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«L'assainissement de la Seine au XIXe siècle » par Isabelle Cavé, docteur en histoire de la santé contemporaine, diplômée de l'EHESS, Paris. ______________________ Communication orale donnée dans le cadre du colloque universitaire Les Reclusiennes sur le thème « L'eau ne coule plus de source », Saint-Foy-La-Grande, 5-10 juillet 2016, Gironde. Plan de l'article Généralités 1 Pollution de la Seine parisienne et de ses environs 2 La construction du réseau d'égouts à Paris 3 Une question de salubrité posée au Parlement 4 Eau de Seine : agriculture biologique du XIXe siècle inoffensive à la santé humaine ? Conclusion générale ■ Dossier Histoire de la Seine et des hygiénistes au XIXe siècle.

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«L'assainissement de la Seine au XIXe siècle »

par Isabelle Cavé, docteur en histoire de la santé contemporaine, diplômée de l'EHESS, Paris.

______________________

Communication orale donnée dans le cadre du colloque universitaire Les Reclusiennes sur lethème « L'eau ne coule plus de source », Saint-Foy-La-Grande, 5-10 juillet 2016,

Gironde.

Plan de l'article

Généralités

1 Pollution de la Seine parisienne et de ses environs

2 La construction du réseau d'égouts à Paris

3 Une question de salubrité posée au Parlement

4 Eau de Seine : agriculture biologique du XIXe siècle inoffensive à la santé humaine ?

Conclusion générale

■ Dossier

Histoire de la Seine et des hygiénistes au XIXe siècle.

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Quelques généralités La Seine est un fleuve français d'une longueur de 776,6 km qui coule dans le bassin parisien etarrose les villes de Troyes, Paris, Rouen et Le Havre. Ce fleuve prend sa source à Source-Seine (enCôte-D'Or) sur le plateau de Langres basé à une altitude de 446 m. Il se jette dans la Manche entrele Havre et Honfleur. La Seine compte plus d'une dizaine d'affluents (l'Ource, l'Aube, l'Yonne, leLoing, l'Essonne, l'Yerres, la Marne, l'Oise, l'Epte, l'Eure et la Risie) et touche 30% de la populationdu pays. Aujourd'hui, nous allons nous intéresser à ce fleuve, qui traverse Paris et sa banlieue d'unpoint de vue de la pollution et de la santé publique au regard des rapports techniques établis par lesingénieurs des eaux et des hygiénistes au XIXe siècle (seconde partie du siècle). Nous allonsessayer de comprendre comment les autorités administratives géraient les problèmes del'assainissement de la ville de Paris1. À Paris, les crues du fleuve sont mesurées par une échellehydrométrique au Pont de la Tournelle (au pont d'Austerlitz depuis 1876) dont nous retiendrons desmontées exceptionnelles du niveau du fleuve en 1866, 1872, 1876 et des sécheresses remarquablesen 1857, 1858, 1865, 1870 et 18742 et de nouvelles crues d'exception pour le XXe siècle en 1910(soit 8,68 m de hauteur en référence à la ligne d'eau), 1924, 1955, 1978 et 19823.

1 Cf. B. BARRAQUÉ, « L'évolution de la problématique de l'assainissement au XXe siècle : hygiène, confort,environnement », Sciences sociales et santé, 1985, volume 3, n°2, pp.103-109.

2 Cf. A. DE PRÉAUDEAU (sous la direction de Ch. Lefébure de Fourcy) Manuel hydrologique du bassin de la Seine,Paris, Imprimerie Nationale, 1884.

3 Et des hauteurs respectives de 7,32 m, 7,12m, 5,69m, 6,16m pour les autres années citées. Source : M. MEYBECKLa Seine en son bassin. Fonctionnement écologique d'un système fluvial anthropisé, Paris, Elsevier, 1998, p.100.

Illustration 1: Paris au début du XXe siècle

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C'est à partir de 1830 que commence l'aménagement de la Seine par la construction de barrages etd'écluses, taquinant l'œil des promeneurs du dimanche d'aujourd'hui à regarder la navigationtranquille des péniches automotrices d'une capacité de transport, pour chacune d'elles, de 700 tonnesde frêt (remorquage de la barge incluse) et des bateaux-mouches pour transporter les touristes(système de transports organisé dans le cadre de l'Exposition Universelle de 1867). Nous avons tousen mémoire aussi les œuvres artistiques qui ont inspiré les peintres du XIXe siècle dont nous nerésisterons pas à citer quelques célébrités comme Joseph Mallord William Turner (1775-1881),Charles-François Daubigny (1817-1878), Eugène Boudin (1824-1898), Alfred Sisley (1839-1899),Claude Monet (1840-1926), Gustave Caillebotte (1848-1894), Vincent Willem van Gogh (1853-1890), Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) etc4.

Les peintres impressionnistes et la Seine

4 Cf. D. LESPINASSE École de Rouen : les peintres impressionnistes et postimpressionnistes, Colombelles, éditionsdu Valhermeil, 2011.

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Illustration 2: Vitry-sur-Seine vers 1875. Source : Exposition « Industrie en banlieue parisienne (1840-1980) » Exposition au Musée de Nogent-sur-Marne, 12 janvier-9 juin 2013.

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Le fleuve de la capitale française fera toujours rêver, couler beaucoup d'encre, par ses réalitésvivantes et historiques. Seulement revenons à nos préoccupations de santé de la populationparisienne au cours de la seconde partie du XIXe siècle à l'heure où le Parlement s'apprête à voteren nombre important ses lois sanitaires dotant le pays d'une véritable politique de santé publique5

1 Pollution de la Seine parisienne et de ses environs

Que disent les rapports des ingénieurs des eaux sur la période étudiée ? Il y a des plaintes de lapart des riverains et des pêcheurs sur l'état des eaux du fleuve de Paris et jusqu'à 30 kilomètres de lacapitale constatant des puanteurs6, des eaux stagnantes, la formation de gaz ; l'apparition demousses, de champignons, des algues microscopiques, des lichens, des colorations peu naturelles dufleuve (noirceurs de l'eau), de la pourriture des herbes à proximité des berges entraînant unabaissement de l'oxygénation moyenne de la masse du fleuve et causant la mort innombrable despoissons, des oiseaux et la formation de nuages d'insectes. Au cours de ces dernières années duXIXe siècle l'infection de la Seine a été officiellement reconnue par des Commissionsadministratives, par le Conseil d'hygiène et de salubrité, par le Conseil général des ponts etchaussées appelés successivement à constater et à indiquer les moyens pour y porter remède. Pourexemple, en date du 10 juin 1873, les employés de la machine hydraulique de Marly7 ont enlevé 80hectolitres de poissons morts qu'ils ont enfoui, conformément, à la circulaire télégraphique del'ingénieur Foulard. Le 7 juin 1874, la mortalité a dépassé Le Pecq et s'est produite sur une étenduede 33 kilomètres. Autant dire un caractère d'insalubrité insupportable qui menace en premier lieu lapopulation humaine de proximité. Félix Boudet (membre du Conseil d'hygiène et de salubrité deParis) adressant un rapport d'étude au Préfet de police de la ville de Paris révèle en 1876 ceci8 :

5 Cf. T.LEFEBVRE, C.RAYNAL Villes d'eaux d'Île-de-France. Dictionnaire historique des sources d'Île-de-Franceutilisées à des fins thérapeutiques, hygiéniques ou salutaires, Paris, éditions Glyphe, 2016.

6 Cf. A. CORBIN Une histoire des sens, Paris, Robert Laffont, 2016.7 Cf. R. BIED-CHARRETON, « L'utilisation de l'énergie hydraulique. Ses origines, ses grandes étapes », Revue

d'histoire des sciences et de leurs applications, 1955, volume 8, n°1, pp.53-72.8 In BELGRAND, MILLE, Alfred DURAND-CLAYE Assainissement de la Seine : avant-projet d'un canal

d'irrigation à l'aide des eaux d'égout de Paris entre Clichy et la partie nord-est de la forêt de Saint-Germain,département de Seine-et-Oise : Enquête. Rapport des ingénieurs de la ville de Paris, 4 juillet 1876, Préfecture de laSeine, Paris, Gauthier-Villars, 1876.

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(…) « L'infection de la Seine portée àun degré tel qu'elle détruit souvent lepoisson, porte atteinte à la salubritépublique, compromet le bien-être et lasanté des populations riveraines, surun parcours de 20 à 30 km, dans ledépartement de la Seine, est le résultatde la projection des égouts dans lefleuve. Cette infection, que personnene peut contester, s'est aggravéedepuis quelques années, à mesure quela population s'augmentait, et que lescollecteurs, recueillant pluscomplètement les immondices deParis et de sa banlieue, apportaientau fleuve, en deux points seulement, àAsnières et Saint-Denis, des déjectionsplus considérables et notamment leseaux vannes du dépotoir de Bondy ;cette infection devra nécessairements'aggraver encore si la Seine continueà recevoir les affluents des deuxcollecteurs. »

Un passage plus loin il est écrit :

(…) « La science, l'hygiène, lesintérêts de l'agriculture, de la santépublique et le bien-être despopulations, le texte des ordonnancesroyales de 1669 et de 1777, qui n'ontpas été abrogées et dont lesprescriptions formelles interdisent dejeter dans la Seine et les rivièresnavigables aucunes ordures etimmondices, protestent hautementcontre l'altération des eaux de laSeine. »

Il faut dire que Paris ― cité du pouvoir centralisateur et grand centre industriel du XIXe siècle à lafois ― pôle économique rayonnant incontestable9, présentant une population humaine de plus enplus croissante au fil du siècle, fait drainer chaque jour ses tonnes d'immondices10 vers le fleuve, sesboues, ses résidus de toutes natures issues des industries11, des manufactures12, des ateliers de

9 Cf. R.WOODS, « La santé publique en milieu urbain (XIXe-XXe siècles) : hygiène et mesures d'assainissement »,Annales de démographie historique, 1989, volume n°1, pp.183-195.

10 Cf. P.-D. BOUDRIOT « Essai sur l'ordure en milieu urbain à l'époque pré-industriel. De quelques réalitésécologiques à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les déchets d'origine artisanale », Histoire, économie et société,1988, volume 7, n°2, pp.261-281.

11 Cf. J.-P. GOUBERT « La Conquête de l'Eau, l'avènement de la santé à l'âge industriel », Annales de Bretagne et despays de l'Ouest, 1987, volume 94, n°1, pp.112-113.

12 Cf. T. LE ROUX Le laboratoire des pollutions industrielles. Paris,1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011.

Illustration 3: Dr Félix, Henri Boudet (1806-1878), pharmacien, membre de l'Académie Nationale de Médecine et membre du Conseil d'hygiène et de salubrité de Paris.

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fabrication13, de ses marchés aux bestiaux, de ses abattoirs14 par mille ruisseaux infects. Paris et sabanlieue15 doivent donc gérer, au quotidien, le problème de l'assainissement urbain16 comprenantl'évacuation des eaux usées, l'arrosage des rues, la collecte des ordures ménagères17, la vidange deseaux d'aisance non raccordées aux égouts municipaux18. Paris et sa banlieue19 doivent faire faceégalement aux eaux pluviales naturelles (la preuve en est avec l'actualité de la crue de Paris en juindernier (année 2016) qui a fait parler beaucoup d'elle avec toutes les problématiques de sociétéqu'elle sous-tend (dimensions économiques, écologiques, prophylactiques etc.) Le département dela Seine doit faire face aux eaux issues des activités ménagères et aux eaux industrielles etartisanales pétries de produits chimiques pollueurs et combien dangereux pour la santé humaineétudiés dès la fin du XVIIIe siècle par les hygiénistes20.

Tableau de croissance de la population parisienne au XIXe siècle (1846-1906)21

1846 1 056 297 habitants

1856 1 174 346 habitants

1866 1 825 274 habitants

1876 1 988 806 habitants

1886 2 344 550 habitants

1896 2 536 834 habitants

1906 2 763 393 habitants En 1853, le Gouvernement, est décidé de traiter la contamination des eaux qui servent àl'alimentation de Paris22. Sur volonté politique les canaux de dérivation de la Dhuys et de la Vannevont être accélérés donnant aux Parisiens 400 000 mètres cubes d'eau de source par 24 heures (soit140 litres d'eau potable par habitant) et réservant les eaux moins pures de la Seine et de l'Ourcq aunettoyage des rues, à l'entretien des fontaines publiques, aux besoins de l'industrie, à l'arrosage dessquares et des bois de Vincennes et de Boulogne23. C'est à cette occasion que nous pouvons parler

13 Il faut s'imprégner de la pensée hygiéniste salutaire de l'époque avec l'article de Jean-Claude DEVINCK, « La luttecontre les poisons industriels et l'élaboration de la loi sur les maladies professionnelles » in Sciences sociales etsanté, 2010, volume 28, n°2, pp.65-93.

14 La notion d' « échaudoirs » dans le Dictionnaire universel des connaissances humaines, sous la direction de B.Lunel, Paris, Delacroix-Comon, 1857-1859.

15 Cf. M. CHARVET, Les fortifications de Paris. De l'hygiénisme à l'urbanisme, 1880-1919, chapitre VI, Rennes,PUR, 2005.

16 Pour appréhender au mieux les problématiques de l'aménagement urbain rapportées à notre période contemporaine(étude réalisée dans les années 1980), je vous renvoie à la lecture de l'article de Bernard Dezert, « Problèmesd'organisation et d'aménagement de la banlieue parisienne occidentale », Annales de Géographie, 1980, volume 89,n° 494, pp.486-489.

17 Pour complément de lecture, lire l'ouvrage de J.-H. JUGÉ La collecte des ordures ménagères à la fin du XIXe siècle,Paris, Larousse, sélection du Reader's Digest, 1993.

18 Cf. S. FRIOUX Les batailles de l'hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses, Paris, PUF,2013, p.38.

19 A. DEMANGEON Paris, la ville et sa banlieue, Paris, Bourrelier, 1933.20 Cf. G. MASSARD-GUILBAUD Histoire de la pollution industrielle, 1789-1914, Paris, éditions EHESS, 2010.21 Source : Site Internet démographique Cassini, EHESS, Paris. 22 Cf. A THOMINE-BERRADA « Histoire des politiques d'urbanisme à Paris (VXI-XXe siècles), École pratique des

hautes études. Section des sciences historiques et philologiques. Livret-Annuaire, 2007, volume 138, n° 21, pp.313-318.

23 Cf. Annexe n° 11. « Des résultats de l'irrigation de la plaine de Gennevilliers par les eaux d'égoûts de la ville deParis ». Étude par les Docteurs Danet, Bastin et Garrigou-Désarènes in BELGRAND, MILLE, A. DURAND-CLAYE Assainissement de la Seine : avant-projet d'un canal d'irrigation à l'aide des eaux d'égoût de Paris entreClichy et la partie nord-est de la forêt de Saint-Germain, département de Seine-et-Oise : Enquête. Rapport des

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de la construction conduisant au-dessous de Paris (en aval du Pont-d'Asnières) les 260 000 mètrescubes d'eaux souillées, chaque jour, par les activités humaines. Ces eaux d'égouts déversées auquotidien par les deux grands collecteurs d'Asnières et du Nord ou de Saint-Denis représentent 580tonnes de matières en suspension et autant de matières également infectes à l'état de dissolution24.

2 La construction du réseau d'égouts à Paris

Les premiers égouts de Paris furent construits vers l'an 1350. Ils correspondaient à des canauxcomme réceptacles des eaux superficielles qui les conduisaient au fleuve et les matières de vidangeétaient transportées au même titre que les ordures ménagères et les matériaux de démolition. En1835, une commission administrative nommée par le préfet de police, donne, son accord, pourl'emploi d'appareils spéciaux destinés à séparer les solides des liquides. En 1867, le préfet de laSeine nouvellement investi des attributions antérieurement dévolues au préfet de police (en ce quiconcerne les vidanges) autorisa les propriétaires à écouler les vannes de leurs fosses directement àl'égout. De 1832 à 1836, la longueur des égouts augmenta de 8 km par an alors qu'elle nes'allongeait de 500 mètres pour l'année entre 1806 et 1823 et de 1 km par an de 1824 à 1831.Jusqu'en 1848 la construction du réseau était efficace ; elle fut ralenti par les événements de 1848mais elle reprit vers 1831. Il y avait à la fin de l'année 1889 898 kilomètres d'égouts contrel'existence de 2300 km de galeries de nos jours qui sont accessibles par 28 000 regards25.

ingénieurs de la ville de Paris, 4 juillet 1876, Préfecture de la Seine, Paris, Gauthier-Villars, 1876, p.76.24 Source : Préfecture de la Seine. 25 Donnés chiffrées de 1990 in A. CLÉMENT et G. THOMAS Atlas de Paris souterrain, Paris, édition Parigramme,

2001.

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Quelques repères

L'an 1350 Construction des premiers égouts de Paris conduisant les eaux superficiellesvers la Seine.

1806-1823 Construction de 500 m par an.

1824-1831 Avancement des travaux de 1km par an.

1832-1836 8 kilomètres par an.

Jusqu'en 1848 Efficacité dans l'avancement des travaux.

1848 Gros ralenti des travaux en raison des événements historiques.

1851 Reprise du projet.

1889 Total de 898 kilomètres d'égouts parisiens.

1889 Visite des égouts deux fois par mois par l'administration de la ville de Paris àbord de bateaux et de wagonnets.

1989 Les eaux polluées sont traitées dans des usines d'épuration.

2007 Le musée des égouts reçoit près de 95 000 visiteurs. Il faut savoir que la gestion des eaux usées en France ne va pas de soi. C'est l'ingénieur Belgrand,sous l'impulsion du préfet Haussmann, à partir de 1854 à Paris, à qui l'on doit l'invention descollecteurs des eaux usées sous les artères nouvellement percées. Les immeubles sont contraints parla loi à déverser les eaux pluviales et ménagères dans le réseau des égouts ; c'est ce qu'on va appeler« le tout-à-l'égout »26. Les égouts ne débouchent plus dans la Seine à l'intérieur même de Paris maisen aval à Asnières (département actuel des Hauts-de-Seine). Les collecteurs seront prolongésjusqu'à Aschères (département actuel des Yvelines) où les eaux d'égout sont exposés sur deschamps d'épandage27 entraînant des plaintes de la part des riverains et soulevant des problèmessanitaires conséquents28. Les eaux polluées traitées par les usines d'épuration ne seront créées pources dernières qu'en 1930. Il faut attendre les débuts de la IIIe République pour voir apparaître unelégislation sanitaire d'envergure nationale inexistante jusqu'à présent renvoyant à des questions de

26 Cf. P. CESBRON de Lille, « L'eau à Paris au XIXe siècle », Flux, 1993, volume 9, n° 12, pp.48-49.27 Idée développée par l'ingénieur Adolphe Mille en faveur du tout-à-l'égout et l'utilisation des effluents comme engrais

pour l'agriculture. 28 Cf. S. BARLES La ville délètère, médecins et ingénieurs dans l'espace urbain, XVIIIe-XIXe siècles, Ceyzérieu,

Champ Vallon, 1999.

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santé publique qui n'intéressent pas beaucoup les hommes politiques et qui alertent encore moinsl'opinion publique de l'époque (grande victime, pourtant, des épidémies mortelles par maladiescontagieuses). Sous l'angle hygiéniste, les travaux de Pasteur entre 1855 et 1870 avec la découvertede la microbiologie29 montrent toute l'urgence de la nécessité de nettoyer, voire de désinfecter lesvoiries, les lieux publics, les collectivités dont en premier lieu les hôpitaux, l'habitat et de se lavertous les jours pour éviter les maladies ou la propagation des épidémies. Il faudra attendrel'engagement des hygiénistes, au Parlement, pour conforter les découvertes de Pasteur sur lanécessité de mettre en place une politique de santé collective réelle. La loi du 15 février 1902premier grand texte fondateur de protection de la santé publique en France rendra obligatoire leraccordement des habitations au réseau d'égouts dans les villes de plus de 20 000 habitants. C'estune mesure législative déjà bien connue avant avec la loi du 10 juillet 1894 relative àl'assainissement de Paris et de la Seine, modifiée celle-ci le 13 août 1926, en vigueur dejurisprudence aujourd'hui. Donnant à croire, ainsi, que les immeubles parisiens30 du XXIe siècleactuels ne sont pas tous conformes aux règlements sanitaires un peu plus d'un siècle après lespremières mesures prises en la matière. Ce qui paraît invraisemblable de nos jours au regard del'émergence de la politique de santé publique dès la fin du XIXe siècle et des progrès permanentsextraordinaires de la science, de la médecine et des techniques, sur l'étendue de la périodecontemporaine31. D'un point de vue industriel, le code de la santé publique actuel nous informe que« les fabricants, importateurs ou utilisateurs en aval de toute substance ou tout mélangecommuniquent, dès qu'ils en reçoivent la demande, aux organismes chargés de la toxicovigilance etl'organisme mentionné à l'article L.4411-4 du code du travail les informations nécessaires à laprescription de mesures préventives et curatives, en particulier en cas d'urgence sanitaire32. » Cesorganismes de contrôle nationaux sont, actuellement, le centre antipoison et de toxicovigilance, lesagences régionales de santé (ARS) et l'Institut de Veille Sanitaire (InVS) qui pourraientcorrespondre aux comités ou aux conseils de salubrité et d'hygiène publiques de la ville de Paris(créé pour celui-ci dès 1802) ou départementaux (créés en 1848) ou Conseil consultatif d'hygiènepublique de France (haute autorité de la santé publique créé également la même année33).

29 Cf. C. SALOMON-BAYET (sous la direction de), Pasteur et la révolution pastorienne, Paris, Payot, 1986.30 A. DAUMARD « Quelques remarques sur le logement des Parisiens au XIXe siècle », Annales de démographie

historique, 1975, n° 1, pp.49-64.31 Cf. D. PESTRE (sous la direction de), Pasteur et la révolution pastorienne, Paris, Payot, 1986.32 Journal Officiel, article L.1341-1 du Code de la santé publique modifié par la loi n° 2016 du 26 janvier 2016 –

article 171.33 Prenant le nom de « Conseil supérieur d'hygiène publique de France » par la loi du 15 février 1902.

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3 Une question de salubrité posée au Parlement

Le projet d'assainissement de la Seine et de l'utilisation agricole des eaux d'égout représentera plusde vingt ans de discussions au Parlement (1870-1888) pour donner lieu à un rapport du Sénat par leprofesseur de la Faculté de médecine de Paris, Victor Cornil (ci-dessus), sénateur et président de lacommission d'examen à la Chambre Haute en séance du 6 décembre 1888 en charge du problème.Le Professeur de médecine Victor Cornil sénateur de l'Allier est un microbiologiste hygiéniste (sestravaux scientifiques portent sur les bactéries et sur l'histologie pathologique des maladiesinfectieuses, la variole, la varicelle, la tuberculose, la syphilis et la lèpre). Il est né de père qui est luiaussi médecin inspecteur des eaux de Vichy et maire de Cusset dans l'Allier. Nous lui devons entreautres "Les leçons élémentaires d'hygiène" (1873) programme scolaire commandité par le ministèrede l'Instruction publique et les " Leçons sur la syphilis, faites à l'hôpital de Lourcine" (1879). Ceremarquable rapport parlementaire (projet de loi antérieur validé par la Chambre des députés) faitétat des infrastructures de la gestion de l'eau déjà mises en place pour le nettoyage du fleuveparisien, de la présentation d'un projet d'une œuvre technique du traitement des eaux usées moderneet de ses coûts financiers34, de la réglementation sanitaire de la vie citoyenne.

34 Cf. J. OUDIN, « Le partenariat public-privé dans le financement des réseaux d'eau et d'assainissement », Revued'économie financière », 1995, volume 5, n° 1, pp.183-197.

Illustration 4: Professeur de médecine Victor Cornil (1837-1908), rapporteur du Sénat à propos du plan d'organisation d'hygiène publique en France comprenant l'assainissement de l'eau (1870-1888).

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Cependant il convient de noter que ce rapport de la commission du Sénat expose un bilan succinctet critique sur l'état des connaissances scientifiques et médicales à propos des risques sanitaireshumains à consommer les produits issus de l'agriculture des eaux d'égouts (épandage des eaux uséessur les terres agraires et irrigation des terres cultivées) et à propos du caractère contagieux decertaines maladies de l'époque comme le choléra35, la fièvre typhoïde36, le paludisme37, les fièvres,les diarrhées etc.

Au XIXe siècle, ces quelques grands fléaux épidémiques en vogue38 39 40 41, sont combattus àmesure que les pouvoirs et les organisations sanitaires s'organisent42 au fil du progrès des sciences43

et de la médecine44 45. Les peurs irrationnelles et les conduites hostiles des citoyens pendant uneépidémie46 s'expliquaient par l'ignorance des dangers de propagation de la maladie et le mépris pour

35 Cf. R. LE MÉE « Le choléra et la question des logements insalubres à Paris (1832-1849) », Population, 1998,volume 53, n° 1, pp.379-397.

36 Cf. G. JORLAND Une société à soigner. Hygiène et salubrité publique en France au XIXe siècle, Paris, éditionsGallimard, collection « nrf », 2010.

37 Cf. M. ZIMMERMANN, « La prophylaxie de la fièvre jaune et du paludisme », Annales de Géographie, 1903,volume 12, n°62, pp.182-183.

38 Cf. L.-E. PLASSE Les miasmes et les cryptogrammes parasites comparés, au point de vue de la cause et desmoyens d'étouffer au berceau les épidémies et les épizooties infectieuses : système étiologique de médecinecomparée, divisé en quatre doctrines dites : miasmatiques, cryptogamique, phanérogamique, météorolgique, Poiters,impr. A. Dupré, 1866.

39 Cf. P. BERCHE (Pr.) Faut-il avoir peur de la grippe ? Histoire des pandémies, Paris, éditions Odile Jacob, 2012. 40 Cf. A. PERROT, M. SCHWARTZ Pasteur et ses lieutenants. Roux, Yersin et les autres, Paris, éditions Odile Jacob,

2013. 41 Au travers également de la fabuleuse histoire de l'asepsie racontée dans l'ouvrage du Professeur de chirurgie et de

médecine M.-A. GERMAIN, L'épopée des gants chirurgicaux, Paris, éditions L'Harmattan, collection « Médecine àtravers les siècles », 2012.

42 Cf. I. CAVÉ État, santé publique et hygiène à la fin du XIXe siècle français, Paris, éditions L'Harmattan, collection« Médecine à travers les siècles », 2016.

43 Cf. B. LATOUR Pasteur : guerre et paux des microbes, Paris, éditions La Découverte, collection poche, 114,« Sciences humaines et sociales ».

44 Cf. M. HUNTER La médecine parisienne au XIXe siècle, Hardcover, Manchester University Press, first edition2016.

45 Cf. J. BATTIN (Pr) Médecins et malades célèbres, Paris, Glyphe et Biotem, collection « HORS COLLECTION »,2012, 2e collection.

46 Cf. G. FABRE (Dr) Épidémies et contagions : L'imaginaire du mal en Occident, Paris, PUF, 1998.

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les autorités paniquées à prendre des mesures ou des restrictions draconiennes de plan de sauvetageet de protection à l'égard des populations47. Peu de programmes d'éducation sanitaire existaient àl'égard des foyers domestiques en dehors des traités d'hygiène publique48 à destination des facultésde médecine ou autres institutions concernées. Les premières maladies, citées plus haut, sepropagent notamment par l'infiltration des eaux souillées dans le sol ou les piqûres d'insectes surl'homme, expliquées par la présence de ces nombreuses zones marécageuses dans les banlieues deParis49. Ces terres d'épandage résiduelles des eaux d'égouts avec la connaissance problématique desfièvres palustres50 fort compromettantes pour la santé humaine ne font que rappeler le caractèrepathogène des maladies étudiées originellement par les scientifiques sur les populations indigènesdans les contrées lointaines étrangères à l'Hexagone51. Or le traitement des eaux usées du fleuve, quise fait à quelques kilomètres seulement de Paris, présente un potentiel authentique des risquessanitaires. Dans ce rapport de la commission d'examen de la chambre sénatoriale les noms des plus grandesfigures de la communauté scientifique – spécialistes de ces travaux – sont donnés nous pouvonsciter au passage : Pasteur, Koch, Chamberland, Ogier, Grancher, Schloesing etc. Des éminences lesplus grandes figures hygiénistes du XIXe siècle sont mentionnées avec les professeurs demédecine : Pr. Arnould, Pr. Bourneville, Pr. Cornil, Pr. Brouardel, Pr. Proust, Pr. Rochard, Pr.Naquet, Pr. Trélat pour Paris ; Pr. Corfield pour Londres ; Pr. Koch52 et Pr. Cohn pour Berlin. D'unpoint de vue technique, administratif, politique, les spécialistes de référence sur ces questionscomme Alphand, Durand-Claye, J.-B. Berlier, Krantz, Marié-Davy, Waring, Monod, De Freycinet(celui-ci ingénieur et ministre des travaux publics), Develle (ministre de l'agriculture en poste) et lecélèbre médecin démographe Dr Bertillon sont mentionnés53. Avec tout ce beau monde autant noterque ce rapport parlementaire peut faire date dans l'histoire sanitaire nationale du pays ! Sur leterrain des cultures expérimentales arrosées à l'eau d'égout ont été tentées, à Clichy, en 1867-1868,puis à Gennevilliers, en 1869-1870. Dès le 30 juillet 1870, après avis conforme du conseil généraldes ponts et chaussées, le ministre des travaux publics déclara que la ville de Paris était tenue derendre salubre la Seine en aval de ses collecteurs et pouvait poursuivre ses expérimentations deculture agricoles à Gennevilliers.

47 Cf. P. BOURDELAIS, J.-Y. RALOT Une peur bleue. Histoire du choléra en France 1832-1834, Paris, Payot, 1987.48 Par exemple le Traité d'hygiène publique et privée du Professeur de médecine A. Proust, Paris, Masson, 1877.49 Cf. E DE FOURCY (ingénieur en chef au Corps des Mines) Vade-mecum des herborisations parisiennes,

conduisant sans maître aux noms d'ordre, de genre et d'espèce des plantes spontanées ou cultivées en grand dans unrayon de 25 lieues autour de Paris, Paris, A. Delaye, 1866.

50 Pour lectures d'histoire de la médecine prenons quelques références récentes : S. COSS The Fever of 1721 : TheEpidemic That Revolutionized Medecin and Americain Politics, Hardcover, Simon & Schuster, 2016. À propos de lavariole : C. BERCO From Body to Community : Venereal Disease and Society in Baroque Spain, Hardcover,Lexington Books, 2015 ; K.L. WALLOCH The Antivaccine Heresy, Hardcover, University of Rochester Press, 2015.

51 Cf. L. MONNAIS-ROUSSELOT, « Autopsie d'un mal exotique à part : la variole et la vaccine en Indochinefrançaise (1860-1939) », Revue française d'histoire d'outre-mer, 1985, volume 82, n° 309, pp.505-527.

52 Cf. A. PERROT, M. SCHWARTZ Pasteur et Koch. Un duel de géants dans le monde des microbes, Paris, éditionsOdile Jacob, « sciences », 2014.

53 Cf. P. BOURDELAIS (sous la direction de) Les hygiénistes, enjeux, modèles et pratiques (XVIII-XXe siècles), Paris,Belin, 2001.

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Illustration 5: Adrien-Achille Proust (1834-1903). Professeur agrégé d'hygiène à la Faculté de médecine de Paris. Médecin des Hôpitaux. Médecin de l'hôpital Lariboisière. Père de Marcel Proust. Chargé par le gouvernement d'aller à Toulon étudier la nature du choléra. Chargé de mission en Russie et en Perse afin d'étudier la prophylaxie du choléra. Membre du Comité d'Hygiène publique de France. Membre de l'Académie de médecine (1879) puis secrétaire (1883-1888).

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4 Eau de Seine : agriculture biologique du XIXe siècle inoffensive à la santé humaine ? Prenons le cas de la plaine alluvionnaire de Gennevilliers54 qui reçoit 27 millions des 132millions mètres cubes d'eaux d'égouts annuels (eaux pluviales comprises) produits par la ville deParis55. Les scientifiques de l'époque ont constaté une pureté du fleuve en amont des collecteursmais une altération profonde ainsi que la formation de plusieurs foyers d'insalubrité en aval. Il est àdéplorer que les eaux du fleuve ne parviennent plus à absorber l'activité polluante continue de ceségouts parisiens. Trois effets sont à constater56. 1° Les sables et les matières organiques les pluslourds qui drainent les égouts se déposent en bancs de vases et de puanteurs pendant des kilomètresle long du fleuve et ils peuvent former jusqu'à un mètre d'épaisseur à proximité des bouches d'égoutfermentant en période estivale lorsque le niveau d'eau a baissé. 2° Les matières organiques boueusestroublent la transparence du fleuve en permanence jusqu'à la rendre impropre aux usagesdomestiques sans filtration ni épuration préalables. 3° Les substances dissoutes dans l'eau (soit letiers des matières étrangères mêlées aux eaux d'égout) présentent une altération, tout au long dufleuve, mais sans inconvénient au point de vue de la santé publique. La qualité des sols estégalement étudiée de très près par les scientifiques. Les terres peuvent contenir des milliers demicrobes, certains inoffensifs, d'autres potentiellement dangereux pour les hommes ou les animaux,tels les bâtonnets ou les bacilles de la septicémie de Pasteur (œdème malin de Koch), les bacilles dutétanos, le bacillus septicus agrigenus des organismes en chaînettes (streptococci), un organisme dela suppuration, le straphylococcus aurens, etc. pouvant entraîner des complications de santé ; voirdes œdèmes mortels à partir de simples plaies humaines ou animales infectées. La surface de la

54 Terrains très perméables selon la carte hydrologique et géologique du bassin de la Seine dressée par l'ingénieurBelgrand annexe du Manuel hydrologique du bassin de la Seine (1884).

55 Cf. R. MUSSET, « Les champs d'épandage de la ville de Paris et la culture », Annales de Géographie, 1938, volume47, n° 270, pp.650-651.

56 Journal Officiel, séance du 6 décembre 1888, annexe 108, Sénat, notes de bas de page, p.229.

Illustration 5: Paul Camille Hippolyte Brouardel (1837-1906). Médecin légiste. Titulaire de la chaire de médecine légale de la Faculté de médecine de Paris. Doyen de la même faculté, membre de l'Académie de médecine. S'occupe tout au long de sa carrière des problèmes de santé publique. (source : BIU santé, gravure sur bois)

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terre est le siège de fermentations et d'oxydations dues à des microbes et aboutissant à lanitrification. Ces opérations sont facilitées par les labours et les opérations agricoles ameublissentla terre en la mettant au contact de l'air. Toutes les études scientifiques réalisées sur la questionconcordent avec les travaux de Pasteur et de Koch sur le fait qu'il n'existe plus de microbes à unmètre de profondeur en terre. Les cultures agricoles sur ces terres maraîchères d'épandageprésentent-elles alors une menace pour la santé humaine ? Des expérimentations d'analysesbiologiques confirment que non. Les légumes et les fruits issus de ces plaines irriguées par les eauxd'égouts peuvent être consommés sans risques pour la santé. M. Grancher (collaborateur de Pasteur)a procédé aux expérimentations suivantes.

Illustration 6: Médecin des hôpitaux Jacques, Joseph Grancher (1843-1907) a travaillé, notamment, sur la tuberculose des enfants et les maladies respiratoires (phtisies).

Il a arrosé la terre où il avait ensemencé des radis avec des bouillons de microbes de la fièvretyphoïde constatant que la pulpe de ces radis ne contenait aucun microbe de la fièvre typhoïde. Demanière générale, à l'état de cuisson, les produits agricoles ne présentent aucun risque ; à l'état cru,le tube digestif peut ingérer des micro-organismes pathogènes ou des œufs de parasite57 comme letænia, les œufs des ascarides58. La nappe souterraine de la presqu'île de Gennevilliers dans sesrapports avec les eaux d'égout épandue à la surface du sol a été l'objet de nombreuses controverses àl'époque aussi contradictoires les unes que les autres. Par exemple, il a été dit que la nappesouterraine avait été souillée par l'irrigation ainsi que les eaux de puits étaient dangereuses pour lasanté publique. Tandis que d'autres opinions portaient sur le fait que les eaux d'égouts se perdaientavant d'arriver aux drains qui emportent l'eau de la nappe souterraine dans la Seine. Or la réalitérelève d'un phénomène pluviométrique naturel. L'eau de la nappe souterraine, provient toujours endernière analyse, des eaux pluviales ou accidentellement absorbées par le sol.

La nappe souterraine de Gennevilliers ne contient pas davantage de microbes. Les travaux deGrancher montrent que les microbes pathogènes versés à la surface du sol ne pénètrent pas à unesurface de plus de 30 à 40 centimètres en se plaçant dans les conditions de filtration de la terre deGennevilliers. Sur du long terme, M. Pasteur craint que les champs d'épandage sur les lesquels onaccumulera chaque année de plus en plus de germes des maladies contagieuses d'autant plus

57 Cf. F.-V. RASPAIL Histoire naturelle de la santé et de la maladie chez les végétaux et chez les animaux en généralet en particulier chez l'homme suivi du formulaire d'une nouvelle méthode de traitement hygiénique et curatif , Paris,Alphonse Levavasseur libraire-éditeur, 1843, 2 volumes.

58 Parasites de l'instestin humain ou d'animaux carnivores comme le chat.

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redoutables qu'elles éclateraient aux portes de Paris. Il faut se rassurer à cet instant donné ― lesappréhensions de M. Pasteur ― ne reposent sur aucun fait précis. Et Pasteur a d'ailleurs démontréque les microbes59 au contact de l'air s'atténuent c'est-à-dire qu'ils deviennent complètementinoffensifs60.

Conclusion générale

Il est certain que les eaux d'égouts de Paris sont porteuses de pollutions visuelles, odorantes, puisreprésentent des nuisances matérielles, chimiques, hostiles à l'environnement et qu'elles peuventfaire encourir des risques de maladies majeures sur la population humaine. Cependant il faut

rappeler que les risques d'épidémies contagieuses ne sont pas contenues dans ces seules banlieuesd'exploitation des eaux résiduaires à la fin du XIXe siècle transportées par la Seine. Il faut savoirque la capitale parisienne représente elle-même un prodigieux foyer producteur des maladiescontagieuses. Le tétanos des animaux, par exemple, se contracte au contact de la terre infectée desrues. Autre illustration les bacilles desséchés de crachats des phtisiques (des tuberculeux) mélangésà la terre poussiéreuse, balayée, répandue dans l'air et respirée par les individus est tout aussicontagieux. À Paris et partout ailleurs, chaque jour, les bouchers et les marchands de comestibleslavent leurs boutiques avec de l'eau qu'ils déversent sur le trottoir et dans les ruisseaux. Leursdéchets de travail transportés à l'air libre dans les voitures de nettoyage contiennent autant degermes contagieux que les vidanges des eaux d'égout. Les industriels aux abords du fleuve et lesmilliers d'artisans à Paris, pendant tout le XIXe siècle, déverseront sans scrupules des substanceschimiques très nocives dans le fleuve61. Enfin, la prostitution représente un grand vecteur detransmission des maladies sexuelles à la fin de ce siècle dont la célèbre syphilis nous révélant bienles enjeux du quotidien de la société française qui n'attend qu'une législation sanitaire pour mettreun terme à ces graves questions de santé collective.

59 Depuis les grandes découvertes en matière de microbiologie, la science aujourd'hui a bien avancé démontrant toutesles vertus des microbes et des bactéries. À ce sujet, lire la toute récente publication de P. COSSART La NouvelleMicrobiologie. Des microbiotes aux CRISPR, Paris, éditions Odile Jacob, « sciences », 2016.

60 Cf. ses travaux sur le choléra des poules.61 Cf. J.-P. BAUD, « Les hygiénistes face aux nuisances industrielles dans la première moitié du XIXe siècle », Revue

Juridique de l'Environnement, 1981, volume 6, n° 3, pp.205-220.

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À ce sujet les conventions signées entre les nations au cours des conférences sanitairesinternationales relatives à la lutte contre les maladies pestilentielles ont joué un rôle indéniable pourinstaurer de manière définitive une jurisprudence spécifique concernant le choléra (Venise en 1892,Dresde en 1893, Paris en 1894)62 concernant la peste (Venise en 1897)63. En France, en raisoncertaine des questions des coûts financiers pour l'État et des enjeux économiques inévitables pourles fabricants, le projet d'assainissement de la Seine des années 1880, voté en texte de loi unedizaine d'années plus tard le 10 juillet 1894, contrariera beaucoup de parlementaires (tous horizonsprofessionnels confondus) sur fond de braises ardentes aux polémiques scientifiques à devoir mettreen place la politique d'hygiène et de santé publique.

62 R. LE MÉE, « Le choléra et la question des logements insalubres à Paris (1832-1849), Population, 1998, volume 53,n°1, pp.379-397.

63 Pour lecture plus approfondie sur ce thème consulter l'article de Jean-Pierre Goubert, « Équipement hydraulique etpratiques sanitaires dans la France du XIXe siècle », Études rurales, 1984, volume 93, n° 1, pp.123-142.

Illustration 7: Syphilide pustuleuse en grappe (Source : Jean Louis Alibert, Clinique de l'hôpital St-Louis ou traité complet des maladies de la peau, Paris, édition Cormon et Blanc, 1833).

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Quelques archives originales du XIXe siècle consultées à ce sujet :

Edmond Badois (vice-président de la Société des ingénieurs civils de France), Albert Bieber(ingénieur civil, ancien directeur des études à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures),L'assainissement comparé de Paris et des grandes villes de l'Europe, Paris, Librairiepolytechnique Baudry et Cie éditeurs, 1898.

Victor Cornil (professeur de médecine à la Faculté de médecine de Paris), Projet de loiadopté par la Chambre des députés ayant pour objet l'utilisation agricole des eaux d'égoutsde Paris et l'assainissement de la Seine, rapport législatif du Sénat, Journal officiel, annexen°108, séance du 6 décembre 1888.

Belgrand, Mille, Alfred Durand-Claye, Assainissement de la Seine : avant-projet d'un canald'irrigation à l'aide des eaux d'égout de Paris entre Clichy et la partie nord-est de la forêtde Saint-Germain, département de Seine-et-Oise : Enquête. Rapport des ingénieurs de laville de Paris, 4 juillet 1876, Préfecture de la Seine, Paris, Gauthier-Villars, 1876.(Consultation des pièces officielles suivantes : Annexe n°4. Traité entre la ville de Paris et lacommune de Gennevilliers. M. Ferdinand Duval, Préfet de la Seine, agissant au nom etcomme représentant de la ville de Paris, et M. Charles représentant de ladite Commune ;Annexe n°11. Des résultats de l'irrigation de la plaine de Gennevilliers par les eaux d'égoutsde la ville de Paris. Etude par les Docteurs Danet, Bastin et Garrigou-Désarènes (p.76) ;Partie VI : Faune des eaux de condensation des vapeurs dans la plaine de Gennevilliers(intérêt porté aux principaux microzoaires trouvés dans les eaux de condensation (p.92).

Albert Friot (membre de la société de médecine publique et d'hygiène professionnelle,lauréat de l'académie nationale de Médecine), Les vidanges et les eaux ménagères : au pointde vue de l'assainissement des habitations privées, Paris, G. Steinheil, 1889.

Henri Monod (conseiller d'Etat, directeur de l'assistance et de l'hygiène publiques et membrede l'Académie nationale de Paris), L'alimentation en eau potable de 1890 à 1897 devant lecomité consultatif d'hygiène publique de France, Paris, Melun, imprimerie administrative,

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1897. (Dont la consulation du tableau des Communes où la mortalité a diminué aprèsl'exécution des travaux d'adduction d'eaux potables autorisées depuis 1890. Proportioncroissante de cette diminution).

Henri Monod, Conférence sanitaire internationale de Paris de 1903, Paris, Melun, 1903(dont les passages suivants : Titre 1er : § Dispositions générales. Ce titre est subdivisé endeux chapitres : Prescriptions à observer dès que la peste ou le choléra apparaît sur leterritoire. § Mesures de défense par les autres pays contre les territoires déclaréscontaminés. Titre II. § Dispositions spéciales aux pays situés hors de l'Europe, titreégalement subdivisé en deux chapitres : Provenances par mer. § Provenances par terre. TitreIII. § Dispositions spéciales aux pélerinages, dont le chapitre premier est intitulé :Prescriptions générales, § sur le chapitre second : Navires à pèlerins ; installationssanitaires ; § le chapitre troisième : pénalités. Titre IV. Surveillance et exécution. Titre V.Fièvre jaune. Titre VI. Adhésions et ratifications.

H. De Montrichet, Congrès international d'hygiène et de démographie de 1889. Desavantages des travaux d'assainissement au point de vue économique, Paris, Bibliothèque desAnnales économiques, 1889 (rapport de 24 pages dont aucun passage relevé).

A.-J.-B. Parent-Duchatelet, Essai sur les cloaques et égouts de la ville de Paris, envisagéssous le rapport de l'hygiène publique et la topographie médicale de cette ville, Paris, Crevot,1824.

Préfecture de la Seine, épuration et utilisation des eaux d'égout, tome 1, enquête, 1876,Paris, Gauthier-Villars (passages consultés : pp.19,122, 126 ; séances du 14 et du 16 août1876 ; p.219 ; p.205 à 207. Du déversement des eaux d'égout dans les rivières en général etdans la Seine en particulier, au point de vue de la salubrité ; p.222 ; Des irrigations à l'eaud'égout, en général, et de celles de Gennevilliers, en particulier, au point de vue de lasalubrité, p.299.

De la salubrité des villes de France par rapport à l'apprivisionnement de bonne eau fournieà domicile et à bas prix et à l'exploitation de la vase des égouts comme engrais liquide parun Anglais, Paris, J.-B. Dumoulin, 1848.

Traité pour la distribution des eaux de Seine dans la ville de Paris (projet, décembre 1837). Paul Wéry (conducteur municipal des travaux de Paris, chef du bureau du service des

égouts), L'assainissement des villes et égouts de Paris, Paris, vve Charles Dunod, éditeur,1898. (Bibliothèque du conducteur de travaux publics publiée sous les auspices deMessieurs les Ministres des travaux publics de l'agriculture, de l'instruction publique ducommerce et de l'industrie, de l'intérieur, des colonies, de la justice : p.41, p.112 ; ChapitreVII. Entretien du réseau d'égouts et de canalisations, p.318. (M. Brouardel, M. Bouley) ;Chapitre XVI. Les égouts de Paris, p.396).

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Machine hydraulique de Marly créée au XVIIe siècle. Gigantesque dispositif de pompage des eaux de la Seine dotéeinitialement de 14 roues à aubes de 12 mètres de diamètre. En 1817, le système est équipé des machines à vapeurconsommant 10 tonnes de charbon par jour. Dès 1880, de nouvelles technologies plus performantes (pompes diesel,pompes électriques) permettent de capter les nappes souterraines et non plus les eaux en surface comme par le passé.En 1896, l'eau captée en nappe, sert à l'alimentation en eau potable.

Illustration 8: Machine hydraulique de Marly créée au XVIIe siècle. Gigantesque dispositif de pompage des eaux

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Dernier ouvrage de publication

Isabelle Cavé, État, santé publique et médecine au XIXe siècle français , Paris,éditions L'Harmattan, « Médecine à travers les siècles », Paris, 2016, 336 pages,35 euros.

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