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Le Calme Mental et la Vue Supérieure Explication du chapitre sur le Calme Mental et la Vue Supérieure donnée à partir des Lam-Rim de Lama Tsongkhapa, par le Vén. Guéshé Jampa Tègchok Monastère Nalanda 1988 Traduction de l’enseignement oral du tibétain en anglais : Thubten Shérab Sherpa Publié par le Vén. Thubten Gyatso pour le monastère Nalanda Traduction française du transcript V. Camplo, relecture Ani-la Wangmo, pour IVY dans le cadre du PEBA octobre 2006

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Le Calme Mental et la Vue Supérieure

Explication du chapitre sur le Calme Mental et la Vue Supérieure

donnée à partir des Lam-Rim de Lama Tsongkhapa, par le Vén. Guéshé Jampa Tègchok

Monastère Nalanda

1988 Traduction de l’enseignement oral du tibétain en anglais : Thubten Shérab Sherpa

Publié par le Vén. Thubten Gyatso pour le monastère Nalanda Traduction française du transcript V. Camplo, relecture Ani-la Wangmo,

pour IVY dans le cadre du PEBA octobre 2006

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© Institut Vajra Yogini 2006

Tous droits réservés

Aucune partie de ce travail ne peut être reproduite sous aucune forme ni par

aucun moyen, électronique ou mécanique incluant la photocopie, l’enregistrement; ou par n’importe quel système de conservation et réutilisation de l’information ou de technologies

connues actuellement ou qui se développeraient dans le futur, sans la permission écrite du Institut Vajra Yogini

English translation © Nalanda Monastery, 1988

All rights reserved

With permission for use in FPMT Basic Programs

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Les étapes de la voie - Le Calme Mental et la Vue Supérieure Geshe Jampa Tegchok, Nalanda, 1988

Table des Matieres

I- Les bienfaits de méditer le calme mental et la vue supérieure .............................................................2 II- La nature du calme mental et de la vue supérieure..............................................................................3 III- La raison pour laquelle le calme mental et la vue supérieure doivent être développés conjointement5 IV- Comment s’assurer de leur chronologie : la raison pour laquelle le calme mental doit précéder la

vue supérieure ......................................................................................................................6 V- Comment développer le calme mental et la vue supérieure ...............................................................8 A- Comment développer le calme mental ...........................................................................................8

1- Les conditions préalables à l’obtention du calme mental ........................................8 2- Comment méditer le calme mental dans ces conditions ..........................................9

a- La posture pour développer le calme mental ..................................................9 b- Le processus de méditation proprement dit ..................................................9

b.1 Se focaliser sur un objet de méditation ..........................................10 b.2. Comment fixer son esprit sur l’objet de méditation......................13

Les cinq obstacles .................................................................13 Les huit antidotes ................................................................17

Une fois obtenu, comment conserver le calme mental.............18 Les neuf stades mentaux du calme mental ...........................18 Les six forces .........................................................................19 Les quatre activités mentales .................................................19

Comment franchir les neuf stades du calme mental.................19 Actualisation du calme mental grâce aux conditions................21

B- Comment développer la Vue Supérieure I. Les conditions favorables au développement de la Vue Supérieure ............................................25

1. Enseignement général sur la manière de réunir les conditions favorables ...................25 2. Enseignement détaillé sur la manière de déterminer la Vue ........................................26

a- Identifier l’ignorance associée aux perturbations ..........................................26 b- Montrer qu’elle constitue la racine de l’errance dans le cycle .......................30 c- Qui désire éliminer la saisie du soi doit rechercher la vue du non soi..........35

1- Pourquoi est-il nécessaire de rechercher la vue du non soi quand on veut éliminer l’ignorance ? ..................................................35

2- Manière de développer la vue qui connaît le non soi...........................38 a. Séquence de la production des deux vues du non soi..............38 b. Production graduelle proprement dite des deux vues..............39

i. Etablir le non soi de la personne........................................39 1. Identifier la personne .....................................................40 2. Etablir son absence de nature propre.............................41

a. Etablir l’absence de nature propre du je ................42 b. Etablir l’absence de nature propre du mien ..........50 c. A partir de là, enseignement sur la manière dont

la personne apparaît « telle une illusion » ..............51 ii. Etablir le non soi des phénomènes ....................................54

1. Réfutation utilisant les raisonnements exposés plus haut...........................................................54

2. Réfutation par d’autres raisonnements..........................63 a. Montrer le raisonnement de la

production dépendante..........................................63 b. Comment ces raisonnements prouvent

aussi l’irréalité de l’incomposé ...............................65 c. Présentation des vérités relative et ultime ................................66

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Le Calme Mental et la Vue Supérieure par le Vén. Guéshé Jampa Tègchok,

Monastère Nalanda, 1988

La perfection de la concentration La concentration (Tib. Ting gné dzin) est le facteur mental qui permet de se centrer pour un long moment sur n’importe quel objet vertueux :

1. la concentration dite mondaine, peut être développée également par les pratiquants non bouddhistes.

2. la concentration dite supra-mondaine est la concentration sur la vacuité. La fonction de la concentration est de procurer à la fois une souplesse mentale et physique qui permet de s’engager dans des actions vertueuses aussi longtemps que souhaité. De nombreuses qualités découlent du développement de la concentration en un point, telles que la clairvoyance, les réalisations communes aux auditeurs et aux réalisateurs solitaires, les qualités des bodhisattvas ainsi que les réalisations qui conduisent à la bouddhéité. La manière de développer la concentration, ses bienfaits, les inconvénients du manque de concentration seront décrits au cours de l’explication sur le calme mental. La perfection de la sagesse La sagesse (Tib. Chérap) est le facteur mental qui permet d’identifier clairement un phénomène. Il y a trois types de sagesse.

1. la sagesse qui réalise l’ultime. L’objet de ce type de sagesse est le non soi. Il peut être réalisé soit de façon conceptuelle, soit directement comme dans le cas du chemin de la vision.

2. la sagesse qui réalise le conventionnel. Il s’agit de la connaissance des cinq arts, tels que la médecine, la peinture, les langues et l’artisanat. Une telle connaissance est plus avancée que le simple fait de connaître les choses du quotidien.

3. la sagesse qui permet d’être bénéfique à autrui. C’est la sagesse qui, de façon détaillée, intermédiaire ou minimale, permet de savoir comment être bénéfique aux autres en connaissant leurs centres d’intérêt, leur tempérament, leurs dispositions.

La sagesse présente sur le courant de conscience d’une personne est l’élément qui lui permet de distinguer entre ce qui a été perçu par autrui -comme le fait que les actions vertueuses conduisent à l’état de Bouddha, et ce qui ne l’a pas été -le fait que les actions non vertueuses n’ont jamais conduit à la libération, par exemple. La sagesse réalise ces choses et l’on sait ainsi comment éviter les difficultés quelle que soit la situation qui se présente. Les bodhisattvas continuent de pratiquer les six perfections indépendamment des distractions qui peuvent surgir. La sagesse est à même de discriminer entre une action bénéfique et non bénéfique, de sorte que la pratique des cinq premières perfections dépend étroitement de la perfection de la sagesse. Au cours de la pratique de la générosité par exemple, la sagesse empêche le développement de l’orgueil et permet d’arriver à donner jusqu’à son corps. Dans la perfection de l’éthique, la sagesse est également nécessaire pour s’abstenir des dix actions non vertueuses ; elle permet en effet de distinguer entre les résultats d’actions vertueuses et

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non vertueuses. Enfin lors de la pratique de la perfection de la patience, la sagesse permet de remédier à la colère. C’est également grâce à la sagesse que peuvent être pratiqués les quatre moyens de réunir les disciples :

1. leur être agréable en leur fournissant une aide matérielle, instaurant ainsi un lien qui permet de leur parler de ce qui est bénéfique à leur esprit.

2. s’exprimer de façon agréable. 3. leur donner des pratiques qui sont à leur portée. 4. être soi-même un parfait exemple à suivre.

I- Les bienfaits de méditer le calme mental et la vue supérieure. Le soutra de « la Synthèse de l’Essence de l’Intuition » mentionne que toutes les qualités mondaines et supra-mondaines des deux véhicules résultent de la méditation sur le calme mental et la vue supérieure. Le calme mental et la vue supérieure sont des qualités résultantes de la méditation ; elles ne sont présentes que sur le courant de conscience d’un être qui a développé la sagesse issue de la méditation. Une telle personne a donc développé antérieurement les sagesses issues de l’écoute et de la contemplation. Toutes les qualités du petit comme du grand véhicule découlent de la sagesse issue de la méditation, étant donné que le calme mental est un esprit stable qui permet de se focaliser sur un objet vertueux et que la vue supérieure est la faculté qu’a cet esprit d’analyser tous les aspects de cet objet. Les qualités (yeuntèn) sont des connaissances qui sont précédées des trois entraînements supérieurs : l’éthique, la concentration et la sagesse. Toute connaissance obtenue grâce à l’écoute, la contemplation ou la méditation est une qualité. La citation de « l’Essence » fait référence à ces qualités présentes sur le même continuum que la sagesse issue de la méditation. Tous les objets qui doivent être abandonnés le sont grâce à la réalisation du calme mental et de la vue supérieure. Après avoir accédé au chemin du Mahayana, on franchit les trois niveaux du chemin de l’accumulation, puis au cours du premier stade du chemin de la préparation, on parvient à unir le calme mental et la vue supérieure et on obtient par conséquent un certain contrôle sur les facteurs perturbateurs. Dès qu’on accède au chemin de la vision, on commence à éliminer complètement les facteurs perturbateurs -c’est en effet à ce stade que le niveau acquis des voiles à la libération est abandonné. Dans les deux véhicules, toutes les sagesses vertueuses relèvent de la vue supérieure et toutes les consciences qui se centrent en un point sur un objet vertueux, du calme mental.

En résumé, l’intérêt d’unir le calme mental et la vue supérieure est de s’affranchir des deux

types d’asservissement : celui des empreintes qui amènent à prendre renaissance dans des états d’existence infortunés et celui du signe1.

« Etre assujetti à prendre renaissance dans des états d’existence infortunés » est le fait des empreintes contaminées, qui sont à l’origine des conceptions erronées et des facteurs perturbateurs

1 Passage évoqué dans le Soutra Révélant l’Intention Cachée, retrouvé dans le Lam Rim Tchènmo ; toutefois l’explication qui est donnée ici du « signe » n’a pas été retrouvée, donc n’a pas pu être vérifiée.

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et qui les renforcent. Cela a trait à l’aspect causal de la conscience erronée. Comme il correspond à l’empreinte qui donne naissance à tous les objets négatifs qui doivent être abandonnés, ainsi qu’à leur racine : la conception de l’existence véritable, cet assujettissement est éliminé par la vue supérieure.

« Le signe » renvoie à l’esprit lui-même, à l’aspect résultant. C’est une conscience erronée qui appréhende son objet de manière fausse à cause de l’objet apparaissant à l’esprit et à cause de l’esprit lui-même influencé par les empreintes contaminées. Cet asservissement faisant référence à toutes les pensées et distorsions conceptuelles, on s’en débarrasse par le calme mental.

II- La signification du Calme Mental et de la Vue Supérieure Définition du calme mental (Tib. Chiné) Il existe un nombre infini de concentrations, toutes étant basées sur la combinaison du calme mental et de la vue supérieure, à l’instar d’un seul tronc d’arbre qui donne naissance aux branches, aux feuilles et aux fruits. Le calme mental est un état mental capable de se centrer sans la moindre distraction sur un objet vertueux et qui est accompagné d’une souplesse physique et mentale alliée à une grande félicité et qui peut être prolongé aussi longtemps qu’on le désire. Cette grande félicité issue de la souplesse physique et mentale permet de faire usage de son corps et de son esprit inlassablement pour accomplir des actions vertueuses. Chiné signifie littéralement « demeurer dans le calme ». L’on parle de « calme » car il n’y a pas la moindre distraction extérieure au cours de la méditation sur un objet vertueux, et de « demeurer » parce que l’on peut rester en concentration sur un tel objet très longtemps sans difficulté. Cette concentration est le résultat du maintien de l’esprit vers l’intérieur, sur son objet et sans le laisser s’éparpiller. Le calme mental n’implique pas nécessairement la réalisation de la vacuité, son pouvoir de concentration pouvant en effet être dirigé vers tout objet vertueux. Définition de la vue supérieure (Tib. Lhaktong) La vue supérieure est une conscience qui non seulement demeure sans interruption sur son objet vertueux, mais qui a la capacité d’analyser cet objet de façon très détaillée. Lorsque l’on parvient au calme mental, se manifeste la joie de « l’entraînement extrême » du corps et de l’esprit ; cette joie est décuplée lorsque la vue supérieure est développée. Au moyen de la vue supérieure, on peut voir davantage qu’avec le seul calme mental. La vue supérieure est développée à partir de l’état même de calme mental, sur la base de cette félicité physique et mentale. L’objet du calme mental comme celui de la vue supérieure peut être soit la vérité relative, soit la vérité ultime. Cela veut dire qu’il y a un cas de figure où le calme mental a réalisé la vacuité et un cas où il ne l’a pas ; il en est de même pour la vue supérieure. Un étudiant : Est-ce que l’objet doit être nécessairement un objet intérieur ? Guéshé-lag : Non. Lorsque nous disons qu’il n’y a plus de distraction extérieure, ce doute peut surgir, mais l’objet peut être une vérité relative ou une vérité ultime. C’est une concentration intérieure qui a la faculté de ne plus être sujette à la distraction, mais cela n’implique pas que l’objet doive être un objet intérieur.

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Guéshé-lag : Certains érudits considèrent que le calme mental et la vue supérieure sont établis sur la base d’un objet : ils estiment que lorsqu’une concentration puissante se focalise sur son objet, mais qu’elle est dénuée d’une clarté intense, il s’agit du calme mental et que, lorsque la concentration puissante est associée à une intense clarté, il s’agit alors de la vue supérieure. Qu’en pensez-vous ? Un étudiant : Se focaliser sur un objet avec une intense clarté est déjà une caractéristique du calme mental. Guéshé-lag : Oui, en effet, le calme mental est dénué des deux formes de mollesse, grossière et subtile, ainsi que des niveaux grossiers et subtils d’excitation. Quand le calme mental et la vue supérieure observent la réalité ultime Si le calme mental et la vue supérieure observent ensemble l’un ou l’autre des deux non soi, on parle alors du calme mental et de la vue supérieure observant la vérité ultime, ou du calme mental et de la vue supérieure observant la vacuité.

Certains affirment que « la concentration sur le non conceptuel » devrait prendre pour objet la vacuité, et devrait être à même de réaliser la vacuité car elle pacifie les élaborations mentales et n’est donc plus entrecoupée par la moindre pensée conceptuelle. En réalité, ce type de concentration ne réalise pas la vacuité ; grâce à elle nous pouvons couper court à toutes les projections mentales en prenant seulement la vacuité comme objet. Nous estimons que cette concentration particulière est simplement une concentration qui peut être soutenue sans l’intervention d’autres conceptions. Si une concentration relève du calme mental, il s’agit nécessairement d’une concentration non conceptuelle et même si les élaborations mentales sont apaisées, cette concentration n’est pas tenue de prendre forcément la vacuité comme objet, ni d’avoir réalisé la vacuité. Pourquoi est-il essentiel de méditer conjointement le calme mental et la vue supérieure ? N’est-il pas suffisant de ne méditer que le calme mental ? Si nous nous trouvons dans une pièce obscure sur les murs de laquelle quelque chose est dessiné, à moins de disposer d’une source continue de lumière, nous sommes incapables de voir le dessin. Dissiper l’obscurité avec la lumière est comparable à la vue supérieure et le faisceau continu de lumière est analogue au calme mental. Si nous avons développé la stabilité mentale procurée par le calme mental, mais que nous fait défaut la sagesse discriminante, nous ne sommes pas en mesure de réaliser la vacuité ; mais si nous possédons la sagesse discriminante sans le calme mental, nous serons incapables de percevoir l’objet clairement. En conjuguant le calme mental et la vue supérieure, nous pouvons évoluer le long de tous les chemins et les terres. S’il nous faut parcourir une longue distance, nous avons besoin d’un vélo ; le cycliste est semblable à la sagesse discriminante et le vélo au calme mental. Même si nous avons développé un calme mental très puissant, focalisé sur un objet vertueux, à défaut de la vue supérieure nous serons incapables de trancher la racine de l’existence cyclique. Le calme mental à lui seul n’est pas une réalisation extraordinaire, c’est un chemin parcouru autant par les bouddhistes que par les non bouddhistes. Si toutefois, nous trouvons refuge auprès des Trois Joyaux, et que nous méditions sur la loi de causalité, les quatre vérités, l’amour et la compassion sur la base du calme mental, cette acquisition est alors de première importance. Ce faisant, nous obtiendrons des réalisations et nous rapprocherons de l’état de parfait accomplissement. En combinant ainsi le calme mental à la vue supérieure, va surgir une force naturelle comparable à celle produite par de l’essence jetée dans du feu. Ainsi selon les cas, le calme mental peut être ou non une qualité d’une très grande valeur, tout comme de l’essence qui seule, en tant que telle, ne sert pas à grand-chose, alors que versée dans un réservoir de voiture devient très utile. Lorsque ceux qui n’ont pas développé le calme mental essayent de méditer, des pensées conceptuelles font irruption dans leur esprit, ce qui ne se produit plus quand le calme mental est

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obtenu. Le calme mental en lui-même n’est pas une si grande affaire cependant : nous pouvons fixer notre esprit sur une chaussure, sans difficulté particulière, mais bien que des pensées conceptuelles ne fassent pas irruption cela ne veut pas dire qu’elles aient été abandonnées, elles sont seulement réprimées temporairement. Cela s’apparente à la non émergence de phénomènes manifestes durant la phase de sommeil ; dès lors que l’on sort de la concentration, les pensées conceptuelles réapparaissent. A moins de posséder un réel antidote aux perturbations, le développement du calme mental n’apporte pas grand-chose.

III- La raison pour laquelle le calme mental et la vue supérieure doivent être développés conjointement

Le calme mental et la vue supérieure doivent aller de pair, tout comme lorsque l’on veut distinguer quelque chose dans l’obscurité, il nous faut à la fois de la lumière et une bonne vue stable. Même si nous sommes dotés d’une certaine sagesse, si notre esprit est constamment agité par des pensées conceptuelles, elle n’est pas d’un très grand secours, nous ne pouvons obtenir de réalisations claires. Si nous avons développé seulement la sagesse qui réalise le non soi sans le calme mental, nous ne pouvons avancer vers l’état de Bouddha. Il est de ce fait de la plus grande importance d’unir la vue supérieure au calme mental. Il ne suffit pas d’une hache bien affûtée pour abattre un arbre, le bûcheron doit être précis et donner des coups qui tombent toujours exactement au même endroit. Sans le calme mental et la vue supérieure, l’esprit ne peut aller nulle part. Sans le calme mental, l’esprit est comme une flamme exposée aux quatre vents qui vacille de tous côtés. La vue supérieure est indispensable car il nous faut un esprit vif, pénétrant pour couper le filet des pensées conceptuelles. Le calme mental et la vue supérieure sont semblables en un sens à la méthode et à la sagesse ; leur présence est obligatoire pour évoluer le long des chemins et des terres. Manquer de l’un ou de l’autre nous fait ressembler à un oiseau qui n’aurait qu’une aile. La présence des deux nous permet de voler aisément vers le grand océan des qualités d’un bouddha. Lorsque le calme mental est développé correctement, chaque méditation s’en trouve intensifiée. Nos méditations sur la loi de cause à effet, sur le refuge et etc., portent leurs fruits parce que nous nous servons d’une méthode remarquable. A notre niveau actuel, nous sommes incapables de maintenir notre concentration sur un objet parce que nous manquons de stabilité mentale, sans laquelle nous sommes facilement distraits par les perturbations mentales, qui nous tiennent dans leurs crocs et sont prêtes à nous engloutir à tout moment. Par contre, n’importe quelle méditation, comme la récitation de mantras, est extrêmement bénéfique dès qu’elle s’appuie sur la concentration en un point.

Le développement du calme mental à lui seul n’est pas exceptionnel, car pour s’engager dans des pratiques vertueuses, la vue supérieure nous est également nécessaire. Tous les êtres vivants ont développé le calme mental à de nombreuses reprises, au cours de leurs vies passées sans pour autant engendrer de profondes réalisations du non soi, de l’amour ou de la compassion combinées à ce calme mental. Nous avons fourni de gros efforts et enduré de nombreuses difficultés pour parvenir aux états d’absorption méditatives des mondes de la forme et du sans forme et si nous avions développé les réalisations du non soi, de l’amour etc., conjointement au calme mental, nous aurions accédé aux chemins supérieurs et serions même parvenus à l’état de Bouddha à l’heure actuelle.

S’il est demandé : « Du calme mental ou de la vue supérieure, lequel des deux doit être développé en premier ? » ; la réponse est que le calme mental doit précéder la vue supérieure.

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Une autre question s’élève à ce stade : « Il est dit que le calme mental et la vue supérieure peuvent l’un comme l’autre avoir des vérités ultimes et des vérités relatives comme objets. S’il en est ainsi, pourquoi est-ce que le calme mental et la vue supérieure ne pourraient pas être développés simultanément en méditant sur la vacuité ? »

Une telle personne s’interroge ainsi, car elle pense qu’avant de pouvoir focaliser son esprit sur l’objet vacuité, elle doit avoir une bonne compréhension du sens de la vacuité. Or en réalité, elle peut développer le calme mental sans avoir réalisé la vacuité et réaliser la vacuité sans être parvenue au calme mental. Cela signifie qu’avant de développer le calme mental, elle peut posséder une vue correcte -c'est-à-dire avoir une compréhension approximative de la vacuité- une conscience qui tend vers la conclusion correcte. Lorsque l’on a obtenu une compréhension correcte de la vacuité, cela n’implique pas d’avoir réalisé la vue supérieure. Il est possible d’avoir une réalisation approximative de la vacuité avant de développer le calme mental, de même que l’on peut être parvenu à une réalisation approximative du refuge, de l’impermanence subtile, etc., avant d’avoir développé le calme mental. Si nous affirmons qu’il n’y a aucun moyen de faire l’expérience de la réalisation de la vacuité sans le calme mental, cela entraîne qu’un individu ne peut faire davantage l’expérience des réalisations du refuge, de l’impermanence subtile, etc., avant d’avoir développé le calme mental.

IV- Comment s’assurer de leur chronologie : la raison pour laquelle le calme mental doit précéder la vue supérieure

On parvient au calme mental en franchissant neuf stades. Au 9ème stade de samatha, on fait l’expérience de la grande félicité de l’entraînement extrême et le calme mental est obtenu. Le calme mental proprement dit consiste en la concentration présente sur le continuum d’une personne parvenue au 9ème stade et dont l’esprit est sous-tendu par une grande félicité physique et mentale provenant de l’entraînement. Parvenu à ce niveau, le méditant doit passer par sept phases de préparation pour accéder aux mondes supérieurs (de la forme et du sans forme) afin de se défaire de toutes les perturbations mentales relevant du monde du désir. La première préparation octroie une réalisation donnée, puis c’est au cours de la deuxième préparation que la vue supérieure est en fait réalisée. A partir de la fin du 9ème stade (de Chiné) et tout au long des sept phases de préparation suivantes, la conscience est associée à une concentration très puissante. La première préparation est appelée « l’activité mentale de la connaissance propre de chaque caractéristique ». Ici le yogi examine les objets de manière individuelle, puis au cours de la deuxième préparation, il accède à la vue supérieure et éprouve la félicité particulière de l’entraînement extrême qui résulte du franchissement de la première préparation, obtenant ainsi la combinaison puissante du calme mental et de la vue supérieure. Il existe une autre raison pour laquelle le calme mental doit précéder la vue supérieure. Si nous ne faisons qu’examiner encore et encore un objet, pouvons-nous parvenir au calme mental ? Au cours de l’analyse, l’esprit va et vient autour de son objet, ce qui représente un obstacle au développement du calme mental. Afin d’accéder au calme mental, il faut empêcher l’esprit d’aller et venir ainsi, alors que, lorsque nous développons la vue supérieure pour la première fois, nous ne pouvons le faire qu’à travers l’analyse. Aussi affirmons-nous qu’il est impossible d’avoir une conscience qui se concentre et qui analyse simultanément, ces deux activités étant contraires. Ceci constitue la preuve que lorsque l’on atteint, pour la première fois, l’union du calme mental et de la vue supérieure sur l’objet vacuité, on ne peut effectuer ces deux tâches simultanément. Si nous analysons l’objet, nous ne pouvons obtenir le calme mental et si nous nous concentrons seulement

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sur lui, nous ne pouvons développer la vue supérieure. Le calme mental doit être développé d’abord, puis vient la vue supérieure, au moyen de l’analyse. Dans le véhicule des soutras ainsi que dans les trois premières classes de tantra, il est dit que sans analyser la vacuité, l’on ne peut pas accéder pour la première fois à la vue supérieure. Un étudiant : Est-ce que cette analyse a lieu au préalable, avant que le yogi n’obtienne le calme mental ou a-t-elle lieu au cours de la deuxième préparation après l’obtention de celui-ci ? Guéshé-lag : Le calme mental est atteint, et le pratiquant est au stade de la deuxième préparation. Lors de cette première obtention du calme mental qui précède la vue supérieure, ces deux qualités ne surgissent pas simultanément. On peut dire que dès que l’on éprouve la félicité particulière de l’entraînement extrême, qui est induite par la force de l’analyse de l’objet, l’on accède alors à la vue supérieure ; ou pour le dire autrement, que cette conscience découle de la méditation sur cet objet. Cette présentation est conforme au point de vue de Lama Tsongkhapa ; si nous nous intéressions à l’interprétation de tous les érudits indiens, cela deviendrait très compliqué. Certains soutras et certains commentaires donnent des explications différentes de l’enchaînement des étapes de développement du calme mental et de la vue supérieure ; après avoir approfondi les enseignements du Bouddha, de Maitreya et d’Asanga, Lama Tsongkhapa en arriva à cette conclusion. La présentation du calme mental dans « l’Abhidharmakosha » et dans « l’Abhidharmasamuccaya » se fonde sur les mêmes textes. Une autre manière de prouver que le calme mental précède nécessairement la vue supérieure est de considérer l’ordre des six perfections : la perfection de la concentration vient avant celle de la sagesse. Certaines personnes estiment qu’il est possible d’accéder pour la première fois au calme mental, après avoir développé la vue supérieure. Or si l’on considère l’ordre de survenue de la naissance et de la mort dans la vie d’un être, c’est quelque chose d’assez clair, qui présente un ordre chronologique assez certain. Au delà d’une existence, la mort peut alors, bien entendu, précéder la naissance, cependant, quand il s’agit de l’obtention du calme mental et de la vue supérieure, on devrait prendre garde à ne pas tout mélanger ainsi. Il ne fait aucun doute que pour une même personne, la réalisation du calme mental doit précéder celle de la vue supérieure. Pour parvenir au premier niveau de concentration du monde de la forme, un yogi doit franchir sept phases de préparation. C’est au cours de la deuxième qu’il développe la vue supérieure et cette vue supérieure particulière s’appuie sur l’obtention préalable d’un calme mental particulier. Si nous nous intéressons seulement au déroulement du premier niveau de concentration, l’ordre de progression est clair. Au cours du développement du deuxième niveau de concentration toutefois, le pratiquant accède à un autre niveau de calme mental et il semble alors que le calme mental vient à la suite du développement de la vue supérieure. Mais le calme mental dont il s’agit ici, dans ce contexte relève d’un niveau différent. En effet, au fur et à mesure de l’évolution à travers les quatre niveaux de concentration du monde de la forme va apparaître un nouveau (type) de calme mental ; il faut donc être attentif à ce qu’il n’y ait pas de confusion ici. Ceux qui estiment que l’ordre d’obtention du calme mental et de la vue supérieure n’est pas déterminé s’égarent et pensent que la vue supérieure des préparations du premier niveau de concentration sert de base au développement du calme mental des phases de préparation du deuxième niveau. Or les choses ne se déroulent pas ainsi, car il y aura une vue supérieure des préparations du deuxième niveau de concentration qui sera précédée d’un calme mental relevant

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de la même préparation. Selon notre tradition, l’ordre d’obtention du calme mental et de la vue supérieure est le même que celui des six perfections et des trois entraînements supérieurs. Si nous souhaitons atteindre la libération et la bouddhéité il est aussi essentiel de développer le calme mental que d’avoir un pichet pour transporter de l’eau. La sagesse qui réalise la vacuité ne constitue pas la vue supérieure et inversement, parce que cette sagesse peut très bien suivre ou précéder l’obtention du calme mental, alors que la vue supérieure la suit systématiquement. La « sagesse » ne fait pas toujours référence à la réalisation de la vacuité, mais recouvre de nombreuses choses ; il s’agit seulement d’un facteur mental qui a la capacité de faire clairement la distinction entre les choses. La « concentration » quant à elle ne fait pas toujours référence au calme mental. La concentration du calme mental est un résultat bien particulier obtenu seulement après une longue période d’entraînement le long des neuf stades. Une concentration qui a la faculté de demeurer centrée en un point, durant un long intervalle de temps, ne relève pas forcément du calme mental. La concentration à elle seule est un facteur mental qui accompagne tous les états d’esprit vertueux : dès que s’élève un état d’esprit vertueux, la concentration est présente, de même que d’autres facteurs mentaux comme la foi, l’enthousiasme, la sagesse et la mémoire qui tous assistent cet état d’esprit vertueux, bien que leur force et leur durée puissent être variables. Le calme mental se rapporte toujours à un certain type de concentration, de même que la vue supérieure se rapporte toujours à un certain type de sagesse. Le calme mental peut être médité à tout moment ; on n’est pas tenu de le méditer avant ou après avoir développé la bodhicitta ou à tout autre moment donné. Le texte stipule que le calme mental doit être recherché avant la réalisation de la vue supérieure, parce que ce n’est qu’après son obtention que la vue supérieure peut être développée. Quand les deux qualités sont alors combinées, on peut éliminer les perturbations mentales grâce à cet état mental très puissant. Il est indispensable de suivre toutes les étapes de développement du calme mental, car si l’une venait à faire défaut, le résultat ne pourrait être atteint.

V- Comment développer le calme mental et la vue supérieure A- Comment développer le calme mental

1- Les conditions préalables d’obtention du calme mental

1. un accès facile aux produits de première nécessité : l’on ne doit pas rencontrer de difficultés pour obtenir de la nourriture, un toit, des vêtements, avoir chaud etc., …

2. un environnement paisible : ne présentant pas de danger que ce soit à cause des êtres humains, des animaux sauvages ou des éléments, comme des inondations.

3. un environnement climatique sain : ni trop chaud, ni trop froid. 4. un entourage d’un grand soutien : des amis dont les opinions et le comportement sont

similaires aux vôtres, qui sont là pour nous fournir des conseils sur la méditation. Cela est particulièrement utile pour les débutants et permet de redoubler d’ardeur en gardant à l’esprit leurs conseils.

5. une préparation : avoir écouté les explications données sur les méditations que nous voulons accomplir et y avoir réfléchi. Il est important que vous-même et vos compagnons ayez reçu les initiations, transmissions orales et commentaires sur votre pratique de méditation afin que toutes vos activités soient bénies. Lorsque vous vous êtes retiré en solitude, vous pouvez

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trouver des ouvrages qui traitent de votre pratique, mais cela ne sera pas aussi bénéfique qu’un ami qui en a reçu correctement la transmission et qui vous l’explique

6. avoir peu de désirs : vous devez éprouver du contentement ; si vous n’êtes pas satisfait de ce que vous avez, vous n’aurez pas un instant de répit et serez toujours en train de chercher quelque chose d’autre. Il vous faut avoir peu de désirs ainsi que « la connaissance de la satisfaction », d’arriver à vous contenter, quoique que vous ayez.

7. un contrôle de ses sens : il vous faut contrôler vos trois portes, maîtriser vos actes physiques, vos paroles et vos pensées, surtout vos pensées. Vous devez préserver votre esprit des distractions, des projections imaginaires, des pensées conceptuelles, éviter le bavardage ainsi que l’activité physique, qui sont tous source de distraction.

Lorsque vous avez peu de désirs et que vous possédez cette connaissance de la satisfaction, vous n’êtes pas en quête d’autres activités et objectifs qui seraient source de distraction. Votre seul but est d’obtenir le calme mental et votre seule activité est de méditer pour y parvenir ; vous avez naturellement une concentration centrée en un point sur l’objet vertueux de votre calme mental.

Lorsque vous méditez le calme mental, peuvent surgir l’idée et l’opportunité d’accomplir d’autres activités vertueuses, mais il vous faut éviter cela sinon votre concentration sera perturbée. Vous pouvez être tenté de vous engager dans la médecine, l’astrologie, etc., mais cet effort tourné vers le bien d’autrui va devenir un obstacle à votre méditation.

L’énergie de l’envie, du vouloir surgit avec beaucoup de force, et il vous faut essayer de vous y opposer en contemplant les inconvénients du désir. Quand la connaissance de la satisfaction vous fait défaut, lorsque votre désir est incontrôlé, votre esprit s’engage alors dans de multiples activités qui entraînent des actions physiques et des paroles, gaspillant ainsi le temps précieux de cette existence. Finalement, parce que vous ne donnez pas de sens à ce que vous faites dans cette vie, vous ne créez pas la cause pour agir de manière signifiante au cours de vos prochaines vies.

Le désir peut être subjugué en réfléchissant à ces inconvénients et en pensant que, même si nous obtenons les objets convoités, il n’est pas du tout certain que nous ayons le loisir d’en profiter. La mort, la maladie et autres peuvent surgir.

Une fois que vous avez réuni les conditions nécessaires à l’obtention du calme mental, il vous faut savoir comment procéder.

2- Comment méditer le calme mental dans ces conditions a- La posture pour développer le calme mental

1. la posture de méditation : vous devez vous asseoir en posture complète de lotus, comme le Bouddha Shakyamouni, ou avec votre jambe droite légèrement ouverte, comme Tara, ou adopter la position dans laquelle vous vous sentez le plus à l’aise. A l’époque du Bouddha, vivait un moine pleinement ordonné qui ne pouvait méditer qu’allongé sur son côté droit, comme une vache ; le Bouddha lui donna la permission de méditer de cette façon. Si vous avez un handicap physique et ne pouvez méditer dans la posture complète de lotus, adoptez la position qui vous convient le mieux.

2. les yeux : votre regard doit être dirigé vers la pointe du nez, les yeux mi-clos. 3. le corps : s’asseoir le dos droit, sans se pencher ni vers l’avant ni vers l’arrière ce qui réduirait

le diamètre des canaux. Lorsque les canaux sont rectilignes et non obstrués, les vents peuvent circuler librement à l’intérieur et l’esprit opère plus aisément.

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4. les bras : votre main droite doit reposer dans la paume de la gauche, les paumes tournées vers le haut à hauteur de votre taille. Vos coudes seront détendus, décollés de votre corps et vos épaules à la même hauteur.

5. la tête : penchez légèrement la tête vers l’avant, sans la tenir droite avec rigidité. 6. la bouche : fermez votre bouche et relâchez les muscles de la mâchoire. 7. la langue : apposez la langue contre le palais, ce qui permet de réguler la salive. 8. la respiration : respirez naturellement par vos narines.

b- Le processus de méditation proprement dit On peut prendre n’importe quel objet pour la méditation sur le calme mental, nous pouvons le développer même en nous focalisant sur un rocher. On parvient toutefois au résultat par le biais de la conscience mentale et non par le biais de tout autre conscience sensorielle. Fondamentalement, la méditation revient ici à définir votre objet et à essayer de maintenir votre concentration sur cet objet au moyen de la conscience mentale aussi longtemps que possible. Même si on peut prendre n’importe quel objet, il est préférable de choisir un objet vertueux tel qu’une statue de Bouddha, dans la mesure où cela contribuera non seulement à développer le calme mental, mais aussi à accumuler des mérites. Cela vous permettra de vous rappeler du Bouddha : il est important dans votre pratique de vous remémorer le Bouddha, le Dharma et le Sangha aussi souvent que possible et enfin, la méditation sur une image de Bouddha est bénéfique parce qu’elle nous aide à atteindre rapidement l’étape de génération du tantra. Afin de méditer sur une représentation de Bouddha, visualisez d’abord votre maître racine sur le sommet de votre tête et imaginez qu’en émane un minuscule bouddha qui demeure dans l’espace à un mètre de vous au niveau de votre front. Il peut se situer plus bas, à hauteur de votre nombril si vous le souhaitez. Puis, placez toute votre concentration sur cette image. Si vous souhaitez développer le calme mental de la même manière que dans l’étape de génération du tantra, pensez que votre corps et votre esprit se transforment en le corps et l’esprit du Bouddha et focalisez votre concentration sur vous-même en tant que bouddha. Cela s’apparente au stade de génération au cours duquel on se transforme en l’image de la déité de méditation et où l’on se concentre sur elle. Il n’est pas nécessaire d’avoir reçu une initiation particulière pour se visualiser soi-même sous l’aspect du Maître-Bouddha Shakyamouni. Ceux qui ont du mal à visualiser un objet matériel peuvent méditer sur la nature de l’esprit -sa clarté et sa capacité de connaître- comme cela est indiqué dans les enseignements du Mahamoudra, et développer le calme mental de la sorte. Si vous ne connaissez pas bien l’aspect du Maître-Bouddha Shakyamouni, regardez avec attention une statue ou une représentation peinte et accoutumez-vous à cette image au préalable, avant de méditer.

b.1 Se focaliser sur un objet de méditation 1. les objets de méditation universels 2. les objets de méditation qui purifient notre attitude 3. les objets de méditation à comprendre 4. les objets de méditation qui purifient nos perturbations

1. Les objets universels sont ainsi nommés car ils comprennent les trois autres catégories d’objets. Ils recouvrent tous les phénomènes et sont inclus dans les deux divisions de la diversité (les vérités relatives) et de l’ainsité (les vérités ultimes). Ainsi, toute vérité relative ou absolue peut devenir un objet de méditation du calme mental. L’objet est choisi, puis l’esprit se pose dessus sans recourir à l’activité mentale de l’investigation.

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2. Les objets de méditation qui purifient notre attitude impliquent le recours à un antidote spécifique pour une perturbation mentale donnée. Si vous avez conscience qu’une perturbation particulière prend le dessus dans votre esprit, vous pouvez appliquer son antidote spécifique. Lorsque l’une ou l’autre des cinq perturbations se manifeste –l’attachement, la colère, l’ignorance, l’orgueil ou le bavardage mental (Tib. Namtok)- il y a un antidote particulier à utiliser pour faire disparaître rapidement l’obstacle. Il est essentiel de connaître et de savoir appliquer de tels outils de nos jours car les perturbations sont très intenses et toujours prêtes à surgir dans notre esprit. Si nous les contrecarrons avant qu’elles ne submergent notre esprit, nous pourrons développer rapidement le calme mental. Le remède à l’attachement consiste à méditer sur l’aspect repoussant. Si le désir surgit, pensez que l’objet de votre désir est extrêmement laid, impur et repoussant. Dès que vous serez à même de le voir ainsi, votre attachement fondra comme neige au soleil, et vous pourrez revenir sur l’objet de votre méditation. Le remède à la colère est l’amour qui s’étend à tous les êtres. La haine est un état d’esprit qui est troublé en profondeur ; afin de détendre un tel esprit agité, vous devez contempler la bonté des autres et la manière dont ils vous aident de tant de façons. Alors que votre colère se désamorce, revenez à votre objet de méditation. Le remède à l’ignorance se trouve dans la méditation sur les douze liens de production dépendante. En comprenant que l’enchaînement de la mort et de la renaissance est causé par l’ignorance, vous vous mobiliserez pour vous en défaire et aurez davantage d’énergie pour vous concentrer sur l’objet du calme mental. Le remède à l’orgueil réside dans la méditation sur les dix-huit constituants. Lorsque vous réalisez que vous ne les connaissez pas, pas plus que leurs soixante-deux subdivisions, dans toute leur complexité, votre orgueil s’évanouit et vous pouvez alors revenir à l’objet de méditation. Enfin, le remède au bavardage mental se trouve dans la méditation sur votre respiration que vous prolongez jusqu’à ce qu’il disparaisse. 3. Les objets de méditation à comprendre. Ce sont les objets de méditation sur lesquels quelqu’un de compétent, dans l’une ou l’autre des cinq catégories d’objets de connaissance, peut méditer pour obtenir le calme mental. Il s’agit des cinq agrégats, des dix-huit constituants, des douze sphères, des douze liens et de la connaissance de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas.

• Les cinq agrégats sont des phénomènes composés qui recouvrent toutes les formes (matérielles) constituées de molécules, toutes les consciences qui sont la réunion d’instants (de conscience) et tous les phénomènes qui ne relèvent ni de la forme ni de la conscience. Parmi les cinq agrégats, l’agrégat de la forme est évident, les agrégats de la sensation et de la discrimination sont deux facteurs mentaux, l’agrégat des formations volitionnelles (ou facteurs composés) comprend les quarante-neuf facteurs mentaux restants ainsi que les phénomènes qui ne relèvent ni de la forme, ni de la conscience, et l’agrégat de la conscience est formé des six consciences primaires. Lorsque l’on aura assimilé tous les éléments de ces divisions, on pourra comprendre leur diversité et sera alors à même de focaliser simplement notre esprit sur leur ensemble ou sur leur diversité (vérité relative) afin de développer le calme mental.

• Les dix-huit constituants2 englobent tous les phénomènes, conventionnels comme ultimes. Après avoir étudié leurs soixante-deux subdivisions, l’on en obtient une bonne

2 Les dix-huit constituants consistent en les six objets sensoriels (les formes, les sons, les odeurs, les saveurs et les objets tactiles, les phénomènes mentaux), les six facultés sensorielles (la vue, l’audition, l’olfaction, le goût, le toucher, la faculté mentale) et les six consciences (les consciences visuelle, auditive, olfactive, gustative, tactile et mentale).

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compréhension, et l’on peut prendre les dix-huit constituants dans leur ensemble comme objet de méditation du calme mental. Le terme « constituant » (Tib. Kham) signifie « ce qui indique sa propre caractéristique ».

• Les douze sphères3 (entrées) comprennent également l’ensemble des phénomènes conventionnels et ultimes. Après les avoir étudiées et bien comprises, nous réaliserons qu’elles constituent le domaine sensoriel auquel l’esprit et les facteurs mentaux ont accès ; et cela même peut être un objet de méditation du calme mental.

• Les douze liens : en percevant l’ensemble de la présentation, l’enchaînement des liens les uns aux autres, le nombre de vies nécessaires pour les couvrir tous, etc., l’on comprend que les liens dépendent les uns des autres et c’est cette relation de dépendance qui est prise comme objet de méditation pour développer le calme mental.

• La connaissance de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas consiste à savoir que la création de karma positif débouche sur un résultat agréable et ne peut procurer de souffrance, et que le karma négatif entraîne un résultat de souffrance et jamais de bien-être. Comme objet du calme mental, nous pouvons contempler le bonheur qui ne provient pas d’états d’esprit perturbés et la souffrance, qui elle, en découle.

4. Les objets de méditation qui purifient nos perturbations. Ce sont des objets qui permettent d’éliminer uniquement les perturbations manifestes et ceux qui permettent de les éradiquer complètement.

La méditation sur les objets de la voie mondaine permet seulement d’éliminer les perturbations mentales manifestes. Cette voie implique de percevoir les inconvénients du monde du désir et de regarder les mondes supérieurs comme quelque chose à atteindre. Percevoir le monde du désir comme truffé d’imperfections permet de réduire les perturbations, telles que l’attachement aux phénomènes à votre propre niveau de renaissance. Les mondes supérieurs vous apparaîtront automatiquement comme quelque chose de désirable. C’est une voie qui se rapporte aux aspects grossiers et subtils ; « grossier » faisant référence aux qualités du monde du désir qui sont perçues comme imparfaites et « subtil » se référant aux qualités des mondes supérieurs appréhendées comme quelque chose d’enviable.

La voie supramondaine permet d’éradiquer complètement les facteurs perturbateurs. Elle consiste en une méditation sur les seize caractéristiques des Quatre Vérités, ce qui permet d’éliminer complètement les perturbations, car méditer l’impermanence détruit la saisie de l’existence permanente, méditer le non soi déracine la conception de la saisie du soi, etc. Nous venons de parler de tous les objets possibles pouvant servir de support de méditation du calme mental ; le pratiquant n’est toutefois pas tenu de les méditer tous. Si une perturbation donnée surgit, vous saurez comment y faire face. Choisissez l’objet qui convient le mieux à votre esprit. Un étudiant : Est-ce que méditer les douze liens pour développer le calme mental signifie que l’on ait une image mentale de l’ensemble des douze ? Guéshé-lag : Vous ne les parcourez pas l’un après l’autre ; vous y réfléchissez d’abord et comprenez que ces douze liens existent en dépendance les uns des autres, puis vous vous focalisez simplement sur cela comme objet du calme mental.

3 Les douze sphères sont constituées de six sphères extérieures (les formes, les sons, les odeurs, les saveurs et les objets tactiles, les phénomènes mentaux) et de six sphères intérieures (la vue, l’audition, l’olfaction, le goût, le toucher, la faculté mentale)

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Un étudiant : Est-ce que les antidotes aux cinq perturbations principales constituent des objets de la méditation à part entière sur le calme mental ou ne sont-ils que de simples méthodes pour chasser les obstacles à son développement ? Guéshé-lag : Vous devez méditer un objet d’attachement jusqu’à ce que vous soyez capable de le voir comme repoussant dans son ensemble, puis, vous utilisez cet aspect repoussant comme votre objet du calme mental. Un étudiant : Quel est l’objet général à méditer en regard des cinq agrégats, etc. ? Guéshé-lag : Après avoir réfléchi aux cinq agrégats, vous comprenez leur diversité et c’est cela que vous utilisez comme objet de méditation du calme mental. Après avoir contemplé les dix-huit constituants et les douze sphères, la compréhension que vous en tirez va vous aider à vous détourner de la saisie de l’existence intrinsèque (Tib. dak dzin) et de la saisie du soi personnel (Tib. djik-ta). Une fois que vous avez défini l’objet de méditation qui vous convient, gardez-le et n’en changez pas. Essayez de donner plus d’intensité à votre méditation en gardant votre objet toujours à l’esprit. Si vous en changez, vous perdrez une certaine stabilité mentale et vous ne parviendrez jamais à obtenir des réalisations. Un étudiant : A quoi sert d’antidote la méditation sur la clarté et la capacité de connaître de l’esprit ? Guéshé-lag : C’est un antidote aux fluctuations de l’esprit. Le texte sur le Mahamoudra rédigé par le Panchen Lama Losang Tcheugyèn, dont le propos est de développer le calme mental, mentionne que la nature de l’esprit, à savoir sa clarté et sa capacité de connaître, peut être un objet approprié pour quiconque n’aurait pu trouver d’autre objet. Parmi l’ensemble des objets possibles, les maîtres considèrent que le meilleur objet pour développer le calme mental est une image du Bouddha. Au début de votre méditation, vous pouvez prendre l’image dans son ensemble comme objet, puis, vous vous concentrez sur une main, un pied et ainsi de suite et si ce détail apparaît clairement, fixez-le. S’il perd de sa clarté, revenez à l’image complète, puis, recommencez à nouveau à vous focaliser sur le détail.

b.2. Comment fixer son esprit sur l’objet de méditation Les cinq obstacles : (à éliminer au moyen des huit antidotes)

1. La paresse est surmontée par les quatre types d’effort4 ; les quatre antidotes restants s’opposent aux quatre autres obstacles.

2. L’oubli des instructions. Cela revient à oublier l’objet sur lequel on est censé méditer, et

l’on y remédie en faisant appel à la mémoire, en se remémorant encore et encore l’objet de méditation. La mémoire est l’outil principal dont nous nous servons pour développer le calme mental, elle doit tenir l’objet comme on tient un mala dans la main. Lorsque la mémoire est puissante, le calme mental est obtenu rapidement ; si elle est déficiente, cela

4 Les quatre types d’effort sont la foi ou la confiance dans les qualités procurées par la concentration, l’aspiration à obtenir ces qualités, l’enthousiasme pour développer la concentration et la souplesse ou maniabilité qui est ce qui s’oppose finalement à la paresse.

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prend par contre beaucoup de temps. Avec une mémoire moyennement développée, vous pouvez obtenir le calme mental dans un délai de six mois environ, si les conditions sont réunies. La mémoire est un facteur mental dont la fonction est de se remémorer un objet avec lequel on s’est familiarisé au préalable. Ce facteur permet de garder l’objet du calme mental comme image mentale et de ne pas le perdre. Durant la visualisation, nous devons garder l’objet clairement à l’esprit, à l’instar d’une personne affamée qui imagine de la nourriture. Il vous faut garder une visualisation claire de la statue du Bouddha Shakyamouni jusqu’à ce que vous parveniez au calme mental.

3. Le relâchement5et la distraction. Lorsque vous maintenez votre concentration sur l’objet

pendant longtemps, le relâchement et la distraction peuvent surgir, même lorsque vous essayez de vous concentrer. Pour arriver à contrôler le relâchement et la distraction, vous devez tout d’abord savoir les identifier, puis appliquer l’antidote approprié.

• Le relâchement ou la mollesse correspond à un état de lourdeur mentale. En sa présence, vous éprouvez une sensation d’obscurité qui s’étend jusqu’à la pièce où vous vous trouvez ; c’est un état qui a un avant-goût d’endormissement. Le relâchement est soit de nature vertueuse, soit neutre, il ne peut jamais être non vertueux. L’esprit est sombre, et n’est jamais stimulé. Le relâchement grossier se produit lorsque l’esprit continue de rester sur l’objet principal mais qu’il manque de clarté. Le relâchement subtil est un facteur, par lequel l’esprit demeure avec une moindre intensité sur son objet, qui entraîne une baisse de la clarté. Votre esprit reste focalisé sur l’objet de méditation, il y a clarté mais la focalisation et la clarté, manquent toutes deux d’intensité, de puissance. La clarté manque d’intensité parce que l’esprit n’est pas tenu assez fermement, l’esprit demeure sur son objet de façon relâché et, comme la focalisation est faible, il n’a pas de puissance. La différence entre la clarté seule et la clarté dotée d’intensité est celle qu’il y a entre tenir un mala mollement ou fermement. En présence d’une simple clarté, l’objet est perçu clairement, mais il ne l’est pas autant que lorsque la clarté est intense. Cela est similaire à la foi que vous éprouvez pour votre maître qui s’intensifie quand vous apprenez qu’il possède des qualités particulières. Cette différence entre la clarté seule et la clarté dotée d’intensité est quelque chose qu’il est difficile de décrire par des mots ; chaque pratiquant doit en faire l’expérience par lui-même. Il y d’autres situations dans lesquelles ce n’est pas la clarté qui fait défaut, mais la luminosité. L’absence de clarté signifie que des voiles empêchent de voir l’objet clairement. Il est dit qu’il est facile de prendre le relâchement subtil pour une réelle concentration, car la concentration est dotée de clarté et de force pour rester sur son objet, ce qui est le cas aussi du relâchement subtil. Or le relâchement subtil diffère de la réelle concentration. Il est dit que parfois, quand le relâchement subtil surgit, le yogi peut prolonger sa méditation vingt-quatre heures durant, la respiration étant alors extrêmement ténue -il n’y a presque

5 Relâchement : trois mots sont à distinguer en tibétain, car ils correspondent à des aspects sensiblement différents de l’esprit. Il y a Tchingwa qui est rendu par relâchement ou mollesse, Moukpa par torpeur ou lourdeur et Choumpa par découragement ou abattement. Le terme opacité retrouvé dans certaines traductions ne me semble pas convenir, car l’opacité ou manque de clarté est l’état ou la sensation qui résulte d’un esprit empreint de torpeur, voire de relâchement ou de mollesse ; elle en est la conséquence et ne constitue pas un facteur mental. Tchingwa est par contre un facteur mental neutre dans le cas du relâchement grossier et vertueux dans celui du subtil, alors que Moukpa est toujours un facteur perturbateur (donc un facteur mental non vertueux) comme Choumpa qui constitue l’un des trois types de paresse.

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pas d’inspiration ni d’expiration- et le pratiquant peut alors se méprendre quant à cette mollesse subtile, la prenant pour une réelle concentration. Cela serait arrivé à des yogis au Tibet. Lorsque l’esprit est en proie au relâchement subtil, il fait fausse route et il faut y remédier parce que l’esprit est sous le contrôle de quelque chose d’incorrect. Tant que l’esprit est en proie au relâchement subtil il semble qu’il soit bien concentré, or il n’en est rien ; dans ce contexte, aucun karma de renaître dans les mondes supérieurs n’est créé, c’est une action qui nous conduit seulement, actuellement, à oublier les choses et à avoir moins de sagesse dans le futur. • La distraction ou la dissipation est un facteur mental (l’un des vingt facteurs mentaux non vertueux secondaires) qui découle de l’attachement. Il dérange l’esprit, l’amenant à perdre son objet du calme mental et l’entraîne vers des objets d’attachement -des choses attrayantes. La distraction surgit en raison du souvenir d’objets attirants rencontrés dans le passé -souvenir non vertueux donc et, à cause de l’attachement, l’esprit ne peut à présent rester sur son objet.

D’une manière générale, l’esprit peut perdre son objet de concentration pour de multiples raisons : à cause de l’attachement, de l’aversion, en pensant à quelque chose de vertueux, de non vertueux, etc. La distraction dont il est question ici, fait spécifiquement référence à l’esprit qui perd son objet de calme mental du fait de l’attachement. Une situation de colère peut également détourner l’esprit de cet objet : on se souvient de quelqu’un d’antipathique et l’esprit commence à penser à cette personne. Il s’agit ici d’éparpillement mental, qui se produit également lorsque l’esprit pense à quelque chose de vertueux, comme de manifester de la générosité, car il perd alors son objet du calme mental. Même si ces éparpillements mentaux ne rentrent pas dans la catégorie de l’obstacle qu’est la distraction, ils n’en constituent pas moins des obstacles au développement du calme mental.

Ces formes d’éparpillement ne relèvent pas de la distraction car ses causes -l’esprit qui s’éparpille ou se disperse sous le fait de la colère ou d’une pensée vertueuse- ne sont pas aussi fréquentes que l’attachement. La distraction qui découle de l’attachement surgit en effet très souvent. Ceci étant dit, quand on s’entraîne au calme mental, il convient de s’opposer autant à la distraction qu’à l’éparpillement, tous deux affectant son développement. La distraction grossière entraîne la perte complète de l’objet de méditation. La distraction subtile garde encore son objet, mais une partie de l’esprit est sur le point de se tourner vers l’objet d’attachement, tout comme de l’eau qui ruisselle sous une couche de glace.

Le remède au relâchement et à la distraction est la vigilance, le sixième antidote. La vigilance ressemble à un espion que vous dépêchez avant un combat afin d’évaluer les forces de l’ennemi. L’excès de vigilance épuise l’énergie nécessaire au maintien de la concentration sur son objet, tandis qu’un défaut de vigilance ne détectera pas le relâchement et la distraction subtils. Vous devez avoir recours à la vigilance de temps à autre pour vérifier si mollesse ou distraction ont fait leur apparition ou sont sur le point de le faire. La vigilance ressemble au fait de tenir un bol empli de thé brûlant, vous le tenez avec fermeté et attention. Rechercher la présence du relâchement ou de la distraction est semblable au regard porté sur le bol pour s’assurer que le thé ne soit pas renversé.

La vigilance s’apparente à la sagesse, sans être pour autant un type de sagesse. Par ailleurs ce n’est pas tout à fait l’antidote au relâchement et à la distraction bien qu’elle s’en

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approche. Après avoir eu recours à la vigilance, vous savez si le relâchement et la distraction grossiers ou subtils sont sur le point d’apparaître et pouvez alors immédiatement vous apprêter à les éliminer avec leur antidote correspondant. Utiliser l’antidote au moment opportun -sitôt la distraction détectée, par exemple- constitue le septième remède. Dès que l’espion fait son rapport, les troupes doivent entrer en action.

Si vous avez conscience que le relâchement subtil est apparu, c’est le signe que l’esprit a sombré ; l’antidote consiste à encourager ou vivifier l’esprit -c'est-à-dire accroître intensité et clarté. En présence de relâchement subtil, il y a de la clarté et l’esprit garde son objet, mais sans intensité, aussi faut-il que l’objet devienne plus clair, un peu comme le fait de tenir un mala plus fermement dès que celui-ci commence à glisser des mains.

Il est dit que, dans le calme mental, d’une façon générale, si l’esprit fixe l’objet de manière trop intense cela peut occasionner de la distraction, tandis que s’il est posé sur l’objet de façon trop détendue, le relâchement peut survenir. Vous devez arriver à ajuster le placement de votre esprit sur son objet. Le Bouddha a indiqué que la concentration devait être développée de la manière dont un joueur de luth accorde son instrument : les cordes ne doivent être ni trop tendues, ni trop distendues. Développer la concentration n’est pas une chose aisée. Le grand maître Chandragomin dit que c’est très difficile car si l’esprit est trop crispé, c’est la porte ouverte à la distraction et s’il est trop relâché, il laisse place au relâchement.

Le relâchement subtil est quelque chose de dangereux en ce sens qu’il s’apparente à la concentration parfaite, mais ne correspond à rien du tout ; il nous abuse tel un ennemi qui se joindrait à un groupe de personnes et que, ne le reconnaissant pas, nous traiterions comme un ami. Si le relâchement subtil surgit, il convient de stimuler l’esprit, de l’exhorter afin qu’il garde son objet avec plus de fermeté. Si cela ne suffit pas et que l’objet ne devient pas plus clair, c’est le signe que le relâchement grossier a fait son apparition.

Le relâchement grossier ralentit l’esprit, il le fait sombrer et il est nécessaire de le raviver, de le rendre clair et joyeux. Il y a plusieurs façons d’y parvenir. Vous pouvez vous souvenir de la précieuse renaissance humaine, des Trois Joyaux, des bienfaits de Bodhicitta, etc., des choses qui vous rendrons plus enjoué. Il se peut que vous ne perceviez pas immédiatement les bienfaits de ces méthodes, cela prend du temps. Toutefois, après des méditations continues, des examens répétés pour repérer le relâchement ou la distraction et le recours aux antidotes, vous vous y habituerez et noterez alors immédiatement combien une méditation sur la précieuse renaissance humaine vous stimule. Cela vous rafraîchira autant que si vous vous étiez aspergé le visage d’eau fraîche.

Si le relâchement subtil n’a pas disparu après le recours à ces antidotes, vous pouvez y remédier en pensant que votre esprit se trouve sous la forme d’une lumière blanche à votre cœur. Dites la syllabe « Pè » et imaginez que cette lumière s’élève et jaillit du sommet de votre tête vers le ciel. Il se peut que vous ayez à répéter ce processus à plusieurs reprises. Si cela a été efficace, retournez à votre méditation. Si par contre cela n’a pas marché, interrompez la session, sortez dehors prendre l’air, aspergez-vous le visage d’eau fraîche, promenez-vous en hauteur sur une colline (dans un endroit dégagé), puis reprenez votre méditation.

La distraction subtile est là lorsque vous parvenez à garder l’objet du calme mental, mais qu’une légère distraction surgit. Cela montre que l’esprit est trop crispé sur son objet et le remède consiste à relâcher un peu la concentration. Si votre méditation ne s’améliore pas alors, c’est le signe que la distraction grossière est survenue et que votre esprit est trop joyeux. Le père du Maître Shakyamouni, par exemple, était toujours enthousiasmé d’avoir un fils aussi merveilleux, ce qui l’empêcha de développer la concentration. Le remède à cela

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est de méditer la mort et l’impermanence, la souffrance propre à l’existence conditionnée et notamment celle des trois mondes infortunés. Cela aura raison de cet esprit excité, trop guilleret et le ramènera à une plus grande équanimité. Si vous êtes incapable de maîtriser votre esprit de la sorte, vous devriez vous focaliser sur le rythme de votre respiration, et compter vos respirations jusqu’à ce que la distraction disparaisse. Si cela n’est pas suffisant, stoppez votre méditation, allez dehors et rafraîchissez-vous comme cela a été indiqué précédemment.

Si vous essayez de surmonter le relâchement ou la distraction et que vous n’y parvenez pas, interrompez votre méditation et faites une courte pause. Ne forcez pas. Les débutants doivent faire de nombreuses sessions courtes étalées sur la journée, jusqu’à dix-huit sessions brèves. Si vous forcez trop, votre énergie va se dissiper rapidement et vous aller perdre votre enthousiasme pour la méditation. Au début, ne vous attendez pas à avoir une énergie constante pour méditer, cela ne pourra arriver qu’après pas mal de temps.

4. La non application des antidotes. Le relâchement et la distraction sont bien identifiés, mais l’on n’a pas recours à leur antidote.

5. Le recours (excessif) aux antidotes consiste à appliquer les antidotes au relâchement et à la

distraction même lorsqu’ils ne surgissent pas. Le remède à cette faute réside dans le non recours aux antidotes à la distraction lorsqu’elle ne se manifeste pas. Tant que l’on ne sera pas parvenu au huitième stade, le relâchement et la distraction ne cesseront pas complètement d’apparaître. Quand vous serez sur le point d’arriver à ce stade, vous devrez alors rester tranquille. Si vous essayez d’appliquer un antidote, cela nuira à votre méditation du calme mental car les deux niveaux de distraction auront cessé et vous n’aurez plus besoin, ici, de redoubler de vigilance pour vérifier s’ils sont ou non apparus ; vous pourrez consacrer toute votre énergie au calme mental. Le critère de « non application » réside dans la capacité à laisser l’esprit demeurer là où il se trouve, sur l’objet du calme mental, sans vérifier s’il y a relâchement ou distraction, parce que ce n’est plus nécessaire, ils ont cessé d’apparaître. Dès le moment où votre esprit n’est plus en proie à la distraction ou à la mollesse, il n’y a plus lieu de redoubler de vigilance puisqu’il n’y a plus d’obstacles ; laissez alors votre esprit reposer dans sa propre nature. C’est seulement une fois parvenu au huitième stade, lorsque relâchement et distraction ont cessé que vous pouvez ne plus avoir recours à la mémoire et à la vigilance. Vous en départir avant ce stade constituera un grand écueil.

La manière de développer la concentration demeure la même jusqu’au stade d’accomplissement du tantra, seul l’objet diffère. Que vous méditiez sur bodhicitta, sur la bonté aimante ou la vacuité, la façon dont l’esprit s’engage vers l’objet reste toujours la même ; vous avez recours dans tous les cas aux huit antidotes pour surmonter les cinq mêmes obstacles.

Les huit antidotes

1- La foi pour remédier à la paresse 2- L’aspiration pour remédier à la paresse 3- L’enthousiasme pour remédier à la paresse 4- La souplesse pour remédier à la paresse 5- La mémoire pour remédier à l’oubli des instructions

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6- La vigilance pour remédier au relâchement et à la distraction 7- L’attention pour remédier au recours insuffisant aux antidotes 8- L’équanimité pour remédier au recours excessif aux antidotes Une fois obtenu, comment conserver le calme mental Le calme mental est développé après avoir mis en place les conditions favorables. Cela implique de s’être assis dans la posture de Vaïrochana, d’avoir visualisé une image du Bouddha de la taille d’un pouce en regard du front, de ne pas avoir d’attentes démesurées au début, de focaliser sa concentration sur l’ensemble de l’image d’abord, puis sur les détails et de ne pas oublier l’objet de méditation, ce qui est le plus important. Finalement vous parviendrez au stade où vous vous sentirez à même de prolonger votre concentration pendant un long moment. Soyez conscient du risque d’apparition du relâchement et s’il survient, donnez de la clarté à l’objet et intensifiez la force de votre concentration. Puis, rappelez-vous que si votre concentration est trop forte, cela peut entraîner de l’agitation, appliquez alors son antidote si cela est nécessaire. Si vous avez trouvé l’équilibre parfait entre la clarté et l’intensité pour rester sur l’objet, il n’y a alors pas de danger de voir apparaître la distraction ou la mollesse. Tout au long de votre méditation, vérifiez si d’aventure l’une ou l’autre de ces perturbations a fait son apparition et hâtez-vous de l’éliminer. Au cours de la méditation, une mémoire vive aide à garder l’objet. « L’Abhidharmakosa » expose le développement du calme mental par l’entraînement aux quatre attentions : l’attention au corps, l’attention aux sensations, l’attention à l’esprit, l’attention aux phénomènes. D’autres traditions, comme celles du Sud-Est asiatique, obtiennent le calme mental par la concentration sur la respiration. L’attention est quelque chose d’essentiel, pas seulement dans la méditation, mais dans le cadre de n’importe quelle activité. L’esprit lui-même peut être l’objet de la méditation, en se centrant sur sa nature claire et connaissante. L’esprit est clair parce que par nature, il est dépourvu d’obscurcissements, il ne fait pas un avec eux. Il est clair, également, parce que tout ce qui apparaît à l’esprit s’y reflète, comme un miroir renvoie clairement tout ce qui est placé devant lui. La nature de l’esprit constitue l’objet de méditation du calme mental dans le contexte de la pratique du Mahamoudra. Après avoir médité la nature de l’esprit, le pratiquant parvient à reconnaître son aspect conventionnel, il ne peut discerner (à ce stade) son aspect ultime. Afin de percevoir l’aspect ultime de l’esprit, il doit méditer l’aspect conventionnel de sa nature comme étant dénué d’existence véritable. Les neuf stades mentaux du calme mental :

1- Le placement de l’esprit 2- Le placement continu 3- Le placement répété 4- Le placement rapproché 5- La soumission 6- La pacification 7- La pacification totale 8- La focalisation 9- Le placement équilibré

On accède à ces neuf stades grâce au concours des six forces et des quatre activités mentales.

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Les six forces : 1- La force de l’écoute 2- La force de la réflexion 3- La force de la mémoire 4- La force de la vigilance 5- La force de l’enthousiasme 6- La force de l’accoutumance

Ces six forces sont reliées aux neuf stades : Le 1er stade dépend de la force de l’écoute, le 2ème de celle de la réflexion, les 3ème et 4ème de la mémoire, les 5ème et 6ème de la vigilance, les 7ème et 8ème de l’enthousiasme et le 9ème stade dépend de l’accoutumance. Les quatre activités mentales :

1- L’attention avec effort 2- L’attention intermittente 3- L’attention ininterrompue 4- L’attention sans effort ou spontanée

Les quatre activités mentales sont également reliées aux neuf stades : Les 1er et 2ème stades dépendent de l’attention avec effort, du 3ème au 7ème, de l’attention intermittente, le 8ème de l’attention ininterrompue et le 9ème stade dépend de l’attention sans effort. Comment franchir les neuf stades du calme mental Cette section expose la manière dont les neuf stades se combinent avec les six forces et les quatre activités mentales.

1- Le placement de l’esprit Afin d’être à même de placer votre esprit sur un objet, il vous faut d’abord recevoir des instructions et acquérir ainsi la force de l’écoute. Au commencement vous serez incapable de maintenir votre esprit sur l’objet pendant longtemps, il vous faudra ramener votre esprit à maintes reprises. Lorsque vous regardez votre esprit pour voir s’il est en proie à la distraction ou au bavardage mental, il se peut que vous ayez l’impression d’avoir plus d’agitation et de pensées que jamais, or le fait de devenir conscient des idées que l’on se fait, de ce que l’on s’imagine, est le fruit de l’introspection, quelque chose que nous n’avons jamais fait auparavant. Vous prenez simplement conscience de choses qui ont toujours été là. On estime que le premier stade est franchi lorsqu’on peut compter vingt mouvements respiratoires sans que la concentration ne soit affectée : une inspiration 1, une expiration 2, une inspiration 3, et ainsi de suite. Commencez à compter sur une expiration, cela contribue à faire cesser les pensées conceptuelles.

2- Le placement continu Au cours du deuxième stade, vous pouvez vous concentrez plus longtemps, pendant le temps nécessaire pour réciter un mala du mantra de Tchènrézi. Vous aurez l’impression que votre

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bavardage mental s’est apaisé, mais il va resurgir. Durant ce stade utilisez la force de la réflexion. La distraction et le relâchement mental vont apparaître fréquemment et il vous sera difficile de rester sur l’objet de concentration ; ayez alors recours à la première des quatre activités mentales, l’attention avec effort. Vous allez remarquer que la période d’agitation est beaucoup plus longue que celle durant laquelle vous parvenez à garder une bonne concentration. Lorsque vous avez pris conscience que votre esprit est troublé par la distraction ou le relâchement, ramenez-le sur son objet de départ.

3- Le placement répété Le troisième stade correspond à une période de répétition, parce que vous devez replacer encore et encore votre esprit sur l’objet de méditation et pour ce faire il vous faut avoir recours à la troisième force, la force de la mémoire. A ce stade, votre esprit est beaucoup moins distrait qu’au cours des deux premiers.

4- Le placement rapproché La force de la mémoire doit être prodigieuse pour pouvoir garder l’objet avec fermeté. A ce stade, il n’est plus possible de perdre l’objet de méditation, du fait de la puissance de la mémoire, mais vous devez toutefois continuer à vous efforcer de l’appliquer lorsque vous maintenez la concentration. C’est durant cette étape que la mémoire atteint son point culminant, mais commencent alors à surgir de petits problèmes liés à l’intense concentration. Ils seront résolus au stade suivant.

5- La soumission Le relâchement grossier ne peut plus survenir ici, mais le problème réside dans sa forme subtile. Elle sera surmontée par la quatrième force, la force de la vigilance. Il existe plusieurs façons de stimuler votre esprit, en admirant les qualités de votre esprit par exemple, mais ceci entraîne l’autre perturbation qu’est la distraction. Celle-ci sera surmontée lors du prochain stade.

6- La pacification Grâce au recours intensif à la vigilance, vous êtes à même à présent, de remédier à la distraction subtile. Elle peut surgir au cours du cinquième stade, mais pas dans le sixième ; la vigilance étant utilisée avec force dans les deux cas.

7- La pacification totale Les forces de la mémoire et de la vigilance ont été portées à leur maximum et il est difficile pour le relâchement et la distraction subtils d’apparaître. Grâce à la force de l’enthousiasme, vous parvenez à voir maintenant les inconvénients du relâchement et de la distraction et vous êtes déterminé à ne plus jamais en être la proie. Au cours des deux stades précédents, le relâchement et la distraction pouvaient encore déstabiliser votre concentration, mais à présent, votre calme mental ne peut plus être affecté car la force de l’enthousiasme a raison d’eux s’ils menacent de réapparaître. Du troisième au septième stades, il vous faut utiliser la deuxième activité mentale : l’attention intermittente, car subsiste encore le risque de voir apparaître relâchement et distraction, sans qu’elles n’affectent pour autant réellement le sixième et le septième stades. Des blancs peuvent se produire dans votre concentration, mais il vous faut poursuivre malgré eux.

8- La focalisation A ce stade, très peu d’efforts sont nécessaires pour initier la méditation du calme mental puis, vous évoluez le long de votre méditation sans relâchement ni distraction, et sans effort. La force de

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l’enthousiasme est requise au début de la méditation, tandis que la force de la vigilance ne l’est plus, relâchement et distraction ayant cessé. Vous avez développé à présent l’activité mentale de l’attention ininterrompue, mais afin de maintenir votre calme mental durant les septièmes et huitièmes stades, vous avez encore besoin de la force de l’enthousiasme.

9- Le placement équilibré A ce stade, la force de l’enthousiasme n’est plus nécessaire pour maintenir votre calme mental et il n’est pas nécessaire non plus même de fournir quelque effort pour débuter la méditation car grâce à l’activité mentale de l’attention sans effort, vous êtes en mesure d’initier et de prolonger sans peine votre méditation. A cette étape, vous disposez de la sixième force, la force de l’accoutumance et vous êtes parfaitement rompu à la pratique. Ce stade est qualifié d’équilibre méditatif de l’esprit du monde du désir, parce qu’il est subtil et qu’il constitue la conscience la plus évoluée du monde du désir. Il ne s’agit toutefois que d’un calme mental approximatif et non du vrai calme mental. Les différences entre les neuf stades : Alors que vous avancez le long des stades, les obstacles sont de taille au début et leurs antidotes sont puissants, mais comme la distraction et le relâchement s’affaiblissent progressivement, il faut fournir de moins en moins d’efforts pour les surmonter. Finalement, seules subsistent les perturbations les plus subtiles qui requièrent une force également très subtile pour les vaincre. Comparativement au premier stade, vous pouvez au cours du deuxième prolonger votre concentration plus longtemps ; la période de perturbation dure plus longtemps dans le deuxième que dans le troisième ; l’objet de méditation est perdu moins fréquemment au cours du quatrième stade qu’au cours du troisième ; les relâchement et distraction grossiers surgissent au quatrième stade et non plus au cinquième ; il faut fournir au cinquième stade plus d’efforts qu’au sixième pour traquer le relâchement subtil ; le besoin d’une vigilance accrue, pour éviter de se laisser submerger par le relâchement et la distraction, se fait moins sentir au septième stade qu’au sixième ; le risque d’apparition du relâchement et de la distraction subtiles subsiste au septième stade mais ne menace plus au huitième ; le huitième stade enfin nécessite encore un effort contrairement au neuvième qui se fait sans peine. Actualisation du calme mental grâce aux conditions Le neuvième stade correspond à une concentration en un point, complètement dénuée des obstacles du relâchement et de la distraction. Il ne s’agit toutefois pas du calme mental véritable. Pour parvenir au calme mental réel, vous devez vous familiariser avec ce neuvième stade, et après quelque temps vous ferez l’expérience d’une félicité physique et mentale qui est liée au développement de la souplesse physique et mentale appelé aussi « entraînement extrême ». La souplesse mentale se produit avant la souplesse physique, mais la félicité physique ressentie à partir de la souplesse physique survient avant la félicité mentale engendrée par la souplesse mentale. La souplesse (Tib. Chin djang) permet au corps et à l’esprit d’entreprendre n’importe quelle activité. En l’absence de souplesse, votre corps se sent raide et il n’a pas assez de tonus pour tenir la posture de méditation. L’esprit quant à lui, ne peut garder l’objet de concentration, il se sent lourd, abruti et somnolent. Lorsqu’un méditant parvenu au neuvième stade, maintient sa concentration, tous les vents contraires s’apaisent et lorsque cela se produit, il éprouve une sensation semblable à celle d’une personne qui vient tout juste de se raser la tête et qui touche son cuir chevelu, une sensation de lumière et de clarté. Une fois ces vents contraires complètement pacifiés, vous faites l’expérience de

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la souplesse mentale. Lorsque la souplesse mentale est engendrée, les vents favorables de l’organisme s’écoulent dans les canaux à travers tout le corps et l’assouplissent, le rendant apte à la méditation aussi longtemps qu’on le souhaite ; votre corps devient alors souple et léger comme une boule de coton. Le simple fait de toucher ce corps ainsi assoupli procure au méditant un sentiment de béatitude qui n’est autre que la félicité de la souplesse physique. Alors que vous prolongez votre méditation, vous avez l’impression que votre corps s’absorbe dans votre esprit, aucun objet (matériel) ne vous apparaît et vous éprouvez un immense bien-être, si grand qu’il vous semble que votre esprit ne peut se concentrer plus longtemps sur son objet du calme mental. Cette extase survient au premier instant, puis dans un second temps cette sensation est moins forte et vous êtes mieux à même de focaliser votre esprit avec clarté sur son objet de concentration. De cette manière vous parvenez à développer la souplesse immuable et la félicité immuable de la souplesse.

Vous accédez à la souplesse mentale avant la souplesse physique. Survient ensuite la félicité physique de la souplesse et au premier instant, la sensation est si intense qu’il vous semble que vous n’allez pas pouvoir maintenir votre concentration sur l’objet de méditation. Au moment suivant toutefois, cette extase diminue et vous êtes en mesure de vous focaliser sans problème sur votre objet. Lorsque votre esprit est au stade où vous éprouvez cette félicité qui semble menacer votre concentration, il s’agit du point culminant du monde du désir. Vous poursuivez à présent pour obtenir la félicité mentale de la souplesse immuable, qui constitue l’acquisition du premier stade de préparation du premier niveau de concentration du monde de la forme.

Ce stade est dénommé « le stade de préparation sans inaptitude » et lorsqu’il est atteint, le calme mental véritable est obtenu. Votre esprit ne se trouve plus au niveau du monde du désir, il appartient au premier niveau de concentration du monde de la forme. La personne qui est parvenue à ce stade est un simple débutant de l’activité mentale des préparations (qui en compte sept).

Les sept préparations à l’absorption méditative véritable sont :

1. l’activité mentale d’un simple débutant. 2. l’activité mentale de la connaissance propre de chaque caractéristique. 3. l’activité mentale issue de la conviction : la conscience est le fruit de la méditation, la

vue supérieure est développée, calme mental et vue supérieure s’unissent de sorte que la concentration devient la sagesse résultante de la méditation.

4. l’activité mentale de l’isolement complet : à ce stade les trois subdivisions des degrés les plus grossiers des perturbations qui relèvent du monde du désir n’existent plus (gros-gros, moyen-gros, petit-gros).

5. l’activité mentale du retrait ou de la joie : à présent, les trois subdivisions des degrés intermédiaires des perturbations du monde du désir sont supprimées.

6. l’activité mentale de l’analyse : On a l’impression que toutes les perturbations du monde du désir ont été abandonnées et l’on examine pour voir s’il en reste.

7. l’activité mentale du dernier entraînement : Ayant découvert que les trois subdivisions des degrés les plus faibles de perturbations subsistent encore, l’on s’apprête à s’en débarrasser.

Ces sept préparations relèvent toutes de l’aspect causal ; elles sont suivies de l’activité mentale résultante du dernier entraînement qui correspond à l’absorption méditative véritable du premier niveau de concentration. Si vous méditez les seize attributs des quatre vérités des nobles Aryas, l’activité mentale de la connaissance propre de chaque caractéristique peut être désignée comme « la concentration sur la vérité ». Ce terme fait référence en fait à l’objet qu’est le non soi. Après

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avoir réalisé le non soi, lorsque vous développez la troisième activité mentale, vous parvenez à unifier le calme mental et la vue supérieure sur l’objet vacuité. Quelqu’un peut réaliser le non soi, puis commencer sa méditation sur le calme mental en prenant comme objet, par exemple, une image du Bouddha. Il évolue le long des neuf stades et des deux premières préparations, puis au stade de la troisième préparation, il est dit qu’il parvient à unir le calme mental et la vue supérieure qui réalise l’objet vacuité. Si une personne a déjà réalisé la vacuité, peu importe l’objet retenu pour méditer le calme mental, lorsqu’elle parvient à la quatrième préparation, il est dit qu’elle atteint l’union du calme mental et de la vue supérieure qui réalise la vacuité. Si la vacuité a été réalisée et qu’on se serve de la vacuité comme objet de méditation du calme mental, la réalisation est encore plus claire dans la mesure où calme mental et vue supérieure sont focalisés conjointement sur la vacuité. Si la vacuité n’a pas été réalisée, l’obtention du calme mental –la concentration de la troisième préparation- est une voie mondaine qui présente des aspects grossiers et paisibles. Après avoir franchi les neuf stades et les sept préparations, l’on parvient à l’absorption véritable du premier niveau de concentration ; il ne subsiste alors plus d’attachement (manifeste) au monde du désir. Lorsque l’on parvient à cette absorption véritable du premier niveau de concentration, si la vacuité a déjà été réalisée au préalable, la cessation du niveau manifeste des perturbations du monde du désir coïncide avec l’abandon complet des racines de perturbations du monde du désir. Quand l’obtention du calme mental n’est pas associée à la méditation sur le non soi, il s’agit d’une voie mondaine sur les aspects grossiers et paisibles : les stades plus élevés revêtant un aspect paisible (enviable) tandis que les stades inférieurs présentent un aspect plus grossier (plus rudimentaire). Si l’absorption véritable du premier niveau de concentration n’appartient pas à un stade où elle est alliée à la vérité (c'est-à-dire la vacuité), cette méditation ne permet pas d’éliminer les racines de perturbations du monde du désir ; les perturbations ne sont simplement plus patentes. Parvenu au premier niveau de concentration, le yogi se tourne ensuite vers le deuxième ; il doit franchir à présent les sept phases de préparation du deuxième niveau de concentration et abandonner les perturbations correspondant au premier niveau. Si sa méditation n’intègre pas l’aspect de la vérité (réalité ou vacuité ici), il éliminera seulement l’aspect manifeste des perturbations du premier niveau de concentration et ne sera pas en mesure d’abandonner leurs racines. Pour parvenir aux deux autres niveaux de concentration (du monde de la forme), le yogi doit, d’une manière similaire, franchir les sept phases de préparation propres à chaque niveau et sera à même d’éliminer les perturbations correspondantes selon que sa méditation sera ou non combinée à l’aspect de la vérité. S’il est demandé : « Est-ce que l’obtention du calme mental constitue une cause principale d’obtention de la Libération ? » La réponse est non, le calme mental constitue seulement un outil pour parvenir à la Libération. Le calme mental à lui seul n’est pas si important, nous l’avons obtenu à d’innombrables reprises au cours de nos vies passées. Nous avons déjà accédé à tous les niveaux de concentration des mondes de la forme et du sans forme, mais bien que nous ayons abandonné l’aspect manifeste des perturbations des niveaux inférieurs lors de cette réalisation, et bien que nous soyons parvenus au sommet du cycle des existences, nous avons perdu ces acquisitions et sommes retombés. Le calme mental ne constitue pas une cause principale d’obtention de la Libération, car pour l’être, il faut qu’il soit combiné au renoncement et à la vue correcte de la vacuité, et pour être une cause d’obtention de la Bouddhéité, il faut qu’il soit en outre, allié à la bodhicitta. Le calme mental offre cependant de nombreux avantages : si nous avons développé la vue correcte de la vacuité et la bodhicitta, même une bodhicitta artificielle, en les combinant au calme

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mental nous pouvons accomplir l’objectif d’une parfaite renaissance humaine. Une fois obtenu le calme mental, nous devons essayer de réaliser la vacuité si nous ne l’avons déjà fait auparavant. C’est de loin préférable à la simple aspiration à accéder aux niveaux de concentration les plus élevés. Lorsque nous réaliserons la vacuité, après avoir obtenu le calme mental, nous serons capables de nous débarrasser de toutes les perturbations jusqu’à leurs racines. En accédant au sommet du cycle des existences, nous ne pouvons parvenir à un tel résultat. Si nous réalisons la vacuité avant d’avoir développé le calme mental, nous sommes alors en mesure d’unir le calme mental et la vue supérieure sur l’objet vacuité. Comparativement à la concentration du calme mental, la vue supérieure constitue une compréhension plus élevée, parce qu’elle appréhende les choses d’une façon plus globale. Si nous avons généré la bodhicitta et réalisé la vacuité mais que nous n’avons pas encore obtenu le calme mental, nous ne pourrons pas être utiles aux autres parce que la clairvoyance nous fait encore défaut. Tous les bouddhas ont préconisé le développement de la clairvoyance comme moyen de parachever rapidement les deux accumulations de mérites et de sagesse. Dotés de clairvoyance, nous sommes en mesure de voir les vies passées de nos maîtres ainsi que les nôtres, nous pouvons aider les autres en connaissant leurs pensées ; de très nombreuses actions peuvent être ainsi accomplies pour être bénéfique aux autres. Donc, lorsque nous obtenons le calme mental, au lieu de suivre une voie mondaine, nous devrions tendre vers la réalisation de la vacuité. Pour accéder au chemin de la vision et aux chemins plus élevés, il est déterminant de parvenir à unir calme mental et vue supérieure. Lors d’une voie mondaine, l’objet de l’union du calme mental et de la vue supérieure est un objet ordinaire, alors que dans une voie supra-mondaine, l’objet est la vacuité –c'est-à-dire le non soi ou absence d’existence véritable. La voie supra-mondaine permet d’éliminer les perturbations jusqu’à leurs racines. Le calme mental est également nécessaire pour méditer les stades de génération et d’accomplissement du tantra.

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La Vue Supérieure

I. Les conditions favorables au développement de la Vue Supérieure

1. Enseignement général sur la manière de réunir les conditions favorables

Avant de pouvoir développer la vue supérieure, vous devez d’abord trouver un enseignant qui a compris les points subtils des enseignements et qui peut expliquer la doctrine non erronée d’une manière irréprochable. Après avoir écouté ces enseignements, vous devez ensuite y réfléchir ; il n’y a en effet aucun moyen de pouvoir développer la vue supérieure de la voie supra-mondaine sans avoir, au préalable, développé la vue correcte de la réalité ultime. Afin de réaliser la vacuité, vous devez vous fier à un soutra qui renferme une présentation définitive de la vacuité ; et afin de faire la distinction entre soutras de sens définitif et de sens interprétatif, il vous faut vous appuyer sur les explications de Nagarjouna. Il a été prophétisé dans les soutras du Bouddha que Nagarjouna apparaîtrait en Inde et restaurerait le Dharma qui aurait dégénéré. Il est venu et a accompli les actions prophétisées, à savoir : restaurer le Dharma et montrer comment faire la distinction entre les soutras de sens définitif et de sens interprétatif. Nagarjouna eut comme disciple Aryadéva qui devint aussi compétent que lui pour distinguer entre les soutras de sens définitif et de sens interprétatif. Lorsqu’il est question d’établir la vue correcte de la vacuité, tous les grands érudits de la Voie Médiane s’en sont remis aux textes de Nagarjouna et d’Aryadéva pour déterminer quels soutras sont valides. Ainsi, Aryadéva et Nagarjouna ont fait figures d’autorité pour les textes et les interprétations de la Voie Médiane. Chandrakirti et Bouddhapalita penchèrent en faveur de l’interprétation des Conséquentialistes (Prasangika), tandis qu’Acharya Bhavavivéka et Shantarakshita adoptèrent celle des Autonomes (Svatantrika). Ces quatre érudits s’en remirent à Nagarjouna et Aryadéva, connus comme « le père et le fils ». Le Bouddha a enseigné de nombreux soutras et, dans ses commentaires, Nagarjouna a indiqué lesquels étaient de sens certain, lesquels de sens interprétatif. Aryadéva clarifia par la suite les textes de Nagarjouna, de sorte que nous pouvons considérer les enseignements du père et du fils comme faisant autorité pour établir la vue de la Voie Médiane (Madhyamaka). Les trois soutras mère de la « Perfection de la Sagesse » illustrent les soutras de sens certain. Qu’il s’agisse de Chandrakirti, de Shantidéva, de Charawa ou de Bouddhapalita, tous ont pénétré le sens des commentaires de Nagarjouna et d’Aryadéva sur la vue de la Voie Médiane. Lorsque Bhavavivéka apparut, il exposa une idée sensiblement divergente de la notion d’existence de son propre côté. Les Autonomes, à l’instar de Bhavavivéka rejettent l’idée que les choses puissent ne pas exister de leur propre côté, tout en reconnaissant toutefois qu’elles n’existent absolument pas véritablement. De ce fait, leur interprétation est correcte, parfaite, mais elle n’est pas ultime. Si l’on souhaite connaître l’interprétation ultime, il faut étudier les textes de Chandrakirti, d’Aryadéva et de Nagarjouna qui établissent parfaitement la vue correcte ultime. Alors qu’il s’efforçait de réaliser la vue ultime de la Voie du Milieu, Lama Tsong Khapa demanda conseil à Manjoushri, qui lui répondit de se fier au texte de Bouddhapalita. Il étudia ce texte et fut alors à même de réaliser cette vue ultime de la Voie Médiane.

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2. Enseignement détaillé sur la manière de déterminer la Vue a- Identifier l’ignorance perturbée6.

b- L’ignorance perturbée est la racine du cycle des existences. c- La vue du non soi est indispensable pour remédier à l’attitude

de saisie du soi. a- Identifier l’ignorance perturbée. Il est essentiel de savoir qu’il existe une ignorance perturbée, que cette ignorance est la racine du cycle des existences et que ceux qui souhaitent se débarrasser de cette racine doivent réaliser le non soi. L’attachement et les autres perturbations, comme la colère, sont dits être ce qui nous assujettit à l’existence conditionnée, mais ils n’en constituent pas la cause principale. Il en est ainsi, car ces perturbations mentales ne sont pas contraires à la sagesse qui réalise le non soi ; l’opposé de cette sagesse réside dans l’ignorance perturbée. Les antidotes à l’attachement ou à la colère sont des remèdes limités seulement à certaines perturbations données et ne permettent pas de traiter toutes les perturbations. L’antidote propre à la colère a une action assez limitée car il ne peut rien contre l’attachement. En revanche, le remède à l’ignorance perturbée s’applique à toutes les perturbations, parce que lorsque l’ignorance est dissipée, toutes les autres perturbations sont anéanties, l’ignorance constituant leur racine. Le remède parfait à l’ignorance est la méditation sur la vacuité. Avant de méditer la vacuité toutefois, il convient d’arriver d’abord à bien identifier l’ignorance. Comme Chandrakirti l’a mentionné dans « les Paroles Claires »7, l’ignorance est le contraire de la connaissance, c'est-à-dire le contraire de la connaissance de l’existence non véritable, le contraire de la sagesse qui réalise le non soi. « Contraire » signifie qu’elle s’oppose directement à la connaissance de l’existence non véritable. Le contraire (qui appartient à une catégorie dissemblable) de la sagesse qui réalise le non soi est la conception ignorante qui saisit l’existence véritable de la personne et des phénomènes. Les sagesses qui s’opposent à ces deux saisies du soi sont la sagesse qui réalise le non soi subtil de la personne et la sagesse qui réalise le non soi subtil des phénomènes. Ces deux saisies du soi sont également appelées « conceptions exagérées », car elles exagèrent ou rajoutent des choses qui n’existent pas, comme l’existence en soi de la personne ou celle des phénomènes. Il s’agit d’exagérations parce que ni la personne, ni les phénomènes n’existent de par leurs caractéristiques propres, or ces conceptions imputent une telle existence.

Il est difficile de reconnaître la saisie du soi de la personne et des phénomènes. Ces notions sont si subtiles que nombres de philosophes Svatantrika (Autonomes) furent dans l’incapacité d’identifier la saisie du soi qui est à l’origine du cycle des existences. Lorsqu’un philosophe Prasangika (Conséquentialiste) affirme que le concept de personne qui existe de son propre côté n’est autre que la saisie du soi de la personne et celui des agrégats qui existent de leur propre côté n’est autre que la saisie du soi des phénomènes, les écoles inférieures ne peuvent comprendre comment il peut en être ainsi. Lama Tsong Khapa a avancé de nombreux raisonnements pour prouver l’interprétation des Conséquentialistes, à savoir que les deux saisies du soi constituent

6 Ignorance perturbée (Tib. Nyeun mong tchèn kyi Marigpa) signifie une ignorance qui relève des émotions perturbatrices, qui leur est associée. 7 « Les Paroles Claires » (Tib. Tsik Sèl) de Chandrakirti est un commentaire du Traité du Milieu de Nagarjouna.

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l’ignorance et sont la racine de l’existence cyclique. Il est important que nous connaissions les sources de ces preuves, faute de quoi nous ne serions pas à même de vérifier les thèses des Conséquentialistes. Nous devrions être en mesure de faire remonter les commentaires directement jusqu’aux soutras du Maître, le Bouddha Shakyamouni. Ainsi, les deux saisies subtiles du soi constituent l’ignorance perturbée.

Nous pouvons nous demander : « Que signifie la saisie de l’existence en soi ? » Le sens général de saisie du soi est un concept qui se figure qu’un phénomène existe au sein de sa propre entité sans être imputé conceptuellement. L’objet conçu de cette saisie du soi est l’objet à réfuter -l’objet de réfutation.

Quel est le soi qui est l’objet de réfutation ? Il s’agit de l’objet appréhendé et conçu de la saisie du soi qui apparaît comme un phénomène dont l’entité existe en elle-même sans être imputée par une conscience. En ce qui concerne la personne, il s’agit de l’existence en soi de la personne et pour ce qui est des agrégats, il s’agit de l’existence en soi des phénomènes.

De même qu’il y a deux types d’objets de réfutation, il existe deux types de saisie. Lorsque l’objet de la saisie du soi est la personne, cela se réfère à la saisie du soi de la personne et lorsque l’objet de la saisie du soi est les agrégats, cela se réfère à la saisie du soi des phénomènes. Un étudiant : Si je pense que la table existe véritablement, cela relève-t-il de la saisie d’un phénomène ? Guéshé-lag : Oui, il s’agit de la saisie des phénomènes, mais la saisie principale des phénomènes consiste à concevoir les agrégats comme existant véritablement.

Pour démontrer que les deux saisies n’étaient autres que l’ignorance, Lama Tsong Khapa s’est fondé sur les « Quatre cents Stances sur la Voie du Milieu » d’Aryadéva. Si la saisie du soi générale est telle que nous l’avons décrite, comment pouvons nous la distinguer de la saisie du soi personnel (Tib. Djik ta) ? L’on peut opérer une distinction entre la saisie du soi personnel et la saisie du soi de la personne en disant qu’une saisie du soi personnel est forcément une saisie du soi de la personne, alors que l’inverse n’est pas nécessairement le cas : une saisie du soi de la personne n’est pas obligatoirement une saisie du soi personnel. Lorsque nous appréhendons une autre personne par exemple et pensons que son entité existe de par elle-même, sans être attribuée par une conscience conceptuelle, il s’agit d’une saisie du soi de la personne et non pas d’une saisie du soi personnel, parce que notre esprit perçoit une autre personne et l’appréhende comme existant de par elle-même, au sein de sa propre entité, sans être imputée conceptuellement. La saisie du soi personnel diffère d’une telle saisie du soi de la personne car il s’agit d’une vue qui considère son propre « je » ou « mien » et qui estime que l’un comme l’autre existent au sein d’une entité propre sans être imputés conceptuellement. Le concept du soi d’une autre personne comme existant véritablement, ne constitue pas la saisie innée du soi personnel, sinon l’observateur aurait l’impression que le soi de l’autre personne est « moi ». La saisie du soi personnel est le concept qui considère seulement sa propre personne et qui l’appréhende comme étant « moi ». La notion de « simple je » est propre aux Conséquentialistes : ils réfutent le fait que la continuité des agrégats, le simple regroupement des agrégats, la conscience mentale ou la conscience base de tout, soit la personne. Lorsque quelqu’un regarde une autre personne, il ne pense pas « je ». La personne et le « simple je » ne diffèrent pas, sans être pour autant synonymes. L’objet référent de la saisie innée du soi personnel est seulement le « je » de son propre courant de conscience, le « simple je ». La saisie du soi personnel qui appréhende le « je ». Cette saisie appréhende le simple « je », ou la simple personne, de notre continuum. Le regroupement des agrégats ou la continuité des agrégats ne constituent pas la personne ; ces deux

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éléments ne sont pas des objets de la saisie du soi personnel qui appréhende le « je ». De même la conscience base de tout, tout comme la conscience mentale, ne constituent pas la personne, ce ne sont pas non plus des objets de la saisie du soi personnel qui appréhende le « je ». Le seul objet de la saisie du soi personnel qui appréhende le « je » est le « simple je ». Le simple « je » est le méditant sur la voie, celui qui erre à travers l’existence cyclique, le soi simplement imputé. La saisie du soi personnel qui appréhende le « mien ». L’objet de cette saisie est seulement le « mien », il ne s’agit pas de parties spécifiques de nous-mêmes, comme les yeux, le nez, etc. Bien qu’elle ait comme objet la généralité du « mien », elle relève néanmoins encore de la saisie du soi de la personne. Nous pouvons nous interroger : « Puisque la saisie du soi personnel qui appréhende le « mien » est considérée comme une saisie du soi de la personne, n’appréhende-t-elle pas la personne comme son objet et ne saisit-elle pas cette personne comme existant véritablement ? » La réponse est oui, car lorsque nous disons « mien », cette pensée est naturellement associée à l’idée de « je » -cette pensée ne peut s’élever tant que l’idée de « je » ne surgit pas. Ainsi puisqu’il n’y a aucun moyen de considérer le « mien » sans le « je », on estime que ce second type de saisie du soi personnel prend le « je » comme objet. Dans tous les cas, la saisie du soi de la personne tout comme la saisie du soi personnel sont toutes deux des formes d’ignorance perturbée. La saisie du soi des phénomènes. Il s’agit de l’attitude de saisie envers son objet -un phénomène trouvé au sein du binôme personne et phénomènes- qui appréhende son objet comme existant de par ses caractéristiques propres. Bien qu’une personne soit un phénomène, ce n’est pas un objet de la saisie du soi des phénomènes. Un étudiant : Le « mien » véhicule l’idée de « je », mais n’est-il pas également doté de l’objet qui est considéré comme « mien » ? Guéshé-lag : Il est vrai que l’on ne peut penser « mien » à moins que quelque chose n’apparaisse à l’esprit, mais ici, nous nous basons sur la généralité du « mien » et non sur les objets qu’il détient. La saisie du soi des phénomènes appréhende essentiellement les agrégats et considère qu’ils existent selon leurs propres caractéristiques. Aussi l’objet de cette saisie du soi est-il un objet qui diffère de la personne. Il s’agit principalement des agrégats mais cela inclut également n’importe quel objet nous appartenant. L’objet de la saisie du soi des phénomènes revêt l’aspect d’exister véritablement. Les deux types de saisie du soi sont des exagérations car toutes deux appréhendent leur objet -la personne et les phénomènes- et surajoutent des choses qui n’existent pas. L’existence de par ses caractéristiques propres, l’existence véritable et l’existence en soi sont des notions surajoutées aux objets qui n’existent pas de cette manière. La saisie du soi est un phénomène qui masque notre perception de la vacuité. Les deux saisies du soi sont des voiles pour leurs objets respectifs : la saisie du soi de la personne empêche de voir le non soi de la personne et la saisie du soi des phénomènes ne permet pas d’accéder au non soi des phénomènes autres que des personnes. Pour les Conséquentialistes, les deux saisies (innées) du soi constituent des voiles à la libération, elles sont considérées comme étant ignorance (Tib. Ma rig pa) et comme étant une perturbation mentale (Tib. Nyeun mong). L’ignorance perturbée est nécessairement une perturbation mentale, alors qu’une perturbation mentale ne se limite pas seulement à l’ignorance, il peut s’agir de l’attachement, de la colère, de l’orgueil, etc.

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L’ignorance signifie littéralement « ne pas savoir », c’est le contraire de la connaissance et, dans notre contexte ici, cela renvoie au contraire de la connaissance qui réalise le non soi. Cette signification de l’ignorance est propre à un point particulier des Conséquentialistes qui considèrent qu’exister en soi, de par ses caractéristiques propres, de par son propre côté etc., sont des notions qui véhiculent toutes le même sens, à savoir exister véritablement. Les écoles inférieures, y compris celle des Autonomes, estiment que le concept qui appréhende le soi d’une personne comme existant de son propre côté n’est pas faux, qu’il s’agit d’une conception correcte. Ils considèrent que si quelque chose existe, il doit exister de son propre côté, ce à quoi les Conséquentialistes s’opposent et disent que si quelque chose existe de son propre côté, il doit exister véritablement et cela est impossible. De plus, en ce qui concerne le concept de saisie du soi de la personne, les Conséquentialistes identifient un autre objet. Ainsi existe-t-il des divergences notables entre eux et les écoles inférieures. Ils divergent notamment dans leur façon de définir la saisie du soi personnel, le concept de saisie du soi et l’ignorance perturbée. Le reste de ce texte donne des preuves que ces assertions propres aux Conséquentialistes furent transmises par Nagarjouna et Aryadéva. Nagarjouna a rédigé six traités sur la Voie du Milieu8. L’un d’entre eux, « Les Soixante-dix stances sur la Vacuité », mentionne que :

« Le Bouddha a enseigné que concevoir comme vraie l’existence de tous les phénomènes fonctionnants9 est l’ignorance. Une telle ignorance est le premier pas, l’origine des douze liens. Comprendre l’inexistence de l’objet conçu par une telle ignorance élimine cette ignorance, supprime les onze autres liens et nous conduit sur la terre de la Libération. »10

Dans « la Précieuse Guirlande », Nagarjouna dit que :

« Tant que subsiste le concept qui surajoute une existence véritable aux agrégats, l’objet conçu par la saisie (acquise) du soi de la personne ne sera pas jamais altéré. Si l’on n’est pas en mesure de réfuter l’objet conçu de la saisie du soi de la personne, l’on continue à évoluer dans l’ignorance et retombe dans les douze liens d’interdépendance. »

Dans les « Quatre cents Stances sur la Voie du Milieu », Aryadéva ajoute que :

« L’ensemble de nos organes sensoriels, qu’il s’agisse de nos yeux, nos oreilles, notre nez, notre langue ou notre sens tactile, existe en dépendance de notre corps. De même, toutes les perturbations mentales existent en dépendance de la saisie innée des phénomènes, de sorte que si les racines –les saisies du soi de la personne et des phénomènes- sont anéanties, les différentes perturbations mentales le sont aussi. Afin de remédier à cette ignorance fondamentale, l’on doit se servir de la production dépendante comme argument pour réaliser l’inexistence de l’objet de la saisie du soi. Ainsi pour réaliser cette ignorance primordiale, il faut réaliser que la production dépendante et l’absence d’existence véritable s’étayent mutuellement. »

Nagarjouna et Aryadéva sont cités ici, afin d’élucider les doutes qui pourraient surgir à propos de la définition que les Conséquentialistes donnent de la racine de l’existence cyclique, qui diffère sensiblement de l’interprétation des Autonomes et des autres écoles. On peut faire remonter tous les textes de Nagarjouna jusqu’aux soutras du Bouddha.

8 Les six traités sur la Voie du Milieu de Nagarjouna : « Le traité du Milieu* » (Tib. Tsawè Chérap), « La Réfutation des Objections », « Les Soixante-dix stances sur la Vacuité* », « Les Soixante stances de Raisonnement », « La Fine Texture » et « La Précieuse Guirlande des Avis au Roi* ». * les ouvrages traduits en français, à notre connaissance. 9 Un Phénomène fonctionnant ou un Fonctionnant est synonyme de phénomène impermanent. 10 Ce sont vraisemblablement les strophes 64 et 65 qui sont citées ici.

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b- L’ignorance perturbée est la racine du cycle des existences. Il est précisé que c’est la saisie innée du soi de la personne qui agit comme origine de l’existence cyclique et non pas la saisie acquise (intellectuellement) du soi de la personne. La saisie acquise du soi de la personne est le concept qui saisit la personne comme existant de façon permanente, unique et indépendante. Il s’agit d’une saisie « intellectuelle » parce que cette attitude de saisie se développe au cours de l’étude des écoles philosophiques. Une saisie du soi acquise ne peut se développer chez les oiseaux, les animaux, etc. Certaines écoles non bouddhiques enseignent que la personne existe de façon permanente, unique et indépendante ; étudier et adopter une telle vue relève de la saisie acquise ou intellectuelle du soi de la personne. D’une manière générale, certaines personnes considèrent que la forme grossière (matière) est la somme de nombreuses particules directionnelles indivisibles. Elles pensent également que la conscience est composée de nombreux moments de conscience temporaires indivisibles. Ces personnes appréhendent ces deux aspects comme étant dénués d’entité substantielle distincte, or une telle existence est impossible – cette conception relève de la saisie intellectuelle du soi des phénomènes. Certains estiment que la saisie acquise du soi des phénomènes ne peut servir de cause réelle à l’existence cyclique, parce qu’elle ne peut exister que dans l’esprit de gens dont le continuum mental est pollué, alors que la source de l’existence cyclique doit se trouver sur le continuum de tout être, qu’il soit ou non pollué par la saisie intellectuelle du soi. La racine de l’existence cyclique doit être présente dans l’esprit depuis des temps sans commencement. Si nous disons que les saisies acquises du soi de la personne et des phénomènes sont les sources de l’existence cyclique, nous sommes en train de dire que l’origine de l’existence cyclique n’existe pas chez les autres êtres vivants comme les vaches, etc., parce qu’ils n’étudient pas les courants philosophiques. L’ignorance qui est à l’origine de l’existence cyclique doit être présente sur le continuum mental de chaque être vivant dans cette existence conditionnée, lui procurant le sentiment de « je suis ici », etc. Ainsi, la saisie acquise du soi ne peut être l’origine de l’existence cyclique, cette origine ne pouvant être que l’ignorance innée. Il est essentiel de bien comprendre ce point. La saisie acquise du soi est toujours reliée à un raisonnement logique, ce qui n’est pas le cas de la saisie innée. Cela signifie aussi que lorsque nous cessons d’alimenter la saisie acquise du soi, nous ne cessons pas pour autant d’alimenter la saisie innée. Lorsque nous essayons d’engendrer la vue de la vacuité, la principale chose que nous avons à faire est de vérifier si l’objet conçu par la saisie innée du soi existe ou non en réalité. Notre tâche se résume principalement à cela et, par ce biais là, elle consiste à examiner pour voir si l’objet appréhendé par la saisie acquise du soi de la personne et des phénomènes existe ou non. Lorsque nous sommes en quête de la vue correcte, si nous analysons seulement l’objet appréhendé par la saisie acquise du soi, nous ne méditerons que cet objet et cette méditation ne sera pas à même d’éradiquer les perturbations mentales. La seule façon de pouvoir éradiquer les perturbations réside dans la méditation sur la vue correcte. Un étudiant : Est-ce que le fait de voir le sujet et l’objet comme deux entités substantielles distinctes relève de la saisie acquise du soi des phénomènes ? Guéshé-lag : Oui Un étudiant : Les Cittamatrins (Idéalistes) ne seraient pas d’accord.

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Guéshé-lag : Leur interprétation est complètement différente. Même s’ils appellent cela aussi « saisie du soi des phénomènes », il existe une différence de subtilité entre leur vue et celle des Conséquentialistes. Les Conséquentialistes estiment que lorsqu’on réalise l’inexistence de l’objet conçu de la saisie acquise du soi des phénomènes, on ne réalise pas pour autant le non soi des phénomènes. Un étudiant : Qu’est ce qui prouve que cette saisie du soi est acquise intellectuellement ? J’ai l’impression que si l’on médite sur l’interprétation des Cittamatrins, l’on s’éloigne de la vue juste, aussi il semble qu’il n’y ait aucune raison de développer les vues des écoles inférieures, dans la mesure où elles ne deviennent que des saisies acquises du soi des phénomènes ? Guéshé-lag : A mon sens, la réalisation des vues inférieures contribue à la compréhension des vues plus élevées. Si nous demandions à un Conséquentialiste : « Qu’est-ce que la saisie du soi des phénomènes pour un Cittamatrin, est-ce une saisie du soi acquise à partir des courants philosophiques ou non ? » Que répondrait-il ? Un étudiant : C’est acquis intellectuellement. Un étudiant : Si le fait de concevoir qu’une personne existe de façon permanente, unique et indépendante est un obstacle à la libération, pourquoi essayer de développer une telle vue ? Guéshé-lag : Si je demandais à un Conséquentialiste : « Qu’est-ce que, chez un non bouddhiste, le fait de saisir la personne comme existant de manière autonome et substantielle ? » Que répondrait-il ? Il dirait qu’il s’agit de la saisie innée du soi de la personne. Un étudiant : Mais il apparaît que le Bouddha a exposé des vues intellectuelles fausses que les gens n’avaient pas développées auparavant. Guéshé-lag : Ce n’est pas nécessairement le cas. Le Bouddha répondrait : « Ce que vous dites est suffisamment valable, continuez à présent à accroître votre mérite ». La personne, accumulant davantage de mérite, se rapprocherait des vues plus élevées. A un niveau conventionnel, le Bouddha peut rencontrer deux cas de figure : les gens attirés vers les courants inférieurs et ceux poussés vers les courants supérieurs. Aux personnes attirées vers les courants inférieurs, il est d’accord pour dire que les choses existent véritablement, mais à d’autres occasions, en présence de personnes portées vers les écoles supérieures, il dit que les choses n’existent pas véritablement. Un étudiant : Selon les Conséquentialistes, ceux qui ne suivent pas un courant philosophique ne développeraient pas de saisie acquise du soi des phénomènes qui saisit le sujet et l’objet comme étant deux entités substantielles distinctes, est-ce bien cela ? Guéshé-lag : Oui, ils s’accordent à dire qu’une telle saisie acquise du soi des phénomènes ne peut survenir que chez un étudiant en philosophie, de telles vues ne peuvent se développer sans raisonnement logique. La perception innée de la personne existant de façon permanente, unique et indépendante peut surgir à plusieurs niveaux. La conception intellectuelle qui saisit la personne comme existant de façon permanente, unique et indépendante ne peut surgir que dans l’esprit de non bouddhistes, elle ne peut s’élever dans l’esprit d’une personne bouddhiste. Si nous négligeons d’abandonner la saisie innée du soi et que nous ne méditons que pour nous débarrasser des saisies acquises du soi de la personne et des phénomènes, cela ne nous permettra pas d’éliminer les émotions perturbatrices. La thèse qui consiste à dire que la seule réfutation de l’objet conçu de la saisie acquise du soi permet d’anéantir la saisie innée du soi présente de nombreux écueils. Parvenir à voir l’inexistence de l’objet conçu de la saisie innée du soi en réalisant simplement l’inexistence de l’objet conçu de la saisie acquise du soi serait une chose hautement surprenante. Errant au sein de l’existence conditionnée à travers les douze liens, d’où vient la peur de l’existence cyclique ? Elle est le fait de la saisie innée du soi et on ne peut la surmonter par une

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méditation sur le non soi –qui est la vacuité de la personne existant de façon permanente, unique et indépendante- menée à un niveau intellectuel. Si cela marchait dans ce sens, cela voudrait dire qu’une personne effrayée de la présence d’un serpent dans une maison se trouverait soulagée de cette peur, en entendant dire qu’il n’y a pas d’éléphant dans cette maison. Les Conséquentialistes estiment que la saisie du soi personnel tout comme l’ignorance sont toutes deux la racine de l’existence cyclique. Dans « la Précieuse Guirlande » sur la Voie du Milieu, il est mentionné que la saisie innée du soi des phénomènes, qui est une ignorance, est l’origine de l’existence cyclique. En outre, il est dit que de cette saisie innée du soi des phénomènes naissait la saisie du soi de la personne, et que de la saisie du soi de la personne provenait une multitude d’activités qui nous obligeaient à errer encore et encore au sein de l’existence cyclique. La saisie du soi des phénomènes précède la saisie du soi de la personne car il nous faut voir les agrégats de quelqu’un d’autre avant de pouvoir les identifier comme étant une personne. Les agrégats nous apparaissent comme existant réellement et nous les saisissons immédiatement comme existant véritablement, puis nous percevons les agrégats comme étant la personne, elle nous apparaît alors comme existant réellement et nous la saisissons immédiatement comme existant véritablement. Chandrakirti a indiqué que tous les défauts, perturbations mentales comprises, provenaient de la saisie du soi personnel. De ce fait, un méditant doit se défaire d’abord de l’objet conçu de la saisie du soi personnel. Il y a ainsi deux approches de la racine de l’existence cyclique, l’une considérant qu’il s’agit de la saisie du soi personnel et l’autre évoquant la saisie innée du soi des phénomènes. Certains pensent qu’il y une contradiction ici et se mettent à débattre de ce point. Les Conséquentialistes estiment qu’il n’y a pas de différence dans leur manière d’opérer et qu’elles sont donc toutes deux à l’origine de l’existence cyclique. Il n’y a pas de différence non plus dans leur manière de saisir leur objet, en effet, les deux conçoivent des objets qui existent véritablement. Les Conséquentialistes disent que l’existence cyclique ne peut avoir deux causes fondamentales contraires, cela n’a aucun sens. Les deux origines doivent avoir la même signification et il est correct de les considérer toutes deux comme racines de l’existence cyclique car elles ont la même fonction. D’une manière générale, il est juste de dire que la saisie du soi de la personne survient dans un second temps, après la saisie du soi des phénomènes, mais ces deux saisies du soi sont considérées toutes deux comme les racines de l’existence cyclique et toutes deux ont les qualités requises pour être à l’origine de l’existence cyclique. Elles sont semblables du point de vue de leurs qualités car de l’une comme de l’autre surgissent les différentes formes d’attachement, de colère etc. qui jouent chacune un rôle particulier. Nous pouvons dire qu’il existe une ignorance composée de plusieurs moments et il n’y a aucun problème à ajouter que chacun de ces moments est une racine de l’existence cyclique. Un étudiant : Précédemment il a été dit que nous réalisions d’abord le non soi de la personne et puis celui des phénomènes, mais à présent il semble que faute d’abandonner la saisie du soi des phénomènes, il n’y a aucun moyen d’éliminer la saisie du soi de la personne ? Guéshé-lag : Tant que l’on plaquera sur les agrégats cette conception intellectuelle de la personne comme existant véritablement, l’on percevra toujours les agrégats comme existant véritablement. Tant qu’un raisonnement logique est utilisé pour maintenir l’idée de l’existence véritable des agrégats, il n’y a aucune façon de réaliser le non soi de la personne, alors que lorsqu’on réalise le non soi de la personne, cela affectera ou réduira le concept qui appréhende les agrégats comme existant véritablement. Nous pouvons dire que les agrégats sont les objets dont disposent le soi (le « je ») et ainsi les deux (agrégats et soi) fonctionnent de pair –lorsque nous pensons que les objets

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existent véritablement, nous ne pouvons distinguer le soi et l’empêcher d’apparaître comme existant véritablement. Nous devons d’abord réaliser le non soi de la personne, puis celui des phénomènes. Les Conséquentialistes affirment que la saisie du soi personnel et la saisie du soi de la personne sont la cause fondamentale de l’existence cyclique. Nagarjouna dit que la saisie du soi des phénomènes en constitue la racine et les écoles inférieures considèrent qu’il existe deux éléments distincts comme origine de l’existence cyclique, mais les Conséquentialistes soutiennent que ces deux éléments ne sont pas contraires et que tous deux constituent la racine de l’existence cyclique. Récapitulatif Il a été dit jusqu’à présent que certains moments de la saisie du soi personnel étaient des causes fondamentales de l’existence cyclique, que la saisie innée du soi des phénomènes et la saisie innée du soi de la personne en étaient également des causes, tandis que les deux saisies acquises ne constituaient pas les racines de l’existence cyclique. Lorsque nous réalisons l’inexistence de l’objet conçu de la saisie acquise du soi de la personne, cela contribue à réaliser l’inexistence de l’objet conçu de la saisie innée du soi de la personne. Cette réalisation apporte un certain concours, mais nous ne devrions pas en conclure que la réalisation de l’inexistence de l’objet conçu de la saisie acquise du soi suffit pour se débarrasser des perturbations. En effet, méditer cet aspect là seulement ne permettra jamais d’accéder à l’étape suivante, à savoir que l’objet conçu de la saisie innée du soi de la personne n’existe pas. Le point principal est de savoir qu’en réalisant seulement l’inexistence de l’objet conçu de la saisie acquise du soi de la personne, nous ne pouvons interrompre le cycle qui a été initié par la saisie innée du soi de la personne. Ainsi avons-nous présenté le point de vue des Conséquentialistes en regard de la saisie innée du soi de la personne et de la saisie innée du soi des phénomènes, ainsi qu’une description détaillée de la racine de l’existence cyclique, montrant notamment que la preuve sur laquelle se fondent les Conséquentialistes remonte aux textes de Nagarjouna et d’Aryadéva. La saisie innée du soi de la personne appréhende la personne comme son objet tandis que la saisie innée du soi des phénomènes appréhende les phénomènes autres que la personne comme son objet. En prenant cela comme leurs objets, les deux saisies engendrent les différents types de perturbations. Lorsque chacune appréhende son objet respectif, elle le voit d’abord, puis considère que l’objet existe par ses caractéristiques propres. Sur la base de cette existence de la personne et des phénomènes par leurs caractéristiques propres, surgissent les différentes perturbations mentales. La colère, l’attachement etc., ramènent, de multiples façons, au même objet saisi. Dans un premier temps, il y a par exemple une saisie de la personne comme existant de son propre côté, puis se développe l’attachement selon deux étapes : il y a d’abord une attention incorrecte qui exagère et surajoute des qualités attrayantes à l’objet, puis l’attachement proprement dit se manifeste, qui veut posséder cet objet. Ainsi, la saisie est suivie d’une perturbation mentale dotée de sa fonction spécifique. A la suite de cela, nombre d’activités mentales différentes peuvent apparaître ; l’on s’engage dans des activités préjudiciables aussi longtemps que l’on génère de l’attachement vis-à-vis d’une personne donnée. Découlant de ces actes karmiques maladroits, des résultats déplaisants ne manqueront pas de survenir. Pour ce qui est de la colère, sur la même base de la saisie de l’existence véritable de n’importe quel objet, l’on surajoute des valeurs négatives et l’on perçoit l’objet ou la personne comme négative. La colère pleinement manifestée surgit avec le désir d’infliger du tort à cette personne, l’on s’engage alors dans de nombreuses actions préjudiciables, créant continuellement

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des empreintes karmiques négatives pour des souffrances futures. Il est dit que toutes les causes négatives sont sous-tendues par l’ignorance et c’est le sens de l’affirmation selon laquelle l’ignorance sert de support à toutes les perturbations mentales. L’ignorance et les autres perturbations se tournent vers n’importe quel objet sans discrimination. Il y a d’abord l’ignorance –la perception qui appréhende l’objet comme existant véritablement- puis, vient l’attachement à l’objet qui est saisi comme existant véritablement. Si nous ne surajoutons aucune caractéristique positive ou négative et n’éprouvons qu’un simple sentiment d’indifférence, la continuité de ce continuum mental n’est autre que la continuation de l’ignorance. Même si notre esprit est dans un état neutre, des actions sont néanmoins accomplies. Il est certain que tant que nous entretenons cette perception de l’existence véritable, subsiste encore l’attachement, la colère ou l’ignorance –c'est-à-dire la continuité de la perception de l’existence véritable. Cet enseignement semble se répéter. L’idée maîtresse a été présentée par Lama Tsong Khapa qui, pour prouver ce qu’il avançait, a cité les textes des érudits précédents tels que Nagarjouna, Bouddhapalita et Chandrakirti qui affirmaient tous la même chose. La manière dont la saisie du soi est exposée dans le « Pramanavarrtika » diffère de l’explication proposée par cette école Prasangika. Cette dernière est plus subtile, toutefois la façon dont ces deux écoles conçoivent les deux saisies du soi comme étant la racine de l’existence cyclique et la façon dont une personne erre à travers l’existence cyclique sont semblables. Selon le « Pramanavarrtika », nous sommes constitués, naturellement, d’un esprit égocentrique qui saisit le « je » et le « je suis ». Il s’agit de la saisie du soi personnel qui appréhende le « je » comme objet et qui conçoit le « mien » comme existant véritablement. Par ailleurs, nous avons de nombreux désirs pour nous-mêmes et engendrons de l’attachement vis-à-vis du plaisir. Ainsi commençons-nous à développer du désir pour ce qui est « mien », parce que lorsque nous cherchons à obtenir du plaisir, il y a de nombreux « miens » et de nombreux plaisirs. Nous éprouvons un très fort attachement pour nous-mêmes et pour nous procurer du bonheur (à nous-mêmes), nous nous servons des nombreux « miens » pour en faire l’expérience. Nous ne percevons jamais de défauts dans ces « miens », nous ne les voyons que revêtus des bonnes qualités du « mien » et nous servons de ces différents « miens » comme instruments nos expériences plaisantes. En résumé, il y a deux niveaux d’implication -du « je » et du « mien »- et à cause de cela, nous nous engageons dans diverses actions. A travers nos différentes activités, par exemple, nous créons de nombreuses actions karmiques et des résultats différents découlent de ces actes. Se manifeste d’abord la saisie du soi personnel qui appréhende le « je » et qui nous dit naturellement : « je » ou « je suis ». Puis nous mettons les membres de notre famille et les amis d’un côté, les percevant de façon très positive et leur souhaitant ce qu’il y a de mieux. Ce désir d’obtenir pour soi-même et pour ses amis, ses proches, de bonnes choses entraîne l’attachement et nous agissons en vue de nous procurer les objets qui donneront naissance au plaisir ; c’est ainsi que l’on engendre l’attachement. D’un autre côté, des pensées négatives peuvent surgir de la saisie du soi, en saisissant d’abord l’état égocentrique, « je » ou « je suis » et en percevant, à partir de là, d’autres êtres comme négatifs, les affublant, eux et leurs amis, de l’étiquette « ennemis » et les classant dans un groupe opposé à celui de ses « amis ». Après les avoir identifiés comme néfastes, nous formulons le souhait qu’ils fassent des expériences déplaisantes et qu’ils n’éprouvent pas de plaisirs. Dans cette description, le point important est de voir qu’au niveau fondamental il n’y a que l’ignorance (le 1er lien) de la saisie du soi, qu’au niveau des perturbations, les trois émotions

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perturbatrices entrent en jeu, qu’au niveau de l’action on retrouve les deux types d’action et enfin, qu’au niveau résultant se trouvent les sept liens restants11. c- La vue du non soi est indispensable pour remédier à l’attitude de saisie du soi.

1- Pourquoi est-il nécessaire de chercher à développer la vue correcte du non soi quand on souhaite se débarrasser de l’ignorance perturbée ?

Si l’on veut se défaire de l’ignorance perturbée sans chercher à obtenir la vue correcte du non soi, l’on restera un individu aux facultés émoussées car l’on ne sera pas en mesure de trouver le moyen adéquat pour l’éliminer ; notre souhait demeurera alors improductif. Réaliser la vacuité est la base principale qui permet l’accès à la libération et à l’omniscience ; si l’on ne recherche pas la manière appropriée pour y parvenir, désirer la libération ne signifie strictement rien, c’est comme si l’on avait abdiqué. Dharmakirti indique que :

« Il convient d’éliminer tout d’abord l’objet conçu de la saisie du soi, puis, il faut éliminer la saisie du soi elle-même. »

La saisie du soi est éradiquée en réalisant que l’objet conçu de la saisie du soi n’existe pas de la manière dont elle conçoit qu’il existe. La saisie du soi ne s’élimine pas aisément, comme une écharde que l’on extirpe de son pied, mais lorsque l’on parvient à la détruire en réalisant l’absence d’existence de l’objet conçu de la saisie du soi, l’on anéantit simultanément toutes les perturbations qui en découlent. Chandrakirti mentionne que :

« La naissance, le vieillissement et les maladies proviennent tous de l’attachement, de la colère, etc. Ces perturbations mentales découlent elles-mêmes de l’ignorance qui relève des deux types de saisies du soi personnel : la saisie du soi personnel qui observe le « je » et le « mien ». Si un yogi souhaite abandonner les deux saisies du soi personnel, il doit s’efforcer de gommer les qualités surajoutées au « je » et au « mien » par ces deux saisies. La façon de gommer ou supprimer ces qualités surajoutées consiste à méditer correctement l’absence d’existence véritable. »

Nagarjouna considère que :

« Si nous sommes à même de comprendre que les perturbations mentales peuvent être éliminées juste en se débarrassant des deux types de saisie du soi, il nous faut nous évertuer à les éliminer, en cherchant à nous en défaire par l’étude et l’approfondissement de notre compréhension de l’interdépendance. Le concept d’existence véritable et de saisie du soi doivent tous deux être délaissés et pour ce faire, la sagesse juste est nécessaire –la réalisation de l’absence d’existence véritable et

11 Cette description est faite en relation avec les Douze Liens de la Production Dépendante : Au niveau fondamental : l’ignorance (1er lien) ; au niveau des perturbations : l’ignorance, le désir et la saisie (les liens 1, 8 et 9) ; au niveau des actions : le karma et le devenir (les liens 3 et 10), au niveau résultant : la conscience (du temps résultant), le nom et la forme, les six entrées, le contact, la sensation, la naissance, la vieillesse et la mort (les liens 2, 4, 5, 6, 7, 11 et 12)

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du non soi. Pour développer cette sagesse, il convient de s’appuyer sur une raison correcte qui prouve le non soi. »

Aryadéva ajoute :

« Un yogi doit tout d’abord s’efforcer de reconnaître le non soi car une fois le non soi réalisé, toutes les graines de l’existence cyclique sont stérilisées.

Shantidéva évoque la même chose ; les soutras mentionnent que si la racine d’un arbre est tranchée, toutes les branches et les feuilles sèchent automatiquement. Lorsque quelqu’un se débarrasse de la conception de l’existence véritable, ou des deux types de non soi, toutes les perturbations qui découlent de cette ignorance racine cessent spontanément. Pour se départir de la saisie du soi et pour réaliser la vacuité, nombre de raisonnements logiques et de citations scripturaires sont nécessaires. Une citation faisant autorité est nécessaire pour pouvoir établir la signification correcte des commentaires et l’on doit par ailleurs être à même d’avancer une argumentation logique. Pour être en mesure de faire cela, il faut pouvoir analyser l’objet conçu par la conception de saisie du soi, voir s’il existe réellement ou non et, en développant sa propre expérience directe, l’on parviendra à éliminer la saisie du soi. Il nous faut avoir une bonne compréhension de l’absence d’existence de l’objet conçu de la saisie du soi, ainsi que du fait que la conception de saisie du soi est une perception fausse. Le non soi ne peut être réalisé qu’une fois ces deux points complètement assimilés. La racine principale qui nous maintient ligotés à l’existence cyclique est l’ignorance perturbée –le concept de la saisie du soi. Cette conception étant la cause essentielle, nous devons nous intéresser à son objet et comprendre qu’il n’existe pas de la manière dont elle conçoit qu’il existe. Si nous dévions de cette méditation directrice et méditons autre chose, aussi profond que puisse être l’objet de notre méditation, nous ne réussirons jamais à trancher la racine, nous ne réaliserons jamais la vacuité. Dans certains textes, il est indiqué que si l’on n’a pas de compréhension correcte de la vacuité, l’on ne peut faire les choses parfaitement, même si l’on a par ailleurs remarquablement développé le renoncement et la bodhicitta. En outre, il est souvent mentionné qu’à défaut d’avoir développé l’esprit opposé à la conception ignorante de l’existence véritable, l’on ne sera jamais en mesure de la détrôner. La saisie innée de l’ego, la saisie innée du soi personnel, la saisie innée du soi des phénomènes et la saisie innée du soi de la personne, sont toutes qualifiées « d’ignorance » et constituent toutes la source de l’existence cyclique. Le soi peut être appréhendé comme existant véritablement, il peut être appréhendé comme n’existant pas véritablement, ou encore être appréhendé comme ni existant véritablement, ni n’existant pas véritablement. La première façon d’appréhender le soi est claire, il s’agit des saisies du soi intellectuelle et innée, et parmi ces trois modes d’appréhension, seul ce premier mode constitue la racine de l’existence cyclique. L’appréhension du soi comme n’existant pas véritablement est une réalisation qui n’existe que sur le continuum d’un arya (un être qui a réalisé directement la vacuité). Une telle personne comprend qu’elle peut, à juste titre, continuer de se référer au « je » au niveau relatif (conventionnel), en ce qui concerne la fonction d’agent, d’action et d’objet. Appréhender le soi comme ni existant véritablement, ni n’existant pas véritablement est la façon dont nous saisissons habituellement le soi au niveau conventionnel. Nous percevons le soi et pensons : « je vais, je viens » et ainsi de suite. Le soi nous apparaît comme existant véritablement, mais nous ne l’appréhendons pas comme tel, nous pensons simplement « je vais » etc. De sorte que ne pas appréhender le « je » comme n’existant pas véritablement ne signifie pas forcément que nous l’appréhendons comme existant véritablement. La pensée « je vais », par

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exemple, n’est pas nécessairement une conception d’un « je » existant véritablement, pas plus qu’elle ne consiste à appréhender le « je » comme n’existant pas véritablement. Si la pensée « je vais » était une conception qui considère que le « je » existe véritablement, il s’agirait d’une perception fausse, or cette pensée est une perception correcte, elle n’est erronée qu’au regard de son objet apparaissant. Un étudiant : Est-ce que les trois manières d’appréhender le soi sont toutes des conceptions ? Guéshé-lag : Elles peuvent l’être. Un étudiant : Mais une fois qu’un arya perçoit le non soi, ne laisse-t-il pas tomber l’idée de non soi ? Guéshé-lag : Un arya peut avoir des pensées conceptuelles, seul un bouddha en est débarrassé. Les bouddhas peuvent avoir plusieurs facteurs mentaux pensant « je », comme par exemple « je prends mon bol à aumônes », mais il ne s’agit pas de pensées conceptuelles. Récapitulatif de la section précédente L’ignorance perturbée est identifiée de façons différentes par chacune des écoles bouddhiques. Nous savons que l’ignorance de la saisie du soi constitue un voile à la connaissance, mais les Autonomes (Madhyamika Svatantrika) avancent cela de manière différente. Ils ne considèrent pas que l’ignorance de la saisie du soi constitue un voile des perturbations ou un voile à la connaissance, ils parlent d’ignorance perturbée grossière et subtile. L’ignorance de la saisie du soi qui donne naissance aux onze liens restants est un point qui a été discuté lors des étapes d’un individu de capacité intermédiaire. Si l’on souhaite se débarrasser de cette ignorance perturbée, qui est la source de l’existence cyclique, il nous faut développer la vue correcte du non soi. Un étudiant : Est-ce qu’une conception qui appréhende la forme et sa perception avérée comme deux entités substantielles distinctes, est intellectuelle ou innée ? Guéshé-lag : En ce qui concerne la saisie intellectuelle du soi des phénomènes, cela ne fait pas seulement référence à la conception générale de sujet et d’objet comme étant deux entités substantielles distinctes, cela se réfère au concept naissant ainsi qu’à l’appréhension de l’assemblage grossier de particules indivisibles comme une substance distincte de la perception avérée qui l’appréhende. Ceci est nécessairement intellectuel, car la personne a étudié la notion de particules indivisibles, faute de quoi elle ne pourrait jamais envisager un ensemble de particules indivisibles. Une perception avérée constitue l’un des aspects du binôme sujet-objet. L’objet est le regroupement de particules indivisibles et le sujet est constitué du plus petit instant de conscience. Avant même d’avoir mentionné cette notion de plus petits instants de conscience, cette personne aura toutefois étudié au préalable que la conscience est dotée de parties (première, deuxième et troisième parties)12, et elle dira tout d’abord qu’il n’y a pas de plus petits instants de conscience, mais qu’en jouxtant toutes les parties distinctes de la conscience bout à bout, l’esprit devient une perception avérée pour son objet spécifique et qu’ainsi sujet et objet sont deux entités substantielles distinctes. Une telle conception résulte de l’apprentissage de nombreux éléments, elle n’est pas innée.

12 Nous n’avons pas su trouver à quoi il est fait allusion ici.

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Un étudiant : Pourquoi est-ce que la troisième façon13 d’appréhender le soi, à l’instar de la première, n’est pas aussi une racine de l’existence cyclique ? Guéshé-lag : Le troisième mode d’appréhension du soi est une simple pensée conceptuelle, telle que « je vais ». Une telle pensée reste encore une perception erronée : c’est une conception sur le courant de conscience d’un être ordinaire et toute conception sur le courant de conscience d’un être ordinaire est une perception erronée ; c’est erronée en effet, en regard de son objet apparaissant –qui apparaît comme existant véritablement. Cette simple conception toutefois, ne saisit pas l’objet paraissant exister véritablement, comme existant véritablement. Ce n’est pas une perception fausse car, pour en être une, il faudrait que la conscience s’engage de façon fausse sur son objet. Les Conséquentialistes estiment que toutes les perceptions avérées d’un être ordinaire sont des perceptions erronées. Il faut savoir comment on entre dans l’existence cyclique et la manière dont on s’en affranchit, puis s’efforcer de réaliser la vacuité. Lorsque l’on pense à la façon dont on entre et dont on interrompt l’existence cyclique, l’on en vient à réfléchir davantage à la vacuité. En réalisant la vacuité, la saisie du soi est tranchée, les perturbations sont stoppées, les actions karmiques cessent de même que les résultats de karmas. Lorsque l’on réalise la vacuité et que l’on médite son contenu suffisamment longtemps, la renaissance au sein de l’existence cyclique est interrompue et la libération –liberté vis-à-vis du karma et des perturbations- est obtenue.

2- La manière de développer la vue qui connaît le non soi

a. Séquence de la production des deux vues du non soi Avant de parler de la façon de développer la vue du non soi, il faut connaître l’ordre de survenue des deux saisies du soi. La saisie du soi des phénomènes précède la saisie du soi de la personne ; ceci est une évidence, car, avant de pouvoir reconnaître une personne, il nous faut d’abord identifier les agrégats de cette personne. Lorsque les agrégats nous apparaissent, se développe en nous la saisie du soi des phénomènes : l’appréhension que les agrégats existent véritablement. Une fois que nous identifions les agrégats comme étant la personne, surgit la saisie du soi de la personne : c'est-à-dire l’appréhension que la personne existe véritablement. C’est selon l’ordre inverse toutefois, que le non soi est actualisé. Nous réalisons le non soi de la personne avant de réaliser celui des phénomènes. Il en est ainsi parce que nous recherchons d’abord à nous libérer de l’existence cyclique, il y a ce puissant sentiment de « je » et, nourris par ce désir, nous nous attachons à considérer le soi : comment en est-il venu à exister ainsi, comment est-ce qu’il fonctionne et ainsi de suite. Nous réalisons alors ce qu’est la racine réelle de l’existence cyclique ainsi que la méthode qui permet de la trancher. Nous comprenons que pour nous affranchir de l’existence cyclique, il nous faut éliminer la conception de la saisie du soi qui appréhende le soi et pour ce faire, il nous faut développer la sagesse qui appréhende le soi de façon complètement opposée. Comprenant simultanément que la saisie du soi conçoit l’existence véritable, nous sommes déterminés à éviter cette conception en méditant la production dépendante. Dans la « Précieuse Guirlande », Nagarjouna indique comment parvenir à la réalisation du non soi de la personne après avoir compris que la personne ne pouvait être trouvée au sein des agrégats, à l’issue d’une investigation complète. Tandis que nous recherchons la personne au sein

13 La troisième façon d’appréhender le soi : le soi est appréhendé comme ni existant véritablement, ni n’existant pas véritablement.

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des agrégats, nous voyons que la personne n’est aucun des six éléments : elle n’est pas la solidité, ni l’humidité, ni la chaleur, ni les vents circulant dans les canaux psychiques, ni les cavités du corps, pas davantage que l’une des nombreuses consciences. L’on arrive à la conclusion que la personne est la simple imputation attribuée à l’ensemble des six éléments et dans la mesure où la personne n’existe qu’en dépendance des éléments, elle n’existe pas véritablement. Aucun des six éléments constitutifs de la personne n’existe véritablement car ils existent également en dépendance de leurs parties. Ainsi la personne ne peut être trouvée sur la base d’une analyse poussée menée sur les agrégats, cependant elle existe bel et bien comme simple imputation sur l’ensemble de ses parties –elle existe seulement comme résultat du regroupement des agrégats. C’est parce qu’il est réalisé en premier que le non soi de la personne est mentionné en premier lieu dans ce texte. Dans l’expression « la personne et les phénomènes », les phénomènes se réfèrent à tous les objets autres que la personne. Lorsqu’il s’agit d’établir le non soi des phénomènes ou celui de la personne, l’objet de réfutation est le même et ne présente pas de différence de subtilité. De ce fait, les deux non soi ne diffèrent pas non plus en terme de subtilité. Le non soi de la personne n’est ni plus grossier, ni plus subtil que le non soi des phénomènes. Une illustration qui peut nous aider à réaliser que les agrégats n’existent pas véritablement puisqu’ils sont interdépendants, est celle d’un reflet dans un miroir. Comprendre que le reflet d’un visage n’existe pas comme il apparaît est plus aisé que de réaliser que les agrégats n’existent pas comme ils apparaissent, ceci étant dit toutefois, lorsque nous réalisons que le reflet du visage n’existe pas comme étant réellement le visage, nous ne réalisons pas pour autant qu’il n’existe pas véritablement tel qu’il apparaît. Même un enfant est en mesure de comprendre que le visage dans le miroir n’est pas réel bien qu’il apparaisse comme tel, mais il ne réalise pas que le visage n’existe pas véritablement même si l’existence véritable est aussi une apparence. Le Bouddha dit : « Nous devons d’abord comprendre qu’il n’y a pas d’existence en soi sur la base de la personne, puis comprendre qu’il n’y a pas d’existence en soi sur la base des autres phénomènes. Tous les phénomènes sont dénués d’existence intrinsèque, de même que l’espace est dénué de tout élément obstructif. » Une fois que nous sommes parvenus à comprendre que la personne n’existe pas véritablement, nous avons recours au même type de raisonnement pour comprendre que tous les phénomènes autres que des personnes sont dénués d’existence véritable. Nous appliquons le même raisonnement pour accéder au non soi des phénomènes que celui utilisé pour accéder au non soi de la personne.

b. Développement graduel proprement dit des deux vues du non soi

i. Etablir le non soi de la personne Identifier ce que l’on entend par « personne14 » Etablir l’absence d’existence en soi de la personne

14 Personne : en Tibétain Kang sa, ce terme se traduit indistinctement par personne, être, ou individu.

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1. Identifier ce que l’on entend par « personne » Les différents textes des Conséquentialistes proposent diverses approches qui leur sont propres quant à la manière d’identifier la personne et la façon d’établir le non soi de la personne. Nous savons que, d’une façon générale, il existe différentes catégories de personnes : les êtres des six mondes ; les êtres ordinaires et les aryas (i.e. les êtres supérieurs) ; les êtres sur le chemin et ceux qui n’y sont pas ; les personnes créant du karma négatif, celles créant du karma positif et ainsi de suite. Il existe différents types d’êtres, mais dans chaque cas la personne n’est qu’une seule désignation donnée en dépendance du simple regroupement des agrégats. Lorsque nous disons que la personne est simplement désignée en dépendance du regroupement des agrégats, nous évoquons une base : le regroupement des agrégats, et cela peut être entendu soit comme étant le regroupement des agrégats passés et futurs, soit comme le rassemblement des agrégats existant à un moment donné. Le terme « chariot » est attribué à un ensemble de parties, tout comme « personne » est attribué au simple regroupement des agrégats. Les Conséquentialistes ne considèrent pas que la personne existe de son propre côté, ils estiment que c’est seulement une étiquette imputée sur les agrégats ; il existe toutefois une conscience qui pense que la personne existe de son propre côté, il s’agit de la conscience d’un « être maléfique » -une personne qui est tombée dans les vues néfastes. Les Conséquentialistes estiment que lorsque l’on recherche la personne au sein des agrégats, si la conscience mentale, la conscience base de tout, le regroupement des agrégats ou la continuité des agrégats est trouvée comme étant la personne, ce mode d’existence de la personne équivaut au fait d’exister de son propre côté et ce n’est pas possible. Ils disent que les agrégats constituent simplement la base sur laquelle la personne est imputée, de sorte que personne ne peut établir les agrégats comme étant en fait la personne. Le regroupement des quatre ou cinq agrégats ne constitue pas plus la personne qu’aucun des agrégats pris distinctement. Il en est ainsi parce que la personne est simplement désignée sur le regroupement des agrégats. Quelqu’un qui n’a pas encore adopté la vue des Conséquentialistes peut au moins accepter qu’il n’existe pas de personne en dehors des agrégats. Après qu’il ait accepté cela, il peut lui être montré ensuite qu’une personne existant de son propre côté doit exister comme une entité soit en tant que regroupement des agrégats, soit comme une entité unique au sein des agrégats. Après avoir posé ceci, les Conséquentialistes prouvent que ni le regroupement des agrégats, ni un seul agrégat, pas plus qu’une entité au sein des agrégats, telle que la conscience mentale ou la conscience base de tout, n’est la personne. Le concept de saisie du soi requiert un objet de référence : c’est le simple « je » lui-même. Toutes les écoles bouddhiques acceptent que la saisie du soi doit avoir un objet référent, mais les écoles inférieures estiment qu’il s’agit du soi qui existe en tant qu’entité soit sur l’un des agrégats, soit sur la continuité des agrégats. Pour étayer leur affirmation, elles citent un soutra du Bouddha qui mentionne que « les cinq agrégats sont le soi. » Les Conséquentialistes interprètent différemment cette affirmation. Ils considèrent que le « je » qui est l’objet référent de l’attitude de saisie du soi est le « je » qui est étiqueté sur le simple regroupement des agrégats. Il existe plusieurs expressions pour la personne : être, personne, soi, je, etc. Pour les Conséquentialistes, tous ces termes renvoient au simple « je » qui est imputé en dépendance des agrégats. Ce simple « je » est la personne qui crée et qui fait l’expérience du karma. Il y a également la personne qui existe en soi –l’objet de négation- et nous devons être en mesure de distinguer les deux. Il existe un soi –le simple « je »- dont nous devons accepter l’existence à un niveau conventionnel et il y a la personne existant en soi que nous ne devons pas accepter, même au niveau conventionnel.

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Il y a un soi, mais il n’y a pas de soi de la personne. Ceci doit être très clair sinon, lorsque nous essayons de réfuter l’existence en soi de la personne, nous pouvons tomber dans l’extrême de nier la personne elle-même et, lorsque nous essayons d’établir la personne, nous risquons de tomber dans l’extrême d’affirmer l’existence en soi de la personne. Les Conséquentialistes disent qu’il est extrêmement difficile d’arriver juste à reconnaître la personne qui existe –et que c’est un pas remarquable- parce qu’en étant simplement en mesure d’identifier la personne, nous nous approchons de la réalisation du non soi de la personne. Guéshé-lag : Pensez-vous que ce soit le cas ? Lorsque nous expliquons cela de cette façon, il y a l’idée que la personne est juste un simple nom. Un étudiant : Je ne parviendrai jamais à comprendre ce qu’est le soi imputé tant que je n’aurai pas cerné ce qu’est une imputation. C’est simplement désigné sur les agrégats mais en même temps c’est un produit, c’est quelque chose qui accomplit une fonction, de quelle façon ? Guéshé-lag : Ton vélo est constitué de différents éléments, lorsqu’ils sont assemblés, il y a alors l’imputation « vélo ». Un étudiant : Mais la personne existe au sein des agrégats, en quoi est-ce une simple étiquette ici ? Guéshé-lag : Si tu te sens à l’aise avec le vélo, pense alors que c’est la même chose pour le « je » simplement désigné. D’une façon générale, la personne est considérée comme un phénomène composé non associé, phénomène qui est inclus dans l’agrégat des formations volitionnelles, mais ce n’est pas l’agrégat des formations volitionnelles qui est la base d’imputation de la personne. Bien que d’une manière générale, nous admettons que si quelque chose est un phénomène composé, il s’agit de l’un des cinq agrégats et, comme la personne est un phénomène composé, elle relève du quatrième agrégat, une personne donnée, pourtant, possède son propre quatrième agrégat spécifique et cet agrégat particulier n’est pas la personne. Un étudiant : Et alors, quelle est la relation ? Guéshé-lag : L’un est la base d’imputation et l’autre est ce qui est imputé. Quand nous disons qu’une personne spécifique n’est aucun de ses cinq agrégats, cela peut engendrer une certaine confusion parce que nous disons (aussi par ailleurs) que la personne relève de l’agrégat des formations volitionnelles et cela peut être difficile à suivre. La façon dont les Conséquentialistes avancent le soi diffère des écoles inférieures, elle constitue un excellent moyen de nous amener sur le chemin de réalisation du non soi de la personne.

2. Etablir l’absence d’existence en soi de la personne

a. Exposé du manque d’existence en soi du « je » b. Exposé du manque d’existence en soi du « mien » c. Comprendre la manière dont le soi apparaît comme un phénomène illusoire au vu des raisonnements précédents

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a. Exposé du manque d’existence en soi du « je » i. Etablir l’objet de réfutation (ou de négation) ii. Etablir le recouvrement

iii. Montrer les aberrations qu’entraîne l’existence intrinsèque d’un soi qui serait un avec les agrégats iv. Montrer les aberrations qu’entraîne l’absence d’existence véritable d’un soi qui serait distinct des agrégats

L’existence non intrinsèque est établie sur la base de nombreux raisonnements logiques, comme l’analyse en sept points ou l’établissement de l’existence non intrinsèque comme étant ni une ni multiple. Parmi toutes ces analyses, la meilleure est de montrer que le « je » n’existe pas véritablement comme étant un et n’existe pas véritablement comme étant multiple. Ce raisonnement particulier présente deux aspects, et Lama Tsong Khapa en a ajouté deux de plus pour exposer « l’Analyse en Quatre Points ». Les deux premiers points sont ceux qui ont été ajoutés.

i. Etablir l’objet de réfutation (ou de négation) Au cours de la présentation de l’objet de réfutation, une explication précise du sens de l’existence véritable et de l’existence non véritable, de l’existence intrinsèque et de son contraire, de l’existence de son propre côté et de son opposé doit être donnée. Si nous ne sommes pas en mesure de cerner l’objet de réfutation –c'est-à-dire ce qui existe de manière intrinsèque, véritablement, ou de son propre côté- nous ne pouvons obtenir la réalisation du non soi, nous serons incapables de comprendre la notion de négation non affirmative. Il y a de nombreux cas de figure dans lesquels nous ne pouvons agir correctement si une information nous fait défaut : faute de parvenir à identifier la cible, nous ne pouvons l’atteindre avec une flèche ; à défaut de connaître un voleur, on est incapable de l’interpeller. Ce premier point nous amène à comprendre que l’objet de réfutation est ce qui existe de son propre côté sans dépendre d’autres causes et conditions. Ceci étant acquis, nous savons dès lors que l’objet de réfutation est tout ce qui existe de son propre côté, de façon indépendante ou intrinsèque, sans dépendre de causes et de conditions. Il ne suffit pas simplement d’admettre cette présentation générale, nous devons faire l’expérience de la réalisation qui sait que c’est l’objet de réfutation. Il est indispensable d’avoir une réalisation expérimentale, et pas seulement une identification intellectuelle ou une compréhension provenant de l’exposé d’autrui. Il est bon d’écouter les explications données par autrui, mais cela ne suffit pas à la réalisation finale du non soi. Pouvoir reconnaître l’objet de réfutation de façon théorique revient à avoir une idée grossière selon laquelle le voleur, par exemple, est « un homme coiffé d’un chapeau noir » : cela ne suffit pour l’attraper. Globalement, il y a deux modes : le mode d’apparence de l’existence véritable et le mode de saisie de cette apparence par l’attitude de saisie du soi. Nous ne sommes pas habituellement conscients de ces deux aspects, mais il nous faut le devenir. Parmi les trois manières d’appréhender le soi, il nous faut analyser la première, la saisie du « je » comme existant véritablement. Nous devons arriver à savoir comment notre conception saisit de cette façon, et comment l’objet nous apparaît comme existant véritablement. Nous savons que tous les êtres ont cette saisie innée du soi et une conception à laquelle le soi apparaît comme existant véritablement, mais la manière selon laquelle nous saisissons l’existence véritable du soi et selon laquelle le soi apparaît comme existant véritablement ne nous sont jamais claires. Or clarifier cela est une occasion qui ne se présente pas facilement à nous, car

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ces deux modes sont toujours intimement mêlés au mode conventionnel d’apparence et au mode conventionnel de saisie. Dans la vie de tous les jours, l’apparence du soi comme existant véritablement ne saute pas aux yeux, parce que cette apparence se confond avec le mode d’apparence conventionnel. L’apparence de l’existence véritable peut toutefois devenir claire dans des occasions où nous sommes complimentés ou critiqués, par exemple. Lorsque quelqu’un est furieux contre un autre individu et qu’il envisage de le frapper, ses yeux sont exorbités, son regard devient noir, la saisie du soi innée se manifeste avec intensité, l’apparence véritable d’un adversaire surgit alors. Dans de telles circonstances, nous pouvons reconnaître l’apparence manifeste d’un « je » existant véritablement –si nous cherchons à arrêter cette personne en colère, elle va se débattre pour chercher à assener un coup à son ennemi. Sa pensée d’un « je » apparaît comme solide, concrète et, si nous pouvions pénétrer dans son esprit, nous pourrions ressentir la saisie innée du soi et l’apparence du soi intérieur comme existant véritablement. Si nous nous trouvons nous-mêmes dans une telle situation, il nous faut essayer d’observer notre état d’esprit avec une partie de notre conscience. La partie principale de notre esprit revêt l’aspect de la colère, mais il nous faut aussi arriver à identifier l’apparence de l’existence en soi. Lorsque nous observons l’apparence de l’existence véritable du soi, nous devons, pour ce faire, n’employer qu’une partie de notre esprit car, si nous regardons de trop près, nous risquons de perdre l’apparence de la saisie innée du soi ainsi que l’apparence du « je » concret existant en soi. En observant le soi existant véritablement, nous pouvons avoir l’impression qu’il existe au sein même de l’esprit ou du corps. Aucune de ces deux impressions ne correspond toutefois à la façon correcte d’observer l’apparence du soi existant véritablement. L’approche correcte est de ressentir que le soi existe comme un objet solide, qui n’est imputé, ni désigné, et qui recouvre l’ensemble des agrégats sans paraître davantage relié à un agrégat ou à un autre. Il est dit que la difficulté rencontrée dans la réalisation de la vacuité réside dans l’incapacité d’identifier avec précision l’objet de réfutation. Le problème est que lorsque nous ne parvenons pas à reconnaître l’objet de réfutation correct, nous pouvons tomber dans l’un ou l’autre des deux extrêmes – soit en réfutant trop par rapport à l’objet de réfutation, soit en ne réfutant pas assez à cause de la tendance à s’accrocher au côté affirmatif (i.e. tendre à réifier). Ainsi, lorsque l’objet de réfutation correct est bien identifié, il n’y a plus de difficulté à réaliser la vacuité. L’on a franchi une étape importante et l’on peut dès lors nier facilement l’objet de réfutation grâce à des raisonnements logiques et des écritures faisant autorité. Les yogis décrivent l’objet de réfutation comme quelque chose de très subtil et difficile à réaliser car, lorsque nous n’y prêtons pas attention, il ne nous apparaît pas et, lorsque nous le cherchons, il semble exister au sein même des agrégats. Si nous marchons au bord d’une falaise, nous avons très peur de tomber ; à cet instant précis, nous ne distinguons pas notre corps de notre esprit, nous pensons simplement « je risque de tomber » et l’objet de réfutation nous apparaît alors clairement. D’une manière analogue, si nous voyons un cheval galopant, nous n’avons pas de pensée qui distingue l’esprit du cheval de son corps, nous pensons simplement « le cheval galope », nous ne pensons pas que l’esprit du cheval galope, ou que le corps du cheval galope. Cette pensée conceptuelle d’une entité concrète « cheval » qui galope est le signe de l’apparence de l’objet de réfutation. Si nous faisons fi de l’apparence réelle de l’objet de réfutation –du soi solide qui existe au sein des agrégats sans être l’un d’entre eux- et essayons de réfuter quelque chose d’autre, un objet de réfutation créé mentalement, cela ne sera pas suffisant, parce que ce que nous imaginons être l’objet de réfutation n’est pas le véritable objet de réfutation et, ce faisant, nous ne nous rapprochons même pas de la réalisation correcte. La manière dont l’objet de réfutation apparaît est la même pour tous les êtres ordinaires, il se confond toujours avec l’apparence conventionnelle. Lorsque qu’un être ordinaire regarde un

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pilier, il ne peut le scinder en deux parties, l’une existant véritablement, l’autre existant conventionnellement. L’esprit de cet être ordinaire est pollué par l’ignorance de sorte que tout ce qui lui apparaît est constamment amalgamé à l’apparence de l’existence véritable et l’apparence conventionnelle. Lorsque nous pensons à un pilier, nous pouvons accepter qu’il n’existe pas véritablement, mais lorsque nous ne faisons que l’observer, sans réfléchir, il nous apparaît comme existant véritablement. Quand le pilier simplement apparaît, survient l’apparence de l’existence concrète, laquelle constitue le signe de l’existence véritable du pilier. Le yogi Djang-rap Dordjé a dit : « Nous, les débutants à l’esprit clair, négligeons l’apparence actuelle, évidente, de l’existence véritable et cherchons un autre objet de réfutation. Nous sommes en quête d’un objet de réfutation doté de deux cornes et d’une queue. » Or, si nous passons à côté de l’objet correct, quelle sorte d’objet de réfutation devons-nous rechercher ? Avant de méditer le « je » qui n’existe pas véritablement comme étant un ou comme étant multiple, nous devons pouvoir nous faire une idée de la façon dont apparaît le soi existant véritablement. Reconnaître l’existence véritable est de la plus haute importance – c’est la raison pour laquelle les yogis du passé ont dit : « Je serais ravi d’arriver à identifier l’existence véritable et comblé de réaliser son absence. » Lorsque nous serons en mesure d’identifier correctement l’existence véritable et de réfuter son existence en relation avec la personne et avec les autres phénomènes, nous parviendrons finalement à réaliser l’absence d’existence véritable. Il est dit que toute chose apparaît à un être ordinaire comme existant véritablement. S’il en est ainsi, un être ordinaire a une perception avérée qui appréhende la couleur bleue comme étant le bleu (perception correcte) mais c’est une perception erronée parce que le bleu apparaît à une telle perception comme existant véritablement. Afin d’aplanir le doute qui peut s’élever, nous pouvons dire que la perception avérée qui appréhende le bleu est avérée mais, alors que le bleu semble exister véritablement, cela ne veut pas dire que la perception avérée l’appréhende comme existant véritablement. La perception avérée n’est pas une perception de l’existence véritable, c’est une perception erronée en regard de son objet apparaissant : la couleur bleue. Un étudiant : Est-ce que nous parlons de perceptions conceptuelles ou de perceptions sensorielles ? Guéshé-lag : Les perceptions avérées ne sont pas constituées des seules perceptions sensorielles, elles comprennent les perceptions mentales et les perceptions inférentielles. La perception avérée conceptuelle qui appréhende le bleu n’est pas une perception conceptuelle de l’existence véritable, même si le bleu lui apparaît comme existant véritablement. Un étudiant : Est-ce que le bleu apparaît comme existant véritablement à la perception sensorielle ? Guéshé-lag : Oui, mais une telle perception ne conçoit pas. Un étudiant : Si l’existence véritable est imputée de façon conceptuelle, comme peut-elle apparaître à la perception visuelle ? Guéshé-lag : Lorsque le bleu apparaît à la perception visuelle comme existant véritablement, il y a le simple fait que le bleu apparaît et sitôt apparu, coexistent déjà l’apparence du bleu et l’apparence de l’existence véritable. A un niveau grossier, l’on peut dire que « la simple apparence du bleu » signifie que la couleur bleue apparaît et « l’apparence de l’existence véritable à la perception visuelle » veut dire que le bleu semble exister vraiment sans dépendre de causes et de conditions. Ceci est formulé par des mots, mais l’expérience proprement dite est indescriptible. Quand elle commence à réfuter le soi concret existant au sein des agrégats, une personne ordinaire risque d’aller jusqu’à nier la personne elle-même. Elle a l’impression en effet qu’il n’y a pas de personne du tout parce que, lorsqu’elle envisage la vacuité d’un soi concret, elle ne peut admettre qu’il y ait quoique ce soit qui existe là. Quand nous disons qu’il y a un soi et que tout

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opère en fonction d’un agent, d’une action et d’un objet, nous avons une certaine idée du soi mais, plus tard, lorsque nous étudions des raisonnements qui visent à prouver l’absence d’existence d’un soi concret au sein des agrégats, nous perdons cette idée d’un soi qui fonctionne en tant qu’agent, action et objet. Le soi réel existe constamment, tandis que pour quelqu’un qui étudie cette théorie, le soi réel semble cesser d’exister. Quand nous passons ensuite au stade suivant – savoir que le soi n’existe pas véritablement, mais qu’il existe conventionnellement- nous réalisons qu’il y a bien quelque chose qui existe. Identifier l’objet de réfutation est essentiel. Si nous voulons attraper un fantôme, il nous faut savoir à quoi ressemble un fantôme. Dans les monastères, au Tibet, l’on débattait beaucoup sur la vacuité, puis, certains moines se retiraient dans des lieux calmes et isolés pour la méditer. Lorsqu’ils étaient de retour, certains leur demandaient : « Avez-vous réalisé l’absence d’existence véritable ? » Leur réponse ressemblait plus ou moins à : « Pas le moins du monde, je n’ai même pas été en mesure d’identifier l’existence véritable. » Tout apparaît comme si cela existait véritablement, mais il est difficile de se figurer à quoi ressemble l’existence véritable. Il est important de reconnaître l’objet de réfutation, car grâce à cela, nous pouvons méditer correctement la vacuité. Sans cela, notre méditation n’aurait pas le moindre support et nous pourrions conclure que la vacuité est synonyme de néant. Or nous avons étudié que la vacuité implique quelque chose. Nous voulons nous affranchir de l’existence cyclique, nous voulons faire l’expérience de la libération, la seule clé pour y parvenir est la méditation sur la vacuité. Dans ma classe, au monastère de Séra djé, il y avait un moine qui, dès qu’il entendait les autres moines parler de tantra, manifestait de la répugnance. Si quelqu’un prétendait pratiquer Vajra Yogini, ce moine en parlait avec dédain. En fait, ce guéshé avait compris combien il était important de reconnaître la vacuité. Il est étrange que nous allions écouter autant d’enseignements sur le tantra. Si nous concentrions tous nos efforts sur l’étude des sujets des soutra que sont la bodhicitta et la vacuité, nous progresserions beaucoup plus parce qu’après avoir reçu des enseignements tantriques, notre intérêt pour l’étude de ces points diminue. En Europe, nombreux sont ceux qui font des retraites tantriques et très rares ceux qui méditent la bodhicitta et la vacuité ; c’est d’ailleurs la même chose en Asie, occidentaux et asiatiques se comportent tous plus ou moins de la même façon. D’un autre côté, il y a certaines raisons à cela. Il est dit qu’il est difficile de réaliser la bodhicitta et la vacuité maintenant, aussi devons-nous agir vite pour obtenir une renaissance dans une terre pure pourvue des conditions favorables à la pratique et c’est pourquoi nous empruntons la voie tantrique. Vu sous un certain angle, cela a du sens, mais ce n’est pas forcément très juste parce que si nous disposons des éléments sur la façon de méditer la vacuité et la bodhicitta, il est vraiment navrant que nous ne nous les utilisions pas dès à présent. Quelqu’un qui ne connaît rien de ces sujets n’est absolument pas en mesure de méditer la vacuité et la bodhicitta, or nous en avons une certaine connaissance, nous pouvons méditer, aussi devrions-nous nous efforcer de le faire. Même au cours de la pratique tantrique, il y a des moments où l’on est amené à méditer la vacuité, comme au cours de la pratique des trois corps. Lorsque nous méditons la vacuité, il est essentiel d’avoir reçu une explication orale d’un enseignant. Recevoir la transmission orale d’une lignée (oupadisha) signifie recevoir le texte en relation avec de grands êtres du passé, comme Lama Tsong Khapa. Les conditions internes de purification et d’accumulation de mérites nous sont également nécessaires. Le simple fait de réfléchir à la vacuité permet de purifier de nombreux karmas négatifs. Il est difficile de réaliser la vacuité sans avoir, au préalable, accumulé du potentiel positif et purifié. Même après avoir reçu une instruction orale, si nous essayons de méditer sans avoir purifié notre esprit, de nombreux obstacles peuvent surgir.

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Dès que l’on identifie correctement l’objet de réfutation, il est dit que la difficulté à comprendre la vacuité est mineure. Il est indiqué également qu’il n’y a pas à chercher bien loin l’objet de réfutation, il se trouve au sein de notre propre corps, de notre propre esprit et d’une manière analogue, la vacuité n’est pas éloignée, elle est juste là, en nous.

ii. Etablir le recouvrement L’objet qui est à réfuter peut être identifié, mais c’est quelque chose qui ne peut être réalisé par une perception avérée. Identifier l’objet de réfutation veut dire que l’on se représente la façon dont l’objet de réfutation existerait s’il existait en réalité. Nous y pensons et une image mentale (une généralité du signifié) de l’objet de réfutation apparaît à notre esprit, c’est de cette manière que l’objet de réfutation est identifié. Reconnaître l’objet de réfutation implique que, d’abord, nous nous disions à nous-mêmes : « Il y a cette saisie innée du soi qui a sa manière à elle de saisir le soi concret ; si le soi existait de cette façon, il devrait ressembler à ceci… » Si le « je » existe de manière intrinsèque, il devrait exister de la manière dont il apparaît à la saisie innée du soi, c'est-à-dire exister de façon indépendante, exister de son propre côté. S’il y avait un soi existant de manière inhérente, il devrait soit faire un avec sa base d’imputation -les agrégats, soit en être distinct. Cet argument logique nous amène à comprendre que si le « je » existe en soi ou de manière intrinsèque, il est alors forcé d’exister soit en étant un avec les agrégats, soit en étant distincts d’eux, il n’a pas de troisième possibilité. Nous pouvons admettre ceci même au niveau conventionnel. De la même façon, si la personne existait de manière intrinsèque, elle devrait être soit une avec les agrégats, soit distincte d’eux. A l’aide de cette analyse, nous réfléchissons à ce que, si le « je » existant de manière intrinsèque était réel, il devrait être soit un avec sa base d’imputation –les agrégats- soit distinct d’eux, et s’il n’est aucune de ces deux alternatives, c’est qu’il doit être inexistant. Comprendre ce recouvrement constitue le deuxième point important.

iii. Montrer les aberrations qu’entraînent l’existence intrinsèque d’un soi qui serait un avec les agrégats

Si le « je » existant de manière intrinsèque qui apparaît à la saisie innée du soi était un avec les agrégats, le premier écueil serait que le soi et les agrégats devraient exister véritablement comme étant un. Cela conduit à l’aberration que le soi et les agrégats sont totalement indissociables. Le soi et les agrégats ne peuvent exister véritablement comme étant un, parce qu’ « exister véritablement comme étant un » indique quelque chose qui existe véritablement comme un objet unique, et nous ne pouvons affirmer que deux choses existent véritablement comme étant une seule et même entité mais portant des noms différents. Cet argument, quant à l’existence véritable comme étant un, n’a pas de sens. Un débat sur « être une même entité et avoir des noms différents » ne peut s’appliquer qu’à des phénomènes qui n’existent pas véritablement, c'est-à-dire qui existent « faussement ». Selon les Madhyamika Prasangika, par exemple, « produit » et « impermanence » existent faussement, ils n’existent pas véritablement, ils sont une même entité mais ont des noms différents. Ils sont une même entité car tout phénomène produit ou tout produit est forcément impermanent et tout ce qui est impermanent est nécessairement un produit. Tout ce qui se désagrège instant après instant est un phénomène produit par des causes et des conditions et cela même indique que c’est quelque chose de momentané et d’impermanent. C’est ainsi qu’il convient de comprendre deux choses comme

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étant une même entité. L’autre aspect est simple : ils diffèrent de par leur nom seulement parce qu’il leur a été attribué les termes différents de « produit » et d’« impermanent ». De même que nous avons avancé une seule entité sur un produit et un phénomène, nous pouvons également avancer une seule entité sur n’importe quel groupe de phénomènes dont les noms sont synonymes. Si un objet est une seule chose exclusivement, il doit toujours être une même entité et avoir un seul nom ; il ne peut être multiple. S’il y a plusieurs noms, ils ne peuvent alors exister comme étant véritablement un. En outre, si quelque chose existait véritablement, ses deux modes devraient être compatibles : le mode d’apparence et le mode d’existence réel devraient être le même (mode). De plus, si quelque chose existait véritablement, il devrait aussi exister dans son propre état ultime, de par ses caractéristiques propres. Tout ce qui voit ses deux modes (son mode d’apparence et son mode d’être) concorder doit exister réellement. La personne et les agrégats nous apparaissent comme étant distincts et ainsi nous devons dire qu’ils existent de façon différente et qu’il s’agit de phénomènes différents. L’écueil vient de ce que si la personne et les agrégats existaient véritablement comme étant un, ils devraient alors nous apparaître comme un seul phénomène, et non pas apparaître distincts. Nous pouvons aisément admettre que la personne et les agrégats sont différents. Si tous deux existaient véritablement, ils devraient nous apparaître comme étant distincts, mais s’ils existaient véritablement en étant un, ils ne devraient pas nous apparaître comme étant deux choses distinctes. Ainsi, ils n’existent pas véritablement comme étant un.

Une autre manière d’aborder ce premier écueil est de considérer que lorsque nous disons « mes agrégats », est-ce que nous disons cela en pensant que les agrégats sont distincts de nous ou en pensant qu’ils sont la même chose que nous-mêmes ? Si les agrégats et le soi sont un, il ne devrait y avoir aucune distinction quand on parle des « agrégats », du « je », etc. Ils existeraient véritablement comme une seule et même chose. De plus, si la personne et les agrégats existaient véritablement comme étant un, il serait inapproprié de parler des agrégats qui seront endossés au cours d’une vie future, ou du soi qui reprendra naissance, car le sujet, le soi, qui endosse l’objet et les agrégats de la vie future sont un. De même, si la personne et les agrégats existaient véritablement comme étant un, surgit cette aberration que le corps et la personne qui fait un avec le corps devienne une seule et même chose.

Il existe de multiples façons de mettre en lumière les mêmes erreurs : en disant que le possesseur (le « je ») et l’objet possédé (les agrégats) sont un ; ou encore que le jouisseur (le « je ») et l’objet de jouissance (les agrégats) deviennent la même chose.

Une manière encore de faire ressortir l’aberration est de dire que si la personne et les agrégats existent véritablement comme étant un, il devrait y avoir autant de personnes qu’il y a d’agrégats. Une personne peut avoir cinq agrégats, de sorte que s’ils existaient véritablement comme étant un, il devrait y avoir cinq sois. Ou encore, si la personne et les agrégats existaient véritablement comme étant un, les cinq agrégats devraient tous être un, tout comme il n’y a qu’un seul soi. Un étudiant : Pourquoi est-ce que ce qui « existe véritablement comme étant un » doit être un sous tous les angles ? Guéshé-lag : Selon l’école des Conséquentialistes, si les choses existent véritablement comme étant un, elles deviennent une entité solide, on ne peut pas dire alors qu’il s’agit de phénomènes dépendants. Lorsque le je passe de cette vie vers la prochaine, il y a un lien, car nous avons besoin de nous doter d’une nouvelle série d’agrégats. L’erreur vient de ce que si le soi et les agrégats existaient véritablement comme étant un, il n’y aurait nullement besoin d’un lien entre cette vie et la prochaine.

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Une autre erreur consiste dans le fait que si le soi et les agrégats existent véritablement comme étant un, lorsque nous mourons et que notre corps est incinéré, le soi devrait l’être aussi simultanément. Ou bien, de même que le soi continue vers la prochaine existence, les mêmes agrégats devraient également perdurer dans la vie prochaine s’ils existaient véritablement comme étant un avec le soi. Une erreur encore vient de ce que le soi ne peut reprendre de nouvelle naissance car l’agrégat de la forme cesse et se transforme en poussière. Par ailleurs, quelqu’un qui meurt et prend renaissance dans le monde du sans forme doit voir l’ensemble de ses cinq agrégats y renaître également puisqu’ils existent véritablement comme étant un avec le soi. Une autre faille réside dans le fait que l’esprit relève de l’agrégat de la conscience et que si les agrégats et le soi existent véritablement comme étant un, le je et l’agrégat de la conscience devrait être un objet unique. Si tel est le cas, lorsque nous avons froid ou chaud, nous devrions dire : « mon esprit a froid », « mon esprit a chaud ». Nous parlons habituellement de « mon esprit » et de « mon corps », mais si le soi et les agrégats existent véritablement comme étant un, ces expressions seraient incorrectes, voici une autre aberration. Un autre écueil encore est que si le soi et les agrégats existent véritablement comme étant un, il devrait toujours n’y avoir qu’une seule chose quelle que soit la situation spatiale et temporelle. Une autre erreur vient de ce que si le soi présent et les agrégats existent véritablement comme étant un, tous les sois passés qui ont endossé d’autres séries d’agrégats sont également un ; il y a ainsi une série d’agrégats, une renaissance, un soi, un objet, une unité. Une question s’élève ici : « Nous avons un soi d’être humain, or si nous avons pris renaissance comme animal dans le passé, nous devrions avoir un soi animal, ainsi est-ce que ce soi animal et le soi humain présent sont un ou sont distincts ? Si le soi animal et le soi humain existent véritablement comme étant un, le soi humain actuel doit être affligé de la même souffrance que le soi animal : il doit être lourd et abêti. Par ailleurs, le soi animal passé doit avoir fait l’expérience des capacités humaines d’intelligence et de parole. Nous pouvons avoir recours à la même argumentation en ce qui concerne les autres états d’existence. S’il est dit que le soi animal passé et le soi humain actuel n’existent pas véritablement comme étant un, mais sont distincts, ces deux sois seraient alors complètement différents et n’entretiendraient pas la moindre relation, ni relation temporaire, ni relation durable ; l’un ne dépendrait pas de l’autre parce qu’il n’y aurait pas du tout de connexion entre eux. Par ailleurs, si ces deux sois existaient véritablement comme étant distincts, il n’y aurait pas de lien entre cette vie et les vies passées et il serait impossible pour un yogi de se remémorer les existences antérieures. Si ces deux sois étaient foncièrement différents, le soi actuel aurait dû exister à l’époque du soi passé, il n’y a pas de raison que le soi présent n’existe pas à cette période et, dans ce cas, il ne serait pas juste de dire que celui qui crée des causes karmiques en expérimentera les résultats à l’avenir, parce que la personne qui crée la cause et celle qui fait l’expérience du résultat sont complètement différentes. Ce serait comme si les actions karmiques étaient perdues car leurs résultats ne sont pas vécus par la personne qui les a engendrées. De plus, si ces deux sois étaient totalement différents, la personne à venir qui expérimenterait les résultats ne serait pas la bonne, parce qu’il n’y a aucune relation avec la personne passée, aussi pourquoi la personne future devrait-elle vivre les résultats karmiques de la personne passée ? Ce serait comme si la personne passée avait créé une cause et qu’une personne

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future complètement distincte en expérimenterait le résultat ; ceci n’est pas possible. Ces aberrations sont évoquées dans les textes de Nagarjouna et de Chandrakirti et nous devrions y réfléchir attentivement. Ces textes mentionnent que si nous souhaitons réaliser la vacuité, nous devons accorder beaucoup de valeur à ces fautes de logique. Chez les Conséquentialistes, lorsque l’on médite la vacuité avec sérieux, il convient de réfléchir à toutes ces aberrations au sujet des agrégats et du soi existant véritablement comme étant un et dans chacun des cas, nous arrivons au point suivant : « Si ceci était ainsi (existence véritable comme étant un), cela serait ainsi, mais il n’en est rien, car … » Après avoir appliqué ces arguments logiques, l’on en vient à établir qu’il n’existe pas de soi existant véritablement comme étant un avec les agrégats et cela constitue la réalisation du troisième point important.

iv. Montrer les aberrations qu’entraînent l’absence d’existence véritable d’un soi qui serait distinct des agrégats

Si le méditant pense qu’il y a un soi existant véritablement qui existe de façon distincte des agrégats, il doit se débarrasser également de cette idée, parce que si le soi existant véritablement était différent des agrégats, le soi et les agrégats n’auraient pas la moindre relation. Les agrégats et le soi ne reposeraient pas l’un sur l’autre, ils n’auraient pas de relation de dépendance, à l’instar d’un pilier et d’un vase. Cette illustration est claire ; il est facile de prouver l’absence de relation entre un pilier et un vase : il suffit de détruire physiquement ou mentalement le vase pour se rendre compte que le pilier existe toujours. Ainsi, si le soi existant véritablement était distinct des agrégats, en détruisant les agrégats l’un après l’autre, devrait rester la personne. Or lorsque les agrégats sont éliminés l’un après l’autre, la base d’imputation du soi est éliminée et il ne reste rien qui peut être montré du doigt comme étant la personne. D’un autre côté, quand les agrégats sont endommagés, la personne en est affectée et cela prouve que la personne et les agrégats entretiennent bien une relation de dépendance. Si la personne et les agrégats n’avaient strictement rien à voir l’un avec l’autre, il nous faudrait dire que la personne n’a pas la faculté de grandir, de tomber malade de mourir etc., parce que ce sont des caractéristiques des agrégats. Une autre erreur vient de ce que lorsque les agrégats sont blessés, que le corps présente une lésion par exemple, il nous faudrait dire que cela n’affecte pas du tout la personne puisque personne et agrégats ne sont absolument pas reliés. Par ailleurs, nous ne pouvons concevoir de reconnaître un autre phénomène comme étant le soi –en disant « je suis ici »- parce que le « je » ne peut être identifié qu’en relation avec les agrégats, il n’est associé avec aucun autre objet. Si le soi et les agrégats étaient complètement indépendants, cela conduirait à cette aberration que les karmas sont perdus, c'est-à-dire non expérimentés, et que d’autres personnes feraient l’expérience de karma qu’elles n’ont pas créés. Lorsque nous méditons ces raisonnements logiques, l’idée se confirme petit à petit que le soi existant véritablement n’est ni un avec les agrégats, ni distinct des agrégats. Quand ceci est clairement déterminé, nous réalisons que le « soi existant véritablement », qui apparaît à la saisie innée du soi n’existe absolument pas. Si le soi existant véritablement existait en réalité, il devrait être soit un avec les agrégats, soit différent d’eux, or le yogi ne découvre aucune de ces deux relations. Le pratiquant réalise aussi que le soi existant véritablement n’a pas de troisième possibilité d’exister, parce que s’il existait d’une quelconque manière, il faudrait que ce soit en étant soit un avec les agrégats, soit distincts d’eux. Cela a été démontré précédemment. Nous pouvons utiliser un exemple pratique pour simplifier. Si vous perdez votre montre, vous pouvez d’abord déterminer qu’elle doit se trouver dans une des deux pièces. Si vous fouillez

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une pièce et ne parvenez pas à la trouver, puis la seconde pièce et ne la trouvez pas non plus, vous concluez que « la montre perdue » n’existe pas. De la même façon, vous pouvez penser au soi existant véritablement, avoir une image concrète du « je », puis chercher cette image dans les deux endroits où il est susceptible d’exister. Vous le chercher au sein des agrégats, puis quelque part en dehors des agrégats et, ne le trouvant nulle part, vous parvenez à la conclusion certaine que le soi existant véritablement, qui paraît exister de façon si concrète et solide, n’existe nulle part où il serait susceptible d’exister ; en réalité, il n’existe pas. C’est à ce stade que l’objet de négation est en fait réfuté et nous sommes en mesure à présent d’approcher la réalisation de la vacuité. Un étudiant : Il est dit que pour les Prasangika, la saisie innée du soi, qui est la source de l’existence cyclique, correspond à la saisie du soi de l’existence véritable, or acceptent-ils d’autres saisies innées du soi qui ne relèvent pas de la saisie du soi de l’existence véritable, comme par exemple, la saisie d’une personne autonome et substantielle ? Guéshé-lag : Les Prasangika n’admettent pas que la saisie innée de la personne existant de façon autonome et substantielle soit la source de l’existence cyclique. Ils estiment toutefois que cette saisie est bien innée.

b. Exposé du manque d’existence en soi du « mien »

Nous venons d’établir l’absence d’existence intrinsèque du « je » mais avons encore à discuter de l’absence d’existence inhérente du « mien ». Ceux qui aspirent à réaliser la vacuité doivent à présent revenir à l’analyse en quatre points. Il est dit qu’une fois que l’absence d’existence intrinsèque du « je » est bien établie, il est facile d’établir celle du « mien ». Si nous comprenons déjà qu’une femme stérile n’a pas de fils, il est aisé de comprendre l’absence d’existence du nez du fils de la femme stérile. De la même façon, si nous réalisons qu’il n’y a pas de « je » existant véritablement, il est facile de réaliser qu’il n’existe pas d’objets existants véritablement dont jouit un soi existant véritablement. Quand nous réalisons l’absence d’existence intrinsèque du soi, nous appliquons le même type de raisonnement à tous les êtres, des êtres des enfers jusqu’aux bouddhas, et lorsqu’il devient clair qu’aucun être n’existe de façon intrinsèque, il est facile d’établir qu’ils n’ont pas le moindre « mien » qui existe de manière intrinsèque. Le « mien » est l’objet référent pour le deuxième type de saisie du soi personnel (Tib. Djik-ta) -le premier observant le « je ». Ce « mien » est la généralité des différentes sortes de « mien » : mon nez, mes yeux, etc. Il ne fait pas référence à tous ces « miens » spécifiques, il s’agit seulement de l’idée générale : « mes biens dont je jouis ». Un étudiant : Est-ce que la généralité « mien » fait référence seulement aux parties des agrégats ou est-ce qu’elle inclut « ma voiture », « ma maison » etc. ? Guéshé-lag : Elle ne comprend que le « je » et le « mien », pas les autres choses comme votre voiture. La saisie du soi personnel du « mien » observe également le « je » -elle ne regarde même pas des biens donnés, tels que les mains, les jambes etc. Elle appréhende le « je » parce que c’est une saisie de la personne. C’est une saisie du soi personnel et une saisie du soi de la personne, elle prend donc forcément la personne comme son objet. Aucun commentaire n’est donné sur cette section, car les raisonnements logiques ont tous été avancés lorsqu’a été établie l’absence d’existence intrinsèque du je.

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c. Comprendre la manière dont le soi apparaît comme un phénomène illusoire au vu des raisonnements précédents

La conclusion de l’analyse en quatre points qui permet d’établir le non soi de la personne est la suivante : - Concernant l’objet de réfutation, un être ordinaire aura une apparence d’un soi existant de son propre côté, ne dépendant pas de causes et de conditions et, tout comme la personne paraît exister de cette manière, nous tenons cette apparence pour vraie ; c’est la saisie du soi de la personne. Si nous réfléchissons à cela, il est évident que la personne n’existe pas de façon autonome, mais lorsque nous n’y réfléchissons pas attentivement, la personne paraît exister de manière autonome. Ceci est la saisie innée du soi de la personne. Après analyse, nous nous rendons compte qu’il n’y a pas de personne qui a une existence en soi, quand nous avons réalisé cela, l’objet de réfutation est établi. Nous comprenons qui, si une personne avait une existence autonome, elle ne dépendrait pas de causes et de conditions puisqu’elle existerait véritablement. - Si le soi autonome existait, il devrait exister soit en existant véritablement comme étant un, soit en existant véritablement comme étant multiple, puisque ces deux catégories, un ou multiple recouvre tous les modes d’existence. Lorsque nous comprenons cela, nous établissons le recouvrement. - Si la personne existe véritablement et est inséparable des agrégats, elle doit être anéantie lorsque les agrégats sont détruits. - Si la personne existe véritablement et est complètement distincte des agrégats, elle ne doit avoir aucun lien avec eux. Or, nous réalisons que la personne a un lien avec les agrégats. Lorsque les Conséquentialistes disent que les agrégats constituent la base d’imputation de la personne, cela ne veut pas dire que la personne est les agrégats, cela signifie que la personne est imputée en dépendance de l’apparence des agrégats. La personne est une simple imputation attribuée à l’apparence des agrégats. D’une manière générale, ce qui existe est la personne conventionnelle, le je conventionnel. C’est ce qui vient du passé, passe dans le futur, crée du karma et fait l’expérience de son résultat. Les Conséquentialistes considèrent que la personne est le simple je imputé sur cette base, les cinq agrégats, et que lorsque l’on cherche la personne par l’analyse, elle ne peut être trouvée sur la base d’imputation, de même qu’aucun phénomène ne peut être trouvé sur sa propre base d’imputation. L’examen complet du corps ne permet pas de trouver la personne puisque aucune partie du corps n’est la personne. Elle n’est pas retrouvée non plus au sein des sensations puisque aucune sensation donnée n’est la personne etc. L’analyse en quatre points constitue une méditation très approfondie du non soi de la personne. L’espace est une illustration de la vacuité souvent utilisée, parce que lorsque nous cherchons l’espace lui-même, nous ne pouvons trouver aucune couleur, aucune forme que nous pourrions pointer du doigt comme étant l’espace. La seule chose que nous pouvons réaliser par rapport à l’espace, c’est que c’est un phénomène dépourvu d’élément obstructif ; notre esprit ne peut s’accrocher à rien d’autre qu’à cela. De la même façon, lorsque nous réalisons la vacuité pour la première fois, nous réalisons que c’est seulement le fait que la personne est dénuée d’existence véritable, notre esprit atteint la limite de la vacuité. Initialement, nous cherchons à trouver le soi autonome, puis après quelques temps nous réalisons qu’il ne peut être trouvé, un sentiment de vide emplit notre esprit et nous réalisons la vacuité du soi. A ce stade, la concentration sur l’état de vide est appelée la méditation sur la vacuité

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semblable à l’espace. Lorsque nous venons de réaliser nouvellement la vacuité, l’esprit fait un avec la vacuité et l’on ne pense pas : « je médite la vacuité », il y a seulement l’esprit réalisant l’état de vide. Si nous pensons « je suis en train de réaliser la vacuité », l’objet de notre esprit prend alors des aspects négatifs ou positifs. La seule chose présente à l’esprit à ce moment-là est que tout est dénué d’existence en soi. Au cours de la contemplation de la vacuité semblable à l’espace, nous pouvons réunir deux des quatre attributs décrits dans la méditation tantrique sur les quatre kayas. Le premier d’entre eux est le fait que le phénomène est dénué d’existence intrinsèque et le deuxième, que du côté du sujet il est réalisé que le phénomène est dénué d’existence intrinsèque. Aussi longtemps que nous appréhendons l’objet de cette manière, nous demeurons dans la concentration de la vacuité semblable à l’espace. Si nous souhaitons renforcer ces deux attributs au cours de la session, il nous faut revenir à l’analyse en quatre points : établir l’objet de réfutation, établir le recouvrement, établir que l’objet est dénué d’existence véritable comme étant un et comme étant multiple. Après avoir consolidé les deux (premiers) attributs, nous disposons d’une concentration parfaite sur la vacuité semblable à l’espace, parce que du côté de l’esprit qui réalise que l’objet est dénué d’existence intrinsèque, nous avons une bonne intensité, et que du côté de l’objet dénué d’existence intrinsèque il y a une grande clarté. Ces deux aspects combinés contribuent au maintien de la concentration sur une longue durée. Lorsque nous réalisons la vacuité pour la première fois, nous savons que la personne n’existe pas de manière intrinsèque. S’il nous était demandé : « Est-ce que la personne conventionnelle apparaît à cet esprit qui réalise que la personne n’existe pas véritablement ? » La réponse est non. Il en est ainsi parce que le yogi est en train de réaliser la vacuité pour la première fois, et jusqu’alors il était habitué à confondre la personne existant véritablement et la personne existant conventionnellement, ces deux lui apparaissant toujours comme étant une, sans distinction, et il était dans l’incapacité de les différencier. A présent, au moment de la réalisation de la vacuité, la personne existant conventionnellement semble s’évaporer, car jusqu’alors le pratiquant a toujours perçu deux « personnes » apparaissant comme une seule. Le yogi n’a réfuté que la personne existant véritablement, pas la personne existant conventionnellement, celle-ci paraît toutefois s’évaporer parce qu’elle cesse de se manifester à cet esprit au vu de la réfutation de la personne existant véritablement. En réalité, la personne existant conventionnellement n’est pas réfutée, même s’il paraît en être ainsi. Au moment où est réfutée la personne existant véritablement, s’élève le sentiment qu’il n’y a pas de personne, il n’y a, en outre, pas d’apparence de la personne existant conventionnellement. C’est le moment où il est dit que la peur peut surgir, lors de la première réalisation de la vacuité, parce qu’il y a ce sentiment que la personne n’existe pas du tout. Lorsque survient cette peur cela ne veut pas dire que ce pratiquant a réalisé qu’il n’y a plus de soi ; il s’agit juste d’un sentiment qu’il n’y a plus de soi. Après avoir médité ainsi, l’on examine ce qui demeure après cette réfutation de la personne existant véritablement et l’on réalise que la seule chose qui reste c’est la personne existant conventionnellement. Ces méditations sur la vacuité constituent la concentration sur la vacuité semblable à l’espace. Elles sont suivies d’un état post-méditatif souvent appelé « la post-méditation semblable à l’illusion ». Au cours de la phase de post-méditation, l’on renforce sa conviction que le soi existant conventionnellement subsiste après la réfutation du soi existant véritablement. En confirmant la présence du simple « je » au cours de la phase post-méditative, nous établissons qu’il n’y a qu’un simple je et qu’il n’y a pas de personne existant véritablement. La période de post-méditation est dite semblable à l’illusion, car elle ressemble à ce qui se produit, lorsque sous l’effet d’un mantra, un magicien fait apparaître un cheval illusoire à partir d’une substance magique ; le cheval semble exister, mais le magicien sait que c’est juste une

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illusion. C’est un exemple de quelque chose qui semble exister, mais qui n’existe pas réellement. De la même façon, au cours de la phase post-méditative semblable à l’illusion, même si l’on a réalisé la vacuité, subsiste encore l’apparence de l’existence véritable, mais ici, le yogi ne se laisse pas abuser par cette apparence. Il ne saisira jamais cette apparence des phénomènes existant véritablement, il pense que l’apparence est aussi illusoire que la création du magicien. Chacun sait que le cheval magique n’est pas réel, or il accomplit toutefois toutes les actions courantes d’un cheval. D’une manière analogue, le soi qui n’existe pas véritablement fonctionne également comme à l’ordinaire. C’est un soi qui est faux, mais qui crée néanmoins du karma et fait l’expérience de ses résultats. Dans cette situation, le yogi réalise simultanément deux choses : le vide et l’apparence. Il prend conscience que les phénomènes sont dénués (= vides) d’existence véritable et que les phénomènes semblent exister véritablement bien que ce ne soit pas le cas. Puisque vide et apparence vont de pair, cette phase est connue comme « la période post-méditative semblable à l’illusion ». Le vide et l’apparence peuvent aussi être appréhendés à l’aide de ce qui apparaît sur l’écran d’un téléviseur. Bien que de nombreuses personnes apparaissent à l’écran, nous savons qu’il est « vide » de ces gens. Ce sont les choses auxquelles il convient de réfléchir durant la phase post-méditative. Au cours de la session de méditation proprement dite, l’esprit reste au repos sur l’état de vide ; durant la période de post-méditation de nombreuses choses se produisent, mais l’on a toujours conscience de la réalité. Il est dit que lorsque l’on cherche à développer la vue correcte de la vacuité, il est extrêmement difficile de poser son esprit sur les phénomènes dénués d’existence véritable parce que nous avons une si grande habitude de saisir l’existence véritable. Notre esprit est tellement accoutumé à concevoir l’existence véritable que nous ne parvenons pas à nous approcher de la façon correcte de réfléchir. Aussi, quand nous établissons la vacuité pour la première fois, il est difficile d’affirmer l’apparence. D’un côté c’est vide, mais en même temps cela apparaît ; il est difficile de concilier le « vide » avec l’apparence et la fonctionnalité. Après quelque temps cependant, nous réalisons que l’aspect de la vacuité et l’aspect de l’apparence s’étayent l’un l’autre. Nous sommes en mesure de comprendre que les phénomènes sont capables d’apparaître et de fonctionner parce qu’ils sont vides, et qu’ils sont dénués (vides) d’existence véritable parce qu’ils peuvent apparaître et fonctionner. Lorsque nous prenons conscience que le vide et l’apparence s’étayent mutuellement, nous réalisons que l’apparence peut dissiper l’extrême d’éternalisme et le vide, l’extrême de nihilisme. Nous arrivons à cela en comprenant que, puisque les phénomènes apparaissent de diverses façons en dépendance de causes et de conditions, forcément ils n’existent pas de manière inhérente ; c’est ainsi que l’apparence élimine l’extrême d’éternalisme. Lorsque nous voyons les apparences surgir au gré des causes et des conditions, les deux extrêmes sont balayés. L’extrême d’éternalisme est éliminé comme précédemment, l’extrême de nihilisme est dissipé car il est affirmé que les phénomènes existent en tant que productions dépendantes –ils existent en dépendance de causes et de conditions. La réalisation du vide d’existence véritable peut également balayer les deux extrêmes : la vue éternaliste est éliminée parce que « vide » signifie qu’il n’y a pas d’existence éternelle et la vue nihiliste est dissipée parce que nous avons dit que les phénomènes sont dénués (vides) d’existence véritable, ce qui signifie qu’ils existent, qu’ils ne sont pas dénués (vides) d’existence conventionnelle, qu’ils sont seulement vides d’existence véritable. Ceci établit leur existence conventionnelle et balaye l’extrême nihiliste. Lorsque nous disons « vides d’existence véritable » cela élimine l’existence éternelle et l’existence nihiliste (le néant). L’extrême d’éternalisme est éliminé par les termes mêmes de « vides d’existence véritable » et l’extrême de nihilisme l’est par la confirmation de l’existence conventionnelle – qui n’existe pas véritablement et ne dure pas éternellement.

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La compréhension qu’ont les Autonomes (Madhyamika Svatantrika) de l’argument que les phénomènes n’existent pas véritablement parce qu’ils sont des productions dépendantes est limitée par rapport à celle des Conséquentialistes. En effet, les Autonomes considèrent que « l’absence d’existence véritable » préserve seulement de l’extrême de l’éternalisme, et que « la production dépendante » préserve de celui du nihilisme. D’un autre côté, pour les Conséquentialistes, l’absence d’existence véritable élimine les deux extrêmes et il en est de même de la production dépendante. Au cours de la session de méditation, le yogi ne réfléchit pas à diverses apparences ou activités, comme de savoir si les choses existent ou non de manière intrinsèque. Il pose simplement son esprit sur le fait qu’elles sont dépourvues d’existence intrinsèque. La réflexion sur le fait que les phénomènes ont un agent, une action et un objet, même s’ils n’existent pas de manière intrinsèque, n’est menée qu’au cours de la phase post-méditative. Alors qu’un arya médite la vacuité, ne surgissent ni apparence dualiste, ni apparence d’existence véritable pas plus que les apparences d’existence conventionnelle (la vérité conventionnelle). Son esprit est posé sur la vacuité comme de l’eau mélangée à de l’eau. Lorsque le yogi sort de sa concentration, il sait que les choses n’existent pas véritablement. Néanmoins les apparences d’existence véritable se produisent encore et il perçoit les aspects conventionnels et leurs diverses fonctions en tant qu’agents, actions et objets. Avant d’avoir réalisé la vacuité, l’on saisit systématiquement l’apparence d’existence véritable, tout comme des enfants voyant des personnages à la télévision les saisissent comme existant là, réellement. Les adultes voient des images à la télé, mais ne saisissent pas ces apparences comme étant réelles, nous ne pensons pas qu’il y a des gens dans le poste de télévision. Durant la période post-méditative, de nombreuses choses surgissent à l’esprit, de sorte que cette période est décrite comme « l’état post-méditatif semblable à une illusion ».

i. Etablir le non soi des phénomènes autres que la personne

1. Réfutation reprenant les raisonnements exposés précédemment.

Les phénomènes autres que les personnes sont de deux types : phénomènes composés et non composés. Les phénomènes composés incluent les formes, les consciences ainsi que les facteurs composés non associés15. Le Bouddha a indiqué que lorsqu’on réalise que la personne n’existe pas de manière intrinsèque, il fallait orienter cette réalisation vers les autres phénomènes. Quand on a compris que le soi est dénué d’existence inhérente, il faut réaliser que, de la même façon, tous les autres êtres sont dépourvus d’existence intrinsèque. Après avoir réalisé l’absence d’existence véritable du soi, nous pouvons nous servir du même raisonnement pour établir l’absence d’existence véritable de tous les autres êtres. Lorsque nous avons utilisé un raisonnement spécifique pour accéder à l’absence d’existence véritable d’un phénomène particulier, nous pouvons appliquer la même analyse pour établir l’absence d’existence véritable des autres phénomènes. Il existe un nombre infini de raisonnements logiques que nous pouvons utiliser pour réaliser l’absence d’existence véritable. Nombreuses sont les argumentations logiques subtiles qui

15 Facteur ou phénomène composé non associé : phénomène qui ne relève ni exclusivement de la forme, ni exclusivement de l’esprit (ou de la conscience), comme la personne, le temps, les empreintes karmiques, etc.

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mettent en avant les incohérences de l’acceptation de l’existence véritable des phénomènes. Lorsque nous tenons un argument qui nous aide à comprendre l’absence d’existence intrinsèque d’un phénomène donné, il nous faut savoir que c’est ce même argument qui est à appliquer à tous les autres phénomènes. Cela n’implique pas, toutefois, que si nous réalisons l’absence d’existence véritable d’un phénomène particulier, nous réalisions la vacuité (l’absence d’existence véritable) de tous les autres phénomènes. La première fois, la vacuité est toujours réalisée en s’appuyant sur des raisonnements logiques qui entraînent tout d’abord une compréhension inférentielle. L’inférence n’est autre qu’une perception mentale conceptuelle, ce n’est pas une perception sensorielle. Une réalisation directe, non conceptuelle de la vacuité se produit seulement lorsque l’on accède au chemin de la vision, là où l’on réalise directement la vacuité en relation avec un seul phénomène, et où simultanément nous réalisons directement la vacuité de tous les phénomènes sans exception.

1- Comment méditer l’absence d’existence intrinsèque de la forme Lorsque des formes telles des formes visuelles, des sons, des odeurs, etc., apparaissent, elles semblent toujours exister vraiment. La seule cause à l’origine de cette apparence est que l’esprit des êtres ordinaires est pollué par les empreintes d’ignorance. Quand surgit cette apparence d’existence autonome, c’est ce mode d’apparence de l’objet qui est à réfuter pour un être ordinaire. Lorsque les êtres ordinaires réfléchissent à la production dépendante des formes telles que les goûts, les objets tactiles etc., ils peuvent concevoir qu’ils n’existent pas de manière intrinsèque, mais quand ces formes apparaissent à leur perception sensorielle correspondante, ils paraissent toujours exister véritablement. Lorsque cette apparence se manifeste, ce n’est pas quelque chose que nous pouvons éliminer parce qu’elle surgit, elle est là, elle est perçue par la perception sensorielle. L’objet à réfuter est le fait incorrect que les phénomènes existent de la manière dont ils apparaissent. D’une façon générale, tous les phénomènes sont des productions dépendantes en ce sens qu’ils sont de simples dénominations sur leurs objets de désignation. Même si les phénomènes sont dépendants et dépendent, soit de leur base d’imputation, soit du regroupement de leurs parties, lorsque les phénomènes tels que la forme apparaissent à la perception sensorielle d’un être ordinaire, ils paraissent toujours exister de manière autonome et jamais comme étant imputés, comme étant de simples étiquettes ou comme dénués d’existence intrinsèque. La forme apparaît à un être ordinaire comme si elle avait sa propre existence autonome en possédant deux aspects complètement amalgamés l’un à l’autre : le nom « forme » accolé à la base, et ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme. D’une manière globale, une base d’imputation, telle que ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme et le phénomène imputé, le nom « forme », sont bien des mots distincts, mais ils constituent une seule entité. Bien que telle soit la relation entre « forme » et « ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme» en réalité, la conception innée de l’existence véritable de la forme et de l’existence véritable de ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme considère la forme et ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme comme un phénomène indissociable qui existe de manière autonome. Si la forme existait de la façon dont elle apparaît à la conception innée de l’existence en soi de la forme, la forme devrait alors exister véritablement et il s’en suivrait que ces deux (mode d’apparence et mode d’existence) devraient exister comme une seule chose existant véritablement. Un tel cas impliquerait, que lorsque l’on réalise ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme, on réalise la forme et inversement que si l’on ne réalise pas la forme, l’on ne réalise pas ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme.

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La forme et ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme sont reliés l’un l’autre une fois seulement qu’il a été établi que le nom forme relevait de cet objet : ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme. A moins d’avoir défini cela, la première fois que nous voyons l’objet, nous ne pourrions comprendre immédiatement que le nom et l’objet sont reliés. Si la forme est indissociable de ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme, quelle erreur s’en suit-il ici ? Si ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme existait véritablement, cela devrait être indissociable du nom forme. Si nous réalisons l’un, nous devrions réaliser l’autre et si nous ne réalisons pas l’un, nous ne pourrions accéder à l’autre. En outre, si ces deux étaient des objets indissociables existant véritablement comme étant un, on se trouve face à cette contradiction qu’en réalité, ce sont des productions dépendantes : ils existent en dépendance l’un de l’autre et en dépendance d’autres phénomènes.

Si la forme et ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme existent véritablement comme étant multiples, ils devraient alors être complètement distincts ; si nous éliminons la forme, ce-qui-est-approprié-pour-être-une-forme devrait subsister. Si nous ôtons par exemple toute forme bleue, devrait rester ce qui est approprié pour être une forme bleue, or ce n’est pas le cas. S’ils étaient totalement différents, ils n’auraient pas la moindre relation, et en en éliminant un, l’autre devrait subsister. « Montre » est un phénomène imputé aux éléments constitutifs d’une montre. Si les parties d’une montre sont enlevées, la montre elle-même disparaît, or si la base d’imputation et la montre étaient complètement distinctes, en éliminant les parties de la montre, le phénomène « montre » devrait subsister. Prenons un autre exemple : un vase est constitué de différentes parties qui font de lui un vase -des parois bien bombées, un fond plat et la capacité de contenir de l’eau. Si cette base de désignation de « vase » était disloquée, il devrait demeurer un phénomène que nous pourrions identifier comme étant le vase, or il n’y en a pas.

Ce même raisonnement peut s’appliquer à de nombreux binômes : noms imputés et leur base de désignation. De tels binômes n’existent ni comme étant un objet indissociable, ni comme étant des objets totalement distincts. Bien que la réalité soit ainsi, les phénomènes continuent de sembler exister de façon autonome au sein du binôme, c’est la manière dont ils apparaissent toujours à la perception d’un être ordinaire. En établissant qu’un vase n’existe pas véritablement (parce que s’il existait véritablement il devrait être soit indissociable de sa base de désignation, soit complètement distinct d’elle), nous pouvons comprendre comment tous les autres phénomènes et leurs bases de désignation n’existent pas véritablement.

Nous pouvons accepter le fait qu’un vase soit un objet unique, mais il n’existe pas véritablement comme unique. Par ailleurs, un vase peut être considéré comme étant « distinct » lorsqu’il est comparé à un pilier, mais seulement quand une comparaison est faite, le vase lui-même n’existe pas véritablement comme distinct.

2- Comment méditer l’absence d’existence intrinsèque de la conscience

Une conscience est un phénomène fonctionnant qui s’engage sur un objet et dont la nature est claire et connaissante. Il n’est pas aussi facile d’identifier la conscience qu’il l’est d’identifier les objets matériels. La nature de la conscience est claire et connaissante. Les objets matériels sont ces choses avec lesquelles nos sens peuvent entrer en contact, tandis que la conscience est dénuée de tout contact, elle est simplement claire et connaissante. « Connaissante » ne signifie pas toujours qui réalise, qui perçoit les phénomènes de façon correcte, parce que toutes les consciences ne réalisent pas forcément les phénomènes de manière correcte, il existe des consciences erronées. La conscience a pour seule fonction de s’engager sur un objet –qu’il soit correct ou incorrect. La conception de l’existence véritable relève d’une conscience, sans pour autant réaliser l’existence véritable ; nous pouvons seulement dire qu’elle s’engage sur l’objet, l’existence véritable.

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L’existence véritable existe pour la conception de l’existence véritable, mais cela ne veut pas dire qu’elle existe en réalité. Toutes les consciences sont nécessairement claires et connaissantes. Pour les Sautrantikas, la perception visuelle est une conscience dénuée de conception qui surgit en dépendance de sa condition souveraine particulière : la forme subtile de l’organe de l’œil. La perception visuelle peut être valide ou non valide. De plus, la conscience est subdivisée en consciences primaires et facteurs mentaux qui sont ainsi nommés au vu de leur fonction envisagée sous l’angle subjectif : une conscience primaire appréhende l’aspect global des objets, tandis que les facteurs mentaux approchent les objets de manière plus spécifique. De même que nous avons établi la personne comme étant simplement dénommée, la conscience est établie comme étant une simple étiquette attribuée à une base de désignation. La base de désignation de la conscience peut revêtir plusieurs aspects, comme des moments passés ou présents (de conscience). Bien que la conscience dépende de nombreuses choses, comme des moments passés et présents, elle apparaît à un être ordinaire comme existant de façon autonome, de son propre côté. La conscience apparaît comme un phénomène existant de façon autonome qui s’engage sur différents objets ; c’est ainsi qu’elle semble exister véritablement. La conscience existant de façon autonome, toutefois, n’existe pas en fait sur la base de désignation. Si la conscience d’aujourd’hui existe véritablement comme distincte de la conscience de ce matin et de ce soir, lorsque nous éliminons ces parties, il devrait nous rester la conscience d’aujourd’hui, mais nous ne parvenons jamais à présenter l’esprit en dehors de ses parties, ce qui prouve qu’il n’existe aucune conscience d’aujourd’hui qui existe véritablement comme étant distincte. D’un autre côté, si la conscience d’aujourd’hui existe véritablement faisant un avec la conscience de ce matin, nous pouvons nous demander s’il n’y a pas de conscience le soir ? Si la conscience d’aujourd’hui existe véritablement faisant un avec la conscience de ce matin, cette conscience du matin ne peut d’aucune façon exister à nouveau le soir. De même, si la conscience d’aujourd’hui existe véritablement faisant un avec la conscience du soir, cela exclut la possibilité qu’il y ait une conscience du matin. Un autre écueil réside dans le fait que si la conscience présente existe véritablement faisant un avec les différentes parties de la conscience, elle devrait exister véritablement comme étant multiple, dans la mesure où elle est constituée de plusieurs parties. En comprenant les aberrations qui apparaîtraient si la conscience existait véritablement faisant une ou comme étant multiple, nous réalisons que la conscience n’existe absolument pas véritablement. Si la conscience existait véritablement faisant un, il s’en suivrait que la conscience fait un avec le cercle des trois : sujet (conscience), action (le fait de connaître) et l’objet (ce qui est connu). Ces trois éléments feraient tous un. Ce cercle des trois éléments en ce qui concerne une conscience visuelle est formé de la conscience visuelle (l’agent), du fait de connaître une forme (l’action) et de la forme elle-même (l’objet). Si la conscience visuelle existait véritablement faisant un, ces trois facteurs devraient alors faire un. Par ailleurs, si ces trois éléments existaient véritablement comme étant multiples, ils n’entretiendraient pas la moindre relation. L’agent, la conscience ne serait nullement relié par l’action à l’objet, la forme ; l’objet, la forme n’aurait aucun lien avec l’agent, la conscience visuelle. Or en réalité, il ne peut y avoir de sujet (connaisseur) sans objet, et s’il n’y a pas de conscience il n’y a pas d’acte de connaissance. L’essentiel est de comprendre que les trois facteurs n’existent pas véritablement parce que si tel était le cas, ils devraient exister véritablement soit en étant totalement un, soit totalement distincts. Après avoir réfuté l’existence véritable, nous parvenons à la conclusion que la conscience est un phénomène qui dépend de ses parties, telles que les différents moments dans le temps, et qui est simplement étiqueté sur sa base de désignation -claire et connaissante. Cette simple étiquette ou

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imputation peut parfaitement être un agent qui accomplit une fonction (celle de connaître) en relation avec son objet. Un étudiant : Est-ce que le fait de méditer sur l’absence d’existence intrinsèque de la conscience revient à une méditation sur le non soi de la personne ? Guéshé-lag : Cela constitue la méditation sur le non soi des phénomènes. Après avoir médité d’abord et être arrivé à la conviction claire qu’il n’y a pas d’existence véritable au regard de la personne, nous essayons de regarder ensuite s’il y a une existence véritable au regard des phénomènes autres que la personne. La manière habituelle de méditer l’absence d’existence véritable de la conscience consiste à utiliser l’argument que la conscience est dénuée d’existence véritable parce que c’est une production dépendante. Nous avons démontré ici, notamment, que la conscience est dénuée d’existence véritable parce qu’elle est simplement désignée en dépendance de ses parties. C’est une méditation plus spécifique qui comporte l’utilisation d’arguments logiques qui distinguent la conscience existant véritablement comme faisant une, de la conscience existant véritablement comme étant multiple. Nous prenons d’abord conscience que pour tous les êtres ordinaires, la conscience semble exister de façon autonome sur la base de désignation, puis nous réalisons que la conscience n’existe pas de la manière dont elle apparaît. En fait, la conscience n’existe qu’en dépendance de sa base de désignation et comme elle n’existe pas véritablement comme faisant une, ni comme étant multiple, elle est complètement dépourvue d’existence véritable.

3- Comment méditer l’absence d’existence véritable des phénomènes composés non associés Le troisième groupe de phénomènes fonctionnants comprend les fonctionnants qui ne relèvent ni de la conscience, ni de l’esprit. Il englobe les êtres -qui sont des phénomènes composés non associés animés- tels les êtres humains, les tigres et les éléphants, et un groupe de phénomène inanimés comme l’impermanence, le temps, etc.

La généralité16 « fonctionnant » est un facteur composé qui inclut à la fois les formes et les consciences comme ses particularités, mais « fonctionnant » lui-même n’est ni une forme, ni une conscience. La généralité « un an », par exemple est un facteur composé qui n’est ni une forme, ni une conscience et qui est imputé sur le regroupement de ses parties : les douze mois. L’année semble exister de façon autonome sur sa base de désignation, à un être ordinaire, or si elle existait véritablement elle existerait de manière intrinsèque comme étant une avec les douze mois ou comme étant distinctes d’eux. En réalité, un an est simplement désigné sur une période de douze mois ; si un an et sa base de désignation existaient véritablement comme étant un, alors de même que l’année est unique, les douze mois devraient l’être aussi et de même que les douze mois sont multiples, l’année devrait l’être également. Inversement, si un an existait véritablement comme étant distinct des douze mois, il ne devrait pas y avoir la moindre relation entre une année et douze mois, un an ne dépendrait pas de douze mois.

Ce raisonnement nous aide à comprendre qu’une année n’existe pas telle qu’elle paraît, un phénomène autonome. Nous pouvons appliquer la même analyse à d’autres intervalles de temps, comme « un mois » qui est simplement désigné sur la base de trente jours. Tous les phénomènes sont simplement dénommés, ce sont de simples imputations attribuées à leur base de désignation et parce que tous les phénomènes sont de simples imputations mentales, ils n’existent pas comme ils apparaissent aux êtres ordinaires, car ils leur paraissent toujours exister véritablement.

16 La généralité : comprendre ici : le terme générique de « fonctionnant »

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4- Comment méditer l’absence d’existence véritable des phénomènes non composés Grâce aux méditations sur la façon dont les phénomènes composés n’existent pas véritablement, il devient facile de comprendre comment les phénomènes non composés n’existent pas véritablement. Les trois catégories de phénomènes composés, les formes, les consciences et les facteurs composés non associés, se désintègrent instant après instant et sont produits par des causes et des conditions. Les phénomènes non composés ne sont pas produits par des causes et des conditions, ils ne sont pas créés et de se désintègrent pas instant après instant.

Les phénomènes non composés comprennent le nirvana, les cessations véritables et l’espace. La vacuité elle-même est un phénomène non composé, car elle n’est pas produite par des causes et des conditions, c’est un phénomène permanent qui dure aussi longtemps que sa base existe. La vacuité d’un vase, par exemple, existe de manière inchangée tant que le vase existe. Lorsque le vase est détruit, la vacuité du vase cesse, mais cette cessation n’est pas due à des causes et des conditions, elle cesse naturellement, tout comme elle était apparue lorsque le vase a été créé. Ainsi y a-t-il apparition et disparition de la vacuité du fait de la création et de la destruction grossières de sa base, mais la vacuité n’apparaît pas et ne cesse pas en dépendance de causes et de conditions ou de fluctuations subtiles instantanées.

La cessation véritable est également un phénomène non composé. En méditant le chemin, nous nous débarrassons des divers niveaux de voiles qui sont à éliminer et simultanément nous accédons aux différents niveaux de cessations véritables. Même si une cessation véritable est obtenue grâce à la méditation du chemin, cela ne revient pas au même que d’apparaître en vertu de causes et de conditions, car la nature de la cessation véritable ne dépend pas de causes et de conditions ; elle survient naturellement au cours de la méditation du chemin véritable. La cessation véritable se réfère à la cessation de n’importe quel niveau de perturbation en raison de la méditation du chemin. Le nirvana lui-même est une cessation véritable, la nature du nirvana ne provient pas de causes et de conditions, il n’est obtenu que grâce à la méditation du chemin.

Nagarjouna dit : « Si les phénomènes composés sont dénués d’existence véritable, comment se pourrait-il que les phénomènes non composés en soient pourvus ? »

L’espace est un phénomène non composé qui est simplement imputé sur l’absence d’élément obstructif. Il y a tout d’abord la base vide -l’absence d’élément obstructif - qui est ce qui est étiqueté « espace ». Après avoir identifié l’espace, nous pouvons concevoir qu’il est fait de parties : l’espace dans les quatre directions. Si l’espace existait de manière intrinsèque, il devrait soit faire un avec ses parties, soit en être distinct. Si l’espace et ses parties étaient un, de façon intrinsèque, ils devraient être indissociablement un et s’il en était ainsi, l’espace devrait être indissociablement un, à la fois avec la partie Est et la partie Ouest. Ainsi l’espace de l’Est et de l’Ouest devraient être indissociablement un ; aussi lorsque le soleil se lève à l’Est, il se lèverait également à l’Ouest, et quand il se coucherait à l’Ouest, il se coucherait aussi à l’Est. De plus, s’il y avait un vase vide à l’Est ainsi qu’un à l’Ouest, lorsque le vase vide de l’Est serait rempli d’eau, le vase de l’Ouest le serait également parce que le même espace serait comblé par de l’eau.

Inversement, si l’espace et ses parties existaient intrinsèquement comme étant multiples, l’espace ne devrait entretenir aucune relation avec ses parties. L’erreur de raisonnement vient du fait que même si l’on éliminait les parties de l’espace dans chacune des huit directions, on devrait être à même de trouver quelque chose qui peut être identifié comme étant l’espace, or ceci est impossible.

Nous pouvons explorer l’absence d’existence véritable de la vacuité d’une manière analogue : si la généralité « vacuité » existait véritablement, elle devrait exister comme étant véritablement une avec ses parties ou comme étant véritablement multiple. Les parties de la vacuité

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sont ses particularités : la vacuité du vase, de la table, etc. Si la vacuité existait intrinsèquement comme étant une avec ses parties, cela entraînerait de nombreuses conséquences fâcheuses, telles que la vacuité du vase et la vacuité elle-même comme étant totalement une, la vacuité du vase et la vacuité de la table comme étant une, ou encore la vacuité du vase de l’Est comme étant la même que la vacuité du vase de l’Ouest –cela entraînerait les mêmes aberrations que celles déjà décrites pour l’espace.

Si la vacuité existait comme véritablement distincte de ses parties, les parties de la vacuité et la vacuité elle-même ne devraient absolument pas être reliées. En ayant mis de côté les différentes parties, nous devrions avoir encore la généralité vacuité, ce qui n’est pas possible.

En ce qui concerne la cessation véritable, les deux alternatives que sont l’existence intrinsèque comme étant une, ou l’existence intrinsèque comme étant multiple, sont à comprendre de la même façon. Si la cessation véritable existait véritablement, elle devrait exister comme véritablement une avec ses parties ou comme véritablement distincte d’elles. Si elle existait comme véritablement distincte, il ne pourrait y avoir le moindre lien entre la cessation véritable et ses parties.

En méditant l’absence d’existence intrinsèque de tous les phénomènes composés et non composés, nous comprenons intellectuellement la raison pour laquelle ils sont dépourvus d’existence intrinsèque et cela débouche finalement sur la réalisation directe de la vacuité. Le Bouddha a mentionné que certains êtres continuent de voir la vacuité comme existant véritablement même après avoir compris que les autres phénomènes sont dénués d’existence véritable ; il a indiqué que la vue de la vacuité comme existant véritablement est une vue beaucoup plus tenace que la vue de la table comme existant véritablement.

La saisie du soi et des agrégats comme existant véritablement est éliminée par la méditation sur la vacuité -la vacuité est la méthode qui permet de surmonter l’attitude de saisie du soi. Si quelqu’un perçoit la vacuité elle-même comme existant véritablement, le moyen devient alors le poison et l’on ne disposera plus de méthode pour avoir raison de l’esprit de saisie du soi ; si cela se produit, c’est comme de l’eau que nous utilisons pour éteindre un feu et qui deviendrait elle-même du feu.

La vacuité peut être subdivisée en vingt, seize, quatre ou deux catégories. Les deux catégories

qui rassemblent toutes les vacuités sont le non soi de la personne et le non soi des phénomènes. Les vingt catégories ne sont pas énoncées parce qu’il s’agirait de vacuités différentes, elles sont exposées en fonction des différentes bases sur lesquelles la vacuité existe. En établissant l’absence d’existence intrinsèque de la vacuité elle-même, il nous faut réfléchir à ce que, si la vacuité existe véritablement, elle existe, soit comme intrinsèquement une avec ses vingt parties, soit comme intrinsèquement distincte d’elles. Si la vacuité existait comme étant intrinsèquement une avec ses vingt parties, les vingt vacuités devraient être alors indissociablement une, les vacuités interne et externe devraient être une, or ceci est impossible. Si la vacuité existait comme étant intrinsèquement distincte de ses parties, on devrait être en mesure de désigner la vacuité après avoir éliminé toutes les catégories, la vacuité interne, la vacuité externe, etc. Le syllogisme utilisé pour établir que la personne n’existe pas véritablement est le suivant : « la personne n’existe pas véritablement parce qu’elle n’existe véritablement ni comme étant une, ni comme étant distincte ». Lorsqu’on réalise la vacuité pour la première fois, il faut la réaliser à travers le processus d’un raisonnement logique. Pour réaliser qu’un phénomène donné, comme une personne par exemple, est dénué d’existence véritable, il faut au préalable se familiariser avec le raisonnement suivant : « la personne n’existe pas véritablement parce que c’est une production dépendante ». Avec cet argument, nous comprenons que si la personne est une production

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dépendante, elle doit être dépourvue d’existence véritable et ainsi, nous accédons à la vacuité de l’existence véritable de la personne. Les illustrations classiquement utilisées dans le cadre de ce syllogisme sont : la personne semblable à un rêve, à un épouvantail, à la cité des Ghandaravas17, à un tour de magie, à un mirage ou à un reflet. L’on a recours à ces analogies car il est communément accepté que ces différentes choses paraissent réelles mais n’existent pas en réalité de la manière dont elles apparaissent. S’aidant ainsi d’une illustration, nous prenons conscience que même si la personne semble exister véritablement, elle n’existe pas de cette façon en réalité. Ces exemples montrent que le mode d’apparition et le mode d’existence ne sont pas concordants. L’apparence possède des niveaux grossier et subtil. Un exemple de niveau grossier d’apparence est le reflet d’un visage dans un miroir. Le mode d’apparence est tel que le reflet semble être un vrai visage, mais le mode d’existence est qu’il n’y a pas de visage dans le miroir. Au niveau subtil, le mode d’apparence subtil fait que, à la même perception visuelle à laquelle le reflet apparaît comme étant le vrai visage, surgit aussi l’apparence du visage existant véritablement. De nombreux soutras ont recours à ces analogies pour illustrer le sens d’un syllogisme, en disant par exemple : « les agrégats n’existent pas véritablement parce qu’ils sont interdépendants, à l’instar du reflet d’un visage dans un miroir ». Dans ce cas présent, les modes d’apparence grossier et subtil sont tous deux évoqués. Pensez-vous que ce soit le mode d’apparence grossier ou subtil qui soit réalisé en premier ? Le pratiquant qui réalise l’absence d’existence véritable pour la première fois, ne peut pas prendre conscience, de suite, du mode subtil d’apparence, parce que si tel était le cas, cela impliquerait qu’il ait déjà réalisé que la personne n’existe pas véritablement comme elle semble exister. Aussi, lorsque nous disons qu’un être ordinaire réalise que le reflet n’existe pas de la manière dont il apparaît, cela signifie seulement que cet être réalise le mode grossier d’apparence. Si nous répondons qu’un être ordinaire a pris conscience que le reflet dans le miroir n’existe pas tel qu’il apparaît, cela implique que cette personne a déjà réalisé que le reflet dans le miroir n’existe pas véritablement comme il semble exister ; dans un tel cas, il ne s’agit plus d’un pratiquant qui réalise la vacuité pour la première fois.

De la même manière qu’un reflet dans un miroir n’existe pas comme il paraît exister, les autres exemples sont des phénomènes qui sont bien connus pour ne pas exister de la façon dont ils apparaissent. De tels phénomènes sont connus pour être des objets apparaissants infidèles. La prise de conscience se déroule concrètement selon cet ordre : un être ordinaire réalise d’abord que le reflet dans le miroir n’existe pas tel qu’il apparaît comme étant un vrai visage, puis il prend conscience que le reflet n’existe pas véritablement comme il semble exister. Enfin, il comprend que le sujet -la personne elle-même- n’existe pas non plus véritablement de la façon dont elle semble exister véritablement. Cette prise de conscience passée, il peut considérer ensuite les agrégats et voir qu’eux non plus n’existent pas de la manière dont ils semblent le faire.

La réalisation du non soi des phénomènes part de la prise de conscience de l’absence d’existence véritable de ses propres agrégats. Avant cela, nous pouvons percevoir l’absence d’existence intrinsèque des phénomènes, tel un vase, mais il ne s’agit pas pour autant de la réalisation du non soi des phénomènes. La réalisation du non soi des phénomènes consiste en la compréhension que les agrégats sont dénués d’existence véritable parce qu’ils constituent les principaux objets de jouissance des êtres.

La réalisation du non soi de la personne précède toujours celle du non soi des phénomènes ; cela vient de la manière dont le méditant s’aborde lui-même et aborde les autres

17 Ghandarvas : catégorie de mangeurs d’odeurs qui sont des musiciens célestes.

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phénomènes. Il médite tout d’abord en relation avec lui-même, avec sa propre personne -les raisons pour lesquelles il erre dans l’existence cyclique, doit prendre renaissance encore et encore, et enfin le moyen de s’affranchir de cela ; il comprend que pour se libérer, il doit développer la sagesse qui coupe la saisie du soi de la personne. Les Quatre Vérités sont nécessaires à cette réalisation du non soi de la personne. La vérité de la souffrance est exposée d’abord ; il y est indiqué qu’elle est occasionnée par le karma et les perturbations mentales -qui dérivent de la saisie du soi de la personne. La saisie du soi, les perturbations et le karma constituent les trois causes principales de l’existence cyclique et pour se débarrasser de la saisie du soi de la personne, la sagesse qui réalise le non soi de la personne est indispensable. C’est pourquoi le pratiquant s’attache à réaliser cela en premier.

En ce qui concerne la mise en place des deux saisies du soi, la saisie du soi des phénomènes survient en premier, car l’on perçoit d’abord les différents agrégats d’une personne avant d’identifier la personne en dépendance de ses agrégats. Lorsque les agrégats apparaissent à l’esprit, il les saisit comme existant véritablement et quand nous décidons qu’ils correspondent à une personne donnée, nous appréhendons cette personne comme existant véritablement.

Les objets des perceptions sensorielles des êtres ordinaires leur paraissent toujours exister réellement, mais ces perceptions sensorielles ne saisissent pas ou ne conçoivent pas ces objets sensoriels comme existant véritablement, parce qu’une perception sensorielle, comme la perception visuelle, n’est pas en mesure d’avoir une conception de la saisie du soi. Au cours de la méditation sur la vacuité, la plus grande difficulté est que lorsque nous essayons de réfuter ce qui est vraiment à nier, nous tendons à réfuter l’objet existant de façon relative, et quand nous tentons d’affirmer l’existence relative, nous tendons à établir l’objet de réfutation comme existant réellement. Il est extrêmement difficile de réaliser que l’absence d’existence véritable et l’interdépendance s’étayent mutuellement, mais une fois que nous y sommes parvenu, nous savons automatiquement que si quelque chose est interdépendant, c’est quelque chose qui est dénué d’existence véritable. Le reflet du visage dans le miroir n’existe pas comme un réel visage tel qu’il paraît exister, mais à cause de la réunion des causes et des conditions –un miroir propre, un objet à réfléchir, la lumière etc.- l’existence relative n’apparaît pas dans le miroir. De la même façon, tous les phénomènes apparaissent dès la réunion des causes et des conditions nécessaires à leur apparition. Il est difficile de comprendre comment les phénomènes qui n’existent pas véritablement peuvent tout de même apparaître après la réunion de leurs causes et de leurs conditions. Tous les phénomènes sont reconnus comme de simples imputations conceptuelles, de simples étiquettes, de simples dénominations, mais ces vérités relatives, que sont les simples étiquettes, imputations ou définitions, sont établies qu’un niveau superficiel, ou dans le cadre d’une investigation non complète. Car, à la lumière d’une analyse poussée, même les phénomènes relatifs sont introuvables. Les Conséquentialistes exposent la relativité (la vérité relative) conformément aux idées des êtres ordinaires, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils acquiescent à tout ce qu’un être ordinaire croit. Etablir la vérité relative conformément aux croyances des êtres ordinaires signifie qu’un être ordinaire a coutume de s’engager dans n’importe quel objet sans examen approfondi et c’est, selon les Conséquentialistes, la façon dont la vérité relative est abordée sans analyse exhaustive. Quand nous disons que les phénomènes sont de simples étiquettes attribuées par une conception, cette conception est définie comme une conception qui s’engage dans son objet sans recourir à un examen complet. Car en réalité, lorsque n’importe quelle conscience examine intégralement son objet, elle ne trouve rien. La vérité relative est ainsi établie, simplement en attribuant un nom à une base de désignation sans vérification ni analyse.

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2. Réfutation par d’autres raisonnements

a. Montrer le raisonnement de la production dépendante Tout ce qui nous entoure peut être perçu comme dépendant de quelque chose d’autre. Court et long sont définis en comparaison l’un de l’autre tout comme petit et grand. De même, chaud et froid, dedans et dehors, permanent et impermanent sont tous définis en fonction les uns des autres. Etre conscient qu’une chose existe en dépendance d’une autre est une étape déterminante pour la compréhension de la vacuité de cette chose. L’interdépendance est l’outil principal qui permet de comprendre l’absence d’existence intrinsèque des phénomènes, c’est pourquoi tous les pratiquants dans le passé, ont souligné la nécessité d’assimiler ce point dès le début. Bien que long dépende de la comparaison avec court, court n’est pas pour autant la cause de long ; il existe des phénomènes produits en dépendance qui n’ont pas de relation de cause à effet. D’un point de vue général, si quelque chose est dénué d’existence véritable il ne s’agit pas forcément d’une production dépendante. Il est nécessaire de préciser quel phénomène donné est dépourvu d’existence en soi, car les cornes du lapin sont dénuées d’existence véritable, sans être pour autant des productions dépendantes, puisqu’elles n’existent tout simplement pas du tout. Dire qu’un « phénomène est dénué d’existence véritable », que « c’est une production dépendante » et parler de « voie médiane ou du milieu » sont des expressions synonymes, car une production dépendante est synonyme de voie médiane entre les extrêmes de nihilisme et d’éternalisme. De ce fait, si un objet est une base établie18, il est forcément dénué des deux extrêmes puisque c’est une production dépendante, qu’il est dépourvu d’existence en soi et que par ailleurs les deux extrêmes n’existent pas en réalité. En outre, nous pouvons dire que si une chose est une production dépendante, elle n’est pas nécessairement vacuité, mais elle est obligatoirement dénuée (ou vide) d’existence véritable ; si une chose est « vide19 » c’est forcément « vide d’exister véritablement ». Une production dépendante est un phénomène qui est nécessairement dénué (ou vide) d’existence en soi. La vacuité est une négation non affirmative, c’est l’état débarrassé de l’objet de réfutation. Une confusion peut surgir du fait que vacuité et absence (vide) d’existence véritable semblent analogues, alors que ce sont des choses très différentes. La vacuité n’est autre que l’état dénué de l’objet de réfutation, tandis que l’absence d’existence véritable implique que tout phénomène, produit ou non produit (permanent), est dépourvu d’existence véritable. Quand nous disons que tout est dénué d’existence véritable, nous n’affirmons pas que tout est vacuité. L’on peut s’interroger : « Qu’en est-il alors du Soutra du Cœur dans lequel il est dit que la forme est vide, la vacuité comporte la forme20 ? » Ici, la vacuité est littéralement désignée comme étant la « forme », mais ce n’est pas le sens correct. Il faut comprendre que ce passage indique que la forme est dénuée (vide) d’existence véritable et ainsi apparaît comme étant susceptible-d’être-une-forme -comme une forme. Si la forme existait véritablement, elle ne serait pas en mesure d’apparaître comme étant susceptible-d’être-une-forme, elle n’aurait pas la possibilité d’apparaître comme une forme. Si la forme existait véritablement, on ne pourrait pas parler de forme qui va et qui vient, qui est créée et qui est détruite etc., parce que ces différentes fonctions ne se produisent

18 base établie : synonyme de phénomène, objet ou existant. Par opposition ici, à un non existant comme les cornes du lapin évoquées dans le paragraphe précédent. 19 Vide : chaque fois que le terme Tong-pa (vide) est utilisé en tibétain pour parler de l’absence d’existence véritable, nous le rendons par dénué ou dépourvu, plus heureux en français et tout aussi justes que « vide d’exister véritablement » ou « vide d’existence véritable ». 20 Soutra du Cœur : certaines traductions disent même : « la forme est vide, la vacuité est la forme ».

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que sur la base de l’absence d’existence véritable. Si une chose existait véritablement, elle ne pourrait accomplir ces actions, mais le fait d’être dénué d’existence véritable leur permet de se produire. « Les Soixante Stances de Raisonnement » de Nagarjouna mentionnent que la vérité conventionnelle est présentée comme étant vacuité et que la vacuité elle-même est la vérité conventionnelle. Or lire ce passage au niveau littéral ne veut rien dire, car la vacuité ne peut être la vérité conventionnelle, puisque c’est la vérité ultime. La vacuité, en réalité, n’existe pas au niveau conventionnel et il faut comprendre le sens de « la vacuité existe au niveau relatif » comme signifiant que la vacuité existe de manière relative. Elle existe de manière relative parce qu’elle existe et puisque le mode d’existence de la vacuité n’est pas d’exister véritablement, c’est qu’elle existe de façon relative. Un étudiant : Les Conséquentialistes estiment qu’un soutra de sens définitif qui présente de manière explicite la vacuité peut être pris à la lettre et ici vous semblez dire que ce passage du « Soutra du Cœur », qui est un soutra de sens définitif, requiert une interprétation. Qu’en est-il ? Guéshé-lag : Le soutra dit : « la vacuité comporte la forme » et il faut comprendre cela comme nous venons de l’expliquer. Le point est que puisque la forme est vide, elle peut apparaître sous l’aspect de différentes formes : blanche, carrée, etc. Il nous faut accéder au sens, nous n’interprétons pas ici « la vacuité comporte la forme » d’une autre façon, nous ne faisons que revenir à sa signification véritable. D’une manière générale, tout phénomène existe en dépendance d’autre chose. Si un phénomène donné existait véritablement, il devrait exister véritablement en étant soit un avec les objets dont il dépend, soit distinct d’eux. Si un phénomène particulier est intrinsèquement un avec la base dont il dépend, cela signifie qu’il est totalement un et que d’aucune façon, on ne peut parler de dépendance ou de relation. S’il était tout à fait un avec la base dont il dépend, cela entraînerait par ailleurs que l’agent et l’objet ne font plus qu’un. Tant que nous pensons que la base et ses attributs existent comme étant un, nous n’avons aucune possibilité de distinguer le sujet (l’agent) de l’action -ce qui est entrepris. Inversement, si un phénomène donné est intrinsèquement distinct de la base dont il dépend, il ne devrait pas avoir le moindre lien avec cette base –puisqu’il serait totalement distinct de la base, l’objet. Nous savons qu’en réalité le phénomène (l’attribut) et la base dont il dépend sont reliés l’un à l’autre. L’absence (vide) d’existence intrinsèque renferme toutes les fonctions correctes d’agent, d’action et d’objet et ce « vide » n’est pas le néant (le vide nihiliste). Réfuter l’agent, l’action et l’objet correct relève du néant. Le « vide » qui nous est indiqué ici n’est pas artificiel, il n’a pas été imaginé par quelqu’un ; il nous est enseigné sur la base de la compréhension qu’il signifie vide d’existence véritable. Le « vide artificiel » signifie que ce qui n’était pas vide est à présent enseigné comme l’étant, cette caractéristique étant attribuée par quelqu’un. Or en fait, l’absence d’existence véritable est une propriété qui recouvre tous les phénomènes, cette absence (vide) n’est pas limitée à quelques uns. Les vues qui considèrent le vide artificiel, le néant ou encore le vide limité ou restreint sont toutes des vues erronées, elles n’appréhendent pas la véritable vacuité. Un étudiant : En méditant la vacuité, un arya n’a pas l’apparence de l’agent et de l’objet, du fait de la sagesse de l’équilibre méditatif ; celle-ci semble plus réelle qu’une perception conventionnelle ? Guéshé-lag : La sagesse de l’équilibre méditatif est une sagesse supérieure qui permet à l’esprit de se placer sur l’objet, la vacuité, sans percevoir de dualité entre le sujet et l’objet ; ceci est possible parce

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l’esprit a ici déjà accédé à un chemin supérieur (c'est-à-dire qu’il est parvenu au moins au chemin de la vision). Un être ordinaire perçoit l’apparence dualiste d’un sujet ici, et de son objet là, et de ce fait ne perçoit pas clairement la vacuité. En continuant à méditer, l’image mentale de la vacuité s’estompe progressivement, la dualité se dissipe, faisant place à la simple vacuité. Puisque la sagesse de l’équilibre méditatif d’un être supérieur est complètement centrée sur la vacuité non duelle, elle devient un avec son objet, comme de l’eau versée dans de l’eau. Au cours d’un tel équilibre méditatif, ne surgit aucune apparence conventionnelle, aucune dualité. Un être ordinaire ne peut obtenir une bonne méditation de la vacuité car cette sagesse supérieure de l’équilibre méditatif ne se manifeste que sur les chemins de la vision et de la méditation. Une fois parvenu à l’état de bouddha toutefois, cette sagesse de l’équilibre méditatif co-existe avec la sagesse qui s’élève dans les périodes post-méditatives, sans qu’elles soient antagonistes. Lorsque l’on médite la vacuité, l’objet vacuité n’est pas quelque chose qui serait imperceptible. La vacuité reste continuellement l’objet de cette conscience, la sagesse de l’équilibre méditatif se développe progressivement tandis que s’estompe la dualité et finalement, la vacuité est réalisée directement.

b. Comment ces raisonnements prouvent aussi l’irréalité de l’incomposé La vacuité n’est pas un phénomène abstrait Certains disent que la vacuité est quelque chose d’abstrait et ne peut être perçue, or c’est une idée à rejeter. La vacuité est effectivement réalisée pour la première fois grâce une analyse répétée, menée jusqu’à ce que l’objet ne puisse finalement être trouvé, et lorsque le sujet, la personne, est analysé plus en profondeur, il ne peut être trouvé non plus. Après avoir examiné l’objet, puis le sujet de cette manière, nous avons l’impression qu’il n’y a strictement rien à percevoir et pensons alors qu’il s’agit de la réalisation de la vacuité, mais ce n’est pas le cas. Cette impression se méprend quant à ce qui existe en réalité et ce qui n’existe pas réellement et nie par ailleurs autant l’existence ordinaire que l’existence intrinsèque. Ce point est subtil, il est en effet difficile de comprendre comment un être dénué d’existence en soi peut accomplir des actions et faire l’expérience de leurs résultats. La vacuité de la forme et la forme elle-même constituent une entité La vacuité de la forme n’est autre que la forme elle-même dénuée d’existence véritable. Elle constitue une seule et même entité avec la forme. La forme elle-même doit être l’entité de la forme dénuée d’existence véritable, si elle était autre que l’entité d’être dénuée d’existence véritable, la forme existerait alors véritablement. La forme n’est pas la vacuité, c’est l’entité qui est dépourvue d’existence véritable. Si elle était autre chose que cette entité, elle devrait exister véritablement parce qu’il n’y a que deux possibilités : exister véritablement ou ne pas exister véritablement. Si nous nous intéressons à l’entité de l’absence d’existence véritable de la forme, nous ne trouvons que l’entité de la forme elle-même. La forme elle-même comme étant dénuée d’existence véritable est donc la manifestation de la forme, forme qui se manifeste parce qu’elle est dépourvue d’existence véritable. La forme est la manifestation de la forme dénuée d’existence véritable ; le goût sucré d’un bonbon est l’entité du bonbon parce que nous ne pouvons trouver ce goût sucré nulle part ailleurs : il se trouve au sein du bonbon. L’entité d’un bonbon sucré est le sucré et le sucré est l’entité du bonbon lui-même, parce que le bonbon est toujours sucré. Si ce point concernant la forme dénuée d’existence véritable mais toutefois en mesure de fonctionner dans la sphère de la vacuité est compris, nous pouvons comprendre la manière dont tous les phénomènes peuvent fonctionner au sein de la sphère de la vacuité. Nous pouvons comprendre les deux vérités de la

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même façon puisque nous disons communément que les deux vérités constituent une (seule et même) entité ; ceci étant à comprendre comme on l’a expliqué pour la forme. Le Soutra du Cœur mentionne qu’ « en dehors de la forme il n’est pas de vacuité et en dehors de la vacuité il n’est pas de forme », définissant ainsi les deux vérités. La forme et la forme dénuée d’existence véritable diffèrent de par leur nom mais constituent une seule et même entité. Si l’on s’interroge de savoir si elles sont une seule et même chose, la réponse est négative. Elles ne sont pas une, elles sont différentes. Si elles étaient une seule et même chose, elles n’auraient qu’une seule signification et (ne répondraient) qu’à un seul terme, or elles portent des noms différents. Quand nous parlons « d’entité » ou « de nature », cela signifie qu’un produit et qu’un impermanent par exemple, constituent une seule entité ; en effet, si un phénomène donné est un produit, il doit avoir l’entité d’être impermanent et si un phénomène est impermanent, il doit posséder l’entité d’être un produit. Il n’existe pas de cas de figure où un phénomène pourrait avoir l’entité de l’un mais pas de l’autre. c. Présentation des vérités relative et ultime Tout phénomène est doté à la fois des natures conventionnelle et ultime La forme dénuée d’existence véritable constitue la nature (vérité) ultime de la forme et la forme vide (c'est-à-dire la vacuité de la forme) est également la nature de l’absence d’existence véritable. La forme elle-même est dénuée d’existence véritable, ce qui ne signifie pas que c’est une vérité ultime ; il s’agit en fait d’une vérité conventionnelle, parce que ce qui perçoit la forme n’est autre qu’une perception valide qui analyse la vérité conventionnelle. La forme elle-même n’est pas un phénomène véritable parce que ses modes d’apparence et d’existence ne sont pas concordants l’un l’autre. Si la forme n’est pas un phénomène véritable, n’est-elle pas non plus une vérité conventionnelle ? Bien qu’elle ne soit pas un phénomène véritable, la forme est néanmoins une vérité conventionnelle. Nous pouvons nous demander : « Si la forme est une vérité conventionnelle, comment prouve-t-on qu’il s’agit d’une vérité ? Pour quel type de sujet (perception) est-elle une vérité ? ». Nous pouvons dire que la forme est une vérité pour la perception (le sujet) qu’est la conception de l’existence véritable, parce que la forme existe véritablement pour cette conception ; ou bien, nous pouvons dire que la forme existe véritablement pour la conception de l’existence véritable. La forme paraît exister véritablement à la conception de l’existence véritable et tout comme elle apparaît de cette façon, la conception la saisit comme existant véritablement. Si quelqu’un voit la montagne enneigée (blanche) comme étant de couleur jaune, la montagne enneigée jaune est réelle pour la perception visuelle de cette personne, alors qu’elle n’est pas forcément jaune pour les perceptions des autres, puisque c’est une perception fausse. Ainsi, tout phénomène est réel, véritable pour la conception de l’existence véritable. Cela inclut tous les objets, y compris la vacuité elle-même, car tant que le sujet (la perception) conçoit de cette façon, l’objet lui-même continuera d’apparaître comme existant réellement. Le terme « conventionnel » et « vérité » sont ainsi donnés, parce qu’ils sont relatifs et qu’ils sont des vérités pour des perceptions incorrectes.

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Qu’est-ce que la vérité ? La conception de l’existence véritable est une perception fausse, mais tous les objets sont réels ou vrais pour cette perception, qu’est-ce alors que la vérité ? La vérité est la vacuité et la cessation véritable ; l’une comme l’autre sont toujours vraies puisque la façon dont elles apparaissent correspond à la façon dont elles existent chaque fois qu’elles sont l’objet de la sagesse de l’équilibre méditatif. Ce n’est qu’au vu de l’équilibre méditatif que ces deux modes concordent. Tous les phénomènes ont une vacuité ; un phénomène qui a une vacuité mais qui n’est pas lui-même la vacuité ou la cessation véritable est une vérité conventionnelle, comme la forme par exemple. Un étudiant : Les bouddhas n’ont plus de perceptions conceptuelles, aussi comment les vérités conventionnelles peuvent-elles continuer d’apparaître à leur esprit ? Guéshé-lag : Tout ce qui existe apparaît à l’esprit d’un bouddha, il ne surgit donc aucune apparence d’existence véritable, aucune dualité. Un bouddha réalise les vérités conventionnelles, tout en étant dénué de conception de l’existence véritable. Un étudiant : Mais vous avez dit que les vérités conventionnelles n’apparaissaient qu’à la conception de l’existence véritable ? Guéshé-lag : Ce n’est pas l’idée. Tous les phénomènes qui ne sont ni des cessations véritables, ni des vacuités sont des vérités conventionnelles, un bouddha sait que ces objets sont des vérités conventionnelles. Notre discussion relative aux vérités conventionnelles porte sur le sens de la vérité. Nous nous demandons pour quel type de conscience ou d’esprit ces objets sont vérité. Le point est que les vérités conventionnelles sont seulement « vérité » pour des consciences qui sont des conceptions de l’existence véritable. La forme est une vérité conventionnelle par exemple, il s’agit d’une « vérité » au niveau conventionnel parce qu’elle est vraie pour quelqu’un qui a la conception de l’existence véritable. D’un côté nous disons que la forme n’est pas la vérité et de l’autre que c’est une vérité conventionnelle. Pourquoi est-ce une vérité ? Parce qu’elle est vraie pour l’esprit qui est une conception de l’existence véritable. Un étudiant : Est-ce que la vacuité n’apparaît pas également comme étant vraie à la conception de l’existence véritable ? Guéshé-lag : En effet, mais lorsque nous disons que la vacuité est une vérité, ce n’est plus en se référant à la conception de l’existence véritable, c’est en se référant à la sagesse de l’équilibre méditatif. Tous les phénomènes autres que les vacuités et les cessations véritables sont des vérités conventionnelles Est-ce qu’une table est une vérité conventionnelle ? Oui. Est-ce que d’une manière générale une table est une vérité ? Non. Pourquoi appelons-nous une table une vérité conventionnelle ? Parce qu’elle est vraie ou réelle pour une conception de l’existence véritable. Est-ce que la vacuité est réelle pour une conception de l’existence véritable ? Oui. Est-elle réelle parce qu’elle est vraie pour la conception de l’existence véritable ? Non. Pourquoi est-ce une vérité ? C’est une vérité parce qu’elle est réelle pour la sagesse de équilibre méditatif d’un Arya, un être supérieur.

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Les tables etc., sont des vérités relatives parce que ce sont des objets trouvés par des perceptions valides qui analysent l’aspect relatif, tandis que les cessations véritables et les vacuités sont des objets seulement perçus par des perceptions valides analysant l’aspect ultime. Les aryas le long des trois terres pures21 et les deux types d’arhat22 n’ont plus de conception de l’existence véritable, mais cela ne veut pas dire que pour eux, la forme, etc., n’est pas une vérité conventionnelle pour la conception de l’existence véritable. Ces êtres n’ont pas encore développé l’esprit qui permet d’établir les deux vérités en tant que vérité. Pratiquer la méditation sur les deux vérités Le fait que les phénomènes n’existent pas de manière intrinsèque constitue la vérité ultime et que les phénomènes existent de façon relative, la vérité conventionnelle. Méditer la vérité conventionnelle est ce que nous faisons quand nous méditons la prise de refuge, respectons la loi de causalité, générons le renoncement, pratiquons l’éthique, développons la bodhicitta, etc. Considérer ces pratiques comme étant dépourvues d’existence véritable est la manière de s’engager dans la vérité ultime. Sur la base des deux vérités, nous développons les chemins de la méthode et de la sagesse. La méthode signifie que l’esprit s’engage dans les pratiques qui viennent d’être évoquées plus haut et la sagesse n’est autre que l’esprit qui examine l’absence d’existence intrinsèque de ces pratiques. Quand nous suivons ces deux chemins, nous accumulons mérites et sagesse. L’accumulation de mérites se fait par l’aspect de la méthode et l’accumulation de sagesse est le fait de l’aspect de la sagesse. Lorsque ces deux accumulations sont parachevées, les deux corps d’un bouddha sont obtenus : le Dharmakaya (le Corps de la Loi) et le Roupakaya (le Corps de la Forme). Le Roupakaya est obtenu en vertu de l’accumulation de mérites et le Dharmakaya, grâce à l’accumulation de sagesse. Voici brièvement la manière de procéder avec les deux bases (les deux vérités), de développer les deux chemins, de rassembler les deux accumulations et d’obtenir les deux corps. Tout phénomène présente deux aspects : conventionnel et ultime Par rapport à un phénomène donné, l’aspect ultime est le fait que la vacuité existe au sein même du phénomène et l’aspect conventionnel est que ce phénomène existe conventionnellement. Ces deux aspects coexistant au sein d’un même phénomène sont dits constituer une entité mais sont désignés différemment parce qu’une portion de cette entité n’existe que de manière conventionnelle tandis que l’autre n’existe que de manière ultime. Ces deux aspects constituent une seule entité parce que si le phénomène qui existe conventionnellement n’était pas dénué d’existence véritable, il devrait exister véritablement ; et si le phénomène dénué d’existence véritable n’existait pas conventionnellement il devrait être totalement inexistant. La manière d’établir ces deux aspects en les condensant en une seule affirmation est très subtile, elle n’est pas facile à comprendre pour les écoles inférieures, ni même pour les Autonomes. Les Autonomes sont réputés proches des Conséquentialistes puisqu’ils affirment l’absence d’existence véritable des phénomènes ; ceci étant dit, l’expression utilisée est la même que les Conséquentialistes, mais leur manière d’établir l’absence d’existence véritable diffère, elle est plus superficielle, plus grossière.

21 Les aryas le long des trois terres pures : fait référence aux aryas bodhisattvas parvenus à la 8, 9 ou 10èmes terres. 22 Les deux types d’arhat : cela fait vraisemblablement référence ici aux Arhats du Hinayana et à ceux du Mahayana.

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La cessation véritable est une vacuité La cessation véritable, la vacuité, la réalité, l’ainsité, le dharmadhatou, le vide, etc. sont des termes différents qui signifient la même chose : la vérité ultime. Cela ne veut pas dire que les cessations véritables et les vacuités soient les mêmes choses. La vacuité constitue l’état ultime d’un phénomène, sa nature absolue, le dharmadhatou –ces termes sont synonymes- mais alors que la cessation véritable est une vacuité, elle n’est pas synonyme de vacuité. Hormis les cessations véritables et les vacuités, tous les phénomènes sont forcément des vérités conventionnelles. La cessation véritable fait seulement référence à l’état qui apparaît après l’abandon d’une perturbation, ou d’un voile, alors que la vacuité renvoie à l’état dénué d’existence véritable. Pourquoi les vérités conventionnelles sont-elles qualifiées de « vérité » ? - Les formes, telles que la table, sont dites être des vérités conventionnelles parce qu’elles sont vraies ou réelles pour une perception qui est une conception de l’existence véritable. La table est une vérité conventionnelle pour la perception qui conçoit l’existence véritable, mais « vraie pour la perception qui conçoit l’existence véritable » n’est pas un argument ultime utilisé pour montrer que la table est une vérité conventionnelle. Cette assertion est employée comme un moyen permettant de montrer pourquoi elle est qualifiée de vérité. La table par exemple, est dite être une « vérité conventionnelle », parce qu’elle est vraie pour une perception qui est une conception de l’existence véritable, d’un point de vue étymologique, c’est vrai, c’est réel pour une telle perception, mais il ne s’agit pas d’un argument qui permet de prouver que la table est une vérité conventionnelle. La vacuité est une vérité, mais elle n’est pas qualifiée de vérité parce qu’elle serait vraie ou réelle pour une perception qui est une conception de l’existence véritable. Pour une perception qui est une conception de l’existence véritable, en fait, tout est vrai du point de vue de ce qui paraît exister véritablement, parce que pour cette perception, tout semble exister véritablement, qu’il s’agisse de la vacuité, d’une maison, d’une table, etc. Si quelque chose est vrai pour la conception de l’existence véritable, il ne s’agit pas forcément d’une vraie vérité (d’une vérité réelle), parce que la perception est fausse, ce n’est pas une perception valide. Ainsi, lorsqu’une personne présente un trouble visuel et qu’une montagne enneigée lui apparaît comme étant de couleur jaune, l’apparence erronée de la montagne blanche comme étant jaune est réelle pour cette perception visuelle fausse, mais cela ne prouve nullement que la montagne enneigée soit jaune. Le seul argument qui prouve que la forme est une vérité conventionnelle est que c’est un objet trouvé par une perception valide qui analyse l’aspect conventionnel. On entend par « une perception valide qui analyse l’aspect conventionnel » les différentes perceptions valides sensorielles qui examinent leurs objets respectifs, telles que la perception visuelle. - Les consciences et les facteurs composés non associés sont des vérités conventionnelles parce que ce sont également des objets examinés par une perception valide qui analyse l’aspect conventionnel. Quelle est la perception valide de ces deux groupes d’objets ? Il s’agit de la réalisation correcte qui les réalise. De telles réalisations correctes ainsi que les perceptions sensorielles sont des perceptions valides qui analysent les aspects conventionnels, parce qu’elles ne se préoccupent pas de la vacuité de leurs objets, elles ne considèrent que la nature conventionnelle et non l’ultime.

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Pourquoi les vérités ultimes sont-elles qualifiées de « vérité » ? La vacuité est la vérité ultime car elle est réalisée par une perception valide qui analyse l’aspect ultime. La sagesse de l’équilibre méditatif d’un Arya est une perception valide qui analyse la vérité ultime puisqu’elle considère la réalité de l’objet -la vacuité, la vérité ultime ou absolue de l’objet. « Une perception valide qui analyse l’aspect ultime » fait essentiellement référence à la sagesse de l’équilibre méditatif d’un Arya, mais c’est le cas d’autres perceptions comme la réalisation inférentielle de la vacuité présente sur le continuum d’un être ordinaire, par exemple. Tous les phénomènes sont dotés d’un aspect conventionnel et ultime. Tout ce qui existe est soit une vérité conventionnelle, soit une vérité ultime, il n’existe rien qui ne soit ni l’un ni l’autre, et il n’y a pas de troisième possibilité. Un phénomène donné, tel qu’une table possède à la fois une vérité ultime et une vérité conventionnelle, mais cela ne signifie pas pour autant qu’une table soit à la fois une vérité ultime et une vérité conventionnelle. Une table est une vérité conventionnelle. Qu’en est-il de la vacuité qui existe en relation avec cette table ? C’est une vérité ultime. Un étudiant : La vacuité de la table est-elle la « vacuité elle-même » ou bien s’agit-il seulement de la table dénuée d’existence véritable ? Guéshé-lag : La vacuité existant sur la table est une vacuité, mais la table dénuée d’existence véritable n’est pas la vacuité, parce que c’est une vérité conventionnelle. Bien que tous les phénomènes soient dotés des deux aspects, conventionnel et ultime, il n’est rien qui soit les deux vérités à la fois Il n’existe rien qui puisse être un objet examiné par une perception valide qui analyse l’aspect ultime ainsi qu’un objet examiné par une perception valide qui analyse l’aspect conventionnel. La vacuité est trouvée par une perception valide qui analyse l’aspect ultime ; ceci est une notion subtile avancée par les Conséquentialistes. Quand nous méditons sur le fait que les phénomènes n’existent pas de manière ultime d’un côté, tout en existant conventionnellement de l’autre, nous méditons, ce faisant, sur les deux vérités, conventionnelle et ultime. Lorsque l’on se focalise sur l’existence conventionnelle des phénomènes, l’on ne médite que sur la vérité conventionnelle. Si quelque chose n’existe pas ultimement, est-ce nécessairement une vérité ultime ? Non, un soi existant véritablement par exemple n’en est pas une, pas davantage que tous les phénomènes conventionnels. Si quelque chose existe conventionnellement, est-ce nécessairement une vérité conventionnelle ? Non, tous les phénomènes existent de manière conventionnelle, y compris les vacuités. Le fait que quelque chose n’existe pas ultimement est une vérité ultime, mais quelque chose qui n’existe pas ultimement n’est pas forcément une vérité ultime. Le fait qu’un phénomène existe conventionnellement, est une vérité conventionnelle, mais quelque chose qui existe conventionnellement n’est pas nécessairement une vérité conventionnelle. Le raisonnement est le même que lorsque l’on dit qu’objet de connaissance est permanent, mais que quelque chose qui est

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un objet de connaissance n’est pas forcément permanent. Quand nous réalisons qu’un phénomène n’existe pas de manière ultime, nous réalisons la réalité, la vérité ultime. Le fait qu’un phénomène n’existe pas ultimement est une vérité ultime, mais un phénomène qui n’existe pas ultimement n’est pas forcément une vérité ultime. Les deux vérités coexistent de manière compatible au sein d’un même phénomène, mais cela ne veut pas dire qu’un phénomène soit les deux vérités. Que signifie l’existence relative (ou conventionnelle) ? Les Conséquentialistes considèrent que les phénomènes existent seulement de manière relative mais pas ultime. « Exister conventionnellement » signifie que tous les phénomènes n’existent que comme de simples imputations conceptuelles, comme de simples désignations, de simples dénominations. Une « table » par exemple, n’existe que comme une simple désignation ; quelle est l’argumentation logique qui démontre ceci ? Un étudiant : Si nous démontons la table en ses différentes parties, il n’y a aucune table à l’exception de la réunion de ses parties. Guéshé-lag : En effet, la table existe uniquement comme une simple étiquette, parce que lorsque nous la cherchons dans le cadre d’une analyse approfondie, elle est introuvable. Ainsi, quand nous disons qu’un phénomène existe seulement comme une simple désignation, c’est exactement comme l’étiquette « table » attribuée à un assemblage de parties, sinon en cherchant la table nous ne parvenons pas à la trouver. La table simplement dénommée existe sur la base de désignation (le regroupement de ses parties) et tant que l’on ne mène pas une investigation approfondie, nous percevons une table existant de façon relative qui est en mesure de fonctionner en tant que table. Si nous n’examinons pas la dénomination, nous pouvons continuer à utiliser la table, mais sitôt que nous commençons à chercher à localiser la véritable table au sein de ses parties, nous perdons la table. Un étudiant : Cela fait drôle que l’objet ne puisse être trouvé mais que néanmoins il y ait tout de même quelque chose. Guéshé-lag : Il est normal de ressentir cela, parce qu’effectivement quelque chose existe mais lorsque nous le cherchons c’est introuvable. Cela est valable pour n’importe quel objet (la personne, moi-même), nous ne pouvons le trouver. Si nous trouvons quelque chose au terme d’une analyse approfondie, cela indique que quelque chose existe véritablement. Si nous ne trouvons pas l’objet au terme d’une analyse approfondie, cela prouve que l’objet n’existe pas véritablement. Il y a une existence mais elle est introuvable dans le cadre d’un examen approfondi ; c’est ce que l’on veut dire en disant que tous les phénomènes sont simplement des imputations conceptuelles, des désignations, des étiquettes : c’est un point subtil amené par les Prasangika. Les Svatantrika et les écoles inférieures ne sont pas en mesure d’adhérer à cette vue. Ne pas tomber sur un objet concret au terme d’une analyse détaillée ne signifie pas que nous avons réalisé la vacuité ; cela nous aide seulement à comprendre le sens de la vacuité. Guéshé-lag : Les deux écoles inférieures considèrent qu’après avoir mené l’analyse et cherché la table, l’on trouve quelque chose qui est la table, à savoir : le regroupement de ses parties. Que pensez-vous que les Cittamatras considèrent comme étant la table au terme de cet examen approfondi ? Un étudiant : Ils estiment que la table est le résultat d’une empreinte laissée dans l’esprit.

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Guéshé-lag : C’est exact, mais qu’est-ce que les Cittamatras considèrent comme étant la table substantielle ? D’après cette école, la table n’est que la simple apparence de la table qui surgit à la faveur du mûrissement d’empreintes laissées sur le continuum mental. Les Conséquentialistes prétendent que la table est établie comme une simple étiquette attribuée à la base de désignation de la table. Un étudiant : Alors, il n’y a rien là ; c’est juste un concept. Guéshé-lag : En réalité, il y a un stylo sur votre table, on peut admettre cela, être simplement désigné ne signifie pas rien n’existe du tout. En général, les phénomènes n’existent que comme de simples étiquettes, mais aucun phénomène n’est trouvable après un examen détaillé de sa base de désignation. Un étudiant : Tous les phénomènes sont dotés d’une entité ultime et d’une entité conventionnelle, que signifie « entité » ? Guéshé-lag : « Entité » veut dire nature. « Nature » se réfère à l’entité finale d’un phénomène et l’entité finale d’un phénomène signifie la nature de ce phénomène, et c’est sans fin, on tourne en rond. Un étudiant : Est-ce que la table et l’impermanence constituent une entité ? Guéshé-lag : Absolument, la nature de la table est impermanente, aussi elles forment une entité. Natures temporaire et ultime La nature temporaire d’une table est la table dotée de la nature de la vérité conventionnelle : l’impermanence. La nature ultime de la table est l’absence d’existence véritable de la table. Nous pouvons comprendre ainsi la manière dont l’aspect conventionnel et l’aspect ultime coexistent au sein d’une table. Cette explication éclaire le sens du texte qui mentionne que les phénomènes n’existent pas ultimement, mais existent bien conventionnellement et que ce faisant, l’agent, l’acte et l’objet peuvent être établis. Selon les Conséquentialistes, quelle est la personne qui crée du karma et fait l’expérience du résultat ? Il s’agit seulement du simple « je », le soi qui passe de vie en vie, ce « je » qui est une simple imputation. Nous définissons le « je » simplement étiqueté comme étant seulement le « je » imputé sur la base de désignation qu’est le regroupement des agrégats. Un étudiant : Pouvez-vous nous montrer ce qui distingue le « je » tel qu’il est évoqué dans les soutras et le « je » évoqué dans les tantras ? Guéshé-lag : Dans le tantra, le vent extrêmement subtil et l’esprit extrêmement subtil constituent la base de désignation du « je » qui va et vient, mais ces points ne sont pas abordés dans les soutras. Le simple « je » Si nous percevons clairement que le simple « je » est une imputation, nous aurons alors une bonne compréhension de la vue des Conséquentialistes. Si par contre nous ne faisons que répéter « la personne est une simple désignation », sans comprendre ce que cela signifie, c’est insuffisant. Nous en revenons toujours à l’interprétation finale des Conséquentialistes, à la façon dont ils présentent le « je » simplement dénommé.

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Lorsque ces enseignements sont délivrés dans les monastères tibétains, il est régulièrement demandé : « qu’est-ce que le simple « je » ? » Les moines réfléchissent à cela très profondément, se donnent beaucoup de peine et leur enseignant revient à la charge et insiste : « alors, c’est quoi ? ». Ils doivent y penser encore et encore, se sentent très déstabilisés, mais rechercher le simple « je » avec une telle sagacité les amène à développer une bonne compréhension de ce point. Vous avez peut-être l’impression que l’enseignement d’hier et d’aujourd’hui ne présente que peu d’intérêt, or je le considère comme l’enseignement le plus profond qui soit. Si nous n’en reprenons que les points essentiels, il est très vite parcouru, mais un sujet aussi majeur mérite d’être contemplé en profondeur. Le simple « je » est juste le simple nom qui est étiqueté, attribué à sa base de désignation. Ce « je » simplement désigné est la personne qui crée du karma et fait l’expérience des résultats. Tous les phénomènes sont seulement des désignations conceptuelles, y compris la personne. Dans toutes les autres écoles jusqu’aux Autonomes inclus, une illustration de la personne est systématiquement retrouvée au terme de l’analyse, mais pour les Conséquentialistes, tel n’est pas le cas, aucune illustration de la personne ne peut être trouvée. Ils soutiennent que la personne est simplement la seule étiquette.

II. Les divisions de la Vue Supérieure III. La manière de méditer la Vue Supérieure IV. Le critère d’accomplissement de la Vue Supérieure par la méditation