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Octobre 2004 La Revue Maritime N° 470 1 Politique maritime L’arbitrage maritime en France François Arradon Président de la Chambre arbitrale maritime de Paris Chacun sait que l’arbitrage est un mode de règlement des litiges, mais certains ignorent les différences existantes avec les autres moyens de résolutions des conflits que sont notamment la conciliation et la médiation. La caractéristique essentielle de l’arbitrage est d’être une juridiction à part entière, une juridiction privée, mais une juridiction dont les décisions vont s’imposer aux plaignants. Dans la conciliation ou la médiation, le médiateur et le conciliateur vont déployer tous leurs efforts pour obtenir un consensus entre les parties, mais ils ne pourront pas imposer de solution à l’un ou l’autre. L’arbitre, au contraire, tranche le litige, il a même l’obligation de le faire. Recourir à l’arbitrage est donc accepter de soumettre le règlement d’un litige né de l’exécution ou de la non-exécution d’un contrat à des particuliers choisis par les parties au contrat. Dans les domaines commerciaux à spécificité forte, comme le transport maritime, lorsque naissent des divergences d’interprétation sur la signification d’une obligation contractuelle, armateurs, affréteurs, chargeurs, assureurs vont préférer recourir au jugement de professionnels avertis. Cette volonté sera encore plus forte si les parties au contrat sont de nationalité différente et n’ont qu’une connaissance limitée de l’organisation judiciaire du pays de leur cocontractant. Ils vont d’autant plus préférer faire régler leur différend par leurs pairs qu’ils pourront choisir l’un des arbitres.˚Enfin, ils savent que ce choix apportera une solution plus rapide et moins onéreuse qu’un procès . Pour ces raisons, l’arbitrage est devenu dans le transport maritime le mode le plus courant de résolution des litiges. L’essor considérable de l’arbitrage maritime dans le monde depuis les années soixante est lié au développement des relations internationales, le résultat a été la création de très nombreux centres d’arbitrage. L’arbitrage maritime en France est né avec la création de la Chambre arbitrale maritime de Paris en 1966. Ses fondateurs, initialement armateurs et affréteurs céréaliers,˚avaient pour but de faire régler par des praticiens les possibles litiges nés lors de l’exécution de chartes parties. Ils souhaitaient éviter de devoir aller en arbitrage à Londres pour de petits litiges. Cet objectif a été très vite atteint, et a également permis de progressivement bâtir une jurisprudence de la Chambre pour éviter de nouvelles contestations et de nouveaux procès ou arbitrages. Si l’arbitrage maritime en France est aujourd’hui bien vivant, il n’a bien sûr pas l’importance de l’arbitrage maritime à Londres qui reste la place de référence avec ses forces et ses faiblesses. L’arbitrage étant une juridiction privée, mais une juridiction à part entière qui doit trancher les litiges et dont les sentences seront exécutoires, il est souhaitable de rappeler dans un premier point dans quel cadre légal et conventionnel s’inscrit l’arbitrage maritime à Paris et quel droit doivent appliquer les arbitres. Dans une seconde partie, nous examinerons plus spécialement le fonctionnement de la Chambre arbitrale maritime de Paris.

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Octobre 2004 La Revue Maritime N° 4701

Politique maritime

L’arbitrage maritime en France

François ArradonPrésident de la Chambre arbitrale maritime de Paris

Chacun sait que l’arbitrage est un mode de règlement des litiges, mais certainsignorent les différences existantes avec les autres moyens de résolutions des conflits que sontnotamment la conciliation et la médiation.

La caractéristique essentielle de l’arbitrage est d’être une juridiction à partentière, une juridiction privée, mais une juridiction dont les décisions vont s’imposeraux plaignants. Dans la conciliation ou la médiation, le médiateur et le conciliateur vontdéployer tous leurs efforts pour obtenir un consensus entre les parties, mais ils ne pourront pasimposer de solution à l’un ou l’autre. L’arbitre, au contraire, tranche le litige, il a mêmel’obligation de le faire.

Recourir à l’arbitrage est donc accepter de soumettre le règlement d’un litige né del’exécution ou de la non-exécution d’un contrat à des particuliers choisis par les parties aucontrat.

Dans les domaines commerciaux à spécificité forte, comme le transport maritime,lorsque naissent des divergences d’interprétation sur la signification d’une obligationcontractuelle, armateurs, affréteurs, chargeurs, assureurs vont préférer recourir au jugement deprofessionnels avertis. Cette volonté sera encore plus forte si les parties au contrat sont denationalité différente et n’ont qu’une connaissance limitée de l’organisation judiciaire du paysde leur cocontractant. Ils vont d’autant plus préférer faire régler leur différend par leurs pairsqu’ils pourront choisir l’un des arbitres. Enfin, ils savent que ce choix apportera unesolution plus rapide et moins onéreuse qu’un procès. Pour ces raisons, l’arbitrage estdevenu dans le transport maritime le mode le plus courant de résolution des litiges.

L’essor considérable de l’arbitrage maritime dans le monde depuis les années soixanteest lié au développement des relations internationales, le résultat a été la création de trèsnombreux centres d’arbitrage.

L’arbitrage maritime en France est né avec la création de la Chambre arbitralemaritime de Paris en 1966. Ses fondateurs, initialement armateurs et affréteurscéréaliers, avaient pour but de faire régler par des praticiens les possibles litiges nés lors del’exécution de chartes parties. Ils souhaitaient éviter de devoir aller en arbitrage à Londrespour de petits litiges. Cet objectif a été très vite atteint, et a également permis deprogressivement bâtir une jurisprudence de la Chambre pour éviter de nouvellescontestations et de nouveaux procès ou arbitrages. Si l’arbitrage maritime en France estaujourd’hui bien vivant, il n’a bien sûr pas l’importance de l’arbitrage maritime à Londres quireste la place de référence avec ses forces et ses faiblesses.

L’arbitrage étant une juridiction privée, mais une juridiction à part entière qui doittrancher les litiges et dont les sentences seront exécutoires, il est souhaitable de rappeler dansun premier point dans quel cadre légal et conventionnel s’inscrit l’arbitrage maritime à Pariset quel droit doivent appliquer les arbitres. Dans une seconde partie, nous examinerons plusspécialement le fonctionnement de la Chambre arbitrale maritime de Paris.

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Octobre 2004 La Revue Maritime N° 4702

Le cadre légal et conventionnel de l’arbitrage

Le cadre légal

Il est bien évident que l’arbitrage ne pourra avoir une réalité juridique que si les traitésinternationaux et la loi nationale de chaque pays reconnaissent son existence et fixent lesrègles qui lui sont applicables.

Sur le plan international, la commission des Nations unies pour le droit  commercialinternational (CNUDCI) a proposé, en 1985, aux organisations internationales et aux Étatsune loi type que chaque pays est invité à prendre en considération dans sa loi nationale. Sur leplan français , le nouveau code de procédure civile en son livre quatrième traite de l’arbitrage.Il donne aux arbitres une très grande latitude dans la conduite de l’arbitrage et toutparticulièrement de l’arbitrage international, tant en ce qui concerne la procédure à observerque le droit à appliquer.

Le cadre conventionnel de l’arbitrage

Le code précise clairement que les arbitres tiennent leur pouvoir de la volonté desparties exprimée dans la clause compromissoire1. Aussi le souci constant des arbitres seradonc de rechercher quelles étaient les intentions des contractants au moment où elles ontconclu leur accord, avant que le différend ne survienne. Or bien souvent, les parties ne se sontpas exprimées clairement. Cette recherche de la volonté des parties va s’inscrire dans le cadredu monde maritime où elles exercent leur activité.

Ceci veut avant tout dire que même si l’arbitre décide l’application d’une loi, sa loinationale par exemple, les usages du commerce prévalent toujours sur cette loi. Il est, parexemple, possible d’appliquer à la fois dans un arbitrage international la loi française sur unpoint et des usages issus de la common law sur un autre.

Le règlement de la Chambre arbitrale maritime de Paris

Si la loi laisse une grande liberté aux arbitres dans l’organisation de l’arbitrage et surle choix de la loi applicable, il est apparu opportun à de nombreux centres d’arbitraged’édicter un règlement qui fixe le cadre précis que les parties et les arbitres devront respecterdans le déroulement du procès. Il s’agit d’une précaution d’autant plus sage que certainsarbitres ne sont pas des juristes et peuvent méconnaître les principes généraux qui doiventrecevoir application dans tout procès, comme le respect du caractère contradictoire des débats.Le choix de la Chambre arbitrale maritime de Paris dans une clause compromissoire impliquel’acceptation de son règlement.

Le fonctionnement de la Chambre arbitrale maritime de Paris

Comme nous l’avons vu, l’arbitrage a un fondement consensuel. Un arbitrage est doncinitié soit par l’accord mutuel des parties en cause qui signent un compromis d’arbitrage, soitpar application de la clause compromissoire insérée dans le contrat. Les formalités sontréduites au minimum puisqu’une simple lettre recommandée suffit au démarrage de l’instancearbitrale et pour interrompre la prescription. Il y a ensuite échange de mémoire entre les

1 Clause compromissoire, par laquelle les contractants s’engagent à soumettre leurs différendséventuels à l’arbitrage. Source Le Robert. Ndlr

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Octobre 2004 La Revue Maritime N° 4703

parties. Il est possible et souhaitable pour les petits litiges de s’entendre sur la désignationd’un arbitre unique. Dans le cas le plus courant d’un collège de trois arbitres, chacun choisitson arbitre et le président du tribunal arbitral est désigné par le comité de la Chambrearbitrale. Les arbitres sont alors saisis de leur mission. Ils devront fixer une audience au coursde laquelle les parties seront entendues. Ils peuvent bien demander toutes explicationscomplémentaires, faire appel à un avis d’expert sur un point technique, et d’une manièregénérale prendre toutes mesures d’instruction qu’ils estiment nécessaire pour rendre leursentence. Ils disposent pour cela d’un délai de six mois qui peut être prolongé par décision duprésident de la Chambre.

Le déroulement de l’instruction et de l’audience est donc très semblable à celui d’unprocès, la principale différence tient au fait que les arbitres n’aient pas à respecter lesprocédures contraignantes imposées devant les tribunaux. Il en résulte que les audiencesd’arbitrage sont beaucoup plus informelles. L’autre différence est que la décision sera renduetrès rapidement et à un coût très modéré.

La liste des arbitres

L'assemblée générale réunissant les membres adhérents de la Chambre établit et tientà jour une liste d'arbitres agréés. Ils sont inscrits en fonction de critères rigoureux, au premierrang desquels figurent la compétence, l'expérience et l'indépendance d'esprit. Ils sont choisisparmi des professionnels appartenant ou ayant appartenu à des organismes ou entreprises dontl'activité est consacrée au commerce et à l'industrie maritime internationale, étant cependantsouligné qu'ils ne font pas de l'arbitrage leur profession exclusive.

Ils sont répartis en trois grandes catégories :- les praticiens du commerce maritime : armateurs, affréteurs, courtiers, assureurs, agentsconsignataires, transitaires, etc.- les juristes : professeurs de droit maritime, juristes d'entreprises, magistrats, avocatshonoraires, etc.- les techniciens : ingénieurs du génie maritime, capitaines au long cours, officiersmécaniciens, experts, etc.

La sentence arbitrale

La sentence arbitrale tranche le litige. Les arbitres sont tenus de respecter les principesdirecteurs du procès énoncés notamment par les articles 4 à 21 du nouveau code de procédurecivile. Les sentences doivent se prononcer sur tout ce qui est demandé. Les arbitres doiventmotiver leurs décisions en droit, ou comme précédemment indiqué par les usages ducommerce. Ils doivent veiller à ce que chaque partie ait eu connaissance des arguments de sonadversaire et ait pu en débattre. Pour répondre à ces règles évidentes de bonne justice unesentence va en général exposer les faits, puis reprendre les prétentions et arguments desparties, enfin donner sa décision dûment motivée et se terminer par ce qu’il est convenud’appeler le « dispositif » qui énonce les décisions du tribunal et le montant descondamnations, s’il y en a, ainsi que la répartition des frais d’arbitrage. La grande majoritédes sentences reçoivent exécution par la simple volonté des parties ; en cas de difficulté,l’exécution doit être demandée au juge qui n’a pas à juger de la décision, mais se contente devérifier que les principes généraux mentionnés ci-dessus ont été respectés.

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Octobre 2004 La Revue Maritime N° 4704

L’examen au second degré

Dans de nombreux pays, une décision d’arbitrage est susceptible d’appel devant uneCour d’appel. La législation française est très favorable à l’arbitrage et reconnaît son caractèreautonome. Les parties peuvent ainsi renoncer à l’appel. Le seul recours possible devant uneCour d’appel est le recours en annulation qui n’est accordée que de manière trèsrestrictive, dans des cas énumérés par l’article 1502 du Code de procédure civile, et encore sila sentence est annulée le litige est à nouveau soumis à la Chambre arbitrale.

En ce qui concerne la Chambre arbitrale maritime de Paris, cette renonciation estinscrite dans le règlement et l’appel est interne par la mise en œuvre de la procédure dusecond degré qui donne aux parties la possibilité de demander un second examen de l’affairedevant un tribunal arbitral autrement composé.

Le rôle du comité de la Chambre

Le comité de la Chambre composé du Président et de deux membres désignés par leconseil d’administration de la Chambre est chargé de l’administration des arbitrages. Lacontrepartie de la pleine autonomie de l’arbitrage maritime international est la responsabilitéconjointe des arbitres et de la Chambre de bâtir une jurisprudence cohérente en harmonie avecle caractère particulier de l’arbitrage international proche du monde maritime et de la volontédes parties. L’organisation de la Chambre arbitrale maritime a été bâtie avec cet objectif.Cette condition est aisément remplie d’abord parce que les arbitres de la Chambre arbitralesont tous soit des praticiens, soit des juristes maritimes, soit des techniciens, et qu’ils ont àconnaître de problèmes qui leur sont familiers et qu’ils abordent très souvent de manièreidentique.

Le président du collège arbitral est choisi par le comité de la Chambre en fonction dudossier et de sa connaissance des questions à trancher. L’examen au second degré accentue lerôle du comité puisque ce sont les trois arbitres qu’il va choisir pour ce réexamen. Le comitédispose ainsi d’une importante responsabilité dans la composition des collèges arbitraux.

Enfin, au premier comme au second degré, les projets de sentences sont soumis aucomité  qui peut suggérer aux arbitres toutes modifications de forme et attirer leur attentionsur le fond. Le comité composé du président de la Chambre et de deux membres titulaires est,bien entendu, très respectueux de l’indépendance des arbitres et ne se considère pas enposition d’imposer des modifications aux arbitres.

La publicité des sentences

Enfin, les sentences ou tout au moins leurs résumés sont publiés, non seulement par lapresse maritime française, mais aussi dans des revues maritimes étrangères assurant ainsi ladiffusion de sa jurisprudence ou dans la nouvelle revue de la Chambre « la Gazette de laChambre », diffusée sur Internet. De plus, les sentences peuvent être aisément consultéesauprès du secrétariat de la Chambre. Cette publication est évidemment essentielle pour que lesparties connaissent la jurisprudence de la Chambre et pour que les arbitres puissent déduire decette connaissance leur volonté d’en bénéficier.

Conclusion

Le législateur français a donc voulu donner aux arbitres une grande liberté demanœuvre tant dans la conduite de l’instance que dans la décision. Cette direction a été trèslargement confirmée par les Cours d’appel françaises et la Cour de cassation qui

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Octobre 2004 La Revue Maritime N° 4705

reconnaissent pleinement le principe d’autonomie de l’arbitrage constatant que leur pouvoiren la matière se borne à statuer sur les demandes d’annulation.

Les arbitres maritimes français n’ont donc guère d’entraves dans leur recherche de lavolonté des parties ou dans la conduite de l’instance arbitrale. L’obligation qui leur est faitede toujours appliquer les usages du commerce international a pour immédiate conséquence deles conduire à rechercher quelles sont les interprétations données par leurs collègues desgrandes places maritimes étrangères ou de la High Court britannique. Il est évident qu’ilsn’ont aucune obligation de s’y conformer, mais cette connaissance du droit maritime comparéest essentielle pour bâtir entre pays actifs en arbitrage maritime, une jurisprudenceinternationale cohérente, compréhensible par les commerçants qui contractuellementchoisissent telle ou telle place d’arbitrage.

Même si chaque place nationale garde aujourd’hui sa personnalité dans son approchedes questions de fond, cette cohérence existe. Les différences les plus importantes entre placesd’arbitrage tiennent à la conduite de l’instance arbitrale, à sa durée et à son coût. L’arbitragemaritime à Paris devant la Chambre arbitrale maritime de Paris apparaît sur ce point très bienplacé pour répondre efficacement aux desiderata des praticiens du transport maritime.