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Une passion marocaine - exultet.net · ministre d’État à l’Intérieur, est redevenu le commissaire de police qu’il n’a jamais cessé d’être. ... ministère devant les

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Unepassionmarocaine

Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproduction

réservéspourtouspays.©2015,GroupeArtègeÉditionsduRocher

28,rueComteFélixGastaldiBP521-98015Monacowww.editionsdurocher.fr

ISBNversionpapier:978-2-268-07641-6ISBNversionepub:978-2-268-07775-8

HenryBonnier

Unepassionmarocaine

ÀSaMajestéMohammedVI,RoiduMaroc,ÀS.A.R.MoulayEl-Hassan,Princehéritier.

Cettepassionmarocaine,néedurêveautantquedelaraison.

Endéférenthommage.HenryBonnier

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Dois-jepréciserque,depuiscetemps-là,j’aimultipliélesvoyagesauMaroc,cherchantàpercer ses secrets,puisqu’ilm’avaitétédonnéd’enapercevoirlesmystères?

LeRoiestmortQuelquesheuresplus tôt,HassanIIarendul’âmeà l’hôpital.Unrègnedetrente-huitannéesvenaitdes’achever.OnsavaitleRoi très malade. Ceux qui avaient suivi le défilé militaire duprécédent14-JuilletàParis,avaientremarquésonvisagedéfait,sesyeuxcernés,sasilhouettefragile.Iln’empêchequesamortapristoutlemondedecourt.Entoutehâte,ce23juillet1999,ilfallait organiser sesobsèques, tout enpréparant l’intronisationdu nouveau monarque qui se fait encore appeler MohammedBenHassanetquiestâgéde37ans.Dès l’annonce du décès, les voitures officielles ont convergévers le Palais Royal, où avaient déjà pris place deux stationsrégies de la télévision nationale marocaine, prêtes àretransmettre, à tout instant, la cérémonie d’allégeance aunouveausouverainchérifien.Pour l’heure, le cœur du pouvoir s’est retiré dans une petitesallesituéeaufondd’unegrandecourpavéedezelligesverts.Cettesalleressembleàunkiosqueàmusique.Àl’extérieur,quidoncsedouteques’yjoueunemusiqueinattendue?C’estquepersonnen’apréparécettesuccession, tantHassanIIparaissaitimmortel.S’estrassemblélàtoutl’exécutif,oupresque.L’atmosphèreestlourde.Centredetouteslesattentes,unpetithommerepletsentpeser sur lui le poids du destin.D’ordinaire très discret, il senomme Abdelouhad Ben Mansour. Il est l’historiographeofficielduRoyaume.Jel’avaisrencontré,lorsquejem’occupaisde mener à bien l’édition duDéfi. Comme j’avais besoin dedocuments,ilm’avait apporté des pièces rares, notamment une belle lettredugénéraldeGaulleadresséeàMohammedV.Àprésent,ils’est

plongédans lesarchives royales.Lesilenceest sigrandqu’onauraitpuentendrelespagesglisserlesunessurlesautres.Ildoitdéfinirsanstarderlesrèglesdel’intronisation.Ilestvraiquecesnormes, issues d’une antique tradition orale, n’ont jamais étéconsignéesparécrit.Au fil des heures, dignitaires et responsables politiques, tousvêtus de l’habit traditionnel, se pressent de plus en plusnombreux au Palais. Combien sont-ils à être vraiment affectésparcedécès?Combiensedisent-ils,lecœurenfête,qu’encettefindemillénaire,unnouveauMarocestsurlepointdenaître?Beaucoupneserendentpascompted’êtredesimportuns,fortsde leur importancepassée.Plusieurssevoientrefuser l’accèsàlasalleoùsetientceluiquisefaisaitappelerilyapeudetempsencore«SmietSidi»,nomduMaître,enréférenceàsongrand-père bien-aimé, Mohammed V. Il faut les entendre demander,implorer,supplieretmêmetempêter,eninvoquanttouslessaintsetenrappelantsansvergognelanoblessedeleurfiliation.Rienn’yfait.Seulssontacceptés leshabituésde«DarelMakhzen»1,ainsiquederaresmembresdugouvernement.À l’entrée du Palais, une scène, qui pourrait être banale, nepasse pas inaperçue. La cravate défaite, un pan de sa chemisebleuehorsdupantalon,untalkie-walkieàlamain,DrissBasrinesaitplusàquisevouer.Lagrandeporteluirestefermée.Sonappareilà beau crachoter le nom des visiteurs qui se présentent auTouarga2, il n’écoute plus. Les yeux rougis par les larmes, leregard vide et comme perdu, il ne prend plus la peine derépondre. En quelques minutes, Driss Basri, le tout-puissantministre d’État à l’Intérieur, est redevenu le commissaire depolicequ’iln’ajamaiscesséd’être.Épaulesaffaissées, ilporte lapertedesonmaîtreadoré.Déjàles courtisans d’hier, ceux-làmême qui, désireux d’obtenir de

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qui ne manqua pas d’être relevé. Le sort de l’ancien vizir deHassanIIétaitscellé.Lapressemarocaine nemanquepas d’humour.La chute, quedis-je ? ladescente auxenfersdeDrissBasri, elle lesqualifiad’« effeuillage de l’artichaut ». En vérité, il s’agissait là dupremier acte majeur du règne : la rupture immédiate et sansappelavecunepratiquehonniedegouvernement.Combien de fois ne me suis-je pas interrogé au sujet de ceministred’État?Quiétait-ilau-dedansdelui?Quedésirait-il?Soncynismen’avait d’égalque sonorgueil.Comme ilm’avaitinvité chez lui à Rabat et que je le félicitais pour les grandstravaux effectués dans sa demeure, ilme répondit en haussantlesépaulesqu’ils’étaitcontentédechanger l’emplacementdesmeubles.Uneautrefois,appeléàlerencontreràsonbureau,ils’excusadèsmonarrivéededevoirserendredetouteurgenceauPalaisetmefitinstallerdansunepièceobscure,où,montreenmain,jefuscontraintderesterprèsdecinqheures.Àsonretour,curieuxdeconnaîtrel’étatdanslequeljemetrouvais,ilvintenpersonnemedélivrer:-Letempsnevousa-t-ilpasparulong?medemanda-t-ild’unairbenoît.-Letempsn’estjamaislongàquiestenprière,luirépondis-je.Decet instant-là, il sut qu’il avait enmoiun adversaire.Nosrelations ne cessèrent dès lors de se dégrader. Nous faillîmesmême en venir aux mains. La cause ? Louis Pauwels, quidirigeaitalorsleFigaroMagazine,avaitdécidéd’envoyerdeuxjournalistes à Casablanca, pour y réaliser un reportage sur lamosquéeHassanII.BasritintàleslogeràRabat,unevoitureduministèredevantlesconduireàCasablanca.Dèslepremierdéplacement,plusrienn’allait.L’automobilenepouvaitpasdépasserles70kilomètresàl’heuresurlanouvelleautoroute qui reliait la capitale à cettemosquée incomparable,

en voie d’achèvement. Sur place, la sécurité multipliait lesdifficultésdephotographier.Furieux, nous revînmes à Rabat, où je dis à quelquesfonctionnaires de l’Intérieur qu’il vaudrait mieux pour eux deservir leur Roi qu’unministre, fût-il d’État. À l’évidence, cesproposfurentrépétés.Cequejesouhaitais.Dèslelendemain,letravaildesjournalistesfutfacilité.Ilseurenttortdecriervictoiretropvite.EnvoyésenexpressauFigaroMagazine,lesfilmsfurentouvertssansprécautionou,sil’onpréfère,parinadvertance,etrendusinutilisables.Voilà à quoi s’amusait M. Le Ministre d’État à l’Intérieur,quandilnes’occupaitpasdubagnedeTasmamartnotamment.Làs’arrêtèrentnosrelations.Souvent je me suis demandé comment un souverain tel queHassan II, grand politique, humaniste, avait pu favoriserl’élévationd’unpareilindividu.Ilyavaitentreeuxunsigranddécalage :d’uncôté, la finesse ;de l’autre, la rouerie,quecescaractèresparaissaientincompatibles.Unancienministremefitun jour cette confidence : « À force de baiser la main de SaMajestéchaquefoisqueleRois’adresseàluietderecevoirenremerciementunemontre,ceBasrivapouvoirs’établirdansunmagasin de joaillerie et y vendre sa royale collection ». C’estdirequ’iln’étaitpasdutoutapprécié.Par-delàlepersonnage–etilyauraitencorebeaucoupàdireàson sujet ! –, c’est à toute une politique sécuritaire queMohammedVIvoulutmettrefin.Etvite.

DeuxièmepartieL’artdelapolitique

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marocaine de lamonarchie a veillé et continue de veiller à cegrandetnoblemystère.Parmalheur, lesmalveillants veillent, eux aussi. Leur champd’action se résume à ce qui se voit. Or, les « techno-makhzéniens » se complaisent à caricaturer souvent leurappartenanceauCabinetRoyalparunsubtilmélangederéserve,de feinte modestie et de secret. Par-là, ils se reconnaissent.Quand je disais, outrant à peine le trait, que le Makhzen sesituaitàégaledistanceduVaticanetdel’Elysée!Voilàpourcequiestvisible!Restel’essentiel:sileCabinetRoyalcultiveladiscrétionàl’extrême,c’estparcequesonactionsesituedansletempsstratégique,quiestceluidelamonarchie,etnondansletempstactique,quiestceluidugouvernementetdel’exécutif.Entermessimples,celarevientàdirequelamonarchie,n’étantpassoumiseàélectionetdétenantletempslongdeladécision,entretient laMaisonMaroc, des fondations aux toitures, alorsque le gouvernement et l’exécutif dans son ensemble, étantsoumis à élection et se voyant contraints au temps court, sontchargésdel’approvisionnementetdubien-êtredeshabitantsdeladiteMaison.Enaccédantau trône,MohammedVIbouleversacetéquilibreséculaire. Ayant à cœur d’inscrire une partie de l’action duCabinet dans le calendrier de son règne, il en réorganisal’organigramme stratifié, revivifiant en quelque sorte l’adageselon lequel, au Maroc, « ce sont les hommes qui font lespostes,etnonl’inverse».Il faut bien voir que la réforme constitutionnelle de 2011 aredistribué de façon substantielle le pouvoir exécutif au profitdu gouvernement. Du coup, le Cabinet Royal vit sa secondegrande transformation. Renouvelé, il est mieux préparé à voirévoluersesmissions.Carsesconseillersontdésormaisàchargede veiller à ce que l’action royale puisse coexister avec la

dynamiquegouvernementale,sansquel’uneempiètesurl’autre,tout en assurant que soit respectée la cohérence des grandschantiers, si nécessaire au développement harmonieux duMaroc.Exercice périlleux ! Dorénavant, le Maroc avance en terreinconnue. Là où le Cabinet Royal disposait d’un énormepouvoir d’arbitrage, bien que la Constitution ne lui eût pasprévu de fonction exécutive, il lui est enjoint de se tenir à lapointe de la réflexion stratégique et de proposer au souverain,dansunrenouvellementincessant,despistesderéflexionetdesprojetsàmoyenterme.S’ilmefallaitrésumercequejen’hésitepasàappelerunerévolutiondepalais,jediraissimplementqu’ilrevient désormais auCabinetRoyal d’aider leRoi à « fixer lecap»,sansperdredevuelesobjectifsàcinqoudixans,dontlegouvernement risque parfois de se détourner à cause d’uneconjonctureprégnante.Maissescompétencesnesebornentpaslà.Saseconderaisond’êtreconsiste,sansqu’ellesoitavouée,àvérifieretàcontrôlerla«vision»queproposentdans leursconclusions lesgrandesstructures de conseil auxquelles le gouvernement fait appel etdont l’exécutif semblenepluspouvoir sepasser.Cela faitqueles « Mc Kinsey », « Boston Consulting Group », d’autresencoreetnondesmoindres,setrouventencompétitionavecuneinstance indépendante qui réunit des chercheurs et destechniciens,lesquelsontenpartagelamêmeambition:projeterune véritable vision d’avenir digne de leur patrie. Inutiled’ajouter que cette « compétition » n’est pas du goût de cesgrandes sociétés internationales de conseil, habituées qu’ellessontàvoirleursconclusions,livréesavecdeconséquentesnotesd’honoraires,prisespourargentcomptant,si j’osedire,par lespouvoirs publics. Les réactions sont identiques du côté decertains ministères, notamment sociaux, qui n’avaient pas

l’habitudequeleursprojetssoumisauRoifissentl’objetd’unecritiqueaussiminutieuse.

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l’irruptiondufanatismereligieux,votresavoir-faireseraobservéetméditédanslemondeentier».Inutile d’ajouter que mon ami à la foi profonde et joyeuse,comme il aime à la qualifier, s’est réjoui de voir que lesMarocains venaient de se réconcilier avec l’autremoitié de laCréationdivine.

ContrelacorruptionLors de mes nombreux voyages à travers le monde, il m’estarrivédedevoirglisserunbilletdansmonpasseport,àseulefinde faciliter mon passage en douane. Sans quoi, m’avait-onaverti,j’auraisàattendreplusquederaison.Cespratiquessontexécrables.Lesétrangerss’yprêtentvolontiers,parcequ’ilslesconsidèrentcommelemalendémiquedespayssous-développés.Jedoisavouerquejen’aijamaisacceptéqueleMarocfûtlivréàlacorruption.J’aitoujoursregardécepayscommeexemplaire.Me navraient ces histoires de policiers, de juges, de petitsmagistratsmonnayantlepeud’autoritédontilsétaientinvestis.Lorsqueje m’en ouvrais à Driss Basri, naïf que j’étais, j’étaisprofondément choqué par son sourire. À croire qu’il tenait cedélitpourunmalnécessaire,puisqu’ils’enaccommodait,pournepasdirequ’illefavorisait.D’année en année, le mal s’étendait. L’administration, lajustice, lapolice, tous lescorpsdel’Étatétaientgangrenés.Lapresse avait beau dénoncer les détournements de fonds et lesracketsadministratifs,rienn’yfaisait.DrissBasricontinuaitdesourire. Tout en prenant conscience de l’ampleur du fléau,puisqu’ils en étaient les victimes à peu près quotidiennes, lescitoyenssemontraientd’autantplusdésabusésque,endépitdesdiscours qui dénonçaient ces abus, ils se persuadaient queprévalaitunesorted’impunité.Énormedéfi,àlafoispernicieuxetsouterrain,lancéàMohammedVI!Àl’évidence,ilenconnaissaitlesobstacles.L’affaire ne datait pas d’hier. Non seulement la corruption,qu’ellefûtgrandeoupetite,faisaitsouffrirlesMarocains,mais

encoreellefreinaitlesréformeséconomiquesetpolitiques.S’ilvoulaitparveniràinitieretàmeneràbiensonprojettoutàfaitaudacieux, qui consistait à moderniser à marche forcéel’économie tout en réduisant les insupportables inégalitéssociales,illuifallaitmeneruncombatdetouslesinstants–uncombatquebeaucoupconsidéraientcommeimpossible.Soyonsjuste:depuisdesannées,lepouvoirs’enétaitprisauxdétournements de fonds et à diverses formes d’abus.Mais cesopérations, à la fois éparpillées et irrégulières, n’avaient paspermis d’obtenir des résultats. De là, bien sûr, ledésenchantementdescitoyens.En 1998, sous le gouvernement du socialiste AbderrahmaneYoussoufi, deux commissionsd’enquêteparlementaires avaientété constituées. En toute priorité, elles avaient mené desinvestigations dans deux grands établissements publics : laBanquedeCrédit ImmobilieretHôtelier (CIH)et laCaissedeSécurité sociale (CNSS), toutes deux suspectées d’avoirdétournédessommesconsidérables.La première commission parlementaire a fait preuve debeaucoup de patience. Ses membres ne comptent plus lesobstaclesdresséssurleurcheminpardesfonctionnairesvéreux.Au final, son rapport fut si accablant que le gouvernement adécidédeprésenterledossieràlajustice.Attention,champdemines!L’exécutifdevaitagirsansdonnerl’impressionqu’il se lançait dansune chasse aux sorcières, aurisquedeprovoquerdesoppositionsdansdenombreuxsecteurs.Ducoup,sidesresponsablesontétécondamnésàlaprison,despersonnages importants ont réussi à échapper aux mailles dufilet10.Ilestvraiqu’unpuissantréseauassociatifs’étaitdéveloppédèsles années quatre-vingt-dix. À côté de campagnes dedénonciation, il menait des actions de sensibilisation civique

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aussi, concerné, avec un programme de régionalisation quigarantiraitlapluralitédel’identitémarocaine23.Tellesétaientleslignesmaîtressesdecetteréformecapitale.Le Roi confia ensuite la refonte de la Constitution à uneCommission présidée par Abdellatif Menouni, unconstitutionalisterespecté.Aprèsuntravaildeplusieurssemaines,cetteCommissionlivraun nouveau texte qui fut soumis à référendum et adopté le1erjuillet.Je reviens ici sur ce que je notais il y a peu, lorsque jem’étonnaisquepersonnen’eûtsouligné,commeilsedevait, laconcordancequinecessaitdesemanifesterentrelavolontéderéformeaffirméeparMohammedVIetunejeunessedésireusedevoir le monde changer. J’y reviens, afin de rendre audible cedialoguesecretentreunpeuplejeuneetsonjeuneRoi.L’affaireme paraît assez unique en ce siècle. Par contraste, il faut sesouvenir de la cécité et de la surdité des régimes tunisien etégyptien,quandéclatèrent lesgrandescolèresdeleurjeunesse,avantque,par à-coups,des lambeauxdepouvoir fussent jetés,en pâtures dérisoires, à des jeunes regardés commedes chiensenragés.«JenesuispasunRoi,medisaitnaguèreHassanII,jesuisde l’êtrequipersévèredans l’êtremarocain».Telle est lagrandeur et la noblesse de lamonarchie alaouite. Grandeur etnoblesse faites d’humilité et de servitude. Ainsi va le ritemalékite,quifaçonnedepuisplusdemilleanslecœuretl’âmedesMarocains.Pour s’en convaincre, il suffit de considérer ledévouement, l’abnégation,et jusqu’auretirementquemanifesteMohammedVIdansl’exercicedesacharge.Voilàpourquoi,aulendemaindelamanifestationdu20février,laparoleduRoiasurassureretapaiser.Lesouverainchérifienn’est pas un homme politique : il ne fait pas des discours, ilparle;etsaparole,rareetsage,pèselourd,parcequ’elleserelie

defaçonmystérieuseàlafonctionsacerdotaleduCommandeurdesCroyants.Est-ceicilelieuetlemomentd’avancerunevéritébienoubliéedanslemondeactuel?Cettevéritéestd’ordrespirituel,mêmesielle touche à l’organisation quotidienne de la société. Ainsi,lorsque le peuple réclame des réformes, il proclame, sans lesnommer, des souffrances. « Vox populi, vox Dei », disait leMoyenAgechrétien.Ehoui,«lavoixdupeupleestlavoixdeDieu », puisque toute souffrance sociale est avant tout unesouffrancefaiteauxâmes.Envérité, iln’estd’histoirequedesâmes.C’estencelaquelamonarchiemarocaineestexemplaire.Lepeuplemarocainoccupeencemondeuneplaceunique.Lesplusextrémistesdumouvementdu20févrierontessayédemaintenir leur pression. Ils escomptaient une adhésionpopulaire. Mais les marches dominicales qu’ils organisaientressemblaientdeplus enplus àdeskermesses, si bienque lespropriétairesdecommercesetdeterrassessituéssurleparcoursdesdéfilésfaisaientdésormaisdebonnesaffaires.Descouples,accompagnés de leurs enfants, flânaient ici et là, côtoyant desbadauds et des vendeurs de confiserie, parmi des militantsacharnés à réclamer des réformes politiques et sociales.L’essoufflementduMouvementdevenaitévident.Lessortiesdudimanchesefaisaientirrégulières,et lesrangsdesmanifestantsplus clairsemés. En fin de compte, et, pourrait-on dire, endésespoir de cause, l’association islamiste Al Adl wal Ihsane(Justice et Bienfaisance), non reconnue mais tolérée, quifournissaitlegrosdestroupes,annonçasonretraitdéfinitifdesmanifestationsetduMouvementdu20février.Toutefois,ilfallaits’attendreàcequelefructueuxdialogueduRoiaveclajeunesseduMarocsuscitedeviolentesréactionsducôté des conservateurs. Le 28 avril, un nouvel attentat aussiterribleque stupideallait avoir lieu.Actionnéeàdistance,une

bombeexplosaitdansuncafédelacélèbreplaceJamaaEl-FnadeMarrakech.Lebilanfuttrèslourd:dix-septtués,touristespourlaplupart,parmi lesquels de nombreux Français. En ciblant ce café trèsfréquenté par les touristes, l’objectif des terroristes, dontl’auteurprincipalfutarrêtéquelquesjoursplustard,étaitclair:non seulement affaiblir le pays en le privant de la mannetouristique qui représente une importante source de revenus ;maisaussifairecapoterleprocessusdémocratiqueencours24.C’était sans compter sur la prodigieuse détermination desMarocains à surmonter les épreuves. Forces politiques etorganisationsdelasociétécivilefirentfrontcommun.Ducoup,les travaux destinés à la refonte de la Constitution se sontpoursuivis avec une ardeur redoublée. À tel point que, dès lelendemain du référendum du 1er juillet 2011, leMaroc offraitune image qui, pour contrastée qu’elle fût, était enviable parrapport à un environnement régional en ébullition.Et en effet,tandis que les Marocains venaient de se doter d’uneConstitution démocratique et qu’ils se préparaient à desélectionslégislativesanticipées,lecanontonnaitetdesrévoltesensanglantaientcertainspaysarabo-musulmansdelarégion.

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J’assistai ainsi, sous l’égide de la Tariqa Tijanyia, importanteconfrérie soufie qui s’étend sur leMaroc et le Sénégal, à unesortedeconsultationd’unConseilconstitutionnelinédit.Sans doute est-ce de cette mémorable soirée que date maconvictionqu’ilyaunMarocinvisible.Audemeurant,s’est-onassez avisé que les touristes eux-mêmes, si légers soient-ils,pressententdemanièreobscurequ’ilyaunMarocsecret?Àlesécouter relater leurspériples–enprincipe, le circuit classiquedes villes impériales – , il est aisé de percevoir, au timbre deleurs voix, une nostalgie dont ils ne sont pas toujoursconscients.Pardesmotstrèssimples:«Cefutunvoyagedansletemps»,ouencore:«LesMarocainsontsupréserverunartde vivre », ils traduisent des impressions, s’efforcentd’approcher unmystère, sans se rendre compte que le peuple,qu’ilsontvisitéetquilesaaccueillis,agardéaucœurcequileconstitue : la Révélation coranique, sans cesse relayée par lesystèmemonarchique,lui-mêmelégitiméparl’actuelledynastieSil’onprendunpeudehauteur, ilfautconvenirque,detouslespays arabes, y compris cettemalheureuseAlgériequi, sousprétexte de réécrire son histoire coloniale, ne parvient pas àréglersescomptesavecelle-même;ilfautconvenir,dis-je,queleMarocestlaseulenationarabo-musulmaneàoffriraumondeunvisageapaisé,unereligionapaisante,unsystèmepacifique.Aurisquedechagrinerdeshistoriensoccidentaux,quiontenhorreur ce qui relève du rêve, sinon de la légende, dansl’aventure des peuples, je considère que trois hommes ontcontribué, plus etmieux que quiconque, à forger l’identité duMaroc,sin’estsonunité.Lepremierd’entreeuxsenommeTarikleBerbère.Ilestliéàl’affaire d’Espagne qui appelle trois chapitres ; le second estHassan Al-Dakhil ; et le troisième n’est autre qu’Idriss. Troisdateslescaractérisent:HassanAl-DakhilarrivedansleTafilalet

en666,soiten1262ducalendriergrégorien;TarikleBerbèreabordeaurivageespagnolen711;enfin,Idrisss’installeàFèsen786.Avec eux trois prend forme ce que j’appelle « Le Marocinvisible»,dontlastructureorganiquereposesurunedevise:«Dieu,laPatrie,leRoi».Cestroisgrandsprincipesirriguentlasociétémarocaine et vivifient la sphère politique en ce que lesouverainreçoitdeDieusoninvestiture,puisque,selonledroitmusulman, Dieu seul étant souverain, le Roi n’est que sondélégué.Encelaaumoins,lamonarchiechérifienneressembleàs’y méprendre à la monarchie française, laquelle, étantchrétienne,sevoulaitdedroitdivin.DansuneétudepubliéedansLeMondedatédu27juillet2009et intitulée « Maroc, les arcanes du Sultanat », B. Étienneécrivait en particulier que Mohammed VI, descendant duProphèteMohammed,étaitconsidérécomme«Chérif».EtM.Etiennedepréciser :«LeRoiduMarocestmalik, leRoiquipossèdeetexercelecontrôle,maisilestaussisultan,l’autoritéquiexercelepouvoir,émir,chefsuprêmedesarmées,maisaussiamir al mouminine, commandeur des croyants, et amiralimouslimine, princedesmusulmans. Il est l’imam, chargédelaguidancedelacommunautémusulmane…»LelientrèsfortquiunitleRoiàsonpeupleetcelui-ciàcelui-là, je l’ai déjà dit, résulte de la Beia, acte d’allégeance quireposesuruneacceptationmutuelled’uneparfaiteégalitéentreleRoietlepeuple.Cetteégalité,est-ilnécessairedelepréciser? se nourrit autant d’une très vive spiritualité que de laconscienced’apparteniràunecommunautédedestin(rappelonsque la Beia est le serment par lequel les compagnons duProphète lui ont juré fidélité). Dans sonHistoire du Maroc,BernardLuganapportecetteprécision:«…celuiquimeurtsans

êtreliéparunsermentd’allégeanceàuneautoritélégitimemeurtenpaïen».Telle est, dessinée à grands traits, la monarchie du Marocactuel.A-t-ellebeaucoupchangéaufildutemps?Ceseraitunegraveerreur,mesemble-t-il,quedevouloiranalyser lesystèmemonarchiquechérifienenledétachantdesonpeupleet,paruneffetdialectique,enlesécularisant,commefontaujourd’huileshistoriens au sujet de la monarchie française. S’il y a une «exceptionmarocaine»,elle tientà laBeia, clédevoûtedecetadmirablemonumentquis’appellelacivilisationmarocaine.C’est à Dostoïevski, une fois encore, que je veux revenir aumoment de conclure cet Avant-Propos. Toujours dans Lesdémons, il écrit :«Aucunpeupleaumondene s’est forgé surunebasedescienceouderaison;iln’yajamaisd’exempledeça,toutauplusuninstant,ouparbêtise».Surquoi,ilenchaîne:«Lesocialisme,danssonessencemême,doitêtreunathéisme,car il a précisément proclamé, et dès la première ligne, qu’ils’établitsurl’athéismeetquesonintentionestdeseforgersurdesbasesscientifiquesetrationnellesexclusivement».Croirait-on que ces lignes datent de 1870 ? Elles sont d’uneexceptionnelleactualité.Poursuivons:«Laraisonetlasciencedanslaviedespeuples,toujours,maintenant,etdepuisledébutdes siècles, n’ont assumé qu’une fonction secondaire, unefonctiondeservice;etilenseraainsijusqu’àlafindestemps».Voilàquiestclair : la raisonet la sciencesontdesmoyens,etnon une fin. Seul l’orgueil des hommes en a fait une fin. Lerésultat, nous l’avons vu au XXe siècle, non seulement avec lamontée des idéologies – qu’il s’agisse du national-socialismeallemand ou du socialisme-national russe – ; mais aussi, lesespritsétantassujettisàcesidéologies,aveclaSecondeGuerremondiale et avec son cortège de morts, de suppliciés et demalheurs.RetournonsàDostoïevski :«Lespeuplessontcréés

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régnaitaumomentdespremiersessaisdecolonisationtentésparlesPhocéenslorsdelafondationdeMarseille.Hérodoteracontequ’il leurdonnade l’argentpourconstruire le rempartderrièrelequel Phocée défia pendant assez longtemps les Perses etCyrus…»Par-delà l’anecdote, Henri Hubert jette une lumière nouvellesur cette époque : « Tartessos était célèbre par ses minesd’argent ;Arganthonios est leRoi de l’argent.Si sonnomestibérique comme le nom même de Tartessos, on aurait unargument d’une grande portée, mais peut être unique, pourclasser les Ibères parmi les Indo-Européens. Toutefois c’estprécisémentlaformeceltiquedunomdel’argentquel’onpeutyreconnaître:arganto.–OuilyavaitdesCeltesàTartessos,oula légende phocéenne duRoi de l’argent estmêlée d’élémentsceltiques…On ne compte plus des exemples de cette sorte. Ils nousrenvoienttousàlaquestioncruciale:quellienexistait-ilentreles Celtes et les Berbères ? Selon JeanDescola, il sembleraitque les Juifs d’Espagne, excédés d’être persécutés par lapuissance wisigothique, eussent recherché l’alliance desBerbèresparl’intermédiairedeleurscoreligionnairesduMaroc.Ils se seraient même écriés : « À mort les Wisigoths ! QueviennentleslibérateursduSud!».Ce cri laisse entendredeuxvérités : la haineduWisigoth, etelle éclate tout au long de cette histoire ; et une connaissanceintimeduBerbère,commeilestàsupposerqueleJuifespagnoldevait connaître le Celte d’Ibérie. Malgré l’absence dedocumentsprécisàcesujet,celaparaîtévident.Etquediredelafuite à Rabat du Roi Achila en 710 ? N’est-elle pas le signemanifested’uneallianceétroiteentrelesdeuxrivagesdudétroitdeGibraltar?Ladistancequi lesséparen’estquedequatorzekilomètres. Il semble difficile de ne pas envisager que des

relationss’étaientnouéesaufildutempsdepartetd’autredescolonnes d’Hercule, non seulement entre Celtes et Berbères ;mais aussi, par l’effet de la continuité territoriale quel’administration romaine avait décrétée, entre la Bétique et laTingitane, ainsi que Plutarque l’affirme dans La vie deSertorius.Ce Sertorius eut à souffrir des dissensions politiques quiébranlaientlepouvoirdeRome.AprèslaguerredesCimbresetdes Teutons, il fut envoyé en Espagne en qualité de tribunmilitaire sous le commandement de Didius, et il passa l’hiverchezlesCeltibères.NoussommesaudébutdudeuxièmesiècleaprèsJésus-Christ.LaguerrequesefirentalorsSyllaetScipionledésespéra.Sestroupesétaientdémuniesetcommeilcraignaitde les voir se disperser, il traversa le détroit, eut la joie d’êtrebienaccueilliparlesMaurétaniens(anciennomdesMarocains)ets’opposaàAscalis,lequelavaitpartieliéeavecceSyllaqu’ilhaïssaitàproportionqu’ils’étaitalliéavecScipion.Apprenantsa présence en Ifriqiya, Sylla envoya au secours d’Ascalis uncertain Paccianus. « Sertorius lui livra bataille, le fit périr,s’attachasestroupesqu’ilavaitvaincuesetpritd’assautTingis,oùAscaliss’étaitréfugiéavecsesfrères».Cetémoignageappellequelquesremarques.Plutarquerapporteque, inquietdevoir lesBarbaresassaillir à cette époque-là lestroupesromainesaupointdelesdésorganiseretdelesempêcherd’obéiràleurgénéral,quiétaitMarius,Sertoriusavaitdécidédes’initier aumodedeviede ces farouchesCeltes.Ayant adoptéleurfaçondesevêtir, ilavaitappris lesmots lespluscourantsde leur langue et s’était mêlé à eux. Cet apprentissage, ôcombien moderne, devait lui rendre les plus grands servicesaussi bien en Espagne qu’en Maurétanie Tingitane. À telleenseigne que l’historien note que, Sertorius étant passé enAfrique pour se joindre aux ennemis d’Ascalis, « les

Maurétanienslevirentarriveravecplaisir».Cequidonneàentendrequ’iln’yavaitpas,àl’époquedumoins,degrandesdifférences de peuplement et de langue entre ceux qu’onappelait « lesCeltibères» et ceuxquePlutarquedénommait «lesBarbares».Ceux-ci sont devenus peu à peu des « Berbères ». Cetteappellationprovientdugrec«Barbaroï»etdulatin«Barbari»-l’unetl’autresignifiant«Étrangers»,mêmesi,aufildutempset des guerres, le sens original s’est chargé d’une tonaliténégative.Envérité,lesGrecsaussibienquelesRomainsn’ontjamais tenu l’« Étranger », en tant que tel, pour une menace.Simplement, le monde grec antique, puis l’Empire romain etenfinl’Empirebyzantin,quionteuàconnaîtredel’AfriqueduNord, n’ont cessé de considérer les populations autochtonescomme«étrangères»àleursadministrationsrespectives–sansoublier lesCarthaginois, qui ont ceinturé leMaroc, comme lerestedel’AfriqueduNord,decomptoirscommerciaux,telsqueMelilla,Tanger,Lixus,SaléouAnfa.DanssonHistoiredesArabesetdesBerbèresduMaghreb,IbnKhaldûn raconte qu’un certain Ifrîqus, ayant rencontré desBerbèresenIfrîqiyaets’étantétonnédeleurnombreetdeleurlangue, se serait exclamé : «Mâ aktbara barbaratukun ! » – «Quelparlerétrangeestlevôtre!»36.Commentaccepterquecetteexclamation, où il pouvait entrer autant de curiosité qued’ironie,eûtpufinirpardésignerunpeupleenparticulier?Celame paraît difficile à croire. C’est pourquoi je m’en tiens auglissementonomastiquede«Barbaroï»oude«Barbari»en«Berbères».Àmoinsqu’ilnefailleallerplusloinencore.Eteneffet, le latin conserveunmot : «Berber », dont le sens resteinconnu. Ce mot provient du Carmen arvale. Il date du VIIesiècle avant J.-C. et se trouve consigné dans le Corpusinscriptionumlatinarumdatéde1863.

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Cordouan, juif révélé par sa culture, écrit « en arabe autantqu’enhébreu»40.Commenttoutcelafut-ilpossible?C’estànepasycroire.Ilestvraique,auseulnomdereligion,lesespritsd’aujourd’huise crispent. Seraient-ils retournés au marcionisme ?Souhaiteraient-ilsdresser lesunscontre lesautres lesreligionsmonothéistes en ne voyant que ce qui les différencie ou lesopposeaudétrimentdecequ’ellesontencommun,ainsiquefitMarcion,quinecessad’opposerleDieudel’AncienTestament,fulminanttelunJupitertonans,auDieud’amourdesÉvangiles?Las ! Nombreux furent les Pères du second et du troisièmesiècleàécrirecontreMarcion,àcommencerparsaintIrénéeouTertullien. Rien n’y fit. À croire que c’est une constante del’esprithumaindes’enfermerdanssespréventions,sespréjugésetsesproprespeurs.Ainsienalla-t-ildeReccoredIer,Roiwisigothquirégnaentre586et601.Soucieuxdemettrefinauxquerellesincessantesquiaffectaient la paix civile espagnole, il décida d’abandonnerl’arianismeauprofitducatholicisme.Toutefois,iln’hésitapasàdéclarer à la stupéfaction de l’épiscopat réuni, en 589, àl’occasion du Concile de Tolède : « Il nous faut égalementconfesserl’EspritSaintetdiredeluiqu’ilprocèdeduPèreetduFils…»41Voilàquicontredisaitladoctrineofficielledel’Église,tantducôté de Constantinople que de Rome, depuis le Concile deNicée, - doctrine qui se traduisait ainsi : « Et in SpititumSanctum, Dominicum et vivicantem qui ex Pater per Filiumprocedit»-«(Jecrois)àl’EspritSaint,leMaître,leVivifiant,quiprocèdeduPèreparleFils».Aulieudequoi,enremplaçant«perFiliumprocedit»par«Filioqueprocedit»,Reccored Ierhissait le Fils presque à la hauteur du Père et se mettait en

contradiction avec tout l’enseignement que Jésus n’avait cessédeprodiguerdurantsaviepublique:«Quicroitenmoi,cen’estpas en moi qu’il croit, mais en Celui qui m’a envoyé (Jean,12,44),avantd’ajouter,afind’êtreenfinentendu,s’ilsepeut:«Carmoi,cen’estpasdemoi-mêmequej’aiparlé,maisc’estCeluiquim’aenvoyé,lePère,quim’acommandélui-mêmecequejedevaisdireetexprimer».Afin d’être entendu, disais-je, et c’est pourquoi il reprit avecune insistance douloureuse (toujours en Jean) : « Les parolesquejevousdis,cen’estpasdemoi-mêmequejelesdis;c’estlePèredemeurantenmoiquifaitsesœuvres».Lesmusulmansnepouvaientqu’acquiesceràce«perFilium»quifaisaitdeJésusl’Envoyé,«leVerbedeDieu»-telqu’ilestdit dans le Coran. Au moment de l’avance foudroyante desmusulmans au Proche-Orient, le malheur voulut que, parévêques interposés, les chrétiens d’Égypte et de Syrie seperdissentend’incessantesluttesthéologiques.Ainsi,MichelleSyrien, chrétien monophysite très hostile au Concile deChalcédoine, promulgué en 451, plus de deux sièclesauparavant,s’enprendàlaméchancetédesRomains,setournevers« leDieudesvengeances»et leremercied’avoir«amenédelarégionduSudlesfilsd’Ismaël,pournousdélivrerpareuxdes mains des Romains ». Deux hérésies s’opposaient : lesnestoriens, d’une part, qui soutenaient que Jésus-Christ étaitconstituédedeuxpersonnes,lapersonnedivineouLogosetunepersonnehumaine;lesariens,d’autrepart,quiprofessaientque,dansLaTrinité,leFilsn’étaitpasparfaitementégalauPère.À quoi bon, objectera-t-on, réveiller ici ces querellesbyzantines ? C’est que, hélas ! elles sont d’une grandeimportance,commeonvalevoir.Désormais,ilparaîtimpossibledecomprendrel’histoiredel’Europeoccidentalesanslesecoursde Byzance, de l’islam et de l’Asie, pour ne rien dire de

l’Afrique.Acontrario,ilenestdemêmedel’AfriqueduNord.Nosdestinsontétésisouventliés(pourlemeilleurcommepourlepire)quenoussommesinterdépendants.Envoiciunepreuvequi évoque demanière irrésistible le papillon qui, ayant battudesailesàWashington,déclencheunetempêteauxPhilippines.Lorsqu’il vint guerroyer au Nord de l’Espagne, Charlemagneétait soucieux de contenir la poussée arabe d’Espagne.C’étaiten 778. Comme l’écrit Arthur Kleinclausz, « Les Francs nevoyaient pas sans inquiétude les maudits Sarrazins dominertoute l’Afrique et lamajeurepartie de l’Asie».Lamenace luiparaissait d’autant plus grave que « l’unité politique de lapéninsuleibérique,compromiseparlalutteentrelesOmeyyadeset les Abbassides, avait été rétablie grâce à la création del’Emirat deCordoue et que, dans le bassin de l’Elbe, la forteplacedeSaragosseavecsesavancéesdeBarceloneetdeHuescaformaitunvastecampretranchécontrel’Aquitaine.»42Cela, tous les historiens le savent, tout comme la tragédie deRoncevaux, la mort de Roland, la trahison de Ganelon. Sanscompter ce mensonge d’État qui consiste à remplacer par desArabeslesBasquesdansLachansondeRoland,sousprétexteque lesBasques,bienqu’ilseussentattaquéetdécimé l’arméefranquedansledéfilédeRoncevaux,étaiententrésdanslegironfrançais depuis lors. Ce que l’on sait moins et qui entre enétroiterelationavectoutecettehistoire,c’estl’étonnantesurviede l’hérésie ibérique. Très pieux, Charlemagne voyait dansl’unitécatholique,affirméeparleConciledeNicéede325,uneforce politique considérable. Mû par une passion sans égaleenversleChrist,soucieuxdelafairepartageràl’ensembledelachrétienté, il reprit à son compte le « Filioque » qu’il avaitdécouvertlorsdesaguerred’Espagne.Pour comprendre les raisons qui poussèrent Charlemagne àadopterle«Filioqueprocedit»wisigothique,ilfautsesouvenir

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HocsignovincesAumot de «miracle », l’Evangéliste Jean a toujours préférécelui de « signe », moins contraignant, moins théologique.Quandilenvoieicioulàtelpersonnageouqu’Ilfavoriseicioulàtelleaction,Dieufait«signe».Pourpeuque,délaissantnosorgueilleusescertitudes,noussoyonsattentifsàces«signes»,nous découvrons le sens secret de l’Histoire, le sens sacré denotreHistoire.Dans sa préface à l’Histoire des origines du christianisme,Ernest Renan nous en avertit : «Malheur aussi à la raison lejouroùelleétoufferaitlareligion!».Aprèscettemiseengardesolennelle, il écrit : « Notre planète, croyez-moi, travaille àquelque œuvre profonde ». N’entend-on pas comme un écholointain des admonestations de Dostoïevski ? Poursuivons : «Nevousprononcezpastémérairementsurl’inutilitédetelleoutelledesesparties;neditespasqu’ilfautsupprimercerouagequi ne fait en apparence que contrarier le jeu des autres. Lanaturequiadouél’animald’uninstinctinfaillible,n’amisdansl’humanité rien de trompeur. De ses organes vous pouvezhardiment conclure sa destinée.EstDeus in nobis – Il y a unDieuennous(Ovide,Fastes,VI,5)».Est-ce assez clair ? Qui ose contredire ces lignes ? Lesmassacres,lesdéportations,lesmillionsetlesmillionsdemortsduXXesièclenesont-ilspasdespreuvessuffisantes?Toutecettehorreurfut-elleimputableauxreligionsouàl’orgueildémesurédes hommes ? Cet orgueil-là, les anciens Grecs l’appelaientl’Hubris. Quant aux religions proprement dites, voici ce queRenan en écrit dans le même texte : « Fausses quand ellesessaient de prouver l’infini, de le déterminer, de l’incarner, sij’osedire, les religionssontvraiesquandelles l’affirment.Les

plus graves erreurs qu’ellesmêlent à cette affirmation ne sontrien comparées au prix de la vérité qu’elles proclament. Ledernierdessimples,pourvuqu’ilpratiqueleculteducœur,estpluséclairésurlaréalitédeschosesquelamatérialitéquicroittoutexpliquerparlehasardetlefini».C’estdirequerienneseproduitparhasard.Ainsi,leMarocenses obscures naissances a été privilégié par la survenue deHassan Al-Dakhil, de Tarik et d’Idriss Ier, trois « signes »majeursqui l’ontdésignépourêtreuneterred’élection.Àleurpropos,etdemanièreincidente,j’aidéjàévoquélavictoiretrèsétrange du Pont Milvius et la non moins étrange bataille deTolbiac.Je tiens à y revenir, non pour établir un parallèle entre lemonde musulman et le monde chrétien, ce qui risquerait deprovoquer de vaines polémiques ; mais pour montrer que lesactionsdivinesn’arrêtentpasdeseproduireaulongdessiècles,de sedévelopperavec lenteur etd’interroger la consciencedeshommes, à quelque religion qu’ils appartiennent, selon unprincipe germinatif qui emprunte nombre de ses lois à labotanique.Onsaitqueladuréedupouvoirgerminatifvaried’uneespèceàl’autre.Onsaitaussique,pourparveniràgermer,lagrainedoitêtremûre,bienconstituée,etqu’elledoitrecevoirdel’extérieureau et oxygène en quantités suffisantes. Il arrive que, chez denombreusesespèces,lagraine,apparemmentmûre,resteàl’étatde dormance.Ainsi en va-t-il de ces « signes » dont le départsemble insignifiant aux yeux des historiens et dont lesconséquencessontconsidérablesautermed’unelenteetlonguegermination. Las ! L’historiographie contemporaine, secantonnantauxseulsfaits,seprived’unedimensionexégétiquepropre à donner un sens à ce qui semble en être dénué. Ellecompense cet absurde en essayant d’ordonner entre eux des

événements disparates. Rien n’est plus arbitraire. Mais noussavonsquel’absurde,réduitàsonschéma,n’estriend’autrequela supposée absence de Dieu dans les actions humaines –absencedécrétéeparleshommesetdontlameilleureillustrationlittéraire se trouve dans la comparaison de l’Antigone deSophocle avec l’Antigone de JeanAnouilh. Pour composer sapièce, ce dernier s’est borné à se démarquer de Sophocle ensupprimanttouteréférenceauxdieuxetaux«loisnonécrites».Ducoup,privédel’essentiel,lemondedevientabsurde.Orlemondedemandedeplusenplusàêtreréenchanté.Par un de ces paradoxes dont il a le secret, leMaroc nous enoffrelapromesse.Noncontentd’avoirgardélafoidesespères,cequiestprimordial–queseraiteneffetunmaçonprivédesonfil à plomb ? –, il propose à notre méditation l’exemple deHassan Al-Dakhil, dont la postérité, vouée à une très longuegermination, donna ses plus beaux fruits avec l’apparition auXVIIe siècle de l’actuelle dynastie alaouite. Sur quoi, Tarik leBerbère, en se lançant dans l’expédition d’Espagne, ignoraitqu’il contraindrait les Arabes à se faire aux grandes lois del’égalité. Pour parachever le tout, Idriss Ier légua post mortemauxgénérationsàvenirunfilsquirédigea,pourlavilledeFès,une prière qui influa le peuple marocain par ondesconcentriques, comme il arrive lorsqu’on jette un galet dansl’eaucalmed’un lac.Sous l’effetduchoc,cetteeau frissonne,onduleet,de ronden rond, s’agite.Puis tout semble retourneraucalmeinitial,àceciprèsquel’âmegardeàjamaismémoiredecequil’atroublée.Troublés, comment ne le serions-nous pas aussi, nous lesEuropéens,àlasimpleévocationdelavictoiretrèsétrangequeremportal’empereurConstantinauPontMilviusàlasuited’une«vision»quientraînadesconséquencesimprévisibles?

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EnvuecavalièreLorsquejem’efforçais,cahin-caha,dedégagerdel’Histoireetdelalégendelesoriginesdupeuplementberbère,j’avaispromisd’apporter, à l’appui de ma thèse en faveur d’une possibleceltitude,deuxtémoignages.Ilesttempsdeleslivrer.Chargé parHassan II de le représenter à une visite d’État enIrlande,MahjoubiAherdan, alorsministre desArmées, simessouvenirs sont exacts, me raconta ce qu’il advint à la fin dutroisième jour d’une réception inoubliable. Soucieux d’êtreagréables à leur hôte, les autorités deDublin lui demandèrents’il aurait un souhait à formuler. Aherdan, qui était poète etpeintrepardelàsesoptionspolitiques, réponditqu’ilétait trèssensibleàlamusiquedeslanguesetqu’ilseraittrèsheureuxdedécouvrir lesbeautésmusicalesde l’ancienne langue celte.Ons’empressa de lui présenter un professeur de gaélique, lequelrécita à son intention quelques pages d’une épopée irlandaise.Bouleverséparcequ’ilvenaitd’entendre,Aherdanfitconnaîtreenamazighsajoieetsonémerveillement,puisécoutalaréponsequeformulaengaéliquesoninterlocuteur.Bref,cefutseulementaprès un longmoment que les deux hommes s’aperçurent quechacuns’étaitexprimédanssaproprelangue, l’unenamazigh,l’autreengaélique,etqu’ilss’étaientfortbiencompris.Àcetémoignagesurprenant,jevoudraisenajouteruneautre:comme j’assistais aux fêtes de l’Indépendance de l’enclaved’Ifni,jefusbouleverséparlechantqu’entonnèrentdesjeunesfillesdel’Atlas. Il s’agissait, tout bonnement, d’une ballade irlandaise.Àl’époque, j’ignorais l’aventure linguistique d’Aherdan. Je fisdonc part de mon étonnement au gouverneur. Il m’apprit que

cettechansonsetrouvaitdanslefolkloreberbèredepuislanuitdestemps.Je me garderais bien de conclure dans un sens ou dans unautre.Je formesimplement levœuque, la langueberbèreétantdésormais enseignée auMaroc aumême titre que l’arabe, desétudes sérieuses soient entreprises très vite sur ses originesceltiques. J’y suis d’autant plus attaché que le premierpeuplementdesGaulesfutcomposédeCeltesetquejenecessed’affirmeruneressemblancesecrèteetmystiqueentreMarocainsetFrançais.Encoreunmotàcesujet.LegrandLouisMassignonrelançaauVieux-Marché,enBretagne,unpèlerinageenmémoiredesSeptDormants d’Ephèse. La particularité de ce pèlerinage était deréunirdesmusulmansetdeschrétiens.Onconnaîtl’histoiremiraculeusedecesjeunesgensquerelateJacques de Voragine dans sa Légende dorée et qu’évoque leCorandanssadix-huitièmesourate,dite«LaCaverne».Ainsi sont les Berbères, socle granitique de la populationmarocaine. Ils se qualifient d’« Imazighen », c’est-à-dire d’«hommeslibres».Etlibres,ilslesontparfidélitéàeux-mêmes.Me frappe, à cet égard, ce queBernardLugan relate dans sonHistoire du Maroc. La conquête arabe conduisit à unearabisation cultuelle, sinon culturelle, des Berbères, puisqueceux-ci, s’étant convertis à l’islam, eurent obligation deprononcer dans la langue arabe les phrases fondamentales quiconsacraient leuradhésionà lanouvelle religion».EtBernardLugan d’ajouter : « Mais, alors qu’ils avaient acceptél’islamisation, les Berbères marocains se soulevèrent avecviolence contre la présence arabe et cela, paradoxalement, aunomdel’islametsansjamaisremettreenquestionleurnouvellereligion»45.

Peut-être la clé de ce paradoxe se trouve-t-elle, en fin decompte, dans la révolte kharijite. Nous avons vu qu’elle futdirigée contre une dynastie arabe du Moyen Orient, lesOmeyyades.Souvenons-nousquecesdernierstraitaientmallesBerbères. Ils enlevaient leurs filleset leurs femmes,ainsiqu’ilressort dumémorandum remis augouverneurHichambenAbdal-Malik par une délégation berbère emmenée par le RifainMaysara.Maisilyaplus:selonH.Monès,cetterévolte,mêmesi elle dénonçait des injustices, aurait eu d’autres causes, plusimportantes (dumoins auMaghreb en général et auMaroc enparticulier) : « Le soulèvement général contre les Omeyyades(…)n’apasétéunsoulèvementdesBerbèrescontrelesArabes,destiné à chasser ceux-ci duMaghreb,mais plutôt une révoltemusulmanecontrel’administrationomeyyade»46.Ici se pose unequestion : quelle utilité y a-t-il à remonter sihautdansl’HistoireduMarocetàrevenirsurunévénementdéjàrelaté?Laréponsetientavanttoutàl’anthropologie.Eteneffet,demêmequelespremiersactesposésparunhommedéfinissentson caractère et engagent son avenir, de même les premièresmanifestationsd’unpeuplevontentraîner,au fildu temps,desconséquences qui, jointes ou enchaînées les unes aux autres,nourrissentsonHistoire.Ensomme,unpeupleestréductibleàunhomme.OrletraitquicaractériselemieuxlesBerbères,c’estunegrandeexigenced’égalitéetde justice– l’unen’allantpassans l’autre, au demeurant. D’un strict point de vue social, etnoussavonsqueleCoranestàlafoisuncodeciviletunlivredeRévélation,ilsontretenudel’islamqu’unmusulmanétaitl’égald’un autre et que toute discrimination allait à l’encontre del’enseignement du Prophète. De là à proclamer que lesOmeyyadesétaientdemauvaismusulmans,parcequ’ilsusaientetabusaientdesnouveauxconvertis,iln’yaqu’unpas.

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« Je n’entends ni les apprécier ni les critiquer. Mais ellesdifférent totalement de celles que, pendant toute ma carrièrecoloniale, et particulièrement au Maroc, j’ai toujourspréconisées et appliquées. A tort ou à raison, je n’ai pasconfiance dans leur efficacité. Je les crois lourdes, lentes etinadaptéesaupays…»Legouvernementfrançaisn’avaitrientrouvédemieuxquede confier aumaréchal Pétain le soin de réprimer la rébellionrifaine.DansAuprèsdeLyautey,paruen1943,Wladimird’Ormesson,l’amidetoujours,conscientquecettemissionmarocainefutentous points hors norme, en écrit : « Je n’irai pas jusqu’àprétendre qu’en créant ce qu’il a créé, il ne pensait pas aurayonnementdelaFrance,auprestigequecetteœuvrevaudraitàlaFrance;maisjeprétends,etmêmej’affirmequeLyauteyafaitleMarocnonpourlaFrance,maispourleMaroc».

LeRoichevalierEtvoiciqu’apparaîtlasecondechanceduMaroc,seloncequem’enaditHassanII.Etquellechance!Etparquelscheminsdetraverseelles’estmanifestée.C’estàn’ypascroire.Àsamortsurvenueennovembre1927,MoulayYousseflaissaitquatrefils:Hassan,Idriss,AbdeslametMohammed.Aussitôtseposalaquestiondesavoirlequeld’entreeuxluisuccéderait.En poste à Rabat depuis deux ans en qualité de Résidentgénéral, Théodore Steeg s’interrogeait. Prenant exemple surl’Algérie,il rêvait d’éteindre la dynastie alaouite, afin de faire toute saplaceàl’Administrationfrançaise.Cequ’onluidisaitdesdeuxaînés,HassanetIdriss,neluiconvenaitenrien.D’uncaractèreentier,cesdeux-làneluiauraientcrééquedesdifficultés.AinsipensaitM.LeRésidentgénéral,peu soucieuxdeceMarocqu’avait sibien servi le maréchal Lyautey. Il est vrai qu’il avait eu leredoutable honneur de le remplacer. Peu lui importait depoursuivre son œuvre, ni même qu’elle se perpétuât. En bonrépublicain,il se devait de laisser samarque.Au diable la constance dansl’effort,lafidélitéjurée,laparoledonnée!J’aidéjànotéqueDieuécritdroitavecdeslignescourbesEnvoilàunenouvellepreuve:surlesconseilsd’UrbainBlanc,déléguégénéral,quiluireprésentaqu’aucunerèglesuccessoralene régissait la dynastie chérifienne, il en conclut qu’il fallaitoublierledroitdeprimogéniture.ThéodoreSteegconvintquelemeilleur choix qu’il avait à faire était de se porter sur le plusjeune des quatre fils. Sidi Mohammed, qui, à ce qu’on lui

rapportait,semontraittimideetpieux.Desurcroît,iln’avaitqueseize ans. Tout donnait à penser qu’il serait d’un commerceaccommodant. Sitôt dit, sitôt fait : leMakhzen, informéde cechoix,n’yvitquedesavantagespourdesraisonsassezprochesdecellesdelaRésidence.C’estainsiqueSidiMohammedbenYoussefmontasurletrônele18novembre1927.Pauvre jeuneSultan!Sonenfanceetsonadolescenceavaientété des plus tristes. Confiné dans les vieux palais désertés deFès ou de Meknès, seulement entouré de femmes, son pères’étantinstalléà Rabat, où l’avait suivi l’administration marocaine, il n’avaitd’autre compagnie que son précepteur, SiMammeri, d’illustremémoire.Parunesortederaccourcidontl’espritestsouventcoutumier,jenepeuxm’empêcherdevoir enSiMammeri ledouble, quedis-je ! l’exact reflet deRachid, l’affranchi qui accompagna leRoiIdrissà Fès et qui, à la mort de celui-ci, assura l’installation de ladynastie Idrisside. SiMammeri, en effet, fut un guide sûr, unprécepteur dévoué, une âme sincère, auprès de qui le jeuneprinceappritl’arabe,dequiilreçutunenseignementreligieuxetàquiildutsaconnaissancedufrançais.Àcetégard,metoucheenparticulierunephotographie :vêtuducostume traditionnel,leSultanMohammedbenYoussefestassiset tient lamaindeMoulay Hassan, alors âgé de deux ou trois ans. Derrière lui,telleuneombre,SiMammerise tientdebout.Autant leSultans’offredeface,autantSiMammeriapparaîtdetrois-quarts.Lesvisagesdecesdeuxhommesméritentqu’ons’yattarde:gravitéet réflexionchez leSultanendépitde sa jeunesse,douceur etattentionchezSiMammeri.Ilselitbeaucoupdebontéchezl’uncommechezl’autre.Onlessentenparfaitaccord.

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«Cevéritablepèlerinageauxsources…»

Autant j’avais suivide loin ladépositiondeSidiMohammedben Youssef, sa déportation àMadagascar, son exil, puis sonretour et son accession au trône chérifien, après qu’il eutrecouvrélapleineetentièreindépendancedesonpays,enquoiilconvientdevoirlepremierphénomènemajeurquicaractériseleMaroccontemporain ;autant ledestinvoulutque jevivedeprès ce qui passe aux yeux du monde pour un secondphénomènemajeur:lareconquêteduSaharaoccidental.Tout a commencé au moment où s’achevait la rédaction duDéfi.D’ordinairesifeutré,sisilencieux,si«recueilli»,oserais-jeécrire,lePalaisRoyalsemitàbruirederumeursinattendues.Quelque confiance que j’eusse nourri envers mes relationsquotidiennes,jamaisjenemeseraisrisquéàlesinterrogersurcequimeparaissaitconstitueruntournantdurègne.Déjà, j’avaiséprouvé les plus extrêmes difficultés à inviter le souverain às’exprimerausujetdesdeuxattentatsdontilavaitétélacible,jugeant–peut-êtreà tort !–quecesquestions-là relevaientdel’intime, soit que ces actes de violences meurtrières risquentd’éveiller, à être seulement évoqués, des ressentiments ou, pis,des chagrins, soit qu’ils fassent apparaître des défaillances oudesmanquements.JeportaisàlapersonnedeHassanIIuntropgrandrespectpouroserlepousserdanssesretranchements.Delà, l’idée que je me formais de ma présence au sein de cetappareild’État.Enaucune façon, lamoindre interrogationquej’eusse été amené à formuler ne devait être tenue pour unecuriosité déplacée ou, plus simplement, pour un manque deretenue. À moi de me rendre digne de l’accueil qui m’étaitréservé!

À présent queLeDéfi prenait sa forme définitive, il m’étaitloisible de constater que ce livre, divisé en trois parties,répondaitàuneprofondelogiqueoùlesévénementshistoriquestraduisaient les grandsmouvements dupeuplemarocain : si leLivrepremier,s’étantouvertsur«leProtectorat»,seterminaitparunchapitreconsacréà«lanationmarocaine»;si leLivresecond,prenantappuisur«l’espritdelaConstitution»,mettaitenavantlesproblèmeslesplusurgentsqu’ilconvenaitderégler,comme«lesfrontières»,«lepeupleetlaterre»,«l’éducation»ouencore«l’habitatdugrand nombre », le Livre troisième conduisait de manièrenaturelleàlapersonneduRoi,nonseulementpourendéfinir«lemétier»,maisaussipourenexplorer«lesrisques».Entroisactes,ainsiquel’exigetoutetragédie,unehistoire,unpeuple,unRoi,souslalumièredelaRévélation,semontraienticidansleurvérité.Depageenpage,eneffet,jevoyaisnaîtreets’affirmer une dynamique qui portait le beau nom de «reconquête»,qu’ils’agîtd’exalterl’indépendancedelanation,de revendiquer lamaîtrise de l’action politique ou de célébrerles vertus de l’honneur retrouvé. En un mot, les Marocainsétaientenquêted’eux-mêmesaprèslalonguecésureinfligéeparleProtectorat.Etait-celàtout?Ils’enfallaitdebeaucoup.Danscepalaisauxparfums d’encens, aux jardins lumineux, aux nymphées oùdansaientdesjetsd’eau,lesconversationstournaientdésormaisautour de la Cour Internationale de Justice de La Haye, del’arbitragedemandéparleRoyaumechérifienausujetduSaharaoccidental, indûment occupé par l’Espagne, afin qu’il fûtreconnu que, loin d’être « terra nullius » au moment de sacolonisation, « il existait entre le Sahara et le Royaume duMaroc des liens juridiques et d’allégeance ». Entre deuxdiscussions sur le bien-fondé de l’argumentation, survenait,

ombre tutélaire, Moulay Ismaïl, dont il était attesté qu’ildescendit jusqu’aufleuveSénégalen1679.N’avait-ilpasainsitraversésespropres terres?QuandàMoulayHassan, il s’étaitlancédanslespasdesonancêtreen1882eten1886.Venaientalorsensoutienlestraitésinternationaux,lesunspassésaveclaGrande-Bretagneen1895,lesautresavecl’Allemagneen1911.Tousreconnaissaientlasouverainetémarocainesurcesrégions.AhmedBensouda, alorsministre directeur duCabinetRoyal,allaitm’éclairer enme guidant sur ces étranges chemins où lapolitiquelaplusimmédiatenelaissaitpasdecôtoyerl’Histoire.Jel’avaisrencontréàSkhirat,oùilfutchargédesigner,aunomde Hassan II, le contrat d’édition concernant Le Défi. Uneconfiancenaturelleétaitnéeentrenous,sanscessefortifiéeparnosnombreusesrencontres.Affable, souriant, l’embonpointgénéreux, il respirait labontéet l’aménité. Je me convainquais que la sympathie qu’ildégageaitdevaitconcouriràsessuccès.Àcetteépoque-là-nousétionsenseptembre1975-, ilserendaitsouventauxCanaries,ces îles devenues espagnoles en 1479, où il avait ses relais.Francon’enavait-ilpasétébanniaprès l’éphémèrevictoireduFrontpopulaireaudébutde1936?LeterrainétaitdoncpropiceàdesententesavecleMaroc.LesCortèscanariensvotèrent,lestout premiers, en faveur du retour du Sahara auMaroc. Cettebrècheouverte,à supposer que cette expression appartienne au vocabulairediplomatique,levoiciàMadrid,oùilrenditvisiteplusieursfoisau général Franco, alors très malade. Le temps pressait. Lesforcesdugénéralissimedéclinaient.AhmedBesoudaavaitunartconsommédurécit.Quandilétaitprisparsonsujet,ildevenaitsipersuasif,si«visuel»enses descriptions, que je cessais de l’écouter et me contentaisd’imaginer les scènes qu’il avait vécues. Jeme représentais le

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d’autobiographiefoudroyée.Deséclairszèbrentlanuitdesjoursenfuis, éclairant ici un visage, là une rencontre, là encore unelecture. À chacun d’eux, le Maroc m’est apparu, tour à tourchaleureux et invisible – aube et accomplissement de laPromesse.Réuniesdanscequ’ilfautappelermonhistoirelégendaire,cesfulgurancesm’apprennentqueleMarocs’estimposéàmoiavecune belle évidence. D’où provenait, en effet, la passion que,adolescent,jemisàlireetàrelireLesnourrituresterrestresdeGideNoces d’Albert Camus ? De quel lieu secret et mystérieuxj’entendis l’appel, par ces auteurs et par tant d’autres, del’AfriqueduNord,oùaucunmembredemafamillen’avaitportésespas?Quelsrêvesmerévélaient-ilsdespansentiersdemescuriositésnaissantes?Désirs?Nostalgies?Dequoidoncétaitfaitelatramedemesjoursetdemesnuits?

LadamesousuneombrelleblancheDu solarium où j’étais tenu de faire la sieste afin de soignermes ganglions et de guérir une toux sèche dont les quintesrépétées me laissaient tremblant et étourdi, je pouvais la voir.Elles’abritaitdusoleilde l’étésousuneombrelleblanchequireposait sur son épaule gauche et qu’elle faisait tourner avecdouceur.J’avaiscinqans.Lafièvrenemelâchaitpas,surtoutaucoucherdusoleil.Àcôtédemoitoussaitunenfantdemonâge.Ilétaitaussibrunquesamère.Ettoutbouclé.Commeelle.Parfois,malgrélachaleur,ilétait pris de tremblement. Il claquait des dents. Des larmesmontaient à ses yeux. Il se prénommaitRachid. «Undrôle deprénom!»,s’exclamaitlespetitsmaladesquinousentouraient.Jenevoyaispascequ’ilavaitdedrôle,ceprénom.Ilmeplaisaitbien,parcequejem’entendaisbienavecRachid.Noshistoiresseressemblaient.Sonpèreetsamères’étaientséparés.Ilsavaientbeaucoupcriéjusqu’au silence. Là, son père avait disparu. Les larmes de samère avaient remplacé ses cris. Et lui, Rachid, il était tombémalade.Nilarmes,nicris;maisdelafièvre,desganglions,desquintesde toux et, pour finir, le Boccage, à Villard-de-Lans, où ilm’avaitrejoint.Sa mère venait tous les deux mois. Un long voyage. Ellearrivaitd’unpayslointain.Silointainquejeneparvenaispasàl’imaginer.Elleavaitbeaume ledécrire, rienn’y faisait.C’estpourquoi elle m’a apporté des cartes postales. Leurs couleursdonnaientuneimpressionirréelle:Leverttiraitverslebleu,lejauneversl’orange.Ilyavaitdespalmiersbleusetdessablesunpeurouges.PendantqueRachiddormaitlaboucheentrouverte,

ces cartes postales glissaient entre mes doigts, m’offrant unevilletouteblanche,de larges avenues complantées de palmiers, unemer violette àforce d’être bleue et des gens habillés de façon étonnante. LarespirationdeRachidétaitsifflante.Ildevaitavoirdelafièvre.Moi, ilme tardait que la sieste prît fin. J’avais hâte de courirverssamèreetdemejeterdanssesbras.Sapeauétaitd’uneraredouceur. Je caressais ses mains, ses avant-bras. Je disais : «Doux ! Si doux ! » Elle riait. « Doux comme de la soie ? »,demanda-t-elle. C’est à elle, à cette femme si brune sous uneombrelleblanche,quejedois,aujourd’huiencore,d’associerlajoieetlasoiejusqu’àlesconfondreparfois.Lasonneriearetenti.J’aicouru,lescartespostalesàlamain.Ellem’attendait.Quandjesuisarrivédevantelle,essoufflé,elles’estinquiétéedeRachid.Moncœurs’estserré.Jevoulaistantl’avoir pourmoi seul, fût-ceun instant.C’est quemamèrenevenait pasmevoir.Depuisque j’étais auBoccage, ellen’avaitfait qu’unecourte apparition.Ellenem’envoyait pasde cartespostales du lieu où elle vivait désormais. Mon père, lui,s’arrangeaitàmefairevisite,aumoinstouslesdeuxmois.Jemesouviens qu’il était arrivé par temps de neige. Il se plaignaitd’avoirfroidauxpiedsenmontrant lessemellestrouéesdesessouliers.Jevoyaiscelaetj’avaisbeaucoupdechagrin.Peut-êtrema mère ne venait-elle pas plus souvent à cause de seschaussures.Enfin,Fatimam’ouvritsesbras.Jem’yglissai.J’aientenduune touxsèche.Rachidarrivaità son tour.Nousnoussommesassissurunbancdebois,elleentrenousdeux.Elleadécouvert que je serrais contremoi ses cartes postales.C’étaitmontrésor.Nonseulementparcequ’ellesm’avaientétéoffertesparFatima,mais encoreparcequ’elles représentaient unevilleoùvivaitlabelledame.

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deSalomon.Bref,cequicommençaitdansl’incompréhensionetsepoursuivaitdansdesvociférations,s’achevaitleplussouventdansunéclatderire.Comme j’avais l’ouïe fine,habituéque j’étais à interpréter lemoindrehaussementdetonafindeprévoirlesoragesfamiliauxet surtout les changements d’humeur dont ma mère étaitcoutumière,ilm’avaitsembléqu’auseulnomduMarocellenerestait pas insensible. C’était une nouveauté. Je gardais enmémoirequ’ellem’avaitinterditd’évoquerladameàl’ombrelleblanche dont je dus me convaincre plus tard qu’elle avait étéjalouse.Etvoilàque,posantsonindexsurlacarte,ellesuivaitlesavancéesaméricainesavecunesortedebonheur.-QuoideneufsurleMaroc?demandait-elleparfois,leregardlointain.-Ah,toi!s’exclamaitmonbeau-père.Au détour d’un de leurs échanges en demi-teintes, j’apprisqu’il soupçonnait ma mère d’avoir du sang arabe. Sonraisonnementétaitfortsimple:mamèreétantnéeàNarbonneetappartenant à une très ancienne famille de la ville, il y avaitbeaucoupàparierqu’unedeses lointainesancêtreseûtconnu,au temps du royaume arabe de Narbonne, un fier chevaliermusulman.Quen’avait-ilpasditlà?Elleletraitade«démentimaginatif».Ilpritlepartid’enrire.Commel’Histoiren’avaitaucunsecretpourlui, ilseplutàluirappeler,pourfairebonnemesure,queNarbonneaccueillit,bienavantquenes’y imposât laprésencearabe, le siège de l’exarchat juif d’Occident. Elle se borna àouvrirdegrandsyeuxdansunmouvementdefeinteinnocence.Latêtemetournait.Sur quoi, benoît comme un chanoine, il contesta d’une voixdouce jusqu’à l’expression : « royaume arabe deNarbonne ».Quels étaient donc ces Arabes et d’où venaient-ils ? se

demandait-il, puisque les conquérants de l’Espagne furent desBerbères.D’unlargegestedelamain,illesdisaitfortsdeseptmille hommes, conduit par Tarik. Ce chiffre suffisait-il àjustifierqu’ilssefussentemparésdelapéninsuleibériquesanscombattre?Iln’encroyaitrien.Laclédecemystère,l’Histoirelaluiavaitfournie.Plein de son sujet, les yeuxmi-clos, une esquisse de sourireauxlèvres,ilétaitlointoutàcoup.IlévoquaitAchila,leRoideTolède,quiavaitétédépossédéparRodrigue,leducdeBétique,etquis’étaitenfuiauMarocen710.Unanplustard–ilrépétait:unanplustard-,Tariksurvenaitavecsestroupes.Noncontentdel’emportersurRodrigue,ilvoyaitlesvilless’ouvrirdevantluiuneàune.Ilcessadesourire.Ilsepréparait,luile«démentimaginatif»,à porter l’estocade. Se penchant soudain vers ma mère, il luisusurra:«Nepenses-tupasquelesBerbèresvenusduMarocétaientlescousinsdesCeltesquipeuplaientalorsl’Espagne–qu’ils’agîtdes Celtibères ou des Ibéro-Maurussiens ? Voilà quiexpliqueraitl’absencedecombats…-Tum’ennuiesavectesquestions.»Réponsebienféminine,toutedelassitudeetdedéfaite.Plusquetout,j’aimaisvoirsedéployerlesavoirdemonbeau-père,mêmesijenecomprenaispastoutcequ’ilexprimait.Celam’aidait à mieux le connaître. Ma mère l’appelait « monencyclopédie».Envérité,savieétaitlefruitdelongueslecturesetdefiévreusesinterrogations.«Onneprêchequed’exemple»aimait-il à affirmer.Ce qu’il y avait d’exemplaire en lui, c’estqu’ilétaitnéàQuissac,unvillageduGard,qu’ilétaitunfilsdel’ÉgliseRéforméedeFranceetqu’ilavaittraversé,paratavisme,touteslesguerresdereligionquiaffectèrentsaterre,desariensetdescatholiquesjusqu’auxmusulmansetauxCathares!

De lui, en tout cas, je devais apprendre que, par delà lesreligionshumaines,ilyavaituneRévélationdivine,delaquelledécoulait un enseignement spirituel, et que cela seul comptait.Selon lui, si chaque Révélation marquait un moment del’humanité, elle n’était exclusive ni de la précédente, ni de lasuivante. Il nous fallait simplement vivre, pensait-il, dans laRévélation oùDieu nous avait fait naître. «Nous ne naissonsjamais par hasard », précisait-il, avant d’ajouter : « Aucunhommenedétientlavérité.LavéritéappartientàDieuseul».

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Lavoixdemonhôtes’éloignaitdeplusenplus.J’entendisà peine le nom de la nympheCalypso. Je le regardais commedansunhalo.Ilparlait,maisplusaucunsonnemeparvenait.Jemissurlecompteduwhiskycequirelevaitdemastupeur.Jemeconnaissaisassezpoursavoirquej’étaissouslechocdecequejevenaisd’apprendre.Lecherlibraireavaitprononcélemotde«mystère»ausujetdelaprésencemythologiquedesdieux,desgéants, des héros et des nymphes auMaroc. Quel prodigieuxmystère, en effet ! Pendant des années, aidé en cela par labiographie de Lyautey, par mes lectures et par mes rêves, jem’étaisconstruitunroyaumeoùlejudaïsme,lechristianismeetl’islams’étaientcôtoyés,croisés,combattus.Etvoicique,selonlemotdeGemuseus,opéraitsurcetteterreaiméeun«charme»,oui, un « charme », quelque chose comme une protection.Pourquois’estimposéàmonespritsaintChristophe?Monpèreavait de lui une médaille dans sa voiture sous prétexte quel’image du saint préservait de lamort subite,mais aussi de ladouleur, de tout mal. D’une image l’autre, d’un imaginairel’autre, jebalançais.Lesdieuxde l’Olympeavaientmarquédeleur empreinte, non seulement le mont Atlas, cette colonnevertébrale du Maroc, mais aussi les grottes d’Heraclès qui setrouvent proches d’Asilah, et dans lesquelles s’affrontent dansunefureur titanesqueet seconjoignentdansde follesétreintesl’Océan atlantique et la Méditerranée, mais encore Tanger, lavillemythiqueparexcellence,maisenfincepeupledesoriginesdont lesmembressedénomment« leshommes libres». Inutiledesedemanders’ilssontlesAtlantes.ParlagrâcedeZeus,ilssontlesAtlantes.Durantledîner,laconversationtournaautourdePicasso.En 1938, Guernica fut exposé à Paris. Parmi les invités, setrouvaitOttoAbetz,ambassadeurduReich.S’arrêtantdevantcetableau dont tout lemonde parlait et qui dénonçait le premier

bombardementdecivilsparlaLuftwaffedurantlaguerreciviled’Espagne, Otto Abetz, se tournant vers Picasso, l’apostrophaavecdédainetarrogance :«C’estvousquiavez fait ça?»EtPicassodeluirépondre:«Non,c’estvous!»Cemotterriblenousramena,parundétourinattendu,audébutde notre entretien, lorsque Gemuseus se demanda commentl’Europe chrétienne avait pu céder par deux fois à des guerresd’orgueil et de volonté de puissance. Puis, par ricochetssuccessifs, nous avons glissé vers les dieux grecs et lamystérieuseprotectionquenouspensionsqu’ils exerçaient surlepeuplemarocain.M.Gemuseusmesaisitalorslepoignet:Jen’aipastrente-sixconvictions,jen’enaiqu’une:rienn’estinutile.Nousignoronsquinousguide,quinousinspire.Cequefait, ce que pense, ce que dit un homme intéresse tous leshommes.Bienmalinquisauraitdessinerlescheminssecretsdesinitiations, des rédemptions, des résurrections. Il suffit parfoisd’unseulmotpourchangerlemonde.

Uneinvitationroyale-Non,nonetnon!-Mais…-N’insistepas.-Mais…-C’estnon,entends-tu?J’étais désemparé.De retour deRabat, j’avais couru chezmamère.Hassan II, se souvenant qu’elle l’avait convié à de bonsgoûters lors de son séjour àApt, l’été 1938, eut l’élégancedem’en faire compliment. Sur quoi, ilme dit avec douceur qu’ilseraitheureuxdelasaluer.Quellenefutpasmajoieàcesmots!Déjà, jeme voyais auMaroc, accompagné demamère. Je luifaisais visiter le Palais Royal, que je connaissais comme mapoche. L’audience terminée, je l’emmenais sur les bords del’Océan.Nousyaurionsdégustéunedoraderoyale.C’étaitbienlemoins.Delà,nousaurionscouruauMausoléedeMohammedV, où, à chacun demes passages àRabat, je nemanquais pasd’allerprier.J’auraisétéleplusheureuxdeshommes.Elleauraitrencontrédesministres,àquij’eusseditavecfierté:«Voicimamère!»NousserionsrevenusenFranceet,avantdelaquitter,j’aurais guetté dans son regard un sentiment d’approbation etpeut-êtred’admiration.Et voici que, d’un non définitif, elle venait d’abolir ce quej’avais espéré le plus : l’enchanter, lui apporter une grandeémotionfaitedesoleiletdedécouvertes.J’avaistellementenviedeluifairepartagermonamourpourleMaroc,mapassionpoursa civilisation, mon intérêt sans cesse grandissant pour lesoufisme.Sonrefusétait incompréhensible.Enaucuncas jenepouvaislemettre sur le compted’unehostilité envers lemonde arabo-

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« Plus dure sera la chute », est-il écrit dans l’Evangile. Jeconstataisune«chute»selonlemonde;maisjemerefusaisàladénoncer. Si l’empereur avait failli, qu’en était-il de l’hommeintérieuret,pourparlernet,desonâme?Or,toutaulongdelacompositiondesonlivre,jen’avaisvuqu’unhommedéterminéàdiresapartdevéritédevantsescontemporainsetdevantDieu.Carcethommeétaitcroyant.Lorsd’unesoiréeoùilm’avaitpriéde rester auprès de lui, samère étant fortmalade, et quenousavionspasséeenprières,il y était allé d’une confidence inattendue. Pourquoi m’avoirchoisi pour éditeur, alors qu’il s’était vu offrir des contratsmirifiquespardeséditeursaméricains?Àcettequestionquimetaraudait,ilréponditquejel’avaistouché,nonpasenl’exhortantàécrire,ce que chacun de ses visiteurs lui disait, mais en plaçant cedevoirdetémoignagesouslalumièredivine,quandj’avaislancéavecforceuntonique«bismillah!».Cet«AunomdeDieu»l’avaittellementbouleverséque,dèslelendemain,ilmedonnaitson accord. Nous nous trouvions à ce moment-là dans labibliothèquedeHassanII,àDarEs-Salam,non loindeRabat.Inutile d’ajouter que j’étais là un peu comme à lamaison.Dureste, le Roi du Maroc, apprenant que je venais d’atterrir àRabat-Salé,m’avaitfaitmander.Ses étudiants battaient le pavé de la capitale chérifienne,mécontents de la présence du Shah. Il fut donc décidé que jebénéficierais d’une voiture, d’un chauffeur et d’un garde ducorps.C’étaitplusquenen’ensouhaitais.Lapremièrenuit, jem’endormis comme un bienheureux, bercé par l’idée que,derrièrelaportedemasuite,setenaitunofficierdepolice.Laseconde nuit, les lumières de Rabat, vues de la fenêtre demachambre,m’amenèrentàregretterd’êtresibiengardé.Quantàlatroisième nuit, la rue étant devenue effervescente pendant le

jour,jedormismal,craignantjenesaisquelattentat.Aprèsce«bismillah», survintLouisXVI. Il s’invita dans laconversationdemanièreimpromptue.MohammedRezaPahlaviregrettait le désordre qui régnait dans les couloirs oùs’accumulaient courtisans, valises, bouteilles d’eau et vieuxjournaux.Ce spectaclem’évoqua la fuite àVarennes.LeShahs’inquiéta.Avait-il eu tort de quitter l’Iran ? Je le rassurai. Jen’avais en rien à juger sa décision de partir pour l’exil. Sansdoutemaprudenteréponselerassura-t-elle.Aucrissementdespneus,jesusquenousroulionssurlavasteplacequis’ouvraitsurlepalaisEl-Koubeh.Mereconnaissantàmadescentedevoiture,lecolonelseprécipitaversmoi.Parunétrangehasard,ilsetrouvaitlààchacunedemesvisites.J’apprisqu’ilavaitétéchoisipourl’excellencedesonfrançais.Exquisecourtoisie!Enpénétrantdanslepalais,jeretrouvailesdeuximmensesvasesdeSèvres,cadeaudejenesaisquelPrésidentdelaRépublique.JedusconvenirquecebleudeSèvres jetaitunenoble lumièredanscetteentrée.«SaMajestévousattend»,meditlecoloneld’unairpénétréparl’importancedesamission,avantd’ajouterdansunsouffle :«SaMajestéestbienfatiguée».Aussitôt, jepensaisàlapauvremortdupetitânegris.C’étaitunhommeaffaibli,déjeté,courbé,quisetenaitdanslesalon où l’on m’introduisit. Mohammed Reza Pahlavi étaitessoufflé.GrandDieu,commeilavaitchangéenunesemaine!Il n’avait qu’une hâte : se laisser tomber, s’affaler dans unfauteuil. Il y a un an, il jouait au tennis, il paraissait avoircinquanteans.Unanplus tard, il figuraitunhommed’âge.Etpourtant,au fondde lui-même, ilétait resté lemême, intéresséparlesaffairesdumonde,curieuxdel’actualité.Aufonddesesyeux, il y avait encore une flamme de vie. Et son livre ? Etl’accueil que lui avait réservé le public ? Et la sérialisation

mondialedes«bonnesfeuilles»?Leschiffresque je luiavaisapportés lecomblaient.Unpeuderosemontaitàsesjoues.Jemedisais:«Commeilestpâle!»en essayant de le distraire par quelques nouvelles sur lapolitiquefrançaise.On apporta le thé. Prenant un biscuit, il me confia qu’il lemangeait sansappétit,maisqu’il lui était recommandédebiensenourrir,afindereprendredupoids.J’aurais juréque,disantcela,ilavaithaussélesépaules.Ilétaittempsdeprendrecongé.Lafatiguemarquaitsestraits.-Jenevousaipasdit…Aumoment où je commençais àme dresser, ilm’invita àmerasseoir, puis reprit : « Je ne vous ai pas dit pourquoi j’avaisdécidédetravailleravecvous.Envoici laraison:commevousvous réclamiez de Hassan II, que vous évoquiez Le Défi, quej’avais lu, j’ai appelé le Roi après votre départ. Vous devezsavoirquenousnoustutoyons.Quandjeluiaiparlédevousetdelapropositionquevousveniezdemefaire,ilm’aditaussitôt:«Tupeuxtravailleraveclui.Ilfaitpartiedelafamille…»Cesimplemotsuffitàmeconvaincre,àsupposerquejenel’eussepasétéàlasuitedenotrepremieretlongentretien.Àl’évidence,j’arrivaisautermed’unbeauetdifficilechemin.La fidélité amicale de Hassan II ne m’étonnait pas, si ellem’honoraitetmeflattait.CeRoiétaitunpreux.Jetremblaisunpeuenposantmesmainssurlesaccoudoirsdufauteuil,envuedemelever,quandleShahyallad’un«Mais…»quimefitm’interrompre.Touttendu,j’attendiscequ’ilavaitàajouter. « Ce qu’il ne sait pas, me dit alors Hassan II, etMohammedReza Pahlavi se pencha versmoi pour livrer cette

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25. Nicolas Sarkozy réaffirme l’axe France Maroc, dans Le Monde du30septembre2011.26. Le soutien français aux réformes royales, dans Le Figaro du30septembre2011.27. La chute de Kadhafi sonne le glas du Polisario, dans Courrierinternationaldu8septembre2011.28.Maroc : les islamistes tiennent les rênes du prochain gouvernement,AFPdu27novembre2011.29. Oberlé T., Mohammed VI et Benkirane : une cohabitation à lamarocaine,dansLeFigarodu30novembre2011.30. Juppé vante le «modèlemarocain », dansAujourd’hui enFrance du9mars2012.31.PirenneH.etautres,MahometetCharlemagne,JacaBook,1987.32.DescolaJ.,Histoired’Espagne,Fayard,1959.33.Hérodote,IV,152.34.Aristote,Météorologiques,I,13-19.35. Hubert H., Les Celtes et l’expansion celtique. L’évolution del’Humanité,AlbinMichel,1974.36. Ibn Kbaldûn, Le livre des exemples, II. Histoire des Arabes et desBerbères,BibliothèquedelaPléiade,2012.37.Desbarbaresàlarenaissance,1981.38.CitéparJeanMathieu,inCivilisationsimpériales,2000.39. Condé J., Histoire de la domination des Arabes et des Maures enEspagne,1825.40.Idem.41.LarocheM.,Lesracineschrétiennesdel’Europe,2014.42.KleinclauszA.,Charlemagne,1971.43.CitéparPaulPetitdanssonHistoiregénéraledel’empireromain,1974.44.ErnstKantorowicz,Lesdeuxcorpsduroi,Gallimard.1989.45.BernardLugan,HistoireduMaroc.Ellipse.2011.46.CitéparBernardLugan.

Tabledesmatières

1LeMarocvisibleAvant-propos

PremièrepartieLeRoiestmort!ViveleRoi!C’estainsiquetoutacommencéTroismomentsfondateursLeRoiestmortLanuitdudeuil25juillet1999DelamonarchiemarocaineFinduvizir

DeuxièmepartieL’artdelapolitiqueLoindespalaisLesmystèresducabinetroyalRetourd’AbrahamSerfatyLaruptureLaMoudawanaContrelacorruptionL’épreuveterroristeUnenouvelleConstitutionL’islamismemarocain

2LeMarocinvisibleAvant-propos

PremièrepartieNaissanced’unpeupleLestrèsrichesheuresduTafilaletTarikleberbèreLatabledeSalomonLeprésentdupasséLerêveetl’HistoireLespremiersRoisHocsignovinces

DeuxièmepartieLesaccomplissementsLesdeuxcorpsduRoiEnvuecavalièreTraditionetmodernité«Jeveuxnousfaireaimerdecepeuple»LeRoichevalierYahiaelmalik!«Cevéritablepèlerinageauxsources…»Leroyaltisserand

3Marocsecret

Avant-proposLadamesousuneombrelleblancheLarencontreUnrêvepourroyaumeCoupdetonnerreSouslesignedeLyauteyLejardindesHespéridesUneinvitationroyaleLedestinPalaisEl-Koubeh

Conclusion

Remerciements

Bibliographiesommaire

DumêmeauteurRomans

AnnexeGénéalogiedeS.M.MohammedVI