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UNIVERSITE LYON 2 - Année 2007-2008 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Mémoire de 4 ème année Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deux échelles qui va bouleverser le secteur aérien Les exemples des aéroports de Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère Pierre BEYRIÉ sous la direction de Messieurs Alain BONNAFOUS et Pierre-Yves PEGUY soutenu le 08 septembre 2008

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UNIVERSITE LYON 2 - Année 2007-2008Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Mémoire de 4ème année

Le changement du régime de gestiondes aéroports régionaux français Uneprivatisation à deux échelles qui vabouleverser le secteur aérienLes exemples des aéroports de Lyon-Saint Exupéryet Grenoble-Isère

Pierre BEYRIÉsous la direction de Messieurs Alain BONNAFOUS et Pierre-Yves PEGUY

soutenu le 08 septembre 2008

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6I/ Le changement de statut et de régime de gestion . . 9

A- L’ancienne situation . . 91. La gestion traditionnelle des aéroports régionaux par les CCI . . 92. Les exemples étrangers et les différents modes de gestion . . 10

B- Les causes du changement . . 121. Le Livre Blanc des grands aéroports régionaux français . . 122. Ce qui a été préconisé en France . . 13

II/ Les exemples de Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère . . 15A- Un grand aéroport régional : Lyon-Saint Exupéry . . 15

1. Un fort potentiel... sous-exploité ? . . 162. Trafic des premiers aéroports de la Métropole, année 2007 . . 173. La loi du 20 avril 2005 . . 194. Un opérateur devenu Société Anonyme . . 21

B- Un aéroport décentralisé : Grenoble-Isère . . 231. Une plate-forme locale : Grenoble-Saint-Geoirs . . 242. Une prise en mains par la collectivité territoriale . . 253. Une gestion déléguée à des exploitants privés et ambitieux . . 26

C- Deux cas pas directement comparables mais pas complètement indépendants . . 281. Deux aéroports différents, une logique différente, des ambitions différentes... . . 282. ... mais des liens historiques et économiques ambigus... . . 293. ... et des acteurs qui s’épient et sont appelés à se concurrencer . . 30

III/ Une privatisation de la gestion pour un secteur en pleine mutation . . 32A- Une nouvelle gestion, une nouvelle culture . . 32

1. Les conséquences concrètes de la privatisation . . 322. Une nouvelle philosophie pour de nouveaux acteurs . . 333. Les bouleversements attendus à moyen et long terme . . 34

B- L’analyse des différents acteurs du système . . 351. L’Etat . . 362. Les exploitants privés . . 383. Les collectivités territoriales . . 40

C- Les défis du secteur aérien français . . 421. Forces et faiblesses du secteur . . 422. Les nouveaux défis . . 443. La pertinence du changement de régime de gestion . . 46

Conclusion . . 48Bibliographie . . 49

Ouvrages, travaux et articles . . 49Textes . . 49

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Sites internet . . 50Annexes . . 51

Annexe 1 : Entretien retranscrit avec Monsieur Daniel AZEMA, Directeur del’Aviation Civile Centre-Est . . 51Annexe 2 : Entretien retranscrit avec Monsieur Jacques BELLISSEN, Directeuradjoint d’Aéroports de Lyon . . 51Annexe 3 : Entretien retranscrit avec Monsieur Jean-Charles BOREL, Chargé demission Transport aérien du Conseil général de l’Isère . . 51

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Remerciements

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RemerciementsJe tiens à remercier tout particulièrement les personnes que j’ai été amené à rencontrer lors desentretiens réalisés au cours de l’élaboration de ce mémoire :

Monsieur Daniel AZEMA, Directeur de l’Aviation Civile Centre-Est,

Monsieur Jacques BELLISSEN, Directeur adjoint d’Aéroports de Lyon,

Monsieur Jean-Charles BOREL, Chargé de mission Transport aérien au Conseil général del’Isère.

Je remercie également

Madame Hélène BLANCHARD, Vice-Présidente de la Région Rhône-Alpes,

Mademoiselle Ursula MENIGOZ, sa collaboratrice,

Madame Michèle VIGOUROUX, secrétaire à la DAC-CE,

Monsieur Daniel ZUCKERMAN, des services de la DGAC à Grenoble-Isère,

mon père, ingénieur au Service de la Navigation Aérienne de Lyon-Saint Exupéry

pour leurs conseils et leur aide.

Enfin, je remercie mes directeurs de mémoire, Messieurs Pierre-Yves PEGUY et AlainBONNAFOUS, professeurs au Laboratoire d’Economie des Transports (LET-CNRS), pour leursoutien et leurs précieux conseils.

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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Introduction

Le transport aérien, malgré plusieurs crises importantes ces dernières années (attentatsdu 11 Septembre 2001, explosion du prix du baril de pétrole...), est un secteur en pleineexpansion, dont les retombées ont une sensible importance sur l’économie française etcelle de ses régions. Cependant, une certaine tradition centralisatrice, qui s’est notablementretrouvée dans le mode de développement de la compagnie nationale historique Air France,et renforcée depuis par la stratégie des compagnies aériennes de réorganiser leur réseauen « hubs and spokes »1, a créé une situation particulièrement déséquilibrée du secteuraérien français.

Les aéroports parisiens (Paris-Orly et Roissy-Charles De Gaulle) représentent en effetenviron 60% du trafic en métropole2, Air France ayant choisi (ou été fortement invitée parles pouvoirs publics français) depuis toujours de baser son développement à partir deses « hubs » parisiens. Depuis, les habitants des régions françaises sont ainsi presquesystématiquement contraints de venir dans les aéroports d’Ile-de-France (ou dans les autresgrands hubs européens : Francfort/Main, Londres...) pour prendre des vols moyen et longcourrier. Le service public et l’atout aéroportuaires ont ainsi jusqu’à présent été limités pourles régions françaises, ce que l’Etat et les collectivités territoriales souhaitent désormaischanger avec le développement des plates-formes régionales.

Mais le secteur doit aussi faire face à de nombreux défis, au premier rang desquelsla flambée des prix du pétrole, ou encore la montée en puissance des compagnies « low-cost » (« compagnies à bas coûts ») qui concurrencent les compagnies traditionnelles,souvent économiquement affaiblies et contraintes de s’allier pour survivre...

C’est dans ce contexte troublé que le secteur aéroportuaire français connaît depuis2004 une réforme de grande ampleur qui est en passe de complètement remodeler lepaysage national.

Jusqu’à présent, la gestion des aéroports régionaux français a traditionnellement,dans la même logique que celle des ports maritimes, été confiée (par des concessionsde service public) aux Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI), qui souhaitaient enfaire des éléments-clés pour le développement de l’économie locale. Plus d’un demi-siècle plus tard, les mouvements conjugués de l’accroissement de la concurrence entre lesaéroports européens pour l’implantation des hubs, de la décentralisation française et de lacommunautarisation des règles applicables aux secteurs aériens et aéroportuaires a conduità considérablement modifier le régime de gestion des aéroports régionaux en France.

Les Chambres de Commerce et d’Industrie, établissements publics et opérateurshistoriques des grands aéroports régionaux français (Lyon-Saint Exupéry, Toulouse-Blagnac, Bordeaux-Mérignac...), ont en effet depuis 2005 la possibilité sur leur demande

1 Les « hubs » désignent des aéroports qui jouent le rôle de plaques tournantes pour les passagers en correspondance. Outrel’augmentation du nombre de correspondances offert, ce modèle d’organisation permet d’optimiser l’utilisation de la flotte d’unecompagnie ainsi que le taux de remplissage des avions. Cf. Cour des comptes, Les aéroports français face aux mutations du transportaérien, Rapport public thématique, Paris, 11 juillet 2008, p.14

2 LE BORGNE Yves (dir.), La Note de synthèse et d’actualité, n°6-Mars 2008, Direction Générale de l’Aviation Civile, Paris,2008, p.15

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Introduction

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de céder leur concession à des sociétés anonymes de droit privé, à capitaux entièrementpublics dans un premier temps mais appelées à s’ouvrir au secteur privé dans les prochainesannées (à partir de 2009 pour certaines).

Un an auparavant, en 2004, la propriété et la gestion des aérodromes d’importance pluslocale qui appartenaient à l’Etat, comme Grenoble-Saint-Geoirs (devenu depuis Grenoble-Isère), ont été transférées par une loi de décentralisation aux collectivités territoriales ouà leurs groupements. L’exploitation et la gestion de l’immense majorité de ces plates-formes n’étaient depuis longtemps plus effectuées par l’Etat et étaient déjà concédées pourcertaines à des gestionnaires via des contrats de Délégation de Service Public (DSP), leplus souvent à la CCI locale mais parfois à des exploitants privés.

Toutefois, depuis ce transfert, les nouveaux propriétaires (les collectivités territoriales),soucieux de mettre en valeur ces infrastructures, commencent à multiplier les appels d’offrepour en (re)déléguer l’exploitation, peu à peu conscients qu’un aérodrome peut constituerun véritable outil de développement pour leur territoire. C’est ainsi qu’un certain nombred’acteurs privés, issus de domaines divers, sont apparus dans le secteur afin de remporterla gestion de ces petits aéroports.

Ce changement de régime de gestion à deux échelles, nationale pour les grandsaéroports régionaux, et locale pour les aérodromes transférés, peut être interprété ainsicomme une « privatisation » de la gestion aéroportuaire, dans la mesure où les exploitantsdes plates-formes sont désormais soit des entreprises de droit privé (filiales de groupesprivés, sociétés aéroportuaires nouvellement créées...), soit des établissements publics(CCI) contraints d’adopter leur mode de fonctionnement pour faire face à la concurrence.

Ce travail a pour vocation de montrer que la réforme aéroportuaire françaises’apparente vraiment à une privatisation de la gestion aéroportuaire, caractérisée parl’arrivée d’acteurs, de méthodes et même de culture nouveaux et issus du secteur privé, etque cette privatisation est en train de bouleverser le secteur aérien français.

Pour vérifier cette hypothèse, il est très intéressant d’étudier, en 2008, quels sont leschangements concrets, managériaux, économiques et mêmes culturels que le changementde régime de gestion des aéroports régionaux français (grands et petits) a induit, dans lecontexte d’un secteur aérien en expansion et en pleine mutation. L’intérêt de ce mémoireest de s’intéresser à l’analyse des acteurs du secteur et des témoins de ces changementsà travers la réalisation d’entretiens sur le terrain. Deux plates-formes aéroportuaires, Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère, ont été sélectionnées pour ce travail, car ce sont deuxplates-formes pionnières de la réforme du régime de gestion des aéroports régionaux,chacune à son échelle (nationale et locale).

L’aéroport Lyon-Saint Exupéry est en effet le premier aéroport d’intérêt national dontl’exploitation a été concédé à une société anonyme aéroportuaire régionale française,Aéroports de Lyon (ADL), en mars 2007.

L’aéroport de Grenoble-Isère est quant à lui l’un des premiers aéroports d’intérêtrégional dont la gestion a été confiée, sur sa demande en 2002, à une collectivité territoriale,le Conseil général de l’Isère. Lequel a souhaité en confier l’exploitation à un gestionnaireplus performant que celui de l’époque, alors la CCI de Lyon (qui gérait aussi l’aéroport deLyon-Saint Exupéry depuis sa création) ! C’est donc grâce à une convention de DSP d’unnouveau genre que la gestion de l’aérodrome (qui s’appelait à l’époque Grenoble-Saint-

Geoirs) a été concédée à partir du 1er janvier 2004, à l’issue d’une procédure d’appel d’offreet d’ouverture à la concurrence, à une société anonyme de droit privé, la SEAG (Société

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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d’Exploitation de l’Aéroport de Grenoble), composée à 50/50 de Vinci Airports et de Kéolis,nouveaux entrants du secteur aérien français.

Ainsi, à l’étude des conséquences de la réforme aéroportuaire dans ces deux plates-formes pionnières s’ajoutent les problématiques de leur proximité géographique et des lienshistoriques et économiques ambigus quelles entretiennent, ainsi que celle de l’arrivée denouveaux acteurs, la SA Aéroports de Lyon et les exploitants de la SEAG, venus de chezVinci ou de chez Kéolis.

Le caractère très récent de la réforme ne permet pas encore de s’appuyer sur unebibliographie très fournie, bien que la Cour des comptes vienne de publier un Rapport publicthématique très complet à ce propos3, au moment de la finalisation de ce mémoire. C’estpourquoi le choix a initialement été fait, pour traiter de ce sujet, de s’intéresser à l’analysedes différents acteurs du secteur. Monsieur Daniel AZEMA, Directeur de l’Aviation CivileCentre-Est, Monsieur Jacques BELLISSEN, Directeur adjoint et chargé des relations auxactionnaires d’Aéroports de Lyon, et Monsieur Jean-Charles BOREL, Chargé de missiontransport aérien au Conseil général de l’Isère, tous les trois témoins et acteurs privilégiésde la réforme aéroportuaire régionale française, ont bien voulu contribuer à ce travailuniversitaire. Les entretiens réalisés dans le cadre de ce mémoire sont ainsi intégralementretranscrits en annexes.

Le changement de statut et de régime de gestion des aéroports régionaux françaisdoit être expliqué à travers la démarche et les conclusions du travail mené par les CCI en

amont de la réforme (Ière partie), avant d’être abordé concrètement à travers les exemples

de Lyon-Saint Exupéry et de Grenoble-Isère (IIème partie). A partir de ces observations,l’analyse des acteurs du secteur, les conséquences de la privatisation de la gestion desaéroports et des bouleversements qu’elle induit dans un secteur lui aussi en pleine mutation

pourront être étudiés (IIIème partie).

3 Cour des comptes, Les aéroports français face aux mutations du transport aérien, Rapport public thématique, Paris, 11 juillet2008, op. cit.

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I/ Le changement de statut et de régime de gestion

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I/ Le changement de statut et de régimede gestion

La gestion des aéroports régionaux français a traditionnellement été confiée aux Chambresde Commerce et d’Industrie (CCI) dans la même logique que celle des ports maritimes etfluviaux. Mais les évolutions du secteur aérien et les exemples étrangers ont fait valoir qu’ilexistait d’autres modes d’exploitation des plates-formes aéroportuaires (1).

Ces observations ont conduit les exploitants et d’autres acteurs du secteur français,comme certaines collectivités territoriales, à préconiser au début des années 2000 uneréforme du mode de gestion des aéroports régionaux. Réforme véritablement mise enoeuvre après le vote de deux lois en 2004 et 2005 (2).

A- L’ancienne situationLes aéroports régionaux français ont dans leur grande majorité, pour diverses raisons, ététraditionnellement gérés par les CCI, titulaires d’un monopole de fait sur la gestion desplates-formes (a).

Cependant, au fil des années, d’autres modes de gestion des aéroports sont apparusà l’étranger (b).

1. La gestion traditionnelle des aéroports régionaux par les CCIA la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’industrie aéronautique civile est passée d’un stadeartisanal à celui d’une industrie à part entière, dont l’importance stratégique n’a pas échappéà l’Etat, aux collectivités territoriales et aux Chambres de Commerce et d’Industrie.

Ainsi, les acteurs locaux se sont rendu compte qu’un aéroport était un outil structurantd’aménagement du territoire. Ils ont d’ailleurs soutenu le développement de l’aviation civileen prenant des participations au capital de compagnies aériennes comme AIR FRANCE etAIR INTER et en participant avec plus ou moins de bonheur à la création de compagniesrégionales (BRIT AIR, AIRALPES, AIR ALSACE,…) ainsi qu’au développement de liaisonsaériennes.

En effet, la desserte aérienne joue un rôle moteur dans le développement économiqued’une région, si un aéroport existe. C’est pourquoi le développement des aéroports a puconstituer, comme pour les ports, un formidable moteur de croissance économique. Ce sontles Chambres de Commerce et d’Industrie qui se sont ainsi vu confier, dans la même logiqueque celle du secteur portuaire, la gestion et l’exploitation de tels équipements.

Très vite également, les acteurs se sont rendus compte que l’aéroportuaire présentaitles caractéristiques d’une industrie de réseau, nécessitant rapidement de très grosinvestissements. De même, l’importance des coûts fixes dans l’activité d’un aéroport

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implique des rendements d’échelle croissants (ou économies d’échelle, c’est-à-dire quel’augmentation de l’activité réduit le coût unitaire des services et biens produits). Etces caractéristiques conduisent à mettre les plates-formes en situation de monopolenaturel, c’est-à-dire que l’importance des coûts fixes et la présence des rendementscroissants rendent plus efficace la présence d’un seul aéroport (même si aujourd’hui,face à l’augmentation du trafic, certaines agglomérations en possèdent plusieurs) sur unterritoire donné. Tous ces facteurs conjugués ont ainsi nécessité l’intervention de l’Etat etdes pouvoirs publics pour jouer le rôle de régulateur du secteur.

De même, plusieurs catégories de plates-formes sont apparues, liées aucaractéristiques des régions desservies (offre touristique élevée, économie et commercedynamiques, emplacment géographique stratégique...). Ainsi sont apparues les grandesplates-formes d’intérêt mondial (Chicago, Atlanta, Pékin, Londres, Hong Kong, Paris...), lesaéroports régionaux à vocation nationale et internationale, et les aérodromes d’importancerégionale et locale. Ce sont ces deux dernières catégories qui intéressent particulièrementce travail.

Au début des années 2000, environ 64% des aéroports français étaient gérés par desCCI, 10% par l’Etablissement public Aéroports de Paris (ADP), le reste étant géré pas dessyndicats mixtes, des SEM (Sociétés d’Economie Mixte), des communes, des sociétés (3%)ou divers exploitants (4%)4.

Les CCI, établissements publics, jouissaient ainsi d’un monopole de fait sur lesconcessions des aéroports appartenant à l’Etat (car il ne faut pas oublier que de nombreuxaéroports, souvent de taille modeste, appartiennent à d’autres propriétaires, dont certainesCCI, comme c’est d’ailleurs le cas à Saint-Etienne-Bouthéon, avec la CCI stéphanoise), etnotamment sur celles portant sur l’exploitation des grands aéroports régionaux. Ce choixest apparu longtemps logique, dans la mesure où l’une des nombreuses missions des CCIconsiste à développer les échanges des villes et régions françaises. De plus, au fil desans, leurs personnels ont acquis beaucoup d’expérience dans le domaine de la gestionaéroportuaire, en faisant des opérateurs tout à fait performants.

Cependant, l’absence de mise en concurrence pour l’attribution des concessionsaéroportuaires, les évolutions du secteur aérien, le décalage entre le droit français et laréalité de l’exploitation des plates-formes et les exemples étrangers ont remis en cause lemode de gestion traditionnel.

2. Les exemples étrangers et les différents modes de gestionLe mode de gestion des aéroports régionaux français (le cas d’ADP est différent, puisquec’est un établissement public qui gérait les aéroports parisiens avant sa privatisation en2005, suite à la loi relative aux aéroports5) a donc pendant longtemps été celui de ladélégation de service public (DSP), de type concession, aux chambres consulaires.

La définition législative de la DSP, longtemps implicite en droit français, est apparuedans la loi MURCEF de 2001 et est codifiée à l’article 1411-1 du Code Général desCollectivités Territoriales : « une délégation de service public est un contrat par lequelune personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la

4 GUITARD Jean-François (dir.), Le Livre Blanc des grands aéroports régionaux français, Comité d’Actions Pour la Mise enPlace de Sociétés Aéroportuaires, UCCEGA, Nice, 2002, p.125 LOI n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports , Article 1

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I/ Le changement de statut et de régime de gestion

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responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellementliée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construiredes ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service ».

Les conventions de DSP qui accordées aux CCI étaient de type concession. Ladéfinition classique du contrat de concession résulte des conclusions Chardonnet sous unarrêt du Conseil d'État du 30 mars 1916, Compagnie d'éclairage de Bordeaux 6que :

« la concession est un contrat qui charge un particulier (ou une société)d'exécuter un ouvrage public ou d'assurer un service public, à ses frais, avecou sans subvention, avec ou sans garantie d'intérêt, et que l'on rémunère en luiconfiant l'exploitation de l'ouvrage public ou l'exécution du service public avec ledroit de percevoir des redevances sur les usagers de l'ouvrage ou sur ceux quibénéficient du service public ».

Ce type de contrat, associé à un cahier des charges publié par un décret en Conseil d’Etat,est toujours en vigueur pour la gestion des aéroports français, même s’il est désormaispassé avec d’autres acteurs que les CCI, comme les Sociétés aéroportuaires nouvellementcréées, ou bien les délégataires choisis après une procédure de mise en concurrence parles collectivités territoriales (cf. infra). Même si parfois le contrat s’apparente plus à uncontrat d’affermage dans le cas des petits aéroports régionaux. En effet, avec ce type deDSP, la construction des ouvrages nécessaires à l’exploitation du service public précède laconclusion du contrat et ne revient pas au fermier qui ne fait qu’exploiter les ouvrages sansavoir à les construire et les financer7.

Cependant, à l’étranger, différents modes de gestions existent et sont apparus parfoiscomme mieux adaptés aux mutations du secteur du transport aérien. Ainsi, alors qu’enFrance et en Espagne les gestionnaires des aéroports étaient encore en 2002 soumis àun régime de concession et n’avaient pas d’existence juridique propre, d’autres régimes degestion étaient en place en Europe :

en Irlande et au Portugal, les grands aéroports régionaux étaient gérés par des Sociétésaéroportuaires à capitaux 100% publics

la plupart des aéroports allemands, danois, italiens, autrichiens ou hollandais étaientgérés par des Sociétés aéroportuaires à capitaux publics majoritaires qui s’étaient ouvertesà des financements privés

la plupart des aéroports anglais et certains italiens étaient gérés par des Sociétés àcapitaux publics minoritaires.

Ces Sociétés aéroportuaires créées dans les autres pays européens disposaient parailleurs d’un régime de licence, d’une durée souvent longue voire illimitée, alors que lesconcessions française renouvelées autour du cahier des charges de 1997 (pour les grandsaéroports régionaux) n’étaient accordées que pour des durées courtes (3 à 10 ans),empêchant la mise en place de programmes d’investissements sur le long terme.

Ce système de régime de gestion aéroportuaire, avec la création de sociétés disposantde licence de longue durée, a été privilégié par les travaux du Comité d’Actions pour lamise en place des Sociétés Aéroportuaires (CASA) de l’UCCEGA (Union des Chambres de

6 Consultable dans le classique recueil Lebon, p.1257 Pour plus de détails sur ces points juridiques, lire BOITEAU Claudie, Les conventions de délégation de service public, 2ème Ed.,Coll. Action locale, Editions du Moniteur, Paris, 2007, ou consulter le site de l’Institut de la Gestion Déléguée sur http://www.fondation-igd.org/

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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Commerce et des Etablissements Gestionnaires d’Aéroports, future Union des AéroportsFrançais).

B- Les causes du changementLe mode de gestion des aéroports français est devenu dans les années 2000 complètementdécalé par rapport à ceux utilisés dans les autres pays européens, ou même à la réalitédu métier d’exploitant aéroportuaire. Les membres des CCI, concessionnaires des grandsaéroports régionaux français ont donc publié en 2002 un Livre Blanc sur la question (a).

Ce rapport a ainsi largement inspiré la réforme aéroportuaire française, qui s’incarnedans deux lois votées en 2004 et 2005 (b).

1. Le Livre Blanc des grands aéroports régionaux françaisLa publication du Livre Blanc des grands aéroports régionaux français est une initiative duComité d’Actions pour la mise en place des Sociétés Aéroportuaires (CASA), né de l’uniondes 14 Chambres de Commerce et d’Industrie gérant des aéroports régionaux de plus deun million de passagers qui ont uni

« leur compétences pour proposer aux pouvoirs publics les contours d’unnouveau régime de gestion des aéroports 8 ».

De nombreuses études comparatives ont été réalisées. Il s’agissait de connaître les régimesde gestion en vigueur, les politiques et pratiques tarifaires, les performances de gestion desaéroports, l’organisation et le financement de ces infrastructures,… Après trois ans d’études,ce Livre Blanc a proposé en 2002 une synthèse de l’ensemble des travaux entrepris,ainsi que des actions concrètes permettant d’aboutir rapidement à la promulgation d’unenécessaire loi de modernisation et de décentralisation du régime de gestion des aéroportsfrançais.

Car les CCI ont relevé plusieurs raisons qui rendaient nécessaire un changement derégime de gestion des aéroports français :

un cadre juridique qui n’avait pas évolué depuis 50 ans : en effet, les concessionset cahier des charges applicables aux aéroports régionaux remontaient à 1955 (avec untoilettage en 1997). Cette situation créait ainsi un décalage entre le droit et la réalitéaéroportuaire des années 2000.

un cadre réglementaire dual avec un établissement public pour ADP et des concessionspour les autres aéroports.

une précarité généralisée pour les exploitants des aéroports régionaux du fait dela très courte durée des nouvelles concessions accordées en 1997, car les nombreuxinvestissements devaient être amortis en moins de dix ans.

un mélange complexe de responsabilités avec un Etat à la fois régulateur, concédant,propriétaire des terrains et des infrastructures, contôleur des redevances, garant desemprunts, responsable des douanes, de la police, de la sûreté... Avec souvent au fil dutemps une imbrication des responsabilités entre celles du concédant et du concessionnaire.

8 GUITARD Jean-François (dir.), Le Livre Blanc des grands aéroports régionaux français, op. cit., p.3

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I/ Le changement de statut et de régime de gestion

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un Etat qui n’investit plus, du fait des contraintes budgétaires croissantes pour lespouvoirs publics.

des collectivités territoriales négligées, absentes des processus de décisions quiconcernent les aéroports situés sur leurs territoires.

C’est pourquoi le Livre Blanc des grands aéroports régionaux français a préconisé en2002 une réforme du régime de gestion des plates-formes aéroportuaires. Réforme quid’après les CCI devrait permettre de :

créer des entreprises aéroportuaires avec un régime de licence de longue durée, ausein desquelles les CCI devraient posséder la majorité du capital 100% public au départ.

décentraliser la gestion et renforcer le rôle des collectivités territoriales.rechercher la performance économique.consolider l’Etat dans son rôle de régulateur du secteurd’exporter le savoir-faire des gestionnaires français au plan internationalmettre en place des solutions adaptées pour les petits aéroports.Les CCI ont donc proposé de créer des sociétés aéroportuaires, dont le capital pourrait

être public à 100% au départ, avant de s’ouvrir pour permettre des financements privéspour les investissements que l’Etat ne peut plus payer. Elles comptaient cependant resterau capital de ces sociétés, pour leur faire profiter de leur expérience et et leur savoir-fairedans la gestion aéroportuaire.

De même, elles ont préconisé l’entrée des collectivités territoriales dans le capital deces sociétés, sous contrat-licence de longue durée permettant de sortir du régime concessif.

Les travaux et conclusions de ce Livre Blanc de l’UCCEGA ont ainsi fortement inspiréla réforme aéroportuaire française du milieu des années 2000.

2. Ce qui a été préconisé en FranceLe changement de régime de gestion des aéroports régionaux français tient principalementdans deux articles de loi, l’article 28 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative auxlibertés et responsabilités locales et l’article 7 de la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relativeaux aéroports.

La première étape a consisté en la décentralisation des petits aérodromes à vocationrégionale ou locale, dont la propriété et la gestion ont été transférées aux collectivitésterritoriales et à leurs groupements. Ce sont 154 aérodromes qui appartenaient encore àl’Etat qui ont été transférés, environ une centaine à des communes ou à des groupementsde communes, une trentaine aux Conseils généraux et une vingtaine aux Régions.

Les collectivités territoriales ont ainsi pu acquérir depuis 2004 les nouveaux outilsde développement du territoire que constituent pour certains les aéroports transférés, etdisposent désormais des compétences pour définir les stratégies de développement, lesmodes d’exploitation (régie, sous-traitance ou DSP) des installations et l’organisation dufinancement des plates-formes (politiques de tarification, etc.). Ainsi, depuis 2004, lescollectivités désormais propriétaires ont multiplié les appels d’offres et mises en concurrencepour les délégations de la gestion de « leurs » aéroports !

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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La loi du 20 avril 2005 a, elle, concerné l’établissement public Aéroports de Paris(ADP) et les grands aéroports régionaux français d’intérêt national et international(Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint Exupéry et Lyon-Bron, Marseille-Provence, Aix-Les Milleset Marignane-Berre, Montpellier-Méditerranée, Nice-Côte d'Azur et Cannes-Mandelieu,Strasbourg-Entzheim, Toulouse-Blagnac) ainsi que les aéroports d’Outre-Mer (Fort-de-France-Le Lamentin, Pointe-à-Pitre-Le Raizet, Saint-Denis–Gillot).

Elle reprend en grande partie les propositions du Livre Blanc, même si l’Etat a décidéde conserver la propriété des terrains et des installations (sauf dans les ADP) et le systèmede concessif. Il s’est également attribué la majorité du capital des sociétés aéroportuairesautorisées à être créées, les CCI et les collectivités devant se contenter respectivement de25% et de 15% du capital.

Néanmoins, l’Etat a repris le principe des sociétés aéroportuaires préconisé par les CCIet a d’ailleurs laissé la liberté à ces dernières de décider de l’opportunité et de la date de lacession de leurs concessions à ces nouvelles sociétés. De même, c’est aux CCI de proposerle Directoire qui composera la direction opérationelle des nouvelles sociétés de droit privé.

La réforme aéroportuaire s’est donc lancée à partir de ces deux textes de lois dans lespetites et les grandes plates-formes françaises. C’est pourquoi il est intéressant d’étudierce qui s’est passé dans deux aéroports pionniers, Grenoble-Isère et Lyon-Saint Exupéry.

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II/ Les exemples de Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère

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II/ Les exemples de Lyon-Saint Exupéryet Grenoble-Isère

Le changement de régime de gestion des aéroports régionaux français s’est ainsi opéré cesdernières années à deux échelles : au niveau des « grands » aéroports de province, et auniveau des « petits » aéroports décentralisés.

C’est pourquoi deux plates-formes différentes ont été choisies à titre d’exemplesconcrets de l’application de la réforme : Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère. Plusieursraisons expliquent ces choix : la première est que ces deux aéroports font figure en effet de« pionniers » de la réforme, chacun à son niveau.

C’est à Saint Exupéry que la première société anonyme aéroportuaire régionale,Aéroports de Lyon, a vu le jour en mars 2007 pour se voir confier la concession de l’aéroportpar la Chambre de Commerce et d’Industrie locale. L’aéroport à vocation nationale etinternationale est donc le premier en France à avoir été exploité par une société de droitprivé (1).

Tandis que dans le (très) proche département de l’Isère, le Conseil général a utilisé,dès le début des années 2000, avant même la loi de décentralisation des aérodromeslocaux, tous les moyens juridiques dont il était possible de disposer pour se voir transférer laresponsabilité de la gestion de la plate-forme locale, Grenoble-Saint-Geoirs. Et la collectivitéterritoriale a mis en place une convention de Délégation de Service Public (DSP) novatricepour déléguer la gestion de l’aéroport à des exploitants plus performants, ce qui a donnélieu à la première procédure de DSP réalisée en France pour un aéroport de passagers.Procédure qui a d’ailleurs abouti à l’alliance de deux nouveaux acteurs du secteur, Vinciet Keolis, qui ont remporté l’appel d’offre et pris en main l’exploitation de la plate-forme,renommée Grenoble-Isère (2).

Mais la seconde raison de ce choix tient dans la proximité géographique et historiqueentre les deux aéroports, situation qui illustre à merveille la diversité des problématiquesdu secteur aéroportuaire (3).

A- Un grand aéroport régional : Lyon-Saint ExupéryLyon-Saint Exupéry représente un cas idéal pour l’étude du changement de régime degestion des grands aéroports régionaux français, dans la mesure où la Chambre deCommerce et d’Industrie lyonnaise (la CCIL) est la première à avoir cédé sa concession àune Société anonyme, Aéroports de Lyon (ADL). Il est donc intéressant d’étudier la façon,classique, dont il s’est développé avant la réforme (a).

Or c’est l’application concrète et rapide de la loi du 20 avril 2005 qui a conduit à lacréation d’ADL et au transfert de concession (b).

Et par conséquent à une privatisation de la gestion de l’aéroport (c).

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1. Un fort potentiel... sous-exploité ?C’est en avril 1975 que l’aéroport, sous le nom de Lyon-Satolas, a été inauguré par leprésident de la République, Valéry Giscard d’Estaing, en présence de Fernand Blanc, leprésident de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon (CCIL), concessionnaire pour25 ans.

La plate-forme prenait alors la succession de Lyon-Bron, l’un des tout premiersaérodromes confiés à une CCI, puisque sa première concession à la CCIL remonte à1929 [l’aéroport de Lyon-Bron existe toujours et est d’ailleurs également géré par la sociétéAéroports de Lyon ; il vise désormais le créneau de l’aviation d’affaires et de loisirs pourse développer] ! Bron ne pouvait en effet continuer à faire face au développement du traficaérien, car il se situe en zone urbaine, ce qui limite énormément sa capacité d’extension, etsa piste était devenue trop courte pour accueillir les gros porteurs.

Lyon-Satolas connait alors en trente ans un développement important, comme lesautres grands aéroports de province, mais toutefois mesuré, en passant de 2 millions depassagers en 1977 à un peu plus de 7 millions en 20079. Une deuxième piste (qui dote ainsila plateforme d’un « doublet de pistes », c’est-à-dire deux pistes parallèles proches, l’uneétant consacrée en période de pointe au décollage des aéronefs et l’autre à l’atterrissage, lesdeux phases ne pouvant être effectuées en même temps du fait de la proximité des pistes)est mise en service en 1992 alors que le cap des quatre millions de passagers est dépassé.Deux ans plus tard, en 1994, une gare TGV (Train à Grande Vitesse) est construite dansl’aéroport, réalisée par l’architecte espagnol Santiago CALATRAVA. Lyon-Satolas devientainsi la première plate-forme multimodale française, bien que fortement sous-exploitée (cf.infra).

En 1997, l’aéroport accueille le premier hub euro-régional Air France et prend le nom deLyon-Saint Exupéry en 2000, à l’occasion du centenaire de la naissance à Lyon de l’écrivain-aviateur. En 2001, la concession pour l’exploitation de la plate-forme (dont le trafic dépasseles 6 millions de passagers par an avant les attentats du 11 septembre) est renouvelée à laCCIL pour 10 ans par l’Etat, avec qui est passé un contrat d’objectif en 2002 pour permettrede relancer les investissements. Et après le vote de la loi relative aux grands aéroportsen avril 2005, les travaux pour mettre en place la première société anonyme aéroportuairerégionale française sont lancés par la CCIL. C’est ainsi qu’est créée fin 2006 la SASU(Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle) Aéroports de Lyon, à qui est transférée laconcession pour l’exploitation des aéroports de Lyon-Bron et Lyon-Saint Exupéry en mars2007. Année au cours de laquelle le seuil des 7 millions de passagers est franchi10 etconfirme la plate-forme dans sa position de « troisième » aéroport français (Orly et Roissyétant regroupés dans les ADP), derrière celui de Nice.

L’aéroport connaît à nouveau depuis 2002 (c’est-à-dire après la crise du secteurdéclenchée par les attentats du World Trade Center de New York fin 2001) une croissancesoutenue du trafic, en particulier du trafic de passagers. Notamment depuis 2007, qui a vuune progression de 8,4% du nombre de passagers, passant d’environ 6,75 millions en 2006à plus de 7,3 milions de passagers (statistiques réalisées en décembre 2007).

Progression qui tranche avec la croissance annuelle moyenne, de l’ordre de 3% sur ladécennie précédente. D’ailleurs, ce décalage entre le « calme » développement de la plate-

9 Données consultables sur le site http://www.lyon.aeroport.fr/ ou sur le site de la DGAC.10 L’historique et les statistiques de trafic de Lyon-Saint Exupéry sont disponibles sur le site d’Aéroports de Lyon : http://

www.lyon.aeroport.fr/

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forme lyonnaise et le dynamisme économique de la région Rhône-Alpes, souvent présentéecomme l’un des « Quatre moteurs de l’Europe » (avec la Catalogne, le Piémont Milanais et leBade-Würtemberg) a fait l’objet d’un rapport11 en 2005 très critique de la part des Conseillersdu Commerce Extérieur de Rhône-Alpes.

2. Trafic des premiers aéroports de la Métropole, année 2007

PASSAGERS LOCAUX*Trafic en milliers 2007 2007/2006 2006/2005PARIS 85 965,4 +4,8% +4,9%1 PARIS CHARLES DE GAULLE 59 549,9 +5,5% +5,7%2 PARIS ORLY 26 415,5 +3,2% +3,0%3 NICE COTE D'AZUR 10 381,2 +4,6% +1,9%4 LYON ST EXUPERY 7 192,6 +8,0% +3,1%5 MARSEILLE PROVENCE 6 804,1 +14,2% +4,5%6 TOULOUSE BLAGNAC 6 111,2 +3,6% +2,6%7 BALE MULHOUSE** 4 261,3 +6,8% +22,2%8 BORDEAUX MERIGNAC 3 407,6 +5,6% +5,3%9 NANTES ATLANTIQUE 2 518,8 +8,0% +12,6%10 BEAUVAIS TILLE 2 154,5 +14,1% +2,1%TOTAL DES 15 GRANDSAEROPORTS

134 767,8 +5,3% +5,0%

TOTAL DES 112 AEROPORTS*** 144 611,3 +5,1% +5,2%

Source : DGAC*Hors Transit**Le trafic de l’aéroport franco-suisse Bâle-Mulhouse est considéré comme français***Aéroports ayant un trafic commercialCe rapport, commandé par le gouvernement et rendu par Philippe LOUZON, Directeur

International de Blanchon-Synthilor et conseiller du commerce extérieur en Rhône-Alpes,dénonçait les nombreux dysfonctionnements (livraison problématique des bagages dansun terminal...) et incohérences (manque de navettes desservant les parkings, signalétiqueroutière et interne déficiente...) jugés responsables en partie du modeste développement etdu manque d’image de Lyon-Saint Exupéry.

De même, les erreurs de gestion et l’absence de vision stratégique claire et ambitieuse(une seule compagnie, Air France, s’adjugeait 54% du trafic et monopolisait les meilleurscréneaux horaires, dissuadant d’autres compagnies de venir, notamment les low-costalors très sous-représentées, incohérence entre les correspondances, atout ferroviairecomplètement négligé, insatisfaction des clients) ont conduit au départ du directeur del’aéroport, directement mis en cause.

Car Lyon-Saint Exupéry semble bien être une plate-forme sous-exploitée. Commentexpliquer, sinon, qu’à la fin des années 1990 l’aéroport et ses deux pistes comptabilisaientenviron 5 millions de passagers et 95 000 mouvements par an tandis que pendant lamême période l’aéroport de Manchester écoulait un trafic de 15 millions de passagers et

11 Lire le compte-rendu de BONNET Germain, « un rapport accablant » in Le Progrès, édition du 2 février 2007, Lyon, 2007

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de 144 000 mouvements avec une seule piste12 ? Certes, les capacités aéroportuairesthéorique et opérationnelle sont des données complexes à déterminer et qui dépendentde nombreux paramètres. Cependant, force est de constater que malgré ses nombreuxatouts (infrastructures relativement modernes, doublet de pistes, gare TGV, 900 hectares deréserve foncière) l’aéroport n’a pas connu un développement aussi fort que dans les autresrégions européennes aussi dynamiques que Rhône-Alpes. C’est notamment le trop faibledéveloppement des low-cost et le quasi-monopole d’une compagnie sur la plate-forme quiont été dénoncés par les observateurs.

En effet, même si un hub euro-régional, dont les dix ans ont été fêtés récemment parAir France et Aéroports de Lyon, existe et fonctionne bien à Saint Exupéry (45 destinationseuropéennes sont connectées entre elles trois fois par jour), c’est au prix de nombreusesconcessions à la compagnie française. Les meilleurs créneaux horaires et le terminal 2 (leplus luxueux) lui sont quasiment réservés, tandis que les autres compagnies, qui payentpourtant les mêmes taxes aéroportuaires, doivent se contenter du terminal 1 plus spartiate.Cependant les choses semblent évoluer, comme en témoigne l’implantation d’une base dela compagnie EasyJet et la rénovation du « vieux » terminal 3 pour le dédier aux « voyageurslow-cost ».

Mais l’atout de l’intermodalité reste considérablement sous-exploité. Malgré la présenced’une moderne (et très belle) gare TGV au coeur de l’aéroport, ni la SNCF (Société Nationaledes Chemins de Fer Français) ni les exploitants de Satolas/Saint Exupéry n’ont jamaisfait vraiment les efforts d’y développer le trafic ferroviaire. La plate-forme multimodale atoujours fonctionné en sous-capacité (6 trains peuvent être accueillis simultanément) car lemanque de correspondance entre les trains et les avions est resté une imperfection notable.L’absence de liaisons avec la ville de Lyon (nécessité reconnue par le projet « Satorail »dans les années 1990, resté depuis lettre morte) et de TER (Trains Express Régionaux)semblent avoir condamné la gare de Saint Exupéry à accueillir un trafic marginal. La SNCF atoujours privilégié la gare Lyon-Part Dieu, mieux placée, pour organiser son réseau régional,et dénoncé l’enclavement de l’aéroport, très mal désservi par les transports en communlyonnais, comme un obstacle à la multiplication des fréquences TGV13. Car en 2006 il n’yavait qu’en moyenne 1099 passagers intermodaux et le passage de 20 TGV par jour.

Lyon-Saint Exupéry est ainsi l’archétype de la plate-forme multimodale sous-exploitéepar absence de réflexion de fond (et de volonté ?) des différents acteurs des transports(Réseaux Ferrés de France, SNCF et exploitants de Saint Exupéry), situation pénalisantepour les usagers et l’aéroport, dénoncée régulièrement par les pouvoirs publics (notammentdans le Rapport d’information sur l’avenir du transport aérien français et la politiqueaéroportuaire de la Commission des Affaires Economiques, de l’Environnement et duTerritoire de l’Assemblée Nationale de 2003, ou à nouveau dans le Rapport PublicThématique de la Cour des comptes de juillet 200814). D’ailleurs, le Conseil général duRhône s’est porté maître d’ouvrage d’un projet visant à améliorer la desserte de l’aéroport,LESLYS (cf. infra).

Lyon-Saint Exupéry, géré par son opérateur historique, la CCIL, a donc connu de 1975à 2007 un développement contrasté. L’aéroport régional a certes vu son trafic augmenterrégulièrement pour se hisser parmi les plus importants de France en termes de trafic

12 GONNOT François-Michel (dir.), Rapport d’information sur l’avenir du transport aérien français et la politique aéroportuaire,Commission des Affaires Economiques, de l’Environnement et du Territoire, Assemblée Nationale, Paris, 2003, partie I p.75

13 GONNOT François-Michel, op. cit., partie III p.3614 Références dans la bibliographie.

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passager, mais sa croissance est restée paradoxalement lente malgré le dynamismeéconomique qu’a connu la région Rhône-Alpes dans la même période. De plus, sesconcurrents comme Toulouse-Blagnac et surtout Marseille-Provence restent proches enterme de trafic et connaissent pour certains une croissance récente plus rapide. Les erreursde gestion et de stratégie, comme la sous-exploitation de l’atout ferroviaire ou le très fortendettement des gestionnaires, ont conduit la CCIL à envisager dès la publication de la loidu 20 avril 2005 relative aux aéroports le changement de régime de gestion. Avec la volontéde créer une Société aéroportuaire pour qui la forme juridique (une société anonyme de droitprivé), le mode de fonctionnement (plus souple et d’inspiration privée) et la nouvelle duréede concession (jusqu’à 40 ans au lieu des 10 ans accordés à la CCIL en 2001) seraient desatouts pour relancer l’aéroport.

3. La loi du 20 avril 2005Le changement de régime des aéroports régionaux a été permis par une loi du 20 avril2005 relative aux aéroports. Conscients que la formule de l’établissement public apparaîtdésormais dépassée dès lors qu’il s’agit d’exploiter une activité de nature économique, lespouvoirs publics, reprenant les conseils délivrés dans le Livre Blanc des grands aéroportsrégionaux français (cf. supra) des CCI, ont permis les transformations institutionnellesnécessaires à la réforme aéroportuaire française.

Son esprit reste cependant de s’appuyer sur les opérateurs historiques (ADP, leschambres consulaires) « pour permettre l’ouverture progressive du capital aux investisseursprivés15 » des nouvelles sociétés anonymes de droit privé créées pour être les nouveauxconcessionnaires des aéroports français à vocations nationale et internationale. En effet, lanécessité pour les exploitants de ces infrastrucutures de recourir à des financements privésface au montant des investissements à engager pour faire face aux mutations du secteuraérien (concurrence entre les plates-formes, développement des compagnies low-cost, cf.infra) a conduit à l’adoption de la forme sociétaire.

Les six premiers articles du texte sont relatifs à l’Etablissement public Aéroportsde Paris (ADP), transformé en société anonyme de droit privé et désormais propriétairedes installations et des terrains, même si leur affectation aux missions de service publicaéroportuaire reste contrôlée par l’Etat et ne peut être aliénée Ce passage du texte revêtainsi l’aspect d’une loi de privatisation, tout en innovant juridiquement, car il confirme le rôlede d’un Etat régulateur en « chassant » son rôle traditionnel d’opérateur16. C’est l’article 7de la loi du 20 avril 2005 qui par contre intéresse les grands aéroports régionaux françaiset les aéroports d’Outre-mer.

Les plates-formes concernées sont Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint Exupéryet Lyon-Bron, Marseille-Provence, Aix-Les Milles et Marignane-Berre, Montpellier-Méditerranée, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir, Nice-Côte d'Azur et Cannes-Mandelieu, Strasbourg-Entzheim, Toulouse-Blagnac, Cayenne-Rochambeau, Fort-de-France-Martinique-Aimé-Césaire, Pointe-à-Pitre-Le Raizet, Saint-Denis-Gillot. Certaines deces dix-sept plates-formes étant du ressort de mêmes gestionnaires, seules douze entitéssont à distinguer, huit en métropole et quatre outre-mer.

15 BRISSON Jean-François, « L’incidence de la loi du 20 avril 2005 sur le régime des infrastructures aéroportuaires » inActualité Juridique de Droit Administratif, n°33/2005, Paris, 2005, p.1836

16 Ibid., p.1835 et 1843.

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Voici l’article 7 de la loi n°2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports :Article 7I. - Les dispositions du présent article sont applicables aux aérodromes civils de l'Etat

d'intérêt national ou international, dont la gestion est concédée à une chambre de commerceet d'industrie et qui sont énumérés par un décret en Conseil d'Etat.

II. - A la demande de chaque chambre de commerce et d'industrie concernée, l'autoritéadministrative peut autoriser la cession ou l'apport de la concession aéroportuaire à unesociété dont le capital initial est détenu entièrement par des personnes publiques, dontla chambre de commerce et d'industrie titulaire de la concession cédée. Par dérogationaux articles L. 2253-1, L. 3231-6, L. 4211-1 et L. 5111-4 du code général des collectivitésterritoriales, les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements peuvent prendredes participations dans cette société. Un avenant au contrat de concession fixe, le caséchéant, la nouvelle durée de la concession sans que la prolongation puisse excéderquarante ans, ainsi que les contreparties, au minimum en termes d'investissements etd'objectifs de qualité de service, sur lesquelles la société aéroportuaire s'engage. En outre,cet avenant met le contrat en conformité avec les dispositions d'un cahier des charges typeapprouvé par le décret prévu au I du présent article.

Les deuxième à cinquième alinéas de l'article 38 et les deuxième à quatrième alinéas del'article 40 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et àla transparence de la vie économique et des procédures publiques ne sont pas applicablesaux opérations réalisées selon les dispositions du présent II.

III. - Les agents publics affectés à la concession transférée sont mis à la disposition dela société pour une durée de dix ans. Une convention conclue entre l'ancien et le nouvelexploitant détermine les conditions de cette mise à disposition et notamment celles de laprise en charge par ce dernier des coûts salariaux correspondants.

Pendant la durée de cette mise à disposition, chaque agent peut à tout momentdemander que lui soit proposé par le nouvel exploitant un contrat de travail. La conclusionde ce contrat emporte alors radiation des cadres. Au terme de la durée prévue au premieralinéa, le nouvel exploitant propose à chacun des agents publics un contrat de travail, dontla conclusion emporte radiation des cadres. Les agents publics qui refusent de signer cecontrat sont réintégrés de plein droit au sein de la chambre de commerce et d'industrieconcernée

Les dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail sont applicables aux contratsde travail des salariés de droit privé des chambres de commerce et d'industrie affectés àla concession transférée, en cours à la date du transfert de la concession, qui subsistentavec le nouvel employeur.

IV. - Dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi,les partenaires sociaux négocient une convention collective nationale applicable auxpersonnels des exploitants d'aérodromes commerciaux ne relevant pas de l'article L. 251-2du code de l'aviation civile.

Le cahier des charges applicable aux aéroports concernés, ainsi que la liste de ceux-ci, sont inscrits dans le Décret n° 2007-244 du 23 février 2007 relatif aux aérodromesappartenant à l'Etat et portant approbation du cahier des charges type applicable àla concession de ces aérodromes . Ce cahier des charges comprend les nouvellesmodalités d’exploitation des aéroports régionaux.

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Voici l’analyse qu’en fait la Cour des comptes dans son dernier Rapport publicthématique sur les aéroports17, publié en juillet 2008.

S’inscrivant dans la logique du cahier de 1997, il cherche à établir un équilibre entre lapoursuite du désengagement financier de l’Etat concédant et la visibilité indispensable auconcessionnaire lors des dernières années de la concession. [...]

Le mouvement de transferts de charges du concédant au concessionnaire se poursuitet concerne certaines missions que la DGAC accomplissait auparavant (visites de piste,mesure d’adhérence et de glissance, etc.). La participation du concessionnaire aux missionsde police administrative, les informations dues par le concessionnaire au concédant sontégalement plus précisément définies. Enfin, le concessionnaire se voit obligé de mettre enoeuvre un programme de contrôle et d’amélioration de la qualité mesuré par des indicateursqui serviront de base à la régulation au travers des contrats de régulation économique.

La tendance observée au travers de ces cahiers des charges successifs est celled’un désengagement progressif de l’Etat de certaines missions, d’abord dans les faits –entraînant ainsi une prise en charge indue par les concessionnaires – puis dans les textes,les différents cahiers des charges venant successivement inscrire en droit des évolutionsdéjà à l’oeuvre. A l’inverse, on observera que l’Etat concédant a pendant de longuesannées contribué aux investissements des concessionnaires alors même que le proprede la concession est de confier au concédant la mission de réaliser des investissementspour lesquels il se rémunère sur l’exploitation ultérieure, sans en faire supporter la chargeau concédant. La participation de l’Etat aux investissements revenait ainsi à accorder auxconcessionnaires une aide qui réduisait, pour l’Etat, l’intérêt – voire la raison d’être – del’opération même de concession.

Grâce à ce cahier des charges, dont l’application est contrôlée par les services de laDGAC, l’Etat conserve son rôle de régulateur du secteur aéroportuaire et de garant desobligations de service public qui s’appliquent dans le domaine. Les opérateurs des aéroportsrégionaux sont donc amenés à se tranformer en sociétés aéroportuaires, ce qui s’est passépour la première fois en France à Lyon-Saint Exupéry.

4. Un opérateur devenu Société AnonymeAvec le transfert de la concession à la Société Anonyme Aéroports de Lyon (ADL) le 6mars 2007 et la signature médiatisée le 9 mars, en présence du ministre des Transports,de l’avenant du contrat de concession la prolongeant jusqu’en 2047, la gestion de SaintExupéry (et de Lyon-Bron) est sortie de l’attentisme qui caractérisait le climat de fin deconcession qui régnait sur la plate-forme les mois précédents.

ADL est donc devenue la première société anonyme aéroportuaire régionale françaiseen devenant opérateur de Lyon-Saint Exupéry et Lyon-Bron, en application concrète desdispositions de l’article 7 de la Loi du 20 avril 2005. Le capital initial de la société (148000 euros) est ainsi entièrement détenu par des personnes publiques : l’Etat (à hauteur de60%), la CCIL (à hauteur de 25%) et trois collectivités locales (à hauteur de 5% chacune) :la Région Rhône-Alpes, le Conseil général du Rhône et le Grand Lyon. Cependant, l’Etatpourra commencer à vendre ses parts à partir de 2009 même si le capital devrait restermajoritairement public jusqu’en 2013.

17 Cour des comptes, Les aéroports français face aux mutations du transport aérien, Rapport public thématique, Paris, 11juillet 2008, p.47 à 49.

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La nouvelle organisation est celle d’une société à Directoire et Conseil de surveillance(au sein duquel les collectivités territoriales ont un siège malgré leur faible participation)pour mieux différencier les fonctions de gestion de celles d’orientation et de contrôle. Lesmembres du Conseil de surveillance sont 15 (8 représentants de l’Etat, 4 pour la CCIL et unpour chacune des trois collectivités) et nommés pour 3 ans Un nouveau directeur d’aéroport,Philippe BERNAND, a été nommé pour 5 ans dans le Directoire choisi par la CCIL. Sur leterrain, les personnels sont cependant restés les mêmes. Ainsi que s’en amuse JacquesBELLISSEN18, Directeur adjoint d’ADL,

« l’ensemble des personnes, si je mets mon cas de côté, a fait le 7 mars ce qu’ilavait fait le 6 mars ».

La CCIL peut sembler le grand perdant de l’opération. En effet, elle qui gérait intégralementLyon-Saint Exupéry depuis sa création (et Bron depuis 1929 !) ne possède plus que 25% ducapital de la nouvelle société. Certes ce changement de régime de gestion avec la création« d’entreprises aéroportuaires » a été souhaité par les CCI (notamment à travers les travauxdu CASA et la publication du Livre Blanc), mais beaucoup d’acteurs s’accordent à direqu’elles souhaitaient vraisemblablement obtenir plus que les 25% accordés par l’Etat dansles nouvelles sociétés.

Cependant, les CCI, qui jouissaient depuis toujours d’un monopole de fait devenudifficilement défendable devant la Commission européenne sur l’exploitation des aéroportsrégionaux français, ont pu négocier comme elles l’entendaient le transfert aux sociétésaéroportuaire. Par exemple en décidant de l’opportunité et de la date du transfert deconcession. Et en proposant un nouveau Directoire choisi par leurs soins. De plus, lespersonnels qui travaillent sur l’aéroport, et qui par conséquent sont aussi transférés, étaientdes salariés de la CCI exploitante. La Chambre est donc quasi-assurée de garder uneinfluence certaine sur la gestion de la nouvelle société, via ses relations privilégiées avecles cadres transférés.

Surtout, et c’est très net dans le cas de Saint Exupéry, le changement de régimede gestion a permis de redynamiser la gestion de l’aéroport en envisageant un plan dedéveloppement sur le long terme. La situation de la CCIL, qui avait engagé de grosinvestissements (près de 200 millions d’euros !) entre 2000 et 2005, sommes devant êtreamorties en dix ans (durée de la précédente concession), était devenue intenable, la phasede désendettement engagée ne permettant plus la poursuite des objectifs fixés par l’Etat.Le prolongement de la concession de 40 ans accordé à la nouvelle société créée, ADL, aainsi redonné une grande bouffée d’air aux gestionnaires. La relance des investissementsdans le cadre de l’élaboration d’une stratégie à long terme, ainsi que la meilleure visibilitéfinncière offerte par la durée rallongée, soulagent grandement les exploitants mis dans unesituation délicate. Cependant, leur colossal endettement (plus d’un an de chiffre d’affairesen dettes, estimé à environ 150 millions d’euros19) reste un souci pour la nouvelle société.

Outre la précarité de la situation des gestionnaires de la CCIL, il faut peut-être aussivoir dans la rapidité du changement de régime de gestion de Lyon-Saint Exupéry le soutienprobablement apporté à l’initiative par le ministre des Transports de l’époque, DominiquePERBEN, candidat déclaré pour les municipales lyonnaises de 2008, et présent le 9mars 2007 pour la signature de l’avenant de prolongation de la concession aéroportuaireaccordée à ADL.

18 Cf. Entretien en annexes.19 BONNET Germain, op. cit.

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II/ Les exemples de Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère

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Ainsi, depuis mars 2007, l’aéroport de Lyon-Saint Exupéry est exploité par une sociétéanonyme de droit privé, dont le fonctionnement s’apparente progressivement celui d’uneentreprise. Même si les capitaux restent pour l’instant intégralement publics, la réformes’apparente ainsi à une privatisation de la gestion de la plate-forme régionale, avant cellede son capital à partir de 2009.

Et des changements notables sont intervenus dans la gestion et la culture des« nouveaux » exploitants de l’aéroport (cf. infra). D’ailleurs, l’amélioration de la qualité deservice offerte a permis à Lyon-Saint Exupéry d’être le premier aéroport certifié par unorganisme indépendant le 21 avril 2008 pour ses « services aux passagers » et son conceptd’ « Airport-Helpers », des personnels travaillants sur la plate-forme volontaires pour aiderles passagers sur place.

De même, un nouveau programme d’investissement a été lancé, visant notamment lesactivités extra-aéronautiques, très rentables, comme le programme immobilier ULYS quiprévoit la livraison d’un « hub business » comprenant un hôtel quatre étoiles, un centred’affaires comprenant des salles de réunions et de conférences et 9 250 m² de bureauxrépartis dans trois bâtiments. Par ailleurs, la société LPA (Lyon Parc Autos) a été choisiepour bâtir un nouveau parking souterrain de 2 000 places réparties sur 7 niveaux, et situéface au terminal 1 et à la gare TGV. Il remplacera l'actuel parking en surface P1, lieu deconstruction du programme ULYS. Le Parking P1 est désormais ouvert depuis le dimanche13 janvier 2008. Enfin, outre le réseau Satobus qui permet la desserte en car de SaintExupéry depuis Lyon, l’intermodalité devrait grâce à la volonté du Conseil général du Rhôneêtre enfin renforcée.

En 2009, l'aéroport devrait en effet être directement relié à la gare de la Part Dieu parune nouvelle ligne de tram-train, surnommée LESLYS (Ligne ExpresS LYon Saint Exupéry).Ce tram-train n'utilisera pas les rames habituelles du trawmay lyonnais mais le matérielroulant du constructeur suisse Stadler. Le trajet, long de 23 km, sera parcouru en 25 mn,grâce à un nombre réduit d'arrêts. L'exploitation, concédée pour 30 ans au consortiumRhônexpress sera indépendante du réseau TCL (Transports en Commun Lyonnais).

Enfin, le développement du low-cost, qui représente désormais 6,6% du trafic de laplate-forme grâce à l’implantation d’une base d’EasyJet à Saint-Exupéry, inaugurée en avril2008, devrait lui permettre de franchir le cap des 10 millions de passagers en 2010. Selonles prévisions, le secteur du low-cost représentera ¼ du trafic en 2012 ! En outre, l’aéroportcompte beaucoup sur le retour d’une ligne transatlantique, la ligne Lyon-New York effectuéepar Delta. La dernière tentative d’une telle liaison long courrier avait avorté en août 2001faute d’un taux de remplissage suffisant des avions.Enfin, les dirigeants d’Aéroports de Lyonespèrent mettre en place une liaison avec Dubaï, véritable porte d’entrée sur les vols versl’Orient, l’Océanie et l’Extrême-Orient.

B- Un aéroport décentralisé : Grenoble-IsèreGrenoble-Isère est la plate-forme idéale pour étudier le changement de régime de gestionqui est en train de s’opérer des les aéroports décentralisés, les aéroports à vocationrégionale et locale (a).

En effet, devant le faible et décroissant niveau d’activité, une collectivité locale, leConseil général de l’Isère (CGI) a décidé de prendre en mains l’aéroport en usant de tout

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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les moyens juridiques alors disponibles pour lancer la première procédure de délégation deservice public pour un aéroport de passagers (b). Ce qui fait de Grenoble-Isère et de soninédite convention de DSP un aéroport régional pionnier en France et même en Europe, carvraiment utilisé comme outil de développement du territoire par une collectivité locale.

De plus, à l’issue de l’appel d’offre lancé dans le cadre d’une procédure de délégationde service public, c’est un délégataire privé, nouveau venu dans le secteur aéroportuairefrançais, qui a été choisi par le CGI. Et cette arrivée de nouveaux acteurs n’est évidemmentpas dûe au hasard (c).

1. Une plate-forme locale : Grenoble-Saint-GeoirsAu départ, l’aéroport isérois s’appelait Grenoble-Saint-Geoirs (le nom Grenoble-Isère n’aété donné qu’après 2004 et l’arrivée des nouveaux exploitants). La plate-forme a vu le jouren 1968 pour accueillir les athlètes des Jeux Olympiques d’Hiver de Grenoble20. A doubletitre car en effet, l’ancien aéroport de Grenoble, proche du centre-ville, faisait partie du siteoù a été bâti le village olympique !

Situé dans la plaine iséroise, sur d’anciens terrains militaires, le simple champ d’aviationapparu en 1938, carré d’herbe de 1200 mètres de côté, proche de la commune deSaint-Etienne de Saint-Geoirs, a été choisi notamment par commodité21 technique. Lestravaux ont commencé en 1966, deux ans avant, pour permettre aux installations d’êtreopérationnelles pour les J.O. En 1975 et 1977, la longueur de la piste et des voies decirculations sont rallongées et la surface de l’aérogare est doublée.

En 1976, le Service d’Exploitation de la Formation Aéronautique (SEFA) installe uncentre de formation au pilotage à Grenoble-Saint-Geoirs, où vont se succèder les volsd’instruction pour les futurs pilotes de ligne et ingénieurs de la DGAC. Le trafic augmenteprogressivement, notamment grâce aux liaisons effectuées par la compagnie française AirInter, avant sa fusion avec Air France en 1997, date de l’implantation du hub euro-régionalà Lyon-Satolas, l’aéroport d’intérêt national voisin inauguré en 1975.

La mise en service de la ligne TGV Paris-Grenoble sans rupture de charge à Lyon en1985 et le désintérêt d’Air France pour la plate-forme iséroise (qui abandonnera toute liaisonavec Grenoble en 2004) conduisent à partir de 1989, date à laquelle le seuil des 400 000passagers par an est franchi, à une franche baisse du trafic malgré plusieurs amorces dedéveloppement du low cost au début des années 2000. En extrapolant avec une croissanceannuelle moyenne de 5% par an à partir de 1989, l’aéroport aurait dû écouler un trafic deprès de 800 000 passagers en 2003. Or le trafic cette année-là a à peine dépassé les 178000 passagers !

Comme pour l’immense majorité des aérodromes appartenants à l’Etat, l’exploitationde la plate-forme a traditionellement été confiée par DSP à la CCI de Grenoble. Cependant,à la fin des années 1990, devant la baisse du trafic, la gestion de l’aéroport a été confiéeà la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon (CCIL) en 1997 sur les conseils de laCCI de Grenoble. Jusqu’en décembre 2003, car en janvier 2004 les nouveaux exploitantsprivés de la SEAG (Société d’Exploitation de l’Aéroport de Grenoble) se sont vu confierla gestion de l’aéroport par le CGI, à l’issue d’une procédure de DSP pionnière dans

20 L’historique de l’aéroport est disponible sur le site http://www.grenoble-airport.com/21 Cf. Entretien avec Jean-Charles BOREL en annexe.

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II/ Les exemples de Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère

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le domaine aéroportuaire. Grenoble-Saint-Geoirs, modeste aéroport local, devient alorsGrenoble-Isère.

2. Une prise en mains par la collectivité territorialeLe Conseil général de l’Isère (CGI), principal soutien financier au fil des ans de la plate-forme aéroportuaire de Grenoble-Saint-Geoirs, a demandé en 2000 à l’Etat le transfertde la responsabilité de la gestion de l’aéroport isérois. En effet, la gestion déficitaire del’exploitant (la CCIL) était menacée par la baisse continue du trafic, la forte dépendance àla présence d’une seule compagnie se désengageant (Air France, qui ne viendra d’ailleursplus à Grenoble à partir de 2004) et l’absence de notoriété nationale et internationale.

Le président du CGI, André VALLINI, très attaché à cet équipement et convaincu de sonutilité pour les Isérois, avec le soutien des élus du Département, a grâce aux équipes de laDirection des Transports négocié une convention de mutation domaniale avec l’Etat portantsur les infrastructures de l’aéroport en 2002. Dès lors, le Département a pu assumer unrôle de propriétaire (le CGI n’est devenu véritablement propriétaire de la plate-forme qu’en2007, suite au transfert opéré dans le cadre de loi de décentralisation du 13 août 2004) etde responsable de la gestion de Saint-Geoirs.

Le mode d’exploitation de l’aéroport par la CCIL, alors également opératrice deLyon-Saint Exupéry, ne donnait pas satisfaction au CGI. Le Département n’étant pas unspécialiste du secteur aérien, la décision a alors été prise de déléguer la gestion deGrenoble-Saint-Geoirs. Ce qui a donné lieu, grâce à une expérimentation autorisée parl’article 105 de la loi relative à la démocratie de proximité de 200222, à la première procédurede délégation de service public (DSP) pour l’exploitation d’un aéroport de passagers enFrance, avec à la clé la signature d’une inédite convention qui a depuis fait école dansles collectivités territoriales23. Le Conseil général, soucieux d’améliorer la performance dela gestion, s’est engagé à financer le coût des obligations de service public (OSP) et lesinvestissements nécessaires à la relance de l’activité, en se recentrant sur son rôle d’autoritéorganisatrice24. D’ailleurs en ce sens, le contrat s’apparente plus à un contrat d’affermagequ’à un « pur » contrat de concession, car même si le délégataire est intéressé aux résultatsde l’exploitation, il ne finance pas les gros investissements25.

Le Conseil général a fixé trois objectifs au délégataire : le développement du traficcommercial, l’amélioration de la qualité de service apportée au client et la préservationdu patrimoine du Département, l’aéroport et ses infrastructures. De ces trois objectifsdépendent la rémunération de l’exploitant, puisque parmi les contributions financières del’autorité concédante figure un « intéressement aux résultats » pour le délégataire. C’est làque repose la principale nouveauté introduite par ce contrat : l’exploitation se fait bel et bienaux « risques et profits » (à opposer à la traditionnelle formule des « risques et périls ») dudélégataire, c’est-à-dire qu’en cas de mauvais résultats ou d’erreurs de gestion, ce dernier

22 LOI n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, Article 10523 Convention de Délégation de Service Public de l’exploitation de l’aéroport de Grenoble-Saint-Geoirs du 11 août 2003, Conseil

général de l’Isère24 André VALLINI rappelle la politique du CGI dans sa réponse au Rapport public thématique de la Cour des comptes, op.

cit., p.20225 Pour plus de détails, lire BOITEAU Claudie, Les conventions de délégation de service public, 2ème Ed., Coll. Action locale,

Editions du Moniteur, Paris, 2007 ou aller sur le site de l’Institut de la Gestion Déléguée http://www.fondation-igd.org/

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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perd l’argent qu’il a engagé en assumant le risque commercial, mais en cas de dépassementdes objectifs annuels fixés, il touche proportionnellement davantage de contributions duDépartement.

Le système de cette nouvelle convention tranche avec le précédent, qui n’encourageaitpas la performance et compensait l’insuffisance. C’est d’ailleurs plus son opposition àl’ancien type de contrat qu’un désaccord avec le précédent exploitant qui a conduit le CGIà lancer la nouvelle procédure de DSP en 2003. Comme Jean-Charles BOREL, Chargé dudossier de l’aéroport Grenoble-Isère au Département, le précise, il n’y avait pas au départde volonté particulière de confier la gestion de Saint-Geoirs à des exploitants privés (« si laCCI nous avait fait une offre plus intéressante, ça aurait été elle que l’on aurait retenue »)26.Néanmoins, la durée de cette délégation de service public a été limitée à cinq ans en raisondu caractère expérimental de ce modèle de gestion et du faible niveau des investissementsà la charge du délégataire.

Et c’est ainsi l’offre d’une société de droit privé créée sur mesure, la SEAG, composéed’un partenariat 50-50 de deux partenaires privés internationalement reconnus Keolis etVinci Airports, qui a été retenue. Une délégation de l’exploitation d’un aéroport régional dela taille de Grenoble-Saint-Geoirs à une entreprise privée a donc été le premier contrat dugenre en France. Et, alors que la première convention de DSP arrive à son terme à la finde l’année 2008, Monsieur BOREL estime que l’expérience a donné raison au CGI d’avoirfait ce choix de délégataire.

3. Une gestion déléguée à des exploitants privés et ambitieuxL’étude du cas de Grenoble-Isère dans le cadre du changement de régime de gestion desaéroports se révèle particulièrement intéressante dans la mesure où il s’agit de la premièreplate-forme prise en main par une collectivité territoriale et dont la gestion a été confiée parun contrat de DSP innovant à des exploitants privés et nouveaux dans le secteur.

Keolis et Vinci Airports, filiale à 100% du groupe Vinci, ne sont cependant pas desentreprises inconnues dans les secteurs des transports et/ou des groupes délégataires deservice public. Keolis est un groupe privé européen et un opérateur multimodal solidementimplanté dans le secteur des transports de voyageurs, qui gère par exemple le réseau desTCL (Transports en Commun Lyonnais) à Lyon. De plus, le groupe exploite depuis quelquesannées trois petits aérodromes locaux à faible trafic, comme celui de Angers, et fait partiedu consortium qui gère la plate-forme de Châlon-Vatry, réservée au fret.

Vinci Airports, filiale du groupe Vinci, n°1 mondial des concessions, est un opérateurde services et de management aéroportuaire qui gère directement ou avec des partenairesplus de 15 aéroports dans le monde, notamment en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est, et se présente comme le n°3 mondial des services au sol. Cependant, la société n’avaitpas (ou très peu) d’expérience en France et en Europe avant d’arriver en Isère.

Les exploitants de Grenoble-Isère ne sont donc pas des néophytes du secteur destransports, mais ils sont bien nouveaux dans le secteur aéroportuaire français. Et ne cachentpas leurs ambitions pour ce marché, clairement affichées par exemple sur leurs sitesinternet :

« Fort de son leadership dans le domaine du transport public de voyageurs enFrance, Keolis a donc saisi l’opportunité de l’ouverture au marché de la gestion

26 Cf. Entretien en annexe.

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des aéroports pour y exercer son métier » ou encore «Ces deux premièresréférences [Grenoble-Isère et Chambéry] sur le marché français permettent àVINCI de se positionner en vue de l’ouverture progressive annoncée au secteur

privé de la gestion des aéroports régionaux » 27 .

Mais pour faire face à d’autres concurrents eux aussi attirés par ce marché (notammentdepuis la réforme et l’ouverture prévue du capital des « grands aéroports ») comme VeoliaTransports ou la Sanef (cf. infra), ces deux entreprises, fortes d’une grande expériencedans différents domaines, ont choisi de s’allier dans un partenariat 50-50 pour s’attaquer aumarché français. Et ce « mariage » a été célébré à Grenoble, premier aéroport à vocationrégionale de passagers dont la gestion a pu être confiée à une société privée.

Grenoble-Isère constitue donc une vitrine pour la nouvelle alliance pour asseoir sonimage en France. Certes, les partenaires gèrent aussi l’aéroport de Chambéry depuis

juillet 2004, et depuis le 1er janvier 2008, l’aéroport de Clermont-Ferrand Auvergne, maisces plates-formes ne revêtent pas la même importance que l’aéroport isérois, précurseur.Cependant, après avoir « perdu » Beauvais-Tillé au profit de Veolia Transports (enpartenariat avec la CCI de l’Oise), Keolis et Vinci Airports pourraient bien s’intéresser à ladélégation de l’exploitation de Lille-Lesquin...

Car l’ouverture au marché de la gestion des aéroports régionaux bouleverseconsidérablement le secteur aéroportuaire français, éveille les convoitises et aiguise lesappétits de nouveaux acteurs (la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit Agricole,Keolis, Vinci Airports, Veolia Transports, la Sanef... pour ne citer que ceux qui ontpubliquement affiché leurs offres).

Mais au-delà des dimensions stratégiques que revêt l’arrivée de Keolis et Vinci Airportsdans le secteur aérien français, l’exploitation de Grenoble-Isère a elle aussi été bouleverséepar les nouveaux exploitants, associés dans la SEAG(I) (Société d’Exploitation de l’Aéroportde Grenoble(-Isère)).

Et si la plate-forme iséroise peut faire figure de vitrine pour les exploitants, c’est que leschiffres sont éloquents. En effet, le trafic de l’aéroport s’est fortement développé : de 178000 passagers en 2003 (avant l’arrivée de la SEAG), il est passé à 204 000 passagers en2004, 272 000 en 2005, 433 000 en 2006, 472 647 en 2007 et même plus de 500 000 entreavril 2007 et avril 2008, soit un triplement du trafic depuis 2003.

Ces bons résultats en termes de trafic, liés à une politique commerciale agressivepour attirer les compagnies low-cost et les vols charters, ont ainsi beaucoup contribué àl’amélioration de la notoriété internationale de Grenoble-Isère. Les exploitants ont su jouerde l’atout régional (le dynamisme de la « Sillicon Valley » du Grésivaudan et surtout laproximité des stations de ski !) pour atteindre leurs objectifs (le cap des 500 000 passagersà l’issue de la convention était fixé par le CGI).

Cependant, le revers de la médaille tient dans l’hyper concentration du trafic sur lessamedis d’hiver. D’après Jacques BELLISSEN, Directeur adjoint d’Aéroports de Lyon, 85%du trafic se ferait sur la saison hivernale, et 60% du trafic annuel pendant les samedisd’hiver, alors qu’il n’y a qu’un vol par jour l’été, assuré par Ryanair, un jour sur Londres et unjour sur Dublin. Jean-Charles BOREL, du CGI, reconnait également que cette dichotomiesaisonnière pose problème, et que sa résolution sera vraisemblablement un objectif de laprochaine convention de DSP.

27 Cf. http://www.keolis.com/ et http://www.vinci.com/

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La configuration du trafic est effectivement problématique pour les gestionnaires deGrenoble-Isère, contraints d’embaucher des centaines d’intérimaires pendant les pics detrafic et périodes de saturation hivernale, alors que seulement 70 employés travaillent toutel’année sur la plate-forme. La question de la rentabilité de l’exploitation d’un tel aéroportsans subventions d’exploitation est sur beaucoup de lèvres, notamment du côté de Lyon-Saint Exupéry, concurrent proche géographiquement sur le créneau du trafic low-cost.Mais la Cour des comptes dans son dernier Rapport public thématique « épingle » aussiles collectivités territoriales à ce sujet, contestant l’utilité des sommes investies dans lesaérodromes locaux peu rentables (cf. infra).

Le CGI défend cependant sa politique de soutien à Grenoble-Isère en rappelant lesenjeux territoriaux et économiques qui dépendent du développement de l’aéroport, commele nombre d’emplois générés par son activité (directs, indirects et induits), le développementà l’International de certaines PME iséroise depuis l’augmentation du trafic ou encore lesbénéfices retirés du tourisme, un skieur dépensant en moyenne entre 400 € et 1 000 € parsemaine d’après les statistiques des professionnels de la montagne28.

Néanmoins le développement de l’aéroport de Grenoble-Isère, distant de moinsd’une cinquantaine de kilomètres de la plate-forme à vocation nationale et internationaleLyon-Saint Exupéry, n’est pas sans suciter quelques interrogations compte tenu desbouleversements causés par la réforme du régime de gestion des aéroports.

C- Deux cas pas directement comparables mais pascomplètement indépendants

Les aéroports de Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère ne « jouent » pas dans la mêmecatégorie. L’un est une plate-forme à vocation nationale et internationale qui écoule un traficde plus de 7 millions de passagers par an tandis que l’autre, à vocation régionale, approcheles 500 000 passagers par an (a).

Cependant, des liens historiques et économiques ambigus existent entre les deuxaéroports, très proches géographiquement (b).

Et l’apparition de nouveaux acteurs depuis la réforme des aéroports régionaux françaisa renforcé l’attention réciproque que se portent Saint Exupéry et Grenoble-Isère (c).

1. Deux aéroports différents, une logique différente, des ambitionsdifférentes...

Tous les acteurs interrogés sont formels sur un point : Grenoble-Isère ne doit ni nepeut prendre la place de Lyon-Saint Exupéry. La plate-forme iséroise n’a pas vocation àconcurrencer l’aéroport « lyonnais » (bien que ce dernier soit géographiquement beaucoupplus près du département de l’Isère que de Lyon).

D’ailleurs, l’esprit de la loi du 20 avril 2005 est très clair, ainsi que le défend DanielAZEMA, Directeur de l’Aviation Civile Centre-Est (DAC-CE) : le secteur aéroportuairefrançais est désormais organisé en trois catégories. D’un côté, les aéroports de Paris (ADP),

28 Données rappelées par André VALLINI dans le Rapport de la Cour des comptes, op. cit., p.202

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II/ Les exemples de Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère

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plates-formes d’importance mondiale (Roissy-Charles De Gaulle étant en 2007 classéesixième en nombre de passagers29), de l’autre les grands aéroports régionaux (énumérésdans le Décret n° 2007-244 du 23 février 2007) et enfin les aéroports décentralisés(notamment depuis la loi du 13 août 2004), d’intérêt régional ou local.

Lyon-Saint Exupéry et ses 7 millions de passagers annuels est ainsi une plate-forme à vocation nationale et internationale alors que Grenoble-Isère appartient à lacatégorie des plates-formes régionales avec ses 500 000 passagers. Les ambitionsdes deux aéroports sont par conséquent logiquement différentes, la concurrence nes’effectuant pas au même niveau : les grands aéroports luttent pour l’implantationdes hubs des grandes compagnies tandis que les petites plates-formes cherchentà attirer les vols charters et low-costs. Les deux aéroports, pourtant proches, ne seferaient ainsi pas concurrence, car plutôt complémentaires.

Cependant, en approfondissant les investigations, il est possible de remarquerque plusieurs ambiguités planent dans les liens entre les acteurs de Lyon-SaintExupéry et ceux de Grenoble-Isère.

2. ... mais des liens historiques et économiques ambigus...Les acteurs intéressés au fonctionnement de l’aéroport Lyon-Saint Exupéry (actionnaires,gestionnaires, collectivités territoriales) comme ceux de Grenoble-Isère entretiennent desrelations souvent ambigues. En effet, la proximité géographique entre les deux aéroports,fruit du hasard, et les liens historiques qui les unissent expliquent en partie cette situation,révélatrice de la complexité des problématiques de l’aéroportuaire.

La Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon (CCIL), opérateur historique de Lyon-Satolas/Saint Exupéry, a effectivement exploité récemment et pendant un peu plus de cinqans, d’octobre 1997 à décembre 2003, l’aéroport de Grenoble-Saint-Geoirs. Les personnelsde la CCI qui travaillaient alors sur les plates-formes composent d’ailleurs aujourd’hui pourla plupart ceux de la nouvelle société Aéroports de Lyon. Et connaissent donc très bien laplate-forme iséroise, comme le confirme Jacques BELLISSEN30. Ils connaissent égalementla difficulté qu’il y a à développer son trafic en dehors des « charters neige » en raison del’absence de liaisons régulières et de hubs permettant des correspondances, implantés àLyon.

Cette connaissance de l’aéroport, basée sur les liens historiques récents, expliqueen grande partie l’attention continue que portent à Saint Exupéry les dirigeants d’ADLsur Grenoble-Isère, notamment depuis sa prise en mains par les nouveaux exploitants etl’arrivée à son terme fin 2008 de la première DSP du Conseil général de l’Isère.

Mais ces liens historiques ne suffisent pas à expliquer l’ambiguité des liens entre lesdeux plates-formes. Car au niveau économique également, les deux aéroports ne sont peut-être pas si indépendants l’un de l’autre.

C’est en tous cas ce qu’explique Jean-Charles BOREL, chargé de mission Transportaérien au CGI, quand il affirme que « Lyon ne peut pas vivre sans Grenoble31 ».L’observation du développement, à l’échelle mondiale, de tous les aéroports importants

29 Cour des comptes, op. cit., p.1030 Cf. Entretien en annexe.31 Cf. Entretien en annexe.

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ne peut se faire, d’après les études qu’il évoque, sans le développement d’un voire deuxaéroports « satellites » autour. Car un grand aéroport connaît (comme d’ailleurs Lyon-SaintExupéry) forcément des phases de saturation ou des aléas météorologiques qui exigent laprésence à proximité d’une ou deux autres plates-formes pour les déroutements et l’accueildes vols marginaux comme les charters.

Grenoble-Isère, serait d’après lui la plate-forme de déroutement naturelle de Lyon-SaintExupéry, et un aéroport parfaitement complémentaire en absorbant une partie du trafic deLyon (les charters et certains vols low-cost), notamment pendant les phases de saturations(à l’occasion des pics d’utilisation des hubs). D’ailleurs, Monsieur BOREL s’appuie surl’exemple d’EasyJet, qui vient de s’implanter à Lyon mais qui conserve ses liaisons avecGrenoble, preuve selon lui que la compagnie trouve son intérêt à venir aussi sur la plate-forme iséroise. Enfin, le technicien du Département de l’Isère explique que cette volonté decomplémentarité et non de concurrence « jusqu’au-bout-iste » se retrouve dans la politiquedu CGI, qui finance une liaison de son réseau départemental interurbain Transisère pourdesservir Lyon-Saint Exupéry, et souhaitait entrer dans le capital d’ADL pour défendre lesintérêts des Isérois, très nombreux à utiliser la plate-forme...

Cependant, les deux aéroports sont bien en concurrence sur certains créneaux, Lyon-Saint Exupéry ayant aussi choisi de miser sur le low-cost pour assurer le développementde son trafic, alors que les exploitants de Grenoble-Isère, face au retrait d’Air France,misent également beaucoup sur ces compagnies, certes sous-représentées en France et enRhône-Alpes par rapport au reste des régions européennes, mais particulièrement habilespour tirer les prix vers le bas dans les négociations sur les redevances aéroportuaires dansun contexte concurrentiel.

Cette concurrence qui s’insinue entre les deux plates-formes est dénoncée par leConseil général de l’Isère, qui préfèrerait voir se mener, notamment entre les collectivitésterritoriales concernées, des réflexions autour de la mise en oeuvre d’une certainecomplémentarité et de plus de cohérence dans la politique aéroportuaire régionale, aubénéfice de toutes les parties. Le rapport mené par la Chambre régionale des comptesde Rhône-Alpes sur l’exploitation des aéroports lyonnais au cours des années 2001-2007dénonce aussi le fait que cet axe de complémentarité avec l’aéroport isérois ait été négligé32.

Mais dans la conjoncture actuellement tendue du secteur aérien, ce sentiment demise en concurrence entre Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère s’explique d’autant plusaisément qu’il coïncide avec l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteurs, appelésprobablement à se concurrencer dans le futur.

3. ... et des acteurs qui s’épient et sont appelés à se concurrencerLa réforme du régime de gestion des aéroports régionaux français a permis l’arrivée dansle secteur aérien national de nouveaux acteurs, à deux échelles différentes pour le momentmais appelés à coopérer ou se concurrencer à moyen terme.

En effet, la décentralisation des petits aéroports a ainsi permis à de nouveaux entrants,issus de domaines divers, de se positionner sur le marché de la gestion des aéroportsen remportant les contrats de DSP proposés par les collectivités territoriales, nouveauxpropriétaires des infrastructures. Parallèlement, la création des Sociétés aéroportuairesdans les grands aéroports de province autorisée par la loi du 20 avril 2005 institue de

32 Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes, Rapport d’observations définitives des aéroports de Saint Exupéry etLyon-Bron, Exercices 2001 et suivants, Lyon, 2008, p.62

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II/ Les exemples de Lyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère

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nouveaux acteurs à la tête de ces plates-formes, dont le capital sera progressivement ouvertaux actionnaires privés.

Ainsi, il est aisé de concevoir que l’arrivée à Grenoble-Saint-Geoirs de Vinci Airportset de Keolis, associés au sein de la SEAG, ait suscité beaucoup d’attentions du côtédes exploitants de Lyon-Saint Exupéry. Car ces nouveaux acteurs, pour l’instant auxcommandes d’aéroports de taille modeste (Grenoble-Isère, Chambéry-Savoie et Clermont-Ferrand-Auvergne), pourrait bien entrer rapidement dans le capital d’Aéroports de Lyon,voire en prendre le contrôle dans les années qui viennent !

Il y a donc vraisemblablement une certaine méfiance de la part des cadres dessociétés aéroportuaires vis-à-vis des nouveaux opérateurs entrant sur le marché, potentielsassociés, dirigeants ou même concurrents (dans le cas de la prise de contrôle d’un autreaéroport d’intérêt national) à moyen terme des actuels exploitants des grands aéroportsrégionaux !

En tous cas, difficile de comprendre autrement que comme conséquence de luttesd’influences et d’un climat de méfiance la difficulté qu’a le Conseil général de l’Isère àfaire accepter son point de vue sur la complémentarité des plates-formes lyonnaise etiséroise. Le protocole de coopération signé en 2006 entre Saint-Etienne-Bouthéon et Lyon-Saint Exupéry33 représente ainsi un « sale coup » porté à la stratégie grenobloise, lesdécideurs lyonnais ayant préféré miser sur le modeste aéroport stéphanois pour s’essayerà la complémentarité...

De même, le Département de l’Isère avait publiquement en 2007 exprimé le souhait,comme d’ailleurs le Conseil général de la Loire d’après Monsieur BELLISSEN, d’entrer aucapital d’Aéroports de Lyon pour défendre au sein de la société les intérêts de ses habitants,nombreux usagers (et salariés !) de la plate-forme. Demande qui a été réjetée par le Préfetde région, au grand dam des élus isérois.

Toujours est-il que tous les acteurs des deux aéroports (gestionnaires de chez Vinci/Keolis, cadres d’Aéroports de Lyon, pouvoirs publics locaux) s’observent depuis cesdernières années avec attention, tandis que les discours des uns et des autres clament queLyon-Saint Exupéry et Grenoble-Isère n’ont rien à voir entre eux...

33 Cour des comptes, op. cit., p.138

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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III/ Une privatisation de la gestion pourun secteur en pleine mutation

Le changement de régime de gestion des aéroports régionaux français, qui se caractériseainsi par une privatisation de la gestion, soit parce qu’elle a été confiée dans les grandsaéroports comme à Lyon-Saint Exupéry à une société anonyme de droit privé, soit parcequ’elle a été confiée à des gestionnaires issus du secteur privé comme à Grenoble-Isère,ou même soit parce que les gestionnaires traditionnels toujours en place ont comprisque leur travail faisait désormais l’objet de toutes les attentions de la part de concurrentspotentiels et des autorités délégantes, permet d’observer certaines nouveautés dans lesecteur aéroportuaire, notamment en termes de « culture », de « philosophie » (1).

C’est d’ailleurs un point important de cette réforme que les différents acteurs du secteur,interrogés lors d’entretiens34 approfondis, ont souligné. Leur analyse de ces changements etdes bouleversements qui en résultent, à différents niveaux (Etat, gestionnaires, collectivitéterritoriales...), est en ce sens très intéressante (2).

Mais les défis du secteur aérien français, et bien sûr la pertinence des réformes opéréesdans le régime de gestion des aéroports régionaux français dans ce contexte, restentcependant à surveiller (3).

A- Une nouvelle gestion, une nouvelle cultureL’introduction de la concurrence, à la fois pour et dans l’exploitation des aéroports français,a conduit à une « modernisation35 » de leur gestion, que l’on peut même qualifier de« privatisation » dans la mesure où les acteurs s’accordent à reconnaître qu’elle s’inspireouvertement des méthodes du secteur privé, même quand le gestionnaire reste public36. Lespremières conséquences de cette privatisation sont ainsi concrètement observables (a).

De même, les nouveaux statuts comme l’arrivée de nouveaux acteurs ont conduit à unchangement de philosophie sensible dans le secteur (b).

Et de nouveaux bouleversements sont donc à prévoir (c).

1. Les conséquences concrètes de la privatisation

34 Cf Annexes35 DUGLET Perrine et LEGRIN Florence, Décentralisation et création des sociétés aéroportuaires : le renouveau des aéroportsfrançais, Direction Générale de l’Aviation Civile, Paris, 2007, p.236 Voir à ce propos en annexes la grande concordance des réponses des trois personnes interrogées.

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III/ Une privatisation de la gestion pour un secteur en pleine mutation

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La nouvelle donnée fondamentale, intimement liée aux principes fondateurs de l’UnionEuropéenne37 et à l’application de sa législation dans le droit national, consiste enl’introduction de la concurrence pour la gestion des aéroports.

Enfin, l’autre grande conséquence concrète de la privatisation des aéroports est lepassage sous statut privé des personnels qui travaillaient auparavant pour les CCI.

En effet, avec la transformation en SA de droit privé, les personnels ne sont désormaisplus les employés d’un établissement public comme les CCI. La loi a bien sûr prévu demettre ces agents publics à la disposition des sociétés aéroportuaires et prévu plusieursgaranties38 pour ces salariés, comme la signature rapide d’une convention collective.

Ainsi ont eu lieu en 2005, 2006 et 2007 des négociations autour de la CCNTA - PS,la Convention Collective Nationale du Transport Aérien – Personnels au Sol39, afin d’éviteraux ex-salariés des CCI de perdre trop de leur avantages. En réalité, ceux-ci sont nombreuxà penser avoir « perdu au change », ce qui a conduit la nouvelle direction de l’aéroportde Saint-Exupéry à entamer une longue phase de dialogue, de « dédramatisation » de lasituation comme l’explique Jacques BELLISSEN, pour expliquer les conséquences de cechangement de statut.

Il est intéressant de noter que d’après les syndicats du secteur, comme SUD-aérien,la CCNTA-PS comporte de nombreuses avancées pour les salariés concernés, même sicertains points modifiés ont donné lieu à quelques tensions sociales, notamment chez AirFrance. Cependant, pour les ex-salariés des CCI, la situation peut sembler dégradée :comme Monsieur BELLISSEN l’avoue, « il y a une vraie crainte du personnel » carla « tranquillité d’esprit » qu’avaient les salariés auparavant s’est envolée depuis laprivatisation. Et cela bien qu’à quelques exceptions près (comme l’arrivée d’un nouveaudirecteur, Philippe BERNAND), les personnels d’ADL sont restés les mêmes que ceux quitravaillaient pour la CCI. Seulement, désormais le fonctionnement est devenu celui d’uneentreprise privée, il a fallu élire des délégués du personnel, cotiser aux ASSEDIC, mettre enplace des primes d’intéressement du personnel aux résultats pour compenser les avantagesperdus... Autant de changements concrets qui ont bouleversé et inquiété les salariés, si bienque des rumeurs de « liste noire » de licenciements ont même circulé les premiers mois40.

Même si la situation s’est apaisée, les salariés des sociétés aéroportuaires commeADL, et en particulier ceux qui auparavant travaillaient pour les CCI, sont sans doute lespremiers à « subir » les conséquences concrètes de la privatisation des aéroports, et cellesde la privatisation de leur gestion. Et certains appréhendent l’éventualité de la prise decontrôle dans un futur pas très lointain des sociétés aéroportuaires par les nouveaux acteursdu secteur, et leur nouvelle « philosophie ».

2. Une nouvelle philosophie pour de nouveaux acteursComme s’accordent à le dire les personnes interrogées, qui appartiennent pourtant toutesà des entités différentes (Etat, entreprise privée, collectivité territoriale), le changement de

37 Lire à ce sujet la synthèse des « lignes directrices sur les aides d’Etat pour le développement des aéroports régionaux » dans ledossier Transport aérien du portail internet officiel de l’Union Européenne

38 Articles 7 – III et 7 – IV de la loi du 20 avril 2005 sur les aéroports39 Entrée en vigueur au mois de mai 2006.40 Lire à ce sujet le démenti de Monsieur BELLISSEN dans son entretien en annexe.

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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régime de gestion des aéroports régionaux français a donné lieu à l’arrivée perceptible d’unenouvelle « philosophie », clairement inspirée du secteur privé.

3. Les bouleversements attendus à moyen et long termeL’hypothèse de ce travail est que le double changement de régime de gestion desaéroports régionaux, aussi bien la privatisation des grands aéroports d’intérêt national quela décentralisation des plates-formes régionales va conduire dans les prochaines années àun bouleversement du secteur aérien français.

En effet, les observateurs s’accordent à noter que le secteur est en plein mouvement41,avec l’arrivée de nouveaux acteurs issus d’autres secteurs économiques qui s’intéressentfortement aux appels d’offres lancés par les collectivités locales, nouvelles propriétaires desinfrastructures aéroportuaires basées sur leur territoire.

Et si l’opération peut s’avérer très rentable, dans le cas de certaines plates-formescomme Beauvais ou, dans une moindre mesure, Grenoble, ces arrivées sont aussiprobablement dûes à la volonté des nouveaux entrants de se forger une image, « de sefaire un nom » et/ou d’acquérir de l’expérience dans le secteur aéroportuaire42.

Car, et c’est là où la privatisation (annoncée puis effective) des grands aéroportsrégionaux intervient, une participation au capital, voire une prise de contrôle à moyen termed’une grande plate-forme aéroportuaire française est possible pour ces acteurs, l’Etat ayantpar ailleurs clairement affiché sa volonté de vendre ses parts à terme, et dans le contexteactuel des finances publiques, certainement au prix le plus élevé possible.

A moyen terme, il est ainsi tout à fait possible de voir l’un des nouveaux acteurs dusecteur aéroportuaire français, gestionnaire d’un aéroport d’intérêt régional, entrer dansle capital des sociétés gestionnaires des grands aéroports. Ou même un autre acteur,expérimenté dans le domaine ou pas. Les personnels des actuelles « grandes » sociétésaéroportuaires comme ADL sont d’ailleurs tout à fait conscients de cet état de fait43.

L’importance croissante que vont prendre les acteurs privés constitue par conséquentun premier bouleversement attendu. Avec peut-être à long terme, des grands aéroportsrégionaux exploités par des opérateurs privés majoritaires, comme c’est par exemple le casavec la compagnie BAA (British Airports Authority) qui exploite six aéroports du Royaume-Uni et l’aéroport de Naples44.

Par ailleurs, le secteur aérien va aussi changer avec l’implication croissante descollectivités territoriales, qui vont peu à peu elles aussi acquérir de l’expérience dansle domaine. D’ailleurs, au sein de l’Union des Aéroports Français [UAF, ex-Union desChambres de Commerce et des Etablissements Gestionnaires d’Aéroports] ou du CNFPT[Centre National de la Fonction Publique Territoriale], des séminaires et réunions se mettent

41 Cf. entretiens en annexes et infra p.55 et suivantes42 L’exploitation et la gestion aéroportuaire représentaient en 2005 moins de 4% du chiffre d’affaires de la filiale Vinci

Concessions du groupe Vinci. Cependant, voici une citation extraite de la présentation des métiers aéroportuaires de la filiale surle site http://www.vinci.com : «Ces deux premières références [Grenoble-Isère et Chambéry] sur le marché français permettent àVINCI de se positionner en vue de l’ouverture progressive annoncée au secteur privé de la gestion des aéroports régionaux »

43 Cf. Jacques BELLISSEN, entretien en annexes.44 Plus d’informations sur cette entreprise et « ses » aéroports sur http://www.baa.com/

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en place régulièrement45 pour réfléchir à comment plus et mieux impliquer les collectivitésterritoriales dans la régulation du secteur aéroportuaire.

En effet, cette nouvelle compétence attribuée aux collectivités locales implique denouvelles responsabilités pour elles, et elles ont donc besoin de personnels formés à cesproblématiques et aux spécificités du secteur pour en être réellement des acteurs efficaceset crédibles. Dans ce cadre en pleine mutation, le CGI fait figure de précurseur car depuis lamutation domaniale de 2002 et surtout l’entrée en vigueur en 2004 de son inédite conventionde DSP portant sur l’exploitation de Grenoble-Isère, le Département de l’Isère est unecollectivité « pionnière » en la matière. L’expérience qu’elle a acquise lui permet désormaisde faire partager son expérience afin d’aider les élus et techniciens des autres collectivitésqui n’ont pas d’expérience dans le domaine.

Le bouleversement attendu est par conséquent une implication logique et croissantedes collectivités locales dans le secteur aéroportuaire, avec les enjeux locaux qui vontprendre forcément un peu plus d’importance. Jean-Charles BOREL, spécialiste de cesquestions, explique d’ailleurs que les conséquences d’une approche globale par lesacteurs locaux sont multiples et souvent encore plus bénéfiques qu’auparavant. Ainsi,depuis la prise en main de la plate-forme aéroportuaire iséroise de Grenoble-Saint-Geoirs par le CGI et sa volonté d’y développer le trafic, notamment en en facilitantl’accès routier, des entrepreneurs locaux (PME, artisans...) sont passés directement d’unmode de fonctionnement basé sur un marché régional à une internationalisation de leursventes, surtout avec l’Angleterre, grâce au développement du trafic de l’aéroport. MonsieurBOREL explique que c’est bien le dynamisme de la plate-forme locale qui explique lephénomène, car même si l’aéroport de Lyon-Saint Exupéry existait depuis longtemps etn’était pas très loin, ces professionnels n’y allaient pas. La compréhension de ces nouveauxenjeux économiques et territoriaux ne doivent ainsi pas échapper aux collectivités localesmaintenant qu’elles sont dotées de la propriété des aérodromes d’intérêt régional, et c’estune donnée qui va également accélérer la mutation du secteur aérien français.

Pour mieux en saisir la teneur, il faut s’intéresser à l’analyse de ses acteurs.

B- L’analyse des différents acteurs du systèmeLe changement de régime de gestion des aéroports régionaux français étant très récent,il est difficile de trouver beaucoup de documentation disponible sur le sujet. Par exemple,la société Aéroports de Lyon, première société anonyme régionale aéroportuaire française,vient de fêter sa première année d’existence en mars 2008 et la convention de Délégation

de Service Public de l’exploitation de l’aéroport de Grenoble-Isère, effective depuis le 1er

janvier 2004 et pionnière en la matière en France, n’arrivera à son terme qu’au 31 décembre2008.

Dans ce contexte, pour aborder les changements que la privatisation de la gestion,aussi bien à l’échelle des aéroports d’intérêt national que des plates-formes locales, aoccasionné, il est pertinent de s’intéresser, notamment au moyen d’entretiens sur le terrain,à l’analyse des différents acteurs du secteur aéroportuaire.

45 Le CNFPT met en place par exemple un stage du 22 au 25 septembre 2008 à La Rochelle sur le renouvellement et le suivides concessions des aéroports. Plus d’informations sur http://www.cnfpt.fr/fr/agents/Les_catalogues_de_formation/52

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Trois entités différentes ont été interrogées à travers leurs représentants :l’Etat (a) avec la personne de Daniel AZEMA, Directeur de l’Aviation Civile (DAC)

Centre-Est,les exploitants (b) avec Jacques BELLISSEN, Directeur Adjoint d’Aéroports de Lyon,

Chargé des relations avec les actionnaires,les collectivités territoriales (c), et en particulier le Conseil général de l’Isère (CGI), avec

Jean-Charles BOREL, chargé de mission transport aérien.

1. L’EtatIl est d’abord utile de rappeler les missions et prérogatives de l’Etat dans le secteuraéroportuaire, synthétisées par exemple dans la Convention de DSP de l’aéroport deGrenoble-Saint-Geoirs46.

Ainsi, l’Etat édicte toutes normes et tous règlements relatifs aux aérodromes dans lecadre général des missions relevant de la sûreté (tout ce qui concerne le risque « attentat »)et de la sécurité du transport aérien et de l’aviation générale47.

De cette manière, l’Etat surveille naturellement l’application de ses règlements etdélivre les habilitations, agréments et autres qualifications des personnels, fixe les normesdes matériels... De même, lorsque le trafic de l’aérodrome le justifie, l’Etat exécute lesservices de circulation aérienne et établit les servitudes aéronautiques et radioélectriquesnécessaires. C’est également lui qui exécute et finance les achats, installations etopérations d’entretien nécessaires à la fourniture de ces services. De même, l’assistancemétéorologique à la navigation aérienne est de la responsabilité de l’établissement publicMétéo-France. Enfin, l’Etat exerce naturellement un contrôle sur l’exploitation des servicesdélégués dans le domaine aéroportuaire48.

L’Etat, notamment avec ses services de la Direction Générale de l’Aviation Civile(DGAC), est ainsi depuis longtemps un acteur majeur du secteur aérien. Dans le cadrede la réforme aéroportuaire entreprise depuis 2004, il reste très présent, même si « l’Etatrégulateur chass[e] l’Etat opérateur49 » petit à petit. En effet, malgré la privatisation desstatuts des grands aéroports ou leur décentralisation, le contrôle de la DGAC, notamment ence qui concerne le respect du cahier des charges imposé par décret aux grands aéroports,est bien présent.

C’est ce que souligne Monsieur AZEMA, qui explique que le travail de la DGAC de« surveillant des aérodromes » n’a pas tellement changé depuis la réforme, même si elle ya naturellement pris part et fortement suggéré certains axes. Ce contrôle a été notablementrenforcé ces dernières années en matière de sûreté et de sécurité, mais non pas à cause deschangements de propriétaires et d’exploitants, mais surtout du fait de la pression croissante

46 Convention de Délégation de Service Public de l’exploitation de l’aéroport de Grenoble-Saint-Geoirs du 11 août 2003, Articles7 à 12.

47 La notion de « sûreté » recouvre, dans le domaine aéroportuaire, la prévention des actes délictueux, tandis que la « sécurité» concerne la prévention et le traitement des accidents aéronautiques. Cf. Cour des comptes, op. cit., p.1

48 Comme le prévoit par exemple l’article 76 du Décret n° 2007-244 du 23 février 2007 relatif aux aérodromes appartenantà l'Etat et portant approbation du cahier des charges type applicable à la concession de ces aérodromes .

49 BRISSON Jean-François, op. cit., p.1843

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de l’opinion publique et des responsables politiques depuis les attentats du World TradeCenter de New York du 11 septembre 2001.

A propos de la décentralisation des 154 aérodromes à vocation locale ou régionalequi appartenaient encore à l’Etat (Monsieur AZEMA rappelle d’ailleurs qu’il y a environ 150autres aérodromes qui n’appartenaient déjà plus à l’Etat en 2004 ou qui ne lui ont jamaisappartenu, comme celui de Saint-Etienne-Bouthéon !), il juge que la décision est logique carl’Etat avait encore un rôle d’investisseur alors qu’il n’était pas forcément le plus qualifié pourle jouer sur ces petites plates-formes. Le fait d’en transférer la propriété et la gestion auxcollectivités territoriales, ce qui est un choix politique sur lequel son statut de fonctionnairefrançais ne lui permet pas de s’exprimer, répond selon lui à une logique cohérente, mêmesi selon les cas la gestion d’un aérodrome peut représenter une opportunité comme unfardeau très lourd pour les collectivités.

Ces transferts de compétences se sont bien sûr accompagnés de compensationsfinancières, d’un montant global d’environ 2,4 millions d’euros, qui correspondent auxcharges de fonctionnement, d’investissement et de personnel, calculées en moyenneactualisée des sommes consacrés par l’Etat durant les années précédentes. Ce montantparaît faible mais correspond en réalité aux engagements de l’Etat vis-à-vis de lacinquantaine d’aéroports qui étaient encore gérés en régie directe. D’après la DGAC,le dossier de la décentralisation des aérodromes « s’est globalement déroulé dans debonnes conditions 50» même si une dizaine de plates-formes ont été transférées de manièreunilatérale par arrêté, faute de candidat pour les reprendre.

Néanmoins, l’implication des collectivités territoriales dans la gestion et l’entretien desaérodromes locaux constitue pour la DGAC « une reconnaissance de leur rôle51» dans lesecteur aéroportuaire, et son association au maintien des missions régaliennes de l’Etatexécutées par ses services (fixation des normes de sûreté-sécurité, services de naigationaérienne, etc.) devrait permettre d’assurer un service public aéroportuaire présentant toutesles garanties de sécurité et de qualité.

Concernant la réforme des grands aéroports régionaux, Monsieur AZEMA défendl’esprit de la loi du 20 avril 2005 et s’accorde avec l’analyse qu’avaient faites les CCI dansle Livre Blanc des grands aéroports régionaux français, c’est-à-dire qu’il était nécessairede créer des sociétés aéroportuaires qui aient la carrure pour pouvoir se positionner auniveau européen et mondial. Et que l’ancienne situation où les CCI étaient opérateurs nele permettait pas.

Quant à la durée de concession pour les nouvelles sociétés aéroportuaires, le DAC(Directeur de l’Aviation Civile) précise que « l’idée de l’Etat c’était de faire une concessionla plus courte possible pour recommencer une mise en concurrence, mais suffisammentlongue pour que ce soit rentable52 ». Cependant, la durée maximale autorisée par la loi, 40ans (qui a été choisie pour pratiquement toutes les sociétés aéroportuaires nouvellementcréées), et l’absence de mise en concurrence lors des cessions des concessions des CCIà ces nouvelles sociétés ont dû faire grincer des dents à Bruxelles (même si sur point, lesinstances communautaires ont validé la position française d’affirmer que ces changements

50 CONSTANT Olivier, « Décentralisation des aéroports, Moyens d’accompagnement » in Aviation civile, le magazine de laDirection Générale de l’Aviation Civile, n°346, Paris, Mars-Avril 2008, p.14

51 DUGLET Perrine, LEGRIN Florence, Décentralisation et création des sociétés aéroportuaires : le renouveau des aéroportsfrançais, op. cit., p.3

52 Cf. Entretien de Monsieur AZEMA en annexe.

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institutionnels ne constituaient qu’un « prolongement » des situations existantes)... MaisMonsieur AZEMA assure que malgré des durées de concessions aussi longues, lesobligations de services publics (OSP) et leur accomplissement auxquels sont assujettisles concessionnaires sont garantis par le contrôle de la DGAC du respect du cahier descharges.

La réforme incite les nouveaux concessionnaires à être plus performants, grâce auchangement de statut qui leur accorde plus de souplesse et un fonctionnement inspiré dusecteur privé d’après le DAC. Même si les personnels de la CCI étaient déjà auparavantcontraints d’équilibrer leurs comptes et d’être le plus performants possible. La réformeobéit d’après lui à un raisonnement qui s’apparente vraiment à une privatisation, puisquel’idée reste que l’Etat n’investit plus dans les aéroports (bien qu’il reste propriétaire desinfrastructures) tandis que c’est la société qui investit elle-même. Et que l’Etat a clairementaffiché sa volonté de vendre ses parts, même si l’actionnariat doit rester majoritairementpublic jusqu’en 2013.

De même, pour éviter les abus de la part du concessionnaire de la positionmonopolistique des aéroports, notamment au niveau des redevances, l’Etat a conclu descontrats de régulation économique avec les gestionnaires d’aéroports, dont le contrôle estconfié à ses services, pour renforcer son rôle de régulateur du secteur.

Globalement, l’Etat semble satisfait de la réforme puisqu’elle lui permet de serecentrer sur ses missions régaliennes en abandonnant totalement son rôle d’opérateuret d’investisseur53, au profit d’acteurs du secteur privé. Mais plusieurs observateurs,notamment au sein des collectivités territoriales, lui reprochent de voir son désengagement(via la vente de ses parts des sociétés aéroportuaires) plus comme une « source de profit »que comme le signe d’une volonté de dynamiser le secteur.

2. Les exploitants privésDésormais, en France, les gestionnaires d’aéroports sont de trois types :

personnels des CCI qui exploitent encore certains aéroports (y compris des grandesplates-formes : Marseille-Provence est toujours exploitée par la CCI locale),

exploitants privés, opérateurs du secteur issus de divers secteurs économiques, quis’intéressent à la gestion des aéroports régionaux français et aux appels d’offres lancés parles collectivités territoriales,

personnels des nouvelles sociétés aéroportuaires auxquelles les CCI ont cèdé leurconcession pour l’exploitation des grands aéroports régionaux.

C’est un représentant de ces derniers qui livre son analyse de la réforme, MonsieurJacques BELLISSEN, Directeur adjoint d’Aéroports de Lyon (ADL), la première Sociétéanonyme aéroportuaire régionale française.

Et c’est d’ailleurs lui qui a été mandaté par Yves GUYON, le directeur général de laChambre de Commerce et d’Industrie de Lyon (CCIL), pour négocier techniquement latransformation de l’Aéroport de Lyon-Saint Exupéry en Société anonyme de droit privé. Etdans la continuité de cette mission, il est chargé des relations avec les actionnaires, qui sontpour l’instant l’Etat ( qui détient 60% du capital), la CCIL (25%) et les collectivités territoriales(le Conseil général du Rhône, la Région Rhône-Alpes et le Grand Lyon, 5% chacune).

53 Même si le dernier rapport public thématique de la Cour des comptes (op. cit.) « épingle » l’Etat à ce sujet sur plusieurspoints lors de la mise en oeuvre de la réforme.

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Monsieur BELLISSEN rend hommage au travail des CCI, qui ont été les pricipauxacteurs de la réformes des grands aéroports régionaux, notamment à travers la mise enplace du Comité d’Action pour la mise en place des Sociétés Aéroportuaires et la publicationdu Livre Blanc des grands aéroports régionaux français. En soulignant qu’elles n’étaientpas forcément gagnantes dans l’affaire, car si avant elles géraient à 100% les concessionsdes aéroports, elles n’ont désormais plus qu’une part minoritaire (25% à Lyon) du capitaldes nouvelles sociétés.

Mais ce changement de régime de gestion était d’après lui nécessaire, « il était tempsde le faire ». Notamment parce que la souplesse de gestion et le gain en flexibilité facilitentgrandement l’efficacité pour les opérateurs, tout comme l’autonomie qu’ils ont gagnée.Evidemment, l’Etat veille grâce au cahier des charges et le Conseil de surveillance se réunittous les trimestres pour contrôler la gestion de l’aéroport, mais le Directoire est désormaisbeaucoup plus libre dans ses choix. Et cela représente pour Jacques BELLISSEN l’une desclés de l’amélioration de la performance dans l’exploitation des aéroports lyonnais que gèreADL, Lyon-Bron et Lyon-Saint Exupéry.

De même, le vent de fraîcheur qu’a amené le nouveau Directeur des aéroports,Philippe Bernand, et la remise en question du mode de foncionnement et de la rentabilitédes opérations promet des gains substanciels de productivité et en termes de retoursur investissements. Ainsi, l’accent se porte toujours un peu plus vers les activités extraaéronautiques, les plus rentables d’après les études de la nouvelle comptabilité analytiquemise en place.

Mais Monsieur BELLISSEN a également beaucoup insisté sur les préoccupations dupersonnel vis-à-vis du changement. La réforme a donné lieu effectivement a beaucoup dechangements pour les employés, qui ont légitimement nourri quelques craintes quant à laprivatisation de leur employeur. Comme cette rumeur de « liste noire » d’une trentaine denoms qui allaient « sauter » avec le nouveau statut. Il n’en a rien été, et l’adhésion dupersonnel à la nouvelle société est quelque chose dont se félicite le nouveau Directoire.D’ailleurs, pour compenser les pertes d’avantages liés au changement de statut, outrela renégociation d’une convention collective nationale qui s’applique désormais aussi auxpersonnels des aéroports, ADL a mis en place un système de prime à l’intéressement pourles salariés

Même si le quotidien ne semble pas avoir beaucoup changé pour les personnels, dontle travail est sensiblement resté le même avant et après le 6 mars 2007 (date de la créationd’ADL), Jacques BELLISSEN souligne cependant que les mentalités commencent à évolueravec la nouvelle gestion, qui est celle d’une entreprise privée, et que les changementsrisquent de s’accentuer à terme. Evidemment, l’ouverture du capital au privé fait un peupeur, surtout si ce dernier devient majoritaire au Conseil de surveillance. Avec le risquequ’il impose ses méthodes, ses personnels, et bouleverse le travail des employés en place.Cependant l’actuel Directeur adjoint reste confiant, et voit non une menace mais plutôtune opportunité dans l’ouverture au privé, le moyen de renforcer des synergies, d’acquérirdes compétences supplémentaires (notamment si c’est un opérateur du métier qui entre)et de financer de nouveaux investissements avec les nouveaux fonds apportés. Mais quele meilleur moyen d’éviter une restructuration sévère de la part d’un éventuel nouveauDirectoire, mis en place dans l’hypothèse d’une prise de contrôle par un nouvel actionnairemajoritaire privé, est d’être le plus performant possible dès aujourd’hui. C’est pourquoiMonsieur BELLISSEN assimile le passage au statut de droit privé à une véritable « prisede conscience » pour les opérateurs des aéroports régionaux : l’efficacité et la rentabilitéde leur travail doivent être améliorés.

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Evidemment la question sensible reste au niveau des missions de service public quedoit effectuer la Société, comme la question du maintien de l’activité pendant les créneauxnon rentables, pointés du doigt par les contrôleurs de gestion .

Il y a aussi celle du grand écart entre le discours à tenir auprès des compagniesaériennes traditionnelles, comme Air France qui a un petit hub euro-régional à SaintExupéry, et celui nécessaire pour attirer les compagnies low-cost comme EasyJet, l’autregrand vecteur de développement du trafic pour la plate-forme. Et donc la question de laconcurrence avec les aéroports d’intérêt local, comme Grenoble-Isère, pour faire venir lesvols charter et les compagnies à bas coûts. D’ailleurs, Monsieur BELLISSEN connaît trèsbien la plate-forme iséroise, la CCIL l’ayant exploitée entre 1998 et 2002. Il s’interroge surla rentabilité d’un tel aéroport, qui n’accueille qu’un vol par jour en dehors de la saisond’hiver, et même de la journée du samedi pendant cette saison ! Et en tous cas confirme quel’aéroport lyonnais conserve un oeil très attentif sur la plate-forme iséroise et ses exploitants,concurrents potentiels d’envergure à l’avenir...

En tous cas, Monsieur BELLISSEN confirme que la réforme aéroportuaire, y comprisla décentralisation des « petits » aéroports, va véritablement bouleverser le secteur dansles prochaines années, une fois que tous les aéroports d’intérêt régional auront été confiésaux nouveaux entrants du secteur et qu’il sera l’heure pour l’Etat de vendre ses parts desSociétés aéroportuaires qui opérent sur les grandes plates-formes...

3. Les collectivités territorialesAvec l’arrivée de nouveaux acteurs privés dans les secteurs aériens et aéroportuairesfrançais, l’accroissement du rôle des collectivités territoriales constitue l’autre grandenouveauté de la réforme.

En effet, la décentralisation des aérodromes qui appartenaient encore à l’Etat (souventpour des raisons historiques) en a fait les nouveaux propriétaires et gestionnaires. Ellesconstituent donc, plus ou moins volontairement, de nouveaux acteurs à part entière dusecteur, même si certaines d’entre elles avaient déjà commencé à s’y intéresser avantle transfert. C’est le cas du Conseil général de l’Isère (CGI), qui a mis en place lapremière procédure de Délégation de Service Public (DSP) pour l’exploitation d’un aéroportde passagers, Grenoble-Isère. C’est pourquoi l’analyse de la réforme par Jean-CharlesBOREL, Chargé de mission transport aérien du Département, est très intéressante.

Monsieur BOREL confirme que le Département de l’Isère, notamment sous l’impulsionde son président, Monsieur André VALLINI, s’est intéressé très tôt à la questionaéroportuaire, et de façon très nette à partir de la fin des années 1990. En effet, leCGI a demandé en 2000 à l’Etat de lui transférer la responsabilité de la gestion de cetaéroport par le biais d’une mutation domaniale. La collectivité locale n’était effectivement passatisfaite de la gestion de la plate-forme, déficitaire et en perte de vitesse, et vierge de toutenotoriété nationale ou internationale. Une convention de mutation domaniale, transférant auDépartement la gestion et la responsabilité de l’aéroport Grenoble-Saint-Geoirs a ainsi étésignée en 2002 avec l’Etat. La loi « Démocratie de proximité » de 2002 et son article 10554 surles expérimentations ont permis dès lors à la collectivité de mettre en place une procédurede DSP portant sur l’exploitation de l’aérodrome. Finalement, la loi du 13 août 2004 n’afait qu’entériner un transfert déjà effectif dans les faits en Isère, bien que le Département

54 LOI n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, Article 105

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se soit porté volontaire avant même l’application de la loi pour devenir propriétaire desinfrastructures.

M. BOREL souligne le caractère « expérimental » de la première procédure de DSP, quiétait de courte durée (quatre ans) pour cette raison, vu que ce n’est pas le métier des agentsde Direction des transports de gérer un aéroport. Ce fut donc une « aventure » nouvellepour le Département de l’Isère, avec l’ambition que « ça marche », tout en espérant limiterles frais, en cas d’échec, pour le contribuable.

Et il a donc fallu mettre au point une convention de DSP d’un nouveau genre, qui adepuis fait école en France et même en Europe. Une certaine fierté légitime est donc retiréede cette innovation contractuelle, qui est tournée vers la performance. En effet, l’exploitationest confiée « aux risques et profits » du délégataire, lui permettant de retirer de l’argent enétant intéressé financièrement aux objectifs du Conseil général, tout en devant assumer lerisque commercial de l’exploitation.

Et l’expérience s’est avérée très positive pour la collectivité territoriale. En premier lieu,les techniciens du Département ont « beaucoup appris » des missions qui leur incombentdésormais en matière aéroportuaire. Mais au-delà, les prévisions des résultats du premierexercice de la DSP (qui s’achèvera à la fin de l’année 2008) semblent conformes auxobjectifs fixés sur plusieurs points. Et en premier lieu, l’augmentation du trafic et du nombrede passagers, qui a atteint le seuil des 500 000 en année lissée d’avril 2007 à avril 200855,alors qu’il dépassait à peine les 178 000 en 200356. D’ailleurs Monsieur BOREL juge quel’expérience a bien donné raison au Département d’avoir choisi les actuels exploitants lorsde l’appel d’offre, où ils avaient présenté ce que le Conseil général a considéré comme lameilleure candidature.

Mais tout n’est pas rose non plus. Le Conseil général a dû financer quasiment la totalitédes dépenses d’investissement de l’aéroport. Certes, le CGI affirme que ces dépensesétaient nécessaires à la relance de l’aéroport et qu’elles ont été dégressives dans le temps,mais la Cour des comptes comme les concurrents, et notamment les exploitants de Lyon-Saint Exupéry, remettent en question la soutenabilité du régime d’exploitation de Grenoble-Isère. Et la question des contributions d’investissement sera sans doute sensiblementmodifiée dans le prochain contrat de DSP portant sur l’exploitation de la plate-forme, toutcomme la question de la desserte en bus, aujourd’hui encore à la charge du réseauTransisère géré par le Département. De plus, la politique des exploitants en matière deressources humaines, caractérisée par le recours massif aux intérimaires, chers et souventpeu productifs, en haute-saison, ne correspond pas aux valeurs et références en matièred’emploi que revendiquent la majorité et l’exécutif du CGI. C’est pourquoi des études sontmenées actuellement pour améliorer la situation professionnelle et sociale des travailleurssaisonniers, alors que l’aéroport a semble-t-il généré près de 400 emplois directs et indirectssur le territoire (nombre maximal atteint en Haute-saison).

Mais un point reste sensible pour la collectivité : celle de la coordination des acteurspublics au niveau régional en matière de politique aéroportuaire. La Région Rhône-Alpes,que les Isérois financent en partie, étant membre du Conseil de surveillance d’Aéroports deLyon, le CGI, comme d’ailleurs le Conseil général de la Loire pour semble-t-il sensiblementles mêmes raisons, avait demandé à également entrer au capital de la société. Ce que lePréfet de région avait refusé.

55 Réponse du Président du Conseil général de l’Isère in Cour des comptes, les aéroports français face aux mutations dutransport aérien, op. cit., p.202

56 http://www.grenoble-airport.com/-Statistiques-.html/

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Or le Département de l’Isère, et en particulier son président, André VALLINI, qui s’estentretenu avec Jean-Jack QUEYRANNE (le président de la région Rhône-Alpes) à cesujet, souhaite que soit mis en place une réelle et concrète coopération entre les acteurspublics et notamment les collectivités territoriales pour définir une poltique aéroportuairerégionale cohérente. Et ainsi éviter une logique de concurrence jusqu’au-boutiste entre lesplates-formes locales, néfastes du point de vue financier (car c’est quand même l’argentdu contribuable qui est en jeu aussi) comme pour l’efficacité du réseau aérien français.En effet, Monsieur BOREL souligne que le CGI, bien que propriétaire de Grenoble-Isère,achemine bien via son réseau autocar les Isérois jusqu’à Saint Exupéry ! Aller sur une voiecomplémentaire entre les grands aéroports régionaux et les plates-formes décentralisées,aussi bien pour des raisons techniques (déroutements, aléas divers...) qu’économiques(permettre le développement des petits aéroports sans grèver la rentabilité des « gros »)représente désormais le grand combat que doivent mener les collectivités locales. En touscas du point de vue du Conseil général de l’Isère, département pionnier et précurseur dansle domaine.

Et pour cela, les collectivités territoriales doivent commencer à vraiment prendreconscience des enjeux qui découlent pour leurs territoires et leurs économies dudéveloppement des aérodromes dont elles ont désormais la propriété.

C- Les défis du secteur aérien françaisLa réforme aéroportuaire française trouve naturellement une de ses principales raison-d’êtredans les mutations du secteur du transport aérien.

Ce dernier, malgré des faiblesses notamment liées à sa vulnérabilité aux changementspolitiques et économiques mondiaux, bénéficie toujours d’un dynamisme certain, dont enprofitent tous les acteurs, et qui a également des impacts positifs sur l’emploi et l’économiedes régions (a).

Mais, en France comme dans le monde, un certain nombre de défis se dessinent pourses acteurs, les compagnies, les gestionnaires d’aéroports et les responsables publics (b).

Et la pertinence de la réforme aéroportuaire française et des bouleversements qu’elledevrait induire dans ce secteur en pleine mutation mérite d’être soulignée (c).

1. Forces et faiblesses du secteurLe transport aérien est un secteur économique qui connait à nouveau depuis 2003 unecroissance soutenue et régulière, supérieure à 5% par an ces dernières années, tiréenotamment par le trafic international et l’accélération des échanges avec les pays quiconnaissent une forte croissance économique comme la Chine, l’Inde ou le Brésil57. Depuis1982, la DGAC estime que le trafic mondial croît au rythme annuel moyen de 4 % en nombre

57 Pour connaître tous les chiffres, les publications de la Direction des Affaires Stratégiques et Techniques sont consultables àl’adresse : http://www.aviation-civile.gouv.fr/html/publicat/dast/sommaire_dast.htm

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de passagers et de 4,9 % pour le fret58. Le trafic aérien mondial régulier de passagers,exprimé en passagers-kilomètres, pourrait progresser à un taux moyen annuel de 4,6 % d’icià 2025 selon les prévisions de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI)59.

En France, la DGAC constate une poursuite de la croissance franche du trafic aériende passagers depuis quatre ans. Le nombre de passagers transportés a ainsi augmenté de6,2% en 200760. Jean-Charles BOREL n’hésite pas d’ailleurs à qualifier le transport aériende « gros gâteau », que tous les acteurs français ne sont actuellement pas en mesure de« digérer ».

C’est un secteur en effet dynamique, qui fait face à une demande soutenue (l’INSEEa enregistré +7,5% de consommation en transports aérien en 200661), croissante etrenouvelée par le dynamisme de l’offre : le développement des compagnies low-cost (cf.infra) et des vols charter a en effet attiré une nouvelle clientèle, moins fortunée mais trèsmobile (comme celle des étudiants). De même, ces compagnies ont suscité une croissancedu marché par la création de liaisons nouvelles, ce qui a également profité aux compagniestraditionnelles, dont le trafic a lui aussi augmenté ces derniers temps. Enfin, le mode demanagement moderne pratiqué par ces nouveaux acteurs commence à inspirer ceux, plushistoriques, qui cherchent à repenser leur gestion et baisser leurs coûts, favorisant là laproductivité et l’innovation.

De plus, l’ACI (le Conseil International des Aéroports) a mené plusieurs études sur lesimpacts qu’ont l’implantation d’un aéroport et l’augmentation du trafic sur les économiesdes régions. Il estime à environ mille emplois par million de passagers supplémentaires lamoyenne des emplois directs créés, et à environ 2 200 la moyenne des emplois indirectset induits. Les emplois directs sont ceux liés aux personnels des compagnies aériennes,aux employés des aéroports et à ceux des activités commerciales (boutiques, parkings,restaurants...) des aéroports, les emplois indirects sont ceux qui résultent de la dépense desnouveaux passagers dans la région et les emplois induits sont ceux qui sont générés par ladépense des revenus des emplois directs et indirects62. Même si la mesure des retombéeséconomiques de l’augmentation du trafic aérien ou du développement d’un aéroport restentsujette à débat, tous les acteurs s’accordent à reconnaître que les impacts sont avérés,même si difficilement quantifiables.

Mais le transport aérien est un secteur économique extrêmement vulnérable à laconjoncture économique et géopolitique, ce qui constitue sa grande faiblesse. La guerre duGolfe, la crise asiatique de 1997, les attentats du 11 septembre 2001, l’envolée des coursdu Brent... sont autant d’évènements synonymes de crise du transport aérien.

Si, à chaque fois, le trafic a repris sa croissance et dépassé son niveau d’avant-crise, lesecteur a été régulièrement bouleversé et ses acteurs souvent malmenés. Les nombreusesfaillites de compagnies, parfois historiques, au moment de chaque crise ont souvent fait lestitres de l’actualité économique.

58 Source : DGAC, citée dans GONNOT François-Michel (dir.), Rapport d’information sur l’avenir du transport aérien français etla politique aéroportuaire, Commission des Affaires Economiques, de l’Environnement et du Territoire, Assemblée Nationale, Paris,2003, p.3959 Source : OACI, citée dans le rapport public thématique de la Cour des comptes, op. cit., p.7

60 LE BORGNE Yves (dir.), La Note de synthèse et d’actualité, n°6-Mars 2008, Direction Générale de l’Aviation Civile, Paris,2008, p.1

61 Source : INSEE, cité dans le rapport public thématique de la Cour des comptes, op. cit., p.862 Ces études sont aisément consultables sur le site de l’ACI et même à partir du site de l’UAF http://www.aeroport.fr/

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En 2008, le secteur connaît d’ailleurs une crise profonde liée au caractère structurel dela crise pétrolière, moins brutale mais annoncée comme très longue (cf. infra), qui menacetant la demande exprimée par les passagers que l'offre des compagnies.

A ce « nouveau » bouleversement s’ajoute la spécificité du secteur aérien français,qui connait une hyperconcentration de son trafic dans les aéroports parisiens. En effet,près de 60% du trafic aérien français s’effectue au départ ou à l’arrivée de ces plates-

formes (Paris-Orly et Roissy-Charles-De-Gaulle, 6ème aéroport mondial en 2007 en termesde passagers63), ce qui constitue d’après Monsieur AZEMA, le DAC Centre-Est, « uneanomalie » en Europe et un problème pour le service public aéroportuaire rendu au Françaiscomme en termes d’aménagement du territoire.

La stratégie de la compagnie Air France, qui a choisi d’implanter ses hubs dans les ADP(même si un petit hub euro-régional existe à Lyon-Saint Exupéry, cf. supra), joue bien sûrun grand rôle dans cet état de fait, mais les risques de congestion des aéroports parisiens(limités en trafic à partir de critères de nuisances sonores) menacent de changer la donne.

Cela fait en tous cas partie des nouveaux défis du secteur aérien français.

2. Les nouveaux défisLe premier des défis du secteur aérien français, s’il n’est ni vraiment nouveau ni même laconséquence du changement de régime de gestion, est sa capacité à s’adapter à un barilde pétrole dont le prix avoisine les 130 $ US. Défi qui se retrouve évidemment au niveauplanétaire. Le poste « carburant » coûte pour certaines compagnies plus cher que toutesles recettes cumulées, subventions comprises. Des dizaines d’appareils, notamment auxEtats-Unis, sont cloués au sol car il ne serait pas rentable de les faire voler. Air France ainclu un surcoût « carburant » au prix de ses billets pendant l’été 2008 pour maintenir larentabilité de ses vols.

Le secteur risque ainsi d’être profondément bouleversé dans les années à venir puisqueles compagnies qui n’arriveront pas à s’adapter à la nouvelle donne, qui s’annonce durable,risquent fortement de faire faillite. Les regards se tournent vers les transporteurs qui n’ontpas su renouveler leur flotte, car les appareils de dernière génération consomment (etlogiquement polluent) beaucoup moins que ceux fabriqués auparavant, tout en étant plusperformants et silencieux (au moment où les critères environnementaux prennent de plusen plus d’importance pour accèder à certaines plates-formes). C’est ainsi que certainescompagnies nord-américaines ou européennes sont clairement menacées de disparaître.La prise en compte des difficultés structurelles et conjoncturelles des transporteurs aériens,particulièrement en cette période de prix très élevés du carburant, constitue le premier desdéfis pour les acteurs du secteur, au premier rangs desquels les gestionnaires des aéroportsrégionaux français.

L’autre grand bouleversement du secteur aérien tient dans l’apparition et ledéveloppement des compagnies aériennes à bas coûts, dites « low-cost ». Apparues dèsles années 1970 aux Etats-Unis avec la compagnie Southwest64, ce n’est réellement quedepuis le début des années 2000 qu’elles ont commencé à jouer un rôle important dansles secteurs aériens européens et français. Leur relative jeunesse en fait d’ailleurs peut-

63 Source : ACI, cité dans le rapport public thématique de la Cour des comptes, op. cit., p.1064 Lire à ce sujet l’historique de l’apparition des compagnies low-cost dans GONNOT François-Michel (dir.), Rapport

d’information sur l’avenir du transport aérien français et la politique aéroportuaire, op. cit., p.33

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être les acteurs les mieux adaptés pour résister à la crise actuelle liée à l’envolée desprix du kérosène : la forte maîtrise de leurs coûts, la stratégie monoflotte et le caractèrerécent de leurs appareils constituent autant d’avantages comparatifs sur leurs concurrentstraditionnels, dont les coûts de fonctionnement sont plus élevés et la flotte composée dedivers appareils souvent plus anciens.

« Le trafic des compagnies à “bas-coûts” a progressé en volume de près 27 % environentre 2006 et 2007. Il représente en 2007 plus de 33 % du trafic européen contre prèsde 29 % en 2006 » notent les services de la Direction de la Régulation Economique de laDGAC65. La croissance du trafic de ces compagnies est en effet très soutenue en France cesdernières années, si bien que de nombreuses plates-formes régionales, comme Beauvais-Tillé, ont axé –et plus ou moins réussi leur développement à partir de leur capacité à attirerles compagnies low-cost. C’est d’ailleurs un axe qui a été mis en oeuvre à Grenoble-Isère,mais aussi à Lyon-Saint Exupéry qui a accueilli en 2007 une base de la compagnie EasyJetet réaménagé un terminal en aérogare « low-cost ».

Cependant, les aéroports restent trop dépendants des stratégies des compagnieset n’hésitent pas parfois à sacrifier leurs recettes et leur équilibre d’exploitation pour lesattirer, parfois sans véritables garanties de trafic à court terme et en obligeant souvent lescollectivités territoriales à subventionner ces promotions, ce que dénonce d’ailleurs la Courdes comptes dans son rapport66. La mise en oeuvre d’une politique cohérente et rentablede long terme avec les compagnies low-cost constitue ainsi un autre grand défi pour lesaéroports régionaux français.

Evidemment, la concurrence entre les différentes plate-formes aéroportuaireseuropéennes représente également un challenge de taille pour les nouveaux gestionnaires.Cette donnée a d’ailleurs largement influencé la mise en oeuvre de la réforme française,comme l’explique le Livre Blanc des grands aéroports régionaux français (cf supra).

Autrefois placés dans une position de monopole de fait, les aéroports sont désormaisplacés dans une situation de concurrence les uns par rapport aux autres pour attirer letrafic des compagnies aériennes. Ce sont les stratégies commerciales de ces dernièresqui expliquent ce bouleversement : le développement de leur réseau en « hubs andspokes » (« réseau en étoile ») a mis les plates-formes en concurrence pour l’implantationde ces « hubs », synonymes de fortes pointes de trafic et d’un important taux decorrespondance sur l’aéroport.

De même, la concurrence fait rage entre les aéroports régionaux pour attirer lescompagnies low-cost (cf. supra). Ce sont les problèmes posés par ces siuations decompétition qui constituent un défi compliqué pour les acteurs du secteur aérien français.

En effet, cette concurrence entre les plates-formes aéroportuaires ne doit ni nuire auservice public aéroportuaire, ni aux finances publiques, ni à la qualité du réseau. Certaineslignes sont effectivement subventionnées du fait de l’obligation de service public (OSP)attachée au maintien d’une liaison aérienne67, et les exploitants des grands aéroports sontcontraints de faire travailler leur personnels pendant les créneaux horaires non rentablespour assurer la continuité du service public. Or, la présence de ces activités de servicespublics est peu compatible avec une logique privé de gestion dans un contexte concurrentiel.

65 LE BORGNE Yves (dir.), La Note de synthèse et d’actualité, op.cit., p.1166 Cour des comptes, op. cit., p.20 à 2467 Ibid., p.110 et suivantes

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De même, la concurrence que se livrent les plates-formes aéroportuaires prochesles unes des autres, comme c’est par exemple le cas entre Grenoble-Isère et Lyon-SaintExupéry, empêche la mise en place de réflexions constructives et d’une politique cohérenteautour de la complémentarité des aéroports régionaux. Cette absence de synergie estdénoncée en Rhône-Alpes par le Conseil général de l’Isère, qui souhaite intégrer le capitald’ADL et mettre en oeuvre une coordination efficace avec les exploitants de Grenoble-Isère,mais également au niveau national par la Cour des comptes, qui s’interroge sur la stérilitéet l’absence de cohérence dans la compétition que se livrent entre elles certaines plates-formes françaises68.

La mise en oeuvre d’une synergie entre les implantations aéroportuaires françaises,ainsi que celle d’une meilleure répartition du trafic aérien français pour désengorger lesaéroports parisiens qui risquent la congestion, représentent deux autres grands défis dusecteur, au sein desquels les acteurs publics, et notamment les collectivités territoriales, ontun grand rôle à jouer.

Pour les exploitants, le premier défi reste cependant celui de la rentabilité. La plupartdes aéroports locaux sont « en déficit chronique », comme le note la Cour des comptesdans la conclusion générale de son rapport69. De même, « les grands aéroports régionauxatteignent juste l’équilibre financier alors que le nombre de passagers accueillis devraitleur permettre de dégager des profits ». La Cour y voit « des gisements de productivitéinexploités ».

C’est aussi le cas des dirigeants d’ADL, qui souhaitent redresser la situation financièrede l’aéroport Lyon-Saint Exupéry, très endetté malgré un nombre de passagers honorable eten progression. Et c’est d’ailleurs dans le but d’augmenter la performance et la productivitéde la gestion de cet aéroport que la société a été créée !

Enfin, le dernier grand défi du secteur aérien reste celui du développement del’intermodalité du transport aérien et du transport ferroviaire. Alors que le réseau ferréfrançais et les Lignes à Grande Vitesse nationales font figure de modèle dans le monde,ces atouts sont complètement négligés à la fois par les compagnies aériennes et par lescompagnies ferroviaires en France.

Les infrastructures existantes, commes les gares TGV de Roissy-Charles de Gaulleet (encore plus) de Lyon-Saint Exupéry, sont complètement sous-exploitées alors qu’ellesreprésentent un axe de développement important du trafic, au bénéfice de tous.

3. La pertinence du changement de régime de gestionLe transport aérien est donc un secteur en pleine mutation, dont les acteurs ont de nombreuxdéfis à relever. C’est cet état de fait qui a conduit à la réforme aéroportuaire française, etil est intéressant de voir si la privatisation de la gestion et les bouleversements (cf. supra)qu’elle a occasionné constituent une réponse adaptée.

L’analyse des acteurs interrogés concorde en tous cas pour reconnaître la nécessitéd’une réforme, ainsi que le réclamaient les CCI depuis le début des années 2000. Et cellequi s’est opérée ces dernières années semble assez pertinente.

68 Ibid., p.137 et suivantes69 Ibid., p.154 et suivantes

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En effet, l’introduction de la concurrence pour la gestion des aéroports décentralisés etla privatisation des grandes plates-formes régionales ont, notamment grâce à l’arrivée denouveaux acteurs, permis de redynamiser le secteur.

La nouvelle souplesse de gestion accordée aux gestionnaires, du fait de la création« d’entreprises aéroportuaires » avec les sociétés anonymes, et le changement desmentalités avec l’arrivée d’une nouvelle « philosophie », véritablement orientée vers laperformance, sont vraisemblablement des facteurs positifs pour améliorer la productivitédes opérateurs.

En effet, plusieurs acteurs, surtout au niveau des collectivités territoriales, déjà lesprincipaux soutiens financiers de ces équipements, se plaignaient auparavant du manqued’ambition et d’efficacité des gestionnaires, et encore aujourd’hui, la Cour des comptesdénonce « des gisements de productivité inexploités70 » dans la gestion des grandsaéroports de province.

La réforme, et les bouleversements qu’elle va entraîner (arrivée concrète de nouveauxacteurs du secteur privé, montée en puissance du rôle des collectivités locales, désormaispropriétaires des infrastructures) semblent ainsi créer des conditions favorables àl’amélioration du service public aéroportuaire comme à celle de l’efficacité et de la rentabilitédes opérateurs. La gestion des aéroports régionaux français s’effectue désormais dans uncadre en adéquation avec le contexte économique et juridique du secteur aérien mondial.Charge aux gestionnaires d’effectuer les bons choix à partir de maintenant, alors que laconcurrence est rude et que la surveillance des acteurs publics, au niveau des missions deservice public comme à celui de la rentabilité des investissements, s’est renforcée.

La réforme aéroportuaire française a été souhaitée par la plupart des observateurs dusecteur, aussi bien par les CCI qui étaient pourtant les opérateurs historiques, que par lescollectivités territoriales désireuses d’améliorer la visibilité et le développement des plates-formes présentes sur leur territoire, ou que par les opérateurs privés désireux de s’implantersur le marché français pour faire preuve de leur savoir-faire et/ou l’améliorer en matièred’exploitation.

Cette dernière, ainsi jugée nécessaire, s’est globalement déroulée dans de bonnesconditions, même si elle n’est pas encore effective partout (certaines CCI exploitent toujoursde grands aéroports régionaux, l’exploitation de certains aéroports décentralisés n’a pasencore été mise en concurrence par une nouvelle procédure de DSP...).

Surtout, elle semble créer les conditions nécessaires à l’amélioration du service publicaéroportuaire, de la qualité de service rendue au client, de la rentabilité de la gestion desinfrastructures et de la compétitivité des plates-formes françaises. Les bouleversementsqu’elle risque d’occasionner (arrivée d’opérateurs privés, issus de domaines divers, auxcommandes des petits aéroports d’intérêt local et dans le capital des grands aéroports deprovince, participation accrue des collectivités territoriales dans la définition des politiquesaéroportuaires régionales...) peuvent tout à fait permettre au paysage français d’accélérerson adéquation aux mutations du secteur aérien mondial, tout comme éventuellement laralentir, hypothèse peu souhaitable mais envisageable temporairement.

C’est pourquoi, comme l’ont confirmé tous les acteurs interrogés, il sera très intéressantde suivre les évolutions du secteur aéroportuaire régional français dans les prochainesannées.

70 Ibid., p.155

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

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Conclusion

Le changement de régime de gestion des aéroports régionaux français intervient alorsque le secteur aérien connaît de profondes mutations, liées aux aléas de la conjonctureéconomique mondiale et aux récentes stratégies des compagnies aériennes, traditionnellesou low-cost. Ce sont d’ailleurs ces bouleversements qui ont conduit les partisans dela réforme, Chambres de Commerce et d’Industrie en tête (avec certaines collectivitésterritoriales), à faire évoluer les modes d’exploitation traditionnels des plates-formes del’Hexagone.

Ce changement intervient à deux échelles différentes, dans les grands aéroports deprovince d’intérêt national avec la création des Sociétés aéroportuaires, et dans les petitesplates-formes régionales décentralisées et confiées aux collectivités locales.

Cependant, dans les deux cas, comme le montrent les exemples de Lyon-SaintExupéry et de Grenoble-Isère, aéroports pionniers de la réforme française, les changementsinstitutionnels ont conduit à une privatisation effective de la gestion aéroportuaire,avec l’arrivée de nouveaux acteurs, de nouvelles cultures et de nouvelles méthodes(alliances stratégiques, comptabilité analyique, rémunération du capital, intéressement auxrésultats...) issus du secteur privé.

Et ces changements vont eux aussi bousculer le milieu aéroportuaire français, commele notent les différents témoins de la réformes interrogés, car la venue d’investisseurs etd’opérateurs extérieurs, parfois parfaitement étrangers au domaine, risque de s’accentuer.En effet, l’ouverture au marché de la gestion des aéroports décentralisés, orchestrée par lescollectivités territoriales désormais propriétaires des aérodromes situés sur leurs territoire,éveille les convoitises de plusieurs groupes (Keolis, Vinci, Veolia...). Intérêt renforcé parla perspective prochaine de la vente des parts de l’Etat dans le capital des Sociétésaéroportuaires concessionnaires des grands aéroports régionaux français, et donc lapossibilité à long ou moyen terme de prendre le contrôle de ces sociétés, comme il estpossible de le faire d’ailleurs dans certains pays d’Europe.

L’autre grand bouleversement attendu est la montée en puissance des collectivitésterritoriales dans le secteur aéroportuaire, qui ont notamment un rôle important à jouerdans la redéfinition des politiques régionales de transport aérien, notamment autour desaxes de complémentarité des plates-formes, d’aménagement des territoires et d’enjeuxéconomiques et sociaux locaux. Un vaste chantier qui nécessitera toutefois une coordinationet des partenariats renforcés entre les collectivités, souvent assez peu enclines à s’allier.

Les conséquences et bouleversements liés au changement de régime de gestion desgrands et petits aéroports régionaux français commencent à peine à se sentir depuis un anou deux. C’est pourquoi il sera très intéressant d’observer l’actualité aéroportuaire françaisedans les prochaines années.

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Bibliographie

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Bibliographie

Ouvrages, travaux et articles

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Cour des comptes, Les aéroports français face aux mutations du transport aérien,Rapport public thématique, Paris, 11 juillet 2008

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DUPERON Olivier, Transport aérien, aménagement du territoire et service public,L’Harmattan, Paris, 2000

GONNOT François-Michel (dir.), Rapport d’information sur l’avenir du transport aérienfrançais et la politique aéroportuaire, Commission des Affaires Economiques, del’Environnement et du Territoire, Assemblée Nationale, Paris, 2003

GUEUSQUIN Hervé, La concurrence économique dans le transport aérien, MaîtriseRelations Internationales Langues et Affaires, Université Paris XIII Villetaneuse,Paris, 2005

GUITARD Jean-François (dir.), Le Livre Blanc des grands aéroports régionaux français,Comité d’Actions Pour la Mise en Place de Sociétés Aéroportuaires, UCCEGA, Nice,2002

LE BORGNE Yves (dir.), La Note de synthèse et d’actualité, n°6-Mars 2008, DirectionGénérale de l’Aviation Civile, Paris, 2008

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MOLIN Bénédicte, Eléments pour une prospective du transport aérien européen,Rapport final, Laboratoire d’Economie des Transports, DATAR, Lyon, 1998

Textes

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Le changement du régime de gestion des aéroports régionaux français Une privatisation à deuxéchelles qui va bouleverser le secteur aérien

50 BEYRIÉ Pierre _2008

Convention de Délégation de Service Public de l’exploitation de l’aéroport de Grenoble-Saint-Geoirs du 11 août 2003, Conseil général de l’Isère

LOI n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, Article 105

LOI n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, Article28

LOI n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports , Article 7

Décret n° 2007-244 du 23 février 2007 relatif aux aérodromes appartenant à l'Etatet portant approbation du cahier des charges type applicable à la concessionde ces aérodromes

Sites internet

http://www.fondation-igd.org/ Le site de l’Institut de la Gestion Déléguée

http://europa.eu/ Le portail de l’Union Européenne et sa législation

http://www.aeroport.fr/ Le site de l’Union des Aéroports Français

http://www.dgac.fr/ Le site de la DGAC

http://www.grenoble-airport.com/ Le site de l’aéroport Grenoble-Isère

http://www.lyon.aeroport.fr/ Le site de l’aéroport Lyon-Saint Exupéry

http://www.vinci.com/ Le site du groupe privé Vinci

http://www.keolis.com/ Le site du groupe privé Keolis

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Annexes

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Annexes

Annexe 1 : Entretien retranscrit avec Monsieur DanielAZEMA, Directeur de l’Aviation Civile Centre-Est

Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de DocumentationContemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Annexe 2 : Entretien retranscrit avec MonsieurJacques BELLISSEN, Directeur adjoint d’Aéroports deLyon

Annexe 3 : Entretien retranscrit avec Monsieur Jean-Charles BOREL, Chargé de mission Transport aériendu Conseil général de l’Isère

Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporainede l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon