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3-Chemistry-084-117.indd 104 2/11/10 15:36:52 104 substance indétectable et sans masse), le calorique était censé se comporter comme un liquide ou un gaz, et Lavoisier affirma que l’oxygène gazeux était en fait composé d’oxygène et de calorique, ce dernier justifiant la phase gazeuse. C’était autant une impasse que le phlogistique, et à bien des égards un nouvel avatar du feu élémentaire (voir La chaleur, p. 98-99). Lavoisier n’était pas infaillible. Un élément central de son nouveau système était un hypothétique principe de la chaleur, qu’il appelait le calorique. Bien qu’étant « impondérable » (une • L A PLUS GROSSE ERREUR DE L AVOISIER LAVOISIER ET LA RÉVOLUTION CHIMIQUE Le plus grand chimiste de cette époque n’a découvert aucun élément, mais a cependant fait plus que tout autre pour parachever la transformation de la chimie en science. Connu comme le père de la « révolution chimique », Antoine-Laurent Lavoisier a mis en évidence le rôle de l’oxygène dans la respiration, a défini le terme de « corps simple » et a introduit la nomenclature scientifique, avant de perdre prématurément la vie pendant la Révolution française. S’offrir la meilleure science Lavoisier (1743–1794) est le fils d’un riche avocat ; il reçoit une instruction coûteuse et fait son droit avant de se tourner vers la science, d’abord en tant que géologue et minéralogiste. Il met ensuite sur pied un laboratoire de chimie dans le but d’être admis à l’Académie des sciences, qui lui ouvrit ses portes. En 1768, il entre à la Ferme générale, une compagnie privée qui collecte les impôts pour la couronne. Cette situation lui assurera des revenus privés pour financer ses recherches. La science devenait alors de plus en plus spécialisée, et par conséquent coûteuse ; c’était le cas pour les instruments de précision sur lesquels les succès de Lavoisier s’appuieront. En 1772, il pratique des expériences sur la combustion d’échantillons de phosphore et de soufre : il découvre que leur masse augmente lorsqu’on les chauffe fortement en présence d’air. Il découvre également que la litharge (oxyde de plomb [II], un minerai de plomb), chauffée en présence de charbon de bois, est réduite en plomb avec une diminution de masse et un dégagement gazeux. Lavoisier appelle cette expérience « l’une des plus intéressantes [découvertes] […] depuis l’époque de Stahl », bien que des observations semblables aient été faites Petit précis de chimie à déguster

LAVOISIER ET LA RÉVOLUTION CHIMIQUE

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substance indétectable et sans masse), le calorique était censé se comporter comme un liquide ou un gaz, et Lavoisier affi rma que l’oxygène gazeux était en fait composé d’oxygène et de

calorique, ce dernier justifi ant la phase gazeuse. C’était autant une impasse que le phlogistique, et à bien des égards un nouvel avatar du feu élémentaire (voir La chaleur, p. 98-99).

Lavoisier n’était pas infaillible. Un élément central de son nouveau système était un hypothétique principe de la chaleur, qu’il appelait le calorique. Bien qu’étant « impondérable » (une

• L A P L U S G R O S S E E R R E U R D E L AV O I S I E R

L AVO I S I E R E T L A R É VO L U T I O N C H I M I QU ELe plus grand chimiste de cette époque n’a découvert aucun élément, mais a cependant fait plus que tout autre pour parachever la transformation de la chimie en science. Connu comme le père de la « révolution chimique », Antoine-Laurent Lavoisier a mis en évidence le rôle de l’oxygène dans la respiration, a défi ni le terme de « corps simple » et a introduit la nomenclature scientifi que, avant de perdre prématurément la vie pendant la Révolution française.

S’offrir la meilleure scienceLavoisier (1743–1794) est le fi ls d’un riche avocat ; il reçoit une instruction coûteuse et fait son droit avant de se tourner vers la science, d’abord en tant que géologue et minéralogiste. Il met ensuite sur pied un laboratoire de chimie dans le but d’être admis à l’Académie des sciences, qui lui ouvrit ses portes. En 1768, il entre à la Ferme générale, une compagnie privée qui collecte les impôts pour la couronne. Cette situation lui assurera des revenus privés pour fi nancer ses recherches. La science devenait alors de plus en plus spécialisée, et par conséquent coûteuse ; c’était le cas

pour les instruments de précision sur lesquels les succès de Lavoisier s’appuieront.En 1772, il pratique des expériences sur la combustion d’échantillons de phosphore et de soufre : il découvre que leur masse augmente lorsqu’on les chauffe fortement en présence d’air. Il découvre également que la litharge (oxyde de plomb [II], un minerai de plomb), chauffée en présence de charbon de bois, est réduite en plomb avec une diminution de masse et un dégagement gazeux. Lavoisier appelle cette expérience « l’une des plus intéressantes [découvertes] […] depuis l’époque de Stahl », bien que des observations semblables aient été faites

Pet i t préc is de ch imie à déguster

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20 ans plus tôt. Cette découverte s’oppose à la doctrine du phlogistique, selon laquelle la réduction d’un minerai en plomb implique un gain de masse, et non une perte ; elle amène alors Lavoisier à détruire le mythe du phlogistique.

Un air éminemment respirableEn 1774, Lavoisier apprend de Priestley la découverte de « l’air déphlogistiqué ». En pratiquant ses propres expériences avec ce nouveau gaz, il comprend rapidement qu’il se trouve en présence du principe sous-jacent à la combustion, à la réduction, à la respiration et à l’acidité. Comme Priestley, Lavoisier démontre que ce nouvel air forme la fraction de l’atmosphère qui permet la vie des animaux, ce qui le conduit à le baptiser initialement « air éminemment respirable ». Lavoisier montre aussi que la combustion et la respiration le transforment tous les deux en cet « air fi xe » identifi é par Joseph Black.

En 1777, Lavoisier présente une nouvelle « théorie générale de la combustion » pour remplacer le phlogistique, ainsi que son nouveau principe de combustion : l’oxygène. Ses recherches sur les trois acides inorganiques courants, l’acide nitrique, l’acide phosphorique et le vitriol (acide sulfurique), ainsi que sur l’acide oxalique nouvellement isolé à partir de sources organiques, montrent que l’oxygène est présent dans les quatre, ce qui conduit Lavoisier à proposer : « Je désignerai dorénavant l’air déphlogistiqué ou air éminemment respirable […] par le nom de principe acidifi ant, ou, si l’on aime mieux la même signifi cation sous un mot grec, par celui de principe oxygène. » Oxygène veut dire « source d’acide » en grec.

Armé de ce nouveau concept, Lavoisier est en mesure de fragiliser la doctrine du phlogistique. La combustion, la respiration et la corrosion impliquent une addition d’oxygène ; au contraire la réduction implique une perte d’oxygène. L’air fi xe est une combinaison de charbon et d’oxygène. Quand Lavoisier apprend comment produire de l’eau en brûlant de l’hydrogène dans de l’oxygène, il trouve le dernier morceau du puzzle : il est en mesure de montrer que l’eau n’est pas simplement de l’air « déphlogistiqué » comme Cavendish l’avait affi rmé auparavant, mais un composé, contenant de l’hydrogène (baptisé ainsi par Lavoisier, du grec « source d’eau ») et de l’oxygène.

À la poursu i te des é léments

• Lavoisier, qui louchait légèrement, est représenté ici avec les instruments de son art. Sa richesse qui lui permettait de s’offrir le meilleur équipement l’aida à devenir le meilleur chimiste.

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ainsi que le dessin et la gravure afi n de pouvoir noter les résultats des expériences de son mari et illustrer ses écrits. Au fi l des années, elle prouva sa valeur à la fois en tant qu’assistante de laboratoire et hôte de salon scientifi que. À la mort de

Lavoisier, elle poursuivit son compagnonnage avec la science en épousant le physicien anglo-américain Benjamin Thompson, comte de Rumford. Ce mariage ne fut pas heureux (on prétend qu’elle versait de l’eau bouillante sur les fl eurs de son mari) et il s’acheva

à peine quelques années plus tard.

Marie-Anne Pierrette Lavoisier, née Paulze (1758-1838), est souvent oubliée dans les récits des exploits de son mari. Elle n’avait que 14 ans quand ils se marièrent ; elle était la fi lle d’un collecteur d’impôts de la Ferme générale que Lavoisier venait de rejoindre. Marie se forma rapidement pour assister son mari dans ses travaux ; elle apprit l’anglais afi n de pouvoir lire et traduire les articles provenant de l’autre côté de la Manche,

• M A D A M E L AV O I S I E R , C H I M I S T E D E P R E M I E R P L A N

Le Traité élémentaire de chimieLe point culminant de la carrière de chimiste de Lavoisier est atteint avec la publication de son Traité élémentaire de chimie en 1789. Il y expose ses découvertes et son raisonnement dans un style clair et logique, ce qui donne une force irrésistible à sa vision moderne et scientifi que de la chimie : « Le raisonnement, qui est de nous et qui seul peut nous égarer, [nous devons] le mettre continuellement à l’épreuve de l’expérience, ne conserver que les faits qui ne sont que des données de la nature, et qui ne peuvent nous tromper ; […] ne chercher la vérité que dans l’enchaînement naturel des expériences et des observa-tions. » Parmi les innovations importantes apportées par Lavoisier, on trouve une défi nition nouvelle et décisive des

corps simples : le « dernier terme auquel parvient l’analyse », autrement dit une substance qui ne peut plus être décomposée. Il admet que des substances impossibles à décomposer auparavant pourraient se révéler être composées grâce à de nouvelles avancées techniques. Effectivement, plusieurs substances de sa liste de 33 éléments étaient en réalité des oxydes. De la même manière, il prédit que plusieurs terres alcalines de l’époque (des solides basiques qui ne

pouvaient pas être décomposés avec les moyens de l’époque) devaient

Pet i t préc is de ch imie à déguster

• Illustrations, par Madame Lavoisier, d’instruments de laboratoire, tirées du Traité élémentaire de chimie de Lavoisier.

• Une illustration par Madame Lavoisier représentant son mari travaillant dans leur laboratoire.

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En plus de ses recherches en chimie, Lavoisier

s’acquitte avec diligence de ses devoirs de

collecteur d’impôts, et s’implique dans un grand

nombre de tâches civiques et gouvernemen-

tales. Il perfectionne la formule de la poudre à

canon et en améliore la production, garan-

tissant ainsi un approvisionnement de qualité à

la jeune république américaine qui combattait

les Britanniques. Il fait partie du comité

d’enquête sur le mesmérisme ou arbitre des

concours de montgolfi ères. Il assiste les

autorités parisiennes dans la construction d’un

mur destiné à lutter contre la contrebande.

Largement impopulaire, ce mur inspira un

dicton : « Le mur murant Paris rend Paris

murmurant ». Lavoisier contribue également à

la mise au point du système métrique. Mais

aucune de ces réalisations ne lui profi ta lorsque

le destin le confronta à Jean-Paul Marat

(1743-1793) pendant la Révolution française.

Avant de devenir un porte-fl ambeau de la

Révolution et un initiateur de la Terreur, Marat

s’était adonné à des recherches scientifi ques en

autodidacte ; son ambition d’entrer à

l’Académie des sciences avait cependant été

bloquée par Lavoisier. Parvenu au pouvoir,

Marat ne fera aucun geste en faveur de

Lavoisier lorsqu’il sera mis en cause par le

tribunal révolutionnaire. Lors du procès, les

juges rejettent la demande de clémence de

Lavoisier qui voulait poursuivre ses travaux

de recherche ; les nombreuses preuves de son

soutien et de son implication dans la cause

révolutionnaire ne comptèrent pour rien en

face de son appartenance au très détesté

corps des fermiers généraux. Il est condamné

à mort et guillotiné le 8 mai 1794. Son collègue

Joseph Lagrange eut ce fameux commentaire :

« Il ne leur a fallu qu’un moment pour faire

tomber cette tête et cent années, peut-être,

ne suffi ront pas pour en reproduire une

semblable ».

REVANCHE DU DESTIN

être des oxydes métalliques. Plus tard, Humphry Davy utilisera la nouvelle technique d’électrolyse pour isoler les métaux alcalino-terreux à partir de leurs sels fondus (voir p. 142-143).

Une autre contribution formidable de Lavoisier à la chimie en tant que science est son approche du « bilan de matière ». En utilisant ses instruments coûteux et extrêmement sensibles, il perfectionne l’art de mesurer les quantités à la fois des réactifs et des produits, qu’ils soient solides, gazeux ou liquides, et souligne l’importance d’effectuer des mesures très

À la poursu i te des é léments

précises. Celles-ci le conduisent à énoncer le principe de conservation de la masse : « on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération ; que la qualité et la quantité des principes [éléments] est la même, et qu’il n’y a que des changements, des modifi cations. C’est sur ce principe qu’est fondé tout l’art de faire des expériences en chimie : on est obligé de supposer dans toutes une véritable égalité ou équation entre les principes du corps qu’on examine, et ceux qu’on en retire par l’analyse. »