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Faculté des sciences économiques et sociale
DESS Globalisation et régulations sociales
Mémoire de DESS, décembre 2008
L’économie sociale et solidaire, une contribution à la mise en œuvre de
l’économie du développement durable
Le cas de Genève
Mémoire de DESS réalisé par Gaétan Morel Sous la direction du Professeur Beat Bürgenmeier, faculté SES de l’Université de Genève
Juré : Christophe Dunand, chargé de cours HES-SO en économie sociale et solidaire
2
Table des matières
Table des matières....................................................................................................................... 2 Chapitre 1. Introduction............................................................................................................... 4
1.2 Définitions et cadre de travail ............................................................................................ 9 1.2.1 Abréviations ............................................................................................................... 9 1.2.2 Définitions et terminologie employée.......................................................................... 9
1.3 Histoire de l’avènement de l’économie sociale................................................................. 14 1.3.1 Du socialisme associationniste à l’économie sociale : 1810-1860.............................. 15 1.3.2 Libéraux et économie sociale .................................................................................... 17 1.3.3 Les structures de crédits coopératifs.......................................................................... 18 1.3.4 Le modèle Raffeisen ................................................................................................. 18 1.3.5 Les mutuelles............................................................................................................ 19 1.3.6 Le lien entre le christianisme et l’économie sociale au 19ème siècle ......................... 19 1.3.7 Le socialisme-associationniste .................................................................................. 20 1.3.8 L’économie sociale aujourd’hui, un mélange des différents courants......................... 21
1.4 L’histoire de l’économie sociale en Suisse ....................................................................... 22 Chapitre 2 : les liens entre l’ESS et le développement durable................................................... 24
2.1 Quels liens entre l’ESS et le développement durable ? ..................................................... 25 2.1.1 L’interdépendance des dimensions économiques, sociales et environnementales....... 26 2.1.2 Mesures préconisées pour ménager l’environnement................................................. 28 2.1.3 Tableau récapitulatif des similitudes sur le plan environnemental.............................. 31 2.1.4 Dimension sociale du développement durable et de l’ESS........................................ 32 2.1.5 Tableau récapitulatif des similitudes sur le plan social (p.41 et 42)............................ 41
2.2 Quel est l’apport de l’ESS par rapport aux mesures de l’Agenda 21 ? .............................. 43 2.2.1 Les aspects qui distinguent l’ESS de l’Agenda 21 .................................................... 43 2.2.2 Tableau récapitulatif des distinctions entre Agenda 21 et ESS (p.49 et 50) ................ 50 2.2.3 L’ESS exprime avec vigueur la dimension sociale du développement durable........... 50
2.3 L’ESS contribue à mettre en oeuvre une économie du développement durable................. 56 Chapitre 3 : les applications de l’ESS : activités, poids économiques et organisation ................. 57
3.1 Quelles activités ?............................................................................................................ 58 3.2 Poids de l’économie sociale............................................................................................. 61 3.3 Le rôle et les objectifs de la Chambre genevoise de l’ESS................................................ 63 3.4 Les prestations de la Chambre ......................................................................................... 65 3.5 Les ressources financières et humaines de l’ESS.............................................................. 66 3.6 Formes juridiques des organisations de l’ESS.................................................................. 67
Chapitre 4. Quel avenir, quel potentiel pour l’ESS ?.................................................................. 72 L’organisation interne et le soutien des politiques publiques ..................................................... 72
4.1 La régulation interne de l’ESS ........................................................................................ 72 4.2 Soutien de l’Etat et institutionnalisation de l’ESS ............................................................ 75
4.2.1 Introduction .............................................................................................................. 75 4.2.2 Dynamiques de fédération et reconnaissance politique en France .............................. 76 4.2.3 Dynamiques de fédération et reconnaissance politique en Suisse............................... 78 4.2.4 Les différentes formes de soutien direct et indirect de l’Etat..................................... 79
3
4.3 Quel avenir proche pour l’ESS ?...................................................................................... 84 4.3.1 Quels sont les freins au développement de l’économie sociale ?................................ 84 4.3.2 Quel potentiel en terme de création d’emplois et de nouvelles activités liées au développement durable ? ................................................................................................... 86 4.3.3 La vision et le potentiel de l’ESS genevoise .............................................................. 90
4.4 Echecs de marché et crise capitaliste : quelle place et quelle vision d’avenir pour l’économie sociale ? .............................................................................................................. 92 4.6 L’économie sociale et solidaire : une nouvelle forme de régulation sociale ?.................... 95
5. Conclusion ............................................................................................................................ 96 6. Bibliographie....................................................................................................................... 100 7. Annexes .............................................................................................................................. 103
4
Chapitre 1. Introduction
Dans les sociétés modernes libérales, aujourd’hui, la priorité est plus souvent accordée à
l’efficacité qu’à l’équité (Bürgenmeier, 1990). Cependant, en pleine crise, l’humanité est
probablement face à un tournant historique : l’économie de marché est contrainte de redéfinir les
règles qui l’encadrent. De plus, « la préoccupation obsessionnelle de l’accroissement de la
productivité », laisse entrevoir un danger réel que la liberté individuelle soit « menacée par les
contraintes des faits que l’environnement imposera de plus en plus à la conduite des actions
humaines. A la place d’une politique délibérée, les interdictions s’imposeront » (Bürgenmeier,
1990 : 5). Les pratiques économiques actuelles ne prennent souvent pas en compte les
externalités (pollution, inégalités sociales, etc) qui découlent de la production. Les limites
écologiques et sociales de notre planète imposent donc un changement important des
comportements.
Les nouvelles technologies, « à l’origine d’une promesse humaniste, portent aussi en
elles la négation de cette promesse. […] Elles ont créé les conditions d’une ruée productiviste –
sans lien avec la satisfaction des besoins – et d’une logique financière hypertrophiée – sans lien
avec l’économie réelle » (René Passet, cité par Aznar et al, 1997 :25). La logique utilitariste,
productiviste ne fait aujourd’hui plus l’unanimité. Au delà de l’intérêt purement économique, de
nouvelles motivations psychologiques de travailler apparaissent. La pyramide des besoins de
Maslow cherche à montrer que le plaisir lié à l’exercice de l’activité, le contact social, la
réalisation de soi-même sont autant de facteurs qui déterminent le choix d’une activité
(Bürgenmeier, 1990). De même, l’utilisation des recettes d’une entreprise ou d’une organisation
prend de l’importance pour les décisions politiques et les choix individuels : « Au lieu de
maximiser une fonction d’utilité en consommant le plus de biens possible, il faut que les besoins
de l’homme soient satisfaits en minimisant la consommation des biens. » (Bürgenmeier, 1990 :
153).
5
Pour Bürgenmeier (1990 : 125), le marché est clairement « un mécanisme de décision
collective parmi d’autres ». D’autres mécanismes d’organisation économique existent. Dès lors,
est-ce que des mouvements comme l’économie sociale et solidaire ou d’autres actions planifiées
pour mettre en œuvre un développement durable peuvent apporter des solutions à la fois pour
ménager notre environnement et remettre l’équité au centre de nos préoccupations et de notre
organisation économique ? Ce travail a comme objectif de comprendre la nature et de mettre en
évidence les caractéristiques de l’économie sociale et solidaire et de voir quelle contribution au
développement durable ce secteur peut-il apporter.
Le préambule de l’agenda 21 du canton de Genève, qui reprend fidèlement l’agenda 21
mondial de Rio, commence par une description des catastrophes engendrées par le rythme de vie
de notre planète. On peut notamment y lire que « 20% d’êtres humains vivant dans les pays
riches se partagent 86% de la consommation mondiale totale… Les pays développés génèrent
également la plupart des déchets chimiques dangereux: 96% des déchets radioactifs et 90% des
chlorofluorocarbones (CFC) qui diminuent la couche d’ozone… La malnutrition persiste au
Sud… et les surplus alimentaires apparaissent au Nord »1. Puis, l’agenda 21 des communes
genevoises continue en disant que « pour instaurer un développement durable, la Suisse devrait
réduire de trois à huit fois sa consommation actuelle en énergie, en eau et en matières premières,
ainsi que son utilisation du sol. Elle devrait rejeter 4 fois moins de CO2, utiliser 17 fois moins
d’aluminium et manger 3 fois moins de viande. Si tous les pays consommaient autant de
ressources que la Suisse, il faudrait 5 planètes pour subvenir à leurs besoins »2. Pour l’Etat de
Genève, tout comme la majorité des gouvernements, aucun doute donc que le développement
durable est aujourd’hui nécessaire.
La vision du monde actuel par les promoteurs de l’économie sociale semble décrire les
mêmes conséquences néfastes, mais de manière politiquement plus engagée. Des extraits de la
« Déclaration de Lima » apparaissant dans l’introduction de la charte de l’ESS genevoise
l’illustrent : « Nous vivons sous un modèle hégémonique de développement qui, au Sud comme au
1 « Agenda 21 du canton de Genève, de l’idée à l’action », édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 2 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002
6
Nord, produit destruction, pauvreté, exclusion sociale et politique, chômage, etc. Ce modèle ne
reconnaît pas comme légitimes les activités indispensables à la vie en société et menace l’avenir
de la planète. [ …] Nous sommes engagés dans un processus de construction d’une économie
solidaire qui remet en question la conception selon laquelle les besoins humains pourraient être
satisfaits par le seul marché et ses prétendues lois naturelles3 ».
Si les collectivités publiques et certains acteurs économiques (comme l’économie
sociale) sont convaincus de la nécessité de revoir notre mode de production, on trouve dans
d’autres sphères des points de vue qui dénotent une interprétation divergente de la notion de
développement durable. Un extrait du point de vue d’« Economie Suisse » sur la mise en œuvre
du développement durable4 met en évidence le fait que l’acceptation du développement durable
est un processus encore à ses débuts et qu’il fait l’objet d’aménagements selon les secteurs :
« Grâce à des conditions économiques générales appropriées, la libéralisation du commerce et
des investissements directs internationaux favorisent la croissance économique. La croissance
économique est le meilleur moyen de lutter contre les atteintes à l'environnement. Les pays
affichant une forte croissance économique parviennent à faire reculer davantage la pauvreté. Or
cette dernière est une des causes majeures de l'exploitation abusive de l'environnement. Les
mesures visant à promouvoir la croissance économique – tant du point de vue quantitatif que
qualitatif – jouent donc un rôle central dans le développement durable ». Ici, la croissance est
perçue comme un facteur de réduction des inégalités. Le développement durable concerne
l’aspect environnemental. Et la modernité est capable de juguler nos atteintes à l’environnement
tout en continuant de croître.
Nous le verrons en revenant sur l’histoire de l’économie sociale en France, les idées des
socio-économistes proviendront très souvent d’une critique plus ou moins acerbe de l’économie
capitaliste, du tout marché, de la consommation sauvage et des excès de l’individualisme.
3 Déclaration de Lima, juillet 1997 dans le cadre des « Première Rencontre Internationale sur la Globalisation de la Solidarité », in Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 4 Disponible sur http://www.geneve.ch/agenda21/pme/annexe_d.asp
7
« Les manuels d'économie réduisent le plus souvent l'économie à deux secteurs: d'un
côté, une économie marchande, dominée par les entreprises de statut capitaliste ; de l'autre, une
économie publique, où État et collectivités locales offrent les biens et services que le marché est
incapable de produire. Cette image ne correspond pas à la réalité. Au sein de l'économie
marchande, de nombreuses entreprises poursuivent d'autres objectifs que d'enrichir des
actionnaires. Coopératives de production, banques mutualistes et coopératives, mutuelles
d'assurance ou de santé sont certes tenues d'équilibrer leurs comptes pour assurer leur pérennité,
mais leur réussite ne se mesure pas au niveau de leurs résultats. Leur but premier est de satisfaire
leurs adhérents, associés ou sociétaires. Elles montrent en actes que la force du nombre peut se
révéler plus forte que le pouvoir du capital. Elles font pénétrer du collectif, du « public » dans le
« privé »5.
Deux conceptions et application de l’Economie sociale et solidaire coexistent
aujourd’hui : premièrement, l’approche basée sur une dimension charitable, philanthropique, une
économie « palliative » qui permet d’offrir des solutions face aux failles du marché. C’est
l’exemple de la « Fondation Pro », qui offrent du travail à des ouvriers accidentés et de manière
plus large à des personnes en difficulté socio-professionnelle. Là, l’économie est aux services des
invalides. La deuxième conception prend corps dans une véritable vision de société : l’économie
sociale n’est pas seulement exprimée par une solidarité à l’égard de certaines personnes rejetées
par le marché ou une action philanthropique, mais comprend des propositions pour un autre type
d’économie : écologique, basé sur des modes de production plus respectueux du social et de
l’environnement, incluant la participation, reposant sur mise en avant du bien être social, etc.
Voyons maintenant les hypothèses et question de recherche qui guideront notre exposé.
L’hypothèse centrale de notre travail affirme que l’économie sociale et solidaire (ESS)
contribue à la mise en œuvre du développement durable. Une seconde hypothèse corollaire que
nous chercherons à vérifier défend que l’ESS exprime la dimension sociale du développement
durable.
5 Introduction sur l’économie sociale, article disponible en ligne sur http://www.apres-ge.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=161&Itemid=33
8
De manière transversale, nous aurons également en tête tout au long de ce travail cette
questions de recherche : en quoi l’ESS est-elle complémentaire à l’économie de marché
capitaliste et comment son rôle peut-il être renforcé ?
Enfin, nous nous appliquerons aussi à démontrer en quoi l’économie sociale et solidaire
n’est pas uniquement indiquée pour les personnes fragiles, mais est une économie à part entière.
Pour répondre à ces questions de recherche, nous débuterons notre travail par un retour
historique sur l’économie sociale et la manière dont elle s’est développée dès le 19ème siècle
jusqu’à aujourd’hui. Dans le second chapitre, nous établirons les liens qui existent entre
l’économie sociale et solidaire d’une part (en nous basant principalement sur la Charte de la
Chambre de l’économie sociale et solidaire genevoise) et les principes du développement durable
d’autres part (en nous fondant sur les plans d’actions de l’Agenda 21 du canton de Genève
principalement). Nous verrons ce qui rejoint et distingue ces deux textes. Puis nous expliquerons
en quoi l’économie sociale et solidaire exprime avec plus de vigueur la dimension sociale du
développement durable. Le chapitre 3 de notre travail mettra en relief l’analyse théorique exposée
dans le chapitre 2 en présentant de manière concrète les activités de l’économie sociale. Nous
terminerons, au chapitre 4, avec une réflexion sur l’avenir et le potentiel de l’économie sociale et
solidaire, en mentionnant les enjeux de son organisation et structuration interne et des politiques
publiques qui pourraient contribuer à son développement.
Ajoutons encore que l’auteur de ce travail a effectué un stage de six mois auprès de la
Chambre genevoise de l’économie sociale et solidaire. Les nombreuses rencontres avec des
acteurs de l’ESS, la réalisation de synthèses sur les « bonnes pratiques » des organisations et le
travail de récolte de données sur les entreprises membres auront permis à l’auteur d’apporter une
matière brute et des informations de premier ordre à l’analyse proposée tout au long de ce travail.
9
1.2 Définitions et cadre de travail
1.2.1 Abréviations
Dans ce travail, nous simplifierons l’écriture de l’expression économie sociale et solidaire
par « ESS », ainsi qu’elle est utilisée dans les textes de l’ESS genevoise notamment.
1.2.2 Définitions et terminologie employée
Comme toute branche scientifique qui se respecte, l’économie sociale a ses différentes
appellations et interprétations, variant selon les pays et les académiciens. Voici donc un
éclaircissement préalable sur les termes dont nous feront usage dans ce travail, ainsi qu’un
paragraphe expliquant la terminologie employée.
• Economie sociale et économie solidaire :
Définition de l’économie sociale par l’historien Gueslin (1998 : 3) : L’économie sociale
« est composée d’organismes producteurs de biens et de services, placés dans des situations
juridiques diverses mais au sein desquels la participation des hommes résulte de leur libre
volonté, où le pouvoir n’a pas pour origine la détention du capital et où la détention du capital ne
fonde pas l’affectation des profits ». « L’économie sociale intègre les coopératives, les mutuelles,
les associations et syndicats à vocation gestionnaire » (1998 : 5), des structures qui refusent l’idée
de profit. La démocratie coopérative ou participative (« un homme une voix ») et « l’affectation
des excédents à un fonds de réserve, voire à une redistribution des excédents entre les associés »
(1998 : 5) sont d’autres principes que l’on peut mentionner. Nous reviendrons dans ce travail plus
en détails sur les principes directeurs de l’économie sociale et des structures qui la composent.
L’économie solidaire, d’après la définition du « Dictionnaire de l’autre économie »
(Laville, 2006) peut être considérée comme « l’ensemble des activités économiques soumis à la
volonté d’un agir démocratique où les rapports sociaux de solidarité priment sur l’intérêt
10
individuel ou le profit matériel ; elle contribue ainsi à la démocratisation de l’économie à partir
d’engagements citoyens » (2006 : 303). La réciprocité et l’engagement mutuel entre les êtres, le
lien social, sont donc des traits particulièrement important et spécifiques de l’économie solidaire.
Ce type d’économie se caractérise par « sa double dimension », à la fois économique et politique.
Bien que Laville (2006) ne spécifie pas la différence entre économie sociale et économie
solidaire, nous pouvons prendre la liberté de déduire que la dimension solidaire est incluse de fait
dans l’économie sociale. Elle n’est qu’un terme permettant de cerner et d’englober un type
d’activités, une « façon de faire » et de s’identifier symboliquement de manière plus spécifique.
Pour illustrer cette nuance, nous pouvons citer le commerce équitable : se situant dans le champ
de l’économie sociale, il transfère des fonds du Nord au Sud, dans une logique de partage
solidaire. La dimension solidaire est donc ici particulièrement importante, même si on la trouve
certainement dans la grande majorité des entreprises ou organisations de l’économie sociale.
• Tiers secteur et économie sociale :
Le Tiers secteur, selon Laville (2006 : 619), est un secteur de l’économie regroupant
« l’ensemble des initiatives privées non lucratives » (Laville, 2006 : 619). La non-lucrativité étant
ici définie selon le principe de non-redistribution individuelle des profits. De façon plus large, la
non-lucrativité est aussi comprise comme la prise en compte de la « finalité de services aux
membres ou à la collectivité plutôt que de maximisation du retour financier sur investissement ».
Cette caractéristique « n’implique nullement que ces organisations ne puissent réaliser des
surplus financiers ou qu’il leur serait interdit de les distribuer à leurs membres ». Le Tiers secteur
se situe entre l’économie publique (visant l’intérêt général) et l’économie privée, visant le profit
(Laville, 2006 : 279). Il comprend « des entreprises et organisations qui combinent des modes de
création et de gestion privés mais collectifs (de type associatif) avec des finalités non centrées sur
le profit ».
Le Tiers secteur est souvent également appelé économie sociale. Aux Etats-Unis, on
utilise aussi « non profit sector » ou « voluntary sector » en Grande Bretagne.
11
Ajoutons encore un élément important aux définitions que nous venons de voir. Le comité
de la Chambre de l’ESS genevoise rappelle que « l’ESS ne se résume pas à des organisations ou
entreprises aux activités non rentables et subventionnées mais que certaines, au contraire,
conduisent une activité économique rentable sans aucune subvention publique. Ce qui définit
alors l’ESS est une finalité de l’activité au service de l’intérêt collectif et la non lucrativité ou la
lucrativité limitée »6. Il arrive alors que des entreprises dont la forme juridique n’impose pas de
limiter la lucrativité (SA ou SARL par exemple) correspondent aux critères de l’ESS et fassent
partie de son secteur. La non lucrativité n’est donc pas une finalité en soi, mais un moyen, et n’est
pas une condition exclusive.
• Développement durable
Il est tout d’abord important d’indiquer que la notion de développement durable est
controversée, qu’elle comporte plusieurs définitions et qu’elle peut avoir une signification très
différente selon les points de vue, les représentations sociales. Comme le mentionne Bürgenmeier
(2000), le développement durable est une construction normative basée sur les valeurs et ressentis
d’une société à un moment donné. Le sens qui lui est donné est donc relativement variable. Nous
retiendrons cependant deux définitions largement répandues et reconnues, une globale et une
locale :
a) définition de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement :
« Processus de changement par lequel l’exploitation des ressources, l’orientation des
investissements, des changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et
renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins de l’homme »7. Selon
Bürgenmeier (2000 : 45), « cette définition part du principe qu’il est possible de concilier des
objectifs économiques avec ceux de la protection de l’environnement ».
b) Définition proposée par l’Agenda 21 des communes genevoises :
« Le développement durable est souvent présenté comme la recherche d’un équilibre entre trois
pôles: le social, l’environnemental et l’économique. A cette notion d’équilibre, il convient d’y
6Analyse de la nouvelle loi sur le chômage, APRES, 2007 : http://www.apres-ge.ch/images/stories/analyse_aprs_loi_chmage_-_def.pdf 7 In Bürgenmeier, 2000 : 44
12
adjoindre celle d’interdépendance: une décision prise dans un des trois pôles a des répercussions
à court, moyen ou long terme dans les deux autres domaines. De plus, « le développement
durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité
des générations futures de répondre aux leurs. L'économie mondiale doit répondre aux besoins et
aux aspirations des peuples, mais la croissance est tributaire des limites écologiques de la
planète »8.
• Socio-économie et économie sociale
Pour notre travail, nous avons jugé intéressant de s’arrêter sur le concept de socio-
économie et de voir en quoi il se distingue de l’économie sociale. Selon la définition tirée d’un
ouvrage de Bürgenmeier (1994 : 7 et 8), la socio-économie est « une approche globale du
comportement économique de notre société. Elle offre une perspective interdisciplinaire des
problèmes économiques contemporains […] ». En ce sens « elle corrige également les excès de la
spécialisation » et « réhabilite la science économique en tant que science sociale ». Enfin, « au
lieu d’un comportement dicté exclusivement par l’utilitarisme, la socio-économie étudie la
complexité comportementale dans les différentes pratiques économiques et sociales. L’homme
rationnel n’existe que dans le modèle ». L’économie est donc également une construction
idéologique, emprunte de normes, malgré la tentative fréquente de vouloir prouver qu’elle répond
à des lois générales et qu’on peut ainsi la maîtriser (Bürgenmeier, 1994). Elle mérite donc qu’on
la déconstruise comme une science sociale à part entière, en observant la formation de normes
qui la caractérise.
En quoi la socio-économie se distingue-t-elle de l’ESS ? L’ESS met l’accent sur la
formation de normes et constitue une approche philosophique des problèmes sociaux, étant donc
davantage une science humaine (Bürgenmeier, 1994).
8 Citation tirée du Rapport Brundtland « Notre avenir à tous », Ed. du Fleuve, Montréal, 1988, in « Guide pratique de l’agenda 21 communal », 2002
13
• Terminologie utilisée :
Le terme solidaire est souvent ajouté à celui d’économie sociale, même si on peut
considérer qu’il fait partie intégrante de la dimension sociale. L’économie sociale et solidaire est
un terme, utilisé par exemple à Genève, qui exprime de façon plus précise le sens des actions
entreprises par ce secteur économique. Il est le reflet d’une volonté identificatrice d’acteurs
locaux qui jugent utile et important d’ajouter cette dimension. Pour les chercheurs en sciences
économiques et sociales, ce terme est redondant ; ils préfèrent le terme générique d’économie
sociale. Dans ce travail, nous n’entrerons pas en détails dans cette controverse pour savoir quel
est le terme pertinent. Nous considérons que l’économie sociale comprend l’aspect solidaire et
nous limiterons à utiliser cette dénomination à chaque fois que nous aborderons des éléments
théoriques. L’économie sociale et solidaire (ESS) est une expression qui sera utilisée lorsque
nous parlerons des cas concrets d’application de l’économie sociale, en particulier à Genève.
Enfin, bien que les notions de Tiers secteur et .d’économie sociale soient considérées, ici,
comme relativement équivalentes, nous nous limiterons à employer le terme économie sociale
dans ce travail pour éviter toute confusion.
14
1.3 Histoire de l’avènement de l’économie sociale
« Si les coopératives de détail arrivaient un jour à s’implanter dans le plus petit hameau
de France comme dans la Ville-Lumière ; et, sans laisser de côté ni une cité, ni un quartier,
installaient leurs organes de répartition des richesses partout où les besoins s’en feraient
ressentir ; si ces mêmes coopératives de détail comptaient dans leur sein la totalité des
consommateurs habitant dans leur rayon d’action, ou plus exactement se composaient d’au
moins autant de sociétaires qu’il y a de foyers […]. Si en un mot, le commerce de gros, puis
l’industrie, les finances et l’agriculture étaient devenus fonction des ces coopératives de
consommation possédant, dirigeant, organisant et faisant fonctionner le tout […] Une société
économique complète et nouvelle se trouverait constituée ».
Poissons (cité par Gueslin, 1998 : 200)
Comme le montre la vision de société exprimée ci-dessus par Poissons au 19ème siècle, les
questions que nous nous posons dans ce travail ne sont pas nouvelles. Nous allons dans ce
chapitre revenir sur l’histoire de l’économie sociale afin de mieux comprendre comment elle a
émergé et de quelle façon est s’est développée. Pour ce faire, nous nous baserons principalement
sur le travail de Gueslin (1998), historien, qui retrace dans le détail l’avènement de l’économie
sociale.
D’un point de vue historique, Gueslin (1998) nous explique que les solidarités urbaines
(confréries marchandes et artisanales, corporations, communautés de métier,…) ou rurales
(associations agricoles partageant les risques de la production, communautés villageoises,
groupes familiaux,…) existaient déjà pleinement sous l’Ancien Régime, au 18ème siècle, et
même bien avant, dans les économies préindustrielles. Ces différentes formes traditionnelles de
sociabilité, d’organisation collective et de mutualisation du travail ont abouti aux mutuelles que
l’on connaît aujourd’hui et qui se sont réellement développées dès le 19ème siècle, en France
principalement.
15
L’économie sociale apparaît au moment où l’on commence à observer d’importants coûts
humains causés par la révolution industrielle. Tandis que l’économie politique se concentre
principalement sur la « science des richesses » (Charles Gide, cité par Guelins : 1998, p.2),
l’économie sociale, elle, donne quelques solutions aux problèmes sociaux, intègre la dimension
sociale dans l’économie, s’inscrit dans une démarche de solidarité (Gueslin, 1998). Elle constitue
une réponse aux problèmes liés à la production de grande échelle et à l’apparition du prolétariat :
la condition ouvrière de cette époque finit par déboucher sur une lutte de classe pour revendiquer
de nouveaux droits, amenant les travailleurs à se fédérer en organisations ouvrières et agricoles et
associations d’économie sociale. Les difficultés du prolétariat d’alors démontrent qu’il est
impossible de « penser l’économie en dehors du social » (Gueslin, 1998 : 25) et l’infériorité
ressentie par les acteurs économiques dominés s’exprime dans un besoin de s’organiser, de
s’associer : de nouvelles formes de solidarités apparaissent.
1.3.1 Du socialisme associationniste à l’économie sociale : 1810-1860
Owen, Saint-Simon, Fourier, Cabet, Proudhon sont quelques noms incontournables pour
comprendre l’émergence des structures d’économie sociale, relevant d’abord de « l’Utopie
sociale, un projet imaginaire d’une société alternative » (Desroche, cité par Gueslin, 1998 : 27).
Voyons leur apport.
Les modèles coopératifs de consommation conçus par Robert Owen nous sont
particulièrement éclairants. En 1817, rejetant le modèle économique capitaliste, il propose de
créer des « villages d’unité et de coopération mutuelle », des communautés de 2'000 personnes
environ (Gueslin, 1998 : 31). Il faut préciser que par coopération, Owen « entend une forme de
communisme […] s’opposant au système individualiste libéral », mais fondé sur une société
autoritaire qui n’a que très peu à voir avec les formes de coopération du 19ème siècle (Gueslin,
1998).
Saint-Simon (1760-1825), lui, industriel convaincu, n’est pas révolutionnaire et ne
revendique pas une société fonctionnant sur le modèle collectiviste. Mais il promeut l’idée
d’associations industrielles, de regroupement par secteur (et pas seulement des ouvriers), dans le
16
but de « faire naître chez les sociétaires une véritable mystique de l’intérêt commun, une
fraternité du travail (Gueslin, 1998 : 40).
A peu près à la même période, Buchez rapproche les sensibilités sociales du christianisme
et des luttes ouvrières en proposant l’idée d’ « association ouvrière » et de « coopération de
production ». Pour Buchez, « les intérêts individuels sont subordonnés au but commun »
(Gueslin, 1998 : 47). Dans le projet buchézien apparaissent déjà les premiers principes des
coopératives, bien que les mécanismes de fonctionnement soient encore vagues : les associés
entrepreneurs sont payés de manière égalitaire mais 80% du bénéfice net sont répartis en fonction
du travail fourni. « Les 20% restant servent à alimenter le capital social qui est inaliénable. »
(Gueslin, 1998 : 48). En 1843, Buchez crée une coopérative de bijoutiers parisiens qui ressemble
davantage aux coopératives actuelles, fondée en nom collectif et dont les réserves servent à
combler d’éventuels déficits. Cependant, comme le mentionne Gueslin (1998 : 49), les principes
trop rigides qui accompagnent ce fonctionnement collectif de production, notamment l’égalité
des salaires, vont dans un premier temps empêcher l’essor de ce type de structures.
L’introduction des notions de talents et capacités pour varier les salaires n’y changera rien. Gide
résume bien la situation : « Que les associations ouvrières fussent, comme les congrégations
religieuses, composées d’hommes disposés à abdiquer au profit de la communauté tous leurs
intérêts personnels […], c’est trop leur demander » (cité par Gueslin, 1998 : 49).
Gueslin (1998) mentionne également Fourier (1772-1837), l’utopiste, qui sera un autre
précurseur de l’émergence de l’économie sociale, lui aussi en partant d’une critique acerbe de la
concurrence et du capitalisme financier, d’une remise en cause de l’ordre existant. Son idée du
« phalanstère », sorte de « communauté de vie », met au point un système collectif de production
qui mêle habilement mérite, utilité et prorata du temps de travail pour calculer les salaires
équitablement et pour partager le capital. Pas d’égalité, mais un rapprochement des travailleurs à
l’accession au capital (Gueslin, 1998) en évitant les discriminations trop fortes du capitalisme
pur. Secours mutuels, participation de l’Etat, fermes-asile pour occuper les indigents, « comptoir
communal » (forme de coopérative cumulant plusieurs fonctions économiques) sont différentes
inventions de Fourier.
17
S’inspirant de Fourier, Godin, instigateur des « familistères », met au point un
« système de Caisses de secours protégeant le personnel contre les aléas de l’existence »
(Gueslin, 1998 : 64), auquel l’Etat contribue. Godin cherche une formule pour faire participer les
travailleurs aux résultats de l’entreprise, « en prenant en compte la contribution de chacun à
l’accroissement des richesses » (Gueslin, 1998 : 65) et essaie même de les impliquer dans la
gestion, adhérant aux thèses du courant « participationniste ». Il propose d’associer les ouvriers
juridiquement et élabore une forme d’actionnariat ouvrier et organise une répartition des
bénéfices en fonction des efforts fournis par les ouvriers.
Autre penseur ayant eu un rôle important dans l’histoire de l’économie sociale, reconnu
comme fondateur de la coopération de consommation : Derrion (1803-1850). « Il s’agit d’un
commerce social qui doit contribuer à une transformation progressive de l’économie au bénéfice
de l’ensemble de la société » (Gueslin, 1998 : 60). Ce commerce emploie une part des excédents
dans des œuvres sociales.
1.3.2 Libéraux et économie sociale
On trouve aussi des courants proches de l’économie sociale chez les libéraux, même si
chez les économistes classiques il n’y pas de remise en cause globale du système capitaliste
comme les socialistes, mais plutôt une complémentarité de l’économie sociale. Stuart Mill, par
exemple, propose l’association de production, qui selon lui améliore la productivité et permet
d’associer les travailleurs au résultat de l’entreprise (Gueslin, 1998). Pour Walras, tout l’intérêt
des associations se situe dans « l’avènement des travailleurs à la propriété du capital par
l’épargne » (Gueslin, 1998 : 121). Sur la distribution des bénéfices, les libéraux sont plus
timides : certains sont en faveur d’une participation partielle des ouvriers au bénéfice
(dividendes), en parallèle au salariat, mais les libéraux restent très généralement fermement
opposés à l’accession des travailleurs à la propriété du capital. D’autres intellectuels libéraux
réfléchiront à la façon d’utiliser socialement le capital en se penchant la création de caisses
d’épargne ou de caisses de prévoyance (parfois intégrée à l’entreprise). Si le système coopératif
peut constituer un moyen d’éviter les grèves, il n’en reste pas moins que la plupart des
économistes libéraux voit les coopératives d’un très mauvais œil car elles remettent en cause le
18
salariat et le patronage. Ils perçoivent la coopérative comme un moyen de parvenir à la paix
sociale mais s’opposent à ce qu’elles deviennent un outil de transformation des rapports de travail
(Gueslin, 1998).
1.3.3 Les structures de crédits coopératifs
En septembre 1883, Beluze (1821-1908) crée la première vraie banque associative, à la
fois caisse d’épargne et société de crédit destinée à financer la création de coopératives. Selon les
statuts de la banque (Gueslin, 1998 : 72), un des buts de la société est « d’aider au développement
des principes de solidarité et de mutualité afin de rendre le crédit accessible aux travailleurs ».
Elle fonctionne selon le principe « un homme une voix », et une répartition des bénéfices au
prorata du capital investi. Malgré sa faillite, cette banque constituera un précédant important dans
l’histoire de l’économie sociale et son expérience sera renouvelée.
Le mouvement mutuelliste de Proudhon (1809-1865) sera également à la source du
développement des crédits coopératifs. Se fondant sur une forte critique de la propriété privée,
créatrice selon lui d’inégalités dans le partage des bénéfices, Proudhon propose une formule
novatrice d’association qui garantit à ses membres de se rendre réciproquement « service pour
service, crédit pour crédit [...] » (Gueslin, 1998 : 79). Pour Proudhon, il est essentiel qu’il y ait
une coopération entre l’emprunteur et le créancier pour permettre un taux d’intérêt très bas ou
inexistant. La banque qu’il veut créer se construit sur un « circuit fermé, où les producteurs se
garantissent mutuellement leurs produits respectifs » (Gueslin, 1998: 80). Mis en application, son
projet de banque est toutefois un échec.
1.3.4 Le modèle Raffeisen
Nourri par la charité chrétienne de son entourage, Raiffeisen est à l’origine, en 1849, d’un
projet qui apparaît déjà comme une forme de crédit agricole. Il crée « une société de secours »
aux agriculteurs sans liquidités. Afin « d’enrayer le fléau usuraire » (Gueslin, 1998 : 98), il met
au point une Caisse de crédit pour aider les paysans en difficulté et « assurer la sécurité
19
financières du village ». Sa particularité se situe dans le fait que les bénéfices dégagés servent à la
constitution de réserves qui pallient l’absence de capital. La logique coopérative permet de
pratiquer des taux d’intérêt bas pour les crédits (6%) et d’en augmenter la durée (9 mois). De
plus, un conseil de surveillance aux côtés du conseil d’administration est mis en place, élu selon
le principe « un homme une voix » (Gueslin, 1998). Autres principes fondamentaux :
l’interdiction de distribuer des dividendes et le fait de limiter l’attribution de crédits aux seuls
sociétaires. En 1890, il y a 700 caisses réparties sur l’Allemagne et l’Autriche.
1.3.5 Les mutuelles
Le développement des sociétés mutuelles (ou de secours mutuel), qui cherchent à protéger
la population des différents risques et réalités de la vie (maladie, accident, pauvreté, vieillesse,…)
inspirera aussi l’économie sociale et solidaire que l’on connaît aujourd’hui : son système de
protection des ouvriers et de redistribution, sa solidarité, mais aussi le fait qu’elle soit autonome
de l’Etat (sachant que la protection sociale sera par la suite principalement prise en charge par
l’Etat, comme c’est le cas aujourd’hui), sont autant d’éléments qui permettront l’évolution vers le
tiers secteur actuel.
1.3.6 Le lien entre le christianisme et l’économie sociale au 19ème siècle
Gueslin (1998), fait la distinction entre charité chrétienne, individualisée, et entraide et
solidarité, à travers une action collective. La religion catholique développe elle aussi au 19ème
siècle un courant qui se situe entre ces deux approches. On parle d’économie sociale chrétienne
ou d’économie charitable, voire de christianisme social.
Vers 1850, la tendance catholique libérale prône la liberté d’association et de corporation,
droits protégés par l’Etat, ainsi que le secours mutuel. Elle admet que « l’association est le seul
grand moyen économique qui soit au monde, et que, si vous n’associez pas les hommes dans le
travail, l’épargne, le secours et la répartition, le plus grand nombre d’entre eux sera
inévitablement victime d’une minorité intelligente et mieux pourvue de moyens de succès » (cité
20
par Gueslin, 1998 : 88). On trouve aussi des courants dits du catholicisme social, qui aspirent à
faire évoluer l’économie d’un régime patronal à un régime coopératif, notamment à travers la
propagation des caisses d’épargne et de secours mutuel (Gueslin, 1998). Bien que les catholiques
se distancient clairement de la lutte ouvrière, ils soutiennent le principe de participation aux
bénéfices. Vers la fin du 19ème siècle, l’Eglise catholique critique les excès du capitalisme, de
l’exploitation, et va même jusqu’à prôner les corporations et associations d’ouvriers.
1.3.7 Le socialisme-associationniste
Pour avoir de vraies coopératives de production industrielle, des coopératives de
consommation et des crédits mutuels de taille importante, il faudra attendre les années 1840 et
particulièrement la révolution industrielle de 1848. Ces structures se développent sous
l’impulsion du mouvement socialiste-associationniste et reflètent avant tout une solidarité
ouvrière. Il y alors une forte motivation de réorganisation du travail pour atteindre une situation
plus équilibrée entre détenteurs du capital et ouvriers. En allant plus loin, l’objectif est
l’appropriation collective et graduelle des moyens d’échange et de production pour les
consommateurs associés » (Gueslin, 1998: 306). La lutte ouvrière est donc fortement liée à
l’avènement des coopératives, comme le résume un ouvrier réputé devant l’Assemblée nationale
française en 1848 : « Nous avons l’ultime conviction qu’un jour viendra où la plupart des
travailleurs auront passé du statut de salariés à celui d’associés volontaires… » (Alcan, cité par
Gueslin, 1998 : 181). Mais derrière ce rééquilibrage social, il y a aussi un souci d’efficacité
économique: en effet, l’amélioration des relations au travail résultant du changement de mode
d’organisation est un argument souvent invoqué.
Hommes politique de gauche, Louis Blanc (1811-1882) apportera une contribution
importante aux grands débats sur l’associationnisme qui entourent la révolution de 1848. Il croit
en « une évolution graduelle où l’Etat encourage certains modèles qui se diffusent dans
l’économie par leurs propres vertus ». (Gueslin, 1998: 179). C’est ainsi à l’Etat de créer des
ateliers sociaux par le biais de son ministère du Progrès du travail
21
1.3.8 L’économie sociale aujourd’hui, un mélange des différents courants
Bien que les penseurs fournissent une théorie abondante en la matière, il n’en reste pas
moins que le mouvement des coopératives de production et de consommation reste très marginal
dans l’économie de la première moitié du 19ème siècle. Il prendra plus d’ampleur dans la
seconde moitié et principalement autour de 1900, au travers des mouvements solidaristes
notamment qui propulsent le courant de pensée du « coopératisme ». Au départ très liée au
christianisme et à la charité ou au socialisme, l’utopie coopérative devient moins partisane et plus
populaire ; elle veut dépasser la lutte de classes et nie le déterminisme et le matérialisme qui
imposent une inégalité entre ouvriers et capitalistes : pour ces penseurs, le coopérativisme est un
moyen de casser les classes et de transformer les structures économiques (Gueslin, 1998),
notamment en abolissant le salariat et donnant à tout ouvrier accès aux bénéfices de la
production. Le capital est alors selon Gide au service du travail, non de ses détenteurs. De même,
le profit est proscrit s’il dépasse l’idée de « juste prix ».
Alors que le coopératisme imagine la création de structures de production indépendantes
de l’Etat, le solidarisme est un autre courant de la même époque qui promeut une vision de
société où l’Etat a un rôle plus marqué : celui de promouvoir une économie sociale en suscitant
l’avènement d’associations professionnelles basées sur le principe de solidarité et en concevant
les règles nécessaires à leur développement (Gueslin, 1998). En tout les cas, ces deux courants
auront une influence forte dans l’avènement de l’économie sociale en France, en particulier pour
les mutuelles d’assurances et de crédits et tout forme de coopératives.
Le socialisme s’est longtemps approprié l’économie sociale, en négligeant les apports du
libéralisme et des Eglises. Aujourd’hui, l’économie sociale est bien la résultante de trois courants
historiques : solidarité et charité (aide aux pauvres), venant principalement des Eglises ;
participation à la richesse de l’entreprise et réorganisation du travail, principalement originaire du
socialisme ouvrier ; et volonté d’entreprendre autrement, venant des libéraux progressistes.
Précédées des associations, plutôt liées au mouvement émancipateur ouvrier, les coopératives de
production et de consommation qui résisteront à travers le temps seraient donc nées de cette
pluralité de courants.
22
De l’associationnisme à la réalité concrète des premières coopératives, du chemin aura
donc été parcouru, mais principalement sur le plan utopique ou du moins théorique. Gueslin
(1998) affirme que l’idéal communautaire ne s’est pas tout à fait accompli en réalité coopérative,
mais qu’il a clairement participé aux prémices de l’économie sociale. Une des conclusions de
Gueslin (1998 : 71) est assez pessimiste : « L’expérience communautaire ne résiste pas à la
contradiction suivante: ou bien elle s’efforce de suivre la doctrine et la réussite économique est
problématique, ou bien elle essaie de s’insérer sur le marché et elle risque de perdre son âme ».
1.4 L’histoire de l’économie sociale en Suisse
En Suisse, les premières coopératives romandes ont été créées au milieu du 19ème siècle,
principalement en Romandie, sous l’impulsion des français Charles Fourrier et Louis Blanc,
inventeur des atelier sociaux (coopératives de production soutenues par l’Etat). Les premières
coopératives de production artisanale ont eu une existence éphémère et de nouvelles n’ont vu le
jour qu’au début du 20ème siècle (Gilbert, 2007). La moitié seulement des coopératives de
production (ouvriers, ferblantiers,…) fondées depuis 1864 existaient encore en 1914.
Aujourd’hui, la plus ancienne coopérative (« Sada », ferblanterie) qui a persisté à travers le temps
date de 1917 (Gilbert, 2007). Il faudra attendre 1930 pour voir le secteur de la construction se
fédérer au niveau suisse en association de production (devenue coopérative en 1975).
On assiste aussi, a milieu du 19ème, à l’émergence des coopératives de consommation : des
consommateurs s’associant pour défendre leurs intérêts en organisant la distribution des biens
d’usage courant (Gilbert, 2007). Ces coopératives se développent également en Suisse allemande
et au Tessin, se calquant souvent sur le principe de la coopérative de consommation de Rochdale
(1844, Angleterre) : adhésion ouverte à tous gestion démocratique, ristournes, etc (Gilbert, 2007).
Ces coopératives ne résisteront pas à l’arrivée des grandes coopératives de distribution Coop et
Migros.
23
Parallèlement aux coopératives, dont le développement n’est pas fulgurant, on peut aussi
mentionner dans l’histoire récente de l’économie sociale en Suisse un courant autogestionnaire
qui se développe dans les année 1970 dans les milieux alternatifs : agriculture, restaurants,
librairies, logement ou soins sont les domaines dans lesquels émergent ces organisations
autogérées, sous forme de coopérative ou d’associations (Gilbert, 2007).
Enfin, l’histoire suisse nous dévoile également l’existence de pratiques mutualistes qui
ont eu une influence directe sur le système d’assurances sociales existant aujourd’hui. Les
premières formes de mutualisme remontent à plusieurs siècles en arrière. Mais la plus ancienne
société de secours mutuels dont on ait connaissance date de 1779 (Gilbert, 2007). Ces sociétés,
couvrant les pertes de revenus en cas de maladie, accident, infirmité ou chômage se sont
multipliées lors du 19ème siècle. Elles regroupaient des travailleurs d’une même région ou d’un
même métier, qui payaient une cotisation pour bénéficier d’une sécurité sociale. Ces institutions
sont à l’origine des caisses publiques qui ont émergé avec les assurances sociales de l’AVS et de
l’AI, ainsi que des caisses maladies et compagnies d’assurance.
24
Chapitre 2 : les liens entre l’ESS et le développement durable
Dans ce second chapitre, nous chercherons tout d’abord à établir un lien entre l’ESS, par
le biais de sa charte, et le développement durable – traduit concrètement par l’Agenda 21 – en
démontrant les similitudes de conceptions et de mise en œuvre qui existent entre les deux textes.
Nous nous appliquerons ainsi à démontrer en quoi l’ESS, dans le canton de Genève plus
particulièrement, a toutes les caractéristiques pour être qualifiée d’économie appliquant le
développement durable ou contribuant à instaurer une économie du développement durable. Pour
ce faire, nous mettrons en parallèle la charte de la Chambre de l’ESS genevoise avec l’Agenda 21
de l’Etat de Genève.
En allant plus loin dans notre raisonnement, nous défendrons dans un deuxième temps
l’hypothèse selon laquelle l’ESS non seulement reprend, approfondit et complète certains
éléments contenus dans des textes comme l’Agenda 21, mais, surtout, contribue à mettre en
oeuvre une économie du développement durable fonctionnant à une échelle significative.
Dans la troisième partie de ce chapitre, nous verrons comment l’économie sociale dans sa
dimension concrète, ESS pour ce qui nous concerne, se distingue de l’Agenda 21, et nous
discuterons la thèse selon laquelle elle exprime avec vigueur la dimension sociale du
développement durable.
Précisons que l’Agenda 21 est un mode d’emploi destiné aux collectivités publiques,
directement issu de l’Agenda 21 mondial né lors du Sommet de la Terre de Rio en 19929, pour
mettre en œuvre le développement durable. Nous considérons donc qu’il constitue une série de
mesures conformes à la définition du développement durable telle qu’elle est envisagée par nos
collectivités publiques, nos gouvernements. L’Agenda 21 est donc, pour le moment, la
formulation, à la fois théorique et pratique, la plus aboutie et la plus légitime du point de vue des 9 Programme d’actions à mettre en œuvre, intitulé Agenda 21 (ou également Plan d’Action 21), qui a été adopté par plus de 180 Etats dont la Suisse. Il propose plus de 2’500 mesures à prendre à l’échelle planétaire afin de parvenir, au XXIe siècle, à établir une convergence et un équilibre durable entre efficacité économique, solidarité sociale et responsabilité écologique.
25
institutions politiques et administratives de notre canton pour exprimer la mise en œuvre d’une
économie du développement durable. Bien entendu, ce document est également issu de la
production de normes, à un moment précis et sous l’impulsion d’une certaine tendance politique.
Si ce document est donc certainement le plus légitime sur lequel on puisse se baser, il n’est pas
nécessairement le reflet de la volonté de tout un chacun en matière de développement durable ou
du moins pas sa seule expression. Ici, au même titre que la charte de l’ESS, il constitue un outil,
que nous utilisons en gardant à l’esprit qu’il est une construction normative.
Il est également utile de distinguer, dans le développement durable, entre principes
généraux et plans d’actions destinés aux collectivités publiques, entre objectifs mondiaux et
objectifs locaux : trouver un équilibre entre économie, social et environnement est un principe
général commun qui s’applique au Nord comme au Sud. Favoriser la participation dans
l’entreprise est un objectif important pour l’Europe, qui passe au second plan en Afrique
subsaharienne, où l’éradication de la pauvreté sera prioritaire. Dans ce travail, dans une
perspective très pratique, nous nous limiterons à analyser les actions concrètes concernant les
économies européennes en nous focalisant spécifiquement sur ce qui nous est le plus proche, à
savoir l’agenda 21 du canton de Genève ainsi que la charte de l’ESS genevoise et en quoi ces
textes peuvent influencer nos comportements. Nous nous arrêterons quelque peu sur la
compréhension des grands principes communs au développement durable et à l’ESS, mais
n’aborderons pas en détail les mesures qui concernent le développement durable des pays du Sud
en voie de développement, et notamment les objectifs du millénaire.
2.1 Quels liens entre l’ESS et le développement durable ?
Pour montrer que l’ESS correspond aux principes du développement durable tels qu’ils
sont définis dans l’Agenda 21 du canton de Genève, nous allons voir quelles similitudes nous
pouvons mettre en évidence dans ces chartes respectives.
26
2.1.1 L’interdépendance des dimensions économiques, sociales et environnementales
La mise en parallèle des textes fondamentaux met clairement en évidence des principes
généraux relativement proches, notamment sur l’intégration des dimensions sociales et
écologiques dans le comportement économique. L’équilibre entre les différentes dimensions
sociales, écologiques et économiques, pour obtenir un bien être humain et préserver
l’environnement se retrouve tant dans la charte de l’ESS que dans l’Agenda 21. L’article 1 § 2 de
la loi genevoise10 stipule qu’« on recherchera la convergence et l’équilibre durable entre
efficacité économique, solidarité sociale et responsabilité écologique ». L’Agenda 21 des PME11
recommande de « prendre en compte les impacts de ses activités sur la communauté et le milieu
naturel » et d’« adopter une politique d’achat fondée non seulement sur le prix et la qualité, mais
aussi sur les aspects écologiques et sociaux (transports, emballages, conditions de travail, etc.) ».
Du côté de la charte de l’ESS, on trouve : « Les acteurs et actrices de l’ESS reconnaissent
l’interdépendance des processus socio-économiques et écologiques. Ils s’engagent à privilégier
un système économique qui respecte les processus et équilibres écologiques dans un souci
d’équité intra et intergénérationnel »12. L’Agenda 21 de l’Etat13 mentionne lui aussi le principe de
solidarité, qui « se conçoit entre les générations (équité intergénérationnelle) et à l’intérieur d’une
même génération (équité intragénérationnelle): le bien-être doit être partagé par tous, à l’échelle
de l’ensemble de la planète ».
C’est ce principe commun d’équilibre entre les différente sphères qui permet
d’envisager une action (par exemple la production d’un bien) en ce souciant de son impact global
(dimensions sociales et écologiques) et non seulement de sa rentabilité (dimension économique).
De même, la solidarité entre les générations signifie des actions pensées sur le long terme.
10 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001 11 Développement durable, « Les PME passent à l’action », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2005 12 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 13 « Agenda 21 du canton de Genève, de l’idée à l’action », édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002
27
L’agenda 21 pratique destiné au PME genevoises parle « d’anticiper, voir plus loin, voir plus
large »14.
L’équilibre à atteindre repose également sur la notion de besoins : la Commission
mondiale des Nations Unies sur l’environnement et de développement écrit qu’il faut pouvoir
« répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de
répondre aux leurs »15. L’article 1 de la loi genevoise sur l’Agenda 21 parle d’un développement
durable de la société « qui soit compatible avec celui de l’ensemble de la planète et qui préserve
les facultés des générations futures de satisfaire leurs propres besoins »16. La préservation de
l’environnement naturel a un lien direct avec la satisfaction de ces besoins élémentaires. Plus
engagée, la charte genevoise de l’ESS mentionne également la notion de besoins dans son
préambule en reprenant des extraits de la Déclaration de Lima (Première Rencontre
Internationale sur la Globalisation de la Solidarité, 1997) : « Nous sommes engagés dans un
processus de construction d’une économie solidaire qui remet en question la conception selon
laquelle les besoins humains pourraient être satisfaits par le seul marché et ses prétendues lois
naturelles. »17
Toujours en lien avec la question de l’équilibre, l’intégration des critères sociaux et
écologiques dans les indicateurs permettant d’évaluer la bonne santé économique d’une
entreprise ou d’un pays est un souci commun aux politiques publiques et à l’ESS. Ainsi, les outils
de mesure ne se basent pas uniquement sur les performances économiques (rentabilité,
productivité), mais aussi sur des indicateurs sociaux (promotion sociale, paix sociale, bien-être
social). L’article 5 de la loi genevoise sur l’Agenda 21 exige qu’un rapport d’évaluation des
politiques publiques, basé sur les critères durables que nous venons de voir, soit rendu à chaque
début de législature. L’article 10 stipule que « l’Etat favorise l’élaboration et la diffusion la plus
large d’indicateurs du développement durable reconnus permettant des comparaisons dans le
14 Développement durable, « Les PME passent à l’action », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2005 15 Citation tirée du Rapport Brundtland « Notre avenir à tous », Ed. du Fleuve, Montréal, 1988, in « Guide pratique de l’agenda 21 communal », 2002 16 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001 17 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf
28
temps et dans l’espace ainsi que la définition d’objectifs quantifiés »18. De leur côté, les
communes ont également à disposition un tableau d’indicateurs basés sur les trois dimensions clé
pour mettre en œuvre le développement durable et évaluer les mesures prises.
L’évaluation selon une analyse multicritères et des indicateurs comprenant aussi bien les
dimensions de bien être social, d’écologie et d’efficacité économique, n’est pas mentionnée
textuellement dans la charte de l’ESS, mais constitue une pratique très répandue au sein des
entreprises sociales et associations qui l’ont signée. Pour le moment, il s’agit la plupart du temps
d’une autoévaluation, comme nous le verrons plus tard dans ce travail, qui, symboliquement,
commence par l’auto-attribution de couleurs (vert, orange ou rouge) selon le niveau d’efforts
réalisés par l’organisation sur les plans sociaux, écologiques et économiques.
Que ce soit dans le cadre de l’ESS ou de l’Agenda 21, précisons, comme nous l’indique
Bürgenmeier (2005 : 202) qu’il n’existe pas d’instruments scientifiques permettant de juger ce
qu’est l’équité sociale. Fixer des critères et indicateurs sociaux pour juger du niveau d’équité
appartient donc à un débat normatif, d’où l’importance de construire de manière participative des
indicateurs tenant compte d’une pluralité de valeurs. « Ces analyses sont un des moyens les plus
prometteurs pour éviter que le concept de développement durable ne soit réduit à la croissance
économique ».
2.1.2 Mesures préconisées pour ménager l’environnement
Les plans d’action visant à limiter notre « empreinte écologique », notion utilisée tant
par l’Agenda 21 que la charte de l’ESS, démontrent de nombreuses similitudes et nous rappellent
encore une fois que les constats et actions à mener dans le domaine environnemental émanent
d’un large consensus et paraissent assez incontestables par rapport aux mesures plus
controversées et plus complexes qui pourraient être appliquées sur le plan social.
18 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001
29
L’agenda 21 préconise par exemple d’« optimiser les modes de production afin
d’économiser l’eau, l’énergie et les ressources naturelles », d’« adopter des gestes souvent
simples tels que trier ses déchets, utiliser du papier recyclé ou éteindre les appareils non
utilisés », de réduire la consommation de matières non renouvelables, toxiques ou polluantes »19,
etc. Par ailleurs, l’article 9 de la loi sur l’Agenda 21 exige que l’Etat mette en place un système
de management environnemental pour l’ensemble de l’administration cantonale. Ce système
repose sur quatre piliers : gestion des déchets, gestion des flux et des énergies (eau,
électricité,…), qualité de vie et sécurité des collaborateurs, ainsi que mobilité des
fonctionnaires20. Les communes encouragent le même type d’action sur les économies d’énergie
et la mobilité douce, mais donnent également des recommandations notamment au niveau de
l’aménagement du territoire : « préserver les sites non bâtis en empêchant la dispersion des
constructions, en densifiant le bâti et en sauvegardant ou en réparant les espaces naturels;
restaurer la diversité des fonctions des espaces proches de l'état naturel, notamment en
encourageant une agriculture plus durable; protéger la faune et la flore en reliant les habitats
naturels entre eux »21 etc. De plus, l’Agenda 21 des communes donne des exemples de mobilité
douce (pédibus), d’habitats écologiques (normes Minergie) et de matériaux de constructions
adéquats.
Pour diminuer l’empreinte écologique, la charte de l’ESS promeut des mesures
similaires: « connaître, appliquer et transmettre les solutions et pratiques plus respectueuses de
l'environnement des déchets, récupération, recyclage, utilisation d'énergies renouvelables,
mobilité douce, d'énergie (eau, électricité, essence, pétrole, etc.) »22. La charte demande aussi de
« privilégier la consommation locale et saisonnière ; développer des relations d’échange et de
consommation avec des filières de production notamment les cycles écologiques naturels et une
minimisation de l’utilisation des énergétiques fossiles »23. Sur l’agriculture de proximité et la
limitation des transports à énergie fossile, l’Agenda 21 communal tient le même discours : « Il est 19 « Agenda 21 du canton de Genève, de l’idée à l’action », édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 20 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001 21 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 22 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 23 Ibidem
30
préférable, par exemple, de choisir des produits régionaux dont le transport est réduit, des fruits et
légumes de saison, du bois certifié pour les aménagements publics, des véhicules dont les
atteintes à la santé et à l'environnement sont moindres, des appareils ménagers qui consomment
peu d'énergie pour les cantines ou salles polyvalentes »24.
Si les collectivités publiques et entreprises tiennent compte des critères
environnementaux que nous venons de mentionner, elles devraient adopter des politiques d’achat
en conséquence : « choisir d'appliquer ces solutions préférentiellement, même si elles coûtent
plus cher »25, préconise la charte de l’ESS. L’Agenda 21 destiné aux PME ne dit pas autre chose :
« adopter une politique d’achat fondée non seulement sur le prix et la qualité, mais aussi sur les
aspects écologiques et sociaux (transports, emballages, conditions de travail, etc.) »26. De même,
les communes devraient appliquer le même type de comportement : « En matière de politique
d'achats, la commune a également une bonne marge de manoeuvre. Les investissements qu'elle
décide devraient être attribués à des entreprises qui appliquent les normes environnementales et
sociales; les acquisitions en tous genres devraient être peu gourmandes en énergie et respecter au
mieux l'environnement et l'être humain »27. Allant très dans le concret, le guide destiné aux PME
a élaboré une série de fiches thématiques, dont une bonne partie est dédiée à la problématique de
l’environnement et reposent sur le principe de « précaution » : indicateurs d’éco-efficience
(« produire plus avec moins »), gestion de l’énergie, prendre en compte tout le cycle de vie d’un
produit, politiques d’achats durables, gestion des déchets et recyclage, transport et mobilité, etc,
font l’objet de conseils pratiques détaillés dans le guide28.
24 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 25 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 26 Développement durable, « Les PME passent à l’action », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2005 27 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 28 Ibidem
31
2.1.3 Tableau récapitulatif des similitudes sur le plan environnemental
Charte ESS Agenda 21
Grands principes du Développement Durable
Solidarité intergénérationnelle Equilibre et interdépendance des trois dimensions Besoins ne peuvent être définis par le seul marché
Solidarité intergénérationnelle Equilibre et interdépendance des trois dimensions Besoins doivent être assouvis sans compromettre ceux des générations futures
Utilisation d’indicateurs Pas prévus par la charte, mais largement mis en œuvre sur le terrain Autoévaluation des projets Dimension sociale et écologique aussi importants que l’économie
Evaluations des actions sont prévues et encouragées. Evaluations des pouvoirs publics et des acteurs (autoévaluation) Les indicateurs prennent en comptes les dimensions sociales et écologiques Eco-efficience et bilans écologiques
Mesures préconisées Economies d’énergie et ressources Recours aux énergies renouvelables Tri des déchets et recyclage Mobilité douce «Privilégier la consommation locale et saisonnière; développer des relations d’échange et de consommation avec des filières de production notamment les cycles écologiques naturels et une minimisation de l’utilisation des énergétiques fossiles»
Economies d’énergie et ressources Recours aux énergies renouvelables Tri des déchets et recyclage Mobilité douce « Il est préférable de choisir des produits régionaux dont le transport est réduit, des fruits et légumes de saison […] » (Agenda 21 des communes uniquement)
Politique d’achat Préférer l’achat de produits ou services qui prennent en compte facteurs sociaux et écologiques, même si le prix est plus élevé.
Prise en compte des facteurs sociaux et écologiques au même titre que le prix et la qualité.
32
2.1.4 Dimension sociale du développement durable et de l’ESS
Pour Bürgenmeier, une prise de conscience est apparue il y a peu sur les inégalités
sociales et les besoin d’y remédier par une « éthique nouvelle » : « seul le choix libre et non
contraint par la pollution, la famine et l’ignorance est pertinent pour le fonctionnement des
marchés et seule la réduction des inégalités de revenus et de fortune permet de légitimer le
développement durable à grande échelle » (2005 : 44). Le lien entre inégalités sociales, inégalités
de revenus et développement durable n’est pourtant aujourd’hui pas si évident. Pour des raisons
que nous avons déjà évoquées, la dimension sociale reste assez pauvre en comparaison des
actions environnementales dans les plans de l’Agenda 21 mondial comme local. S’attaquer à la
réduction des inégalités (et pas seulement répondre aux besoins fondamentaux), c’est rentrer dans
un débat politique complexe. C’est revoir toutes les politiques de solidarité sociale et de
coopération internationale.
Comme nous le verrons au prochain sous-chapitre, l’ESS va plus en profondeur sur le
plan social, notamment sur la question des inégalités sociales, de revenus, et de la solidarité (à
l’intérieur d’un pays et entre pays). Il existe néanmoins, sur ce plan social, bon nombre de points
de convergences entre l’Agenda 21 et la Charte de l’ESS que nous allons voir à présent.
Si l’Agenda 21 s’étend largement sur les mesures à prendre pour préserver notre
environnement, il est un peu moins fourni sur le plan des principes généraux du développement
durable s’appliquant à la question sociale. On trouve par contre un code de conduite très fouillé
dans le guide de l’Agenda 21 aux PME, dont une très grande partie des principes est reprise par la
charte de l’ESS et détaillée dans les « bonnes pratiques » qui la complètent.
L’Agenda 21 concentre les efforts à réaliser dans le domaine social sous le terme
d’« équité sociale ». Cette équité sociale doit « permettre la satisfaction des besoins essentiels des
communautés humaines pour le présent et le futur, au niveau local et global, et l'amélioration de
la qualité de vie (accès pour tous à l'emploi, à l'éducation, aux soins médicaux et aux services
sociaux, à un logement de qualité, ainsi que par le respect des droits et des libertés de la personne,
33
et par la participation des différents groupes de la société aux processus de prise de décision) »29.
Du côté de la charte de l’ESS, l’équité est exprimée avec plus de conviction. On parle de
« développer des relations économiques avec des filières de production qui offrent des conditions
de travail et de rémunération équitables »30. Dans ses principes généraux, le guide destiné aux
PME propose d’« assurer à chaque personne de l’entreprise des conditions de travail équitables,
un cadre motivant ainsi que des possibilités d’évolution »31. Voyons maintenant quelques aspects
importants de la dimension sociale qui apparaissent dans les différentes chartes étudiées.
a) La participation : la notion de participation est largement citée et prônée dans les
différents Agenda 21 et dans la charte de l’ESS, même si cette dernière va plus en profondeur sur
ce sujet qui est une des pierres angulaires de ses actions. Les articles 7 et 8 de la loi genevoise sur
l’Agenda 21 disposent que « l’Etat soutient et encourage la mise sur pied par les communes de
programmes spécifiques en vue d’un développement durable dans leur domaine de compétence »
et qu’il appuie les projets de la société civile en soutenant et encourageant « la réalisation de
projets spécifiques en vue d’un développement durable par des personnes physiques ou
morales »32. L’Agenda communal propose lui aussi toute une série d’instruments : « A côté de
simples groupes de travail, de nouveaux instruments de démocratie participative ont été
développés et mis en oeuvre ces dernières années qui visent à réunir un panel représentatif de la
population et le faire discuter sur un ou plusieurs sujets la touchant de près ou susceptibles de la
toucher »33. Par exemple « les ateliers de scénarios » réunissant citoyens, associations,
représentants du secteur privé, experts techniques, et décideurs locaux, afin d’élaborer une vision
commune. Ou encore « les publiforums » ou conférences de consensus, dans lesquels des experts
présélectionnés – une quinzaine de citoyens représentatifs des différentes couches de la
population – énoncent leurs recommandations dans un rapport. 29 « Agenda 21 du canton de Genève, de l’idée à l’action », édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 30 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 31 Développement durable, « Les PME passent à l’action », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2005 32 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001 33 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002
34
Le guide de l’Agenda 21 aux PME fait largement référence à la participation des
collaborateurs de l’entreprise et propose une fiche thématique sur ce sujet. Selon le guide, « la
participation des employés aux résultats – par participation aux bénéfices ou association aux
processus de décision – permet de tirer le meilleur parti de leurs savoirs et talents »34. La fiche
thématique recommande : « Impliquez tout votre personnel .Votre projet est l’affaire de tous. Il
doit créer une dynamique participative et refléter les préoccupations de l’ensemble des employés.
[…] Incitez votre personnel à s’impliquer dans le choix des actions et leur application. Tous les
collaborateurs et collaboratrices doivent être tenus informés des progrès réalisés. Encouragez-les
à donner leur avis et à proposer des améliorations, […] »35, tout en donnant quelques exemples
concrets sur comment organiser concrètement une participation. La fiche mentionne également
les notions de « suivi », « bilan », « évaluation », « dialogue » avec les collaborateurs dans le
processus de mise en œuvre des critères du développement durable.
Une nouvelle fois, la charte de l’ESS présente plusieurs points communs avec l’Agenda
21. Elle exprime cependant une vision de la participation plus large, plus fondamentale, remettant
en cause la nature même des structures décisionnelles au sein des entreprises. L’article 2 intitulé
« Citoyenneté et démocratie participative » repose sur le principe selon lequel : chacun a une voix
qui compte. La charte prévoit que les membres qui la signent respectent le principe que « les
acteurs et actrices de l’ESS participent de manière libre, égalitaire et responsable à la construction
d’une société assurant le développement des personnes et l’intérêt collectif » et qu’ils
« appliquent la démocratie participative en favorisant le partage de l’information, des
responsabilités, de la prise de décision et la reconnaissance du rôle de chacun »36. Toute
organisation qui signe la charte s’engage à respecter la démocratie en appliquant les principes
suivants : « rechercher l'égalité : une personne a une voix ; favoriser une structure horizontale ;
s'assurer que pour chaque activité ou projet les parties plus ou moins directement concernées (des
collaborateurs, aux usagers, bénéficiaires, clients, jusqu’aux fournisseurs, voire dans certains cas
les groupes de citoyens et politiques etc.) sont consultées et que leurs positions sont prises en
34 Développement durable, « Les PME passent à l’action », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2005 35 Fiche n°6, disponible sur http://www.geneve.ch/agenda21/pme/doc/pdf_classeur_entier.pdf 36 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf
35
compte dans la mise en œuvre de ces actions ; consulter ses collaborateurs dans le choix et le
renouvellement de ses responsables ; encourager tout moyen d’expression ouverte et favoriser
l'identification et la résolution en commun des tensions et conflits internes ; privilégier la création
de liens et mutualiser nos moyens, notamment par le travail en équipe et en réseau, l'information
et la sensibilisation (au sein de l'entreprise ESS et à l'extérieur) ; connaître et reconnaître au
quotidien les différences, les points de convergence et la multiculturalité »37. De plus, les bonnes
pratiques de l’ESS donnent un certain nombre de conseils pour mettre en application une
structure participative.
b) La lutte contre l’exclusion : autre élément de cette dimension sociale que l’on
retrouve tant dans l’Agenda 21 que dans la charte de l’ESS : la lutte contre l’exclusion du marché
du travail. L’article 13 de la loi genevoise sur le développement durable prévoit : « l’Etat met en
place des actions transversales entre politique de l’emploi, politique de la formation et politique
sociale en vue de prévenir l’exclusion du marché du travail due à l’inadéquation des compétences
professionnelles ou sociales des personnes, ou à des conditions-cadre ne prenant pas en compte
les besoins de populations rencontrant des difficultés particulières d’insertion »38. Pour l’ESS, qui
résume cette disposition dans sa charte par « intégrer des personnes en rupture ou difficulté
professionnelle »39, la réinsertion est si importante que les autorités et la population croient même
parfois à tort que l’ESS est une « économie de la réinsertion socio-professionnelle », autrement
dit une économie palliative. Nous reviendrons sur cette question notamment dans la partie 2.4.1
qui indique les distinctions entre Agenda 21 et Charte de l’ESS. Le plan d’action des communes
explique que « la commune peut, en amont de tout projet, porter une attention particulière aux
besoins des personnes ou groupes de personnes vulnérables afin de les aider à trouver leur place
au sein de la société »40. Enfin, une fiche thématique entière de l’Agenda 21 des PME est
37 Ibidem 38 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001 39 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 40 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002
36
consacrée à l’intégration de tous les acteurs (handicapés, jeunes,…) et l’égalité des chances entre
hommes et femmes, handicapés, migrants41.
c) L’information et la formation, et la contribution au capital social : l’application
des principes du développement durable sera beaucoup plus efficace si elle s’accompagne, en
plus d’un processus participatif, d’une démarche d’information et de formation des individus à
ses principes, ce qui a une incidence certaine sur leur capital social. L’article 11A de la loi sur
l’Agenda 21 demande que « l’Etat contribue à l’information et à la formation de la société civile
dans l’optique d’une intégration des principes du développement durable au quotidien »42.
L’information à la population et les formations au sein des entreprises et collectivités publiques
doivent être accompagnées d’une démarche éducative. Dans ce sens, l’Agenda 21 des communes
mentionne également le rôle qu’ont à jouer celles-ci dans l’éducation autour des questions du
développement durable, notamment par le biais de l’école. Et pour réaliser cette éducation au
développement durable, l’article 11 de la loi sur l’Agenda 21 prévoit aussi que « l’Etat intègre
progressivement la perspective d’un développement durable dans la formation des
enseignants »43. Le guide destiné aux PME contient lui aussi des fiches thématiques contenant
des recommandations sur l’information, la formation au développement durable, ainsi que la
communication interne et externe sur ce sujet. Une de ces fiches44 mentionne que dans le futur, il
y a des fortes chances que les « entreprises gagnantes » soient celles qui « respectent leur capital
social et leurs responsabilités envers la société : en offrant à l’ensemble du personnel un cadre de
travail motivant, des possibilités de développement (formation, plan de carrière, participation aux
décisions) et des conditions équitables et susceptibles de favoriser la diversité culturelle ; en
s’impliquant dans leur communauté pour améliorer la qualité de vie ».
Pour ce qui est de la charte de l’ESS, on retrouve la perspective de l’engagement
citoyen ou de la citoyenneté, comme devoir des membres adhérents : « S’informer et sensibiliser
aux problématiques d’équité et de justice sociale ». Ceci, implique de « faire connaître et
41 Développement durable, « Les PME passent à l’action », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2005 42 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001 43 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001 44 Fiche n°3, disponible sur http://www.geneve.ch/agenda21/pme/doc/pdf_classeur_entier.pdf
37
promouvoir l'ESS » ; « distribuer et faire connaître la Charte au sein de son organisation
d’ESS »45. Sur le plan du capital social, la charte parle de « valoriser les compétences et faciliter
la formation continue »46. La formation continue des collaborateurs est un élément souvent
fondamental des organisations de l’ESS : elle constitue régulièrement un poste assez important de
dépenses dans le budget et représente une des manières de redistribuer les excédents des activités
de sorte à ce que tous puissent en bénéficier, non seulement sur le moment, mais pour de futurs
engagements. De plus, tout acteur ou actrice de l’ESS s’engage, pour ses collaborateurs, à « offrir
un emploi stable et/ou évolutif aux employés » ; « valoriser les compétences et faciliter la
formation continue » ; « privilégier la création de liens et mutualiser nos moyens, notamment par
le travail en équipe et en réseau, l'information et la sensibilisation (au sein de l'entreprise ESS et à
l'extérieur) »47.
Le capital social, c’est aussi la mise en avant des « savoirs immatériels », selon
l’expression de la Charte de l’ESS : selon celle-ci, il faut « soutenir les activités culturelles,
éducatives et artistiques, dans le respect des dimensions immatérielles nécessaires aux personnes
et à la société »48. Un principe de l’ESS est « être plutôt qu’avoir » : les acteurs et actrices de
l’ESS visent à « construire une économie qui affirme la primauté de la personne sur le capital. Ils
reconnaissent l’importance de dimensions immatérielles (esthétiques, émotionnelles, spirituelles,
etc.) nécessaires au fonctionnement de la société et à l’épanouissement de ses membres »49.
L’Agenda communal retient également sur l’aspect culturel : « En plus d’être un trait
d’union posé entre les différentes nationalités, la culture permet à chacun de se construire
intérieurement et de se forger une identité pour s’affirmer face au monde extérieur. En ce sens,
elle renforce non seulement la personne, mais l’ensemble de la communauté et répond à
45 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 46 Ibidem 47 Ibidem 48 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 49 Ibidem
38
l’exigence du développement durable qui vise à rendre cohérents les intérêts collectifs et
individuels »50.
d) Conditions de travail et responsabilité sociale : le code de conduite destiné aux
PME ainsi que la Charte de l’ESS et certaines « bonnes pratiques » qui la complètent contiennent
différents engagements sociaux sur les conditions de travail et la place de l’être humain. Le code
de conduite des entreprises et la charte de l’ESS s’inspirent de normes ou recommandations déjà
énoncées par différents organismes (Global Compact de l’ONU, OIT, OCDE, ONGs comme la
Coalition for Environmentally Responsible Economies (CERES), Code suisse des bonnes
pratiques d’Economie Suisse, etc.). Il faut tenir compte du fait que ces codes ne reposent que sur
l’accord volontaire des entreprises. Ces règles universelles disposent par exemple que : « Il n’y a
aucune discrimination ; l’exploitation du travail des enfants est interdite ; les droits de libre
association et de négociation collective sont respectés ; les salaires sont suffisants ; le temps de
travail n’est pas excessif ; es conditions de travail sont décentes (hygiène, santé, etc.) ;
l’entreprise s’engage à accepter le contrôle du code par une institution indépendante en laquelle
les travailleurs et travailleuses ont confiance »51, etc.
La fiche n°11 du guide des PME concerne la « Gestion du capital humain et conditions
de travail » et comporte notamment les principes suivants : « le partage avec le personnel de la
richesse/valeur créée par/dans l’entreprise s’appuie sur : […] des conditions de travail favorisant
un recrutement de qualité, motivation des employés et la performance de l’entreprise ; des
possibilités de formation permettant d’améliorer les compétences, le savoir-faire et l’adaptation
technologique ; une politique de rémunération équitable et transparente ; la participation des
employés aux résultats – par participation aux bénéfices ou association aux processus de décision
– ce qui permet de tirer le meilleur parti de leurs savoirs et talents »52.
50 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 51 Normes issues de l’OIT et du Global Compact de l’ONU, mentionnées dans le guide de l’Agenda 21 aux PME : http://www.geneve.ch/agenda21/pme/doc/pdf_fiche09-10.pdf 52 Fiche n°11, disponible sur http://www.geneve.ch/agenda21/pme/doc/pdf_classeur_entier.pdf
39
Pour les PME à but lucratif, le développement durable est fréquemment traduit par la
formule « responsabilité sociale des entreprises ». Ce qui implique que les entreprises
n’appliquent pas seulement la maximisation du profit, mais également d’autres critères sociaux et
environnementaux dans leurs décisions et stratégies. La fiche n°7 du guide de l’Agenda 21 aux
PME s’intitule « Responsabilité sociale ou sociétale » et soulève les démarches qui peuvent
déboucher sur une « citoyenneté d’entreprise et éthique des affaires » et « orienter l’entreprise
vers la mise en oeuvre du développement durable »53. Concrètement, les PME peuvent par
exemple se soumettre à des normes et des certifications sociales ou environnementales (normes
ISO, labels,…) ou décider d’orienter leurs placements vers des investissements socialement et
écologiquement responsables.
Au niveau de l’ESS, la Charte donne des éléments plus généraux sur la responsabilité
sociale, notamment pour les conditions de travail. En réalité, elle offre un cadre de valeurs plus
souple et plus soumis à interprétation qu’un code de conduite rigide, tout en mentionnant des
principes forts avec lesquels on ne peut transiger. La libre adhésion se base sur les valeurs et offre
ainsi une garantie que les principes sont respectés, avec plus ou moins d’attention selon les
organisations. La responsabilité sociale ne devrait donc pas être simplement un « plus » ou un
atout, quelque chose qu’on s’impose pour faire mieux, mais une disposition inhérente à notre
fonctionnement. Les règles de l’Organisation internationale du travail (OIT) sont donc induites
par ces valeurs et même plutôt minimalistes. Par ailleurs, si la Charte ne rentre pas dans le détail,
les bonnes pratiques mutualisées font office de code de conduite spontané qui ressemblent en de
nombreux points à ce que les Agendas 21 proposent. Selon la Charte, le « respect du travail »
implique notamment de : « promouvoir une ambiance et des conditions de travail favorables à
l’épanouissement des personnes ; veiller à la transparence, notamment de l'information, des
finances ; rendre publique la rémunération des collaborateurs et veiller à limiter l’écart de
l’échelle de salaire ; offrir un emploi stable et/ou évolutif aux employés »54, etc.
De manière plus générale, on peut encore mentionner quelques principes intéressants de
la Charte de l’ESS : « définir, protéger et développer l'utilité sociale de ses activités et s'écarter de
53 Fiche n°7, disponible sur http://www.geneve.ch/agenda21/pme/doc/pdf_classeur_entier.pdf 54 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf
40
toute organisation qui contribue à la violence, à la destruction et à diverses formes
d'asservissement »55. Le développement de l’utilité sociale pouvant être pour une organisation de
l’ESS ce que la responsabilité sociale en vue de mettre en œuvre un développement durable
pourrait être pour une entreprise classique. « Développer des relations économiques avec des
filières de production qui offrent des conditions de travail et de rémunération équitables »56 est
une forme de responsabilité sociale. Enfin, principe plus contraignant, s’apparentant davantage à
un code de conduite : « Poursuivre un but non lucratif ou à lucrativité limitée. Les éventuels
profits sont prioritairement réinvestis pour promouvoir le but social de l’activité »57. La
responsabilité sociale peut aussi, enfin, se traduire par l’intégration des « personnes en rupture ou
difficulté professionnelle ».
e) La solidarité avec les pays en voie de développement : le développement durable
doit pouvoir répondre aux besoins sociaux, en particulier des plus démunis, y compris dans une
logique de coopération internationale. Le plan du Sommet de la Terre de Johannesburg défini de
manière concrète comment éradiquer la pauvreté : lutte contre la faim, accès à l’eau, aux soins
élémentaires, à l’éducation etc. Les notions de solidarité et de coopération sont présentes tant
dans la charte de l’ESS que dans l’Agenda 21. L’article 15 de la loi genevoise sur l’Agenda 21
prévoit que « l’Etat maintient son action en faveur de la coopération internationale au
développement et contribue à l’information en vue d’un meilleur équilibre du développement »58.
De plus, il existe une loi spécifique, la loi sur le financement de la solidarité internationale (D 1
06). L’agenda 21 des communes propose lui aussi des mesures concrètes : « les communes
peuvent être actrices d'une meilleure répartition des ressources et d'une économie plus équilibrée
et plus juste en participant à un projet, en achetant des produits issus du commerce équitable, en
informant ses habitants ou en soutenant financièrement l’action d’une organisation de
coopération »59.
55 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 56 Ibidem 57 Ibidem 58 Loi sur l’action publique en vue d’un développement durable 134 (Agenda 21) (A260) du 23 mars 2001 59 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002
41
Du côté de la Charte de l’ESS, la « solidarité » apparaît comme un des principes
fondamentaux : Solidarité 1 + 1 > 2 : « Les acteurs et actrices de l’ESS privilégient la recherche
de l’intérêt collectif sur le seul profit individuel. Ils valorisent la création de lien social
d’interdépendance au plan local, régional et international »60. Le fait de privilégier les filières
économiques équitables (notamment dans le commerce équitable), de favoriser la réinsertion de
personnes en difficulté socioprofessionnelle sont des principes déjà mentionnés qui expriment
cette notion de solidarité essentielle à l’ESS. Dans la pratique, la coopération Nord-Sud, la
réduction des disparités salariales, la mise à disposition de services sociaux bon marché voire
gratuits pour les populations fragilisées, les mutuelles, etc, sont des activités solidaires très
courantes de l’ESS.
2.1.5 Tableau récapitulatif des similitudes sur le plan social (p.41 et 42)
Charte ESS Agenda 21 Equité - développer des relations économiques avec des
filières de production qui offrent des conditions de travail et de rémunération équitables - Limiter au maximum les écarts salariaux - économie qui accorde la primauté de la personne sur le capital - S’informer et sensibiliser aux problématiques d’équité et de justice sociale
- accès pour tous à l'emploi, à l'éducation, aux soins médicaux et aux services sociaux, à un logement de qualité, ainsi que par le respect des droits et des libertés de la personne, et par la participation des différents groupes de la société aux processus de prise de décision - assurer à chaque personne de l’entreprise des conditions de travail équitables, un cadre motivant ainsi que des possibilités d’évolution (Agenda des PME)
(Ré)insertion / lutte contre l’exclusion
- intégrer des personnes en rupture ou difficulté professionnelle - connaître et reconnaître au quotidien les différences, les points de convergence et la multiculturalité
- prévenir l’exclusion du marché du travail due à l’inadéquation des compétences professionnelles ou sociales des personnes - porter une attention particulière aux besoins des personnes ou groupes de personnes vulnérables afin de les aider à trouver leur place au sein de la société - intégration de tous les acteurs (handicapés, jeunes,…) et l’égalité des chances entre hommes et femmes, handicapés,…
Capital social - S’informer et sensibiliser aux problématiques d’équité et de justice sociale / faire connaître et promouvoir l'ESS / distribuer et faire connaître la Charte au sein de son organisation d’ESS. - Valoriser les compétences et faciliter la formation continue. - Offrir un emploi stable et/ou évolutif aux employés ; valoriser les compétences et faciliter la formation continue - soutenir les activités culturelles, éducatives et artistiques, dans le respect des dimensions immatérielles nécessaires aux personnes et à la société. « Etre plutôt qu’avoir » : construire une économie qui affirme la primauté de la personne sur le capital.
- contribution de l’Etat à l’information et à la formation de la société civile dans l’optique d’une intégration des principes du développement durable au quotidien - formation des enseignants et éducation au principes du développement durable (écoles) - (Pour les PME) : offrir à l’ensemble du personnel un cadre de travail motivant, des possibilités de développement (formation, plan de carrière, participation aux décisions) et des conditions équitables et susceptibles de favoriser la diversité culturelle […] - « La culture permet à chacun de se construire intérieurement et de se forger une identité pour s’affirmer face au monde extérieur. Elle est un trait d’union entre les différentes nationalités. Elle renforce non seulement la personne, mais l’ensemble de la communauté ; elle rend
60 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf
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cohérents les intérêts collectifs et individuels. » Conditions de travail
- Normes internationales complétées de « bonnes pratiques » plus exigeantes. -Ppromouvoir une ambiance et des conditions de travail favorables à l’épanouissement des personnes - Libre adhésion à des principes et valeurs forts. - Respect du travail : veiller à la transparence, notamment de l'information, des finances ; rendre publique la rémunération des collaborateurs et veiller à limiter l’écart de l’échelle de salaire ; offrir un emploi stable et/ou évolutif aux employés », etc. - définir, protéger et développer l'utilité sociale de ses activités et s'écarter de toute organisation qui contribue à la violence, à la destruction et à diverses formes d'asservissement. - Développer des relations économiques avec des filières de production qui offrent des conditions de travail et de rémunération équitables.
- Normes internationales (OIT,…) - (PME) Conditions de travail favorisant un recrutement de qualité, motivation des employés et la performance de l’entreprise ; des possibilités de formation permettant d’améliorer les compétences, le savoir-faire et l’adaptation technologique ; une politique de rémunération équitable et transparente ; la participation des employés aux résultats - (PME) Responsabilité sociale des entreprises. Citoyenneté d’entreprise et éthique des affaires : normes et certifications sociales ou environnementales (normes ISO, labels) / placements socialement et écologiquement responsables.
Participation - Citoyenneté et démocratie participative: chacun a une voix qui compte. - Les acteurs de l’ESS participent de manière libre, égalitaire et responsable à la construction d’une société assurant le développement des personnes et l’intérêt collectif / appliquent la démocratie participative en favorisant le partage de l’information, des responsabilités, de la prise de décision et la reconnaissance du rôle de chacun. - égalité : une personne a une voix ; structure horizontale. - collaborateurs consultés / doivent se sentir impliqués : leurs positions sont prises en compte dans les décisions. - connaître et reconnaître au quotidien les différences, les points de convergence et la multiculturalité
- L’Etat appuie les projets de la société civile en soutenant et encourageant « la réalisation de projets spécifiques en vue d’un développement durable par des personnes physiques ou morales » - Implication des communes et des citoyens par le biais de groupes de travail - Identification d’instruments de démocratie participative - (PME) participation des employés aux bénéfices ou association aux processus de décision / les tenir informés - (PME) inciter le personnel à s’impliquer dans le choix des actions et leur application. Informer les collaborateurs des progrès réalisés. Les encourager à donner leur avis et à proposer des améliorations. - Processus de suivi, évaluations et dialogue avec les collaborateurs
Solidarité - Coopération au développement et coopération Nord-Sud - Privilégier les filières économiques équitables (Commerce équitable notamment) - Activités solidaires : mise à disposition de services sociaux bon marché voire gratuits pour les populations fragilisées ; réinsertion socio-professionnelle - Réduction des disparités salariales - valoriser la création de lien social d’interdépendance au plan local, régional et international
- Coopération au développement - Agir pour une meilleure répartition des ressources et d'une économie plus équilibrée - Commerce équitable, financement d’organisations de coopération
43
2.2 Quel est l’apport de l’ESS par rapport aux mesures de l’Agenda 21 ?
2.2.1 Les aspects qui distinguent l’ESS de l’Agenda 21
Nous avons vu que les fondements de l’Agenda 21 et de la Charte de l’ESS
comportaient beaucoup de similitudes. Sous réserves des questions de croissance et de profit,
aspects que nous allons aborder dans ce sous chapitre, il y a peu d’éléments qui entrent en
contradiction ; il s’agit davantage de distinctions.
Une des premières distinction essentielle réside dans le fait que le développement
durable tel qu’il est définit dans l’Agenda 21 et les textes y relatifs et tel qu’il est conçu par nos
autorités politiques est plus centré sur les aspects écologiques. D’une part sur le plan théorique,
car il y a moins de recommandations d’action sur le plan social, d’autre part, et surtout, sur la
mise en œuvre concrète. Pour plusieurs raisons, un consensus politiques large s’est construit
autour de la nécessité de préserver notre environnement et c’est souvent ce qui ressort le plus
fortement des principes du développement durable lorsqu’on passe à l’action. La première
explication réside dans le fait que le développement durable est un concept (découlant sur une
série de mesures) qui est né sous l’impulsion des environnementalistes. Ce sont eux qui ont été
les premiers grand acteurs, en mettant en évidence les problèmes écologiques de la planète et, de
ce fait, l’importance de se développer durablement, en tenant compte des limites de notre système
naturel. L’économie sociale et solidaire, elle, est née de mouvements sociaux (socialisme, charité
des églises), et n’a intégré la dimension écologique que très récemment.
D’autres raisons expliquent cette prédominance de la dimension écologiste : urgence
d’agir pour préserver l’environnement, gestes simples, plus grande facilité à exprimer le rapport
de l’homme à la nature que de l’homme avec ses pairs, question sociale plus complexe et plus
politique, sont quelques facteurs qui pourraient expliquer ce déséquilibre. Pour illustrer notre
propos, nous pouvons donner l’exemple des classes d’écoles, qui vont la plupart du temps
expliquer ce qu’est le développement durable en faisant une action de recyclage plutôt que de
réfléchir sur des pratiques sociales durables moins évidentes à cerner et à mettre en oeuvre. De
44
même, il est évident que le geste de recycler du papier à l’Etat est plus simple à effectuer que la
mise en place d’une structure participative et une réinsertion socioprofessionnelle de chômeurs. Il
y a donc une question de facilité : on veut bien faire des efforts, mais commençons par les plus
accessibles, sans forcément devoir aller jusqu’à remettre en cause certains usages ancrés dans nos
relations sociales et conditions de travail.
Comme l’indique son nom, la démarche de l’économie sociale est différente : nous
l’avons vu, elle puise son origine dans des luttes sociales de l’époque, liées à des formes de
précarités ouvrières notamment. L’économie sociale a donc comme objectif primaire de répondre
à certaines formes d’inégalités, de changer les rapports de force dans les modes de production, de
mieux répartir les bénéfices. L’écologie, au début, n’est pas une préoccupation. Ce n’est qu’au
20ème siècle, très tard, et plus particulièrement dans les années 1990, que l’« élément vert » va
faire son apparition aux côtés de la dimension sociale. Désormais, la composant écologique a
peut-être presque tout autant d’importance. Mais la grande différence, c’est le fait que les valeurs
sociales ont fait partie d’un processus de construction et représentent même la nature la plus
profonde de l’économie sociale. L’attention portée à l’environnement s’y est greffée, même si
l’interdépendance des dimensions sociales et environnementales est aujourd’hui reconnue comme
une condition sine qua non de l’harmonie entre ces sphères. Nous y reviendrons dans le sous-
chapitre suivant, l’économie sociale a cette plus-value par rapport à l’approche du développement
durable exprimée par l’Agenda 21 car elle met tout autant en oeuvre les valeurs sociales
qu’écologiques pour les intégrer dans une vision élargie de l’économie. Le volet solidarité peut
être ajouté à cela, même si on peut considérer qu’il fait partie intégrante de la dimension sociale.
Deuxième distinction essentielle : pour un certain nombre de principes, l’ESS adopte
une vision plus normative, plus engagée, même si l’Agenda 21 exprime également un certain
militantisme : elle va parfois plus loin dans l’expression de ces valeurs. C’est le cas, on l’a vu, de
la mise en œuvre des processus participatifs. C’est aussi vrai pour ce qui est de la promotion des
valeurs propres à l’ESS (et qui se trouvent également souvent être aussi celles du développement
durable). L’Agenda 21 est une action concertée des différents acteurs institutionnels et
gouvernementaux (Etats et communes), une planification d’objectifs à atteindre partant du
constat que le comportement humain, dans sa relation avec la nature, n’est pas durable. Ces
45
nouvelles règles du jeu, sont peut-être davantage perçues comme des normes qui viennent de
l’extérieur, élaborées par des acteurs politiques, et que les entreprises et collectivités publiques se
voient plus ou moins contraintes de mettre en œuvre (même si elles ont tout avantage à le faire, y
compris du point de vue économique, et que cette vision de concessions évolue clairement vers
une conviction que cela ne crée en fait que de nouvelles opportunités). L’ESS, elle, se fonde sur
des initiatives spontanées, autonomes, indépendantes, non gouvernementales. Ses valeurs et ses
règles sont endogènes, elles forment l’architecture de toute organisation qui en fait partie. Dans la
même idée, le développement durable vu par les collectivités implique la construction
d’indicateurs avec une évaluation institutionnelle qui peut être considérée comme policière,
normative, obstructionniste. L’ESS, même si elle dispose aussi de tels outils d’évaluation, se
fonde davantage sur des idéaux vers lesquels tendre et une auto-évaluation des entreprises qui
partagent ses principes.
Troisième distinction fondamentale : l’ESS est une sphère complémentaire à l’économie
de marché et à l’économie publique, dont les principes s’appliquent à un secteur spécifique (le
Tiers secteur) en principe relativement délimité, même si certaines entreprises marchandes
rentrent dans certains cas de facto dans le champs de l’économie sociale. L’Agenda 21 propose,
lui, une série d’actions pour tous les secteurs économiques, y compris l’ESS, et a donc une
caractéristique plus transversale. L’ESS revendique sa place dans l’économie, comme étant un
secteur économique à part entière et complémentaire au marché. Le comité d’APRES précise que
« le marché dit « complémentaire » de l’emploi (adapté aux demandeurs d'emploi qui ne peuvent,
à court terme ou durablement, s'adapter au marché de l'emploi principal) se définit en fonction
des segments de l’offre d’emploi (les demandeurs d'emplois) et non de la nature économique des
activités conduites. Ainsi, l'économie sociale et solidaire existe sur le marché dit « primaire » de
l'emploi comme sur le marché dit « complémentaire »61. La Chambre de l’ESS remet en cause la
caractéristique qu’on lui attribue fréquemment, à savoir celle d’une économie « palliative »
destinée uniquement aux personnes fragilisées ou d’une économie secondaire du marché de
l’emploi. Stanislas Zuin, ancien membre du comité d’APRES explique que la représentation de
l’ESS est souvent « celle d’un secteur économique pertinent avant tout pour les personnes
61 Analyse sur la nouvelle loi sur le chômage du canton de Genève, APRES, 2007 : http://www.apres-ge.ch/images/stories/analyse_aprs_loi_chmage_-_def.pdf
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marginalisées et exclues du marché principal de l’emploi. Au delà de cette économie palliative et
réparatrice, la spécificité principale de l’ESS n’est-elle pas principalement sa capacité à
« entreprendre autrement » et à agir à la source des mécanismes d’exclusion ? »62. Pour l’Etat, les
emplois de solidarités sur le marché complémentaire de l’emploi sont une mesure pour
« (re)devenir actif et de recouvrer les compétences professionnelles et sociales indispensables au
retour sur le marché principal de l'emploi »63. Même si « principal » ne signifie pas forcément
« primaire », cela indique néanmoins que l’ESS est avant tout, dans ce cadre, un secteur de
transition. L’ESS, de son côté, ne nie par le rôle fondamental qu’elle peut jouer sur le plan de la
réinsertion, mais souhaiterait qu’elle ne soit pas reléguée à cette seule fonction et qu’elle ne soit
pas non plus considérée comme un secteur utile de façon temporaire. Pourquoi l’ESS ne pourrait-
elle pas constituer, dans certains cas, la destination finale des emplois de réinsertion ? Par
ailleurs, en dehors de personnes en fin de droits de chômage, une partie de la population préfère
travailler dans le secteur à but non-lucratif et y rester.
En allant plus dans le concret, voyons maintenant deux critères qui distinguent
fondamentalement l’ESS et l’Agenda 21 :
Rappelons que le principe central de l’ESS est de « poursuivre un but non lucratif ou à
lucrativité limitée »64. Rappelons également que ce principe est un moyen pour parvenir à un but
social et non une finalité en soi. Cela signifie que certaines entreprises faisant a priori partie du
secteur marchand ou para-public (forme juridique) appliquent volontairement ou non une forme
de non-lucrativité qui leur permettrait d’être qualifiées comment faisant partie de l’économie
sociale. On trouve ainsi quelques entreprises de l’économie sociale dans tous les secteurs
économiques, y compris sur le marché dit « primaire » de l’emploi.
62 Centre d’études socialistes (CES), Repère social N° 74, mars 2006, en ligne sur http://www.ce-socialistes.ch/Archives/Stanislas%20Zuin%2025.01.07.htm 63 Site de l’office cantonal de l’emlpoi (OCE) : http://www.geneve.ch/emploi/demandeur/fin_droit_eds.asp?menu=cantonale&id=181 64 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf
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La non-lucrativité implique que « les éventuels profits sont prioritairement réinvestis
pour promouvoir le but social de l’activité »65. Ce principe constitue une des seules conditions
sine qua non pour pouvoir devenir membre de la Chambre de l’ESS genevoise. C’est
certainement sur ce point qui constitue la plue grande nuance entre l’Agenda 21 et la Charte. En
effet, un bon nombre de valeurs et de garde-fous indirects propres aux acteurs de l’économie
sociale reposent sur la non-lucrativité. La primauté des objectifs sociaux et environnementaux, de
l’utilité sociale, de la solidarité dépend, en bonne partie, de ce prérequis. Tout comme les règles
de redistribution qui permettent justement de mettre en œuvre ces objectifs idéaux, non fondés
sur le profit. Bien sûr, il existe des entreprises (SA et SARL), qui accordent la primauté à
l’humain et l’environnement. Bien sûr, beaucoup de PME ne pratiquent de fait pas la
maximisation du profit, mais une activité économique qui permet simplement de rétribuer
correctement et équitablement une petite équipes de collaborateurs tout en portant une attention
aux critères du développement durable. Ces entreprises pourraient faire partie de l’ESS, rentrer
dans son champ. Par contre, l’Agenda 21 se destine, pour une grande partie, à des entreprises qui
pratiquent la maximisation du profit. Les objectifs sociaux et écologiques, qu’ils soient
volontaires ou contraints, passent dans la majorité des cas au second plan : il ne sont pas
inhérents au fonctionnement de l’entreprise, dont la nature fait qu’elle est poussée à optimiser son
rendement. Tout le débat, alors, réside dans cette question : peut-on véritablement mener un
développement durable de manière intensive, respectant des objectifs très ambitieux (quotas
d’émission de CO2 par exemple), en continuant de fonctionner sur le principe de maximisation
du profit ? Dans l’autre sens, la non-lucrativité ou lucrativité limitée sont-ils des principes
pouvant répondre aux exigences d’un véritable développement durable ? Il est certain en tous les
cas, qu’il est actuellement impossible de répondre scientifiquement à ces questions et que nous
nous heurtons à un dilemme fortement idéologique : « l’illusion d’une croissance durable face à
l’illusion d’une décroissance socialement acceptable »66.
Le second élément va dans la continuité de ce que nous venons d’exprimer et concerne
le concept d’efficacité économique. L’Agenda 21 destiné aux PME dit ceci : « Améliorer
l'efficacité économique : favoriser une gestion optimale des ressources humaines, naturelles et 65 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 66 Citation de Christophe Dunand, juré de ce mémoire et président de la chambre de l’ESS Genevoise, tirée d’un entretien lors du suivi de mon mémoire.
48
financières, afin de permettre la satisfaction des besoins des communautés humaines. Ceci, par la
responsabilisation des entreprises et des consommateurs au regard des biens et des services qu'ils
produisent et consomment ainsi que par l'adoption de politiques gouvernementales appropriées
(principe du pollueur/utilisateur-payeur, internalisation des coûts environnementaux et sociaux,
éco-fiscalité, etc.) »67. De son côté, l’Agenda 21 des communes parle d’une « économie plus
efficiente; l’efficience étant ici définie comme la résultante du coût et de l’efficacité »68. Ces
définitions, de toute évidence, laissent entendre que des entreprises capitalistiques n’ont pas de
contre-indications particulières à être efficaces, voire efficientes du point de vue des critères du
développement durable. Dans les représentations qui prévalent aujourd’hui dans les sociétés
d’économie de marché, on considère même très souvent qu’elles sont mêmes les mieux dotées
pour répondre à cette efficacité. En tous les cas, elles sont majoritaires sur le marché et de ce fait
il est inévitable que l’efficacité économique passe par elles. Elément qui n’est pas vraiment
abordé dans l’Agenda 21, une des questions les plus délicates et controversées est de savoir ce
que signifient efficacité et efficience. Une association qui fournit des services sociaux gratuits
grâce à des subventions est-elle efficace ? Une entreprise qui réalise des bénéfices importants et
pollue peu mais qui n’a pas de politique d’emploi sociale est-elle efficace ? Et surtout, l’efficacité
implique-t-elle la croissance ? « L'économie mondiale doit répondre aux besoins et aux
aspirations des peuples, mais la croissance est tributaire des limites écologiques de la planète »,
écrit la Commission mondiale sur l'environnement et le développement dans le Rapport
Brundtland69. Cette phrase peut être interprétée de deux manières : soit nous avons atteint nos
limites et la croissance est inconciliable avec un développement durable, les progrès
technologiques ne parvenant pas à résoudre les problèmes environnementaux ; soit nous pouvons
continuer à croître mais en tenant compte de notre impact sur l’environnement, en adoptant une
politique volontariste pour maîtriser la pollution, et en comptant sur les progrès techniques pour
compenser l’augmentation des externalités (Bürgenmeier, 2005). Sans apporter des éléments de
67 Développement durable, « Les PME passent à l’action », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2005 68 « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 69 Rapport Brundtland « Notre avenir à tous », Ed. du Fleuve, Montréal, 1988, in « Guide pratique de l’agenda 21 communal », 2002
49
réponse ici, on décèle une controverse fondamentale entre un développement durable qui prend la
forme d’une responsabilité sociale des entreprises, continuant à croître, ou un développement
durable qui se fonde sur une réduction significative de la production, exigeant, par exemple, la
non-lucrativité comme principe de base ou encore la transformation de notre modus vivendi. La
Charte de l’ESS vise à « appliquer à la sobriété et la simplicité volontaire, pour diminuer
l’empreinte écologique et pouvoir redistribuer »70. Sans interdire formellement l’idée de
croissance, elle ouvre les portes à de nouveaux comportements, inconciliables avec notre rythme
de vie actuel.
Si les principes de l’Agenda 21 donnent des instruments pour réduire les impacts de
l’économie de marché, voire en faire une économie tout à fait durable, ils n’ont pas comme
objectif avéré de mettre au jour de nouvelles formes d’économie, non basées sur la recherche du
profit. L’Agenda 21 aurait même plutôt comme but de pouvoir concilier le mode économique
actuellement dominant avec le respect de l’environnement et le bien être humain. L’ESS, par
contre, est un modèle économique en soi, qui fonctionne avec des règles différentes de
l’économie de marché, même si ces règles ont des similitudes avec les prescriptions de l’Agenda
21. Elle propose une nouvelle manière de fonctionner à l’intérieure de l’entreprise, de distribuer
et utiliser les ressources. Elle se détache des fonctionnements économiques liés à l’accumulation
de capital. En quelque sorte, elle met au point une économie qui diffère intrinsèquement du
capitalisme dans sa forme traditionnelle la plus stricte, proposant un nouveau « mode » de
production, réalisé, pour le moment, à petite échelle.
70 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf
50
2.2.2 Tableau récapitulatif des distinctions entre Agenda 21 et ESS ESS Agenda 21 Centré tout autant sur la dimension sociale qu’écologique. Dans la pratique, va plus loin dans la dimension sociale.
Centré avant tout sur la dimension environnementale. Reste plutôt vague sur la dimension sociale et peu d’exemples concrets.
- Emane de la société civile, de petits acteurs socio-économiques. - Vision normative, engagée. Peut être considéré comme un projet politique voire un projet de société
Action concertée d’acteurs institutionnels, Etats, gouvernements, reposant sur un monopole de légitimité et une acceptation plus ou moins générale qu’il est nécessaire d’agir pour un développement durable.
Actions guidées par des valeurs intrinsèques, endogènes au fonctionnement des organisations. Actions spontanées et « naturelles ». Les objectifs et buts sociaux/écologiques poursuivis sont la raison d’être, la priorité des organisations qui les accomplissent.
- Principes, normes et recommandations élaborées par les pouvoirs publics et répondant à une action planifiée : s’imposent ou sont fortement suggérées par des acteurs souvent extérieurs au marché / à l’économie publique. - Processus de régulations, d’application de normes qui n’est pas endogène, qui ne va pas de soi pour toutes entreprises ou collectivités. - Les principes du développement durable se greffent sur celui d’efficacité économique. Ils peuvent être secondaires.
Autoévaluation des acteurs. Mutualisation des bonnes pratiques et autocorrection plutôt que surveillance externe.
Evaluations et suivis effectués par les pouvoirs publics, les collectivités. Instances de contrôle, de suivi et garde-fous peuvent être requis.
Principe de non-lucrativité ou lucrativité limitée est une base (condition) de fonctionnement pour ses acteurs. Les critères sociaux et environnementaux occupent une place prédominante pour juger l’efficacité d’une action ou d’une entreprise
Les acteurs ne sont pas forcément à but non-lucratif, peuvent pratiquer la maximisation du profit. Les critères sociaux et environnementaux représentent plutôt un « plus » dans le calcul de l’efficacité, avant tout économique
Mise en avant de la simplicité volontaire, et d’une consommation responsable. Attention portée au dilemme de la croissance face aux limites socio-écologique de notre planète
La croissance n’est pas contradictoire avec le développement durable. Nous vivons dans un monde limite, ce qui impose une croissance qualitative et une meilleure efficience de l’économie
- Revendique une économie à part entière, au même niveau que les autres secteurs économiques. N’est pas une économie secondaire ou qui n’est faite que pour réinsérer des personnes en difficulté. - Est complémentaire à l’économie de marché capitaliste.
- Touche et s’applique à tous les secteurs de l’économie (public, marchand, ESS). A Genève, les pouvoirs publics considèrent pour l’instant l’ESS comme un « marché secondaire » de l’emploi. - S’intègre complètement dans la société marchande.
2.2.3 L’ESS exprime avec vigueur la dimension sociale du développement durable
Comment évaluer qualitativement (et avec quels indicateurs), sur le plan social, l’action
d’entreprises, d’organisations ou de collectivités publiques ? Quels sont les critères
d’appréciation de la justice sociale ou de l’équité sociale d’un point de vue universel ? Juger du
degré d’investissement sur le plan social et définir l’échelle des besoins sociaux revient
inévitablement à rentrer dans une analyse normative (Bürgenmeier, 2005). Tant sur le plan
51
théorique que pratique, il nous apparaît pourtant que l’ESS apporte sans aucun doute une
contribution importante à l’élargissement et l’approfondissement de la dimension sociale du
développement durable.
Partons sur la définition de Bürgenmeier (2005) et voyons ce qu’il considère comme la
dimension sociale du développement durable. Pour Bürgenmeier (2005), intégrer la dimension
sociale dans le raisonnement économique implique tout d’abord une justice distributive grâce à
une politique sociale opérant des transferts de revenus et des arrangements institutionnels de
l’économie sur le plan national et international. Ceci repose sur le fait que le « développement
durable fait explicitement référence au problème des inégalités entre nations et s’inscrit dans une
stratégie de développement et non dans celle de la croissance économique » (2005 : 213). De
plus, les aménagements institutionnels et la redistribution doivent être conçus dans un horizon
temporel long qui ne signifie pas seulement une cohésion sociale du présent, mais également un
souci des générations futures.
Avec l’idée des transferts de revenus et l’expression de la justice sociale, il nous semble
que la manière dont Bürgenmeier (2005) explicite ici la dimension sociale du développement
durable est déjà plus engagée que ce qui apparaît dans les textes de l’Agenda 21 que nous avons
analysés jusqu’à présent : ceci montre que, dans les principes du développement durable,
l’interprétation des notions d’équité ou de justice sociale peut différer de manière significative.
L’ESS, nous l’avons vu, repose sur une charte qui exprime des valeurs fortes et
s’engage nettement plus que l’Agenda 21 sur la thématique sociale. Cependant, pour la
discussion qui suit, c’est moins la dimension théorique – et la définition de ce qu’est l’équité
sociale – que la mise en œuvre concrète des aspects sociaux qui nous intéresse. En effet, l’ESS se
distingue principalement de l’Agenda 21 par les actions qu’elle réalise et qui expriment
concrètement la dimension sociale du développement durable.
52
Un des piliers de la Charte de l’ESS veut que « les éventuels profits sont prioritairement
réinvestis pour promouvoir le but social de l’activité »71. Au-delà du fait que c’est la notion de
but social qui est mentionnée – et non de but environnemental –, ce qui souligne sa
prédominance72, nous avons là la pierre angulaire du fonctionnement de l’économie sociale.
Même si des écarts ou des exceptions existent, les 200 membres de l’ESS genevoise, à titre
d’exemple, appliquent cette règle fondamentale au jour le jour : la conception de toutes leurs
activités repose sur ce principe. La préoccupation du bien être social, de l’intérêt commun, de
l’utilité sociale, à l’intérieur et en dehors de l’organisation, en est leur fondement et leur raison
d’être. Le bénéfice doit être utilisé pour améliorer la cohésion sociale, apporter une solidarité à
l’égard de ceux qui en ont besoin, proposer des services et des biens pour toutes et tous, réduire
les inégalités et les discriminations, insérer et réinsérer, inclure, faire participer, contribuer au
renforcement des compétences, du capital social, des conditions culturelles, du savoir immatériel
et du bien être. Ces objectifs sociaux seront remplis prioritairement avant tout autre objectif ; ils
guident le cadre d’actions menées par les acteurs de l’ESS.
Deuxième pilier essentiel : la solidarité. La notion d’économie sociale est parfois
complétée du terme solidaire ou alors simplement dénommée économie solidaire. Ce n’est pas si
anodin qu’on pourrait le penser. Une des valeurs centrales à l’ESS est la mise en œuvre de
mécanismes très variés de solidarité. Selon un des grands théoriciens de l’économie sociale, Jean-
Louis Laville (2006), la solidarité est un élément fondamental de l’économie sociale. Il regroupe
une partie des activités de l’économie sociale (autoproduction, entreprise d’insertion, régie de
quartier, restaurants associatifs,…) sous le terme économie solidaire73. Cette économie propose
des services de proximité, porteurs de lien social, d’insertion et de satisfaction des besoins des
groupes populaires marginalisés et permet la « recomposition des rapports entre l’économique et
le social » (Laville, cité par Demoustier, 2003 : 114). Ces activités se développent au travers
71 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 72 Comme nous l’avons déjà explicité, dans une approche de développement durable, le social ne peut se dissocier de l’environnemental. Le social inclut l’environnemental et inversement. 73 La solidarité étant un élément central d’une très grande majorité des activités de l’économie sociale, il est fréquent que les termes économie solidaire et économie sociale soient volontairement confondus ou aillent l’un dans l’autre. Généralement, l’économie sociale inclut l’économie solidaire ou inversement. Laville (2206) semble utiliser le terme économie solidaire pour une majorité des activités du Tiers secteur. Néanmoins, pour certaines activités ayant une composante solidaire marquée (ex : commerce équitables), il peut être utile de le spécifier, comme le fait à Genève la chambre de l’économie sociale et solidaire.
53
d’« impulsion réciprocitaire » et grâce à une hybridation des ressources humaines (salariat et
bénévolat) comme financières. L’économie sociale insiste sur la « nécessité de reconstruire des
bases de sociabilité et d’activités qui alimentent les relations interpersonnelles » (Desmoustier,
2003 : 115), alors que la mondialisation marchande distend les rapport sociaux. Le marché
s’adresse à des clients ; l’économie solidaire se tourne vers des prestataires. Autre analogie
éclairante : l’économie solidaire (Laville, in Aznar et al, 1997) cherche à offrir un service gratuit
ou bon marché, par souci de justice sociale, d’équité. Quiconque peut bénéficier du service
proposé. Le marché lui n’inclut pas la solidarité et la justice sociale dans ce qu’il offre, ne fait pas
de distinction entre celui qui peut ou celui que ne peut pas acheter un produit.
La solidarité manifestée sous toutes ses formes (à l’égard de populations marginalisées,
chômeurs, personnes défavorisées, handicapés, mais aussi de coopération Nord-Sud) est le
premier aspect qui fait de l’ESS un agent important, à son échelle, de réduction des inégalités
sociales et qui marque donc une contribution significative à la dimension sociale du
développement durable.
Troisième élément capital, également intimement lié au principe de non-lucrativité, la
dimension sociale à l’intérieur de l’entreprise. Une fois encore, dans la pratique, on constate un
effort marqué de réduction des inégalités sociales, au niveau de la réduction des écarts de revenus
et des discriminations de tous types. Prenons l’exemple de l’écart des salaires : une synthèse du
Café des « bonnes pratiques » – ces rencontres de mutualisation des différents membres de la
Chambre de l’ESS – consacré à la question des politiques salariales74 mettait en évidence un écart
de salaires se situant entre les facteurs 1 et 3.5 (taux d'écart). En moyenne, l’écart observé était de
2 (ex: l'employé gagne 4'000 frs et un directeur 8'000 frs)75, ce qui est beaucoup plus restreint que
dans l'économie marchande.
De plus, les mécanismes de participation constituent un des piliers théoriques de l’ESS
(charte) et sont mis en œuvre aussi bien que faire se peut sur le plan pratique. L’Agenda 21
propose lui aussi des processus participatifs mais plutôt dans le cadre de la mise en œuvre des 74 Synthèse disponible sur http://www.apres-ge.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=417&Itemid=33 75 Ce chiffre donne un ordre d’idée qui se fonde sur le témoignage d’une trentaine d’organisations présentes à ce café. Il n’est pas une valeur statistique fiable. Cependant, les données statistiques récoltées en 2008 par la Chambre, basée sur un répertoire de 150 membres, font part de chiffres similaires.
54
principes du développement durable, sans entrer dans une remise en cause des relations de
pouvoir et de travail dans l’entreprise.
Même si cela reste parfois théorique, l’ESS met l’accent sur la participation des
collaborateurs dans la gouvernance de l’entreprise et attache une grande importance à la
contribution de chacun. S’il reste encore beaucoup de progrès à faire dans la pratique, l’ESS
exprime une volonté politique de revoir les rapports de pouvoir au sein de l’entreprise. Une des
sept valeurs de la Charte de l’ESS rappelle que « les acteurs et actrices de l’ESS valorisent les
compétences et renforcent les moyens d’agir des personnes (salariés, bénévoles, membres,
usagers, investisseurs) au sein de leur organisation »76. Comment cela prend-il forme dans la
pratique ? Sur ce sujet, il existe des variations importantes entre les différentes organisations dont
une partie significative reconnaît être encore en plein processus de construction, d’élaboration de
pratiques participatives. Le Café des bonnes pratiques organisé par la Chambre de l’ESS sur la
thématique de la gestion participative77 nous donne néanmoins déjà quelques exemples réalisés :
hormis les fondations, qui ont un conseil de fondation généralement plus directif et déconnecté
des collaborateurs, la plupart des organisations de la Chambre de l’ESS genevoise organise des
réunions ou colloques par secteur ou avec toute l’entreprise, espaces où se prennent le plus grand
nombre de décisions ou s’élaborent du moins la base des futures orientations. Beaucoup
d'organisations facilitent la division du travail en découpant les activités par secteur. C’est un
processus très participatif qui a l’avantage de permettre d'intégrer tout le monde, jusqu'au « bas »
de l'échelle (les bénévoles sont ainsi considérés comme n’importe quel collaborateur rémunéré),
mais qui comporte l’inconvénient que la circulation de l'information est plus difficile entre les
différents secteurs. Dans certains cas, les propositions dégagées dans les réunion d’équipe ou par
une assemblée des collaborateurs forte ont force de décision et ne font l’objet que de validation
formelle par le comité. Dans d’autre cas, le comité a plus de pouvoir et a le dernier mot, tout en
se basant sur ce qui émane des colloques. Enfin, quelques organisations pratiquent l’auto-gestion
(régime d’assemblée) : il s’agit d’une gestion participative maximale, aucun organe n’ayant plus
de pouvoir décisionnel qu’un autre. Tous les collaborateur disposent donc d’une voix identique.
76 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 77 Compte-rendu disponible sur le sit web d’APRES : http://www.apresge.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=454&Itemid=33
55
Mentionnons encore quelques principes importants de la Charte relatifs à la dimension
sociale du développement durable : « l'ESS place l’être humain au centre de ses initiatives et de
ses pratiques »78. De même, « les acteurs et actrices de l’ESS visent à construire une économie
qui affirme la primauté de la personne sur le capital »79. Les acteurs de l’ESS s’engagent à
« soutenir les activités culturelles, éducatives et artistiques, dans le respect des dimensions
immatérielles nécessaires aux personnes et à la société ; favoriser l’équilibre dans la
représentation parmi les collaborateurs, les organes décisionnels et dans toutes les activités quant
au genre, à l'âge, à l'origine, (...) des personnes impliquées »80. Enfin, la diversité occupe
également une place essentielle : « riches de leurs différences » : « les acteurs et actrices de l’ESS
s’engagent à comprendre, respecter et valoriser les différences entre les personnes et les peuples,
à prohiber toute forme de discrimination et à rechercher les complémentarités pour apprendre
ensemble »81.
Suite à la comparaison des actions prévues par l’Agenda 21 et la Charte de l’ESS,
complétée par des bonnes pratiques concrètes, et au regard des éléments que nous avons mis en
évidence dans ce chapitre, nous concluons que l’ESS exprime avec plus de vigueur la dimension
sociale du développement durable. Cependant, nous apportons deux nuances à notre hypothèse de
base et qui ont leur importance :
a) La dimension sociale du développement durable s’exprime avec plus de vigueur
dans le cadre de l’ESS. Cela signifie que la dimension sociale de l’Agenda 21
occupe en effet moins de place, est dotée de peu d’instruments et d’exemples
concrets de mise en œuvre, mais elle existe et est exprimée dans une moindre
mesure.
b) Pour l’Agenda 21, l’expression de la dimension sociale est principalement
moindre sur le plan pratique que théorique : beaucoup d’aspects sociaux
apparaissent tout de même dans l’Agenda 21, même s’ils ne sont parfois que 78 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf 79 Ibidem 80 Ibidem 81 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf
56
suggérés ou restent en surface. L’ESS est un exemple vivant et certain de mise en
application de ces principes, observations que nous ne pouvons effectuer de
manière fiable pour les autres secteurs de l’économie.
2.3 L’ESS contribue à mettre en oeuvre une économie du développement durable
Au regard des nombreux liens, de la proximité existant entre l’ESS et les principes du
développement durable que nous avons observés dans ce chapitre 2, nous pouvons affirmer que
l’ESS contribue significativement à mettre en œuvre, à son échelle, une économie correspondant
aux principes du développement durable. L’ESS applique concrètement la grande majorité des
diverses recommandations figurant dans les divers Agenda 21 que nous avons analysés (Etat,
communes, PME). Alors que l’Agenda 21 constitue un plan d’actions parfois idéaliste et incitant
à réaliser des objectifs qui paraissent encore difficiles à atteindre par notre société, et qu’une
partie seulement de ces objectifs et outils proposés sont réellement mis en oeuvre, l’ESS de son
côté a déjà commencé depuis un certain temps à appliquer ces principes conformes à un
développement durable. Plus encore, nous venons de le voir, elle agit avec nettement plus
d’énergie et de concret pour améliorer les aspects sociaux du développement durable. Pour
parachever notre démonstration, nous verrons dans le chapitre suivant succinctement quelques
exemples d’entreprises de l’ESS afin de mettre en lumière ce que nous avons exprimé ici sur un
plan principalement théorique.
57
Chapitre 3 : les applications de l’ESS : activités, poids économiques et organisation
Après nous être consacrés à démontrer sur un plan surtout théorique que l’ESS apportait
une contribution importante à l’économie du développement durable, nous allons à présent
donner un peu de profil à ces thèses en décrivant le travail concret de la Chambre de l’ESS et le
type d’activités menées par certains de ses membres dans la région de Genève.
Précisons également que l’exemple de Genève a été choisi pour la proximité
géographique et thématique de l’auteur de ce travail avec l’ESS locale. Nous avons également
présenté, de manière transversale, quelques éléments de l’économie sociale en France (poids
économique, structures). Dans d’autres pays d’Europe, l’ESS occupe un espace plus ou moins
équivalent, mais elle n’est pas pour autant l’exclusivité des pays post-industriels : elle est
également importante sur d’autres continents, principalement en Amérique du Sud, y compris
dans des pays particulièrement défavorisés. Pratiquant souvent une forme communautaire
d’échanges économiques et commerciaux (associations de paysans entre autres), la Bolivie a
développé de nombreuses activités d’économie solidaire autour de l’agriculture, de l’artisanat et
du commerce équitable (Hillenkamp, 2008). Au Brésil également, l’ESS est très développée : on
évoque le chiffre de 700 groupes qui agissent dans ce secteur dans le seul Etat de Rio. De plus,
l’Etat a très récemment adopté une « loi sur l'économie solidaire », qui démontre l’importance
que les autorités attachent à ce secteur82.
Bien que nous ayons vu ces principes de manière transversale dans les premiers
chapitres de notre travail, rappelons brièvement les principales caractéristiques de l’ESS :
a) But non lucratif ou lucrativité limitée. Ceci implique que le capital est inaliénable,
collectif, et qu’il est impossible de redistribuer individuellement les éventuels excédents.
b) La finalité est le service à la collectivité (intérêt général)
c) Organisation démocratique : 1 personne = 1 voix
d) Gouvernance autonome
82 http://www.apres-ge.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=944&Itemid=33
58
e) Libre adhésion : celui qui partage les objectifs de la charte peut adhérer
f) Utilité sociale
g) Mixité des ressources financières et humaines
3.1 Quelles activités ?
Le champ d’activités, contrairement à l’image fréquemment donnée à l’ESS, est très
large : hormis les produits de luxe, les armes, les cigarettes, l'ESS produit et offre des services
dans presque tous les secteurs d’activité économique, tel que l’habitat (coopératives d’habitation),
les secteurs artisanal et industriel (par ex. une coopérative d’imprimerie), le secteur agricole (les
coopératives maraîchères), les services environnementaux (par ex. des services de conservation
de la biodiversité), les services aux personnes (par ex. entreprises d’insertion par l’économie,
crèches, soins à domicile, EMS), les services divers (par ex. services informatiques, médias,
transports, entretien, jardinage,…), l’éducation et l’enseignement, le commerce équitable, la
finance solidaire et le domaine des loisirs (activités culturelles, artistiques, sportives, restauration)
(Dunand, 2008 : 2). Cette diversité se traduit également par une variabilité des statuts juridiques
des organisations : coopératives, SARL, fondations et associations (ces dernières étant de loin les
plus représentées). Nous reviendrons sur les subtilités et enjeux de ces différentes formes
juridiques.
Illustrons cette diversité par quelques exemples éclairants d’organisations sociales
situées à Genève et figurant sur le portail des entreprises sociales et solidaires de la Chambre de
l'ESS83.
a) Agriculture de proximité: les « Jardins de Cocagne »
Coopérative de production de légumes dans le canton de Genève, les Jardins de
Cocagne livrent à environ 400 familles dans le canton. Les coopérateurs-trices paient - outre une
part sociale lors de l`adhésion - une « part légumes » annuelle, proportionnelle au revenu familial,
donnant droit à des légumes pendant 45 semaines. Ils doivent aussi participer au travail sur le
83 Disponible en ligne sur le site d'APRES, www.apres-ge.ch
59
terrain à raison de 3 à 4 demi-journées par année. Les Jardins de Cocagne vendent également
leurs légumes aux marchés de Plainpalais et de Rive. Cette coopérative est un très bon exemple
d'économie sociale qui agit sur les trois dimensions du développement durable:
− social: prix des légumes proportionnels aux revenus des familles
− environnemental: agriculture locale, limitant les transports, culture biologique, limitation de
l'utilisation de matériaux non renouvelables.
− économique: le bénéfice est utilisé pour ajuster les salaires et les amener au plus proche de la
moyenne au lieu de rester sur le plancher agricole. Une part des bénéfices est également
redistribuée pour des projets similaires dans les pays du Sud. Enfin, il y a une transparence
sur la comptabilité, la gestion, et les plans de cultures.
b) Finance : « Banque Alternative Suisse » (BAS)
Issue des milieux de l’écologie, de l’autogestion et de la coopération au développement,
la BAS est une société anonyme (SA) qui fait passer ses principes éthiques avant la maximisation
du profit et conçoit son activité comme une alternative à la logique économique dominante. Elle
pratique des activités bancaires, essentiellement en tant que banque d’épargne et de crédit
(épargne solidaire). Elle soutient avec des crédits bancaires des projets dans les domaines de
l’habitat écologique et social, de l’agriculture biologique, des PMEs actives dans l’écologie, des
espaces culturels, des écoles libres etc. Par ailleurs, la BAS a des statuts qui permettent de
redistribuer sous forme de dividendes les éventuels bénéfices, mais les parts sont plafonnées à un
niveau très bas. De plus, les coopérateurs actionnaires ont la possibilité et sont fortement
encouragés à verser la rémunération limitée obtenue sur leur part de capital dans un fonds spécial
pour des projets qui méritent un encouragement particulier.
c) Habitat et logement : « Coopérative d'habitation » (CODHA)
Sans but lucratif, la Codha, coopérative de l’habitat associatif, rassemble des personnes
souhaitant un autre type de rapport à leur logement, une autre qualité de vie, basée sur la
participation, la convivialité et la solidarité. La Codha cherche par ailleurs à intégrer au mieux les
principes du développement durable dans ses réalisations. Elle construit des logements sociaux,
favorisant une mixité de population, et dont les coûts sont contrôlés par l’Etat. Elle porte une
attention particulière aux matériaux utilisés et cherche à minimiser la consommation d’énergies
60
non renouvelables, tant au moment de la construction que tout au long de l’exploitation. Elle
cherche à favoriser les liens sociaux en remettant la gestion de ses immeubles à l’association
formée par leurs habitants et en veillant à la qualité des espaces communs mis à leur disposition.
d) Construction, maçonnerie, charpente (gros oeuvre): Eco Services SA
Ce bureau d’ingénieurs en environnement et sécurité œuvre à la protection de l’homme
et de son environnement. Ses prestations sont la gestion des déchets, de l’amiante, de l’air, des
eaux, et la coordination de la sécurité). Ils aident également les industries, entreprises et
organisations à assurer la sécurité au travail de leur personnel.
Sur le plan social, Ecoservices offre: formation continue prise en charge à 100% par
l'entreprise, temps de travail max. à 80%, formation d'apprenti(e)s, encadrement de stagiaires
(notamment en recyclage AI), prise en charge LPP à 75%, prise en charge de la totalité des frais
d'assurance accident, y compris pour les accidents non professionnel.
Sur le plan écologique, les prestations ont pour objet de sauvegarder notre
environnement, notamment dans le cadre de l'environnement gris (industrie, construction), en
proposant par exemple des activités de dépollution (amiante, plomb, déchets spéciaux), mais
également au travers de formations spécialisées.
e) Santé : Coopérative des soins infirmiers (CSI)
Coopérative d'infirmières indépendantes actives dans plusieurs secteurs d'activité: les
soins à domicile, les remplacements dans divers institutions de soins et le travail lors de
manifestations ponctuelles. Les soins dispensés par la CSIsont remboursés à 90% par les caisses-
maladie.
f) Réinsertion, services d'entretien, recyclage : association « Réalise »
Réalise est une entreprise d'insertion sans but lucratif (association). Sa mission est de
favoriser à travers une activité économique l'insertion sociale et professionnelle des personnes en
situation d`exclusion. Elle gère plusieurs ateliers de production de biens et services, ce qui lui
permet de proposer une centaine de places de stages de réentraînement au travail et de formation
61
à des personnes peu ou pas qualifiés. Les clients de Réalise sont à la fois des particuliers, des
collectivités et des entreprises. Parmi ses activités figurent: entretien de place de jeux,
maintenance d`immeuble, nettoyage / jardinage (p. ex. pour EMS), transports et déménagements,
recyclage d'ordinateurs, réhabilitation d'espaces naturels, blanchisserie.
Sur le plan social, on peut souligner les engagements suivants: management participatif
(démocratie, large autonomie de décision des collaborateurs, amélioration continue, transparence
de l'information), conditions de travail favorables (organisation du travail flexible, congé
paternité, écarts salariaux limités, formation à la communication non violente et à la gestion des
conflits, formation continue des collaborateurs), promotion de la santé (restaurant d'entreprise
labellisé Fourchette verte, entreprise sans fumée ni alcool, sensibilisation à une alimentation
équilibrée et biologique, recherche d'ergonomie dans l'environnement de travail, locaux
favorisant échanges et convivialité).
Sur le plan écologique, l’association est attentive aux aspects suivants: optimisation
écologique du bâtiment, grille d'analyse des achats sur des critères écologiques et sociaux,
produits locaux ou du commerce équitable ou de l'ESS, produits recyclables autant que possible,
recyclage et tri des déchets.
3.2 Poids de l’économie sociale
Le poids du Tiers secteur dans l’ensemble de l’économie varie selon les pays. Des
estimations chiffrées basées sur des statistiques étatiques, non scientifiques, sont avancées par la
Chambre de l’ESS genevoise, mais il faut les prendre avec précaution. En effet, elles donnent un
ordre de grandeur sans être parfaitement représentatives de la réalité. Signalons au passage que la
Chambre réalise en ce moment même une grande récolte de données auprès de ces membres pour
évaluer l’importance de l’ESS dans le canton de Genève en termes d’emplois, de chiffres
d’affaire, d’écarts salariaux, de subventionnements, etc. Malheureusement ces données ne sont
pas encore exploitables. Les chiffres agrégés sur lesquels communique « APRES » mettent en
évidence un pourcentage d’un peu moins de 10% en moyenne pour le poids de l’ESS dans les
62
quelques pays occidentaux84 : 6% pour le Canada et les Etats-Unis, 7% pour la France, 10% pour
la région Rhône-Alpes de France, les Pays-Bas et le Québec, entre 9 et 10% pour le canton de
Genève.
A Genève, une autre estimation de la Chambre de l’ESS85 parle de 10'000 à 20'000
emplois fournis par plus de 1'000 organisations, dont 250 sont déjà membres de la Chambre, ce
qui correspond à un pourcentage entre 4 et 8% du total des emplois. Le recensement Fédéral des
Entreprises86 est plus généreux : sur un total d’emploi de 260'000, 9,8% seraient concentrés au
sein d’associations, de coopératives et de fondations, soit près de 25'140 emplois. Selon la
Chambre de l’ESS87, une très grande part (99%) de ces emplois se concentre dans le secteur des
services, en particulier dans la santé et les activités sociales (36%) et dans le commerce (22%)
Nous pouvons mentionner au passage une estimation concernant l’engagement de type
bénévole, bien qu’il s’agisse d’activités dépassant largement le cadre de l’économie sociale. Le
bénévolat est un bon indicateur de l’importance, en Suisse, attachée aux organisations sans but
lucratif et au service de l’intérêt général. Un quart de la population en Suisse s’engagerait dans un
travail non rémunéré bénévole dans une association. Les associations sportives sont les plus
courues, mais les organisations socio-caritatives et religieuses ont également du succès (Gilbert
2007).
Quelques chiffres encore qui rendent bien compte du poids de l’ESS en France (7% du
PIB total) : en 2003, d’après les informations de Demoustier (2003), on comptait 3'700
coopératives dans l’agriculture, et 800 dans l’artisanat et entreprises diverses88 (métiers du
bâtiment, boulangers, coiffeurs, artisans ruraux, bouchers,…) ce qui équivaut à environ 100'000
emplois. Chez les commerçants, les coopératives ont un poids assez important, avec 37
groupements et 11'600 commerçants gérant 14'500 magasins (alimentation, sport, bricolage,…).
Les coopératives ouvrière de production (SCOP) sont également assez bien représentées, avec
84 Données citées par APRES / Sources: Genève: RFE 2001/OCSTAT; France : INSEE 2001; Canada: RCPP 2002; Autres pays: Johns Hopkins University, CNSP Project 2003 85 Informations provenant du « Fact sheet »de la Chambre 86 in GILBERT (2007): 2001/OCSTAT : t807, t823, t869. A noter que Recensement Fédéral de 2001 n’incluait pas le secteur primaire. 87 Informations provenant du « Fact sheet »de la Chambre 88 A noter que le 90% de ces coopératives emploient moins de 20 salarié-e-s (Demoustier, 2003)
63
environ 1'500 structures. Le transport par contre occupe une place assez faible : 1'000 entreprises
seulement sur les 38'000 existantes seraient des coopératives. L’ESS est également représentée
dans les services financiers : le Crédit Agricole assure plus de 80% des crédits à l’agriculture ;
un français sur trois en est client : le Crédit Mutuel compte lui presque six millions de
sociétaires ; les Caisses d’épargne coopératives ont vingt-six millions de clients dont quatre
sociétaires ; enfin, dans une moindre mesure, on trouve les Banques Populaires (132'000
sociétaires) et le Crédit Coopératif (42'000 personnes morales associées). Les mutuelles
d’assurance et de prévoyance occupent, elles aussi, un terrain significatif. En dernier lieu, dans le
domaine social, un institut d’action sociale sur deux est une association.
En termes d’emploi, une statistique de l’INSEE (citée par Demoustier, 2003), parle, en
2001, de 1,8 millions de salariés employés dans l’économie sociale. Notons encore qu’en 2001,
ces chiffres (nombre d’emplois et nombre d’entreprises) étaient en sensible augmentation (entre 5
et 10%).
3.3 Le rôle et les objectifs de la Chambre genevoise de l’ESS
« Nous sommes souvent partie prenante de l’économie sociale et solidaire sans pour autant nous
en rendre compte. Ce soir, nous sommes réunis dans cette salle pour nous compter, c’est-à-dire
nous reconnaître et nous dénombrer, afin de pouvoir compter les uns sur les autres ».
Jacques Defourny, actes des Premières Rencontres de l’économie sociale, Genève (cité par
Gilbert, 2007)
Le premier but de la Chambre est de fédérer, de rassembler les synergies existantes, et
par ce biais, de donner une visibilité aux activités de l’économie sociale. En effet, avant sa
création, il n’existait pas de structure rassemblant les différents acteurs de l’économie sociale et
leur diversité statutaire. Par le passé, des unions coopératives ont bel et bien existé comme nous
l’avons vu plus tôt. Au début des années 2000 cependant, il n’existait aucune structure spécifique
de promotion et de défense des intérêts de l’économie sociale en tant que telle. On pouvait
trouver des entreprises sociales ou organisations enregistrées dans des fédérations sectorielles
64
(par exemple la Fédération genevoise des établissements médico-sociaux, FEGEMS) ou dans des
structures faîtière (comme la Fédération des entreprises romandes (FER), des syndicats oudes
unions de travailleurs. Voire, sur le plan associatif, être regroupées dans la Fondation pour
l’expression associative (FEA). Parallèlement, la Chambre de commerce et d’industrie incluait de
façon marginale les activités de l’économie sociale, sans vraiment en faire la promotion.
L’apparition d’APRES permettait donc de créer, en premier lieu, une structure rassemblant toutes
les organisations sans but lucratif. La Chambre de l’ESS a permis la création d’un espace
spécifique de mutualité, d’échange et de reconnaissance des contributions de ce secteur
économique, aussi bien entre les membres que par rapport à l’extérieur.
APRES, initialement « Association pour le Promotion de l’économie sociale », change
de nom en 2006 pour devenir une Chambre de l’économie sociale et solidaire. Elle base son
action sur deux fonctions complémentaires : elle est premièrement prestataire de services au sein
du réseau qu'elle réunit et tente de renforcer grâce à la constitution d'une chambre favorisant les
synergies (institutionnalisation). Par ailleurs, elle effectue la promotion de l'ESS et est porteuse
d’un projet de société (lobbying et défense politique). Bien entendu, ces deux fonctions se
chevauchent. En effet, en montrant quels sont les avantages, les qualités de l’ESS, la Chambre
tente d’accroître sa visibilité auprès de la population et du monde politique. Pour ce faire, elle
s’appuie entre autres sur des études statistiques (poids économiques), des contacts médiatiques,
des conférences, des cours dans des hautes écoles (par exemple à la Haute école de gestion ou à
l’Institut universitaire d’étude au développement) et des formations spécifiques qu’elle met à
disposition des membres.
La Chambre ne veut pas être seulement un guichet au service des associations, mais
aussi générer des dynamiques partenariales, des collaborations entre les membres et avec
l’extérieur (entreprises privées et économie publique) (Gilbert, 2007). Comme le dit Gilbert
(2007 : 59), « il s’agit bien de faire vivre un véritable pôle de développement qui puisse avoir des
effets d’entraînement sur la dynamique d’ensemble, et, sur les valeurs et pratiques de tous les
acteurs du territoire ». Le réseau constitué sert à favoriser les échanges de compétences,
rassembler les forces, soutenir les activités des autres membres (par exemple en allant manger
65
dans un restaurant ESS), organiser des achats « responsables » communs, coopérer sur des
projets.
Un des derniers objectifs de la Chambre est lui un plus abstrait : il s’agit du
renforcement de l’identité collective. Cette identité prend chaque fois plus de poids à mesure que
de nouveaux membres adhèrent : le démarchage est ainsi une activité importante de la Chambre.
Les statistiques et caractéristiques des membres, mises en parallèle avec celles de l’économie
marchande (Fédération des entreprises romandes - FER, chambre de commerce et d’industrie)
renforcent également cette identité.
Les contributions de l’ESS, déterminées par les acteurs ESS eux-mêmes lors des
premières rencontres de l’économie sociale, en novembre 2004 à Genève (in Gilbert,
2007), résument bien les différentes fonctions de la Chambre : développement de compétences ;
innovation et expérimentation ; « encouragement à l’initiative locale pour rénover le tissu
productif et aider à la création d’activités, sur la base de dynamiques solidaires » (Demoustier,
2003 : 123) ; développement local, régional ; démocratie, notamment un accent mis sur la
citoyenneté et le développement du lien social, ainsi que sur la participation ; développement du
lien social, réciprocité et cohésion sociale ; intégration et paix sociale ; lutte contre l’exclusion,
accueil de populations marginalisées (chômeurs notamment) ; amélioration des politiques
publiques ; information et sensibilisation aux problèmes de société, etc.
3.4 Les prestations de la Chambre
En dehors de la chambre de l’ESS, qui est une prestation en soi, APRES offre une série
de prestations à ses membres : la publication d’un « Guide du créateur d'entreprise sociale et
solidaire », une permanence d’appui-conseil hebdomadaire, l’organisation de « Café des bonnes
pratiques » tous les deux mois (échanges et constitution de « registres » de bonnes pratiques), la
diffusion d’un « chèquier-créateur » permettant de bénéficier de services d’experts à très bon prix
(avocats, notaires, expert fiscal,…), le portail internet qui recense toutes les entreprises de l’ESS
66
genevoise, un service de placement de jeunes chômeurs diplômés au sein des organisations de
l'ESS (Projet Première Expérience – PPE).
Par ailleurs d’autres prestations sont en construction, la plus importante étant sans doute
le projet d’incubateur d’entreprises sociales : une structure de lancement et de soutien pour la
création d’entreprises qui veulent avoir une activité dans ce secteur. Un groupe de travail intitulé
« groupement d’achat » travaille actuellement sur une sorte de mini centrale d’achat qui fournirait
à tous les membres des fournitures au meilleur prix, et réalise à cet effet une liste de produits
respectant les critères de l’ESS. Dans la même idée que le portail internet, la Chambre est
également en train de préparer une « carte » de l’ESS mentionnant tous les emplacements
d’organisations de l’ESS sur la ville de Genève. Enfin, une consultation des membres a été
réalisée en 2008 pour connaître les besoins des membres en matière de renforcement de
compétences et de formation, spécifiquement axés sur l’économie sociale est solidaire : une
formation de ce type est déjà proposée depuis peu par la Chambre.
3.5 Les ressources financières et humaines de l’ESS
L’ESS se caractérise par une pluralité et une mixité de modes de financement et de
ressources humaines.
Sur le plan humain, elle compte sur un apport important de bénévoles, de stagiaires, de
personnes faisant partie de programmes de réinsertion, et bien sûr de salariés. Cette mixité
provoque quelques difficultés d’organisation et peut nécessiter des compétences de gestion des
ressources humaines assez spécifiques. Elle implique également des politiques internes qui
puissent apporter une reconnaissance et un encadrement adéquat pour tous les types de
collaborateurs.
Sur le plan financier, il faut distinguer les ressources propres (l’autofinancement) et les
fonds extérieurs : la vente de biens et services constituent une première source de financement,
67
permettant de financer une partie ou la totalité des activités. Dans la majorité des cas, les
ressources propres sont complétées d’apports extérieurs : dons ou cotisations de membres,
subventions de l’Etat ou encore sponsoring par des organisations privées (fondations,
entreprises,…). Il arrive même parfois que des organisations offrant des services gratuits ou très
bon marché fonctionnent uniquement grâce à des apports extérieurs, ce qui a l’inconvénient de
les rendre vulnérables financièrement.
3.6 Formes juridiques des organisations de l’ESS
Les entreprises et organisations de l’ESS prennent des formes juridiques variées, pour la
plupart différentes de celles rencontrées sur le secteur de l’économie marchande. Ces statuts
juridiques sont importants car ils déterminent et définissent la spécificité d’entreprises qui
fonctionnent sans but lucratif et avec des fonctionnements démocratiques internes particuliers.
Les acteurs de l’économie sociale déplorent souvent le fait de ne pas pouvoir disposer d’un statut
taillé sur mesure pour les entreprises à but non lucratif, qui soit simple, flexible et identique pour
toutes les différents organisations déjà existantes. Ceci permettrait d’une part de simplifier les
démarches pour créer des entreprises de ce type, d’autre part de faciliter la reconnaissance de ce
secteur, et pourquoi pas de mettre en œuvre des lois-cadres ou des politiques publiques plus
adéquates.
Un document de présentation d’APRÈS (fact-sheet89) explique bien que « l'ESS se
caractérise plus par ses principes communs que par sa forme juridique ». Il est alors courant de
voir des structures ayant toutes les caractéristiques de l'ESS et organisées en Société Anonyme
par exemple, qui n’ont pourtant pas à l’origine des contraintes légales identiques aux organismes
sans but lucratif. Au sein de la Chambre genevois de l’ESS, le statut d’association est de loin le
plus répandu. Viennent ensuite les fondations, puis les coopératives, en plus faible nombre.
Quelques SA et SARL (société à responsabilité limitée) qui appliquent les principes de la charte
(et donc ne pratiquent pas la maximisation du profit) en sont également membre. En France, il
existe d’autres statuts : la mutuelle, la Société ouvrière de production (SCOP), ainsi que la 89 Document disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/fact_sheet_ess.pdf
68
Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), apparue en 2001. Cette dernière a probablement le
statut le plus adapté et le plus moderne pour les entreprises sociales, permettant d’associer et de
faire travailler ensemble salariés, bénévoles, usagers et financiers (Collette, Pigé, 2008). De plus,
on peut présumer que ce statut détermine plus clairement si une structure est d’intérêt collectif
ou si elle a plutôt des objectifs économiques purs. Cette classification permettrait donc de
reconnaître plus clairement le secteur de l’économie à but non lucratif et les politiques
avantageuses qui lui seraient propres.
Pour les différentes structures mentionnées (exception faite pour les SA et SARL), un
des éléments les plus importants de la loi (code des obligations) concerne la redistribution des
bénéfices. Les associations et fondations peuvent exercer une activité commerciale comme
moyen uniquement, car elles poursuivent un but idéal. Légalement, elles sont contraintes de
n’utiliser leurs gains que pour servir les buts - non économiques - de leur organisation : cela
signifie que les éventuels excédents de gestion90 sont réinvestis entièrement dans les activités
poursuivant les objectifs de l’association ou de la fondation, le développement de nouvelles
activités, les réserves en vue d’investissements futurs (thésaurisation, par exemple pour les
infrastructures), ainsi que, dans certains cas, les salaires (voir ci-après). La non-lucrativité signifie
donc que les réserves sont impartageables, c’est-à-dire non appropriables individuellement
(Demoustier, 2003). Par ailleurs, notons qu’il est également stipulé dans le règlement sur les
fondations que celles-ci sont empêchées de thésauriser leurs revenus de façon disproportionnée.
Sur le plan de la redistribution des bénéfices, les coopératives ont une particularité
légale légèrement distincte des fondations et associations : en fonction de leurs statuts, elles
peuvent suivre le principe de lucrativité limitée. En principe, comme pour les autres organisations
sans but lucratif, l’article 859 du Code des Obligations (CO) suisse stipule que « l'excédent actif
de l'exploitation rentre pour le tout dans la fortune de la société ». Selon le même article du CO,
les statuts peuvent cependant prévoir une disposition pour répartir les excédents qui auraient pu
être dégagés à la fin de l’exercice. C’est particulièrement le cas pour les coopératives qui se sont
constituées par un apport important en capital : celui-ci peut être rémunéré pour rendre attractif le
sociétariat (Demoustier, 2003). Cette répartition de l’éventuel bénéfice restant (après les
90 Contrairement à une idée très répandue à propos des associations, la non-lucrativité interdit non par les excédents de gestion, mais l’appropriation individuelle par les membres (Demoustier, 2003)
69
investissements nécessaires dans le développement ou le maintien d’activités, et la constitution de
réserves suffisantes) est limitée par la loi à un taux relativement bas (environ 3% des excédents):
la « portion de l'excédent y afférente ne peut dépasser le taux de l'intérêt usuel pour des prêts à
longue échéance accordés sans garanties spéciales » (art. 859 du CO). Mais c’est surtout une
bonne pratique commune et informelle qui enjoint les organisations de l’ESS à ce que les
éventuelles primes soient homogènes pour toutes les classes et que les écarts salariaux soient les
plus limités possibles.
Pour ce qui est des niveaux de salaires, il n’existe pas de limite légale ou statutaire
déterminée dans le CO ou les ordonnances y relatives : les excédents peuvent donc en théorie être
redistribués sous forme de salaires. Cependant, les bonnes pratiques de l’ESS (exemple à Genève
avec le « Café des bonnes pratiques » sur les salaires) émettent clairement des conditions strictes
sur les politiques salariales : elles recommandent et se basent dans la plupart des cas sur l’échelle
des salaires de l’Etat pour fixer des montants standards ou maximaux ; elles exigent une
distribution homogène des primes (quand il y en a) pour toutes les classes salariales de
l’entreprise ; enfin, et c’est clairement le cas dans la pratique (des statistiques parlent d’un facteur
2 en moyenne91), les organisations membres limitent les écarts salariaux et sont sensées rester
dans des barèmes de rémunérations raisonnables. Dans le cas précis des coopératives, les
dirigeants salariés ne sont pas associés particulièrement aux bénéfices, mais peuvent, comme tout
salarié, bénéficier d’un « accord collectif d’intéressement au résultat » (bénéfice réparti en
fonction des parts sociales, avec taux limité, et non sous forme d’actions). Enfin, les parts
sociales liées à la coopérative sont nominatives, non cessibles en dehors de la coopérative et
revendues à leur valeur initiale (Demoustier, 2003)92.
Dans la majorité des cas, le problème qui se présente n’est pas de limiter les
rémunérations par le haut, mais plutôt de ne pas descendre en dessous des minimaux légaux, les
associations ayant souvent des ressources très restreintes. De plus, le respect du but idéal étant le
fondement incontournable commun aux organisations sans but lucratif ou à lucrativité limitée, il
est relativement logique que les salaires doivent correspondre à un budget de fonctionnement
91 Chiffre mentionné dans une synthèse du Café des Bonnes Pratiques d’APRES sur la question des politiques salariales et disponible sur http://www.apres-ge.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=417&Itemid=33 92 Ceci à l’avantage d’assurer une stabilité à l’entreprise et d’éviter l’appât du gain, mais l’inconvénient de freiner des potentiels investisseurs extérieurs (Demoustier, 2003).
70
raisonnable, et plafonnés au niveau des rémunérations de la fonction publique, les éventuels
excédents (pour les organisations qui ont une activité de vente) ne pouvant être utilisés que pour
les objectifs de l’association. Selon Christophe Dunand93, directeur de l’entreprise sociale
« Réalise », lorsque les recettes ont permis de payer correctement les collaborateurs et de couvrir
les investissements de l’entreprise, si des surplus sont encore dégagés, ils seront alors investis par
exemple dans la création d’emploi, l’intégration de personnes en difficulté, la formation des
jeunes et la formation continue, de nouveaux projets pour la collectivité, etc. Ces principes restent
théoriques et les cas d’abus ne sont pas absents.
En France, la pluralité des statuts se caractérise également de plus en plus fréquemment
par des combinaisons de structures (par exemple une association développe une filière lucrative
ou un but économique ; une coopérative lance des activités purement associatives sans but
économique, et ouvre ses activités à des bénévoles), ce qui nécessite la mise en œuvre de
passerelles légales et de flexibilisation des statuts (Demoustier, 2003). Dans certains cas, les
entreprises associatives génèrent de tels excédents et deviennent si importantes qu’il devient
difficile de définir si elles sont des entreprises sociales sans but lucratif ou des entreprises
capitalistes. Les salaires deviennent élevés, les réserves s’accumulent sans pour autant profiter
aux bénéficiaires. La question de la redistribution et de l’usage des excédents devient parfois
assez confuse et peu transparente. En France, certaines mutuelles de santé (78% des Français y
sont affiliés) ou caisses d’épargne (26 millions de Français y ont un compte), et en Suisse les
coopératives de distribution comme COOP ou Migros illustrent cette frange de grandes
entreprises qui sont statutairement de l’économie sociale, mais qui en pratique sont plus proches
d’entreprises de type capitalistiques, qui fonctionnent clairement en concurrence sur le même
terrain en possédant des parts importantes de marché (Demoustier, 2003).
Autre point important à retenir sur le plan juridique : le fonctionnement interne des
organisations de l’ESS. Les associations et coopératives constituent ensemble la majorité des
entreprises de l’économie sociale, et les statuts qui leurs sont propres exigent l’application du
principe « un homme une voix » : pour l’association, cette voix s’exprime lors de l’Assemblée
Générale : elle est offerte à toute personne partageant les buts de l’association ; pour les
93 Les éléments figurant ici sont une réponse écrite à une question posée par nos soins lors d’un entretien de suivi de notre travail de mémoire.
71
coopératives, cette voix est attribuée automatiquement à tout membre sociétaire, quelque soit le
montant de sa part. Sur le plan juridique, ces organismes sont donc contraints d’appliquer une
démocratie participative dans la prise de décisions, les fonctions et montants des participations
n’ayant aucun influence sur le poids du vote individuel. Là encore, la pratique révèle parfois des
écarts plus ou moins importants par rapport à la théorie. Pour les fondations, le mécanisme de
décision est encore différent : c’est le conseil de fondation, sorte de conseil d’administration
composé de fondateurs et de responsables administratifs élus, qui est habilité à prendre les
décisions. Rien ne l’empêche cependant de mettre en œuvre en parallèle des mécanismes de
consultation participative avec d’autres collaborateurs. De plus, les fondations appliquent le
mécanisme de cooptation, qui consiste en ce que les nouveaux membres soient désignés par les
membres déjà établis dans le conseil.
Les associations et fondations qui sont reconnues d’utilité publique peuvent bénéficier
d’exonérations fiscales sur leurs activités (bénéfices et capital). Les coopératives subissent le
même régime fiscal que les sociétés de capitaux, mais parfois, elles peuvent aussi se faire
reconnaître d’utilité publique et bénéficier d’exonérations, malgré leur but économique. La TVA
n’est appliquée qu’à partir d’un certain montant de chiffre d’affaire et l’obligation de s’inscrire au
registre du commerce. En France, il n’existe pas de plancher : une organisation d’utilité sociale,
pratiquant une gestion désintéressée et ne rentrant pas en concurrence avec d’autres entreprises
marchandes peut être exonérée de taxes commerciales (TVA) quels que soient son chiffre
d’affaire (Colette, Pigé, 2008). En dehors de ces possibles exonérations, il n’existe pas vraiment
de soutien public particulier pour les organisations sans but lucratif.
72
Chapitre 4. Quel avenir, quel potentiel pour l’ESS ? L’organisation interne et le soutien des politiques publiques
Dans ce chapitre 4, nous ferons une ébauche de réflexion sur l’avenir proche de l’ESS.
Quelle place occupera-t-elle dans une économie qui traverse une crise sérieuse ? A-t-elle le
potentiel pour grandir ? Comment peut-elle se renforcer ? Qu’est-ce qui, au contraire, pourrait
freiner son avancée ? Comment doit-elle s’organiser à l’interne : dans un esprit d’ouverture, en
intégrant des entreprises qui sont loin d’être parfaites mais font preuve de bonne volonté ou au
contraire en limitant de manière stricte les contours d’un secteur dont les valeurs ne doivent pas
être bradées ? De même, la Chambre doit-elle continuer sur un mode très peu régulateur et non-
interventionniste ou renforcer les critères et les moyens de les surveiller ?
Par ailleurs, sur le plan externe, quelles politiques publiques peuvent aider l’ESS à
mieux s’intégrer sur le marché économique ?
4.1 La régulation interne de l’ESS
Vu son élargissement constant, un des enjeux à venir de l’ESS réside dans la manière
dont elle s’organisera à l’interne. L’ESS doit-elle par exemple, aller plus loin dans les
mécanismes internes de contrôle ou de régulation en ce qui concerne l’échelle des valeurs, les
codes de conduite, les bonnes pratiques, ce qui impliquerait une sélection des membres en
fonction de critères stricts ? Faudrait-il des normes ou des règles plus contraignantes au niveau
de l’échelle des salaires ? Jusqu’à présent, il ne s’est toujours agi que de « régulation » douce, par
le biais de la transmission et du renforcement des bonnes pratiques (mutualisation) et du respect
d’une Charte que les membres s’engagent à signer. Un stade intermédiaire un peu plus
contraignant pourrait consister en l’établissement d’un code de conduite plus déterminant et
précis qu’une Charte. Enfin, la démarche la plus contraignante et régulatrice serait l’instauration
d’un label ou une certification ESS, nécessitant un contrôle externe.
73
La création d’un label est une question qui a régulièrement fait débat mais est une
option qui a toujours été rejetée jusqu’alors. A Genève, la Chambre de l’ESS se place avant tout
dans une démarche inclusive. APRES a en effet choisi dans un premier temps d’élargir au
maximum le cercle d’adhérents, de ne pas être trop exclusive. Le plus important est donc qu’une
organisation se reconnaisse dans les buts de la Chambre, et que son activité ne soit pas
incompatible avec la Charte (certaines exigences de base comme la non-lucrativité ou lucrativité
limitée restent malgré tout indispensables). Si certains aspects de l’entreprise ne correspondent
pas en tous points aux prérequis définis par la Chambre, mais que l’activité globale satisfait aux
objectifs d’APRES, une organisation peut alors tout de même adhérer. La Chambre part du
principe qu’aucune organisation n’est parfaite et qu’il vaut mieux qu’elle intègre la chambre, en
s’améliorant peu à peu, plutôt qu’elle en soit exclue et ne se remette jamais en cause. Bien
entendu, des exigences minimales sont nécessaires et le comité se réserve un droit de refus pour
éviter que des entreprises trop éloignées des valeurs de l’ESS fassent perdre toute crédibilité à
l’ensemble du secteur94.
Ce fonctionnement non exclusif est la raison pour laquelle on ne trouve pas seulement,
au sein de la Chambre, des associations, mais aussi des SA et SARL de taille moyenne. Les
entreprises qui n’appliquent pas l’appropriation individuelle du capital sont bienvenues si elles
partagent les valeurs, se reconnaissent de l’économie sociale et sont prêtes à améliorer leurs
pratiques.
Pour le moment, la Chambre fonctionne ainsi sur un mode très peu contraignant :
l’auto-évaluation. Cette auto-évaluation s’effectue selon les bonnes pratiques sociales,
écologiques et économiques, déterminées par les organisations elles-mêmes selon les couleurs
rouge (mauvaises pratiques), orange (à améliorer, mais fait des efforts) et verte (bonnes
pratiques). Les échanges entres associations, à ce titre, sont particulièrement importants,
puisqu’ils permettent de comparer et d’affûter les bonnes pratiques de chaque organisation. Ces
échanges sont institutionnalisés au travers du Café des bonnes pratiques mais ont également lieu
en tout temps, par la dynamique de réseau. Les membres peuvent donc s’inspirer des pratiques de
94 Comme on peut l’observer, par exemple, avec le « Global Pact » de l’ONU, utilisé abusivement par nombre de multinationales qui se targuent de respecter les droits humains mais dont le comportement montre le contraire
74
leurs homologues. Cette mise en commun a le grand avantage de ne pas être figée (les valeurs et
pratiques sont en constante évolution, ce qui n’est pas toujours le cas avec un label), d’inclure
plutôt que d’exclure, d’encourager les efforts plutôt que de sanctionner. Symboliquement, pas de
contrainte ni de surveillance, mais des références normatives fortes qui laissent tout autant, si ce
n’est plus, d’impact sur les associations membres.
N’oublions pas non plus les valeurs communes traduites dans la Charte, qui constituent
l’identité commune des membres de la Chambre. Dans le préambule, il est écrit que « l’ensemble
de ces valeurs génère une « valeur sociale ajoutée », spécifique au secteur de l’économie
sociale ». De plus, « la signature de la Charte est un acte contractuel, toute partie prenante
s’engage à mettre progressivement en œuvre les termes de la Charte »95. Ces principes seront
réalisés en fonction de la situation et des possibilités propres à chaque organisation. Encore une
fois, il n’y pas de surveillance relative à la bonne application de la Charte, mais les références
normatives ont clairement un impact symbolique fort. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà
mentionné dans ce travail, les valeurs contenues dans la Charte constituent souvent l’essence du
fonctionnement et des objectifs d’une entreprises sociale, avant même que celle-ci fasse partie de
la Chambre.
Des normes de références ou certifications pourraient à l’avenir être plus strictes. Mais
la Chambre ne souhaite pas pour l’instant de règlement en tant que tel car c’est un mécanisme
trop exclusif et opérant une sélection par le haut, sans laisser la possibilité à des entreprises ou
organisations d’évoluer dans le bon sens. La Chambre ne veut pas être trop structurante, trop
intrusive. De plus, certaines organisations sont déjà soumises à d’autres labels ou certifications
(Iso, Eduqua, etc).
Il y a chez APRES une volonté d’expansion, de « contamination » : séduire et donner
des outils au plus grand nombre d’acteurs socio-économiques possibles. L’idée est de partir sur
une base solide pour remplir une fonction de régulation sociale, pour participer à la modification
des règles économiques dans un environnement le plus large possible. En même temps, plus la
95 Charte de l’économie sociale et solidaire de la région Genevois, APRES-Genève, 27 octobre 2005, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/charte_ess_200705.pdf
75
Chambre grandira, plus les « risques » de voir des entreprises ne pas respecter les valeurs de la
Charte sont importants. Pour garder son authenticité, des outils comme un document de bonne
conduite, voire des labels, certifications ou contrôles externes (par APRES ou par un organisme
mandaté) pourront peut-être un jour être jugés utiles ou nécessaires. Ou alors faudrait-il définir,
pour le moins, un seuil de compatibilité avec les critères de la Charte ? Par exemple, pour être
sélectionné pour les marchés publics, un 80% de pratiques « conformes » (Gilbert, 2007) aux
principes de la Charte serait exigé.
4.2 Soutien de l’Etat et institutionnalisation de l’ESS
4.2.1 Introduction
Un petit retour sur l’histoire de l’économie sociale française nous indique que la
question des politiques publiques spécifiquement consacrées au Tiers secteur faisaient déjà
l’objet de débat il y a plus de 150 ans. Au 19ème siècle, certains problèmes de cohabitation entre
l’économie classique et le Tiers secteur démontrent la nécessité de donner à l’économie sociale
un statut légal et symbolique propre, lui permettant de recevoir un traitement à part. Fin des
années 1870, les coopératives de consommation sont liées à un double problème : « Le premier
est d’ordre fiscal. […] La loi de 1867 risque de les placer sous le régime du droit commun des
sociétés alors qu’elles ne visent pas la répartition individuelle des profits. […] L’autre problème
tient à la concurrence. L’efficacité par rapport au petit commerce et surtout par rapport aux
formes commerciales nouvelles – grands magasins, magasins à succursales multiples – […] »
(Guelins, 1998 : 293) posent des problèmes évidents. Ces difficultés mettent en évidence le
besoin de se fédérer et de défendre les intérêts collectivement, comme le fait aujourd’hui la
Chambre de l’ESS à Genève. Quelques années plus tard, un projet de nouveau statut légal pour
les coopératives apparaît comme un début de solution, le but étant de « créer un type nouveau de
société, intermédiaire entre le droit civil et le droit commercial et d’édicter un régime de faveur
portant des exemptions fiscales » (Gueslin, 1998 : 303), projet qui sera contesté au Parlement. A
76
cette époque, la concurrence face à l’émergence des supermarchés et les divergences entre les
différents courants de coopérateurs affaiblissent fortement le développement des coopératives.
Dès 1893, l’Etat français affirme concrètement son soutien au développement des
coopératives en accordant des subventions et des prêts à faible taux (Gueslin, 1998). Les pouvoirs
publics réfléchissent aussi à comment activer les mécanismes de crédits favorables destinés plus
particulièrement au Tiers secteur. En 1900, le Parlement déclare vouloir soutenir les banques
populaires naissantes (crédits agricoles et populaires), notamment pour encourager la création de
coopération de production : il débat alors de la question d’accorder un régime spécial en créant
un nouveau statut pour ce type de banques (Gueslin, 1998).
De tels développements s’opèrent de façon similaire dans le milieu agricole : pour faire
face aux risques de la production (mauvaises récoltes, accidents, incendies,…) et renforcer leurs
forces face à une agriculture qui entre en compétition sur le plan mondial, les milieux paysans
vont aussi peu à peu se fédérer en associations : tout d’abord en syndicats, ils évoluent vers de
vraies formes de coopératives. Ces structures servent tout autant à créer des centrales communes
d’achat pour des semences ou engrais (réduction des coûts), qu’à mieux organiser la distribution
ou encore à jouer le rôle de mutuelle contre les accidents du métier (Gueslin, 1998). Le milieu
agricole connaîtra aussi le développement de banques coopératives agricoles (notamment le bien
connu « Crédit Agricole »), offrant des conditions spécialement avantageuses pour les paysans.
Autorisant un statut particulier aux coopératives agricoles, notamment en termes de crédits à bas
taux, l’Etat intervient clairement dans ce contexte pour renforcer le développement de ces
dernières (Gueslin, 1998).
4.2.2 Dynamiques de fédération et reconnaissance politique en France
Avant de nous pencher sur la situation suisse, il est instructif de nous arrêter quelques
instants sur le cas de l’ESS en France. En effet, chez nos voisins, le Tiers secteur a acquis une
reconnaissance importante et est déjà bien structurée depuis la fin des années 70.
77
En 1976, les coopératives et les mutuelles formalisent leurs récents rapprochements par
la création d’un « Comité National de Liaison des Activités Mutualistes, Coopératives et
Associatives » (CNLAMCA), nommé aujourd’hui « Conseil des Entreprises et Groupements de
l’Economie Sociale » (CEGES) (Gilbert, 2007). En 1993, ces groupements seront à la base de la
création des chambres régionales de l’économie sociale (CRES), dont une partie ajoutera la
dimension solidaire en se nommant CRESS. Ces chambres, indépendantes de l’Etat, font naître
une identité collective, une conscience de secteur entre les différentes organisations qui
percevaient auparavant leur action uniquement selon la branche d’activité ou le statut juridique
auxquels elles appartenaient (Gilbert, 2007). Elles servent bien entendu également à promouvoir
l’économie sociale, en particulier en défendant leurs intérêts auprès des autorités. La Chambre
genevoise de l’ESS (APRES) est très similaire. Enfin, les CRES se sont dotées d’une
représentation nationale (CNCRES) qui rassemblement les vingt-quatre chambres régionales.
Parallèlement à ces grandes structures faîtières, il existe de nombreux regroupements de
coopératives ou d’entreprises associatives (pour reprendre le terme de Demoustier, 2003) par
secteur : agriculture, consommation et distribution, artisanat et entrepreneurs, bâtiment et
transport, etc.
Au niveau politique, la « Délégation Interministérielle à l’Economie Sociale » (DIES)
est crée par les pouvoir publics en 1980, dont le décret sera modifié plusieurs fois, pour y ajouter
les notions d’Innovation et d’Expérimentation en 2006 (DIIESES) (Gilbert, 2007 : 9). Sur le plan
européen, la Communauté européenne reconnaît formellement le secteur pour la première fois en
1989. En 1994, C’est la Commission qui met en place un « Comité consultatif européen des
coopératives, mutualités, associations et fondations ». En l’an 2000, un « Secrétariat d’Etat à
l’Economie Solidaire » est créé en France, ce qui marque la volonté des autorités d’agir
également sur le plan exécutif. La même année, ce sont deux ministres françaises qui sont à
l’origine de « consultations régionales de l’économie sociale et solidaire », organisées dans
plusieurs régions françaises et réunissant près de 4’200 personnes (Gilbert, 2007 : 9).
78
4.2.3 Dynamiques de fédération et reconnaissance politique en Suisse
Si en France l’ESS est déjà reconnue politiquement depuis longtemps, en Suisse le
processus de reconnaissance est encore en construction.
A Genève, canton le plus avancé sur ce plan en Romandie et même en Suisse, APRES,
la première association fédérant les associations et entreprises sociales, voit le jour bien plus tard
qu’en France, en 2003, avec les mêmes objectifs que ses homologues français. Comme nous
l’avons déjà vu plus tôt dans ce travail, elle se transforme rapidement en véritable Chambre de
l’ESS, avec un rôle institutionnel plus marqué. Au-delà de la mise en réseau des acteurs de l’ESS,
ce qui donne sans aucun doute un poids au secteur, il y a la volonté de faire reconnaître un pan de
l’économie qui n’a pas d’existence propre, de montrer qu’il a une utilité sociale et économique
indispensable à la société, et si possible d’obtenir le soutien politique nécessaire pour son
développement. La Chambre est là pour porter un projet collectif et innovant et démontrer que
l’on peut « entreprendre autrement », en s’appuyant sur une offre existante.
Dans le canton de Vaud, un projet de Chambre similaire (« APRES-Vaud) est en
construction et en relation avec la Chambre genevoise.
Sur le plan politique les autorités politiques manifestent également tardivement un
intérêt spécifique pour l’économie sociale. En dehors de subventions attribuées à des
organisations de l’ESS (qui, à l’époque, n’était pas forcément identifiées comme telles), ce n’est
que très récemment, dans les années 2000, que des politiques publiques ne sont mises en place
pour soutenir son développement de différentes manières, directes ou indirectes. Bien sûr, ce
soutien politique tardif s’explique par le fait qu’une structure reposant sur une identité collective
claire, avec l’appellation ESS, n’est née qu’il y a que quelques années. Hormis les aides
financières de l’Etat aux différentes organisations, le soutien des pouvoirs publics se manifeste
aujourd’hui principalement par deux actions politiques qui mettent en valeur l’ESS :
- Dans le domaine de l’emploi, les « emplois de solidarité » (ES) sont un nouvel outil de
lutte contre le chômage, grâce au placement de chômeurs en fin de droit dans le secteur de
l’économie sociale et solidaire. Bien sûr, le soutien politique n’est pas une finalité en soi,
79
mais un moyen, une opportunité, car l’ESS est un cadre propice à la réinsertion. Mais que
cela soit opportuniste ou non, l’Etat soutient ainsi le développement d’activités de l’ESS,
par le biais d’un financement indirect aux chômeurs qui reçoivent un « salaire » (payé en
partie par l’Etat et en partie par les organisations).
- Dans le domaine de la création d’entreprises et d’emplois : l’incubateur, dont le
financement sera soutenu par la Ville et le canton de Genève. Là, il s’agit d’une volonté
politique de développer des activités dans le cadre de l’ESS comme un but en soi, un rôle
proactif de l’Etat pour soutenir ce secteur.
4.2.4 Les différentes formes de soutien direct et indirect de l’Etat
a) Les subventions
A titre indicatif, dans le budget du canton, les subventions représentent près de la moitié
du budget total. En 2006, sur des dépenses de 7,5 milliards (hors investissements), les
subventions se montaient à 3,5 milliards, soit les 45 % du total. La grande majorité de ces
subventions concernent les anciennes grandes régies de l’État (hôpital, aéroport, TPG, SIG,
Hospice général). Les subventions à des organismes de l’économie sociale et solidaire (ESS) ne
représentent que 10% du montant total, soit environ 350 millions96.
Le contexte économique actuel fait que les subventions directes sont politiquement de
plus en plus remises en cause et confinent l’ESS dans une économie dépendante, voire, pour
certains, faisant l’aumône. Actuellement, c’est le secteur de la santé publique et l’action sociale
qui reçoit le plus facilement des aides de l’Etat. 60% des subventions sont ainsi versée aux soins
à domicile, 25% aux activités tournant autour du handicap, 7% pour l’adolescence et l’enfance, et
le reste pour des activités sociales diverses (Gilbert, 2007). Dans ces domaines plus
particulièrement, on parle parfois de secteur « parapublic » : des institutions sont mandatées pour
faire un travail que l’Etat reconnaît comme étant fondamental et d’utilité publique, mais dont il
96 Chiffres mentionnés dans le Mémorandum d’APRES sur le gestion des subventions de l’Etat et disponible sur le lien : http://www.apres-ge.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=498&Itemid=33
80
ne veut ou ne peut assumer la charge lui-même. Ces organisations sont sous surveillance de
l’Etat, qui s’assure que leur gestion est conforme et efficiente au regard de ses buts.
Les aides financières attribuées concernent souvent une partie importante des activités
des organisations bénéficiaires. Ces dernières, en contrepartie, perdent une part de leur
autonomie : à partir d’un certain montant, les subventions ne sont accordées qu’à la condition de
l’établissement d’un contrat de prestation qui permet à l’Etat de garder le contrôle sur l’utilisation
des deniers publics.
On trouve chez APRES quelques grandes fondations ou institutions largement
subventionnées, comme la « Fondation Clair-Bois » ou « Foyer Handicap ». Mais la plupart sont
regroupées dans le secteur des activités sociales, et reçoivent des subventions pour des projets ou
secteurs spécifiques.
De nombreuses autres organisations que l’Etat souhaite soutenir, sans qu’elles
n’assurent nécessairement des tâches fondamentales de service public, reçoivent des subventions
ponctuelles ou régulières. Plus le financement public est important, plus les tâches sont
importantes aux yeux de l’Etat, et plus le contrôle des autorités est fort, ce qui limite bien entendu
l’autonomie. Pour plusieurs raisons (perte d’autonomie, dépendance économique, non liberté de
définition des priorités, fluctuation des aides,…), une partie des associations préfèrent
aujourd’hui ne plus dépendre d’aides de l’Etat afin d’éviter ce qu’elles considèrent comme une
forme d’instrumentalisation des pouvoirs publics et qui prend forme par différents biais : plutôt
qu’une logique de partenariat, c’est alors une logique de dépendance et de surveillance qui
domine, l’Etat intervenant parfois fortement dans les choix financiers et les activités des
organisations concernées. Il délègue des tâches à des organismes qui sont en mesure de le faire
mieux que lui, tout en maintenant un contrôle sur leurs grandes orientations. Quelques fois, la
limite entre parapublic ou sous-traitance et subventions accordées grâce à un contrat de
prestations rigide et contraignant, peu ou pas négociable, est infime.
81
La vision politique revendiquée par les acteurs de l’ESS, contenue dans le
« Mémorandum sur la gestion des subventions de l’Etat » coordonné par APRES97, privilégie la
partenariat voire la concertation lorsque des subventions de l’Etat sont accordées. Le partenariat
ne garantit pas l’absence de toute interventionnisme des pouvoirs publics, mais il laisse une
autonomie plus ou moins grande aux associations. L’Etat, joue alors un rôle de soutien, estimant
que les buts des organisations concernées expriment une utilité sociale et sont complémentaires à
son action. Il endosse alors le rôle de régulateur et d’arbitre, plus que de producteur direct ou
indirect (parapublic) de biens et de services collectifs (Demoustier, 2003).
L’équilibre entre attribution de financement (ce qui impose presque naturellement un
rôle de surveillance et consultation à l’Etat) et autonomie des organisations à but non lucratif est
complexe. Les modes d’interventions de l’Etat doivent être négociés avec les associations. Cela
est d’autant plus vrai que le niveau de financement est élevé. La redéfinition des relations entre
Etat et associations (ou ESS), notamment sur le plan des subventions, est actuellement en plein
débat politique. La nouvelle loi sur les indemnités et aides financières (LIAF), entrée en vigueur
en 2008 cherche à mieux contrôler l’utilisation de l’argent public et pousse indirectement les
associations à évoluer vers une forme d’autofinancement (développer des activités marchandes
ou chercher des fonds privés), quitte à porter parfois préjudice aux objectifs de l’organisation.
Au-delà des nombreux problèmes que cela suscite chez les associations98, certaines applications
concrètes de cette loi sont contre-productives et irréalisables, notamment en raison du fait que les
contrats de prestations sont trop rigides et que le contrôle de l’Etat nécessite des forces qu’il n’est
pas en mesure d’assumer.
Plutôt que de renoncer à demander des subventions et de laisser mourir des projets ou
des associations, ce que certaines organisations songent déjà à faire, un des enjeux, aujourd’hui,
est de savoir comment adapter la loi sur l’attribution des subventions à la réalité de terrain, ainsi
que de mettre en place des mécanismes de concertations entre Etat et ESS. Sur le terrain, la
Chambre de l’ESS et les organisations concernées en ont fait un de leurs principaux combats.
97 Disponible sur le lien : http://www.apres-ge.ch/index.php?option=com_content&task=view&id=498&Itemid=33 98 Perte d’autonomie, influence extérieure et contraignante sur les projets, difficultés pour disposer d’une marge flexible de fonds à disposition pour monter de nouveaux projets, investissements disproportionnés de temps et d’argent pour la gestion au détriment du travail associatif, etc.
82
b) Soutien à la mise en place de conditions cadres pour le développement de l’ESS
Nous venons de voir que les subventions de l’Etat constituent un soutien public à double
tranchant et qu’elles sont actuellement plutôt difficiles à obtenir. Afin d’éviter les aléas des aides
directes de l’Etat ou du moins de ne pas dépendre que de cela, il est pertinent, dans le contexte
actuel, d’imaginer de nouvelles formes de soutien innovantes et sans doute plus cohérentes. Une
des solutions d’avenir est constituée des investissements de l’Etat dans les conditions cadre du
développement de l’ESS. Depuis peu, certaines politiques sont mises en place pour investir
indirectement dans un développement plus global de l’ESS, ceci dans le cadre de politiques
d’emploi, de réinsertion, et de conversion de l’économie vers un développement durable. Il est
question de créer des synergies entre le monde politique et la Chambre pour mettre sur pied une
politique de développement local incluant l’ESS. Il s’agit notamment de :
- Promotion économique, par exemple avec le soutien d’un « incubateur » destiné à la
création d’entreprises sociales et solidaires.
- Formation : en créant des cours et des stages pour étudiants en lien avec l’ESS (hautes
écoles, universités).
- Politique des marchés publics : les collectivités publiques élaborent actuellement des
critères sociaux et environnementaux pour faire en sorte que les offres publiques d’achat
favorisent les entreprises ESS et le commerce équitable. Notons aussi que la négociation
d’accès prioritaires aux marchés publics est un des objectifs d’APRES.
- Attribution de crédits, de bourses et de financements pour tout ce qui touche à la création
d’activités dans le domaine de l’ESS.
De plus, ces différentes formes de soutien pourraient être formalisées ou prendre corps au
travers d’une loi cadre pour l’économie sociale et solidaire, ce qui n’existe pas encore en Suisse.
En France, les SCOP (sociétés coopératives ouvrières de production) bénéficient d’un statut légal
spécifique. La loi qui s’y réfère, réformée en 1978, « facilite l’usage de ce statut : elle abaisse le
nombre minimum de sociétaires de 7 à 4 ; autorise le statut de société à responsabilité limitée
(SARL) et plus seulement de société anonyme (SA) ; permet aux chômeurs de transformer leurs
indemnités en parts sociales » (Demoustier, 2003 : 54). Plus récemment, en 2000, une nouvelle
83
forme juridique a été créée : les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), qui « permettent
d’associer aux salariés d’une coopérative des usagers et bénévoles ainsi que des personnes
morales extérieures » (Demoustier, 2003 : 72).
c) Des politiques publiques intégrant le secteur ESS
Enfin, il est important de mentionner certaines actions politiques qui n’ont pas comme
objectif premier de renforcer l’ESS, mais qui intègrent ce secteur à travers d’autres buts et
contribuent ainsi indirectement à le développer.
A Genève, dans le cadre de la lutte contre le chômage, l’Etat a notamment mis en place
deux processus de (ré)insertion sur le marché de l’emploi : d’une part pour les chômeurs en fin de
droit, avec les emplois de solidarité effectués dans le domaine de l’ESS et d’autre part pour les
étudiants qui ont terminé leurs études et qui cherchent une première expérience professionnelle,
avec le Projet Première Expérience (PPE). En plus de combattre le chômage en créant de
l’emploi dans des activités conformes au développement durable, les emplois de solidarité
apportent un financement important à ce secteur, en assurant la majeure partie de la rémunération
offerte aux anciens chômeurs. Pour ce qui est du projet PPE, c’est APRES qui assure le service
de placement : pour cela, il reçoit également un financement conséquent, lui permettant de
renforcer ses activités.
Bien sûr, comme nous l’avons déjà vu à plusieurs reprises, la question de
l’instrumentalisation des pouvoirs publics n’est pas absente. La Chambre doit rester vigilante et
veiller à ce que l’ESS soit reconnue dans sa globalité et non comme une économie de l’insertion.
Pour éviter de confiner les activités appartenant à l’ESS dans une économie de
« sauvetage » ou de « récupération » ou d’économie « subalterne », Sue et Aznar (Aznar et al,
1997 : 104) proposent de parler de nouvelle « perspective économique », d’une nouvelle
dimension de l’économie. Le Tiers secteur ou l’économie sociale ont cet inconvénient de séparer
l’économie marchande d’une « autre » économie, alors qu’il faudrait y voir une complémentarité.
Sue préfère le terme de « secteur quaternaire », pour éviter la confusion avec les trois secteurs
84
économiques déjà définis dans la comptabilité nationale de l’Etat. Pour Aznar cependant, il
faudrait même éviter le mot « secteur » : en effet, il s’agit d’un mode économique transversal aux
différents secteurs, qui peut tout aussi bien convenir à l’agriculture, à l’industrie ou aux services.
Mais difficile de ne pas faire usage du terme tiers, l’ESS n’étant ni de l’économie marchande ni
de l’économie publique et donc bien un troisième type d’économie reposant sur un
fonctionnement, une régulation, des structures et des valeurs propres (Aznar et al, 1997).
4.3 Quel avenir proche pour l’ESS ?
4.3.1 Quels sont les freins au développement de l’économie sociale ?
Jusqu’à présent, nous n’avons que très peu abordé les faiblesses de l’ESS. Ce chapitre
consacré au potentiel de l’ESS est l’occasion de rappeler ce qui peut freiner son développement.
Tout d’abord, le problème du manque de capitaux. En raison du fait qu’il est
statutairement impossible de rémunérer individuellement le capital, ce qui n’incite pas les
investisseurs à choisir ce type de placements (pas d’OPA possible) (Demoustier, 2003), les
investisseurs préfèrent placer dans d’autres secteurs marchands bien plus rentables. Il est possible
cependant que cela change : de plus en plus d’investisseurs cherchent, davantage qu’un haut taux
de rentabilité, d’une part des placements sûrs, et d’autre part des placements éthiques, qui ont du
sens. Par ailleurs, l’ESS étant souvent une économie de petite échelle et de PME, les entreprises
dégagent souvent un bénéfice qui est insuffisant pour réinvestir dans de nouvelles activités,
parfois même pour survivre.
Deuxièmement, même si nous avons vu que l’ESS couvrait presque tous les types
d’activité économique, elle « ne peut prétendre à couvrir l’ensemble du secteur industriel. Elle a
davantage vocation de s’occuper des secteur interstitiels du capitalisme […] » (Gueslin,
1998 :327).
85
Troisièmement, les entreprises de l’ESS « véhiculent des valeurs d’effort et d’éthique
pas si facile à atteindre et pas toujours très attractives : sacrifice de soi, exigence de vertu. »
(Gueslin, 1998 : 328). Dans le même sens, les règles strictes d’une coopérative ne sont pas
toujours respectées, et certains en profitent pour s’enrichir, faisant fi des principes fondamentaux.
Enfin, mentionnons encore les carences en matière d’administration. Comme le dit
Gueslin (1998 : 386), « le militant n’est pas forcément un bon gestionnaire ». De plus, les
responsables d’organisations de l’ESS sont souvent amenés à être très polyvalents et à maîtriser
des domaines de compétences très variés : ceci conduit parfois à des situations ingérables et
préjudiciables aux projets en raison d’un manque de capacité de gestion technique.
Dans la continuité de ce débat, la contrainte de non-lucrativité n’est-elle pas un obstacle
à une production de moyenne ou grande échelle ? Il existe des exemples concrets de coopératives
ayant pu produire à grande échelle et qui contredisent cette affirmation: par exemple la
coopérative industrielle « Mondragón », aux Pays Basques. Cette coopérative regroupe 210
entreprises et entités (dont environ la moitié sont elles aussi des coopératives), structurées en trois
groupes sectoriels: la finance, l'industrie et la distribution, et des aires de recherche et de
formation. C'est l'un des plus grands groupes coopératifs du monde et le septième groupe
industriel en Espagne, avec 10,5 milliards d’euros de ventes dans son activité industrielle et de
distribution, 10 milliards d’euros de ressources intermédiaires dans son activité financière et des
effectifs qui s’élevaient fin 2004 à plus de 70’000 travailleurs au total, dont une moitié de
sociétaires99. Ses politiques salariales, d’emploi et son fonctionnement organisationnel montrent
que les principes fondamentaux de la coopérative n’ont pas été abandonnés pour autant.
En suisse, la Banque Alternative ou le fond de pension « Nest » montrent que le secteur
financier, qui implique d’être suffisamment solide pour gérer des grandes quantités d’argent, est
aussi représenté dans l’ESS.
Dernier frein éventuel au développement de l’ESS, ne touchant pas à des questions
techniques ou financières. Si l’ESS reste confinée sans son rôle d’économie supplétive, destinée à
corriger d’une certaine manière les échecs ou défauts du marché (rôle palliatif), et que l’Etat ne 99 Source : Wikipédia
86
soutient que cette dimension-ci, il est certain que l’ESS aura du mal à se développer en dehors
des sphères de la réinsertion ou des services sociaux à la personne.
4.3.2 Quel potentiel en terme de création d’emplois et de nouvelles activités liées au développement durable ?
On a vu que le poids de l’ESS en terme d’emplois était encore assez marginal : moins
de 10% de l’économie. Cependant, à l’heure ou les économies post-industrielles connaissent des
fortes baisses de leur croissance, parfois des récessions, et surtout une réduction des besoins en
main d’œuvre (technologies, « machinisation », pression de la compétitivité et délocalisations),
l’économie sociale n’est-elle pas un secteur qui pourrait créer de nouveaux emplois ?
Aujourd’hui, beaucoup d’experts reconnaissent que les problèmes de chômage, de la
baisse du pouvoir d’achat, ne sont plus conjoncturels, mais bien structurels. Selon Guy Aznar
(1997), la crise qui a connu des fluctuations depuis 1970 (fin des Trente Glorieuses) n’est pas liée
à une contraction de la croissance, mais avant tout à une transformation profonde de nos sociétés.
Ce n’est pas l’accumulation de richesses qui fait défaut (le PIB n’a cessé d’augmenter année
après année) : les nouvelles technologies créent plus de richesses que jamais, mais elles
contractent dans le même temps les besoins de main d’œuvre ; la concurrence internationale
oblige beaucoup d’entreprises à délocaliser ; la façon dont le capital est redistribué continue de
créer des inégalités ; enfin, la marchandisation de notre économie a permis de satisfaire, dans la
plupart des cas, les besoins matériels fondamentaux, mais elle ne garantit pas les besoins
immatériels plus profonds (relationnels, etc). L’enjeu, aujourd’hui, réside donc dans la façon dont
on organise le travail et dans le type d’activité que l’on met en œuvre, notamment dans son
apport relationnel et humain (Aznar et al, 1997). Parallèlement, le critère quantitatif exprimé par
l’obsession d’un bon taux de croissance devrait prendre moins d’importance que l’aspect
qualitatif (Laville, in Aznar et al, 1997). L’intérêt et le sens de notre activité100, pas
nécessairement rémunérée, devraient désormais primer.
100 Le terme « activité » ouvre davantage de perspective que le terme « emploi » : il inclut tant les emplois rémunérés (salariés) que le temps bénévole, les emplois atypiques (stages, emplois solidaires). La notion d’activité, même si elle peut être également interprétée de manière négative (une « semi-activité » ou un « sous emploi »), permet également de considérer les activités non rémunérées (bénévolat, temps libre, loisirs,…) comme étant valables et souhaitables,
87
Ne faut-il alors pas « réinventer » l’emploi, selon les termes de Laville et Caillé (Aznar
et al, 1997) en lui donnant une autre valeur, une nouvelle utilité sociale, et en le déconnectant du
produit économique qu’il permet de générer ? Une économie porteuse de sens, non marchande,
dans laquelle les acteurs se sentent fortement impliqués et poursuivent des buts au-delà d’un
salaire.
Certaines activités sociales et écologiques non rentables mais socialement utiles
n’attirent pas le secteur de l’économie lucrative et sont délaissées pour différentes raisons par
l’Etat. Entre ceux qui soutiennent que l’économie marchande est la seule qui permette réellement
de créer de la richesse et de la redistribuer, stigmatisant ceux qui n’ont pu ou voulu suivre les
règles du jeu, et ceux qui défendent les salariés les moins bien lotis contre les plus nantis et une
action forte de l’Etat pour aider les laissés-pour-compte (Aznar et al, 1997), certains imaginent
que l’on doit favoriser de nouvelles initiatives en s’engageant sur une voie plus constructive. Le
Tiers secteur donne la possibilité de créer des activités en dehors de ces deux pôles fortement
définis par des logiques qui leur sont propres, et surtout, en dehors de la contrainte de la
croissance et de la compétitivité globale.
Aznar et al (1997 : 97) affirment : « Laisser au marché les services à la personne n’est
pas souhaitable, ni forcément possible […]. Améliorer la qualité de vie doit résulter d’un
foisonnement d’initiatives, au niveau local, plutôt que d’une extension du service public ». Le
secteur marchand ne peut à lui seul répondre aux besoins de réinsertion sur le marché de l’emploi
des chômeurs et des personnes en rupture (ou désaffiliées pour reprendre l’expression de Castel) :
il faut créer de nouvelles activités, dans des domaines non marchands comme l’économie sociale
et solidaire (Laville, in Aznar et al, 1997). Si Laville et Aznar insistent sur le service à la
personne et la réinsertion, il est utile de rappeler que cette vision est jugée exiguë par certains
acteurs de l’ESS, et de la Chambre genevoise de l’ESS notamment : « l’entreprendre autrement »
et de débattre de la place du travail face au temps libre (« temps choisi » ou aux activités non rémunérées dans notre société.
88
peut et doit toucher tous les domaines de l’économie, y compris les sphères dont on pense
qu’elles sont habituellement réservées aux entreprises capitalistes101
« La production de services dans l’économie solidaire est construite conjointement par
l’offreur et le demandeur, au lieu de résulter d’une objectivation de la demande par une étude de
marché ou par un choix bureaucratique. Usagers, professionnels, médiateurs sociaux […]
inventent par leurs interactions des services inédits » (Laville, in Aznar et al, 1997 : 112). La
diversification des activités (créativité sociale) ne conduit d’ailleurs pas qu’à la création
d’emplois rémunérés, mais aussi à des activités bénévoles. Entreprendre dans des secteurs non
marchands (c.f. incubateur) et créer un nouvel espace socio-économique qui puisse lier
production de richesse et de services et utilité sociale constitue une voix intéressante pour offrir
une activité à tous et rentrer pleinement dans une économie du développement durable.
Déconnectée des impératifs de croissance et da la rémunération du capital, l’économie sociale
peut envisager son action en dehors de la concurrence internationale et des contraintes de profit.
Elle permet ainsi de renforcer le développement de l’économie locale, face au grand problème
des délocalisations, auxquelles les entreprises d’aujourd’hui ont de plus en plus recours.
De fait, cela fait plusieurs décennies que l’économie sociale crée des emplois, alors que
la tendance est plutôt à la contraction dans le secteur marchand : entre 1982 et 1990, ce sont pas
moins de 1,5 millions d’emplois qui ont été créés, par exemple, en France (Laville, in Aznar et al,
1997).
Des nouveaux besoins concrets, liés aux grands enjeux de notre époque, apparaissent et
pourraient être pris en charge par l’économie sociale : d’un côté, le vieillissement de la
population, par exemple, nécessite de nouveaux services aux personnes ; de l’autre, les
problèmes environnementaux incitent à la création d’activité répondant à des nécessités
écologiques (services collectifs) (Aznar et al, 1997). Selon une étude du WWF, la Suisse compte
actuellement pas moins de 95'000 emplois liés à l’environnement et il y aurait entre 30'000 et
101 Nous reprenons ici l’argumentation de Stanislas Zuin, déjà mentionnée en page 45, et tirée d’un article du Centre d’études socialistes (CES), Repère social N° 74, mars 2006, en ligne sur http://www.ce-socialistes.ch/Archives/Stanislas%20Zuin%2025.01.07.htm
89
40'000 nouveaux postes qui pourraient être encore créés d’ici à 2015102. Certes beaucoup de ces
emplois ne concernent pas directement l’ESS (architectures, écobilans, placements éthiques),
mais certains, comme l’agriculture bio, vont forcément également contribuer au développement
de l’économie sociale.
Pour stimuler la création d’emploi, il ne fait pas beaucoup de doutes que les politiques
publiques ont un rôle important à jouer : à Genève, l’exemple de l’incubateur va tout à fait dans
ce sens. D’autres politiques incitatives (fiscalité, financement direct,…) pourraient être
envisagées. Le potentiel de l’ESS est encore loin de faire l’unanimité et d’être mesuré à sa juste
valeur, même si les emplois touchant à l’environnement explose (mais pas uniquement dans les
secteurs sans but lucratif). Pour Laville (in Aznar, 1997 : 116), « l’innovation socio-économique
a du mal à être considérée sur le même plan que l’innovation technologique ». Le milieu
associatif et des organisations à but non lucratif ont cette flexibilité continue d’adaptation et de
réactivité pour faire face aux besoins de la population. Les structures et buts de ces organismes,
proche du terrain, se renouvellent facilement, au contraire, par exemple, de structures lourdes et
relativement figées comme l’Etat. L’innovation et la créativité est donc particulièrement
importante dans cette sphère, et en cela, constitue un potentiel important d’emplois et d’activités.
En France, les SCOP (société coopérative ouvrière de production) sont un bel exemple
de réponse aux problèmes d’emplois. Luttant contre la fermeture d’entreprises et intégrant des
personnes au chômage ou en difficulté socio-professionnelle, les SCOP sont des « formes
d’entreprises alliant intégration sociale et autogestion, emploi et intérêt au travail » (Demoustier,
2003 : 54). Les politiques ont compris leur intérêt en adoptant une loi qui leur confère un statut
avantageux et leur accorde des subventions (voir chapitre 4).
Hausser les revenus (politique de relance de la demande), réduire le temps de travail et
mieux le partager (à ne pas confondre avec la flexibilité imposée du travail dérégulé comme le
temps partiel ou le travail intérim) et compter sur les secteurs publiques et marchands ne suffira
probablement pas pour construire l’économie de demain. Aznar et al (1997) prônent une véritable
102 Informations parues dans l’article du « Courrier » intitulé « Ces métiers qui jouent l’atout vert », mercredi 5 novembre 2008
90
transformation socio-culturelle fondée à la fois sur la régression du travail salarié (notamment par
la réduction du temps de travail) et la réponse au désir d’épanouissement personnel. Les activités
propres à l’économie sociale sont adéquates pour accueillir ce changement de nos comportements
et valeurs. Il s’agit donc de développer une économie plurielle, réunissant économie marchande,
publique et économie sociale (Anar et al., 1997).
4.3.3 La vision et le potentiel de l’ESS genevoise
Schématiquement, on peut mettre en évidence deux orientations ou deux visions de
l’ESS qui dans certains cas s’affrontent et dans d’autres se complètent. Précisons que nous avons
dégagé et déduit ces visions politiques certainement très schématiques de débats et rencontres
diverses entre acteurs de l’ESS, mais qu’en aucun cas elles n’ont été théorisées ou fomalisées
dans des documents publics. Certains protagonistes privilégient l’esprit d’entreprise,
l’entrepreneuriat social « l’entreprendre autrement », avec la production de biens et de services
rentables ; d’autres n’ont foi qu’en une économie sociale dans sa dimension la plus solidaire,
associative, avec des services à bas coûts. La pluralité des organisations membres de la Chambre
genevoise indique sans doute que celle-ci revendique une complémentarité et s’engage pour ces
deux orientations. L’avantage de la première vision est son potentiel pour gagner d’autres
secteurs productifs, son autonomie financière et le fait de disposer des ressources nécessaires
pour s’agrandir et développer des activités. Son inconvénient est la tentation de basculer dans un
logique marchande peu distincte de toute entreprise à but lucratif ou du moins de placer les
activités commerciales au-dessus du but social. La deuxième vision comporte clairement l’atout
de ne pas être mise sous pression par une quelconque activité de vente et de ne pas corrompre les
buts sociaux de l’organisation. Elle présente en même temps le défaut de la dépendance à des
ressources extérieures et le fait que l’économie sociale reste confinée à un rôle très précis et dont
le développement sera réduit.
Nous retrouvons ici la dichotomie clients versus prestataires. D’un côté la vente de
services et de produits qui tiennent compte des critères sociaux et écologiques mais qui sont
offerts aux prix du marché – par exemple le commerce équitable – et dont les destinataires sont
des clients solvables. De l’autre, des prestataires de services gratuits ou à bas coût qui
91
fonctionnent grâce aux dons, subventions et petites activités commerciales – par exemple les
épicerie Caritas ou le service juridique du Centre Social Protestant – et dont le public constitue
des bénéficiaires à qui on offre un service.
L’ESS genevoise, par le biais de la Chambre, doit probablement essayer de trouver une
voie entre ces deux approches. Vouloir trop s’axer sur l’entrepreneuriat social portera d’une
façon ou d’une autre préjudice au milieu associatif sans activité rentable, alors que c’est ce milieu
qui est principalement à la base de la solidarité et de l’adaptation à l’évolution des problèmes de
société. De même, délaisser l’aspect entrepreneurial de l’ESS en reviendrait à ne pas miser sur la
capacité de l’ESS à se déployer également dans de nouveaux secteurs productifs et peut-être de
gagner du terrain sur le marché traditionnel.
Autre enjeux important pour les temps à venir et qui pourrait faire l’objet d’un travail en
soi mais que nous sommes contraints de n’aborder que très brièvement, ce sont les règles et lois
concernant les statuts des collaborateurs et les contrats de travail au sein de l’ESS : emplois de
solidarité accordant des rémunérations légèrement en-dessous des salaires de branche (mais au-
dessus de l’assistance sociale), recours fréquent à des stagiaires et des personnes en fin de droit
dans le cadre de placements temporaires ou de contre-prestation, salaires des employés parfois
en-dessous de la normale en raison de chiffres d’affaires insuffisants, l’ESS est sujette aux
critiques et contestations des syndicats et d’une partie de la gauche. Ceux-ci accusent l’ESS (ou
les politiques publiques qui y font recours, par exemple dans le cas des mesures de réinsertion
pour chômeurs en fin de droit) de sous-enchère salariale et de contribuer à précariser les
conditions salariales. Bien entendu, dans un certain nombre de cas, ce type de pratiques se
justifient et ne sont pas spécifiques à l’ESS. Mais le respect de critères sociaux étant prioritaire
dans l’ESS, ces questions touchent à un point sensible et complexe qui ne peut être écarté et qui
constituera certainement une des questions centrales ces prochaines années. La Chambre doit-elle
élaborer, avec ses membres, des conventions collectives de travail par branche et spécifiques à
l’ESS ? Doit-elle simplement reprendre les conventions existantes ? S’agira-t-il d’une régulation
interne ou est-ce que l’Etat interviendra pour régler ce problème ? De même, les bonnes pratiques
mutualisées constituent-elles une base suffisante pour que les organisations membres appliquent
d’elles-mêmes des minima salariaux ?
92
4.4 Echecs de marché et crise capitaliste : quelle place et quelle vision d’avenir pour l’économie sociale ?
Tout au long de ce travail, nous avons abordé quelques échecs caractéristiques du
marché. L’actualité révèle bien davantage que des échecs : de graves dysfonctionnements, une
véritable crise économique engageant d’importantes transformations institutionnelles, sévissent
sur la planète. Des réunions internationales et aménagements actuels sortira probablement un
capitalisme nouveau. Ce contexte favorise-t-il l’émergence d’un débat de fond, comprenant par
exemple une réflexion sur la place du social et de l’environnemental dans l’économie, ainsi que
sur la notion de profit et d’accumulation de capital et leurs limites ? Le moment est-il venu de
débattre des progrès sociaux qui peuvent être faits à l’intérieur même des entreprises et pas
seulement dans le secteur à but non lucratif et non marchand (Demoustier, 2003) ? Enfin, et
surtout, quelle place occupe l’économie sociale dans ce débat et est-on prêt aujourd’hui à
admettre que des entreprises à but non lucratif peuvent être tout aussi efficaces ?
Dans le contexte de la crise économique qui s’est déclarée en 2008, le système
capitaliste néolibéral est remis en cause ou pour le moins a fait surgir des doutes profonds, parfois
même pour les plus convaincus. Même si la tendance va clairement vers un encadrement et une
transparence accrus du capitalisme financier devenu trop « sauvage », et non un changement
fondamental de doctrine économique, il est certain qu’une prise de conscience sur l’aspect
souvent irrationnel et extrêmement complexe de notre système économique, pouvant mener à de
graves crises, a émergé chez une large portion de la population : l’espace de critique, de
propositions et de régulations sociales a rarement été aussi important. Bien entendu, si les
constats sont unanimes, les solutions imaginées divergent fortement. Entre les tenants du
capitalisme plus ou moins régulé et réformé, les partisans d’un retour de l’Etat comme
actionnaire ou détenteur d’entreprises ou de banques (nationalisation partielle ou entière) ou dont
le rôle de contrôle et de surveillance serait renforcé (régulation forte), les positions restent tout de
même assez polarisées. Dans les deux cas, il est admis que l’Etat jouera un rôle plus important et
que le secteur privé n’agira plus avec les mains aussi libres qu’avant, en particulier dans le
domaine de la finance.
93
Ce recours à l’Etat, d’un côté non désiré mais oblige pour les libéraux, de l’autre
vivement revendiqué depuis des décennies tant par des courants socialistes que réformistes
(keynésiens), montre d’une certaine manière que les mentalités sont restées encrées dans la
dichotomie économie privée – ou marché – versus économie publique (le point de rencontre
entre ces deux sphères étant la régulation publique, les règles qui encadrent le marché). Pour les
plus fervents de l’Etat, certains secteurs en main de l’économie de marché (immobilier, finance)
devraient même passer sous contrôle, direct ou non, de l’Etat. Mais la plupart des partisans de
l’intervention de l’Etat souhaite uniquement un contrôle accru, et donc une coexistence entre
marché et Etat. Quel que soit le niveau d’intervention étatique souhaité, il nous apparaît que la
plupart des courants politiques contemporains conçoivent principalement la mise en application
et le respect de l’intérêt général à travers l’action de l’Etat – lorsque, bien sûr, le marché n’a pas
pu le faire de lui-même. L’Etat est sans doute l’entité la plus légitime pour s’assurer que les
conditions nécessaires au respect de l’intérêt général soient réunies ; il est plus difficile de juger
son aptitude à gérer des entreprises, débat dans lequel nous ne rentrerons pas ici. Mais en tout les
cas, il n’est certainement pas le seul agent, la seule institution, permettant de satisfaire la volonté
générale et le bien commun : l’économie sociale et solidaire est une voie qui se situe entre
marché et Etat, et qui peut s’intégrer dans le fonctionnement des deux sphères souvent mises en
opposition.
Dans les débats actuels, on voit ressurgir la nécessité d’un Etat fort : qu’on partage ou
non cette esquisse de solution proposée, il s’agit bien d’une conviction qui est probablement tout
aussi subjective que la vision d’un marché qui fonctionne grâce à la main invisible et qui n’a pas
besoin de régulations. Dans un cas de crise, l’Etat est une valeur sûre, une sécurité. Mais
contient-il les éléments novateurs d’un renouveau économique, fondé sur une gestion durable des
ressources et de leur redistribution ? Difficile de répondre à cette question. Nous serions tentés de
dire que l’économie sociale et solidaire a l’avantage de réformer l’entreprise de l’intérieur, à
travers l’action de valeurs endogènes à sa logique non lucrative. Face aux limites de la régulation
contrainte et externe, peut-être est-ce une voie plus prometteuse.
Nul doute que « les entreprises collectives peuvent – et veulent – influencer
concrètement les débats actuels sur la place de l’économique dans la société. L’expérience
94
quotidienne de ces organisations qui tentent de concilier les contraintes économiques avec leurs
pratiques démocratiques et leurs objectifs de solidarité sociale est le premier de leurs arguments
[…] » (Demoustier, 2003 : 103). Un courant plutôt réformiste considère que l’économie doit être
« plurielle » (Aznar et al, 1997), c'est-à-dire également non monétaire et solidaire, et non plus
seulement marchande et monétaire. Cette économie sociale doit bénéficier d’une meilleure
reconnaissance. Ce courant espère bien entendu que le Tiers secteur puisse s’agrandir.
Un autre courant, plus radical « voit dans les entreprises collectives la preuve que
l’entreprise lucrative n’est pas l’horizon indépassable de notre système économique »
(Demoustier, 2003 : 104). En d’autres termes, on pourrait aller plus loin que la société capitaliste
qui ne serait pas, au contraire de la théorie du philosophe Fukuyama, « la fin de l’histoire »103. Ce
projet de dépassement du capitalisme par le biais de l’économie sociale n’est bien sûr pas
nouveau. Fourier, Jaurès, Gide, ont en été des partisans. Gide, par exemple, revendiquait en son
temps un projet de « République coopérative », ce qui signifiait la suppression de l’échange
capitaliste (l’industrie commerciale) et l’abolition du salariat, par la création simultanée de
fabriques fédérales contrôlées par la coopération de consommation (Gueslin, 1998). Son projet de
société était cependant mal considéré, car associé au risque d’une société collectiviste qui étouffe
l’initiative individuelle.
Il est difficile de marquer la frontière entre une transformation fondamentale des
entreprises marchandes vers l’application de principes du développement durable et de
l’économie sociale (un mouvement de progression), coexistantes avec des entreprises sans but
lucratif, et le remplacement progressif d’entreprises marchandes par des entreprises sociales
(dépassement). Le but de notre propos ici n’est pas de discuter sur la nature inhérente ou non du
capitalisme à ne pouvoir fonctionner autrement qu’avec un but de profit, et donc à pouvoir ou
non se réformer fondamentalement en intégrant des critères sociaux et environnementaux. Nous
ne creuserons pas non plus l’hypothèse selon laquelle le marché aurait atteint certaines limites
(financières, écologiques ou sociales) qui obligeraient ou inciteraient fortement les acteurs
économiques et les gouvernements à adopter des mesures radicales (par exemple la lucrativité
limitée). Il est par contre plus probable que les caractéristiques du contexte socio-politique actuel
103 Francis Fukuyuma, in « La Fin de l'Histoire et le dernier homme », 1992
95
ne pourront que déboucher, tout au plus, sur un développement des entreprises sociales, assurant
une complémentarité à l’amélioration de la responsabilité sociale et écologique des entreprises
marchandes. Pour une majorité des intellectuels que nous avons étudiés dans ce travail, l’enjeu
réside avant tout dans les interactions que l’économie sociale pourra développer avec l’économie
marchande, l’économie publique et l’économie non monétaire. Et dans la place qu’elle occupera
au sein de cette économie plurielle.
4.6 L’économie sociale et solidaire : une nouvelle forme de régulation sociale ?
« Il (l’Etat) est pris en tenaille par deux courants politiques antagonistes. D’une part il
est prié de réduire son influence et d’autre part il est partout appelé au secours » (Bürgemeneier,
1994 : 56). Il est cependant clair pour Bürgenmeier (1994) que la régulation sociale ne peut
s’effectuer qu’avec des mesures conformes aux règles du marché ou qu’avec une économie
entièrement planifiée. Dans cet antagonisme idéologique, l’économie sociale n’offre-t-elle pas
une nouvelle voie, un subtil mélange et un aboutissement logique entre l’économie privée et
publique ? Elle conjugue en effet l’esprit d’entreprise, incite à l’innovation, tout en respectant un
cadre strict de valeurs sur le plan écologique et social.
Dès lors, l’ESS peut-elle jouer un rôle régulateur, voire un rôle transformateur ? Pour
Demoustier (2003) en tout cas, dans l’interaction entre les différentes sphères économiques, et en
dehors de son poids économique non négligeable, l’ESS a bien un impact au niveau de la
régulation. Cohésion sociale, lutte contre le chômage, services sociaux : l’ESS agit clairement en
comblant une partie des failles de l’économie marchande. Mais au-delà de ce rôle régulateur, de
quelle capacité dispose l’économie sociale pour influencer les règles du jeu, généralement
davantage régies par la logique concurrentielle ou la dérégulation ? L’ESS peut elle proposer de
nouvelles règles qui seraient intégrées par l’économie marchande ? L’économie sociale a en tous
les cas le mérite de poser des questions concrètes : elle met en relation l’appropriation collective
des moyens de production avec la concentration de la propriété et du pouvoir ; elle propose des
moyens concrets de réorganisation démocratique et participative à l’intérieur des entreprises,
projetant ainsi une nouvelle vision de la citoyenneté, beaucoup plus active ; elle repense la
96
question du travail, du salariat, ainsi que de leur place dans la société ; enfin, elle touche
l’épineux sujet de la redistribution des excédents : pas d’enrichissement individuel, mais des
objectifs visant une utilité sociale.
A ce jour, il est impossible de dire si l’économie sociale a véritablement un impact sur
la société marchande, si elle tend à modifier ses règles de l’extérieur. Sans doute a-t-elle un rôle
régulateur non négligeable, mais il est difficile d’évaluer sa responsabilité dans la transformation
du comportement des acteurs économiques au sens large.
5. Conclusion
97
Après notre mise en relation de l’Agenda 21 et de la Charte de l’ESS (plan théorique,
chapitre 2), et après avoir examiné de plus près les activités réelles de l’ESS (chapitre 3), nous
sommes arrivés à la conclusion que l’action des acteurs de l’ESS était totalement conforme et
semblable en de nombreux points aux principes et aux critères du développement durable. Que de
ce fait, elle apportait une contribution importante à l’économie du développement durable,
notamment grâce au fait qu’elle a une capacité particulièrement élevée à mettre en œuvre très
concrètement, aujourd’hui, les principes du développement durable. Nous confirmons ainsi notre
première hypothèse.
Par ailleurs, nous avons mis en évidence la capacité endogène de l’ESS à produire des
biens et des services de manière durable, ainsi qu’à être en mesure de proposer aux
« consom’acteurs » une autre façon de consommer, plus responsable. Grâce aux principes de
non-lucrativité (ou lucrativité limitée) et à la priorité donnée à l’utilité sociale (définition
d’objectifs sociaux et environnementaux), l’ESS conduit ses activités en se basant sur des valeurs
intrinsèques à son fonctionnement et à ses buts, appliquant une sorte d’auto-régulation, et se
renforçant par une identité forte, construite autour de la Charte. Alors que le développement
durable est naturel et inhérent à ses activités, il est une contrainte exogène ou un « plus » pour les
entreprises marchandes et les collectivités. De plus, le processus « bottom-up » caractéristique de
l’ESS est une force indéniable par rapport à l’approche plus institutionnelle de l’Agenda 21.
Nous avons également conclu de cette analyse que l’ESS non seulement met en œuvre
au quotidien les principes du développement durable, mais aussi et surtout exprime la dimension
sociale du développement durable avec beaucoup plus d’intensité que l’Agenda 21, tant sur le
plan théorique que pratique. Cette observation va dans le sens de notre seconde hypothèse de
départ, que nous confirmons mais avec quelques nuances déjà exprimées plus tôt dans ce travail :
l’ESS n’a pas le monopole de la dimension sociale du développement durable, l’Agenda 21
contenant de nombreux éléments sur ce sujet. De plus, sur le plan pratique, nous n’avons pu
porter nos observations que sur les acteurs de l’ESS – dont nous savons qu’ils mettent en œuvre
avec vigueur la dimension sociale – ce que nous n’avons pu faire pour l’économie marchande et
l’économie publique (même si d’autres éléments d’observations non relevés dans ce travail
indiquent que l’ESS est effectivement beaucoup plus engagée sur la question sociale du
98
développement durable). Nous concluons donc que l’ESS exprime avec plus de vigueur la
dimension sociale du développement durable, affirmation moins rigide que l’hypothèse initiale.
A propos du potentiel de développement de l’ESS, nous relevons une tension
importante et ancienne de l’économie sociale. Elle doit « s’assurer d’un double ancrage : d’une
part, rester portée par la société civile et ses mouvements pour garder son élan et sa capacité
créatrice ; d’autre part, s’insérer résolument dans le paysage socio-économique en osant, quand
c’est possible, passer de l’expérimentation à des pratiques plus larges et forcément plus
structurées » (Laville, 2006 : 286). En d’autres termes, l’économie sociale doit être en mesure de
conserver sa nature associative, au sein de petites structures, avec des services gratuits ou très bon
marché, être proche des gens et s’adapter continuellement aux besoins de la population ; tout en
jouant le rôle de véritables entreprises de taille conséquente, avec vente de biens et de
services compétitifs sur le marché, pouvant toucher de plus en plus de secteurs de l’économie,
notamment dans les énergies vertes.
Comme nous l’avons déjà évoqué dans ce travail, la Chambre genevoise de l’ESS
s’active sur deux objectifs complémentaires et confondus : être porteur d’un projet de société et
proposer une défense institutionnelle de l’ESS face aux autres acteurs économiques. Y a-t-il une
dimension à mettre plus en avant que l’autre? Difficile de répondre, mais il est clair que le projet
de société est partagé par beaucoup d’acteur de l’ESS et que cette conviction se renforce grâce à
la concrétisation de pratiques : il y a une « utopie mobilisatrice » s’incarnant dans des « utopies
pratiquées » (Desroche, cité par Dumoustier, 2003).
Le projet politique d’augmenter le poids de l’économie sociale peut être considéré
comme plus ou moins utopiste. Une des forces de l’ESS est d’exister et de fonctionner ; un autre
de ses points forts est le caractère transversal de ses valeurs : autonomie et autogestion, refus de
la logique du profit et démocratie participative sont des revendications que l’on peut trouver dans
des milieux progressistes très variés, allant des socio-démocrates aux milieux anarchistes. Les
valeurs inhérentes à l’économie sociale, sans être inconciliables avec les entreprises marchandes
(coexistence possible), peuvent donc réunir un large front d’individus souhaitant évoluer vers une
économie alternative. Bien sûr, certaines franges de l’économie sociale ne voient pas aussi large,
99
et se battent simplement pour que l’économie sociale existante puisse être reconnue à sa juste
valeur et se maintenir dans le champ économique.
Pour l’instant, les responsables de la Chambre de l’ESS et probablement une bonne
partie des acteurs de l’ESS se placent dans un esprit de complémentarité avec un capitalisme
régulé et responsable sur le plan social et écologique, soutenant une « pluralité économique
durable ». Mais pour certains l’ambition ne se limite certainement pas à cela : il y a une nécessité
de développer l’ESS, et pourquoi pas de reconvertir un maximum d’entreprises et de modèles
d’échanges vers une économie sociale et solidaire sans but lucratif.
Faire sa place ou prendre la place ? Personne ne peut deviner quelle place occupera
l’ESS à l’avenir, même si ceux qui la défendent souhaitent qu’elle grandisse considérablement.
En tous les cas, l’ESS ne veut pas se contenter d’un rôle résiduel, d’être une économie pour les
personnes fragiles, mais aimerait une reconnaissance institutionnelle digne de ce nom. Nous
avons pu constaté qu’une part des soutiens politiques actuels va d’ailleurs dans ce sens.
La crise actuelle du capitalisme met fortement en doute la durabilité de ce mode
économique : problèmes des inégalités sociales non résolus, limites écologiques de notre planète
et pollution à l’extrême et, surtout, non durabilité intrinsèque du système financier (endettements
faramineux, perte totale de confiance, faillites irréversibles, effondrement de grandes entreprises).
Il est temps de réfléchir à une économie durable sur tous les plans, déconnectée de l’illusion de la
croissance comme outil (unique) de bien être. Il est temps d’accorder plus de crédits à des
modèles économiques qui mettent en œuvre un développement durable basé sur la satisfaction
des besoins humains et le respect des limites de notre environnement : à nos yeux, l’économie
sociale est capable de remplir ce rôle et mérite donc de grandir.
Bien sûr des obstacles importants se dressent devant l’ESS et beaucoup de questions ne
seront pas pour autant résolues si elle gagne en importance. L’ESS ne contribue-t-elle pas
également à la croissance, cela d’autant plus si elle s’engage dans des secteurs marchands ou
industriels ? Elle devrait donc probablement, au-delà de ses préoccupations sociales et
écologiques, favoriser simultanément des changements comportementaux profonds qui tendraient
100
vers une réduction de la consommation. L’ESS peut-elle résoudre le problème du manque de
capitaux, dont l’accumulation (avec tous les inconvénients que l’on connaît) est la force
principale des entreprises capitalistes ? Certaines grandes entreprises et coopératives de l’ESS ont
montré que c’était possible, mais d’autres, à travers l’histoire, on disparu pour cette raison ou à
cause du fait que des coopérateurs avaient profité de s’enrichir. L’ESS est-elle capable de
contrôler et de mettre en œuvre les principes du développement durable tout au long de la chaîne
de production, de la manière dont la matière première est produite jusqu’à l’élimination des
déchets ? Et surtout, est-elle capable, au-delà de la dimension purement solidaire, de l’utilisation
durable des ressources (bénéfices) et d’une redistribution plus équitable, d’assurer de manière
systématique de bonnes conditions de productions ? L’ESS sait qu’elle n’est pas totalement au
point sur ce plan, et qu’elle devra encore considérablement évoluer dans ce sens.
6. Bibliographie
101
A) Ouvrages
- AZNAR, G., CAILLE, A., LAVILLE, J-L., ROBIN, J., SUE, R., « Vers une économie plurielle, un travail, une activité, un revenu pour tous », éditions Syros, Paris, 1997 - BOUDON-BOURRICAUD, « Dictionnaire critique de la sociologie », Presses Universitaires de France, 1ère édition Quadrige, Paris, 2000 - BÜRGENMEIER Beat, « Plaidoyer pour une économie sociale », éditions Economica, Paris, 1990 - BÜRGENMEIER Beat, « La socio-économie », éditions Economica, Paris, 1994 - BÜRGENMEIER Beat, « Principes écologiques et sociaux du marché », éditions Economica, Paris, 2000 - BÜRGENMEIER Beat, « Economie du Développement Durable », deuxième édition, éditions de Boeck, Bruxelles, 2005 - COLETTE Christine, PIGÉ Benoît, « Économie sociale et solidaire, gouvernance et contrôle », éditions Dunod, Paris 2008 - DEMOUSTIER D., « L'écononomie sociale et solidaire, s'associer pour entreprendre autrement », Alternatives Economique-Syros, 2ème édition, Paris, 2003 - GILBERT Virginie, « L’expérience d’APRES, Vers une nécessité d’associer les associations en Suisse », mémoire de diplôme, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, 2007
- GUESLIN André, « L'invention de l'économie sociale - Idées, pratiques et imaginaires coopératifs et mutualistes dans la France du Xixème siècle », 2ème Édition, éditions Economica, Paris, 1998
- LAVILLE Jean-Louis (sous la direction de), « Dictionnaire de l’autre économie », éditions Gallimard, Paris, 2006 - LIPIETZ, A., « Du halo sociétal au tiers secteur : pour une loi-cadre sur les sociétés à vocation sociale », in FOUREL, C., (Ed.), « La nouvelle économie sociale. Efficacité, Solidarité, Démocratie », éditions La Découverte & Syros, Paris, 2001
B) Documents et articles
102
- « Agenda 21 du canton de Genève, de l’idée à l’action », édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 - « Guide pratique de l’agenda 21 communal », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2002 - Développement durable, « Les PME passent à l’action », Agenda 21 du Canton de Genève, édité par République et Canton de Genève, Département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement, Service cantonal du développement durable, 2005 - DUNAND Christophe, « Economie sociale et solidaire: «poisson pilote» ou «voiture balai» de la nouvelle économie? », in Bulletin Vert, n°9 nouvelle série, janvier-février 2008, Genève, disponible sur http://www.apres-ge.ch/images/stories/bv09apres.pdf - ENJOLRAS, B., 1997, Associations, concurrence et fiscalité: les fondements économiques de l’utilité sociale, in Revue internationale d’économie sociale, no. 263. Nanterre. - ALTERNATIVES ECONOMIQUES, 2004, « Entreprendre autrement », Hors-Série no 14, Paris, Alternatives Economiques. - ALTERNATIVES ECONOMIQUES, 2006, « L’économie sociale de A à Z », Hors-Série no 22, Paris, Alternatives Economiques. - Guide du créateur d’entreprise sociale et solidaire, « Entreprendre autrement, c’est possible ! », édité par APRÈS, Chambre de l’économie sociale et solidaire, Genève 2006 - HILLENKAMP Isabelle, « L’écononomie solidaire, un modèle alternatif de développement ? Une approche intitutionnelle illustrée par le cas de la Bolivie », Institut des Hautes Études Internationales et du Développement, Genève, 2008 C) Sites internet www.apres-ge.ch : site de la chambre genevoise de l’économie sociale et solidaire
www.geneve.ch/agenda21 : site officiel de l’Agenda 21 du Canton de Genève.
www.geneve.ch/agenda21/pme : site de l’Agenda 21 avec le guide d’actions destiné aux PME
www.ville-ge.ch/agenda21 : site de l’Agenda 21 de la ville de Genève.
www.agenda21local.ch : plate-forme d’information de l’Office fédéral du développement
territorial qui présente des Communes engagées dans un processus d’Agenda 21 local.
www.iisd.ca : site de l’Institut International du développement durable.
103
www.emes.net: EMES, European Research Network, Emergence of social enterprises in Europe
www.unites.uqam.ca/crises/ : CRISES, Collectif de Recherche sur les Innovations Sociales dans
l’économie sociale, les entreprises et les syndicats, centre interuniversitaire de recherche
regroupant des chercheurs de plusieurs universités canadiennes du thème des "innovations et
transformations sociales".
http://w3.univ-tlse2.fr/cerises/welcome/index.php CERISES, Centre européen de ressources sur
les initiatives solidaires et les entreprises sociales
7. Annexes
104
LOI (8365) sur l’action publique en vue d’un développement durable (A 2 60) (Agenda 21) du 23 mars 2001 (entrée en vigueur : 19 mai 2001). Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève, Vu le programme d’action pour le XXIe siècle (Agenda 21) adopté par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement à Rio en juin 1992, Vu l’article 73 de la constitution fédérale, du 18 avril 1999, Vu l’article 160B de la constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, décrète ce qui suit : Chapitre 1: Dispositions générales Art. 1 But 1 L’ensemble des activités des pouvoirs publics s’inscrit dans la perspective d’un développement durable de la société, à Genève et dans la région, qui soit compatible avec celui de l’ensemble de la planète et qui préserve les facultés des générations futures de satisfaire leurs propres besoins. 2 A cette fin, on recherchera la convergence et l’équilibre durable entre efficacité économique, solidarité sociale et responsabilité écologique. Art. 2 Convergence des politiques publiques Le Grand Conseil et le Conseil d’Etat veillent à la cohérence des objectifs poursuivis et des modalités adoptées, dans tous les domaines de l’action publique, avec la perspective d’un développement durable. Art. 3 Orientation pluriannuelle Le Grand Conseil détermine les objectifs spécifiques de l’Etat en vue d’un développement durable (chapitre 2 de la présente loi). Ils sont revus et actualisés au moins tous les quatre ans, durant la première année de chaque législature. Art. 4 Calendrier de législature Le Conseil d’Etat publie et tient à jour un calendrier de législature des actions spécifiquement mises en oeuvre en vue d’atteindre les objectifs déterminés par le Grand Conseil conformément aux concepts cantonaux en vigueur. Art. 5 Evaluation Le Conseil d’Etat rend public, en début de législature, un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre de la stratégie en vue d’un développement durable durant la législature précédente. Art. 6 Concertation 1 Le Conseil de l’environnement institué par la loi d’application de la loi fédérale sur la protection de l’environnement, du 2 octobre 1997, est chargé de favoriser la concertation, la motivation et la participation de la société civile dans la perspective d’un développement durable. 2 A cette fin, le Conseil de l’environnement dispose notamment des attributions suivantes : a) il est consulté par le Conseil d’Etat avant le dépôt d’un projet modifiant la présente loi (art. 3) ; b) il est associé à l’élaboration du calendrier de législature (art. 4) ; c) il participe à l’évaluation de la mise en oeuvre de la stratégie en vue d’un développement durable (art. 5). Art. 6A Coordination Le Conseil d’Etat institue, au sein de l’administration cantonale, un comité de pilotage interdépartemental. Ce comité de pilotage a pour mission : a) d’élaborer un projet de calendrier de législature ; b) de faciliter l’exercice des attributions du conseil de l’environnement ; c) d’assurer la coordination des actions menées pour atteindre les objectifs fixés au chapitre 2 ; d) d’étudier et de proposer, sur demande du Conseil d’Etat, les mesures susceptibles d’accroître l’impact positif d’une décision gouvernementale sur le développement durable ; e) de faire toute proposition qu’il jugerait utile en la matière à l’intention du Conseil d’Etat et du Art. 7 Agendas 21 communaux L’Etat soutient et encourage la mise sur pied par les communes de programmes spécifiques en vue d’un développement durable dans leur domaine de compétence. Art. 8 Actions de la société civile 1 L’Etat soutient et encourage la réalisation de projets spécifiques en vue d’un développement durable par des personnes physiques ou morales. 2 A cette fin, il institue notamment un prix annuel distinguant un projet dont la réalisation a été particulièrement significative, et un concours annuel octroyant une ou plusieurs bourses en vue de la réalisation d’actions sur un thème précis. Le Conseil de l’environnement peut être chargé d’attribuer le prix et de mettre sur pied le concours.
105
Chapitre 2: Objectifs 2006 Art. 9 Système de management environnemental L’Etat met en place, par étapes, un système de management environnemental pour l’ensemble de l’administration cantonale. Art. 10 Indicateurs du développement durable L’Etat favorise l’élaboration et la diffusion la plus large d’indicateurs du développement durable reconnus permettant des comparaisons dans le temps et dans l’espace ainsi que la définition d’objectifs quantifiés. Art. 11 Formation L’Etat intègre progressivement la perspective d’un développement durable dans la formation des enseignants. Art. 11A Information L’Etat contribue à l’information et à la formation de la société civile dans l’optique d’une intégration des principes du développement durable au quotidien. Art. 12 Ecosite L’Etat favorise la prise en compte des synergies possibles entre activités économiques en vue de minimiser leur impact sur l’environnement. Art. 13 Lutte contre l’exclusion du marché du travail L’Etat met en place des actions transversales entre politique de l’emploi, politique de la formation et politique sociale en vue de prévenir l’exclusion du marché du travail due à l’inadéquation des compétences professionnelles ou sociales des personnes, ou à des conditions-cadre ne prenant pas en compte les besoins de populations rencontrant des difficultés particulières d’insertion. Art. 14 Réseau des villes – santé L’Etat participe au réseau des villes – santé institué par l’Organisation mondiale de la santé et met en oeuvre des actions visant à atteindre ses objectifs. Art. 15 Coopération au développement L’Etat maintient son action en faveur de la coopération internationale au développement et contribue à l’information en vue d’un meilleur équilibre du développement. Art. 15A Agenda 21 transfrontalier L’Etat favorise la mise en oeuvre d’un Agenda 21 régional et transfrontalier, en collaboration avec les autorités compétentes. Chapitre 3: Dispositions finales Art. 16 Dispositions d’application Le Conseil d’Etat désigne le département chargé du suivi de la présente loi et édicte les dispositions d’application nécessaires. Art. 17 Limite de validité La présente loi est abrogée de plein droit au 31 décembre 2006 si elle n’a pas été révisée par le Grand Conseil dans l’intervalle.
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