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L’architecture et la représentation de la communauté: le symbolisme de l’espace et de l’esthétique architecturale uy Lanoue, niversité de Montréal, 2011-2014

Larchitecture et la représentation de la communauté: le symbolisme de lespace et de lesthétique architecturale Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011-2014

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L’architecture et la représentation de la communauté:le symbolisme de l’espace et de l’esthétique architecturale

Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011-2014

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Le design monumental (le monumentalisme) utilise:

• 1) la lumière• 2) les masses• 3) l’espace (le vide)• 4) la gestalt

dans le but de définir un rapport particulier entre l’ensemble et ses composants, qui est une métaphore pour le rapport individu-communauté.Dans l’architecture et le design en occident, il y a une tension entre la structure portante (censé être camouflée) et la façade (censé être la synecdoque de l’édifice ou du monument), comme il y avait un jeu visuel entre le haut et le bas, qui représentaient, comme on peut supposer, un système de hiérarchie sociale. Depuis l’époque victorienne en Europe, les architectes ont utilisé le fer pour mettre la structure portante en évidence, plutôt de la cacher), la transformant ainsi en entité monumentale. Bref, la structure portante (colonnes, arches, murs) était traditionnellement contrastée et cachée par la façade ou «cachée» par un toit massif; aujourd’hui, elle est devenue (comme dans l’exemple à gauche) un véhicule métaphorique pour le rapport entre l’individu et le social qu’il représente.

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Plusieurs signes architecturaux transforment l’espace public en marqueur du statuquo politique, mais Goodsell (1988:10) en a identifié quatre qui semblent être partagés en Occident depuis l’époque classique:

• 1) tels espaces sont totalement contrôlés par les autorités

• 2) l’accès par le public est restreint et contrôlé

• 3) leur destination politique est bien connue

• 4) ils sont renfermésJ’ajouterais une 5e: tels espaces sont des lieux où se manifeste la tension entre les signes de l’individu et les métaphores de la communauté.Tels lieux sont donc des espaces rituels, car a) ils sont composés d’un nombre limité d’objets-signes, et b) ces composants sont organisés selon un modèle assez précis.Goodsell, Charles1988 The Social Mean of Civic Space: Studying Political Authority through Architecture, University of Kansas Press, Lawrence

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Une maison privée (reconstruite), Ostia Antica

Les détails architecturaux de l’espace privé sont également significatifs pour comprendre l’image de la communauté.Ici, dans un style devenu iconique de l’architecture italienne, le rez-de-chaussée est clairement distingué des étages supérieurs. Cet étage est censé être accessible au public, en contraste avec les étages supérieurs, destinés à l’usage privé. Aujourd’hui, les bâtiments italiens conservent souvent cette distinction, avec des commerces et ateliers situés au niveau de la rue, surmontés d’appartements privés. Chaque édifice est sémiotiquement organisé comme une pyramide (sans qu’il y assume la forme), avec la base qui représente la dimension publique (qui est facilement «pénétrée» et donc sémiotiquement «féminine», et le sommet qui est signe du privé ou de l’intime, du haut et donc de la tête, du masculin, et du pouvoir de la gouvernance.

Pour une excellente aperçu de l’architecture romaine et de son importance pour les traditions occidentales, voir les leçons de Diane E.E. Kleiner, professeur à Yale University et experte du domaine. http://www.youtube.com/watch?v=qd3MJPHaotQ&list=PLBCB3059E45654BCE

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Édifice, 16e siècle, Rome

Immeuble contemporain, RomeNotez le rez-de-chaussée distinct

La continuité dans l’idéation de l’édifice est signe que les tensions entre individu et communauté existent toujours; dans ce cas, la décoration propre à chaque étage est évidemment liée à la présence d’un système de

hiérarchisation – les divisions de classe sont importantes pour cette société

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Les colonnes deviennent des synecdoques de l’ensemble, car le bâtiment n’est pas techniquement réalisable sans eux; la décoration de la colonne est une tentative de cacher et donc d’affaiblir cette métaphore, la transformant ainsi en métonymie, pour cacher la structure portante, ou au moins réduire son impact visuel. Le résultat est la transformation de cet élément structurel en détail esthétique, et d’orienter l’œil vers la façade, même quand, dans le cas des structures gréco-romaines, strictement parlant, il n’y en a pas, car les murs du temple (la cellule; nous sommes toujours dans le domaine du monumentalisme) sont souvent entourés de colonnes et érigées en tout cas à l’intérieur de l’édifice. En fait, la décoration «végétale» transforme la base et surtout le chapiteau en élément terrestre, comme les flutes allègent les colonnes en faisant disparaitre leur qualité massive dans une masse de lignes fines. Même dans l’absence de végétation, comme dans le style ionique, la décoration reprend les thèmes du toit, donc une partie de la colonne est visuellement attachée au toit par ses décorations partagées.

Les trois catégories («ordres») de colonnes de l’Antiquité

(corinthienne, ionique, dorique)

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Temple, Paestum (Italie centrale) Notez la domination des colonnes, qui cachent même les murs internes du bâtiment

(la cella, «cellule», la partie interne définie par les murs intérieurs)

Les architectes devaient affronter un problème esthétique: le poids visuel de cette masse de colonnes et par les murs de la cella semble dominer au point de créer un déséquilibre visuel, et donc ils ont décoré la plinthe du toit, ou parfois ils ont placé des statues autour de son périmètre, pour créer l’impression d’un toit plus massif et donc en équilibre avec la base. Cependant, ils risquaient de sombrer dans un cercle vicieux, car chaque augmentation du poids du toit renforçait, évidemment, le besoin d’y placer plus de colonnes portantes.

Dans l’esthétique étatique, un haut (toit) trop petit sans impacte visuel est signe de faiblesse: le haut doit toujours dominer le bas. On y ajoute des décorations à la frise pour signaler son importance.

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Il y a eu une évolution importante dans l’architecture des temples, de la Grèce à Rome, et surtout à l’époque impériale. Les premiers temples romains sont inspirés de modèles grecques et étrusques (ces derniers aussi influencés par les Grecs). Construits sur un podium (base) haut de quelques mètres, la cella (cellule) sacrée est entourée de colonnes et cachée de vu. À différence des temples grecs, qui ont des escaliers sur les 4 côtés, les romains ont généralement un seul escalier en avant, jumelé avec un toit projeté avant pour protéger le balcon. L’œil est donc orienté vers l’espace intérieur. Avec l’expansion territorial, les temples romains deviennent plus grands pour souligner l’importance de cet espace symbole de la communauté. La construction du Panthéon (118-128 AD) signale la consolidation de cette tendance. De l’extérieur, le devant ressemble à celles des temples classiques: colonnes couronnées sur lesquelles repose un fronton (un mur décoratif à l’intérieur d’un cadre triangulaire); suivi du comble rectangulaire, pour enfin arriver au cylindre base de la coupole. Il y a donc un effet trompe-œil quand une personne passe de l’extérieur à l’intérieur: du linéaire au rond, du classique au révolutionnaire. L’importance symbolique de l’espace intérieur est donc signalé visuellement. En effet, le cylindre est un cella de dimension plus grande de l’entrée, qui avant définissait le temple. Le nouveau système symbolique sera renforcé en ajoutant des détails à la façade.

fronton

comble

cylindre

De l’extérieur à l’intérieur

frise

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Le Panthéon, Rome

On ignore la raison pour laquelle il fut construit; ce n’est certainement pas pour honorer « tous les dieux ». À l’intérieur il y avait (et a toujours) 7 autels, mais on ne connait pas leur destination: les 7 planètes connues (5 + la lune et le soleil)? Construit par Hadrien mais attribué au Consul Marcus Vipsanius Agrippa, ce dernier est ami et allié d’Auguste/Octave. Il gagne la bataille d’Actium contre Marc-Antoine et Cléopâtre en 31 av-J.-C., ce qui permet à Auguste de devenir empereur (sans pourtant revendiquer le titre). Agrippa érige un temple en commémoration autour de 25 av. J.-C. Il est détruit par le feu à deux occasions. Un siècle et demi plus tard et voulant se lier symboliquement à la dynastie fondatrice de l’Empire, Hadrien (qui n’est pas du lignage Claudio-Julien comme Auguste, fils adoptif de Jules César) construit la structure actuelle et y appose une dédicace à Agrippa. Quoi que soit sa destination religieuse, son importance politique est claire. Le chapiteau, censé être corinthien, évoque la décoration égyptienne.

«M[arcus] Agrippa L[ucii] f[ilius] co[n]s[ul] tertium fecit»: Marcus Agrippa, fils de Lucius, a construit [cet édifice] lors qu’il était consul pour la 3e fois.

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L’intérieur mesure exactement 142 pieds de large et de haut, et la coupole repose sur des murs de 71 pieds de hauteur. La coupole est construite en béton, qui est considérablement allégée par l’utilisation de coffres (les éléments à l’apparence de cellules ou fenêtres). Le toit massif (la coupole) semble «disparaitre» grâce à ce design et permet de construire de niches qui agrandissent l’impression d’un grand espace intérieur. Le diamètre du coupole est plus grand d’un mètre de celle de St-Pierre.

Coffre

Niche

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Une autre vue du Panthéon

La rangée de fausses portes dans les murs rappellent l’entrée de temple, et les allègent, en dissimulant l’épaisseur des murs obligatoirement massifs afin de supporter une coupole si grande. Ces fausses portes signalent une ouverture, comme si cette partie supérieure était au rez-de-chaussée. Les murs donc apparaissent plus légers qu’ils le sont en réalité.

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Le Parthénon, Athènesun exemple du monumentalisme étatique; notez les marches qui entourent l’édifice; la

cella est invisible

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L’Acropole, Athènes, et le message de l’État «parfait»Il est impossible de constater visuellement (et ceci est l’effet voulu par les architectes de ce monument) que les bases du toit (dans les deux dimensions de longueur et de profondeur du linteau) ne sont pas parfaitement droites ni parallèles à la base de la structure. En effet, les parties centrales des deux dimensions (indiquées par les deux flèches) dévient de l’horizontale d’approximativement 3 cm, et ceci pour créer une illusion optique que ces linteaux vus du bas sont droits et parallèles, car l’œil, en regardant vers le haut, les aurait déformés; une personne aurait pensé que les architectes se sont trompés. Le sous-texte qui lie la perfection de l’édifice au pouvoir étatique aurait été saboté.

Ceci est la même déformation («la distorsion en barillet») du haut et du bas d’une photo avec un appareil qui utilise des lentilles non corrigées.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/59/Lens_distorsion.png/300px-Lens_distorsion.png

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L’Acropole aujourd’hui

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Même si la partie supérieure de l’arche est relativement massive, l’œil est inexorablement porté vers le bas par les arches, la structure portante. C’est leur qualité «ouverte», voulue par les architectes pour alléger l’ensemble, qui doit être opposée par le linteau énorme en haut; visuellement, la composition semble déséquilibrée, mais «bien» parce que les personnes vivant dans les régimes étatiques ont normalisé l’idée que le haut domine le bas.

L’arche de Constantin, Rome

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La technologie du toit

Dans l’économie politique du visuel, le toit définit un espace ouvert qui est symbole de la communauté: plus tel espace est-il grand, selon la logique sémiotique de métaphorisation

du lieu, plus la communauté est solidaire. La motivation pour le développement de nouvelles technologies est peut-être liée au besoin de mieux représenter l’unité de l’empire.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3d/Affresco_dell%27aspetto_antico_della_basilica_costantiniana_di_san_pietro_nel_IV_secolo.jpg/649px-Affresco_dell%27aspetto_antico_della_basilica_

costantiniana_di_san_pietro_nel_IV_secolo.jpg

Un toit triangulé: l’ancien St-Pierre, Rome

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8a/Model_temple_of_Aphaia_Glyptothek_Munich.jpg/800px-Model_temple_of_Aphaia_Glyptothek_Munich.jpg

Un toit à linteau: un modèle du temple d’Aphaia, Grèce

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Les toits grecs

Source: http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_ancient_roofs

À noter que l’envergure des toits grecs, même ceux triangulés, est plus petite

comparée aux toits romains, par un facteur de deux ou trois. Puisque les

deux utilisaient essentiellement la même technologie, la différence, logiquement,

est due à des visions esthétiques divergentes: les Romains semblaient

ressentir plus le besoin de construire en grand, de symboliser leur communauté diverse et hautement polarisée (par les

divisions de classe qui menaçaient de la saboter) en créant des espaces grands

dont le symbolisme soulignait l’union symbolique de tous les protagonistes du

social. Ils avaient également besoin de construire de grands toits, de grandes

«têtes» qui menaient l’œil vers le haut et donc vers l’État force motrice derrière

ces projets monumentaux.

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Les toits romains

Source: http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_ancient_roofs

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Église romanesque, MilanNotez que les espaces ouverts des arches portent l’attention de l’œil vers le bas

Est-ce que l’addition des tours (après que l’Église ait supprimé la décoration massive et «païenne» des plinthes du toit, pour retourner vers une simplicité symbolique) serait-elle une tentative de mener l’œil vers le haut, la source symbolique de l’autorité de l’Église? L’Église catholique conserve la tradition de mettre l’emphase sur l’intérieur. La façade ne fait pas toujours partie de l’édifice principal (comme ici). Son caractère artificiel (détaché de la partie centrale) signale l’importance de l’intérieur.

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Église néo-romaine (Rome)avec emphase sur la façade

Ici, on voit clairement l’effet de la façade exagérée

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Église néo-romaine (Rome), avec emphase sur la façade

La façade exagérée en hauteur (qui dépasse le vrai toit) est une tentative de mieux équilibrer haut et bas, de minimiser le rôle des murs comme structure portante.

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Église classique, RomeBasilique St-Paul-hors-les-murs

L’ampleur de l’espace intérieur est limitée par la capacité structurelle des poutres (en bois) du toit; les murs doivent être massifs pour supporter le poids du toit; plus large est l’espace intérieur, plus les poutres sont énormes et donc plus les murs doivent être renforcés pour les soutenir; le plafond visible (qui peut cacher un toit lourd, mais invisible de l’intérieur) est donc parfois suspendu de la structure «vraie» du toit pour l’alléger visuellement. On voit ici l’utilisation de coffrets (ou «caissons», dont l’utilisation dans la coupole du Panthéon est son trait signalétique). Ils vont alléger le toit visuellement: les règles changent une fois qu’on passe à l’intérieur, car le toit ne doit pas être si lourd qu’il donne l’impression d’écraser le public. C’est un autre sous texte de l’esthétique étatique, qui veut communiquer la solidarité de la communauté en dépit de ses clivages de classe.

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Les étapes pour construire une coupole byzantineLa coupole est une arche tournée 360 degrés

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Église romanesque, Venise

L’utilisation de l’arche et de la coupole dans une tentative d’alléger le poids du toit (mais en augmentant son impacte visuelle et donc orienter l’œil vers le haut; le toit comme structure «disparait», pour être remplacé par une fantaisie flottante comme une voile. On allège également les entrées, qui donnent l’impression d’être très grande parce qu’elles sont encadrées par de multiples arches; en réalité, elles sont petites.

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Le style gothique est en fait une invention française qui débute avec la construction de la Cathédrale des rois français, St-Denis 15km au nord de Paris, complétée vers 1047. En abandonnant les mures épais (considérés nécessaires pour supporter les toits lourds), l’architecte (Suger) brise avec le passé romain. Le style est critiqué comme un exemple de l’influence barbare, donc ‘gothique’ pour les érudits de l’époque. Le style établit trois traits: a) l’arche gothique, b) l’arcboutant qui est placé dehors, pour appuyer les l’arches gothiques légers qui peuvent atteindre 30m de hauteur, et c) l’utilisation de la vitre pour éclairer le nef.

Le style gothique

St-Denis, à droite; à gauche, intérieure

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Notez qu’avec l’utilisation de l’arcboutant, une partie du rôle technique du mur (soutenir le toit) est transféré à l’extérieur, et donc désormais il devient techniquement possible d’alléger les murs, vus de l’intérieur. Il est donc moins nécessaire d’utiliser de plinthes hautement décorées et de fausses façades pour harmoniser le haut et le bas.

L’arcboutant

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Style gothique (Notre-Dame, Paris)

La structure portante (les arcboutants) est ici manifestement visible: elle est à l’extérieur de la structure comme telle. L’effet est d’alléger l’intérieur et, ironiquement, de partiellement cacher les espaces ouverts définis par l’arche exagérée du style gothique; enfin, ces renforcements agissent de flèches visuelles et portent l’œil vers le haut de la structure

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Gothique, avec plan intérieur

Une des conséquences de l’adoption de ce style est d’alléger les murs. Il est donc possible de percer les murs avec des fenêtres, qui vont davantage alléger les murs et aussi augmenter la quantité de lumière qui pénètre l’intérieur.

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Façade, Notre-Dame, Paris

Notez la rosette centrale pour illuminer l’intérieur; sur le plan technique, ceci est plus facilement réalisable avec le style gothique, avec ces murs «minces» (relativement!); notez aussi les tentatives de décorer les superficies du bâtiment, car les espaces ouverts définis par les arches gothiques sont en fait plus grands que les ouvertures créées par l’arche romaine. La qualité pointue de l’arche ainsi que l’hyperdécoration et les arcboutants portent l’attention de l’œil vers le haut, un message sémiotique appropriée pour une église, et aussi vers l’intérieur, car la façade semble être une partie détachée de l’édifice. Notez que la série d’arches à l’entrée encastrées l’une dans l’autre dirige l’œil vers l’intérieur.

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Cathédrale gothique, Chartres (France)

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Cathédrale gothique, Bath (Angleterre)Ici, on voit les murs «disparaitre» grâce au génie mécanique gothique

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Illumination de l’intérieur d’une église néo-romaine, gauche, et gothique, à droite

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Les sociétés asiatiques où se trouve ce genre de temple ont une organisation sociale différente de celle de l’Europe occidentale, et donc les tensions qui entourent le rapport entre l’individu et la communauté s’expriment de façon différente. Par exemple, notez que la structure portante est quasiment complètement cachée par le décor, à différence des églises occidentales. À dire la vérité, les temples asiatiques sont en général beaucoup plus petits et intimes que les églises occidentales et donc les architectes locaux ne doivent pas affronter le problème de couvrir un espace intérieur gigantesque (ce qui les oblige, en Occident, d’adopter de toits imposants et donc de murs portants massifs). Un peu partout en Asie (en les Asies!) où on pratique la riziculture, le monumentalisme symbole de la communauté se manifeste par l’investissement dans les terrasses et non dans les temples.

Temple, Thaïlande septentrionale

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Deux tentatives d’orienter l’œil vers un élément structurel:décoration italienne (à gauche), qui renforce l’idée du toit massif (même quand cet élément n’est pas

nécessaire sur le plan structural); décoration chinoise (à droite), qui tente de l’alléger en faisant un pont visuel entre le toit et les poutres portantes; notez aussi l’utilisation de symboles du monde végétal

(feuilles d’acanthe) en Occident (donc, un élément terrestre), et de motifs fauniques en Orient (les lignes évoquent le dragon, qui est une créature de l’air qui contrôle l’eau (la pluie, par exemple); il est donc plus

léger et certainement plus bénéfique que le dragon de la mythologie occidentale).

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/17/Jade_dragon_2.jpg/220px-Jade_dragon_2.jpg

Bijou en jade en forme de dragon, approx. 300 ans a.J.C.

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Véranda, Asie centraleNotez les fausses colonnes, qui agissent de trompe-œil, car elles sabotent l’idée de la

colonne comme structure portante et définissent une gestalt d’arches multiples.

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Toit chinois traditionnel à plusieurs niveaux et pentes, détournant l’attention de son rôle architectural principal; sa courbature crée l’impression que le toit est plus léger qu’il l’est en réalité; il semble flotter, et donc l’œil le voit plus haut qu’il l’est en réalité.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/9f/HighStatusRoofDeco.jpg/300px-HighStatusRoofDeco.jpg

Les architectes chinois parfois faisaient comme leurs confrères occidentaux, en décorant le toit pour porter l’œil vers le haut. Ceci était généralement réservé pour les édifices étatiques les plus importants, pour souligner le haut (surtout que les figures sont mythologiques)

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Temple chinois à Suzhuo, Jiangsu

Ici, on voit mieux l’effet esthétique du toit «détaché», qui s’intègre mieux dans le milieu bucolique;

notez que l’attention est portée vers le haut par la courbature du toit.

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Grand palais, Bangkok, Thaïlande Notez la métaphorisation du toit du palais transformé en chapeau-couronne;

un élément architectural se transforme en élément artistique; notez également la décoration de la plinthe du toit pour cacher son rôle architectural

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Temple vietnamienNotez les murs portants transformés visuellement en arches et donc en galléries, pour souligner

l’espace aux dépens de la structure portante. Notez également les toits métaphorisés en plateaux de service, métaphore du repas et de la fête. Notez aussi que le toit semble flotter, qui

symboliquement allège la structure portante inférieure.

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La ville défendue (sacrée), Beijing, ChineUne autre aperçue du toit flottant qui a l’effet d’alléger la structure portante

On voit qu’il est possible de construire des structures majestueuses qui communiquent l’idée du léger (mais qui ont le même effet et but que leurs homologues occidentaux, de diminuer

l’individu devant l’architecture monumentale censée représenter le pouvoir étatique)

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Pagode japonaise Yakushiji Toto (730 av. J.-C.) montrant l’effet du toit flottant

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Temple, JaponUn autre exemple de 1407, qui démontre la persistance de ce style

et donc son importance dans le langage local de l’espace social.