressant d’observer que ces solutions peuvent prendre appui, tout aussi bien,

sur une lecture moniste ou dualiste de la primauté du droit international. Dans une approche

253

moniste, le défaut d’opposabilité du droit national et européen, est la conséquence d’une

supériorité accordée au droit international. Dans une approche dualiste, le recours à une

hiérarchie des normes permet d’écarter tout ce qui est étranger à l’ordre juridique

international. Le droit national et, dans une certaine mesure, le droit européen n’étant pas du

droit international, il est normal qu’ils soient exclus de la hiérarchie qui structure le système

juridique international.

§ 2 - L’atrophie des procédés de hiérarchisation formelle

205. Dans une approche formelle, la hiérarchisation des droits permet d’établir un rapport

de validité entre des normes formellement différentes mais composant un même système

juridique. La question se pose donc de l’existence, dans le contexte international, d’une

hiérarchie formelle des normes.

206. A cette interrogation, les spécialistes de droit international public donnent une réponse

globalement négative1. Le droit international ne s’est jamais donné pour ambition de

hiérarchiser l’ensemble des normes qu’il produit en raison de leur habillage formel. Construit

sur un modèle fortement décentralisé où le contentieux se nourrit principalement d’actions en

responsabilité (et non de recours en annulation), le droit international n’a a priori que faire

d’une hiérarchie formelle des normes.

Cette réponse d’ensemble est susceptible de recevoir des explications plus précises selon les

hypothèses envisagées. On en donnera ici trois illustrations principales où la question d’une

hiérarchisation formelle des sources du droit international est malgré tout discutée.

207. La première illustration porte sur la question des rapports entre la coutume

internationale et les accords ou traités internationaux.

Situation - La difficile hiérarchisation formelle des sources du droit international

L’exemple des rapports entre la coutume internationale et le droit interétatique

La question des rapports de hiérarchie entre la coutume internationale et le droit interétatique

ne peut être envisagée autrement que de manière nuancée et complexe. On peut illustrer le

propos à travers une étude publiée en 2010 (G. Teboul, Remarques sur le rang hiérarchique

des conventions inter-étatiques et du droit international coutumier dans l’ordre juridique

international », JDI 2010, 705). Dans la présentation de ce travail, l’auteur indique, en effet,

1 Pour une explication synthétique d’ensemble, voir, avec les nombreuses références citées, P. Daillier, M.

Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8e éd. LGDJ 2009, n° 60.

254

que « Plus que la norme Pacta sunt servanda – coutume se bornant à imposer aux États de

respecter les conventions par lesquelles ils se lient et de les exécuter de bonne foi – c'est la

règle coutumière habilitant les États à conclure des traités qui constitue le fondement de la

validité des accords interétatiques. En conséquence, il est possible de considérer que, dans

l'ordre juridique international, la norme de droit coutumier – se situant, sur le plan

hiérarchique, au-dessus du droit conventionnel produit par les États – n'est pas la règle Pacta

sunt servanda. De manière paradoxale, cette supériorité hiérarchique est compatible avec

l'égalité de principe qui caractérise la relation existant entre traités et coutumes : au regard de

la logique juridique, la notion d'autolimitation permet de donner une explication à ce qui,

prima facie, se présente sous le jour d'une impossibilité logique. Une analyse, fondée sur le

droit international positif, conduit à montrer que, dans certains cas, les traités conclus entre

États sont hiérarchiquement subordonnés à la coutume tant sur le plan formel que sur le plan

matériel. À cet égard, il convient de percevoir, sous un jour nuancé et, en conséquence,

nouveau, la relation hiérarchique existant entre coutumes et traités ».

Si donc, comme le soutient cet auteur, hiérarchisation il y a entre le droit coutumier et les

traités ou accords internationaux, elle n’intervient que « dans certains cas ». Elle n’a pas de

valeur générale absolue en raison, notamment, d’une hiérarchisation possible des règles

coutumières entre elles et de la porosité très grande entre la coutume et le droit interétatique.

208. La deuxième illustration a trait à l’énoncé, dans la Charte des Nations Unies, d’une

règle hiérarchique formelle, qui semble unique en son genre.

Situation - La portée incertaine de la primauté affichée par une norme internationale sur

les autres

L’exemple de l’article 103 de la Charte des Nations Unies (1945)

La Charte des Nations Unies (1945) contient un célèbre article 103 au terme duquel : « En

cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente

Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières

prévaudront ». Les spécialistes de droit international public soulignent le caractère

remarquable de cette disposition qui semble prescrire une supériorité formelle de la Charte

sur tout autre accord international, indépendamment de son contenu, qu’il ait été conclu

avant ou après la Charte, entre les parties à la Charte ou avec des Etats tiers (pour un

commentaire de cet article, voir, avec les nombreuses références citées, J.-M. Thouvenin, in

J.-P. Cot, A. Pellet et M. Forteau (dir.), La Charte des Nations Unies, Economica, 3me éd.

2005, T. II, p. 2133).

Cet énoncé ne permet cependant pas d’offrir une lecture globalement structurée de l’ordre

international. Aucune référence n’y est faite à la coutume. Aucune précision n’est apportée

255

sur les rapports entre la Charte elle-même et les actes qui en sont dérivés (spécialement, pour

les plus importants d’entre eux, les résolutions du Conseil de sécurité qui s’y réfèrent de plus

en plus fréquemment). Nombreuses sont donc les incertitudes qui entourent la signification

et la portée d’une disposition incontestablement originale en droit international.

209. La troisième et dernière illustration intéresse les rapports entre le droit primaire et le

droit dérivé des organisations internationales.

Situation - Les hiérarchies internes aux organisations internationales

L’exemple du contrôle de légalité interne

Toute organisation internationale digne de ce nom forme un système capable de structurer

les rapports entre, notamment, les actes institutifs de l’organisation (un traité fondateur, un

accord de siège, un statut international) et les actes dérivés, c’est-à-dire les actes produits par

l’organisation. Cette structuration doit normalement permettre l’énoncé d’une hiérarchie

interne à l’organisation selon laquelle les actes dérivés doivent se conformer aux règles

procédurales et de fond propres à l’organisation. L’énoncé d’une telle hiérarchie des normes

se heurte néanmoins à une difficulté sérieuse : la mise en œuvre d’un contrôle de légalité

interne. Si l’on excepte le cas particulier du droit européen (voir infra, Section 3), un tel

contrôle n’existe quasiment pas dans la pratique du droit international. Sauf cas particuliers

(notamment s’agissant des règles de droit dérivé définies au sein des organisations

internationales à propos de la fonction publique internationale), le contentieux de

l’annulation est généralement inexistant et si une autorité juridictionnelle, telle que la Cour

internationale de justice, peut parfois être saisie pour avis, sa maigre pratique décisionnelle

en ce domaine montre qu’elle rechigne à remettre en cause directement la validité des actes

dérivés d’une organisation internationale (pour une analyse de ces questions, voir avec les

références citées, P.-M. Dupuy et Y. Kerbrat, Droit international public, Dalloz, 11ème éd.,

2012, spéc. n° 148 et s.). Cette absence de contrôle a un effet très important. Des

contestations sont portées à d’autres niveaux, devant la CJUE, la CEDH et des juridictions

étatiques, relatives à la conformité de mesures européennes ou nationales d’exécution de ces

actes dérivés internationaux au regard notamment de standards internationaux, européens et

nationaux de protection de droits fondamentaux (sur cette dynamique, voir infra, n° xxx nos

développements).

§ 3 - Le développement des procédés de hiérarchisation matérielle

210. Dans une approche matérielle, les procédés de hiérarchisation reposent sur l’existence

de normes impératives. Le juriste s’intéresse alors au contenu, à la substance des normes en

présence pour savoir si elles sont ou non compatibles les unes avec les autres. Qu’en est-il

256

dans le contexte international ? La situation a progressivement évolué sur ce terrain. Si le

droit international public demeure attaché à un principe d’équivalence normative, traduisant

ainsi des rapports entre Etats fondés sur des souverainetés équivalentes, le droit international

positif consacre une place à la primauté de normes impératives (jus cogens).

211. L’un des points de départ de cette évolution remonte à l’adoption de la Convention de

Vienne de 1969 sur le droit des traités.

Situation - L’affirmation de la primauté des normes impératives

L’exemple de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)

La Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) consacre trois dispositions aux

normes impératives de droit international : selon son article 53, intitulé Traités en conflit

avec une norme impérative de droit international (jus cogens), « Est nul tout traité qui, au

moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international

général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international

général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans

son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut

être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même

caractère » ; en vertu de l’article 64 relatif à La survenance d’une nouvelle norme impérative

du droit international général (jus cogens), « Si une nouvelle norme impérative du droit

international général sur- vient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient

nul et prend fin » ; aux termes de l’article 71 ayant trait aux Conséquences de la nullité d’un

traité en conflit avec une norme impérative du droit international général, il est précisé : « 1.

Dans le cas d’un traité qui est nul en vertu de l’article 53, les parties sont tenues : a)

D’éliminer, dans la mesure du possible, les conséquences de tout acte accompli sur la base

d’une disposition qui est en conflit avec la norme impérative du droit international général; et

b) De rendre leurs relations mutuelles conformes à la norme impérative du droit

international général. 2. Dans le cas d’un traité qui devient nul et prend fin en vertu de

l’article 64, la fin du traité : a) Libère les parties de l’obligation de continuer d’exécuter le

traité; b) Ne porte atteinte à aucun droit, aucune obligation, ni aucune situation juridique

des parties, créés par l’exécution du traité avant qu’il ait pris fin; toutefois, ces droits,

obligations ou situations ne peuvent être maintenus par la suite que dans la mesure où leur

maintien n’est pas en soi en conflit avec la nouvelle norme impérative du droit international

général ».

Ces dispositions ont un caractère innovant en droit international public dans la mesure où

une sanction est dorénavant attachée au non-respect des normes impératives de droit

international : la nullité des traités contraires (voir notamment, les explications proposées par

257

P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8e éd. LGDJ 2009, n° 125 et s.).

Même si l’identification de ces normes impératives (leur forme, leur contenu) est

controversée, l’énoncé nouveau proposé par la Convention de Vienne stimule la discussion

sur le terrain de la hiérarchisation du droit international.

Exemples de règles impératives dégagées par les juridictions internationales

L’évocation de règles impératives de droit international devant les juridictions

internationales n’est pas un phénomène rare. La jurisprudence offre ainsi des exemples où

elle retient cette qualification. Voir pour deux arrêts particulièrement remarqués : TPIY, 10

déc. 1998, Furundzija, § 153 : « Alors que la nature erga omnes dont il vient d’être question

ressortit au domaine de la coercition internationale (au sens large), l’autre trait majeur du

principe interdisant la torture touche à la hiérarchie des règles dans l’ordre normatif

international. En raison de l’importance des valeurs qu’il protège, ce principe est devenu une

norme impérative ou jus cogens, c’est-à-dire une norme qui se situe dans la hiérarchie

internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit

coutumier “ordinaire”. La conséquence la plus manifeste en est que les Etats ne peuvent

déroger à ce principe par le biais de traités internationaux, de coutumes locales ou spéciales

ou même de règles coutumières générales qui n’ont pas la même valeur normative » ; voir

également, CIJ, 3 fév. 2006, Activités armés sur le territoire du Congo, de manière incidente

mais expresse, ce qui est une première pour cette juridiction : § 64 « La Cour commencera

par réaffirmer que « les principes qui sont à la base de la convention [sur le génocide]

sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même

en dehors de tout lien conventionnel » et que la conception ainsi retenue a pour

conséquence « le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la

coopération nécessaire « pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux » (préambule

de la convention) » (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23). Il en résulte que « les droits

et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes »

(Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide

(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil

1996 (II), p. 616, par. 31). La Cour observe toutefois qu’elle a déjà eu l’occasion de

souligner que « l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la

juridiction sont deux choses différentes » (Timor oriental (Portugal c. Aus- tralie),

C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29), et que le seul fait que des droits et obligations erga

omnes seraient en cause dans un différend ne saurait donner compétence à la Cour pour

connaître de ce différend. Il en va de même quant aux rapports entre les normes

impératives du droit international général (jus cogens) et l’établissement de la

258

compétence de la Cour : le fait qu’un différend porte sur le respect d’une norme

possédant un tel caractère, ce qui est assurément le cas de l’interdiction du génocide,

ne saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître. En vertu du

Statut de la Cour, cette compétence est toujours fondée sur le consentement des

parties ».

Ces deux exemples, choisis parmi d’autres, ne doivent pas faire illusion. En particulier, la

Cour internationale de justice demeure extrêmement prudente dans ses références au jus

cogens. Une étude spécialisée (A. Biad, La Cour internationale de justice et le droit

international humanitaire - Une lex specialis revisitée par le juge, Bruylant, 2011) nous

permet d’en prendre la mesure. Ce travail a recensé, dans l’ensemble des affaires

contentieuses et consultatives traitées par la Cour internationale de justice, douze cas

susceptibles d’alimenter une réflexion en droit international humanitaire. L’étude s’interroge

notamment sur « le caractère de jus cogens des principes fondamentaux du jus in bello » (pp.

50 à 59 de l’ouvrage). Elle montre ainsi que la CIJ ne retient pas cette qualification et se

contente d’affirmer l’existence de « principes intransgressibles » ou « d’obligations erga

omnes ». Même si ces qualificatifs ont une incidence en termes de hiérarchisation des

normes de droit international, ils n’ouvrent pas au grand jour - et c’est sans doute à dessein -

la discussion difficile de la suprématie de certaines règles internationales sur les autres.

212. Ces quelques références textuelles et jurisprudentielles au jus cogens ne sont que la

partie visible de l’iceberg. Un processus majeur de hiérarchisation matérielle est à l’œuvre

dans le domaine des droits fondamentaux. L’ordre international, pas plus que les ordres

internes et les ordres européens, n’échappe au phénomène. Mais il a sa spécificité. La

hiérarchisation matérielle s’est d’abord considérablement développée en raison de la

multiplication des instances internationales et régionales susceptibles de traiter directement ou

indirectement de la protection des droits de l’homme1. Cette évolution a ouvert une réflexion

doctrinale mondiale sur la constitutionnalisation du droit international.

Situation - La constitutionnalisation du droit international en débat

Exemples de travaux sur le sujet

Sans prétendre à l’exhaustivité, on signalera quatre ouvrages publiés relativement récemment

et traitant, notamment, du thème de la constitutionnalisation du droit international : L.

Klabbers, A. Peters, G. Ulfstein, The Constitutionalization of International Law, Oxford

1 Sur le phénomène de hiérarchisation des droits de l’homme, voir, avec les nombreuses références citées,

l’analyse proposée par P.-M. Dupuy et Y. Kerbrat, Droit international public, Dalloz, 11ème éd., 2012, spéc. n°

227.

259

University Press, 2009 ; H. Ruiz Fabri Et M. Rosenfeld (dir.), Repenser le

constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, Ed. Société de

Législation Comparée, 2011 ; S. Hennette-Vauchez, J.-M. Sorel (dir.), Les droits de

l’homme ont-ils constitutionnalisé le monde ?, Bruylant, 2011 ; E. de Wet, J. Vidmar (ed.),

Hierarchy in International Law - The place of Human Rights, Oxford University Press, 2012.

Ces recherches ne concernent pas toutes immédiatement la question qui nous intéresse ici

d’une hiérarchisation du droit international. Mais il n’est pas inintéressant d’en rendre

compte, même brièvement, pour mesurer les différents aspects de ce sujet difficile et débattu.

Paradoxalement, le premier ouvrage (The Constitutionalization of International Law, préc.)

est celui qui accorde le moins d’importance au processus de hiérarchisation. Il appréhende la

question sous l’angle du pluralisme constitutionnel en éprouvant le système international

dans son aptitude à épouser les formes reconnues du constitutionnalisme (Institutions et

compétences, processus normatif, l’existence d’un pouvoir judiciaire, des membres d’une

communauté soumise à une constitution globale, d’une démocratie qui aurait ici un caractère

dual).

Le deuxième travail (Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la

privatisation, préc.) est divisé en deux parties. La première partie rassemble les contributions

ayant trait à la confrontation de deux phénomènes désignés par les expressions

« constitutionnalisme » et « pluralisme juridique ». La seconde partie explore les

mouvements de « globalisation » et de « privatisation » du droit sur le terrain des droits

fondamentaux (notamment : droit des minorités, religion et droits économiques et sociaux).

Une étude est dédiée au thème qui nous intéresse (J.-M. Sorel, La constitutionnalisation du

droit international : conflits et concurrence des sources du droit ? Fausse querelle et vraies

questions, p. 23) où l’auteur explique, notamment, que si un accord se dessine pour que le

constitutionnalisme soit entendu de manière substantielle et non institutionnelle dans le

contexte international, ce constitutionnalisme n’est pas un outil immédiatement opérationnel

mais plutôt un discours sur le droit (p. 44).

Le troisième travail porte publication des actes d’un important colloque (Les droits de

l’homme ont-ils constitutionnalisé le monde ?, préc.). Il fait une large place au contexte

européen. Mais il contient deux contributions en droit international. Outre l’analyse d’un

auteur proche de celle présentée ci-dessus (J.-M. Sorel, préc.), on trouve une étude sur le

paradigme de la constitutionnalisation vu du droit international (O. de Frouville, p. 193) où

l’auteur fonde l’existence d’une constitution en droit international sur l’existence d’un droit

et où il défend une vision résolument moniste du droit international (avec prédominance de

ce dernier).

260

Le dernier ouvrage fait une large place aux droits de l’homme, comme outil de

hiérarchisation d’une multitude de branches spécialisées du droit international (Hierarchy in

International Law - The place of Human Rights, préc.). Une étude néanmoins est consacrée

au thème général du conflit de normes et de la hiérarchie en droit international (J. Vidmar, p.

13). L’auteur y propose une photographie classique mais très complète des différentes

questions de hiérarchisation que se présentent dans l’ordre international et qui mettent en

scène la protection de droits fondamentaux.

Tous ces travaux mobilisent des discussions importantes, notamment en théorie du droit.

L’évocation essentiellement matérielle d’une constitutionnalisation du droit international (et

au demeurant du droit en général) par le canal des droits fondamentaux est l’occasion de

réactiver le débat sur les fondements du droit, c’est-à-dire ni plus ni moins sur sa définition.

Pour une approche compréhensive du phénomène, voir M. Delmas-Marty, Les forces

imaginantes du droit, T4. Vers une communauté de valeurs ? : Seuil 2011. Pour un examen

critique, voir, par exemple, P. Brunet, La constitutionnalisation des valeurs par le droit, in S.

Hennette-Vauchez, J.-M. Sorel (dir.), Les droits de l’homme ont-ils constitutionnalisé le

monde ?, préc., p. 257.

261

Section 3 – La hiérarchisation des droits dans le contexte européen : le cas de l’Union

européenne

213. Dans le contexte européen, l’Union européenne dispose d’une structure juridique

qu’aucun autre système juridique international, régional ou national au monde ne connaît.

Cette structure, dans son état actuel de concrétisation, est un entre-deux, à mi-chemin d’une

organisation internationale et d’un Etat fédéral.

Cette position intermédiaire a nécessairement une répercussion importante sur le processus de

hiérarchisation des droits. Ce dernier emprunte, en effet, deux canaux : celui d’une intégration

hiérarchique §1) et celui d’une hiérarchie interne (§2).

§ 1 - Une intégration hiérarchique

214. L’amorce puis le développement du processus européen d’intégration juridique se sont

faits par l’affirmation d’une primauté protéiforme du droit de l’Union européenne sur le droit

national des Etats membres (A). Même si elle ne s’exerce pas directement sur le droit

international, cette primauté du droit européen sur le droit national n’est pas sans influence

sur les rapports entre le droit européen et le droit international (B).

A- La primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national des Etats membres

1/ la primauté par la supériorité

215. La primauté renvoie traditionnellement à une idée de supériorité. Dans son rapport à

l’ordre interne, elle est synonyme de supranationalité. La norme supranationale prime parce

que dans l’hypothèse d’une incompatibilité avec une norme interne, elle a vocation à

l’emporter.

Cette supranationalité prend une tournure assez particulière dans le contexte du droit de

l’Union européenne. La primauté du droit européen ne se résume pas à un simple alignement

vertical où la norme européenne serait placée au-dessus de la norme nationale. Elle a une

signification plus complexe. Dès le début de la construction européenne, la primauté a

impliqué une imbricaton hiérarchique entre l’ordre juridique européen et les ordres juridiques

nationaux. Or, cette forme de hiérarchie entre ordres juridiques n’est concevable, au premier

degré, que si l’ordre européen existe en tant que tel, aux côtés des ordres nationaux. C’est

donc dans l’affirmation d’un ordre juridique nouveau, intégré aux ordres juridiques nationaux,

immédiat et effectif, que le principe de primauté a pris corps.

262

Situation - L’affirmation d’un ordre juridique nouveau intégré

Les célèbres jurisprudences Van Gend & Loos et Costa c. Enel de la CJCE

L’expression « ordre juridique nouveau intégré » présente un caractère insécable dans le

vocabulaire juridique européen. Elle forme un tout indissociable où la nouveauté de l’ordre

juridique est inséparable de son caractère intégré. Cette formule, nous la devons à l’audace

d’un juge. C’est ainsi que l’on peut lire dans les premiers grands arrêts de la Cour de justice

des Communautés européennes : « Que la Communauté constitue un nouvel ordre juridique

de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines

restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres

mais également leurs ressortissants. » (CJCE, 5 févr. 1963, Van Gend & Loos, aff. 26/62) ; «

Qu’à la différence des Traités internationaux ordinaires, le Traité de la CEE a institué un

ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en

vigueur du Traité et qui s’impose à leurs juridictions. » (CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ Enel,

aff. 6/64).

Les termes choisis sont extraordinairement forts. Le droit de la Communauté économique

européenne de l’époque est, selon la juridiction européenne, le résultat d’une « limitation »

des souverainetés nationales, et non la simple expression de ces souverainetés. Il a pour

« sujets non seulement les États membres mais également leurs ressortissants ». Les États se

trouvent ainsi placés « au même niveau » que les peuples alors qu’en droit international, ils

sont généralement considérés comme les seuls sujets juridiques véritables. Il s’agit bien ici

« d’un ordre juridique propre (ou nouveau), intégré », c’est-à-dire qui « s’impose aux

juridictions nationales » sans qu’une intervention étatique soit a priori nécessaire.

La place du principe de primauté dans les textes en vigueur

Le principe de primauté figurait en bonne place dans le Traité de Rome établissant une

Constitution pour l’Europe (art. I-6 Const. europ. « La Constitution et le droit adopté par les

institutions de l’Union, dans l’exercice des compétences qui lui sont attribuées ont la

primauté sur le droit des États membres », non entré en vigueur). Les négociateurs du Traité

de Lisbonne (2009) ont manifestement préféré opter pour une solution de compromis. On

peut lire dans la déclaration no 17 : « La Conférence rappelle que, selon une jurisprudence

constante de la Cour de justice de l'Union européenne, les traités et le droit adopté par

l'Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions

définies par ladite jurisprudence. En outre, la Conférence a décidé d'annexer un avis du

Service juridique du Conseil du 22 juin 2007 (11197/07, JUR 260) où il est précisé : « Il

découle de la jurisprudence de la Cour de justice que la primauté du droit communautaire est

un principe fondamental dudit droit. Selon la Cour, ce principe est inhérent à la nature

particulière de la Communauté européenne. À l'époque du premier arrêt de cette

263

jurisprudence constante (arrêt du 15 juillet 1964 rendu dans l'affaire 6/64, Costa contre

ENEL), la primauté n'était pas mentionnée dans le traité. Tel est toujours le cas actuellement.

Le fait que le principe de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien

l'existence de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice ».

216. Pour traduire cette double exigence de nouveauté et d’intégration, il a fallu faire en

sorte qu’un rapport d’application immédiate s’instaure entre la règle européenne et ses

destinataires potentiels (institutions européennes et nationales, citoyens européens

notamment).

Situation - Un ordre juridique immédiat

Le non moins important arrêt Simmenthal de la CJCE

L’ordre européen a vocation à s’imposer de lui-même, de manière permanente, sans faire

nécessairement intervenir les ordres juridiques nationaux : « En vertu du principe de la

primauté du droit communautaire, les dispositions du Traité et les actes des institutions

directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États

membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en

vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore – en tant

que ces dispositions et actes font partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique

applicable sur le territoire de chacun des États membres – d’empêcher la formation valable

de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des

normes communautaires. » (CJCE,, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77).

L’application immédiate traduit ainsi la volonté des États européens d’appliquer de manière

uniforme des règles définies en commun, au sein d’institutions européennes propres, règles

dont la finalité est d’atteindre, au-delà des États, les peuples qui les composent. Cependant,

l’immédiateté est plus facile à poser qu’à obtenir effectivement. L’affirmation d’un ordre

juridique nouveau intégré ne peut se satisfaire de simples formules.

217. Pour donner vie au principe de primauté, le droit européen a multiplié les instruments

juridiques. Certes, avec le temps, ces instruments se sont banalisés, de sorte que, pris

isolément, ils ne sont pas toujours révélateurs d’une spécificité européenne. Une chose

subsiste tout de même : leur nombre et leur diversité.

Mais la force du droit européen tient surtout à sa capacité à définir les modalités précises par

lesquelles les institutions (européennes et nationales) et les requérants (privilégiés, comme les

Etats ou les institutions européennes, ou ordinaires, comme un simple particulier) peuvent

264

faire respecter un principe de primauté. Ces solutions peuvent être regroupées sous une

double appellation : l’invocabilité et la justiciabilité du droit européen.

Situation - Retour sur l’invocabilité et la justiciabilité du droit européen

L’exemple remarquable d’une concrétisation européenne du principe de primauté

Le thème de l’invocabilité du droit européen s’inscrit dans le prolongement de la question de

« l’effet direct » et renvoie aux différentes manières dont le droit européen peut être invoqué.

Sans qu’il soit ici utile d’y revenir (sur différentes formes d’invocabilité, voir supra nos

développements, n° xxx), il est intéressant d’observer que le droit européen n’a pas laissé la

question de l’invocabilité de ces normes à la libre appréciation des acteurs nationaux. Il s’est

efforcé au contraire de poser des principes de solutions qui s’imposent à eux.

Le thème de la justiciabilité du droit européen – qui est étroitement lié à celui de

l’invocabilité – contribue également à cette recherche d’effectivité. S’ils veulent invoquer

utilement le droit européen, les justiciables doivent pouvoir s’adresser à un juge. Le droit

européen a donc développé un véritable droit d’accès au juge. Ce droit d’accès a des

implications contraignantes pour le juge national. Ce dernier reçoit le titre de « juge

européen de droit commun » (cette expression, fréquemment utilisée par les spécialistes, a

été employée à deux reprises par la juridiction européenne, à notre connaissance : TPI,

10 juill. 1990, Tetra Pak, aff. T-51/89 ; TPI, 22 déc. 1995, Danielsson, aff. T-219/95(R)) ce

qui implique une application effective et non-moins favorable du droit européen. Par ailleurs,

la résistance opposée par un juge national à l’application effective du droit européen peut

être sanctionnée, soit par un recours devant la juridiction supérieure, soit par un autre juge,

dans une autre affaire ou dans une action visant à mettre en cause la responsabilité de l’État

(CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, aff. C-224/01).

Cette primauté de l’ordre juridique européen n’a pas, pour autant, vocation à faire disparaître

les ordres juridiques nationaux. Au contraire, les deux types d’ordre juridique subsistent et

avec eux une forme irréductible de dualisme.

218. L’affirmation de la primauté du droit européen n’a pas eu pour effet de faire

disparaître totalement la dualité entre l’ordre juridique européen et les ordres juridiques

internes des différents États membres. En tant qu’ordre juridique intégré, le droit européen

aspire à se fondre dans les ordres juridiques nationaux de manière à ce que ses règles y soient

appliquées exactement de la même manière que les règles nationales.

Mais cette aspiration à l’intégration rencontre parfois des obstacles. Il peut s’agir de simples

difficultés de mise en œuvre tenant à la pratique de telle ou telle juridiction nationale ou

265

concernant un type précis de contentieux. Il peut également s’agir de véritables questions de

principe. C’est le cas quand un conflit survient entre une norme européenne et une norme

constitutionnelle nationale. Nous avons déjà rencontré cette hypothèse dans le contexte

national (français en l’occurrence). Qu’en est-il dans le contexte européen ?

Situation - L’hypothèse du conflit entre une norme européenne et une norme

constitutionnelle nationale

Les célèbres arrêts « International Handelsgesellschaft » et « Commission c/ Grand-

Duché » de la CJCE

L’hypothèse d’un conflit entre une norme européenne et une norme constitutionnelle

nationale se présente rarement. Il existe une grande convergence entre les traditions

constitutionnelles nationales et la définition des principes généraux du droit européen (sur ce

phénomène de convergence, v. supra, n° xxx). On peut donc estimer que, le plus souvent, les

textes européens (règlements ou directives par ex.) sont conformes aux règles fondamentales

européennes et notamment aux principes généraux du droit européen, de sorte qu’ils sont

également respectueux des constitutions nationales des États membres. De même, il est assez

difficile d’imaginer le cas où une constitution nationale d’un État membre viendrait

délibérément heurter un principe ou une règle européenne. Très souvent, le contraire se

produit : un État membre modifie sa constitution nationale de manière à la rendre compatible

avec les normes européennes (sur ce scénario en droit français, v. supra, n° xxx). Toutefois,

des cas d’incompatibilité ne sont pas à exclure totalement et l’hypothèse s’est présentée

plusieurs fois.

Face à cette situation, la Cour de justice a eu l’occasion de préciser assez tôt que «

L’invocation d’atteintes à des normes constitutionnelles [nationales] ne saurait affecter la

validité d’un acte de la Communauté ou ses effets sur le territoire de l’État en cause. »

(CJCE, 17 déc. 1970, International Handelsgesellschaft, aff. 11/70). De manière plus

générale encore, elle a considéré que « Le recours à des dispositions d’ordre juridique interne

afin de limiter la portée des dispositions communautaires... ne saurait être admis. » (CJCE,

5 mars 1996, Commission c/ Grand-Duché, aff. C-473/93).

Dans ce rapport vertical de supériorité de l’ordre juridique européen sur l’ordre juridique

national, la Cour de justice considère que la norme nationale constitutionnelle ne doit pas

être traitée différemment des autres normes nationales. Le droit national – fût-il de source

constitutionnelle – est soumis au principe de primauté du droit européen.

Cette pratique décisionnelle de la juridiction européenne doit-elle être rapprochée de celles

que nous avons déjà analysées dans le contexte national (suprématie de la constitution

française sur les traités internationaux, voir supra, n° xxx) et international (refoulement du

266

droit national et éventuellement, européen, voir supra, n° xxx) ? Deux raisons permettent

d’en douter. D’une part, contrairement au contexte national, l’affirmation de la primauté du

droit européen vise ici l’ensemble des normes européennes et non pas seulement celles qui

bénéficieraient d’une suprématie dans l’ordre juridique européen en raison de leur caractère

fondamental. D’autre part, à la différence ce qui peut être observé dans le contexte

international, la Cour de justice n’éprouve pas le besoin de reléguer le droit national à l’état

de « simple fait » : elle ne saurait d’ailleurs s’engager dans cette voie, tant sont nombreuses

les situations où le droit européen confère un véritable rôle juridique au droit national des

Etats membres (sur des exemples de complémentarité organisée entre les deux, voir supra n°

xxx les exemples en matière de transposition des directives et d’encadrement de l’autonomie

procédurale reconnue aux Etats).

2/ La primauté par l’autonomie

219. L’ordre juridique européen se présentant comme un ordre juridique nouveau, distinct

des ordres existants, il a eu besoin de se doter d’une certaine autonomie pour affirmer son

existence propre. Cette recherche d’autonomie est cruciale dans la construction européenne et

participe de l’essence même de la primauté. Pris dans son sens étymologique le plus courant

(du grec, auto nomos, qui se régit par ses propres lois), le terme « autonomie », implique, en

effet, une capacité de l’ordre juridique européen à se doter d’outils propres, nécessaires à sa

réalisation. Ces outils peuvent être institutionnels.

Situation - La primauté synonyme d’autonomie institutionnelle

Le cas de l’Union européenne

L’autonomie institutionnelle de l’Union européenne repose sur la création d’un certain

nombre d’institutions, distinctes de celles existant dans les différents États membres. Il est

certain que le droit européen ne serait pas ce qu’il est devenu sans la Cour de justice, le

Conseil, le Parlement, la Commission, la Banque centrale européenne (etc.). Mais au-delà de

la création d’institutions nouvelles, c’est leur mode de fonctionnement qui importe. Ces

institutions fonctionnent selon des règles prédéfinies, auxquelles les États se soumettent par

anticipation. Dans le cadre de ce fonctionnement institutionnel, l’intervention étatique

demeure exceptionnelle.

La situation varie fortement d’une institution ou d’une procédure à l’autre. Entre le Conseil,

où les États sont tous représentés, et la Cour de justice ou le Parlement, où ils n’apparaissent

pas en tant que tels, la distance est grande. Entre une procédure à l’unanimité et une

procédure à la majorité qualifiée, il existe un écart important, en termes de pouvoir respectif

de chacun des États.

267

Malgré cette hétérogénéité très forte, le fait est que l’Union européenne ne ressemble à

aucune autre organisation internationale. Même s’il est loin d’avoir totalement disparu, le

mode intergouvernemental qui domine dans la plupart des organisations internationales,

occupe une place accessoire dans l’Union européenne. Dans les rapports internes à l’Europe,

les institutions de l’Union disposent d’une capacité à dire et à appliquer le droit avec une

certaine autonomie. Sur la scène internationale, elles sont devenues de véritables acteurs

juridiques, souvent indépendamment des États membres.

220. Les outils d’une autonomisation du droit européen peuvent également être de droit

matériel.

Situation - La primauté synonyme d’autonomie de droit matériel

Le cas de l’Union européenne

L’autonomie du droit européen a également une dimension matérielle. Dans son contenu, sa

substance même, le droit européen cherche à acquérir une certaine autonomie par rapport

aux droits nationaux des différents États membres. Ainsi, par exemple, toutes les grandes

notions juridiques utilisées dans le domaine des libertés économiques (marchandises,

services, travailleurs, capitaux, entreprises) ont été définies de manière autonome par les

textes et la jurisprudence européenne (pour des illustrations de définition autonome, voir

supra, n° xxx).

Cette autonomie – grandement facilitée par le travail d’interprétation de la Cour de justice –

est un gage d’uniformité du droit européen. Or cette uniformité est essentielle au droit

européen. Si, dans son domaine d’application, le droit européen veut pouvoir primer sur les

droits nationaux des États membres, il n’a d’autre possibilité que d’exister par lui-même,

avec un certain degré d’uniformité.

L’autonomie suppose également une définition européenne des effets produits par la norme

européenne. Nous retrouvons ici la fameuse question de « l’invocabilité du droit européen »

que nous avons déjà envisagée (v. supra, n° xxx). La maîtrise par le droit européen de la

définition des effets produits par ses règles est une donnée essentielle de son autonomie et

donc de sa primauté. Une disposition du Traité, d’une source externe, d’un règlement, d’une

directive, d’une décision doit être dotée de la même force juridique dans tous les États

membres. Le droit européen s’affranchit de la sorte des particularismes nationaux. Son

efficacité matérielle n’en est que plus grande.

3/ La primauté par la loyauté

221. La primauté du droit européen sur le droit national s’exerce également au travers d’un

principe de loyauté. Dénommé de différentes manières (fidélité, solidarité, coopération

268

loyale), ce principe constitue un élément central de la construction européenne. Dans une

conception « commune » du droit européen, il livre une véritable philosophie des rapports

entre l’Union européenne et les États membres.

Parfois obérée sur le terrain politique, la loyauté n’a cessé de se développer sur le plan

juridique et de gagner ainsi en positivité.

Situation - La loyauté est synonyme de primauté

Evolution de la jurisprudence et des textes

Longtemps, la loyauté a été perçue comme l’expression aussi générale que floue de

l’obligation pour les États membres de prendre toutes les mesures nécessaires, utiles à

l’efficacité du droit européen et de s’abstenir de toute action de nature à mettre en péril les

objectifs communs. La disposition du Traité (ancien art. 10 CE) qui visait le principe de la

manière la plus directe n’était d’ailleurs jamais appliquée seule, le juge préférant la combiner

avec d’autres textes, plus précis et plus opérationnels.

Les choses ont progressivement évolué. La Cour de justice a commencé par déduire de cette

disposition un certain nombre d’obligations pour les États membres. La loyauté a acquis une

force propre, assimilable à celle d’un principe général. Cette évolution, très importante, a

permis à la Cour de justice de considérer, par exemple, que : «Lorsqu’une réglementation

communautaire ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas de

violation ou renvoie sur ce point aux dispositions législatives, réglementaires et

administratives nationales, l’article 5 [devenu art. 10] du Traité impose aux États membres

de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit

communautaire » (CJCE, 21 sept. 1989, Commission c/ Grèce, aff. 68/88). Sa portée s’est

également accrue. Cantonnée à l’origine à une dimension exclusivement verticale et

unilatérale, elle était exclusivement invoquée pour contraindre les États à respecter l’action

des institutions européennes. Elle s’est bilatéralisée, imposant à l’Union européenne d’être

loyale envers les États membres : « (...) la Commission, qui, en vertu de son devoir de

coopération loyale avec les autorités judiciaires des États membres chargées de veiller à

l’application et au respect du droit communautaire dans l’ordre juridique national, leur

communiquera les données économiques et juridiques qui leur sont nécessaires pour trancher

le litige dont elles sont saisies et qu’elle est en mesure de leur fournir » (CJCE,

28 févr. 1991, Delimitis, aff. C-234/89).

Cette double ampleur donnée par la jurisprudence au principe de loyauté a inspiré les

rédacteurs du Traité de Lisbonne (2009). Le principe de « coopération loyale » y est

269

expressément désigné, il implique une assistance mutuelle des Etats et de l’Union et il est

doublé d’une obligation pour l’Union de respecter l’égalité des Etats membres (art. 4 TUE).

B - La primauté du droit de l’Union européenne et le droit international

222. Compris comme un outil d’intégration juridique, le principe de primauté du droit de

l’Union européenne n’a jamais été conçu pour définir, de manière générale, un rapport de

hiérarchie entre le droit international et le droit européen. Personne ne songe à dire, par

exemple, que le droit européen est, en vertu du principe de primauté, supérieur au droit

international. On peut même affirmer sans hésiter que les textes et la jurisprudence s’efforcent

de rappeler le respect dû au droit international.

Situation - L’affirmation du respect dû au droit international

Exemples dans les traités européens

Le TUE et TFUE multiplient les références au droit international. Sans prétendre à

l’exhaustivité, voici quelques-unes des formules que l’on peut lire dans les traités : « Dans

ses relations avec le reste du monde, l'Union (…) contribue (…) au strict respect et au

développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des

Nations unies » (art. 3.5 TUE) ; « L'action de l'Union sur la scène internationale repose

sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son

élargissement et qu'elle vise à promouvoir dans le reste du monde : (…) le respect des

principes de la charte des Nations unies et du droit international » (art. 21 §1 TUE) ; « Le

présent article n'affecte pas la compétence des États membres concernant la délimitation

géographique de leurs frontières, conformément au droit international » (77 §4 TFUE).

Exemples dans la jurisprudence de la CJCE et CJUE

La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes puis de l’Union

européenne offre des marques d’inclinaison du juge européen à l’égard du droit international.

Ainsi par exemple, la formule « respect du droit international » est régulièrement utilisée par

la Cour de justice depuis 1992 (CJCE, 24 nov. 1992, Poulsen et Diva Navigation, aff. C-

286/90). Voici quelques morceaux choisis : « les compétences de la Communauté doivent

être exercées dans le respect du droit international » (CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-

162/96 ; même formule in CJCE, 3 juin 2008, Intertanko, aff. C-308/06 ; « La réserve selon

laquelle il y a lieu de respecter le droit de l’Union ne porte pas atteinte au principe de droit

international (…) selon lequel les États membres sont compétents pour définir les conditions

d’acquisition et de perte de la nationalité » (CJUE, 2 mars 2010, Rottmann, aff. C-135/08).

223. Si le principe de primauté du droit de l’Union européenne sur le droit des Etats

270

membres n’intéresse donc pas directement les rapports entre le droit européen et le droit

international, cela ne veut pas dire qu’il n’a pas eu de répercussion sur eux. C’est même sans

doute le contraire qui peut être observé.

D’un point de vue historique, le principe de primauté a permis, ni plus ni moins, au droit

européen d’exister en propre, de manière autonome par rapport aux ordres juridiques

nationaux qui ont présidé à sa création. L’affirmation de l’existence d’un système juridique

supérieur et autonome s’est traduite dans l’ordre international par l’émergence d’un nouvel

acteur. L’Union européenne existe sur la scène internationale au terme du processus

d’intégration hiérarchique qui l’a vu naître.

224. De manière plus actuelle, le principe de primauté exerce une double influence sur le

droit international. Dans les relations internes à l’Union européenne, le principe de primauté a

justifié un traitement différencié de la norme internationale. Dans les relations externes à

l’Union européenne, les rapports de hiérarchie entre l’Union européenne et ses Etats membres

sont parfaitement perceptibles sur la scène internationale. Ils offrent même une grille de

lecture particulièrement instructive sur l’état, à géométrie variable, du processus d’intégration

hiérarchique. Cette double influence ne peut être véritablement appréhendée qu’au terme

d’une approche dynamique de la hiérarchisation. Nous la retrouverons donc un peu plus tard1.

§ 2 - Une hiérarchie interne

225. En droit de l’Union européenne, la hiérarchisation des droits ne se limite pas à

l’énoncé d’un principe de primauté. L’Union européenne s’est attachée, en effet, à poser les

éléments d’une hiérarchie d’ensemble (A) qui contribue, quoiqu’imparfaitement, à

l’affirmation du système juridique européen (B).

A - Les éléments d’une hiérarchie d’ensemble

1/ La hiérarchie entre le droit primaire et le droit dérivé

226. Le droit primaire est formé des différents Traités (ainsi que les protocoles et

déclarations annexes) qui ont donné naissance aux Communautés européennes (1951 et 1957

puis à l’Union européenne (1992), de ceux qui ont modifié les textes fondateurs (en dernier

lieu : Traité de Lisbonne de 2009) et de ceux, enfin, qui sont relatifs à l’adhésion de nouveaux

États membres. Le droit dérivé (appelé aussi « droit secondaire ») regroupe, dans une

1 Voir infra, Chapitre 2

271

définition étroite, la plus communément admise, les différents actes unilatéraux adoptés par

les institutions européennes sur la base des Traités (par ex., selon l’art. 288 TFUE, les

règlements, directives et décisions).

Les rapports entre les sources de droit primaire et de droit dérivé sont soumis au principe de

hiérarchie suivant : le Traité sur l’Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de

l’Union européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (dans la

limite du domaine d’application du droit de l’UE) priment de manière générale sur les

règlements, directives et décisions, etc. Deux raisons fondent cette hiérarchie. La première

raison est tirée du droit international. Un Traité en vigueur ne peut être révisé que par un

nouveau Traité liant l’ensemble des États parties. Dans le contexte du droit de l’Union

européenne, cette règle exclut la possibilité de faire intervenir une révision du droit primaire

par la voie d’un règlement ou d’une directive. La seconde raison est spécifique à l’architecture

institutionnelle européenne. En créant les Communautés puis l’Union, en les dotant d’organes

agissant selon des règles de compétence et une nomenclature prédéfinie, les États ont conféré

au droit primaire une « dimension-cadre ». Cette aptitude du droit primaire à encadrer l’action

européenne se traduit, concrètement, par la nécessité, pour le droit dérivé, de respecter les

Traités et de ne pas les contredire.

Situation - La soumission du droit dérivé au droit primaire

Exemples jurisprudentiels tirés du contentieux sur la base juridique

La soumission du droit dérivé au droit primaire implique que le droit dérivé trouve sa base

juridique dans le droit primaire. Différentes procédures (art. 263, 265 et 266 TFUE) sont

aménagées pour permettre un contrôle par la Cour de justice de l’Union européenne.

Le contentieux sur la base juridique est régulièrement alimenté. Rares sont néanmoins les

hypothèses où la juridiction de l’Union européenne reconnaît un défaut de base juridique.

Voir, à titre d’illustration, sur l’appréciation de la validité d’une directive « tabac » : CJCE,

10 déc. 2002, BAT, aff. C-491/01 ; comparer pour une directive « temps de travail » : CJCE,

9 sept. 2004, Espagne et Finlande c/ Parlement et Conseil, aff. jtes C-184/02 et C-223/02 ;

voir, également, pour un règlement intervenu en matière de téléphonie mobile : CJUE, 8 juin

2010, Voldafone, aff. C-58/08.

Un principe d’interprétation conforme du droit dérivé à la lumière du droit primaire

La soumission du droit dérivé au droit primaire a amené la Cour de justice à développer ce

que l’on pourrait appeler un principe d’interprétation conforme du droit dérivé à la lumière

du droit primaire. On peut en donner une illustration dans une affaire préjudicielle posant

272

une question d’interprétation d’une norme de droit dérivé (directive) intervenue pour

accompagner la réalisation du marché intérieur (CJCE, 4 oct. 2007, Schutzverband der

Spirituosen-Industrie, aff. C-457/05) où il est dit que « selon une jurisprudence constante, un

texte du droit communautaire dérivé doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le

sens de sa conformité avec les dispositions du traité CE et les principes généraux du droit

communautaire (arrêts du 13 décembre 1983, Commission/Conseil, 218/82, Rec. p. 4063,

point 15; du 25 novembre 1986, Klensch e.a., 201/85 et 202/85, Rec. p. 3477, point 21; du

21 mars 1991, Rauh, C-314/89, Rec. p. I-1647, point 17; du 27 janvier 1994, Herbrink,

C-98/91, Rec. p. I-223, point 9, et Borgmann, précité, point 30) ». Cette recherche de

conciliation n’est pas absolue. Elle doit être menée « dans la mesure du possible » de sorte

que, si contradiction il y a entre le texte de droit primaire et le droit dérivé, ce dernier doit

être écarté. Quand elle possible, cette interprétation conforme est la traduction d’une

soumission du droit dérivé au droit primaire.

2/ La hiérarchie entre les différentes normes de droit dérivé

227. Le principal élément de hiérarchie entre les différentes normes de droit dérivé s’appuie

sur une distinction entre les règles de base, dites de premier niveau, et les règles d’exécution,

dites de second niveau. Cette distinction classique joue un rôle important dans la production

normative de l’Union européenne. Elle permet, en effet, de faire le partage entre le droit

dérivé élaboré selon les procédures, souvent lourdes, définies par les Traités, et le droit dérivé

conçu en application de procédures arrêtées par d’autres dispositions de droit dérivé, plus

légères en règle générale. Deux droits dérivés coexistent : l’un, général, directement basé sur

le droit primaire et l’autre, plus spécialisé, fondé sur d’autres dispositions de droit dérivé.

Ce double niveau de droit dérivé – général et d’exécution – que s’efforce d’expliciter le traité

en vigueur (art. 289 à 291 TFUE), conduit à une hiérarchisation. Les dispositions d’exécution

doivent être conformes aux dispositions générales qui leur servent de fondement, faute de

quoi leur validité peut être contestée. Mais la hiérarchisation est essentiellement matérielle,

les tentatives de hiérarchisation formelle ayant globalement échoué.

Situation - Comment hiérarchiser le droit dérivé européen ?

Exemples de hiérarchisation matérielle

Le droit dérivé n’est pas globalement agencé selon une structuration formelle où les textes de

bases seraient réservés à telle forme d’actes et les textes d’exécution à une autre. Il est

parfaitement possible en droit de l’Union européenne qu’un règlement porte application d’un

autre règlement ou même qu’un règlement porte application d’une directive (V. par ex. en

273

droit de la concurrence : le Règlement (CE) no 773/2004 de la Commission du 7 avril 2004

relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82

du Traité CE (nouvels art. 101 et 102 TFUE), pris en application du Règlement (CE)

no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de

concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité (idem) ; voir également pour un exemple

de règlement portant application d’une directive : Règlement (CE) no 2273/2003 de la

Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la

Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les dérogations

prévues pour les programmes de rachat et la stabilisation d’instruments financiers). La

hiérarchisation n’est pas formelle (CJCE, 17 déc. 1970, Köster, aff. 25/70). Elle est fonction

du contenu, de la substance de la norme, non de son enveloppe. C’est donc par ce biais

matériel qu’est contrôlée la légalité des textes d’exécution par rapport aux textes de base

(voir, par exemple, CJCE, 10 mars 1971, Deutsche Tradax, aff. 38/70 ; voir également, entre

autres exemples, utilisant l’expression « hiérarchie des normes » : CJUE, 26 juin 2012,

Pologne c. Commission, aff. C-335/09 P).

Une tentative avortée de hiérarchisation formelle

Le Traité de Rome établissant une Constitution pour l’Europe (2004, non entré en vigueur)

s’était efforcé d’établir une distinction entre la « loi », acte législatif, et le « règlement » acte

non législatif. Ces appellations ne sont pas absolument nouvelles dans le contexte européen.

La Cour de justice a eu l’occasion par le passé de les emprunter (voir, en particulier : CJCE,

17 déc. 1970, Köster, aff. 25/70 ; CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77). Néanmoins,

il n’est pas sûr que leur emploi soit juridiquement pertinent, dès lors que ledit Traité, tout

comme les précédents, ne pose pas de véritable séparation organique des pouvoirs législatifs

et réglementaires.

Le Traité de Lisbonne (2009) n’a pas retenu cette distinction formelle entre la « loi » et le

« règlement ». Il conforte cependant une opposition entre les procédures et les actes dits

« législatifs » et ceux « non législatifs ». Il n’est pas certain néanmoins que ce découpage

soit de nature à imposer une hiérarchisation formelle des normes de droit dérivé.

3/ La place des sources internationales dans le système juridique de l’Union européenne

228. Pour définir la place des sources internationales au sein de l’ordre juridique européen,

la doctrine, les traités ou la jurisprudence distinguent de manière assez classique la coutume

internationale, les actes des organisations internationales, et les accords internationaux (y

compris, dans ce dernier cas, les conventions européennes du Conseil de l’Europe). Pour les

accords internationaux, la distinction est encore faite entre les accords internes à l’Union

européenne et les accords externes. Enfin, pour les accords internationaux externes, la

274

distinction est opérée entre les accords externes conclus avant l’entrée en vigueur des traités

européens (ou avant l’adhésion d’un nouveau membre) et les accords externes conclus

postérieurement. Toutes ces distinctions sont importantes. Les règles et mécanismes d’accueil

des sources externes ne sont bien souvent pas les mêmes selon la source internationale

considérée.

Si l’on reste sur un terrain strictement hiérarchique, on peut dire que deux solutions

relativement claires se dégagent en droit positif.

229. Une première solution commande la soumission des traités internationaux liant l’UE

aux traités institutifs européens.

Situation - Soumission des traités internationaux liant l’UE aux traités institutifs

européens

Exemples dans le contentieux européen

La soumission des traités liant l’UE aux traités institutifs européens se manifeste dans le

contentieux (lato sensu) européen par deux voies principales.

La légalité de l’acte européen (défaut de base juridique, par exemple) par lequel la norme

internationale a été conclue par l’Union européenne (règlement ou décision) peut être

contestée au terme d’un recours en annulation porté devant la Cour de justice (voir pour la

première décision rendue en ce sens : CJCE, 9 août 1994, France c/ Commission,

aff. 327/91 ; comp., CJCE, 11 sept. 2003, Commission c/ Conseil, aff. C-211/01).

Mais une voie existe, préventive celle-là. Pour éviter ce type de conflits, une procédure de

saisine pour avis est organisée, en effet, par le traité (art. 218 § 11 TFUE). La plupart des

avis rendus par la Cour de justice sont importants. La soumission des traités internationaux

au droit primaire joue, en effet, un rôle essentiel dans le discours de la Cour de justice sur la

construction européenne, puisqu’elle révèle la dimension fondamentale des Traités

européens. Ces derniers ont, dans l’ordre juridique européen, une valeur suprême qu’aucun

Traité international ne peut - en principe - remettre directement en cause. Par distinction – la

norme internationale est clairement distinguée de la norme européenne – et hiérarchisation –

la norme européenne primaire est placée au-dessus de la norme internationale – les sources

internationales ont incontestablement permis aux traités fondateurs d’acquérir une portée

comparable à celle que l’on reconnaît aux constitutions nationales. C’est ainsi, par exemple,

que la CJCE n’a pas craint d’affirmer dans un avis remarqué que : « Le Traité CEE, bien que

conclu sous la forme d’un accord international, n’en constitue pas moins la charte

constitutionnelle d’une communauté de droit. » (CJCE, 14 déc. 1991, Avis 1/91, à propos de

l’accord sur l’Espace économique européen).

275

230. Selon une seconde règle hiérarchique, la validité du droit dérivé européen peut être

contestée (dans une certaine mesure) à la lumière des traités liant l’UE et des règles

coutumières internationales.

Situation - Soumission du droit dérivé européen aux traités liant l’UE et à la coutume

internationale

Un exemple jurisprudentiel remarqué : l’arrêt « ATAA ea » de la CJUE

Un arrêt relativement récent de la Cour de justice de l’Union européenne illustre

magistralement l’hypothèse d’une soumission du droit dérivé européen à des traités liant

l’UE et au droit coutumier international (CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10). Cette

décision, de Grande chambre, met en scène, chose rare, un renvoi préjudiciel en validité,

auquel a procédé la High Court of Justice (England & Wales), dans un différend opposant

Air Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc. et

United Airlines Inc. (ci-après, ensemble, «ATAA e.a. ») au Secretary of State for Energy and

Climate Change, au sujet de la validité des mesures de mise en œuvre d’une directive

européenne adoptées par le Royaume-Uni. Le thème de la soumission du droit dérivé

européen aux traités liant l’UE y est notamment traité. Il s’est agi, en effet, pour la Cour de

justice d’identifier, avec une très grande précision, « parmi les principes et les dispositions

du droit mentionnés par la juridiction de renvoi » (…) ceux, qui « peuvent être invoqués,

dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal et aux fins de l’appréciation

de la validité » d’une directive européenne (Directive 2008/101/CE du Parlement européen

et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’intégrer les

activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à

effet de serre, arrêt, point 45). Répondant à l’interrogation, la Cour de justice a estimé que

seuls pouvaient être appliqués, au titre de différents contrôles (contrôle restreint pour les

principes de droit coutumier et contrôle plein pour les obligations conventionnelles) : « le

principe selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son

propre espace aérien ; le principe selon lequel aucun État ne peut légitimement prétendre

soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté, et le principe qui garantit

la liberté de survol de la haute mer » ainsi que les articles 7 et 11, paragraphes 1 et 2, sous c),

de l’accord «ciel ouvert » (…) conclu entre la Communauté européenne et les Etats-Unis

(2007, modifier 2010) et l’article 15, paragraphe 3, dudit accord, lu en combinaison avec les

articles 2 et 3, paragraphe 4, de celui-ci » (arrêt, point 111). N’ont, en revanche, pas été

retenu dans ce cadre juridique de référence, la Convention de Chicago relative à l’aviation

civile internationale (1944), le Protocole de Kyoto (1997) à la convention-cadre des Nations

Unies sur les changements climatiques et l’existence d’un principe du droit international

276

coutumier selon lequel un navire qui se trouve en haute mer est en principe soumis

exclusivement à la loi de son pavillon s’appliquerait par analogie aux aéronefs survolant la

haute mer. Une fois, ce cadre défini, la Cour de justice conclut que « l’examen de la directive

2008/101 n’a pas révélé d’éléments de nature à affecter sa validité » (arrêt, point 157)

En dehors de ces deux solutions précises, les choses sont plus incertaines.

B - Les apports et les limites d’une approche hiérarchique en droit de l’Union européenne

231. Le droit de l’Union européenne ne peut aspirer à constituer un système juridique que

s’il est à même d’établir sa propre hiérarchie des normes.

Deux considérations, l’une générale et l’autre plus spécifique aux organisations

internationales, permettent de s’en convaincre. La première tient au principe de légalité,

entendu au sens le plus large (le terme « loi » étant compris dans son acception générique). Il

est difficile d’imaginer qu’un ordre complexe, composé de plusieurs types de normes, puisse

exister sans que soit rendu effectif le contrôle de la légalité des actes qu’il produit. Or, ce

respect passe nécessairement par une construction hiérarchique qui permet d’étalonner la

validité formelle et matérielle des normes les unes par rapport aux autres. C’est dans cette

perspective qu’une supériorité hiérarchique a été reconnue au droit primaire dans ses rapports

au droit dérivé et aux sources externes.

La seconde considération est propre aux organisations internationales. Elle tient au fait que

l’Union européenne ne dispose que d’une compétence d’attribution. À la grande différence

des États, dont la compétence est, par principe, générale, les organisations européennes ne

peuvent adopter des normes que dans la limite des compétences qui leur ont été reconnues. La

hiérarchie des normes permet de contrôler cette limitation de compétence. Les Traités

définissent des règles de compétences dont la violation est une cause d’invalidation des actes

qui sont placés sous leur autorité.

232. Pour importante qu’elle soit, l’approche hiérarchique des normes européennes connaît

cependant deux grandes limites, spécifiques à l’espace européen.

La première concerne le droit dérivé, pour lequel il n’existe pas, à proprement parler, de

hiérarchisation formelle. Aucun ordre n’est établi, nous l’avons vu1, entre les règlements et les

directives ou entre les décisions du Conseil et celles de la Commission. De même, il est

1 Voir supra, n° xxx.

277

impossible d’affirmer que, par définition, les décisions sont toujours soumises à l’autorité des

directives ou des règlements. Parce que l’Union européenne ou, avant elle, les différentes

Communautés se distinguent du modèle étatique, il est difficile de dissocier les pouvoirs

exercés au sein des nombreux organes institutionnels européens en distinguant, par exemple,

le pouvoir législatif du pouvoir réglementaire. Il en résulte une impossibilité de hiérarchiser

formellement les différentes normes de droit dérivé.

La seconde limite concerne les sources externes. L’affirmation selon laquelle les Traités

européens ont une valeur supérieure aux instruments internationaux qui lient l’Union

européenne résiste difficilement à l’analyse. Les Traités européens ne sauraient, en toutes

circonstances, être placés au-dessus des normes internationales. Certains accords

internationaux ont préexisté à la signature des Traités européens, de sorte qu’ils ne peuvent

être purement et simplement ignorés1. Des normes fondamentales, communément admises par

la société internationale, ont une valeur supérieure que la construction européenne peut

difficilement ignorer ou malmener2. Enfin, le principe de hiérarchie des normes ne peut

déployer ses effets de manière égale selon que la situation en cause intéresse des rapports

strictement internes à l’espace européen ou des rapports externes. Dans les rapports externes,

la hiérarchie des normes européennes a une signification et une portée différentes que dans les

rapports internes. C’est ce phénomène qu’il nous faut observer à présent par une approche

dynamique de la hiérarchisation des droits.

1 V. par ex., art. 351 TFUE.

2 Voir, à titre d’illustrations, les « corrections » apportées par la Cour de justice au Tribunal de l’UE , s’agissant

du maniement de la coutume internationale (TPI, 27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94, fermement

condamné par : CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-162/96.) et du jus cogens (voir TPI, 21 sept. 2005, Yusuf,

aff. T-306/01, censuré par : CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05). Pour une

analyse de ces deux séquences jurisprudentielles, voir infra, n° xxx.

278

CHAPITRE 2 – LA HIERARCHISATION DES DROITS ET L’APPLICATION

DU DROIT A DIFFERENTS NIVEAUX

233. Le processus de hiérarchisation des droits ne peut être seulement considéré de manière

cloisonnée dans un contexte national, international ou européen. Il a également une dimension

plus vaste où l’application des méthodes et solutions dégagées en droit national, international

ou européen conduit à des phénomènes d’interaction.

A ce titre, deux scénarios doivent alors être soigneusement distingués. Le premier où le juriste

en appelle à une application du droit à un niveau, ce qui revient, dans un processus de

hiérarchisation, à faire potentiellement jouer « une hiérarchie des normes » (Section 1). Le

second où le juriste aspire à l’application du droit à un autre niveau où « un droit hiérarchisé »

est appliqué (Section 2).

279

Section 1 - La hiérarchisation par application du droit à un niveau : l’appel à la

hiérarchie des normes

234. Pour résoudre un cas, le juriste est souvent amené à se placer, ne serait-ce que pour

amorcer son raisonnement, à un niveau d’application du droit plutôt qu’un autre : niveau

national (par exemple, l’application du droit dans le contexte français), international (par

exemple, l’application du droit dans le contexte de l’Organisation mondiale du commerce ou

d’un arbitrage commercial international traditionnel), ou européen (par exemple, l’application

du droit dans le contexte de l’Union européenne). Ce positionnement du juriste requiert

parfois une hiérarchisation des droits, laquelle reçoit une signification propre dans un contexte

de pluralisme juridique mondial (§ 1). Il soulève, par ailleurs, la question de la liberté du

juriste dans le choix d’un niveau d’application du droit plutôt que d’un autre (§ 2).

§ 1 - La signification propre de la hiérarchisation des droits dans un contexte de pluralisme

juridique mondial

235. Dans un contexte de pluralisme juridique mondial où plusieurs droits sont susceptibles

de s’appliquer à une situation donnée, le recours, par le juriste, à un raisonnement de type

« hiérarchisation des droits » passe par la référence, parfois explicite, parfois implicite, à une

hiérarchie des normes. Cette dernière peut être analysée comme un outil de repli d’un système

juridique sur lui-même (A) même si ce repli peut emprunter également d’autres voies (B).

A - La hiérarchie des normes comme outil de repli d’un système juridique sur lui-même

236. Comment déterminer, de manière précise, le biais par lequel se manifeste la mise en

œuvre d’une « hiérarchie des normes » dans un contexte de pluralisme juridique mondial ? La

réponse à cette question demeure sensiblement toujours la même, quel que soit le cas de

figure envisagé.

Dans un contexte de pluralisme juridique mondial, l’appel à une « hiérarchie de normes »

permet, en effet, à chaque système juridique un tant soit peu structuré autour d’une hiérarchie,

de se replier sur lui-même. Que le système juridique en cause appartienne au niveau national,

international ou européen, la réponse est invariablement la même. La hiérarchie des normes

est perçue comme un instrument de préservation des systèmes juridiques, chaque fois qu’ils

sont menacés ou, plus modestement, perturbés par la présence d’autres systèmes interférant à

d’autres niveaux que le leur.

237. L’illustration la plus connue de ce phénomène est puisée dans les ordres juridiques

280

nationaux, toutes les fois qu’ils font prévaloir une norme constitutionnelle interne sur toute

autre règle juridique élaborée au niveau international ou européen1.

Situation - Retour sur la suprématie des dispositions nationales de nature constitutionnelle

L’exemple (à nouveau) du droit français : les jurisprudences « Sarran et Levacher »,

« Fraisse », « loi DADVSI »

En France, par exemple, nous avons observé que le juge ordinaire et le juge constitutionnel

se sont prononcés sur le rapport de hiérarchie existant entre la norme constitutionnelle

française et le droit international et européen (voir supra, n° xxx). Usant de formules

identiques, le Conseil d’État (Cons. d’État, ass., 30 oct. 1998, Sarran et Levacher, Req.

nos

200286 et 200287) et la Cour de cassation (Cour de Cour de cassation, Ass. plén., 2 juin

2000, Fraisse, pourvoi nos

99-60274) ont décidé que « la suprématie conférée aux

engagements internationaux par la Constitution (art. 55) ne s’applique pas, dans l’ordre

interne, aux dispositions de valeur constitutionnelle ». Quant au Conseil constitutionnel, il a

notamment décidé, en 2006 (V. notamment, Décision no 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Loi

relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information), à la suite

d’une série de décisions rendues en 2004 (V. notamment, Décision no 2004-496 DC, 10 juin

2004) que « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une

exigence constitutionnelle. Il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les

conditions prévues par l’article 61 de la Constitution d’une loi ayant pour objet de transposer

en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence.

Toutefois, le contrôle qu’il exerce à cet effet est soumis à une (…) limite (…). La

transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe

inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait

consenti ».

La suprématie reconnue à la Constitution nationale ou, plus étroitement définie, à l’identité

constitutionnelle nationale, peut donc conduire, en France, à un refus d’application du droit

international ou européen incompatible. Cette inapplicabilité est plus théorique que pratique.

Des procédures ou des techniques juridiques permettent, en effet, de prévenir (réforme de la

Constitution antérieure à la ratification d’un engagement international ou européen) ou

réduire (travail d’interprétation convergente des juges) l’hypothèse d’un conflit. L’outil

« hiérarchie des normes » n’en est pas moins une possibilité. Il fonde un repliement du

système juridique français sur sa norme fondamentale - ici la norme de dimension

1 Pour une approche fonctionnelle du processus de hiérarchisation des droits dans le contexte interne, voir D.

Burchardt, La hiérarchisation des normes nationales et internationales par les ordres juridiques internes - Une

question fonctionnelle, Les Annales de Droit, PURH, n° 6, 2012, 9.

281

constitutionnelle - chaque fois qu’elle est susceptible d’être menacée par un droit défini à un

autre niveau, international ou européen.

238. Mais des situations comparables peuvent être observées dans un environnement

international ou européen. La démarche y est généralement la suivante. Pour écarter la

possibilité pour un droit de source nationale de remettre en cause les constructions établies

dans l’ordre international ou européen, le droit national est déclaré juridiquement

inopposable. Cette inopposabilité caractérise un repli des systèmes de droit international et de

droit européen sur eux-mêmes. Or ce repli n’est possible que si un outil permet d’identifier ce

qui appartient ou ce qui est étranger aux systèmes de droit international ou de droit européen.

Dans la perspective qui est ici la nôtre de hiérarchisation des droits, cet outil n’est autre

qu’une hiérarchie des normes.

239. Une analyse de ce type peut être conduite dans le contexte international à propos de

l’inopposabilité du droit national dans l’ordre international.

Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit national dans l’ordre international

L’exemple (à nouveau) de la jurisprudence « Traitement des tribunaux nationaux

polonais de Dantzig »

Par une décision remarquée (voir supra, n° xxx), la Cour permanente de justice

internationale (CPJI) a déclaré que « (…) un État ne saurait invoquer vis-à-vis d'un autre État

sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit

international ou les traités en vigueur » (CPJI, 3 mars 1928, Traitement des tribunaux

nationaux polonais de Dantzig, série A/B, n° 44).

Cette solution, régulièrement réaffirmée en droit international public, marque une capacité

du droit international à se replier sur ses propres constructions, en refoulant hors de son

système de solution tout ce qui n’aurait pas reçu une traduction juridique en droit

international (traité ou coutume internationale pour dire les choses simplement). Pour

marquer la frontière entre ce qui relève du système de droit international et ce qui lui est

étranger, la figure de la hiérarchie des normes est utile. La force obligatoire reconnue, dans

l’ordre international, « au droit international et aux traités en vigueur » (pour reprendre la

formule de la Cour) ne peut être contrariée par un droit de source interne - fût-il de nature

constitutionnelle - car ce dernier est, sauf cas très particulier (c’est l’hypothèse où une

pratique unilatérale d’un Etat qui s’inscrit en réalité dans le jeu d’une règle coutumière

internationale), étranger au système de droit international et, donc, à son éventuelle structure

hiérarchique.

240. Elle est également pertinente dans le contexte européen, même si les rapports entre le

282

droit européen et le droit national sont nettement plus construits.

Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit national dans le contexte européen (UE)

L’exemple (à nouveau) des jurisprudences « International Handelsgesellschaft » et

« Commission c/ Grand-Duché »

De la même manière, nous avons observé (voir supra, n° xxx) que la Cour de justice des

Communautés européennes avait considéré que « l’invocation d’atteintes à des normes

constitutionnelles [nationales] ne saurait affecter la validité d’un acte de la Communauté ou

ses effets sur le territoire de l’État en cause » (CJCE, 17 déc. 1970, International

Handelsgesellschaft, aff. 11/70) ou, de manière plus générale, que « le recours à des

dispositions d’ordre juridique interne afin de limiter la portée des dispositions

communautaires... ne saurait être admis » (CJCE, 5 mars 1996, Commission c/ Grand-

Duché, aff. C-473/93). La même solution a été également retenue par la Cour européenne

des droits de l’homme (voir, par exemple, CEDH (Plén.), 29 oct. 1992, Open Door e.a.

c/ Irlande, Req. nos

14234/88, 14235/88).

Cette mise à l’écart du droit national se justifie, aisément, dès lors qu’est en cause la validité

d’une norme de l’Union européenne. Le droit national étant étranger à la hiérarchie des

normes européennes, il ne saurait être une cause directe et immédiate d’invalidation du droit

européen dérivé, lequel est soumis aux exigences des seules normes européennes,

spécialement des traités institutifs et des principes généraux du droit européen.

Mais elle a des implications plus fortes encore. De manière générale, la portée du droit

européen, c’est-à-dire son efficacité et, dans une vision hiérarchique, sa supériorité, ne peut

être menacée par le droit national. L’assertion mérite d’être nuancée. L’Union européenne

confère un véritable rôle au droit national, lequel exerce parfois, malgré tout, une contrainte

sur le droit européen (par exemple, chaque fois qu’une marge d’appréciation ou de

manœuvre est reconnue en droit national). Mais en dehors de ces hypothèses, le système

juridique européen est capable d’affirmer son autorité hiérarchique en se repliant sur lui-

même, c’est-à-dire en écartant purement et simplement le droit national, au motif qu’il est

fondamentalement étranger à sa hiérarchie des normes.

241. Dans une moindre mesure1, ce phénomène de repli peut également être observé en

droit international dans ses rapports avec le droit européen.

1 Sur le caractère faiblement hiérarchisé du droit international, voir supra, n° xxx.

283

Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit européen dans le contexte international

L’exemple (à nouveau) de la sentence CIRDI AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie

Dans cette affaire, nous avons pu observer qu’un tribunal arbitral avait écarté l’application

du droit européen au motif qu’il s’agissait d’un « simple fait », insusceptible comme tel de

justifier le manquement par un Etat à ses obligations internationales (voir supra, n° xxx,

CIRDI, sentence du 23 sept. 2010, AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie, ARB/07/22).

Même si la juridiction arbitrale n’y fait pas référence, ce type de considération peut trouver

une justification dans les constructions de type « hiérarchie des normes ». Le raisonnement

pourrait être le suivant : la sanction du non-respect d’une règle européenne (UE) de

concurrence n’existe pas en droit international pour la bonne et simple raison que ladite règle

européenne est étrangère au système juridique de droit international ; en conséquence, le

tribunal arbitral international n’a pas à faire prévaloir le respect des règles européennes sur le

respect de règles internationales, aucune « hiérarchie des normes » ne l’y obligeant.

Une telle démarche intellectuelle n’est pas de nature à convaincre tous ceux qui considèrent

que le droit européen est par nature du droit international. Mais le droit européen n’a eu de

cesse d’affirmer sa singularité (voir sur ce thème et les effets contre-productifs qu’il induit :

M. Forteau, La contribution de l’Union européenne au développement du droit international

général - Les limites du particularisme ?, in Chronique sur les interactions du droit

international et européen, JDI 2010, 888). Cette démarche explique sans doute qu’en

réaction, des acteurs de droit international distinguent les règles potentiellement applicables,

selon qu’elles font ou non partie de l’ordonnancement juridique international. Le droit

européen est ainsi écarté, au motif qu’il est étranger au système de droit international.

242. Cette pratique peut également être observée dans des situations complexes où la

question est discutée de la légalité du droit européen de source internationale en droit de

l’Union européenne.

Situation - La légalité du droit européen de source internationale en droit de l’Union

européenne

L’exemple de la célèbre affaire « Kadi »

L’affaire « Kadi » (TPI, 21 sept. 2005, Yusuf, aff. T-306/01, censuré par : CJCE, 3 sept.

2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05 ; voir également en prolongement,

l’affaire Kadi II (annulant un nouveau règlement européen, intervenu depuis), TPI, 30

septembre 2010, aff. T-85/09) que nous avons signalé à diverses reprises a eu un grand

retentissement en droit international et européen. Elle porte sur la validité de dispositions de

droit européen dérivé mettant en œuvre des résolutions des Nations Unies prononçant des

284

sanctions individuelles en matière de lutte contre le terrorisme. Elle occupe une place de

premier ordre dans le processus dynamique de hiérarchisation des droits étudié dans ce

chapitre. Qu’en est-il, sur le terrain de la hiérarchie des normes, comprise comme un outil de

repli du système juridique (ici de l’Union européenne) sur lui-même ?

Pour appréhender la question générale de la validité d’un texte de droit européen dérivé qui

lui était soumise, la Cour de justice (aff. jtes C-402/05 et C-415/05, préc.) a entendu hisser le

débat technique au niveau le plus général et théorique. Pour la Cour de justice, en effet, la

question était de savoir : « si les principes régissant l'articulation des rapports entre l'ordre

juridique international issu des Nations unies et l'ordre juridique communautaire impliquent

qu'un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits

fondamentaux est en principe exclu, nonobstant le fait que (...) un tel contrôle constitue une

garantie constitutionnelle relevant des fondements mêmes de la Communauté » (pt 290). Au

terme d'une motivation particulièrement ciselée, la Cour considère que : « (...) les

juridictions communautaires doivent, conformément aux compétences dont elles sont

investies en vertu du traité CE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de

l'ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux faisant partie

intégrante des principes généraux du droit communautaire, y compris sur les actes

communautaires qui, tel le règlement litigieux, visent à mettre en œuvre des résolutions

adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations Unies »

(pt 326). Elle annule, en conséquence, les décisions attaquées du Tribunal de première

instance au motif que : « le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, (...), qu'il

découle des principes régissant l'articulation des rapports entre l'ordre juridique international

issu des Nations unies et l'ordre juridique communautaire que le règlement litigieux, dès lors

qu'il vise à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du

chapitre VII de la charte des Nations unies ne laissant aucune marge à cet effet, doit

bénéficier d'une immunité juridictionnelle quant à sa légalité interne sauf pour ce qui

concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens » (pt 327).

Cette analyse procède d'une réaffirmation de la hiérarchie des normes interne à l’Union

européenne. Quand l'hypothèse du conflit entre l'ordre international et l'ordre européen se

fait jour, la juridiction européenne s'emploie à dresser une cloison étanche entre les

systèmes. Elle considère, en dernière analyse, que la structure fondamentale interne de

l'espace juridique européen ne saurait dépendre d'un autre système juridique, fût-il

international. Par préférence, elle hiérarchise le droit européen dans les rapports internes à

l'espace européen en réaffirmant ici la supériorité des principes généraux du droit européen

sur les textes de droit dérivé européen. Elle tient ainsi à l’écart toutes considérations tirées du

respect du droit international, tout en précisant que dans sa dimension externe, l'Europe peut

285

avoir à rendre compte, le cas échéant, du non-respect de ses obligations internationales

(arrêt, pt 288). La hiérarchie européenne des normes sert ici à évacuer le droit international et

avec lui tout risque d’interférence.

243. Dans tous ces cas de figure, la hiérarchie des normes permet à un système de droit

national, international ou européen de se replier sur lui-même, au motif qu’il faut distinguer,

entre toutes les règles potentiellement applicables, celles qui « fondent » le système, de celles

qui lui sont « fondamentalement » étrangères. Dans une perspective d’application du droit à

différents niveaux, la hiérarchie des normes est maniée comme un outil, tantôt explicite, tantôt

implicite, de stigmatisation du caractère « étranger » des droits élaborés à un autre niveau1.

Mais le phénomène de repli n’est pas seulement marqué par la lecture de quelques affaires

restées célèbres dans les annales de la jurisprudence nationale, internationale ou européenne.

Il est, en réalité, relativement fréquent et emprunte d’autres voies que la hiérarchie formelle

des normes. Les illustrations les plus remarquables peuvent être observées dans les systèmes

juridiques fortement structurés et centralisés (notamment français et européen).

B - Les autres voies de repli des systèmes juridiques sur eux-mêmes

1/ La mesure du phénomène : différenciation, autonomisation, appropriation,

dédoublement, etc.

244. Chaque fois qu’un acteur d’un système juridique, notamment un acteur institutionnel

(juge, gouvernant et, éventuellement, législateur)2, éprouve une réticence à appliquer une

méthode ou une solution juridique venue d’ailleurs au motif, plus ou moins déclaré, qu’elle ne

trouve pas sa place dans les constructions du système auquel cet acteur appartient, il procède,

ni plus ni moins, à un repli de son système sur lui-même. Les techniques utilisées sont

multiples. On peut en identifier quatre principales (qui souvent se chevauchent) : le traitement

différencié du droit étranger au système, l’autonomisation d’un système par rapport aux

1 Un parallèle tout à fait intéressant peut être mené avec le questionnement formulé par J. Ghestin à propos de la

participation du contrat à l’élaboration de normes juridiques supérieures extérieures à l’Etat français (J. Ghestin,

La hiérarchie des normes et le contrat, in G. Teboul et L. Soubelet (dir.), La hiérarchie des normes, L’Harmattan

- collection des travaux de l’association des lauréats de la Chancellerie des Universités de Paris (ALCUP), à

paraître) et celui qui est ici le nôtre. Dans les deux cas, il s’agit de s’interroger sur le sens, la valeur ou la portée

d’un acte juridique (contrat, convention internationale, loi, etc.) quand il est considéré en dehors du système qui

lui a donné naissance. Cette interrogation intéresse la hiérarchie des normes chaque fois que l’acte juridique en

cause est confronté à une norme saisie dans sa dimension supérieure ou fondamentale. 2 Cette figure intellectuelle est souvent influencée par les travaux de la doctrine. Sur l’allégorie du droit « venu

d’ailleurs », voir en particulier J. Carbonnier (Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion,

1996, spéc. p. 44 et s.) qui a exercé une grande influence sur la pensée juridique de la seconde moitié du XXème

siècle.

286

influences qu’il pourrait subir du fait de l’existence d’autres droits, l’appropriation par un

système juridique de méthodes et solutions venues d’ailleurs et l’organisation d’un

dédoublement selon qu’il s’agit pour un système juridique de traiter une situation interne ou

une situation externe.

245. Les résultats pratiques auxquels conduit cette forme de repli sont contestables chaque

fois qu’elle traduit une sorte de réflexe, consistant à exclure, a priori, sans nécessité aucune,

l’application de méthodes ou solutions juridiques étrangères au système. Ce type de

comportements est probablement la conséquence d’une analyse des rapports de systèmes

obnubilée par des lectures dualistes et monistes fortement fragilisées aujourd’hui1. Dans les

théories dualistes, le phénomène de repli du système sur lui-même est patent, puisqu’il s’agit

toujours pour le juriste d’utiliser les ressources présentes dans son système pour recevoir

(théorie de la réception) le droit venu d’ailleurs. Le monisme, qui prétend fondre tous les

systèmes en un seul, doit également faire un choix entre une primauté conférée au droit

interne ou une primauté conférée au droit international. Le système, fût-il unique, se replie sur

ses fondamentaux, sur sa norme fondamentale. C’est donc le même phénomène de

hiérarchisation qui est à l’œuvre2.

246. Mais ces techniques juridiques qui facilitent un repli du système juridique sur lui-

même sont également très utiles. Elles font partie de la panoplie des outils qui permettent aux

juristes de faire un travail de hiérarchisation (lato sensu), chaque fois que le besoin se fait

sentir de protéger un système juridique des perturbations qu’il pourrait subir du fait de la

coexistence d’autres systèmes juridiques placés à d’autres niveaux que le sien. Tous les

systèmes n’offrent pas ces possibilités de manière égale néanmoins. Seuls les systèmes

véritablement organisés et centralisés le permettent en effet. C’est le cas, notamment, du

système juridique français et du système juridique de l’Union européenne qui livrent de

multiples illustrations du phénomène de repli.

2/ Illustrations dans le système juridique français

247. Le système juridique français s’est progressivement ouvert à l’application du droit

1 Voir sur ce point, nos remarques en Introduction avec les différentes références citées, n° xxx.

2 Même s'il faut reconnaître que dans la figure du monisme avec primauté du droit international, la figure du

repli ne convient plus tout à fait, puisque le droit international est censé alors englober l'ensemble des droits

nationaux. Encore faut-il, en ce cas, que le droit international se définisse comme un système intégré, capable de

conférer un véritable statut au droit national. L’analyse du droit positif montre que, sauf ilot très particulier du

droit international (par exemple, le système juridictionnel mis en place pour la Cour pénale internationale), cette

évolution n’est ni amorcée ni même souhaitée.

287

international et européen. Le verrou que constituait la « loi écran », permettant de faire

prévaloir une loi française postérieure sur un texte de droit international et européen contraire,

a définitivement sauté avec les jurisprudences célèbres « Jacques Vabre » et « Nicolo » (voir

supra, n° xxx). Cela ne veut pas dire que le phénomène de repli du système juridique français

sur lui-même a totalement disparu et, avec lui, les techniques juridiques permettant ce repli.

Sans prétendre à l’exhaustivité, on en donnera quatre grandes illustrations.

248. La première porte sur le travail d’interprétation mené par les juges nationaux des

conventions internationales liant la France.

Situation - L’interprétation française des conventions internationales auxquelles la France

est partie

Exemples jurisprudentiels multiples

Le rôle du juge ordinaire français s’est, nous l’avons observé (voir supra, n° xxx),

considérablement accru dans le domaine de l’interprétation des traités internationaux. Son

pouvoir d’interprétation n’est, bien souvent, contrebalancé par aucun autre pouvoir : le

pouvoir exécutif français a perdu le rôle qui était naguère le sien en ce domaine

(jurisprudences « Koné » et « BAD », précitées, n° xxx) et les interprétations authentiques

émanant d’instance internationale (comme par exemple, la Cour internationale de justice)

demeurent rares.

Cette position d’interprète privilégié place les juridictions administratives et judiciaires

françaises en position d’imposer leurs interprétations des conventions internationales

auxquelles la France est partie. Ces interprétations sont potentiellement imprégnées par la

culture juridique des juges nationaux de sorte que l’on peut affirmer, sans grand risque de

surprendre ou de choquer, qu’il existe potentiellement une doctrine jurisprudentielle

française administrative et/ou judiciaire de l’interprétation de tel instrument ou de tel autre.

Des travaux précurseurs ont été menés sur ce sujet. Voir par exemple, D. Simon,

L'interprétation judiciaire des traités d'organisations internationales: Morphologie des

conventions et fonction juridictionnelle, Pedone, 1981.

Des ouvrages ou chroniques spécialisés sur tel ou tel instrument sont régulièrement publiés.

On donnera, ainsi, l’exemple d’un travail de doctorat (K. Parrot, L’interprétation des

conventions de droit international privé, Dalloz 2006). L’auteur y développe, jurisprudence à

l’appui, une vision particulariste du travail d’interprétation de ces conventions par les juges

nationaux, remettant ainsi clairement en cause le mythe d’une interprétation uniforme. Même

si l’on ne partage pas nécessairement cette vision pessimiste du développement d’un droit

uniforme international (vision qui l’on pourrait d’ailleurs étendre sans grande difficulté à

288

tous les mythes d’interprétation uniforme, y compris à un niveau strictement national ou

même local), ni les enseignements que l’auteur en tire en termes d’approche résolument

dualiste des rapports entre systèmes juridiques, le fait est qu’on peut difficilement nier

l’existence d’interprétations divergentes dans les différents Etats parties à un même

instrument de droit uniforme. Ces interprétations sont un outil de repli des systèmes

juridiques nationaux sur eux-mêmes. Ce repli peut être conscient (la volonté de développer

un particularisme national). Mais le plus souvent il est inconscient (le juriste continuant

d’appliquer, sans se poser la question, les solutions qu’il connaît dans le contexte national).

De nombreux autres travaux existent sur ce thème, à propos de telle ou telle convention

particulière. Voir, par exemple, le panorama de jurisprudence annuellement établie par Cl.

Witz sur le droit uniforme de la vente internationale de marchandises (Recueil Dalloz) qui

signale en note de pas de page, les dispositifs existants de collecte de décisions : « CISG-

online (Université de Bâle), http://www.cisg-online.ch ; Banque de données de la Pace

University (Etat de New York), http://www.cisg.law.pace.edu ; Banque de données Unilex

(Rome), http://www.unilex.info. Ces trois banques rassemblent l'ensemble des décisions

quelle que soit leur origine. La jurisprudence française est rassemblée dans la banque de

données CISG-France (Université de la Sarre), http://Witz.jura.uni-sb.de/CISG/ ;V. comme

autres banques nationales de données : CISG-Belgium, http://www.law.kuleuven.ac.be/ et

CISG-Spain, http://www.uc3m.es/cisg/ ; V. la liste complète par pays sous

http://Witz.jura.uni-sb.de/CISG/cisglinks.htm ; un recueil de références jurisprudentielles

guidera utilement le lecteur : Twenty Years of International Sales Law Under the CISG,

International Bibliography and Case Law Digest (1980-2000), par M. R. Will, Kluwer Law

International, 2000 », D. 2012, 1114. Voir également, les travaux, déjà signalés, relatifs à

l’interprétation par les juridictions françaises de la Convention de New York sur les droits de

l’enfant (1990, voir supra, n° xxx). Etc.

249. La deuxième illustration porte sur la réception en France du droit européen.

Situation - La réception française du droit européen (UE ou CESDHLF)

Quelques exemples jurisprudentiels

Le droit européen, qu’il s’agisse du droit de l’Union européenne ou de la Convention

européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est marqué

par la présence de deux juridictions - Cour de justice de l’Union européenne et Cour

européenne des droits de l’homme - qui assument pleinement leur rôle d’interprètes

authentiques. Le travail que fournissent les deux cours européennes en termes

d’interprétation uniforme est considérable. Il n’a pas d’équivalent en droit international. En

dépit de cette architecture institutionnelle imposante, on ne peut exclure que la réception

289

nationale du droit européen soit l’occasion d’un repli du système juridique français sur lui-

même.

On songe, tout d’abord, aux hypothèses où le droit européen et les juridictions européennes

accordent une marge d’appréciation aux Etats membres, hypothèses bien plus fréquentes

qu’on ne le croit souvent (absence de définition uniforme ou autonome de la part du juge

européen, appréciation nationale des conditions de mise en œuvre d’une règle européenne au

titre d’une subsidiarité judiciaire, etc.). Dans ces situations, le juriste expert doit bien souvent

déployer un trésor d’intelligence pour mesurer la place respective occupée par l’ordre

européen et l’ordre interne. Or la définition du périmètre des uns et des autres ne saurait se

faire autrement qu’au terme de tâtonnements, questionnements et, parfois, de provocations.

Un rapport de force peut naître de cette liberté préservée au niveau national et impliquer des

tentatives plus ou moins importantes de repli du système juridique français sur lui-même,

chaque fois qu’il cherche à imposer une méthode ou solution juridique qui lui est propre

(pour une présentation dynamique du phénomène, à propos de la réception en France de la

jurisprudence de la CEDH, voir M. Guyomar, Le dialogue des jurisprudences entre le

Conseil d’Etat et la Cour de Strasbourg : appropriation, anticipation, émancipation in

Mélanges J.-P. Costa, Dalloz, 2011, 311).

Mais il y a surtout des hypothèses où la réception du droit européen en droit national donne

lieu à des manifestations explicites de rejet. Dans cette perspective, le repli du système

juridique français est patent. Il s’inscrit dans une logique de rupture, dans un rapport de force

autrement plus violent que celui que l’on peut observer dans les cas précédents. Prenons une

situation restée célèbre dans les annales de la jurisprudence française : le refus du Conseil

d’Etat de faire produire aux directives européennes un effet de substitution en présence d’un

acte administratif individuel (jurisprudence « Cohn-Bendit » - Conseil d’Etat Ass.,

22 déc. 1978, Rec. Lebon, 524 - à laquelle il a été mis progressivement fin par la

jurisprudence « Perreux » - Conseil d’Etat Ass., 30 oct. 2009, Req. n° 298348). Cette

position de la juridiction administrative française était contraire à l’interprétation de la Cour

de justice (pour une présentation d’ensemble, voir R. Kovar, Le Conseil d'État et l'effet

direct des directives : la fin d'une longue marche, Europe janv. 2010, Etude n° 1). Certains de

ses effets ont perduré 31 ans, pendant lesquels, en France, une solution de droit français a été

préférée à une solution de droit européen par refus d’application de ce dernier. Même si cette

situation peut être considérée comme anormale du point de vue du droit européen, elle

traduit incontestablement une volonté de repli du système juridique français sur lui-même

que le juriste ne saurait ignorer dans sa pratique.

250. La troisième illustration vise l’appropriation par le droit interne de notions de droit

international ou européen

290

Situation - L’appropriation en droit interne de notions de droit international et européen

L’exemple de l’ordre public : retour sur la jurisprudence « Banque Africaine de

Développement »

Nous avons évoqué à deux reprises un arrêt « Banque Africaine de Développement » (Cour

de cassation, ch. soc., 25 janv 2005, pourvoi n° 04-41012, voir supra, n° xxx). Dans cette

affaire où l’immunité de juridiction d’une organisation internationale était remise en cause,

on se souvient que le juge français a rejeté l’immunité en intégrant à son ordre public

international un droit d’accès au juge potentiellement consacré par une CESDHLF qui n’était

pourtant pas opposable à l’organisation internationale. Cette solution a été critiquée par un

spécialiste de droit international et européen (M. Forteau, L’ordre public « transnational » ou

« réellement international », JDI 2011, spéc. p. 17, note 57 : « Dans l'affaire de la Banque

africaine de développement, les juridictions françaises ont été confrontées par exemple à

l'application de deux conventions contradictoires (la CEDH et l'accord de siège de la

Banque) qu'il était impossible d'articuler à l'aide des principes classiques de conflits de

normes (lex specialis, lex posterior) car chacune liait des parties distinctes et était donc res

inter alios acta à l'égard de l'autre. En intégrant directement le droit à un juge dans l'ordre

public international français au lieu d'invoquer l'article 6 de la CEDH qui ne pouvait

prévaloir, formellement, sur l'immunité prévue par l'accord de siège, la Cour de cassation a

adroitement contourné la difficulté (…). La solution n'est, juridiquement, guère convaincante

car une norme interne (l'ordre public international) ne peut écarter une norme

conventionnelle (l'immunité). Par ailleurs, l'immunité se distingue de la compétence.

L'astuce en l'occurrence a consisté à déplacer le débat du plan du droit international public

(conflit insoluble de conventions) au plan du droit international privé (raisonnement en

termes d'ordre public international) pour mieux esquiver (mais alors en le travestissant) le

problème »). Cette critique est intéressante. Elle dénonce, ni plus ni moins, une appropriation

au niveau français d’un ordre public de droit international ou européen. Mais elle ne propose

pas d’outil pour enrayer le phénomène. Autrement dit, si l’on peut regretter l’appropriation

par un juge national d’une solution de droit international inapplicable, on ne peut pas

empêcher cette pratique.

L’exemple des principes généraux du droit : retour sur la jurisprudence « KPMG »

Nous avons déjà eu l’occasion de relever (voir supra, n° xxx) que des auteurs avaient

justement fait observer que le Conseil d’Etat français, statuant dans la célèbre affaire KPMG

(Conseil d’Etat, Ass., 24 mars 2006, n° 288460), avait adopté un concept de sécurité

juridique plus extensif que celui de la Cour de justice (P. Brunet et O. Dubos, Approche

critique du vocabulaire juridique européen : la pratique des juges, Chronique du CEJEC,

LPA, 2008, n° 164-165, 7 ; voir également de manière plus générale sur ce phénomène

291

d’appropriation nationale : J. Sirinelli, Les transformations du droit administratif par le droit

de l’Union européenne - Une contribution à l’étude du droit administratif européen, éd.

LGDJ, 2011). En procédant de la sorte, la juridiction administrative s’est dotée d’un concept

autonome, affranchi du principe européen de confiance légitime, principe dont il pourra

toujours dire à l’avenir qu’il demeure applicable uniquement dans le champ du droit

européen.

251. La quatrième illustration met en scène un repli du système juridique français sur lui-

même par des voies procédurales.

Situation - Les voies procédurales du repli du système juridique français sur lui-même

L’exemple à nouveau du caractère « prioritaire » de la question de constitutionnalité

Rappelons que la loi organique française (Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009

relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution), qui a défini les modalités

procédurales de la question prioritaire de constitutionnalité, a introduit une double référence

« aux engagements internationaux » de la France (sur ce dispositif, voir supra, n° xxx). On

peut ainsi lire dans les articles 23-2 (applicables aux juridictions du fond) et 23-5 (applicable

aux deux juridictions supérieures) de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant

loi organique sur le Conseil constitutionnel, telle que modifiée par la loi organique de 2009

(préc.) : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant

la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la

Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par

priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour

de cassation » (art. 23-2) ; : « En tout état de cause, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation

doit, lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une

part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements

internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de

constitutionnalité au Conseil constitutionnel » (art. 23-5).

Cette double disposition entend traduire le caractère prioritaire du contrôle de

constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité. Qu’il s’agisse d’examiner la

conformité de la loi française en vigueur au droit international ou au droit européen, le juge

ordinaire doit « en tout état de cause (…) se prononcer par priorité sur (…) » la transmission

ou le renvoi de la question. Il résulte de cette règle procédurale interne française que le

contrôle de conventionnalité des lois a un caractère secondaire par rapport au contrôle de

constitutionnalité de la loi qui se veut prioritaire.

Cette hiérarchisation procédurale traduit clairement une volonté de privilégier une question

préjudicielle interne, portant sur le droit national (la Constitution), sur tout questionnement

292

de droit international ou européen impliquant potentiellement, pour ce dernier, un renvoi

préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne (sur l’articulation malgré tout

des deux procédures, voir nos développements infra, n° xxx). C’est une forme de repli

temporaire du système juridique français sur lui-même.

L’exemple de l’absence de question préjudicielle

Une autre illustration du repli se manifeste chaque fois qu’une juridiction nationale s’abstient

de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne alors qu’une

difficulté d’interprétation du droit européen se présente à lui. Même si ce refus peut avoir des

conséquences lourdes en termes de responsabilité de l’Etat (sur ces conséquences, voir nos

développements infra, n° xxx), le fait est qu’il existe une multitude de situations où

l’opportunité d’une question préjudicielle est discutée devant le juge national et se solde par

une absence de question. Ces situations peuvent être motivées par des considérations

contingentes où le juge national et/ou les parties rechignent à voir la procédure suspendue (3

mois pour une question préjudicielle traitée en urgence et de l’ordre de 20 mois pour une

question préjudicielle classique). Mais elles ont parfois une signification plus profonde.

Poser une question préjudicielle à la Cour de justice, c’est prendre le risque de perdre la

maîtrise d’une interprétation qui était jusqu’alors du ressort des acteurs nationaux,

spécialement des juges. Dans cette circonstance, le refus de poser une question préjudicielle

s’analyse clairement comme un outil procédural de repli du système juridique français sur

lui-même. Pour des exemples de situations où l’opportunité, pour les juridictions françaises,

de poser une question préjudicielle peut faire l’objet d’une discussion, voir EDIEC (coord.),

Jurisprudence judiciaire française intéressant le droit de l’Union européenne - Chronique

annuelle, RTDE 2012, 499-503. Pour l’illustration d’un cas où la Cour de cassation

emprunte une notion autonome européenne hors de son contexte, sans soulever de question

préjudicielle : http://www.gdr-elsj.eu/2012/08/15/cooperation-judiciaire-civile/vers-une-

specialisation-de-la-notion-de-residence-habituelle-les-precisions-du-nouveau-reglement-

successions/ par M. Da Lozzo.

3/ Illustrations dans le système juridique de l’Union européenne

252. Pour illustrer le repli du système juridique de l’Union européenne sur lui-même,

l’étude des rapports entre le droit européen et le droit international est la plus intéressante.

L’Union européenne accorde, en effet, une place très importante aux sources du droit

international. C’est pourquoi elle a cherché très tôt à se protéger de cette influence

« extérieure ». Les manifestations de ce repli sont multiples. Pour la plupart, nous les avons

déjà rencontrées. On reprendra ici quatre grandes illustrations.

253. La première porte sur le phénomène d’autonomisation du droit européen, y compris

293

dans l’hypothèse où sa formulation est identique ou proche de celle retenue par le droit

international.

Situation - Autonomisation d’un droit européen qui s’inspire du droit international

Exemples des débuts de la construction européenne à nos jours

Le phénomène d’autonomisation du droit européen par rapport au droit interantional a une

dimension historique (CJCE, 5 févr. 1963, Van Gend & Loos, aff. 26/62, voir supra n° xxx).

Il connaît de multiples illustrations, notamment dans la jurisprudence de la Cour de justice.

Ainsi, par exemple, l’énoncé, par la juridiction européenne, de principes européens à l’aide

notamment des règles coutumières internationales, lui a parfois permis de s’affranchir des

définitions existantes (TPI, 27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94 ; voir néanmoins, en

sens contraire, condamnant fermement cette position : CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-

162/96). Cette attitude peut aussi prévaloir pour les sources écrites du droit international.

L’affirmation selon laquelle la norme européenne, dont la formulation est identique à une

source internationale, peut recevoir une interprétation autonome, potentiellement différente

de celle reçue dans l’ordre international, est un autre exemple d’autonomisation-

appropriation (voir, par exemple, le cas d’accords d’association UE/État tiers dont le contenu

est sur tel ou tel point exactement identique au TFUE et qui font l’objet cependant d’une

interprétation différente, compte tenu des objectifs propres de l’ordre juridique de l’UE :

CJCE, 9 févr. 1982, Polydor, aff. 270/80 ; des contre-exemples existent néanmoins : voir

notamment CJCE, 8 mai 2003, Deutscher Handballbund, aff. C-438/00). Le phénomène est

d’autant plus développé que les institutions européennes s’efforcent, chaque fois qu’elles y

ont intérêt, de doubler la norme internationale d’une source de droit dérivé dont

l’interprétation pourra être plus facilement maîtrisée (les exemples sont notamment très

nombreux en droit des transports ou en droit de l’environnement).

254. La deuxième illustration porte sur une pratique des institutions européennes consistant

à « préempter » le droit international par « préemption » de la compétence des Etats membres.

Situation - Préemption du droit international par le droit européen

L’exemple du protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires

(2007)

Le règlement (CE) n° 4/2009/CE du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la

loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière

d'obligations alimentaires a prévu notamment que « La loi applicable en matière

d'obligations alimentaires est déterminée conformément au protocole de La Haye du 23

novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires pour les États membres liés

294

par cet instrument » (art. 15). Pour définir l'ensemble des solutions au conflit de lois, le texte

de droit européen dérivé s'en remet ainsi à l'application d'un instrument international liant, le

cas échéant, les États membres, là où il définit des règles propres en matière de conflit de

juridictions lato sensu (compétence des tribunaux, reconnaissance et exécution des

décisions). Cette combinaison conditionnelle du texte européen et du protocole international

a radicalement changé de nature avec l'adoption de la décision 2009/941/CE du Conseil du

30 novembre 2009 relative à la conclusion, par la Communauté européenne, du protocole de

La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Le Conseil

a estimé, en effet, que la Communauté européenne « dispose d'une compétence exclusive

pour toutes les questions régies par le protocole », de sorte qu'elle peut y adhérer, ce qu'elle a

fait. Exceptés les États non liés par le règlement (CE) n° 4/2009/CE (il ne reste plus que le

Danemark à ce jour, la Commission européenne ayant pris acte de la volonté du Royaume-

Uni d'opter pour le règlement : décision 2009/451/CE de la Commission du 8 juin 2009),

l'application combinée du règlement européen et du protocole de La Haye devrait être

effectivement contraignante au jour de l'entrée en vigueur de ce dernier. Tel est en tout cas le

vœu exprimé par le Conseil de l'Union européenne dans la décision commentée. Le

changement est important et pour tout dire spectaculaire. Alors que le règlement du Conseil

semblait soumettre l'applicabilité du protocole de La Haye à la volonté des États membres,

une lecture littérale de la décision du Conseil implique que lesdits États sont dorénavant liés

par l'instrument de La Haye sans même avoir à le ratifier (ce qu'aucun d'entre eux n'a fait à

ce jour). L’Union européenne a purement et simplement préemptée la compétence des Etats

membres dans la faculté qui leur était offerte d’adhérer ou de ne pas adhérer à l’instrument.

Cette démarche s’inscrit clairement dans une perspective de hiérarchisation. En considérant

que la Communauté européenne (devenue Union européenne) avait une compétence

exclusive pour adopter le protocole de La Haye de 2007 sur la loi applicable aux obligations

alimentaires, le Conseil de l'Union européenne a clairement manifesté le souhait d'intégrer le

texte international au droit européen. Avec cette décision, la Convention internationale

devient une source européenne du droit à part entière. Le système juridique européen se

replie ainsi sur lui-même et intègre à ses propres constructions hiérarchiques un texte venu

d'ailleurs.

255. La troisième illustration est tirée de la manière dont la Cour de justice a refusé parfois

de reconnaître un certain type d’effet direct à des conventions internationales liant l’Union

européenne, pour éviter que cette immédiateté ne nourrisse un contentieux européen sur la

légalité des textes de droit dérivé ou sur la responsabilité extracontractuelle de l’Union

européenne.

295

Situation - Absence d’effet direct reconnu à des normes de droit international susceptibles

d’interférer avec le droit de l’Union européenne

Exemples des accords OMC, du protocole de Kyoto et de la Convention de Montego Bay

L’exemple des accords conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale du

commerce (OMC - 1994) est célèbre. Nous l’avons déjà présenté (voir supra, n° xxx). La

Cour de justice ne souhaite pas, manifestement, que les règles du commerce mondial

interfèrent de manière systématique sur la légalité des textes de droit européen dérivé ou

n’alimente le contentieux de la responsabilité extracontractuelle (voir par ex., refusant

ouvertement d’apprécier la légalité d’une directive au regard d’un accord conclu dans le

cadre de l’Organisation mondiale du commerce, CJCE, 10 déc. 2002, BAT ea, aff. C-

491/01 ; plus récemment, dans le célèbre contentieux de la banane : CJCE, 1er mars 2005,

Van Parys, aff. C-377/02 ; comparer dans le cadre d’une action en responsabilité extra-

contractuelle engagée contre l’UE : CJCE, 9 sept. 2008, FIAMM, aff. Jtes C-120 et 121/06).

Des discussions similaires ont porté sur l’absence d’invocabilité directe du Protocole de

Kyoto (1997) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

(1995). Voir, pour une illustration déjà signalée (voir supra, n° xxx), au titre du contentieux

sur la légalité des textes de droit européen dérivé, CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-

366/10.

Comparer, s’agissant de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego

Bay - 1982), CJCE, 3 juin 1988, Intertanko, aff. C-308-06.

256. Un dernier exemple vise la manière dont l’Union européenne milite en faveur de

l’insertion de clauses de déconnexion dans des conventions internationales à l’élaboration

desquelles elle a pourtant participé.

Situation - Dédoublement du droit international et européen

Exemple des clauses de déconnexion

On appelle « clauses de déconnexion », ces clauses insérées dans des conventions

internationales négociées par l’Union européenne et qui prévoit que tout ou partie de la

convention internationale n’est pas applicable dans les rapports internes à l’Union

européenne chaque fois qu’il existe – ou qu’il est susceptible d’exister – une réglementation

européenne spécifique, potentiellement dérogatoire, en ce domaine. Des exemples sont

connus en matière de radiodiffusion (Convention du Conseil de l’Europe sur la télévision

transfrontière de 1989), de faillite internationale (Convention du Conseil de l’Europe sur

certains aspects internationaux de la faillite de 1990) et de protection des biens culturels

(Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés de 1995).

296

D’autres illustrations plus anciennes existent mais qui ne portent pas le nom de cette clause.

On songe, notamment, aux possibilités offertes par l’accord du GATT (1947, repris en 1994)

de créer des intégrations régionales, potentiellement dérogatoires des règles qui gouvernent

le commerce mondial.

Ces dispositifs conventionnels donnent naissance à deux régimes juridiques distincts. Un

régime interne à l’espace européen de source européenne et un régime international

s’appliquant à des relations externes de l’UE avec des Etats tiers ou des organisations

internationales tierces. Selon qu’il s’agira d’un rapport interne ou externe, le contenu du droit

applicable au sein du système juridique de l’UE ne sera pas le même : priorité est donnée à la

norme européenne dans les rapports internes ; priorité est donnée à la norme internationale

dans les rapports externes.

Tous ces exemples montrent que le droit de l’Union européenne a développé un nombre assez

varié d’outils lui permettant de se prémunir contre les effets pertubateurs d’un droit

international qu’il s’efforce d’intégrer à ses constructions. La situation n’est pas

fondamentalement différente de celle que l’on connaît en droit français, dans ses rapports au

droit international et, dans une moindre mesure, au droit européen.

§ 2- Le choix d’un niveau d’application du droit plutôt que d’un autre

257. Le fait pour le juriste de se placer à un niveau national, international ou européen

d’application du droit plutôt que d’un autre pour traiter d’un cas particulier, soulève la

question de sa liberté de choix. Dans un contexte fortement internationalisé et régionalisé,

cette liberté est parfois présentée sous la forme un peu effrayante d’un forum shopping

mondial (A). La réalité est plus complexe et nuancée, nombreuses étant les limites à la liberté

de choix du juriste (B).

A - Le spectre d’un forum shopping mondial

258. L’expression « forum shopping » désigne la situation où un plaideur fait usage de sa

liberté de saisir tel juge plutôt que tel autre, dans l’espoir que ce choix exerce une influence

sur l’issue du litige. Son usage est bien connu des internationalistes privatistes : en choisissant

le juge de l’Etat A, le plaideur espère que le droit que ce juge appliquera lui sera plus

favorable que celui qui aurait été appliqué par le juge de l’Etat B. Pris sous cette forme un peu

simplifiée et caricaturale, le forum shopping se meut en law shopping. En cherchant à

atteindre tel juge plutôt que tel autre, le plaideur entend se placer sous l’application d’un droit,

plutôt qu’un autre.

297

Rapportée à l’hypothèse ici étudiée où un juriste manifeste une volonté de se placer à un

niveau national, international ou européen d’application du droit plutôt qu’un autre, la figure

du forum shopping est-elle apte à décrire une pratique de dimension mondiale ?

259. Si l’on essaye, pour commencer, de répondre affirmativement à cette interrogation, on

peut dire que le thème du forum shopping occupe une place de plus en plus visible dans

l’appréhension du contentieux international et régional. On peut en donner quelques

illustrations significatives.

260. Les pratiques de forum shopping sont connues dans le domaine de la protection

internationale et régionale des droits de l’homme.

Situation - Contentieux international et régional des droits de l’homme et choix du forum

L’exemple de l’affaire « Géorgie c. Russie »

Rosalyne Higgins, alors présidente de la Cour internationale de justice, a présenté en 2009

un discours devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elle y évoque une affaire

Géorgie contre Russie qui était pendante, à l’époque (la CIJ s’est déclarée incompétente

depuis dans un arrêt du 1er avril 2011), devant la juridiction internationale. Les termes

retenus par la Présidente méritent d’être rapportés car ils décrivent bien la manière dont un

juge international peut ressentir le phénomène de forum shopping. Les voici : « L’affaire

Géorgie c. Russie est importante à un autre titre : elle illustre le phénomène actuel

consistant à soulever des questions juridiques identiques ou similaires devant différentes

instances. Il s’agit d’une conséquence du fait que l’interprétation du droit international –

notamment en matière de droits de l’homme – est une tâche désormais dispersée entre

différents organes judiciaires et quasi judiciaires. A la Cour internationale de justice et aux

trois systèmes régionaux principaux de protection des droits de l’homme en Europe, en

Amérique et en Afrique viennent s’ajouter les organes mis en place par certains traités

internationaux en matière de droits de l’homme afin de contrôler l’application de leurs

dispositions. Ces traités sont les deux pactes internationaux ainsi que la Convention sur

l’élimination de la discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de la

discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la torture, la Convention des

droits de l’enfant et la Convention sur les droits de tous les travailleurs migrants. En outre,

au cours des quinze dernières années, à la suite des atrocités à grande échelle commises en

ex-Yougoslavie et au Rwanda, nous avons pu observer la création de tribunaux

internationaux ad hoc chargés de juger les personnes présumées responsables de ces crimes

ainsi que la mise en place d’une Cour pénale internationale permanente. La Cour

internationale a été saisie du différend opposant la Géorgie à la Russie sur les événements

d’août 2008 dans le cadre d’une procédure contentieuse ayant pour objet l’application de la

298

Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Dans

l’ordonnance qu’elle a rendue, elle a relevé que la question aurait tout aussi bien pu être

portée à l’attention du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Presque

au même moment, la Géorgie a introduit une requête interétatique devant la Cour

européenne, alléguant la violation des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des

traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne et de l’article 1 du

Protocole no

1 (protection de la propriété) à la Convention. La Cour européenne a ordonné

des mesures provisoires appelant l’une et l’autre des parties à respecter leurs obligations

découlant de la Convention, notamment de ses articles 2 et 3. En outre, elle a été saisie

depuis lors de milliers de requêtes dirigées contre la Géorgie ayant pour objet les hostilités

qui avaient éclaté en Ossétie du Sud au mois d’août 2008. Parallèlement, le procureur de

la Cour pénale internationale a déclaré que son Bureau était en train d’examiner la situation

en Géorgie. Nous avions constaté le même phénomène de reformulation de demandes ayant

essentiellement le même objet à l’occasion des attaques aériennes conduites en 1999 par

l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie. Là encore, la Cour internationale et

la Cour européenne avaient été l’une et l’autre saisies. La pléthore d’organes judiciaires et

quasi judiciaires dans le domaine des droits de l’homme entraîne bel et bien un risque de

divergences de jurisprudence » (CEDH, Rapport annuel 2009, Conseil de l’Europe 2010, p.

45).

Pour une étude systématique du traitement des procédures parallèles en ce domaine, voir J.-

F. Flauss et S. Touzé (dir.), Contentieux international des droits de l’homme et choix d’un

forum : les instances internationales de contrôle face au forum shopping, Bruylant - Némésis,

2012. Pour une lecture du phénomène en termes de stratégie juridique : B. Frydman et L.

Hennebel, Le contentieux transnational des droits de l’homme : une analyse stratégique,

RTDH 2009, 73.

261. Le forum shopping est également travaillé en matière pénale.

Situation - Plusieurs juges nationaux et internationaux en matière pénale

Répartition judiciaire du champ répressif et choix du juge

Les pénalistes réfléchissent depuis longtemps sur les situations où une concurrence se fait

jour entre des juges nationaux et internationaux (voir, précurseurs en ce domaine, les travaux

de M. Delmas-Marty, pénaliste de formation, sur le pluralisme juridique mondial, cités en

bibliographie générale à la fin de cet ouvrage).

Entre autres travaux récents sur le sujet, on peut signaler une étude (A. Gogorza, CPI, TPI,

tribunaux internationalisés, juridictions nationales : quel juge pour quelle infraction

internationale ? in V. Malabat (dir.), Juge national, européen et international et droit pénal,

299

Cujas, 2012, 61) où l’auteur s’efforce de dessiner une « répartition judiciaire du champ

répressif ». Pour ce faire, différents critères (critères fondés sur la nature de l’infraction et

critères fondés sur l’auteur de l’infraction) sont étudiés qui contribuent à une répartition des

compétences entre les différentes juridictions pénales internationales et nationales. L’objectif

est d’éviter clairement une concurrence des juridictions internationales, régionales et

nationales œuvrant pour une justice pénale mondialisée. Cet objectif n’est pas toujours

atteint. L’utilisation de ces critères n’est pas homogène selon le contexte juridique en cause

de sorte que le recours à des grands principes (principe de spécialité des juridictions

internationales, principe de complémentarité (sur lequel, voir supra, n° xxx) inhérent à la

justice pénale internationale , etc.) fait que le « choix du juge pénal » demeure une réalité

dans un contexte de plus en plus internationalisé.

262. Des scénarios de forum shopping mondial existent dans d’autres domaines. Nous

avons ainsi eu l’occasion d’imaginer un cas de stratégie à fronts multiples en matière de droit

de la propriété intellectuelle1. Mais cela vaut pour toutes les matières de droit économique,

spécialement quand les enjeux justifient une telle débauche de moyens.

Situation - Le développement de procédures parallèles en droit économique

Retour sur les stratégies à fronts multiples

En droit économique, le développement d’actions parallèles devant des instances aussi bien

nationales, qu’internationales et européennes n’a rien d’exceptionnel. A chaque fois, par

exemple, qu’un Etat ou une collectivité territoriale réglemente une activité économique

(octroi d’un droit exclusif à un opérateur économique, définition de tarifs imposés,

changement des conditions d’accès ou d’exercice à une activité réglementée, interdiction de

commercialisation d’un produit, etc.) et que les enjeux économiques sont importants, il

s’expose à ce qu’une discussion soit ouverte sur plusieurs fronts à la fois : national (respect

de principes généraux), européen (droit de concurrence) ou international (jeu des règles sur

le libre échange). Des juristes hautement spécialisés ont ainsi développé une capacité à

maîtriser les enjeux de ces stratégies à fronts multiples qui sont d’autant plus nécessaires

qu’elles mettent en scène un conflit entre une autorité publique (un Etat par exemple) et un

opérateur privé, le second cherchant à faire évoluer les positions du premier au terme d’un

rapport de force qui peut s’exercer sur des années. Sur le maniement de ces stratégies à

fronts multiples, voir, par exemple, Ch. Jamin (prés.), « Table-ronde sur les cabinets

d’avocats à vocation mondiale : quelles stratégies pour demain ? », CDEnt. 2011, n° 5, p. 9.

263. Des analyses ont été proposées également au départ d’un certain nombre de cas

1 Voir supra, n° xxx.

300

célèbres mettant en scène une concurrence entre juridictions internationales ou régionales et

des conflits de procédures.

Situation - Concurrence entre juridictions internationales ou régionales et conflits de

procédures

Retour sur les affaires « Usine Mox », « Ligne du Rhin de fer » et « Bosphorus »

Deux études ont été publiées relativement récemment qui s’attachent à examiner le

phénomène de concurrence des juridictions internationales ou régionales et des conflits de

procédures : N. Lavranos, Jurisdictional Competition - Selected Cases in International and

European Law: Europa Law, 2009 ; Y. Kerbrat (dir.), Forum Shopping et concurrence des

procédures contentieuses internationales : Bruylant, 2011. La première se présente comme

une étude de cas, précédée d’une introduction et suivie de différentes propositions de

résolution des conflits. La seconde envisage de manière systématique, la concurrence de

procédures dans les grandes branches du droit international (droit des investissements,

commerce mondial, droits de l’homme, droit pénal et droit de l’environnement).

Parmi les différents cas présentés, on trouve, notamment, les affaires « Usine Mox » (CJCE,

30 mai 2006, Commission c/ Irlande, aff. C-459/03), « Ligne du Rhin de fer » (CPA, 24 mai

2005) et « Bosphorus » (CEDH, 30 juin 2005, Req. 45036/98) que nous avons déjà croisées

à un moment où un autre de ce travail (voir infra, n° xxx, la table de jurisprudence). Le point

commun à toutes ces affaires est de mettre en scène une pluralité de juridictions

internationales ou européennes, ayant eu à connaître ou, plus modestement, étant

susceptibles de connaître d’une situation identique ou similaire. Ainsi, dans l’affaire

« Mox », deux juridictions arbitrales, le tribunal international du droit de la mer et de la Cour

de justice des Communautés européennes ont été saisies de tout ou partie du dossier, la

CJCE décidant de réaffirmer de manière brutale sa compétence exclusive pour trancher du

différend entre le Royaume-Uni et l’Irlande. Dans l’affaire « Ligne du Rhin de fer », la Cour

permanente d’arbitrage prend un soin particulier à vérifier que son travail d’application du

droit de l’Union européenne ne chevauche pas le travail d’interprétation préjudicielle

dévolue à la CJUE en vertu du TFUE. Dans l’affaire « Bosphorus », la CEDH délivre une

présomption simple de conformité du droit de l’UE à la CESDHLF, présomption qui trouve

en partie sa justification dans la présence au sein de l’UE d’un juge (la CJUE) à même de

garantir la protection des droits fondamentaux et un contrôle de la légalité des actes de droit

européen dérivé.

Ces exemples, sans doute un peu exceptionnels, montrent que dans des contextes différents

les uns des autres, les juges internationaux et européens ont de plus en plus conscience de

leur coexistence/concurrence. Cet état se traduit dans les décisions soit par des

301

manifestations de rejet (comme dans le cas de l’affaire « Usine Mox ») ou d’empathie

(comme dans le cas des affaires « Chemin de fer du Rhin de fer » et « Bosphorus »). Cette

situation est de nature à éveiller chez le juriste le sentiment que plusieurs juridictions

s’offrent potentiellement à lui dans le contexte international et européen et qu’il lui faut sans

doute procéder à un choix qui sera guidé notamment par une analyse comparée de la pratique

décisionnaire des différents acteurs en présence (sur la comparaison multiniveau, voir supra,

nos développements en Partie 1, n° xxx).

Même s’il peut être observé, le phénomène de forum shopping n’en présente pas moins des

spécificités importantes dans un contexte mondial, spécificités qui tiennent à la présence de

limites importantes à la liberté de choix.

B - Les limites à la liberté de choix

1/ La présence de juridictions diversement spécialisées aux différents niveaux

264. Comme nous l’avons relevé au début de ce paragraphe, l’expression forum shopping

s’est développée à l’origine dans le contexte d’une justice étatique, les juges des différents

pays du monde s’offrant potentiellement à la stratégie des plaideurs. Son emprunt dans un

contexte plus vaste, incluant des juridictions internationales et européennes, ne se fait pas sans

quelques adaptations. Comme souvent, une notion développée à un niveau, ici national, n’a

pas nécessairement la même signification et la même portée à un autre niveau, en l’occurrence

international et européen, et a fortiori, dans les relations entre ces différents niveaux1.

Dans le cas présent, on peut dire que le forum shopping est souvent entravé par une trop

grande altérité entre les justices pouvant être rendues au niveau national, international et

européen. Si le plaideur sait que le résultat qu’il recherche ne peut être atteint qu’à un seul

niveau, faute pour les justices exercées à un autre niveau de présenter des traits comparables,

il ne peut entrer dans des considérations de choix. La situation est donc quelque peu

paradoxale : si l’espoir de solutions différentes alimente le forum shopping, encore faut-il que

ces différences ne soient pas trop grandes, sans quoi elles annihilent toute possibilité de choix.

Pour illustrer ce propos, on distinguera deux types de situations.

265. Les premières situations reposent sur des considérations de procédure.

1 Pour une démonstration en ce sens, à propos d’autres expressions, voir supra, n° xxx.

302

Situation - Altérité des règles de procédures gouvernant les différentes juridictions aux

différents niveaux

Exemples de règles procédurales limitant la liberté de choisir son juge

Les hypothèses sont légion où un plaideur, qui aimerait pouvoir choisir son juge national,

international ou européen, se trouve confronté à une impossibilité de choix, compte tenu de

règles procédurales. Prenons quelques exemples : l’absence de recours direct ou leur

caractère très limité pour les requérants ordinaires devant une juridiction internationale ou

européenne (la CIJ ou l’ORD et, pour bon nombre de recours, la CJUE par exemple) ; le

caractère subsidiaire d’une justice internationale ou européenne qui requiert un épuisement

des voies de recours interne (devant la CEDH, par exemple) ; le caractère purement

volontaire de la soumission d’un plaideur à certaines formes de justice internationale

(arbitrage ou justice de droit international), etc.

Ces considérations générales doivent parfois être nuancées dans certains contextes. Par

exemple, le contentieux international et européen des droits de l’homme, le contentieux

pénal international ou encore le contentieux relatif aux investissements internationaux offre

des profils de justice nationale, internationale ou européenne qui tendent à se rapprocher les

uns des autres. Ce n’est pas un hasard si les pratiques de forum shopping sont le plus

perceptibles dans ces matières. Voir, déjà cité, N. Lavranos, Jurisdictional Competition -

Selected Cases in International and European Law: Europa Law, 2009 ; Y. Kerbrat (dir.),

Forum Shopping et concurrence des procédures contentieuses internationales : Bruylant,

2011.

Un cas en particulier : le contentieux de l’annulation

Le contentieux de l’annulation est un bon exemple d’accès contraint à un juge. Prenons

comme hypothèse de travail la situation d’un plaideur qui souhaite voir déclarer une norme

juridique nulle en raison de sa non-conformité à une norme qui lui est supérieure. Selon que

cette norme est produite dans un système juridique de droit national, international ou

européen, le plaideur devra se diriger vers tel juge plutôt que tel autre. En principe, seul un

juge international peut annuler une norme internationale, seul un juge européen peut annuler

une norme européenne et seul un juge national peut annuler une norme nationale. Le

contentieux de l’annulation - comme beaucoup d’autres contentieux - change donc

littéralement d’objet selon qu’il est considéré à un niveau d’application du droit plutôt qu’un

autre. Le plaideur peut - dans l’absolu choisir - de demander l’annulation d’une norme

nationale plutôt qu’européenne ou internationale. Mais pour chacune de ces normes, il

n’aura, en principe, aucune liberté de choisir son juge, sauf cas tout à fait particulier (pour

l’hypothèse de l’annulation d’un titre européen de propriété intellectuelle par un juge

303

national et/ou par un juge européen, voir, à propos de la marque communautaire, supra, n°

xxx).

266. Les autres situations d’altérité portent sur des considérations de droit matériel

applicable devant les différentes juridictions aux différents niveaux.

Situation - Altérité du droit matériel applicable devant les différentes juridictions aux

différents niveaux

Exemples pratiques de différences de droit matériel applicable limitant la liberté de choisir

son juge

Une considération simple consiste à observer que les juges présents aux différents niveaux -

national, international ou européen - n’appliquent pas nécessairement les mêmes droits pour

la bonne et simple raison que leur culture juridique n’est pas la même. Une entrave à une

liberté économique, par exemple, n’est pas appréhendée de la même manière, selon les

mêmes raisonnements et les mêmes justifications, par un juge national défenseur des libertés

individuelles, une instance internationale en charge de différends commerciaux entre Etats et

un juge européen qui statue dans le contexte d’une intégration régionale. Si une entreprise

estime que sa liberté économique est entravée par une autorité publique, elle n’est pas

confrontée à un choix entre trois juges différents à même de traiter la même question. Elle

est en présence de trois questions juridiques profondément différentes, chacune pouvant être

réglée à sa manière par un juge différent. Le juge national pourra annuler ou déclarer

inopposable la réglementation nationale en cause en raison son caractère anticonstitutionnel.

Le juge international constatera une violation d’un accord de libre-échange et invitera les

parties à négocier une issue au conflit sous peine d’autoriser des contre-mesures de rétorsion.

Un juge européen n’aura d’yeux que pour un principe de libre circulation au terme duquel il

cherchera à identifier une entrave et ses éventuelles justifications.

Ce cas, un peu exceptionnel, montre que les différences de droit matériel applicable ont

souvent une portée bien plus grande qu’on ne le croit. Le juriste est trop souvent tenté de

considérer que, parce que le problème est au départ objectivement le même (dans notre

exemple : une autorité publique nationale qui restreint une liberté économique), son

traitement au niveau national, international et européen est ou devrait nécessairement être le

même. Cette vision est le plus souvent contredite par la réalité. Les juges présentent un degré

de spécialisation qui fait qu’ils n’appliquent pas le même droit à des situations qui ont une

origine commune. Les différences de solutions qui en résultent sont moins l’expression

d’une incohérence ou même d’une simple contradiction que la traduction d’un pluralisme

juridique mondial que le juriste doit apprendre à maîtriser. La comparaison du droit national,

international et européen permet de mettre en évidence certaines de ces différences (voir

304

supra, Partie 1, les nombreuses illustrations proposées). Le juriste doit les garder présentes à

l’esprit quand la question se pose à lui du choix d’un juge national, international ou européen

plutôt que d’un autre et se méfier des raccourcis, causalités incertaines et autres

extrapolations (sur lequelles, voir supra, n° xxx). Selon l’objectif qu’il souhaite atteindre, il

se peut qu’il n’ait tout simplement pas le choix, un juge à un niveau donné (national,

international ou européen) étant seul qualifié pour cela.

Approche théorique : comparaison des méthodes de droit international public et de droit

international privé dans la désignation du droit applicable

Les considérations pratiques qui précèdent n’interdisent pas une approche plus théorique où

la question est posée de savoir si l’on n’assiste pas, sur le terrain de la désignation du droit

applicable, à certains rapprochements entre les méthodes de droit international public et les

méthodes de droit international privé. La question se pose globalement en ces termes.

Pendant longtemps, on a considéré que sur le terrain (tout à fait particulier) de la recherche

du droit applicable, le point de clivage entre un juge international et un juge national, tous

deux saisis d’une situation internationale, résidait dans le fait que le premier ne pouvait faire

application que de son propre droit (le droit international) alors que le second était apte à

appliquer un droit étranger (désigné par une règle de conflit de lois). La dissociation juge

compétent / droit applicable était inconcevable en droit international public, là où elle

apparaissait comme possible, sinon nécessaire, en droit international privé.

Ce clivage entre les deux disciplines est de plus en plus souvent remis en cause (voir en

particulier sur ce thème, l’analyse proposée par M. Forteau, Forum shopping et

fragmentation du droit applicable aux relations internationales - le regard de

l'internationaliste publiciste , in La fragmentation du droit applicable aux relations

internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes (dir.

scientifique M. Forteau ; coord. J.-S. Bergé, M. Forteau, M.-L. Niboyet, J.-M. Thouvenin),

Editions Pedone, 2011, 143). Il est, de plus en plus fréquent, qu’une juridiction internationale

fasse application d’un droit national ou même régional. La pratique arbitrale est souvent

donnée en exemples : la Convention de Washington de 1965 instituant le CIRDI prévoit

cette possibilité (art. 42.1. : « Le Tribunal statue sur le différend conformément aux règles de

droit adoptées par les parties. Faute d’accord entre les parties, le Tribunal applique le droit de

l’Etat contractant partie au différend y compris les règles relatives aux conflits de lois ainsi

que les principes de droit international en la matière ») ; des sentences arbitrales se sont

distinguées par leur capacité à appliquer de front plusieurs droits, élaborés à différents

niveaux (CPA, sentence partielle du 30 janvier 2007 dans l'affaire Eurotunnel c. France et

Royaume-Uni, articulant différents droits nationaux, internationaux et européens autour de la

question du régime juridique applicable aux relations entre les parties au contrat de

305

concession). Quant à la juridiction de l’Union européenne, les exemples sont connus où elle

peut appliquer alternativement, outre le droit européen, du droit national et du droit

international (l’exemple le plus significatif est celui du contentieux de la responsabilité,

alimenté par le droit national en matière contractuelle et par le droit international en matière

extracontractuelle).

Cette convergence, si ce n’est des méthodes de désignation du droit applicable mais du droit

potentiellement appliqué par les juges (sur l’importance de cette référence au droit appliqué,

voir nos développements infra, n° xxx) réduit incontestablement l’altérité qui peut être

constatée entre les différentes justices nationales, internationales et européennes. Elle

favorise, nous l’avons vu, une circulation des méthodes et solutions juridiques (voir supra,

Partie 2, n° xxx). Mais le juriste doit rester vigilant. L’analyse, au cas par cas, du droit

effectivement appliqué par les différents juges montre que d’importantes différences

subsistent. Pour une démonstration en ce sens, dans le domaine sensible de l’arbitrage

d’investissement où les pratiques de forum shopping se développent, voir F.-X. Train, Forum

shopping et fragmentation du droit applicable aux relations internationales - le regard de

l'internationaliste privatiste, in n La fragmentation du droit applicable aux relations

internationales – Regards croisés des internationalistes privatistes et publicistes, préc., p. 138

et s.

2/ L’existence de systèmes intégrés

267. La liberté du plaideur dans le choix du juge national, international ou européen qui

aura à connaître de sa situation est également limitée par la présence de systèmes juridiques

intégrés. Pour un juriste français, il est clair que le rôle du juge national ne peut être envisagé

en indifférence totale du système juridique de l’Union européenne et, notamment, de la place

qu’un autre juge - la Cour de justice de l’Union européenne - y occupe.

Situation - De lege lata : la CJUE et les juridictions des Etats membres

L’exemple des contraintes pesant respectivement sur la juridiction européenne et les

juridictions nationales

Le choix d’un plaideur d’utiliser la saisine d’un juge national ou d’un juge européen comme

outil de repli du système juridique national ou européen sur lui-même (voir supra, n° xxx,

les exemples proposés) est fortement contraint dans une intégration juridique. Dans un

système intégré, tel qu’il existe au sein de l’Union européenne, les outils juridiques sont

nombreux qui sont susceptibles d’empêcher les tentatives de repli d’un système sur lui-

même.

306

Du côté des systèmes juridiques nationaux, nous savons, par exemple, que si un juge refuse

de poser une question préjudicielle à la CJUE pour privilégier une interprétation nationale

sur une interprétation autonome de la norme européenne, il existe de trois façons de

contourner cet obstacle : le plaideur, si son affaire n’est pas définitivement jugée, pourra

essayer de convaincre un juge supérieur de la nécessité de poser une question préjudicielle ;

s’il n’y parvient pas, il pourra, à certaines conditions, intenter une action en responsabilité

contre son Etat en raison de la faute commise par le service public de la justice (CJCE, 30

septembre 2003, Köbler, aff. C-224/01 ; la Cour de cassation française a reconnu cette

possibilité dans onze arrêts rendus le même jour : 1ère civ., 26 octobre 2011, 10-24250-10-

24261) ; il pourra également inviter la Commission de l’UE à ouvrir une procédure en

constatation de manquement contre l’Etat en cause (articles 258 et s. TFUE) ; enfin si la

situation du plaideur est amenée à se répéter, ce qui est le cas des contentieux récurrents, il

sera toujours temps pour lui de convaincre à nouveaux d’autres juges nationaux, dans

d’autres procédures, qui accepteront peut-être enfin de poser une question préjudicielle, fût-

ce contre la position de leur juridiction supérieure (c’est l’hypothèse de la jurisprudence

« Cofidis » (CJCE, 21 nov. 2002, aff. C-473/00) où un tribunal d’instance français (Vienne)

a eu l’audace de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, là où la Cour de

cassation s’y était jusqu’alors refusée ; c’est, de manière plus manifeste encore, le cas de

l’affaire Köbler (CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-224/01) où une juridiction locale a posé à

la juridiction européenne la question de la responsabilité de l’Etat autrichien pour refus de la

juridiction supérieure de poser une question préjudicielle à la même Cour de justice).

Du côté du système juridique européen, des garde-fous existent également. Les Etats

membres occupent une place dans une construction européenne intégrée que ne saurait

ignorer une Cour de justice, gardienne des Traités européens. La jurisprudence « Solange »

en est l’illustration la plus éclatante (sur cette jurisprudence, voir infra, n° xxx). De manière

plus générale, la place reconnue aux traditions juridiques nationales (voir supra, n° xxx), la

marge de manœuvre laissée aux Etats et aux juges nationaux (voir supra, n° xxx), le rôle

direct joué par les Etats dans l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité

(Protocole 2 annexé aux TUE et TFUE ; le dispositif dit du « carton jaune » a été actionné

pour la première fois en mai 2012 par douze parlements nationaux à propos d’une

proposition de règlement du Conseil relatif à l’exercice du droit de mener des actions

collectives dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services,

COM(2012)130 final) sont autant d’outils au service d’une intégration juridique dont on

oublie trop souvent de rappeler qu’elle joue à double sens.

268. Dans un avenir proche, une autre forme d’intégration devra être prise en compte, une

fois que l’Union européenne aura effectivement adhéré à la Convention européenne de

307

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce sont, en effet, les rapports

entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme

qui s’en trouveront profondément modifiés.

Situation - De lege feranda : la CJUE et la CEDH

L’évolution des rapports entre la CEDH et la CJUE

Le traité d’adhésion de l’Union européenne à la CESDHLF est en cours de négociation. Les

points à régler sont nombreux, ce qui explique que les discussions soient toujours en cours

alors que le Traité de Lisbonne, qui marque l’engagement de l’UE à adhérer à la CESDHLF,

est entré en vigueur en décembre 2009. Sont en cause, en effet, les modalités d’intégration

du système juridique de l’Union européenne dans le système de la CESDHLF. Au titre de

ces modalités figure la question sensible des rapports entre les deux juridictions européennes.

Ces derniers vont nécessairement évoluer vers plus intégration. Il n’est pas certain, par

exemple, que la CEDH maintienne sa jurisprudence Bosphorus (CEDH, 30 juin 2005, Req.

45036/98, préc.). Il est à peu près évident que la CJUE ne disposera plus de la marge de

manœuvre qui était la sienne par rapport au travail d’interprétation de la CEDH. La tentation

du repli du système juridique de l’UE sur lui-même n’en sera que plus refrénée. Sur le terrain

de la stratégie des plaideurs, il sera sans doute de plus en plus difficile de jouer la carte d’un

juge contre un autre, chose qui n’était déjà pas aisée (en dépit du discours pronostiquant

« une guerre des juges européens » ; pour un exemple parmi d’autres, G. Lebreton, Critique

de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, D. 2003, 2319).

308

Section 2 - La hiérarchisation par application du droit à un autre niveau : l’appel à un

droit hiérarchisé

269. Pour résoudre son cas à l’aide d’une hiérarchie des normes, le juriste a fait le choix,

plus ou moins libre, de se placer à un niveau d’application du droit plutôt qu’un autre. Ce

positionnement est confronté à la réalité d’un pluralisme juridique mondial qui commande

que d’autres méthodes et solutions soient à l’œuvre à d’autres niveaux. Or ces autres

méthodes et solutions participent elles aussi potentiellement à un processus de hiérarchisation

des droits. Le juriste doit alors maîtriser les voies de passage d’une hiérarchie définie à un

niveau à une hiérarchie définie à un autre niveau (§ 1), lesquelles commandent parfois la

référence nécessaire à « un droit hiérarchisé », c’est-à-dire une hiérarchie des normes

appliquée (§ 2).

§ 1 - Les voies de passage d’une hiérarchie définie à un niveau à une hiérarchie définie à

un autre niveau

270. L’identification des voies de passage d’une hiérarchie définie à un niveau à une

hiérarchie définie à un autre niveau emprunte au thème de la circulation des situations qui a

été abordé au titre de la phase de combinaison des droits (voir supra, Partie 2, Chapitre 2, n°

xxx). Dans la configuration qui nous intéresse principalement dans cet ouvrage d’une

circulation des situations entre le niveau national, international ou européen, trois scénarios

peuvent être envisagés : les voies de passage entre le niveau national et international (A),

entre le niveau national et européen (B) et entre le niveau international et européen (C).

A - Les voies de passage entre le niveau national et international

271. Le passage d’un niveau national à international et inversement peut emprunter

différentes voies.

Situation - Le passage d’une institution nationale à une institution internationale et vice

versa

L’exemple du conflit entre un Etat et un ressortissant étranger, élevé au rang de conflit

interétatique : retour sur l’affaire « Diallo »

Pour illustrer le phénomène de circulation entre le juge national et la Cour internationale de

justice, nous avons pris l’exemple de l’affaire « Diallo » (CIJ, 30 novembre 2010, Ahmadou

Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du Congo ; sur cette affaire, voir nos

développements supra, n° xxx). Cet arrêt illustre le cas où un Etat exerce la protection

diplomatique sur l’un de ses ressortissants, après épuisement des voies de recours internes.

309

Rappelons que cette protection diplomatique permet d’élever la situation nationale (ici le

recours du ressortissant devant les autorités de l’Etat étranger qui a pris une mesure de

spoliation et d’expulsion à son encontre) au niveau international (un différend interétatique

porté devant la Cour internationale de justice).

Dans une hypothèse de ce type, les constructions hiérarchiques de droit national qui

permettent d’apprécier, dans le contexte national, la légalité de la mesure d’expulsion et de

spoliation, déterminent, dans l’ordre international, si un Etat a enfreint une obligation du

droit international en adoptant la mesure d’expulsion et de spoliation en cause. Les

constructions hiérarchiques définies au niveau national trouvent donc un certain écho au

niveau international.

L’exemple du différend arbitral international réceptionné par un ordre juridique

étatique : l’hypothèse d’une sentence confrontée à une règle d’ordre public international

français

Soit un arbitrage international ayant donné lieu à une sentence. La question peut se poser de

la réception de cette sentence dans un ordre juridique étatique (reconnaissance, exécution ou

recours en annulation), par exemple français. Au titre de cette réception, un contrôle peut

être exercé par le juge étatique de l’absence de « contrariété manifeste à l’ordre public

international » (sur le fondement, par exemple, de l’art. 1514, 1520 ou 1525 du CPC). Cet

ordre public international est un ordre public international français (pour une illustration,

pour un cas de non-respect par l’arbitre international du principe de suspension des

poursuites individuelles en matière de faillite défini notamment au niveau français, Cour de

cassation, 1ère civ., 8 mars 1988, pourvoi n° 86-12015 ; voir, en comparaison, refusant de

considérer qu’une règle française relative à l’interruption de la prescription était d’ordre

public international, Cour de cassation, 1ère civ., 30 juin 1998, pourvoi n° 96-13469). Même

si cet ordre public se veut spécifique aux relations internationales, il procède d’une

hiérarchisation propre au système juridique français, au moins potentiellement. Cette

hiérarchisation peut ne pas être la même que celle que l’arbitre a éventuellement considérée

dans l’ordre international (« ordre public réellement international »). Il se peut donc que

deux hiérarchies coexistent et interagissent, le cas échéant, l’une sur l’autre.

272. Mais ce type de passage institutionnel n’est pas toujours possible ou encore réalisé.

Dans ces hypothèses, c’est l’application du droit dans le contexte national à une application

du droit dans le contexte international et vice versa qui permet d’appréhender le passage

d’une hiérarchie définie à un niveau à une hiérarchie définie à un autre niveau.

310

Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte national à une

application du droit dans le contexte international et vice versa

L’exemple d’une solution de droit national évaluée dans un contexte international : retour

sur l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD

L’appréhension des violations des règles du commerce mondial de l’OMC par la législation

des Etats parties à l’organisation illustre, nous l’avons vu, un cas de circulation (voir supra,

n° xxx). Un droit élaboré dans un contexte national est apprécié, par le dépôt d’une plainte,

dans un contexte international. Cette confrontation prend une tournure généralement

abstraite. Les instances de l’ORD se livrent à une confrontation du texte de la réglementation

nationale et s’attachent à confirmer ou infirmer une contradiction avec les termes de l’un

quelconque des accords OMC (voir en ce sens, S. Bhuiyan, National Law in WTO Law -

Effectiveness and Good Governance in the World Trading System: Cambridge University

Press, 2007, spéc. p. 37 ; pour une illustration en matière de propriété intellectuelle : affaire

Chine - Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle,

ORD, Rapport du groupe spécial, 26 janv. 2009, Etats-Unis c. Chine, WT/DS362). Cette

approche abstraite cède parfois le pas à une analyse plus concrète. C’est le cas, par exemple,

de la situation où c’est l’absence de mise en œuvre effective du droit national qui constitue

un manquement aux obligations internationales (pour un exemple, dans un conflit opposant

l’Argentine aux Communautés européennes, ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006,

Argentine c. CE, WT/DS293, voir les explications ci-après, n° xxx). Dans les deux cas, on

ne peut exclure, par exemple, une discussion sur le point de savoir quel type de

dysfonctionnement interne révèle le non-respect des engagements internationaux par l’Etat

défendeur. Au titre des dysfonctionnements possibles, il peut être observé, par exemple, une

non-application de la hiérarchie interne des normes : une pratique administrative nationale

contraire aux prescriptions législatives nationales, contrariété qui constitue un fait considéré

comme un cas de violation de l’accord international de libre-échange.

B - Les voies de passage entre le niveau national et européen

273. Les voies institutionnelles qui permettent de passer du niveau national au niveau

européen et inversement sont connues. Elles illustrent le passage potentiel d’une hiérarchie

définie à un niveau à une hiérarchie définie à un autre niveau.

311

Situation - Le passage d’une institution nationale à une institution européenne et vice versa

L’exemple de la question préjudicielle posée à la CJUE puis réceptionnée par une

juridiction nationale : le cas de la célèbre affaire « Melki »

Les jeux d’aller et retour auxquelles donnent lieu les procédures de renvoi préjudiciel entre

les juridictions nationales et la juridiction européenne contribuent le plus souvent à une

convergence des solutions nationales et européennes (pour une illustration remarquée, voir

supra, n° xxx, l’étude de la jurisprudence « Arcelor »). Mais parfois, ils sont utilisés dans un

tout autre but, notamment quand il s’agit d’opposer des constructions hiérarchiques de droit

interne et des constructions hiérarchiques de droit européen. L’affaire « Melki » en est une

illustration remarquable.

Dans une procédure interne, une juridiction du fond française a soulevé devant la Cour de

cassation une question prioritaire de constitutionnalité en vue de son éventuelle transmission

au Conseil constitutionnel, compétent au titre du nouvel article 61-1 de la Constitution

française. La question formulée par le juge mettait en cause la compatibilité d'une disposition

de la loi française (CPP, art. 78-2, al. 4) avec « les droits et libertés garantis par la

Constitution de la République française ». Refusant de s'en tenir au strict énoncé de la

question posée par le juge de renvoi, la Cour de cassation a pris appui sur les écritures du

demandeur pour déplacer la discussion du terrain de la constitutionnalité de la loi française

vers celui de sa conformité à des dispositions de droit européen (Cour de cassation., QPC, 16

avr. 2010, n° 10-40002). Pour ce faire, la haute juridiction judiciaire a procédé à deux sauts

successifs dans son raisonnement. Elle s'est d'abord interrogée sur la compatibilité de la règle

de procédure pénale avec un article du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

relatif à la libre circulation des personnes dans l'espace de liberté, sécurité et justice (TFUE,

art. 67). Puis remontant d'un cran dans la généralité, elle s'est posé la question sensible de la

compatibilité de certaines règles de procédure relatives à la question prioritaire de

constitutionnalité (Ord. 7 nov. 1958, art. 23-2 et 23-5, telle que modifiée par la loi organique

du 10 décembre 2009) avec les dispositions du traité européen sur le renvoi préjudiciel

(TFUE, art. 267).

Le raisonnement suivi par la Cour de cassation s'inscrit, sans hésitation possible, dans une

perspective de hiérarchisation. La Cour de cassation en appelle à la primauté du droit

européen pour déterminer si des règles de la loi organique française qui gouvernent les

rapports entre le contrôle de la constitutionnalité de la loi et celui de conventionnalité sont

compatibles avec le droit de l'Union européenne. Cette démarche retenue par le juge français

mérite d’être explicitée. On peut, en effet, s'interroger sur le point de savoir pourquoi la Cour

de cassation a fait le choix délibéré d'appréhender les rapports entre la loi française et le droit

européen sous le prisme du conflit de normes ? Le juge judiciaire français aurait pu de lui-

312

même trouver les voies d'une conciliation entre les règles françaises et les règles

européennes, en considérant que la règle de procédure nationale de QPC n'interdit pas

l’examen, dans un second temps, de la conventionnalité de la loi française, fût-ce au terme

d’une question préjudicielle (pour une analyse en ce sens, voir Conseil constitutionnel, 12

mai 2010, n° 2010-605 DC, notamment pt 15, qui a entendu formuler sa propre analyse de la

question préjudicielle posée par la Cour de cassation à la Cour de justice). Au lieu de cela, la

Cour de cassation refuse de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au

Conseil constitutionnel et s’estime tenue de procéder à un renvoi préjudiciel devant la Cour

de justice.

L'explication de cette attitude doit, nous semble-t-il, être recherchée dans la loi française.

Quelle que soit l'interprétation que l'on entend donner des articles 23-2 et 23-5 de

l'ordonnance du 7 novembre 1958 précitée, telle que modifiée par la loi organique du 10

décembre 2009, il semble difficile de ne pas y voir une volonté de hiérarchiser l'ordre des

contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité quand ils sont sollicités devant le juge

judiciaire ou administratif français (sur ce point, voir nos développements supra, n° xxx).

Cet ordre n’est que de nature procédurale. Elle marque néanmoins une préférence pour la

formulation dans le temps de solutions de droit interne (contrôle de constitutionnalité) sur

des solutions de droit international ou européen (contrôle de conventionnalité).

Cette chronologie qu’a voulu imposer le législateur français ne règle rien dans un contexte

de pluralisme juridique mondial où une hiérarchie définie à un niveau (ici national) peut être

malmenée à un autre niveau par une autre construction hiérarchique. C’est ce qu’a voulu

rappeler la Cour de cassation française en allant chercher, par application des dispositions du

TFUE qui lui en offrait la possibilité, l’interprétation de la Cour de justice.

La Cour de justice a rendu sa décision en s’efforçant de dégager les voies de conciliation

entre la procédure de constitutionnalité interne et les exigences du droit européen encadrant

l'autonomie institutionnelle et procédurale des États membres (CJUE, 22 juin 2010, aff. C-

188/10 et C-189/10, Aziz Melki et Sélim Abdeli : « l’article 267 TFUE s’oppose à une

législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de

constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette

procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de

constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité

des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite question, toutes

les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation de

saisir la Cour de questions préjudicielles. En revanche, l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à

une telle législation nationale, pour autant que les autres juridictions nationales restent libres:

de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la

313

procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de toute question préjudicielle

qu’elles jugent nécessaire, d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection

juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et de laisser

inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en

cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union. Il appartient à la juridiction de renvoi de

vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à

ces exigences du droit de l’Union » (pt. 57).

L’instance a repris son cours devant la Cour de cassation, laquelle persiste et signe :

« Attendu que le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les

dispositions du droit de l'Union, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en

laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la

législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination

préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ; Attendu

que, dans l'hypothèse particulière où le juge est saisi d'une question portant à la fois sur la

constitutionnalité et la conventionnalité d'une disposition législative, il lui appartient de

mettre en œuvre, le cas échéant, les mesures provisoires ou conservatoires propres à assurer

la protection juridictionnelle des droits conférés par l'ordre juridique européen ; qu'en cas

d'impossibilité de satisfaire à cette exigence, comme c'est le cas de la Cour de cassation,

devant laquelle la procédure ne permet pas de recourir à de telles mesures, le juge doit se

prononcer sur la conformité de la disposition critiquée au regard du droit de l'Union en

laissant alors inappliquées les dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée

prévoyant une priorité d'examen de la question de constitutionnalité » (Cour de cassation.,

QPC, 29 juin 2010, n° 10-40002).

Le choix délibéré de la Cour de cassation de ne pas transmettre la question prioritaire de

constitutionnalité au Conseil constitutionnel illustre assez remarquablement la manière dont

le juriste, ici un juge, peut manipuler plusieurs systèmes juridiques et leurs procédés de

hiérarchisation respectifs. Dans le contexte de cette affaire, deux hiérarchies formelles

étaient à l’œuvre. Une hiérarchie posée par la loi française qui ordonne que priorité soit

donnée dans le traitement procédural du contrôle de constitutionnalité sur le contrôle de

conventionnalité (articles 23-2 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 telle que

modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009, précitée). Une hiérarchie posée par le

Traité sur l’Union européenne qui fait obligation aux juridictions supérieures nationales de

surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, en cas de

difficulté d’interprétation du droit européen (article 267 TFUE). Pour échapper aux

contraintes inhérentes à la première règle hiérarchique, le juge français se place délibérément

sous la coupe de la seconde règle hiérarchique. La situation juridique soumise à la Cour de

314

cassation dans cette affaire est littéralement délocalisée. Du niveau national, elle passe au

niveau européen.

Pour critiquable qu’elle puisse paraître (voir, entre autres analyses, avec les nombreuses

références citées : D. Simon, « Les juges et la priorité de la question prioritaire de

constitutionnalité : discordance provisoire ou cacophonie durable ? », RCDIP 2011, 1 ; voir

en contrepoint, l’approche proposée par P. Puig (à propos notamment de la loi organique),

« La question de constitutionnalité : prioritaire mais pas première… », RTDCiv. 2010, 66),

cette attitude tire les conséquences logiques de l’existence d’une pluralité de systèmes

juridiques. Un acteur institutionnel majeur fait ici la démonstration de sa capacité à utiliser

l’ensemble des outils mis à sa disposition par les différents systèmes pour choisir de se

placer, à un moment ou à autre, sous telle hiérarchie plutôt que sous telle autre. Mais ce

choix n’a été véritablement possible que parce que le juge interne français disposait d’un

outil procédural lui permettant de solliciter, en cours de procédure, une interprétation

authentique du droit européen. Or tel n’est pas toujours le cas, loin s’en faut.

L’exemple de la requête présentée devant la CEDH après épuisement des voies de recours

internes : le cas d’un contrôle de conventionnalité postérieur à une question prioritaire de

constitutionnalité

La situation précédemment décrite d’un juge ordinaire français qui refuse de poser une

question prioritaire de constitutionnalité et préfère que soit examinée, préalablement, une

question d’interprétation du droit européen est sans doute exceptionnelle. Beaucoup plus

fréquente, en revanche, est la stratégie du plaideur qui, n’ayant obtenu (totalement) gain de

cause au terme d’une question prioritaire de constitutionnalité (soit que la question n’ait pas

été transmise au Conseil constitutionnel, soit que la réponse du Conseil constitutionnel ne

satisfasse pas pleinement le plaideur) décide, dans la même affaire ou dans une affaire

similaire, de porter la question devant la Cour européenne de droits de l’homme après

épuisement des voies de recours internes. Dans des situations comme celles-ci, deux

procédés de hiérarchisation sont successivement mis à l’épreuve : la constitutionnalité de la

loi française et sa conventionnalité au regard des exigences de la Convention européenne de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette dualité de contrôle

rend inévitable les exercices de comparaison (voir, à titre d’illustration, J.-P. Marguénaud,

La consolidation européenne de l’autonomie de l’action du ministre visant à obtenir

l’annulation des clauses et contrats restreignant la concurrence, RDC 2012, 963) qui ne

manquent pas d’informer les plaideurs sur la bonne stratégie à suivre entre les deux procédés

de hiérarchisation. Se dessinent ainsi clairement les voies de passage d’une hiérarchie à un

autre.

274. Avant même d’envisager de poser une question préjudicielle à la CJUE ou d’introduire

315

une requête devant la CEDH, le juriste peut anticiper le passage d’une hiérarchie définie à un

niveau à une hiérarchie définie à un autre niveau en comparant l’application du droit dans le

contexte national et le contexte européen.

Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte national à une

application du droit dans le contexte européen et vice versa

L’exemple d’une solution de droit national évaluée dans un contexte européen :

l’interprétation d’une décision du Conseil constitutionnel conforme à une jurisprudence

de la CEDH

L’hypothèse de travail est la suivante. Au terme d’une question prioritaire de

constitutionnalité, le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité d’une loi à la

Constitution. Le juge ordinaire français est amené à tirer les conséquences de cette décision

du Conseil constitutionnel. Se pose à lui une question d’interprétation de la portée exacte de

la décision du Conseil constitutionnel. Plutôt que d’envisager de poser une deuxième

question prioritaire de constitutionnalité, le juge ordinaire peut être tenté de lire la décision

française en s’inspirant implicitement ou explicitement d’une jurisprudence de la CEDH. Ce

travail du juge ordinaire conduit à faire coexister, pour une même situation, deux processus

de hiérarchisation : le premier qui s’inscrit au titre d’un contrôle de constitutionnalité de la

loi française et le second qui met en œuvre un contrôle de conventionnalité par référence à

un travail menée au niveau européen par une juridiction européenne. Pour une illustration de

cette hypothèse, dans un cas de référence simplement implicite à la jurisprudence de la

CEDH, voir l’analyse proposée par N. Maziau, Constitutionnalité et conventionnalité au

regard des motifs de la décision n° 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel (à propos d’un

arrêt rendu par la Cour de cassation, 1re ch. civ, le 15 décembre 2011 sur dispositif

transitoire de la législation « anti-Perruche »), D. 2012, 297.

L’exemple d’une solution de droit européen évaluée dans un contexte national : l’exemple

d’une affaire « Conseil national des barreaux »

Un arrêt du Conseil d’Etat rendu dans une affaire « Conseil national des barreaux » (CNB)

illustre la manière dont le juge interne agence, dans son raisonnement, les passages possibles

d’une hiérarchisation des droits au niveau national et une hiérarchisation des droits au niveau

européen avec ou sans nécessité de recourir à un moyen institutionnel de type question

préjudicielle (Conseil d’Etat, 10 avril 2008, Req. n° 296845) : « Considérant que les

requérants soutiennent que la directive du 4 décembre 2001 et la loi du 11 février 2004 prise

pour sa transposition méconnaîtraient les articles 6 et 8 de la convention européenne de

sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des principes

généraux du droit communautaire ; Considérant, en premier lieu, qu'il résulte tant de l'article

316

6 § 2 du Traité sur l'Union européenne [actuel article 6.§ 3 TUE] que de la jurisprudence de

la Cour de justice des Communautés européennes, notamment de son arrêt du 15 octobre

2002, que, dans l'ordre juridique communautaire, les droits fondamentaux garantis par la

convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

sont protégés en tant que principes généraux du droit communautaire ; qu'il appartient en

conséquence au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance par une

directive des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme

et des libertés fondamentales, de rechercher si la directive est compatible avec les droits

fondamentaux garantis par ces stipulations ; qu'il lui revient, en l'absence de difficulté

sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des

Communautés européennes d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par

l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne [actuel article 267 TFUE];

Considérant, en second lieu, que lorsqu’est invoqué devant le juge administratif un moyen

tiré de ce qu'une loi transposant une directive serait elle-même incompatible avec un droit

fondamental garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et

des libertés fondamentales et protégé en tant que principe général du droit communautaire, il

appartient au juge administratif de s'assurer d'abord que la loi procède à une exacte

transposition des dispositions de la directive ; que si tel est le cas, le moyen tiré de la

méconnaissance de ce droit fondamental par la loi de transposition ne peut être apprécié que

selon la procédure de contrôle de la directive elle-même décrite ci-dessus ».

Pour expliquer la différence entre l’hypothèse où un recours préjudiciel devant la CJUE est

requis et celle où il ne l’est pas, le juge français fait la part entre les questions qui relèvent de

procédés internes de hiérarchisation (pas de question préjudicielle) et celle qui relèvent de

procédés européens (question préjudicielle obligatoire).

C - Les voies de passage entre le niveau international et européen

275. Les hypothèses de circulation entre le niveau international et européen et leur

traduction en termes de hiérarchisation des droits sont sans doute plus difficiles à identifier. Il

y a deux grandes raisons à cela. D’une part, le droit international est, nous l’avons vu, un droit

faiblement hiérarchisé, de sorte que la figure du passage d’une hiérarchie de droit européen à

une éventuelle hiérarchie de droit international apparaît comme un cas d’école. D’autre part,

les hypothèses de conflit entre le droit international et européen ne sont pas légion de sorte

que le recours à une hiérarchie, conçue comme une clé de résolution des conflits est rarement

utile.

Il existe néanmoins quelques cas.

317

Situation - Le passage d’une institution internationale à une institution européenne et vice

versa

L’exemple d’une situation successivement soumise à une institution internationale et

européenne et vice versa : retour sur l’affaire « Kadi »

L’affaire « Kadi » (TPI, 21 sept. 2005, Yusuf, aff. T-306/01, censuré par : CJCE, 3 sept.

2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05 ; voir également en prolongement,

l’affaire Kadi II (annulant un nouveau règlement européen, intervenu depuis), TPI, 30

septembre 2010, aff. T-85/09) illustre, au premier degré, l’examen de la légalité d’un texte

européen de droit dérivé qui trouve sa source dans une résolution des Nations Unies

prononçant des sanctions individuelles (gel d’avoirs notamment) contre des individus

suspectés d’intelligence avec des mouvements terroristes (voir supra, n° xxx). Mais si l’on

considère la situation dans sa globalité, on observe qu’elle est amenée à circuler par

différents biais décisionnaires (« législateur », « exécutif » et « judiciaire » entendus au sens

large) du niveau international au niveau européen. Ce passage institutionnel d’un niveau à un

autre est susceptible de mettre en scène différents processus de hiérarchisation des droits : un

processus international, au sein duquel une place serait, par exemple, occupée par le jus

cogens, et un processus européen, lequel repose notamment sur l’affirmation d’une

communauté de droit et la protection de droits fondamentaux. Dans l’affaire Kadi, le TPI a

été tenté, nous l’avons signalé, de se référer à un processus de hiérarchisation du droit

international présenté comme concurrent du processus européen (TPI, 21 sept. 2005, Yusuf,

aff. T-306/01 : pts. 334 et s.). La Cour de justice l’a fermement refréné dans cette voie

(CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05 : pts 290 et 327

not.). Le TPI ne l’a manifestement pas entendu (complètement) de cette oreille (TPI, 30

septembre 2010, aff. T-85/09 : « les institutions et les gouvernements intervenants ont réitéré

avec force, dans le cadre de la présente instance, les préoccupations déjà exprimées par eux,

dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kadi de la Cour, quant au risque de

bouleversement du régime de sanctions mis en place par les Nations unies, dans le cadre de

la lutte contre le terrorisme international, qui résulterait de l’instauration à un niveau national

ou régional d’un contrôle juridictionnel du type de celui préconisé par le requérant à la

lumière de l’arrêt Kadi de la Cour. Il est vrai que, dès lors qu’est admise la compétence de

principe du Conseil de sécurité pour adopter des sanctions visant des particuliers, plutôt que

des États ou leur régime (smart sanctions), un tel contrôle juridictionnel est susceptible

d’interférer avec les prérogatives du Conseil de sécurité, notamment pour ce qui est de la

définition de ce qui constitue une menace à la paix ou à la sécurité internationales, de la

constatation de l’existence d’une telle menace et de la détermination des moyens d’y mettre

fin. Plus fondamentalement, certains doutes ont pu être exprimés, dans les milieux

318

juridiques, quant à la pleine conformité de l’arrêt Kadi de la Cour, d’une part, avec le droit

international, et plus particulièrement avec les articles 25 et 103 de la charte des Nations

unies, et, d’autre part, avec les traités CE et UE, et plus particulièrement avec l’article 177,

paragraphe 3, CE, les articles 297 CE et 307 CE, l’article 11, paragraphe 1, UE et l’article

19, paragraphe 2, UE (voir, également, l’article 3, paragraphe 5, TUE et l’article 21,

paragraphes 1 et 2, TUE, ainsi que la déclaration n° 13 de la conférence des gouvernements

des États membres sur la politique étrangère et de sécurité commune, annexée au traité de

Lisbonne, qui souligne que « l’UE et ses États membres demeureront liés par la charte des

Nations unies et, en particulier, par la responsabilité principale incombant au Conseil de

sécurité et à ses États membres du maintien de la paix et de la sécurité internationales. À cet

égard, il a notamment été soutenu que, bien que la Cour ait affirmé, au point 287 de son arrêt

Kadi, qu’il n’incombait pas au juge communautaire, dans le cadre de la compétence

exclusive que prévoit l’article 220 CE, de contrôler la légalité d’une résolution du Conseil de

sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, il n’en demeure pas

moins que contrôler la légalité d’un acte communautaire qui se borne à mettre en œuvre, au

niveau de la Communauté, une telle résolution ne laissant aucune marge à cet effet revient

nécessairement à contrôler, au regard des normes et des principes de l’ordre juridique

communautaire, la légalité de la résolution ainsi mise en œuvre. » etc., pts 113 et s.).

Cette motivation, particulièrement alambiquée, du Tribunal de l’Union européenne révèle les

difficultés pour le juge à agencer un processus de hiérarchisation des droits qui s’opère

parallèlement à deux niveaux différents - international et européen ici -, même si au final,

c’est la hiérarchisation européenne des droits qui est ici préférée par le juge européen. Les

voies de passage d’une hiérarchie à une autre n’ont pas été ici maîtrisées. Nous verrons

comment il est possible de remédier à ce type de difficulté (voir infra, n° xxx).

276. Il est également possible d’envisager un autre cas.

Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte international à une

application du droit dans le contexte européen et vice versa

L’exemple du différend arbitral international confronté à un ordre juridique européen :

l’exemple des jurisprudences « Eco Swiss » et « Poupardine »

Le droit de l’arbitrage international n’a pu rester indifférent à l’émergence d’un droit

européen, spécialement dans sa dimension d’ordre public. C’est ainsi notamment que dans

une affaire restée célèbre (CJCE, 1er juin 1999, Eco Swiss, aff. C-126/97), la Cour de justice

a déclaré : « Une juridiction nationale saisie d'une demande en annulation d'une sentence

arbitrale doit faire droit à une telle demande lorsqu'elle estime que cette sentence est

effectivement contraire à l'article 85 du traité CE [devenu article 101 TFUE], dès lors qu'elle

319

doit, selon ses règles de procédure internes, faire droit à une demande en annulation fondée

sur la méconnaissance de règles nationales d'ordre public » (pt. 41 ). Eu égard aux

conséquences attachées au non-respect d’une loi de police européenne, l’arbitre

international, s’il ne veut pas que sa sentence soit annulée par un juge national membre de

l’Union européenne, est invité à intégrer à son raisonnement des constructions hiérarchiques

de droit européen. La question difficile se pose alors des modalités de cette intégration.

C’est cette difficulté qu’illustre un récent arrêt « Poupardine » (Cour de cassation, 1ère ch.

civ., 29 juin 2011, pourvoi n° 10-16680 ; pour une compréhension de l’arrêt (que la seule

lecture ne permet pas), voir notamment la note de P. Mayer, RA 2012, 76). Dans cette

affaire, la Cour de cassation, par un motif peu explicite (« Mais attendu, d'une part, qu'ayant

relevé que le litige soumis aux arbitres avait pour objet l'appréciation du bien-fondé de la

rupture unilatérale du contrat par la société Poupardine, la cour d'appel, juge de l'annulation,

qui n'avait pas le pouvoir de réviser la décision au fond, a pu en déduire que les arbitres, en

se déclarant, fût-ce à tort, incompétents pour statuer tant sur la conformité au droit

communautaire de la décision de refus d'agrément de la société Smeg, prise par l'ONIC en

application de la réglementation nationale alors en vigueur que sur la légalité de l'article L.

211- 16 du code rural au regard des règles communautaires, et en déclarant la résiliation

fondée, s'étaient conformés à leur mission »), dénonce, sans la sanctionner, la raison

« d’incompétence » avancée par les arbitres pour ne pas examiner la conformité d’une

décision prise par un organisme public français au regard du droit de l’Union européenne.

Autrement dit, la Cour de cassation rappelle que les arbitres ont bien compétence pour

appliquer le droit européen, en l’occurrence d’ordre public, même si autre chose était de

savoir si, en l’espèce, la violation de la règle européenne était de nature à modifier la

résolution du différend.

L’exemple d’une solution de droit européen (UE) évaluée dans un contexte international :

retour sur l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD

L’UE étant partie, avec ses Etats membres, à l’OMC, la réglementation européenne peut être

évaluée au regard des exigences des règles sur le commerce mondial devant l’ORD. Le

phénomène est d’ailleurs fréquent. L’UE a ainsi participé, comme défendeur, à plus de 70

procédures. Ce qui a été dit précédemment pour le droit national (voir supra, n° xxx) vaut

potentiellement pour le droit européen. Pour une illustration, à propos d’une pratique de

moratoire, consistant, de l’aveu même de l’administration européenne à refuser, pendant plus

de cinq ans, d’approuver de nouveaux produits biotechnologiques « sans justification

scientifique ou juridique » (sic), voir ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006,

Argentine c. CE, WT/DS293.

320

§ 2 - La référence à un droit hiérarchisé

277. Une chose est de procéder à une hiérarchisation des droits à un niveau, une autre est de

considérer la place qu’occupe ce droit hiérarchisé à un autre niveau. Deux questions se posent

à ce propos : dans quelles hypothèses cette référence à un droit hiérarchisé est-elle utile voire,

nécessaire (A) et comment déterminer le contenu et, sans doute, la nature de ce droit

hiérarchisé (B) ?

A - Les hypothèses où la référence à un droit hiérarchisé est utile et nécessaire

278. C’est probablement un truisme mais il mérite d’être explicité : pour que le juriste se

donne la peine de considérer un droit hiérarchisé à un autre niveau que celui où son cas est

appréhendé, il faut que cette considération soit utile à son raisonnement juridique.

Indépendamment des questions que nous évoquerons plus loin (voir infra, § B), cette utilité

juridique tient à une réalité simple mais qui est rarement considéré en tant que telle : le droit

hiérarchisé est utile parce qu’il a été, qu’il est ou qu’il sera appliqué au cas en question.

Situation - Droit hiérarchisé et droit appliqué

Exemples où le droit hiérarchisé a été, est ou sera appliqué au cas

Quel que soit le temps passé, présent ou futur auquel l’application du droit hiérarchisé est

considérée (le juriste pouvant se placer à un moment ou un autre de l’analyse, selon qu’il

traite une situation passée, présente ou à venir), le fait est qu’elle n’intéresse le juriste que si

elle est susceptible d’atteindre le cas à traiter.

Eu égard aux différents scénarios envisagés précédemment (voir supra, § 1), on peut dire

que cette application d’un droit hiérarchisé est envisagée par le juriste chaque fois que la

mise en œuvre du droit dans un contexte est évaluée, en termes de compatibilité, dans un

autre contexte.

Ainsi, la compatibilité du droit appliqué dans un contexte national, selon des constructions

hiérarchiques définies au niveau national, peut être mesurée dans un contexte international

(dans le cadre d’une procédure devant la CIJ ou l’ORD, par exemple) et dans un contexte

européen (UE et CEDH). De manière plus exceptionnelle, on peut envisager le cas inverse

où la compatibilité d’un droit appliqué dans un contexte international (par exemple, arbitrage

international) ou européen (UE ou CEDH) est évaluée dans un contexte national (par

exemple, à l’occasion de l’adoption d’une règle ou décision nationale d’exécution). Dans

certaines hypothèses particulières, la compatibilité du droit appliqué dans un contexte

européen peut être évaluée dans un contexte international (procédure devant l’ORD contre

l’UE) ou dans un autre contexte européen (UE - CEDH). De manière très exceptionnelle

321

enfin, la compatibilité du droit appliqué dans un contexte international (par exemple, ONU,

arbitrage international) peut être jaugée, au moins indirectement, dans un contexte européen

(UE ou CEDH).

279. Eu égard aux différentes situations mises en évidence par les voies de passage d’une

hiérarchie à une autre, certaines sont manifestement plus importantes que d’autres dans la

place qu’elles concèdent à un droit hiérarchisé.

Les situations où la référence à un droit hiérarchisé peut être vécue par le juriste comme une

nécessité recoupent celles où une contrainte de circulation existe. Cette contrainte de

circulation, que nous avons déjà envisagée dans une perspective de combinaison des droits

(voir supra, Partie 2, n° xxx), intervient parfois dans un processus de hiérarchisation des

droits. Quand cette contrainte existe, le juriste est amené, plus que dans toutes autres

situations, à se référer à un droit hiérarchisé.

Situation - Droit hiérarchisé et contrainte de circulation

Exemples où un droit hiérarchisé est soumis à une contrainte de circulation

Parmi les différentes situations envisagées au titre du passage d’une hiérarchie à une autre

(voir supra, § 1), certaines traduisent une contrainte de circulation. Trois cas de figure

peuvent être distingués.

Le premier vise la situation où l’examen des modalités d’application du droit est une

condition d’appréciation d’un cas de responsabilité internationale. C’est l’exemple,

notamment, du conflit étatique élevé au rang de conflit interétatique devant la CIJ ou, plus

exceptionnellement, de l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD contre un Etat

ou l’UE.

Un deuxième cas de figure vise toutes les hypothèses où un procédé institutionnel permet à

une relation de fait d’être successivement examinée à un niveau national puis à un niveau

européen et vice versa. C’est l’exemple de la question préjudicielle portée devant la Cour de

justice de l’Union européenne ou de la requête présentée devant la Cour européenne des

droits de l’homme après épuisement des voies de recours internes et des effets qu’elles

peuvent produire à rebours dans les ordres juridiques nationaux. A terme, quand l’Union

européenne aura adhéré à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales, il faudra ajouter l’hypothèse du passage d’un niveau européen

(UE) à un autre (CEDH).

Un troisième cas de figure concerne les hypothèses où une règle ou décision de droit

international est confrontée à un ordre juridique étatique ou européen au stade de sa

322

reconnaissance ou de son exécution. C’est le cas d’une sentence arbitrale internationale

confrontée à ordre juridique étatique (la France, par exemple) ou un ordre juridique intégré

(UE ou CEDH). C’est le cas également d’une décision du Conseil de sécurité des Nations

Unies exécutée au sein de l’Union européenne.

En dehors de ces hypothèses, le phénomène de circulation que nous avons pu observer dans

la partie précédente (voir supra, n° xxx) ne traduit pas un état de contrainte suffisant pour

justifier une référence à un droit hiérarchisé. Ainsi, l’application du droit à différents niveaux

sans recours à un vecteur institutionnel ou la propension d’un système juridique à se replier

sur ses propres constructions hiérarchiques, sans référence aucune aux constructions d’un

autre ordre juridique, n’ont pas à être envisagées dans les développements menés plus avant.

B - La détermination du contenu et de la nature du droit hiérarchisé

280. La question du contenu et de la nature ce que nous appelons ici « le droit hiérarchisé »

est envisagée essentiellement par la doctrine de droit international privé dans des situations

assez particulières. Ces situations ont en commun de mettre en scène un juge (étatique ou

arbitral) chargé d’appliquer une loi étatique étrangère normalement applicable. Dans des

hypothèses précises, la question se pose de savoir si la référence à une hiérarchie des normes

appliquée dans le système juridique étranger est possible et quels en sont les termes. Ces

hypothèses sont au nombre de trois.

281. Selon une première hypothèse, la question peut se poser devant le juge étatique saisi

de l’inconstitutionnalité de loi étrangère normalement applicable.

Situation - L’inconstitutionnalité de la loi étrangère normalement applicable

Réponse de principe et difficultés théoriques et pratiques

L’hypothèse d’une lex causae étrangère frappée d’inconstitutionnalité dans l’Etat dont elle

émane appelle une réponse de principe, largement tempérée par des considérations pratiques.

Quand un juge français, par exemple, applique une loi étrangère, la réponse de principe veut

qu’il n’applique pas seulement la loi, entendue dans un sens étroit, impliquant la seule

référence à un énoncé textuel (par exemple, un article d’un code civil étranger), mais le droit

d’un système juridique étranger, c’est-à-dire l’ensemble des sources textuelles et

jurisprudentielles, internes, internationales ou européennes, appliquées dans le pays étranger

(sur une distinction entre ordre juridique et système juridique, voir. D. Sindres, La distinction

des ordres et des systèmes juridiques dans les conflits de lois, LGDJ, 2008). Si un conflit

survient entre ces sources, le juge doit normalement appliquer les solutions au conflit

dégagées dans le pays étranger. Si ces dernières empruntent à des constructions de type

« hiérarchie des normes », c’est la hiérarchie des normes étrangère qui sert de référence, en

323

aucun cas la hiérarchie des normes française. Dans notre hypothèse de travail, si la loi

étrangère est arguée d’inconstitutionnalité, c’est évidemment par référence au droit

constitutionnel étranger que la question doit être considérée. Personne ne songerait, en

pareille circonstance, à prétendre que la loi étrangère n’est pas valable car contraire à la

Constitution française. Cette analyse ne fait que traduire la relativité de toute construction de

type hiérarchie des normes, qui n’autorise, au mieux, qu’un contrôle de validité des normes

ayant une place dans le système juridique considéré, en l’occurrence dans le système

étranger (voir sur ce thème, la présentation proposée par D. Bureau et H. Muir Watt, Droit

international privé, T. I (partie générale), PUF, 2me éd., n° 455, avec les différentes

références citées ; comp. à propos de la réglementation administrative étrangère, l’analyse

prospective proposée par O. Dubos, Le territoire, in J.-B. Auby (dir.), L’influence du droit

européen sur les catégories de droit public, Dalloz 2010, spéc. p. 367 et s.

Cette réponse de principe se heurte néanmoins à des difficultés théoriques et pratiques. D’un

point de vue théorique, c’est la nature juridique du droit étranger et donc, indirectement, la

nature juridique de la hiérarchie des normes qu’il renferme, qui est discutée. Longtemps

assimilée à un simple fait, une loi étrangère ne saurait avoir la même force qu’une loi

française. Aussi la considération selon laquelle la loi étrangère est frappée

d’inconstitutionnalité dans son pays d’origine, n’aurait pas plus de poids que n’importe quel

fait de nature à influer sur la décision du juge. Cet obstacle théorique a vieilli. Il ne rend pas

compte des efforts déployés par les juristes, notamment en France (mais pas seulement),

pour donner au droit étranger applicable un véritable statut juridique, si ce n’est égal à celui

de la lex fori, du moins qui s’en rapprocherait (la Commission européenne travaille d’ailleurs

actuellement à une proposition en ce sens dans les domaines couverts les différents textes

européens uniformisant le droit des conflits de lois).

Ce sont, en réalité, les considérations d’ordre pratique qui rendent difficile, aujourd’hui

encore, l’examen par le juge saisi d’une question d’inconstitutionnalité de la loi étrangère

applicable. L’office du juge français, quand il applique la loi étrangère, ne saurait être

exactement équivalent à l’office du juge étranger quand il applique sa propre loi. La position

« extérieure » du juge français quand il applique la loi étrangère fait qu’il n’est pas en

mesure de mettre en œuvre l’ensemble des outils juridiques d’application existant dans le

système juridique étranger. Les obstacles que le juge français peut rencontrer sont de deux

ordres : un obstacle de légitimité, quelle que soit l’importance des moyens notamment

d’information mis à sa disposition par l’institution ou les parties au litige, le juge français est

toujours moins légitime que le juge étranger à appliquer le droit étranger, de sorte que son

rôle ne peut être que plus effacé ; un obstacle procédural, chaque fois que le juge français n’a

pas accès à une procédure étrangère spécifique qui permet une application pleine et entière

324

du droit étranger. C’est le cas dans l’hypothèse d’un contrôle de constitutionnalité de la loi

étrangère. Si une procédure de type renvoi préjudiciel devant juge constitutionnel est

aménagée à l’étranger, le juge français en sera exclu, sauf disposition contraire du droit

étranger. Aini, par exemple, les juges étrangers, pas plus que les arbitres d’ailleurs, n’ont

accès à la procédure française de QPC (préc.).

Aussi fragile soit-elle, cette situation où la loi étrangère est arguée d’inconstitutionnalité

permet de jeter les bases de la distinction qui nous intéresse ici entre l’application d’une

hiérarchie des normes et la référence à un droit hiérarchisé. Face aux difficultés que le juge

français peut rencontrer dans la mise en œuvre d’une hiérarchie des normes étrangère, son

rôle peut se cantonner à l’application d’un droit hiérarchisé étranger. Faute, pour lui, de

pouvoir mobiliser l’ensemble des ressources, notamment procédurales, du système juridique

étranger, le juge français va rechercher les manifestations, dans le système juridique

étranger, d’un droit hiérarchisé, c’est-à-dire d’un droit appliqué par les acteurs, notamment

institutionnels, étrangers. Ainsi, par exemple, le juge français peut avoir à connaître d’une

décision d’un juge constitutionnel étranger, invalidant la loi étrangère normalement

applicable. Cette décision est une manifestation de ce que nous appelons ici un « droit

hiérarchisé ». Le juge français ne met pas directement en œuvre une hiérarchie des normes

étrangère. Il se réfère à un droit hiérarchisé, tel qu’il a été appliqué dans le système juridique

étranger et par un acteur habilité.

282. Selon une deuxième hypothèse, la loi étrangère peut être arguée d’inconventionnalité

devant le juge étatique français.

Situation - La loi étrangère arguée d’inconventionnalité devant un juge étatique

Réponse de principe et difficultés théoriques et pratiques

La réponse de principe développée pour l’inconstitutionnalité de la loi vaut pour celle de

l’inconventionnalité. Par exemple, un juge français appliquant la loi de l’Etat de New York

doit faire application du traité conclu entre les Etats-Unis et la Suisse, dès lors que la

situation en cause entre dans son domaine d’applicabilité (sur cet exemple où le juge du fond

français a considéré néanmoins que le traité en question ne concernait que les rapports entre

« citoyens suisses et citoyens des Etats-Unis d’Amérique » et non les ressortissants français :

Cour de cassation, 1ère ch. civ., 1er février 1972, Rougeron, pourvoi n° 70-11911). Cette

référence au traité international « étranger » (dans cet arrêt, la Cour de cassation indique,

sans détour, que le « traité, doit être considéré comme une loi étrangère ») implique que,

dans l’hypothèse d’un conflit avec la loi étrangère applicable, ce soit le système étranger qui

livre les clés de résolution du conflit. La Constitution et/ou jurisprudence étrangères de dire,

325

par exemple, si le traité international est supérieur à la loi interne, fût-elle postérieure

(hypothèse bien connue en France, des arrêts « Jacques Vabre » et « Nicolo », préc.).

Cette réponse se heurte aux mêmes difficultés pratiques que celles évoquées à propos de

l’inconstitutionnalité de la loi étrangère. Le juge français appliquant un traité international

dans un contexte de droit étranger n’est pas dans la même position que s’il devait appliquer

un traité international liant la France dans le contexte français. Comme pour l’application de

la loi étrangère, son office est différent et le contrôle exercé par la Cour de cassation, par

exemple, ne saurait être exactement équivalent à celui qui préside à l’application des textes

français ou des textes internationaux liant la France.

Cette réponse un peu générale peut se heurter néanmoins à des difficultés supplémentaires. Il

peut arriver, en effet, que la convention internationale ou européenne applicable en pays

étranger soit également applicable en France. C’est même devenu une hypothèse tout à fait

fréquente avec le développement du droit européen, chaque fois que la loi d’un autre Etat

membre (UE - COE) est déclarée applicable. Dans cette situation, que doit faire le juge

français si, par extraordinaire, le texte conventionnel international ou européen n’est pas mis

œuvre selon les mêmes modalités hiérarchiques à l’étranger et en France ?

Trois solutions radicalement différentes peuvent être envisagées. La première consiste à

imposer au juge, la figure du dédoublement fonctionnel développée par Georges Scelle pour

décrire les rapports entre l’ordre international et le juge national (Précis de droit des gens.

Principes et systématique, Sirey (2 t.), 1932, spéc. vol. 2, p. 317 et s) en la projetant sur

l’hypothèse du rapport entre deux ordres juridiques nationaux : le juge français qui applique

le texte international ou européen dans un contexte étranger tient compte des seules règles

d’application hiérarchique prévues par la pays étranger. Cette solution s’inscrit dans la lignée

de la jurisprudence « Hocke » que nous avons déjà rencontrée (voir supra, n° xxx) : le conflit

d’interprétations d’une convention internationale portant loi uniforme est ici traité comme un

conflit de lois ordinaire. Une deuxième solution est de faire prévaloir les constructions

françaises sur les constructions hiérarchiques étrangères. Cela revient à évincer, au moins

partiellement (pour la part de la solution juridique qui dépend du texte international ou

européen), la loi étrangère au profit de la loi française, pour un motif à déterminer (on songe,

par exemple, à une exception d’ordre public française qui intégrerait un impératif d’ordre

public de source conventionnelle, par exemple européenne (UE ou CEDH) ; sur le

phénomène d’européanisation de l’ordre public au sens du droit international privé, voir M.-

N. Jobard-Bachellier et F.-X. Train, Juris-classeur de droit international, Ordre public

international, Fasc. 534-1, n° 16 et s. ; Fasc. 534-2, spéc. n° 64 et s.). Une troisième et

dernière solution est de recourir, quand cela est possible, à une technique d’interprétation

uniforme, soit que l’interprétation ait déjà été livrée par un interprète authentique, soit

326

qu’elle puisse être sollicitée. On songe, dans le contexte européen, au renvoi à une

jurisprudence de la CEDH (déjà rendue) ou de la CJUE (déjà rendue ou à rendre au terme

d’une question préjudicielle).

Dans la première solution, le juge français qui doit trancher une question

d’inconventionnalité de loi étrangère applicable ne met pas en œuvre une hiérarchie des

normes étrangère. Il se réfère à un droit hiérarchisé étranger, c’est-à-dire à la manière dont

cette hiérarchie des normes étrangère a été mise en œuvre à l’étranger par des acteurs,

notamment institutionnels, plus habilités que lui à le faire. Cette recherche devient inutile

chaque fois que le juge décide de privilégier une référence à ses propres constructions

(exception d’ordre public) ou renvoie à une interprétation authentique, d’une juridiction

internationale ou européenne.

283. Une troisième hypothèse vise la position de l’arbitre international chargé d’appliquer

un droit national et qui s’interroge sur l’impact exercé par la hiérarchie de normes telle

qu’appliquée dans le contexte national en question.

Situation - L’arbitre international chargé d’appliquer un droit national et la hiérarchie des

normes

Une distinction proposée entre les contrariétés de normes supérieures et inférieures

constatées, constatables ou à constater

Un auteur (P. Mayer, L’arbitrage international et la hiérarchie des normes, RA 2011, 361) a

montré que l’arbitre international, quand il est conduit à appliquer un droit national, ne peut

mobiliser de lui-même la hiérarchie des normes inscrite dans le système juridique national

dont la loi est appliquée. Il doit s’appuyer sur l’application qui peut en être faite dans le

système considéré. L’analyse est résumée en ces termes : « la mission de l’arbitre n’est pas

de faire respecter la hiérarchie des normes en vigueur dans le pays dont la loi est applicable.

Cette hiérarchie n’est pertinente pour lui que dans la mesure où elle influe sur le contenu des

règles effectivement en vigueur » (p. 15, § 22 in fine).

Même si l’auteur justifie cette situation par des considérations propres à l’arbitrage

international et une préférence marquée, dans ce contexte, pour des conceptions réalistes du

conflit hiérarchique de normes sur des conceptions normativistes qui avaient été choisies

comme point de départ à l’analyse (P. Mayer répondant, sur ce point, au travail de J.

Paulsson, Unlawful Laws and the Autority of International Tribunals », ICSID Review

Foreign Investment Law Journal, Vol. 23, n° 2, 2008, 215 ; on peut se demander s’il n’eut

pas été plus simple de renoncer d’entrée de jeu à une approche formelle pour privilégier une

approche matérielle), il nous semble particulièrement intéressant d’inscrire son analyse dans

la démarche qui est la nôtre d’une application d’un droit hiérarchisé à différents niveaux.

327

Aussi retiendrons-nous volontiers les trois séries d’hypothèses dégagées dans cette étude

(préc., p. 16 à 23) : 1° les « situations dans lesquelles la contrariété de la norme inférieure à

la norme supérieure n’est pas de nature à entraîner l’inapplicabilité de la norme inférieure »

(hypothèse où la conformité de la norme inférieure à la norme supérieure ne donne pas lieu,

dans le pays concerné, à un contrôle a posteriori ; cela a été le cas longtemps en France en

matière de contrôle de constitutionalité de la loi avant que la procédure de question

prioritaire de constitutionnalité ne soit introduite en 2009) ; 2° les « situations dans lesquelles

la contrariété de la norme inférieure à la norme supérieure conduit normalement les juges du

pays en cause à déclarer inapplicable la norme inférieure » (triple hypothèse où la contrariété

de la norme inférieure à la norme supérieure a déjà été constatée par une autorité, ne l’a pas

encore été mais est patente, ne l’a pas été et n’est pas patente ; dans ces différentes situations

une grande attention est portée par l’auteur aux solutions d’ores et déjà constatées soit dans

le système juridique national, soit dans le système qui l’intègre (UE ou CEDH)) ; 3° enfin,

les « situations dans lesquelles la contrariété de la norme inférieure à la norme supérieure ne

peut être constatée que par une autorité spéciale du pays en cause, qui ne s’est pas encore

prononcée » (deux hypothèses selon que l’arbitre peut ou ne peut pas saisir par voie

préjudicielle une autorité constitutionnelle seule habilitée à se prononcer). Et l’auteur de

conclure que, selon les situations, selon les hypothèses, l’arbitre est plus ou moins enclin à se

référer à un droit appliqué selon des modalités hiérarchiques définies dans un contexte

national de la loi qu’il est chargé d’appliquer (voir en particulier, la systématisation proposée

en conclusion).

La position de l’arbitre n’est pas totalement différente de celle d’un juge étatique extérieur

au système juridique dont il doit appliquer les solutions. Sans doute que l’arbitre n’est pas

soumis à un ordre hiérarchisé qui lui serait propre et que sa liberté d’agir n’en est que plus

grande (P. Mayer, article préc., § 7). Il n’est pas certain néanmoins que l’état de contrainte

qui pèse sur l’arbitre qui aspire à mettre en œuvre un droit réellement appliqué dans un

système juridique qui lui est étranger (ici le système national dont loi est applicable), ne

serait que pour éviter que la sentence arbitrale ne soit invalidée par le juge étatique, soit

radicalement différent de celui qui peut être observé dans d’autres contextes. Les scénarios

envisagés dans le cadre de l’arbitrage international faisant application d’un droit étatique

peuvent utilement alimenter, nous semble-t-il, une réflexion plus générale englobant les

juridictions nationales, internationales et européennes chargées d’appliquer un droit défini à

un autre niveau que le leur.

284. Bien que ces trois situations ne la désignent pas comme telle, c’est bien l’existence

d’un « droit hiérarchisé » qui est ici discutée. Le juriste, agissant au titre d’une justice étatique

ou arbitrale internationale, se pose la question, au stade de la mise en œuvre du droit national

328

déclaré applicable, de la référence possible, utile et, éventuellement nécessaire à un droit

hiérarchisé, c’est-à-dire un droit appliqué au sens où nous avons commencé à l’entendre.

Il faut donc élargir la perspective et la considérer dans son ensemble quand une contrainte de

circulation existe et qu’un juge international ou européen peut avoir à connaître d’un droit

hiérarchisé. Cette perspective recouvre trois situations.

285. La première situation est celle où la compatibilité d’un droit national est appréciée par

un juge international ou européen.

Situation : Le droit national hiérarchisé devant un juge international ou européen

L’Etat plaideur du contenu de son droit national hiérarchisé

Qu’il s’agisse du conflit étatique élevé en conflit interétatique devant la CIJ (hypothèse de

l’affaire « Diallo », préc.), d’une plainte déposée contre un Etat devant l’ORD (hypothèse de

l’affaire Etats-Unis c. Chine, préc.), d’une requête devant la CEDH (de nombreux exemples

on été donnés), d’une saisine de la CJUE (idem), dans toutes ces situations l’Etat partie à la

procédure peut être amené à devoir faire la preuve du contenu de son droit national. Dès lors

que la question se pose, peu ou prou, en termes de compatibilité du droit national avec un

droit international et européen applicable, le débat est souvent l’occasion d’une discussion

sur la substance du droit national et, éventuellement (mais de plus en plus souvent), de la

manière dont il a été, est ou sera appliqué.

Cette référence potentielle à un droit appliqué peut intégrer des considérations tirées de la

manière dont la hiérarchie des normes a été, est ou sera mise en œuvre au niveau national. Le

contenu de ce droit hiérarchisé appliqué est tributaire du droit positif national. Une

discussion peut s’ouvrir sur leur signification et leur portée. Mais ce qui importe le plus,

c’est la valeur qui va être donnée à ce droit national hiérarchisé à un niveau international ou

européen.

Pour répondre à cette question, la tentation est forte de reléguer le droit national à l’état de

fait (sur cette pratique de refoulement, voir les développements supra, n° xxx). Sans être

fausse, l’assertion est un peu courte, pour ne pas dire fruste. Elle ne rend pas compte du

processus de concrétisation de ce fait. Or, si dans le contexte national, ce processus met en

œuvre une construction de type « hiérarchie des normes », le juriste placé à un autre niveau,

international ou européen, doit être capable de la considérer comme telle, c’est-à-dire de

s’ouvrir à une discussion, un débat sur la manière dont le droit national est juridiquement

fabriqué, structuré et appliqué.

329

Le résultat de cette investigation peut avoir des conséquences à un autre niveau. On prendra

trois exemples où la référence à un droit national hiérarchisé a une portée au niveau

international ou européen.

Le premier exemple est tiré de l’affaire Diallo (préc.). Le non-respect par l’Etat défendeur de

ses procédures internes de décision, notamment la violation de la loi ou de la Constitution

par le pouvoir exécutif, caractérise l’existence dans l’ordre international, d’un fait illicite de

nature à engager la responsabilité extracontractuelle de l’Etat.

Le deuxième exemple concerne les procédures devant l’ORD. Dans un cas comme celui-ci,

il y a potentiellement deux grandes manières de prendre le problème. Une première manière

consiste à vérifier que le contenu de la loi nationale est conforme aux accords internationaux

ratifiés par l’Etat en question (c’est le choix fait par les Etats-Unis dans l’affaire Chine -

Mesures affectant la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle, ORD,

Rapport du groupe spécial, 26 janv. 2009, Etats-Unis c. Chine, WT/DS362, préc.). Mais un

débat peut également porter sur la manière dont le droit de l’entité défenderesse a été (mal)

mis en œuvre (c’est l’hypothèse de l’affaire ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006,

Argentine c. CE, WT/DS293, voir ci-après). Cette seconde orientation du débat est

importante. Elle permet d’identifier très précisément, la nature du dysfonctionnement à

l’origine de la violation des engagements internationaux et, par voie de conséquence, la

nature des mesures susceptibles d’être prises par le défendeur pour remédier. Or ce

dysfonctionnement peut résulter, au niveau national, du non-respect d’une hiérarchie interne

des normes (non-respect par la loi d’un traité international ou non-respect par une

administration d’une loi faisant application d’un traité international).

Un troisième exemple concerne les échanges entre les juridictions nationales et européennes

(CJUE - CEDH). Un cas historique peut être donné en exemple avec la célèbre affaire

« Solange » où la Cour constitutionnelle allemande a, dans les années 1970, fait évoluer la

jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes sur le terrain de la

protection des droits fondamentaux. Refusant, dans un premier temps, de donner plein effet

au droit européen au motif que les droits fondamentaux n’y étaient pas suffisamment garantis

(Décision connue sous le nom de « Solange I », rendue par la Cour constitutionnelle

allemande, 29 mars 1974, BVerfGE 37, 271) ; pour une traduction en français, voir RTDE

1975, 316), la Cour constitutionnelle allemande a suscité, par réaction, une jurisprudence

abondante de la juridiction européenne, s’attachant à montrer la capacité du système

juridique européen à intégrer les droits fondamentaux au plus haut niveau de ses

constructions hiérarchiques. Cette séquence jurisprudentielle illustre un cas de prise en

compte des constructions hiérarchiques appliquées au niveau national dans un contexte

européen. Un auteur a d’ailleurs proposé que ce cas célèbre serve de méthode générale de

330

résolution des conflits de procédures portées devant des juges appartenant à des niveaux

différents (N. Lavranos, Jurisdictional Competition - Selected Cases in International and

European Law: Europa Law, 2009, spéc. p. 72 et s.).

286. La deuxième situation est celle où la compatibilité d’un droit européen est examinée

par un juge international.

Situation : Le droit européen hiérarchisé devant un juge national, international ou (par

extension) devant un autre juge européen

L’Union européenne garante du contenu du droit européen hiérarchisé

Prenons trois exemples pour illustrer la manière dont le droit de l’UE peut se présenter

comme un droit hiérarchisé devant un juge national, international ou même, par extension,

devant un autre juge européen.

Devant le juge national, la question peut être, par exemple, posée de la validité d’un texte

européen de droit dérivé par rapport aux traités institutifs européens, à la Charte des droits

fondamentaux de l’UE, des principes généraux du droit européen ou encore des règles de

droit international applicables au sein de l’Union européenne. Dans cette situation, le juge

national n’est pas habilité à mobiliser de lui-même la hiérarchie des normes propre au

système juridique européen. Il va donc s’efforcer de rechercher l’existence d’un droit

hiérarchisé européen, c’est-à-dire l’existence, au sein de l’Union européenne, d’actes ou de

décisions de nature à le renseigner sur la manière dont la hiérarchie des normes y est

appliquée. Il peut s’agir d’un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européen

considérant que l’acte de droit dérivé est ou n’est pas valable. On peut envisager également

le cas d’un acte de droit dérivé tirant les conséquences d’une incompatibilité entre deux

normes européennes (disposition d’abrogation). Si ce droit hiérarchisé ne s’est pas

concrétisé, le juge national (à la différence de l’arbitre, d’une autorité administrative

n’assumant pas fonction juridictionnelle ou d’un juge étatique étranger à l’UE) peut saisir,

par voie préjudicielle, la CJUE d’une question relative à la validité du texte de droit dérivé

(art. 267 TFUE). C’est un scénario que nous avons déjà rencontré. Voir à titre d’illustration,

CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10, supra, xxx. Voir, également, sur l’articulation de

cette procédure avec un contrôle de conventionnalité mené par le juge ordinaire français :

Conseil d’Etat, 10 avril 2008, CNB, Req. n° 296845, supra, xxx). Dans un ordre d’idée

comparable, on peut considérer que dans l’affaire « Solange » que nous avons précédemment

évoquée (voir supra, n° xxx), l’attitude de la juridiction constitutionnelle dans sa deuxième

décision du 22 octobre 1986 (« Solange II », BVerfGE 73, 339), par laquelle elle a estimé,

qu’elle n’avait pas à exercer un contrôle préalable à l’application du droit européen dérivé

sur son territoire, aussi longtemps que l’Union européenne (les Communautés européennes, à

331

l’époque) garantirait une protection efficace des droits fondamentaux, traduit une capacité du

juge national à prendre en compte, pour ses propres solutions, l’application effective d’une

construction hiérarchique de rang européen (ici la prévalence reconnue à la protection des

droits fondmamentaux sur le développement du droit dérivé).

Devant l’ORD, la position en défense de l’UE n’est pas différente de celle d’un Etat (voir

nos explications supra, n° xxx). Par exemple, dans l’affaire « Communautés européennes —

Mesures affectant l’approbation et la commercialisation des produits biotechnologiques »

(ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006, Argentine c. CE, WT/DS293, préc.), les

institutions communautaires de l’époque ont reconnu qu’un moratoire « de fait » avait été

appliqué dans l’espace européen, en contradiction des règles européennes. Ce moratoire

traduit une violation d’une hiérarchie de normes interne à l’espace européen. Au niveau

international, devant l’ORD, cette violation constitue la cause juridique de la violation d’un

engagement international (Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires

(SPS), notamment). Or le caractère illicite de cette cause dans le contexte européen peut être

utilement discuté dans l’enceinte internationale, ne serait-ce que pour, d’une part,

caractériser « le fait » illicite international et, d’autre part, identifier les modes adaptés de

cessation dudit fait.

Par extension, la situation de l’UE ne sera pas différente à l’avenir devant la CEDH (une fois

l’adhésion de l’UE à la CESDHLF approuvée). Qu’elle soit ou non maintenue (voir sur ce

point, notre analyse, supra, n° xxx), la jurisprudence « Bosphorus » (CEDH, 30 juin 2005,

Req. 45036/98, préc.) met d’ores et déjà en scène une Union européenne qui s’emploie faire

la preuve, devant la CEDH, de ce qu’il existe un droit UE hiérarchisé qui offre des garanties

suffisantes en termes de respect des droits fondamentaux.

Dans tous ces cas de figure, le droit de l’Union européenne se présente dans un autre

contexte que le sien, sous le visage d’un droit potentiellement hiérarchisé, c’est-à-dire qui est

capable de tirer toutes les conséquences d’une mise en œuvre de sa propre hiérarchie des

normes. L’utilisation qui peut être faite de ce droit européen hiérarchisé peut varier

fortement d’un contexte à l’autre. Mais dans tous les cas, c’est bien d’un droit européen

appliqué qu’il est question, droit dont les acteurs à un autre niveau, tirent des conséquences

juridiques en s’appuyant sur leur propre système de solutions.

287. Enfin, la toute dernière situation est celle où la compatibilité d’un droit international

est appréciée par un juge national ou européen.

332

Situation : Le droit international éventuellement hiérarchisé devant un juge national et

européen

Le respect de l’ordre public réellement international ou du jus cogens devant une

juridiction nationale ou européenne

Le droit international est, nous l’avons vu, un droit faiblement hiérarchisé. Il peut arriver

néanmoins que des éléments de hiérarchisation du droit international soient parfois discutés à

un autre niveau, national ou européen.

Pour le niveau national, l’hypothèse est celle où une sentence arbitrale internationale fait

application d’un principe d’ordre public transnational ou réellement international et que cette

application est reçue dans un ordre juridique étatique au stade de la reconnaissance (lato

sensu) de la sentence dans l’ordre interne. On a ainsi proposé l’exemple de plusieurs affaires

célèbres mettant en scène une réception, dans l’ordre interne, d’un ordre public

véritablement international (M. Forteau, L’ordre public transnational ou réellement

international, JDI 2011, 3, spéc. n° 65 qui cite notamment : « (…) la Cour d'appel de Paris

dans l'affaire European Gas Turbine SA en 1993 (CA Paris, 30 sept. 1993, Sté European Gas

Turbines SA : RA 1994, 359) ; la Cour d'appel de Paris en 1990 dans l'affaire SA Fougerolle

c/ SA Procofrance (CA Paris, 25 mai 1990, n° 88-15683, n° 88-15687 et n° 8815678 ; RA

1990, 892, qui vise l'ordre public international, « fût-il d'essence véritablement international

et d'application universelle ») ; la Cour de cassation française dans l'affaire État d'Israël c/

NIOC (Cour de cassation, 1re civ., 1er févr. 2005 pourvois n° 01-13742 02-15237, qui vise

le droit à un juge en tant que norme relevant « de l'ordre public international consacré par les

principes de l'arbitrage international et l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH »). Cette

opération peut être lue comme traduisant l’existence d’un ordre public réellement

international de droit international public commun à tous les acteurs de la société

internationale (c’est le sens de la démonstration proposée par M. Forteau). Mais on peut

aussi l’analyser comme la réception, au niveau interne, d’une construction hiérarchique de

droit international, construction qui est de nature à influer sur l’examen de la compatibilité

de la sentence arbitrale au regard de l’ordre public international du juge saisi. Ce dernier, par

mimétisme, aligne son ordre public international sur celui qui a été ou aurait dû être appliqué

par l’arbitre au niveau international.

Pour le niveau européen, il faut considérer à nouveau la première affaire « Kadi » dans la

manière dont elle a été appréhendée par le Tribunal de l’Union européenne (TPI,

21 sept. 2005, Yusuf, aff. T-306/01 ; rappelons que cet arrêt a été censuré par la Cour de

justice, voir supra, n° xxx). Dans cette affaire, le Tribunal a cru pouvoir considérer

notamment que « Force est (…) de considérer que les résolutions en cause du Conseil de

sécurité échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et que celui-ci n’est pas

333

autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit

communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la mesure du possible,

d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations

des États membres au titre de la charte des Nations unies. Le Tribunal est néanmoins habilité

à contrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité

au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les

sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de

déroger » (arrêt, pts 276 et 277). Cette analyse a été censurée par la Cour de justice selon des

motifs que nous avons déjà rapportés (CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-

402/05 et C-415/05, voir supra, n° xxx). Pour justifier cette censure, on peut livrer un

élément d’explication en termes de droit hiérarchisé. Si le Tribunal se contredit quand il

affirme que les résolutions de Nations Unies ne peuvent être invalidées par lui mais que,

dans un même temps, il se doit de vérifier « incidemment » que ces résolutions sont

conformes à la norme la plus élevée dans l’ordre international (jus cogens), c’est qu’il

confond deux raisonnements très différents. La première partie de la phrase fait référence à

une hiérarchie formelle des normes qui commande qu’un juge européen ne peut invalider un

texte de droit international (tout comme un juge européen ne peut invalider une norme de

droit interne). La seconde partie de la phrase évoque l’existence d’un droit hiérarchisé qui,

au moment où la décision était rendue, n’était tout simplement pas respecté. En effet, à

l’époque de la première affaire « Kadi » nous savons qu’il n’existait, au sein des Nations

Unies, aucun dispositif permettant concrètement aux personnes suspectées d’intelligence

avec des mouvements terroristes de se défendre et, notamment, d’être entendue avant le

prononcé d’une éventuelle sanction à leur encontre par le Conseil de sécurité. En censurant

l’arrêt du Tribunal, la Cour de justice a sanctionné une absence d’application effective d’un

droit hiérarchisé auquel la juridiction de premier degré avait cru pouvoir - à tort - se référer.

Cette affaire montre que la référence au niveau européen à une hiérarchie des normes de rang

international n’est pertinente que si cette hiérarchie est effectivement mise en œuvre. Par où

le droit hiérarchisé est synonyme de droit appliqué.

334

CONCLUSION

288. Le juriste ne fait pas ce qu’il veut, comme il le veut, dans un contexte de pluralisme

juridique mondial. Mais il peut - souvent il doit quand sa responsabilité est en jeu - apprendre

à explorer les arcanes de l’application d’un droit qui se décline au pluriel : plusieurs droits

nationaux, internationaux et européens applicables à une même situation, plusieurs contextes

nationaux, internationaux et européens dans lesquels ces droits peuvent être mis en œuvre.

Pour tenter de présenter et d’illustrer ces modalités plurielles de mise en œuvre du droit, il

faut déplacer les perspectives. Plutôt que de considérer en amont de cette mise en œuvre, la

construction de méthodes et solutions à même d’appréhender le pluralisme juridique mondial,

il faut s’atteler, en aval de ces méthodes et solutions, à la résolution des nombreuses

difficultés auxquelles le juriste est confronté quand il lui revient d’en faire application. Cela a

été dit en introduction, c’est moins la définition du droit qui est placée au cœur de cet ouvrage

que l’explicitation du travail du juriste dans un contexte de pluralisme juridique mondial.

289. Ce changement de perspectives a des implications fortes. Pour comparer et, le cas

échéant, combiner et hiérarchiser les droits en présence et les contextes dans lesquels ils sont

mis en œuvre, il est nécessaire de sortir des cadres existants. Les méthodes et solutions de

droit national, de droit international et de droit européen (lesquels peuvent être déclinées

autour, notamment, de la distinction public/privé et des nombreuses spécialités juridiques) ne

sont plus appréhendées de manière cloisonnée. Elles sont envisagées ensemble, à plat, eu

égard aux effets qu’elles sont susceptibles de produire quand leur coexistence peut être

observée à l’occasion du traitement d’une situation.

Mais l’objectif n’est pas de les malmener. Le droit national (français), le droit international

(transnational, public et privé) et le droit européen (UE et CEDH), notamment, ressortent

grandis de cette opération, dès lors qu’ils occupent tous potentiellement une place dans le

processus d’application du droit dans le contexte national, international et européen.

290. Ce processus ouvert de traitement des cas et situations juridiques, dont le juriste doit

s’imprégner, en passant d’un contexte - national, international ou européen - à l’autre, exerce

malgré tout une influence sur les utilisations du droit et, parfois, son contenu.

335

Cinq grandes opérations ont ainsi été successivement conduites dans ce travail qui trouvent

leur point ultime de construction dans l’affirmation d’un droit appliqué et hiérarchisé1 : 1° une

comparaison multiniveau où la recherche des méthodes et solutions juridiques appliquées est

déclinée aussi bien dans un contexte national, international et européen, 2° la définition d’un

cadre juridique de référence permettant d’identifier, pour un cas donné, l’ensemble des

méthodes et solutions juridiques appliquées aux différents niveaux, 3° la recherche de

rapports de complémentarité, spécialement de mise en œuvre, pouvant caractériser la relation

entre ces méthodes et solutions, 4° l’identification de contraintes de circulation qui

commandent qu’une situation passe d’un niveau à l’autre et, enfin, 5° la concrétisation d’un

droit appliqué à un autre niveau, c’est-à-dire, dans sa forme la plus achevée, l'affirmation d’un

droit hiérarchisé.

Considérées dans leur ensemble, ces opérations ont vocation à aider le juriste à donner un

sens à son travail, chaque fois que la situation qu’il doit résoudre relève potentiellement de

plusieurs droits appliqués dans le contexte national, international et européen. Elles lui

permettent, en effet, d’investir par des constructions juridiques, le temps et la distance qui

séparent l’énoncé d’un cas de son traitement dans un contexte de pluralisme juridique

mondial.

1 Pour une définition de ces cinq opérations avec un renvoi aux développements qui leur sont consacrés dans

l’ouvrage, voir supra, Glossaire p. xxx.

336

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

Liste non exhaustive des ouvrages ou numéros spéciaux de revues ayant trait à

l’appréhension du droit dans le contexte national et international, national et européen ou

international et européen.

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University Press, 2012

339

TABLE DES ABREVIATIONS

ADE : Annuaire de droit européen

ADPIC : Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au

commerce

AFDI : Annuaire français de droit international

Aff. : Affaire ou affaires (selon le contexte)

Art. : article ou articles (selon le contexte)

Arch. de Philo du droit : Archives de philosophie du droit, Ed. Sirey puis Dalloz

BIICL : British Institute of International & Comparative Law

CADH : Cour africaine des droits de l’homme

CCI : Chambre du commerce international

Cciv. : Code civil

CDE : Cahiers de droit européen

CDEnt. : Cahiers de droit de l’entreprise

CDFUE : Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

CE : Communauté européenne ou Communautés européennes (selon le contexte)

CEE : Communauté économique européenne

CEDH : Cour européenne des droits de l’homme

CESDHLF : Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales

CCI : Chambre du commerce international

CDEnt. : Cahiers de droit de l’entreprise

CEJEC : Centre d’études juridiques européennes et comparées (Université Paris Ouest -

Nanterre - La Défense)

CIADH : Cour interaméricaine des droits de l’homme

CIJ : Cour internationale de justice

CIRDI : Centre international de règlement des différends liés à l'investissement

CJCE / CJUE : Cour de justice des Communautés européennes devenue Cour de justice de

l’Union européenne depuis le 1er déc. 2009

CNUDCI : Commission des Nations Unies sur le droit du commerce international

COE : Conseil de l’Europe

Conseil constitutionnel : Conseil constitutionnel français

Conseil d’Etat : Conseil d’Etat français

340

Cour de cassation : Cour de cassation française

CPA : Cour permanente d’arbitrage

CPC : Code de procédure civile

CPI : Cour pénale internationale

CPJI : Cour permanente de justice internationale

CPP : Code de procédure pénale

D. : Recueil Dalloz

DDHC : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Dir. : Sous la direction de

ea : et autres

Ed. : Editions ou Editor (selon le contexte)

EDIEC : Equipe de droit international, européen et comparé (Université Jean Moulin -

Lyon 3)

ERC: European Research Council

Eur. Law Rev. : European Law Review

GATT : General Agreement on Tariffs and Trade (Accord général sur les tarifs douaniers et le

commerce)

HRW : Human Rights Watch

JCP : Semaine juridique

JDI : Journal du droit international (Clunet)

LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence

OGM : Organismes génétiquement modifiés

OHMI : Office d’harmonisation du marché intérieur

OIT : Organisation internationale du travail

OMC : Organisation mondiale du commerce

OMPI : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

ONG : Organisation non gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

ORD : Organe de règlement des différends (OMC)

PIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Préc. : Précité

PRUH : Presses des universités de Rouen et du Havre

PUAM : Presses universitaires d’Aix-Marseille

QPC : Question prioritaire de constitutionnalité

341

RA : Revue de l’arbitrage

RCADI : Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye

RCDIP : Revue critique de droit international privé

RDC : Revue des contrats

RDP : Revue de droit public

Rec. : Recueil

Req. : Requête

Rev. : Revue ou Review (selon le contexte)

RFDA : Revue française de droit administratif

RGDIP : Revue générale de droit international public

RHDFE : Revue historique de droit français et étranger

RIDC : Revue internationale de droit comparé

RIDE : Revue internationale de droit économique

RMCUE : Revue du marché commun et de l’Union européenne

RSCDP : Revue de sciences criminelles et de droit comparé

RTDCiv. : Revue trimestrielle de droit civil

RTDCom. : Revue trimestrielle de droit commercial

RTDE : Revue trimestrielle de droit européen

S. : Sirey

s. : suivants ou suivantes (selon le contexte)

SLC : Société de législation comparée

South. Calif. Law Rev: Southern California Law Review

TCFDIP : Travaux du comité français de droit international privé

TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

TPI : Tribunal de première instance des Communautés européennes devenu Tribunal de

l’Union européenne depuis le 1er déc. 2009

TPIY : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Trad. : Traduction

TUE : Traité sur l’Union européenne

UE : Union européenne

UNESCO : Organisation des nations unies pour l'éducation, la science et la culture

UNIDROIT : Institut international pour l'unification du droit privé

V° : Verbo

342

TABLE DES TEXTES ET DES JURISPRUDENCES CITES

Liste chronologique des textes et jurisprudences cités. Les numéros renvoient aux

paragraphes.

Les dates ci-dessous correspondent aux dates d’adoption des actes ou décisions (et non de

leur (éventuelle) entrée en vigueur ou modification). Sauf indication contraire, ces documents

sont accessibles en ligne sur les différents sites des institutions désignées ou concernées.

I./ Textes

A - Textes nationaux*

Bill of Rights (Angleterre -1689)

Charte de l’environnement (2004)

Code civil français

Code français de la consommation

Code français de l’environnement

Code français de la santé publique

Code français de procédure civile

Code français de procédure pénale

Code français du travail

Code pénal français

Constitution française de la IVème République (1946)

Constitution française de la Vème République (1958)

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (France -1789)

Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre : "Des

Communautés européennes et de l'Union européenne"

Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999 insérant, au titre VI de la Constitution, un

article 53-2 et relative à la Cour pénale internationale

Loi n° 2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale

internationale

* Textes de droit français, sauf précisions contraires.

343

Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour

pénale internationale

Loi n°47-898 du 23 mai 1947 interprétant l’article 16 de la loi du 16 avril 1946 portant

amnistie

Loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009, modifiant l’ordonnance n° 58-1067 du 7

novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel

Ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication

des lois et de certains actes administratifs

Virginia Declaration of Rights (1776)

B - Textes internationaux

Accord «ciel ouvert » conclu entre la Communauté européenne et les Etats-Unis (2007)

Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (ONU - 1979)

Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

(ADPIC - 1994)

Arrangement de Madrid concernant l'enregistrement international des marques (1891)

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981)

Charte de Nations Unies (1945)

Charte du football - FIFA

Convention « CMR » de Genève sur le transport par route (1956)

Convention américaine relative aux droits de l’homme (1969)

Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus

décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (1998)

Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (1995)

Convention d’Union de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (1886)

Convention d’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle (1883)

Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale (1944)

Convention de Genève relative à la lettre de change (1930)

Convention de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires (1956)

Convention de La Haye concernant la reconnaissance et l'exécution de décisions relatives aux

obligations alimentaires (1973)

Convention de La Haye sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la

représentation (1978)

344

Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (1980)

Convention de Montréal pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien

international (1999)

Convention de New York relative aux droits de l’enfant (1989)

Convention de Varsovie pour l'unification de certaines règles relatives au Transport aérien

international (1929 - 1955)

Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (1980)

Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)

Convention de Washington instituant le CIRDI (1965)

Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay - 1982)

Convention européenne sur certains aspects internationaux de la faillite (1990)

Convention européenne sur la télévision transfrontière (1989)

Convention OIT n° 29 sur le travail forcé (1930)

Convention OIT - n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (1948)

Convention OIT - n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective (1949)

Convention OIT - n° 135 concernant les représentants des travailleurs (1971)

Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite d’esclaves et des

institutions et pratiques analogues à l’esclavage (1956)

Convention sur la tutelle des mineurs (1902)

Déclaration universelle des droits de l’homme (1948)

GATT (1947 - 1994)

Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ONU - 1966)

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ONU - 1966)

Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international (2010)

Protocole de Carthagène sur la biosécurité (2000)

Protocole de Kyoto (1997) à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements

climatiques (1995)

Protocole interprétatif de l’article 10 de la Convention de La Haye du 20 janvier 1930 relatifs

aux immunités de la Banque des Règlements Internationaux (1936)

Résolution 1757 (2007) du Conseil de sécurité des Nations Unies créant le Tribunal spécial

pour le Liban

345

Résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations Unies du 26 fév. 2011 concernant

la Libye

Résolution 65/276 (2011) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 10 mai 2011 sur la

Participation de l’Union européenne aux travaux de l’Organisation des Nations Unies

Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (1998)

Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT - 1996)

Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur (WCT - 1996)

Traité de Nairobi la protection de l’emblème olympique (1981)

C - Textes européens

Avis du Service juridique du Conseil de l’Union européenne, 22 juin 2007 (11197/07, JUR

260)

Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000)

Charte sociale européenne (1961)

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

(1950)

Convention européenne relative à l’information sur les droits étrangers (1968)

Décision-cadre n° 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de

remise entre Etats membres

Directive 1985/374/CEE du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives,

réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des

produits défectueux

Directive 1985/577/CEE concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats

négociés en dehors des établissements commerciaux

Directive 1986/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits

des États membres concernant les agents commerciaux indépendants

Directive 1989/104/CEE du Conseil, 21 déc. 1988, dite "Première directive", rapprochant les

législations des États membres sur les marques, remplacée par la Directive 2008/95/CE

Directive 1993/7/CE du Conseil du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels

ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre

Directive1996/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué

dans le cadre d’une prestation de services

Directive 1997/7/CE sur la protection des consommateurs en matière de contrats à distance

Directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement

modifiés dans l'environnement

346

Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur

l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de

l'information

Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un

code communautaire relatif aux médicaments à usage humain

Directive 2003/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 modifiant

la Directive 96/22/CE du Conseil concernant l'interdiction d'utilisation de certaines substances

à effet hormonal ou thyréostatique et des substances β-agonistes dans les spéculations

animales

Directive 2004/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant la

sécurité des aéronefs des pays tiers empruntant les aéroports communautaires s’appuyant sur

les normes de sécurité internationales contenues dans une convention relative à l’aviation

civile internationale

Directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative

au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de

la propriété intellectuelle

Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant

les législations des États membres sur les marques

Directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant

la Directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire

d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre

Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux

droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la Directive

1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du

Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil

Principes de droit européen des contrats (PDEC - Commission Lando)

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun

européen de la vente, COM(2011) 635 final

Proposition de règlement du Conseil relatif à l’exercice du droit de mener des actions

collectives dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services,

COM(2012)130 final

Règlement 2081/92/CE du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications

géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires

Règlement 40/94/CE du Conseil, 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, remplacé

par le Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque

communautaire

Règlement 3286/94/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 arrêtant des procédures

communautaires en matière de politique commerciale commune en vue d’assurer l’exercice

par la Communauté des droits qui lui sont conférés par les règles du commerce international

347

Règlement 2027/97/CE du Conseil du 9 octobre 1997 relatif à la responsabilité des

transporteurs aériens en cas d'accident

Règlement 44/2001/CE du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire,

la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale

Règlement 2157/2001/CE du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société

européenne (SE)

Règlement 343/2003/CE du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes

de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée

dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers

Règlement 2201/2003/CE du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la

reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de

responsabilité parentale

Règlement 2273/2003/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités

d’application de la Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui

concerne les dérogations prévues pour les programmes de rachat et la stabilisation

d’instruments financiers

Règlement 773/2004/CE de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en

œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du Traité CE, pris en application

du Règlement no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles

de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité

Règlement 864/2007/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi

applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II »

Règlement 593/2008/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi

applicable aux obligations contractuelles dit « Rome I »

Règlement 4/2009/CE du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi

applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière

d’obligations alimentaires

Règlement 1259/2010/UE du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération

renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, dit

« Rome III »

Traité instituant la Communauté économique européenne (1957)

Traité sur l’Union européenne (2007)

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (2007)

II./ Jurisprudences

A - Jurisprudences nationales*

* Jurisprudences françaises, sauf précisions contraires.

348

Cour d’appel de Paris, 25 mai 1990, SA Fougerolle c/ SA Procofrance, n° 88-15683, n° 88-

15687 et n° 8815678 ; RA 1990, 892

Cour d’appel de Paris, 30 sept. 1993, Sté European Gas Turbines SA : RA 1994, 359) ; la

Cour d'appel de Paris en 1990 dans l'affaire (

Conseil constitutionnel, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 - Loi relative à

l'interruption volontaire de la grossesse (IVG)

Conseil constitutionnel, décision 80-126 DC - 30 décembre 1980 - Loi de finances pour 1981

Conseil constitutionnel, décision 91-294 DC - 25 juillet 1991 - Loi autorisant l'approbation de

la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985

Conseil constitutionnel, décision 92-313 DC du 23 septembre 1992, à propos de la

constitutionnalité de la loi autorisant la ratification du traité de Maastricht sur l'Union

européenne

Conseil constitutionnel, décision 93-325 DC (13 août 1993 - Loi relative à la maîtrise de

l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France

Conseil constitutionnel, décision 98-408 DC - 22 janvier 1999 - Traité portant statut de la

Cour pénale internationale

Conseil constitutionnel, décision 2004-496 DC du 10 juin 2004 - Loi pour la confiance dans

l'économie numérique

Conseil constitutionnel, décision 2004-505 DC, 19 nov. 2004 : le Traité de Rome (2004)

établissant une Constitution pour l’Europe

Conseil constitutionnel, décision 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur

et aux droits voisins dans la société de l'information

Conseil constitutionnel, décision 2007-560 DC du 20 décembre 2007 : Traité de Lisbonne

(2007) modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté

européenne

Conseil constitutionnel, décision 2010-605 DC, 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la

concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne

Conseil constitutionnel, décision n° 2010-612 DC, 5 août 2010, Loi n° 2010-930 du 9 août

2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale

Conseil d’Etat, Ass., 22 déc. 1978, Cohn-Bendit, Req. n° 11604

Conseil d’Etat, Ass., 29 mai 1981,Rekhou, Req. n° 15092

Conseil d’Etat, Ass. 20 oct. 1989, aff. Nicolo, Req. n° 108243

Conseil d’Etat, Ass., 29 juin 1990, GISTI, Req. n° 78519

Conseil d’Etat, 24 sept. 1990, Boisdet, Req. n° 58657

Conseil d’Etat, Ass. 28 février 1992, Philip Morris et Rothmans, Req. n°87753 et n° 56776 -

56777

349

Conseil d’Etat, 10 mars 1995, Req. n° 141083 (à propos de la convention de NY relative aux

droits de l’enfant)

Conseil d’Etat, Ass. 3 juillet 1996, Koné Req. n° 169219

Conseil d’Etat, Ass. 6 juin 1997, Aquarone, Req. n° 148683

Conseil d’État, Ass., 30 oct. 1998, Sarran et Levacher, Req. nos

200286 et 200287

Conseil d’Etat, ass. 18 déc. 1998, aff. Parc d'activité de Blotzheim, Req. n° 181249

Conseil d’Etat, 23 fév. 2000, aff. Bamba Dieng, Req. n° 157922

Conseil d'Etat, 28 juillet 2000, Req. n° 178834

Conseil d’Etat, 3 déc. 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, Req. n° 226514

Conseil d’Etat, Ass., 24 mars 2006, KPMG ea, Req. n° 288460

Conseil d’Etat, Ass. 8 févr. 2007,Arcelor, Req. no 287110

Conseil d’Etat, 10 avril 2008,CNB, Req. n° 296845

Conseil d’Etat, 3 juin 2009, Arcelor, Req. no 287110

Conseil d’Etat, Ass., 30 oct. 2009, Perreux, Req. n° 298348

Conseil d’État, 30 déc. 2009, OGM, Req. n° 308514

Conseil d’Etat, 14 mai 2010, Req. n° 312305

Conseil d’Etat, 9 juill. 2010, Fédération nationale de la libre-pensée et autres, Req. n° 327663

Conseil d’Etat, 9 juill. 2010, Mme

Cheriet-Benseghir, Req. n° 317747

Conseil d'État, 11 mars 2011, Req. 324071

Conseil d'État, 14 octobre 2011, Mme Om Hashem Saleh et autres, Req. n° 329788 ea

Conseil d’Etat, 28 nov. 2011, Monsanto, Req. n° 313546 ea

Conseil d'État, Ass., 23 déc. 2011, Eduardo José Kandyrine de Brito Paiva, Req. n° 303678

Conseil d’Etat, Ass., 11 avril 2012, GISTI, Req. n° 322326

Cour constitutionnelle allemande, 29 mars 1974, « Solange I », BVerfGE 37, 271

Cour constitutionnelle allemande, 22 octobre 1986 « Solange II », BVerfGE 73, 339

Cour de cassation, civ. 4 fév. 1936, S. 1936 1.257 (jurisprudence « Matter »)

Cour de cassation, civ., 21 juin 1950, aff. Messageries maritimes, RCDIP 1950, 609

Cour de cassation, com., 4 mars 1963, arrêt Hocke

Cour de cassation, 1ère civ., 1er février 1972, Rougeron, pourvoi n° 70-11911

Cour de cassation, ch. mixte, 24 mai 1975, aff. Cafés Jacques Vabre, pourvoi n° 73-13556

350

Cour de cassation, 1ère civ., 6 mars 1984, Kryla, pourvoi n° 82-14008

Cour de cassation, 1ère civ., 8 mars 1988, pourvoi n° 86-12015

Cour de cassation, 1ère civ., 16 fév. 1994, Ordre des avocats à la cour de Paris et autres,

pourvois n° 92-10397, 92-10398, 92-10403, 92-10404, 92-11638

Cour de cassation, Ass. plén., 1er déc. 1995, pourvois n° 91-15.578, 91-15.999, 91-19.653,

93-13.688

Cour de cassation, 1ère civ., 10 déc. 1995, Banque Africaine de Développement, pourvoi n°

93-20424

Cour de cassation, 3me civ., 6 mars 1996, Office public d’habitations de la Ville de Paris

c/ Mme Mel Yedei, pourvoi no 93-11113

Cour de cassation, com., 1er

juillet 1997, pourvoi n° 95-12221 (à propos de la convention

CMR)

Cour de cassation, 1ère civ., 30 juin 1998, pourvoi n° 96-13469

Cour de cassation, soc., 12 janvier 1999, Spileers, pourvoi no 96-40.755

Cour de cassation, 1ère civ., 16 mars 1999, Pordéa, pourvoi n° 97-17598

Cour de Cassation, 1ère civ., du 15 juillet 1999, Dumez, pourvoir n° 97-19.742

Cour de cassation, Ass. plén., 2 juin 2000, Fraisse, pourvoi nos

99-60274

Cour de cassation, 1ère civ., 29 mai 2001, aff. ASECNA, pourvoi n° 99-16673

Cour de Cassation, crim., 17 juin 2003, Aussaresses, pourvoi n° 02-80.719

Cour de cassation, Ass. plén., 23 janv. 2004, pourvoi n° 03-13.617

Cour de cassation, soc., 24 février 2004, République fédérative du Brésil c. Mme L. de

Azevedo Werneck, pourvoi: 01-47113

Cour de cassation, soc., 25 janv 2005, Banque Africaine de Développement pourvoi n° 04-

41012

Cour de cassation, 1ère civ., 1er févr. 2005, État d'Israël c/ NIOC, pourvois n° 01-13742 02-

15237

Cour de cassation, 1ère civ., 14 juin 2005, pourvoi n° 04-16942 (à propos de la convention de

NY relative aux droits de l’enfant)

Cour de cassation, 1ère civ., 25 avril 2006, pourvoi n° 02-17344 (à propos d’une résolution

des NU)

Cour de cassation, soc. 11 fév. 2009, UNESCO, pourvoi n° 07-44240

Cour de cassation, com., 16 mars 2010, pourvoi n° 08-21511

Cour de cassation, QPC, 16 avr. 2010 et Ass. plén., 29 juin 2010, pourvoi n° 10-40002

Cour de cassation, soc., 16 février 2011, pourvois n° 10-60.189 et 10-60.191

351

Cour de cassation, 1ère civ., 6 avril 2011, 09-66.486

Cour de cassation, 1ère civ., 29 juin 2011, Poupardine, pourvoi n° 10-16680

Cour de cassation, 1ère civ., 26 octobre 2011, 11 arrêts, pourvois n° 10-24250 à 10-24261

Cour suprême des Etats-Unis, Lawrence v. Texas (539 U.S. 558 (2003))

Tribunal des Conflits, 17 oct. 2011, aff. C3828

B - Jurisprudences internationales

CIJ, 6 avril 1955, Nottebohm

CIJ, 28 nov. 1958, Boll

CIJ, 5 fév. 1970, Barcelona Traction

CIJ, 8 juillet 1996, Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit

armé, avis consultatif

CIJ, 3 fév. 2006, Activités armés sur le territoire du Congo

CIRDI, 27 janvier 2010, Giovanna a Beccara and others c. Argentine, ARB/07/5

CIRDI, 23 sept. 2010, AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie, ARB/07/22

CIJ, 30 novembre 2010, Ahmadou Sadio Diallo - Guinée c. République démocratique du

Congo

CIJ, 5 avril 2011, Suisse c/ Belgique, ordonnance (à propos de la Convention de Lugano sur

la compétence et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale)

CIJ, 3 fév. 2012, Immunités juridictionnelles de l’Etat - Allemagne c. Italie ; Grèce

(intervenant)

CIJ, 19 juin 2012, indemnisation de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo

CPA, 24 mai 2005, affaire du « Ligne du Rhin de fer »

CPA, sentence partielle du 30 janvier 2007 dans l'affaire Eurotunnel c. France et Royaume-

Uni

CPJI, 17 août 1923, Vapeur Wimbledon

CPIJ, avis du 21 fév. 1925 sur l’Echange des populations turques et grecques

CPJI 25 mai 1926, Intérêts allemands en haute Silésie polonaise

CPJI, 3 mars 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig

CPJI, 26 juillet 1929, Usine de Chorzow

ORD, Organe d’appel, 13 déc. 1999, Chili – Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS87 et

DS110/AB/R

ORD, Rapport du groupe spécial, 26 janv. 2009, Etats-Unis c. Chine, WT/DS362

352

ORD, Rapport du groupe spécial, 29 sept. 2006, Argentine c. CE, WT/DS293

TPIY, 10 déc. 1998, Furundzija

C - Jurisprudences européennes

CEDH, 21 févr. 1975, Golder c/ ru, Req. no 4451/70

CEDH, 26 avr. 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni, Req. no 6538/74

CEDH, 24 févr. 1994, Casado c/ Espagne, Req. no 15450/89

CEDH, 15 nov. 1996, Cantoni c/ France, Req. n° 17862/91

CEDH, 18 fév. 1999, Beer et Regan, Req. n° 28934/95

CEDH, 18 fév. 1999, Matthews, Req. n° 24833/94

CEDH, 29 février 2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, Req. no 39293/98

CEDH, 16 avr. 2002, Dangeville, Req. no 36677/97

CEDH, 12 décembre 2002, Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne Req. n° 59021/00

CEDH, 13 juillet 2004, Pla et Puncernau c/ Andorre, Req. no 69498/01

CEDH, 11 janv. 2005, Py c/ France, Req. no 66289/01

CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus, Req. 45036/98

CEDH, 26 juillet 2005 Siliadin c/ France, Req. n° 73316/01

CEDH, 19 juin 2006, Hutten-Crapska c/ Pologne, Req. no 35014/97

CEDH, 2 août 2006, de Luca c/ France, Req. n° 8112/02

CEDH, 11 janv. 2007, Anheuser-Busch c/ Portugal, Req. n° 73049/01

CEDH, 31 mai 2007, Saramati c/. France, Allemagne et Norvège, Req. 78166/01

CEDH, 13 nov. 2007, D. H. e. a c/ République thèque, n° 57325/00

CEDH, 12 nov. 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, Req. n° 34503/97

CEDH, 17 sept. 2009, Scoppolla c. Italie (N° 2), Req. n° 10249/03

CEDH, 1er

 déc. 2009, Velcea et Mazare, Req. no 64301/01

CEDH, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne, Req. n° 19359/04

CEDH, 23 nov. 2010, Moulin c. France, Req. n° 37104/06

CEDH, 21 janv. 2011, M.S.S., Req. n° 30696/09

CEDH 7 juillet 2011, Al-Jedda c. R.-U., Req. 27021/08

CEDH, 12 sept. 2012, Nada c/. Suisse, Req. 10593/08

353

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CJCE, 27 févr. 1962, Commission c/ Italie, aff. 10/61

CJCE, 5 févr. 1963, Van Gend & Loos, aff. 26/62

CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ Enel, aff. 6/64

CJCE, 29 févr. 1968, Parke Davis, aff. 24/67

CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff. 29/69

CJCE, 17 déc. 1970, Köster, aff. 25/70

CJCE, 10 mars 1971, Deutsche Tradax, aff. 38/70

CJCE, 13 juillet 1972, Commission c/ Italie, aff. 48/71

CJCE, 12 déc. 1972, International Fruit Company, aff. 21 à 24/72

CJCE, 4 déc. 1974, Van Duyn, aff. 41/74

CJCE, 12 déc. 1974, Walrave, aff. 36/74

CJCE, 16 déc. 1976, Cornet, aff. 45/76

CJCE, 16 déc. 1976, Rewe, aff. 33/76

CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77

CJCE,, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77

CJCE, 22 janv. 1981, Dansk Supermarked, aff. 58/80

CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81

CJCE , 14 juill. 1983, Sandoz, aff. 174/82

CJCE, 30 novembre 1983, Van Bennekom, aff. 227/82

CJCE, 21 sept. 1989, Commission c/ Grèce, aff. 68/88

CJCE, 5 oct. 1994, TV10, aff. C-23/93

CJCE, 9 août 1994, France c/ Commission, aff. 327/91

CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame III, aff. C-46/93 et C-48/93

CJCE, 5 mars 1996, Commission c/ Grand-Duché, aff. C-473/93

CJCE, 14 juill. 1994, Faccini Dori, aff. C-91/92

CJCE, 17 déc. 1970, International Handelsgesellschaft, aff. 11/70

CJCE, 18 févr. 1971, Sirena, aff. 40/70

CJCE, 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, aff. 78/70

354

CJCE, 12 déc. 1972, International Fruit Company, aff. 21/72 à 24/72

CJCE, 14 mai 1974, Nold, aff. 4/73

CJCE, 16 janv. 1974, Rheinmühlen-Düsseldorf, aff. 166/73

CJCE, 8 avril 1976, Defrenne, aff. 43/75

CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral, aff. 120/78

CJCE, 22 janv. 1981,Dansk Supermarked, aff. 58/80

CJCE, 9 févr. 1982, Polydor, aff. 270/80

CJCE, 16 mai 1989, Buet, aff. 382/87

CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing, aff. C-331/98

CJCE, 28 févr. 1991, Delimitis, aff. C-234/89

CJCE, 18 juin 1991, ERT, aff. C-260/89

CJCE, 19 novembre 1991, Francovich, aff. C-6/90 et C-9/90

CJCE, 14 déc. 1991, Avis 1/91, à propos de l’accord sur l’Espace économique européen

CJCE, 24 nov. 1992, Poulsen et Diva Navigation, aff. C-286/90

CJCE, 24 mars 1994, Schindler, aff. C-275/92

CJCE 15 déc. 1995, Bosman, aff. C-415/93

CJCE, 26 juin 1997, Familiapress, aff. C-368/95

CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-162/96

CJCE 9 mars 1999, Centros, aff. C-212/97

CJCE, 1er

juin 1999, Eco Swiss, aff. C-126/97

CJCE, 28 mars 2000, aff. C7/98, Krombach

CJCE, 6 juin 2000, Angonese, aff. C-281/98

CJCE, 20 septembre 2001, Courage, aff. C-453 / 99

CJCE, 25 juill. 2002, UPA c/ Conseil, aff. C-50/00

CJCE, 15 janv. 2002, Gottardo, aff. C-55/00

CJCE, 21 nov. 2002, Cofidis, aff. C-473/00

CJCE, 10 déc. 2002, BAT, aff. C-491/01

CJCE, 8 mai 2003, Deutscher Handballbund, aff. C-438/00

CJCE, 16 juin 2003, Cipra, aff. C-439/01

355

CJCE, 11 sept. 2003, Commission c/ Conseil, aff. C-211/01

CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, aff. C-224/01

CJCE, 2 oct. 2003, Garcia Avello, aff. C-148/02

CJCE, 9 sept. 2004, Espagne et Finlande c/ Parlement et Conseil, aff. jtes C-184/02 et C-

223/02

CJCE, 19 oct. 2004, Kunqian Catherine Zhu, aff. C-200/02

CJCE, 1er

mars 2005, Van Parys, aff. C-377/02

CJCE, 3 mai 2005, Berlusconi, aff. C-387/02

CJCE, 22 nov. 2005, Mangold, aff. C-144/04

CJCE, 24 nov. 2005, Schwarz, aff. C-366/04

CJCE, 30 mai 2006, Commission c/ Irlande (« Mox »), aff. C-459/03

CJCE, 5 déc. 2006, Cipolla, aff. C-94/04 et C-202/04

CJCE, 14 déc. 2006, ASML, aff. C-283/05

CJCE, 3 mai 2007, Wereld, aff. C-303/05

CJCE, 13 mars 2007, Unibet, aff. C-432/05

CJCE, 4 oct. 2007, Schutzverband der Spirituosen-Industrie, aff. C-457/05

CJCE, 11 déc. 2007, Skoma, aff. C-161/06

CJCE, 11 déc. 2007, Viking, aff. C-438/05

CJCE, 18 déc. 2007, Laval, aff. C-341/05

CJCE, 17 avr. 2008, Peek & Cloppenburg, aff. C-456/06

CJCE, 3 juin 2008, Intertanko, aff. C-308/06

CJCE, 3 sept. 2008, Kadi et Al Barakaat, aff. jtes C-402/05 et C-415/05

CJCE, 9 sept. 2008, FIAMM, aff. C-120/06 P et C-121/06 P

CJCE, 16 déc. 2008, aff. C-127/07, Arcelor

CJCE, 16 déc. 2008, Cartesio, aff. C-210/06

CJCE, 5 mars 2009, UTECA, aff. C-222/07

CJCE, 2 avril 2009, Gambazzi, aff. C-394/07

CJCE, 23 avril 2009, Falco, aff. C-533/07

CJCE, 23 avril 2009, Dior II, aff. C-59/08

CJCE, 4 juin 2009, Leroy Somer, aff. C-285/08

356

CJCE, 16 juillet 2009, Infopaq, aff. C-8/08

CJCE, 9 sept. 2009, Budĕjovický Budvar, národní podnik, aff. C-478/07

CJCE, 22 oct. 2009, Bogiatzi, aff. C-301/08

CJUE, 17 déc. 2009, Eva Martin, aff. C-227/08

CJUE, 19 janv. 2010, Kücükdeveci, aff. C-555/07

CJUE, 25 février 2010, Brita, aff. C-386/08

CJUE, 2 mars 2010, Rottmann, aff. C-135/08

CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller, aff. C-451/08

CJUE, 6 mai 2010, Walz, aff. C-63/09

CJUE, 8 juin 2010, Voldafone, aff. C-58/08

CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. Jtes C-188/10 et C-189/10

CJUE, 5 octobre 2010, McB., aff. C-400/10 PPU

CJUE, 21 oct. 2010, I.B., aff. C-306/09

CJUE, 16 nov. 2010, Mantello, aff. C-261/09

CJUE, 22 déc. 2010, Zarraga, aff. C-491/10

CJUE, 8 mars 2011, avis 1/09, à propos de la création d’un système unifié de règlement des

litiges en matière de brevets européens et de l’UE

CJUE, 8 mars 2011, Lesoochranárske Zoskupenie VLK, aff. C-240/09

CJUE, 10 mars 2011, aff. jtes Bog ea, C-497/09, C-499/09, C-501/09, C-502/09

CJUE, 6 sept. 2011, Ivana Scattolon, aff. C-108/10

CJUE, 8 sept. 2011, Monsanto, aff. jointes C-58/10 à C-68/10

CJUE, 15 nov. 2011, Dereci, aff. C-256/11

CJUE, 21 déc. 2011, NS, aff. jtes C-411/10 et C-493/10

CJUE, 8 déc. 2011, Ziebell, aff. C-371/08

CJUE, 21 déc. 2011, ATAA, aff. C-366/10

CJUE, 15 mars 2012, SCF, aff. C-135/10

CJUE, 24 mai 2012, Global Sports Media, aff. C-196/11

CJUE, 26 juin 2012, Pologne c. Commission, aff. C-335/09 P

TPI, 10 juill. 1990, Tetra Pak, aff. T-51/89

TPI, 22 déc. 1995, Danielsson, aff. T-219/95(R)

357

TPI, 27 janv. 1997, Opel Austria, aff. T-115/94

TPI, 30 septembre 2010, Kadi II, aff. T-85/09

358

INDEX GENERAL

Les numéros renvoient aux paragraphes.

Accord international, voir Convention internationale

Accord mixte (UE)

Acte juridique

Acte public judiciaire ou extrajudiciaire étranger

Administration européenne

Administration internationale

Administration nationale

Adoption (des traités)

ADPIC

Aéronefs

Altérité (des droits)

Apatride

Appellation d’origine

Applicabilité

Applicabilité autolimitée

Applicabilité choisie

Applicabilité imposée

Applicabilité matérielle

Applicabilité spatiale

Applicabilité temporelle

Applicabilité universelle

Appropriation (d’un droit autre)

Arbitrage

Arbitrage religieux

359

Arbitre européen

Arbitre international

Arbitre interne

Arme,

Asile

Autonomie (des ordres juridiques)

Autonomie (institutionnelle ou procédurale)

Autonomie (qualification autonome)

Autonomisation

Autorité parentale

Avocat

Base juridique

Biens culturels

Bloc de constitutionnalité (France)

CADH

Cadre juridique (de référence)

Cas

Catégories juridiques

CCI

CDFUE

CE, voir UE

CEDH

CEE, voir UE

Certificat de coutume

CESDHLF

Charte

Charte constitutionnelle

Choix de droit applicable

CIADH

360

CIJ

Circulation des situations

CIRDI

Citoyenneté européenne

CJCE, voir CJUE

CJUE

Clause de déconnexion

Clause Paramount

Climat

CNUDCI

Code civil

Codification

COE

Combinaison (des droits)

Communauté de droit

Communauté de lois

Comparaison (des droits)

Comparaison multiniveau

Comparaison triangulaire

Compétence

Complémentarité institutionnelle

Concrétisation du droit

Concurrence entre juridictions

Concurrence normative (Regulatory competition)

Conflit de Droits

Conflit de lois

Conflit de normes (typologie)

Conflit de procédures

Conflit inter-étatique

361

Conflit mobile

Conseil constitutionnel (français)

Conseil d’Etat (français)

Conseil de sécurité (ONU)

Conseil juridique

Consommateurs (protection des -)

Constitution

Constitutionnalisation

Constitutionnalité

Contentieux contractuel

Contexte d’application du droit

Contexte de référence

Contextualisation

Convention internationale

Conventionnalité

Coopération entre institutions nationales, internationales et européennes

Coopération judiciaire internationale en matière civile

Coopération judiciaire internationale en matière pénale

Cour de cassation (française)

Coutume internationale

CPA

CPI

CPJI

Crime de guerre

DDHC

Décontextualisation

Dédoublement

Dédoublement fonctionnel

Dépeçage

362

Dialogue des juges

Directive européenne (UE)

Distorsion entre le droit applicable et le droit invocable

Droit a-étatique

Droit africain,

Droit allemand

Droit américain

Droit anglais

Droit appliqué

Droit au procès équitable

Droit civil

Droit commun

Droit confessionnel

Droit de grève

Droit de l’alimentation

Droit de l’environnement

Droit de la concurrence

Droit de la famille

Droit de la libre circulation

Droit de la nationalité

Droit de la propriété littéraire et artistique

Droit de manifester

Droit délibéré

Droit dérivé européen

Droit dérivé international

Droit des contrats

Droit des investissements internationaux

Droit des traités

Droit des transports

363

Droit du commerce international

Droit du marché intérieur

Droit du sport

Droit du travail

Droit économique

Droit étranger

Droit français

Droit global

Droit hiérarchisé

Droit international économique

Droit international privé

Droit international public

Droit international uniforme

Droit italien

Droit national, international et européen (distinction)

Droit naturel

Droit pénal

Droit pénal européen

Droit pénal international

Droit processuel

Droit public/droit privé (distinction)

Droit révélé

Droit spontané

Droit supra-étatique

Droit transitoire

Droit transnational

Droit-objet

Droits de l’enfant

Droits de l’homme

364

Droits distincts

Droits en réseaux

Droits fondamentaux

Droit-source

Ecole de Bruxelles

Effet (recherche d’un -)

Effet contenu

Effet d’opposabilité

Effet de fait

Effet différent

Effet direct

Effet équivalent

Effet global

Effet obligatoire

Effet utile (théorie de -)

Egalité

Election

Embargo

Energie

Enfant

Entrée en vigueur

Entreprise

Epuisement des voies de recours internes

Erga omnes

Espace de liberté, sécurité, justice

Etat de droit

Etat défendeur

Etat plaideur

Etranger

365

Européanisation

Européanité des lois de transposition des directives

Exécution

Expropriation

Expulsion

Extrapolation juridique

Fait illicite

Fait juridique

Fédéral

Fédéré

Filiation

Finance

Fonctionnalisme

Forum shopping

Fragmentation

Gel des avoirs

Génocide

Gouvernance globale

Harmonisation minimale

Harmonisation totale

Hiérarchie des normes

Hiérarchisation (des droits)

Hiérarchisation formelle

Hiérarchisation matérielle

Histoire

Horizontalité des droits de l’homme et d

Horizontalité des libertés économiques de circulation

HRW

Humanité

366

Identité constitutionnelle nationale (France)

Identité nationale

Imbrication

Immédiateté

Immigration, voir migration

Immunité de juridiction ou d’exécution

Incomplétude

Inopposabilité (d'un droit autre)

Insertion des traités dans l'ordre juridique national

Instruments à valeur interprétative

Interactions normatives

Internationalisation

Internet

Inter-planétaire

Interprétation

Interprétation conforme

Interprétation des conventions

Interprétation nationale

Interprètes privilégiés

Inter-régional

Invocabilité

Invocabilité d’exclusion

Invocabilité d’interprétation conforme

Invocabilité de réparation

Invocabilité horizontale

Invocabilité verticale

Invocabiltié de substitution

Jouet

Juge d’appui

367

Juge étatique

Juge européen

Juge international

Juge national

Juge privé

Jugement étranger

Juriste

Juriste européen

Juriste international

Juriste national

Jus cogens

Jus commune

Justice

Justiciabilité

Law Shopping

Légalité

Légalité externe

Légalité interne

Lex mercatoria

Lex posterior

Lex specialis

Liberté fondamentale

Liberté syndicale

Libertés européennes de circulation

Libre-échange

Local

Localisation (critères de -)

Localisation dans l’espace

Logement familial

368

Loi d’application immédiate

Loi de police

Loi de police étrangère

Loi de transposition

Loi de validation

Loi étrangère

Loi organique française

Lune

Lutte contre le terrorisme

Mandat d’arrêt européen

Marchandise

Marché intérieur (UE)

Marge d’appréciation nationale

Marque

Massification

Médicament

Mer

Mesure individuelle

Méthode ouverte de coordination (MOC)

Méthodes et solutions juridiques

Migration

Mimétisme

Modèle contractuel

Modèle législatif

Monisme, dualisme, pluralisme

Multiniveau

Nationalisation

Nationalité

Niveau d’application du droit

369

Non-rétroactivité des lois

Normes sociales

Notaire

Nouvelle-Calédonie

Obligations alimentaires

OGM

OHMI

OIT

OMC

OMPI

OMS

ONG

ONU

ORD

Ordre juridique (définition)

Ordre juridique immédiat

Ordre juridique nouveau intégré

Ordre public

Ordre public européen

Ordre public international français

Ordre public réellement international

Pacta sunt servanda

Pêche

Personne

Personne morale

Personne physique

PIDCP

Pluralisme juridique

Pluralisme juridique mondial

370

Pluralisme juridique mondial appliqué

Pluralisme ordonné

Plurilinguisme

Positivisme (normativiste)

Possession d’état

Pouvoir exécutif

Pouvoir judiciaire

Pouvoir législatif

Pragmatisme

Praticien du droit

Pratique des juges

Pratique des juristes internationaux

Pratique sexuelle

Préemption (des compétences)

Préemption (du droit international par le droit européen)

Prescription (délai préfix)

Presse

Prestation de services

Preuve

Primauté des normes impératives

Primauté du droit européen

Primauté du droit international

Principe d’égalité

Principe de bonne foi

Principe de confiance légitime

Principe de Loyauté

Principe de non-discrimination

Principe de primauté

Principe de proportionnalité

371

Principe de sécurité juridique

Principe de spécialité

Principe de subsidiarité

Principes généraux du droit européen

Principes généraux du droit européen

Principes généraux du droit national

Principes juridiques

Prise en compte (ou en considération)

Procédures parallèles

Propriété intellectuelle

Protection de l’environnement

Protection de l'enfance

Protection sociale

Protection sociale

Pyramide des normes

QPC

Qualification autonome

Qualification d’ordre public

Qualification dépendante

Qualification nationale, internationale ou européenne

Qualification particulariste

Qualification supplétive

Qualification universelle

Question préjudicielle (UE)

Rapport de mise en œuvre

Réception française du droit européen (UE ou CESDHLF)

Réciprocité (condition de -)

Reconnaissance

Recours direct

372

Recours en annulation

Réfugié

Régime matrimonial

Régional

Règle à caractère institutionnel

Règle à caractère matériel (ou substantiel)

Règle de conflit de juridictions

Règle de conflit de lois

Religion

Repli d'un système juridique sur lui-même

Requérant ordinaire

Requérant privilégié

Res inter alios pacta

Réseau judiciaire européen

Responsabilité civile

Responsabilité de l’Etat (extra-contractuelle et contractuelle)

Responsabilité pénale

Rétention

Revirements de jurisprudence

Révision de la Constitution

Sanctions ciblées (ou collectives)

Self-executing

Sentence arbitrale

Situation internationale

Situation de fait constituée à l’étranger

Situation extra-européenne

Situation interne, internationale ou européenne, voir Cas

Situation intra-européenne

Situation juridique, voir Cas

373

Situation purement interne (à un Etat)

Société européenne

Souveraineté

Standardisation

Stratégie à front unique

Stratégie à fronts multiples

Subsidiarité judiciaire

Succession

Supériorité, voir Primauté

Suprématie de la constitution

Sûreté

Systèmes juridiques (interactions)

Tabac

Terrorisme

Théorie de droit

Théorie de l’efficacité maximale

Théorie du jeu

Titre européen de propriété intellectuelle

Torture

TPIY,

Traditions juridiques nationales

Traité international, voir Convention internationale

Transport aérien

Transposition des directives

Tribunal des conflits (français)

Tutelle des mineurs

UE

UNESCO

UNIDROIT

374

Uniformisation

Universel

Universitaire

Valeur(s)

Vente

Volonté des parties

375

TABLE ANALYTIQUE (MATIERES, SITUATIONS ET EXEMPLES)

Présentation analytique des matières, situations et exemples traités dans l’ouvrage. Les

numéros renvoient aux pages.

Première partie - La comparaison du droit national, international et européen ________ 38

Chapitre 1 – La démarche comparative _____________________________________________ 39

Section 1 – Les présupposés _____________________________________________________________ 40

§ 1 – Le présupposé de l’incomplétude _______________________________________________ 40

Situation – L’incomplétude des systèmes juridiques dans leur aptitude à régir l’ensemble des

cas juridiques _______________________________________________________________ 42

L’exemple du droit de la propriété littéraire et artistique __________________________ 42

L’exemple du droit de la famille ______________________________________________ 43

L’exemple du droit pénal ___________________________________________________ 43

L’exemple des droits de l’homme _____________________________________________ 44

L’exemple du droit du sport _________________________________________________ 45

§ 2 – Le présupposé de la localisation _________________________________________________ 45

A - Les différents lieux d’application du droit ___________________________________________ 45

Situation – L’application du droit étranger en droit national __________________________ 46

L’exemple de l’application de la loi étrangère par le juge national ___________________ 46

Situation – L’application du droit international uniforme dans deux États différents ______ 46

L’exemple des interprétations nationales divergentes d’une loi internationale uniforme : le

cas célèbre de la jurisprudence « Hocke » ______________________________________ 46

Situation – La mise en œuvre du droit européen dans les différents États membres ______ 47

L’exemple de la marge d’appréciation nationale dans la transposition des directives

d’harmonisation minimale __________________________________________________ 47

Situation – La mise œuvre du droit des Nations Unies par l’Union européenne et un Etat

partie à la CESDHLF __________________________________________________________ 48

L’exemple des mesures de lutte contre le terrorisme prises par le Conseil de sécurité des

Nations Unies devant la CJUE et la CEDH _______________________________________ 48

Situation – Une liberté fondamentale de source nationale, internationale ou européenne

devant les juges européens ____________________________________________________ 49

L’exemple de la liberté syndicale invoquée devant la CJUE et la CEDH _______________ 49

376

Situation – La protection des droits de l’homme par les deux organisations européennes et les

Etats membres ______________________________________________________________ 49

Le cas du « triangle » Conseil de l’Europe - Union européenne - Etats membres _______ 49

B - Les différents acteurs de l’application du droit _______________________________________ 50

Situation – Le juge étatique, international ou européen _____________________________ 50

La comparaison des justices nationales, internationales et européennes : l’exemple du

recours direct intenté par un requérant ordinaire ________________________________ 50

Situation – L’arbitre interne, international et européen _____________________________ 51

La comparaison des justices arbitrales nationales, internationales et européennes :

exemples de règles définies dans différents contextes ____________________________ 51

Situation – Le juriste de droit interne, international et européen ______________________ 52

Trois juristes pour une même question : l’exemple d’une mesure nationale d’interdiction

de commercialisation d’un produit en raison d’un impératif de santé publique ________ 52

Section 2 – Les préjugés ________________________________________________________________ 54

§ 1 – Les préjugés intellectuels ______________________________________________________ 54

A – Les limites de la comparaison ____________________________________________________ 54

1/ À propos de deux métaphores (« qui embrasse trop mal étreint » et « le mariage de la carpe

et du lapin ») __________________________________________________________________ 54

Situation - La comparaison tous azimuts : quand le juge fait son marché ________________ 55

Des exemples américains et européens ________________________________________ 55

L’allégorie du « dialogue des juges » __________________________________________ 56

Situation – Comparaison n’est pas raison : quand le juriste extrapole des méthodes et

solutions juridiques (sans même s’en rendre compte parfois) ________________________ 57

L’exemple du droit européen lu au travers des catégories du droit national ou du droit

international _____________________________________________________________ 57

2/ Les verrous à faire sauter ______________________________________________________ 58

Situation – La comparaison du droit national, international et européen ________________ 60

L’exemple de la réglementation des OGM dans le contexte mondial, européen, national et

local ____________________________________________________________________ 60

L’exemple des principes en droit national, international et européen ________________ 61

Situation – La comparaison triangulaire (un droit commun et deux droits distincts) _______ 62

L’exemple de la comparaison de deux droits nationaux transposant une directive

européenne (UE) __________________________________________________________ 62

L’exemple de la comparaison des droits nationaux devant la Cour européenne des droits

de l’homme (CEDH) ________________________________________________________ 63

L’exemple de la comparaison de deux droits européens (UE - COE) appliqués dans un

contexte national __________________________________________________________ 63

3/ La comparaison multiniveau : un autre principe de réalité ___________________________ 64

377

Situation – Le juriste de droit interne et le réflexe européen _________________________ 65

Deux exemples d’utilisation courante du droit européen par le juriste de droit interne __ 65

Situation – Peut-on comparer le droit international et le droit européen ? ______________ 65

Présupposés théoriques et exemples pratiques _________________________________ 65

4/ Une distinction utile mais difficile entre les droits « sources » et les droits « objets » ______ 67

Situation – Plusieurs sources pour un même objet _________________________________ 68

L’exemple du droit des marques alimenté par les sources nationales, internationales et

européennes _____________________________________________________________ 68

L’exemple des sources nationales, internationales et européennes du droit de la

nationalité _______________________________________________________________ 68

Situation – Autant d’objets que de sources _______________________________________ 69

L’exemple de la distinction entre la marque nationale, communautaire (européenne) et,

éventuellement, internationale ______________________________________________ 69

L’exemple de la citoyenneté européenne saisie dans ses rapports à la nationalité définie

par les États membres de l’UE _______________________________________________ 70

Situation – A chaque contexte juridique, son objet _________________________________ 70

L’exemple de l’articulation des sources étatiques et non étatiques : le cas des normes

sociales appréhendées dans un contexte national ou dans un contexte international et

européen ________________________________________________________________ 70

L’exemple d’une position mal assumée de la Commission de l’UE à propos d’un droit

commun européen de la vente _______________________________________________ 71

B - La spécialisation du juriste et le décloisonnement des spécialités ________________________ 72

Situation – Le décloisonnement du droit européen et du droit national ________________ 74

Un exemple de comparaison du droit européen de la concurrence avec une règle nationale

relative au contentieux contractuel ___________________________________________ 74

Situation – Le décloisonnement du droit international et du droit européen _____________ 74

Comparer, par exemple, une règle de droit international privé et une règle européenne de

libre circulation ___________________________________________________________ 74

§ 2 – Les préjugés culturels _________________________________________________________ 75

A - L’histoire _____________________________________________________________________ 75

Situation – Comparer deux droits construits à des âges différents _____________________ 77

L’exemple de l’interprétation du Code civil de 1804 à l’aune du droit de l’Union

européenne ______________________________________________________________ 77

B - La langue _____________________________________________________________________ 77

Situation – La question du plurilinguisme devant les juges ___________________________ 79

Deux cas de multilinguisme devant la Cour de justice de l’Union européenne _________ 79

Section 3 – Les finalités _________________________________________________________________ 81

§ 1 – La connaissance des contextes juridiques pertinents ________________________________ 81

378

A – La recension des contextes juridiques pertinents ____________________________________ 81

Situation – Identifier le contexte de référence _____________________________________ 81

Un exemple de cas purement interne à un Etat__________________________________ 81

Un exemple de cas intra-européen ___________________________________________ 82

Un exemple de cas international _____________________________________________ 82

Situation – Projeter un cas hors de son contexte de référence ________________________ 82

L’exemple d’un cas interne et le contexte international et européen ________________ 82

L’exemple d’un cas européen et le contexte interne et international ________________ 83

L’exemple d’un cas international et le contexte interne et européen ________________ 83

B – La comparaison des contextes juridiques pertinents __________________________________ 83

Situation – De la comparaison des méthodes et solutions à la comparaison des systèmes

juridiques en présence ________________________________________________________ 84

L’exemple d’un cas national, international ou européen __________________________ 84

§ 2 – La définition d’une stratégie juridique ____________________________________________ 85

Situation – Les stratégies à fronts multiples _______________________________________ 86

Un exemple en droit d’auteur national, international et européen __________________ 86

Situation – Les stratégies à front unique __________________________________________ 88

Un exemple (à nouveau) en droit d’auteur national, international et européen ________ 88

Chapitre 2 – La comparaison proprement dite _______________________________________ 90

Section 1 – La comparaison des domaines d’application _______________________________________ 91

§ 1 – Le domaine matériel __________________________________________________________ 91

A- Le recours à des qualifications juridiques ____________________________________________ 91

Situation – Les qualifications nationales, internationales ou européennes ______________ 91

Un exemple à propos des marchandises : le cas du médicament ____________________ 91

Un exemple à propos des actes juridiques : la distinction entre la vente et la prestation de

services _________________________________________________________________ 92

Un exemple à propos des personnes : la définition de l’enfant _____________________ 92

Un exemple à propos des situations juridiques : la distinction entre les situations internes

et les situations internationales ou européennes ________________________________ 93

B- Les différents types de qualifications juridiques ______________________________________ 93

Situation – Les qualifications universelles et les qualifications particularistes ____________ 94

Un exemple à propos des personnes : retour sur la définition de l’enfant _____________ 94

Situation – Les qualifications autonomes et les qualifications dépendantes _____________ 94

Un exemple à propos des actes : retour sur la distinction entre le contrat de vente et le

contrat de services ________________________________________________________ 94

Situation – Les qualifications supplétives et les qualifications d’ordre public _____________ 95

Deux exemples à propos de l’arbitrage et du contrat de vente _____________________ 95

§ 2 – Le domaine spatial ___________________________________________________________ 96

379

A – La question de l’applicabilité dans l’espace du droit national, international et européen _____ 96

Situation – La localisation des cas dans l’espace ____________________________________ 96

Exemples de critères utilisés pour localiser un cas dans l’espace ____________________ 96

Situation – L’existence de règles d’applicabilité spatiale _____________________________ 97

De quelques exemples en droit national, international et européen _________________ 97

B – La diversité des solutions ________________________________________________________ 98

Situation – Le domaine d’applicabilité des règles à caractère institutionnel______________ 99

Exemples à propos des juridictions nationales, internationales ou européennes _______ 99

Situation – L’applicabilité dans l’espace des règles matérielles et des règles de conflit de lois

et de juridictions _____________________________________________________________ 99

Exemples de solutions en droit national, international et européen _________________ 99

Situation – A propos de l’applicabilité dite universelle et autolimitée _________________ 101

Exemples de solutions en droit national, international et européen ________________ 101

Situation – L’applicabilité choisie ou l’applicabilité imposée _________________________ 103

Exemples de solutions en matière contractuelle ________________________________ 103

§ 3 – Le domaine temporel ________________________________________________________ 104

Situation – La question de la non-rétroactivité des lois _____________________________ 104

Exemples de solutions en droit national, international et européen ________________ 104

Situation – L’application dans le temps des textes nationaux, internationaux et européens 105

Exemples de dispositions sur l’entrée en vigueur et le droit transitoire ______________ 105

Situation – L’effet dans le temps des revirements de jurisprudence nationale, internationale

ou européenne _____________________________________________________________ 106

Un exemple d’analyse comparée en droit national et européen ___________________ 106

Section 2 – La comparaison des conditions d’invocabilité _____________________________________ 107

§ 1 – Les cas d’invocabilité dans le triple contexte national, international ou européen ________ 107

A – L’invocabilité et la relation droit international - droit national _________________________ 107

Situation – L’invocabilité du droit international devant une instance nationale __________ 107

L’exemple de l’invocabilité en France de la Convention de New York relative aux droits de

l’enfant _________________________________________________________________ 107

Situation – L’invocabilité du droit national devant une instance internationale __________ 108

L’exemple du droit national considéré comme une mesure d’exécution d’une obligation

internationale ___________________________________________________________ 108

L’exemple du droit national invoqué devant une juridiction internationale pour

caractériser l’existence d’une règle coutumière internationale ____________________ 109

B – L’invocabilité et la relation droit européen - droit national ____________________________ 110

Situation – L’invocabilité du droit européen devant les instances nationales ____________ 110

L’exemple des directives UE non ou mal transposées invoquées devant un juge national

_______________________________________________________________________ 110

380

Situation – L’invocabilité du droit national devant une instance européenne ___________ 111

L’exemple des traditions juridiques nationales invoquées devant la CJUE et la CEDH___ 111

C – L’invocabilité et la relation droit international - droit européen ________________________ 112

Situation – L’invocabilité du droit international devant une instance européenne _______ 113

L’exemple de l’invocabilité des accords OMC et des décisions de l’ORD devant les instances

de l’UE _________________________________________________________________ 113

L’exemple de l’invocabilité de la coutume internationale et des accords internationaux en

matière de transport aérien et de protection de l’environnement devant la CJUE _____ 113

Situation – L’invocabilité du droit européen devant une instance internationale ________ 115

L’exemple de l’invocabilité du droit européen devant une instance de l’OMC ________ 115

L’exemple du droit européen invoqué devant la Cour internationale de justice _______ 116

§ 2 – Les différentes significations de l’invocabilité dans le triple contexte national, international ou

européen ______________________________________________________________________ 116

A – La variable « sujet » : qui invoque ? ______________________________________________ 116

Situation – L’invocabilité verticale ______________________________________________ 117

L’exemple de l’institution publique nationale confrontée aux exigences du droit

international ou européen _________________________________________________ 117

Situation – L’invocabilité horizontale ___________________________________________ 118

L’exemple de l’horizontalité des droits de l’homme et des libertés économiques de

circulation ______________________________________________________________ 118

B – La variable « objet » : qu’est-ce qui est invoqué ? ___________________________________ 119

Situation – L’effet direct, le caractère self-executing ou l’immédiateté et les différentes

formes d’invocabilité ________________________________________________________ 120

Exemples tirés de l’invocabilité du droit international ou européen ________________ 120

Situation – L’effet de fait, l’effet obligatoire et l’effet d’opposabilité __________________ 122

Exemples autour de « l’effet de fait » en droit national, international et européen ____ 122

Exemples autour de la distinction « effet obligatoire » et « effet d’opposabilité » en droit

international et européen __________________________________________________ 123

Section 3 – La comparaison des méthodes et solutions _______________________________________ 125

§ 1 – De l’interprétation ___________________________________________________________ 125

Situation – Principes de base régissant l’interprétation dans les textes ________________ 125

Exemple de l’interprétation des contrats en droit français, international et européen _ 125

Exemple de l’interprétation des traités en droit international _____________________ 130

Situation – Principes d’interprétation dégagés par la jurisprudence ___________________ 131

Exemple de la théorie de « l’effet utile » en droit européen_______________________ 131

Situation – Instruments à valeur interprétative ___________________________________ 132

Exemples en droit national, international et européen ___________________________ 132

Situation – Présence d’interprètes privilégiés _____________________________________ 133

381

Exemples en droit national, international et européen ___________________________ 133

§ 2 – De la contextualisation _______________________________________________________ 134

Situation – Utilisation d’un même terme juridique dans le contexte national, international et

européen _________________________________________________________________ 135

L’exemple du terme « constitution » _________________________________________ 135

L’exemple du terme « codification » _________________________________________ 135

Situation – Le droit européen hors de son contexte ________________________________ 136

L’exemple du droit européen de l’alimentation projeté sur les constructions du droit privé

national ________________________________________________________________ 136

L’exemple du droit européen du marché intérieur comparé aux règles internationales sur

le libre-échange __________________________________________________________ 138

Situation – Le droit national hors de son contexte _________________________________ 138

L’exemple de l’interprétation du droit national dans le contexte de la protection

européenne des droits fondamentaux ________________________________________ 138

Situation – Le droit international hors de son contexte _____________________________ 139

L’exemple de l’ordre public international _____________________________________ 139

Deuxième partie - La combinaison du droit national, international et européen _______ 141

Chapitre 1 – La complémentarité des droits ________________________________________ 142

Section 1 –Les complémentarités institutionnelles et matérielles ______________________________ 143

§ 1 – Les complémentarités institutionnelles __________________________________________ 143

Situation – L’application devant les institutions nationales, internationales ou européennes

d’un droit élaboré dans un autre contexte _______________________________________ 143

L’exemple de l’application du droit international et/ou européen devant les institutions

nationales ______________________________________________________________ 143

L’exemple de l’application du droit national devant une institution internationale ou

européenne _____________________________________________________________ 144

L’exemple de l’application du droit international devant une institution européenne __ 145

L’exemple de l’application du droit européen devant une institution internationale ___ 146

Situation – La complémentarité institutionnelle érigée en principe ___________________ 148

L’exemple des rapports entre la Cour pénale internationale et les justices des Etats

membres _______________________________________________________________ 148

Situation – La complémentarité institutionnelle aménagée par des règles de coordination 149

L’exemple des rapports entre la justice arbitrale internationale et la justice étatique __ 149

§ 2 – Les complémentarités matérielles ______________________________________________ 149

Situation – L’hypothèse rare de combinaison de droits nationaux ____________________ 150

Un exemple en jurisprudence française _______________________________________ 150

Situation – Les cas plus fréquents de combinaison du droit national et international _____ 151

382

L’exemple historique de la jurisprudence « Boll » de la Cour internationale de justice__ 151

Situation – Autres cas de combinaison du droit national, international et européen _____ 151

Un exemple de combinaison du droit national, international et européen en droit des

transports ______________________________________________________________ 151

Un exemple de combinaison du droit national, international et européen dans le domaine

de la protection des biens culturels __________________________________________ 152

Un exemple de combinaison du droit national, international et européen dans le domaine

de la protection des droits fondamentaux _____________________________________ 153

Section 2 – L’existence de rapports de mise œuvre __________________________________________ 154

§ 1 – Les rapports de mise en œuvre institutionnels ____________________________________ 154

Situation – L’exécution du droit international ou européen par les institutions nationales _ 154

L’exécution du droit international : l’exemple de l’insertion des traités internationaux dans

l’ordre juridique français ___________________________________________________ 154

L’exécution du droit européen : les exemples de l’autonomie institutionnelle ou

procédurale reconnue aux Etats membres de l’UE et de la transposition des directives 155

Situation – L’exécution du droit international par les institutions européennes _________ 156

L’exécution du droit international : l’exemple de la mise en œuvre du droit international

par les institutions de l’UE__________________________________________________ 156

Situation – L’exécution du droit international par les institutions européennes et nationales

_________________________________________________________________________ 157

L’exécution du droit international : l’exemple de l’organisation des rapports entre les

institutions nationales et européennes en cas d’accord mixte _____________________ 157

Situation – La coopération entre institutions nationales, internationales et européennes _ 158

Un exemple de coopération entre institutions nationales, internationales et européennes

dans le domaine du droit des marques _______________________________________ 158

Un exemple de coopération entre institutions nationales, internationales et européennes

en matière de lutte contre le terrorisme ______________________________________ 159

§ 2 – Les rapports de mise en œuvre matériels ________________________________________ 160

Situation – La coopération judiciaire internationale en matière civile et pénale _________ 160

Exemple tiré de la mise en œuvre du droit européen au procès équitable dans le contexte

du droit de l’UE de la coopération judiciaire civile _______________________________ 160

Exemple tiré de la mise en œuvre du droit européen au procès équitable dans le contexte

du droit de l’UE de la coopération judiciaire pénale _____________________________ 163

Situation – Les libertés européennes de circulation ________________________________ 166

Exemple tiré de la mise en œuvre du droit national par le droit UE des libertés de

circulation ______________________________________________________________ 166

Section 3 – La recherche d’un effet _______________________________________________________ 168

§ 1 - La recherche d’un effet tantôt équivalent tantôt différent ___________________________ 168

383

Situation – Recherche d’un effet équivalent ______________________________________ 169

L’exemple de l’identification d’une coutume internationale eu égard aux solutions

appliquées au niveau national et européen ____________________________________ 169

L’exemple de l’énoncé de principes généraux du droit européen à partir des traditions

juridiques nationales et des principes de droit international ______________________ 169

L’exemple de l’interprétation équivalente de la CESDHLF et de la CDFUE ____________ 170

Situation – Recherche d’un effet différent _______________________________________ 171

L’exemple (à nouveau) de l’énoncé de principes généraux du droit _________________ 171

§ 2 - La recherche d’un effet tantôt global tantôt contenu _______________________________ 172

Situation – Recherche d’un effet global _________________________________________ 172

Exemples de prise en compte dans le contexte international ou européen de l’application

du droit interne __________________________________________________________ 172

Exemples de prise en compte dans le contexte européen du droit international ______ 173

Exemples de prise en compte dans le contexte international du droit européen ______ 174

Exemples de prise en compte dans le contexte national du droit international et européen

_______________________________________________________________________ 174

Situation – Recherche d’un effet contenu ________________________________________ 176

Exemples de subsidiarité judiciaire à propos notamment du principe de proportionnalité

dans la jurisprudence européenne ___________________________________________ 176

Exemples tirés de la lecture du principe de spécialité par la Cour internationale de justice

_______________________________________________________________________ 178

Exemples tirés de la jurisprudence nationale intervenant dans un contexte fortement

internationalisé __________________________________________________________ 180

Chapitre 2 – La circulation des situations __________________________________________ 182

Section 1 – Le phénomène de circulation __________________________________________________ 183

§ 1 – Premiers éléments de définition _______________________________________________ 183

Situation – Premières approches de la circulation des situations _____________________ 183

Exemples de circulation de situations juridiques ________________________________ 183

§ 2 – La circulation au sein d’un même niveau _________________________________________ 184

Situation – La circulation entre espaces nationaux_________________________________ 185

L’hypothèse du conflit mobile_______________________________________________ 185

L’exemple de la reconnaissance d’un acte public judiciaire ou extrajudiciaire étranger _ 185

L’exemple de la reconnaissance d’une situation de fait constituée à l’étranger _______ 186

Situation – La circulation dans le contexte international ____________________________ 187

Un exemple de circulation entre institutions internationales : les rapports entre les Nations

Unies et la Cour pénale internationale ________________________________________ 187

Situation – La circulation dans le contexte européen _______________________________ 188

384

Exemples de circulation entre les institutions du Conseil de l’Europe et de l’Union

européenne _____________________________________________________________ 188

§ 3 – La circulation interniveau des situations _________________________________________ 189

A- Intervention de juridictions à différents niveaux _____________________________________ 189

Situation – La circulation des situations entre les juges internes et les juges internationaux et

européens _________________________________________________________________ 190

Exemple de circulation entre le juge national et la Cour internationale de justice _____ 190

Exemple de circulation entre le juge national et la Cour de justice de l’Union européenne

ou la Cour européenne des droits de l’homme _________________________________ 191

Exemple de circulation du niveau national vers le niveau européen : une décision nationale

annulant un titre européen de propriété intellectuelle ___________________________ 192

Exemple de circulation entre le juge national, européen et international ____________ 192

Situation – La circulation des situations entre l’arbitrage international et la justice étatique

_________________________________________________________________________ 193

L’exemple de l’arbitrage commercial international ______________________________ 193

B – Application du droit à plusieurs niveaux ___________________________________________ 194

Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau national et

international ou européen ____________________________________________________ 195

L’exemple des discussions théoriques sur la réception du droit international et européen

dans les ordres juridiques nationaux (monisme, dualisme, pluralisme) et la question de

l’existence d’une circulation ________________________________________________ 195

Exemples de circulation du niveau national vers le niveau international : l’application d’un

droit national évaluée dans un contexte de droit international ou européen _________ 196

Un autre exemple : la circulation mondiale de modèles contractuels inspirés par la

pratique des juristes internationaux et leur application dans des contextes nationaux

différents _______________________________________________________________ 197

Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau international et

européen _________________________________________________________________ 197

Exemples de circulation juridique du niveau international vers le niveau européen : les

phénomènes d’imbrication et de mimétisme __________________________________ 197

Situation – La circulation des méthodes et solutions juridiques entre le niveau international et

européen _________________________________________________________________ 199

Exemple de circulation juridique du niveau européen vers le niveau international : la

participation de l’Union européenne aux travaux de l’Organisation des Nations Unies _ 199

Section 2 – L’existence d’une contrainte de circulation _______________________________________ 200

§ 1 - La définition d’un cadre juridique de référence ____________________________________ 200

Situation – La définition par les juges d’un cadre juridique de référence _______________ 200

Exemples en jurisprudence européenne ______________________________________ 200

385

Situation – La définition par les juges d’un cadre juridique de référence (suite) _________ 201

Exemples en jurisprudence internationale et nationale __________________________ 201

§ 2 - La contrainte d’un droit invocable bien que non applicable __________________________ 203

Situation – Circulation juridique au niveau national et distorsion entre le droit applicable et le

droit invocable _____________________________________________________________ 204

L’exemple (à nouveau) de la reconnaissance ___________________________________ 204

L’exemple de l’effet produit par les lois de police étrangères ______________________ 204

Situation – Circulation juridique au niveau européen et distorsion entre le droit applicable et

le droit invocable ___________________________________________________________ 205

Un exemple historique : l’invocabilité de la CESDHLF devant la Cour de justice des

Communautés européennes ________________________________________________ 205

Des exemples plus récents : l’invocabilité devant les juridictions européennes

d’instruments internationaux multilatéraux ou bilatéraux étrangers aux systèmes

juridiques européens ______________________________________________________ 206

Situation – Circulation juridique au niveau international et distorsion entre le droit applicable

et le droit invocable _________________________________________________________ 210

Un exemple récent : l’invocabilité devant les juridictions internationales d’instruments à

caractère régional ________________________________________________________ 210

Troisième Partie – La hiérarchisation du droit national, international et européen _____ 211

Chapitre 1 – La hiérarchisation des droits dans les différents contextes __________________ 212

Section 1 – La hiérarchisation des droits dans le contexte national : l’exemple du droit français ______ 213

§ 1 - Les hypothèses de hiérarchisation ______________________________________________ 213

A - Les rapports entre le droit national et le droit international ___________________________ 213

1/ Les hypothèses envisagées par la Constitution ____________________________________ 214

Situation – Le processus de révision de la Constitution, préalable à l’entrée en vigueur d’un

traité international incompatible_______________________________________________ 214

Exemple de mise en œuvre de l’article 54 de la Constitution (1958) ________________ 214

Situation – L’affirmation d’une supériorité des traités internationaux sur les lois nationales

_________________________________________________________________________ 215

Exemple de mise en œuvre de l’article 55 de la Constitution (1958) ________________ 215

L’apport des jurisprudences françaises « Jacques Vabre » et « Nicolo » _____________ 216

Situation – L’affirmation d’une supériorité des traités internationaux sur les actes

réglementaires _____________________________________________________________ 218

Un exemple en jurisprudence française _______________________________________ 218

2/ Les hypothèses non explicitement prévues par la Constitution _______________________ 219

Situation – La supériorité conférée aux engagements internationaux et la suprématie des

dispositions de nature constitutionnelle _________________________________________ 219

386

Les jurisprudences françaises « Sarran », « Levacher » et « Fraisse »________________ 219

Situation – La question des rapports de hiérarchie entre le droit national et le droit coutumier

international _______________________________________________________________ 221

De quelques exemples en jurisprudence française ______________________________ 221

Situation – La question des rapports de hiérarchie entre le droit national et le droit dérivé

international _______________________________________________________________ 223

De quelques exemples en jurisprudence française ______________________________ 223

B - Les rapports entre le droit national et le droit européen ______________________________ 224

1/ Alignement des solutions définies pour le droit international et le droit européen (UE) ___ 224

Situation – La place du droit européen dans la jurisprudence française ________________ 224

Retour sur les jurisprudences « Jacques Vabre », « Nicolo », « Sarran et Levacher » et

« Fraisse » ______________________________________________________________ 224

Situation – La banalisation du droit européen dans les textes ________________________ 225

L’exemple de la Constitution de 1958 (avant ses modifications intervenues depuis 1992) et

de la loi organique de 2009 relative à la question prioritaire de constitutionnalité ____ 225

2/ Différenciation des solutions définies pour le droit européen (UE) et pour le droit

international _________________________________________________________________ 226

Situation – L’usage doctrinal de la distinction « droit international - droit européen » ____ 226

Un tournant en France : « Droit international et droit communautaire : perspectives

actuelle » (1999) _________________________________________________________ 226

Situation – La différenciation du droit européen dans les textes ______________________ 227

L’exemple du Titre XV et de l’article 53-1 de la Constitution française (1958, telle que

notamment modifiée en 1992, 1993 et 2008) __________________________________ 227

Situation – La différenciation du droit européen en jurisprudence ____________________ 229

L’exemple du contrôle des actes législatifs ou réglementaires à la lumière du droit dérivé

européen _______________________________________________________________ 229

L’exemple des principes généraux du droit européen ____________________________ 230

L’exemple des avis donnés par le Conseil constitutionnel préalablement à la procédure de

ratification des derniers traités européens (UE) ________________________________ 231

L’exemple du contrôle par le Conseil constitutionnel français des lois de transposition des

directives _______________________________________________________________ 233

L’exemple de la prise en compte par le tribunal des conflits du cas particulier du droit

européen _______________________________________________________________ 234

§ 2 - Les acteurs de la hiérarchisation ________________________________________________ 235

A - L’effacement du pouvoir législatif et exécutif _______________________________________ 235

Situation – Le rôle relativement passif des pouvoirs législatifs et exécutifs _____________ 236

L’exemple de la procédure d’adoption des traités et accords internationaux ou européens

au regard du processus de hiérarchisation des droits ____________________________ 236

387

B - Le renforcement du pouvoir des juges étatiques ____________________________________ 236

Situation – Le rôle accru du juge dans l’application des conventions internationales _____ 237

L’exemple de l’interprétation des traités internationaux _________________________ 237

L’exemple de la condition de réciprocité ______________________________________ 238

§ 3 - Les mots et le moment de la hiérarchisation ______________________________________ 239

A - Contrôle de constitutionnalité en amont et contrôle de conventionnalité en aval __________ 239

Situation - Les contrôles hiérarchiques opérés en amont par le Conseil constitutionnel ___ 240

L’exemple de la constitutionnalité des conventions internationales ________________ 240

Le contre-exemple de la conventionnalité des lois ______________________________ 241

L’exemple de l’européanité des lois de transposition des directives ________________ 242

Situation - Les contrôles hiérarchiques opérés en aval par le juge ordinaire ____________ 242

L’exemple de la conventionnalité des textes législatifs et réglementaires ____________ 242

Le contre-exemple de la constitutionnalité des conventions internationales et des lois 243

L’exemple particulier où le contrôle de constitutionnalité d’un texte réglementaire jouxte

la conformité d’une directive à un principe européen : le cas Arcelor _______________ 244

B - Le contrôle prioritaire de constitutionnalité et le contrôle secondaire de conventionnalité __ 246

Situation - La hiérarchisation dans le temps des contrôles constitutionnalité et de

conventionnalité____________________________________________________________ 247

L’exemple de la loi organique française et les interrogations qu’elle suscite sur la pratique

des juges _______________________________________________________________ 247

Section 2 – La hiérarchisation des droits dans le contexte international : les réponses du droit

international_________________________________________________________________________ 249

§ 1 - Le refoulement du droit national et européen _____________________________________ 249

Situation - Le refoulement du droit national ______________________________________ 250

Un exemple historique : l’avis consultatif de la CPJI dans l’affaire « Intérêts allemands en

haute Silésie polonaise ____________________________________________________ 250

Situation - Le refoulement du droit européen ____________________________________ 251

Une illustration patente : quand une sentence CIRDI assimile le droit de l’UE à un simple

fait ____________________________________________________________________ 251

Une illustration subtile : quand la CIJ se réfère à la jurisprudence de la CEDH tout en la

hiérarchisant avec d’autres pratiques décisionnaires internationales et régionales ____ 251

§ 2 - L’atrophie des procédés de hiérarchisation formelle ________________________________ 253

Situation - La difficile hiérarchisation formelle des sources du droit international ________ 253

L’exemple des rapports entre la coutume internationale et le droit interétatique _____ 253

Situation - La portée incertaine de la primauté affichée par une norme internationale sur les

autres ____________________________________________________________________ 254

L’exemple de l’article 103 de la Charte des Nations Unies (1945) __________________ 254

Situation - Les hiérarchies internes aux organisations internationales _________________ 255

388

L’exemple du contrôle de légalité interne _____________________________________ 255

§ 3 - Le développement des procédés de hiérarchisation matérielle _______________________ 255

Situation - L’affirmation de la primauté des normes impératives _____________________ 256

L’exemple de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) _______________ 256

Exemples de règles impératives dégagées par les juridictions internationales ________ 257

Situation - La constitutionnalisation du droit international en débat __________________ 258

Exemples de travaux sur le sujet_____________________________________________ 258

Section 3 – La hiérarchisation des droits dans le contexte européen : le cas de l’Union européenne __ 261

§ 1 - Une intégration hiérarchique __________________________________________________ 261

A- La primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national des Etats membres _______ 261

1/ la primauté par la supériorité__________________________________________________ 261

Situation - L’affirmation d’un ordre juridique nouveau intégré _______________________ 262

Les célèbres jurisprudences Van Gend & Loos et Costa c. Enel de la CJCE ____________ 262

La place du principe de primauté dans les textes en vigueur ______________________ 262

Situation - Un ordre juridique immédiat _________________________________________ 263

Le non moins important arrêt Simmenthal de la CJCE ____________________________ 263

Situation - Retour sur l’invocabilité et la justiciabilité du droit européen _______________ 264

L’exemple remarquable d’une concrétisation européenne du principe de primauté ___ 264

Situation - L’hypothèse du conflit entre une norme européenne et une norme

constitutionnelle nationale ___________________________________________________ 265

Les célèbres arrêts « International Handelsgesellschaft » et « Commission c/ Grand-

Duché » de la CJCE ________________________________________________________ 265

2/ La primauté par l’autonomie __________________________________________________ 266

Situation - La primauté synonyme d’autonomie institutionnelle ______________________ 266

Le cas de l’Union européenne _______________________________________________ 266

Situation - La primauté synonyme d’autonomie de droit matériel ____________________ 267

Le cas de l’Union européenne _______________________________________________ 267

3/ La primauté par la loyauté ____________________________________________________ 267

Situation - La loyauté est synonyme de primauté __________________________________ 268

Evolution de la jurisprudence et des textes ____________________________________ 268

B - La primauté du droit de l’Union européenne et le droit international ____________________ 269

Situation - L’affirmation du respect dû au droit international ________________________ 269

Exemples dans les traités européens _________________________________________ 269

Exemples dans la jurisprudence de la CJCE et CJUE ______________________________ 269

§ 2 - Une hiérarchie interne ________________________________________________________ 270

A - Les éléments d’une hiérarchie d’ensemble _________________________________________ 270

1/ La hiérarchie entre le droit primaire et le droit dérivé ______________________________ 270

Situation - La soumission du droit dérivé au droit primaire __________________________ 271

389

Exemples jurisprudentiels tirés du contentieux sur la base juridique ________________ 271

Un principe d’interprétation conforme du droit dérivé à la lumière du droit primaire __ 271

2/ La hiérarchie entre les différentes normes de droit dérivé __________________________ 272

Situation - Comment hiérarchiser le droit dérivé européen ? ________________________ 272

Exemples de hiérarchisation matérielle _______________________________________ 272

Une tentative avortée de hiérarchisation formelle ______________________________ 273

3/ La place des sources internationales dans le système juridique de l’Union européenne ___ 273

Situation - Soumission des traités internationaux liant l’UE aux traités institutifs européens

_________________________________________________________________________ 274

Exemples dans le contentieux européen ______________________________________ 274

Situation - Soumission du droit dérivé européen aux traités liant l’UE et à la coutume

internationale ______________________________________________________________ 275

Un exemple jurisprudentiel remarqué : l’arrêt « ATAA ea » de la CJUE ______________ 275

B - Les apports et les limites d’une approche hiérarchique en droit de l’Union européenne ____ 276

Chapitre 2 – La hiérarchisation des droits et l’application du droit à différents niveaux _____ 278

Section 1 - La hiérarchisation par application du droit à un niveau : l’appel à la hiérarchie des normes 279

§ 1 - La signification propre de la hiérarchisation des droits dans un contexte de pluralisme

juridique mondial ________________________________________________________________ 279

A - La hiérarchie des normes comme outil de repli d’un système juridique sur lui-même _______ 279

Situation - Retour sur la suprématie des dispositions nationales de nature constitutionnelle

_________________________________________________________________________ 280

L’exemple (à nouveau) du droit français : les jurisprudences « Sarran et Levacher »,

« Fraisse », « loi DADVSI » __________________________________________________ 280

Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit national dans l’ordre international _______ 281

L’exemple (à nouveau) de la jurisprudence « Traitement des tribunaux nationaux polonais

de Dantzig » _____________________________________________________________ 281

Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit national dans le contexte européen (UE) __ 282

L’exemple (à nouveau) des jurisprudences « International Handelsgesellschaft » et

« Commission c/ Grand-Duché » ____________________________________________ 282

Situation - Retour sur l’inopposabilité du droit européen dans le contexte international __ 283

L’exemple (à nouveau) de la sentence CIRDI AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie _ 283

Situation - La légalité du droit européen de source internationale en droit de l’Union

européenne _______________________________________________________________ 283

L’exemple de la célèbre affaire « Kadi » _______________________________________ 283

B - Les autres voies de repli des systèmes juridiques sur eux-mêmes _______________________ 285

1/ La mesure du phénomène : différenciation, autonomisation, appropriation, dédoublement,

etc. _________________________________________________________________________ 285

2/ Illustrations dans le système juridique français ___________________________________ 286

390

Situation - L’interprétation française des conventions internationales auxquelles la France est

partie _____________________________________________________________________ 287

Exemples jurisprudentiels multiples __________________________________________ 287

Situation - La réception française du droit européen (UE ou CESDHLF) ________________ 288

Quelques exemples jurisprudentiels _________________________________________ 288

Situation - L’appropriation en droit interne de notions de droit international et européen 290

L’exemple de l’ordre public : retour sur la jurisprudence « Banque Africaine de

Développement » ________________________________________________________ 290

L’exemple des principes généraux du droit : retour sur la jurisprudence « KPMG » ____ 290

Situation - Les voies procédurales du repli du système juridique français sur lui-même ___ 291

L’exemple à nouveau du caractère « prioritaire » de la question de constitutionnalité _ 291

L’exemple de l’absence de question préjudicielle _______________________________ 292

3/ Illustrations dans le système juridique de l’Union européenne _______________________ 292

Situation - Autonomisation d’un droit européen qui s’inspire du droit international______ 293

Exemples des débuts de la construction européenne à nos jours __________________ 293

Situation - Préemption du droit international par le droit européen __________________ 293

L’exemple du protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires (2007)

_______________________________________________________________________ 293

Situation - Absence d’effet direct reconnu à des normes de droit international susceptibles

d’interférer avec le droit de l’Union européenne __________________________________ 295

Exemples des accords OMC, du protocole de Kyoto et de la Convention de Montego Bay

_______________________________________________________________________ 295

Situation - Dédoublement du droit international et européen _______________________ 295

Exemple des clauses de déconnexion _________________________________________ 295

§ 2- Le choix d’un niveau d’application du droit plutôt que d’un autre ______________________ 296

A - Le spectre d’un forum shopping mondial __________________________________________ 296

Situation - Contentieux international et régional des droits de l’homme et choix du forum 297

L’exemple de l’affaire « Géorgie c. Russie » ___________________________________ 297

Situation - Plusieurs juges nationaux et internationaux en matière pénale _____________ 298

Répartition judiciaire du champ répressif et choix du juge ________________________ 298

Situation - Le développement de procédures parallèles en droit économique ___________ 299

Retour sur les stratégies à fronts multiples ____________________________________ 299

Situation - Concurrence entre juridictions internationales ou régionales et conflits de

procédures ________________________________________________________________ 300

Retour sur les affaires « Usine Mox », « Ligne du Rhin de fer » et « Bosphorus » ______ 300

B - Les limites à la liberté de choix___________________________________________________ 301

1/ La présence de juridictions diversement spécialisées aux différents niveaux ____________ 301

391

Situation - Altérité des règles de procédures gouvernant les différentes juridictions aux

différents niveaux ___________________________________________________________ 302

Exemples de règles procédurales limitant la liberté de choisir son juge _____________ 302

Un cas en particulier : le contentieux de l’annulation ____________________________ 302

Situation - Altérité du droit matériel applicable devant les différentes juridictions aux

différents niveaux ___________________________________________________________ 303

Exemples pratiques de différences de droit matériel applicable limitant la liberté de choisir

son juge ________________________________________________________________ 303

Approche théorique : comparaison des méthodes de droit international public et de droit

international privé dans la désignation du droit applicable _______________________ 304

2/ L’existence de systèmes intégrés _______________________________________________ 305

Situation - De lege lata : la CJUE et les juridictions des Etats membres _________________ 305

L’exemple des contraintes pesant respectivement sur la juridiction européenne et les

juridictions nationales _____________________________________________________ 305

Situation - De lege feranda : la CJUE et la CEDH ___________________________________ 307

L’évolution des rapports entre la CEDH et la CJUE _______________________________ 307

Section 2 - La hiérarchisation par application du droit à un autre niveau : l’appel à un droit hiérarchisé 308

§ 1 - Les voies de passage d’une hiérarchie définie à un niveau à une hiérarchie définie à un autre

niveau _________________________________________________________________________ 308

A - Les voies de passage entre le niveau national et international _________________________ 308

Situation - Le passage d’une institution nationale à une institution internationale et vice versa

_________________________________________________________________________ 308

L’exemple du conflit entre un Etat et un ressortissant étranger, élevé au rang de conflit

interétatique : retour sur l’affaire « Diallo » ___________________________________ 308

L’exemple du différend arbitral international réceptionné par un ordre juridique étatique :

l’hypothèse d’une sentence confrontée à une règle d’ordre public international français

_______________________________________________________________________ 309

Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte national à une application

du droit dans le contexte international et vice versa _______________________________ 310

L’exemple d’une solution de droit national évaluée dans un contexte international : retour

sur l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD ________________________ 310

B - Les voies de passage entre le niveau national et européen ____________________________ 310

Situation - Le passage d’une institution nationale à une institution européenne et vice versa

_________________________________________________________________________ 311

L’exemple de la question préjudicielle posée à la CJUE puis réceptionnée par une

juridiction nationale : le cas de la célèbre affaire « Melki » _______________________ 311

392

L’exemple de la requête présentée devant la CEDH après épuisement des voies de recours

internes : le cas d’un contrôle de conventionnalité postérieur à une question prioritaire de

constitutionnalité ________________________________________________________ 314

Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte national à une application

du droit dans le contexte européen et vice versa __________________________________ 315

L’exemple d’une solution de droit national évaluée dans un contexte européen :

l’interprétation d’une décision du Conseil constitutionnel conforme à une jurisprudence de

la CEDH _________________________________________________________________ 315

L’exemple d’une solution de droit européen évaluée dans un contexte national : l’exemple

d’une affaire « Conseil national des barreaux » _________________________________ 315

C - Les voies de passage entre le niveau international et européen ________________________ 316

Situation - Le passage d’une institution internationale à une institution européenne et vice

versa _____________________________________________________________________ 317

L’exemple d’une situation successivement soumise à une institution internationale et

européenne et vice versa : retour sur l’affaire « Kadi » ___________________________ 317

Situation - Le passage d’une application du droit dans le contexte international à une

application du droit dans le contexte européen et vice versa ________________________ 318

L’exemple du différend arbitral international confronté à un ordre juridique européen :

l’exemple des jurisprudences « Eco Swiss » et « Poupardine » _____________________ 318

L’exemple d’une solution de droit européen (UE) évaluée dans un contexte international :

retour sur l’appréhension d’une plainte présentée devant l’ORD __________________ 319

§ 2 - La référence à un droit hiérarchisé ______________________________________________ 320

A - Les hypothèses où la référence à un droit hiérarchisé est utile et nécessaire ______________ 320

Situation - Droit hiérarchisé et droit appliqué ____________________________________ 320

Exemples où le droit hiérarchisé a été, est ou sera appliqué au cas _________________ 320

Situation - Droit hiérarchisé et contrainte de circulation ____________________________ 321

Exemples où un droit hiérarchisé est soumis à une contrainte de circulation _________ 321

B - La détermination du contenu et de la nature du droit hiérarchisé ______________________ 322

Situation - L’inconstitutionnalité de la loi étrangère normalement applicable ___________ 322

Réponse de principe et difficultés théoriques et pratiques ________________________ 322

Situation - La loi étrangère arguée d’inconventionnalité devant un juge étatique ________ 324

Réponse de principe et difficultés théoriques et pratiques ________________________ 324

Situation - L’arbitre international chargé d’appliquer un droit national et la hiérarchie des

normes ___________________________________________________________________ 326

Une distinction proposée entre les contrariétés de normes supérieures et inférieures

constatées, constatables ou à constater ______________________________________ 326

Situation : Le droit national hiérarchisé devant un juge international ou européen ______ 328

L’Etat plaideur du contenu de son droit national hiérarchisé ______________________ 328

393

Situation : Le droit européen hiérarchisé devant un juge national, international ou (par

extension) devant un autre juge européen _______________________________________ 330

L’Union européenne garante du contenu du droit européen hiérarchisé ____________ 330

Situation : Le droit international éventuellement hiérarchisé devant un juge national et

européen _________________________________________________________________ 332

Le respect de l’ordre public réellement international ou du jus cogens devant une

juridiction nationale ou européenne _________________________________________ 332

FIN DU COMPRUSCRIT