DU MEME AUTEUR

Aux Éditions Guy Authier

LA VIANDE, roman. LE BONHEUR NAZI OU LA MORT DES AUTRES, roman. UN JUIF LIBRE, essai. Prix de l'Amitié franco-arabe. UN GRAND CRIMINEL XYY, roman. DIALOGUE AVEC MA MèRE, souvenirs. LA TOUR DES FOUS, récits érotiques. LIL, roman. CONTRE LE MAIRE DE TOURS, pamphlet.

Aux Éditions Femand Nathan

PARIS ET SES PEINTRES, album. LES SECRETS DES VISAGES, album.

Aux Éditions Jean-Claude Lattès

KATIA LIBERTE, roman. SEIGNEUR TITI, roman.

Aux Éditions de la Table Ronde LA METROPOLE DU FROID, essai. TENDRE BANLIEUE, roman. LA VIE EN PREMIERE CLASSE, récit. HOUSTON-TEXAS, en collaboration avec François Reichenbach.

Aux Éditions Ramsay DROLE DE VIE, une biographie de Jacques Prévert. LE DERNIER OCEAN, roman.

Aux Éditions Olivier Orban PARIS, PLACE CLICHY, roman. LE CONTRAIRE DE LA GLOIRE, OU LA VIE DE JEAN GENET, à paraître.

Aux Éditions Pierre Jean Oswald OSIOS, poésie. UNE TACHE SUR LE SOLEIL, poésie.

Aux Éditions saint-Germain-des-Prés LA NUIT TRAHIE, poésie. PEUT-ETRE, poésie. Prix de Poésie de l'Académie française.

Aux Éditions Pierre Seghers LE POEME DU SANG D'AMOUR, poésie.

Aux Éditions Luneau-Ascot COURRIER D'ALGERIE, essai.

Michel R A C H L I N E

LA MUSE DE BERLIN

Le roman d'Else Lasker-Schüler (1869-1945)

Avec la collaboration d'Annette Klek

Olivier Orban

© Olivier Orban. 1987 ISBN type="BWD"

A Alexandra Authier.

Première Partie

De l'aurore au midi...

Else Lasker-Schüler est plus qu'une simple figure poé- tique de l'expressionnisme allemand. A elle seule, elle incarne la bohème berlinoise, le romantisme...

Elle passait ses journées et ses nuits dans les cafés de Berlin, fréquentant les peintres et les poètes... Son seul univers était les cafés de Berlin, ces fantastiques cafés où se rassemblaient les artistes, les poètes, les acteurs, dans ces grandes salles décorées, imitées des cafés viennois.

Jean-Michel PALMIER.. Berliner Requiem.

Le poète expressionniste a l l emand Else Las-

ker-Schüler appa r t i en t à la singulière espèce des ombres immortel les. La mor t ne leur ôte pas la vie. Rien ne les at teint , pas m ê m e les grandes c a t a s t r o p h e s de l 'H i s to i re . Laske r -Schu le r , q u a n t à elle, passe é terne l lement dans Berlin.

Elle ne t r ave r sa i t pas une rue que tout le m o n d e ne s ' a r rê t â t p o u r la regarder , car elle por ta i t d ' amp le s j upes ext ravagantes , des pan ta - lons de sat in noir, et s ' en toura i t de draper ies multicolores. Son cou et ses bras étaient couverts

de faux bijoux rut i lants , de colliers, de boucles d'oreilles, de pendentifs ; ses doigts pl iaient sous d ' é n o r m e s bagues . C o m m e elle ne cessai t de repousser r a p i d e m e n t les mèches de son front, les bagues a t t i ra ien t admi ra t ion et s tupeur . Dor- meuse de la belle étoile ou de la triste pluie, sous

des ponts , sur des bancs, toute sa vie, Else resta pauvre , à chaque ins tant de son existence roma- nesque.

Elle i n c a r n a i t l ' essence a l l e m a n d e et j u i v e

dans une explosion lyrique dont elle composait les mystères de son être. Ses passions la travail- laient sans limites, sans honte, loin de toute morale. Une liberté d'âme définitive organisait les harmonies de son art.

En 1913, le grand poète Gottfried Benn publia un petit livre de poésie dédié en ces termes à Else Lasker-Schüler : « A Else, la main sans but, faite de jeu et de sang. »

Dans le livre que Lasker-Schüler publia elle- même en 1917 chez Kurt Wolf figure un cycle intitulé :« Dr. Benn ». Ainsi leur amour s'inscri- vit-il dans la littérature. Comme elle aimait à

baptiser de noms poétiques tous ses amis, elle surnomma Gottfried Benn : « Giselheer ou le Nibelung ». Dans ce recueil : « Helles schlafen- dunkles wachen Gedichte », l'un de ses plus beaux poèmes est dédicacé à l'auteur de Morgue :

Dernière Chanson à Giselheer

Je vole durant la nuit Les roses de ta bouche

Afin qu'aucune femelle n'y boive. Celle qui t'embrasse Me dérobe ma part de frissons Dessinés par ma main autour de tes

[membres. Je suis le bord de ton chemin Celle qui t'effleure tombe. Sens-tu ma vie partout, Comme une bordure lointaine ?

Mais, si l 'amour d'Else avait alors fui le cœur de Benn, ce poème le toucha ; jamais il n'oublia la fausse petite fille. Cette vie, comme une bor- dure lointaine, tous ceux qui ont approché Else, tous ceux qui l'ont aimée, tous ceux qui la lisent l'ont toujours sentie ; ils en suivent les traces gravées en signes de feu dans l'azur. En passant dans Berlin, en honorant l'Allemagne de sa pré- sence juive, romantique, opposée à l'Allemagne telle que les nazis la défigureront, Lasker-Schü- ler a imprégné de son parfum les ruines mêmes de ce pays ineffaçable. Elle a conçu le monstre parfait qui nargue les assassins, une œuvre juive coulée dans l'or germanique.

Else Lasker-Schüler hante Berlin. Peut-être y revient-elle, seule, heureuse enfin, les nuits d'hi- ver, quand la ville meurtrie se réfugie dans les grises neiges, aux abords du mur. Berlin n'a plus d'âge, comme les poètes. La chute de Berlin, qui ne l'a subie au moins une fois en soi-même ? Else est une femme de Berlin. C'est un fantôme bien

élevé. Berlin crie, claque, rit, meurt. Les villes comme les êtres basculent paisiblement dans la mélancolie de l'au-delà.

Le vieux Berlin d'Else Lasker-Schüler n'est

plus. De même que l'on ne séparerait pas Balzac de Paris, on verrait mal Else si l'on s'avisait de l'imaginer loin de sa ville. Elle en fut l'une des sculptures mobiles, une vision féminine et douce parfois, qui chancelait et pliait sans rompre.

Exilés de nature, quand ils se sont enfin ren-

contrés eux-mêmes quelque part sur la terre, les Juifs ne croient plus à l'exil.

Il est peu d'êtres dont le visage ait changé si souvent, avec une si singulière constance que le visage d'Else. Comme si, réglant son compte à l'esprit, la chair s'imprégnait de souffle. Au lieu de descendre vers son destin, elle s'est élevée au contraire jusqu'à la vieillesse. Au lieu de s'effacer dans l'ombre, le visage d'Else, peu à peu recom- posé par le choc des ans, n'a cessé d'absorber tristesse et solitude pour en illustrer des chants éoliens. Lasker-Schüler portait autour d'elle une auréole musicale. Son visage parlait, émettait des sons, une symphonie venue d'univers inac- cessibles à la mort, où l'émotion et la grandeur d'une femme s'unissent dans la célébration de

son génie. Le visage d'Else paraît, le plus souvent, désé-

pris d'elle, absent de la personne vivante qui animait ses traits. Elle affrontait son visage, ou bien le suivait, ou encore elle en précédait les formes. Jamais elle ne l'habita entièrement... Jamais, non plus, autour des lèvres tantôt closes et sèches, tantôt lourdes du poids des baisers, jamais ne se dessine un sourire.

A sept ans, Lasker-Schüler pose comme une femme ; pourtant, elle est empreinte d'une cer- taine nostalgie dont son petit visage sévère aux yeux incommensurables est l'ange annonciateur.

Lasker-Schüler vit, physiquement, en mouve- ment perpétuel. Elle accepte la poussière où elle va ; ses yeux, ses lèvres sculptent sur sa figure des

masques divers ; ils ne s'ôtent pas comme les autres, mais se superposent et s'organisent pour la gloire du dernier, le masque mortuaire dont les orbites vides abritent un regard. Cette danse des sentiments sur la surface d'un visage est rare. L'âge n'y peut rien ! Deux photographies d'elle, l'une datant de 1932, l'autre de 1933, la montrent différente. Sur la première, elle paraît trente- cinq ans ; la seconde est celle d'une femme dans la cinquantaine. Or, en 1932, Lasker-Schüler avait soixante-trois ans ! Sans doute la photogra- phie de 1932 a-t-elle fixé le souvenir d'un être qui espérait. Dès 1933, en revanche, le poète n'a plus devant elle que la crainte.

D'ailleurs, un dessin de Benedikt Fred Dolbin, sans date mais exécuté probablement au début de l'année 1933, représente, succédant à la reine de Berlin, une dame juive fatiguée. Else accusait la réalité dans sa chair. Sa grâce ne manquait pas de traits équivoques. Elle se sentait, à la fois, un homme et une femme. La virilité, cette illusion dévolue à si peu d'hommes, Else et d'autres fem- mes avec elle savent seules en exprimer le pou- voir. Il n'est qu'une femme pour mêler en elle dieux femelles et dieux mâles car la femme, seule, conçoit dans ses entrailles spirituelles une virilité qui l'inspire dans ses œuvres. Si haut qu'il ait inscrit la ligne, Michel-Ange reste un homme ; Raphaël ne lui cède en rien ; Botticelli non plus ; personne au monde n'est si ridicule qu 'un dan- seur efféminé...

En revanche, qui refuserait à Émily Brontë la

qualité virile d'une passion créatrice, sans laisser que de dessiner en Cathy l'un des plus boulever- sants caractères féminins de la littérature ?

Une femme assimile et restitue dignement la vie. Marceline Desbordes-Valmore, pauvre chose trompée, esclave d'un mari et de ses enfants, écrit, entre deux plats, des vers sur un papier de cuisine ; cent ans plus tard, un Stefan Zweig s'en exalte. Un homme n'eût pas été capable d'un tel oubli de soi ; il leur faut, aux hommes, le confort, dûssent-ils le ramasser dans la débauche, la drogue ou l'alcool.

Le visage de Lasker-Schüler s'éclairait d'yeux plus forts que notre monde. Regard double. Il enregistre, puis commente les événements ; il fouille le passé inconnu pour lui arracher la poé- sie. Dès lors, les yeux noirs, captivants, entraî- nent l'autre au-delà de l'humain. Verlaine titu- bait d'un cabaret à un hôpital. Else titube debout, comme une femme.

Voici les yeux aux prunelles de fumée. Selon Buffon, les images de nos secrètes agitations se peignent dans les yeux. Ils appartiennent à l'âme. Les yeux noirs d'Else annoncent un esprit mâle, vigoureux ; leur dimension considérable ; leur nudité dans l'espace du front ; leur ouver- ture dévoratrice révèlent un tempérament sensi- ble à toute forme de vie, à tous les aspects de l'expression humaine. Rien ne les choque, ils ne se méfient de personne, et leur naïveté intelli- gente les soumet à des déceptions renouvelées dans leur constant besoin de croire au monde imaginé par leurs songes. Les paupières d'Else,

remontées, bien échancrées, sont le signe d'une humeur colérique. De profil, ses yeux semblent presque de niveau avec la coupe du nez, trahis- sant ainsi les faiblesses de la constitution. La peau des paupières, au-dessus de la prunelle, saillait, en ombrageait l'éclat, se rétractait vers l'os de l'œil et dévoilait la finesse du personnage, son tact de cœur, ses sentiments délicats, son goût pour l'illusion, son courage et sa constance.

Etait-elle jolie ? Par exemple, en 1912, oui ! Non en 1920... Elle relevait d'une espèce dont la beauté se retire d'une heure à l'autre. D'ailleurs, il n'y a pas de laideur humaine. Le jugement dépend de l'état de l'observateur, de sa disposi- tion à projeter sur l'autre les variations de sa propre lumière, celle de l'ordre ou du désordre de son âme.

En 1897, dans une robe noire à col de dentel- les, voici Else charmante, la lèvre gonflée de jeunesse et cependant, elle a, « déjà », vingt-huit ans ; mais, en 1882, à treize ans, c'est une petite vieille garçonnière, debout entre deux sœurs. Son nez, trop long, trop fort, large à sa base, annonçait des qualités intellectuelles supérieu- res ; la racine, creusée, montrait avec certitude la rapide retombée de l'énergie. Encore, la lon- gueur de son nez la reliait-elle à la majesté des dieux et des héros. Surmonté d'un vaste front, le nez d'Else soulignait la fermeté, la persévérance, l'entêtement, ainsi qu'un penchant curieux pour l'autorité qui se traduisait chez elle par l'amour de la gloire.

Une photographie prise en 1912 affiche un déséquilibre entre la partie droite et la partie gauche du visage ; tout déséquilibre de cette nature enseigne que le caractère lui-même subit les coups de problèmes intérieurs. La bouche est mauvaise ; loin de sourire, elle semble prête à proférer des insultes. Pourtant, les grosses lèvres bien proportionnées, la lèvre inférieure plus charnue que la supérieure sont le signe d'un tempérament sans bassesse, franc, sans méchan- ceté, porté au plaisir des sens. Les caractères varient : durs un jour, tendres le lendemain. Les traits essentiels ne se transforment pas. La vie les métamorphose en les animant. Personne n'a tort ; le poète moins que les autres. Il a métier de mettre au monde les passions, les sentiments, les amours et les haines.

Son visage reflète ses travaux. Lasker-Schüler a mis en scène sa vie dans un spectacle total. Elle a tout ressenti, modelant sur son visage les for- mes du génie assuré de ses limites. Ses dessins ont cherché la vérité impossible ; elle s'est fiée à la nature, comparée aux étoiles ; elle a bu avide- ment le bleu du ciel, comme Heine. L'art et non la vie la satisfaisait un moment. La vie rencon- trait les difficultés du travail, de la publication, les décevants rapports avec les éditeurs. Elle se plaignait beaucoup. Le jugement des autres, qu'elle méprisait, lui fut indispensable. L'altéra- tion de ses traits, noyée dans le génie, la tirait chaque fois de la mort. Admirait-elle un homme ? On la voyait la tête haute, l'œil agrandi

par la joie, le regard élevé. S'étonnait-elle ? La bouche entrouverte, l'œil vif, ses yeux fixaient l'objet de son étonnement. Était-elle heureuse ? L'harmonie rassemblait ses traits ; ses lèvres se rapprochaient ; ses mâchoires détendues dessi- naient à son menton masculin les douceurs de l'innocence. En amour, elle se donnait corps et âme, puis prenait l'autre. Jamais elle n'oublia d'aimer les hommes, dans une excitation perpé- tuelle qui n'avait pas toujours à voir avec le désir physique. Point de dureté en elle qu'un halo de douceur n'affaiblisse ; point d'anxiété qu'une sérénité ne tempère ; point de pâleur qu'une rose imaginaire ne colore...

Il y avait en Else Lasker-Schüler une tristesse. Est-ce ainsi que finit l'amour ? Fragile, vulnérable, rien ne la pliait contre sa volonté. On la rencontrait la nuit dans Berlin, petite, blessée, désolée, déso- lante. Elle aimait la pluie, la brume, le froid de Berlin. Grisée par la ville, elle communiait avec la Nature, une nature cosmique, où les étoiles domi- nent, dans une galaxie dont Lasker-Schüler elle- même se disait un fragment. Quelque chose, un jour, a cessé de bouger en elle. Elle fréquente des fantômes ; elle sait qu'elle est un grand poète. Elle exige des dieux pour compagnons !

Si seulement les hommes atteignaient l'autre côté du rêve... Débarrassés de leur défroque phy- sique, devenus princes, héros, cygnes, oiseaux, ils prennent place dans la galerie d'âmes qu'elle orga- nise à leur gloire.

Mais d'abord, il faut naître...

Les relations entre Else Lasker-Schüler et la religion n'étaient donc pas fondées sur la science et les études, ce qui, justement, est si important chez les juifs. Il s'agissait plutôt de relations instinctives et émotionnelles, davantage comparables à celles de certains romantiques — Brentano ou Wackenroder — avec la religion catholique. Des rela- tions mystiques et exaltées.

Mais, précisément, ce qui caractérise la religion juive, la Loi, était totalement étranger à la nature d'Else... Quand une fois l'an, elle allait à la synagogue, lors de la

fête de Kippour, fête de la réconciliation, elle ne restait jamais jusqu 'à la fin du culte, au demeurant très long.

« Franz, je suis allée au temple-synagogue hier. mais bien vite mes pas m'ont ramenée à la maison. On ne devrait pas rester dans le palais de Dieu plus longtemps que ne dure la prière du cœur. »

Sigrid BAUSCHINGER.

Donc, voici que brûle à nouveau, telle une petite chandel le vacil lante, la f lamme d ' o r d ' u n e vie.

Dans une maison bourgeoise d'Elberfeld, au nord-

ouest de l 'Allemagne, tout près de Düsseldorf, une enfant est née. Else Lasker-Schüler connaissait,

bien sûr, la date de sa naissance : 11 février 1869 ;

mais, coquette, menteuse ou espiègle, j amais elle

ne l 'avouera. Tou t le monde la croyait quand elle

avançait la date de 1876. Elle a toujours préféré ses

rêves à la vraie vie : « J e suis née à Thèbes

(Égypte) même si j e suis venue au monde à Elber- feld, en Rhénanie. J e suis allée à l'école j u squ ' à onze ans, je suis devenue Robinson, j ' a i vécu cinq ans en Orient , et depuis, je végète. »

Elle commença par être heureuse. Poupées, ours en peluche et jouets figurèrent, dès l 'aube de son âme, les personnages parfaits de ses constructions poétiques. Elle se plaisait à Elberfeld, bien que

cette ville ennuyeuse n'eût rien à offrir aux éven- tuels voyageurs. Double ville, Elberfeld-Barmen possédait six hôtels : le Weidenhof, le Klein, le Monopole, le Mainzerhof, le Vogeler et le Schüt- zenhaus. Une voie ferrée de neuf kilomètres reliait entre eux ces gros bourgs. Trois cent mille habi- tants travaillaient dans ce centre industriel de

cotonnades et de soieries. Teintures et impressions de tissus, rubans, cordons, boutons de toutes sor- tes...

En passant près de la gare, Else admirait la statue équestre de Frédéric III. Le théâtre l'atti- rait. Avec sa mère, elle allait au « Marché Neuf ». On se promenait le soir sous les tilleuls, « Unter den Linden » comme à Berlin. Une col- line, le Nützenberg, formait l'horizon d'Elber- feld. La transfiguration du génie s'élabore dans de délicats mystères...

Son enfance illumina la petite fille de visions paradisiaques. A l'en croire, Elberfeld était un pays d'innocence que nul événement temporel n'avait jamais corrompu. Les membres de la famille s'aimaient religieusement ; personne pour troubler leur bonheur, rien n'entamait l'al- légresse familiale. Parfois cependant, une pieuse mélancolie s'emparait de tous à l'idée que les enfants grandiraient. On ne souffrait d'aucun malentendu ; les explosions sentimentales qui heurtent les cœurs s'éteignaient aux portes de la maison. A l'intérieur, on respirait le souffle d'extases inchangées...

Else manifesta ses dons poétiques aux pre-

miers jours de sa vie consciente. Sans la choquer, la réalité ne lui suffisait pas. Architecte magicien, son cœur éblouissant dressait des palais sur des terres parfois pauvres. Autour d'elle, bien avant qu'elle n'écrivit, le monde se métamorphosait à travers les diaprures de son regard. Son arrière- grand-père maternel fut parmi ses premières « victimes ».

Rabbin à Gesecke, petite ville de Westphalie, le cher homme se nommait Hirsch-Cohen. Else le sacra « Grand Rabbin de Rhénanie et de

Westphalie » ! L'ancêtre arborait un « visage respectable et artistique de prêtre ». Par la grâce d'Else Lasker-Schüler, il deviendra plus tard héros de théâtre puis de roman. Dans le récit intitulé Arthur Aronymus et dans la pièce Arthur Aronymus und seine Vater, le vieux rabbin rencontre tous les soirs un évêque catholique dans la petite salle d'une auberge, le Goldener Halbmond, à Paderbonn ; les deux hommes y organisent des entretiens mystiques. L'arrière-grand-père aura gagné des galons ; il sera désormais un saint.

On doute s'il exerça jamais la fonction de grand rabbin. Nulle part ne s'en trouve la moindre trace ! Ce ministre du culte vécut si secrètement que son rabbinat est passé inaperçu à tous égards...

De Cohen, il n'y eut, vers 1840, qu'un « pro- fesseur ». Certes, le mot rabbin peut signifier professeur en français ; peut-être Else a-t-elle pris pour modèle dans sa pièce le très fameux rabbin Samuel Steg ? Cependant, bien qu'il vécût à Warburg, ville d'où venait Hirsch-

Cohen, Rabbi Steg ne compte pas au nombre des ancêtres d'Else. Le fils de ce rabbin, un cabaliste, étudiait la Kabbale avec le curé de la vieille ville de Warburg. Hirsch-Cohen aurait légué cette anecdote banale à sa famille. Else de s'en empa- rer... Ainsi est née une légende ; la famille Schü- ler était de tradition rabbinique.. Quoique l'on s'étonne encore, en Allemagne, qu'un rabbin eût occupé sa place à Warburg sans qu'il en subsiste une seule preuve, cette histoire apporte à l'édifice des rêves forgés par Else Lasker-Schüler une façade merveilleuse. L'un des aspects les plus purs de son caractère s'y reflète : l'union de la conscience (la création artistique) avec le sub- conscient (le besoin de recréer l'univers).

Elle adora sa mère.

Jeanette Kissing-Schüler fait son apparition dans l'œuvre de sa fille sous les traits d'une femme parfaitement belle, sensible et roman- tique dont l'unique souci — comprendre sa plus jeune enfant Else elle-même — l'envahit tout entière. Le poète a paré sa mère d'une nature romanesque, admiratrice de Goethe et de Napo- léon. La situation se gâte lorsque Else fait naître sa mère à Francfort et nous apprend que celle-ci se souvenait de Goethe voltigeant en patins à glace. Or la mère d'Else naquit à Kissingen et Goethe, mort en 1832, devait faire un patineur plutôt embarrassé !

Jeanette Schüler meurt en 1890, sept ans avant son mari. Else a vingt et un ans. La mort de sa mère n'a plus cessé de jouer dans son cœur le rôle

cas Lasker-Schüler, c'est que poésie et vie réelle se confondent toujours. Elle a vécu comme elle écrivait. Le jeu de vivre, le jeu poétique, prirent peu à peu le pas sur sa « Urnatur », sa nature originelle. Elle n'établissait plus aucune diffé- rence entre la réalité et son existence imaginaire où elle se perdit jusqu'à donner la sensation d'une « folie » progressive. Si elle était « folle », alors sont fous, eux aussi, tous les artistes, à travers leurs jeux ; « comme en se jouant », ils remettent en question le monde. Un jour ou l'au- tre, ils finissent par avoir raison !

Troisième Partie

Aux sources des questions..

« Cette époque sourde-muette ricane quand elle est en présence d'êtres véritablement originaux... On ne la provo- quera jamais assez (l'époque) avec le personnage d'Else Lasker-Schüler, la plus forte et la plus égarée des appari- tions lyriques de l' Allemagne moderne.

Quand je dis que certains de ses poèmes sont merveil- leux, beaux comme des miracles, j'imagine que, il y a deux siècles une semblable construction de mots faisait proba- blement rire autant que les hardiesses actuelles inventées par Lasker-Schüler. Un jour, on les entendra aux lèvres de tous J'ai lu d'elle, dans le Sturm, des poèmes qui sont parmi les plus prenants que je connaisse. Depuis Goethe, il en est peu dont le sens, la sonorité, le langage et les idées, l'âme, soient aussi intimement liés. Je ne dirais pas que je donnerais volontiers tout Heine pour un seul poème de Lasker-Schüler, et pourtant il m 'arrive de le donner pour beaucoup moins... »

Karl KRAUS (1910).

ŒUVRES D'ELSE LASKER-SCHÜLER

Aucun de ces ouvrages n'est, à ce jour , t radui t en français.

Styx. Axel Juncke r , Berlin, 1902.

Der siebente Tag. Berlin, Ver lag des Vereins fur Kuns t , 1905.

Das Peter Hille Buch. Stut tgar t -Berl in , Axel J u n c - ker, 1906.

Die Nächte Tino von Bagdad. Berlin S tu t tgar t Leip- zig, Axel Juncke r , 1907.

Die Wupper, Schauspiel in funf Aufzügen. Berlin, Oesterheld und Co, 1909.

Meine Wunder. Ka r l ruhe Leipzig, Dreilien Ver- lag, 1911.

Mein Herz, Ein Liebesroman mit Bildern und wirklich lebenden Menschen. Mit 21 ganzsei- tingen Zeichnungen. Munchen-Berlin ; Hein- rich F.S. Bachmair, 1912.

Gesichte, Essays und andere Geschichten. Leip- zig, Kurt Wolff Verlag, 1913.

Hebraïsche Balladen, Zweite, vermehrte Auflage. Berlin-Wilmersdorf, A.R. Meyer Verlag (unnumerierte Seiten).

Der Prinz von Theben, Ein Geschichtenbuch mit 25 Abbildungen nach Zeichnungen der verfasse- rin und 3 farbigen Bildern von Franz Marc. Leipzig, Verlag der Weissen Bücher, 1914.

Die gesammelten Gedichte, Leipzig, Verlag der Weissen Bücher, 1917.

Der Malik. Berlin, Paul Cassirer Verlag, 1919.

Die Kuppel, Der Gedichte zweiter Teil. Berlin, Paul Cassirer Verlag, 1920.

Der Vunderrabbiner von Barcelona, Erzählung mit einer Zeichnung der Verfasserin. Berlin, Paul Cassirer, 1921.

Theben, Gedichte und Lithographien. Frankfurt Berlin, Querschnitt Verlag, 1923.

Ich räume auf ! Meine Anklage gegen meine Ver- leger. Zürich Lago Verlag, 1925.

Konzert. Berlin Rowohlt, 1932.

Arthur Aronymus, Die Geschichte meines Vaters. Berlin Rowohlt, 1932.

Arthur Aronymus und seine Väter, Aus meines gelieb- ten vaters Kinderjahren. Schauspiel in fünf- zen Bildern. Berlin, S. Fischer Verlag, 1932.

Das Hebraërland. Zürich Oprecht Verlag, 1937.

Mein blaues Klavier, Gedichte. Jerusalem Press, 1943.

Nombre de ces ouvrages sont illustrés, soit par des œuvres de peintres tels que Franz Marc, soit par des œuvres de Lasker-Schüler elle-même.

BIOGRAPHIE SOMMAIRE DES PRINCIPAUX AMIS D'ELSE LASKER-SCHÜLER

Théodore DÄUBLER : il est né à Trieste en

1876. Son père était commerçant. Son éducation fut bilingue (allemand et italien). Däubler se montra un infatigable voyageur. Il meurt de tuberculose le 13 juin 1934. Il a écrit de nom- breux recueils poétiques et des essais sur l'art moderne.

Alfred DÖBLIN : né à Stettin en 1878, il s'ins- talle à Berlin en 1878 avec sa mère et ses frères, abandonnés par le père. Döblin devient médecin en 1905. Très lié avec Herwarth Walden, le second mari de Lasker-Schüler, il fonde avec lui la revue Der Sturm et devient l'un des proches collaborateurs de Walden. De 1911 à 1933, il est médecin à Berlin, comme Gottfried Benn. Juif, il émigre en 1933, prend la nationalité française en 1936, puis vit aux États-Unis toute la guerre ; il

revient en Allemagne dès 1945. Mort en 1957, il est enterré en France, à Housseras, dans les Vos- ges. Auteur de plusieurs romans, il reste l'im- mortel créateur de Berlin Alexanderplatz (1929).

Claire GOLL : elle naît en 1892. Épouse d'Yvan Goll, elle a raconté sa vie berlinoise dans la Poursuite du vent (Olivier Orban). Un volume lui est consacré dans la collection « Poètes d'au-

jourd'hui » (Seghers). Morte en 1984. Yvan GOLL : il est né à Saint-Dié en 1891, et a

fait ses études supérieures à Strasbourg. (Rappe- lons que, à cette époque, l'Alsace-Lorraine était allemande.) Pendant la guerre de 1914, Yvan Goll s'est réfugié en Suisse pour ne pas être enrôlé dans l'armée allemande. Installé à Paris en 1919, il émigre aux États-Unis en 1939 et revient à Paris en 1947. Il meurt de leucémie le 14 mars 1950. Parfaitement bilingue, il fut un lien entre les littératures française et allemande. Ses œuvres sont publiées aux Éditions Emile- Paul.

Walter HASENCLEVER : né le 6 juillet 1890 à Aix-la-Chapelle, il fait ses études de lettres à Oxford et à Lausanne. Très ami avec Franz W er- fel. Il reçoit le prix Kleist (comme plus tard Lasker-Schüler) en 1917, pour son drame Der Sohn (le Fils). En 1933, il émigre en France, puis en Yougoslavie, en Angleterre et en Italie. Après 1939, il est interné à Antibes et en 1940 au camp des Milles ; il s'y suicide le 21 juin 1940 et est enterré à Aix-en-Provence.

Wieland HERTZFELDE : né à Weggis (Suisse) en 1896, il était le frère du célèbre peintre et photographe John Heartfield. Wieland fut édi- teur pendant l'émigration ; il revint en Allema- gne en 1946...

Georg HEYM : né en 1887 à Hirschberg en Silésie, il est mort noyé accidentellement le 16 janvier 1912. Ses œuvres complètes ont été réunies par Karl-Ludwig Schneider et publiées aux Éditions Ellermann, en 1962.

Jacob VAN HODDIS : né à Berlin en 1887, de son vrai nom Hans Davidsohn. Avec Kurt Hil-

ler, il fonda en 1909, Le Nouveau Club ; de jeu- nes écrivains y lisaient leurs œuvres, dont Else Lasker-Schüler. Converti au catholicisme, tuberculeux et schizophrène, il fut interné en 1922 à Tübingen, à Esslingen puis en 1933 à Coblence, d'où les nazis le déportèrent vers une destination inconnue ; sa mort demeure un mys- tère. Beaucoup de ses œuvres ont disparu. Ce qu'il en reste a été publié au Verlag Die Arche en 1958. Quelques poèmes de lui figurent dans l' An- thologie de l'humour noir, signée André Breton.

KLABUND : né en 1890 à Orossen sur Oder, il meurt à Davos en 1928 après avoir mené une vie de bohème. Adaptateur de poésies chinoises, poète fantaisiste et populaire, il est l'auteur d'une pièce à succès : Der Kreidekreis (le Cercle de craie). Ses œuvres furent interdites sous le I I I Reich.

Hans PAASCHE : né en 1881 à Rostock, mort le

21 mai 1920. Franz Pfemfert, le créateur de Die Aktion, affirma dans cette revue que Paasche fut assassiné par les troupes de Noske.

Lothar SCHREYER : né en 1886 à Dresde, il a collaboré à la revue Der Sturm.

Ernst STADLER : né en 1883 à Colmar, il est mort à Ypres en 1914, dès les débuts de la Grande Guerre.

Carl STERNHEIM : né à Leipzig en 1878, mort à Buxelles en 1942. Il fut avec Franz Blei le

co-éditeur de la revue Hyperion.

Ernst TOLLER : né en 1893, il passa treize mois au front et fut réformé. Converti au paci- fisme, il devint l'ami de Kurt Eisner et prit part à la République bavaroise des Conseils en 1918- 1919. Après l'assassinat de Kurt Eisner en 1919, Toller fut élu à Munich président du Comité central des conseils de paysans et de soldats. Condamné à cinq ans de forteresse après l'écra- sement de la révolution bavaroise, on le libéra en 1924. Il émigre aux États-Unis en 1933. Déses- péré, il se suicida à New York le 22 mai 1939. Un choix de ses œuvres a été publié en 1961 chez Rowohlt Verlag.

Georg TRAKL : ami intime d'Else Lasker- Schüler, il est né à Salzbourg le 3 février 1887 et il est mort dans la nuit du 3 au 4 novembre 1914 à l'hôpital militaire de Krakau, probablement d'une surdose de drogue. C'est le poète expres- sionniste le plus connu en France. Un ouvrage de

la collection « Poètes d'aujourd'hui » lui est consacré et ses œuvres complètes sont publiées chez Gallimard.

Armin WEGENER : né en 1886 à Eberfeld, la ville natale de Lasker-Schüler. Il eut une grande activité pacifiste à partir de 1920, après avoir fait la guerre de 1914-1918. En 1933, il protesta publiquement contre l'attitude nazie à l'égard des Juifs et la Gestapo l'arrêta. Libéré, il émigra en Angleterre, en Palestine et en Italie. Il est mort en 1978.

Franz WERFEL : ami intime d'Else Lasker-

Schüler. Il est né à Prague en 1890 et vécut longtemps à Hambourg. Il travailla pour l'édi- teur Kurt Wolff et rassembla chez celui-ci les

poètes de la génération expressionniste. Il épousa la veuve de Gustav Mahler, Alma. En 1936, lors de l'invasion par Hitler de l'Autriche, il émigra en France, puis il passa en Espagne, au Portugal, aux États-Unis où il est mort à Bever- ley Hills le 27 août 1945 d'une crise cardiaque.

Alfred WOLFENSTEIN : né le 28 décembre 1888 à Halle. Il émigra à Prague puis à Paris en 1939. Arrêté par le Gestapo, il fut enfermé trois mois à la Santé. Il parvint à se cacher durant toute la guerre mais se suicida en janvier 1945.

Paul ZECH : ami intime de Lasker-Schüler, il est né à Briesen en 1881. Il fut l'un des éditeurs de la revue expressionniste Das neue Pathos. Les nazis l'internèrent à Spandau et le libérèrent en 1937. Il émigre alors en Amérique du Sud, collabore

entre autres à la revue internationale Literatur (Moscou). Il a écrit une œuvre considérable encore presque inédite. Il fit connaître en Alle- magne la poésie allemande et adapta les poèmes de Villon, Louise Labbé, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, etc. Il est mort à Buenos Aires en 1946.

Sources des notices biographiques ci-dessus :

Anthologie des Expressionnistes allemands, Pano- rama bilingue d'une génération, Lionel Richard, collection « Voix » Maspéro, la Découverte Edi- teur, Paris, 1983.

LISTE DES INTELLECTUELS DE LANGUE ALLEMANDE AYANT EMIGRE EN U.R.S.S. DES 1933'

1. J.R. Becher. 2. E. Weinert. 3. W. Bredel. 4. Klara Blum.

5. Fritz Erpenbeck. 6. Hans Günther.

7. A. Kurella. 8. Max Hölz.

9. Hugo Huppert. 10. F. Wolf.

11. G. Von Wangenheim. 12. Herwart Walden.

1. Liste communiquée par Jean-Michel Palmier. Il serait passionnant de connaître le sort de ces hommes et de ces

femmes à qui Staline avait ouvert les portes de l'URSS. Pour certains, comme Walden, le second mari d'Else, ce sort fut tragique. Pour d'autres, comme Becher, il fut doux ; ce grand poète, après avoir chanté la gloire de Staline, son terrible protecteur, revint en Allemagne de l'Est où il devint ministre de la Culture... Mais ceci est une autre histoire. Tous ces intellectuels ont été les amis de Lasker-Schüler, ou l'ont bien connue...

13. Ernst Ottwalt. 14. Franz Leschnitzer.

15. Georg Luacs (hongrois). 16. A. Gabor (id.) 17. B. Belazs, (id.). 18. Th. Plievier. 19. Adam Scharrer. 20. Berta Lask. 21. Hedda Zinner.

22. Margaret Buber- Neumann.

23. Wolfgang Leonhard.

24. Zenzl Mühsam. 25. Albert Norden.

26. Julius Hay (hongrois). 27. Karl Schmückle. 28. Gertrud Alexabder. 29. Trude Richter. 30. Gustav Brand.

31. Joseph Schneider. 32. Hermann Paul. 33. S. Gles. 34. Bertolt Brecht. 35. Erwin Piscator.

Autres notices biographiques

Kurt TUCHOLSKY : célèbre humoriste berli- nois dont on commence à découvrir les œuvres dans notre pays. (Bonsoir révolution allemande ! aux éditions PUF. Débuts d'un siècle ; série alle- mande sous la direction de Jean-Michel Pal- mier.) Tucholsky est né dans une famille juive le 9 janvier 1890. Son sens de l'observation, sa féro- cité et le charme de ses satires le consacrèrent

comme l'un des plus brillants critiques de la bourgeoisie allemande. Il aimait à s'en prendre au Kaiser Guillaume II qui ne cessa jamais d'être la cible favorite de Kurt. Il vivra le plus souvent à l'étranger à partir de 1923, sera déchu de la nationalité allemande et se suicidera le

19 décembre 1935, apès qu'il eut écrit une admi- rable lettre à Arnold Zweig.

Carola NEHER : actrice berlinoise de grand renom qui interpréta notamment le rôle de Polly Peachum dans le film de Pabst l'Opéra de quat'- sous. Sa date de naissance n'a pas été retrouvée ; elle eut une vie et une mort étranges. Amie de Max Reinhardt, de Klabund et naturellement de Lasker-Schüler, elle émigra en URSS à l'arrivée des nazis au pouvoir. Il semble qu'elle ait été fusillée sur ordre de Staline pour opinions antiso- viétiques.

Richard DEHMEL : né en 1863, mort en 1920, il a aimé les pauvres gens de Berlin et on l'appe- lait parfois « l'apôtre populaire ».

Wassili KANDINSKY : né en 1866, mort en 1944, il a fondé avec Franz Marc, un grand ami d'Else, « Le Cavalier bleu ». Peintre parmi les premiers de l'art abstrait, Kandinsky a été pro- fesseur au Bauhaus.

Oskar KOKOSCHKA : Else Lasker-Schüler

l'admirait passionnément. Né en 1886, mort en 1980, il a gravité autour de Gustav Klimt en 1905. Il a exercé une grande influence sur les poètes de la Galerie Der Sturm.

Karl KRAUS : un autre grand ami de Lasker- Schüler avec qui elle se fâcha souvent. Né en 1874, il fut l'éditeur de la revue Fackel. Ami d'Herwarth Walden, Kraus écrivit de nombreux articles dans Der Sturm au grand dam de Pfem- fert, l'éditeur de Die Aktion, qui n'aimait pas Kraus, d'ailleurs assez antipathique bien qu'il

eût beaucoup fait pour Lasker-Schüler et en par- ticulier organisé des soirées en sa faveur. Il est mort en 1936.

Erwin PISCATOR : (1893-1966).. Metteur en scène de théâtre, il devint communiste en 1919, puis émigra en 1934. Il est revenu en Allemagne de l'Ouest en 1951. (Les éditions de l'Arche ont publié son Théâtre politique.)

Max REINHARDT : metteur en scène de Die Wupper, la pièce à succès d'Else. Il est né le 9 sep- tembre 1873 à Baden près de Vienne. On le considère comme l'un des plus grands hommes de théâtre ; Pelléas et Mélisandre en 1903 (Maeter- linck), Minna von Barnhelm en 1904 (Lessing). Intrigue et amour en 1905, soit au Deutches Thea- ter, soit au Neues Theater. Il fait des tournées mondiales et meurt aux États-Unis où il avait

émigré, en 1943. Il fut également le créateur du Festival de Salzbourg, il a imposé la scène mobile, bouleversé l'art de l'éclairage et du brui- tage et modifié les règles de formation des acteurs.

Principales sources des notices biographiques ci-dessus :

L'Expressionnisme allemand, revue Obliques, troisième trimestre, 1981.

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Plus de trois cents livres et articles de presse ont été, à ce jour, publiés en allemand à propos d'Else Lasker-Schüler. La liste complète s'en trouve dans le remarquable ouvrage de Sigrid

Bauschinger : Else Lasker-Schüler, son œuvre et son temps (non traduit en français). La plupart de ces documents peuvent être obtenus, entre autres, par l'intermédiaire de la librairie « Le Roi des Aulnes » 159, boulevard du Montparnasse, 75006, Paris, ou encore au Goethe Institut, 17, avenue d'Iéna, 75016 Paris.

Cet ouvrage a été composé par Eurocomposition (Sèvres) et imprimé par la Société SEPC Saint-Amand-Montrond (Cher)

pour le compte des Éditions Olivier Orban 14, rue Duphot, 75001 Paris

Achevé d'imprimer le 9 mars 1987

N° d'édition : 404. — N° d'impression : 469. Dépôt légal : mars 1987.

Imprimé en France

La génération des Expressionnistes allemands (1910-1923) fut masculine. Une seule femme parmi eux : Else Lasker-Schüler. Sans doute les Français connaissent-ils Gottfried Benn ou le génial metteur en scène Max Reinhardt. Else Lasker-Schüler, elle, demeure à ce jour complètement ignorée dans notre pays. Pourtant, dans les manuels de littérature allemands, son nom figure à l'égal de Goethe et elle y est célébrée comme le plus grand poète lyrique de l 'Allemagne. Pauvre, solitaire, juive, Else Lasker-Schüler incarna la vie de bohème qui caractérise le Berlin artistique de la grande époque. Elle a mené une vie extraordinaire, de café en café, de pays en pays, à travers les éblouissants excès du génie et du charme; car cette femme laide fut une grande amoureuse. A soixante-dix sept ans, elle séduisait encore un jeune homme. . .

Dans ce livre se projette sur l'écran des pages la vie tourbillonnante de la ville expressionniste; les nuits folles d'un Berlin où les chanteuses avaient nom Marlène Dietrich et les comédiennes Pola

Négri ou Carola Neher; où l'art universel prenait le visage de Kandinsky et de Klee; où les écrivains se nommaient Alfred Döblin et Gottfried Benn...

Une époque vraiment magique dont les héros furent non seulement cette femme et ces hommes, mais encore une ville : Berlin.

Michel Rachline est né à Paris le 5 juin 1933. Célèbre en 1972 avec Le Bonheur nazi, il n'a cessé de publier depuis romans et essais, pamphlets et albums, créant ainsi une œuvre d'esthète et d'analyste.