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Le classicisme en peinture / Généralités Service éducatif , Musée Condé, juin 2002 Statut du peintre au XVIIe siècle : C’est à partir du XVIIe siècle que l'artiste cesse d'être considéré comme un « technicien » du pinceau, chargé de transmettre le savoir-faire ancestral hérité du maître, plus ou moins asservi à la volonté des princes ou des prélats. La peinture devient un art libéral. Les figures imposantes telles que Rubens, Vélasquez ou Le Brun semblent traiter d'égal à égal avec les grands. Le monde de l'art et le pouvoir politique se reconnaissent mutuellement. Les Académies, inspirées de l'Académie de Platon et dont certaines ont perduré jusqu'à nos jours, comme l'Académie française, l’Académie des inscriptions et belles-lettres ou encore l'Académie des sciences 1 , jouèrent un rôle essentiel dans cette transformation, en propageant un enseignement qui s’appuie sur des règles spécifiques. Ainsi, Le Brun, soucieux de libérer les artistes des contraintes imposées par les corporations, propose à Louis XIV de créer l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648. L'apprentissage : Cependant, avant d'accéder au statut d’artiste reconnu, l'aspirant doit passer par un rude apprentissage. A douze ou treize ans l'apprenti prépare les supports et broie les pigments. Son appréhension du dessin passe par la copie des dessins de maîtres 2 , puis l'étude de moulages et l'observation de la nature, avant d'imager des compositions personnelles. Lorsqu'il prend le pinceau, c'est parfois pour traiter un élément particulier du tableau du maître, le plus souvent paysages ou animaux. Ainsi la plupart des oeuvres de cette époque ne sont pas uniquement de la main du maître et un peintre comme Rembrandt par exemple a pu avoir plus de 50 élèves ou assistants dans son atelier. Les assistants interviennent souvent en tant que spécialistes. Mais c'est toujours le maître qui donne la touche finale. Les corporations : Pour accéder au statut de maître, il faut avoir réalisé un chef-d’œuvre. Sans ce titre, il est interdit de vendre sa peinture. Des amendes, voire la prison sanctionnent tout contrevenant. Seules les corporations donnent cette habilitation, moyennant taxes et cotisations. Ce système de monopole ne favorise guère les talents qui ne sont pas issus de familles d'artistes et c'est donc souvent de père en fils que le métier se transmet la plupart du temps. L’Académie royale de peinture tente de briser cet état de fait en instituant des concours et en distribuant des bourses. Quant aux peintres du roi, ils disposent souvent d'un logement et reçoivent une pension. Le voyage à Rome, à cause du prestige de son passé culturel - vestiges antiques, grands maîtres de la Renaissance - est presque un passage obligé dans la carrière d’un jeune peintre débutant. Nicolas Poussin ira à Rome pour achever sa formation mais aussi pour travailler dans de bonnes conditions. 1 Cf.Diane, Desazars, L’Institut de France, Collection du citoyen, Nouvelle Arche de Noé Editions, Paris, 2000. 2 Cf. Arcadie du Nord , catalogue de l’exposition de dessins hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles (musée Condé, septembre 2001-janvier 2002), Paris, 2001 . Naissance d’une notion Le terme « classique » apparaît à la Renaissance et désigne, par opposition à l’art gothique, une esthétique définie d'après le modèle antique gréco-romain. A la fin du XIXe siècle, ce sont les historiens de l'Art qui donnent son sens actuel à la notion de « classicisme » pour définir ce courant qui s'est développé à partir de la fin du cinquecento dans les arts plastiques, l'architecture, la littérature et la philosophie, et pour l’opposer au « baroque ». En fait, l’art classique du XVIIe siècle se place dans la continuité de l’art de la Renaissance. Ses maîtres mots sont toujours la recherche de l’harmonie mathématique, du style antique, de l’observation de la nature, de l’art de la perspective, du modelé et de l'anatomie. Néanmoins, en réaction au baroque, autre style issu de la Renaissance, les artistes mettent au premier plan de leur idéal de beauté, l’ordre et la symétrie. Développée en France sous les ministères de Richelieu (1624-1642) et de Mazarin (1642-1661), l’esthétique classique atteint son apogée sous le règne de Louis XIV dont elle servira l’image de puissance et d’autorité. La peinture classique Elle développe des sujets nobles – à la gloire de l'action humaine, issus de la mythologie grecque, de la Bible ou de la poésie bucolique latine. Ces sujets qui exaltent les sentiments (Jugement de Salomon, Mas-sacre des Innocents par exemple) font appel à une figuration dominée par une gestuelle savamment organisée, par l'expressivité des visages et par la mise en place de paysages historiques composés avec rigueur. Ponctué de constructions ou de ruines antiques, organisé selon les règles de la perspective, le paysage sert de décor aux scènes pastorales, aux thèmes historiques ou mythologiques et exprime la force immuable de la nature face à la fragilité des destinées humaines, illustrée notamment par les peintures de « vanités ».

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Le classicisme en peinture / Généralités

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Statut du peintre au XVIIe siècle :

C’est à partir du XVIIe siècle que l'artiste cesse d'être considéré comme un « technicien » du pinceau,chargé de transmettre le savoir-faire ancestral hérité du maître, plus ou moins asservi à la volonté des princes oudes prélats. La peinture devient un art libéral. Les figures imposantes telles que Rubens, Vélasquez ou Le Brunsemblent traiter d'égal à égal avec les grands. Le monde de l'art et le pouvoir politique se reconnaissentmutuellement. Les Académies, inspirées de l'Académie de Platon et dont certaines ont perduré jusqu'à nos jours,comme l'Académie française, l’Académie des inscriptions et belles-lettres ou encore l'Académie des sciences1,jouèrent un rôle essentiel dans cette transformation, en propageant un enseignement qui s’appuie sur des règlesspécifiques. Ainsi, Le Brun, soucieux de libérer les artistes des contraintes imposées par les corporations,propose à Louis XIV de créer l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648.

L'apprentissage :

Cependant, avant d'accéder au statut d’artiste reconnu, l'aspirant doit passer par un rude apprentissage.A douze ou treize ans l'apprenti prépare les supports et broie les pigments. Son appréhension du dessin passepar la copie des dessins de maîtres2, puis l'étude de moulages et l'observation de la nature, avant d'imager descompositions personnelles. Lorsqu'il prend le pinceau, c'est parfois pour traiter un élément particulier du tableaudu maître, le plus souvent paysages ou animaux. Ainsi la plupart des oeuvres de cette époque ne sont pasuniquement de la main du maître et un peintre comme Rembrandt par exemple a pu avoir plus de 50 élèves ouassistants dans son atelier. Les assistants interviennent souvent en tant que spécialistes. Mais c'est toujours lemaître qui donne la touche finale.

Les corporations :

Pour accéder au statut de maître, il faut avoir réalisé un chef-d’œuvre. Sans ce titre, il est interdit devendre sa peinture. Des amendes, voire la prison sanctionnent tout contrevenant. Seules les corporationsdonnent cette habilitation, moyennant taxes et cotisations. Ce système de monopole ne favorise guère les talentsqui ne sont pas issus de familles d'artistes et c'est donc souvent de père en fils que le métier se transmet laplupart du temps. L’Académie royale de peinture tente de briser cet état de fait en instituant des concours et endistribuant des bourses. Quant aux peintres du roi, ils disposent souvent d'un logement et reçoivent une pension.Le voyage à Rome, à cause du prestige de son passé culturel - vestiges antiques, grands maîtres de laRenaissance - est presque un passage obligé dans la carrière d’un jeune peintre débutant. Nicolas Poussin ira àRome pour achever sa formation mais aussi pour travailler dans de bonnes conditions.

1 Cf.!Diane, Desazars, L’Institut de France, Collection du citoyen, Nouvelle Arche de Noé Editions, Paris, 2000.2 Cf. Arcadie du Nord , catalogue de l’exposition de dessins hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles (musée Condé,septembre 2001-janvier 2002), Paris, 2001 .

Naissance d’une notion

Le terme « classique » apparaît à la Renaissance etdésigne, par opposition à l’art gothique, une esthétiquedéfinie d'après le modèle antique gréco-romain. A lafin du XIXe siècle, ce sont les historiens de l'Art quidonnent son sens actuel à la notion de « classicisme »pour définir ce courant qui s'est développé à partir dela fin du cinquecento dans les arts plastiques,l'architecture, la littérature et la philosophie, et pourl’opposer au « baroque ».En fait, l’art classique du XVIIe siècle se place dans lacontinuité de l’art de la Renaissance. Ses maîtresmots sont toujours la recherche de l’harmoniemathématique, du style antique, de l’observation de lanature, de l’art de la perspective, du modelé et del'anatomie. Néanmoins, en réaction au baroque, autrestyle issu de la Renaissance, les artistes mettent aupremier plan de leur idéal de beauté, l’ordre et lasymétrie.Développée en France sous les ministères deRichelieu (1624-1642) et de Mazarin (1642-1661),l’esthétique classique atteint son apogée sous le règnede Louis XIV dont elle servira l’image de puissance etd’autorité.

La peinture classique

Elle développe des sujets nobles – à la gloire del'action humaine, issus de la mythologie grecque,de la Bible ou de la poésie bucolique latine. Cessujets qui exaltent les sentiments (Jugement deSalomon, Mas-sacre des Innocents par exemple)font appel à une figuration dominée par unegestuelle savamment organisée, par l'expressivitédes visages et par la mise en place de paysageshistoriques composés avec rigueur. Ponctué deconstructions ou de ruines antiques, organiséselon les règles de la perspective, le paysage sertde décor aux scènes pastorales, aux thèmeshistoriques ou mythologiques et exprime la forceimmuable de la nature face à la fragilité desdestinées humaines, illustrée notamment par lespeintures de « vanités ».

Le classicisme en peinture / Nicolas Poussin (1595-1665)

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Poussin est l'un des principaux fondateurs de la peinture classique française du XVIIe siècle. Son œuvre,illustrant les principes classiques de la logique, de l'ordre et de la clarté, a influencé l'évolution de l'art françaisjusqu'à nos jours.

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Sa notoriété grandit à tel point qu'en 1640 il est invité par Richelieu et Louis XIII à Fontainebleau où il est nommépremier peintre ordinaire du Roi et directeur général de tous les travaux de peinture et de décoration pour lesdemeures royales. Mais Poussin, qui n'est pas un ambitieux et qui s'accommode mal de l'esprit de cour, préfèreretourner à Rome où il restera jusqu'à la fin de sa vie, même si, à la mort de ses protecteurs, ses conditionsd'existence deviennent plus difficiles. Il prend la décision de ne plus accepter les grands travaux d'église etréalise essentiellement des tableaux de chevalet pour des mécènes éclairés. Il s'éteint le 19 novembre 1665,alors qu'il vient de terminer Les quatre saisons et que ses mains ne parviennent plus à tenir les pinceaux.

Sa formation

Ce peintre français est né en 1594 près des Andelys, en Normandie. Rien ne ledestine à la carrière de peintre car son père, un notable, qui avait combattudans les rangs du roi de Navarre, le futur Henri IV, aurait souhaité que son filsfût magistrat. Mais les dons précoces de Nicolas et sa ferme détermination leconduisent à fuir la demeure familiale pour aller faire son apprentissage àRouen.A dix-huit ans, il se rend à Paris et se forme auprès de grands maîtres. Il étudiel’anatomie et la perspective. Il exécute quelques commandes qui dénotent unefamiliarité avec l’école de Fontainebleau. En 1615, à 21 ans, il gagne déjà savie avec ses tableaux. En 1624, il parvient à réaliser le rêve de tout peintre deson temps : se rendre en Italie, patrie des arts. Cela, grâce à un amateuréclairé, le Cavalier Marin qui lui passe aussi de nombreuses commandes surdes sujets mythologiques (Les métamorphoses d’Ovide, Adonis). Il lerecommande au neveu du pape Urbain VIII, le cardinal Barberini, puissantmécène.

Autoportrait, 1650,Musée duLouvre, Paris.

La consécration

Quand il peint Le massacre des Innocents, (non daté avecexactitude), Poussin a entre 25 et 30 ans. Il est en pleinepossession de ses moyens et a terminé sa formation. C’estavec ce tableau que son style s’imposera à Rome auprès dupublic cultivé, très exigeant.

Installé à Rome, Poussin peint beaucoup : peinture religieuse, mythologique, paysages, nus. Il connaîtrapidement le succès et son talent est immédiatement reconnu par les plus grands comme le Bernin. Il est élumembre de la fameuse Académie de saint Luc.

Le massacre des Innocents, huile sur toile, 147 x 171 cm, muséeCondé, Chantilly

L’art du peintre selon Poussin

Bien que Poussin n’ait pas érigé de théorieformelle du classicisme, ses contemporains, etnotamment Charles Le Brun, premier peintre del’Académie royale de peinture et de sculpture,voient en lui l’exemple le plus accompli de cet art.Une lettre écrite par Poussin peut nous éclairersur sa conception de l’art du peintre.

La matière doit être prise noble, qui n’ait reçuaucune qualité de l’ouvrier. Pour donner lieu aupeintre de montrer son esprit et industrie, il lafaut rendre capable de recevoir la plus excellenteforme. Il faut commencer par la disposition, puispar l’ornement, le décoré, la grâce, la vivacité, lecostume, la vraisemblance et le jugement partout.Ces dernières parties sont du peintre et ne sepeuvent apprendre. C’est le rameau d’or de Virgileque nul ne peut trouver ni cueillir s’il n’est conduitpar la fatalité.

Extrait d’une lettre de Nicolas Poussin adressée le1er mars 1665 à M. de Chambray

Recherche de la perfection et de l’équilibre

La mise en scène des sujets obéit à des principesclassiques d'ordre et d'harmonie que résume laformule de Plotin : « La beauté réside dans l'accord etla proportion des parties entre elles et avec le tout ».

Expression vive des passions mais maîtriséepar la raison (« le jugement partout »)

Le souci de rationalité dans le travail de Poussin nel’empêche pas de faire de l'émotion une de sespriorités. On peut ainsi comparer le « classicisme »du peintre à celui de Racine dans le domainelittéraire. L’émotion est présente mais elle estdominée, comme le montrera l’étude du Massacredes Innocents.

Le classicisme en peinture / Nicolas Poussin (1595-1665)

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Antériorité de la composition (dispositio /« disposition ») sur les effets décoratifs

(ornatio / « ornement »)

La qualité du dessin est l'élément déterminant pour satisfaire à ces exigences et Poussin s'attache à composerde la manière la plus rigoureuse comme en témoignent ses études préparatoires1 qui expriment son souciconstant et prioritaire de penser la géométrie secrète sur laquelle s'appuient les personnages ; ce qui a fait direque le travail de ce peintre avait quelque chose d'intellectuel, d'aride même, et l'on eut tôt fait de lui opposer degrands coloristes comme Rubens par exemple.

Pourtant, les tableaux de Poussin, admirateur inconditionnel de Titien, sont, en matière de couleur, d’unerichesse et d’un raffinement coloré inouï. Au XVIIe siècle, en France, un débat oppose d’ailleurs les tenants dudessin à ceux de la couleur. Le Brun soutient la supériorité du dessin par rapport à la couleur, considérant quel'aspect séducteur de celle-ci, peut détourner de la vérité. Un autre théoricien, qui sera plus tard académicien,Roger de Piles, tentera, en 1673, de la réhabiliter en montrant que le dessin sans la couleur n'est qu'unegrammaire indigente. Le grand coloriste qu’était Cézanne, Marcus Lüperz et Picasso admirent beaucoup Poussinpour l’importance qu’il donnait à la couleur.

Refus de l’excès et de l’invraisemblance

En cela Poussin respecte la bienséance et l’idée selonlaquelle l’art doit s’adresser à l’esprit et aux émotionsplutôt qu’à l’œil, en représentant les situationshumaines les plus nobles et les plus valeureusesd’une manière ordonnée.

Référence à l’Antiquité

Nécessité de l’inspiration (« ces dernières parties […] s’iln’est conduit par la fatalité »).Les sujets des tableaux de Poussin sont inspirés de l aBible, de la mythologie antique et de la littératurebucolique. Si le choix de thèmes religieux est le plussouvent dicté par la volonté des commanditaires,Poussin sait les traiter de manière originale et inéditecomme nous le verrons en étudiant le Massacre desInnocents. Ses oeuvres les plus personnelles traitent desujets poétiques originaux tirés de l'antiquité – LesBergers d'Arcadie (1640), l'Inspiration du poète (1630),Echo et Narcisse (1630), Le Règne de Flora – ou duspectacle de la Nature – Paysage avec deux nymphes etun serpent (1659), Les Quatre saisons (après 1660),Paysage avec Orphée et Eurydice (1650). C'est, plusrarement l'histoire ou le patriotisme qui sont traités –L'Enlèvement des Sabines (1637), La peste d'Asdod(1630).

L’enfance de Bacchus, non daté, huile sur toile, 134 x168, musée Condé, Chantilly.

Paysage avec deux nymphes et unserpent , détail, non daté, huile sur toile,118 x 179, musée Condé, Chantilly.

Nicolas Poussin, Le massacre des Innocents(Huile sur toile, 147 x 171 cm, musée Condé, Chantilly)

Exprimer et communiquer la douleur et la terreur

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Analyse du tableau : la représentation de la douleur

• Les signifiants iconiques – éléments identifiables de l’image – et leur signification.

Ce qui est vu L’interprétation possible

Décor ColonneTemplesDallage

ObélisqueCiel bleuNuages

Paysage en arrière-fond

AntiquitéReligion, noblesseCivilisation, ordre

OrgueilBeauté, divinité

Troubles, menaces (?)Indifférence de la nature

Objetset

vêtements

GlaiveDrapés, sandale

Cape rouge de l’homme

Robe jauneRobe bleue

Linge blanc (langes)

Violence, virilitéAntiquité, noblesse

Pouvoir royal (pourpre)Violence

Sang versé

DeuilInnocence

Personnages

attitudeset

expressions

L’homme (seul bourreau)

Les 4 femmes :La femme en rouge sein nu

La femme en bleu cheveuxdéfaitsLa femme de dos

La femme de face

Les victimesLe bébé du premier plan

Le bébé de la femme en bleu

Le bébé de la femme de dos

Le 4e bébé

Violence brutale, acharnement

Effroi, supplication, maternité,faiblesse

Désespoir, prière, folie, deuilFuite, affolement

Reproche, prise à témoin

Vulnérabilité, innocence

Mort, abandon

Vulnérabilité, tendresse du gestematernel

Tendresse du geste maternel

Analyse du tableau : l’art du peintre

Les fonctions du décor

Valeur symbolique. Poussin ne recherche pas àreprésenter une exactitude historique. Il utilise ledécor romain en référence à la puissance politiqued’Hérode qui tenait son pouvoir du Sénat romain.

La métonymie

Elle consiste à représenter un groupe ou une actionpar un détail significatif. Ce procédé est d’unegrande force expressive car il permet la lisibilité dutableau : la présence d’un seul bourreau représentetoute l’armée des hommes de main du roi Hérode.

La métonymieUne mère, quatre mères, toutes les mères

Au premier plan, une mère retient l’attention duspectateur par l’intensité dramatique de lareprésentation.Puis le regard est attiré par les trois autres mères dontles figures occupent la profondeur du tableau.Les quatre mères à l’enfant représentent quatreattitudes différentes (le vain combat, la douleur folle, lafuite, le reproche). Ce sont plusieurs moments d’unemême souffrance, vécue par toutes les mèresauxquelles on arrache leur enfant.

Le respect des codes classiques

Insister sur la représentation de la cruauté et lepathétique des attitudes et des expressions. Maisle peintre refuse la représentation « vulgaire » del’horreur. Le respect des bienséances classiquesmontre le souci d’éviter toute fascination pour lemacabre et invite le spectateur à la pitié pour lesvictimes.

Nicolas Poussin, Le massacre des Innocents(Huile sur toile, 147 x 171 cm, musée Condé, Chantilly)

Exprimer et communiquer la douleur et la terreur

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Etude des stratégies picturales pour communiquer la douleur et la terreur.

Synthèse

Tous ces éléments soulignent avec force la révolte contre la violence faite aux innocents sans défense. Pourconvaincre, Poussin rapproche le spectateur de l’action, simplifie et dynamise le sujet en le structurant et enrecourant à la métonymie.Cependant, comme dans la tragédie classique, Poussin médiatise la violence. La conviction classique est que,même face à l’horreur, il faut faire appel à la raison humaine pour la dénoncer.

Marten Van CLEVE (1527 - 1581), Le massacre des Innocents. Huile sur panneau, 76,5 x 107cm.Peter BRUEGEL L'Ancien, Le massacre des Innocents. Huile sur panneau, 116 x 160 cm.Peter BRUEGHEL le Jeune, Le massacre des Innocents. Huile sur panneau, 67 x 99 cm. Pourd'autres versions du sujet par Brueghel le jeune ou son atelier, voir G. Marlier : PierreBrueghel le Jeune, Bruxelles, 1969, pp 333-341.

Poussin cherche à rivaliser avec le célèbre tableau de Guido Reni où les personnages sont plus nombreux. Il choisit uncadre serré pour décupler l’émotion (plan moyen large) et une légère contre-plongée qui rapprochent le spectateur dusujet : il devient un témoin.

Le décor, seulement suggéré, vient commenter l’action.Les personnages principaux, limités en nombre, semblent placés sur l’avant-scène d’un théâtre, ce qui donne

sa force dramatique à l’œuvre.Peu de hors-champ = aucune issue sauf le ciel de l’angle supérieur droit vers lequel se dirigent les regards de

la suppliante : l’espace est fermé, impossible de s’enfuir! le spectateur est sommé de prendre parti, de s’engager.

Le cadrage et l’angle de vue

Les autres tableaux sur le sujet : cadres vastes,juxtaposition de nombreuses scènes cruelles,nombreux personnages.

La profondeur

L’étagement des plans dans la profondeur est trèsmarqué. La colonne et le temple empêchent la fuite duregard au-delà du drame présent.La seule issue vers une nature intacte et lointaine sesitue entre la jambe du soldat et le corps nu de l’enfant.Mais c’est à cet endroit que Poussin place le regard dela quatrième mère, le regard de reproche qui prend lespectateur à témoin et lui interdit toute évasion.

La composition

Composition construite selon des lignes convergeant surle visage de la mère terrifiée et hurlante.

Verticale de la colonne qui suit le regard dusoldat et qui semble peser sur la tête de l’enfant.

Verticale de l’obélisque qui semble peser sur latête de la femme suppliante en robe jaune.

La diagonale qui descend de la gauche vers ladroite et sous laquelle ploie la suppliante en robe jaune.

L’autre diagonale qui monte de la victime versle regard implorant de la femme en bleu, dirigé vers leciel.

Les triangles que forment les jambes du soldat.Les lignes dynamiques opposées des bras de la

femme en jaune et du soldat.

Les couleurs

Poussin utilise les trois couleurs primaires – bleu, rouge,jaune – dans une lumière violente, d’inspirationcaravagesque, qui éclaire le corps de l’enfant, le visageet le corps de la mère en jaune ainsi que celui de lamère en bleu. Le visage du soldat reste plus dansl’ombre.

Le classicisme en peintureNicolas Poussin, Le massacre des Innocents

Pistes!: accompagnement fiche élève (CM2 - 6e)

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Objectif : découverte des thèmes et des références de la peinture classique

Objectif : découverte des notions d’espace, de profondeur et de perspective (lesprocédés de la perspective linéaire).Sensibilisation à la tridimensionnalité à l’aide du découpage et du collage.

• Le chevauchement des formes : l’objet ou le personnage qui est enpartie caché par un autre donne l’illusion d’être en arrière.

• Le jeu sur la taille des objets ou des personnages.• La division en plans.

Objectif : le rôle de la composition dans la communication des sentiments –découverte de la forme classique.

Objectif : découverte de l’harmonie classique des couleurs et de leurfonction symbolique.Le classicisme de Poussin se définit autant par le choix du sujet que parl’harmonie de la forme et des couleurs. Il organise son œuvre autour des troiscouleurs primaires qui s’équilibrent : une couleur claire + deux couleursfoncées.La disposition des couleurs :

• Les deux couleurs chaudes – rouge et jaune – rassemblent etopposent les deux personnages principaux comme leurs attitudes etl’expression de leur visage.

• Le rouge du manteau du soldat connote le sang et la violence. A partirde là s’organisent les autres couleurs.

• Le jaune renforce la mise en valeur du personnage central encontrastant avec les deux couleurs plus foncées.

Objectif : nommer les sentiments des personnages à partir de leurs attitudes et del’expression de leur visage.

Objectif : découvrir le rôle du cadrage dans la mise en scène de la douleur et de laterreur.

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7Exprimer et communiquer des sentiments

PISTES COMPLEMENTAIRES!: ATELIER DE LECTURE ET D’ECRITURE (2d degré)Piste n°1 : Exprimer et communiquer la douleur et la terreur

à travers l’écrit

Problématique : Comment l’écrit peut-il rivaliser avec l’image dans ce domaine ?Groupement de textes tirés de la littérature antique :

• Virgile, Enéide, II, vers 199 – 227 : La mort de Laocoon et de ses fils. (Epopée)• Euripide, Médée, vers 1137-1203 : Le récit de la mort de Créüse (Théâtre)

Atelier d’écriture : écrire un texte exprimant la douleur et la terreur / raconter ce qui se passe dansla scène choisie par Poussin etc.

Piste n° 2 : Exprimer et communiquer l’horreur / Exprimer et communiquer la sérénité

Problématique : Expression hyperbolique et expression apaisée d’un événement terrible.Groupement de textes (poésie épique et poésie lyrique) :

• Virgile, Enéide, II, vers 199-277 : La mort de Laocoon et de ses fils.• Arthur Rimbaud, Le Dormeur du val.

La mort de Laocoon et de ses fils (Virgile, Enéide, II, 199 – 227)

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

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Alors un autre spectacle, plus imposant et beaucoup plus terrible, s’offre à la vue desmalheureux Troyens, et jette dans leurs cœurs un trouble imprévu. Laocoon, tiré au sortprêtre de Neptune, immolait un taureau puissant au pied des autels solennels. Or voilà quedeux serpents, venus à travers les flots tranquilles de Ténédos – j’en frémis encore d’horreur– allongent sur la mer leurs immenses anneaux et s’avancent de front vers le rivage. Leurspoitrines se dressent au milieu des vagues, et leurs crêtes sanglantes dominent les ondes ; lereste de leurs corps effleure à la surface de la mer, et leurs croupes immenses se replient enspirale. On entend clapoter, écumante, l’onde amère. Déjà ils touchaient terre, et leurs yeuxardents, injectés de sang et de feu, léchaient leurs gueules sifflantes de leurs languesvibrantes. Nous fuyons à cette vue, glacés d’effroi. Eux, d’un élan sûr, vont droit à Laocoon ;et d’abord l’un et l’autre serpent, enlaçant les petits corps de ses deux fils, s’enroulent autourde leurs proies et déchirent de morsures leurs misérables membres. Puis, comme Laocoonvolait à leur secours, les armes à la main, ils le saisissent lui-même et l’étreignent de leursreplis énormes ; tandis que par deux fois ils enlacent son corps par le milieu et enroulentautour de son cou leur croupe écailleuse, Laocoon s’efforce d’écarter leurs nœuds avec sesmains : leur bave et leur noir venin souillent ses cheveux et on entend le malheureux jetervers le ciel des cris épouvantables. Enfin, les deux serpents s’enfuient en rampant vers leshauteurs du temple, gagnent la citadelle de Troie et se cachent aux pieds de la déesseAthéna, sous son bouclier.

La mort de Créüse (Euripide, Médée, vers 1137-1203)

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MédéeNe va pas trop vite, mon ami, prends ton temps. Comment sont-ils morts ? Tu me feras unimmense plaisir s’ils ont péri atrocement.

Le serviteurTes enfants sont arrivés avec leur père. Nous étions contents de votre réconciliation. Nousembrassions les petits. Moi, j’étais si heureux que je les ai conduits jusque chez Créüse.Dès qu’elle vit les beaux tissus brodés, elle s’en revêtit et posa le bandeau d’or sur ses beauxcheveux bouclés, arrangeant sa coiffure devant un miroir brillant et souriant à son reflet. Puiselle parcourt la chambre, allant d’un pas de danse sur ses pieds nus, enchantée par lessomptueux cadeaux.Mais sa vue tout à coup nous effraie. Elle bondit, elle tremble et s’évanouit. De sa bouchecoule une écume blanche, ses yeux se révulsent. Une servante court prévenir Créon, sonvieux père ; une autre va vers Jason, son nouveau mari. Le logis tout entier résonne decourses rapides et de cris. Et la pauvre princesse, avec un râle affreux, reprend conscience.Le bandeau d’or posé sur sa tête, lançait en flots prodigieux un feu dévorant et les voileslégers mordaient son doux corps. Elle veut fuir, se lève comme une torche brûlante et tire surses vêtements pour les arracher mais plus elle tire dessus, plus elle arrache sa chair. Elletombe enfin sur le sol, vaincue.On ne distingue plus ses yeux, la forme de son front ni son beau visage. Du sommet de satête tombaient les gouttes d’un sang mêlé de feu. La chair coulait des os comme de la résine.Horrible vision. Nous avions tous trop peur pour toucher au cadavre.

Le Dormeur du val (Arthur Rimbaud)

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C’est un trou de verdure où chante une rivièreAccrochant follement aux herbes des haillonsD’argent, où le soleil de la montagne fièreLuit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant commeSourirait un enfant malade, il fait un somme.Nature ! berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine.Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine,Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Exprimer et communiquer des sentimentsNicolas Poussin, Le massacre des Innocents

PISTES COMPLEMENTAIRES!: ARTS PLASTIQUES (1er degré)

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Problématique : expression plastique des émotions

Piste n°1 Emotions en autoportrait

Matériel : photocopieuse, papier, papier calque, gouache.

Descriptif : 1. Choisir un sentiment et le mimer de manière expressive en enclenchant laphotocopieuse. 2. Superposer la feuille de papier calque sur la photocopie et reproduire l’expression dusentiment puis la transcrire sur une feuille de papier. 3. Mettre des couleurs sur le sentiment exprimé ( travail sur les couleurs primaires etcomplémentaires).

Piste n°2Peindre une émotion vécue

Etude d’un groupement d’œuvres : Poussin, Le Massacre des innocents / Munch, Le cri / Picasso,Guernica (expression plastique des sentiments, cadrage, choix des couleurs et des formes).

Matériel : pastels ou gouache, papier / collage etc.

Descriptif : Essayer de se remémorer une émotion intense vécue et la situation dans laquelle elle apris forme.

Représenter cette situation :1. en choisissant les couleurs qui correspondent à cette émotion (couleurs tristes,

couleurs gaies)2. en choisissant le type de tracé qui exprime l’émotion (ordonné ou

tourbillonnant, large, rapide ou lent etc.)3. en choisissant la disposition du dessin dans la page (travail sur le cadrage)4. prolongements : faire deviner l’émotion exprimée aux autres élèves.

Sous forme de collage : une photographie de soi, des éléments pris dans desmagazines et correspondant à ce que chacun ressent. Choisir les couleurs de peinture appropriéespour accentuer ou transformer les éléments.

Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Le classicisme en peintureNicolas Poussin, Le massacre des Innocents

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Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Le massacre des Innocents est un thème souvent représenté par Peter Bruegel l'Ancien et ses épigones –ses enfants, mais aussi Van Cleve, Le Brun, Rubens, Guido Reni, Louis Finson, et Poussin.

Comparaison avec Poussin : Van Cleve, Brueghel le Jeune

ß œuvres liées à l’actualité : Allusion aux troubles religieux de la fin du XVIe siècle. Le massacre ordonnépar Hérode à Bethléem et dans ses environs de tous les petits garçons âgés de deux ans ou moins estici transposé dans un village flamand enneigé du XVIe siècle . Les soldats espagnols du duc d'Albe(celui-ci tenant l'étendard rose) furent envoyés par le roi d'Espagne Philippe II pour exterminer lesprotestants de la province des Pays-Bas. Les soldats arrivent dans le village et tuent impitoyablementtous les enfants. Des hommes et des femmes désespérés implorent en vain leur pitié.

ß décor : Village flamand du XVIe siècle. Chaumières. Personnages saisis sur le vif et campés dans uneattitude souple, possédant une forme typique et un visage bien individualisé, un peu rustique.

ß cadrage et angle de vue : plan d’ensemble, foule grouillante peuple le premier plan.

Marten Van Cleve :

Ce peintre figure parmi les émules dePeter Bruegel l'Ancien, celui qui serapproche le plus de ce grand maître dela peinture flamande de la Renaissance.En effet, son inspiration est trèssemblable, il traite des sujets similaireset ses compositions ainsi que l'alluregénérale du dessin prêtent parfois àconfusion lorsqu'on examine une oeuvrede Van Cleve superficiellement.

Le tableau figurant en annexe fut venduà Drouot en 1995. C'est une réplique deVan Cleve d'après un original perdu. Onnotera la grande similitude entre lacomposition de Van Cleve et celle dePeter Breughel le jeune (annexe).

Marten Van CLEVE (1527 - 1581), Le massacre des Innocents. Huilesur panneau. 76,5 x 107 cm.

Peter BRUEGHEL le Jeune, Le massacre des Innocents,huile sur panneau. 67 x 99 cm

Le classicisme en peintureNicolas Poussin, Le massacre des Innocents

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Service éducatif , Musée Condé, juin 2002

Tableau de Cornelis Schut : On peut parler de connivence plutôt que d'influence ou même de citation entrePoussin et Schut.Ce tableau, comme celui de Poussin, provient vraisemblablement de la collection Giustiniani. Elle comportaitenviron 500 tableaux et témoignait d'une forte attirance pour Caravage et les caravagesques, mais aussi pourCarrache, Guido Reni et les Bolonais. Vincenzo Giustiniani était aussi le patron de Claude Lorrain et de NicolasPoussin.

ß Volonté de toucher le spectateur par son héroïsme violent et sa puissance expressive, son cadrageserré, son chromatisme sombre. On retrouve les trois couleurs primaires et le blanc mais noyés d’ombre.

ß Composition pyramidale avec mise en valeur au 1er plan du bourreau et de la victime. Mais présenced’un registre céleste alors que chez Poussin son absence est soulignée par le regard de la mère dirigévers le ciel vide. L’émotion semble beaucoup mieux dominée chez Poussin, plus « classique ». Letableau de Schut possède des résonances maniéristes.

Cornelis Schut (Anvers, 1597-1655), L emassacre des Innocents Huile sur toile 3,24 x2,32 m.

Guido Reni, Le massacre des Innocents,Pinacothèque nationale, Bologne.

Le classicisme en peintureNicolas Poussin, Le massacre des Innocents

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