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Le camp de concentration pour Tsiganes de Barenton (Manche) De l’oubli au souvenir (1941-2008) « Les morts ne meurent pas quand ils descendent dans la tombe Mais quand ils descendent dans l’oubli. » Maurice Maeterlinck (cité de mémoire) Texte de la stèle « 11 avril 1941 - 8 octobre 1942 Ici, l'occupant nazi, avec la complicité des autorités de Vichy a fait interner des Tsiganes. Des enfants, des vieillards, des femmes et des hommes ont souffert. Souvenons-nous, pour que rien de semblable ne survienne demain ! » Après la cérémonie. (cliché Valérie Nicolas) Rapide historique du camp Par arrêté du 27 mai 1940, le préfet de la Manche, René Bouffet, ordonne aux nomades circulant dans le département de résider à cinq endroits précis : le Champ de Foire de Gavray, la Carrière des Bourdonnières à Saint-Michel-de- Montjoie, Le Boscq à Saint-Martin-d’Aubigny, le Champ de Mars de Saint-Lô, et la Carrière des Aubrils à Mortain. Peu nombreux, une trentaine au total, ils sont d’abord regroupés sur le champ de foire de Gavray d’où ils seront dirigés vers le camp de Barenton. (Extrait du Dictionnaire des personnages remarquables de la Manche, tome 4, Edition du patrimoine normand, 50570 Marigny) Le 4 avril 1941, le nouveau préfet nommé par Vichy, Gaston Mumber, réquisitionne les bâtiments d’un entrepreneur de Barenton, Romain Gaschet. Le même jour, le maire de Barenton reçoit des instructions du sous-préfet d’Avranches : Faire évacuer d’urgence l’immeuble réquisitionné. Clore immédiatement cet immeuble avec des piquets et des fils de fer barbelés en laissant assez d’espace devant cet immeuble afin que puisse se mouvoir la trentaine de nomades qui y sont cantonnés. Le 19 juillet suivant, le préfet décide de limiter les travaux au minimum indispensable pour rendre les locaux habitables. Un an plus tard, le délégué du ministre, secrétaire d’Etat à l’Intérieur, fait savoir au préfet que l’effectif du camp de Barenton « ne justifie plus les frais qu’entraîne son fonctionnement ».

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Le camp de concentration pour Tsiganes de Barenton (Manche)De l’oubli au souvenir (1941-2008)

« Les morts ne meurent pas quand ils descendent dans la tombeMais quand ils descendent dans l’oubli. »

Maurice Maeterlinck (cité de mémoire)

Texte de la stèle

« 11 avril 1941 - 8 octobre 1942

Ici, l'occupant nazi,avec la complicité

des autorités de Vichya fait interner des Tsiganes.Des enfants, des vieillards,des femmes et des hommes

ont souffert.Souvenons-nous,

pour que rien de semblablene survienne demain ! »

Après la cérémonie. (cliché Valérie Nicolas)

Rapide historique du camp

Par arrêté du 27 mai 1940, le préfet de la Manche, René Bouffet, ordonne aux nomades circulant dans le département de résider à cinq endroits précis : le Champ de Foire de Gavray, la Carrière des Bourdonnières à Saint-Michel-de-Montjoie, Le Boscq à Saint-Martin-d’Aubigny, le Champ de Mars de Saint-Lô, et la Carrière des Aubrils à Mortain. Peu nombreux, une trentaine au total, ils sont d’abord regroupés sur le champ de foire de Gavray d’où ils seront dirigés vers le camp de Barenton. (Extrait du Dictionnaire des personnages remarquables de la Manche, tome 4, Edition du patrimoine normand, 50570 Marigny)

Le 4 avril 1941, le nouveau préfet nommé par Vichy, Gaston Mumber, réquisitionne les bâtiments d’un entrepreneur de Barenton, Romain Gaschet. Le même jour, le maire de Barenton reçoit des instructions du sous-préfet d’Avranches :

Faire évacuer d’urgence l’immeuble réquisitionné. Clore immédiatement cet immeuble avec des piquets et des fils de fer barbelés en laissant assez d’espace devant cet immeuble afin que puisse se mouvoir la trentaine de nomades qui y sont cantonnés.

Le 19 juillet suivant, le préfet décide de limiter les travaux au minimum indispensable pour rendre les locaux habitables. Un an plus tard, le délégué du ministre, secrétaire d’Etat à l’Intérieur, fait savoir au préfet que l’effectif du camp de Barenton « ne justifie plus les frais qu’entraîne son fonctionnement ».

Les trente-cinq nomades sont dirigés vers le camp de Montreuil-Bellay.

La découverte du camp

Tout a-t-il recommencé parce qu’au détour de mes travaux sur le camp de Montreuil-Bellay, au tout début des années 1980, j’ai découvert cette seule ligne dans les archives : 9 octobre 1942 : 35 nomades arrivent de Barenton dans la Manche. (Un camp pour les Tsiganes…et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945, Editions Wallâda 1983, p. 78 ) ?

Le 4 juillet 1984, M. Yves Nédélec, Directeur des Services des Archives Départementales de la Manche écrivait :

Un très petit dossier du fonds de la Sous-Préfecture d’Avranches (aux Archives départementales), liasse 476, résume l’existence du camp d’internement des nomades de Barenton : - 3 avril 1941. Réquisition d’un immeuble appartenant à M. Romain Gaschet, entrepreneur, Cité de la Mine (pour l’établissement d’un camp de nomades.)- 16 juillet 1942. Le camp comporte 35 nomades, dont 21 enfants. Prévoir leur transfert au camp de Mulsanne (Sarthe), en raison des conditions d’hygiène (manque d’eau).- 3 octobre 1942. Ordre de les diriger non vers Mulsanne, mais vers le camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire).- 8 octobre 1942. Exécution de cet ordre.- 12 décembre 1942. Levée de la réquisition de l’immeuble Gaschet.

La notice sur Barenton pendant l’Occupation remplie par le Maire à la Libération ne comporte aucune allusion à ce camp.

Le camp de nomades, sur le site d’une ancienne mine de fer, dans la forêt de la Lande, à quelque six kilomètres au nord-ouest de Barenton. Carte empruntée au Net.

Ce camp était tombé dans l’oubli et ces deux mentions, dans mon ouvrage et dans ce courrier de M. Nédélec, ne réussirent pas à l’en sortir.

Le 22 novembre 1998, M. Jacques Declosmenil écrivait au maire de Montreuil-Bellay au nom de MRAP (Mouvement Contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples), section de la Manche :

Notre mouvement souhaite apposer une stèle commémorant l’existence d’un camp de rétention administrative des nomades de Barenton (Manche) du 11 avril 1941 au 12 décembre 1942 (revoir ci-dessus la lettre du Directeur du service d’archives départementales).Le Maire de la commune et le Président du conseil général concernés ont donné leur accord de principe.Au-delà de cette manifestation, nous voudrions initier un travail pédagogique décrivant un épisode peu connu et bien déterminé de l’histoire locale.Sachant que le 8 octobre 1942 a été exécuté l’ordre de diriger les internés vers le camp de Montreuil-Bellay, les archives datant de l’occupation, que vous possédez, renferment peut-être des informations sur cette déportation (nom des personnes, origine, sort ultérieur…).Dans ce cas, nous vous remercions de nous transmettre tout renseignement ou documentation.Dans le cas contraire, des contacts éventuels permettant de recueillir des témoignages peuvent-ils être pris ?

Comme elle le fait chaque fois qu’il lui est demandé des renseignements sur ce camp, la mairie de Montreuil-Bellay m’a transmis la lettre de Jacques Declosmenil afin que je réponde. Ce que je fis aussitôt en envoyant ce que j’avais appris sur Barenton et que j’avais ajouté quatre années auparavant dans la réédition de mon ouvrage. (Ces barbelés oubliés par l’histoire. Un camp pour les Tsiganes… et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945, Editions Wallada et Cheminements, 1994, pp. 77-78).

Le 6 août [1942]Demande de transférer les 36 nomades (12 hommes, 6 femmes, 18 enfants) du camp de la Cité de la Mine à Barenton (Manche) sur Montreuil-Bellay, alors qu’ils devaient l’être sur Mulsanne.Refusés plusieurs fois, comme ceux de Rennes, ils ne furent acceptés qu’en octobre.Télégramme du préfet de la Manche à celui du Maine-et-Loire, daté du 5 octobre :« 35 nomades Barenton partiront 8 courant 10 h 49. Arriveront Montreuil-Bellay 9 à 22 h 05. Stop. Prévoir transport pour 18 enfants et 4 vieillards. »

Ils entrèrent dans le camp de Montreuil le 9 à 17 h.

Les refus successifs de les recevoir à Montreuil s’expliquent. En effet, en juillet 1942, les internés du camp de Mulsanne étaient eux-mêmes prêts à quitter la Sarthe pour le Maine-et-Loire. Ils arrivèrent à Montreuil-Bellay le 3 août 1942. Ils étaient 756, dont un grand nombre de clochards raflés dans les rues de Nantes au printemps, et Montreuil se trouva aussitôt en surcharge d’effectif. En octobre, l’administration s’était organisée et pouvait « accueillir » les nomades de Barenton.

Chronologie normande

C’est Martine Goulard, adhérente du MRAP, qui, la première, a informé le comité local de l’existence d’un dossier aux archives départementales. Sans elle, le MRAP n’aurait pas su.

A compter de 1998, pour Jacques Declosmenil et le MRAP, ce furent dix années de lutte, en en concertation permanente et parfois difficile, avec le Service Départemental de l'Office

National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre (l’ONAC). Je reprends ici des extraits des courriers et articles évoquant ce combat opiniâtre qui m’ont été communiqués de Normandie.

En 1998

Lors d’une réunion publique à Saint-lô, le 20 février, Jacques Declosmenil s’interroge : Les plus anciens ont sans doute su. Qui recueillera les témoignages ? Qui écrira l’histoire de cette déportation ? Ceux du camp de la Mine de Barenton auront-ils droit un jour à une stèle, à une sépulture dans nos mémoires ?

Le 17 avril, le MRAP exprime auprès du maire de Barenton le souhait « qu’une plaque puisse être apposée sur le site de la citée de la Mine. » Par courrier du 8 septembre, le maire donne l’autorisation. Le 22 décembre, le MRAP sollicite une aide financière.

En 1999

Lors de sa séance du 10 février : « le conseil municipal, après en avoir délibéré, rejette la participation sollicitée, l’inclusion de la stèle dans le patrimoine communal, et donc sa maintenance. »

Par courriers des 11 et 13 octobre 1998, une demande de subvention a été adressée au président du conseil général de la Manche. Sachant que celle-ci est mal accueillie, une lettre datée du 24 février est envoyée à tous les conseillers généraux. Le président du MRAP y écrit notamment :

Un refus serait un affront à la mémoire, une tache sur le conseil général de la Manche, une défaite de la pensée et de la raison.

Pourtant, lors de sa séance du premier trimestre 1999, le conseil général exprime son refus à l’unanimité. Le MRAP réagit et dénonce « ”le vote de la honte“ unanime des élus, qui n’ont pas estimé possible de réserver une suite favorable à cette requête, traduit une volonté délibérée d’exclusion de la mémoire de ce triste épisode de l’histoire du département. »

Le MRAP regrette tout particulièrement la position du groupe des élus socialistes et républicains du conseil général. Celui-ci, dans un courrier du 12 mai, justifie sa position ainsi :

La forme de vos interventions auprès du Directeur Général des services du conseil général de la Manche, telle qu’elle nous a été rapportée en commission, est à notre avis inacceptable. Aucun élu républicain ne peut se laisser dicter sa conduite, en toute honnêteté et sans dérive, sous la contrainte d’un chantage ; la vôtre, telle qu’elle nous a été rapportée, menaçait de scandale dans la presse. C’est donc sur la forme, et uniquement à ce titre, que le groupe des élus socialistes et républicains a jugé que votre demande n’était pas défendable.

Réponse de Jacques Declosmenil :Le secrétariat de votre groupe nous ayant informé d’une évolution négative du dossier, nous avons pensé utile de prendre contact avec le président du conseil général. Nous avons été renvoyés vers le Directeur général des Services. Suite à votre courrier, celui-ci a été contacté le 18 mai. Il admet que la démarche du MRAP a été parfaitement courtoise. Nous avons essentiellement souligné que le

devoir de mémoire et le respect dû aux victimes justifiait de dépasser les clivages idéologiques et politiques. Il précise, sans se souvenir très exactement des propos tenus en commission, que ceux-ci ne voulaient aucunement traduire un esprit de diktat et de chantage médiatique. Ainsi et constatant qu’aucun contact n’a été pris par un élu socialiste et républicain avec le MRAP pour une explication, vous voudrez bien admettre que l’alibi de la forme, avancé tardivement, ne peut justifier que la demande de subvention n’ait pas été défendue. Il apparaît d’ailleurs peu conforme à votre attachement au fonctionnement démocratique des institutions, que des élus renoncent à exprimer une volonté et à assumer leurs responsabilités, préférant se défausser sur un fonctionnaire. Eu égard aux circonstances, et notamment les propos tenus dans l’article publié par le journal Charlie-Hebdo du 5 mai 1999, par Michel Levilly [président du groupe des élus socialistes et républicains] qui plaide « l’erreur d’inattention », le procès fait au MRAP apparaît comme une tentative maladroite pour se disculper d’une faute politique. [… ].

Le malaise engendré par cette affaire conduit notamment les élus du bureau municipal de la ville de Cherbourg (socialistes, écologistes, divers gauche et mouvements des citoyens) à écrire au président du MRAP le 4 juin 1999. Extrait du texte :

Ils se déclarent mobilisés pour que l’érection d’une stèle, avec l’inscription rappelant ces événements, puisse intervenir, et sont prêts à apporter leur concours pour que l’ensemble des acteurs politiques et associatifs adhèrent à ce projet.

Le 12 octobre, une rencontre a lieu entre le MRAP et le groupe des élus socialistes et républicains du conseil général. Celui-ci reconnaît avoir commis une « erreur » qu’il souhaite corriger.

Face à position de la commune de Barenton et du conseil général, une pétition nationale « Contre les votes de la Honte » a été lancée en avril de cette même année 1999. Les signataires « […] considèrent que le souvenir doit demeurer présent et l’outrage infligé, être regardé avec le respect dû à tous ceux internés derrières les barbelés, oubliés par l’histoire ; Demandent sur l’emplacement du camp que soit apposée une stèle […] ; s’indignent des votes de la honte unanimes des élus […] ; espèrent après plus de 50 années d’exclusion de la mémoire, un sursaut salvateur afin que le souvenir d’enfants, de femmes, d’hommes internés sur notre sol durant l’Occupation ne soit pas emporté par le vent de l’histoire et demeure présent pour toujours dans le passé du département. » Cette pétition va recueillir près de 700 signatures, dont celle de personnalités connues : Mouloud Aounit, Roland Castro, Gilles Perrault...

La pétition est remise au conseil général le 15 octobre.

Les entreprises contactées par le MRAP pour réaliser la stèle établissent des devis. Ils vont de 7 959 francs (le moins élevé) à 35 890 francs (le plus élevé).

Le 8 décembre, le conseil général de la Manche, par 25 voix pour, 4 contre et une vingtaine d’absentions, vote une subvention de 8 000 francs pour la stèle. Le MRAP remercie son président :

Des démocrates courageux ont voulu que la mémoire de ceux qui furent internés sur notre sol durant l’Occupation ne soit pas emportée par le temps.

Ce même mois, le Docteur Buisson, ancien maire de Mortain, commune proche de Barenton, s’exprime :

La commune de Barenton a refusé de faire un monument, et je me mets à sa place. Une stèle coûte très cher, les gens ne vont pas payer. Personnellement, je suis contre le fait d’ériger un monument, je mettrais une plaque et c’est tout.

Toujours en décembre, Fernand Lerachinel, conseiller général du canton de Canisy et représentant du Front National, déclare dans la presse :

Je trouve assez déplacé cette campagne pour cette stèle alors qu’en ce moment même, les Tsiganes sont pourchassés par les communistes de l’UCK au Kosovo. Quand on connaît les liens d’amitié entre le MRAP et le parti communiste, il y a de quoi se poser des questions.

Commence alors un long cheminement, pas toujours aisé, pour l’implantation de la stèle.

En 2000

Le 9 mai, la subdivision de la DDE (Direction départementale de l’Equipement) de Mortain écrit au MRAP :

Compte tenu des faibles largeurs de la chaussée constituant la RD 182 et de ses accotements auxquelles s’ajoutent la sinuosité de la voie, il n’est pas possible de prévoir une implantation sur l’emprise du domaine public départemental […]. J’attire votre attention sur le stationnement des véhicules que vous aurez à prévoir à proximité de cet édifice qui devra être implanté en retrait de la voie pour ne pas nuire à la sécurité des usagers de la route.

Courrier du 12 janvier 2001 :Notre recherche a porté sur 2 km de part et d’autre de l’endroit où se trouvait le camp d’internement des nomades. Malheureusement, nous n’avons trouvé aucun délaissé, ni sur largeur, qui permette l’implantation de la stèle à une distance minimum de 4 m par rapport au bord de la chaussée pour respecter les règles de sécurité par rapport aux usagers.

Il est alors envisagé de placer la stèle sur une parcelle délaissée longeant la RD 182 et présumée appartenir au domaine départemental. Il s’avère, après destruction par les services de l’Equipement de buissons et touffus d’arbres, que la parcelle est la propriété de Madame Bernard de Thieulloy, gérante du Groupe Forestier du Haut Fichet, 50720 Saint-Cyr-du-Bailleul. Cette dernière proteste vivement contre les coupes et demande que la stèle soit implantée sur le domaine public. Le MRAP s’engage donc dans la recherche d’une solution alternative permettant une implantation, là où existait le camp.

La facture de la réalisation de la stèle, par les Etablissements Mélanger, 53 140 Pré-en-Pail, est établie le18 juillet. Ceux-ci conserveront le monument durant 7 ans avant de pouvoir le poser fin 2007.

En 2001

Le 27 mars, la gendarmerie nationale fait savoir que les archives relatives au camp d’internement tsigane de Barenton sont consultables au Centre administratif de la gendarmerie nationale - BP 124, rue de Guinière, 36 300 Le Blanc.

Le 30 mars, Madame Estelle Rault écrit au MRAP qu’elle accepte de lui vendre une parcelle « d’une surface de 84 ares, moyennant la somme de 50 000 francs ». L’acte d’achat du terrain par l’association sera signé le 11 décembre 2002 chez Maître Jérôme Turczell, notaire à Barenton.

Le 25 avril, le directeur de cabinet du préfet de la Manche renvoie le MRAP vers le directeur départemental de l’ONAC pour constituer un dossier de demande de subvention auprès du ministère de la Défense.

Le 30 avril, le MARP demande à la commune si sa position a évolué. La délibération du conseil municipal du 14 mai est claire et nette :

Le conseil municipal, après en avoir délibéré, maintient la décision prise par le conseil municipal précédent lors de sa réunion du 10 février 1999.

En novembre, le MRAP fait appel aux dons. Parmi les plus importants, ceux de l’Union locale CGT de Saint-lô (500 francs), du syndicat SUD PTT de la Manche (500 francs), de SUD Equipement de Basse-Normandie (1000 francs), du Groupe Saint-Maurien contre l’oubli (1000 francs), de la Fédération des Œuvres Laïques de la Manche (300 francs). D’autres émanent d’élus communistes, socialistes, du mouvement républicain et citoyen, des Verts et de l’UMP.

Le 31 décembre, un courrier est adressé par le MRAP au maire et aux conseillers municipaux de Barenton :

[…] La décision confirmée du conseil municipal de Barenton […] risque de faire peser une lourde équivoque sur l’image de la commune. Il serait triste que le conseil municipal, élu en 2001, reste comme celui qui fut insensible aux atteintes aux droits de l’Homme que la cicatrice de l’Histoire a laissées dans la commune. C’est la raison pour laquelle, à nouveau, […] nous en appelons solennellement au sens de votre responsabilité face à la nécessité vitale du devoir de mémoire.

En 2002

Le 14 janvier, en accord avec le directeur départemental de l’ONAC, le Président de la République est sollicité en sa qualité de président du Haut Conseil à la Mémoire Combattante.

Le premier projet d’aménagement de la DDE a chiffré les dépenses des travaux à 30 000 euros. S'y est ajouté l'achat d'une parcelle de terrain : 7 622 euros, plus 1 204 euros de frais d'actes. Soit un total de 38 449 euros.

Le 30 janvier, une esquisse de financement, établie par le MRAP, est transmise au directeur départemental de l’ONAC :

Avant envoi du dossier aux collectivités territoriales […], le financement retenu pour l’Etat (15 244 euros) vous semble-t-il réaliste ?

En février, en l’absence de réaction défavorable, des dossiers de demande de subvention, sur la base de cette esquisse, sont déposés auprès de la commune, des conseils régional et général.

Le 26 février, M. René Garrec, président du conseil régional de Basse-Normandie, sénateur de Calvados, répond au MRAP :

J’ai le plaisir de vous informer que je proposerai, lors d’une Commission Permanente du conseil régional, d’attribuer une subvention de 7 480 euros à l’Association, pour ce projet.

Le terrain pour implanter la stèle pourra dès lors être acquis grâce à cette subvention du conseil régional et à l'engagement financier du MRAP et de partenaires soutenant son action.

Le 29 mars, le conseil municipal de Barenton délibére une dernière fois : Le conseil municipal […] confirme : - que les Barentonnais ne sont nullement responsables de l’installation de ce camp à Barenton,- que si ce camp d’internement de nomades ayant existé du 11 avril 1941 au 8 octobre 1942 à Barenton mérite une stèle commémorative, il existe des organismes nationaux qui devraient le prendre en charge, - et qu’il maintient les décisions antérieures prises les 10 février 1999 et 14 mai 2001.

Le 5 décembre, est signé le schéma départemental d’accueil des gens du voyage du département de la Manche dans lequel le préfet, suite à une rencontre avec le MRAP le 15 janvier 2001, fait figurer en annexe l’implantation de la stèle de Barenton.

En 2003

Le 13 février, le MRAP organise une conférence de presse pour dénoncer l’attitude de la commune et de l’Etat.

Le 26 février, Monsieur Robert Créange, secrétaire général de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes, fait connaître son soutien au projet à M. Hamlaoui Mekachéra, secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants.

Le 2 juillet, le MRAP demande à l'ONAC que le camp de Barenton figure pour un fleurissement parmi les 60 lieux de mémoire retenus dans les trois départements bas-normands. Cette requête n'aboutira pas. A l’instigation du MRAP, un dépôt de gerbe aura finalement lieu le 27 mai 2004. La veille, un message sur le répondeur de l’émission de Daniel Mermet sur France Inter, Là-bas si j’y suis, annoncera la cérémonie soutenue par les organisations suivantes : l’Union Tsiganes et Voyageurs de France, l’Association de Défense des Gens du Voyage et des Libertés du commerce, l’Association de Solidarité avec les Gens du Voyage de Normandie, la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes, la Fédération de la Manche de la Ligue des Droits de l’Homme, la FSU Section départementale de la Manche, SUD Solidaires Manche, l’Union Départementale des syndicats CGT de la Manche, l’UNSA Manche, la Ligue de l’Enseignement de la Manche, la Confédération Paysanne de la Manche, l’Association départementale des Francas de la Manche, le Comité Tiers Monde-Peuples Solidaires, le Conseil départemental du Mouvement de la Paix, l’Union départementale de la Confédération Syndicale des Familles. Le préfet s’excusera de ne pouvoir être présent « du fait d’engagements antérieurement contractés ». Le conseil régional et le conseil général seront représentés. Le député René André et le sénateur Jean Bizet, parlementaires du Sud Manche, invités, ne seront ni présents, ni représentés, ni excusés.

En avril, le maire de Barenton, conseiller général déclare à la presse :

« Nous sommes opposés à l’implantation de cette stèle parce que nous considérons que rien n’a été prouvé. Nous ne savons pas s’il y a eu des exactions dans ce camp qui justifieraient l’érection d’une stèle. »

Dans un autre journal en mai, il précise : Je ne suis pas opposé à l’installation d’une stèle, mais franchement les évènements qui se sont produits ici sont mineurs au regard de ce qui s’est passé ailleurs à cette époque. Et il n’est pas question que la commune apporte un quelconque soutien financier. Je crois que les Barentonnais sont déjà impliqués à travers leurs impôts à l’Etat, à la région et au département.

Le premier adjoint et président des Anciens Combattants ajoute : Pourquoi revenir là-dessus soixante ans après, puisqu’il n’y a pas eu de morts ici. Et puis cette stèle risque d’attirer chaque année des dizaines de caravanes, ce que nous ne souhaitons pas.

Le 21 juillet, après plusieurs échanges épistolaires, M. Jean-François Legrand, président du conseil général de la Manche, écrit au MRAP :

J’ai le plaisir de vous informer que l’Assemblée départementale, lors de sa réunion du mois de mars dernier, a décidé de vous accorder une subvention de 7480 euros pour la réalisation de votre projet.

Sur 52 conseillers généraux, 16 ont voté pour, 12 contre, les autres se sont abstenus. Le maire de Barenton, conseiller général, déclare :

La réalité des faits n’est pas établie. D’ailleurs à Barenton, peu de gens s’en souviennent.

Le MRAP remercie les « 16 conseillers généraux qui, par leur vote, ont reconnu des personnes humaines, refusé le silence de l’oubli, et contribué à l’éducation par la connaissance du passé. »

Mais, cinq années plus tard, deux partenaires essentiels feront défaut : la commune et l'Etat. Ce dernier, qui ne semble plus vouloir tenir ses engagements, ne donnera pas suite aux diverses requêtes du MRAP.

Le 18 juillet à Saint-Lô, lors de la cérémonie commémorant les persécutions racistes, le MRAP fait part de son inquiétude au directeur de cabinet du préfet. Aucune réponse.

Le 19 septembre, le Comité local de la Manche sollicite une audience auprès du préfet. Aucune réponse pareillement.

En 2004

Le 30 juin, Jacques Declosmenil adresse une lettre ouverte au maire de Barenton qui a été nommé au grade de chevalier dans l’ordre des Palmes académiques. Contrairement aux usages, il ne le félicite pas et espère que « vous ressentirez profondément votre promotion comme une obligation morale de faire œuvre de pédagogie sur les erreurs passées, et de témoigner de la vérité pour les générations future, afin que rien de semblable ne survienne demain ».

Le 20 octobre, le MRAP écrit à la sous-directrice de la Direction de la Mémoire et du Patrimoine et des Archives :

Nous ne récapitulerons pas […] toutes les démarches faites notamment auprès des différentes administrations de l’Etat pour faire aboutir ce dossier. Nous constatons simplement que les promesses succèdent aux engagements non tenus et que les services de l’Etat se rendent mutuellement responsables de la situation. Cela pourrait nous conduire à l’écœurement et à baisser les bras. Au contraire, le devoir de mémoire à l’égard des victimes […] et l’engagement financier du conseil régional et du conseil général confortent notre détermination et notre volonté inébranlable […].

Le 22 octobre, Jacques Declosmenil écrit au directeur départemental de l’ONAC :Eu égard au plan de financement prévu qui a été entériné par les conseils régional et général, un désengagement de l’Etat ne pourrait être perçu que comme un affront au souvenir de victimes dont des descendants vivent encore dans le département.

En 2005

Nouveau courrier le 10 janvier à la DMPA (Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives) :

Au début de l’année, en réponse au souhait du MRAP, diverses personnalités et associations interpellent la DMPA : Didier Anger, conseiller régional des Verts, l’Association de Solidarité avec les Gens du Voyage de Normandie, SUD Solidaires Syndicat des PTT de la Manche, la FSU.

Ce même mois, lors de la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz, le MRAP souligne dans un communiqué de presse l’indifférence de l’Etat envers le camp de Barenton. Le ministère de la Défense admet que le dossier est en attente « notamment parce que l’opération atteint financièrement des proportions démesurées : les aménagements autour du site, exigés par l’Equipement, représenteraient 80 % du coût de l’ensemble ».

Le 21 février, un courrier est envoyé au conseiller pour les Affaires des Anciens Combattants auprès du ministre de la Défense.

Le 12 avril, Mouloud Aounit, président national du MRAP, adresse un courrier à M. Hamlaoui Mekachéra, ministre délégué aux Anciens Combattants.

Le 24 avril, à l’occasion de la cérémonie commémorant la journée de la déportation, des militants du MRAP, face aux autorités rassemblées devant le monument départemental de la Résistance, rappellent silencieusement l’occultation de la mémoire dont sont victimes les Tsiganes internés à Barenton.

Comme suite à l’ensemble de ces démarches et à diverses relances auprès du préfet, une réunion se tient le 29 juin sous l’égide de Mme Dilhac, sous-préfète d’Avranches, « relative au projet d’implantation d’une stèle commémorant le camp d’internement tzigane de Barenton. »

Le 9 octobre, un dossier pour une demande de subvention de 13 680 euros est déposé auprès du directeur départemental de l’ONAC.

Le 11 octobre, Mme Dilhac fait connaître que le principe d’un engagement de l’Etat est acquis sur la base du tiers de la dépense. Ce qui signifie que l’esquisse prévue de financement est remise en cause, l’Etat n’accordant plus la subvention envisagée (15 244 euros, mais 7 480 euros, comme le conseil régional et général). La somme disponible pour réaliser les aménagements est donc dès lors de 14 864 euros.

Le 3 novembre, le MRAP demande à la DDE, subdivision de Mortain, d’élaborer un nouveau projet correspondant à cette enveloppe. Celui-ci est s’établit finalement à la somme de 13 763 euros.

En 2007

Le 6 janvier est publiée, au frais du MRAP, l’annonce légale d’avis d’« Appel public à la concurrence procédure adaptée-travaux ».

Le 23 février, après de nombreux échanges téléphoniques avec le ministère de la Défense, l’adjoint de la sous-directrice de l’Action culturelle et éducative de la Direction de la Mémoire du Patrimoine et des Archives confirme enfin :

J’ai le plaisir de vous informer que la commission d’attribution des subventions a émis un avis favorable à votre demande de soutien financier à hauteur de 7 480 euros.

Le 26 février a lieu l’ouverture de plis reçus suite à la consultation des entreprises. Le marché des travaux est attribué à la Sarl Mongodin, La Pierre Blanche, 50640 Le Teilleul.

Le 28 février, Jacques Declosmenil écrit à MM. Jean-Louis Fargeas, préfet de la Manche, Jean-François Legrand, sénateur et président du conseil général de la Manche, et à Jean Bizet, sénateur, conseiller général et maire du Teilleul. Ceux-ci ont invité à la réception dans l’ordre de la Légion d’honneur M. Hubert Guesdon, docteur en médecine, vice-président du conseil général de la Manche et maire de Barenton, par M. Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité Sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille. Le président du MRAP écrit notamment :

La présence d’un ministre de la République et des plus hautes personnalités du département, pour rendre hommage à celui qui considère que la mémoire de l’atteinte aux droits de l’Homme mérite silence et oubli, dévaloriserait un message fort. Eu égard au long combat de tous les démocrates pour le respect de la mémoire, nous ne pouvons l’accepter sans réagir. Honorer de votre présence la réception donnerait publiquement quitus au Docteur Guesdon d’actes qui, aux yeux du MRAP, ne le rendent pas vraiment digne d’un hommage […] Face aux dangers qui, dans notre société, menacent le vivre ensemble, en conscience nous voulons croire que votre posture servira les valeurs républicaines de fraternité.

Bien évidemment, il n’y aura pas de suite ! L’Union départementale de la CGT de la Manche a soutenu le contenu du courrier et le journal régional FR3 Basse-Normandie réalise un reportage sur le sujet.

Le 1er octobre est signé l’arrêté portant permission de voirie.

Grâce au concours de la DDE Subdivision d’Avranches, qui prépare le dossier de consultation des entreprises, à la compréhension de la Direction des Infrastructures et des Transports du conseil général, Agence technique départementale du Sud Manche, et de l’entreprise Sarl Mongodin (devis de 15 466 euros ramené à une facture de 14 746 euros), il sera possible de réaliser les travaux.

Le 10 décembre, le préfet écrit au MRAP que l’inscription de la stèle en annexe du schéma départemental d’accueil des Gens du Voyage, n’implique pas d’obligation pour la commune de Barenton ! Le MRAP se tourne donc vers le conseil général.

En 2008

Le 16 avril, en réponse à la demande du MRAP datée du 11 février, le conseil général fait connaître « qu’il est tout à fait favorable à [sa] proposition d’entretenir ce lieu de mémoire dès lors que les transferts de propriétés auront été effectués. » C’est un grand soulagement.

Le 25 septembre, après la cérémonie de la journée nationale d’hommage aux harkis, un échange courtois a lieu dans le bureau de M. Lemagnen, directeur départemental de l’ONAC, qui a souhaité rencontrer le président du comité du MRAP. Celui-ci l’informe des modalités retenues pour la cérémonie, des noms des personnalités devant y participer. Vu la subvention accordée en 2007 par l’Etat, il exprime son désir qu’un représentant de ses services soit présent.

Le 8 octobre, le directeur départemental de l’ONAC contacte téléphoniquement le président du MRAP pour lui dire que le préfet a contesté fermement l’envoi d’un carton d’invitation identique à celui transmis à tous les autres invités, et notamment à lui-même, ce qui ne respecterait pas les règles strictes du protocole qui veut qu’un courrier particulier soit adressé au nom du préfet. De ce fait, le Cabinet a considéré ne pas avoir reçu d’invitation. Il regrette également que le sous-préfet d’Avranches n’ait pas été sollicité et que le maire de Barenton n’ait pas été formellement invité, tout comme les associations d'Anciens Combattants, notamment celle de la commune. Pendant l’entretien, le directeur départemental de l’ONAC déclare ne pas savoir si le préfet va ou non déléguer quelqu’un pour représenter l’Etat.

Lors de la discussion, le MRAP signale qu’il ignorait les règles de « l’étiquette » concernant l’organisation des cérémonies officielles. Il souligne, suite à un contact pris à son initiative avec le directeur départemental de l’ONAC, que celui-ci a demandé qu’un courrier soit adressé au préfet pour l’informer officiellement de la date de l’inauguration. Cela a été fait par lettre du 2 avril, courrier par lequel le MRAP lui a notamment demandé sous l’égide de qui devaient être effectuées les invitations, et quels étaient ses souhaits concernant l’organisation de la cérémonie. Ce courrier n’a eu aucune réponse. En conséquence, comme suite à l’envoi par le MRAP de l’invitation « commune », une relance téléphonique a été faite le 22 septembre auprès du cabinet du préfet, sans plus de résultat.

En conclusion d’une discussion assez tendue avec le directeur départemental de l’ONAC, Jacques Declosmenil confirme que le MRAP est bien évidemment prêt à accueillir un représentant de l’Etat et à lui donner la parole pour clore la cérémonie. Il ajoute, indépendamment de la position personnelle du conseiller général, maire de Barenton, que la collectivité a été informée, à toutes fins utiles, et qu’elle met une salle à disposition pour le

vin d’honneur. Il relève que, derrière des questions apparemment de forme, se cachent sans doute des arguties pour « justifier » l’absence d’un représentant de l’Etat.

En réponse à la demande du directeur départemental de l’ONAC, Jacques Declosmenil précise que le représentant de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes), sera présent. S’agissant des autres associations départementales d’Anciens Combattants, il rappelle qu’elles ont été sollicitées, en temps et lieu, afin de soutenir le combat du MRAP pour implanter la stèle. Seule la FNDIRP s’est impliquée et a donc été invitée.

Le MRAP se déclare disponible pour tout contact utile, et demande à être informé, dès que possible, de la position définitive du préfet pour éviter tout nouvel « impair ». Noter aussi, afin que l’Etat dispose de tous les renseignements nécessaires, que le service des Renseignements généraux a pris l’attache du président du MRAP. Ce dernier a répondu à toutes les questions posées.

Le 11 octobre 2008, lors de l’inauguration de la stèle, le conseil régional sera représenté par son premier vice-président, Jean-Karl Deschamps, et par Michèle Lemaux, conseillère régionale, adhérente du MRAP. La mairie de Barenton le sera par la première adjointe, Mme Thérèse Pottier.

Au-delà de la Normandie

En 2005, la revue Etudes Tsiganes n° 2/1995 a publié un numéro spécial sur le sujet : 1939-1946 France : L’internement des Tsiganes. J’avais donné une série d’articles sur les renseignements que je possédais à l’époque sur divers camps. Ainsi, sur celui de Barenton, suite à mes recherches aux Archives nationales à Paris :

La Cité de la Mine de BarentonLe 11 avril 1940 [faute de frappe, en réalité 1941], le camp est installé dans une ancienne mine de fer, à 7 km [en réalité à peine 6 km] au nord-ouest du bourg, sur les instructions du préfet de la Manche. Ce camp existait précédemment à Gavray où les nomades, et une certaine catégorie de forains, devaient être placés en résidence forcée. Présence de deux bâtiments en brique :- un pour le personnel de surveillance- un pour les internés, compartimenté en 16 pièces logeables. Les ménages disposent de 2 pièces, l’une au rez-de-chaussée, l’autre à l’étage. Ni électricité, ni eau. L’au potable est recueillie à 900 m du camp.Une ceinture de barbelés est rapidement établie, 5 gendarmes assurent la surveillance. Capacité maximum : 40 internés. Ils sont 36 le 17 janvier 1942 ; 36 encore le 21 juillet : 12 hommes, 6 femmes et 18 enfants.Les Archives nationales (72.AJ.284) évoquent ce camp de Barenton. Le document n’est pas daté :« Une cinquantaine d’internés, de nationalités diverses. Portent des vêtements civils. Ne sont pas maltraités. Vont travailler librement chez des agriculteurs et sont rémunérés. Ne peuvent pas sortir le dimanche. N’ont pas d’ausweiss. [Suivent les renseignements publiés dans la réédition de mon ouvrage en 1994. Voir ci-dessus.]

Une note précise que le camp de Barenton étant installé dans des conditions très précaires, il n’y a aucun matériel susceptible d’être utilisé ailleurs. »

Les archives parisiennes laissent entendre que les internés n’étaient pas maltraités, ce qui est vraisemblable. Cette thèse est notamment partagée par Michel Boivin, universitaire de la faculté de Caen, qui a publié de longs développements sur le camp de Barenton : « La Manche occupée, 1995 ». Barenton était l’un des nombreux petits camps ouverts à la hâte au début de la guerre. Il semble que les responsables et les gardiens ne savaient que faire de ces populations que l’on parquait ainsi dans chaque département suite au décret signé le 6 avril 1940 par Albert Lebrun, dernier président de la 3ème République. Après les transferts successifs, à partir de l’été 1942, dans le grand camp régional de Montreuil-Bellay, les conditions de l’enfermement furent beaucoup plus dures. Les nomades de Barenton rejoignirent donc ceux de Montreuil le 9 octobre. Certains, le 16 janvier 1945, furent transférés dans les camps de Jargeau (Loiret) ou d’Angoulême (Charente) où les derniers ne furent libérés qu’en juin… 1946 !

Le camp de Montreuil-Bellay vu du haut d’un mirador en Enfants photographiés par les religieuses dans1944 (archives J.-C. Leblé, J. Sigot). le camp de Montreuil-Bellay (archives J. Sigot).

Peu après la publication du numéro spécial d’Etudes Tsiganes, je découvris avec surprise que l’on parlait du camp de Barenton dans un roman policier de Didier Daeninckx, La route du Rom (collection Folio, 2005, pp. 127 à 137). Le 27mai 2005, invité par le MRAP, il a donné, sur ce sujet, une conférence à Saint-lô. Ci-après quelques extraits de ce roman :

[…] Pas plus tard qu’avant-hier, on m’a confié que, non loin d’ici, à Barenton, aurait fonctionné un camp de concentration destiné aux Gitans… Vous possédez des documents, à ce sujet ?- Camp de rétention, très certainement… Camp de concentration, le terme est un peu fort… On pourrait plutôt parler de camp de regroupement comme il en a existé des dizaines à travers le pays, à partir de 1939… Ici, dans la Manche, c’est resté marginal, cela ne concerne que quelques individus… Une cinquantaine au maximum.

Non, le terme « concentration » n’est pas trop fort, il est au contraire très exact comme le rappelle cette définition relevée dans Le livre noir de l’humanité, ouvrage de Steven L. Jacobs(Editions Privat, 2001) :

Les camps de concentration sont des camps de prisonniers pour les personnes issues de groupes minoritaires, pour les dissidents politiques ou autres individus décrits comme « asociaux », détenus pour une durée indéterminée, le plus souvent sans avoir eu droit à un procès équitable. Ils se différencient des prisons, qui se

veulent des lieux de détention légitimes pour ceux qui sont coupables de violer les lois ; des camps de prisonniers, où sont détenus les ennemis capturés ; et des camps de détention, d’internement ou de réfugiés, où sont rassemblées des populations civiles après une guerre. Il existe aussi des camps de concentration où les détenus sont retenus contre leur gré et sans contrôle judiciaire, mais sans y être maltraités.

Ce que furent exactement les camps de Barenton et de Montreuil-Bellay, et bien d’autres ayant enfermé des nomades pendant la seconde Guerre mondiale… et après.

Continuons de lire Didier Daeninckx :[…] J’ai tout vérifié, recoupé minutieusement les informations, ainsi que mes maîtres me l’ont appris. Cinquante-cinq « nomades », selon la terminologie administrative encore en vigueur aujourd’hui, ont été parqués à Barenton, le 11 avril 1941, sous la surveillance de cinq gendarmes français. [Le chef de poste était le gendarme Subesti]. Il n’y a jamais eu d’Allemands sur place. La capacité du camp, deux bâtiments en brique, avec un seul point d’eau à près d’un kilomètre, était de quarante personnes. Les directives du gouvernement de Vichy obligeaient les détenus à subvenir à leurs besoins, et ils ont donc été employés aux travaux des champs, pour le bénéfice des paysans du secteur…On possède des listes nominatives des incarcérés. A la Libération, la majeure partie d’entre eux restera introuvable. J’ai écrit une sorte de rapport très documenté que j’ai adressé à l’ensemble des membres du conseil municipal de Barenton, demandant qu’une stèle soit apposée à l’endroit où se dressaient les limites barbelées du camp… J’étais soutenu par le MRAP.- La mairie a accepté ?Guy Haurée remplit les verres.- Vous êtes un indécrottable optimiste, monsieur Lecouvreur ! Ils ont répondu en 1999 que si, par aventure, un monument voyait le jour, ils refuseraient de l’inclure dans le patrimoine communal…

[…] Sur le chemin du retour, Gabriel s’arrête Chez Henry, une brasserie de Condé-sur-Noireau, pour manger une omelette à l’andouille arrosée d’une Magnétic Pils. Il consulte la liste des Roms regroupés en 1941 au camp de la mine de Barenton que l’historien lui a laissée. Hutzinger, Demetriolos, Durdeville, Hetarraz…[les noms ont été changés par l’auteur].

Le 11 octobre 2008, dans son discours lors de l’inauguration, Jacques Declosmenil évoquera ceux des internés :

[…] A la date de la fermeture du camp, 18 femmes et 17 hommes s’y trouvent. Pour la plupart, ils sont nés en France. Respectivement âgés de 3 à 62 ans. 32 internés se rattachent à trois familles. Deux sont des familles de forains : les Chelet et les Ziegler, et une du cirque : les Marinkovitch. Les autres internés sont : Ernestine Cousin (marchande), Paul Garnier (journalier), Emile Heugebaert (chanteur ambulant), Albert Josse (ouvrier menuisier) et Marie-Eugénie Chamois (raccommodeuse de porcelaine) »

Dans un texte non signé sur le camp de Barenton, découvert lors d’une exposition sur les Gens du Voyage à Elne (Pyrénées-Orientales), j’ai noté ces quelques lignes qui font écho aux précédentes :

Les trente-cinq nomades sont dirigés vers le camp de Montreuil-Bellay. Il s’agit des familles Chelet (8 membres), Marinkowitch (9 membres), Ziegler (13 membres), et cinq isolés. Ils sont presque tous nés en France, cinq étant originaires de la Manche et quatre du Calvados.

Une stèle, enfin

Pour le MRAP, le symbole que représentait ce camp était d'une importance cruciale, puisqu'il était la preuve de l'oppression qui s’était abattue sur les populations tsiganes en France lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce que devrait rappeler Jacques Declosmenil le 19 septembre 2008 dans le journal Ouest-France :

Barenton ne voulait pas en entendre parler et nous avons eu toutes les peines du monde à acheter le terrain d'érection de la stèle. Mais perdre cette bataille aurait été une offense de plus à la mémoire de ceux qui y ont souffert.

Le 11 octobre dernier [2008], l’inauguration de la stèle fut donc marquée par l’absence d’un représentant de l’Etat. Pas davantage de représentant du conseil général. Cinq jours plus tard, le 16 octobre, le MRAP devait écrire à son président :

Vous trouverez, ci-joint, pour votre information, le texte du discours, prononcé le 11 octobre 2008, lors de l’inauguration de la stèle commémorant le camp d’internement tsigane de Barenton. Nous vous remercions, encore une fois, pour votre implication personnelle et votre soutien au combat de notre comité, qui ont permis, qu’un épisode tragique de l’histoire du département, ne soit pas occulté. Nous regrettons donc que le souvenir d’une inauguration, digne et particulièrement émouvante, notamment en raison de la présence Monsieur Jean Ziegler qui, enfant, fut interné dans le camp, soit marqué, à jamais, par l’absence douloureuse d’un représentant du conseil général. Nos regrets sont d’autant plus vifs que ce manque pourrait apparaître comme une caution à la posture insoutenable du conseiller général de Barenton.

Dans son discours inaugural, Jacques Declosmenil remercia ceux qui les avaient aidés dans « ce combat pour implanter cette stèle [qui] a réveillé de vieux clivages. D’un côté ceux qui ne veulent pas remuer les souvenirs. De l’autre, ceux qui se reconnaissent dans le discours du président de la République, Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, lors de la cérémonie célébrant le 63ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv […]. Oui la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par l’Etat français […] » Parmi les personnes citées : MM. René Garrec, président du conseil régional de Basse-Normandie, Jean-François Legrand, président du conseil général de la Manche, confronté à une large opposition au sein de l’assemblée départementale; Mme Dilhac, sous-préfète d’Avranches, dont l’engagement a été indispensable et déterminant pour surmonter les contraintes et les lourdeurs administratives.Jacques Declosmenil cita également Mme Estelle Rault qui, « en dépit de fortes pressions de certains élus pour l’en dissuader, [avait] osé vendre au

MRAP le terrain où [avait] été implanté le camp ».

Ayant également remercié toutes les autres personnes présentes, Jacques Declosmenil termina son discours en évoquant deux témoignages. D’abord celui de Jeanne-Emilienne Desmarais, épouse de Joseph Ziegler (1920-1998). Les malheurs de la famille Ziegler avaient commencé

à Saint-Michel-de-Montjoie. Puis ce fut Gavray, où était né Ernest, l’aîné de leurs sept enfants, et Barenton, à la « Cité des Mines ».

« Pas d’eau, ni d’électricité, un froid terrible, se rappelle Jeanne Desmarais. J’ai dû faire des vêtements avec la paillasse, ce qui m’a valu d’être mise au cachot. A Barenton, les gardiens et la population ont été corrects, et certains nous ont même aidés avec de la nourriture.»

Jean Ziegler a été lui aussi interné à Barenton. Il avait 4 ans.

Etait-ce à Barenton ? mais nul cachot n’est signalé dans ce camp. Plutôt à Montreuil-Bellay où une cave souterraine servit de prison. On m’a plusieurs fois évoqué des incarcérations pour des motifs semblables. Les survivants étaient très jeunes derrière les barbelés, et il est naturel que les images des différents camps vécus se brouillent plus de soixante années après.

Enfin, le témoignage d’Aimable Laurent qui, alors âgé de 14 ans, soignait les bêtes dans les herbages proches du camp : « Le camp était très petit, les gens du voyage étaient parqués comme des lapins. Ils n’étaient pas heureux, ils crevaient de faim. Je les vois encore tendre les mains entre les fils de barbelés. Le camp en était entouré. Les Tsiganes ne mangeaient pas à leur faim. Quand mon père tuait des volailles, il m’envoyait porter les boyaux aux nomades qui en faisaient des tripes. Dans le camp, il n’y avait ni eau, ni électricité, ni chauffage. »

Hommage aux Tsiganes victimes du camp de Barenton. Par Joëlle Renard Breton.

A l’issue de la cérémonie, Joëlle Renard Breton, déclara :J’ai été sensible à la demande de Jacques Declosmenil que je suis depuis longtemps dans son parcours de militant au MRAP et dont l’énergie et la détermination sont à la hauteur de ses indignations. En soutien des valeurs l’animant, j’ai donc naturellement accepté de m’associer à ce combat de réhabilitation et réalisé trois affiches à la mémoire des Tsiganes internés au camp de la Mine à Barenton en avril 1941. Etant artiste-plasticienne, mes productions oscillent entre des univers textuels et picturaux, avec en toile de fond le désir de laisser une trace sensible de ce qui touche à l’aventure humaine.L’on dit que les artistes sont là pour regarder pour les autres et qu’ils invitent au voyage… c’est ici un curieux voyage où l’artiste et le militant nous entraînent vers

des espaces de mémoire réactivés révélateurs de conscience. Je livre ma représentation avec la sensibilité qui est la mienne. C’est une autre façon d’exprimer des émotions profondes sur des événements passés qui, parce qu’ils nous interpellent et heurtent nos consciences, ne peuvent pas sombrer dans l’oubli. C’est ma façon de rendre hommage à des enfants, des femmes et des hommes qui représentent l’éternel voyage dans l’inconscient collectif. Les Tsiganes disent d’eux-mêmes : « Nous sommes des oiseaux de passage, demain nous serons loin ». J’aimerais retenir cette leçon d’humilité pour dire une fois de plus : « Plus jamais ça ! » Je voudrais me persuader que rien de comparable ne puisse encore arriver.

La mémoire de ces souffrances est aujourd’hui sauvée. Une stèle à l’écriture malheureusement peu lisible les rappellera à ceux passant sur cette petite route départementale 182 qui traverse la forêt de la Lande, au nord de Barenton. Loin du bourg comme l’exigeaient, plutôt comme l’exigent toujours ces gens de la ville qui n’aiment pas les vagabonds accusés in aeternam de tous les maux. Vous avez dit « camp de concentration », l’expression est un peu forte, ne pensez-vous pas ? Parlons d’autre chose, voulez-vous… Ce 11 octobre 2008 fut une très belle journée ensoleillée, on se serait cru en plein été… Ca va comme ça ? Ca va…

Jacques Sigot, en collaboration avec Jacques Declosmenil, octobre 2008

Dossier photos

Samedi 11 octobre 2008, dans la forêt de la Lande, à Barenton, l’arrivée des premiers invités.(Cliché J. Sigot)

Jean-Karl Deschamps, premier vice-président du conseil général, évoque la primauté de la laïcité, de la tolérance et de l’éducation.(cliché Jacques Sigot)

Mouloud Aounit, membre du Collège de la Présidence du MRAP, rend hommage au Comité de la Manche, et en particulier à son président, Jacques Declosmenil.(cliché Jacques Sigot)

Pendant les discours.(Cliché Valérie Nicolas)

Jean-Paul Weiss, dit Pouchou, dévoile la stèle au nom de ses amis Tsiganes.(cliché Jacques Sigot)

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Après les discours.(cliché Willy Jousselin)

Des résidants de l'EHPAD de St-Hilaire-du-Harcouët ont demandé à assister à la cérémonie. En juillet, ils s’étaient rendus sur le site de l’ancien camp de concentration de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) . (cliché Jacques Sigot)

Dans une salle communale, à l’issue de la cérémonie sur le site de la stèle, Jacques Sigot, de Montreuil-Bellay, rappelle l’historique des camps de concentration de Tsiganes en France pendant et après la Seconde Guerre mondiale.A sa droite, Jean Ziegler qui avait 4 ans dans le camp de Barenton en 1941.

(cliché Michèle Coignard)

Article publié le 15 octobre 2008, 4 jours après l’inauguration de la stèle, dans La Gazette, journal de la Manche, d’Ille et Vilaine et de Mayenne. « N’oublions pas qu’en Allemagne nazie, dès 1933 et pendant la 2e

guerre mondiale, plus de 500.000 tziganes d’Europe ont été pendus, gazés, fusillés dans les camps nazis, et parmi eux des Français. » (Orthographe conservée). « 500 000 pendus », le sous-titre est pour le moins maladroit. Trop sera toujours trop.