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Le Charme des après-midi sans fin - exultet.net · La Chair du maître, 1997 cœur de la tempête ... Chaque fois que j’entends sonner ce glas, je pense à mon défunt mari

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LeCharmedesaprès-midisansfin

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Dumêmeauteur

Commentfairel’amouravecunnègresanssefatiguer,1985

Éroshima,1987L’Odeurducafé,1991(prixCarbetdelaCaraïbe)

LeGoûtdesjeunesfilles,1992Cettegrenadedanslamaindujeunenègreest-elleune

armeouunfruit?1993Chroniquedeladérivedouce,1994

Payssanschapeau,1996LaChairdumaître,1997

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cœurdelatempête…–Jesuislà,Da.Ellemejetteunfaiblesourire.–Jesais,monchéri,jesais…Sijenet’avaispas,jenesais

pasversquijemetournerais.Desfois,jemesenssilasse…–Pourquoia-t-ilfaitça,grand-père?Da semble réfléchir. Personne dans la rue depuis un bon

moment. Même pas un maigre chien. On n’entend que lebrouhahadesdébardeursen trainde travailler sur lewharf.LeHollandaisvientdejeterl’ancre.

– Je parle comme ça, dit Da, mais ma vie n’a pas été simauvaise avec cet homme. Ton grand-père… C’est vrai qu’ilavaitdesdéfauts. Ilaimait les femmes(Ellese tourneversmoipourme jeterun regard si aiguque jemedemande si elle saitvraiment à qui elle parle. Je dis ça parce qu’elle s’adresseindifféremment aux morts comme aux vivants.), mais c’étaitquelqu’undefondamentalementbon.

–Da?–Oui,VieuxOs?–Grand-pèreettoi…Ellesemetàrirefranchement,m’empêchantdeterminerma

question.– Qui aurait cru que cet homme était timide, dit-elle en

jetant un bref coup d’œil vers le gros nuage noir qui vient dequitterJacmelpourfoncerdroitsurPetit-Goâve.Celaluiaprisdeux ans pour m’adresser la parole. Chaque samedi, quand ilfinissait de travailler avec son père à la balance de Petite-Guinée,ils’empressaitdesellersonchevalpourvenirmevoiràBoucan-Bélier.C’estunpetitvillageassezloind’ici,àpeuprèsdeux heures de route. Il arrivait et partait tout de suite à lachasse aux perdrix avec mon jeune frère Iram. Au retour, ilsellaitrapidementsoncheval,etrepartaitpourPetit-Goâve.Ma

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mèrenemanquaitpasdedemanderàIramcequ’ilavaitdit,s’ilavaitfaituneallusionquelconqueàmoiouàdesfiançailles,etchaque fois Iram répondait invariablement que ton grand-pèrelui avait parlé longuement de ses problèmes avec la Maisond’exportBombacedufaitquelegouvernementvenaitdefixerlecaféàunprixtropbas.

Marquisvientdebougersonoreilledroite,c’estqu’ilsentlaprésenced’unennemi. J’essaiedesavoircequi l’amisenétatd’alerte, tout en continuant d’écouter Da. Rien. Aucun bruitinaccoutumé. Aucun chien à l’horizon. Même pas un canard.PourtantjenedoutepasuninstantduflairdeMarquis.J’écoutedonc plus attentivement. Un lointain grondement, à peineaudible.Quelestcetanimal?Ahoui,c’est lecamiondeGrosSimon en train de grimper la pente raide du morne Tapion.DepuisquelavoiturenoiredeDevieuxapassésurlesreinsdeMarquis,lelaissantpourmortsurlecôtédelaroute(ilagardédecetaccidentunedémarchedemarquiserevenantdel’église),celui-ciadéveloppéunehainetenacedel’automobile.

–Monpère était déjàmort, continueDa (ondirait qu’elles’adresse à d’autres gens à travers moi), et c’était Iram, monjeunefrère,l’hommedelamaisonmaintenant.Leproblèmec’estqu’Iram était encore plus timide que ton grand-père. C’estmamère,exaspérée,quiafiniparluiparler,quoiquecen’étaitpasdu tout convenable à l’époque. Ma mère lui a carrémentdemandé dans quel but il venait ici, et ton grand-père abredouilléquelquechoseàproposdesperdrix.Mamèreaéclatéderire,cequiaembarrasséencoreplus tongrand-père.Etellelui a lancé, en regardant sa prise du jour (deux perdrix), sic’étaitpourdeuxmalheureusesperdrixqu’ilavaitfaittoutecetteroute. Ton grand-père a fini par dire qu’il avait pensé à autrechose, tout en sellant son cheval, cet après-midi-là. Etpratiquement sans dire au revoir, il a vite fait de lancer son

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cheval au grand galop sur le chemin du retour.Mamère avaitpeur de l’avoir trop effarouché et qu’il ne revienne plus. Eneffet, la semaine suivante, il n’est pas revenu, mais son frèreEdmondestarrivéaveclalettrededemandeenmariage.

–Oh,Da,c’estunebellehistoire!– C’était courant à l’époque. Ton grand-père venait d’une

familleillustre.Mamèrepensaitquemafortuneétaitfaite,maislepèredetongrand-père,Charles,étaitunhommehonnêtemaisdur,surtoutavecsesenfants. Ilenavaitplusdesoixante. Ilnevoulait rien léguer à ses fils. Sa for tune (plusieurs terresarrosées disséminées un peu partout dans la région, quelquesmaisonsàPetit-Goâve,etuneguildiveprèsdeMiragoâne)allaitàsesfilles.Leshommes,disaitlevieuxCharles,n’avaientqu’àtravailler.Ilatenuparole.Etpourbâtircettemaison,nousavonspassécinqansavecunmorceaudeselblancsouslalanguepourtoutenourriture.Nous l’avonsbâtieavecnotrecrachatetnotresang. Moi-même (Da retrousse ses manches pour me montrerfièrementsesbras),j’aitravailléaveclesouvriers.

Da semble fatiguée. La rue toujours déserte. Une mouchetrône sur le museau mouillé de Marquis. Je profite de cetteaccalmiepourm’assoupirunpeu.

Lavoixreprendplusfortequ’avant.–Etlàj’apprendsquecettemaisonn’estplusànousdepuis

longtemps. Et tu sais pourquoi ? Ton grand-père l’avaithypothéquéepourpayerlevoyagedesesfillesàPort-au-Prince.Il ne voulait pas les voir végéter à Petit-Goâve. Il a tout à faitraisonsurcepoint,maisavecça,jen’aiplusuntoitsurmatête.Pourtantc’estmoilaveuve.

–Moinonplus,Da, jen’aiplusun toit, dis-je surun tonplutôtexcité.Onvapartiràl’aventure.Tuferaslacoutureetonpourravendretesrobessurnotrechemin.

–Ettoi,VieuxOs?

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Surlewharf

Abner fonce dans la foule avec sa bicyclette rouge touteneuve.IlsefaitproprementengueulerparThérèsequiestvenueprendrel’airavecsamère.

– Il fait tellement chaudà lamaison, ditThérèse.N’est-cepasqu’ilfaitbonici,maman?

–Oui,ditlavieille,maisquandilfaitchaudcommeça,ilyatoujourstropdegenssurlewharf…

– Écoute, maman, veux-tu rester au port ou rentrer à lamaison?Tudisqu’ilfaittropchaudàlamaison,onsedépêchedevenirici,ettuteplainsqu’ilyatropdegensici…Situneveuxpasrester,onpeutrentrer,tusais.

– Je t’en prie,ma chérie, ne bouscule pas ta pauvremère.Pourquoies-tudesimauvaisehumeur?Ildoitêtreàcettepartied’échecschezSaint-VilMayardencemoment.

–Combien de fois dois-je te dire,maman, que cet hommen’existepluspourmoi.

–Alorsn’enparlonsplus,machérie.C’est toi qui n’arrêtes pas d’en parler… Des fois, j’ai

l’impressionqueçatefaitencoreplusmalquemoiqueCamelocoucheaveccettesalopedeGisèle.Jenesaiscommentelleaeusondiplômed’infirmière,ouplutôt,jesaistrèsbiencequ’elleadûfairepourl’obtenir.

–Ne te fâchepas ainsi,ma chérie, cette femmene t’arrivepasàlacheville.Onvoitbienqu’elleafaitquelquechosepourenvoûteràcepointCamelo.

–Biensûrquec’estuneouangateuse.Elleesttoujourschezce hougan, au morne Soldat. Comment s’appelle-t-il encore ?Wilberforce.C’estsamaîtresse,d’ailleurs.

–Pourquoitun’enparlespasàCamelo,chérie?

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– Camelo ! Il n’y a plus de Camelo, maman ! C’est unzombi.Cameloestsapossessionmaintenant.Toutlemondesaitqu’elle couche avec le préfet, et Camelo ne dit rien. Ce n’estplusleCameloquej’aiconnu,maman…

–Alorsn’enparlonsplus,Thérèse.– C’est ça, n’en parlons plus. Mais si tu veux, on peut

rentrer…–Ouiparcequ’ilyatropdegensici,cesoir.Jen’arrivepasàrespirerquandilyaautantdemondedans

uneplace.– Je t’avais prévenue, mais tu as insisté pour venir sur le

wharf–Ilfaittellementchaud,chérie.

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Lalune

JeviensdevoirpasserVavaavecmacousineDidi.Didim’amêmefaitunclind’œil.

– Voici Edna, dit Rico qui prend son plaisir à repérer lesgensavanttoutlemonde.

Frantzfaitunegrimace.Ricos’envaàlarencontred’Edna.Leportestbondédegarçonsetdefilles.Lalune,rondecommeuneobole.Leciel,étoilé.

Leportestbienéclairéàcertainsendroits,etassezsombreàd’autres. Nous nous tenons, Frantz etmoi, dans un des coinssombres.Lesmèrespassent leur tempsàvenirvoirsi leur fillen’est pas dans les parages. Comme toujours, les mères n’ontaucune idéede la façonquecela sepasse.Car siun typeveutembrasserune fille, tupeuxêtre sûrqu’ilne resterapassur leport avec elle. Il l’emmènera plutôt du côté duLambiClub. Iln’yajamaispersonnedanscettezone.Apartlesamoureux,biensûr. Mais les mères n’ont aucune idée de la réalité. Ellessurveillent toujours le mauvais type pendant que leur fille estavecTonydansunedescabanesabandonnéesprèsde laplage.LesmèrescroientqueTonyestunbongarçonparcequ’ilaunvisaged’angeet«desmanièresexquises»,commeditmadameJérémie, lamèredeCharline, celle qui a les plus gros seins del’écoledesSœurs.Alorsquecetypeestunvéritabletueur.Tonyne fait jamais de cadeau. La première fois qu’il rencontre unefille, il l’emmèneàcoupsûrà lacabane.Maisc’estFrantz, laterreur des mères. Alors que le problème de Frantz, c’estqu’ellesveulenttoutesl’emmeneràlacabane.Ah,lesmères!

Ricorevientversnous.–Elleaimeraittevoir,dit-ilàFrantz.–Quiça?demandeFrantzd’unairàdemiexcédé.

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–Mes compliments,Da, c’est un bon compagnon. Il parlepeu,mais il sait écouter.Onvoit çaà sesyeux.Si jepeuxmepermettre d’évaluer quelqu’un,Da, ce garçonn’est pas commelesautres.

–GrâceàDieu…–Bonnenuit,Da.Jevaisétudiertesdocuments,cettenuit,

Da,etdemainouaprès-demain,jeteferaisavoirlesrésultatsdemesrecherches.Surce,bonnenuit,Da,etbonnenuitàtoiaussi,mongarçon…

ImmédiatementaprèsledépartdeLoné,arriveFatalavecunenouvelletragique.Commetoujours.

–Da,vousnesavezpaspourquionvientdesonnerleglas?– Dis-moi, Fatal… Chaque fois que j’entends sonner ce

glas,jepenseàmondéfuntmari.–Izmaestinconsolable.–Aïe!sonfils…Pauvremère,ajouteDaenseversantune

dernièretassedecafé.–C’estpeut-êtreunbien,Da.Cegarçonn’avaitplusqueles

os et la peau. Un vrai mortvivant. Maintenant, il a fini desouffrir.

Fatalfaitunrapidesignedecroix.–Tuasraison,Fatal,maisçanepourrajamaisconsolerune

mère.–Bonnenuit,Da.J’aiquelqu’unàallervoirabsolumentdu

côtédePetite-Guinée.Bonnenuit,Fatal.

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Lacontagion

Je suis couché sur un petit lit dans la grande chambre oùvivaientmamèreetmestantesavantqu’ellesn’aillenthabiteràPort-au-Prince,melaissantseulavecDa.C’étaitquelquetempsaprèslamortdemongrand-père.

– Da, je suis d’accord avec Fatal, le fils d’Izma souffraittrop. Personne ne lui adressait la parole. Tout le monde avaitpeurdel’approcher,àpartIzma.

–Oui,ditDa,c’étaitsonfils.On entend distinctement le bruit des sabots dans la nuit.

C’estOginéquiconduitleschevauxaumarché.– Da, cela a dû faire mal à Izma de voir son fils souffrir

ainsi.–Biensûr,VieuxOs.–Doncelledoitêtreheureusequ’ilsoitmaintenantmort.–Elle est à la foisheureuseetmalheureuse.La souffrance

est une chose terrible, Vieux Os, mais la mort, c’est autrechose…

–Etqu’est-cequec’est?–Toutcequ’onnesaitpas,ditDapensivement.Jesuisrestéunlongmoment,lesyeuxouverts,àpenseràla

mort.–Tunedorspas,VieuxOs?– Non, je pense au fils d’Izma. Je me demande ce qui se

passeavecluimaintenant.–Aucunêtrevivantnepeutrépondreàcettequestion,Vieux

Os.Commentsefait-ilquetuleconnaissaissibien?–Da,c’estsurlechemindemonécole…–Tut’arrêtessouventenchemincommeça?–Non,Da…LefrèreArmancenousadéjàfaitprierpourlui

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pendanttoutunmois.–Tumerassures,parceque la tuberculoseestunemaladie

contagieuse…Tunet’esjamaisapprochédelui,j’espère?–Non,Da.–Tuneluiasjamaisparlénonplus?–Non,Da.Jeneluiaijamaisparlé.–C’estbon…– Da, le frère Armance nous a bien recommandé de ne

jamais nous approcher de lui, mais d’avoir une petite penséepourluichaquefoisqu’onpassedevantsacabane.

Lachambreretombedanslesilence.– Nous n’aurions jamais dû laisser Izma vendre de la

nourrituretoutens’occupantd’untuberculeux.C’estunegravenégligence de la part des autorités.Maintenant, nous risquonsd’avoiruneépidémiesurlesbras.

–Comment,uneépidémie,Da?– Eh bien, tous ceux qui ont mangé chez Izma risquent

d’attraperlatuberculoseetdefinirdansunecabane.–Tuveuxdirequ’ilsvontmourircommelefilsd’Izma?–Biensûr!Etceseraungrandmalheurpournotreville.Je

l’aitoujoursdit:lecapitaineauraitdûintervenirpendantqu’ilétaitencoretemps.

–Da,tousceuxquiontlatuberculosevonthabiterdansunepetitecabane?

–Oui.C’estunemesured’hygiène,maismalgrétoutcen’estpassuffisant.Izman’auraitjamaisdûs’occuperdesonfilstoutencontinuantàvendredelanourriturecuite.

–Da…–Oui?–Quelqu’unquiamangéseulementtroisfoischezIzmava-

t-ilattraperlamaladie?–Mêmeuneseulefois.Pourquoimedemandes-tucela?dit

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(tafia)quisetrouvedanslasalledeséjour.Etilouvrelerobinetpour boire tout son soûl. C’est comme ça dans la famille.Depère en fils. À treize ans, Batichon est déjà un alcoolique depremier ordre. Même pour une pareille famille, c’estexceptionnel.

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MaîtreTirésias

Notre professeur, maître Tirésias, fait semblant de ne pasremarquerqueBatichonesttoujourssoûll’aprèsmidi,parcequelui-même s’approvisionne chez les Batichon. C’est normal, ilsfabriquent le meilleur alcool de la ville. Chaque aprèsmidi,maîtreTirésiasjoueaudomino(lejeufavoripourtantdeSaint-VilMayard)aveclevieuxRaton,l’officierduserviced’hygiène,un certain Ulrick, Occlève et Pierre-Louis, le propriétaire del’épicerie Notre-Dame. Maître Tirésias aurait pu rejoindrefacilement l’équipe de la rue Lamarre puisqu’en tantqu’enseignantilfaitdûmentpartiedel’intelligentsiadelaville,mais il déteste cequ’il appelle les snobsdu salondecoiffure.Quand Tirésias n’est pas au domino, on peut être sûr de leretrouversurlaplage,derrièrelemarché.C’estlàqu’ilboitsec(aveccitron)encompagniedespêcheursquireviennentdel’îlede la Gonâve. La vieille Délia leur prépare du poisson grilléqu’ils dégustent avec du piment fort sans cesser d’expédierLégype chercher du tafia à la guildive du vieux Batichon.Légypen’aqu’àdirequ’ilvientdelapartdemaîtreTirésias.Illuiarrivedepasserleweek-endsurlaplageàboiredutafiaetàmangerdupoissongrillé.Lepantalon retroussé jusqu’augenoupour que les vagues ne puissent l’atteindre. Il dort (ce qui esttrèsrare)souslatonnellequisertdecuisinelejouràlavieilleDélia.MaîtreTirésias se réveille le lundimatin, juste à tempspour filer chez lui à côté de l’église : se doucher, se raser,s’habiller et se rendre à l’école. C’est pour cette raison queBatichonetmaîtreTirésiasseprotègent l’un l’autre. IlarriveàBatichon,certainsaprès-miditorrides,denepassavoiroùilest,commeilarriveàmaîtreTirésias,quandilacesyeuxrougesetce regard fixe, de ne pas savoir qui nous sommes. Dans ces

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moments-là,onsentchezeuxuneréellesolidaritécommes’ilsétaientplutôtcollèguesqueprofesseuretélève.

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Ledestin

Lapremièregouttedepluiem’atteintàl’œilgauche,suivied’une autre sur le front. Je tends à présentmon visage vers leciel.Laboucheouverte.

–Qu’est-cequetufaislà?demandeFrantz.–Ilvapleuvoir,lanceRicounpeumoinsbêtement.En effet, la pluie était déjà là.Comme si quelqu’unvenait

d’ouvrir d’un coup toutes les vannes du ciel. Le temps de serendre du cimetière à lamaisonnette d’en face, chez la vieilleNozéa,nousétionsdéjàtrempésjusqu’auxos.

Commetoujours,elleétaitassisedansuncoinsombredelamaison.Unevoixvenantdesténèbres.

–Quiêtes-vous?–Frantz.–Ah,dit-elle, tongrand-pèrePhiléasvient justedepasser.

Tunel’aspascroisésurtonchemin?Frantznousjetteunregardàlafoisétonnéetamusé.–Non.Jenel’aipasconnu.Ilestmortavantmanaissance.

Vousparlezsûrementdemonpère?LavieillerelèvelentementsonvisageridéversFrantz.– Je sais trèsbien ceque jedis, jeunehomme.Tuesbien

Frantz,lefilsdeGeorgesCoutard?Bon,ehbien,jeviensjustedevoirpasserPhiléassurlepont.

La vieille s’occupe un moment à faire raviver un feuagonisantquejen’avaispasremarquéenarrivant.Ricoveuts’enaller. Je lui montre le ciel. Il pleut à boire debout. On voit àpeine le petit cimetière de l’autre côté de la rue. Le docteurCayemitte passe tranquillement, à bicyclette, devant nous pourdisparaîtretoutdesuiteaprès.Unbruitdemitraillesurlatoitureentôle.

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–Chaqueaprès-midi,jevoispasserPhiléasdevantlaporte,dit la vieille Nozéa en pointant son doigt osseux vers la rue.Autrefois, il me saluait. Maintenant, il passe tout droit et sedirigevers lepontquimèneaugrandcimetière.Toujoursbienhabillé,àvraidire.Unvraigentleman,lui.

Le regard songeur de la vieille Nozéa en direction ducimetière.

– Ilspassent tousdevantchezmoipouraller là-bas, à leurdernièredemeure.Jesuisnée, ici,danscettemaison.Jenel’aijamaisquittée.J’aivupassertoutlemondedevantcettegalerie:grandsetpetits,puissants etpauvres,hommeset femmes.Moiaussi, jeveuxm’enallerdecettevie,maismon fiancéneveutpasencoredemoi.Etpourtant,jem’occupebiendelui.Chaquemidi,jeluidonneàboire.

–C’estquivotrefiancé?demandeétourdimentRico.Sans se retourner, la vieille prononce son nomen baissant

pudiquementlavoix.– C’est Baron. Baron Samedi, le maître des cimetières.

L’amant de toutes les femmes. Mais moi, je l’aime plus quetouteslesautres.Toutescellesqu’ilaeues.Vousnepouvezpassavoir combien il est élégant. Le jour où je danserai dans sesbrasseraleplusbeaujourdemavie.

La vieille Nozéa remonte son madras pour découvrircomplètementsonfront.

–Venezvoir,lesenfants,dit-elle…J’aiunecoiffeiciquimepermet de voir les esprits et de connaître l’avenir. Toi, donne-moitamain.DonnetamainàlavieilleNozéa…

Ricoaunpetitmouvementderecul.Lavieilleluiattrapelamain.Sonvisagedevientcendreuxinstantanément.

– Je vois une terriblemaladie…Tu vas souffrir,mon fils.Oh,BaronSamedi,maîtredescimetières,pourquoivousnemeledonnezpas?

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LavieilleNozéas’estmiseàgenoux.–Donnez-lemoi,Baron,etjem’enoccuperaicommedece

filsquenousn’avonspaseu…Ricofinitpardégagersamain.Lavieillecontinueencoreun

momentsalamentation.Lapluieabaissé.Ons’apprêteàpartir.–Hé, ne partez pas. Je n’ai pas encore fini.Toi, viens ici.

Viens,ici,Philéas…–Philéas,c’estmongrand-père,ditsombrementFrantz.–Jesais,jesais,grommellelavieilleNozéa.Donne-moita

main.Voilà…ElleregardeFrantzdroitdanslesyeux.– Il y a une chose que je ne comprends pas, finit-elle par

dire.– Qu’est-ce qu’il y a ? je demande à la place de Frantz

changéenstatuedesel.– Oui, il y a quelque chose de trouble. On dirait

quelqu’un…C’estça.C’estquelqu’un.Ilyaquelqu’unentoique je n’arrive pas à identifier. Il se cache. Je me demandepourquoi…

Frantzdevienttoutpâle.Luiquitoutàl’heure,aucimetière,affirmaitque lamortne l’impressionnaitpas.Celuiquivoulaitresterseulsurlaplanète.

–Quique tu sois, réponds-moi !hurle àprésent lavieille.C’estNozéaquiteparle,tudoist’identifier.Montretonvisage.Je n’ai pas peur de toi… (La vieille se redresse comme pourfairefaceàl’inconnu.)Sic’estcequejepense,dis-le.Fais-moiunsigne.Oui,Nozéan’apaspeurdequiquecesoit.Fais-moiunsigne.

Le visage de la vieille femme semble frappé d’une horreursacrée,commesiellevenaitdevoircequ’ilnefallaitpasvoir.Savoixtremble.

– Oui, papa… Excuse-moi de t’avoir dérangé. Oui, oui,

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sommeil parce que sonvisage ne disparaît pasmêmequand jefermelesyeux.Etellevientdemedirequejelafaissouffrir.Lacouleurdel’aprèsmidichangebrusquement.Unejoiesiviolentequ’ellemerendtriste.Jeresteplantélà,prèsdupuits.

–Qu’est-cequetufaislà,toutseul?medemandeÉva.Jemeréveille.–Jesuistoujoursseul.Elleaunpetitrirejoyeux.–Tuestrèsétrange,toi…–Iln’yariend’étrange.Jesuiscommejesuis.Ellesourit.–J’aimebeaucouptonstyle.–Quelstyle?Elle me fait ce sourire mystérieux que les filles réservent

pourlesmomentsdélicats.–Commetues…Detouslesgarçonsdecetteville,c’esttoi

quiasleplusdestyle.Je reste sans voix. Elle me regarde un moment avant de

baisserlesyeux.Jeviensdecomprendresubitementqu’elleétaitentraindemefairelacour.LabelleÉva.LapetiteamiedeTonyAuguste, le play-boy de la Hatte (le quartier riche de Petit-Goâve).Toutlemondesaitqu’Éva(sisophistiquée)nepeutallerqu’avecTony.Éva etTony, ça sonnenaturel. Jene sais pas cequim’arriveaujourd’hui.Peut-êtrequelavieilleNozéaaraison.Ilyaquelquechoseenmoiquej’ignore.

–J’aimeraisbeaucoup te rencontrer,murmureÉvaavantdepartir.

Je reste figé à côté du puits, à essayer de comprendre lasituation. Vava m’aime (en fait, je la fais souffrir). Fifi estcomplètementfolledemoi(ellemejetteàdistancecesregardsardents).Etl’inatteignableÉvacroitquej’aidustyle.Toutçaenmoins d’un quart d’heure. Je me demande si ce sera toujours

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ainsi:unjour,personnenefaitattentionàtoi,etlelendemain,tout le monde te saute dessus. Dans ce cas, quel mérite j’aid’être aimé. De toute façon, je n’aime que Vava. C’est Vava,monamour,puisquec’estd’ellequejerêvelanuit.

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Lecocktaildecerises

Jesuisenfinseul.Danslapénombre.Lafenêtreestfermée.Jeconnaisbiencettepièce.Jeviensquelquefoislireici.C’estlàqueNissagecacheses livres.Lire,c’estmapassionsecrète. Jene lis pas aux autres parce que Frantz déteste les livres. Desfois, personne ne sait que je suis ici. Je peux lire autant debouquins que je désire, du moment que je replace tout,soigneusement,àlafin.Ilyaunpetitlitdecampàcôtéd’unetable. Une cuvette blanche toujours remplie d’eau. C’est lachambre où le professeur Nissage passe son temps à lire, àréfléchirouàrêver.Jemecouchesurlepetitlit.Jen’arrivepasàpenser. On dirait que ça fait des heures que j’ai vu Vava. Jerevois la scène dans lesmoindres détails.Didi quimedit queVava veut me voir. Elle m’attend dans la cour. La robe jaunesous lemanguier.Vavameditque je la fais souffrir.Moi?Etpuis,ilyacetoiseau.Ellen’arrivepasàdormiràcausedemoi.Non,non.C’estmoiquinetrouvepaslesommeilparcequejelavoismêmequandj’ailespaupièrescloses.Lechantdel’oiseau.Aigu.Pur.CommemonamourpourVava.LesyeuxdeVava.Sesgrandsyeuxnoirs.CommentVavapeut-ellem’aimer ? Il n’y arien enmoi qui puisse lui plaire. Je suis tropmaigre.Un peubossu.Mesgenouxsontcagneux.Etjenesaismêmepasdanser.J’airepassédansmatêteaumoinscinqfoiscettescène.Jeveuxdétecter la plus infime faille. Vava se moque-t-elle de moi ?Non,cen’estpassongenre.EtDidi?Didi,c’estmacousine.Pourtantilyaquelquechosequicloche.Vavanepeutaimerquequelqu’un comme Frantz. Ou à la rigueur Tony Auguste. Pasmoi. L’oiseau voulait-ilm’avertir de quelque piège ? Peut-êtrequ’ilssonttousentrainderiredemoiencemoment.Jemelèveet vais chercher dans un coin secret (que Nissage m’avait

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LevieuxChestov

Le docteur Cayemitte vient tout en souriant à notrerencontre.

– Tout ce qui est cher aux hommes, lui lance à brûle-pourpointlenotaire,toutceàquoiilstiennent…

–…leurdevientinutileetcomplètementétranger,termineledocteurCayemitte.

Ilss’embrassent.–Quandest-cequetulaisserastomberChestov!s’exclame

ledocteurCayemitteenlevantlesbrasauciel.–Jamais,ditlenotaire.S’iln’yavaitpascevieuxChestov,

comment penses-tu que je pourrais faire face à la médiocritéambiante.Disonsqu’ilm’aideàvivreparmilesbarbares.

–Loné,dit ledocteurCayemitteavecunsourirecomplice,les gens sont tellement susceptibles. Quand tu parles commeça…

–Cen’esttoutdemêmepasmafaute,Cayemitte,s’ilssontplusstupidesquedesânes.Jepréféreraisdeloinlacompagniedesanimauxquecelledemesconcitoyens.PrenonsMontal,parexemple…

LevisagedudocteurCayemittedevientsubitementlivide.–Ahnon,tunevaspasmefaireça,Loné!Tunevaspaste

mettre à insulter le préfet dans un établissement public ! Cen’estpassérieux,Loné…

–Sionnepeut pasdire librement ceque l’onpensed’unserviteurdel’État,alors…

–Cen’estpasunequestiondeliberté…Bon,enfin,laissonstombercettediscussion.Pendantquetueslà,jevaisprendretatension.

Ledocteurnousfaitentrerdanslapremièrepiècevidequ’il

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trouvesursonchemin.Ilécouteattentivementlecœurdunotairependantunlongmoment.

–Remontetamanche.Çaneteserrepastroplebras?Sûr?Bon, maintenant, respire fortement. Encore une fois…Moinsfort…Expiremaintenant.Doucement…Voilà,c’estfait.

LedocteurCayemitteregarde,unmoment,lenotaire.Jemefais tout petit dans mon coin, totalement fasciné par la petitetouffedepoilsdansl’oreilledudocteurCayemitte.Jenel’avaisjamaisaperçueauparavant.

-Jenecomprendsrien,ditenfinledocteur.Uneombrepassesurlevisagedunotaire.–Qu’ya-t-il,Cayemitte?Tusaisquetupeuxtoutmedire…–Tun’asrien!C’estçaquejen’arrivepasàcomprendre…

T’as lecœuret lepoumond’unenfant.Tuneviens jamaismevoiràl’hôpital,tuneprendspaslesremèdesquejeteprescris,ettunefaisaucunementattentionàcequetumanges,enfait,tune manges même pas… Quand est-ce que tu as mangé ladernièrefois?

–Cayemitte,jenepensepasàça.–Tusaisbien,Loné,quel’hommeabesoindemangerpour

vivre.–Celanemeconcernepas.–Tuastoujoursétéunsceptique,Loné.–Jecroisquandmêmedansunechose,Cayemitte…–Ahoui…–Jecroisdanslecaractèretotalementabsurdedelavie.Ledocteursembleunmomentpensif.– En tant que médecin, je ne le devrais pas, mais je suis

obligéd’avouerquejepartagetonavis,Loné.– Bon, dit le notaire en se frottant comme un paysan qui

vientdefaireunebonnevente,toutçamedonnefaim.

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foisavantdeluiapporterlapréfecturesurunplateaud’argent.–C’estPort-au-Prince,Loné,quil’anommépréfet.

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Lamalnutrition

Onarrivedevantletribunal.Jecrainsquelesdeuxhommesn’aient oublié ma présence tant ils étaient pris par leurdiscussion. Faut pas croire ça, le notaire Loné est un vieuxrenard. Je suis sûr qu’il nem’a pas lâché une seconde duranttout le parcours, m’observant sans arrêt, analysant chacun demesgestes,scrutantmespensées.

–Annonce-moiau jugeAncion,ditbrusquement lenotaireaugreffierquis’étaitprécipitéànotrerencontre.

–BonjourmaîtreAuguste,dit legreffieravecbeaucoupdedignité.LejugeAncionvientjustedepartirpourVialet,notaire.Ilneseraderetouriciquedemainmatin.

–Ilyauneaffairelà-bas?s’enquiertmaîtreAuguste.– Non, dit le greffier d’une voix blanche, il a mal à la

poitrinedepuisunesemaine.Ilyaunevieillefemmelà-basquipourrait lui faire un massage. Il paraît qu’elle a des mainsmagiques.Ellepeutremettresurpiedunmort.

– Et toi, Fils-Aimé, demande le notaire, tu n’as pas l’airdanstonassiette?

–Monfilsestàl’hôpital,ditsombrementlegreffier.– Retire-le tout de suite de là, sinon ils te le tueront en

moinsdedeux.–Jen’aipasunegourde,notaire…Jenepeuxpaslegarder

àlamaison.– Regarde-moi ça, dit le notaire à haute voix, un honnête

serviteur de l’État qui ne peut même pas se procurer desmédicaments pour sonmalade, alors que les hommes en placeviventcommedespachasdansdeluxueusesvillasà laHatte…Donne ça à ton frère, Fils-Aimé, dit le notaire en baissant lavoix pour ne pas embarrasser le greffier.Dis-lui d’aller retirer

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l’enfant de l’hôpital, de filer ensuite au marché acheter deslégumesetunbonmorceaudebœufpourfaireunbouillonàsonfils.Silesmédecinsdecepaysétaienthonnêtes,aulieudefairecorpsaveclespharmacienspourvolerl’argentdespauvresgens,ilsmettraient le bouillonde bœuf aux légumes en tête de leurprescription.C’estdemalnutritionqu’onsouffredanscepays…

Legreffier regardeàdroiteetàgaucheavantdese tournerverslenotaire.

–Merci beaucoup,notaire.Vousne savezpas cequevousfaiteslàpourmoi.J’étaisvraimentmalpris.

– Maintenant, tu sais quoi faire, jette le notaire avec unsourirechaleureux.Vaviteréglertesaffaires.

– Notaire, le juge n’est pas là. Je ne peux pas laisser letribunalsanssurveillance.

– Tu peux partir, Fils-Aimé. Personne ne voudrait de cesmeubles bancals. Les chaises sont infestées de punaises, etquandilpleut…

–Notaire,ditlegreffierenredressantlégèrementsontorse,vousparlezdutribunalcivildelavilledePetit-Goâve.

–Jesais,Fils-Aimé,jenelesaisquetrop…Tupeuxpartir.Je te ledis.Laviede ton filsdoitpasseravant tout.Quantautribunal,maîtreAugustevaresterjusqu’àlafermeture.

–Onparleenmonnom,maintenant,ditmaîtreAugusteavecun clin d’œil complice au notaire, c’est bien, Fils-Aimé, vat’occuperdetonfils.Laisse-moilaclef.Tupasseraslaprendrechezmoi,cesoir.

– Maître Auguste, je ne peux pas vous laisser fermer letribunal.Cen’estpasvotretravail…

–Dois-jeprendreçapouruneinsulte?Voudrais-tuinsinuerquejenesauraisfermeruneporte?Jecomptejusqu’àtrois,etsituesencoredevantmoi,jesauraiquec’étaituneinsulte.

– Je ne voulais pas dire cela. Un homme de votre rang…

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Lanouvelle

Fatalarrivepresqueencourant,sonchapeauàlamain.–Donnez-moiunetassedecaféamer,Da.–Qu’est-cequetuas,Fatal?Ondiraitquetuviensdevoir

lediable.–Ilmefautcecaféd’abord,Da,aprèsjepourraiparler.Daluiremplitlagrandetassebleue.–Vamechercherungrandverred’eau,mongarçon…Da,ce

quej’aiàvousdire,ilvousfautêtreassisepourl’entendre.Ilavale,d’uneseulelonguegorgée,leverred’eau.–Etalors?ditDa.–Ilsontarrêtétoutlemonde,lanuitdernière.Da met sa main sur sa bouche pour s’empêcher de crier.

Fatalsemblesatisfaitdel’impactdelanouvelle.–Quandça?finitpardemanderDa.–Durantlanuit.Entreuneheureettroisheuresdumatin.Ils

sont venus chez moi aussi, mais j’étais à Boucan-Bélier.L’histoire,c’estqu’aprèslafêtepatronaledesPalmesoùlepèreCassagnolafaitunehoméliemagnifique,onafêté,maisjen’aipaspassélanuitlà-bas.J’aisellémonchevalpourdescendreàPetit-Goâve,mais je ne sais pas pourquoi, jeme suis arrêté àBoucan-Bélier. C’est là que j’ai dormi. C’est pourquoi ils nem’ontpastrouvéquandilssontpasséschezmoi,rueGeffrard.

–Fatal!s’exclameDa,jen’aipasbesoindesavoiroùtuaspassélanuit,nicomment…Dismoi,pourl’amourdeDieu,quionaarrêté,lanuitdernière?

–Tousleshommesvalablesdecetteville,Da.–Qui?–Tous,Da.–Desnoms,Fatal.

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–FranckBiaise,LoulouDavid,Camelo,Bati-chon,Tirésias,AndréAllen,Saint-VilMayard…

–Paspossible,Fatal…–Etbeaucoupd’autresencore…–Quid’autre?– Pierre-Louis, le commerçant de la rue Dessalines,

Simplice,Borno,Augereau,Hannibal,WillyBony…–Maisc’estledirecteurdeladouane!–C’estbiença,Da.Casamé,Philibert…–C’estquicelui-là?demandeDa.–C’estunmarchanddeboisdelaGonâve,Da.Vousnevous

souvenezpas,ilaeuunprocèsavecGrosSimon,ilyatroisans,àproposd’unchargementdeboisquidevaitêtrelivréàPort-au-Princeetquinel’apasété…

–N’est-cepascegrandescogriffeque jevoisde tempsentempsauparquet?

–C’estlui,ditFatal.Anacréon…–Neme dis pas qu’on a arrêtéAnacréon aussi !C’est un

inoffensif,cethommen’ajamaisfaitnibiennimaldanssavie.–Etdevinezquid’autre,Da?–LenotaireLoné!–Oui,Da,jenevoulaispasvousledireavant.Ilaétél’un

despremiersarrêtés.–VieuxOs,vamechercherunmorceaudesel,ditDa.Jeparsenflèchepournerienmanquerdecequivaêtredit,

surtoutàproposdunotaire.Oùsetrouvecemauditsel?Passurlatable,nidansl’armoireoudanslegarde-manger.Biensûr,surlapetiteétagère,àcôtédubocaldesucre.J’attrapelebocaletleramèneàDaquidéposeunmorceaudeselsursalangue.

–Oùsont-ilsmaintenant?demandeDa.–Auxcasernes.–Alors,ditDa,c’estlecapitainequilesafaitarrêter.

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–Onnesaitpas,ditFatal.–Sait-onsionlesafrappés?–Jenesaispasnonplus,Da.C’estcequejevaischercherà

savoir.Personne,Da,nepeutdirecequis’estpasséexactement,cettenuit,auxcasernes,nimêmepourquoionaarrêtéunteletnonuntel.

– Mais ne tarde pas, Fatal. Reviens dès que tu as desnouvelles.Jenebougeraipasdemachaise.

–Oui,Da.Fautquejeparte…

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Lecouvre-feu

Thérèsevenaitdepartir,ilyacinqminutes,quandleclairondes casernes retentit.Devant l’école nationale des garçons.Dam’envoie aux nouvelles. Je file. Marquis fait semblant de seleverpourme suivre,mais finalement se recouche.Depuis sonaccident,ilestdevenulechienleplusflemmarddumonde.Ilnefait plus rien. Il se contente de faire semblant. La seule chosequil’exciteencore,c’estleronflementducamiondieseldeGrosSimon.Alorssonoreillegauchesedresse,suiviedeladroite,etil démarre tout de suite avec un long et sourd grognement quifinit par exploser dans un aboiement éclatant. Il peut aboyerainsi jusqu’à ce qu’on ne perçoive plus le moindre bruit ducamion.

J’arrivedevantl’écolenationaledesgarçons.LafouleautourdeDjo.Jesuistoujoursimpressionnéparlapommed’AdamdeDjo, surtout quand il est en train de lire les déclarationsofficielles.L’énormepommed’Adammonteetdescenddanssagorge.Desfois,j’ail’impressionqu’ill’aavalée,plusdepommed’Adam pendant trois secondes. Subitement, la voilà quiréapparaîtlàoùonnel’attendaitplus:toutenhautdelagorge.

Djo est maigre comme un balai avec cette énorme pommed’Adametunevoixdestentor.

LIBERTÉÉGALITÉFRATERNITÉRÉPUBLIQUED’HAÏTI

Afind’assurerlaprotectiondesbiensetdespersonnes,lagendarmeried’Haïtiproclameuncouvre-feugénéraletillimitésurtoutel’étenduedudistrictdePetit-Goâve.Cetavisprendeffetàpartir de ce midi. Passé cette heure, toute

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personne surprise dans la rue sera passibled’une amende de 125 gourdes et d’une sévèrepeinedehuitjoursdeprison.

FaitauxcasernesFaustinSoulouqueCapitaineMaxCélestin

Leclairondenouveau.La voix forte de Djo dont la pomme d’Adam monte et

descendcommeunyoyo.–Lafouleestpriéederompreenordreetensilence.Personne ne bouge.On attend l’explication de l’arrêté des

casernes.Unmomentde flottement.Finalement,Djoconsentàexpliquerenlanguevernaculairecequ’ilvientdelire.

–Lecapitainevousditderesterchezvous,etdepasbougerdevotremaisonjusqu’ànouvelordre.Sionvousattrapedanslarue,àpartirdecemidi,etpourquelqueraisonquecesoit,vousêtespassiblesd’uneamendede125gourdes,enplusd’unséjourdehuitjoursenprison.Etmaintenant,rentrezchezvous.

– Est-ce qu’on peut bouger dans la maison, au moins ?demande Chobotte, la marchande de légumes de la rue La-Justice.

– Oui, mais il ne faut pas sortir de la maison, répondnaïvementDjo.

–Etsionabesoind’alleràlaselledanslacour?–Non.Laloiditqu’ilnefautpasquitterlamaison.–Djo!Djo!crieunevoixsuraiguë.–Oui,ditDjo.–Djo!Djo!Qu’avez-vousfaitdesprisonniers?–Oui, ajouteunedamemembrede la société des filles de

Marie,qu’avez-vousfaitdemonmariquedessoldatssontvenusarrêterchezlui,cettenuit?

–Écoutez,madame,ditDjodéjàensueur,jenefaispasde

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politique… Je travaille pour le parquet qui m’a prêté auxcasernesuniquementpourletempsdelalecturedecetarrêtéàlapopulation.

–Djo !Djo !Djo ! (unevoix stridente) lesPetit-Goâviensvouscrachentdessus!

Onn’arrivepasàbiendistinguer lapersonnequiparle.Lapommed’AdamdeDjomonteetdescendàunefollevitesse.

–Écoutez,ditcethommeàcôtédeDjo,ilvousaditqu’ilaétéprêtéparleparquetàlagendarmerie.Vousdevezcomprendrequ’ilnefaitquesontravaild’employédel’État.

–Djo !Djo !Djo ! lance lamêmevoixstridentede toutàl’heure.

Subitement, Djo se sent en danger dans cette foule. Ils’essuielevisageavecunmouchoirrouge(signequ’ilfaitpartied’unesectesecrète),regardefébrilementàdroiteetàgauche(saminusculetêtetournecommeunegirouette)avantdelancer,endésespoirdecause,cedernieravertissementàlafouleencolère.

–Lecouvre-feucommencedansunquartd’heure.C’estlapanique.–Jen’aimêmepasdeselàlamaison,ditcettefemme.– Je n’arriverai jamais à temps chez moi, marmonne une

vieilleédentée.–Moi,j’habiteàlaPetite-Guinée,etjeneconnaispersonne

danslesenvirons,lanceuneénormefemme.–Danscecas,vousavez ledroitderentrerdansn’importe

quellemaison,madame. Les gens comprendront que c’est uneurgence,ditcalmementunmonsieuràbicyclette.

– Pourquoi ne l’amenez-vous pas chez elle avec votrebicyclette?jetteChobotte.

–Commentferai-jepourrevenirpuisquelecouvre-feuentreenvigueurdansmoinsd’unquartd’heure?

–Vousêtesunhomme,répliqueChobotte.

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Unemiseenscène

–C’estcommeçaquetucomptesmeprotéger,ditDaenmesecouantlégèrement.

–Donnez-moiunfusil,jeclame.–VieuxOs!J’ouvrelesyeux.LevisagesouriantdeDaau-dessusdema

tête.–Pourquoiveux-tuunfusil?Je regarde unmoment autour demoi. Tout s’est envolé en

fumée.Lafoule,lestueurs,Vava,samèreetmonrêvedegloire.Jeresteseul,àdeminu,souslagrandetable.

– Tu as rêvé, me dit Da. Tu te battais dans ton rêve. Tuhurlais,commeunjeunepoulainencoresauvage.

–Oui,Da,jefaisaisunrêve.–Pourquoivoulais-tuunfusil?–Dansmonrêve,Da,jelibéraislaville.–Vousvoyez,ditFatalenselevant,cegarçonm’indiquele

chemin à prendre… Au lieu de rester assis sur mon derrière,excusez-moi l’expression,Da, commeun lâche, je devrais êtredehorsentraindepréparerlarésistance.

J’aimevoirFatals’enflammerainsi.– Pas de bêtise, Fatal, tu vas rester assis sur cette chaise.

Que peux-tu contre une bande de dégénérés, de voyous armésqueceuxquilesmanipulentontd’abordprissoindesoûleravecdumauvaistafiadeBatichon?

–Batichonaétéarrêtéaussi,Da.–Oui,maisc’estsontafiaquicourtdanslesveinesdeces

voyousarmés.–Mais,Da,commenceFatal,sipersonne…Assieds-toi, j’ai dit !C’est précisément ce qu’ils attendent

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de ta part et de celle des autres. Ils veulent de vous un gesteirréfléchipourvousabattrecommedeschiens.Commentsefait-ilquetun’aspasencorecomprisleurmanœuvre?

Unlongmomentdesilence.–Vousavezraison,Da.Maispourquoi?Surtout,j’aimerais

savoirquiestderrièretoutcela?Cen’estsûrementpaslemairequi a peur de son ombre, ni le commissaire du gouvernement,tropprudentet surtout trop légalistepourentreprendrece typed’opération.Alors,c’estqui?

–Quiest-cequireste?demandeDa.– Donc, conclut Fatal, c’est le préfet Montai ou le

capitaine…L’unoul’autre.–Oulesdeux,ditDacalmement.–C’estimpossible,ditFatal,cesdeux-lànepeuventpasse

sentir.–Pass’ilsreçoiventl’ordredes’unirpourcettesalebesogne

d’uneinstancesupérieure.–Ilfautquecesoit,Da,uneinstancetrèssupérieure.–Port-au-Prince,ditDa.Fatalacquiescesombrementdelatête.

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LeproblèmedeMarquis

Detempsentemps,Marquislanceunhurlementlugubre.–Lechienhurleàlamort,ditFatal.–Jecroissurtoutqu’ilveutsortir,jetteDa.Fatalsetourneversmoi.– Nous, nous pouvons comprendre ce qui se passe,

m’explique-t-il, mais ton chien, lui, ne comprend rien auxaffaires humaines. Il faut le laisser sortir, sinon il va faire unbruitd’enfer.

Je saisqueMarquiscomprend trèsbiencequi sepasse. Iln’est pas bête. Son problème en ce moment, c’est qu’il veuttraînersonderrièreparterre.EtilsaitqueDalemangeravif,sijamaisilsemettaitàfairesesbesoinsdanslamaison.Fatalvaouvrir la porte du salon, etMarquis part comme un boulet decanon.Justeàtemps.

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unfouremontelarue

Lesgenscommencentàsortirdeleurmaison.Ondiraitdeszombisquiquittentuncimetièreàmidi.Ilsévitentderegarderlesoleil en face. Tout se fait comme au ralenti, durant lespremièresminutes.

Un homme remonte la rue en frappant contre toutes lesportesencorecloses.

– Sortez, bande de cancrelats ! Vous avez peur de votreombre!

L’hommearriveànotrehauteuretfrappecontrelaportedel’infirmièreGisèle.

–Arrêtezdeforniquer!Vousconfondezlejouraveclanuitcommedesbêtesquevousêtes!Lesangespleurent!ArrêtezdesouillerlafacedeDieu!SORTEZDEVOSTOMBES!SINONLA FOUDRE DE DIEU VOUS TOMBERA DESSUS ! LEBRAS VENGEUR DE L’ÉTERNEL VOUS ÉCRASERA !OUVREZ!OUVREZCETTEPORTE!

Il semet à cogner durement. Finalement, le préfetMontaisort, torse nu. L’infirmière apparaît derrière lui en robe dechambre.L’hommeaunmomentd’hésitation(lavilleretientsonsouffle)avantderecommencerdeplusbelle.

– AGENOUILLEZ-VOUS DEVANT LA PUISSANCEDIVINE,FORNICATEURS!

Promptement, il attrape l’infirmièreGisèle par les cheveuxpourl’obligeràsemettreàgenoux.Lepréfetlefrappeàlatêteavec la crosse de son revolver. Le sang gicle, salissant lepantalon blanc de Montai. Le visage en sang, il continue àhurler.

– BABYLONE ! TROIS FOIS BABYLONE ! C’EST LERÈGNEDELABÊTE!

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Les deux gendarmes se précipitent sur la galerie. Djointervient.

–Préfet,c’estunfou.Immédiatement, l’infirmière Gisèle pousse le préfet à

l’intérieuretrefermebruyammentlaporte.Lesgendarmesseregardentsanssavoircequ’ilconvientde

faire. Finalement, ils prennent la direction des casernes avecl’homme, mais arrivés près de la grande maison en bois desRigaud,ils lelaissentpartir.Aulieudesesauver,celui-cis’envafrapperà laportedelamaisonjouxtant lesalondecoiffuredeSaint-VilMayard.

–J’AIFAIM!J’AIFAIMîJ’AIFAIM!Une dame ouvre sa porte pour lui donner quelque chose

enveloppédansunvieuxjournal.L’hommes’assoitledoscontrelaportepourmangertranquillement.

–Ilparaîtqu’ilvientd’unefamilletrèsrichedeMiragoâne,etqu’ilestdevenufouquandilasud’oùvenaitleurfortune,ditun homme de grande taille avec des favoris qui descendentjusqu’àunemoustacheextrêmementtouffue.

– Ce sont des choses qu’on voit tous les jours, résumeChobotte.

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Denouveau,lavie

Avantmêmequej’arriveàlamaison,lavilleétaitredevenueanimée. Les gens courant à droite et à gauche. Les boutiquesremplies de clients réclamant à cor et à cri du beurre, de lafarine,dusel,de l’huile.Leschiens sontausside lapartie. JevoisMarquis se lancer dans une folle course avec le chien del’infirmière Gisèle, ce que je ne lui avais pas vu faire depuisbelle lurette. Augustin Jérôme passe à bicyclette sans mêmeprendre le temps de saluer Da, tant il est pressé. Da se tientdeboutsurlagalerie,lesmainssurleshanches.

Au cœur de tout ce vent de folie, Thérèse et ChadillonremontentcalmementlarueLamarre,lamaindanslamain.

Ilss’arrêtentau88.–Chadillon,voiciDa,c’estcommemamère…Simamère

étaitencorevivante,jetel’auraisprésentée.–Bonjour,madame,dittimidementChadillon.–C’est«Da»qu’ilfautdire,rectifieThérèse.–Ehbien,ditDa.–Puis-jem’asseoir?murmureChadillon.–Biensûr, faitDaavecunsourireunpeuartificiel.Vieux

Os,vachercherdeuxchaisesausalon.–Paspourmoi,Da,ditThérèseavecunbreféclatde rire,

ici, je suis chez moi. Si j’ai besoin d’une chaise, j’irai lacherchermoi-même.

Da s’installe confortablement sur sa dodine. Chadillon,raidecommeunpiquet,enfaced’elle.Thérèse,deboutprèsdelaporte,neregardantqueChadillon.Etmoi,jesuiscouchésurundesplateauxdelagrandebalance.

–Ehbien,ditdenouveauDa.– Bon, commence Chadillon, les deuxmains jointes entre

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–Colomb.–Magnifique!dittongrand-père.»L’annéed’après,ilrefaitsurface.«Etlui?demandetongrand-père.–Débarqua.–Comment?–Débarqua.–Oùas-tutrouvéuntelnom?–Danslemêmelivre…–Montre-moiça,luidittongrand-père.»Etl’hommesortitdesonhavresacunpetitmanueld’histoire

d’Haïti. Et c’était vrai. La première phrase du chapitre sur ladécouverte d’Haïti : CHRISTOPHE COLOMB DÉBARQUAENHAÏTILE6DÉCEMBRE1492.

Daritlonguement(unrired’enfant),commeellefaitchaquefoisqu’elleraconteunehistoiredemongrand-père.Jerisaussimêmesijen’aipastrouvél’histoireaussidrôle.

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Lafête

Rodriguez est descendu de son cheval, l’a attaché à unpoteaude lagalerie,etpourunerare fois,aaccepté lecafédeDa.

–Qu’est-cequetuas,Rodriguez?luidemandeDa.– Da, je reviens de Boucan-Bélier, et il m’est arrivé une

histoireétrange.–Quoi?– La nuit dernière, Da, je suis allé à une fête à quelques

kilomètres de Boucan-Bélier. Il était tard, près de minuit. Jevoyagede jourcommedenuit.Voussavez,Da,que lepaysagequel’onvoitdejouresttotalementdifférentdeceluidelanuit.Il y a un chemin, la nuit, et un autre, le jour. Et ce n’est paspareil. Oui, Da, un arbre qu’on a l’habitude de croiser sur saroute,lejour,peutdevenirtoutautre,lanuit.Ilpeutêtrejoyeux,lejour,etmenaçant, lanuit.Da,onpeutseperdre, lanuit,surune route que l’on connaît bien, le jour. Et c’est ce quim’estarrivé. Je suis arrivé à ce carrefour, le fameux carrefour La-Croix.EtjedevaisprendreuncheminpourallerchezHannibal.Jeneparvenaispasàmerappelers’ilfallaittourneràdroiteouàgauche.Finalement, j’aipris lecheminsur ladroite.Et justeàquelques pas de là, c’était la fête. On m’a chaleureusementaccueilli. Je ne connaissais personne, mais on m’a fait savoirqu’HannibalétaitalléchercherquelquescabrisàBoucan-Bélier,etqu’iln’allaitpastarder.Enattendant,jepouvaisfairecommechez moi. Da, vous connaissez l’hospitalité des gens de larégion…

–Jeviensdelà,Rodriguez.–Ilyavaitàboireetàmangertantqu’onvoulait.Hannibal

estunrichepaysan.Jen’étaispasétonnéd’unetellebombance.

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Je me suis promené, un moment, dans la grande cour où sepassait la fête. C’était beaucoup plus grand que ce parccommunal.Et là, j’ai remarqué des femmesmagnifiques.Ellesme souriaient. Da, j’ai toujours peur des histoires avec desfemmesrencontréesàunefête.Lespaysanssontpeut-êtrepolis,mais ils n’hésiteront pas à utiliser leurmachette dans certainscas…Finalement,unesplendidefemmes’estapprochéedemoi,m’a demandé ce que je voulais boire et manger. Elle s’estoccupéedemoitoutletemps.Verslafin,ellem’ademandédel’accompagnerchezelle.Ellen’habitaitpastroploin,auboutdelaroute.J’ailaissémoncheval,làoùilétait,etjel’aisuivie.Da,laplusbellenuitdemavie.Unenchantement.Elles’estcoifféedevantmoi.Sescheveuxdescendaientjusqu’àterre.Lebonheur,Da.Le lendemain, jeme suis réveillé surune tombe, avecunedizainedetombesautourdemoi.Leplusétrange,Da,c’estqu’àaucunmomentjen’airessentiunegêneouquoiquecesoitquim’auraitavertiquej’étaisdansunautremonde.Soncorpsétaitchaud,douxetsensuel,etmêmequandonfaisaitl’amour…

–Rodriguez!–Excusez-moi,Da,jenesavaispasquevotrepetit-filsétait

là. Le jour, je pouvais bien voir mon erreur. J’avais pris lemauvais chemin. Je suis allé quandmême à l’autre fête, celled’Hannibal. J’ai raconté toute l’histoire à Hannibal. Il a ri, etm’aditaprèsquecelaarrivechaquefoisqu’ildonneunefête.Ilm’a expliquéque je nem’étais pas trompéde chemin, ce sonteuxquim’avaientinduitenerreur…N’est-cepasétonnant,Da?

–Jesavais,ditcalmementDa,quec’étaitunehistoiredecegenre. Je connais bien ce petit cimetière, puisque toute mafamille y est enterrée.Cette femmeque tu as rencontrée, c’estsûrement ma cousine Léda. C’était, en effet, une très bellefemme.

Toutdesuiteaprèsavoirbusoncafé,Rodriguezalancéson

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Marquis qui tente le diable (un incendie peut à tout momentéclaterdanssonpelage) tandisque lecommissairen’arrêtepasdechuchoterdessecretsd’EtatàDa.Ah,levoilàquiselève.Iltrituresonchapeau.Daluiparle.Ondiraitqu’ilvaserasseoir.Non,ilsalueDa.

En passant près demoi, le commissaireme fait un discretsigne de lamain. Il a un gros furoncle sur la nuque, juste au-dessusducoldelachemise.Lecommissairesediriged’unpascalmeverslabarrièretoutenfaisantsautillersonchapeaudanssondos.

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C’estgrave!

Da a son visage des mauvais jours. Elle regardeattentivementlacendrequeleventemporte.

–Qu’est-cequ’ilt’adit,Da?–Ce sontdes chosesquime regardent.C’est paspour les

enfants. D’ailleurs, tu es bien impertinent de me parler ainsi,quandjustement,ont’ademandéd’allerjouerailleurs.

–Da,mais…–Iln’yapasdemais.Disparaisdemavue!–Etsi,Da…Ellefaitsemblantderamasserunepierrepourmelalancer.

SamaintombesurunratmortqueMarquisaramené,cematin,du parc communal. Da a vite fait de tourner sa colère contreMarquis en lui lançant tout ce qui lui tombe sous la main.Marquisse relève tranquillement (il se réchauffaitprèsdu feu)pour se diriger vers le parc communal. En passant près de lamare, il fait mine d’attraper un caneton. La colérique cane afaillil’éborgner.SacréMarquis!

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Leduel

Jevaism’asseoirsurunegrossepierreaumilieudelacour.Sous lesoleildemidi.Jeregardeau loin.DucôtédeBoucan-Bélier.JesenstoutefoisleregarddeDaposéavecaffectionsurmanuque.Unegouttede sueurdanse surmapaupièregauche.Une autre glisse le long dema joue. Je compte rester sous cebrûlant soleil jusqu’àceque j’attrapeune fièvredecheval.Dacontinue à boire son café. Qui va céder le premier ? Elle oumoi?

Ellemelancesongobeletenaluminiumàlatête.–Vamechercherunpeud’eau,VieuxOs.Jemelèveenm’étirantlesmembres,imitantMarquis,pour

partir vers le petit bassin d’eau qui se trouve près de l’anciengarage quemongrand-père avait fait construire pour abriter letracteurqu’onn’ajamaiseu.Jeluiramènel’eau.Elleenboitunpeu,jetteleresteavantdemetendrelegobeletvide.

–Apporte-moi de la farineque tu trouveras dans le garde-manger.Jevaisfairedesmarinadesaujourd’hui.

C’estmafriturefavorite.Dalesait.Jenedistoujourspasunmot.

– Je ne peux pas supporter quand tu fais cette tête…Assieds-toilà,j’aiàteparler…

Jesavaisqu’ellecraqueraitlapremière.

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Pasdebans

Thérèseestarrivée,commetoujours,entrombe.–Da,c’estpourdemain.–Quoipourdemain?–Monmariage.–Pasdebans?–Oh, dit Thérèse, on n’a pas le temps…De toute façon,

pèreCassagnolesttropcontentdemevoirmemarier.Chadillonadéjàétésonenfantdechœur.Ilnousconnaîtdepuisl’enfance.

–Etlarobe?–C’estcequejecourschercherchezJulieDa.–Qu’enpenseChadillon?–Ilnepeutplusattendre,lanceThérèsedansungrandéclat

derire.Da,est-cequejepeuxvousparlerenprivé?–Biensûr,Thérèse.Va tecoucherdans lachambrede ton

grand-père,VieuxOs.Je traverse la pièce, dans la pénombre, avec un drap blanc

enrouléautourdemoncorps.Thérèseéclated’unriregras.–Regarde-le…Ilnepeutplusmarchernudevantmoi.Dire

quejeluidonnaissonbain,iln’yapassilongtemps,Da.Thérèseessaiedem’attraper.– Montre-le-moi… Vieux Os, montre-le-moi une dernière

fois.Jememariedemain…Jenepourraiplusregarderuncorpsd’hommeautrequeceluidemonmarisanscommettrelepéchéd’adultère,etcelajusqu’àlafindemesjours.

Jeréussisàluiéchapper.

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Laphoto

Rien n’a changé dans la chambre demon grand-père. Sonchapeau,sacanneencoreaccrochéeaumur,prèsdulit,àcôtédelaphotod’unimmensetracteur jaunedansunchampdeblé. Ilm’arrivedepasserdesheuresdevantcettephoto.Unhommeestau volant du tracteur. Ses deux fils (le plus jeune doit avoir àpeuprèsmonâge)nesontpasloin.Onlesvoitjusqu’àlataille.Le reste du corps disparaît dans l’herbe haute. Je remarquequ’ils ne portent pas de chapeau. Mon grand-père n’auraitjamais toléré une pareille chose. À travailler tête nue dans lechamp,onrisqueàcoupsûruneinsolation.Ilsportenttouslestrois la même chemise à carreaux dont les manches sontretroussées jusqu’aux coudes. L’homme et ses deux fils sontaussi blonds que des épis de maïs. Je les regarde longtemps,surtout le plus jeune,medemandant ce qui arriverait si, lui etmoi,onchangeaitdeplace.Ilviendraitvivredanscettemaison,àPetit-Goâve,etmoi,j’iraisàChicago.Jemesens,chaquefois,toutdrôleàdirecenomquimeparaîtaussiimpressionnantqueleplusgranddes tracteurs :Chicago.Chicago.Chicago.Troissyllabesquiclaquentauvent.Chicago.Jetrouveçabondansmabouche. Petit-Goâve sonnet-il aussi bien. Je ne peux pas lesavoir.Jesuisnéici.Jenesaisplusquandj’aientenducenom(Chicago)pourlapremièrefois.Lui,lepetitgarçondeChicago,peut-êtremourra-t-il sans jamais avoir entenduparler dePetit-Goâve. Jeme sens tout triste d’y penser. Triste pour lui, pourmoi, et pour Petit-Goâve. Tout le monde connaît Chicago àcause de ses tracteurs jaunes. Et Petit-Goâve, par quoi sera-tilconnudans lemonde,un jour? Je remarque,pour lapremièrefois,danslecoingauchedelaphoto(enbas)cetteinscription:Chicago,US,1950.Mêmecettephotoestplusvieillequemoi.

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Cegenredechosepeutvousfoutreuntelcafard.

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L’ADIEU

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J’aiécritce livrepouruneseule raison : revoirDa.QuandL’odeur du café est paru en automne 1991, Da était encorevivante,etelleFalu.

–VieuxOs!…Quelbeaucadeautum’asfait!–Jetel’avaispromis.Jemesouviensdesondouxsourire.Elleétait très fièrede

pouvoirfilersonaiguillejusqu’audernierjour.Elleestmorteunsamedimatin,le17octobre1992,àl’âgede96ans.Etdepuis,ellememanque.

Je suis retourné dernièrement, le 11 août 1997, à Petit-Goâve.Lapremièrefoisdepuismondépart,ilyaplusdetrenteans.Justeavantd’envoyercelivreàmonéditeur.Etjelesaitousrevus.

VoiciDa,assisecomme toujours sur sagalerieau88de larueLamarre,entraindesirotersoncafé.EtaussicebonvieuxMarquis qui vient se frotter contre ma jambe, en remuantdoucementlaqueue.

Le soleil de midi. Les rues désertes. La mer turquoisescintillantderrièrelescasernes.Lavillefaitlasieste.

Vers le soir, j’ai revu sur les quais les copains (Frantz etRico),avecquij’aifaitlesquatrecentscoups,etlesfilles(Vava,Edna, Fifi, ma cousine Didi, Sylphise) qui ont illuminé monenfance. (Laplupart reposent dans le cimetière fleuri dePetit-Goâve, emportés par l’épidémie de malaria qui a fait rage en1964, l’année suivant le cyclone Flora.) Tout est resté commeavantdansmamémoire.

J’aipristantdeplaisiràêtreàPetit-Goâvequejen’aipasvuletempspasser.

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Achevéd’imprimerle23janvier2012surlespressesde

LaManufacture–Imprimeur–52200LangresTél.:(33)325845892

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N°imprimeur:12020-Dépôtlégal:novembre2009ImpriméenFrance